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RJP 2015-1 (Novembre)
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Olivia Sabard Professeur de droit privé, Université de Tours
Carine Laurent-Boutot Maître de conférences en droit privé, Université d’Orléans
CRJP - FDEG - ITP NORMATIS - Université d’Orléans
Revue Juridique Pothier
UFR Collegium d’ITP Droit, Economie, Gestion
Rue de Blois – BP 26739 - 45067 Orléans cedex 2
www.univ-orleans.fr/crjp
RJP 2015-1 (Novembre)
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Sommaire
Novembre 2015
Editorial ................................................................................................................................................... p.5
Chronique de jurisprudence des Master 2 de droit privé
- Master 2 droit des affaires et fiscalité, par les étudiants
o Procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire et preuve de
l’insolvabilité du débiteur ................................................................................................ p.6
o Action paulienne exercée par l’administration fiscale ................................................... p.9
o Absence de devoir de mise en garde par le banquier dispensateur de crédit à
l’égard des emprunteurs avertis ...................................................................................... p.14
o Clôture d’un compte bancaire professionnel .................................................................. p.22
o L’inefficacité de la clause résolutoire d’un bail commercial en procédures
collectives ......................................................................................................................... p.25
o Recevabilité et bienfondé d’une action en responsabilité délictuelle fondée sur
une inexécution contractuelle ........................................................................................... p.28
o Demande en paiement du solde débiteur d’un compte-joint ........................................... p.33
o L’interruption de prescription de l’admission des créances dans les
procédures collective ........................................................................................................ p.36
o Le refus d’exonération de la taxe annuelle de 3% sur la valeur vénale des
immeubles possédés en France ....................................................................................... p.41
o Garantie financière et défaillance des intermédiaires d’assurance ................................ p.46
o L’état de cessation des paiements déterminé par le défaut de paiement des
sommes d’un titre exécutoire ............................................................................................ p.53
o L’impossible mise en œuvre par le débiteur du bénéfice de subrogation, droit
exclusif de la caution ........................................................................................................ p.58
- Master 2 droit social et gestion des ressources humaines, par les étudiants
o Période d’essai ................................................................................................................. p.63
o Co-emploi ......................................................................................................................... p.67
o Contrat à durée déterminée ............................................................................................. p.72
o Rupture du contrat de travail ........................................................................................... p.79
Résiliation amiable du contrat de travail
Démission
Prise d’acte
Licenciement économique
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- Master 2 droit et gestion du patrimoine privé
o Assurance et gestion de patrimoine : deux ans de jurisprudences berruyères et
orléanaises : (janvier 2013 – juin 2015) : par Matthieu Robineau, Maitre de
conférences en droit privé, Co-Directeur du Master 2 DGPP .......................................... p94
Articles et mémoires
- De la responsabilité à la responsabilisation des dirigeants : Article de Monsieur Iony
Randrianirina, Docteur en droit privé de l’Université de Poitiers, Centre d’Études sur
la Coopération Juridique Internationale (FRE 3500), Attachée Temporaire
d’Enseignement et de Recherche à l’Université de Saint-Étienne ............................................... p.107
- La responsabilité de l’Opérateur du Transport Multimodal en doit français :
Mémoire De Monsieur Będkowski Szymon ................................................................................ p.125
Brèves ....................................................................................................................................................... p.161
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Editorial
En cette fin d’année 2015, j’ai le plaisir de vous annoncer la publication du troisième numéro de la
Revue juridique Pothier.
Fidèle à l’esprit de la revue, ce numéro met en avant les travaux des étudiants de master.
De nouvelles chroniques de jurisprudence des cours d’appel d’Orléans et de Bourges ont été réalisées.
Après sélection des arrêts mis à leur disposition par les greffes de ces juridictions – que nous
remercions pour leur collaboration –, les étudiants de master 2 ont rédigé des notes d’arrêts. M.
Robineau, maître de conférences à l’Université d’Orléans, a accepté lui aussi de se prêter à l’exercice
pour cette livraison.
Un mémoire de recherche de master 2 en droit des transports est également publié. Il est l’œuvre d’un
étudiant du M2 affaires européennes et internationales délocalisé à l’Université de Jagellonne à
Cracovie.
La Revue juridique Pothier a également vocation à publier les travaux de recherche des enseignants-
chercheurs. Dans ce numéro, une étude empruntant au droit de la responsabilité et au droit des sociétés
a été choisie.
Pour finir, j’aimerais profiter de cet éditorial pour annoncer que je quitte mes fonctions de directrice
scientifique de la revue. Nommée à l’Université de Tours, il me paraît naturel de laisser la place aux
membres de l’équipe orléanaise.
Je tiens à remercier Carine Laurent-Boutot et Laurence Sallé pour leur implication importante et avec
qui j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler sur ce projet.
En vous souhaitant une belle lecture,
Olivia Sabard
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Chronique de jurisprudence des Master 2 de droit privé
Chronique de jurisprudence des étudiants de
Master 2
Droit des affaires et fiscalité
1) Procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire et preuve de
l’insolvabilité du débiteur
Cour d’appel d’Orléans (chambre commerciale, économique et financière) 29 janvier 2015
n° RG : 14/02226
Exposé du litige :
Monsieur Brice LE R. a saisi la commission de surendettement des particuliers d'Indre et
Loire d'une demande de traitement de sa situation de surendettement. Cette demande a été
déclarée recevable et la commission a imposé un rééchelonnement de tout ou partie de ses
dettes sur une durée de 96 mois en prévoyant des remboursements mensuels de 1.009 euros et
a recommandé l'effacement partiel des dettes restantes à l'issue de ce délai.
La Société Générale et Monsieur LE R. ont contesté ces mesures devant le tribunal d'instance
de Tours qui, par jugement en date du 12 juin 2014, a fixé la capacité de remboursement
mensuel du débiteur à 867 euros et a élaboré un nouveau plan avec effacement partiel des
dettes restantes à l'issue.
Monsieur L. a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 26 juin 2014.
Devant la cour il fait valoir qu'il s'est désormais installé en Guadeloupe où il a créé une
société ; qu'il perçoit une rémunération mensuelle actuelle de 1.000 euros qui devrait
parvenir d'ici quelques mois à 1.300 euros ; que ces revenus lui permettent très difficilement
de faire face à ses dépenses courantes et qu'il doit en conséquence être retenu qu'il ne dispose
d'aucune capacité de remboursement. Il sollicite le bénéfice d'une mesure immédiate de
rétablissement personnel sans liquidation judiciaire.
Aucun créancier n'a comparu. Le RSI, la Banque populaire, le Centre des finances publiques
de Montbazon, le Centre national du chèque emploi service universel, BNP Paribas et le
Crédit Mutuel ont écrit pour faire connaître le montant de leur créance.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :
Attendu qu'il résulte du dossier que le montant total des dettes de Monsieur LE R. s'élève à
plus de 405.000 euros ;
Que lorsqu'il a statué, le tribunal a retenu que le débiteur percevait des ressources
mensuelles de 2.927 euros, ce qui est toujours le cas puisqu'en sus de ses revenus, il continue
de recevoir des indemnités de Pôle Emploi qui lui permettent de continuer à bénéficier des
mêmes ressources mensuelles ;
Que le tribunal a également retenu qu'il devait supporter des charges s'élevant à 2.060 euros,
ce qui apparaît encore une fois correspondre à sa situation actuelle puisqu'il justifie de frais
de :
-loyer : 500 euros
- versement de pension alimentaire : 350 euros
- forfait charges de la vie courante augmenté de 20% pour tenir compte du coût de la vie en
Guadeloupe : 880 euros
- impôts : 324 euros ;
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Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le
tribunal ;
Attendu que Monsieur LE R. fait cependant valoir qu'il cessera de percevoir des indemnités
de chômage dans 6 ou 7 mois et qu'il ne pourra alors plus affecter la moindre somme au
remboursement de ses créanciers ;
Mais attendu qu'il n'est nullement démontré que Monsieur LE R., qui vient de commencer son
activité, ne pourra pas bénéficier de meilleurs revenus dans quelques mois, et qu'il est en tout
état de cause constant qu'il dispose actuellement de ressources lui permettant d'honorer sans
difficultés majeures les échéances mises à sa charge par le tribunal ;
Qu'il appartiendra à Monsieur LE R., si ses ressources diminuent, de saisir à nouveau la
commission de surendettement afin de bénéficier de mesures de suspension ou de diminution
des mensualités de remboursement mises à sa charge mais que, sa demande de traitement
ayant été déposée en janvier 2013, il ne saurait être retenu qu'il démontre aujourd'hui être
dans une situation irrémédiablement compromise qui ne lui permettra pas, dans les 6 années
à venir, de verser la moindre somme à ses créanciers et justifie l'effacement immédiat d'un
passif de plus de 405.000 euros ;
Que Monsieur LE R. ne saurait donc être exonéré aujourd'hui de tout paiement au motif d'une
situation qui sera peut-être prochainement plus difficile et que sa contestation des
dispositions retenues par tribunal n'apparaît dès lors pas fondée, ce qui conduit à confirmer
entièrement le jugement déféré ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME la décision entreprise,
LAISSE les dépens d'appel à la charge du Trésor Public.
Commentaire : Le débiteur n’apportant pas la preuve de sa situation irrémédiablement
compromise au jour de l’audience ne peut solliciter l’ouverture d’une procédure de
rétablissement personnel sans liquidation judiciaire.
La demande d’ouverture d’une procédure de rétablissement personnel par un débiteur, sur
le fondement des articles L. 332-5 et suivants du Code de la consommation, permet à ce
dernier d’obtenir, en cas d’homologation par le juge et de l’absence de contestation de ses
créanciers, l’effacement de l’ensemble de ses dettes non-professionnelles.
La commission de surendettement des particuliers d’Indre et Loire a été saisie d'une
demande de traitement de sa situation de surendettement. Cette demande a été déclarée
recevable et la commission a imposé un rééchelonnement des dettes du débiteur sur une durée
de huit années, prévoyant des remboursements mensuels à hauteur de 1.009 euros,
recommandant par cette occasion l'effacement partiel des dettes restantes à l'issue de ce délai.
La Société Générale, créancière, et le débiteur ont contesté ces mesures devant le tribunal
d'instance de Tours. Le 12 juin 2014, la juridiction de première instance a fixé la capacité de
remboursement mensuel du débiteur à hauteur de 867 euros et a élaboré un nouveau plan avec
effacement partiel des dettes restantes. En date du 26 juin 2014, le débiteur a interjeté appel
du jugement rendu en première instance.
Le débiteur émet des prétentions lors de l’audience d’appel : il invoque un certain nombre
de faits, dont la création d’une société en Guadeloupe, à proximité de son domicile. De sa
nouvelle activité, il perçoit une rémunération mensuelle de 1.000 euros, qui devrait augmenter
quelques mois plus tard de 30% (1.300 euros) ne lui permettent pas de faire face aux dépenses
courantes et, en conséquence, il soutient qu’il ne dispose d'aucune capacité de
remboursement. Selon le débiteur, se retrouvant dans une situation irrémédiablement
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compromise, l'ouverture immédiate d'une mesure de rétablissement personnel sans liquidation
judiciaire serait nécessaire.
La Cour d’appel d’Orléans, dans un arrêt rendu le 29 janvier 2015, confirme le jugement
rendu en première instance, indiquant que le débiteur ne pourra saisir la commission qu’après
avoir apporté la preuve d’une diminution de ses revenus. En effet, au jour du prononcé de
l’arrêt, le débiteur dispose d’une capacité de remboursement, ce qui est contraire à
l’insolvabilité qu’il prétend.
La procédure de rétablissement personnel, dite également « procédure Borloo », concerne
les personnes physiques surendettées dont la situation est compromise de façon irréversible1.
Cette procédure suspend l’ensemble des procédures de saisie ou d'expulsion jusqu'au
jugement d'ouverture, interdit à l'intéressé de céder ou donner ses biens. Elle permet
également l’effacement de l’ensemble des dettes du débiteur.
Lorsque la situation de l'intéressé est irrémédiablement compromise et qu'il ne possède que
des meubles nécessaires à la vie courante (soit aucun actif saisissable), des biens dont les frais
de vente seraient manifestement disproportionnés au regard de leur valeur vénale et des biens
non professionnels indispensables à l'exercice de son activité professionnelle, la commission
peut recommander une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire.
Une fois que les propositions de la Commission sont homologuées par le juge et en
l'absence de contestation des créanciers, cette procédure entraîne l'effacement de toutes les
dettes non professionnelles de l'intéressé. En cas d’homologation par le juge, l’ensemble des
dettes personnelles du débiteur, d’une valeur totale de 405.000 euros, seraient effacées. Il est
nécessaire que le débiteur justifie que son insolvabilité le plaçant dans une situation
irrémédiablement compromise résulte d’une réalité économique. Afin de bénéficier d’une
procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire, le débiteur doit apporter la
preuve qu’il n’est pas à l’origine de son insolvabilité.
La bonne foi du débiteur se présume2. Les faits constitutifs de la mauvaise foi doivent être
en rapport direct avec la situation de surendettement du débiteur. Un débiteur qui aurait été
déclaré irrecevable à bénéficier des procédures de désendettement en raison de sa mauvaise
foi peut ainsi, s’il démontre l’existence d’éléments nouveaux de nature à conduire à une
analyse différente de sa situation, être considéré de bonne foi et voir sa demande suivante
déclarée recevable3. Selon cette interprétation, un débiteur de mauvaise foi peut devenir de
bonne foi. Sa situation n’est jamais figée.
L’intérêt de l’arrêt réside au niveau de l’interprétation souveraine des juges du fond au
regard de la situation objective du débiteur afin de savoir s’il se trouve dans une situation
irrémédiablement compromise, c’est à dire dans l’impossibilité de faire face à l’ensemble de
ses dettes avec l’ensemble de ses dettes avec l'ensemble de ses biens et revenus, y compris le
cas échéant au regard des perspectives d'augmentation de son revenu. Le caractère objectif de
la situation du débiteur est regardé comme un critère d‘extériorité, c’est-à-dire provenant
d’une succession d’évènements extérieurs à la volonté du débiteur.
Usant pleinement de son pouvoir de contrôle, la Cour de cassation, sans pour autant
remettre en cause la souveraineté du pouvoir de qualification des faits des juges du fond,
veille à la cohérence interne de leur motivation. Elle s’assure que les faits retenus par les
juges du fond pour refuser le bénéfice de la procédure soient de nature à caractériser la
mauvaise foi. On peut ainsi citer la cassation de décisions d’irrecevabilité fondées sur
1 Art. L. 332-5 C. Cons.
2 Cass. 1
re civ., 4 avril 1991, n° 90-04.042 et n° 90-04.004 (2 arrêts) ; Bull. civ. I, n° 124 et 126 ; JCP 1991, II,
21702, concl. Flipo, note Picod ; D. 1991, p. 307, note Bouloc. 3 Cass. 2
e civ., 10 février 2005, n° 03-17.068, Bull. civ. II, n° 30 ; Contrats, conc., consom. 2005, comm. 121,
note G. Raymond ; Cass. 2e civ., 15 septembre 2005, n° 04-04.104, Bull. civ II, n° 221 ; RTD com. 2005, p. 854.
obs. G. Paysant.
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l’omission du débiteur de déclarer des créances lors d’une précédente demande de règlement
du surendettement sur sa négligence dans la formulation de sa demande de traitement de
surendettement4.
