organisations et transversalité - mémoire m2 design
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« L’idée est qu’on ne peut raisonner sur les comportements des individus ni seulement
en terme d’intérêts individuels, ni seulement en termes de contraintes par les structures,
mais qu’il faut prendre en compte les relations sociales concrètes, et le contexte social
dans lesquels les individus sont impliqués. »
Philippe Bernoux
Je tiens à remercier mes encadrants, Gildas Le Moigne et David Ferré pour leur suivi, leur
investissement et leur aide.
Je remercie également toutes les personnes ayant participé aux réflexions de mon travail.
Je remercie particulièrement Paul-Henry Fallourd pour avoir corrigé et apporté un regard
nouveau sur ce mémoire, Claire Paoletti pour son soutien et le groupe Saucissons Undercover
pour leur bonne humeur et leurs informations. Sans oublier Marion Desclaux , Jennifer Pospisek,
Sydney Hardy, Guillaume Congy et ma famille.
Pour terminer, je remercie le jury et toutes les personnes qui liront ce mémoire.
Introduction 8
0I État de lart de la théorie des organisations
I.I - Sujet et cadre 14 De l’organisation… …à la transversalité Cadre de l’étude
I.2 - Perspective historique des organisations 19 Les organisations originelles Les organisations classiques Vers des organisations holistiques
I.3 - Théories organisationnelles 31 La théories des groupes Les théories classiques Les modèles émergeants
- sommaire -
- sommaire -- sommaire -
02 Les déficiences des organisations et les freinsà la transversalité
2.I - La stagnation des organisation 48 Des organisations figées basées sur des modèles vieillissants Les évolutions actuelles des entreprises L’entreprise réseau à la recherche de transversalité
2.2 - L’Homme source d’énergie 62 Meilleur ennemi La culture, clé à l’ouverture Synergie collectives
2.3 - Les attentes de l’Homme et leurs évolutions 76 Individualité et appartenance Reconnaissance et motivation Liberté et cadre
Conclusion 124
Bibliographie 132
Glossaire 138
Annexes 142
- sommaire -
03 Vers des pistes et des territoires inconnus
3.I - Analogies 88 Le modèle organisationnel animal Les arts transversaux La hiérarchie des besoins de Maslow
3.2 - Prospective et thématiques émergentes 100 Signaux faibles Prospective et science-fiction Thématiques relatives
3.3 - Retour au design 113 La machine au pouvoir La technique éternelle assistante Embrasser la complexité
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- introduction -
Les organisations fascinent. Nous entendons par organisations, des
structures organisées et réfléchies, constituées d’individus. Ces individus
questionnent leurs relations, leurs conflits, leurs tensions, leur implication, la
place qu’ils occupent, la reconnaissance qu’ils attendent... Tous les liens tissés
au sein d’une organisation se créent de la nécessité d’avancer ensemble et sont
d’une complexité qui nous échappe quand on tente de les appréhender dans leur
globalité.
Où que nous soyons dans le monde, nous sommes confrontés à la gestion
des groupes, que ce soit en tant que leader ou simple partie prenante, aux
problèmes de communication, à l’incompréhension, au conflit, au refus… Les
solutions de facilité ont toujours été la fuite ou le repli sur soi. Il faut du temps
pour envisager que l’ouverture, la compréhension de l’autre viennent avant tout
de la connaissance d’autrui et de la patience dont on doit faire preuve pour le
connaître. C’est la culture qui est censée briser les incompréhensions et créer
le lien entre les différents acteurs d’une organisation. Pourtant, dans tous les
milieux sociaux et professionnels, ces conflits inter et intraorganisationnels
subsistent.
Dans notre environnement en pleine mutation, les technologies de
communication et d’informations ont radicalement changé en profondeur
la structure organisationnelle des organisations. Nous nous dirigeons vers
un monde toujours plus connecté. Nous demandons plus d’agilité à des
superstructures semblant inertes. Les startups semblent être une forme
organisationnelle pouvant s’adapter plus facilement aux changements rapides
des écosystèmes dans lesquels nos organisations évoluent. Au sein de ces
superstructures, de nombreux conflits internes peuvent être mis en cause, que
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- introduction -
ce soit entre le département marketing et IT, qu’entre les ressources humaines
et la recherche… Le fait de venir d’univers différents où chacun possède son
propre vocabulaire limite la compréhension aussi bien dans des organisations
simples que complexes. On peut alors se demander comment faire pour que
les différentes parties prenantes malgré leur différence de culture puissent
constituer une organisation performante.
Les ingénieurs, développeurs, financiers, growth hacker, graphistes,
designers, communicants... ont des difficultés à se comprendre. Il semble exister
un monde entre les différents univers professionnels. En sortant de ce modèle
en silo qui prône la performance individuelle, on s’ouvre sur des modèles plus
atypiques et agiles, porteurs d’innovation et de créativité. Les entreprises
sont toujours en train de se réinventer et d’innover pour survivre dans leur
environnement. Ces nouveaux modèles vont-ils dans le sens d’une performance
collective ? Former de nouveaux profils pluricompétents permet-il de créer le
lien au sein d’une organisation ?
Par ailleurs, de nombreuses personnes disent ne plus s’épanouir dans leur
travail. La gestion de leurs attentes et de leurs aspirations semble de plus en plus
complexe tout comme l’évolution de l’environnement des organisations. Nous
évoluons dans un monde marchant où nous sommes sans cesse à la recherche de
nouveaux produits à posséder, cependant nous cherchons également à combler
des besoins plus profonds de reconnaissance, d’appartenance et d’identité.
Les entreprises dans leur course au profit négligent parfois le facteur humain
pourtant à l’origine de leur existence.
Face à cette stagnation des organisations amenant l’aridité, seule
l’énergie semble pouvoir apporter le mouvement nécessaire à la pérennité
des organisations. Où cette énergie prend-elle sa source et comment est-elle
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- introduction -
stimulée ? L’apport de transversalité semble être une réponse au manque de
souplesse des organisations et à leur quête vers l’équilibre. La transversalité est
un concept restant assez flou, nous ne savons pas si elle est créatrice d’énergie
et nous devons questionner sa pertinence. Toutes ces questions nous amènent à
poser la problématique suivante :
« Quelle transversalité pour les organisations de demain ? »
Nous commencerons dans une première partie par faire un état de
l’art des organisations en étudiant ses sources, son étymologie et son histoire.
Nous explorerons également les théories organisationnelles ayant rythmé l’ère
industrielle et les plus récentes. Dans une seconde partie, nous nous intéresserons
aux freins empêchant la transversalité des organisations, mais également aux
pistes développées par les entreprises, par les sociologues et les psychologues
pour tenter de maitriser cette complexité liée à l’Homme. Nous finirons dans une
troisième partie par prendre de la hauteur en nous intéressant aux signaux faibles
de notre société, à la science-fiction et en cherchant des analogies potentielles à
la transversalité et aux organisations.
Dans cette partie, nous tenterons de faire l’état de l’art des théories
organisationnelles. Nous procéderons pas de manière exhaustive, mais
qualitative et évolutive. Dans un premier temps, nous définirons le cadre et
le sujet de ce mémoire puis nous étudierons l’histoire des organisations et
nous finirons par nous intéresser aux théories organisationnelles passées
et actuelles.
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I.I - Sujet et cadre
Une bonne compréhension du sujet commence par sa définition,
voyons quelle est la définition théorique puis pratique et enfin étymologique de
l’organisation et de la transversalité. Nous verrons ensuite dans quels cadres de
recherches s’inscrit ce mémoire.
I.I.I - De l’organisation…
Avant de s’intéresser aux organisations, il est primordial de définir les
différentes notions que ce terme recoupe. Il est en effet riche de sens et peut être
interprété différemment selon le milieu dans lequel il est utilisé. Commençons
tout d’abord par étudier sa définition littérale. En cherchant dans le dictionnaire
le Larousse, l’organisation est définie comme « l’Action d’organiser, de structurer,
d’arranger, d’aménager »1. Cette définition traduit bien le sens commun qu’on
utilise couramment. On parle de « sens de l’organisation », de « quelqu’un d’organisé »
ou encore d’un évènement « bien organisé ». Le terme organisation est opposé à la
désorganisation.
Dans le Dictionnaire étymologique Larousse, Paris 1971, le mot
Organisation vient du substantif latin « organum » et du grec « organon » qui
désigne au XIIe siècle XIVe siècle un instrument de musique, la voix, un organe
du corps. Outre un sens musical, organiser signifie : « disposé de manière à rendre
apte à la vie »2. En d’autres termes, l’organisation serait primordiale à la vie.
C’est donc une notion fondamentale à la survie d’un organisme vivant. Sans
organisations, c’est le chaos, la mort. Il est intéressant de noter par ailleurs qu’en
1 Organisation, repéré sur http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/organisation/564212 Dictionnaire étymologique Larousse, Paris, 1971.
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biologie, organisation signifie « Hétérogénéité structurale, observable à toutes les
échelles (molécule, cellule, tissu, organe, organisme) chez les êtres vivants tant végétaux
qu’animaux, sur laquelle repose leur fonctionnement vital »3.
L’Homme, comme tout être vivant a dû s’organiser pour survivre. La
somme des parties organisées donne à voir un nouveau tout. La métaphore
récurrente qui image cette idée est l’apparition de la vie. En ajoutant simplement
des cellules, des organes, sans les organiser, il n’est pas possible de créer la vie. Il
est possible d’extrapoler cette idée en disant qu’en organisant de façon optimale
les différents éléments constituant l’organisation on obtient un tout supérieur.
Une Organisation par extension peut concerner de nos jours toute entreprise
privée ou publique, institution, association ou structure. Il existe une tension
naturelle dans toute organisation entre les finalités de cette organisation et les
moyens disponibles et réunis pour y parvenir.
I.I.2 - …à la transversalité
La notion de transversalité est présente dans de nombreux domaines,
qu’ils soient scientifiques, politiques, pédagogiques ou économiques. Elle prend
de nombreuses significations dépendant du domaine de compétences associé.
Avant de commencer une réflexion sur la transversalité au sein des organisations
il est intéressant de se pencher sur ses différentes notions.
En consultant différents dictionnaires tels que le Robert ou le Larousse,
on peut observer que le terme « transversalité » n’y figure pas. On peut cependant
trouver l’adjectif et le nom transversal. Transversal vient du latin médiéval
« transversalis » et du latin classique « transversus », au sens didactique il signifie
3 Dictionnaire Larousse en ligne, repéré sur http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/organisation/56421
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« qui est disposé en travers de quelque chose, perpendiculairement à sa largeur ou à sa
hauteur ».4 Le sens courant du mot transversal est « qui traverse, est en travers » et
son sens figuré est « qui regroupe plusieurs disciplines du secteur ». On peut voir que les
premiers sens attribués à la transversalité se réfèrent à des univers tels que celui
de la géométrie ou de la géographie. Aujourd’hui, on utilise le terme transversal
dans de nombreux domaines.
Dans le Nouveau Littré, transversal signifie : « Qui passe en travers.
Qui touche plusieurs domaines à la fois. Un enseignement transversal ».5 Le mot
transversal, quel que soit le contexte dans lequel il est employé, garde toujours
une connotation positive. Il est synonyme « d’enrichissement », « d’apport » ou
même « d’ouverture ».
L’association Environnement Développement Alternatif, définit
la transversalité par « la pénétration de tous les paramètres (…) dont le but est
d’enrichir l’information dans tous les domaines autres que celui dont il s’occupait
plus particulièrement à moment donné et de croiser l’ensemble des données émanant
de chaque secteur, de chaque partenaire »6. La transversalité apporte à chacun
une nouvelle richesse. On s’enrichit de l’autre, c’est un échange équivalent, un
équilibre informationnel. Cet échange permet une vision plus globale, plus
transverse du tout.
Pour J.Ardoino, la transversalité dans les sciences humaines et sociales
nous éloigne « du modèle canonique : champ, objet et méthode, à partir desquels se
définissait habituellement une discipline d’enseignement ou de recherche. Beaucoup plus
que les territoires et les cloisonnements (…), ce sont des perspectives holistiques et des
4 Dictionnaire Larousse en ligne, repéré sur http://www.laroWiWusse.fr/dictionnaires/francais/
transversal/79245?q=transversal#78286 5 A. Guillevin, V. Magnon, O.Moulin, K. Zaïmen, A propos de transversalité dans l’école de musique, juin 2006, 229
pages.6 Association E.D.A., repéré à www.eda-lille.org/spip/article.php3?id_article=89.
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lectures plurielles s’interrogeant et se fécondant mutuellement, admettant les hypothèses
de l’hétérogénéité et de la complexité, explicitement située au niveau des regards portés
sur les objets, conjuguant les points de vue de la particularité et de la singularité avec celui
de l’universalité (…) ».7 Cette citation met en avant les idées de décloisonnement,
de « lectures plurielles s’interrogeant et se fécondant mutuellement » ou encore de
« perspective holistique ».
L’Holisme se définit par « la tendance dans la nature à constituer des ensembles
qui sont supérieurs à la somme de leurs parties, au travers de l’évolution créatrice ».8
L’Homme, par exemple, est un tout qui ne peut être expliqué par ses différentes
composantes physiques, physiologiques et psychiques considérées séparément.
La pensée holiste se trouve en opposition à la pensée réductionniste qui tend à
expliquer un phénomène en le divisant en partie.
On confond et on confronte très souvent la notion de transversalité avec
les notions de « pluridisciplinarité » ou « multidisciplinarité ». La pluridisciplinarité
se définit comme l’association de plusieurs disciplines visant un même but, sans
que chaque matière ait à modifier son mode de fonctionnement ou ses objectifs.
L’organisation de l’enseignement scolaire, par exemple, est pluridisciplinaire. La
multidisciplinarité, quant à elle, est la cohabitation de plusieurs disciplines dans
une même entité. Nous pouvons dire que l’organisation d’un conservatoire ou
d’une école de musique est multidisciplinaire, car elle propose différents cursus
que sont la musique, la danse et le théâtre, sans que l’ensemble des élèves soit
concerné directement par les trois matières.
La transversalité, est un mode de fonctionnement qui traversant
différentes disciplines, dépasse les cloisonnements existants afin de donner
forme à « autre chose », située au-delà de ces disciplines. La transversalité
7 J.Ardoino, Transversalité, Université Paris 8, repéré à www.barbier-rd.nom.fr/transversalite.html.8 Smuts, Jan. Holism and Evolution. Londres, Macmillan & Co Ldt, 1926, 362 pages.
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donne- t-elle à voir des organisations plus performantes, plus optimales ou plus
viables ? Nous pouvons également nous demander si le modèle en réseaux de
certaines organisations amène à plus de transversalité.
I.I.3 - Cadre de l’étude
Nous nous intéresserons dans ce mémoire à tout type d’organisation
que ce soit le système global dans lequel nous vivons, ou bien l’entreprise
qui par essence est une organisation créée par l’homme, en passant par les
formes d’organisation animale. Nous tenterons d’aborder un grand nombre
d’organisations afin de tenter de tirer des hypothèses qui seront réinvesties et
refocalisées sur les organisations humaines. Le but de ce mémoire est d’ouvrir
au maximum le scope de recherche et d’observation afin de pouvoir prendre le
maximum d’informations qui pourraient nous intéresser dans l’élaboration des
notions problématisantes.
Nous nous appuierons sur des livres portant sur la sociologie des
organisations, la psychologie des groupes et leur dynamique, la transversalité,
les entreprises, le management et sur les théories organisationnelles. Nous
nous aiderons de conférences portant des questionnements fondamentaux sur
notre condition d’humain et notre raison d’être. Et bien sûr des expériences
personnelles, qu’elles soient du monde de l’entreprise, de celui des startups ou
bien dans un cadre privé.
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I.2 - Perspective historique des organisations
Dans cette partie, nous étudierons les organisations humaines originelles
puis nous nous intéresserons aux organisations hiérarchiques mécanistes et
transactionnelles leur ayant succédé et pour finir nous porterons notre regard
sur leurs évolutions vers des organisations dites holistiques.
I.2.I - Les organisations originelles
Comme nous venons de le voir précédemment, de l’organisation née la
vie. Pour survivre, l’Homme, comme de nombreuses autres espèces animales, a
dû se rassembler pour se protéger. Ce groupement d’individus a eu l’obligation
de s’organiser pour être viable.
Il y a 3 millions d’années, l’Homme vivait de chasse et de cueillette. Le
pouvoir lui venait de son osmose avec la nature. La pensée globale était intuitive
et la communication orale. Nous étions alors organisés en tribus.9 De ce modèle
primaire de tribu sont nés les rites d’initiation, de formation, de passage au
sein de l’organisation. Ces rites symbolisaient et marquaient le changement
de statut social de l’individu ainsi que son incorporation dans le groupe. Ils se
matérialisaient par des épreuves ou des cérémonies. Ces rites initiatiques à la
différence des rites de passage, qui concernent le passage à la puberté sociale,
ne touchent pas les individus d’un même sexe, mais sélectionnent les individus
selon des qualités acquises.10 Il est intéressant de constater qu’aujourd’hui
9 JOCHEM Jacques, Le Mix Organisation, Paris, Edition Eyrolles, page 57.10 CROS Michèle, DORY Daniel, Terrains de passage : Rites de jeunesse, éd. L’Harmattan, 1996.
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encore ces rites initiatiques perdurent que ce soit dans la vie étudiante ou
professionnelle. C’est le cas par exemple des bizutages qui font aujourd’hui
polémiques. Quelles limites doit-on fixer à ces rites initiatiques ? Leur difficulté
n’est-elle pas nécessaire afin de marquer davantage la limite d’appartenance à une
organisation ? Afin d’appartenir à une organisation, il est nécessaire d’acquérir
des qualités validées par des rites formels ou informels. Ces qualités sont définies
aujourd’hui comme des « hardskill » ou des « softskill ». Les hardskill concernent
nos « compétences formellement démontrables, nées d’un apprentissage technique,
souvent d’ordre académique, et dont la preuve est apportée par l’obtention de notes,
diplômes, certificats et les softskill sont plus diffuses et informelles »11.
Il y a 30 000 ans, l’Homme a fini par se sédentariser. Le pouvoir lui
venant de la possession du territoire. Nous pensions de façon analogique et nous
communiquions par l’écrit. Les croyances et les religions ont pu se transmettre,
le pouvoir s’est répandu au travers d’icônes et d’écrits.12 Les organisations alors
en place étaient civiles comme les monarchies dirigeant des armées et religieuses
11 Aurolom, repéré sur http://www.aurlom.com/hard-skills-vs-soft-skills-se-completer-pour-mieux-
s%E2%80%99armer-2.12 TRADIGO Alfredo, Icônes et saints d’orient, 2005.
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comme l’Église et le Clergé. Cette période, tout comme la précédente, a laissé
sans nul doute des traces dans la programmation de cerveaux. Il est envisageable
de penser que certaines de nos façons de nous comporter au sein de groupes
humains viennent de ces époques lointaines. Dans les années 70, l’anglais Anthony
Jay dans son livre Corporation Man13 établit que la taille d’une organisation idéale
est de 500 personnes. En effet, cet effectif correspond à deux limites naturelles,
c’est le nombre maximum de personnes dont quelqu’un arrive à se faire entendre
en plein air sans amplification de sa voix et c’est le nombre de personnes que
l’on arrive à reconnaître en les croisant, cette reconnaissance constituant un
facteur de sécurité important pour la tribu, car un ennemi pourrait s’infiltrer.
Robin Dunbar, un anthropologue anglais spécialisé dans le comportement des
primates limite même ce nombre à 148, car selon lui « ce qui compte pour la cohésion
du groupe, ce n’est pas seulement d’en reconnaître les autres membres, mais aussi de
pouvoir percevoir correctement les interrelations entre eux. » Ce serait également
« la limite cognitive du nombre de personnes avec lesquelles un individu peut avoir des
relations stables »14. Pour déterminer ce chiffre, il est parvenu à établir que la taille
du cerveau impose une limite supérieure à la taille des groupes d’individus.
Nous avons établi qu’afin de rejoindre une organisation il est nécessaire
d’acquérir des compétences. De plus, la taille d’une organisation viable est un
élément loin d’être négligeable dans sa gestion et est inscrite plus profondément
dans notre ADN que nous ne pourrions le penser.
13 JAY Antony, Corporation Man, Jonathan Cape, 1972.14 DUNBAR Robin, Male and female brain evolution is subject to contrasting selection pressures in primates, BMC
Biology 5 Article Number: 21, 2007.
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I.2.2 - Les structures organisationnelles classiques
Pour l’Homme, une organisation définit une manière de vivre, une
culture. Nous avons cherché au fil du temps à marquer cette appartenance par des
icônes devenues des logos. Les organisations ont commencé à être « brandées »,
les valeurs d’appartenance à cette organisation ont été mises en avant de même
que ses us et coutumes. Tous ces ensembles de « best practices » ont permis aux
organisations de s’affirmer et de s’imposer. Que ce soit de l’uniforme des armées
romaines ou modernes, aux langages codés utilisés dans les religions, ou encore
même aux « checks » d’un groupe de jeunes adolescents, tous ces codes ont forgé
l’identité de ces organisations. Ces organisations peuvent être aujourd’hui être
matérialisées sous la forme d’entreprises, d’associations, de collectifs…
Le seuil de cette taille limite établi par la nature humaine, que nous
avons vu précédemment, a été confronté au besoin de croissance de certaines
organisations. Pour succéder au modèle précédent il eu été nécessaire, à partir
du XVIIIe siècle, de construire d’individu en individu de grands ensembles
organisationnels. L’enjeu de l’époque des organisations mécanistes est de rendre
les organisations plus productives et à moindre coût.15 Le modèle mécaniste est
systématisé par des théories comme celle de Frederick Taylor qui a pu concrétiser
ses hypothèses en l’appliquant dans l’automobile chez Ford. Lorsque, comme à
cette époque, une organisation peut générer un produit ou un service répondant
à des besoins massifs alors cette organisation à tendance à revoir son modèle afin
de s’adapter à son nouvel écosystème. Ce fut le cas des ces organisations à échelle
humaine ayant du évoluer vers ces nouvelles organisations à échelle industrielle.
Ce modèle souhaitant répondre à la masse par la masse remet en cause des
15 JOCHEM Jacques, Le Mix Organisation, Paris, Edition Eyrolles, page 62.
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modèles alors traditionnels tel que l’artisanat.
