operation cheesestorm (extraits)

34
Opération Cheesestorm 1 Opération Cheesestorm Ou Le Mystère Des Caquelons Explosifs Mani D. Bädle

Upload: manidb

Post on 12-Jun-2015

207 views

Category:

Education


0 download

DESCRIPTION

Dans une Confédération alternative, la Swisse, où se côtoient humains, animaux mais aussi de nombreux représentants du «troisième genre», une curieuse épidémie de terrorisme embrase le pays. Mais la vague d'explosions de caquelons qui répand la terreur dans tous les cantons n'est-elle pas qu'un simple rideau de fumée, prélude à un avenir infiniment plus préoccupant? Trois enfants pas tout à fait comme les autres, se retrouvent en possession d'un mystérieux message gravé dans un fragment de poêlon pour fondue. Accompagnés de leur père adoptif, un ex cadre de banque désillusionné et prétendant encore travailler, ils sont embarqués dans une aventure qui les mènera au bout du monde et les fera grandir et changer leurs vies à jamais.

TRANSCRIPT

Page 1: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

1

Opération Cheesestorm

Ou

Le Mystère Des Caquelons Explosifs

Mani D. Bädle

Page 2: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

2

Copyright © 2014 Mani D. Bädle

Tous droits réservés.

Édition: Miriam PharoConception graphique de la couverture: Alexander Preuss

Modélisation 3D: George HalkiasTraitement du texte et mise en page: Scrivener

Assistance à la révision linguistique: Antidote HD

Il est interdit de reproduire une partie quelconque de ce livre sans l’autorisation écrite de l’auteur.Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.

Page 3: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

3

Ce livre est dédié à Marc, «Mister Nein Nein Nein Nein» et Liam, «Boba Vollfett».

Puisse cette histoire dont vous fûtes un jour l’inspiration vous amuser quand

vous serez en âge de la lire!

Page 4: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

4

Avertissement

L’action illustrée dans le récit se passe principalement en «Swisse». Une

«Suisse alternative», assez semblable à celle que nous connaissons. Mais

subtilement différente aussi et où se côtoient institutions, marques, systèmes et

personnages assez similaires parfois à ceux du monde réel, et aussi d’autres

d’origines très différentes y compris des endroits purement fictifs. À l’inverse, on

en reconnaîtra d’autres, véritables ou à peu près…

J’emprunte ensuite à certains scientifiques, et notamment Stephen

Hawking, la notion d’univers parallèles. J’ai souhaité également intégrer l’idée

d’une narration accessible tant aux jeunes qu’aux moins jeunes.

Enfin, certains des évènements décrits et des lieux visités s’inspirent de

ma propre expérience de résident dans la Confédération, et couvrent l’actualité,

modifiée pour le besoin de la cause, des années 2012 et 2013 durant lesquelles

ces lignes furent écrites. À ce titre, j’ai dû recourir à la technique de

compression du temps, le récit ne prenant place que sur quelques mois d’une

seule année et certains faits, marquants ou pas, auxquels il est fait allusion ne

reflètent par conséquent pas la séquence temporelle d’origine. Les lecteurs

voudront bien m’en excuser.

Page 5: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

5

Les Personnages

Balloo est l’aîné de trois frères et l’un des principaux héros du récit. Doué

de vie et de parole comme les autres représentants du «troisième genre» de

l’histoire, il se croit courageux, mais il est en proie aux incertitudes de

l’adolescence et à des envies de miel patentes. Un peu tyranneau avec ses

frères, il est aussi peureux et irrespectueux, mais doté d’un humour assez

tranchant qui fait souvent mouche. Il se retrouve embarqué malgré lui ou peut-

être pas, avec ses deux frères dans une aventure, qui, on l’espère, le fera

changer un peu, et pour le meilleur.

Zébri est son cadet. Plus posé, mais intelligent lui aussi, il sait comment

faire le lien entre son aîné et leur plus jeune frère. Féru de musique

électronique, à laquelle il voudrait consacrer sa carrière plus tard, Zébri

fréquente lui aussi tout comme eux la même école multilingue, dans la banlieue

zuriquoise. Il aime aussi regarder les photos des starlettes légèrement vêtues

dans la presse de caniveau qu’il trouve dans les transports en commun. Saura-t-

il ne pas ignorer de précieux indices au passage?

Touki est le benjamin et le plus émotionnel des trois, mais moins

grincheux que Balloo quand même. D’un look tendance rasta multicolore, il est

un peu le faire-valoir de l’aîné, car il maîtrise mal le français, mais lui, il peut

voler! Malgré cela, son empathie naturelle ne risquera-t-elle pas de faire

sombrer les héros? Quoi qu’il en soit, c’est aussi un compagnon d’aventure

indispensable qui sait parfois faire preuve de surprenantes ressources malgré

son vocabulaire encore limité.

Hans-Pierre est plutôt l’antihéros principal, et accessoirement, leur père.

Si, si, vraiment! Amateur de varappe, de squash et d’observation ornithologique

à ses heures, l’ex-banquier est aussi sans emploi depuis quelques mois. Il a

préféré n’en rien dire à ses proches pourtant et la supercherie tient toujours

grâce aux nombreux stratagèmes qu’il a minutieusement su mettre en place. À

cinq années seulement du cap du demi-siècle, il est dubitatif quant à son

Page 6: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

6

avenir, mais la technologie dont il s’est entouré est un outil précieux, quoique

surtout pour d’autres en fait.

Quant à Sigrid, leur mère et la quarantaine juste passée, elle ne se doute

de rien, mais pour combien de temps encore? C’est une travailleuse, digne de

confiance, et malgré les apparences peut-être aussi un peu moins swisse

heureusement que son mari mi-faffenzellois mi-bourrassien de langue

française qui recycle les bouchons de bouteilles de vin. Plus proche des enfants

que lui, elle comprend aussi mieux leur mode de vie fait de réseaux sociaux, de

rentrées scolaires et de camaraderie pas toujours sincère. Ses parents,

d’origines étrangères, mais bien implantés depuis longtemps dans la

Confédération, savent accueillir les héros fatigués et garder leurs pérégrinations

sous silence, sans parfois le réaliser eux-mêmes.

Wouter est non seulement le meilleur ami du père des enfants, et du

même âge que celui-ci, mais aussi son seul complice depuis le début de ses

ennuis. Hans-Pierre peut d’ailleurs compter sur lui pour le motiver et le sortir un

peu, quelles qu’en soient les conséquences. Wouter est Hollandais de souche et

les efforts qu’il déploie pour battre son vieux comparse au squash n’ont d’égal

que sa passion inlassable pour les économies.

Ahmet et Alexander sont quelques-uns des compagnons d’infortune du

père de famille avec lesquels il participe à des activités collectives censées

l’aider à retrouver un emploi. N’en perdra-t-il pas plutôt tout espoir?

Luigi est un «geek», un plus vrai que nature, grand, boutonneux, maigre

comme une haridelle et myope comme une taupe. Passionné d’informatique et

de modifications douteuses, ce camarade de classe de Touki est aussi source

d’informations pertinentes, mais à quel prix! Quant au père de Luigi, il a fait

fortune dans la crème glacée de luxe et possède une fabrique qu’il a revendue à

un grand groupe, qu’il livre toujours d’ailleurs.