La situation personnelle du débiteur est vérifiée par les juges du fond. L’arrêt s’inscrit dans
une évolution jurisprudentielle en matière de surendettement des particuliers. La
jurisprudence se montre protectrice envers les créanciers d’un débiteur insolvable eu égard au
montant de leur créance. le principe selon lequel la bonne foi du débiteur se présume en
matière de surendettement n’est pas toujours respecté, il s’agit d’une analyse jurisprudentielle
au cas par cas. En l’espère, on imagine mal la bonne foi du débiteur se retrouvant sans bien
saisissable pour solliciter le privilège d’une mesure de protection avec une dette d’une valeur
de 405.000 €.
MOTS CLES : PROCEDURE DE RETABLISSEMENT PERSONNEL SANS
LIQUIDATION JUDICIAIRE – SITUATION IRREMEDIABLEMENT COMPROMISE DU
DEBITEUR – SURENDETTEMENT DES PARTICULIERS – CAPACITE REELLE DE
REMBOURSEMENT.
Clément AIME
2) Action paulienne exercée par l’administration fiscale
Cour d’appel d’Orléans (chambre civile), 26 janvier 2015, n° 14/00100
ARRÊT :
Prononcé le 26 JANVIER 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les
parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de
l'article 450 du Code de procédure civile.
Sur le rappel des faits et de la procédure
Monsieur Paul L. a acquis en 1998 la propriété d'un bien immobilier dit le «Moulin
d'Echoiseau » à Mazangé (Loir et Cher).
Par acte notarié des 25 et 26 juin 2004 publié à la Conservation des hypothèques et à la
Recette principale, les consorts L. ont fait donation en avancement d'hoirie, de la nue-
propriété de ce bien ainsi que des biens meublants à leurs trois enfants, majeurs, conservant
l'usufruit du bien.
L'administration fiscale a adressé à Monsieur Paul et Madeleine L. des notifications de
redressement les 18 décembre 2003 et 26 mai 2004, portant sur des revenus perçus au cours
des années 2000 et 2001.
Sur assignation formée à la requête de Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement
spécialisé du Loir et Cher et du service des impôts des particuliers de Vendôme aux fins de se
4
Cass. 2e civ., 20 octobre 2005, n° 04-04.139 Bull. civ. II, n° 270 ; D. 2006, jurispr. p. 870, note G.
Henaff ; RTD com. 2006, 488, obs. G. Paisant ; Cass. 2e civ., 24 janvier 2008, n° 06-19.959, Bull. civ. II,
n° 23 ; Contrats, conc., consom. 2008, comm. 122, obs. Raymond.
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voir déclarer inopposable la donation, le Tribunal de grande instance de Blois a, par
jugement du 12 décembre 2013, notamment :
Déclaré Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du Loir et Cher et du
service des impôts des particuliers de Vendôme recevables en leur action engagée sur le
fondement de l'article 1167 du code civil ;
Dit que la donation en date des 25 et 26 juin 2004, publiée le 14 juillet 2004 à la
Conservation des hypothèques de Vendôme sous la référence vol 2004 P n°2154, leur est
inopposable ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Les consorts L. ont formé, le 2 janvier 2014, un appel général à l'égard de ce jugement.
Par dernières conclusions notifiées le 1er avril 2014, les consorts L. demandent de voir :
Réformer le jugement entrepris ;
Débouter Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du Loir et Cher et
du service des impôts des particuliers de leurs demandes ;
Les condamner à leur payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code
de procédure civile.
À l'appui de leur demande, les consorts L. font valoir que l'Etat n'a subi aucun préjudice du
fait de la donation portant sur la seule nue-propriété puisque, antérieurement à cette
donation, il avait inscrit des hypothèques dont le montant total excédait largement la valeur
de l'immeuble évaluée par le Trésor public, l'inscription d'une hypothèque supplémentaire eut
été inefficace car nécessairement primée par les hypothèques antérieures ; en outre ce n'est
pas aux appelants de supporter les conséquences de l'abandon par l'Etat d'une autre créance
fiscale. Par ailleurs, c'est en raison de l'âge, de la faiblesse physique et des faibles moyens
financiers de Monsieur L., qu'ils ont fait le choix de donner la nue-propriété de cet ensemble
immobilier à leurs trois enfants qui prennent en charge désormais des frais importants
d'entretien de la propriété.
Par dernières conclusions notifiées le 27 mai 2014, Messieurs les Responsables du pôle de
recouvrement spécialisé du Loir et Cher et du service des impôts des particuliers concluent à
la confirmation du jugement de première instance, au débouté des demandes de les consorts
L. et à la condamnation de les consorts L. à leur verser la somme de 2 000 euros en
application de l'article 700 du code de procédure civile.
À l'appui de leur demande, Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du
Loir et Cher et du service des impôts des particuliers font valoir que la propriété de Mazangé
était au moment de la donation de 2004, le seul bien foncier de Monsieur L., que la donation
du 26 juin 2004 rend impossible la saisie immobilière du bien foncier et met à l'abri les
enfants L. d'éventuelles poursuites en tant qu'héritiers, ces derniers étant à même le moment
venu de renoncer à la succession de leurs parents tout en conservant les actifs immobiliers et
mobiliers; que Monsieur L. ne pouvait ignorer sa qualité de débiteur au moment où il a
consenti la donation et que celle-ci a amoindri le gage de la Trésorerie de Vendôme.
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Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à
leurs dernières conclusions récapitulatives.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 25 septembre 2014.
SUR CE
Sur le bien-fondé des demandes
En application de l'article 1167 du code civil, les créanciers peuvent aussi, en leur nom
personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits.
Sur l'appauvrissement
Il n'est pas contesté que l'immeuble le « Moulin d'Echoiseau » est le seul bien immobilier du
patrimoine de Monsieur L. ; en outre, au vu de l'acte notarié de donation qui mentionne la
valeur du bien en pleine propriété et celle de la nue-propriété ainsi que celle de l'usufruit, il
est avéré que la valeur de l'usufruit est d'un montant nettement inférieur à celui de la pleine-
propriété.
Ainsi, ces éléments auquel s'ajoute le fait qu’aucune garantie ne peut être prise par un
créancier sur un usufruit, mettent en évidence le fait que l'acte de donation litigieux entraîne
un appauvrissement dans le patrimoine du débiteur.
Sur la fraude
Il est constant que le redressement fiscal à l'origine de l'action paulienne exercée par les
services fiscaux, date de décembre 2003 et mai 2004 et que la donation de la nue-propriété
par Monsieur Paul et Madeleine L. à leurs trois enfants a été consentie en juin 2004, qu'en
raison de l'antériorité très récente du redressement fiscal, Monsieur Paul L. avait
connaissance au moment où il a effectué la donation, des dettes fiscales dont le paiement lui
était réclamé ; qu'il reconnaît, en outre, dans ses conclusions, que cette donation était
destinée à « permettre d'assurer la pérennité du lieu et respecter l'attachement des donataires
pour leur mère et son oeuvre dont l'objet consiste à avoir créé dans l'ancienne demeure
d'Alfred de Musset, un jardin remarquable dans le style romantique ». Par ailleurs, Monsieur
L. reconnaît que ses revenus actuels et ceux de son épouse sont limités à 3000 euros par mois
environ ; qu'il s'y ajoute les constatations de l'administration fiscale, non démenties, selon
lesquelles aucune saisie-attribution sur les comptes bancaires de Monsieur L. n'a pu aboutir
faute d'argent.
Il se déduit de ces circonstances de fait que Monsieur L. a créé, en connaissance de cause,
par l'acte de donation, son insolvabilité.
Sur le préjudice
Les consorts L. font valoir que la donation ne causait aucun préjudice à la Trésorerie du Loir
et Cher dans la mesure où d'une part, la Trésorerie représente l'Etat, d'autre part, l'Etat avait
inscrit antérieurement au redressement fiscal litigieux, des hypothèques dont la valeur totale
avec celle d'une banque dépassait la valeur de l'immeuble en pleine propriété.
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Cet argument qui repose sur des supputations sur le sort des créances de l'Etat, ne supprime
pas le fait qu'en faisant donation de la nue-propriété de son seul bien immobilier, sans
contrepartie et alors que ses revenus pécuniaires sont faibles, Monsieur L. a enlevé à
Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du Loir et Cher et du service
des impôts des particuliers toute garantie réelle pour recouvrer leur créance.
Le préjudice de Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du Loir et
Cher et du service des impôts des particuliers est ainsi caractérisé.
Ainsi toutes les conditions de l'action paulienne sont établies en l'espèce.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré recevable Messieurs les
Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du Loir et Cher et du service des impôts des
particuliers en leur action paulienne et a dit que la donation des 25 et 26 juin 2004 leur est
inopposable.
En l'absence d'autre contestation, le jugement entrepris sera confirmé pour le surplus.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Les circonstances de fait et les solutions adoptées en appel justifient qu'il soit fait droit à la
demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile et que les consorts L. soit
condamnée à payer à Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du Loir
et Cher et du service des impôts des particuliers, la somme que l'équité commande de fixer à
2 000 euros.
En application de l'article 696 du code de procédure civile, les consorts L. seront condamnés
aux dépens de l'appel.
PAR CES MOTIFS
STATUANT publiquement, contradictoirement, en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris en sa totalité;
REJETTE toutes demandes plus amples ou contraires ;
CONDAMNE les consorts L. à payer à Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement
spécialisé du Loir et Cher et du service des impôts des particuliers de Vendôme la somme de
2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE les consorts L. aux dépens de l'appel ;
DIT qu'il pourra être fait application par Me D., avocat de Messieurs les Responsables du
pôle de recouvrement spécialisé du Loir et Cher et du service des impôts des particuliers de
Vendôme, des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, pour leur
recouvrement.
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Commentaire : Recevabilité de l’action paulienne, en présence d’une donation de la
nue-propriété d’un immeuble par ailleurs grevé d’hypothèques au bénéfice de tiers
En présence de débiteurs désireux de soustraire leur patrimoine au gage de leurs
créanciers, il est nécessaire pour ces créanciers de bénéficier d’une protection de leurs
intérêts. Cette protection peut notamment se manifester par la voie de l’action paulienne,
offerte à ceux-ci par l’article 1167 du code civil.
En l’espèce, des notifications de redressement été adressées les 18 décembre 2003 et 26
mai 2004, par l’administration fiscale, aux époux L., portant sur les revenus de ces derniers
pour les années 2000 et 2001. Puis, par acte notarié des 25 et 26 juin 2004, les époux L., ont
procédé à la donation de la nue-propriété de leur unique bien foncier, ainsi que des biens
meublants, à leurs trois enfants, privant ainsi l’administration de garantie réelle pour
recouvrer sa créance.
Les responsables du service des impôts des particuliers, et du pôle de recouvrement
spécialisé, ont alors assigné les consorts L. devant le tribunal d’instance de Blois aux fins de
se voir déclarer inopposable la donation, sur le fondement de l’article 1167 du code civil. Par
un jugement du 12 décembre 2013, ledit tribunal a déclaré recevables les responsables de
l’administration fiscale en leur demande, et dit la donation inopposable à ces derniers.
Afin de voir le jugement réformé et l’administration fiscale déboutée de ses demandes, les
consorts L. ont, le 02 janvier 2014, interjeté appel de celui-ci. Les appelants arguent à l’appui
de leurs demandes, de l’inefficacité d’une inscription d’hypothèque sur l’immeuble objet de la
donation, au motif qu’une telle garantie aurait été primée par des hypothèques antérieures
inscrites sur le bien, dont le montant excédait la valeur de l’immeuble telle qu’évaluée par le
trésor public. Les appelants concluent en conséquence à l’absence de préjudice subi par l’Etat
du fait de la donation. En outre, ils font valoir que la donation n’avait d’autre motif que l’âge
et la faiblesse physique de M. L., et la prise en charge par les donataires, des frais d’entretien
de la propriété.
En réponse, les responsables de l’administration fiscale, avancent que la propriété objet de
la donation était le seul bien foncier des époux L., la donation ayant alors pour conséquence
de rendre impossible la saisie immobilière du bien, mais également de placer les héritiers du
couple à l’abri d’éventuelles poursuites, ces derniers étant en mesure de renoncer à la
succession de leurs parents en conservant les biens objet de la donation, du fait de la
reconstitution de la pleine propriété au décès des usufruitiers.
La cour d’appel d’Orléans a alors, par l’arrêt ici commenté du 26 janvier 2015, confirmé le
jugement de première instance, en ce qu’il déclare l’administration fiscale recevable en son
action, et dit la donation de la nue-propriété de l’immeuble inopposable à cette dernière. Les
juges ont ici procédé à une démonstration particulièrement claire de la présence des
conditions nécessaires à l’exercice de l’action paulienne.
Il est tout d’abord nécessaire pour les juges de procéder à la recherche de l’existence d’une
diminution du gage des créanciers et d’un appauvrissement du débiteur5. Or, il est constant
qu’un acte passé à titre gratuit, procède nécessairement à un appauvrissement du débiteur, ce
dernier ne recevant rien en contrepartie. Ainsi la donation de la nue-propriété doit être perçue
5 Cass. 3
eciv., 20 dec. 2000, n° 98-19.343, Bull. civ. III n° 200 p.139.
RJP 2015-1 (Novembre)
14
comme procédant à un appauvrissement6, d’autant plus qu’il est constaté en l’espèce à l’acte
notarié que la valeur de l’usufruit est inférieure à celle de la pleine propriété.
Ensuite le caractère frauduleux de l’opération a pu être constaté par les juges. En effet, se
plaçant au jour de l’opération litigieuse, l’arrêt retient que le débiteur avait conscience de son
insolvabilité. Or, s’il est nécessaire de démontrer l’intention frauduleuse de l’auteur de l’acte7,
la jurisprudence se contente bien souvent en matière d’actes à titre gratuit, de la conscience du
débiteur de nuire à son créancier8. Ainsi la connaissance des dettes dont le paiement lui était
réclamé, et la conscience de l’impossibilité de procéder à un tel paiement faute de moyens
financiers suffisants, condition préalable à l’action paulienne9, a ici suffi à caractériser la
fraude du débiteur. Notons que s’agissant d’un acte à titre gratuit, la démonstration d’une
intention frauduleuse du donataire n’est pas nécessaire10
.
Enfin le préjudice constaté par les juges réside ici en ce que le donateur a, du fait de la
donation, enlevé toute garantie réelle à l’administration fiscale pour recouvrer sa créance, les
juges faisant fi de l’argumentation des appelants tenant à l’inefficacité manifeste de
l’inscription d’une hypothèque sur le bien dont la valeur est déjà absorbée par d’autres
garanties inscrites. Cette solution semble en opposition avec la position jurisprudentielle
recevant l’action paulienne dès lors que l’appauvrissement du débiteur amoindrit les chances
du créancier d’obtenir paiement de sa créance11
. Or, ici au jour de l’acte, le débiteur se
trouvait déjà dans l’impossibilité de procéder au paiement eut égard à ses moyens financiers,
et la valeur de l’immeuble déjà absorbée par des hypothèques. On peut alors s’étonner de
l’absence de prise en compte de ce facteur par les juges.
En conséquence, et conformément à la position de la cour de cassation concernant les
effets de l’action paulienne12
, l’arrêt confirme l’inopposabilité de l’acte de donation aux
créanciers intimés.
MOTS CLÉS : ACTION PAULIENNE – DONATION – NUE-PROPRIÉTÉ –
APPAUVRISSEMENT – FRAUDE.
