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OLIVIER BEAUD THÉORIE DE LA FÉDÉRATION PARIS, PUF, 2007 (2E ÉDITION MAI 2009), 425 PAGES. Thierry Chopin Presses de Sciences Po | Critique internationale 2010/1 - n° 46 pages 187 à 193 ISSN 1290-7839 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2010-1-page-187.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Chopin Thierry, « OLIVIER BEAUD Théorie de la Fédération Paris, PUF, 2007 (2e édition mai 2009), 425 pages. », Critique internationale, 2010/1 n° 46, p. 187-193. DOI : 10.3917/crii.046.0187 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of North Carolina - - 152.2.176.242 - 13/04/2013 01h50. © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of North Carolina - - 152.2.176.242 - 13/04/2013 01h50. © Presses de Sciences Po

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OLIVIER BEAUD THÉORIE DE LA FÉDÉRATION PARIS, PUF, 2007 (2EÉDITION MAI 2009), 425 PAGES. Thierry Chopin Presses de Sciences Po | Critique internationale 2010/1 - n° 46pages 187 à 193

ISSN 1290-7839

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2010-1-page-187.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Chopin Thierry, « OLIVIER BEAUD Théorie de la Fédération Paris, PUF, 2007 (2e édition mai 2009), 425 pages. »,

Critique internationale, 2010/1 n° 46, p. 187-193. DOI : 10.3917/crii.046.0187

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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OLIVIER BEAUD

Théorie de la FédérationParis, PUF, 2007 (2e édition mai 2009),

425 pages.

par Thierry Chopin la littérature scientifique portant sur lefédéralisme est abondante ; celle con-sacrée à la notion spécifique de« Fédération » l’est beaucoup moins.

On a même pu dire que toute tentative de clarification de cette notiondans le domaine de la pensée politique et de la théorie juridique relevaitde la gageure, tant son histoire peut être considérée comme l’« histoired’un concept impensable », notamment en France pour des raisons quitiennent à l’existence d’une culture politique et juridique stato-centrée 1.Les évolutions actuelles de la construction européenne, ainsi que la réfé-rence à la Fédération pour décrire l’une des formes politiques possiblesde l’Union, appellent des clarifications autant que des avancées. Tel estl’objectif de la Théorie de la Fédération de Olivier Beaud, professeur àl’Université Paris II-Panthéon Assas. Dans ce remarquable ouvrage dethéorie du droit, l’auteur veut avant tout redonner au mot« Fédération » une dignité conceptuelle et juridique 2. Cette entreprisede réhabilitation s’inscrit dans une double perspective polémique,contre la doctrine du droit public en France sur ce sujet, d’une part,contre la théorie dominante du fédéralisme, d’autre part. En effet, lapremière ne comprend la Fédération qu’à partir de la forme politico-juridique de l’État – que ce soit l’État fédéral ou la confédérationd’États 3 –, tandis que la seconde la réduit le plus souvent à une simpletechnique de séparation des pouvoirs et voit dans le fédéralisme un

1. Olivier Beaud, « Fédéralisme et Fédération en France : histoire d’un concept impensable ? », Annales de la facultéde droit de Strasbourg, nouvelle série n˚3, Presses universitaires de Strasbourg, 2000.2. Il convient de préciser que les notions de « Fédération » et de « fédération » doivent être distinguées. O. Beaudprécise dans l’ouvrage recensé : « Si la Fédération est un corps unique, elle est composée de plusieurs États membres(…). La fédération, en tant qu’instance fédérale de la Fédération, incarne son pôle unitaire tandis que les Étatsmembres représentent son pôle “pluralitaire” » (p. 159-160).3. L’ouvrage de référence en langue française sur la théorie de l’État fédéral est celui de Louis Le Fur, État fédéral etconfédération d’États (1896), réédition, Paris, Éditions Panthéon Assas, 2000.