Une des controverses de ce modèle mécaniste est la déshumanification
des hommes au sein de cette organisation. En effet, les individus composant
l’organisation ne sont plus vus individuellement, mais comme composant un
tout. L’individu s’efface au bénéfice de la masse, le leader de l’organisation ne
connait plus les hommes qui la composent. Les tâches en général répétitives des
individus composant une organisation mécaniste étaient chronométrées et les
rémunérations étaient calculées sur la production horaire du meilleur employé.16
L’effet pervers de ce système étant que les employés contrôlaient la production
de toute l’entreprise en prévenant chaque nouvel arrivant de ne pas produire trop
et fixaient ainsi eux même leur taux de production horaire. Ce modèle pourtant
performant théoriquement trouve ses limites dans l’humanité des individus qui
la composent, il fonctionne par ailleurs très bien avec des machines.
Une des conditions du bon fonctionnement d’un modèle mécaniste est
la stabilité. Pour que ce modèle organisationnel puisse se mettre en place, il est
nécessaire que l’environnement dans lequel il se situe n’évolue pas trop vite.
Depuis plusieurs dizaines d’années, cette stabilité a disparu et les organisations
ont dû évoluer pour être plus réactives. Auparavant, les périodes de changement
16 Mondialisme.org, Aux origines de l’antitravail, repéré sur http://www.mondialisme.org/spip.php?article694
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accéléré n’étaient que des dérèglements temporaires, mais ceux-ci sont devenus
des temps forts de l’évolution. On peut citer par exemple l’arrivée d’Internet
et du numérique qui ont remis en cause presque toutes les organisations
humaines. Internet et les nouvelles technologies de communication ont placé
les organisations dans un écosystème plus global, on ne parle alors plus d’échelle
locale ou territoriale, mais internationale voir mondiale.17
Ces nouveaux modèles organisationnels répondent à la complexité
grandissante des nouvelles demandes venant du monde entier. La taille
des organisations a continué de grossir, les individus possédant les qualités
nécessaires pour les rejoindre ont pu s’affranchir de la distance auparavant
rédhibitoire et constituer de nouveaux points d’implantation à travers le monde.
Cette nouvelle complexité est liée comme nous venons de le voir à la distance
géographique, aux différences culturelles et à la multiplication des acteurs. Il est
nécessaire pour l’organisation de maîtriser ses réseaux constitués de partenaires
multiformes et changeants. L’émergence du modèle transactionnel est rendu
possible par les avancées extrêmement rapides des technologies de l’information
et de la communication. Il reste étonnamment pauvre au niveau de la réflexion
et de la recherche sur son mode de fonctionnement organisationnel. Il semble
que ce modèle a été subit plus que choisi. Les différentes organisations semblent
agir par mimétisme et par effet de mode lorsqu’il s’agit de se poser des questions
organisationnelles et de fonctionnement interne.18
Nous avons vu qu’afin de dépasser les limites naturelles des organisations
il est nécessaire de théoriser leur fonctionnement, mais également que
les organisations mécanistes trouvent leurs limites dans les hommes qui
17 MBENGUE, Bassirou. Impact des nouvelles technologies de l’information sur l’apprentissage et les compétences
en entreprise. 2000. Thèse de doctorat. Paris 7.18 JOCHEM Jacques, Le Mix Organisation, Paris, Edition Eyrolles, page 64.
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les composent. De plus les organisations, avec l’arrivée d’Internet et des
technologies de communication instantanée ont du se réinventer pour s’adapter
à un écosystème plus global. Avec l’émergence du modèle transactionnel des
contraintes se sont accentuées comme la culture, la distance et la multiplicité
des parties prenantes. Ce modèle semble également avoir été subi et le mode de
fonctionnement organisationnel tend vers un modèle similaire ne s’adaptant
pourtant pas aux complexités diverses des organisations.
I.2.3 - Vers des organisations holistiques
Depuis une dizaine d’années, l’évolution de la technologie a révolutionné
notre manière de communiquer et de nous organiser. Pour mieux appréhender
cette complexité globale grandissante au sein de nos organisations humaines,
nous avons cherché et nous cherchons encore à mettre en place des systèmes
d’informations capables de gérer cette complexité. Nous pouvons nous
demander si nous ne revenons pas au modèle des chasseurs-cueilleurs d’il y a 3
millions d’années avec les nouvelles technologies en plus. Nous revenons à un
système naturellement complexe que nous avions cherché à simplifier durant
cette massification artificielle que fût l’âge industriel. Quelles sont ces nouvelles
transformations organisationnelles ?
Le vrai challenge de la transformation digitale est la transformation des
organisations.19 Les organisations sont plus transparentes et ne maîtrisent plus
leur e-réputation comme elles maîtrisaient leur communication institutionnelle.
Ce phénomène vertueux qui pousse parfois les organisations à mettre en oeuvre
leur offre, leur message, leur proposition de valeur et à abandonner certains
19 Ibid., p. 67.
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de leur discours démagogue. Apple, par exemple, a dû prendre des sanctions
contre certains de ses fournisseurs qui employaient des enfants, ce qui ne collait
pas à l’image de marque qu’ils véhiculaient. Dans un tout autre registre, l’État
français a également annoncé souhaiter vouloir plus de transparence, mais cette
transparence n’est qu’une contrainte imposée par la transformation digitale des
organisations. L’État français a préféré prendre les devants afin de témoigner
de sa bonne volonté et ainsi limiter des fuites possibles dues au manque de
contrôle sur nos nouveaux dispositifs de communication et d’information. Cette
mutation digitale des organisations apporte par la transparence la preuve que
les organisations font bien ce qu’elles disent faire. La transparence améliore
l’efficacité, renforce la confiance et stimule l’innovation, elle limite les risques
de corruption. Cette nouvelle jungle recréée par la technologie nous confronte
aux mêmes questionnements qu’ont eus les premières organisations d’il y a 3
millions d’années : comment agir en secret, comment cacher l’information ? Cette
information qui devient de plus en plus la principale source de pouvoir. Certaines
organisations ont trouvé comme solution de ne pas être présente digitalement.
Ne pas exister ou être actif digitalement ne nuit-il pas aux organisations ? Ne
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faut-il pas apprendre à contrôler plutôt que de fuir cette source potentielle
d’enrichissement intellectuelle et matérielle ?
Cette arrivée du digital a permis le développement de nouvelles
structures organisationnelles qui se sont affranchies des théories du passé. Ces
structures ont écouté ces nouveaux comportements émergents que sont l’auto-
organisation et le contournement. Concernant l’auto-organisation, Google a
donné l’avantage à ses développeurs et ingénieurs de pouvoir gérer leurs journées
comme ils l’entendaient sous condition de résultat.20 De plus, chez Zappos,
l’organisation est passée en mode « zéro management » et les salariés sont
responsables de leurs actes et de leurs actions. Cependant Tony Hsieh dans son
livre « l’Entreprise du Bonheur », nous explique que le bien-être des gens n’est
pas qu’un objectif noble, mais un formidable générateur de succès.21 Nous verrons
dans la troisième partie quelles sont les conditions de ce bien-être et les attentes
des individus constituant une organisation. Ces attentes ne résument-elles pas
le bien-être qu’a toujours souhaité un homme en rejoignant une organisation ?
Les technologies de cette révolution digitale ont permis de voir émerger à
l’échelle mondiale une toute nouvelle culture et de nouveaux comportements
à la génération des « digitals natives ». Ces nouveaux comportements incitent à
l’auto-organisation. Ces digitals natives remettent en cause de manière naturelle
l’autorité, les intermédiaires ou l’expertise sans valeur ajoutée reconnue. Cette
génération possède cependant le pouvoir de donner libre cours à sa créativité
personnelle et au « mass-self communication » son but étant de s’exprimer
librement et de partager gratuitement cette expression. C’est un enjeu pour les
organisations actuelles et de demain de pouvoir tirer parti du double potentiel
20 Bernard Girard, Le Modèle Google, M21 Editions, 2008.21 Tony Hsieh, Zappos : l’Entreprise du Bonheur, Leduc Editions, 2013.
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qu’ont l’auto-organisation et la créativité de la multitude.22 Il faut éviter, pour les
organisations en place, d’inhiber ces comportements qui pourraient se retourner
contre elle.
Les organisations actuelles font face à de nombreux enjeux. Il est
nécessaire de faire face à cette nouvelle complexité que même les systèmes les plus
sophistiqués n’arrivent pas à appréhender. Les entreprises suite à de nombreuses
acquisitions et de fusions sont devenues incroyablement complexes. Il est
nécessaire de former les hommes constituant ces organisations afin de pouvoir
créer des liens permettant la cohésion et la synergie en son sein. Ce sont ces
liens qui créeront la transversalité devenue indispensable à nos organisations.
Comme toute période de transition et de changement, il faut également informer
l’ensemble de l’organisation et de prendre en compte la communication. L’enjeu
est donc multiple, il faut agir sur la formation, mais surtout sur la communication
et l’accompagnement, parfois appelé coaching. Cet anglicisme reste controversé.
C’est cet ensemble de paramètres qui justifie les programmes d’accompagnement
du changement dans les entreprises. La formation n’est que la partie apparente
de l’iceberg, c’est le piège dans lequel tombe certains managers non éclairés :
«Les salariés ne sont pas à niveau ou doivent s’adapter au changement, je les
forme et c’est bon....». Ce raisonnement reste en surface, le plus important et
difficile commence : comment ces personnes vont mettre en oeuvre efficacement
ce qu’ils ont appris, comment mesurer le succès du dispositif qui a été mis en
place… D’autre part, les organisations font face à une pénurie de créativité
nécessaire pour innover par elles-mêmes. Afin de gérer cette évolution vers un
modèle holistique il faut « libérer la créativité qui permettra aux organisations de
réaliser les promesses de l’ère de la communication et de l’information »23. Pour
22 COLIN Nicolas et VERDIER Henri, L’Âge de la multitude, Armand Colin, 2013.23 JOCHEM Jacques, Le Mix Organisation, Paris, Edition Eyrolles, page 70.
-29-
arriver à ce résultat, il est nécessaire comme nous l’avons vu précédemment de
donner une plus grande liberté aux hommes constituant l’organisation, quel que
soit le poste qu’ils occupent. Cette créativité est indispensable à tout niveau, que
ce soit pour le produit, le marketing, la stratégie, mais aussi le fonctionnement
global de l’organisation. Enfin, le dernier enjeu est de rendre ces organisations
attractives pour les nouvelles générations ayant des attentes de développement
personnel, car elles ne peuvent plus tromper sur ce qu’elles sont réellement.
Les nouvelles générations sont de plus en plus sourdes lorsqu’on leur impose
indifférence et absurdité en les obligeant à mal travailler. Des organisations
prônant la confiance et la convivialité sont nécessaires pour attirer les individus
prometteurs qui constitueront leur futur. C’est en prenant en compte ces enjeux
-30-
que les organisations pourront évoluer sans subir ce modèle en réseaux.
L’homme est aujourd’hui en train d’imposer un nouveau modèle, en raison
de sa nature curieuse et innovante ainsi que grâce aux moyens donnés par les
technologies de communication et d’information. Les organisations deviennent
plus transparentes que jamais et de nouveaux comportements comme l’auto-
organisation et le contournement émergent. Cette nouvelle complexité doit
servir à libérer notre créativité, ce sont les organisations prenant ce facteur en
compte qui seront attractives pour les générations de demain.
À travers le temps, l’homme n’a cherché qu’à agrandir le territoire
dans lequel s’inscrivaient les organisations qu’il mettait en place. Il a tenté
théoriser ces nouveaux territoires afin de les contrôler. Les technologies
de communication et d’information actuelles placent ce territoire sur une
échelle globale, mondiale ce qui a pour effet de confronter les organisations de
l’homme au modèle organisationnel de sa nature même d’animal. L’évolution
technologique nous pousse à nous rapprocher de modèles organisationnels plus
naturels, mais également beaucoup plus complexes à gérer, car ils prennent en
compte énormément de facteurs et de parties prenantes. Les modèles agiles et
en réseaux créés par l’homme semblent être une nouvelle nature à explorer et à
dompter.
-31-
I.3 - Théories 0rganisationnelles
Dans cette partie, nous verrons comment les groupes constituant
les organisations ont été théorisés puis nous nous intéresserons aux
spécificités de certaines théories organisationnelles encore enseignées
aujourd’hui puis nous étudierons le modèle holistique plus en détail.
I.3.I - La théorie des groupes
Une organisation tout comme un groupe réunit une pluralité d’individus
ayant une solidarité implicite plus ou moins forte. Nous allons voir quelques
théories du groupe qui peuvent s’appliquer à une organisation. Un groupe n’a
pas de notion d’organisation, mais au même titre qu’une organisation il tend vers
un but commun. Il est par exemple possible de grouper des individus ensemble
sans qu’ils soient organisés entre eux. Il est cependant nécessaire d’organiser, de
structurer un groupe pour qu’il devienne une organisation. À la différence d’un
groupe, une organisation est reconnue par une autre organisation extérieure
légitime. Un élément transverse au groupe touchera tous les individus qui le
constituent. Le terme de groupe possède un sens large et regroupe des ensembles
sociaux de tailles variées.
Au sein d’un groupe, tout comme dans n’importe quelle organisation se
jouent des jeux d’influences. Gustave le Bon établi dans l’ouvrage La Psychologie
des foules publié en 1895 que du groupement des individus vient la fusion
d’une pensée collective. Cette fusion a pour effet d’atténuer les différences
entre les parties prenantes d’un groupe. De plus, les facultés intellectuelles des
individus sont diminuées et ceux-ci n’exercent plus le contrôle habituel sur leur
-32-
comportement guidé normalement par les normes sociales. Gustave le Bon nous
confirme que « les qualités intellectuelles des personnes composant une foule
non aucun effet sur les actions accomplies par ce groupe, elles peuvent être tout
aussi héroïques que destructrices »24. Une personne en rentrant dans un groupe
subirait selon lui des modifications psychiques étant en tout point analogues à
celles subies par un sujet hypnotisé. Cette problématique toujours d’actualité,
a été reprise par Postmes et Spears en 1998. Postmes et Spears pensent que
« plutôt qu’une désindividualisation, les parties prenantes d’un groupe subissent une
mutation de leur processus d’autocatégorisation qui passe d’un niveau individuel
à un niveau groupal »25. Il est aujourd’hui établi que lorsqu’une personne fait
partie d’un groupe son caractère, ses décisions, son attitude changent. On parle
souvent « d’effet de groupe » lorsque nous ne reconnaissons plus les actes d’un
de ses proches, on dédouane alors l’individu de sa responsabilité individuelle.
Le groupe est vu comme un tout. Au regard de la loi, lorsqu’un individu a agi en
« bande organisée » ou « sous l’influence du groupe » la justice est plus clémente.
En 1921, Freud dans l’ouvrage Psychologie des masses et analyse du moi se
demande quels sont les facteurs d’influences pouvant à ce point modifier le
comportement individuel. Freud évoque la notion de libido ayant pour noyau
l’amour qui « recouvre de nombreuses formes comme l’amour pour soi, pour ses
enfants, sa famille… »26 Pour lui, les liens qui s’établissent entre les différents
membres d’un groupe se font sous l’impulsion d’un amour qui en constitue la
principale force de cohésion. La faiblesse de ce lien est le manque de réciprocité
ou le sentiment d’être défavorisé au détriment d’un autre membre du groupe. Ce
lien est présent entre tous les membres du groupe et est encore plus fort avec le
24 BLANCHET Alain, TROGNON Alain, La psychologie des groupes, Paris, Edition Armand Colin, 2008,
p.1325 Ibid., p. 1326 Ibid., p. 14
-33-
leader. Le véritable ciment du groupe serait donc cet échange d’amour égalitaire
entre le meneur et le reste des membres du groupe. Le fait que les groupes ont
une influence sur le comportement des attitudes des individus qui le constituent
a été démontré par une expérience menée en 1943 par Lewin sur des groupes
de ménagères Américaines et leurs habitudes de consommation d’abats. Selon
Lewin, « les comportements individuels dépendent du contexte dans lequel ils se situent
chaque individu étant plongé dans un champ de forces »27. Ce sont les phénomènes de
répulsion et d’attraction entre les individus et leur environnement qui forment
cet effet que l’on nomme dynamique de groupe. L’influence du groupe va conduire
en général les individus qui le constituent à se normaliser, à plus de conformisme
et à tendre vers l’innovation sociale.28 Cette normalisation est définie comme la
pression qui s’exerce sur les membres d’un groupe en vue d’adopter une position
acceptable pour tous.29 Cette pression conduit inévitablement la convergence
des opinions, car celle-ci facilite le compromis et évite le conflit.
Cette normalisation conduit chaque groupe à se constituer une culture
propre. Cette culture est constituée de codes communs, souvent d’une langue
commune, et d’une histoire qui lui est propre. En rejoignant un groupe, on accepte
implicitement également la culture de ce groupe. Aujourd’hui, il est établi qu’une
organisation doit avoir une culture forte afin de permettre aux individus de s’y
identifier facilement, ce qui aurait pour effet de faciliter les relations au sein du
groupe. Des entreprises comme Google ou Apple en sont de parfaits exemples.
Chez Google, la culture de l’ouverture, de l’open source et du lien se retrouve
jusque dans les vélos qui composent son campus tandis que chez Apple la culture
du secret et du design se retrouvent à tous les niveaux de l’entreprise. Lorsque
27 LANDRIEUX-KARTOCHIAN Sophie, Théorie des organisations, Paris, Edition Gualino, 2013, p. 5828 ALEXANDRE-BAILLY F., Comportement humain et management, 2006.29 Ibid., p. 59.
-34-
l’on rentre chez Google on est considéré comme un Noogler, ce qui s’apparente
un rite initiatique, c’est une façon pour l’organisation de montrer à l’individu
que désormais il doit adopter la culture de l’entreprise. C’est à travers le groupe
que nous cherchons à combler notre besoin d’appartenance. Cependant, il est
possible de faire partie d’un groupe d’échanger, de participer et de ressentir une
solitude intérieure importante. Il est également primordial de penser à la notion
temporelle du groupe, en effet celui-ci ainsi que sa culture évoluent dans le
temps. Son évolution est due à l’arrivée de nouvelles parties prenantes ainsi qu’à
la mutation de son environnement.
Le groupe exprime un besoin important de renforcement mutuel
d’individus se sentant impuissants individuellement. Dans le groupe est présente
une ambivalence, le groupe nous rassure tout comme il nous menace, il nous
accueille et nous appuie tout comme il peut nous écraser et nous déposséder.
C’est le rôle du leader que de s’assurer que les attentes des parties prenantes
du groupe sont respectées. La présence d’un leader est indispensable au sein de
tout groupe, c’est lui qui donne la vision et favorise la progression du groupe vers
ses buts. Dans l’ouvrage la psychologie des groupes il est dit que : « Le leader doit
savoir gérer l’ensemble des processus qui s’établissent dans les différentes étapes de la
vie du groupe »30. Cette fonction est complexe et exige une capacité d’adaptation
importante. Ce leader doit être doté d’une caractéristique appelée leadership. Le
leadership est une fonction nécessaire à tout groupe, car elle répond aux besoins de
cohérence et d’identité des membres qui le compose. C’est grâce à son leadership
que le leader va rassembler les différentes individualités qui composent le
groupe en une entité unique. Il est important de ne pas confondre un leader d’un
manager. Le pouvoir du manager lui est conféré par les parties prenantes externes
30 BLANCHET A., TROGNON A., La psychologie des groupes, Paris, Edition Armand Colin, 2008, p.99.
-35-
au groupe alors que le pouvoir du leader lui vient des membres du groupe. Le
manager n’est donc pas un leader, mais plutôt un animateur. Le leader donne la
vision au groupe, c’est un élément primordial lié à la motivation et à l’engagement
des membres du groupe. D’après de nombreuses études rapportées par Gibbs
en 1969, les leaders naturels partagent certains traits de personnalité tels que la
considération des membres, la prise d’initiatives structurantes, l’activation de la
production et la sensibilité interpersonnelle.31 En 1972, Lippit et White testent
trois types de leadership dans des groupes d’enfants, un leadership autoritaire,
un leadership démocratique et un leadership passif. Le leadership démocratique
obtient des meilleurs résultats, car il implique les différents membres du groupe
dans le processus décisionnel. Cette implication a pour effet d’augmenter la
satisfaction des membres, d’améliorer les performances, d’établir un bon climat
socioémotionnel ainsi que de garder la cohésion du groupe en cas d’absence du
leader. En 2008, Luria a démontré que les leaders actifs, individualisant leurs
relations avec les membres du groupe induisent des climats de sécurité et une
meilleure cohésion du groupe que des leaders ne le faisant pas. Le leader a donc
un rôle primordial au sein du groupe, sans lui les différentes parties prenantes du
groupe ne peuvent pas former ce tout organisé.
Nous avons pu voir que dans les groupes tout comme dans les
organisations se jouent des jeux d’influences, que la culture du groupe transcende
les individus qui le composent et que le leader joue un rôle d’exemple, de guide et
de coordinateur. Les fondations profondes qui structurent un groupe viennent
des liens entre ses membres, de sa culture et de son leader.
31 Ibid., p. 103.
-36-
I.3.2 - Les théories classiques
Nous allons maintenant voir les différentes théories enseignées en école
de management pour tenter de comprendre comment cette complexité liée à
l’organisation a pu être théorisée. Ces grilles de lecture vont nous permettre
de mieux appréhender le fonctionnement des organisations. Nous tenterons
de trouver des paradoxes entre ces théories et entre ce que sont et seront les
organisations. Pour analyser ces théories nous nous appuierons sur le livre
Théorie des Organisations de Sophie Landrieux-Kartochian. L’école classique
des théoriciens de l’organisation a pour optique commune de rationaliser
l’organisation. Cette école est composée en partie par Taylor, Fayol et Weber. Nous
analyserons les principes de leurs théories, leurs apports et leurs limites.
Taylor est une des références incontournables lorsqu’il s’agit de parler
de théories organisationnelles. Ses théories impactent encore aujourd’hui
les méthodes de travail des organisations. Taylor a rationalisé l’organisation
du travail, il a tenté d’en faire une science. Cet ingénieur et économiste de
profession a étudié comment optimiser la production en la rationalisant. Il a
contribué à la transformation de la société industrielle entre 1870 et 1914. Un des
buts de Taylor est de limiter le gaspillage en matière et en temps, ce qu’il fait en
spécialisant et en divisant horizontalement le niveau le plus bas de l’organisation
qu’il appelle les cols bleus. C’est encore aujourd’hui le modèle organisationnel
des usines à la chaine ou des caissiers dans les hypermarchés. Son autre but est
de diviser verticalement l’exécution, le contrôle et les projets ce qu’il fait en
créant une hiérarchie qu’il appelle les cols blancs. Il applique également le salaire
au rendement et le contrôle strict du travail. De nombreux secteurs industriels,
tels que celui de l’automobile, ont appliqué ses méthodes qui ont connu un grand
-38-
succès. L’organisation scientifique du travail autrement appelée OST a permis la
réalisation de la production de masse ayant amené à la société de consommation.