Christophe Orgeval
3) Absence de devoir de mise en garde du dispensateur de crédit à l’égard des
emprunteurs avertis
Cour d'appel Orléans (Chambre commerciale, économique et financière) 22 janvier
2015, n° 14/00409
EXPOSÉ :
6 Cass. 1
reciv., 26 sept. 2007, n° 05-13.224, Inedit.
7 Article 1167 c.civ.
8 Cass. 1
re civ., 31 oct. 2007, n° 05-12.072, Inédit.
9 Cass. 1
re civ., 31 mai 1978, n° 76-12.891, Bull. civ I, n°209, p 167.
10 Cass. 1
re civ., 23 avril 1981,n° 80-10.873, Bull. civ. I, n°130.
11 Cass. civ., 19 janv. 1910, DP 1911, 1 p 36.
12 Cass. 1
re civ., 13 juil. 2004, n° 02-10.007, Inédit.
RJP 2015-1 (Novembre)
15
Les époux CHARPENTIER/CLEREMBAULT, qui exploitaient jusqu'alors un bar-restaurant à
Tours, ont vendu leur affaire 150.000 euros en novembre 2007 pour acquérir à Chinon un
bar-tabac à l'enseigne le Palace moyennant un prix de 340.000 euros dont ils ont réglé une
partie par apports personnels et le reste grâce à un prêt hypothécaire de 299.000 euros
remboursable sur 84 mois souscrit auprès de la Caisse d'Épargne Loire Centre le 19 avril
2008 pour lequel la femme avait seule la qualité d'emprunteur, le mari s'en portant caution
solidaire à hauteur de 236.080 euros. M. et Mme CHARPENTIER rencontrant des difficultés,
la Caisse d'Épargne leur a consenti par convention du 17 janvier 2009 une autorisation de
découvert de 20.000 euros qui a été renouvelée annuellement jusqu'en 2013. Les difficultés
persistant et les époux envisageant de céder leur commerce, elle a consenti par acte
authentique du 14 mai 2012, dans l'attente de la concrétisation de la vente, un prêt de
restructuration de 181.600 euros dont ils étaient co-emprunteurs solidaires, remboursable en
96 mensualités, et qui soldait le prêt du 19 avril 2008 en englobant le découvert. Le fonds a
été vendu en définitive le 22 avril 2013, pour un prix de 210.000 euros au paiement duquel la
Caisse d'Épargne a formé opposition et sur lequel elle a perçu 190.913,85 euros.
Les époux CHARPENTIER ont fait assigner la Caisse d'Épargne, par acte du 15 avril 2013,
en sollicitant, dans le dernier état de leurs prétentions, sa condamnation à leur payer
197.339,11 euros en réparation de la perte de chance de ne pas avoir contracté s'ils avaient
été mis en garde sur les risques de l'opération, et 30.000 euros en réparation de leur
préjudice moral.
Par jugement du 16 janvier 2014, le tribunal de commerce d'Orléans, retenant la
responsabilité du prêteur tout en disant qu'elle était partagée à hauteur d'un tiers avec celle
des emprunteurs qui n'étaient pas totalement des profanes non-avertis, a condamné la Caisse
d'Épargne Loire Centre à payer aux époux CHARPENTIER 131.560 euros au titre du
préjudice matériel par perte de chance, en rejetant leur demande au titre du préjudice
moral.
La Caisse d'Épargne Loire Centre a relevé appel.
Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du
code de procédure civile, ont été déposées :
- le 24 septembre 2014 par la Caisse d'Épargne
- le 17 septembre 2014 par les époux CHARPENTIER.
La Caisse d'Épargne Loire Centre -qui assure qu'une telle demande est recevable puisqu'elle
tend, sur un autre fondement, aux mêmes fins que les prétentions qu'elle soulevait devant les
juges consulaires- sollicite à titre principal l'annulation, pour réticence dolosive, du prêt du
18 avril 2008, au motif que Mme CHARPENTIER lui avait caché avoir souscrit la veille un
prêt de 30.250 euros auprès du CIC en connaissance duquel elle-même n'aurait pas
contracté, ou à des conditions différentes, elle en infère l'annulation consécutive du prêt de
restructuration accordé en mai 2012 puisqu'il est indissociable du premier, et invoquant la
responsabilité quasi délictuelle de Mme CHARPENTIER, elle sollicite à titre d'indemnisation
du préjudice que lui cause ce dol la conservation des sommes déjà encaissées ainsi que
l'allocation de dommages et intérêts d'un montant de 84.228,46 euros correspondant aux frais
liés aux deux prêts, de sorte que les parties resteront en définitive en l'état où elles se
trouvent, sans dette respective.
RJP 2015-1 (Novembre)
16
À titre subsidiaire, la banque conteste sa responsabilité et conclut au rejet des prétentions
adverses au motif que les époux CHARPENTIER sont des emprunteurs avertis et déloyaux,
faisant valoir à cet égard qu'ils exploitent des bars ou brasseries depuis trente ans et qu'elle
n'était débitrice envers eux d'aucun devoir de mise en garde pour ce qui était leur troisième
reprise d'un fonds ; qu'elle y était d'autant moins tenue qu'ils ne lui présentèrent pas une
situation exacte en lui dissimulant le prêt du CIC, ce qui les constitue de mauvaise foi et les
prive totalement du droit de lui reprocher un quelconque manquement ; qu'elle s'est fiée aux
renseignements fournis, qui rendaient l'opération viable au regard des résultats prometteurs
dégagés par le cédant ; que l'emprunt a d'ailleurs été remboursé, et le fonds normalement
vendu, la déconvenue des emprunteurs résultant certainement de leur mauvaise gestion,
notamment du fait de la restriction des plages horaires d'ouverture ; et qu'elle n'avait pas à
s'immiscer dans leur gestion. Elle récuse les reproches qui lui sont adressés sur
l'amortissement immédiat du prêt de 2012, en indiquant s'être conformée aux clauses du
contrat et au tableau d'amortissement.
À titre plus subsidiaire, elle conteste le principe du préjudice allégué en soutenant que les
sommes réclamées sont sans lien de causalité avec la faute qui lui est imputée, et que le
préjudice invoqué n'était pas prévisible au sens de l'article 1150 du code civil puisqu'elle
ignorait que les emprunteurs seraient amenés à vendre leur affaire. Encore plus
subsidiairement, elle conteste le montant du préjudice réclamé en faisant valoir que
l'investissement perdu n'est pas celui qui est invoqué, qu'il ne peut inclure les agios du
compte-courant professionnel ; et qu'il devrait être réduit dans de strictes proportions et
chiffré sur justificatifs avérés.
Les époux CHARPENTIER invoquent l'irrecevabilité de la demande d'annulation des deux
prêts au motif qu'elle est bien nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile,
s'y opposent subsidiairement en niant avoir pu et dû mentionner dans leur réponse à la
demande d'informations renseignée le 9 avril un prêt qui fut souscrit le 18, et soutiennent
encore plus subsidiairement que le préjudice allégué par la banque est inexistant dès lors
qu'ils ont réglé les intérêts et les pénalités liés au remboursement des deux prêts, lesquels
devraient au contraire leur être restitués en cas d'annulation.
Ils soutiennent être des emprunteurs non avertis en raison de la modestie de leur niveau
d'études et de l'étroitesse de leur expérience professionnelle, le mari étant toujours resté en
cuisine et la femme à servir en salle, et tous deux ignorant tout de la tenue d'un débit de
tabac. Ils reprochent à la banque d'avoir manqué à son devoir de mise en garde, en faisant
valoir que son plan de financement est erroné, qu'elle ne leur a pas demandé de prévisionnel,
et qu'elle n'a procédé à aucune analyse. Ils soutiennent qu'elle devait les alerter sur le risque
d'endettement lié à l'octroi du prêt, et qu'elle leur a successivement accordé deux crédits
inadaptés. Ils récusent toute erreur de gestion et affirment que l'affaire n'était pas assez
rentable pour un tel endettement. Ils rappellent les dépassements chroniques du découvert
autorisé. Ils sollicitent au titre de la réparation de leur préjudice matériel 197.319,11 euros
avec intérêts à compter du 15 avril 2013 et capitalisation des intérêts, et 30.000 euros au titre
de leur préjudice moral.
Ils reprochent aussi à la banque d'avoir immédiatement appelé les échéances du prêt de
restructuration alors qu'il était prévu un différé de douze mois pour leur donner le temps de
vendre leur affaire, et d'avoir indûment dénoncé son autorisation de découvert et mis en route
la procédure de pré-rejet des chèques.
RJP 2015-1 (Novembre)
17
Ils indiquent n'avoir alors évité la faillite que de justesse, en se faisant aider financièrement
par leur famille et en vendant en hâte le fonds.
Il est référé pour le surplus aux conclusions récapitulatives des plaideurs.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 23 octobre 2014, ainsi que les avocats des
parties en ont été avisés.
MOTIFS DE L'ARRÊT :
* sur la recevabilité de la demande en nullité des concours consentis par la Caisse
d'Épargne
Attendu que conformément au principe posé par l'article 567 du code de procédure civile, les
demandes reconventionnelles sont recevables en appel, et celle en annulation des prêts pour
cause de réticence dolosive que formule devant la cour la Caisse d'Épargne, défenderesse à
l'action introduite par les époux CHARPENTIER, est ainsi recevable, dès lors qu'elle se
rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant puisque le litige a d'emblée porté
sur la connaissance respective des parties de l'affaire financée par l'emprunt et sur la
viabilité de l'opération, étant rappelé que la banque soutenait dès la première instance que
ses cocontractants l'avaient abusée en lui dissimulant leur situation financière réelle ;
* sur le manquement au devoir de mise en garde reproché à la Caisse d'Épargne
Attendu qu'il ressort de leurs pièces 3 et 4, et de leur curriculum vitae produit par l'appelante
(sa pièce n°1) que les époux CHARPENTIER ont successivement exploité en qualité de
commerçant pour le mari et de conjoint collaborateur pour la femme, un bar-restaurant-
crêperie-traiteur-grill à Mamers de janvier 1983 à avril 2001, puis un bar-brasserie à Tours
de juillet 2001 à novembre 2007 ;
Qu'ils avaient donc l'un et l'autre une longue expérience des affaires en matière de bar et
restauration en cette qualité ancienne d'exploitants -peu important que le mari se tînt plutôt
en cuisine et l'épouse en salle, d'autant qu'ils n'en devaient pas moins l'un et l'autre assurer la
gestion de ces fonds- lorsqu'ils ont acquis le fonds litigieux à Chinon au moyen du prêt de la
Caisse d'Épargne litigieux ;que leur faible degré d'instruction allégué est à ce titre
indifférent;
Qu'ils ne sont pas fondés à prétendre que la nature de ce fonds différait de façon significative
de celle des commerces qu'ils avaient précédemment tenus, puisqu'il s'agissait (cf. leur pièce
n°1) d'un café-bar-jeux-tabac, et donc encore, pour l'essentiel, d'un bar, l'incidence de
l'activité de buraliste ne remettant pas en cause ce constat, en raison de son caractère
complémentaire et de sa faible technicité ne requérant pas d'autre compétence spécifique que
celle qui s'acquiert aisément au moyen d'une petite formation telle celle de 33h30 que Mme
CHARPENTIER a précisément suivie du 17 au 20 mars 2008 auprès du centre national de
formation des buralistes (sa pièce n°4) ;
Qu'il n'est, en outre, ni démontré ni soutenu, que l'affaire acquise en 2008 aurait présenté des
particularités rendant sa gestion non comparable avec celle des établissements dont les
époux CHARPENTIER avaient déjà l'expérience, étant observé que Chinon, quoiqu'un peu
RJP 2015-1 (Novembre)
18
plus peuplée, est une ville de taille à peu près comparable à Mamers ;
Attendu que les époux CHARPENTIER étaient l'un et l'autre emprunteur et/ou caution
avertis, et la banque n'était donc tenue envers eux d'aucun devoir de mise en garde, ce qui
prive de pertinence leurs prétentions en tant qu'elles reposent sur le grief d'avoir manqué à ce
devoir;
* sur la responsabilité de la banque
Attendu qu'il n'est pas démontré que la banque aurait par ailleurs engagé sa responsabilité
;
Que s'agissant de l'octroi du prêt initial, elle a recueilli des renseignements sur la solvabilité
personnelle des époux CHARPENTIER, respectivement emprunteur et caution solidaire, ainsi
que sur l'opération financée, en se faisant notamment remettre le bilan et le compte de
résultat du fonds dont elle finançait l'acquisition ;
Qu'elle n'a commis aucune imprudence en consentant ce concours, dont la charge de
remboursement était compatible avec les résultats réalisés par le cédant, étant observé que
l'expert-comptable du fonds, qui avait établi un prévisionnel à la demande des cessionnaires,
concluait au surplus à une 'bonne rentabilité' et validait le potentiel de développement de
l'affaire, et que les époux CHARPENTIER déclaraient se proposer d'adjoindre à l'activité une
sandwicherie et d'ouvrir aussi le dimanche (cf. pièce n°4 de l'appelante) ; que pour le reste,
elle ne devait point s'immiscer dans la gestion de l'affaire, et il n'est ni démontré, ni soutenu
qu'elle aurait disposé d'informations que les emprunteurs aient ignorées ;
Qu'elle a exécuté ses obligations en libérant la somme empruntée, qui a servi à payer au
comptant le prix d'achat du fonds ;
Que le crédit -ou celui qui l'a restructuré- a été remboursé pendant des années, et si l'expert-
comptable a certes rapidement alerté les époux CHARPENTIER sur l'érosion du fonds de
roulement, il faut considérer que ceux-ci avaient pris le parti de souscrire aussi, la veille de
cet emprunt, un prêt de brasseur dont le provisionnel n'avait pas fait état et dont la charge a
nécessairement grevé la rentabilité du commerce, les intéressés étant d'autant moins fondés à
imputer les conséquences d'une telle décision à la Caisse d'Épargne qu'outre leur caractère
averti excluant que celle-ci leur doive des conseils, ils ne lui ont pas révélé cet emprunt, que
ce soit dans la fiche de renseignements qu'ils lui avaient remise le 9 avril 2008 soit à une
époque où ils ne pouvaient pas ne pas être informés de l'accord -au moins de principe- donné
par le brasseur et l'établissement financier auquel il s'adossait puisque l'acte fut conclu
quelques jours plus tard, le 18, ou que ce soit le jour même de la signature du prêt à la Caisse
d'Épargne, qui intervint le 19 avril soit postérieurement à la souscription de cet emprunt ;
Attendu que la banque n'a commis aucune faute en accédant ensuite à la demande des époux
CHARPENTIER de restructurer leur prêt eu égard aux difficultés qu'ils rencontraient, étant
ajouté que les intimés ne sont pas fondés à lui reprocher d'en avoir appelé immédiatement les
échéances de remboursement puisqu'ils avaient préféré renoncer immédiatement au prêt de
restructuration prévoyant un différé de remboursement que la Caisse d'Épargne avait accepté
de leur consentir, en en demandant l'annulation (cf pièce n°6 de l'appelante) et en y
substituant le 12 mai 2012 un prêt sans différé d'amortissement (sa pièce n°7) ;
RJP 2015-1 (Novembre)
19
Attendu que la Caisse d'Épargne n'a pas davantage engagé sa responsabilité en dénonçant
l'autorisation de découvert qu'elle avait consentie aux époux CHARPENTIER puisque le
plafond en était dépassé, et qu'elle a respecté un préavis de deux mois, étant ajouté qu'elle a
de toute façon accepté ensuite de leur consentir successivement deux nouveaux découverts du
28 décembre 2012 au 31 mai 2013 pour leur permettre de finaliser la cession de leur affaire
;
Attendu, dans ces conditions, qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris et de débouter les
époux CHARPENTIER de tous leurs chefs de prétentions ;
* sur la demande de la Caisse d'Épargne en nullité des prêts
Attendu que la Caisse d'Épargne n'invoque la nullité de ses concours que comme un moyen
de défense opposé à l'action adverse, puisqu'elle en a été intégralement remboursée à ce jour
et qu'elle indique (cf page 9 de ses conclusions) que la nullité qu'elle demande à la cour de
prononcer 'aura pour conséquence de laisser les parties dans l'état où elles se trouvent
actuellement, sans aucune dette respective' ;
Qu'ainsi, le complet rejet des demandes adverses rend sans objet cette prétention ;
Qu'à considérer même que ce rejet laisse subsister sa demande, il n'y aurait alors pas lieu d'y
faire droit, le prêt qu'elle reproche aux époux CHARPENTIER de lui avoir dissimulé n'ayant
pas pour objet de financer une partie de l'achat du fonds, contrairement à son propre crédit,
mais constituant un prêt de brasseur accessoire à un contrat de bière, qu'il est usuel de
contracter pour un exploitant de bar et dont rien ne démontre ni persuade que la
connaissance l'eût amenée à remettre en cause le principe ou seulement même les modalités
de son crédit, même en considérant son incidence sur les charges financières du commerce
;
PAR CES MOTIFS
la cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire :
DÉCLARE recevable la demande reconventionnelle de la Caisse d'Épargne en nullité de ses
concours
INFIRME le jugement entrepris,
et statuant à nouveau :
DIT que les époux CHARPENTIER étaient l'un et l'autre des emprunteurs et cautions
avertis
LES DÉBOUTE de tous leurs chefs de prétentions à l'encontre de la Caisse d'Épargne Loire
Centre
DIT n'y avoir lieu à prononcer la nullité des concours consentis par la Caisse d'Épargne
Loire Centre aux époux CHARPENTIER et DÉBOUTE en tant que de besoin la banque de sa
demande reconventionnelle en dommages et intérêts
CONDAMNE in solidum les époux CHARPENTIER/CLEREMBAULT aux dépens de
RJP 2015-1 (Novembre)
20
première instance et d'appel ainsi qu'À PAYER 1.500 euros à la Caisse d'Épargne Loire
Centre en application de l'article 700 du code de procédure civile
ACCORDE à la SCP Hugues LEROY, avocat, le droit à recouvrement direct reconnu par
l'article 699 du code de procédure civile.
