origine dialectale - chinese heritage of australian...
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CHAPITRE II
ORIGINE DIALECTALE
L E S faits n'indiquent pas qu'il y ait eu en indo-européen des dia
lectes caractérisés par des ensembles de particularités communes
à des groupes de parlers. Mais le point de départ de certaines diffé
rences entre les langues attestées semble remonter jusqu'à l'épo
que de l'unité indo-européenne. Les limites de chacune de ces par
ticularités anciennes communes à plusieurs langues de la famille ne
concordent pas : il y a des limites de « faits dialectaux » ; mais
rien n'autorise à poser des limites de « dialectes » indo-européens.
Pour ne pas compliquer un problème qui par lui-même est déli
cat, on laissera de côté les langues nouvellement découvertes et
interprétées, tokharien et hittite, quitte à y revenir incidemment. De
ce côté il y a encore trop peu de faits sûrs, et rien qui semble modi
fier gravement ce qu'on sait de la préhistoire du latin.
Quand on énumère l'ensemble des langues indo-européennes, le
premier trait qui attire l'attention est le traitement des occlusives
gutturales. A ce point de vue, les langues se répartissent en deux
groupes où le traitement diffère profondément. L'un des groupes,
qui se compose de langues orientales : indo-iranien, slave et baltique,
arménien, albanais, a deux séries, l'une comprenant des représentants
de prépalatales très altérées, l'autre des représentants de gutturales
pures sujettes à s'assimiler aux voyelles prépalatales et à y. En slave,
par exemple, la première série, celle des prépalatales, est représentée
par desimpies sifflantes, s et z, auxquelles répondent, en lituanien,
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des chuintantes s et i; la seconde série est représentée par k, g qui,
sous l'influence des voyelles prépalatales, se sont transformés à date
ancienne en c, i, et, à date plus récente, quand de nouvelles con
ditions se sont réalisées, en c (c'est-à-dire ts), dz. L'autre groupe, com
prenant des langues occidentales : italique et celtique, germanique,
grec, a d'une part, des gutturales pures, telles que k, g, de l'autre, des
post-palatales pourvues d'un appendice labio-vélaire: kw,gw ; ce second
type, complexe par nature, était instable ; le latin et le germanique
l'ont conservé dans une assez large mesure, et l'on a par exemple
lat. quis et quô, got. hwas « qui » ; mais, ailleurs, ces gutturales se
sont souvent altérées, perdant leur appendice labio-vélaire ou passant
à la prononciation labiale. Les correspondances entre les deux
groupes posent beaucoup de problèmes. Deux principes fondamentaux
dominent la théorie : aux prépalatales orientales répondent en Occi
dent des gutturales pures, ainsi à skr. dàça « dix », arm. tasn,
v. si. desetî et lit. desimt (littéralement « dizaine »), répondent gr.
déka et lat. decem ; aux postpalatales labio-vélaires occidentales
répondent en Orient des gutturales pures : à lat. quis, got. hwas
« qui », s'apparentent lit. kàs « qui », v.-sl. kû-to, skr. kdh et,
devant voyelle prépalatale, avestique vis, v.-sl. cï-to « quoi », etc. —
De ce contraste net, on a souvent conclu qu'il y aurait eu un groupe
dialectal de centum (occidental) et un groupe dialectal de satam
(oriental ; d'après la forme du n o m de nombre « cent » dans la lan
gue de l'Avesta, la forme la plus archaïque de l'iranien qui soit
attestée). Pareille conclusion vaudrait si la concordance observée
dans le traitement des gutturales était accompagnée d'autres concor
dances. Mais tel n'est pas le cas.
Les autres innovations, phonétiques ou morphologiques, qui
s'étendent à des domaines étendus, autorisent à tracer à l'inté
rieur de l'indo-européen des limites de faits dialectaux occupant des
domaines différents.
L'un des faits les plus caractéristiques est la tendance à confondre
les timbres o et a. Cette tendance, qui se manifeste de la manière
la plus complète en indo-iranien, se retrouve non seulement en
slave, en baltique et en albanais, langues du groupe salam, mais
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aussi en germanique, langue du groupe centum. Inversement, elle
est étrangère à l'arménien, langue du groupe satam, tout comme
elle l'est au grec, à l'italique et au celtique.