Comme nous l’avons vu précédemment ce modèle mécaniste a trouvé ses limites
dans sa conception très réductrice de l’homme. Il ne prend pas en compte des
facteurs psychologiques autres que la motivation par l’argent. L’OST nie toute
forme d’autonomie et d’initiative, elle crée par ailleurs des conflits entre les
fonctionnels cols blancs et les opérationnels cols bleus.
Fayol est un ingénieur français proposant une approche rationnelle du
management. Il cherche les procédés de gestion permettant une organisation
administrative du travail optimale. Il est considéré comme le père du management
moderne. Fayol apporte une vision fonctionnelle de l’organisation en divisant
ses activités. Ce découpage peut nous sembler banal aujourd’hui tant il paraît
évident. Il divise une organisation en 6 activités, technique, commerciale,
financière, sécurité, comptable et administrative. On peut observer que dans
ce découpage il n’est pas question de créativité et encore moins d’innovation
ce qui n’est pas adapté pour les organisations actuelles cherchant sans cesse
à innover. Fayol s’intéresse tout particulièrement à l’activité administrative
qu’il attribue au manager. Selon lui, les fonctions clés de l’administration sont
la prévision, l’organisation, le commandement, la coordination et le contrôle.
Fayol contrairement à Taylor estime qu’il faut laisser les ouvriers s’organiser
eux-mêmes, que ce soit au niveau de la répartition des rôles, des tâches, des
outils et des méthodes employées. Cette pensée fait penser au principe d’auto-
organisation, que nous verrons plus tard, où on estime que l’organisation tend à
s’autoréguler, s’équilibrer et se stabiliser d’elle même lorsqu’on lui laisse la liberté
de le faire. Certains chercheurs comme Mintzberg pensent que les théories de
Fayol ne décrivent que vaguement quelques objectifs des dirigeants et que la
réalité est tout autre. Mintzberg appelle les dirigeants avec le terme plus général
-39-
de « managers » qu’il décrit comme étant la personne « ayant la responsabilité d’une
organisation ou d’une des unités de cette dernière ».
Weber contrairement à Taylor et Fayol n’est pas un praticien et ses
recherches dépassent le cadre du management. Il est considéré comme un des
pères de la sociologie. Weber propose un modèle rationnel d’organisation appelé
le modèle bureaucratique. La théorie de la bureaucratie est composée de trois
caractéristiques étant la stratification de l’organisation et des postes de travail,
la régulation par la hiérarchie et la coordination des activités. Les membres
d’une organisation bureaucratique sont libres et n’obéissent qu’aux devoirs de
leur fonction dont les règles sont conservées par écrit. Weber dans sa recherche
aux fondements de l’autorité se demande quelles sont les logiques guidant les
actions des individus. Il compte trois fondements à l’autorité, la logique affective,
la logique des valeurs et la logique instrumentale venant des modèles rationnels.
Weber fait le choix de développer cette logique instrumentale, car l’autorité du
modèle vient de la fonction et non pas de la personne qui l’occupe ce qui permet à
l’autorité de se maintenir lorsque l’organisation évolue. L’autorité dans ce modèle
est impersonnelle et liée à l’exercice de sa fonction. Ce modèle est impersonnel et
protège des préférences du leader ou d’autres membres de l’organisation. Tout le
monde à l’assurance d’être traité en fonction de règles connues et précises. Il n’est
donc pas possible d’être soumis à des décisions arbitraires ou discriminatoires,
ce modèle est une garantie d’équité. Les bureaucraties sont caractérisées par leur
efficacité, chacun connait son travail et remplit ses objectifs. Ce modèle garantit
la compétence des employés, leur indépendance, leur sécurité et leur obéissance
aux règles. Ces organisations ont un comportement pouvant être anticipé, les
résultats auxquels elles aboutissent sont ceux prévus ce qui en fait un modèle
théoriquement stable. Le modèle bureaucratique a cependant ses limites, les
jeux individuels et la dimension de l’acteur sont absents. Ce modèle ne prend pas
-40-
en compte les motivations individuelles pouvant nous pousser à faire partie de
l’organisation et ne nous voit que comme des individus ayant un rôle à remplir.
Les règles passent avant tout et les réels buts de l’organisation deviennent flous,
c’est d’ailleurs ce qui est souvent critiqué dans les organisations bureaucratiques.
Un exemple que tout le monde ou presque connait est la séquence dans les douze
travaux d’Astérix32 où celui-ci doit obtenir le laissez-passer A-38 dans la maison
qui rend fou. Après avoir été désorienté et avoir frôlé la folie, Astérix décide de
prendre l’organisation bureaucratique à son propre jeu en demandant un laissez-
passer imaginaire A-39 selon une circulaire B-65 imaginaire également. Tous les
membres de l’organisation se mettent à chercher ce formulaire ce qui crée un réel
chaos dans le bâtiment. Finalement, Astérix obtient le laissez-passer A-38 qui
lui est donné « gracieusement » afin de le faire partir et retrouver l’ordre dans les
bureaux. Le système bureaucratique est connu pour sa lenteur, un des plus connus
en France est sans doute la Poste. Aujourd’hui, les organisations bureaucratiques
sont synonymes de gigantisme, d’immobilité et d’inefficacité.
Les hommes ont depuis toujours tenté de rationaliser les organisations.
La complexité des organisations les dépasse. Lorsque l’on tente de rationaliser la
complexité, on prend le risque d’en perdre sa subtilité. À mettre dans des cases des
phénomènes complexes, on oublie souvent de prendre en compte des facteurs
qui peuvent remettre en cause la globalité du modèle. Que ce soient dans les
théories organisationnelles de Taylor, Fayol ou Weber, il n’est nullement question
de transversalité. Il est nécessaire de remettre en cause les caractéristiques de
la bureaucratie, que nous avons vue précédemment, afin de mettre en place
des organisations plus plates effaçant leurs frontières internes et externes. Ces
structures plates ayant pour avantage de faciliter la communication, de réduire le
32 GOSCINNY R., UDERZO A., les douze travaux d’Astérix, Studios Idéfix, 1976.
-41-
sentiment de directivité, d’augmenter l’autonomie et par conséquent la créativité
et l’innovation des organisations.
I.3.3 - Les modèles émergeants
Ces modèles théoriques que nous avons vus précédemment sont encore
appliqués de nos jours bien qu’ils aient évolué et été adaptés. Les fondements
restent cependant les mêmes. Une alternative intéressante à ces modèles est
présentée dans le livre Le Mix Organisation33 écrit par Jacques Jochem. Il me semble
pertinent d’aborder ce modèle très récent (2014) ayant pour problématique
d’introduction « Et si l’entreprise mobilisait enfin l’énergie naturelle de l’autonomie ? ».
Cette problématique m’a interpellé, car elle partait initialement de l’humain, de
sa valeur créative et non pas comme un simple engrenage de l’organisation.
Jacques Jochem choisit de représenter les organisations de façon
matricielle en suivant deux axes. L’axe égo qui représente le dedans c’est-à-dire
la capacité à développer une dynamique collective, à valoriser les ressources
internes, à impliquer et la fédérer les énergies et l’axe ÉCO qui représente le dehors
c’est la capacité à libérer la combativité individuelle, à réagir aux évolutions de
l’environnement et à tirer parti des ressources externes. Sur cette matrice on
retrouve les modèles organisationnels dont nous avons parlé auparavant, les
modèles tribal, mécaniste, transactionnel et holistique. Toutes les entreprises
actuelles peuvent être positionnées sur cette matrice : une PME familiale sera
en générale à tendance tribale tandis qu’une usine de production sera mécaniste,
une entreprise de conseil sera plus transactionnelle et une startup ayant trouvé
une synergie sera plutôt holistique. Il est important de comprendre que la forme
33 JOCHEM Jacques, le Mix Organisation, Paris, Edition Eyrolles, 150 pages.
-42-
holistique est un état temporaire, tout comme le bonheur c’est un Graal. Cette
forme organisationnelle se met en place d’elle-même de façon ponctuelle lorsque
la synergie entre l’ÉGO et l’ÉCO opère. La forme holistique est celle où la tension
entre l’ÉGO et l’ÉCO est la plus forte. Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises
à tendance organisationnelle transactionnelle cherchent à ramener de l’humain
dans leur organisation, du tribal afin d’équilibrer cette balance entre ÉGO et
ÉCO. Ce lien de confiance collective est une des conditions nécessaires à la forme
holistique. Les entreprises cherchent également à renforcer leurs ressources
internes en réaffirmant leurs valeurs et leur identité. Il est possible de placer de
très grosses organisations divisées en différents départements sur cette matrice.
Ainsi le département des ressources humaines ou l’administration seront
plutôt positionnés mécaniste, le département recherche tribal, le département
marketing ou la communication en transactionnel et le département innovation
et création en holistique.
-43-
En s’intéressant au modèle holistique, on quitte la pensée rationnelle
pour s’intéresser à la pensée complexe. Edgar Morin, sociologue, anthropologue
et philosophe nous oppose dans son livre La Méthode34 la pensée rationnelle et la
pensée complexe. Ainsi il oppose la partie que l’on aborde de façon segmentée
au tout que l’on aborde globalement en étudiant les liens qui le composent. Il
oppose le fait que le tout soit la simple somme des parties au tout supérieur à
la somme de ces mêmes parties. Dans la pensée rationnelle le désordre est une
anomalie alors que dans la pensée complexe le désordre est la norme et l’ordre
une anomalie. Contrairement à la pensée rationnelle où le chaos est l’inexpliqué
provisoire, on remet en cause ce qui est déjà expliqué, on raisonne en tolérant
l’ambiguïté plutôt que par exclusion. « L’organisation holistique se comporte comme
un système complexe ouvert, dont la propriété est de créer lui-même sa propre finalité et
ses propres principes de fonctionnement en dehors de toute intervention extérieure »35.
Un ordre global émerge spontanément de ce modèle holistique qui comporte une
part inévitable d’imprévisibilité. Cette forme organisationnelle s’adapte à son
environnement changeant dans lequel elle puisse son énergie. Il évolue par lui
même, et s’adapte à la recherche de sa stabilité.
Il est nécessaire que chaque partie prenante de l’organisation porte le
projet commun. Cette culture est inculquée dans certaines startups où tous les
membres doivent savoir pitcher le concept. Cette démarche crée une cohésion
au sein de l’équipe et une forte implication de la part de chacun. Il est intéressant
de faire une analogie entre le modèle holistique et les sports collectifs. Dans
un sport collectif c’est celui qui possède le ballon qui détient le pouvoir, et le
pouvoir passe de main en main, chacun est égal et peut exercer son contrôle. Il
faut que chaque joueur ait cette conscience, cette intelligence collective qui le
34 MORIN Edgar, La Méthode, ouvrage en 6 volumes, Seuil, 1977-2044.35 JOCHEM Jacques, le Mix Organisation, Paris, Edition Eyrolles, p.27.
-44-
fait se sentir au sein d’un tout pour en user intelligemment. C’est la bonne prise
en compte du contexte interne, comme la position de ses coéquipiers ou leurs
appels de balle, et du contexte externe, comme la position de ses adversaires ou
ses marges de manœuvre, qui vont déterminer de la réussite de sa décision. C’est
la prise en compte complexe des enjeux qui lorsqu’ils sont bien synthétisés dans
leur ensemble créent cette synergie. Le joueur fait à se moment parti d’un tout,
il s’efface au profit de la performance collective. Quand une personne arrive à
devenir cet élément transversal apportant de la valeur à l’organisation on dit de
lui qu’il possède un esprit d’équipe, que ce soit dans le sport ou dans n’importe
quelle organisation. Afin d’atteindre cette conscience collective, il est nécessaire
d’avoir conscience du tout.
Jacques Jochem nous parle dès le début de son livre d’énergie et l’énergie
est l’élément nécessaire à la transversalité de l’organisation c’est ce qui va lui
apporter sa richesse. Il est nécessaire d’avoir une organisation transversale pour
mettre en place un modèle holistique. C’est par l’équilibre des axes égo et ÉCO,
par leur mix que l’on va atteindre cette forme holistique. On peut rapprocher
la définition de la transversalité de celle d’un ensemble holiste, la somme des
parties crée un nouveau tout.
Nous nous dirigeons vers un monde holistique
où le pouvoir vient de la maîtrise de l’information,
la communication devient purement digitale et
interactive, les organisations sont regroupées en
fédérations et en réseaux. Nous quittons un monde
où le pouvoir vennait de la disponibilité du capital,
où la pensée était rationnelle et réductionniste, où la
communication audiovisuelle des mass médias était
monopolistique et les organisations hiérarchiques.
Il existe un paradoxe entre le fait que l’homme aille
vers des structures organisationnelles en réseau où il
doit agir pour le bénéfice du groupe et le fait qu’il soit
une individualité tentant d’exister par elle même et
de sortir de la masse. Quelle est la place de l’homme
dans ce modèle en réseau transversal ?
Nous allons voir dans cette partie quels sont les paradoxes des
organisations actuelles qui semblent stagner et qui les rendent inadaptées
au monde actuel, déficientes. Nous nous intéresserons par ailleurs, aux
éléments facilitant la mise en place de cette transversalité qui semble
indispensable à l’évolution de nos organisations. Puis nous finirons par
nous intéresser à l’Homme et aux évolutions de ses attentes mais également
au rôle qu’il joue dans les organisations.
-48-
2.I - La stagnation des organisations
Nous commencerons par voir en quoi les hiérarchies actuelles sont basées
sur un modèle dépassé puis nous verrons qu’elles sont différences entre la culture
des organisations et la culture des nouvelles générations et pour terminer nous
parlerons des réseaux et des relations transversales qui composent l’entreprise.
Les organisations souhaitent innover davantage et être plus créatives, mais ne
laissent pas la place à l’énergie de se déployer. L’entreprise est un cas d’étude
très intéressant lorsque nous parlons d’organisations, car elle est une structure
organisationnelle étant contrainte à la performance. Si l’entreprise ne remplit
plus ses objectifs, elle n’est plus viable.
2.I.I - Des organisations figées basées sur des modèles vieillissants
Les organisations souhaitent rester compétitives, mais se reposent
sur des modèles vieillissants. En quoi le modèle hiérarchique est-il un modèle
organisationnel vieillissant ? Nous nous appuierons dans cette partie sur les
connaissances acquises lors d’un workshop de deux jours avec des managins
partners d’Accenture.
Depuis plus d’un siècle, le modèle hiérarchique, appelé également top
Down est la norme. Le problème du modèle hiérarchique est qu’il n’est plus
viable aujourd’hui, car il repose sur l’idée que les organisations sont construites
sous la forme de pyramides. Un des principes de ce modèle est que les acteurs
de la base de la pyramide ont la possibilité d’accéder au niveau supérieur de la
pyramide. Le problème aujourd’hui est que ce système arrive à ses limites, la base
de la pyramide grossit et les promesses d’évolution au sein de cette pyramide ne
-49-
peuvent plus être tenues. C’est ce phénomène que l’on appelle couramment « le
plafond de verre ». Chez Accenture le nombre de nouveaux entrants augmente,
mais le nombre de places aux échelons supérieurs reste les mêmes. Il n’est plus
possible de proposer les mêmes évolutions de carrière verticales qu’auparavant.
Il est possible de créer de plus petites pyramides au sein même de la pyramide
pour donner l’illusion d’évoluer. Il est également possible de proposer des
évolutions de carrière plus horizontales. Le modèle hiérarchique est un modèle
fermé, on évolue dans un cadre défini et connu, alors qu’un modèle ouvert comme
un modèle en réseau est un modèle indéfini et inconnu, ce qui est bien plus
intéressant pour innover. L’homme aime ce système cartésien, car il est inscrit
dans un cadre et confortable. On sait que pour accéder a l’échelon supérieur on
doit accéder à la place de son chef. Dans un modèle hiérarchique, on met en avant
les généralistes alors que dans les modèles en réseaux, les experts sont valorisés.
Le niveau au sein de cette pyramide organisationnelle détermine le
pouvoir que l’on détient ; or ce pouvoir aspire à devenir de moins en moins
centralisé ce qui remet en cause la pertinence de ce modèle. Les modèles agiles
contrairement aux modèles top Down diffusent et délèguent le pouvoir dans
différents groupes qui constituent l’organisation. C’est exactement ce que fait
Google et un grand nombre d’organisations ayant un modèle startup où le pouvoir
relatif à un produit est détenu par le product manager. Dans son livre Gestion de
projet : Vers les méthodes agiles, Veronique Messager Rota définit cette méthode
agile comme étant « une approche itérative et incrémentale, qui est menée dans un
esprit collaboratif avec juste ce qu’il faut de formalisme. Elle génère un produit de haute
qualité tout en prenant en compte l’évolution des besoins des clients »36. Ce modèle
met en avant les individus et les interactions plutôt que les processus et les
36 MESSAGER ROTA V., Gestion de projet : Vers les méthodes agiles, Eyrolles, 2009.
-51-
outils. Ces modèles agiles sont transversaux par essence, car ils pénètrent toutes
les couches de l’entreprise, ils transforment ces organisations en profondeur.
Ce sont ces modèles qui sont appliqués dans l’univers du design où le retour
utilisateur est primordial pour concevoir un produit ou un système pertinent.
C’est une nouvelle façon pour les organisations de créer de la valeur tout en
s’adaptant aux changements de son environnement. Cette capacité à s’adapter
rapidement et à intégrer sur un socle stable, mais souple la valeur crée en fait
un modèle particulièrement adapté à notre époque. Ces modèles peuvent être
mis en place en utilisant de nombreuses méthodes, mais une des plus populaire
reste la méthode Scrum. Ces méthodes agiles répondent à ce besoin qu’ont les
organisations actuelles de plus de transversalité, cependant elles ne peuvent pas
être appliquées à grande échelle. En effet lorsqu’un groupe dépasse 12 membres il
devient compliqué de mettre en place ces méthodes, il est important que chacun
soit omniscient dans le groupe et sache ce que tout le monde fait. Ainsi lorsque
l’équipe travaillant de manière agile est amenée à changer un ou plusieurs de
ses membres elle est confrontée à des difficultés d’adaptation. On note d’autres
limites à ce modèle telles que la quantification de la part d’implication des parties
prenantes externes, la planification ou encore l’estimation de la charge du projet.
Cette agilité modifie également notre façon de percevoir et de concevoir ce qui
crée pour certaines personnes constituant l’organisation un choc culturel.
Les possibilités de forme des structures organisationnelles des
entreprises sont nombreuses. La structure organisationnelle d’une entreprise
reflète souvent la façon dont elle fonctionne, les jeux de pouvoir, les liens entre les
parties prenantes, la hiérarchie peuvent y être représentés de façon schématique.
On peut remarquer cinq grands types de structures récurrentes d’après Chandler.
La forme unitaire en U basée sur la centralisation où les activités et la direction
sont réunies. La forme multidivisionnelle en M construite verticalement avec
Le modèle Accenture
-52-
une maison mère et différentes activités rattachées à celle-ci. La direction est
située dans la maison mère. C’est un modèle décentralisé. La forme holding en
H construite horizontalement, c’est le modèle des holdings avec les différentes
activités dissociées, mais communiquant entre-elles. Chaque activité possède sa
propre direction et elles échangent entre elles pour mettre en place la stratégie
du groupe. C’est un modèle décentralisé. La Matrice dans laquelle les personnes
ou les sous-sections ayant des compétences similaires sont regroupées pour la
répartition des tâches. Au niveau d’une entreprise, les sous-sections peuvent être
coordonnées dans le but de réaliser un projet. On peut par exemple associer la
R et D, les designers, et le service qualité sur un produit donné. C’est un modèle
décentralisé. Et pour finir, le Modèle en réseaux, les entreprises sont étendues
tissent des liens en fonction des compétences, mais également des marchés
visés, elles forment des partenariats, mettent en place de plates-formes de
connaissances et de formations communes, partagent l’information, partagent
leurs actifs, mettent en place des stratégies communes… C’est un modèle
décentralisé.
La façon dont la structure est organisée influe directement sur les relations
entre les membres ainsi que sur leurs champs d’action. Afin que l’organisation
fonctionne dans sa globalité, il est important de coordonner tous les groupes la
constituant. Une entreprise comme Google possède une structure lui permettant
d’être très réactive, agile et indépendante. Elle est composée de petites équipes,
-53-
les décisions sont prises de la base de l’entreprise et permettent une rapidité à
toute épreuve. Ce n’est pas la taille d’une entreprise qui va définir sa structure. Il
est facile de faire un raccourci en se disant que plus une entreprise est développée,
et plus elle possède de collaborateurs, plus elle possède une structure complexe
et requiert des décisions prises de manière verticale. Cependant, comme nous
venons de le voir avec Google, ce raccourci est faux, les décisions quotidiennes ne
sont pas prises de manière verticale. On peut retrouver dans certaine PME autant
de niveaux hiérarchiques voir davantage que chez un géant comme Google.
Les employés sont intéressés par leur évolution au sein de la pyramide,
car trois des leviers principaux de motivation pour l’homme sont le pouvoir, la
reconnaissance et l’argent. Les aspirations actuelles sont différentes de celle
d’autrefois, les gens aspirent à plus de bien être, d’équilibre entre la vie prive et
vie professionnelle, mais également de reconnaissance dans leurs expertises.
Plus l’organisation est sujette à la performance plus la tension sur les liens qui
la constitue est forte. La réussite au sein d’une organisation est-elle encore
synonyme de réussite sociale ? La tension sur les liens se ressent par les parties
prenantes de l’organisation. Il est possible d’agir sur ces liens afin de relâcher
-55-
cette tension ressentie par les membres de l’organisation, ce qui peut avoir pour
effet de les rendre plus innovants et plus productifs.
2.I.2 - Les évolutions actuelles des entreprises
L’entreprise cherche cependant à évoluer, car elle est consciente que si elle
n’évolue pas elle peut disparaître, l’évolution est pour elle un besoin intrinsèque.