Commentaire : Absence de devoir de mise en garde du dispensateur de crédit à l’égard
des emprunteurs avertis
Malgré la volonté du législateur de promouvoir et de faciliter la création d’entreprises, les
établissements de crédit intervenant dans le processus, peuvent être réticents à octroyer des
crédits. En effet, ils sont tenus à un devoir de conseil et à un devoir de mise en garde, lesquels
peuvent engager la responsabilité de l’établissement de crédit si certaines conditions sont
réunies.
C’est notamment ce qu’illustre cet arrêt infirmatif de la cour d’Appel d’Orléans du 22
janvier 2015.
Malgré la dispense de prêts et d’autorisation de découvert par une banque à des époux
commerçants, des difficultés financières ont persisté et ces derniers ont alors dû vendre leur
fonds de commerce. La banque a alors formé opposition sur le paiement du fonds, sur lequel
elle a perçu plus de 90% du prix.
C’est alors que les époux commerçants ont assigné la banque pour le paiement en
réparation de la perte de chance de ne pas avoir contracté s’ils avaient été mis en garde sur les
risques de l’opération. Le tribunal de commerce d’Orléans, par un jugement du 16 janvier
2014, a retenu la responsabilité du prêteur mais a décidé un partage de responsabilité, à
hauteur (d’un tiers pour la banque et) des deux tiers pour les emprunteurs qui n’étaient pas
totalement des profanes non avertis.
C’est alors que la banque a interjeté appel.
La cour d’appel d’Orléans a reconnu la qualité d’emprunteur et/ou de caution avertie des
époux et de ce fait, a considéré que la banque n’était pas tenue à un devoir de mise en garde.
Ainsi, la responsabilité de la banque n’est pas retenue par les juges d’appel.
La responsabilité du banquier dispensateur de crédit au regard de la qualité d’averti ou non
de l’emprunteur, est une question classique de la responsabilité bancaire, à l’origine de
nombreuses décisions jurisprudentielles, comme le confirme cet arrêt de la cour d’appel
d’Orléans.
En effet, il existe, en droit français, un devoir de mise en garde du banquier dispensateur de
crédit. Ce devoir a été consacré par quatre arrêts du même jour de la cour de cassation en
200513
en jugeant que « la banque avait méconnu ses obligations en à l’égard de ces
emprunteurs profanes en ne vérifiant pas leurs qualités financières et en leur accordant un
13
Cass. Civ. I, 12 juillet 2005, n° 02-13155, Bull. civ. I, n° 324 ; Recueil Dalloz 2005, p. 3094, note B. Parance
Cass. Civ. I, 12 juillet 2005, n° 03-10770, Bull. civ. I, n° 325 ; D. 2005, AJ p. 2276, obs. X. Delpech
Cass. Civ. I, 12 juillet 2005, n° 03-10115, Bull. civ. I, n° 326 ; Recueil Dalloz 2005, p. 3094, note B. Parance
Cass. Civ. I, 12 juillet 2005, n° 03-10921, Bull. civ. I, n° 327 ; Recueil Dalloz 2005, p. 3094, note B. Parance
RJP 2015-1 (Novembre)
21
prêt excessif au regard de leurs facultés contributives, manquant ainsi à leur devoir de mise
en garde ». Ainsi, le banquier est tenu à des obligations spécifiques, à savoir, ne pas accorder
à son client, de prêt excessif ou disproportionné par rapport à ses revenus et sa situation
patrimoniale, se renseigner sur ses capacités de remboursement et il doit l’avertir des risques
encourus en cas de non remboursement du crédit.
Cependant, il a fallu déterminer les bénéficiaires de la protection de ce devoir de mise en
garde. C’est dans deux arrêts du même jour14
que la cour de cassation a alors distingué entre
les emprunteurs avertis et non avertis. Un emprunteur est averti lorsqu’il dispose des
compétences et des connaissances effectives en matière financière. La haute juridiction va
réserver ce devoir de mise en garde du banquier à l’emprunteur non averti.
En l’espèce, la cour d’appel considère que les époux sont des emprunteurs avertis, du fait
que c’est le troisième commerce qu’ils détiennent et gèrent, et que, même si l’activité diffère
un peu, celle-ci est néanmoins complémentaire et l’épouse a reçu une formation pour cela.
Les époux savaient donc ce pour quoi ils s’engageaient en décidant d’ouvrir un nouvel
établissement. Le banquier dispensateur de crédit n’était donc pas tenu à un devoir de mise en
garde.
Ce fut également le cas dans un arrêt de la Cour d’appel de Riom du 17 avril 201315
. Dans
cette affaire, des époux associés et gérants d’une SARL ont financé l’acquisition d’un fonds
de commerce par un prêt consenti à la société par une banque et par un prêt personnel.
Cependant, les époux rencontrant des difficultés financières, ces derniers ont alors souscrit un
nouveau prêt, destiné notamment à rembourser le premier prêt. Il faut noter que les époux
étaient les seuls gérants et les seuls associés de la société et que, de ce fait, ils étaient les
mieux placés pour connaitre l’activité et les résultats de la société. De plus, ils invoquaient un
montage juridique imposé par la banque et l’inadaptation du prêt. En réalité, le prêt a été
consenti aux époux gérants dans la perspective de la vente d’une maison dont ils étaient
propriétaire, la vente permettant ainsi le remboursement du premier prêt à la date convenue.
L’opération envisagée ne présentait aucun caractère de complexité pour les époux qui étaient
à la recherche d’un financement pour lancer leur activité commerciale. Ils ne peuvent soutenir
ne pas avoir accepté en connaissance de cause le financement proposé par la banque. Par
conséquent, les époux ne peuvent pas être considérés comme des emprunteurs non avertis, de
sorte que le devoir de mise en garde ne s’imposait pas à la banque.
Pour pouvoir engager la responsabilité d’un banquier dispensateur de crédit, l’emprunteur
doit prouver qu’il a subi un préjudice dû à la carence de conseil ou de mise en garde et non
seulement à la seule conclusion d’un contrat de prêt en ce qui concerne les emprunteurs non
avertis. Néanmoins, les emprunteurs avertis ne sont pas sans protection car les banquiers
dispensateurs de crédit engagent leur responsabilité s’ils consentent un crédit en disposant
d’un élément d’information relatif à la fragilité financière du client que celui-ci ignore16
. La
protection réside ainsi dans le principe d’asymétrie de l’information.
L’intérêt de cet arrêt réside dans le fait qu’une part de pouvoir d’appréciation est laissée
aux juges du fonds pour apprécier le caractère averti ou non des emprunteurs. Et c’est,
notamment, à partir de ce caractère que pourra être mise en cause la responsabilité du
14
Cass. Ch. Mixte. 29 juin 2007, n°05-21.04 et n° 06-11.673 ; n° 255 et 256 ; RTD Com. 2007, p. 579, note D.
Legeais 15
CA Riom, 17 avril 2013, (RG) n° 12/00820 16
Civ. 1re
, 12 juillet 2005, n° 03-10.770, Bull. civ. I, n° 325 ; JCP 2005, éd. E, 1359, note D. Legeais
RJP 2015-1 (Novembre)
22
banquier dispensateur de crédit. Bien évidemment, cette appréciation sera faite au moyen de
certains indices, comme la profession, la fréquence des opérations ou encore, le montant du
crédit. Mais la responsabilité du banquier dispensateur de crédit sera plus difficile, mais non
impossible, à mettre en œuvre si les emprunteurs sont des emprunteurs avertis.
MOTS CLÉS : CONTRAT DE PRÊT – DEVOIR DE MISE EN GARDE – APPRÉCIATION
DE LA QUALITÉ D’EMPRUNTEUR AVERTI
Laura BILLAUD
4) Clôture d’un compte bancaire professionnel
Cour d’Appel d’Orléans (chambre commerciale, économique et financière), 29 janvier
2015, no RG : 13/0404 3, 43-15
Madame X... qui exploitait un fonds de commerce de café-restaurant à Neuillé-Pont-Pierre
(Indre-et-Loire) avait ouvert un compte nº08057482001 dans les livres de la Caisse régionale
de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou (le Crédit agricole).
Après la vente du fonds intervenue en janvier 2008, le compte présentait au 30 mai 2009 un
solde débiteur de 21'343,58 euros.
Monsieur X... s'était, par ailleurs, engagé, le 4 décembre 2008, à régler le solde débiteur du
compte de son épouse avant le 4 juin 2009.
Aucun versement n'étant intervenu malgré mise en demeure du 19 mars 2010, le Crédit
agricole a saisi, le 30 juin 2011, le tribunal de grande instance de Tours, lequel, par
jugement en date du 14 novembre 2013, a condamné in solidum les époux X... à lui payer la
somme de 21'343,58 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2010 s'agissant
de Madame X..., et de l'assignation s'agissant de Monsieur X..., outre 800 euros sur le
fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les époux X... ont régulièrement interjeté appel de cette décision le 23 décembre 2013.
Madame X... a fait valoir que le Crédit agricole n'ignorait pas qu'elle n'avait plus la qualité
d'exploitante depuis le 13 février 2008, de sorte que le compte courant devait, après cette
date, être soumis au code de la consommation, ce qui impliquait que le Crédit agricole
élaborât une convention de compte courant et ne laissât pas perdurer un découvert non
autorisé sans alerter sa cliente des risques encourus.
Elle a encore soutenu que le compte aurait dû être clôturé à sa cessation d'activité et était
devenu sans cause par la suite.
Elle a sollicité, en conséquence, le paiement d'une somme de 21'343,58 euros en
indemnisation de son préjudice.
Monsieur X... a conclu à la nullité de son engagement en ce qu'il était sans cause et ne
répondait pas aux exigences des articles L 341 ' 2 et L 341 ' 3 du code de la consommation,
ainsi que de l'article 1326 du code civil.
Les époux X... ont enfin sollicité une somme de 2000 euros en application des dispositions de
l'article 700 du code de procédure civile.
Le Crédit agricole a répliqué que le compte n'était pas un compte courant et qu'il n'avait
continué à fonctionner, après la cessation d'activité de Madame X..., que pour les besoins
d'opérations liées à cette cessation d'activité.
Expliquant ensuite, que le découvert autorisé de 15'000 euros n'avait été que ponctuellement
dépassé, après la vente du fonds, il a estimé qu'il n'avait commis aucune faute.
RJP 2015-1 (Novembre)
23
S'agissant de Monsieur X..., il a indiqué que son engagement ne constituait pas un
cautionnement, mais un engagement de payer la dette d'autrui qu'il avait librement souscrit,
de sorte que les dispositions légales qu'il invoquait n'étaient pas applicables.
Il a conclu, en conséquence, à la confirmation du jugement entrepris et il a sollicité une
somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE,
Attendu que le compte litigieux n'était pas un compte courant et qu'il n'existe, au demeurant,
aucune convention en ce sens conclue entre les parties ;
Que le compte avait une finalité strictement professionnelle et que l'ensemble des opérations
y figurant, même celles postérieures à la vente du fonds de commerce, étaient liées à l'activité
commerciale de Madame X... ;
Que le solde du prix de vente du fonds a été versé par le notaire au Crédit agricole le 16
octobre 2008 et qu'après cette date, seul un débit de 47,38 euros a été effectué sur le compte ;
Que le Crédit agricole, auquel la radiation de Madame X... du registre du commerce et des
sociétés n'avait pas été notifiée, ne peut se voir imputer à faute le fait de ne pas avoir tiré les
conséquences de cette radiation ;
Qu'en particulier, Madame X... n'est pas fondée à faire grief au Crédit agricole de ne pas
avoir clôturé le compte, d'autant plus que c'était, au premier chef, à elle d'y procéder ;
Et attendu que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a
considéré qu'en sa qualité de professionnelle, Madame X... ne pouvait reprocher au Crédit
agricole d'avoir laissé s'aggraver un découvert dont elle était elle-même responsable et dont
elle était parfaitement à même d'en apprécier les risques ;
Attendu, enfin, s'agissant de Monsieur X..., que son engagement souscrit le 4 décembre 2008
ne constitue pas un cautionnement, en ce qu'il ne l'a pas subordonné à l'inexécution par son
épouse de son obligation de remboursement, mais un engagement personnel qu'il a librement
souscrit de payer la dette d'autrui ;
Que le premier juge a, dès lors, à bon droit considéré que les dispositions du code de la
consommation n'avaient pas à s'appliquer ;
Que, si la reconnaissance de dette de Monsieur X... n'est effectivement pas conforme aux
prescriptions de l'article 1326 du code civil en ce que le montant de la dette est seulement
indiqué en chiffres, elle vaut néanmoins commencement de preuve ;
Que la preuve complète de l'obligation est suffisamment rapportée par l'extrait du compte
dont Monsieur X... a indiqué s'engager à régler le solde débiteur, lequel est effectivement du
montant mentionné par Monsieur X... dans sa reconnaissance de dette ;
Qu'il convient, dès lors, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Et attendu que les époux X... qui succombent en leur appel, paieront une somme de 1000
euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et
supporteront les dépens ;
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement entrepris ;
Y AJOUTANT,
CONDAMNE in solidum les époux X... à payer à la Caisse régionale de crédit agricole
mutuel de la Touraine et du Poitou une somme de mille (1000) euros sur le fondement de
l'article 700 du code de procédure civile ;
LES CONDAMNE in solidum aux dépens, et accorde à la SCP d'avocats Desplanques-
Devauchelle le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJEAUD, président de chambre et MadameAnne-
Chantal PELLÉ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par lemagistrat
signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
RJP 2015-1 (Novembre)
24
Monsieur Alain RAFFEJEAUD
Commentaire : Qualification de compte courant
Le compte courant est la « convention par laquelle deux personnes affectent toutes leurs
créances réciproques à un mécanisme de règlement instantané par fusion en un solde
immédiatement disponible »17
. Il doit résulter de la volonté expresse des parties. Le compte
courant est le compte permettant à la banque d’ouvrir des crédits au profit de son titulaire.