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moyen du gouvernement libre (self-government), et non une entité poli-tico-juridique spécifique 4. Dans la première partie de son ouvrage, O. Beaud s’attelle donc à « sortir laFédération de l’orbite de l’État », c’est-à-dire à autonomiser le concept enle « désétatisant », pour reprendre le néologisme de l’auteur. Dans La puis-sance de l’État, publié aux PUF en 1994, il avait défini la forme politique etjuridique étatique à partir de son critère central, la souveraineté, conçue àla fois comme principe de suprématie politique et juridique (s’incarnantnotamment dans le pouvoir constituant) mais aussi comme principed’omnicompétence ou d’indivisibilité des prérogatives régaliennes. DansThéorie de la Fédération, il tente cette fois de dégager les principes constitu-tifs de la Fédération qui sont irréductibles à ceux de l’État (pluralité vs. uni-cité du pouvoir, partage des compétences vs. indivisibilité de la puissancepublique) 5. Fondamentalement, la Fédération renvoie à l’idée d’associationde plusieurs entités étatiques qui cherchent à conserver leur existence poli-tique en rejoignant un ensemble plus vaste bénéficiant d’une autonomieinstitutionnelle. Cela signifie que la Fédération, au sens moderne du terme,est certes une Union, mais une Union d’États.Le principe de pluralité a pour corollaire la notion de « pacte ». Dans laseconde partie de son ouvrage, O. Beaud insiste sur l’élément contractuel quiest au fondement de la forme fédérative, et cette référence à la « convention »est précieuse, dans la mesure où elle montre que les entités politiques quicomposent la « Fédération » ont décidé librement et volontairement des’associer pour former une Union. C’est bien ce « pacte » qui différencie laFédération de l’Empire, dans lequel l’appartenance des entités à un vasteensemble repose sur la contrainte et non sur la libre décision. Dans le même temps, O. Beaud montre que ce fondement contractueln’implique pas une réduction de la Fédération au modèle confédéral. Loind’être un simple traité de droit international, le pacte fédératif se rap-proche d’un acte de type constitutionnel puisqu’il crée une véritable« institution » fédérative qui bénéficie d’une autonomie vis-à-vis desordres juridiques fédérés. L’« ambivalence constitutive de la Fédération »permet ainsi de justifier la spécificité de cette entité politique à la foisdotée d’une autonomie juridique et coexistant, voire interagissant avec lesÉtats qui la composent. C’est à partir du moment où ces critères

4. Sur l’identification du fédéralisme à la démocratie constitutionnelle, voir par exemple Carl J. Friedrich, Tendancesdu fédéralisme en théorie et en pratique (1968), Bruxelles, Institut belge de sciences politiques, 1971.5. Soit le principe de dualité fédérative (il y a deux puissances publiques dans une Fédération), le principe de paritéfédérative (les deux ordres juridiques, fédéral et fédéré, sont dans une relation horizontale d’égalité) et le principe depluralité fédérative (il y a une fédération, mais nécessairement plusieurs États membres).

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spécifiques sont dégagés que l’on saisit le mieux ce qui constitue, selonnous, l’apport de premier plan de l’ouvrage. La théorie juridique de laFédération formulée par O. Beaud enrichit notre compréhension des rap-ports entre l’Union et ses États membres. L’auteur démontre en effet de manière exemplaire, notamment dans la troi-sième partie de l’ouvrage, que la création et le processus d’agrandissementde l’Union ont un impact sur la transformation (la « métamorphose » ditl’auteur) des États qui la composent. À cet égard, les arguments développésen particulier sur la question de l’entrée dans une Fédération renouvellentnotre manière d’appréhender le phénomène fédéral. On l’a vu, le principe d’appartenance à la Fédération repose sur la libredécision. Or, si elle évidente pour les États qui ont formé l’Union à l’ori-gine, cette liberté l’est beaucoup moins pour un État qui rejoint la Fédé-ration déjà formée. Certes, il y a une égalité de principe entre les États quisouhaitent entrer dans la Fédération et ceux qui en sont déjà membres 6,mais dans les faits on constate une dissymétrie entre les premiers et lesseconds. Un État qui se porte candidat pour être admis dans une Fédéra-tion est forcément dans une situation d’inégalité par rapport à ceux quiont le pouvoir de l’admettre. L’Union et ses États membres ont le pouvoirde juger s’il est finalement légitime ou non de l’accepter dans leur« club ». Certes, cette inégalité disparaît dès que l’État candidat devientmembre de la Fédération, mais cela ne doit pas faire oublier que la procé-dure d’admission relève entièrement du droit interne à la Fédérationcomme en témoignent les critères de Copenhague et l’acquis communau-taire de l’Union européenne. Dans la quatrième partie de l’ouvrage, O. Beaud centre son analyse sur laquestion fondamentale des finalités (telos) 7, dont il met en évidence lanature potentiellement contradictoire : « fin particulariste » des Étatsmembres, qui souhaitent, tout en s’associant à une union plus large, con-server leur existence politique et in fine leur identité ; « fin commune »de la Fédération qui rappelle que si des États cherchent à s’associer, c’estprécisément parce que le statu quo ne leur convient plus et qu’ils souhai-tent s’engager dans des perspectives d’action commune à une échelle pluslarge (les questions de « sûreté fédérative » ou de défense communeétant généralement les principales justifications de l’existence d’une