La structure organisationnelle fait partie des préoccupations des entreprises.
Nous allons voir quels sont les investissements faits par les entreprises afin de
renforcer leur structure organisationnelle. Nous nous appuierons dans cette
partie sur une discussion avec le vice-président de la formation de Schneider
Electric et ses constats.
Afin d’être compétitives dans un monde devenu global, les entreprises
ont besoin d’être de plus en plus expertes et de se recentrer sur leur coeur de
métier. En effet il est aujourd’hui facile d’aller chercher les services venant
d’un concurrent moins cher ou tout simplement meilleur. Afin de remédier à ce
phénomène, qui touche n’importe quelle organisation lorsqu’elle s’inscrit dans
un tout plus global, les entreprises ont commencé à externaliser des fonctions de
l’entreprise et donc une partie de leurs ressources. Il est possible d’externaliser
de nombreuses ressources générant des coûts supplémentaires inutiles pour
l’entreprise. Prenons l’exemple des MOOCS, qui en rendant disponibles des
formations en ligne étant conçues par les meilleurs experts mondiaux au plus
grand nombre, permettent de s’assurer que le niveau de formation proposé est
nivelé par le haut. Se rendre dépendant de facteurs externes est à la fois un risque,
mais également une opportunité pour les entreprises. Une organisation étant
dépendante d’un ou plusieurs acteurs possède effectivement des obligations qui
complexifient sa structure, mais en faisant appel à une expertise extérieure elle
-56-
se rend plus compétitive et plus viable.
Les entreprises tentent également de redéfinir leurs frontières en étant
plus agiles comme nous l’avons vu précédemment. Les frontières peuvent aussi
bien être internes, comme celles mises en place par les théories organisationnelles
telle que la hiérarchie, qu’externes comme celles entre le client et l’entreprise
ou le consommateur et le producteur. Ces modèles organisationnels où les
frontières sont redéfinies sont le terreau des startups, car ils représentent une
innovation de rupture dans la façon d’appréhender les problèmes. L’entreprise
La Ruche qui dit Oui, en proposant de simplifier la chaine de distribution entre
le producteur et le consommateur, remet en cause les modèles organisationnels
existants. De façon plus globale, le courant de l’économie collaborative redéfinit
les frontières imposées par la grande distribution. Une organisation en plus de
ses liens est également régie par des frontières mouvantes, c’est à l’organisation
de savoir définir le plus justement ces frontières. D’autre part, l’objectif d’une
entreprise est la profitabilité. Elle doit activer deux leviers majeurs ; la croissance,
c’est à dire le développement de son chiffre d’affaires et l’optimisation de
ses coûts qui concerne les ressources internes et externes, la productivité…
L’agilité est nécessaire pour être réactive et efficiente avec un effort, un coût, une
consommation réduite, pour faire face à un environnement de marché évoluant
rapidement.L’organisation de demain se doit d’être assez souple et réactive
dans sa manière de définir ses liens, sa structure et ses frontières pour pouvoir
s’adapter aux contraintes internes et externes évoluant toujours de plus en plus
vite.
Il est intéressant de se poser la question de la place du designer dans
ces organisations. En effet leur intégration au sein des entreprises est un enjeu
auquel sont confrontées les entreprises actuellement. Le designer peut être
considéré comme un maillon de la chaine de production de l’organisation ou bien
-57-
comme un élément qui traite l’organisation dans sa globalité et qui transcende ce
modèle.37 Par exemple l’objet connecté Mother, conçu par Rafi Aladjan le créateur
du nabaztag, possède des fonctions répondant à une problématique plus globale
et humaine plutôt qu’à de simples résolutions de problématiques techniques. Il
est possible avec Mother d’utiliser une famille de capteurs connectés se fondant
dans votre vie quotidienne pour la rendre plus sereine, plus saine, plus agréable.
Le designer possède dans l’organisation un rôle plus global et transversal,
celui de facilitateur. Il vient faciliter la conduite globale des projets vers les
buts de l’organisation en collaborant avec l’ensemble des parties prenantes de
façon transversale. Le designer apporte le côté humain, il sort des contraintes
technologiques pour revenir aux usages. Une des difficultés à la fusion des équipes
et à la transversalité, abordée par un des membres de the Walking Web durant la
conférence du WebBlendMix, reste le problème d’égo entre les parties prenantes.
Il n’est pas rare qu’un des acteurs de l’organisation n’accepte pas de se remettre
en question pour le bien du projet commun. Cette situation est vérifiable dans la
vie de tous les jours dans n’importe quel travail d’équipe.
Les entreprises sont des organisations ayant cette obligation d’innover
et de se remettre en question pour survivre. Par ailleurs elles possèdent souvent
37 The Walking WEB, Pourquoi le design ne sauvera pas le monde, BlendWebMix, 2014
-58-
des structures trop lourdes à modifier, surtout lorsqu’elles héritent de modèles
hiérarchiques. Les futurs enjeux auxquelles les organisations vont avoir à faire
face les amènent à revoir leurs structures organisationnelles que ce soit à une
échelle globale ou groupale. Il est parfois nécessaire de revoir les liens qui relient
différents acteurs, d’intégrer de nouvelles entités ou de nouveaux membres
au sein de l’organisation… Ces changements internes remettent en question
l’équilibre pouvant s’être mis en place avant que des changements externes ne le
fassent.
2.I.3 - L’entreprise réseau à la recherche de transversalité
Les entreprises ont compris l’intérêt qu’elles avaient à investir dans
des modèles en réseaux. Elles savent que la transversalité génère cette énergie
nécessaire à leur compétitivité et leur pérennité. Cependant elles ne savent pas
toujours comment la mettre en place.
-59-
Les entreprises voient souvent le réseau comme une forme simple
et les investissements pour développer cette forme organisationnelle sont
souvent réduits à leur minimum. Une idée ancienne, selon laquelle il convient
d’abord de développer une réalité matérielle38, est en partie responsable de
cet investissement minimal. Les entreprises pensant mettre en place une
organisation en réseaux se contentent d’aménager les espaces et de maîtriser
la technologie. Cependant ces conditions sont loin d’être suffisantes. Mettre
différents experts venant d’horizons divers dans une même pièce ne suffit
pas à créer cette transversalité recherchée par l’organisation en réseau. Il est
nécessaire de prendre en compte les propriétés physiques de l’organisation
comme la connexité, la densité et l’attractivité, mais également la façon dont
les différents acteurs vont être incorporés au sein du réseau. Il est également
important de considérer les orientations et les objectifs de l’organisation qui
vont conditionner le fonctionnement du modèle en réseau. Il est nécessaire de
prendre en compte les antécédents sociaux et culturels existant dans la forme
organisationnelle précédant l’instauration du réseau. Pour finir, il est pertinent
de mettre en place des processus d’apprentissage permettant l’émergence de
relations transversales et des processus heuristiques qui sont les bases de toute
coopération professionnelle durable.
Les relations transversales sont souvent liées dans le monde de
l’entreprise aux idées de collaboration et de coopération. Elles sont associées
plus ou moins directement à la notion de réseau. « Dans ces dernières années, les
organisations ont développé un ensemble de mécanismes pour encourager les contacts
entre les individus, et ces mécanismes peuvent être incorporés à la structure formelle.
En fait, dans le domaine de la conception de l’organisation, ces mécanismes de liaison
38 NAUD D., MELET B., Transversalité et coopération dans l’entreprise réseau, Demos, 2008, p.31.
-60-
représentent le développement contemporain le plus important depuis l’introduction
des systèmes de planification et de contrôle il y a 10 ou 20 ans.39 » Ces relations
transversales décloisonnent les frontières internes et externes des organisations
et permettent aux membres de ces organisations ayant des expertises différentes
de collaborer sur des projets communs. Les organisations ayant une structure
matricielle comme nous l’avons vu précédemment matérialisent ces mécanismes
de liaison. Le fait que les relations transversales soient associées à la notion de
réseau est un abus de langage, car il n’existe pas, au sein d’une organisation en
réseau, de frontière nécessitant d’être « traversée ».40 Dans ces organisations en
réseau il peut exister des sous-réseaux, des groupes ayant des fonctionnements et
des objectifs différents du système global, mais il n’est pas pour autant nécessaire
de surmonter les divisions traditionnelles, sociales et techniques de l’entreprise.
C’est souvent lorsque plusieurs formes organisationnelles coexistent au sein
d’une entreprise que la transversalité devient synonyme d’ouverture et de
décloisonnement des activités.
Les relations transversales amènent les différents acteurs de
l’organisation à se rencontrer et mettre en place des méthodes de collaboration
différentes de celles appliquées habituellement dans leurs métiers. Un des
objectifs de l’entreprise est de faciliter la création des relations qui permet à ses
membres de franchir les frontières que la structure de l’organisation leur impose
où qu’ils s’imposent parfois eux-mêmes. Didier Naud et Benoît Melet dans
leur livre Transversalité et coopération dans l’entreprise réseau41 nous donnent les
conditions indispensables à cette facilitation des relations transversales :
- Reconnaître les différences et les complémentarités professionnelles qu’elles
39 MINTZBERG H., Structure et dynamique des organisations, Les Editions d’Organisation, Paris, 1996.40 NAUD D., MELET B., Transversalité et coopération dans l’entreprise réseau, Demos, 2008, p.33.41 NAUD D., MELET B., Transversalité et coopération dans l’entreprise réseau, Demos, 2008, p.33.
-61-
soient individuelles ou collectives.
- Avoir un objectif, un projet ou un sujet commun, justifiant le fait de dépasser
les divisions habituelles de l’organisation du travail.
- Partager les gains parmi les acteurs impliqués dans le processus de
transversalité.
- Mettre en place des interfaces appropriées permettant le passage de frontière
entre les métiers, les expertises, les domaines de pouvoir, déterminée au sein de
l’entreprise. Ces interfaces peuvent aussi bien être physiques, technologiques,
documentaires, organisationnelles.
- Créer des espaces d’expression et d’argumentation libres pour les différents
acteurs qui permettent la recherche de consensus extrême ou d’accord guidé
se par la seule valorisation des arguments professionnels.
Respecter ces quelques règles permet d’optimiser les résultats de la mise en place
de relations transversale au sein d’une entreprise. Ces règles semblent pouvoir
s’appliquer à tout type d’organisations.
Nous avons vu que les entreprises passent parfois à côté de la complexité
qu’est la mise en place d’un système transversal comme le modèle en réseau. La
transversalité est un enjeu relationnel au même titre que le réseau est un enjeu
organisationnel. Cependant cet enjeu relationnel peut changer complètement
de nature selon les modes de perception et d’appréhension des individus. La
mise en place de relations transversales au sein des entreprises n’est pas une
science exacte. En revanche, de plus en plus de conseils facilitant leur émergence
sont partagés parmi les organisations souhaitant comprendre et analyser ce
phénomène.
-62-
2.2 - L’Homme source d’énergie
Après avoir analysé de façon pratique comment les entreprises tentent de
devenir de plus en plus transversales et les raisons qui empêchent cette évolution,
nous allons étudier le facteur principal permettant la mise en place de cette
transversalité, l’Homme. Alors que les théoriciens du XXe siècle ont cherché à
rationaliser le facteur humain, nous allons nous intéresser à sa complexité. En
effet l’Homme est la source d’énergie initiale et primordiale permettant aux
organisations humaines de fonctionner. Nous allons étudier tout d’abord les
freins empêchant de créer cette énergie nécessaire à la transversalité puis nous
verrons comment la culture permet à l’Homme de s’ouvrir et de libérer cette
énergie puis nous finirons par nous intéresser aux synergies se créant entre les
Hommes.
2.2.I - Meilleur ennemi
L’Homme peut produire une énergie pouvant être néfaste à l’organisation.
Étant la source de cette énergie, c’est à l’Homme qu’il est nécessaire de s’intéresser.
Dans cette partie nous tenterons de comprendre les facteurs pouvant nuire à
cette énergie et donc à la transversalité.
Lorsqu’un individu évolue dans un groupe, une organisation, il se produit
un phénomène appellé la socialisation.42 Ce phénomène est constitué de deux
parties, la personnalisation et l’individualisation. La personnalisation a lieu
pendant l’enfance et est une condition nécessaire à l’individualisation. C’est le
processus par lequel un individu devient une personne pouvant évoluer parmi
42 BLANCHET A., TROGNON A., La psychologie des groupes, Paris, Edition Armand Colin, 2008, p.20.
-63-
d’autres personnes comme un alter ego. C’est durant cette phase qu’il crée son
identité. Sans ce processus, l’individu est dépossédé de son identité propre
et nous serions tous semblables. L’individualisation est le second processus
poussant l’individu à se singulariser lorsqu’il évolue dans un groupe ayant
des traits de personnalisation communs. On cherche d’abord à appartenir
au groupe en s’appropriant ses codes et ensuite à se différentier pour exister
en temps qu’individu. Il paraît évident qu’une richesse peut émerger de la
diversité des personnalités façonnées, mais des divergences peuvent également
apparaitre durant le processus d’individualisation. Un exemple récurent de cette
transition entre les phénomènes de personnalisation et d’individualisation est
la crise d’adolescence. Elle survient lorsque les enfants souhaitent s’affirmer
et revendiquer leur individualité vis-à-vis de leur famille avec laquelle ils ont
vécu leur processus de personnalisation. Ce modèle se répète à chaque fois que
l’individu doit se construire et évoluer. Lorsqu’il est intégré dans un groupe ou une
organisation, il finit inéluctablement par s’individualiser. Cette individualisation
peut résulter en une distanciation de la culture du groupe à laquelle l’individu
avait initialement adhéré. L’Homme veut être reconnu pour son individualité
quitte à parfois a ce que cela nuise au groupe. C’est cette transition entre ces
deux phénomènes de construction de son individualité sociale qui est la cause
-64-
de nombreuses ruptures au sein des groupes et des organisations. Pour éviter
ce phénomène il est envisageable que l’individu ne reste jamais trop longtemps
dans une zone de confort trop importante, et de le faire changer de groupe
régulièrement. Ce changement a pour effet bénéfique d’également stimuler sa
capacité d’adaptation. Il est également possible que le groupe ou l’organisation
trouve son équilibre avec les individualités de chacun. On peut également
remarque que tout le temps qu’un individu ne se sent pas légitime au sein du
groupe il ne va pas revendiquer son individualité.
Il faut également aborder la question de l’intérêt de l’individu. Lorsque
l’intérêt de la partie et du tout ne converge pas, il n’est pas envisageable d’établir
un consensus pouvant générer l’énergie nécessaire à l’organisation.43 Ces intérêts
convergent à la suite d’un processus social complexe. Dans un premier temps a
lieu un rapport de force composé de négociations, de conflits, d’accords formels
ou tacites puis un travail intrapsychique où l’individu se demande ce qu’il est au
sein de l’organisation et ce que sont les autres, ce qu’il peut attendre et ce qu’il
doit craindre… Pour finir, se met en place un processus culturel où sont créées,
aménagées et détruites des normes collectives ainsi qu’un langage d’action
composé de codes et de valeurs. Nous approfondirons ce processus culturel
par la suite. Ces trois registres sont indissociables. Si les intérêts ne convergent
pas, l’organisation stagne. Dans une startup on observe généralement une très
forte convergence des intérêts ce qui a pour effet de stimuler de façon parfois
spectaculaire l’organisation. Cette synergie peut survenir dans tout type de
groupe, que ce soit un groupe de musique, un projet de groupe scolaire ou même
suite à la diffusion d’un mail dans une entreprise.
Il existe un paradoxe entre le besoin pour l’organisation que l’individu
43 CHASSANG G., MOULLET M., REITTER R., Stratégie et Esprit de Finesse, Economica, Paris, 2002.
-65-
s’efface au profil du groupe, la mise en place d’une conscience groupale et la
tendance de l’homme à vouloir exister en temps qu’individu. Cette volonté de
s’élever du groupe force la plupart du temps des luttes de pouvoir. Comme le
définit Sophie Landrieux-Kartochian dans son livre Théorie des organisations,
« le pouvoir de l’acteur dans une relation dépend de sa capacité à faire en sorte que les
termes de l’échange lui soient favorables ».44 Ces luttes de pouvoir peuvent donc
amener certaines personnes à user et abuser de cette capacité afin d’affirmer
leur position au sein du groupe. Afin d’assoir sa légitimité, un manager n’étant
pas leader naturel peut abuser de son pouvoir pour avoir le dernier mot sans pour
autant détenir la clé du problème. Ces situations d’abus de pouvoir mènent à des
dérives pouvant jouer contre l’organisation. Les relations de pouvoirs peuvent
également devenir le sens des préoccupations, car l’enjeu à la clé, purement
individuel, apparait plus proche. Lors de ces situations de lutte de pouvoir, le but
principal de l’organisation est détourné et l’énergie individuelle est orientée vers
44 LANDRIEUX-KARTOCHIAN S., Théorie des organisations, Paris, Edition Gualino, 2013, p.144.
-66-
des buts annexes étant néfastes au développement du groupe. Bien sûr un pouvoir
acquis de façon légitime, délégué par le groupe, et bien exercé apparaitra comme
un élément nécessaire à la bonne conduite des objectifs fixés par l’organisation.
L’Homme possède une individualité propre pouvant nuire à l’organisation
si aucun équilibre entre les individualités la composant n’est trouvé. Il est
cependant possible d’agir sur ce processus d’individualisation en sortant
l’homme de sa zone de confort ce qui le pousse à se remettre en question vis-à-vis
de lui-même et du groupe. D’une part, il est nécessaire que l’Homme puisse faire
converger ses intérêts avec ceux de l’organisation afin qu’il génère le maximum
d’énergie potentielle. D’autre part, il peut être utile de distinguer les formes de
pouvoir s’exerçant au sein de l’organisation afin de déceler les abus individuels
ou nuisibles. On remarque bien que l’individualité et les vices de l’Homme jouent
contre lui lorsqu’il doit agir de façon désintéressée pour le groupe. L’Homme
cherche à faire évoluer les organisations qu’il a créées, mais est au final un des
facteurs principaux responsables de leur stagnation. On peut se demander si
finalement, l’important pour l’Homme n’est pas la représentation qu’il a de lui-
même et de sa situation. Est-il envisageable de penser que créer l’illusion que
chaque individu existe en tant qu’ Être unique peut stimuler l’énergie qu’il libère
tout en l’orientant vers l’organisation ?
-67-
2.2.2 - La culture, clé à l’ouverture
Nous allons maintenant voir en quoi la culture agit sur les comportements
humains. Premièrement, nous ferons un rapide panorama de la culture
organisationnelle, puis nous approfondirons le terme de culture et la façon dont
celui-ci est perçu et nous finirons par explorer ses bienfaits.
Commençons par un court panorama de la culture organisationnelle.45
Dans les organisations tribales, il existe une unique culture forte et homogène,
celle-ci est magnifiée et respectée contrairement aux organisations mécanistes
où la culture est ignorée. Au sein des organisations transactionnelles, les cultures
s’assemblent et forment un assemblage hétérogène. Celles-ci sont minimisées
et perçues comme des contraintes. Enfin, au sein des organisations holistiques,
il existe un petit nombre de valeurs fortes partagées ; la culture devient un réel
enjeu pour l’organisation. Il existe finalement deux positions, soit la culture est
subie par l’organisation ou elle est maîtrisée. La culture est complexe, elle résulte
de nombreux facteurs. À travers le temps, nous avons maîtrisé cette complexité.
Plus l’organisation est grande plus il est difficile de faire adhérer tous les acteurs
à une culture commune. Les valeurs partagées par la culture de l’organisation
sont intimement liées à la structure organisationnelle, il n’est pas possible de
promouvoir n’importe quelle valeur. Il peut paraître par exemple inopportun
qu’un fonctionnement transactionnel promeuve la solidarité, la communauté
et la coopération alors que ce modèle est marqué par la compétition. Afin de
faire changer une culture d’un petit groupe, potentiellement très forte, il est
nécessaire d’acquérir une légitimité en commençant par respecter la culture que
l’on souhaite faire évoluer. La culture est un élément difficile à mettre en place,
45 JOCHEM Jacques, le mix organisation, Paris, Edition Eyrolles, p.36.
-68-
mais une fois parvenu à l’imposer, elle est le ciment souple de l’organisation.
Cette propriété de souplesse est réellement pertinente pour les organisations
holistiques à la recherche d’agilité. La culture va permettre d’assurer le fil
conducteur de l’évolution de l’organisation.
Les paramètres de culture diffèrent fortement d’un écosystème à un
autre. Ainsi en Asie, il peut être très stimulant d’être mis en avant par des
classements, afin de reconnaître la valeur d’un acteur de l’organisation, alors que
dans la plupart des pays européens la réussite suscite généralement l’envie et
est dénigrée. Cet état d’esprit s’explique par la culture chrétienne très présente
historiquement dans de nombreux pays européens où l’envie est considérée
comme un péché capital. Cet exemple illustre bien qu’il est difficile de transposer
un modèle culturel d’un écosystème à un autre. La culture reste un concept flou
et malléable auquel chacun peut donner la forme qui lui convient.46 Il existe de
multiples définitions de la culture ce qui rend difficile de déterminer le champ de
discussion lorsque l’on en parle, cette confusion amène à discréditer le concept
lui-même. A. Krober et Clyde Luckhohn ont compté plus d’une centaine de
définitions en 1952.47 La définition semblant la plus intéressante dans notre cas
semble être : « sert à désigner l’ensemble des activités, des croyances et des pratiques
46 BERNOUX Philippe, La Sociologie des Organisations, Paris, Seuil, 2004, p.210.47 LANDRIEUX-KARTOCHIAN S., Théorie des organisations, Paris, Edition Gualino, 2013, p.166.
-69-
communes à une société ou à un groupe social particulier ».48 Lorsque l’on parle de
culture on à tendance catégoriser trop facilement les individus selon leurs
valeurs nationales, régionales, sexuelles… Cette tendance à nier la différence des
individus et à déduire des besoins individuels des valeurs culturelles n’a fait que
renforcer les préjugés du concept de culture. Afin de faciliter la greffe culturelle,
il faut distinguer les individus et les laisser adopter les facettes culturelles
auxquelles ils s’identifient sans leur imposer une culture globale dans son
ensemble.