Maitre Alois, est-ce bien son vrai nom, est professeur d’arts martiaux. Il

enseigne le jiu-jitsu à Balloo, Zébri, leur père et quelques autres «Sanbudokas»

dont Kareen, Bairnoise tatouée à l’accent incompréhensible pour certains et

Page 7: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

7

Res, chasseur à mi-temps de petits animaux pour la restauration. D’origines

asiatiques, les antécédents du maitre comme son âge sont inconnus, d’autant

plus qu’il est chauve, ou peut-être se rase-t-il les cheveux? Empreints de

philosophie, ses propos peu nombreux sont un enseignement permanent,

même pour Balloo.

Stella la (très) jolie chocolatista est la meilleure amie des enfants.

Amatrice d’ésotérisme à ses heures perdues, elle habite une bâtisse ancestrale

en banlieue de Zurique, mais travaille dans une chaine de débit de boissons

«Lifestyle» près de la gare de Stadelbrunnen dans la journée. C’est la reine du

«latte» et ses compositions en font la coqueluche des étudiants, mais que peut-

elle bien cacher derrière son charme et son physique dévastateurs, entièrement

naturels?

Numéro Onze et Numéro Douze, aussi discrets que sournois, sont

quelques-uns des funestes adversaires rencontrés par les héros.

Particulièrement dangereux, les jumeaux partagent eux aussi une passion pour

les sports de combat et, bien que de sexe opposé, portent tous les deux une

tresse, y compris durant leurs activités de manutention nocturnes.

Azhamma est gardienne de nuit avec ses deux «mignons». Une

«troisième genre» elle aussi, mais avec une différence, car, toute de cuir vêtue,

elle traîne ses hauts talons depuis longtemps dans ce monde. Très

entreprenante, elle porte aussi un ustensile particulièrement efficace qu’elle

réserve pour ses deux compagnons dont l’un souffre d’une curieuse affection.

Blérim et Izmir sont deux sympathiques manutentionnaires, avec une

passion pour le sport de balle et les plats bien épicés à consommer tard le soir.

Mais leur découverte fortuite va-t-elle faire échouer les garçons dans leur quête

de la vérité?

Cora et son partenaire sont tous deux militants, mais c’est surtout l’un

d’entre eux qui témoigne de goûts vestimentaires des plus aventureux. Ils

rêvent de refaire le monde et donner naissance à une société nouvelle dans

Page 8: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

8

laquelle développement durable rimerait avec cultures… discutables.

Eusebio Machiaviello est responsable de l’école des enfants. En proie à

des démangeaisons corporelles fréquentes, le directeur ne reculera devant rien

pour faire prospérer son établissement, car il a étudié le marketing et s’est

spécialisé dans le parrainage et la collecte de fonds avant de se recycler dans

l’enseignement. Ses employés, dont madame Dard, la professeure de français

parée de verroteries de goût sujet à caution et avec qui Touki semble bien

s’entendre, s’en font le chantre, mais l’Éducation Confédérale a-t-elle besoin de

pareils représentants?

C’est dans un havre de paix idyllique et chargé d’histoire que l’on

rencontre Ken. Entouré de mille plantes aux effluves envoutantes et de statues

décoratives mystérieuses, n’est-il vraiment que le simple va-nu-pieds

mélomane qui se présente à eux? Et que signifient donc ces tatouages

qu’arborent ses avant-bras?

Sharon est la directrice de la société Phlégéthas, la très discrète

organisation qui dit-on serait liée à la présence, voire à l’existence, de certains

personnages de l’aventure, et dont personne ne semble vouloir dans son

voisinage.

Ling Ling, un troisième genre encore, ressasse son amertume et sa

nostalgie à longueur de journée. Va-t-il mal tourner et provoquer la perte de

l’un des héros ou reste-t-il encore quelque espoir pour lui? Hélas, il lui est

tellement difficile de résister à la promesse de sa friandise favorite…

Qui se cache enfin derrière le personnage du mystérieux Grand Méchant

de notre histoire? À quelle fin maléfique a-t-il engagé monsieur Wang et tous

ces hommes de main qui débarquent soudain dans la Confédération? Et

pourquoi en veut-il tellement à celle-ci? Son talent pour les prestations

médiatiques théâtrales et la dramatisation mégalomane est indéniable malgré

une diction quelque peu imparfaite en français. Il semble aussi exprimer de

l’intérêt pour les créatures de compagnie issues d’une ménagerie au moins

Page 9: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

9

aussi exotique que Touki, mais infiniment plus dangereuse…

Page 10: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

10

Prologue

BALLOO EST UN ourson en peluche bilingue, au moins en français, et peut-être

même en anglais. Du moins, il aimerait le croire. Son swisse bavaroisien laisse

encore à désirer et il a surtout du mal avec le dialecte du Wahalais et le bairnois

dont la langueur lui donne beaucoup de difficulté. Il baragouine aussi un peu

en italien, mais surtout en ajoutant des «o» et des «a» à la fin des mots. Quant à

son anglais, il le tirera toujours d’affaire, quoiqu’influencé par les films

américains à grand spectacle dont il est friand. Le dernier en date, le troisième

volet de La Guerre des Planètes, a laissé sur lui des traces indélébiles «semi-

permanentes», et il s’est mis à la lévitation, pour le moment en tout cas et

jusqu’au prochain film, et encore, ça ne marche pas tout le temps… Alors il se

prend pour et parle comme «Dark Balloo», mais il est quand même du bon coté

de la Force. Il mélange un peu les choses quand et comme bon lui semble, avec

une logique pour le moins difficile à appréhender pour qui ne vit pas avec lui.

Même pour ceux-là d’ailleurs, mais la cohabitation se passe quand même

bien avec Zébri, Touki, et les autres. Beaucoup d’autres en théorie, mais ceux-là,

on les réservera peut-être pour d’autres histoires. Pour l’instant en tout cas on

se concentrera sur Zébri, qui est le plus âgé après Balloo. Ces deux-là sont

inséparables même si le petit zèbre a une véritable passion pour la musique

électronique, que déteste absolument son aîné, à une exception près. Zébri

aimerait bien faire carrière comme disc-jockey plus tard, mais il n’a encore rien

révélé de ses intentions, car il a peur d’être incompris. Et puis, ce serait une

première dans la famille et son père comme sa mère viennent de milieux plutôt

conservateurs.

On s’attardera enfin sur Touki, un volatile multicolore vaguement

piciforme et au français encore approximatif, et qui ne fait partie de la famille

que depuis quelques mois. Touki parle d’ailleurs un peu comme Froda, dans La

Guerre des Planètes, mais il est toujours prêt à rendre service et son grand frère

lui fait d’ailleurs souvent appel. Quoiqu’astucieux, Balloo a du mal à atteindre

Page 11: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

11

les plus hauts rayons du placard où les membres de la famille chez laquelle il

réside conservent les pots de miel destinés au petit-déjeuner.

Car Balloo, même dans son corps apparemment fait de mousse et de

pièces cousues les unes aux autres — sans qu’on en voie pourtant trop les

détails, sa conception est swisse après tout — n’en reste pas moins

profondément plantigrade. Ses tendres sentiments envers le nectar d’abeilles

n’ont d’égal que l’ingéniosité dont il fait preuve pour arriver à ses «faims», pas

toujours louables. Sa préférence va au miel blanc canadien de Clever Crust que

son «papa» trouve chez Majestic, l’un des grands centres commerciaux du pays.