Quand la succession de leurs éléments morphologiques distincts
— racine et suffixe, thèmes et désinence —provoquait la rencontre
de deux occlusives dentales, s o i W - M - , l'italique, d'accord avec le
celtique et le germanique, en fait -ss-, tandis que le grec, d'accord
avec le baltique, le slave et l'iranien, en fait -si-. C o m m e exemple
on peut citer lat. sessus, de *sed-to-s, en face de hastô de l'Avesta qui
représente le m ê m e mot indo-européen.
Dans le verbe indo-européen, le temps n'était pas caractérisé par
des formes particulières de thèmes. L'opposition du prétérit au pré
sent était indiquée, d'une manière souvent peu nette, par la forme
des désinences. U n groupe de parlers indo-européens disposait d'un
autre moyen, accessoire : la préposition, facultative, d'une particule
*e-, dite « augment », soit sanskrit â-bharat « il portait », grec
é-phere, arménien e-ôer, en face de skr. bhârati « il porte »,
gr. phérei, arm. berê. Le procédé ne se trouve ni en italique et
celtique, ni en germanique, ni en baltique et en slave.
Pour ces quatre faits, les plus caractéristiques au point de vue
des différences dialectales, on doit donc supposer quatre limites
distinctes. C o m m e les limites ne sont observables que sur les
groupes linguistiques survivants, entre lesquels l'ancienne conti
nuité est abolie, on n'en peut déterminer, m ê m e approximativement,
le détail. Les concordances de plusieurs lignes qui se remarquent
pour certains faits particuliers ne sauraient dès lors passer pour avoir
une grande valeur probante. Si, par exemple, l'indo-iranien, l'armé
nien et le grec sont seuls à posséder la particule prohibitive *me
(indo-iranien ma, arménien mi, grec mfj), il se trouve que la limite
coïncide avec celle de l'emploi de Taugment. Mais les lignes sont
tracées d'une manière si approximative et grossière qu'on n'ose
bâtir là-dessus aucune théorie ferme.
Certains faits de vocabulaire sont remarquables et sans doute
significatifs.
Il est à remarquer par exemple que l'emploi de la racine *meh-
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pour fournir le verbe signifiant « moudre », lat. molô, etc., se
trouve justement dans le groupe où il n'y a ni augment ni la par
ticule *me, tandis que le grec et l'arménien, l'un avec aléô « je
mouds », l'autre avec atam « je mouds », recourent à une racine qui
se retrouve en indo-iranien pour la m ê m e notion.
Pour désigner le « chef »,le latin a dans dominus, de domus (litté
ralement « chef de la maison »), et dans tribûnus, de tribus, une
formation dont le pendant se retrouve exactement en germanique : le
gotique a piudans « roi » de piuda « peuple » (litt. « chef de peu
ple ») et kindins « chef » d'un mot qui est représenté par kind,
descendance» du vieil islandais. En indo-iranien, en baltique et en
grec, il y a, non des dérivés, mais des composés et des juxtaposés,
ainsi en védique dam patih « chef de la maison » et en grec des
potes « maître », littéralement « chef de la maison », *dems-pat-
avec le suffixe -a- de dérivation. Si le latin recourt à ce type domi
nus, tribûnus, ce n'est pas qu'il ignore la composition avec pot- :
d'une manière générale, il a conservé mieux que le grec le type
re-dux, iïi-dex, con-iux, prae-ses, parti-ceps, etc., et, en l'espèce,
il a com-pos et im-pos. La concordance du type de dominus, tribu-
nus avec des formations germaniques est donc significative.
Dans l'ensemble, 1' « italique », dont le latin est une partie, a la plu
part de ses traits caractéristiques anciens en c o m m u n avec le celtique
et souvent aussi le germanique. S'il offre avec le grec certaines concor
dances, c'est en général là où le grec est d'accord avec le celtique et le
germanique. Mais, tandis que le grec concorde souvent avec une
langue du type satam comme l'arménien, le latin est à tous égards
loin des parlers orientaux. Par tous ses traits, il remonte aux
mêmes types de parlers indo-européens que représentent le celtique
et le germanique, et par plusieurs, il s'éloigne du groupe que con
tinue le grec. Ainsi le latin se trouve situé avec quelque précision
à sa place ancienne parmi les parlers indo-européens.