Aujourd’hui on admet le fait qu’il existe une culture d’entreprise. La
définition d’Edgar Schein proposée en 1985 nous éclaire sur ses spécificités : « la
culture d’entreprise est un ensemble d’hypothèses de base partagées par un groupe qui
les a inventées, découvertes ou développées, en apprenant à surmonter les problèmes
d’adaptation externe et d’intégration interne et qui fonctionnent suffisamment bien pour
être considéré comme valides, et à ce titre digne d’être enseignées aux nouveaux membres
du groupe comme étant la bonne façon de percevoir, réfléchir et ressentir les problèmes
similaires à résoudre ».49 Une culture d’entreprise forte que nous connaissons tous
est celle d’Apple et sa culture du secret. Les dirigeants d’Apple ont déterminé
que le secret était une façon permettant d’accomplir plus facilement les objectifs
fixés par l’entreprise. Ces façons de percevoir sont en général définies par une
personne cultivée ayant de l’expérience au sein de l’organisation. Une personne
cultivée va, en théorie, embrasser plus facilement la nouveauté, le changement et
la différence. En pratique, certaines personnes se replient parfois sur leur culture
afin de s’affirmer en temps qu’individualité forte. La culture organisationnelle
ou culture d’entreprise reste globale et il se crée, la plupart du temps, des sous-
cultures en fonction de la position hiérarchique et des situations de travail. Il
48 ROBERT M.A., Ethos. Introduction à l’anthropologie sociale, Coll. « Humanisme d’aujourd’hui », Ed. Vie 49 LANDRIEUX-KARTOCHIAN S., Théorie des organisations, Paris, Edition Gualino, 2013, p.166.
-70-
est important que la culture organisationnelle ne soit pas en désaccord avec son
temps. Pour séduire certains experts, des entreprises affichent aujourd’hui des
valeurs open source comme Google.
La culture est un adjuvant primordial à l’ouverture. Elle permet de
faciliter la mise en œuvre des projets de l’organisation. Elle est également le fil
conducteur et le socle souple permettant l’agilité nécessaire pour s’adapter
aux évolutions rapides de l’environnement. Cependant une culture trop forte
de l’organisation et mal véhiculée, limite son adoption par les membres de
l’organisation. Il ne faut pas se servir de la culture pour catégoriser les individus,
mais comme d’un tremplin à l’ouverture. Cette culture est faite de compromis
entre l’individu et l’organisation. La culture est un des agents stimulants l’énergie
rendant l’organisation transversale. Néanmoins il faut faire attention à ne pas
transposer des modèles culturels à succès, car la greffe peut ne pas prendre. La
culture organisationnelle idéale résulte d’un processus collectif d’accumulation
dans le temps propre à l’organisation.
2.2.3 - Synergies collectives L’Homme peut également tirer son énergie de la collectivité.
L’appartenance à un groupe transcende et permet de se dépasser. Nous parlerons
du concept d’intelligence collective puis de la préhension de soi et des émotions.
Pour finir, nous nous intéresserons à la connaissance de soi et des autres.
Afin d’être toujours plus compétitives en remplissant des objectifs
toujours plus complexes, les organisations cherchent à développer la créativité
de leurs membres. « La créativité est d’une attitude particulière de l’esprit permettant
de réaliser des découvertes, c’est-à-dire d’arriver à connaitre ce qui était caché et
ignoré, ou d’inventer, de créer quelque chose de nouveau dont personne n’avait eu
-71-
l’idée. »50 La créativité orientée, qui correspond à la résolution de problèmes
n’est pas supérieure qu’il s’agisse d’un groupe ou d’un individu, tandis que
la créativité constructive, qui consiste à découvrir de nouvelles structures,
observe une plus grande potentialité de résultats pour les groupes que pour les
individus. En effet, les groupes découvrent un plus grand nombre de structures
justes et rares. Ce phénomène est dû à l’intelligence collective du groupe ayant
une meilleure gestion des attentes multiples. L’intelligence collective se prête
donc mieux à la gestion de la complexité. Il est possible de résoudre cette
complexité grâce à l’échange, l’organisation, la connexion, l’analogie et la prise
de recul.51 Dans le schéma suivant, en mettant en rapport la complexité sociale
avec le temps, on se confronte à des situations plus ou moins complexes. Une
50 ANZIEU D., MARTIN J., La dynamique des groupes restreints, Paris, Edition Quadrige, 2013, p.267.51 NUMA, Conférence sur l’intelligence collective, 2014.
-72-
organisation directive permet de gérer les situations simples, une organisation
collective des situations compliquées et une organisation participative, où est
présente la transversalité, des situations complexes. Les situations chaotiques
demandent une adaptation permanente. L’enjeu actuel des entreprises et des
organisations est de réussir à impliquer l’ensemble de leurs parties prenantes
dans la résolution de ces objectifs, afin d’appréhender au mieux leur complexité.
La complexité peut se manager, se prendre en compte. Il est possible de créer des
conditions lui étant favorables et de s’y adapter. À la différence du chaos, nous
subissons la complexité, mais nous nous y adaptons alors que nous subissons le
chaos sans pouvoir nous y adapter. Des synergies peuvent naitre dans le groupe
lorsque tout le monde s’implique, et user de cette intelligence collective permet
de faire face à cette complexité.
Dans un groupe, il est également indispensable de gérer ses émotions
afin d’éviter qu’elles nous détournent de nos objectifs. Cette préhension de soi
« consiste en une prise de distance vis-à-vis de ses comportements et de ses attitudes »52. La
conscience de soi est un état d’esprit parfois dur à avoir lorsque nous sommes pris
dans les sollicitations de l’environnement et le tourbillon des évènements. Le fait
de ne voir qu’à travers soi nous place dans une forme de cécité vis-à-vis du monde,
des autres et de nous même. Cette position aveugle est confortable, car l’individu
évolue dans un univers défini par des codes qu’il connait. Cependant étant plus
au fait de cet univers il va être plus exigeant envers de ses collaborateurs et par
conséquent de nombreux conflits internes peuvent éclater. Il faut dépasser ces
conflits en prenant des décisions faisant appel au courage. Afin de profiter de la
synergie du groupe, il faut que chacun prenne du recul sur lui-même dans l’objectif
de s’affranchir d’une complexité inutile. Gérer les émotions des différents
52 MELET B., NAUD D., Transversalité et Coopération dans l’Entreprise Réseau, Paris, Edition Demos, 2008, p.59.
-73-
individus constituant un groupe génère une déperdition importante d’énergie
pour l’organisation c’est pourquoi chacun doit tenter d’effectuer ce processus
de maturation individuellement. Les organisations sociales et professionnelles
sont paradoxales, car elles sont tentées de faire appel à la lucidité de leurs acteurs
pour résoudre les conflits, mais par réflexe de cohésion, elles évitent de le faire
pour ne pas stimuler les individualités et les prises de conscience. D’une part,
cette lucidité émotionnelle et individuelle, où chacun parvient à prendre de la
hauteur sur soi-même, offre des potentialités de ruptures étant source de progrès
et de créativité. D’autre part, le réflexe de cohésion pousse l’organisation à rester
dans un état illusoire, empêchant cette prise de conscience individuelle, en usant
d’un pouvoir et d’un discours ambiant répété dont il est difficile de s’extraire.53
Le rapport à l’autre est une préoccupation primordiale dans une
organisation. Celui-ci passe par la confiance en soi et en l’autre. C’est uniquement
sur cette base de confiance qu’une relation stable et fluide peut se développer. La
confiance en soi se base sur « l’image que chacun se porte de lui-même, le sentiment
de sa propre valeur et d’une désirabilité sociale suffisante »54. Cette confiance en soi
53 Ibid., p.60.54 Ibid., p.99.
-74-
se traduit par l’action de l’individu qui va prendre des initiatives et va agir sur
son environnement. L’individu agit car il a le sentiment profond de disposer
des compétences et de l’expérience correspondante, mais également, car il
possède « l’assurance intérieure d’une reconnaissance anticipée de la part de ceux qui
comptent »55. L’absence de doute sur son acceptation sociale permet à l’individu
d’être dans une continuité entre sa perception interne et son action. Un manque
de confiance en soit se traduit généralement par « une inhibition de l’action, des
difficultés d’adaptation aux changements et la mise en place de systèmes défensifs visant
à compenser ce manque ou à se préserver des risques imaginés »56. Chacun dispose d’un
capital confiance en soi d’origine construit au travers des regards portés sur soi. La
qualité des premiers liens et la nature des signes d’attention reçus sont essentiels
à la mise en place d’une confiance mutuelle. Elle s’enrichit et s’entretient tout au
long de son expérience organisationnelle. Lorsque la confiance n’a pas pu être
suffisamment instaurée, l’individu devient dépendant des autres et recherche
constamment la réparation de ce manque d’attention originel. Renforcer cette
confiance permet de donner moins d’importance au regard des autres, et ainsi
d’être moins à la recherche de signes de reconnaissance et d’acceptation. On
peut considérer la confiance comme étant le lien transversal et l’équilibre entre
le moi profond et le moi social. Cette confiance se manifeste par une capacité à
se projeter et à entreprendre dans différents univers, qu’ils soient incertains
ou connus. La mise en place d’une confiance mutuelle est primordiale au bon
fonctionnement d’une organisation.
Les synergies collectives sont nombreuses et sont une ressource d’énergie
formidable pour les organisations. Leur mise en place est difficile malgré l’apport
de résultats profonds. En premier lieu, l’intelligence collective permet de faire
55 HOMBURGER ERIKSON E., Enfance et société, Delachaux et Niestlé, Lausanne, 1960. 56 MELET B., NAUD D., Transversalité et Coopération dans l’Entreprise Réseau, Paris, Edition Demos, 2008, p.100.
-75-
face à la complexité, mais nécessite une application globale de la part des acteurs
de l’organisation. Par ailleurs, la préhension de soi est un avantage non négligeable
à la créativité d’un groupe et évite les déperditions d’énergie dans des conflits
d’égo internes. Cependant, de nombreuses organisations préfèrent rester dans
un état illusoire évitant ainsi les revendications des acteurs de l’organisation
même si celles-ci peuvent être constructives. En dernier lieu, la confiance en soi
et en l’autre est le ciment permettant aux acteurs de l’organisation de mettre aux
coeurs de leurs préoccupations l’accomplissement des buts de l’organisation.
Prendre en compte ces synergies assure la fluidité de l’organisation et limite les
freins pouvant survenir.
L’Homme peut être le frein principal au bon fonctionnement des
organisations, mais il est également un adjuvant primordial de leur évolution.
Il peut être aussi bien source d’énergie que source de conflit. La soif de pouvoir,
l’égoïsme, l’individualité sont des freins pouvant survenir lorsque l’Homme
cherche à combler ses envies au sein du groupe. Ce ne sont que quelques
manifestations parmi les nombreuses pouvant être néfastes à l’organisation.
La culture et les synergies collectives permettent de faciliter le chemin de
l’organisation vers ses buts. Néanmoins, ces processus restent lents et complexes
à mettre en place. Nous avons vu qu’en agissant sur la confiance en soi on anticipe
le besoin de reconnaissance et donc la stimulation des énergies. Ce besoin de
reconnaissance semble être central à la mise en place de la transversalité dans
les groupes et il paraît incontournable d’étudier les différentes attentes que peut
avoir l’Homme vis-à-vis des organisations.
-76-
2.3 - Les attentes de l’Homme et leurs évolutions
Comme nous venons de le voir précédemment, l’Homme est au centre
de l’organisation. Les attentes des membres des organisations tout comme son
environnement sont changeants. Nous allons voir quelles sont ses nouvelles
attentes et leurs évolutions. Nous nous intéresserons tout d’abord aux notions
d’individualité et d’appartenance puis nous approcherons les notions de
reconnaissance et de motivation puis nous finirons par analyser les notions de
liberté et de cadre.
2.3.I - Individualité et appartenance
Les notions d’individualité et d’appartenance font partie des attentes
principales des membres d’une organisation.
Les Hommes n’acceptent pas d’être traités comme des moyens au service
des buts de l’organisation. Chaque acteur à ses propres objectifs, ses propres buts.
Chacun poursuit ses objectifs et l’organisation doit vivre de cette multiplicité
plus ou moins opposée.57 C’est à l’organisation, ou plutôt à ceux-là dirigent, de
tenter de conjuguer les individualités multiples la composant. Contrairement
au XXe siècle où la somme des individus était traitée comme un tout, il est
aujourd’hui primordial de composer avec l’individualité. En effet, à l’ère de la
personnalisation, chacun souhaite se sentir unique et différent. Heureusement
les systèmes d’information et de communication permettent de traiter cette
57 BERNOUX P., La Sociologie des Organisations, Paris, Seuil, 2004, 466 pages.
-77-
complexité plus facilement.
Il devient de plus en plus difficile pour les membres d’une organisation
de savoir de qui et de quoi ils dépendent. Les organisations deviennent des
ensembles polymorphes, elles changent de forme plus rapidement s’adaptant
aux différentes évolutions de leur environnement. Le manque de repères
conduit à la désorientation et la désorganisation. À vouloir être agile et à grossir,
l’organisation peut se perdre. Les différents acteurs de l’organisation ne savent
plus de qui dépendent et ne connaissent plus les répercussions de leurs actions.
Une manifestation courante de cet effet est l’envoi d’un courrier ou d’un dossier
à un autre département de l’organisation sans se préoccuper de son traitement et
savoir ce qu’il en advient. Il est nécessaire pour qu’une organisation fonctionne
de façon optimale que les individus qui la constituent se sentent à leur place et se
sentent utiles.
Afin de ressentir cette appartenance à l’organisation, l’homme a besoin
d’identification. Pour qu’il puisse s’identifier à l’organisation, il faut que les
structures organisationnelles soient en accord avec les façons de penser
actuelles. C’est en affirmant ou en réaffirmant leur valeur et leur identité que
les organisations permettent à leurs membres de s’y identifier plus facilement.
-78-
Aujourd’hui, certaines attentes des Hommes ont évolué. Ils souhaitent être
davantage informés et avoir la possibilité de changer d’activité facilement.
Des structures éducatives, associatives et professionnelles s’adaptent à cette
nouvelle demande. C’est le cas par exemple de la WebSchoolFactory, composant
avec la multiplicité des métiers du Web pour créer des profils transversaux afin de
répondre aux enjeux organisationnels d’aujourd’hui et de demain. De plus en plus
de profils étudiants sont pluricompétents et les formations supérieures offrent
de nombreuses passerelles entre les différents silos éducatifs. Cette tendance
illustre bien la nécessité de former ces acteurs permettant aux structures
organisationnelles plus de transversalités. Dans le monde des startups, que ce
soit pour les espaces de co-working, les hackathons ou les startups weekend, la
mixité des compétences est recherchée pour créer des synergies. L’émergence
du Web a donné à ces nouvelles générations cette appétence pour la diversité
et l’expérimentation. L’association parisienne le MashUp, promouvant
l’entrepreneuriat étudiant, croit d’ailleurs en cette transversalité créée par les
synergies des profils pluricompétents et organise des évènements régulièrement
afin de rassembler ces futurs acteurs des organisations.
L’émergence relativement récente des systèmes d’informations et de
communication a exacerbé les besoins d’individualité des Hommes tout en les
dépossédant de leur notion d’appartenance. L’Homme souhaite exister à tout
prix en temps qu’Être unique, mais la multiplicité des repères et la complexité de
son environnement l’empêchent de se positionner. C’est à l’organisation de créer
ces repères afin que l’Homme puisse se trouver, se comprendre et composer avec
son individualité.
-79-
2.3.2 - Reconnaissance et motivation
L’Homme en plus de vouloir combler son besoin d’individualité et
d’appartenance doit trouver les agents motivants lui permettant de remplir les
objectifs fixés par les organisations. Cette quête vers les buts qui lui sont imposés
s’accompagne également souvent d’un besoin de reconnaissance.
L’idée générale qui veut que : « si vous faites quelque chose alors vous obteniez
une récompense »58 ne fonctionne pas ou en tout cas ne fonctionne plus dans les
organisations actuelles souhaitant être innovantes. Nous avons tendance à
croire que lorsque l’on donne une récompense allant avec un objectif à quelqu’un
cela a pour effet d’améliorer sa compétitivité et sa créativité. Or, des études ont
démontré que cela faisait exactement le contraire. Cela a pour effet d’engourdir
la pensée et de bloquer la créativité. Ces expériences ont été menées par Sam
Glucksberg sur la puissance des motivations. Le système de la carotte et du bâton
a marché pour de nombreuses activités mécanistes du XXe siècle, mais pour
les activités agiles demandées au XXIe siècle, ce système de récompense et de
punition ne fonctionne pas et est même néfaste. Quand le problème est simple à
résoudre et la tâche répétitive ce système de motivation fonctionne, car il restreint
notre vision et notre champ des possibles. Aujourd’hui la technologie peut
exécuter pour nous ces tâches mécaniques devenues simples et nous attendons
des individus constituants une organisation qu’ils managent la complexité.
Les réelles motivations actuelles des hommes sont intrinsèques.59 Un
individu à envie de faire quelque chose pour l’organisation, car elles importent,
que nous les aimons et qu’elles sont intéressantes. L’homme cherche un sens à
58 PINK D., The puzzle of motivation, TED59 AUBRET J., Motivation et ressources humaines, éducation permanente, 03/1998, n°136, p.163-171.
-80-
son travail. Les organisations actuelles et celles de demain devraient prendre
en compte l’autonomie de leurs acteurs, la maitrise de leurs motivations et la
pertinence des tâches qui leurs sont affectées. L’autonomie nous vient du désir
de contrôler nos vies, la maitrise nous donne l’aspiration de nous surpasser pour
quelque chose qui compte et la pertinence nous donne l’envie de faire ce que
nous faisons. Comme nous l’avons vu dans la première partie, c’est le modèle
organisationnel de Google laissant une journée par semaine à ses employés pour
faire ce qu’ils souhaitent et c’est durant ce temps de liberté qu’ils se montrent
les plus créatifs. 50 % des produits lancés chaque année par Google viennent de
ces 20 % de temps de liberté, l’innovation radicale née de l’autonomie. Gmail par
exemple a été créée durant ces temps libres.
La reconnaissance possède une réelle valeur de rétribution. Les Hommes
veulent aujourd’hui davantage être reconnus pour leur expertise que pour le
poste qu’ils occupent. La reconnaissance comme nous nous verrons dans la
partie trois compose un des échelons de la pyramide de Maslow. La quête de la
reconnaissance fait partie d’une des catégories des catégories de besoins pour
-81-
l’Homme. Il souhaite être reconnu en tant qu’entité propre au sein des groupes
auxquels il appartient. Il est intéressant de noter que la reconnaissance est
très différente selon les cultures. Nous avons vu précédemment que la culture
conditionnée de nombreux facteurs au sein des organisations. En Asie, la
reconnaissance par les chiffres est très importante, le grade importe plus que
n’importe quel autre type de récompense. Les employés asiatiques sont amenés
à changer d’emploi fréquemment et ne développent pas de fidélité particulière
aux entreprises. Ce phénomène n’occasionne pas un manque de respect vis-à-
vis de leurs supérieurs qu’ils respectent et reconnaissent de par leur grade. Dans
les pays occidentaux, la quête à la reconnaissance est très différente. Lorsqu’un
individu cherche à se mettre en avant pour obtenir de la reconnaissance il suscite
souvent de l’envie ce qui est mal vu et mal perçu par le reste de la population. Il
suffit de voir la façon péjorative dont sont perçus ceux réussissant anormalement
bien. La quête de la reconnaissance reste passive et non proactive.
La motivation résulte de la satisfaction et est constituée de certains
critères tels que le travail lui-même, le niveau économique qu’il représente et les
relations qui en découlent. Lorsqu’il est demandé à un collaborateur d’aller plus
vite et que la possibilité de s’exprimer dans son travail lui est retirée, celui-ci est
moins motivé. Cette motivation née de ce que l’individu attend de son travail et
de ce que ce travail peut lui apporter. Ces phénomènes de la reconnaissance et de
la motivation sont complexes et analyser la satisfaction des besoins n’est pas le
seul point d’analyse. On peut supposer que plutôt de contraindre, le travail doit
plutôt éveiller et développer des désirs déjà existants en orientant les motivations
et ainsi éviter la démotivation. Finalement nous détenons en nous toutes les clés
de notre propre motivation qu’il suffit de savoir stimuler.
-82-
2.3.3 - Liberté et cadre
Pleinement motivés, nous allons maintenant nous intéresser à la liberté
des acteurs et aux cadres des organisations dans lesquelles elle s’exerce.
Les acteurs d’une organisation possèdent une liberté relative. Chacun
d’entre eux garde une possibilité de jeu autonome, pouvant être plus ou moins
utilisé. Pour Philippe Bernoux il est nécessaire que l’acteur garde une certaine
initiative, une liberté de pensée et une zone de liberté d’action.60 Lorsque l’on met
l’accent sur cette autonomie, on le fait également sur le pouvoir qui est le moyen
de régulation de ces libertés. Wikipédia est une démonstration parfaite de ce que
la liberté relative peut faire, les individus souhaitant faire part de l’organisation
écrivent des articles, car ils souhaitent le faire et non pas parce qu’ils sont
contraints à le faire. Le seul élément donné est le cadre. C’est exactement la
même chose pour le jeu vidéo Minecraft, le cadre et les limites du modèle sont
posés, mais le joueur bénéficie d’une liberté relative totale et la plupart passent
de nombreuses heures à exercer leur créativité. Nous avons vu dans ce jeu
des joueurs construire des ordinateurs, des villes entières, des architectures
ingénieuses, ce qu’ils n’auraient jamais fait s’ils étaient contraints de le faire.
Il est également important de prendre en compte les bases des stratégies
d’acteurs pour comprendre le cadre dans lequel évolue notre liberté. Philippe
Bernoux nous explique qu’elles sont « des jeux de pouvoir dans lesquels les stratégies
sont toujours rationnelles, mais d’une rationalité limitée. En tenant compte des stratégies
des autres et des nombreuses contraintes de l’environnement, l’acteur n’a ni la réactivité
ni les moyens de trouver la solution la plus rationnelle pour atteindre ses objectifs »61.
60 BERNOUX P., La Sociologie des Organisations, Paris, Seuil, 2004, 466 pages.61 BERNOUX P., La Sociologie des Organisations, Paris, Seuil, 2004, 466 pages.