Sa «maman» refuse pourtant souvent d’y mettre les pieds de plein gré parce

que Choisino, une autre chaine de supermarchés très populaires en Swisse,

correspond plus à sa personnalité…

La famille habite sur la Côte d’Argent, une banlieue cossue des environs

de Zurique, dans un appartement gigantesque, vu la taille de certains de ses

occupants. Balloo est pourtant fier de ses quatre-vingt-neuf centimètres et

demi qui s’étendent du bout de son proéminent appendice olfactif jusque tout

au bout des appendices qu’il prend souvent à son cou durant les flagrants délits

dans lesquels il ne manque que rarement d’être pris.

Ses pérégrinations sont normalement diurnes, mais le vide persistant —

et retentissant — de son estomac cette soirée fatidique ne le permit pas. Balloo

n’hiberne que rarement très longtemps, car ses parents ont le chauffage au sol

et son estomac finit toujours par prendre le dessus. Et justement ce soir-là, il

aurait bien mangé un peu de miel blanc avant d’aller hiberner à nouveau.

Touki ne dit pas non.

À pattes et ailes de velours, tous deux prirent la direction du placard de la

cuisine…

#

La table était dressée depuis une bonne heure déjà.

Page 12: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

12

Rien de bien étonnant à vrai dire chez une digne et respectable famille

swisse, dont le responsable coupait systématiquement le contact à l’arrivée à

chaque feu rouge.

Et recyclait aussi les bouchons de bouteilles de vin.

On y cultivait les bonnes manières et l’art de recevoir et en conséquence,

l’ambiance était au beau fixe parmi les deux couples présents. Au-dehors

pourtant, comme l’avait annoncé la «fée des prévisions météo» aux cheveux

couleur de miel des montagnes, de la neige drue tombait à gros flocons en ce

crépuscule de début d’année. Malgré les réveillons encore bien présents dans

les mémoires et les parties charnues de certains des convives, comme en avait

témoigné le pèse-personne familial le matin même, tous se réjouissaient du

nouvel ouragan calorique à venir. Sa source en ébullition reposait pour le

moment sur la plaque en céramique Tsug de dernière génération qui

remplissait ses utilisateurs actuels de fierté.

Précis jusqu’à l’excès, les Swisses faisaient rarement les choses à moitié,

sauf la fondue peut-être. Et justement, celle qui présageait à grosses bulles,

mais contrôlées, des maux de ventre du lendemain, moins contrôlés ceux-là,

n’attendait que d’être transférée dans son caquelon haut de gamme en fonte

des Galeries Mondaines qui trônait au centre de la table.

Le maitre des lieux s’affairait aux derniers préparatifs.

Il déposa le paprika, la noix muscade, du kirsch du canton de Zoug de la

meilleure maison, ainsi que quelques oignons, cornichons et maïs nains sur la

longue table Exterio en verre fumé. Le pain blanc ne restait plus qu’à être

installé entre le lourd caquelon et la prometteuse bouteille d’Abîme

sélectionnée pour l’occasion. Enfin, des morceaux de citrouille confite apportés

tout spécialement par les invités ajoutèrent la dernière touche au tableau.

Le précieux assemblage Vacherin/Gruyère «Florilège Choisino» fut enfin

prêt en décida la maitresse des lieux. On le transféra ensuite avec d’infinies

précautions dans son avant-dernière demeure autour de laquelle le couple et

Page 13: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

13

ses deux amis s’attablèrent.

Le chef de famille régla le feu crépitant sous le lourd récipient. Il présenta

ensuite aux invités le pain blanc préalablement et minutieusement coupé en

brunoise, mais en plus volumineux carrés réguliers de deux centimètres de

côté. Encore imprégnés d’effluves d’ail, ses doigts firent frémir les narines

présentes au passage. Les verres furent remplis enfin, sans éclaboussures ni

pertes d’aucune goutte du gouleyant breuvage grâce au «Drop-Stop Schnur»

acheté le jour même.

Le festin pouvait commencer.

Les fourchettes se ruèrent sur les premiers morceaux que l’on immergea

ensuite à l’unisson dans le caquelon.

Comme au cours d’un meilleur ralenti au cinéma, le temps sembla

suspendre son vol. Le tintement des verres perdura et les toasts échangés se

perdirent dans les craquèlements successifs du caquelon. Il explosa soudain,

envoyant son précieux contenu aux quatre coins de la salle à manger devant les

regards médusés des convives, pour ceux qui pouvaient encore voir…

La scène ne fut cependant pas perdue pour tout le monde.

#

Balloo s’imagina aussitôt avoir déclenché un piège. Penaud, il reprit du

courage, mais pas beaucoup, et constata qu’il était toujours en un morceau.

Son regard balaya les environs. Il se trouvait toujours dans le placard et,

chose plus importante, le fruit de ses pérégrinations de début de soirée était

encore de ce monde. Touki aussi à l’évidence et les deux compères se

regardèrent malgré l’obscurité. Ils avaient pourtant bien entendu comme une

déflagration.

— Balloo, Balloo, bruit dehors venir! lui adressa son frère dans son

français rudimentaire de chez Hans Karl Schneider, le magasin de jouets dont il

Page 14: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

14

était originaire.

Balloo entrouvrit la porte du placard.

Un véritable carnage, laitier et olfactif essentiellement, provenait de la

table voisine. Il s’était étendu jusqu’aux murs immédiatement adjacents, dont le

plantigrade ne put reconnaître la couleur. Plusieurs des convives étaient encore

couverts de fromage fondu de la même nouvelle nuance et des fragments de

caquelons étaient éparpillés sur le sol.

L’un d’entre eux avait atterri au pied du placard.

Intrigué, Balloo se pencha discrètement depuis son rayon, et s’en saisit

d’un geste rapide.

Beaucoup de «créatures» semblables existaient en Swisse et de par ce

monde, et depuis bien longtemps. Elles partageaient la vie des êtres humains

pour la plupart. Certaines restaient entre elles pourtant, en communauté. Ou

parfois toutes seules aussi après s’être rendu compte de leur «éveil», et du reste.

Touki par exemple était devenu conscient bien après son arrivée dans la famille.

Il était régulièrement fait grand bruit du «troisième genre» dans la

presse. Certains mauvais représentants de cette dernière en avaient surnommé

les membres les «tertios». Monsieur Tout-le-Monde ne savait pas vraiment d’où

ces créatures venaient et de folles rumeurs couraient à leur sujet. On avançait

même qu’elles étaient peut-être des personnes véritables, parvenues dans ce

monde sous une forme moins aboutie sans trop savoir pourquoi ni pour autant

se souvenir de quoi que ce soit ayant pu justifier un pareil sort. Elles arrivaient

toujours jeunes et partageaient aussi toutes un autre trait commun, en ce

qu’elles héritaient de certaines caractéristiques de l’animal dont elles

possédaient le corps et la force, qui ne semblaient pas vraiment changer avec le

temps pourtant.