De plus, le compte courant est généralement réservé aux professionnels dans le cadre de
leur activité18
. En pratique, rien n’empêche qu’un professionnel ouvre un compte de dépôt et
qu’un particulier choisisse un compte courant.
En l’espèce, une exploitante de fonds de commerce avait ouvert un compte dans les livres
du Crédit agricole (la banque) mais il n’était pas précisé qu’il s’agissait d’un compte courant.
Après avoir vendu son fonds de commerce, le compte de l’exploitante présentait un solde
débiteur.
La question était de savoir si la banque aurait dû prendre en compte la fin de son activité
pour clôturer le compte. Selon l’article L. 312-1-1 du code monétaire et financier, il est
possible de résilier unilatéralement un compte bancaire. En l’espèce, le compte avait continué
à fonctionner après la cessation d’activité de l’exploitante et ce pour les besoins d’opérations
liées à cette cessation d’activité. Il s’agissait notamment de la perception du solde du prix de
vente. Le compte présentait bien un caractère professionnel mais il ne s’agissait pas d’un
compte courant. L’ancienne exploitante affirmait que le compte devait être soumis aux règles
du code de la consommation et non à celles du code de commerce. Dans ces circonstances, la
banque aurait dû alerter sa cliente des risques encourus en raison de son découvert. Au
moment de la cessation de son activité, le compte avait perdu son intérêt qui était celui du
transfert des fonds liés à l’activité, la banque aurait dû le clôturer.
Or la banque affirmait que le découvert n’avait été que ponctuellement dépassé, elle
n’avait donc pas commis de faute.
Selon la cour d’appel d’Orléans, « il n’existe aucune convention en ce sens conclue entre
les parties ». En effet, la cour affirme que la convention ne prévoyait pas qu’il s’agissait d’un
compte courant. Par conséquent, la banque ne pouvait se voir reprocher le fait de ne pas avoir
tiré les conséquences de cette radiation. Il appartient donc à la détentrice du compte de le
clôturer elle-même.
De plus, le mari de l’ancienne exploitante s’était engagé à régler le solde débiteur du
compte. Il s’agissait alors de savoir comment était engagé l’époux vis-à-vis de la défaillance
de son épouse. La banque l’a mis en demeure de payer. En l’absence de réponse, la banque a
ensuite saisi le tribunal de grande instance qui a condamné in solidum les époux. C’est
pourquoi les époux ont interjeté appel.
En vertu des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, le cautionnement
doit remplir des conditions de forme pour être valable. De plus, l’article 1326 du code civil
prévoit que « l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer
17
J.-L. Rives-Lange, Droit bancaire, coll. « Précis Dalloz », Paris, Dalloz, 1973, 500 pages. 18
Arrêtés du 8 mars 2005 et du 29 juillet 2009
RJP 2015-1 (Novembre)
25
une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui
comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-
même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence,
l'acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres ».
Or en l’espèce, l’époux s’était seulement engagé à payer sans en préciser les modalités et
sans indiquer le montant qu’il souhaitait couvrir et il affirme donc que son engagement est nul
et sans cause. En effet, une reconnaissance de dette doit, non seulement, être constatée par un
écrit signé mais également comporter la mention précise de la dette en toutes lettres et en
chiffres19
. De plus, l’époux a qualité à agir car seule la personne qui s’est engagée peut
invoquer l’irrégularité relative à l’absence d’une mention obligatoire20
. L’engagement pris par
l’époux reste valable mais, dans la mesure où certaines mentions obligatoires font défaut,
l’acte vaut seulement commencement de preuve par écrit.
Selon la cour d’appel d’Orléans, cet engagement ne constituait pas un cautionnement dans
la mesure où il n’a pas pour condition essentielle l’absence de remboursement du solde
débiteur par l’ancienne exploitante.
Il s’agit seulement d’ « un engagement de payer la dette d’autrui qu’il avait librement
souscrit » soumis aux règles du droit de la consommation. Néanmoins, la cour affirme que cet
engagement vaut commencement de preuve. L’époux est donc tenu de remboursement le
solde débiteur du compte de son épouse.
La cour d’appel d’Orléans a confirmé l’arrêt de première instance excluant l’application du
droit de la consommation au compte bancaire dont le titulaire est un professionnel.
MOTS CLES : COMPTE BANCAIRE – CLÔTURE – RECONNAISSANCE DE DETTE –
CAUTIONNEMENT
Audrey GARCIA GAUGUIN
5) L’inefficacité de la clause résolutoire d’un bail commercial en procédures collectives
Cour d'appel d'Orléans (chambre commerciale, économique et financière), 29 janvier
2015, n° RG 14/02902
EXPOSÉ :
La SNC PETITCOLLIN BOCHET exploite une officine de pharmacie dans des locaux sis
avenue de Paris à Nouan le Fuzelier appartenant à la SCI du Cèdre en vertu d'un bail
commercial conclu par acte authentique du 10 janvier 2001.
Après lui avoir fait délivrer le 27 février 2014 un commandement de payer les loyers en
souffrance en visant la clause résolutoire stipulée au contrat, la bailleresse a fait assigner le
15 mai 2014 sa locataire devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Blois,
qui a constaté par ordonnance réputée contradictoire du 15 juillet 2014 la résiliation de plein
droit du bail au 28 mars 2014 et ordonné l'expulsion de la société PETITCOLLIN BOCHET
19
Article 1326 du code civil 20
Cass. civ., 18 décembre 1978, JCP G 1979.IV.74
RJP 2015-1 (Novembre)
26
en la condamnant à une provision de 32.710,30 euros à valoir sur le montant des loyers,
charges et indemnités au 30 avril 2014, et en fixant à 3.486,70 euros le montant de
l'indemnité mensuelle d'occupation due à compter du 1er mai 2014.
La SNC PETITCOLLIN BOCHET et son mandataire judiciaire, Me Hubert LAVALLART, ont
relevé appel.
Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du
code de procédure civile, ont été déposées :
- le 24septembre 2014 par la SNC PETITCOLLIN BOCHET et Me LAVALLART
- le 24 novembre 2014 par la SCI du Cèdre.
La SNC PETITCOLLIN BOCHET et son mandataire judiciaire font valoir que le tribunal de
commerce de Blois a placé l'entreprise en redressement judiciaire par jugement du 20 juin
2014. Ils demandent à la cour de constater que l'acquisition de la clause résolutoire n'était
pas définitive à cette
date, et de dire que la résiliation du bail ne peut être constatée ni intervenir pour défaut de
paiement des loyers antérieurs, en renvoyant la bailleresse à se soumettre à la procédure de
vérification des créances.
La SCI du Cèdre indique n'avoir pas eu connaissance de l'ouverture de la procédure
collective au jour de l'assignation ni de l'audience. Elle déclare s'en remettre à justice sur le
mérite de l'appel, mais demande à la cour de ne pas mettre à sa charge les dépens ni a
fortiori une indemnité de procédure.
Il est référé pour le surplus aux conclusions des plaideurs.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 11 décembre 2014, ainsi que les avocats
des parties en ont été avisés.
MOTIFS DE L'ARRÊT :
Attendu qu'il est justifié que par jugement du 20 juin 2014 publié le 11 juillet 2014 au
Bodacc, le tribunal de commerce de Blois a ouvert le redressement judiciaire de la SNC
PETITCOLLIN BOCHET ;
Attendu qu'en application des articles L.622-21-I et L.622-13 et suivants du code de
commerce, l'action introduite par la bailleresse, avant la mise en redressement judiciaire du
preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail pour
défaut de paiement des loyers ou charges échus antérieurement au jugement d'ouverture ne
peut, dès lors qu'elle n'a donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée, être
poursuivie après ce jugement ;
Qu'il n'existait, à la date d'ouverture de la procédure collective, aucune décision définitive
ayant constaté l'acquisition de la clause résolutoire ;
Attendu que dès lors, la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire pour défaut de
paiement de loyers exigibles antérieurement à l'ouverture ne peut plus être prononcée ;
Et attendu que l'instance en référé qui tend à obtenir une condamnation provisionnelle n'est
pas une instance en cours susceptible d'être reprise devant la cour d'appel, et la créance qui
fait l'objet d'une telle instance doit être soumise à la procédure normale de vérification du
passif et à la décision du juge commissaire ; que dès lors, l'ordonnance de référé entreprise,
en ce qu'elle alloue une provision, est dépourvue d'effet, et la cour doit constater son
dessaisissement;
Attendu que chaque partie conservera la charge des dépens par elle exposés, sans indemnité
de procédure ;
PAR CES MOTIFS
la cour, statuant en matière de référé, publiquement et par arrêt contradictoire :
DIT que l'ordonnance entreprise est dépourvue d'effet
RENVOIE, en ce qui concerne les loyers et charges, la SCI du Cèdre à suivre la procédure
NORMALE de vérification du passif
RJP 2015-1 (Novembre)
27
DIT que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens, sans indemnité de
procédure.
Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJEAUD, président de chambre et Madame Anne-
Chantal PELLÉ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat
signataire.
Commentaire : L'inefficacité de la clause résolutoire d'un bail commercial en l'absence
d'une décision ayant force de chose jugée avant le jugement d'ouverture d'un
redressement judiciaire
Les litiges portant sur le bail commercial ont un impact important en droit des entreprises en
difficulté. En effet, il s'agit d'un élément patrimonial essentiel pour le débiteur. Le bail
commercial est lié directement à la poursuite de l'activité. Il est source de conflit car il est
possible que le bailleur reste lié à ce contrat alors que le débiteur est défaillant. Le législateur
a mis en œuvre de nombreux mécanismes pour protéger le bail commercial face à une
procédure collective et pour rendre difficile l'application par le bailleur d'une clause
résolutoire prévue dans le contrat. C'est ce qu’illustre l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans du
29 janvier 2015.
En l'espèce, une SNC exploite une officine de pharmacie dans des locaux appartenant à une
SCI en vertu d'un bail commercial conclu par acte authentique. La SCI fait délivrer, le 27
février 2014, un commandement de payer à la SCI pour les loyers impayés en visant la clause
résolutoire prévue dans le contrat de bail. Elle assigne cette dernière devant le juge des référés
le 15 mai 2014 qui constate par une ordonnance réputée contradictoire du 15 juillet 2014 la
résiliation de plein droit du bail au 28 mars 2014 et la condamne à une provision.
Parallèlement, cette SNC est mise en redressement judiciaire par jugement le 20 juin 2014. La
SNC et son mandataire judiciaire demandent donc au tribunal de commerce de reconnaître
que l'acquisition de la clause résolutoire n'était pas définitive à la date du redressement
judiciaire, et que le bail ne peut donc pas être résilié.
La procédure en référé permet la mise en place d'une procédure contradictoire et accélérée21.
Cette décision prise en référé est provisoire et permet au créancier d'obtenir une décision
rapidement. Cette action peut être mise en œuvre par un bailleur en vue de faire appliquer la
clause résolutoire prévue dans un contrat de bail. En effet, cette dernière prévoit une
résolution de plein droit en cas non-paiement des loyers dans le terme convenu. Toutefois
cette application de la clause a été limitée dans le cas d'une procédure collective ouverte à
l’encontre du débiteur. En effet, la cour d'appel d'Orléans rappelle dans cet arrêt que le
bénéfice de la clause n’est pas acquis au bailleur si la décision la prononçant n'a pas force de
chose jugée au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective. Cette solution avait
déjà été prononcée par la Cour de cassation dans de nombreux arrêts22
. N'a pas force de chose
jugée au sens de l'article 500 du code de procédure civile, la décision qui est susceptible d'un
recours suspensif au jour de l'ouverture de la procédure collective. La solution retenue est
donc la continuation du contrat de bail commercial. Dans ce cas, si le bail n'a pas été résilié
avant le jugement d'ouverture, il ne peut plus l'être après pour défaut de paiement des loyers
ou des charges antérieurs au jugement d'ouverture, peu importe que le bailleur ait engagé une
procédure antérieurement à celui-ci. Seule la décision statuant sur l’ouverture d’une procédure
21
Article 808 code de procédure civile 22
Com. 12 juin 1990 n° 88-19.808. Bull. civ. IV, n° 172 ; D. 1990. 450, note Derrida ; Com. 15 février 2011, n°
10-12.747, BJE mai/juin 2011 §67, p.118, note Berthelot
RJP 2015-1 (Novembre)
28
collective envers le débiteur doit être prise en compte car elle emporte force de chose jugée.
Par voie de conséquence, l'article L. 622-21 I du code de commerce s'applique. Il prévoit que
le jugement d'ouverture interdit toute action en justice contre le débiteur pour les créances
antérieures quand celles-ci amènent au paiement d'une somme d'argent, ou d'une résolution
pour défaut de paiement. De plus, en application de l'article L. 622-13 du code de commerce,
la résolution d'un contrat ne peut pas être prononcée quand il s'agit d'un contrat en cours. Le
créancier doit remplir ses obligations même en cas de défaut de paiement antérieurs.
Le jugement d'ouverture de la procédure collective prend effet au jour de celui-ci23
. Les
dispositions24
prévoyant la publicité de ce dernier au BODACC ne remettent pas en cause
cette dernière disposition qui est d'ordre public. La date d'effet du jugement d'ouverture est à
la date de la décision prise par les juges et non celui de sa publication. La jurisprudence a
précisé que « la décision d'ouverture prend effet à compter de sa date même, c'est-à-dire le
jour de son prononcé à 0 heure »25
. Dès lors, le jugement d'ouverture est opposable aux
créanciers. Et c'est à partir de ce moment qu'est définie la distinction entre les créances
antérieures et postérieures à la procédure. En l'espèce, aucune décision n’avait force de chose
jugée au jour du jugement d'ouverture. Le bailleur doit donc continuer le contrat de bail
commercial avec le locataire alors que ce dernier est soumis à une procédure collective. Pour
obtenir le recouvrement des créances antérieures, c'est à dire les loyers impayés et les charges
afférentes, il doit donc se soumettre à la procédure de déclaration des créances antérieures de
l'article L. 622-24 du code de commerce. Le créancier doit donc soumettre à vérification sa
créance auprès du mandataire judiciaire pour qu'elle y soit admise. Il pourra alors qu'à l'issue
de la procédure espérer un recouvrement de cette dernière.