-83-
Cette théorie est intéressante, car elle signifie qu’il existe plusieurs solutions
possibles à une situation et par conséquent contrairement à ce qu’affirme Taylor,
la meilleure idée n’existe pas. Au final l’Homme doit se reposer sur sa capacité
de jugement et lui faire confiance, c’est dans cette prise de décision qu’il exerce
sa liberté. Bien sûr la pertinence de son jugement lui octroiera de plus en plus
de liberté à mesure qu’elle s’affine. L’héritage de la culture hiérarchique laisse
les gens suivre des règles et dans un cadre. Ils n’osent pas dépasser ce cadre qui
aujourd’hui est beaucoup plus souple et prendre des initiatives afin d’exercer
cette liberté de jugement. C’est un effet pervers de la culture organisationnelle
laissée par les théoriciens du XXe siècle.
Le concept global du management fonctionne lorsqu’il s’agit de faire obéir
un individu au sein d’une organisation, mais un modèle promouvant l’autonomie
permet d’obtenir un meilleur engagement.62 Or comme nous l’avons vu
précédemment, la transversalité demande beaucoup d’énergie et l’engagement
est une source produisant énormément d’énergie. On peut donc en déduire par
syllogisme que pour qu’il y ait de la transversalité il faut qu’il y ait de l’engagement.
En laissant à l’homme sa capacité d’action, il libère une énergie créatrice que la
technique et le contrôle ne savent pas mettre en œuvre.63 L’homme à ce pouvoir
de sortir de soi en dehors de tout stimulus extérieur quelque chose qui va mettre
en mouvement l’organisation et ainsi créer de l’énergie.
Nous avons pu voir à travers des exemples que l’Homme aime pouvoir
exercer une liberté relative. Il aime savoir que le maximum de possibilités lui est
ouvert tout en ayant un cadre dans lequel l’exercer. Le Burning Man, ce festival
rassemblant des dizaines de milliers de participants dans le désert Black Rock,
peut représenter ce besoin de liberté qu’ont les Hommes à vouloir s’échapper du
62 Pink, Dan, The puzzle of motivation, TED63 Damasio, Alain, Très humain plutôt que transhumain, TEDxParis
-84-
système et de ses organisations. Toutefois, on observera que même dans cette
démonstration de liberté exacerbée, un cadre permettant de profiter au mieux
de l’évènement est mis en place. Ce paradoxe montre bien la nécessité pour
l’Homme d’inscrire son besoin de liberté dans un cadre.
L’évolution des attentes des membres d’une organisation fait écho
à l’évolution de notre société. L’Homme souhaite être indépendant, libre et
unique, mais en même temps appartenir à des communautés et des organisations
afin d’obtenir de la reconnaissance et de créer des liens sociaux. Il devient plus
pertinent de visualiser la place de l’individu au sein de l’organisation en trois
dimensions au lien de deux, le haut et le bas, comme dans un modèle hiérarchique.
La coordination des aspirations permet le bon fonctionnement de l’organisation,
les conflits sont limités et les relations transversales ou non facilitées. Il
est primordial de retenir que lorsque les intérêts des acteurs sont alignés,
l’organisation se nourrit de cette énergie et atteint un état de grâce où tout lui
semble envisageable et réalisable.
Aujourd’hui les aspirations diverses, variées et complexes
des acteurs nous montrent que les structures organisationnelles
actuelles sont dépassées. Les Hommes cherchent avant tout
un équilibre entre leur vie professionnelle et privée, entre leurs
engagements et leur liberté, entre leur bien-être et la pénibilité
de leur travail. D’une part, la reconnaissance et la qualité des
relations sociales sont des vecteurs de motivation. D’autre
part, les possibilités de développement professionnel et
l’amélioration de la qualité de vie sont les objectifs à atteindre.
La prise en compte de toutes ces aspirations représente bien
la complexité avec laquelle l’organisation doit jouer afin de
coordonner les attentes et les intérêts de ses membres. Les
entreprises tentent aujourd’hui de prendre en compte cette
complexité plutôt que de rationaliser le facteur humain. On
peut se demander vers où cette évolution va nous mener
et quelles sont les perspectives d’innovation et de création
possibles.
Après avoir étudié les freins à la transversalité et les éléments permettant de
la mettre en place, nous tenterons dans cette partie d’explorer des univers
analogues traitant de la transversalité au sein d’organisations diverses.
Nous développerons ensuite les thématiques émergentes de ce mémoire.
Nous continuerons en parlant du futur de nos organisations d’un point de
vue prospectiviste en nous intéressant aux signaux faibles de notre société
et en nous aidant de la science-fiction. Nous finirons par faire émerger des
notions problématisantes pouvant servir de pistes à l’élaboration d’un
projet de design.
-88-
3.I - Analogies
Il est intéressant de chercher dans des contextes analogues des notions
pouvant élargir le champ de recherche. Certaines caractéristiques peuvent
être assimilables à d’autres modèles organisationnels. En observant ces
univers connexes, nous tenterons de faire émerger des concepts pouvant être
transposés. Nous commencerons par le modèle organisationnel animal puis
nous continuerons en étudiant les arts transversaux et en dernier lieu le concept
de la pyramide de Maslow.
3.I.I - Le modèle organisationnel animal
La nature est le modèle organisationnel le plus abouti qui soit. Nous
allons étudier tout d’abord les structures organisationnelles d’insectes comme
les abeilles et les fourmis, puis nous enchainerons en parlant du monde des
arachnides et nous finirons par aborder l’univers des poissons et des oiseaux.
Les insectes ont des modèles organisationnels uniques ce qui les rend
fascinants à observer. Les fourmis sont considérées comme l’espèce ayant le
mieux réussi sur Terre. Tout d’abord elle a su s’adapter à tous les climats et à
tous les pesticides, c’est l’espèce comptant la population la plus importante et
elle possède plus de 100 millions d’années d’expérience.64 Il faut savoir que les
fourmis communiquent par les odeurs, elles ont 11 niveaux de communication
pouvant être utilisée avec leurs 11 bouches et leurs 11 oreilles. Elles peuvent
délivrer jusqu’à 11 messages en simultané et adaptent leur comportement en
fonction de l’échange d’information. Les fourmis sont fondamentalement
64 WEBER B., Les Fourmis, Albin Michel, Paris, 1998, 354 pages.
-90-
emphatiques et produisent des phéromones traduisant leurs émotions. Elles
ne peuvent passer outre ces odeurs, car elles sont immédiatement imprégnées
par l’état d’esprit de leurs congénères, elles doivent donc tout faire pour changer
cet état afin de ne plus être atteintes. Cette communication profonde soude la
structure organisationnelle des fourmis et en constitue le liant. De plus lorsque
les fourmis par explorer des territoires inconnus elle dépose des phéromones
derrière elles et qui permet après de nombreux passages de faire converger les
odeurs vers le chemin le plus direct. Tout comme une ruche, une fourmilière est
constituée de soldats et d’ouvrières. La population d’une ruche d’une fourmilière
est fixe, le ratio soldat/ouvrière est ajusté en fonction du territoire et déterminé
par une intelligence commune, l’intelligence du groupe. Chaque fourmi ou abeille
à un rôle défini dès sa naissance. Un phénomène intéressant à relever est celui
concernant les ouvrières abeilles pouvant s’élever de leurs conditions en étant
baignée plus longtemps que les autres dans la gelée royale.
Nous allons maintenant nous intéresser aux arachnides. Les araignées de
Guyane ont une caractéristique organisationnelle intéressante, elles évoluent
toutes sur une même toile et bougent sur les mêmes fréquences pour capter les
fréquences irrégulières que produisent les proies capturées.65 Ce signe distinctif
nous amène à penser que ces araignées partagent une intelligence commune.
Elles ont compris que partager cette spécificité les aidait à survivre. D’autres
araignées sociales utilisent la soie pour éviter que les individus du groupe se
dispersent. La soie joue un rôle similaire à celui des pistes de phéromones chez
les fourmis que nous venons de voir et assure la cohésion de l’organisation. Dans
un autre registre, les jeux vidéos se sont approprié cette particularité propre au
monde des insectes, celle de posséder une intelligence commune. Dans Starcraft,
65 BUSER P., L’attraction pour la soie : base de la cohésion du groupe et des comportements collectifs chez les
araignées sociales, http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1631069102015214.
-91-
les Zergs sont une espèce où il n’existe pas d’individualité. Chaque individu
répond à une entité commune appelée l’esprit de la ruche. Seul un élu de l’essaim
représente cet esprit. Chaque créature est directement connectée autour de cette
conscience collective. Cette espèce fictive est particulièrement intéressante, car
elle regroupe des codes et caractéristiques venant d’univers différents. Elle serait
la transversalité par excellence, tous les individus sont connectés et n’ont pas
conscience de leur existence propre. Bien sûr ce modèle n’est pas transposable à
l’Homme, mais il permet de dresser des limites.
Un autre phénomène animalier intéressant à observer concerne les bancs
de poissons ou les nuées d’étourneaux. Dans le dictionnaire Larousse, un banc
est défini comme étant « une troupe d’animaux marins de même espèce se formant à
certaines époques de l’année »66 et le dictionnaire en ligne Wikipédia rajoute « sans
hiérarchie entre eux »67. Ce qui nous intéresse dans le cas présente qu’il n’existe
pas de hiérarchie dans les bancs de poissons à la différence d’autres structures
sociales. Le poisson menant le groupe est simplement celui étant le plus à l’avant.
66 Larousse, repéré sur http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/banc/7781?q=banc#8600867 Wikipédia, repéré sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Banc_(poisson)
-92-
C’est leur système sensoriel qui détermine la structure organisationnelle. C’est la
même chose pour les étourneaux qui en se réunissant en nuée forment une masse
noire effrayant les prédateurs. Afin de se reconnaître, ces espèces s’adaptent
morphologiquement et possèdent des caractéristiques physiques qui les
distinguent des autres espèces. Les Néons par exemple sont des poissons ayant
une bande bleue réfléchissant la lumière le long de leur corps. Dans l’air et la mer,
les notions de territoires sont plus abstraites, il est difficile de le défendre faute
de repère. Se rassembler en banc et en nuée est souvent la meilleure stratégie
de survie. Les membres les plus faibles sont rassemblés au centre du groupe
afin de les protéger. Lorsque ces animaux censés évoluer avec leurs congénères
se retrouvent isolés, ils sont sujets au stress et leur comportement est fragilisé.
Les nuées d’étourneaux fascinent avec leur formation large ou allongée, en boule
ou en sablier… Leur nuée ne cesse de se densifier et de s’éclaircir comme s’ils ne
formaient un seul être, réagissant de manière quasi instantanée. Ils intriguent
par leur fonctionnement collectif quasi parfait ou aucun individu ne heurte
un autre. Nous ne comprenons toujours pas aujourd’hui comment peuvent
être pris en compte tous les paramètres d’environnement que ces oiseaux sont
capables d’intégrer. Ces modèles fonctionnent à partir de quelques principes
simples permettant à chaque oiseau de régler son comportement sur ce voisin
immédiat un instant donné. La règle est simple, il faut se rapprocher le plus
proche possible de son voisin sans heurter. Des chercheurs italiens ont montré
que ces interactions comportementales entre individus étaient indépendances
de la taille du vol qui dans l’étude allait de 122 à 4268 oiseaux.68
Les systèmes sensoriels nous prédisposent à des formes
organisationnelles instinctives. Celles-ci sont en général liées à la survie. Tout
68 Scale-free correlations in starling flocks, Proceedings of the National Academy of Sciences, 2010.
-93-
modèle organisationnel doit être doté d’une mémoire afin que les individus
se souviennent du rang social qu’ils occupent. Les animaux ont la particularité
d’écouter davantage leur sens et de les faire fonctionner ensemble pour prendre
les meilleures décisions possible. Le modèle organisationnel de certains animaux
et insectes se rapproche du modèle holistique où les intérêts de l’individu et du
groupe sont en adéquation. L’individu s’efface au profit du groupe et parfois
même ne possède pas d’individualité propre. Ces systèmes organisationnels
sont construits de façon transversale et fonctionne toute grâce à un vocabulaire
commun. Cette langue commune, souvent sensorielle, permet aux membres de
ces organisations de créer cette transversalité et de la renforcer.
3.I.2 - Les arts transversaux
L’art est ce qui transcende l’être humain, il nous différencie des animaux.
Avec l’art nous tentons d’élever notre conscience. Nous nous aiderons du sujet
de thèse d’Alexandre Guhéry traitant de l’enjeu d’une transversalité entre les
différentes formes d’expressions artistiques pour déceler des notions pertinentes
au développement de notre étude.69 Nous traiterons du courant artistique
Bauhaus puis de l’apprentissage et enfin du design.
Tout d’abord l’école du Bauhaus a marqué un tournant dans les formes
d’expression artistique. Le Bauhaus mêle les arts, l’architecture, le design,
la photographie, la danse, le théâtre, la musique… Plus qu’un simple courant
artistique, le Bauhaus véhicule une idéologie atypique. Le Bauhaus défend l’idée
du mix des arts, en utilisant la transversalité des arts on devient meilleurs et
on produits de meilleurs objets, systèmes où concepts qui rendront l’homme
69 GUHERY A., Les enjeux d’une transversalité entre les différentes formes d’expression artistiques, 2007.
-94-
meilleur. C’est le précurseur du design contemporain. Cette notion de
transversalité ne fait sens et ne prend une réelle importance que lorsqu’elle est
inscrite dans un cadre qui amène l’individu à s’interroger sur sa position par
rapport à des objectifs. Cette créativité nait donc de la contrainte, c’est grâce à la
contrainte et en prenant en compte la complexité qu’on parvient à proposer des
solutions pertinentes. L’école du Bauhaus détermine également qu’en cherchant
simplement à superposer et à faire cohabiter différentes formes d’expression
artistique sans pour autant élargir le champ des possibles. Il faut réellement
embrasser la complexité dans son ensemble et se nourrir des différents champs
d’études possibles pour au final y trouver un sens. Il est nécessaire de laisser la
possibilité à l’individu de tisser lui-même des liens, de contourner les pratiques
de référence, de jouer avec les règles et de se les approprier.
Afin de pouvoir embrasser cette complexité, il est nécessaire de passer
par une phase d’apprentissage. Dans la thèse d’Alexandre Guhéry, il est dit qu’il
est nécessaire de « diversifier ses pratiques instrumentales, car cela permet de mieux
appréhender la musique dans sa globalité ». En apprenant d’autres pratiques que
la seule qu’il connait, l’individu va développer des connexions. Il va faire des
rapprochements entre les pratiques qu’il maîtrise, ce qui lui donne un point de
vue nuancé sur l’objet global de l’étude. Il ne faut pas compartimenter les savoirs,
mais au contraire chercher à créer des connexions, c’est cette capacité de synthèse
qui donne à l’Homme ce pouvoir de transversalité. À chaque nouvelle pratique ou
champ de connaissance maîtrisé, l’individu est amené à se remettre en question
de manière globale. Cette remise en question n’est pas innée et il faut l’éduquer.
L’expression « Pas de création artistique sans éducation artistique »70 pourrait se
transposer et donner « Il n’y a pas de transversalité sans éducation transversale ».
70 TASCA C., Extrait de la conférence de presse « l’éducation artistique pour tous », décembre 2000.
-95-
La créativité n’est pas innée tout comme la transversalité. Cette éducation est
censée amener l’ouverture nécessaire pour embrasser la nouveauté tout en
détruisant les codes établis et les préjugés.
Le Bauhaus amène donc cette ouverture nécessaire aux nouvelles
expériences. Ces nouvelles expériences permettent de mettre en place des
idéologies transversales et de nourrir la créativité. Le Bauhaus est le précurseur
du design contemporain. Cette idéologie transversale transpire dans la formation
actuelle du designer. Le designer est une personne traitant de la complexité,
il est nécessaire afin d’être pertinent qu’il puisse établir des liens entre des
univers, des individus que tout peut opposer. Il doit être l’initiateur, le moteur
de cette transversalité. Dans l’univers professionnel, c’est au designer qu’il
incombe la tâche de faire le lien entre les différents domaines de compétences
et de s’affranchir des barrières. Lorsqu’il doit travailler dans un nouvel univers,
le designer possède cette capacité à assimiler le maximum d’informations puis il
tente d’établir des connexions, des analogies, des syllogismes, des comparaisons
avec les univers qu’il connait et qu’il a pu étudier au préalable. Bien sûr il n’est en
aucun cas expert, mais possède une conscience plus globale. Le designer est un
facilitateur faisant converger les énergies de ses collaborateurs, il travaille avec
-96-
eux et tente de faire en sorte qu’ils dépassent leurs frontières.
Pour finir, nous pouvons dire que toute expérience est enrichissante.
Chaque expérience peut créer, lorsque l’individu y est prédisposé, des connexions
avec les connaissances déjà assimilées. La transversalité n’émerge que lorsque
ces liens sont créés. On apprend de la différence de l’autre et des univers
explorés. Même si parfois il est possible de perdre du temps, de tâtonner ou de
laisser reposer notre travail, il faut savoir l’accepter. La transversalité dans toute
discipline est un processus lent, mais enrichissant. Le temps de recherche donnée
à la transversalité ouvre la voie vers des chemins inexplorés. L’apprentissage de
la transversalité passe par un cheminement personnel pouvant être facilité au
préalable par une éducation à l’ouverture.
3.I.3 - La hiérarchie des besoins de Maslow
Que cherche l’Homme en appartenant à des organisations ? Comme nous
l’avons vu précédemment l’Homme est une espèce sociale ayant des besoins
complexes. Le modèle de la pyramide de Maslow peut-être extrapolé pour être
appliqué au monde organisationnel. Regardons quelles sont les concordances
pouvant être faites.
Maslow détermine que c’est la nécessité de satisfaire ses besoins
fondamentaux qui pousse l’Homme à agir. Il distingue les besoins inférieurs
des besoins supérieurs. Les besoins inférieurs comportent la survie, et donc
par extension l’organisation, qui comprend manger boire et dormir ainsi que la
sécurité. Les besoins supérieurs sont, d’après lui, le besoin social d’appartenance
et d’identification, le besoin de reconnaissance et d’estime et le besoin
d’accomplissement. La reconnaissance passe par être valorisé par les autres
et l’accomplissement par l’utilisation et le développement de ses capacités et
-97-
de l’épanouissement dans son travail.71 Ces besoins sont hiérarchisés et tout
individu tente de les satisfaire successivement. L’idée de satisfaire un besoin
supérieur tant qu’un besoin inférieur n’est pas satisfait n’est pas motivante.
Tout comme le passage des échelons de la pyramide Maslow, L’Homme
cherche en premier lieu à se nourrir, boire et manger avant d’envisager sa
sécurité et de combler ses besoins supérieurs. De façon plus courante, dans
les pays développés et en voie de développement, l’Homme moderne cherche
d’abord la sécurité de l’emploi avant de vouloir s’élever de sa condition et
71 LANDRIEUX-KARTOCHIAN Sophie, Théorie des organisations, Paris, Edition Gualino, 2013, p.70.
-98-
obtenir de la reconnaissance. Dans la revue Comment motiver sans donner plus
d’argent, Sylvie Legrez Carré nous explique que la reconnaissance ne passe plus
forcément pas l’augmentation de la rémunération.72 D’autres solutions existent
aujourd’hui comme la qualité du travail, son intérêt et la visibilité des évolutions
possibles. Parfois la mise en avant des éléments performants est un élément
de reconnaissance et donc de motivation. Lorsque les besoins supérieurs sont
comblés, cela signifie généralement que les facteurs motivants de l’individu ont
été stimulés. Combler l’ensemble des besoins d’un acteur d’une organisation
assure la performance individuelle ainsi que son épanouissement. Dans cet
état il peut envisager sereinement de constituer des liens avec d’autres parties
prenantes de l’organisation.
Toutefois le modèle Maslow est limité, car certaines personnes choisissent
de leur plein gré de ne pas satisfaire certains de leur besoin inférieur afin
d’atteindre les besoins supérieurs. On peut penser que ces personnes dépassent
leur intégrité physique comme certains artistes prêts à manger que des pâtes et à
vivre dans l’inconfort pour se concentrer sur l’obtention de la reconnaissance de
leur art. On peut en déduire que les besoins inférieurs et supérieurs peuvent être
comblés selon un degré d’acceptation variable.
Les organisations doivent prendre en compte ces besoins et aider leurs
membres à les combler. Si ces besoins sont satisfaits, c’est l’organisation qui en
tirera profit. Les membres seront plus ouverts aux autres et moins préoccupés
par leur individualité. On peut se demander s’il est envisageable pour une
organisation de pouvoir combler les besoins de chaque individu.
La transversalité au sein des organisations existe dans de nombreux
72 LEGREZ CARRE S., Comment motiver sans donner plus d’argent, Paris, Les Echos, 2013.
-99-
domaines et des caractéristiques communes se recoupent. Les concepts se
mêlent et peuvent être exportés à d’autres modèles. Plutôt que des modèles
organisationnels nous permettant de survivre comme les animaux, nous avons à
travers le temps mirent en place des organisations nous permettant d’atteindre
les échelons supérieurs de la pyramide de Maslow. Après avoir conçu et théorisé
des organisations comblant le besoin d’appartenance, comme l’armée ou les
religions, nous avons conçu des organisations permettant d’obtenir l’estime des
autres. Ces organisations motivées par la soif de reconnaissance sont devenues
d’énormes usines à gaz faisant la course au profit et à la rentabilité. Imaginons
que les organisations de demain permettent à tous de combler pleinement le
besoin d’accomplissement, au sommet de la pyramide des besoins, où chacun
peut s’épanouir.
-100-
3.2 - Prospective et Thématiques émergentes
Dans cette partie nous tenterons de dresser, tel un prospectiviste, une
vision de l’avenir dans lequel les organisations vont évoluer. Pour commencer,
nous analyserons les signaux faibles de notre société puis nous nous intéresserons
à la science-fiction et nous finirons par aborder les thématiques relatives
émergentes de ce mémoire.
3.2.I - Signaux faibles
Les signaux faibles nous montrent les tendances actuelles exploitables
pour imaginer le monde de demain. Nous nous appuierons sur des faits et sur
des constats décryptés sur le site theatlantic.com.73 Nous utiliserons également
notre sens de jugement et notre instinct pour imaginer ces futurs potentiels.
*Petits dessins pour chaque signal*
Nous nous dirigeons rapidement vers un monde connecté globalement
où tout est lié et connecté. Il est courant aujourd’hui d’entendre parler d’ordre
mondial et organisation mondiale, cette mondialisation ne fait que s’accroitre.
Toutes les organisations sont amenées à être liées et à communiquer entre elles.