La famille de Balloo, qui n’avait pas encore d’enfants, s’était un jour

enregistrée, moyennant support financier, auprès de l’une des organisations

responsables afin de témoigner de leur volonté de devenir «famille porteuse» et

Page 15: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

15

de recevoir quelques créatures…

Malgré la publicité négative relayée par certains médias, et plutôt surtout

vis-à-vis des organismes impliqués dans la procédure que des créatures en

elles-mêmes, la cohabitation se passait en général très bien. Elle en était

presque naturelle et il n’était pas rare que ces êtres fussent considérés comme

les enfants mêmes de la famille dans laquelle ils vivaient, d’où l’emploi courant

de «maman» et «papa».

Pour simplifier les choses.

La Swisse, tout comme le monde qui l’entourait était parfaitement apte à

les recevoir et tout y était prévu pour leurs dimensions, quelle que fût la durée

de leur passage. Beaucoup de sociétés y voyaient d’ailleurs un vrai marché et

des produits spécifiques, adaptés à leurs tailles diverses, étaient régulièrement

lancés.

Mais il était aussi des personnes qui éprouvaient du mal à se faire à l’idée,

et c’était parfois le cas dans ce pays où la multiplicité raciale n’était pas toujours

la bienvenue dans certains cercles bien-pensants. C’était loin d’être un fait dans

celui de nos héros en tout cas, multiculturel avec un chef de famille bilingue mi-

Faffenzellois, mi-Bourrassien bairnois, mais de langue française et sa femme aux

origines viennoises.

Balloo et Touki s’efforcèrent d’oublier les leurs et de se faire encore plus

petits qu’ils n’étaient, pour écouter la conversation des grands.

— Tout le monde va bien? demanda le maitre de maison.

— Qu’à t-il bien pu se passer? Un caquelon exclusif des Galeries

Mondaines à deux cent quatre-vingt-neuf francs, c’est inadmissible! Aaach, et

mes murs? rétorqua Sigrid, sa femme.

— Arrête avec tes murs et ton caquelon en édition limitée et aide-moi à

m’occuper de Wouter! Déjà qu’il a eu du mal à digérer sa défaite au squash

aujourd’hui, elles sont rares tu sais…

Page 16: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

16

— Au moins, il n’aura pas à digérer ta fondue!

— Moi je voulais celle de Majestic, je te rappelle…

— Allez, tous, direction la salle de bains, et essayez de ne pas en mettre

partout, j’ai tout lavé aujourd’hui!

Le reste fut perdu pour les deux complices qui ne pensèrent plus qu’à

rejoindre leur camp de base situé dans le lit de leurs parents où leur présence

passait normalement inaperçue.

Le moment était propice.

Touki et Balloo sautèrent de leur étagère et s’enfuirent à tire d’ailes pour

l’un et de pattes pour l’autre. Ils traversèrent le couloir menant à la chambre

pendant que les quatre adultes s’affairaient à se débarbouiller le moins

salement possible. Haletant, Balloo grimpa sur le lit suivi de son jeune frère, à la

surprise de Zébri dont ils interrompirent les ronflements.

Un véritable conseil de guerre prit place quelques minutes plus tard.

— Et vos explications, c’est quoi? entama celui-ci, le réveil grincheux.

— C’est affreux! dit l’aîné avec une anxiété exagérée comme à son

habitude.

C’était encore un autre trait de Balloo, qui aimait bien attirer l’attention

de ceux qui l’entouraient.

— Allez raconte, demanda Zébri, lui aussi transfuge de Hans Karl

Schneider, mais plutôt réaliste, à part son estomac proéminent.

— C’est affreux, martela Balloo, un attentat d’«Alcamofia» s’est encore

produit ce soir et il aura fallu tout mon courage pour en réchapper avant que le

placard s’écroule!

— Arrête ton char, Balloo! rétorqua Zébri, dis-nous tout!

Page 17: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

17

— Euh, et bien, Touki, il avait faim…

— Mensonge pas vrai, mensonge gros comme Balloo, s’insurgea

l’étonnant volatile.

— Alors, j’ai entendu par hasard et sans le vouloir que peut-être

éventuellement il y aurait du miel dans le placard, bredouilla Balloo. Et il y en

avait effectivement, mais papa et maman étaient là aussi. On s’est caché et on a

entendu une grosse explosion! Et quand on a regardé, tous les murs avaient

changé de couleur!

— Toi aussi d’ailleurs, t’es blanc comme un mur d’appartement à louer,

dit encore Zébri avec un trait d’ironie dans la voix.

— Eh, c’est même pas vrai! Et d’ailleurs, qui s’est penché du placard en

risquant la mort, hein, qui?

— T’étais juste mort de peur et de curiosité! reprit son frère, taquin.

Et Balloo sentant le vent tourner se rappela juste à ce moment de sa

trouvaille. Il exhiba fièrement son bout de caquelon sous le regard médusé de

ses frères.

— Et alors là on dit quoi?

— Balloo, c’est quoi? interrogea Zébri.

— Je crois que c’est peut-être un morceau de la bombe, figure-toi. Mais

je sais pas vraiment encore, en tout cas ça sent bizarre. C’était juste devant le

placard quand on est sorti.

Zébri s’approcha du fragment et le toucha du bout de ses jambes. C’était

sa façon à lui de tester les choses. D’ailleurs, il ne manquait jamais de tremper

ses sabots dans le premier contenant, ou contenu, nauséabond passant à

portée, pour les faire ensuite sentir à qui le voulait bien. Encore imprégné de

fromage, le morceau de caquelon lui sembla être une bonne occasion…

Page 18: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

18

— Eh! Regardez, là, on dirait qu’il y a quelque chose d’écrit! claironna

Zébri en retournant la trouvaille de son frère du bout du sabot.

La troupe se regroupa auprès du petit morceaux et Balloo bomba le torse.

À la surprise générale, d’étranges signes écrits en tout petits leur apparurent, et

qui ressemblaient à peu près à cela: «����».

— Et ça veut dire quoi ça Touki? demanda Balloo. Pour moi, c’est du

chinois! Mais que vient faire Alcamofia avec des Chinois?

— Toi devoir savoir, toi faire «san-mielo»!

Balloo était adepte des arts martiaux, tout comme Zébri, mais son jeune

frère n’en était qu’à ses débuts dans la discipline. L’aîné lui était déjà «ceinture

miel» en jiu-jitsu. Il s’entrainait deux soirs par semaine avec son père et Zébri

dans le «sanbudo club» de l’autre côté du lac. Son kimono entièrement noir

avait en vérité dû être fait sur mesure, mais Balloo n’en ressemblait quand

même pas moins de par ses formes à une grosse mimolette quand il l’étrennait.

Et justement, ses rondeurs l’aidaient pour certaines prises. Des techniques pour

lesquelles il n’avait aucun mal à faire rouler ses adversaires par dessus, c’est-à-

dire quand ils n’étaient pas trop grands pour lui. Pour cette raison, il s’entrainait

d’ailleurs surtout avec Zébri, qui, lui, n’était encore que ceinture blanche. Malgré

deux examens précédents pour la suivante. Le petit zèbre aimait pourtant à

plaisanter de ses ratages consécutifs. Il rappelait ainsi souvent à qui voulait

l’entendre que toute autre couleur que l’actuelle aurait dépareillée avec son

pelage.