MOTS CLES : CLAUSE RESOLUTOIRE – BAIL COMMERCIAL – DECISION AYANT
FORCE DE CHOSE JUGEE
Laura FEBVRE
6) Recevabilité et bien fondé d’une action en responsabilité délictuelle fondée sur une
inexécution contractuelle
Cour d'appel d'Orléans Chambre commerciale, économique et financière, 22 janvier 2015,
n° 13/02570
EXPOSÉ :
Sylvie THOMAS a constitué en mai 2010 avec son fils la S.A.R.L. Ambitions 45, dont elle était
gérante, et qui a confié à la société MC2 une étude de marché sur un projet d'implantation
d'une concession 'Vinomania' à Orléans, qu'elle a ouverte en définitive en décembre 2010 [...]
après signature d'un contrat de concession sélective de licence de marque. La société avait
souscrit auprès du CIC Ouest un crédit de 265.000 euros dont Mme THOMAS s'était portée
caution solidaire de la bonne fin à hauteur de 92.500 euros. Elle a été placée en redressement
judiciaire le 11 juillet 2012, puis en liquidation judiciaire le 25 octobre 2012, et la banque a
mis en œuvre ce cautionnement. Autorisée à agir à jour fixe, Mme THOMAS a fait assigner la
société MC2, par acte du 9 janvier 2013, en lui réclamant une somme totale de 297.027,66
euros de dommages et intérêts sur le fondement de sa responsabilité contractuelle,
23
Article R. 621-4 du code de commerce 24
Article R. 621-8 du code de commerce
25 CA Orléans 14 juin 2007 n° 06/02928, NP
RJP 2015-1 (Novembre)
29
subsidiairement délictuelle, au motif que son rapport d'étude était entaché d'erreurs
grossières qui l'avaient déterminée à s'engager dans un projet inadapté qui l'a ruinée. La
société MC2 a invoqué l'irrecevabilité d'une telle action, et subsidiairement conclu sur le fond
à son rejet. Par jugement du 13 juin 2013, le tribunal de commerce d'Orléans a déclaré Mme
THOMAS recevable en son action, et l'en a déboutée.
Mme THOMAS a relevé appel.
Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du
code de procédure civile, ont été déposées :
Le 31 mars 2014 par Mme THOMAS
le12 mars 2014 par la société MC2.
Mme THOMAS justifie sa recevabilité à agir en faisant valoir qu'elle a versé 92.500 euros au
CIC en novembre 2012, et elle répond au moyen adverse qu'il s'agit bien là d'un préjudice
personnel distinct d'une atteinte aux intérêts des créanciers. Elle indique dans ses dernières
conclusions récapitulatives fonder son action sur l'article 1382 du code civil et se prévaut de
la jurisprudence qui permet au tiers à un contrat d'invoquer, sur le fondement de la
responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a
causé un dommage. Elle soutient, à cet égard, que l'étude remise par MC2 n'était qu'une
compilation de données générales accessibles sur internet et auprès d'organismes et
d'administrations, sans analyse concrète des particularités locales ; qu'elle était entachée
d'une grave omission puisqu'elle ne signalait pas la présence d'un restaurant
interadministratif à moins de 150 mètres du lieu d'implantation envisagé ; et qu'elle avançait
des données chiffrées sans tenir compte du contexte économique. Elle assure que cette étude
fut déterminante dans sa décision de créer l'affaire ainsi que pour l'obtention du prêt
bancaire, et elle fait valoir que malgré sa compétence et son dynamisme, les résultats réels
s'avérèrent rapidement inférieurs des deux tiers aux prévisions. Elle soutient que son
préjudice est bien en lien direct de causalité avec les erreurs et insuffisances du rapport. Elle
demande à la cour de condamner MC2 à lui verser à titre de dommages et intérêts une
somme de 92.500 euros correspondant à celle qu'elle a dû débourser en sa qualité de caution.
La société MC2 maintient que l'action est irrecevable au motif que seul le liquidateur, et non
pas les associés d'une société en liquidation judiciaire, ont qualité pour agir en réparation du
préjudice subi au titre des pertes directement éprouvées du fait de la liquidation judiciaire, et
que tel est le cas de Mme THOMAS, qui est subrogée dans les droits de la société dont elle a
réglé la dette, de sorte qu'elle obtiendrait paiement de sa créance, en portant atteinte aux
droits des autres créanciers, si elle recevait personnellement des dommages et intérêts. À titre
subsidiaire, l'intimée prend acte de ce que Mme THOMAS n'invoque plus désormais sa
responsabilité contractuelle, en rappelant que c'est bien la société Ambitions 45 qui lui avait
passé commande de l'étude incriminée.
Elle récuse toute responsabilité sur le fondement délictuel en indiquant qu'elle a fourni la
prestation convenue, laquelle était bien présentée comme ne constituant pas une analyse mais
une présentation objective de la zone assortie d'un prévisionnel établi sans tenir compte des
charges de fonctionnement, de sorte qu'il était clair que ce rapport ne dispensait nullement le
client de faire établir un bilan prévisionnel par un professionnel du chiffre. Elle conteste
avoir commis une faute en ne mentionnant pas la présence du restaurant interadministratif à
proximité, en faisant valoir que ce type d'établissement, non ouvert au public, n'entre pas
dans le périmètre contractuel de son étude. Elle indique avoir rendu compte des concurrents
existants et des projets, et précise avoir même insisté sur l'intensité de la concurrence dans ce
secteur de la [...]. Elle conteste aussi tout lien de causalité entre les manquements invoqués et
le préjudice
RJP 2015-1 (Novembre)
30
allégué, en faisant valoir que Mme THOMAS avait déjà créé la société Ambitions 45 avant
d'avoir reçu l'étude litigieuse, et en observant que l'appelante se garde bien de produire les
pièces de la procédure collective qui pourraient éclairer les raisons de sa déconfiture.
Il est référé pour le surplus aux dernières conclusions récapitulatives des parties.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 3 avril 2014, ainsi que les avocats des
parties en ont été avisés.
L'affaire, initialement fixée à l'audience du 10 avril 2014, a débord été renvoyée pour cause
d'indisponibilité d'un des conseils au 26 juin 2014, puis de nouveau renvoyée à la demande
des conseils des plaideurs en raison d'un mouvement de grève des avocats, et elle a été
évoquée en définitive le 4 décembre 2014.
MOTIFS DE L'ARRÊT :
* sur la recevabilité de l'action de Mme THOMAS
Attendu que Mme THOMAS, tiers au contrat en vertu duquel la société LC2 a réalisé l'étude
de marché litigieuse pour la S.A.R.L. Ambitions 45, est en droit d'invoquer sur le fondement
de la responsabilité délictuelle l'exécution défectueuse de cette convention, dès lors que ce
manquement lui a causé un dommage ;
Et attendu qu'elle justifie par la production (ses pièces n°9 et 13) de son cautionnement de
l'emprunt bancaire souscrit par la société Ambitions 45 et de la preuve du paiement de
92.500 euros qu'elle a opéré à ce titre entre les mains du CIC Ouest, avoir été poursuivie en
exécution de son engagement ; qu'elle est ainsi recevable à agir en réparation de ce qui
constitue un préjudice personnel distinct et non une atteinte à l'intérêt collectif des créanciers
;
* sur la responsabilité de la société MC2
Attendu que l'étude de marché que MC2 s'était engagée à réaliser pour la société Ambitions
45 lui a clairement et explicitement été présentée lors de la conclusion du contrat, en mai
2010, comme une étude essentiellement statistique,
opérée par voie de traitement et d'analyses de données géographiques, démographiques et
socioéconomiques et de présentation des commerces concurrents existant localement,
assortie de l'indication d'un chiffre d'affaires prévisionnel (cf pièce n°4 de l'appelante), et son
coût était en cohérence avec ces caractéristiques ;Qu'elle émane d'une officine oeuvrant
habituellement avec le franchiseur 'Vinomania', lequel renvoie (cf pièce n°3 de l'appelante)
les candidats à y recourir comme un élément parmi d'autres devant être obtenus auprès
d'autres 'partenaires qui vous accompagnent', parmi lesquels il est significatif que figurent
également, de façon distincte, des professionnels du chiffre, en l'occurrence deux cabinets
d'expertise comptable et de commissariat aux comptes dont les coordonnées, sur ce
document, sont suivies de l'indication 'leur présentation et le budget', ce qui confirme bien la
portée limitée de l'étude de marché, étant ajouté que figurait aussi parmi ces partenaires un
courtier en financement ; Attendu que le document remis par MC2 à Ambitions 45 le 8
septembre 2010 (pièce n°5) est conforme aux bases de leur accord, et l'appelante dont le
curriculum vitae (pièce n°1) persuade qu'elle était particulièrement apte à l'analyser et à en
apprécier la portée et les limites en dénature l'objet en le présentant comme une étude
financière personnalisée ayant pu et dû servir de support principal à la décision de créer une
entreprise et de s'engager comme caution; Qu'il s'agit bien d'une présentation de la région,
de l'agglomération, de la ville et du quartier, explicitement fondée sur l'exploitation de
statistiques référencées et assortie de données générales sur leur structure démographique,
sociologique et économique, ainsi que d'un recensement des fonds concurrents, tant à
proximité immédiate que dans un périmètre un peu plus vaste, avec un commentaire sur les
facteurs plus ou moins favorables d'une implantation à cet endroit, et clôturée par un
RJP 2015-1 (Novembre)
31
prévisionnel constitué d'un tableau sommaire, fondé sur un taux moyen de fréquentation et un
chiffre d'affaires moyen par type d'activité ; Qu'Ambitions 45 avait d'ailleurs elle même
établi son propre prévisionnel (cf pièce n°7); Et attendu que c'est à bon droit que l'étude ne
mentionnait pas la présence d'un restaurant administratif qui n'entrait pas dans le champ des
concurrents ni de l'environnement commercial du bar à vin ; Attendu qu'il n'est ainsi pas
démontré que la société MC2 ait manqué à ses obligations, ni plus généralement qu'elle ait
commis une faute dont Mme THOMAS pourrait se prévaloir, et qui serait au surplus en
relation de causalité suffisante avec le préjudice dont elle argue, d'autant que la société
Ambitions 45 était déjà constituée lorsque l'étude fut commandée (cf pièce n°2) ; qu'elle avait
déjà décidé de s'implanter dans ce local de la [...] (cf pièce n°4 page 1) ; qu'elle s'établissait
dans des locaux où était déjà exploité un fonds de cave à vins (cf page 34 de l'étude), ce qui
ne pouvait manquer à la fois de renseigner et d'interroger sur la commercialité des lieux, en
s'intéressant aux raisons présidant au retrait du prédécesseur ; et que l'appelante, malgré les
représentations adverses, s'est constamment abstenue tout au long de l'instance devant le
tribunal, puis la cour, de produire des pièces, notamment tirée de la procédure collective
qu'elle détient nécessairement en sa qualité de gérante de nature à éclairer sur les motifs et
circonstances de la déconfiture rapide de l'entreprise ; Que le jugement déféré sera donc
confirmé purement et simplement ;
PAR CES MOTIFS
la cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire :
CONFIRME le jugement entrepris
CONDAMNE Mme Sylvie THOMAS aux dépens d'appel, ainsi qu'À PAYER à la S.A.R.L.
MC2 la somme de 2.000euros (DEUX MILLE EUROS) en application de l'article 700 du
code de procédure civile.
Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJEAUD, Président de chambre et Madame
AnneChantal
PELLÉ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Commentaire : Recevabilité et bien fondé d’une action en responsabilité délictuelle
fondée sur une inexécution contractuelle.
La Cour d'appel d'Orléans a admis la recevabilité d’une action en responsabilité délictuelle
fondée sur une inexécution contractuelle avant de rejeter la demande sur le fond.
Madame X a constitué en 2010 la SARL A dont elle était gérante. Elle a confié à la société
B la réalisation d’une étude de marché concernant son projet d’implantation d’une concession
à Orléans. Ce projet s’est concrétisé par l’ouverture de cette concession en décembre 2010.
Par ailleurs, Madame X s’est portée caution solidaire à hauteur de 92.500 euros d’un crédit
souscrit par ladite société auprès de la banque C. La société a finalement été placée en
liquidation judiciaire le 25 octobre 2012. La banque a alors mis en œuvre le cautionnement
auprès de Madame X. Celle-ci a fait assigner la société B sur le fondement de sa
responsabilité contractuelle et à titre subsidiaire délictuelle en arguant que son rapport était
entachée d’erreurs grossières qui l’avaient déterminée à s’engager dans un projet
manifestement pas viable. De son coté, la société B a invoqué l’irrecevabilité d’une telle
demande et à titre subsidiaire son rejet sur le fond. Le Tribunal de Commerce d’Orléans a
déclaré l’action de Madame X recevable toute en la déboutant de celle-ci. Cette dernière a par
la suite interjeté appel. La cour d’appel d’Orléans a confirmé le jugement rendu en première
instance à la fois sur la recevabilité de l’action de Madame X et sur le rejet sur le fond de
celle-ci.
RJP 2015-1 (Novembre)
32
Cette solution n’est pas nouvelle et ne vient que s’aligner sur la solution de principe
retenue par la cour de cassation26
et qui a fait l’objet d’une décision rendue en assemblée
plénière27
.
I. La recevabilité de l’action en responsabilité délictuelle
Le principe de la relativité des contrats posé à l’article 1165 du code civil dispose que les
stipulations contractuelles n’obligent que les parties entre elles. Cela signifie qu’en matière
contractuelle, il existe deux qualités possibles celle de contractant et celle de tiers au contrat.
Toutefois cette vision binaire ne saurait englober la diversité des situations contractuelles. En
effet, le contrat va créer une situation ou réalité juridique qui est susceptible d’impacter les
tiers au contrat. Le principe est alors celui de son opposabilité à tous (erga omnes) et partant
aux tiers. Les stipulations contractuelles sont par conséquent susceptibles d’être opposables
aux tiers. Cependant ces derniers vont pouvoir se prévaloir de ces mêmes stipulations
contractuelles afin d’engager non pas la responsabilité contractuelle des parties mais leur
responsabilité délictuelle.
En l’espèce Madame X était est effectivement tiers au contrat pour lequel elle estimait
qu’il y avait eu mauvaise exécution. En effet, c’est bien la société A qui a commandé l’étude
de marché et non Madame X. A première vue, l’action en responsabilité contractuelle lui est
donc fermée dans la mesure où elle est tiers au contrat. Toutefois, les tiers peuvent fonder
leurs actions en responsabilité délictuelle sur une inexécution contractuelle. Dès lors les
insuffisances et graves erreurs qui aux dires de Madame X ont entaché l’étude de marché
réalisé pour la SARL A peuvent être invoquées au titre d’une responsabilité délictuelle, c'est-
à-dire fondée sur l’article 1382 du code civil.
II. Le rejet de l’action en responsabilité à l’aide d’un faisceau d’indices
La Cour d’appel d’Orléans vient rejeter la demande formulée par Madame X. Cette
dernière prétendait ainsi que de graves erreurs et insuffisances ont entaché l’étude
commandée par la SARL A. Le tiers au contrat peut comme on l’a vu précédemment invoquer
une inexécution contractuelle comme fondement de la responsabilité délictuelle qu’il entend
engager. Il n’a pas à apporter d’autres preuves, la simple inexécution contractuelle est
suffisante pour lui ouvrir cette action28
. Autrement dit, il n’aura pas à prouver que la partie au
contrat qu’il entend poursuivre a commis une faute détachable du contrat29
. Toutefois, celle-ci
devra démontrer qu’il y a effectivement eu mauvaise exécution contractuelle. En l’espèce, ce
n’est pas le cas. La preuve d’une inexécution contractuelle mais aussi du lien de causalité de
celle-ci avec le préjudice que le tiers prétend avoir subi, lui incombe.