Un des futurs possibles serait un monde où la diversité est omniprésente et
l’adaptation au cœur des préoccupations. Du fait de la croissance importante des
pays en voie de développement, les États-Unis et l’Europe n’ont plus le monopole
de la création d’emplois, de l’innovation et des pouvoirs politiques.
73 Infographie, repéré sur http://cdn.theatlantic.com/static/front/docs/sponsored/phoenix/futur_work_skills_2020.
-101-
Un autre phénomène remarquable est le développement des machines
et des systèmes intelligents. Les objets auront une conscience propre, seront
capables de prendre des décisions et d’interpréter des situations et des données.
La complicité du facteur se humain pourra être appréhendée par la machine
ce qui facilitera la gestion des organisations. Par ailleurs la machine pourra se
soustraire à l’intelligence humaine par mimétisme. La technologie permettra
d’étendre et d’augmenter toujours plus nos capacités. Pour finir, toujours plus de
tâches automatiques et répétitives pourront être effectuées par des machines ce
qui signifie que tous les emplois basés sur ce modèle sont amenés à disparaître.
Le futur des organisations est dans la superstructure. La superstructure
crée un nombre extrêmement important de connexions et de liens. Dans ce
futur potentiel, il n’y a pas plus de place au hasard et l’incertitude est contrôlée,
calculée. Les interconnexions intra et interorganisationnelles sont encore plus
nombreuses et complexes. Les technologies sociales conduisent à de nouvelles
formes de production et de création de valeurs comme celles que l’on observe
aujourd’hui avec Facebook, What’s applet Google. Les réseaux sociaux sont
désormais acceptés et utilisés au sein des entreprises pour travailler tous
-102-
ensemble à des échelles mondiales. Il est devenu nécessaire pour l’individu
d’appréhender la complexité des liens qu’il génère afin de s’inscrire durablement
dans ce modèle. Nous serons à la place d’un enfant de 10 ans arrivant sur Facebook
ayant dû parfois du mal à donner un sens à ses relations directes et n’ayant aucune
conscience des interconnexions entre ses contacts.
Notre monde évolue en un monde de data où tout est calculé et tout
génère une information pouvant être quantifiée. Dans ce futur probable, tout peut
être illustré et schématisé. Les liens entre les gens et les objets sont désormais
quantifiables. L’augmentation des capteurs et des systèmes d’analyse rendent la
complexité du monde abordable tel un système programmable. Les datas ont ce
potentiel de nous doter de l’habileté à voir des choses à une échelle qui n’a jamais
été possible. Le développement de la data visualisation permet à tout à chacun
de donner un sens à des données complexes. L’appréhension de l’environnement
n’a jamais été aussi simplifiée.
Aujourd’hui les médias sont au centre de la communication, la vidéo et
l’image remplace petit à petit littérature. De nouveaux outils de communication
toujours plus stimulants exploitant la 3D, la réalité augmentée, les hologrammes
-103-
permettront à la communication visuelle de devenir la norme. Les informations
véhiculées pourront être plus complexes, car elles ont le potentiel de toucher
à plusieurs sens en simultané. Il est plus que jamais nécessaire de s’éduquer à
l’image, au son et aux formes afin qu’ils n’en altèrent pas notre jugement.
Il ne faut pas oublier que nous serons également dotés d’une longévité
importante. L’amélioration des conditions de vie, la diminution de la pénibilité
du travail et les progrès de la médecine permettront d’augmenter la longévité. Il
est nécessaire que l’homme travaille plus longtemps, car la société ne pourra pas
financer cet accroissement de la vieillesse. Le développement des connaissances
de notre environnement passant par l’analyse des datas nous permettrons de
nous adapter aux changements. Dès 2025, les analyses montrent que le nombre
d’Américains ayant plus de 60 ans aura augmenté de 70 %.
Le monde de demain tend à être globalement connecté, nous verrons
émerger des machines et des systèmes toujours plus intelligents. D’une part,
les organisations se verront dotées de superstructures et nous vivrons dans un
monde de data. D’autre part, de nouveaux outils de communications émergeront
et nous serons dotés d’une extrême longévité. Les organisations de demain
devront anticiper et s’inscrire dans ce nouvel environnement potentiel pour
survivre.
-104-
3.2.2 - Prospective et science-fiction
Nous nous inspirerons pour les cas suivants de la littérature ainsi que
de films de science-fiction. La science-fiction extrapole les signaux faibles
que nous venons d’analyser, et de nombreux autres, pour dresser un portrait
des sociétés futures envisageables. Nous verrons à travers ces références les
différentes organisations de société imaginées par ces auteurs et réalisateurs. La
science-fiction, parce qu’elle est un puissant outil pédagogique, toutes sciences
confondues, est un formidable véhicule idéologique.
Le scénario le plus probable semble être celui d’un système organisationnel
ultra hiérarchique où la masse est déshumanisée et l’élite surpuissante. C’est le
modèle ayant la plus forte probabilité d’exister si nous restons dans une position
attentiste et laissons un monde hypermarchant se développer. Les différences
d’appartenance à l’organisation sont marquées par les richesses matérielles
et immatérielles, telles que l’argent et l’information. De ces richesses viennent
le pouvoir et le contrôle. Ce modèle est illustré par les films Metropolis74 et
Timeout75 ou la série Continuum76. Dans ces deux univers, des mégacorporations
ont pris le pouvoir et possèdent la quasi-totalité des ressources. Les personnes
riches tentent de se distinguer des pauvres pour se protéger et érigent des murs,
des frontières. Les individus pauvres se ghettoïsent et sont dépendants des
corporations. Dans Timeout, le temps est utilisé comme métaphore à l’argent et
est la nouvelle unité monétaire mondiale. Il sert à payer les factures, les péages, les
denrées alimentaires et les biens de consommation. Ce changement de monnaie a
été mis en place depuis que l’Homme a été génétiquement modifié afin de ne plus
74 LANG, Fritz, Metropolis, UFA, 1927, 145min.75 NICCOL, Andrew, Timeout, Regency Entreprise, 2011, 115min.76 BARRY, Simon, Continuum, Showcase, 2012-2014, 43min/ep.
-105-
vieillir après l’âge de 25 ans. À partir de cet âge, un compteur intégré à l’avant-bras
de chacun, crédité d’une année, se met en marche : s’il tombe à zéro, l’individu
meurt. Dans Timeout les gens pauvres courent, car ils n’ont pas de temps, peu
de richesses. Dans la partie riche, il est mal vu de courir, car ceux-ci vivent une
vie opulente et immortelle. Pour les habitants des ghettos, un mois semble être
une fortune, alors que dans la capitale une nuit à l’hôtel en coute plusieurs. On
voit que le sens des valeurs est devenu absurde. De nouvelles hiérarchies naissent
parmi les plus démunis et les bandits semblent riches avec leurs cagnottes de
plusieurs semaines. Toutes ces richesses sont relatives et font les affaires des
corporations souhaitant laisser les ghettos dans leurs routines et leurs illusions.
Un autre scénario potentiel est celui de l’émergence de systèmes de
castes. Nous ne parlons pas ici de castes comme en Inde, mais de castes encrées
de manière pérenne. Ces castes ne seront pas déterminées par l’appartenance
sociale, mais de façon plus profonde par le génome. Ce modèle offre encore plus
de sécurité pour les élites, car il possède un côté irrémédiable. Il n’existe pas de
remise en question possible, on nait pour ce qu’on est censé être. Cette structure
-106-
organisationnelle pourrait être un modèle post-ultra hiérarchique ou les élites
ont rendu la masse impuissante. Cette théorie de l’eugénisme ne paraît pas si
absurde lorsque nous nous apercevons qu’en Chine, les personnes de grandes
tailles sont fortement incitées à se reproduire entre elles pour obtenir des enfants
pouvant devenir basketteurs professionnels. Les Chinois incitent également les
génies à avoir des enfants entre eux. Dans le roman d’anticipation le Meilleur des
Mondes77 ou le film Bienvenue à Gattaca78, afin d’optimiser les organisations,
chacun possède sa place et ses prédispositions. Les castes illustrent le contrôle
total et la performance extrême. Dans le film Divergence79, le modèle de caste
est plus souple et l’individu a le droit de choisir sa caste, même s’il est fortement
incité à suivre la voie de ses parents. Ces théories questionnent et nous pouvons
nous demander s’il est nécessaire de revoir le modèle naturel pour aller vers des
organisations plus performantes. Les films et les livres de science-fiction traitant
des castes vont souvent dans le même sens et racontent en général l’histoire d’un
héros réunissant les caractéristiques de plusieurs castes, recréant en quelque
sorte l’humain dans sa complexité, s’élevant de sa condition primaire. Dans
Bienvenue à Gattaca, le héros parvient à s’élever de sa condition par le travail et
l’effort, mais doit user de tromperie en se faisant passer pour quelqu’un d’autre.
Il est également possible d’imaginer un système organisationnel où
la complexité humaine est supprimée en inhibant l’homme de ses émotions.
Sans émotions, il est plus facile de mettre en place des organisations stables,
car on réduit le champ de complexité. Lorsque les émotions ne font plus partie
de l’équation de l’organisation optimale, on peut se focaliser sur les objectifs.
Si l’être humain vit dans l’illusion alors il ne revendique pas une autre place.
77 HUXLEY, Aldous, Le meilleur des mondes, Plon, 1932, 234 pages. 78 NICCOL, Andrew, Bienvenue à Gattaca, Columbia Pictures, 1997, 106min.79 BURGER, Neil, Divergence, Red Wagon Entertainment, 2014, 139min.
-107-
L’Homme ne peut pas chercher à atteindre le bonheur, car c’est une notion
inconnue pour lui. Dans le film The Giver80, les habitants de la communauté
sur le rocher vivent en harmonie dans un monde stérile, seul un élu possède
la lourde tâche d’être la mémoire des émotions. Le héros va repousser les
frontières qui lui sont imposées par les traitements hormonaux qui lui sont
inoculés tous les jours pour découvrir la richesse et la complexité des émotions.
Les modèles organisationnels utopiques sont rares dans la littérature et
dans les films. Les auteurs cherchent avant tout à critiquer la société au travers de
projections. On trouve cependant quelques romans comme Chroniques d’un rêve
enclavé qui illustre un monde ou l’espoir est synonyme d’utopie. « On ne bâtit rien
sur le désespoir, fors la haine, mais avec la colère et l’usure des souffrances qui se répètent,
avec la faim et la peur du lendemain, avec nos seuls coudes serrés pour nous tenir chaud,
et nos larmes en écho, et nos rires enfuis, un jour, avec juste ça, entre hommes et femmes,
nous n’aurons plus besoin que d’un rêve pour nous éveiller. »81 Le monde dans lequel
évoluent les personnages de ce roman est marqué par la féodalité et l’absence
de technologie moderne. L’auteur Ayerdhal raconte l’histoire d’une utopie, celle
de la liberté et de la solidarité d’une communauté face à un monde hostile. Les
univers fictifs utopiques ont en commun le fait d’avoir trouvé leur équilibre,
d’avoir réussi à s’intégrer à la complexité et à la comprendre. Un système
organisationnel en fédération comme celui de Star Wars82 demande cet équilibre
constant. Dans Avatar83, tous les Na’vis sont rattachés grâce à une conscience
collective représentée sous forme d’un arbre, Eywa. Cette métaphore rapproche
le modèle structurel animal de celui de l’homme, nous pourrions tendre vers
une prise de conscience collective et nous responsabiliser individuellement.
80 NOYCE, Phillip, The Giver, Walden Media, 2014, 97 min.81 AYERDHAL, Chroniques d’un rêve enclavé, J’ai lu, 1997.82 LUCAS, Georges, Star Wars I-VI, Lucasfilm, 1977-2005.83 CAMERON, James, Avatar, 20th Century Fox, 2009, 162min.
-108-
En observant des signaux faibles, des prospectivistes, souvent auteur de
sciences-fictions ont pu dresser des portraits de l’évolution de nos organisations.
Ces visions du futur ne sont plus des fictions à proprement parler, mais des
scénarii de réels possibles. La science-fiction et les romans d’anticipation nous
permettent de nous projeter et d’anticiper les futurs potentiels. Grâce à ses visions,
nous pouvons agir sur le présent et tenter de construire le meilleur futur possible
pour l’humanité. Malgré les nombreuses dystopies, un futur fait d’équilibre
entre fédérations, comme celui de Star Wars, semble être un modèle d’évolution
organisationnelle appréciable… Les auteurs de science-fiction n’écrivent pas
d’histoires où les Hommes sont libérés des contingences matérielles, vivent
dans une harmonie esthétique et sociale où la volonté de chacun vient se fondre
sans contrainte dans la volonté générale. Ce constat peut s’expliquer par le
manque de tension d’un tel récit et le besoin de critiquer la société dans laquelle
ils vivent. Devons-nous tendre vers des organisations libérées de toute emprise
technologique ? Les organisations sociales, religieuses et militaires du passé nous
ont montré que ce n’était pas plus enviable.
3.2.3 - Thématiques relatives
Nous allons nous intéresser aux thématiques émergeant de cette
réflexion sur les organisations et leur transversalité. Nous parlerons du temps
puis du mouvement et nous finirons par l’énergie. Ces thématiques articulent les
concepts profonds liés aux organisations.
Le temps est une unité de mesure universelle. La plupart de nos unités
de mesure ont été déterminées par l’homme contrairement au temps ce
qui le rend légitime par essence. Le temps peut être théoriquement altéré,
mais cela reste aujourd’hui de la science-fiction, il reste une unité de mesure
-109-
incompressible. L’Homme n’a pu concevoir que des représentations du temps.
Une organisation n’est pas un corps inerte, elle évolue avec le temps. Sans le
temps, l’environnement dans lequel évolue l’organisation serait inerte, il serait
donc plus facile de prendre en compte les différentes variables et de les contrôler.
Il serait alors possible de trouver des formules organisationnelles parfaites
alliant dans une synergie optimale les attentes individuelles, collectives,
environnementales… Il est possible de faire une analogie entre les organisations
et le bonheur. L’organisation parfaite n’existe pas, tout comme dans notre quête
vers le bonheur, le Graal qu’elle vise en tentant de faire correspondre les attentes
collectives avec les attentes individuelles est changeant. Il faut sans cesse
s’adapter dans cet univers complexe. Lorsque toutes les conditions sont réunies
en un instant t l’organisation est dans cet état de grâce et toute entreprise lui
semble envisageable, mais cet état vertueux est très fragile et il suffit qu’un des
facteurs change pour le remettre en cause.
Le mouvement n’existe pas sans le temps. C’est le déplacement d’un
corps évoluant d’un point A à un état B en un temps donné. La transversalité
désigne une « dynamique de traversée »84 plus ou moins forte selon le sens qu’on lui
attribue et la portée qu’on lui donne. C’est ce mouvement qui est cherché par les
organisations pour être pérenne. Certains iront jusqu’à dire que « le mouvement
c’est la vie » et l’inertie, par opposition, la mort. Par conséquent, la transversalité
est censée apporter ce mouvement nécessaire à la survie de l’organisation. Pour
rester pertinente, une organisation doit être utile à l’environnement dans lequel
elle se situe, elle doit donc être changeante. Elle doit sans cesse se réinventer,
réajuster les variables qui la constituent. Ce mouvement constant est vital
à l’organisation. L’innovation est au cœur de se processus d’évolution et de
84 NAUD D., MELET B., Transversalité et coopération dans l’entreprise réseau, Demos, 2008, p.33.
-110-
changement. En innovant, une organisation réévalue les facteurs environnants,
qu’ils soient internes ou externes, et se repositionne de façon plus pertinente.
En ce faisant, elle viabilise son existence. L’individu est au centre de cette
organisation apprenante, il doit sans cesse se remettre en question pour lui
apporter le mouvement nécessaire.
Pour assurer la cohésion de l’organisation, son contrôle et mobiliser
ses acteurs il faut beaucoup d’énergie.85 Dans un modèle tribal, l’énergie
vient de l’affect et de l’engagement collectif, mais on remarque une forte
déperdition dans l’exaltation et la passion des individus. Dans une organisation
mécaniste, l’énergie vient de la pression directe des chefs et les conflits, les
sources de frottement nuisent au bon fonctionnement. Concernant le modèle
transactionnel, l’énergie vient de la compétition, de la quête vers l’excellence
professionnelle, mais elle se perd dans ce qu’on pourrait appeler des « courants
d’air ». L’énergie du modèle transactionnel est en grande partie « importée » des
parties prenantes externes. L’organisation holistique génère son énergie en
utilisant « de multiples petits moteurs que sont les individus et les équipes mettant en
85 JOCHEM J., le mix organisation, Paris, Edition Eyrolles, p.99.
-111-
oeuvre collectivement l’autonomie qu’on leur laisse »86. La déperdition d’énergie de
se modèle est très faible car il est très fluide. L’énergie est l’adjuvant nécessaire au
mouvement pour créer la transversalité. Elle puise sa source dans les éléments
constituant l’organisation comme l’Homme. L’Homme est la seule source
d’énergie ne dépendant que d’elle même, elle est stimulée par la motivation. De
plus, l’organisation est contrainte à remplir des objectifs importants plus l’énergie
qu’elle doit dépenser est importante. C’est ce que nous avons vu dans la partie
sur les entreprises, elles sont une forme purement organisationnelle exacerbée
par le fait qu’elles soient contraintes au résultat. Les entreprises sont donc sans
cesse à la recherche d’énergie, qu’il faille la stimuler ou aller la chercher ailleurs.
La stimulation vise la motivation, car c’est la source de la libération de l’énergie.
Quand l’Homme est motivé, il déploie une énergie importante se matérialisant
par son investissement. C’est le rôle du leader que d’orienter cette énergie et de la
canaliser. Un bon leader est un cultivateur et un chef d’orchestre des énergies, il
les stimule, les oriente et les coordonnes. En innovation il est courant de parler de
la nécessité de cultiver les énergies créatives. Cette expression matérialise bien
ce concept d’énergie. L’énergie s’oppose à l’aridité qui empêche le mouvement et
donc la transversalité.
Temps, mouvement et énergie sont intimement liés, le mouvement
n’est pas possible sans le temps et sans énergie pas de mouvement. L’énergie
est nécessaire au mouvement et par conséquent à l’évolution de l’organisation.
C’est cette évolution qui va permettre à l’organisation de résister et de s’adapter
aux changements de son environnement. Nous aurions pu également aborder
l’illusion qui est un thème apparaissant de façon récurrente.
86 JOCHEM J., le mix organisation, Paris, Edition Eyrolles, p.100.
-112-
Dans cette partie nous avons ouvert notre réflexion sur des terrains
d’analyses prospectives tout en partant de signaux faibles de notre société
actuelle. Que ce soit en s’inspirant d’auteurs de science-fiction ou en se projetant
dans des thématiques connexes, on s’aperçoit que les questionnements sont
profonds. Il n’est pas nécessaire de se projeter à des horizons aussi lointains pour
être innovant, mais ces visions potentielles du futur ont l’intérêt de questionner
notre quotidien pour nous permettre de nous projeter dans des systèmes de
réflexion plus complexes. Les organisations d’aujourd’hui peuvent aboutir à ces
modèles fictifs, mais elles peuvent également prendre d’autre voie. Quoi qu’il en
soit ces visions permettent d’anticiper les problèmes de demain en exacerbant
les contradictions du monde actuel. En nous mettant face à ces paradoxes, elles
nous poussent à réagir de la meilleure façon possible en prenant en compte le
plus de facteurs et d’enjeux envisageables. Nous allons voir dans notre dernière
partie en quoi ces analyses peuvent être des problématiques de design, mais
également quels terrains de développement et champs de réponses peuvent être
envisageables.
-113-
3.3 - Retour au design
Après avoir élargi notre recherche à des champs analogues et prospectifs,
revenons à des problématiques actuelles, centrées sur l’Humain et le design.
3.3.I - La machine au pouvoir
Nous sommes en pleine période de transition, perdu dans l’usage de la
technologie. Elle nous dépossède autant qu’elle nous accompagne dans notre
quête vers l’organisation parfaite. Le numérique disrupte aujourd’hui toutes
les organisations. Nos besoins organisationnels peuvent-ils être comblés par la
technologie ou simplement par plus d’humanité ?
La machine remplace petit à petit l’homme dans toutes ses tâches
quotidiennes. De la simple pénibilité, on est passé à l’assistanat. Du GPS
permanent sur nos smartphones, qui amoindrit notre sens de l’orientation,
à Google ayant réponse à tout, qui limite notre mémoire, en passant par les
notifications qui amenuisent notre patience. Les technologies de l’information
et de la communication pourraient-elles limiter notre sens de l’organisation ?
On voit les limites des applications de management de groupes qui se révèlent
obsolètes si aucune conduite au changement n’est mise en place. Le designer doit
apporter cette humanité nécessaire à la technologie et laisser une plus grande
place à l’Homme en le responsabilisant. Contrairement à l’Homme, la machine
n’est pas malléable et garde une trace de tout. La trace mise en mémoire sur un
disque dur ne change pas avec les années. Il en va tout autrement avec la mémoire
humaine qui est sans cesse déformée et reconstruite au gré de notre humeur
ou de notre état d’esprit du moment. Les organisations se nourrissent de cette
-114-
souplesse et de cette capacité humaine à oublier les évènements superficiels
pour reconstruire.
La complexité toujours plus grande des organisations demande cependant
l’usage intensif de la technologie. L’individualité exacerbée et l’amélioration de la
gestion de la complexité sont deux signaux permettent d’imaginer que la machine
puisse comprendre, anticiper et combler les nouvelles attentes de l’Homme dans
une organisation. Les machines peuvent devenir des vecteurs de reconnaissance,
et donner à l’Homme ce regain d’attention vis-à-vis de ses collaborateurs. Elles
ne doivent pas créer ces vecteurs de reconnaissance, mais transmettre une
intention humaine sinon la valeur du signal est nulle. Il est possible d’imaginer
combler les besoins secondaires de l’homme que nous avons étudié avec la
pyramide de Maslow en utilisant des interfaces, des objets connectés… Les
avancées technologiques nous permettent de prétendre visualiser les besoins et
les attentes de l’Homme. Des outils de ressources humaines pourraient mapper
la capacité les profils afin de comprendre les enjeux, les zones de tension, les
stratégies d’évolution. La technologie n’apporte pas une réponse virtuelle,
mais belle et bien réelle, cette réponse est simplement numérique plutôt que
physique. Les réseaux sociaux de masse, tel Facebook, illustrent bien cette réalité
numérique où l’on s’aperçoit que le lien social numérique est souvent privilégié
au lien social physique. Mais ce lien social n’est pas virtuel comme certains
l’entendent et s’ancre dans une réalité organisationnelle plus complexe pour
l’Homme.