Balloo se décida d’en apprendre un peu plus durant l’entrainement

suivant…

#

Leurs convives prirent congé d’eux après avoir aidé à débarrasser les

murs de leur nouveau crépi au lait des alpages. Certains membres de la famille

se rassemblèrent alors pour un repos bien mérité sur le sofa, tandis que son

seul élément féminin continua sa chasse aux gouttes d’eau récalcitrantes sur le

Page 19: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

19

lavabo en aluminium. Confortablement installés devant l’écran familial de

cinquante-cinq pouces et demi, ils regardèrent les informations de fin de soirée

sur Télé-Zuri. Le présentateur leur sembla aussi éprouvé qu’un alpiniste en bout

d’ascension du Cervin par la face nord. On venait justement d’en interpeller

encore deux en Faffenzell ce jour-là après une nouvelle tentative d’approche du

sommet du Säntis en nu intégral, une pratique dont on ne comptait plus les

adeptes dans la Confédération. Mais ce fut surtout l’annonce d’une mystérieuse

explosion de caquelons dans un petit restaurant de la région maussannoise qui

retint toute leur attention.

Une charmante journaliste leur fit face et introduisit le sujet, avant de

s’apprêter à questionner le tenancier de l’établissement, visiblement mal à l’aise.

Des pompiers s’affairaient en arrière-plan et l’un d’eux, le plus jeune de tous,

sauta soudain juste devant la caméra à la vue de celle-ci pour lui adresser un

signe de la victoire.

«Mon chéri, je suis en train de travailler», rétorqua-t-elle en le propulsant

sur une autre orbite hors de l’objectif.

— Sigrid, regarde ça! Encore une fondue qui a mal tourné!

— Tu vois bien que je suis occupée à nettoyer la cuisine. répondit

l’épouse à son mari.

— Tu plaisantes, il est vingt-deux heures, laisse tomber tes torchons et

vient voir ça, les gouttes restantes pourront attendre!

Le restaurateur, dépité, ne savait comment exprimer sa surprise au

microphone tendu par la journaliste, qui s’exprimait dans un français très voisin

de celui de Touki.

— C’est à n’y rien comprendre, Mademoiselle, c’est à n’y rien

comprendre! dit-il avec son accent nasillard. Et pourtant je n’ai pas voté contre

les minarets à l’époque! Regardez ça! dit-il en lui montrant le résultat du drame.

Et voilà que mes caquelons tout neufs ils ont rendu l’âme! Et je vais perdre des

Page 20: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

20

clients avec tous ces évènements.

— Chérie, c’est fou cette histoire! reprit le chef de famille.

— Pa… papa, tu crois pas aux fantômes par hasard? dit Balloo d’une voix

chevrotante et en tremblant plus que légèrement.

— Non, mais je trouve vraiment étonnant que des caquelons

commencent à exploser en Swisse! Tout change ici, où va-t-on? conclut-il en

faisant la moue. Allez, on a eu assez d’émotions pour ce soir, tout le monde au

dodo!

#

Les jours qui suivirent virent un regain d’activité chez les enfants,

pourtant habitués au farniente en période de vacances d’hiver et à la vie

tranquille au bord du lac.

Balloo surtout demeura perturbé.

Il se sentit parfois comme devant un abîme d’inconnu. Un matin, la radio

rapporta de nouveau un incident similaire, mais au Tessin cette fois-ci. Le

fragment mystérieux en main, et Balloo ne s’en séparait pratiquement jamais, il

promenait ses interrogations tout en arpentant les méandres de l’appartement

dont le brillant des sols sembla ce faisant retrouver bientôt une nouvelle

jeunesse. Sa mère s’en réjouissait, mais Hans-Pierre s’en inquiétait.

— Balloo, dis-moi, que fais-tu encore à marcher comme ça dans la

maison? lui demanda-t-il.

— Euh, je, et alors, c’est l’hiver quoi, et il faut bien se dégourdir les pattes

un peu! rétorqua son fils.

— Tu ne pourrais pas faire ça dehors plutôt?

— Maman elle m’a dit que quand je rentrerai, j’en mettrai plein partout

avec la neige qu’il y a à l’extérieur.

Page 21: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

21

— Oui, et mieux vaut ne pas la taquiner sur ce sujet entre nous, mais au

fait, je croyais que tu devais hiberner à cette époque…

— Et ben, tu ronfles trop fort et tu prends toute la couette quand tu dors

alors forcément moi j’ai froid et je dors pas!

— Quoi? Tu rigoles! Je crois que tu passes en fait trop de temps à jouer

devant la télé et ça t’excite trop, voilà la vérité!

La famille était en possession d’une Impendo Shii, et depuis près de deux

ans. La console n’avait pourtant jamais vu un autre jeu que celui livré d’origine,

à part une simulation de repassage, gracieusement offerte par Sigrid aux

éléments masculins de la maisonnée. Balloo ne touchait au premier que

rarement pourtant, et encore moins au second. Jouer au tennis virtuel lui

donnait le mal de tête aimait-il claironner plutôt que de devoir admettre être

mauvais perdant face à son père contre lequel les victoires restaient rares

effectivement. Il préférait s’enfoncer dans le pouf poire dans la chambre des

invités pour y combattre tout seul des monstres dans Dragon Time 2 sur l’autre

console, la ZBOX 350 que son père avait un jour reçue pour avoir gardé les

chats de la voisine.

— Mais non, c’est pas vrai! Et d’abord je suis meilleur que toi, sauf à

Repassage Master.

Son père éclata de rire.

— On verra ça la prochaine fois, mais maintenant je file faire des achats.

Soyez prêts avec Zébri quand je rentre pour partir à l’entrainement!

Balloo ni même sa mère n’étaient dans la confidence, mais Hans-Pierre

ne partit pas seulement pour des courses. Sans emploi depuis quelques mois

déjà, il devait régulièrement aller pointer à l’Agence Locale de Réinsertion, le

«bureau du chômage» du village voisin. Il y témoignait de sa recherche

d’emploi, aussi couronnée de succès que l’était chaque changement d’horaires

des chemins de fer. Dans un monde en perpétuel changement, la Swisse n’était

plus ce qu’elle avait été, vraiment. Quant à l’ex-banquier, il n’était pas sans se

Page 22: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

22

poser des questions au sujet de son avenir et celui de sa famille nombreuse.

Dans l’attente, il avait choisi de se réfugier dans un mutisme salvateur, et

prétendait souvent télétravailler. De la maison, ou d’ailleurs. Muni de son

ordinateur portable, Hans-Pierre faisait mine aussi parfois de partir au bureau le

matin pour se rendre en fait en divers endroits, d’où il pouvait ensuite chercher

une nouvelle activité. Souvent aussi, il se revêtait d’un costume pour se rendre à

quelque entretien, pour rajouter à la vraisemblance. Les mois d’hiver n’avaient

pas été particulièrement fructueux et avec l’arrivée de la crise qui allait déferler

sur l’Europe, il ne pouvait plus compter trop souvent sur ce stratagème.

Flambant neufs, les locaux ultra-modernes du bureau de Steinen

n’arrangeaient rien, et ajoutaient encore à la froideur de la saison. Leur design

anguleux se reflétait aussi sur le visage taillé à la serpe de sa jeune et toute

nouvelle conseillère après ses six premiers mois d’inactivité, qui lui rappela une

boite à chaussures Armyboot. Il jura la voir le scruter dans l’espoir mal caché de

le faire disparaitre de sa liste de gens à recaser.