6. L’article IV, section 3, al. 1 de la Constitution américaine, par exemple, est souvent interprété comme établissantune « doctrine de l’égalité des États ».7. En cela, l’auteur s’inscrit dans la lignée des travaux de Martin Diamond, notamment « The Ends of Federalism »,dans William A. Schambra (ed.), As Far as Republican Principles Will Admit: Essays by Martin Diamond, WashingtonDC, The AEI Press, 1992.

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Fédération 8). Or c’est précisément ce conflit de finalités qui non seule-ment rend toute expérience d’union fédérative potentiellement instable,mais aussi implique que les décisions prises au sein de l’Union soientnécessairement le produit de compromis politiques, tant il est vrai qu’« iln’y a pas de Fédération sans une sorte de “juste milieu” qu’elle est censéedessiner pour faire droit à ces fins contradictoires » (p. 280).Dans la cinquième et dernière partie de l’ouvrage, O. Beaud met un point finalà sa démonstration en faveur d’une théorie de la Fédération comme forme poli-tique spécifique dotée d’une autonomie propre. Il aborde pour cela la questionde son articulation avec les divers régimes politiques. Au-delà de la questionpolitico-institutionnelle centrale de la représentation des États au sein d’uneFédération, l’auteur reprend ici le thème classique dans l’histoire de l’idée poli-tique fédérative du lien entre le fédéralisme et le gouvernement républicain. Sil’on veut s’exprimer en termes plus contemporains, une Fédération doit-ellereposer sur un régime démocratico-libéral ? Ses États doivent-ils par ailleursrépondre au principe d’« homogénéité républicaine » qui veut que tous con-naissent également la forme de gouvernement républicain ? Les exemples desdroits constitutionnels américain et suisse tendraient à montrer que la réponseà ces deux questions est plutôt positive 9, mais cette conclusion est aussitôt con-tredite par l’expérience de la Confédération germanique de 1815, qui fut régiepar le principe de l’homogénéité monarchique des entités qui la composaient,et par celle du second Reich allemand devenu lui-même monarchique. On peut tirer de ces développements deux leçons importantes pour unethéorie de la Fédération : la première est qu’une « règle de l’homologie (…)doit exister entre la forme de gouvernement fédérale et la forme de gouver-nement fédérée » (p. 417), que ce régime politique soit républicain oumonarchique ; ensuite, que la distinction entre la forme politique et la formede gouvernement s’applique au cas de la Fédération, ce qui démontre in fineque cette dernière est une entité politique spécifique et un sujet de droit entant que tel, indépendamment du régime politique de l’entité fédéralecomme des entités fédérées. Les développements qui précèdent visaient à présenter les éléments les plussaillants de la thèse de l’auteur et à indiquer le grand intérêt de sa Théorie de

8. Voir les problèmes épineux sur lesquels ne cesse de buter l’Union européenne pour développer une véritable poli-tique étrangère et une politique de défense, lesquelles sont placées au cœur de la souveraineté de l’État. L’histoire dela construction européenne peut être appréhendée en opposition à celle des modèles fédéraux « classiques » qui ontprocédé au transfert du pouvoir en matière de politique étrangère au profit de l’Union. Ainsi, le rejet de la Commu-nauté européenne de défense (CED) en 1954 peut être interprété comme le refus de constituer l’Europe sur le modefédéral, c’est-à-dire sous la forme d’une Fédération politique.9. Ainsi la Constitution américaine stipule-t-elle que « les États-Unis garantiront à chaque État de l’Union uneforme républicaine de gouvernement » (art. IV, sec. 4).