MOTS-CLES : RESPONSABILITE CONTRACTUELLE – RESPONSABILITE
DELICTUELLE –TIERS – RECEVABILITE.
Fatima BITARI
26
Cass. 1re civ., 15 déc. 1998, nos 96-21.905 et 96-22.440, Bull. civ. I, no 368, Defrénois 1999, art. 37008, note
Mazeaud D., Contrats, conc., consom. 1999, comm. no 37, note Leveneur L., RTD civ. 1999, p. 623, obs. Mestre
J. 27
Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, no 05-13.255, Bull. civ. ass. plén., no 9, D. 2006, p. 2825, note Viney G., RLDC
2007/34, no 2346, note Brun Ph., RLDA 2006/11, no 656, note Jacques Ph., Resp. civ. et assur. 2006, étude 17,
note Bloch L., JCP G 2006, II, no 10181, note Billiau M., JCP G 2007, I, no 115, obs. Stoffel-Munck Ph., JCP E
2007, 1000, note Auque F., RJDA 2007, no 1, note Assie F. ; sur cet arrêt, voir également, Mestre J., Une
véritable théorie de la relativité, RLDC 2006/32, Éditorial, p. 3 28
Cass. 1re civ., 18 juill. 2000, no 99-12.135, Bull. civ. I, no 221, RTD civ. 2001, p. 146, obs. Jourdain P 29
Cass. 1re civ., 18 mai 2004, no 01-13.844, Bull. civ. I, no 141
RJP 2015-1 (Novembre)
33
7) Demande en paiement du solde débiteur d’un compte-joint
Cour d’appel d’Orléans (Chambre commerciale, économique et financière), 29 janvier
2015, N°14/00397,57-15
Exposé du litige :
Le19 juin 2013, la société anonyme HSBC a assigné Monsieur Philippe Y... et son épouse,
Madame Béatrice A..., devant le tribunal d'instance de Tours afin d'obtenir leur
condamnation solidaire à lui verser 23.812,52 euros, montant du solde débiteur de leur
compte joint ouvert en ses livres.
Par jugement réputé contradictoire en date du 18 novembre 2013, le tribunal, statuant sous le
bénéfice de l'exécution provisoire, a condamné Monsieur et Madame Y... à verser à HSBC la
somme de 18.393,05 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du premier février
2013 et a débouté HSBC de sa demande en paiement d'une indemnité de procédure.
Monsieur et Madame Y... ont relevé appel de cette décision par déclaration en date du 31
janvier 2014.
Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du
code de procédure civile, ont été déposées :
-le 30 avril 2014 par les appelants,
-le 27 juin 2014 par l'intimée.
Monsieur et Madame Y... concluent à titre principal à la nullité du jugement déféré, et
subsidiairement à son infirmation, au rejet des demandes formées par HSBC et à la
condamnation de cette dernière à leur verser des dommages et intérêts équivalents au
montant du solde débiteur de leur compte courant ou 'd'au moins 10.000 euros'. A titre
infiniment subsidiaire, ils réclament les plus larges délais de paiement et, en tout état de
cause, sollicitent le versement d'une indemnité de procédure de 2.000 euros. Ils prétendent
que l'acte introductif d'instance est nul parce qu'ils n'ont jamais reçu l'assignation. Ils font
ensuite valoir que Monsieur Y... était cadre au sein de la société HSBC ; que le compte joint
fonctionnait habituellement en position débitrice et, qu'après leur avoir proposé un crédit de
restructuration sans jamais le leur accorder, la banque leur a brutalement retiré tout moyen
de paiement et a géré elle-même leur compte, les contraignant à solliciter des autorisations
pour leurs dépenses vitales. Ils signalent enfin qu'une rupture conventionnelle du contrat de
travail de Monsieur Y... est intervenue en mai 2012.
HSBC demande à la cour d'écarter l'exception de nullité de l'assignation soulevée par les
demandeurs et conclut à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation des
appelants à lui verser une indemnité de procédure de 800 euros. Elle souligne que Monsieur
Y..., cadre bancaire, savait mieux que quiconque que les comptes doivent être gérés avec
rigueur, rappelle que l'inscription des appelants au fichier des incidents de paiement résulte
de l'émission de chèques sans provision, et souligne qu'elle a adressé, le 8 août 2012, une
lettre recommandée avec demande d'avis de réception par laquelle elle dénonçait le
découvert avec délai de prévenance expirant le 8 octobre parce que salaire de l'épouse n'était
plus versé sur le compte joint. Enfin, elle s'oppose à l'octroi de délais de paiement en faisant
observer que les débiteurs ne produisent aucune pièce justifiant de leur situation financière.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :
Attendu que l'assignation introductive d'instance a été délivrée par remise à l'étude de
l'huissier de justice après que ce dernier ait indiqué s'être déplacé 30, chemin des sables à
RJP 2015-1 (Novembre)
34
Nazelles Négron, y avoir constaté la présence du nom 'Y... ' sur la boîte aux lettres et s'être
fait confirmer le domicile par le voisinage ; que l'huissier instrumentaire a précisé avoir
laissé au domicile un avis de passage daté du 19 juin 2013 ;
Que les époux Y... , qui reconnaissent être domiciliés 30, chemin des sables à Nazelles
Négron, n'exposent pas en quoi les indications de l'huissier de justice seraient insuffisantes ni
en quoi ses diligences ne seraient pas conformes à l'article 114 du code de procédure civile
ou à l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme ;
Que l'avis d'assignation qui leur a été adressé répond entièrement aux exigences légales en
vigueur et que l'exception de nullité sera en conséquence écartée ;
Attendu que Monsieur et Madame Y... ne contestent pas être débiteurs de la somme de
18.393,05 euros envers HSBC et que le jugement déféré ne peut dès lors qu'être confirmé en
ce qu'il les a condamnés à la payer ;
Attendu que les appelants reprochent en substance à HSBC d'avoir abusivement rompu un
accord tacite de crédit qui leur permettait de faire fonctionner leur compte courant en
position débitrice et d'avoir refusé de leur accorder le prêt qu'elle leur avait pourtant proposé
;
Mais attendu qu'à l'appui de ces dires, Monsieur et Madame Y... produisent uniquement un
décompte de tous leurs créanciers établi par leurs seuls soins à une date ignorée sans qu'il
soit démontré que ce document a été un jour transmis à HSBC ou qu'il avait pour finalité de
préparer une demande de prêt de restructuration ; qu'aucune des pièces versées aux débats
ne mentionne une demande formée par les époux Y... ou une offre de la banque de procéder à
un tel prêt ;
Que la pièce numéro 2 des appelants n'est qu'un 'récapitulatif de la situation' encore une fois
unilatéralement établi par leurs soins sans qu'il soit permis de penser, en l'absence de date et
de nom de destinataire, qu'il a été adressé à HSBC ;
Qu'il ressort clairement des courriers échangés entre les parties que ce n'est nullement
l'attitude de HSBC qui a mis les appelants en difficulté mais la souscription de 20 crédits à la
consommation entraînant paiement d'échéances mensuelles trop élevées et l'accumulation
d'impayés auprès de divers créanciers, dont le Trésor Public qui a procédé à la mise en place
d'avis à tiers détenteurs ;
Que le solde débiteur du compte courant n'a alors cessé d'augmenter et que les appelants ont
arrêté d'y domicilier le salaire de l'épouse, ce qui a légitimement conduit la banque à
s'inquiéter d'une situation qui apparaissait de plus en plus compromise ;
Que Monsieur et Madame Y... ne sauraient reprocher à HSBC d'avoir brutalement décidé
d'un retrait immédiat de leurs moyens de paiement alors qu'ils n'ont pas réclamé la lettre
recommandée qui leur avait été adressée le 8 août pour les mettre en garde, leur demander
de proposer un apurement du solde débiteur et les aviser qu'à défaut d'accord leurs moyens
de paiement leur seraient retirés deux mois plus tard ;
Qu'enfin la banque n'a pas unilatéralement mis en place un système de prélèvement direct sur
le compte joint afin de rembourser le découvert mais qu'il résulte des pièces produites que ce
sont les appelants eux-mêmes qui ont proposé de telles modalités de remboursement qu'ils
n'ont jamais contestées tant que Monsieur Y... est resté salarié de HSBC ;
Qu'aucune pièce ne permet dès lors d'établir l'existence d'une faute commise par l'intimée et
que les appelants seront déboutés de leur demande en paiement de dommages et intérêts ;
Attendu que l'article 1244-1 du code civil permet au juge d'accorder des délais de paiement
tenant compte de la situation du débiteur et des besoins du créancier mais que Monsieur et
Madame Y... ne produisent aucune pièce justifiant de leur situation financière sur laquelle ils
ne s'expliquent même pas dans leurs écritures, ce qui conduit à rejeter leur demande tendant
à l'octroi de tels délais ;
RJP 2015-1 (Novembre)
35
Que les époux Y... , succombant en cause d'appel, devront supporter les dépens de cette
procédure et qu'il sera fait application, au profit de l'intimée, des dispositions de l'article 700
du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
REJETTE l'exception de nullité de l'assignation,
CONFIRME la décision entreprise,
Y AJOUTANT,
DEBOUTE Monsieur Philippe Y... et son épouse, Madame Béatrice A..., de leurs demandes
tendant au paiement de dommages et intérêts et à l'octroi de délais de paiement,
CONDAMNE solidairement Monsieur Philippe Y... et Madame Béatrice A... à payer à la
société anonyme HSBC la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du
code de procédure civile,
CONDAMNE solidairement Monsieur Philippe Y... et Madame Béatrice A... aux dépens
d'appel,
ACCORDE à la SCP STOVEN et associés, avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699
du code de procédure civile.
Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJEAUD, président de chambre et Madame Anne-
Chantal PELLÉ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat
signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Monsieur Alain RAFFEJEAUD,
Commentaire : Régularité de la demande en paiement du solde débiteur d’un compte
joint
Le compte joint est un contrat bancaire caractérisé par une solidarité des co-titulaires du
compte créanciers ou débiteurs de la banque. Ainsi, deux types de solidarité coexistent au sein
de ce contrat. Les co-titulaires sont en effet solidairement tenus vis-à-vis de la banque au
règlement intégral du solde débiteur, des intérêts et des frais en vertu de la solidarité
passive.30
S’ajoute une solidarité active impliquant que chacun des co-titulaires dispose de
l’intégralité des fonds déposés sur le compte31
La jurisprudence précise que cette solidarité doit être stipulée.32
La solidarité passive permet au banquier de réclamer à l'un quelconque des co-titulaires le
remboursement du découvert. Et cela peu important qu'un seul des codébiteurs ait profité de
l'opération à l'origine du solde débiteur du compte. 33
30
Art. 1200C.civ. 31
Art. 1197 et suiv. C. civ ; Clément Ch., Solidarité et compte bancaire, D. 2007, p. 1805 32
Cass. 1re
civ., 16 juin 1992, no 90-18.209, Bull. civ. I, n
o 179, D. 1993, somm., p. 216, obs. Delebecque Ph. ;
Cass. 1re
civ., 6 oct. 1998, no 96-20.111, D. aff. 1998, p. 1811, obs. X.-D. ; Cass. com., 8 mars 1988, n
o 86-
10.733, Bull. civ. IV, no 102, Banque 1988, p. 821, note Rives-Lange J.-L., D. 1989, somm., p. 321, note
Vasseur M.
RJP 2015-1 (Novembre)
36
Les contentieux relatifs au compte-joint sont ainsi nombreux. De plus la majorité des
comptes-joints sont souscrits par des époux, la détérioration des relations entre époux est donc
souvent à l’origine des litiges.
En l’espèce la banque créancière assigne des époux titulaires d’un compte joint en
condamnation solidaire au versement du montant du solde débiteur du compte joint.
Le tribunal accueille la demande, les co-titulaires du compte-joint interjettent alors appel
faisant valoir d’une part la nullité de l’acte introductif d’instance au motif d’absence de
réception de l’assignation, d’autre part d'avoir abusivement rompu un accord tacite de crédit
qui leur permettait de faire fonctionner leur compte courant en position débitrice et d'avoir
refusé de leur accorder le prêt qu'elle leur avait proposé.
La Cour d’appel considère l’assignation régulière, un avis de passage de l’huissier ayant
été déposé à leur domicile. Les juges ajoutent que le solde du compte étant débiteur, le
montant du solde n’étant pas contesté, les titulaires ne peuvent s’opposer à la demande en
paiement. Ainsi la Cour affirme que dès lors que le solde du compte est débiteur, la banque
créancière peut de droit demander le paiement du solde. Enfin l’argument relatif à l’octroi du
prêt est écarté, aucune démarche n’ayant été réalisée.
La Cour d’appel rappelle dans le cadre de cet arrêt une solution classique concernant la
demande en paiement du solde débiteur d’un compte joint. Ainsi le banquier créancier est
autorisé à exiger des co-titulaires du compte-courant le paiement du solde débiteur du compte
dès lors que le montant n’est pas contesté. De plus du fait de la solidarité active et passive
caractérisant ce contrat bancaire, le banquier pourra indistinctement s’adresser à l’un ou
l’autre des co-titulaires, peu important que la dépense soit engagée par l’un seul d’entre eux et
dans l’intérêt d’un seul d’entre eux.
MOTS-CLES : COMPTE JOINT-SOLDE DEBITEUR-DEMANDE EN PAIEMENT
Anissa KOURTAA
8) L’interruption de prescription de l’admission des créances dans les procédures
collectives
Cour d'appel d’Orléans, Chambre commerciale, économique et financière, 22 Janvier
2015, N° 14/00529, 31 - 15
ARRÊT :
Prononcé le 22 JANVIER 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les
parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de
l'article 450 du Code de procédure civile.
33
Cass. com., 8 févr. 2005, no 02-16.967, Bull. civ. IV, n
o 20, D. 2005, p. 771, obs. Avena-Robardet V., Banque
et droit 2005, no 100, p. 42, obs. Jacob, Banque et droit 2005, n
o101, p. 73, obs. Bonneau Th., RTD com. 2005,
p. 396, obs. Legeais D., D. 2006, p. 164, obs. Martin D.
RJP 2015-1 (Novembre)
37
Par jugement en date du 28 septembre 1979, le tribunal de commerce de Romorantin a ouvert
une procédure de règlement judiciaire à l'encontre de Monsieur C. et a désigné Maître B. en
qualité de syndic.
Les créances de la Mutualité sociale agricole Berry Touraine antérieures au 28 septembre
1979 ont été admises au passif du règlement judiciaire le 18 juillet 1980.
Par jugement en date du 8 juillet 1983, le tribunal de commerce de Romorantin a converti le
règlement judiciaire de Monsieur C. en liquidation des biens.
La clôture de la procédure est intervenue le 20 juin 2008.
La Mutualité sociale agricole Berry Touraine a alors déclaré, le 4 juillet 2008, entre les
mains de Maître B. les sommes qui lui étaient dues, tant pour la période antérieure au
règlement judiciaire que pour la période comprise entre celui-ci et la liquidation de biens.