Muni de sa tabelle d’activité dûment remplie, il essaya de rassurer son

interlocutrice. Il s’agissait de la convaincre, dans l’espoir qu’elle ne lui propose

pas de poste dans quelques resto fastfood ou centrale d’appels multilingue. La

plupart de ses entretiens se soldaient pourtant par de sempiternels et

laconiques «nous avons reçu des CV correspondant encore plus à notre profil

idéal». Leur fréquence l’avait amené à se demander si tous les responsables des

ressources humaines du pays n’avaient pas choisi de déléguer leurs réponses

aux articles d’un seul et même vendeur d’oiseaux exotiques imitateurs. Il ne

douta pas que le commerçant avait dû prendre sa retraite aux Bahamas depuis

après avoir laissé des instructions à ses articles entretemps.

Hans-Pierre fut convainquant pourtant et soulagé de ne pas encore

devoir envisager de se recycler dans un poste d’employé de malbouffe ou de

ménagerie téléphonique. Avec une nonchalance feinte devant la caméra qui

assurait la sécurité des lieux, il sortit des locaux de l’ALR et se dirigea vers le

parking. Il pressa le bouton de la télécommande d’ouverture, mais son plip-plip

habituel refusa de se faire entendre. Les aléas de la température du moment

Page 23: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

23

pensa-t-il. Il ouvrit la porte en se servant de la clef et se glissa derrière le volant

de cuir glacé, boucla sa ceinture et alluma le contact. La radio se mit en marche

et se cala sur sa station favorite. C’était l’heure des informations. À sa grande

surprise, une nouvelle explosion de caquelon était survenue. Au cours d’une

nouvelle soirée fondue, au Ziger celle-là, l’étrange fromage local, dans un

restaurant en terre glaronnaise. Aucun dégât n’avait été signalé, mais certains

clients sous le choc avaient été placés en observation avec le propriétaire de

l’établissement, à la réalisation des étonnantes vertus colorantes de l’ingrédient

principal, dont les murs avaient fait les frais.

Il se remit à neiger, ce qui accentua les états d’âme du père de famille.

Et aussi la rêverie de Balloo, à quelques kilomètres de là…

Page 24: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

24

1re Partie

Page 25: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

25

Üglikon n’était à la vérité qu’un village-dortoir, et mal ensoleillé. Et sans doute

apprécié surtout de ses milliardaires russes qui y bénéficiaient d’un régime de

taxe particulièrement indulgent. Construite en contrebas d’une autoroute

bruyante et encombrée qui menait aux confins du pays, la bourgade pouvait

quand même s’enorgueillir d’un gymnase ultra-moderne, érigé à prix d’or. Et

c’était justement vers celui-ci que se dirigeaient Balloo et Zébri, installés tous

deux sur l’unique siège pour passager de la Mozdu MX50. Spartiate, mais surtout

économe, le petit cabriolet était devenu leur véhicule principal depuis

l’immobilisation de la voiture familiale trop gourmande, dans l’attente de jours

meilleurs. Comme seul confort, un dispositif électrique y maintenait leurs

arrière-trains à une température plus clémente que celle de l’extérieur. Quant à

leur père, assis au volant, il s’efforçait de faire bonne figure en sifflotant d’un air

joyeux.

Balloo se tourna vers lui.

— Euh, papa, tu crois que maitre Alois aurait un peu de temps à me

consacrer après la leçon?

— Et bien pourquoi pas? De quoi veux-tu parler avec lui, tu te sens prêt

pour la ceinture noire toi aussi?

— Ben, pas vraiment, et je voudrais en savoir plus sur les origines du san-

mielo justement, car le maitre revient souvent sur la question pendant les

examens, mentit Balloo du mieux possible.

— Sanbudo, Balloo, sanbudo, reprit Hans-Pierre. J’aurais pourtant cru

qu’après tant d’années, tu les connaisses enfin les origines!

— En fait, c’est-à-dire que j’ai pas encore ton âge, mais j’ai quand même

tendance à oublier les choses quand je suis en manque de miel…

— Ça m’étonnerait… Je viens de voir la dernière facture de ShopMe et il

faudra bien que tu commandes moins à l’avenir. Je te rappelle que la crise

menace et que tu devras apprendre à faire des économies!

Page 26: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

26

Symbiose de plusieurs spécialités, le sanbudo était surtout basé sur une

combinaison de jiu-jitsu japonais, le sport des samouraïs, et de karaté. Balloo en

avait découvert l’existence par hasard quelques années plus tôt après s’être luxé

le poignet lors un combat acharné avec un pot de miel à l’ouverture

récalcitrante. Il s’était alors intéressé de plus près aux arts martiaux et avait

décidé de ne plus se laisser battre à plate couture par sa friandise favorite, et

surtout une «ceinture blanche» inexpérimentée.

La petite voiture traversa Frankenwil, la perle de «l’Oberer Zurisee», mais

que tous les autochtones appelait «Franki». La cité médiévale était située sur la

presqu’île qui séparait le lac de Zurique en deux parties nord et sud et n’avait

rien perdu de son charme avec les années. De nombreuses ruelles pavées en

sillonnaient toujours le centre, ponctuées de nombreux petits magasins au

charme désuet qui proposaient toutes sortes de produits. Des kebabs trop

relevés et pas toujours bien cuits y côtoyaient des montres de luxe pas toujours

capables de garder trace du temps, et d’autres à l’utilité plutôt douteuse une

fois achetés par les nombreux touristes à la saison venue.

Balloo aimait bien venir s’y relaxer pendant les vacances scolaires, ses

lunettes de soleil trop grandes sur le museau, tout en sirotant un Sambucha

Carpe Diem Classic avec du miel, sa boisson favorite. Assis sur l’une des chaises

longues installées dès le début du printemps en face du port, il se délectait ainsi

du passage régulier des bateaux. Des flots de passagers de tous les âges en

émergeaient par vagues incessantes. Tous s’amassaient sur un ponton le long

duquel étaient parqués de nombreuses embarcations et d’innombrables

canards en quête de restants de nourriture. L’une d’entre elles, dont il avait

oublié le nom, défrayait régulièrement la chronique régionale, perdant tour à

tour des morceaux, ou sa flottabilité, ou les deux à la fois. Oui, la technologie

swisse n’était à l’évidence plus ce qu’elle avait été, mais Frankenwil, elle,

résistait encore et toujours aux assauts répétés du progrès et des visiteurs.

Un chemin serpentait aussi le long des remparts, tout autour du centre-

ville, accentuant le côté pittoresque de la cité. Il menait au château en

surplomb, transformé depuis en musée dont le restaurant n’attirait que les

Page 27: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

27

visiteurs mal renseignés. En été, la ville était l’hôte de nombreux festivals dont

un particulièrement original dédié aux feux d’artifice. Les romantiques de la

région et les équipes du monde entier s’y retrouvaient aux sons des «oh la belle

rouge» pour le plus grand bonheur des vendeurs de glaces aux prix outranciers.