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la Fédération. À l’issue de la lecture de cet ouvrage, on peut cependant for-muler un certain nombre d’interrogations.La première est d’ordre méthodologique. Si le lecteur sait gré à O. Beaudd’avoir entrepris de manière systématique de dégager les principes consti-tutifs de la Fédération et d’avoir appuyé sa démonstration sur une connais-sance savante tant de la théorie du droit que de l’histoire constitutionnellecomparée (notamment de l’Allemagne, des États-Unis et de la Suisse), il sedemande régulièrement si la Fédération est ici considérée comme un con-cept juridique ou comme une notion historique. Il est assez clair queO. Beaud inscrit sa démarche dans la perspective de l’« histoire desconcepts » telle que la conçoit Reinhart Koselleck 10, et qu’il cherche àrenouveler l’histoire du concept de Fédération, tentative d’autant plusimportante qu’il s’agit en France, nous l’avons dit, d’un « conceptimpensable » et d’une « histoire interdite ». Or, prévient R. Koselleck, « leconcept et la catégorie historiques sont fréquemment recouverts par lemême terme ; il est alors d’autant plus important de différencier leuremploi » 11. La démonstration aurait été sans doute enrichie si l’auteurs’était livré plus systématiquement à cet effort de distinction. Il aurait ainsiévité de subsumer sous une seule et même catégorie une diversité d’expé-riences fédérales au risque de méconnaître la spécificité de tel ou tel cas par-ticulier. C’est là probablement l’une des grandes difficultés de toutetentative s’efforçant de dégager les principes à placer au fondement d’unethéorie juridique générale qui vise à l’unité du concept – ou à une « notionautonome » – à partir d’un matériau empirique qui, certes, mérite d’êtresystématisé mais qui repose en même temps sur des expériences historiquespar nature singulières. La question incontournable est dès lors la suivante :comment articuler la vocation à la généralité inhérente à toute entreprisethéorique sur le fait de la particularité du matériau empirique mobilisé ? Cette interrogation porte également sur l’un des partis pris, là encoreméthodologique, de l’auteur, qui consiste à adopter une voie moyenneentre ce qu’il appelle l’« hyperthéorie » et l’« hypothéorie », c’est-à-direentre une « théorie sans pratique » et une « pratique sans théorie ». Nousnous accordons avec lui pour considérer que la « déviation théoricienne »et l’« empirisme radical » constituent deux écueils, et que la théorie et lapratique doivent être articulées ensemble (tant dans le domaine du droitque dans celui des sciences politiques, soit dit en passant), sous peine de

10. Reinhart Koselleck, L’expérience de l’histoire, Paris, Gallimard, Le Seuil, 1997 et Le futur passé : contribution à lasémantique des temps historiques, Paris, Éditions de l’EHESS, 2000.11. R. Koselleck, Le futur passé : contribution à la sémantique des temps historiques, op. cit., chap. 5, p. 308.

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fournir une analyse désincarnée du phénomène étudié. Néanmoins, et demanière paradoxale, le lecteur peut avoir parfois l’impression quel’argumentation de O. Beaud ne parvient pas toujours à préserver l’équi-libre entre ces deux exigences et fait pencher la balance du côté d’unethéorie qui aurait tendance à se couper de la réalité des faits politiques. Cesentiment aurait peut-être pu être contrebalancé par une attention plusgrande portée au cas de l’Union européenne en effectuant un va-et-vientplus systématique entre les idées et les faits. C’est précisément sur ce point que porte le second ensemble d’interroga-tions. Si l’on peut lire, dans les premières lignes de l’introduction del’ouvrage que « ce projet d’une théorie de la Fédération est bien né du défiintellectuel posé par la construction européenne » (p. 11), ou encore que« l’objectif initial [était] de comprendre l’Union européenne, de sorte que laperspective européenne a, en partie, déterminé notre questionnement et nosréponses » (p. 23), il est frappant que le cas de l’Union européenne ne soit pasmobilisé comme élément du matériau empirique très riche rassemblé parO. Beaud, ou pour évaluer la validité et la pertinence de la méthode retenue,notamment par sa capacité heuristique à rendre compte de la complexité desexpériences d’union fédérative, et notamment de celle d’intégration commu-nautaire. Cela aurait été d’autant plus utile que la confrontation de la théoriejuridique de la Fédération proposée à la réalité communautaire aurait permisde discuter et peut-être de nuancer certains arguments. À titre d’exemple, les développements consacrés à « la règle de majoritécomme illustration de la nature corporative (ou institutionnelle) de laFédération » auraient gagné à être complétés par une analyse sur l’usage de larègle de l’unanimité sur un grand nombre de sujets au sein du Conseil desministres de l’UE. De la même manière, les développements sur l’admissionde nouveaux États dans la Fédération auraient pu trouver un terrain d’appli-cation avec la question complexe et épineuse de l’élargissement de l’UE 12. Ence qui concerne la nature des rapports entre la Fédération et ses États mem-bres, il est vrai, comme le dit O. Beaud, que le principe de « paritéfédérative » est un principe clé, mais il conviendrait de s’interroger sur leprincipe de l’égalité entre les États membres d’une Fédération et ici encore lecas de l’UE aurait été intéressant à analyser. En effet, si le processus d’adhé-sion à l’Union implique en droit une égalisation entre les puissances des États