La machine a remplacé certaines des fonctions de l’Homme. Est-elle
amenée à le remplacer complètement ? La machine n’étant pas dotée d’émotions
est optimisée et programmée pour atteindre les buts qui lui sont fixés, nous
pourrions en conclure que ces caractéristiques en font l’acteur organisationnel
rêvé. Mais dans ce cas de figure, il n’y a pas de synergie possible, la sérendipité
-115-
est quasi nulle et l’innovation devient incrémentale et routinière. Il faut se
demander la place qu’occuperont les machines dans les organisations de demain.
Seront-elles des acteurs à part entière, des concurrents, des collaborateurs, ou
simplement des assistants ? L’Homme est baigné dans cette peur que la machine
nous domine, mais sa course au profit et à l’optimisation ne l’amènera-t-il
pas à structurer des organisations contrôlées par des machines toujours plus
performantes ? Laurent Alexandre dans le TEDX nos enfants iront-ils demain
dans des écoles eugénistes nous parle d’un monde à horizon très proche, moins de
20 ans, ou « les automates auront remplacé les individus occupant des postes dans les
organisations mécanistes »87.
Malgré le développement toujours plus important de la technologie et de
la machine au sein des organisations humaines, il est plus que jamais indispensable
d’humaniser les organisations. Les organisations sont initialement une structure
87 Alexandre, Laurent, Nos enfants iront-ils demain dans des écoles eugénistes ?, TEDxParis, citant Bill Gates.
-116-
naturelle cherchant l’équilibre et les spécificités de l’Homme, telles que l’oubli,
lui permettent d’évoluer, de s’adapter et de se réinventer. Il ne faut pas perdre
de vu les vertus de l’Homme lui ayant permis de structurer des organisations
toujours plus performantes et résistantes au changement. La technologie peut
être vue comme un assistant aidant les Hommes à se structurer, se comprendre
et s’accomplir. La machine peut se substituer à l’Homme dans les tâches les plus
répétitives, mais il faut éviter qu’elle ne le limite. Le but est toujours d’apporter
plus d’énergie aux organisations et cette énergie prend racine dans l’humanité de
la structure organisationnelle.
3.3.2 - La technique éternelle assistante
La technologie nous assiste, mais nous permet également de nous
augmenter. Nous avons cherché ces dernières années à dématérialiser tout ce qui
était démartérialisable. Nous revenons doucement au tangible après avoir compris
la valeur des interactions physiques. Les datas analytiques nous permettent de
mettre un visage sur le monde numérique qui nous dépasse, la complexité des
structures organisationnelles actuelles également. La technologie peut-elle
nous rassurer autant qu’elle stimule nos peurs profondes de dépossession ?
Comme nous l’avons vu précédemment les data analytiques permettent
de matérialiser au travers d’infographie des données. Cette matérialisation de
la complexité permet au plus grand nombre de comprendre des enjeux qui leur
auraient échappé. Les datas peuvent prendre une forme tangible au travers de
smart objects évoluant et changeant selon les évolutions de leur environnement.
Les liens de l’organisation peuvent être matérialisés, il est envisageable de
pouvoir agir directement dessus et de simuler les réponses potentielles.
Matérialiser des données numériques nous permet de simplifier notre quotidien.
-118-
Nous arrivons plus facilement à nous souvenir de formes et d’expériences que de
chiffres sur une interface. Il est plus simple de réinterpréter des données dans un
contexte au lieu de simplement les afficher dans le même logiciel jour après jour.
La technique a rendu l’homme plus omniscient et lui a
permis de décupler ses facultés mentales. Nous sommes redevenus
des enfants devant gérer la complexité et les interconnexions.
Comme notre instinct social dans les premières organisations sociales, nous
devons développer un instinct digital. Cet instinct digital nous permet de mieux
nous inscrire dans nos organisations sociales technologiques. Il faut simplifier
les interconnexions des organisations et les rendre accessibles à l’Homme afin
qu’il puisse se projeter. Il est nécessaire qu’il puisse visualiser l’ensemble auquel
il appartient. Dans les startups on retrouver cette simplicité des structures
organisationnelles passées, nous savons et nous visualisons nos dépenses
d’énergie. Il est envisageable d’utiliser un dispositif permettant d’assister
l’Homme et de lui donner cette vision globale et cet instinct digital. Cette réflexion
se rapproche de cette visualisation globale que tente d’effectuer à son échelle le
design et le design thinking, avoir une vision transversale de l’organisation et
des enjeux. Le métier de manager devient aujourd’hui un métier fourre-tout et
il lui revient la tache de gérer toute cette complexité. Que ce passerait-il si des
managers omniscients, humain ou machine, pouvaient nous éclairer sur les
enjeux de la communauté ? Seraient-ils des agents motivants ?
Alain Damasio nous explique dans le TEDX Très humain plutôt que
transhumain que « la technologie vient nous rassurer dans notre peur suprême de la
solitude via les réseaux numériques qui sont créés »88. Cette peur peut également
être transposée à celle de la performance que viennent combler les wearables
88 Damasio, Alain, Très humain plutôt que transhumain, TEDxParis
-119-
devices comme le Fit-bit ou la balance connectée de Withings qui nous rassurent
par les chiffres. Cette visualisation de la performance nous permet de nous
projeter et nous positionner vis-à-vis de la société. Une visualisation de la
performance professionnelle aurait l’avantage de nous aider à nous repérer dans
l’organisation, mais pourrait conduire à des dérives comme l’abus de contrôle
et la course à la performance. Si cette visualisation reste individuelle, il serait
possible de limiter ces dérives. Il serait également envisageable de monitorer la
performance de groupe pour éviter le contrôle sur l’individu, mais cela aurait
pour effet de le déresponsabiliser. De même que la peur de la performance la
peur de l’appartenance et de l’identité au groupe pourrait être comblée par la
technologie.
La complexité de l’environnement dans lequel évolue l’Homme demande
à être matérialisée afin de l’appréhender dans sa globalité. L’objectif n’est pas de
rendre la complexité simple, au risque d’en perdre sa subtilité, mais accessible. Il
est par conséquent nécessaire de nous approprier la technologie nous permettant
de rendre accessibles notre environnement et nos organisations dans lesquels
nous évoluons. Visualiser l’organisation dans sa globalité nous habilite à nous
situer et savoir à quel ensemble nous appartenons. Nous vivons dans un monde
en grande partie devenu immatériel que nous ne pouvons pas visualiser et dans
lequel nous ne pouvons pas nous projeter. La visualisation de l’immatériel
pourrait nous rassurer et combler nos peurs d’appartenance, de performance et
d’identité.
-120-
3.3.3 - Embrasser la complexité
Les technologies d’information et de communication nous on permis
d’appréhender la complexité des organisations. Nous verrons la valeur de
la mesure et des softs skills, mais également l’importance des langues et des
codes et nous finirons par parler du pouvoir de la maitrise de la complexité.
Les technologies nous permettent de mesurer ce qui était auparavant
inmesurable. Les softs skills sont maintenant au coeur des problématiques
organisationnelles. La maitrise des datas analytiques nous permet de les
quantifier et de leur donner autant d’importance que les hard skills.
Les managers accordent de plus en plus d’importance aux valeurs humaines que
l’on peut apporter à l’organisation. Ces softs skills transcendent l’organisation
et ont une singularité transversale que les hards skills non pas. Ils permettent de
construire des relations durables et stables. Les collaborateurs souhaitent évoluer
avec des personnes étant agiles, sachant s’adapter et être créative. La coopération,
le partage, l’esprit d’équipe, la flexibilité, la confiance en soi, la résistance à la
pression… sont autant de qualités qui sont recherchées pour inclure de nouveaux
acteurs au sein de sa propre organisation. Ces énergies déployées par les softs skills
sont contagieuses. La mesure des softs skills et leurs prises en compte pourrait être
précieux au management de demain tout en rendant l’organisation plus humaine.
Afin d’assurer la cohésion d’une organisation, l’instauration des langues
et codes commune est indispensable. À l’ère de la mondialisation, nous pouvons
voir l’efficacité de la signalétique des métros et des aéroports. Communiquer à
travers des codes communs nous autorise à créer une transversalité constructive
sans pour autant changer notre culture et nos valeurs. L’émergence des Gifs et
des émoticônes témoigne des attentes de la société à vouloir créer de nouveaux
-121-
moyens de communiquer plus universels. En septembre 2014, TechCrunch titre
“PopKey will replace written language with the expressive art of the GIF. »89 La
communication par les images et l’émergence de nouveaux médias permettent
d’enrichir les liens. Le vocabulaire de l’entreprise est aujourd’hui plein
d’anglicismes, car cette nécessité d’unification des langues est un besoin. Il est
possible pour le designer de définir des codes et une signalétique permettant de
faciliter la conduite du changement et la mise en place de la transversalité.
Notre gestion de la complexité actuelle nous permet d’imaginer la
construction de modèles organisationnels riches. Cette capacité à répliquer la
complexité pourrait être utilisée afin de construire une organisation des objets, des
89 Techcrunch, repéré sur http://techcrunch.com/2014/09/13/popkey-ios-8/
-122-
machines avec ses propres codes et signes distinctifs. Cette organisation serait une
matérialisation concrète de ce qu’on appelle l’Internet des objets. La prolifération
des objets connectés amène à questionner leurs interconnexions. Quelles sont
les possibilités de communication et interaction avec les autres objets, mais
également avec les Hommes ? Ce dispositif de communication, transversal à tous
les objets, prendrait-il une forme matérielle ou logicielle ? Quel serait le potentiel
de cette organisation n’étant pas contrainte par les changements d’humeur de
ses acteurs ? Il est pensable de questionner l’individualité des objets connectés
et la conscience qu’aurait l’organisation d’elle-même et de son environnement.
Il devient possible de mesurer ce qui n’était pas envisageable, de valoriser
l’intangible. Les innombrables langues et codes peuvent être déchiffrés et adaptés
afin d’en simplifier leur usage.
Après s’être accommodé à la complexité il est envisageable de la recréer pour mieux
la comprendre et de l’appliquer aux objets et ainsi décupler leurs possibilités.
Les pistes d’explorations et de développement possibles sont nombreuses
pour le design car ce métier est né de cette nécessité de créer du lien dans des
univers complexes. Les organisations devenant extrêmement complexe il semble
pertinent que le designer s’intéresse à cette problématique. Plus que jamais les
organisations ont besoin de transversalité pour assurer leur pérennité. Les leviers
d’actions sont nombreux, il est possible d’agir sur l’humain, sur ses relations,
sur la machine, sur les liens entre l’homme et la machine, sur la structure, à tout
niveau hiérarchique dans l’organisation.
Après avoir ouvert le champ de recherche sur des analogies,
la science-fiction et les signaux faibles nous avons pu voir que
le design peut répondre à ces problématiques très actuelles que
sont la gestion de la complexité, l’utilisation de la technologie
et les limites de la machine. Le recul apporté par les projections
et les vision de prospectivistes que nous avons étudiées, nous
permet d’apporter de la pertinence aux problématiques que
nous tentons de définir. La transversalité permet de créer
du lien et du sens pour les acteurs de l’organisation. Avoir
analysé d’autres modèles nous a permis de comprendre que
les organisation ne tirent leur force que des individus qui
la constituent. Les acteurs de l’organisation cherchent à
combler leur besoins d’appartenance, de reconnaissance et
d’épanouissement au travers de la communauté et du groupe.
-125-
- conclusion -
Les organisations sont en pleine mutation, l’environnement dans lequel
évoluent ces structures sociales évolue plus rapidement que jamais. Les
organisations nécessitent cette souplesse et cette agilité nécessaires à leur
adaptation. Cette capacité d’adaptation passe par la transversalité. C’est la
transversalité qui va amener le mouvement en usant de l’énergie nécessaire
à l’organisation pour s’adapter dans le temps. Cette énergie est générée
principalement par l’Homme. Les organisations n’aiment pas le vide et s’adaptent,
mutent jusqu’à trouver une forme stable.
Dans la première partie, nous avons étudié les différentes formes
organisationnelles et les différentes théories associées. La forme holistique sur
laquelle nous avons conclu s’avère être transversale par essence. Cependant, ce
modèle est extrêmement difficile à mettre en place, car il résulte d’un équilibre
parfait entre tous les facteurs qui constituent une organisation. Lorsque les
aspirations individuelles et collectives parviennent être comblées simultanément,
la cohésion globale et la créativité de l’organisation sont transcendées la rendant
ainsi compétitive. Les structures organisationnelles matricielles s’avèrent être
des structures intermédiaires, temporaires, et comportent des défauts. Pour
évoluer, il est nécessaire que la responsabilité individuelle soit plus forte et que les
acteurs de l’organisation soient plus autonomes. Le modèle organisationnel de
demain semble être un modèle en réseau ayant un socle agile. Pour atteindre une
agilité suffisante, l’enjeu du développement de l’autonomie des acteurs semble
indispensable. La mise en place d’un ensemble de bonnes pratiques permet de
faciliter l’émergence de ce modèle holistique.
Nous avons ensuite vu dans la deuxième partie, l’importance de la prise
en compte du facteur humain et la complexité de ses aspirations. L’évolution de
-126-
- conclusion -
ses attentes et de l’environnement participent à cette difficulté d’adaptation des
organisations. Cette évolution est accélérée par le développement extrêmement
rapide des technologies de l’information et de la communication. Il faudrait peut-
être se baser sur des métriques et des valeurs plus profondes et moins changeantes
que nos outils et les attentes des acteurs de l’organisation. Cependant, il est
nécessaire pour l’organisation d’être ancrée dans le présent pour survivre et attirer
de nouveaux acteurs. Les organisations actuelles semblent dépassées et ne plus
être en capacité de combler les attentes complexes de leurs acteurs. Pour gérer
ces attentes, les organisations ont eu tendance à rationaliser le facteur humain,
mais aujourd’hui les technologies permettent de s’approprier cette complexité.
Plusieurs fois, nous avons abordé la thématique de l’illusion, mais elle questionne :
faut-il vivre dans le réel en ayant des frustrations ou dans l’illusion en ayant
toutes ses attentes comblées ? Nous avons également vu que les organisations
doivent désormais appréhender et traiter simultanément les facteurs tangibles
comme la structure, les processus, les systèmes d’information… et les facteurs
intangibles comme la culture, les valeurs, les comportements… généralement
traités séparément. Plus une organisation devient complexe plus les liens qu’elle
génère sont fragiles. Il est important de rappeler qu’une organisation recherche
l’équilibre. Hors plus on rajoute de facteurs plus l’organisation devient complexe
et plus il est difficile de trouver cet équilibre.
Dans la troisième partie, nous avons ouvert au maximum le champ de
recherche en nous projetant dans l’avenir et en cherchant des similitudes entre les
structures organisationnelles pouvant exister. Nous avons développé le concept
d’énergie qui est fondamental pour comprendre le fonctionnement d’une
organisation en ayant pour objectif de la faire évoluer. L’énergie de l’organisation
vient la transversalité. Lorsque la transversalité se met en place, elle génère à son
-127-
- conclusion -
tour plus facilement une énergie permettant de stabiliser cet état. C’est un cercle
vertueux. Il suffit cependant de rompre cet équilibre fragile pour remettre en
cause cet état. La responsabilité de la mise en place de la transversalité dans une
organisation revient en partie au designer qui pratique une discipline transversale
par essence. Il est amené à créer des liens entre les différentes parties prenantes
constituant une organisation afin de pouvoir conceptualiser la complexité à
laquelle il fait face. Le design thinking, si populaire dans les entreprises, tente
de rendre tout le monde un peu designer en formant les acteurs à acquérir des
compétences transversales. Pour finir, nous nous sommes rendu compte que la
communication est régulièrement la source de la transversalité, c’est l’unicité de
la langue qui permet des échanges de qualité nouant des liens solides et pérennes.
Les facteurs empêchant la transversalité de se mettre en place lui sont très
souvent liés.
-128-
- conclusion -
Durant l’étude, nous avons fait de nombreux constats et établi des
paradoxes. Pour commencer, les organisations ont pour objectif primordial
de survivre, mais leur survie n’a jamais été aussi menacée. De plus, la mise en
place d’une transversalité globale est nécessaire, mais est complexifiée par la
gestion du facteur humain et le développement exacerbé des individualités. Par
ailleurs, l’unification des codes et du vocabulaire facilite la mise en place d’une
transversalité durable, mais malgré la mondialisation il subsiste énormément
d’incompréhensions. De surcroît, nous savons que la motivation est la source
de la libération de l’énergie, mais elle nécessite d’être cultivée en permettant
à l’Homme la visualisation de l’accomplissement de ses besoins. Nous avons
également vu que l’équilibre des paramètres nécessaires à la transversalité place
l’organisation dans un état de grâce, mais la complexité de ces paramètres ne fait
que s’accroitre. Sans compter que l’état actuel des organisations ne leur donne
pas l’agilité nécessaire pour être pérenne. Pour conclure, nous voulons aller vers
plus de transversalité et faire évoluer nous organisation, mais nous restons dans
nos zones de confort de peur d’échouer.
-129-
- conclusion -
De ces paradoxes, nous avons pu faire émerger trois notions problématisantes :
la Complexité
l’Énergie
la Pérennité
Ces notions problématisantes nous permettent de poser les problématiques
suivantes :
« Comment en tant que designer puis-je faciliter et structurer la complexité
grandissante des organisations ? »
« Comment en tant que designer puis-je stimuler et motiver les sources d’énergie
des organisations telles que les Hommes, le partage et la collaboration ? »
« Comment tant que designer puis-je développer et ancrer la notion de durée dans
les organisations ? »
Nous tendons à évoluer vers un monde décloisonné et plus global. Il s’agit
désormais de parvenir à trouver du sens et à traverser les frontières que nous
avons érigées par le passé pour rendre nos organisations plus humaines.
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Connexité :
En mathématiques, la notion de connexité formalise le concept d’« être d’un seul tenant ».
En sociologie, la connexité renvoie à la notion d’intéraction.
Digital natives :
Un digital natif est une personne qui est née pendant ou après l’introduction générale des
technologies numériques, il a commencé à interagir avec la technologie numérique à un
âge précoce, et possède un grand niveau de confort d’utilisation.
Hardskill :
Compétences formellement démontrables, nées d’un apprentissage technique, souvent
d’ordre académique, et dont la preuve est apportée par l’obtention de notes, diplômes,
certificats.
Heuristiques :
Heuristique est un terme didactique qui signifie l’art d’inventer, de faire des découvertes.
MOOCS :
Signifie cours en ligne ouvert et massif. Les participants aux cours, enseignants et élèves,
sont dispersés géographiquement et communiquent uniquement par Internet. Des
ressources éducatives libres sont généralement utilisées.
-139-
Organisation :
Sens Etymologique : « Disposé de manière à rendre apte à la vie »
Sens Courant : « Action d’organiser, de structurer, d’arranger, d’aménager »
Sens Biologique : « Hétérogénéité structurale, observable à toutes les échelles (molécule,
cellule, tissu, organe, organisme) chez les êtres vivants tant végétaux qu’animaux, sur laquelle
repose leur fonctionnement vital. »
Out-sourcing :
Anglisisme signifiant externalisation. Désigne le transfert de tout ou partie d’une fonction
d’une organisation, entreprise ou administration, vers un partenaire externe.
Pattern :
Le mot anglais « pattern » est souvent utilisé pour désigner un modèle, une structure, un
motif, un type, etc. Il s’agit souvent d’un phénomène ou d’une organisation que l’on peut
observer de façon répétée lors de l’étude de certains sujets, auquel il peut conférer des
propriétés caractéristiques. Un pattern constitue donc une solution générique à un type de
problème fréquemment rencontré, en décrivant et formalisant les concepts sous-jacents
à cette solution.
- glossaire -
-140-
Softskill :
Compétences proches de traits de personnalités propres à chaque personne. Ces
compétences ne sont pas généralement acquise lors de son parcours scolaire. Contrairement
à des connaissances théoriques que l’on apprendrait à l’université, ces compétences sont
souvent innées et ne demandent qu’à être développées.
Système :
Un système est un ensemble d’éléments interagissant entre eux selon certains principes ou
règles. Un système est déterminé par :
- La nature de ses éléments constitutifs,
- Les interactions entre ces derniers,
- Sa frontière, c’est-à-dire le critère d’appartenance au système
- Ses interactions avec son environnement
Transversalité :
Sens Etymologique : vient du latin médiéval transversalis et du latin classique transversus.
Sens Didactique : « qui est disposé en travers de quelque chose, perpendiculairement à sa
largeur ou à sa hauteur. »
Sens Courant : « qui traverse, est en travers. »
Figuré : « qui regroupe plusieurs disciplines du secteur. »
- glossaire -
-143-
Workshop Accenture
Imagination de la future structure organisationnelle d’Accenture avec ses Managing Partners.
-144-
CPI Imagine
Conduite d’un projet pour la Société Générale ayant pour thématique la formation, la communication et la structure organisationnelle. Interview des cadres supérieurs.
-145-
Interviews
Discussions sur l’avenir des organisations avec des salariés de Google, Dropbox, Dribbble, Facebook, Feedly, Critéo, Scheider Electric, ...
-146-
Le Mash Up
Association promouvant l’entrepreneuriat étudiant organisant des conférences bi-mensuelles.Discussions avec les intervenants sur les thématiques des organisations et de leur évolutions.
Les organisations fascinent. Ces structures sociales organisées sont sans cesse en recherche d’adaptation pour assurer leur survie. Les individualités constituant ces organisations questionnent leurs relations, leurs conflits, leurs tensions, leur implication, la place qu’ils occupent, la reconnaissance qu’ils attendent...Tous les liens tissés au sein d’une organisation se créent de la nécessité d’avancer ensemble et sont d’une complexité qui nous échappe quand on tente de les appréhender dans leur globalité. Afin d’être pérennes, les organisations sont en permanence a la recherche d’énergie pour innover et s’inscrire durablement dans leurs écosystèmes mouvants. Nous pouvons nous demander où cette énergie prend sa source et comment est-elle stimulée. L’apport de transversalité semble être une réponse au manque de souplesse des organisations et à leur quête vers l’équilibre. Nous tenterons de comprendre dans ce mémoire les formes que peut prendre cette transversalité et comment stimuler les énergies des organisations de demain.
Organisations et transversalitéNicolasFALLOURD
Diplômes 2015
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