Pourtant, Frankenwil était aussi désertée qu’un concert de Jasmine

Bünzli pour les moins de cinquante-cinq ans ce soir-là et la petite voiture

continua son chemin sans encombre. Elle traversa le centre et la route sur le

barrage, longeant le pont de bois reconstruit qui faisait la fierté des habitants. Et

le bonheur des palmipèdes en quête d’aires de repos plus stable que les eaux du

lac. Bifurquant sur la droite au passage du Palazzo Del Lago, un hôtel de luxe où

de nombreux séminaires étaient organisés par les entreprises locales, la petite

voiture laissa Frankenwil derrière elle et continua son trajet.

#

Celui d’Üglikon était de loin le plus petit des trois clubs de la région, mais

c’était aussi le plus chaleureux, peut-être de par sa taille. Les visites parfois des

membres d’autres clubs, y compris le plus grand de tous, celui de Bââhles, avec

certains membres duquel Zébri en particulier avait su tresser de vrais liens, n’y

avait rien changé. En conséquence, l’équipe aimait partager son temps et ses

multiples courbatures avec Zoran, Res, Philipp, Karin, Alec, Pasqui, Hammer,

Patrick, Afri et les autres qu’ils retrouvaient tous les mardis et jeudis. Une fois la

voiture garée, la famille se dirigea vers les vestiaires où se trouvaient déjà

quelques-uns des autres sanbudokas.

— «Grüzi mittenand», dit Balloo dans son créole alémanique

approximatif.

Tous lui répondirent correctement sans se moquer de lui et à l’évidence,

il avait fait de réels progrès dans la langue de Guillaume Tell et les deux frères

comme leur père avaient su trouver leur place et vite devenir indispensables.

Les enfants étaient pourtant restés les seuls de leur genre jusqu’à présent.

Après quelques échanges de courtoisies, Balloo enfila avec une fierté

Page 28: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

28

avouée son épais kimono noir Wasuru et l’entoura de sa ceinture couleur miel

qu’il venait d’obtenir, non sans efforts ni sueur, le Noël précédent. Il se

remémora quelques instants son examen, et motivé, se dirigea vers le niveau

inférieur où se trouvait le dojo. Flanqué de son père et de Zébri, habillés eux

aussi entièrement de noir, à l’exception de la ceinture, une blanche pour Zébri

et une shodan-ho bicouleur avant la noire pour son père, Balloo se retrouva

dans le hall jaune criard. Il descendit les escaliers et traversa le long couloir lui

aussi couleur de ceinture pour débutant confirmé. Les voix du maitre et des

juniors présents lui parvinrent de la salle d’entrainement située tout au bout.

Une première séance avait lieu avec eux le mardi que Zébri et Balloo

avaient refusé de joindre malgré leur petitesse, en raison du niveau déjà élevé

de ce dernier, et la nécessité d’un «uke», partenaire d’entrainement, de même

taille. Faisant face au maitre, les jeunes sanbudokas s’alignèrent le moins

bruyamment possible. Ils s’agenouillèrent ensuite pour le salut final, que Zébri

maîtrisait encore mal, et que les genoux du père détestaient absolument, mais

qui était l’un des moments favoris de Balloo.

Les juniors quittèrent le dojo, et les seniors, nus-pieds eux aussi,

pénétrèrent à leur tour sur les épais tatamis de paille de riz bleu nuit après avoir

salué la salle selon la coutume. Rangés par couleurs, avec Zébri d’un côté et le

reste de sa famille éparpillée de l’autre parmi les dix participants ce soir-là, les

seniors s’alignèrent enfin devant le vieux maitre après qu’Alois les ait tous

salués un par un. À l’inverse des genoux de certains, le rituel bien huilé qu’était

le salut final se voulait le contrepoint de celui marquant le début de

l’entrainement, le «zazen» que les seniors s’apprêtaient maintenant à effectuer.

— Mokuso, hajime.

Tous s’agenouillèrent à l’unisson, joignirent leur main droite en creux sur

la gauche pour fermer ensuite leurs yeux et se perdre dans leurs pensées

respectives, en quête de concentration. Balloo en profita pour tenter de faire le

vide dans son esprit et échoua lamentablement, excité à l’idée de partager sa

découverte avec le vieux maitre.

Page 29: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

29

— Mokuso, yame.

Le plantigrade ouvrit à nouveau les yeux, joignit ses deux pattes avants et

se pencha museau au sol pour saluer le maitre en murmurant «oss».

— Kiritsu.

Les élèves se redressèrent au garde-à-vous, telle une armée bien rodée.

L’entrainement commençait toujours par un échauffement assez long

durant lequel les participants devaient tour à tour courir autour de la salle et

sauter tout en exerçant épaules, bras et jambes. Le tempo était déjà élevé ce

soir-là et le maitre n’allait visiblement pas épargner ses élèves, au grand

découragement de Zébri, et de son père, qui transpiraient déjà. Les multiples

étirements progressifs qui s’ensuivirent n’arrangèrent rien et, la langue

pendante, tous deux se résignèrent non sans bâillements à l’exercice suivant qui

consistait à pratiquer toutes sortes de chutes. Frontales, latérales, périlleuses —

les plus difficiles de toutes —, elles étaient l’occasion de pirouettes fracassantes,

tonitruantes et souvent spectaculaires de la part des élèves plus enveloppés.

Heureusement, c’était là pour certains aussi l’opportunité de récupérer un peu,

car le dojo ne pouvait accommoder que deux ou trois élèves, en fonction de

leur corpulence, en vol et en même temps sur une seule ligne. Zébri et Balloo

attendirent donc patiemment leur tour avant de s’élancer avec la grâce d’une

timide ballerine prépubère pour l’un et celle d’un éléphant indien expérimenté

pour l’autre. Savoir léviter comme Dark Balloo était une chose, mais le faire avec

l’élégance requise en était une autre…

Balloo était dans son élément.

Les techniques suivirent et il n’attendait que de pouvoir pratiquer sa

préférée, un enchainement particulièrement compliqué et douloureux pour

l’adversaire, ou le partenaire. Il lui avait été enseigné quelques mois auparavant

lors du congrès mondial de la spécialité, qui s’était tenu au Danemark. On les

avait entassés à l’occasion lui et quelques autres courageux dans un minibus et

pour quatorze longues heures de route à travers le gros canton voisin, mais le

Page 30: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

30

voyage avait soudé leur esprit de camaraderie. Tous avaient alors rencontré à

Vejle quelques-uns des grands Dark Balloos de l’organisation qui régissaient la

discipline. Mais Balloo avait surtout passé du temps en compagnie d’un autre

vieux maitre, canadien celui-là. Il en avait ensuite répété à longueur de temps

les techniques. Devant un miroir qui aurait, dit-on, fondu depuis, car il ne

manquait jamais de s’assurer qu’il était présentable quand l’occasion lui était

présentée et chaque point d’eau rencontré sur son chemin était pour lui

l’opportunité de parfaire sa coiffure.

Elle ne ressemblait déjà plus à grand-chose ce soir-là et la sueur

abondante de la plupart témoignait de l’intensité de l’entrainement. Comme

souvent, les «hauts gradés» durent ensuite prendre soin des débutants à

ceinture blanche ou jaune et choisir un partenaire afin de s’exercer avec lui.

Fidèle aux traditions du jiu-jitsu, maitre Alois mettait un point d’honneur à ce

que le savoir et la maitrise technique fussent transmis aux jeunes générations.