12. Les questions sont nombreuses : elles peuvent porter sur les modalités concernant la décision d’admission priseà la majorité ou à l’unanimité ; sur les effets de l’admission sur le nouvel entrant (acceptation en bloc du pacte fédé-ratif ou possibilités de dispositifs dérogatoires du type opt-out) ; les développements sur les « États membres virtuelsou potentiels dans la Fédération » intéressent directement les Balkans occidentaux, et notamment le Kosovo.

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qui s’unissent, cette égalisation n’est que relative et la question de la « taille »des États – question classique de la philosophie politique comme de lagéopolitique – qui s’associent ou qui souhaitent rejoindre l’Union (voir lescas de la Turquie et de l’Ukraine) devrait être prise en compte dans le cadred’une théorie de la Fédération soucieuse de respecter les faits. On pourraitmultiplier les exemples.On voit dans cette série d’interrogations apparaître en contrepoint la richessede la théorie de la Fédération de O. Beaud. Cet ouvrage nous paraît incon-tournable aujourd’hui, même si, comme l’auteur le reconnaît lui-même, il enfaudrait un autre « pour répondre à la question inaugurale du présentouvrage : l’Union européenne est-elle une Fédération ? ». Nul doute quel’auteur nous fournit un grand nombre d’éléments pour tenter de répondre àcette question fondamentale de la dénomination juridique et politique de lanature même de l’Union européenne. Dans un très beau texte, Pierre Manent a remarqué que les Européenss’étaient récemment « dépouillés » d’un type de savoir qui nous permettait« sinon de résoudre, du moins de formuler les questions urgentes qui seposent à nous : la science politique classique qui s’attache principalement à laforme et au régime politiques » 13. Il nous semble précisément que l’une desquestions les plus urgentes qui se posent à la politique européenne est celle dela dénomination de l’Union européenne, et que l’une des clefs d’entrée danscette réflexion complexe réside dans l’analyse de la transformation des formespolitiques en Europe. C’est avec cette grande tradition que renoue O. Beaud, et c’est l’urgence decette question de la nature de l’Union européenne qu’il pointe dans toute saclarté avec sa Théorie de la Fédération. ■

Thierry Chopin est docteur en science politique de l’École des hautes études en sciencessociales (EHESS, Paris). Il est actuellement directeur des études de la FondationRobert Schuman. Professeur au Collège d’Europe (Bruges), il enseigne également àMines ParisTech (Corps des Mines) et à Sciences Po. Il est expert associé au Centred’études et de recherches internationales (CERI/Sciences Po). Ses travaux actuelsportent sur le système politique communautaire et sur la problématique de la crisede légitimité de l’Union européenne. Il a publié entre autres La République « une etdivisible ». Les fondements de la Fédération américaine (Paris, Plon, 2002), etcodirigé récemment le Dictionnaire critique de l’Union européenne (Paris, ArmandColin, 2008). Adresse électronique : [email protected]

13. Voir Pierre Manent, « Frontières culturelles, frontières politiques », Commentaire, 112, hiver 2005-2006, p. 821.

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