D’un air le plus innocent possible, Balloo prit soin d’éviter le regard de

Zébri. Il voulait garder une chance de s’entrainer avec une jolie nouvelle

fraichement débarquée de son Oberland bairnois, et remarquée quelques

entrainements plus tôt, mais sans jamais avoir eu l’occasion de l’aborder.

L’ourson avait encore assez de mal avec le dialecte de la capitale en plus du

wahalaisan. Il compta pourtant sur son charme naturel fait d’humour pas

toujours fin, mais de rondeurs rassurantes pour entamer les tentatives

d’approche.

Balloo s’inclina pour saluer la jeune fille. Elle fit de même. «Héhéhé, ça

marche à tous les coups» se dit le plantigrade, qui bien qu’arrivant à peine plus

haut que la taille de sa partenaire, ne doutait jamais de rien.

— Grüessech Balloo, dit-elle lentement, i bi de Kareen.

Il la regarda interloqué, se disant quand même qu’elle connaissait son

nom, car c’était le seul mot qu’il avait compris.

— I… iii biii deux Balloo, répondit celui-ci, perdant soudain tous ses

Page 31: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

31

moyens malgré la couleur de sa ceinture.

L’ourson saisit cependant son courage à deux mains, mais garda de la

place dans l’une pour y prendre celle de sa partenaire. La technique impliquait

de s’extirper d’une «prise de revers» à l’aide d’un «atémi», coup de pied aux

jambes ou de main au visage pour choquer l’adversaire suivi d’un bloc du bras,

«en Z» et horriblement douloureux pour lui. Normalement, chacun des

partenaires répétait le même geste trois fois avant de passer la main à

l’adversaire. Il était courant pourtant de laisser les ceintures blanches et jaunes

répéter durant tout l’exercice. Les hauts gradés leur servaient alors de souffre-

douleurs, rôle qui seyait particulièrement bien à Balloo surtout en présence

d’une jolie jeune fille. Il tenait ça de son père qui lui-même n’hésitait que

rarement à rajouter quelques grincements en face d’une partenaire féminine.

Bien qu’optionnel pour la technique, celle-ci se révéla singulièrement

douée pour le broyage de doigts. L’ourson se retrouva vite hors service et se

demanda s’il se proposerait de nouveau à Kareen comme uke avant longtemps.

Quatorze techniques et bien des contusions plus tard, le cours prit bientôt fin, à

son grand soulagement. Les participants s’agenouillèrent à nouveau en

silencieux, exténués, pour le salut final.

— Kiritsu.

Le vieux maitre remercia les participants et tous applaudirent à l’unisson.

Ses élèves s’apprêtèrent ensuite à ranger les tatamis dans un coin de la salle que

les architectes du bâtiment avaient pris soin de dissimuler derrière une porte

coulissante le long d’un mur. Balloo aurait lui aussi bien eu besoin d’un tel

stratagème pour dissimuler son excitation. Il se décida de la cacher derrière un

tapis en aidant Zébri à en porter un, non sans peine. Tous deux se dirigèrent

vers la pile grandissante qu’un sanbudoka assemblait au millimètre avec la

justesse qu’on prête aux Swisses. Un à un, les participants quittèrent alors la

salle en la saluant une dernière fois et prirent le chemin du vestiaire. L’ourson

s’attarda pourtant nonchalamment dans le dojo, ce qui ne manqua pas d’attirer

l’attention du vieux maitre.

Page 32: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

32

— Viens à moi, Balloo, dit celui-ci lentement, mais avec l’assurance

caractérisant son autorité. Je sens en toi le désir de te confier.

— Renshi Alois, bredouilla timidement Balloo, auriez-vous un peu de

temps pour moi?

— Le temps est une notion toute relative Balloo, qui n’a ni début, ni fin, ni

même substance. Je suis honoré que tu aies décidé d’en prendre sur le tien,

bien que nul ne le possède vraiment, pour en passer un peu avec moi.

— Euh, Renshi, j’ai pas bien compris là, il faudrait que je regarde ça sur

Boogle. Mais en attendant, je voudrais vous montrer quelque chose que j’ai

trouvé… Et bien voilà, c’est ça, balbutia Balloo.

Il se dirigea vers son sac de sport duquel il sortit le morceau de caquelon

fossilisé aux symboles mystérieux qu’il conservait depuis dans une pochette. Il

tendit le fragment à son interlocuteur en tremblant quelque peu.

— Vois cette pierre Balloo, car n’en est-elle pas une? dit le vieux maitre en

saisissant le morceau tendu.

Il le porta à hauteur de ses yeux vifs et scrutateurs en forme d’amande.

— J’crois que c’était en fait surtout un caquelon dans une vie antérieure,

Maitre…

— Fait lui-même de pierres, assemblées et cuites selon une recette

ancestrale, pour leur donner forme et pérennité… répondit-il avec un sourire.

— Euh, alors il faut croire qu’ils se sont un peu emmêlé les pinceaux cette

fois, Maitre, car le caquelon il a littéralement explosé après quelques minutes!

— Et pourtant Balloo, cette pierre existe toujours et tu me l’as apportée

aujourd’hui. Pour quelle raison?

— Ben, c’est qu’elle comporte aussi des signes qui ressemblent à du

chinois… Et alors j’ai pensé que peut-être éventuellement vous pourriez

Page 33: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

33

m’aider, euh, à traduire.

— Pourquoi souhaites-tu en connaitre la signification Balloo?

— Parce que je suis rongé par la curiosité et que mes frères se moqueront

de moi si je rentre à la maison sans savoir, voilà pourquoi! admit Balloo tout

penaud et d’un ton pleurnichard.

— La curiosité est le propre de l’homme… et parfois source de grand

savoir. Mais la moquerie des autres n’est-elle pas le reflet de leurs propres

peurs?

Le visage du petit homme sembla soudain s’assombrir en parcourant les

signes du regard. Il se retourna vers son élève en lui tendant le fragment de

caquelon.

— Je vois ici l’occasion pour toi de vaincre les tiennes Balloo…

— Mais Renshi, je suis qu’un ourson encore aveugle et inexpérimenté que

le futur effraie! Et, et… et je comprends rien de ce qui m’arrive, je cherchais

juste du miel ce soir-là!

— Hier est aux anciens, demain est au lointain, mais aujourd’hui seul

t’appartient, et je te laisse révérer ce moment, car d’aucuns l’appellent le

présent1.

Agenouillé jusque-là à même le sol face à son élève, le maitre se leva

enfin. Sans bruit, il prit la direction de la sortie du dojo, qu’il salua en s’inclinant

lentement sur le seuil de la porte. Balloo accompagna le vieil homme du regard.

Ses yeux se fixèrent un dernier instant sur les siens.

Le maitre poursuivit, d’un air grave.

— Quant aux symboles gravés sur le fragment, ils se traduisent par:

«sauvez-nous».

Il quitta les lieux, laissant Balloo à ses démons.

Page 34: Operation Cheesestorm (extraits)

Opération Cheesestorm

34

LISEZ LA SUITE EN TÉLÉCHARGEANT L’EBOOK SUR AMAZON!

RETROUVEZ LES HEROS ET L’AUTEUR SUR:

www.facebook.com/operationcheesestorm

www.operationcheesestorm.com

1 D’après une citation d’Alice Morse Earle, elle même basée sur des sources plus anciennes

et extraite de son livre «Sun Dials and Roses of Yesterday», 1902.