Monsieur C. a saisi, le 19 septembre 2012, le juge commissaire d'une contestation tendant à
voir déclarer prescrite la créance de la Mutualité sociale agricole Berry Touraine.
Par ordonnance en date du 11 juin 2013, le juge commissaire a considéré que, pour la
période antérieure au règlement judiciaire, les créances de la Mutualité sociale agricole
Berry Touraine ne pouvaient être contestées du fait de la suspension des poursuites, mais
que, pour la période comprise entre le règlement judiciaire et la liquidation des biens, les
créances pour lesquelles les titres exécutoires avaient été délivrés il y a plus de trente ans,
soit antérieurement au 1er septembre 1982, étaient prescrites.
Sur recours formé par la Mutualité sociale agricole Berry Touraine, le tribunal de commerce
de Blois, par jugement en date du 24 janvier 2014, a débouté celle-ci de sa demande
d'admission au passif, a ordonné à Maître B. d'opérer la répartition de la liquidation en
conséquence de cette constatation et a condamné la Mutualité sociale agricole Berry
Touraine à payer à Monsieur C. une somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de
procédure civile.
Pour considérer que l'action de la Mutualité sociale agricole Berry Touraine était prescrite,
le tribunal a retenu que la liquidation des biens n'était pas une cause de suspension de la
prescription, que la Mutualité sociale agricole Berry Touraine n'avait pas respecté les
dispositions de l'article L 242 -2 du code de la sécurité sociale relativement à l'exécution des
contraintes, que la prescription trentenaire de l'ancien article 2262 du code civil commençait
à courir le jour où les contraintes étaient devenues définitives et que la prescription n'avait
pas été suspendue par la contestation des créances déposée par Monsieur C. le 19 septembre
2012.
La Mutualité sociale agricole Berry Touraine a régulièrement interjeté appel de cette
décision le 11 février 2014.
Elle a fait valoir que, contrairement à ce qu'avait jugé le tribunal, la prescription était
suspendue par l'effet du jugement de liquidation des biens suspendant les poursuites
individuelles de la part des créanciers.
RJP 2015-1 (Novembre)
38
Elle a demandé, en conséquence, son admission au passif pour la somme de 16'133,69 euros
au titre des créances antérieures au règlement judiciaire, et pour la somme de 81'654,34
euros au titre des créances relatives à la période comprise entre le règlement judiciaire et la
liquidation des biens.
Elle a encore sollicité une somme de 3000 euros en vertu de l'article 700 du code de
procédure civile.
Monsieur C. et Maître B., ès qualités de syndic à la liquidation de biens de Monsieur C., ont
conclu à la confirmation de la décision entreprise, tout en précisant que c'était l'ensemble des
contraintes émises par la Mutualité sociale agricole Berry Touraine jusqu'en 1983, et non pas
seulement celles antérieures au 1er septembre 1982 comme l'avait retenu le juge
commissaire, qui étaient prescrites.
Ils ont sollicité une somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE,
Attendu que, selon l'article 35 de la loi n° 67 ' 563 du 13 juillet 1967, le jugement qui
prononce le règlement judiciaire ou la liquidation des biens suspend toute poursuite
individuelle tant sur les immeubles que sur les meubles, de la part des créanciers dont les
créances nées avant le jugement constatant la cessation des paiements ne sont pas garanties
par un privilège spécial, un nantissement ou une hypothèque sur lesdits biens ;
Que la suspension des poursuites se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure ;
Qu'il s'ensuit que le créancier étant dans l'impossibilité d'agir, la prescription est suspendue
à son égard pendant toute la durée de la procédure collective ;
Que c'est dès lors à tort que le tribunal, à l'inverse du juge commissaire qui avait
excellemment jugé que les créances antérieures au jugement d'ouverture du règlement
judiciaire n'étaient pas prescrites, a dit que la procédure collective dont faisait l'objet
Monsieur C. ne pouvait être une cause de suspension de la prescription, confondant ainsi
l'hypothèse où la prescription court contre le débiteur et celle où elle court, comme en
l'espèce, contre le créancier ;
Qu'ainsi, la prescription de la créance de la Mutualité sociale agricole Berry Touraine,
admise au passif , étant de trente ans et le délai de prescription ayant commencé à courir le
20 juin 2008, date de la clôture de la procédure collective, ce délai n'est pas expiré ;
Qu'il convient, dès lors, d'infirmer de ce chef le jugement entrepris ;
Attendu que, s'agissant de la créance de la période comprise entre le règlement judiciaire et
la liquidation des biens, la Mutualité sociale agricole Berry Touraine est créancière de la
masse et le jugement de liquidation des biens n'a pas interrompu ou suspendu la prescription,
dès lors que la créance est postérieure au jugement d'ouverture du règlement judiciaire qui
avait constaté la cessation des paiements ;
RJP 2015-1 (Novembre)
39
Attendu que les premiers juges ont à bon droit relevé que la prescription était en l'espèce de
trente ans, s'agissant de contraintes ayant l'effet d'un jugement par application des
dispositions de l'article L 244- 9 du code de la sécurité sociale ;
Qu'il reste à déterminer le point de départ de l'interruption de la prescription, lequel ne peut
être qu'une demande en justice ou un acte équivalent émanant de la Mutualité sociale
agricole Berry Touraine, et non pas, comme l'a retenu à tort le juge commissaire, la date de
sa saisine par Monsieur C. à l'effet de faire constater la prescription ;
Qu'il convient de rouvrir les débats sur ce point ;
PAR CES MOTIFS,
INFIRME le jugement entrepris ;
STATUANT À NOUVEAU,
DIT que la créance de la Mutualité sociale agricole Berry Touraine n'est pas prescrite pour
la période antérieure au jugement d'ouverture du règlement judiciaire de Monsieur C. ;
AVANT-DIRE DROIT sur le sort de la créance de la Mutualité sociale agricole Berry
Touraine pour la période comprise entre le jugement de règlement judiciaire et le jugement
de liquidation des biens,
INVITE les parties à s'expliquer sur la date d'interruption de la prescription trentenaire ayant
couru depuis 1981 à 1983, et plus particulièrement sur la portée du courrier de la Mutualité
sociale agricole Berry Touraine adressé à Maître B. le 4 juillet 2008 ;
RENVOIE la cause et les parties à l'audience du 9 avril 2015 à 14 heures ;
RÉSERVE les dépens.
Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJEAUD, Président de chambre et Madame Anne-
Chantal PELLÉ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat
signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Commentaire : Jugement d’ouverture : effet suspensif de prescription de créance.
Le droit des entreprises en difficultés est un droit complexe. Il l’est encore plus du fait que
les réformes successives en la matière obligent les praticiens à manier plusieurs législations
qui se superposent les unes sur les autres, chacune n’étant applicable qu’aux procédures
ouvertes à compter de leur entrée en vigueur. L’arrêt, ici commenté, est une parfaite
illustration de cette particularité de la matière.
RJP 2015-1 (Novembre)
40
Le 22 janvier 2015, La Cour d’appel d’Orléans s’est prononcé sur la demande en appel qui
lui a été soumise en appliquant les dispositions de la loi du 13 juillet 196734
.
Les faits ayant donné lieu à cet arrêt résident dans la procédure collective ouverte à
l’encontre d’un agriculteur il y a plus de trente ans qui s’est transformée par la suite en
procédure de liquidation de biens. Afin de récupérer sa créance détenue sur Monsieur C.,
l’agriculteur en question, l’organisme de protection sociale du secteur agricole (l’OPS) forme
en 2014 un recours devant le Tribunal de commerce de Blois. Le Tribunal de commerce par
sa décision du 24 janvier 2014 rejette sa demande au motif qu’une partie de la créance étant
prescrite est éteinte et ne peut plus donc être déclarée au passif. L’OPS n’étant pas d’accord
avec cette décision, interjette appel de cette décision et obtient une nouvelle confrontation
avec son adversaire le 9 avril 2015.
Concernant le fond de cette affaire les juges d’appel avaient à se prononcer sur la question
relative au caractère prescrit ou non des créances détenues par l’appelante sur Monsieur C.
Toutefois, la juridiction d’appel n’apporte qu’une solution partielle à ce problème. Pour le
faire, elle applique la législation en vigueur au moment de l’ouverture de la procédure de
règlement judiciaire (ouverte par la décision du Tribunal de commerce de Romorantin le 28
septembre 1979), elle reconnait le caractère non prescrit de la créance de l’OPS pour la
période antérieure au jugement d’ouverture de règlement judiciaire. Alors que concernant la
créance postérieure, les juges orléanais invitent les parties à s’expliquer de nouveau sur « la
date de l’interruption de la prescription trentenaire ayant couru depuis 1981 à 1983, et plus
particulièrement sur la portée du courrier de la Mutualité sociale agricole Berry Touraine
adressé à Maître B. le 4 juillet 2008 ».
Comme nous pouvons l’observer, cet arrêt est une parfaite illustration d’application de la
législation qui, bien qu’abrogée depuis plus de vingt ans reste toujours en vigueur pour les
procédures en cours. Les juges d’appel, dans leur raisonnement, suivent l’esprit de la loi de
1967 qui était celui de la protection des créanciers. Elle donne tort au dispositif pris par le
tribunal en ce qu’il a décidé que la procédure collective dont faisait l’objet Monsieur C. ne
pouvait être une cause de suspension de la prescription. La cour d’appel reproche aux juges de
première instance de confondre la personne contre qui court la prescription, elle souligne donc
que dans le cas de l’espèce celle-ci court contre le créancier et non contre le débiteur. Pour
statuer ainsi, les juges d’appel se fondent sur les dispositions de l’article 35 de la loi du 13
juillet 1967 précitée, qui accordait un caractère suspensif de toute poursuite individuelle de la
part des créanciers antérieurs au jugement qui prononce le règlement judiciaire ou la
liquidation de biens. Dès lors la prescription qui court à l’égard de créancier doit, elle aussi,
être suspendue. Ce raisonnement n’est pas nouveau, nous pouvons même dire que les juges
d’appel ont suivi la ligne de réflexion déjà empruntée par les juges de cassation. En effet, les
juges de droit ont déjà eu l’occasion de se prononcer sur la question semblable à plusieurs
reprises35
. Voir par exemple l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 18
mars 2014. Par cet arrêt, la Cour de cassation a cassé la décision de la cour d’appel qui n’avait
pas reconnu l’effet interruptif de prescription à la déclaration de créances36
. Dans cette affaire,
les juges de cassation se sont prononcés sur la question relative au caractère prescrit ou non de
la demande de l’assureur relative à la production de la créance au passif de la liquidation des
bines de débiteur. Ils ont rendu leur décision au visa des dispositions de la loi de 1967, en
34
Loi n°67-563 du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et
les banqueroutes 35
Cass. Com. 26 septembre 2006, n° 04-10.751 , Bull. civ. IV, n° 190 ; 6 juillet 2010, n° 09-14.104 36
Cass. Com. 18 mars 2014, n°13-11925, inédit.
RJP 2015-1 (Novembre)
41
précisant que « la production de la créance au passif de la liquidation des biens du débiteur
principal a interrompu la prescription et que cet effet interruptif est prorogé jusqu’à la
clôture de la procédure collective… ».
Par ailleurs, cette solution précitée pourrait parfaitement être appliquée à l’issue de
prochaine audience fixée par la cour d’appel au 9 avril 2015. En effet, les juges d’appel ne
statuent pas sur la question relative à la créance postérieure au jugement d’ouverture de la
procédure collective. Ne disposant pas des observations des parties sur le sujet, ils invitent les
parties à débattre sur la qualification du courrier de l’OPS adressé à monsieur C. le 4 juillet
2008. Il nous semble tout à fait possible qu’il s’agisse de la production de la créance au passif
et que de ce fait la prescription qui court à l’encontre de créancier soit interrompue, et que de
ce fait les créances qu’il détient sur monsieur C. demeurent exigibles. Toutefois l’issue de
cette affaire dépend de la qualification retenue par les juges lors de l’audience du 9 avril.
MOTS CLES : PROCEDURES COLLECTIVES – ADMISSION DES CREANCES -
INTERRUPTION DE PRESCRIPTION- LOI DE 1967
Kristina ROGOVICH
9) Le refus d’exonération de la taxe annuelle de 3% sur la valeur vénale des immeubles
possédés en France
Cour d’appel d’Orléans (chambre civile), 26 janvier, N° RG : 13/03869
ARRÊT :
Prononcé le 26 JANVIER 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les
parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de
l'article 450 du Code de procédure civile.
Sur le rappel des faits et de la procédure
La société Pompadour Palace Foundation appartient à une chaîne de sociétés de droit
américain ; elle est détenue à 100% par la société European American Institute Inc qui est
elle-même détenue à 100% par la société European American Museum ; quant à cette
dernière, elle est aussi détenue à 100% par sa filiale, la société European American Institute
Inc.
La société Pompadour Palace Foundation a acquis, en 1983, deux immeubles situés
respectivement 24 quai de Béthune à Paris et le château ayant appartenu à la Marquise de
Pompadour situé à Menard (41).
L'immeuble situé 24 quai de Béthune a été vendu le 10 janvier 2006.
A la suite de cette vente, chacune des sociétés du groupe a procédé à la déclaration afférente
à la taxe de 3% énoncée par l'article 990D du code général des impôts au titre des années
2005, 2006 et 2007 mais n'a effectué aucun paiement.
Le 22 décembre 2008, les services fiscaux ont adressé à la société European American
Museum une proposition de rectification visant à assujettir cette société pour les années
2005,2006 et 2007, à la taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés en France, dite
taxe de 3%.
RJP 2015-1 (Novembre)
42
Par lettre du 23 janvier 2009, la société European American Museum a fait connaître son
refus des rectifications proposées.
Le 23 octobre 2009, le service des impôts a émis deux avis de mise en recouvrement :
N° 09 10 00070 au titre des années 2005 et 2006 pour un montant total de 1 120659 euros ;
N° 09 10 00071 au titre de l'année 2007, pour un montant de 196 842 euros.
Après une réclamation contentieuse assortie d'une demande de sursis de paiement qui a été
rejetée, la société European American Institute Inc venant aux droits de la société European
American Museum a fait citer le 1er décembre 2010, Monsieur le Directeur général des
finances publiques devant le Tribunal de grande instance de Blois qui a, par jugement du 31
octobre 2013, notamment:
Rejeté la demande de la société European American Institute Inc aux fins d'être déchargée
des impositions attachées à la notification de redressement en date des 22 décembre 2008, 20
décembre 2002 et 15 décembre 2003.
La société European American Institute Inc a formé, le 10 décembre 2013, un appel général à
l'égard de ce jugement.
Par dernières conclusions notifiées le 19 septembre 2014, la société European American
Institute Inc demande de voir :
Réformer le jugement entrepris ;
Juger que l'article 990 E 2º du CGI n'exige pas la présence de personnes physiques en bout
de chaîne de participation pour bénéficier de l'exonération de la taxe de 3% ;
Juger que l'administration peut se voir opposer sur le fondement de l'article L80B du Livre
des procédures fiscales l'ensemble des démarches qu'elle a faites pour recouvrer la taxe de
3% et l'abandon de ces projets avec un écrit permettant de s'assurer qu'elle a accepté la
régularisation de la situation du groupe au regard de l'exonération de la taxe de 3% et de
prononcer par conséquent la décharge des impositions ;
Subsidiairement,
Constater que l'administration n'a pas respecté le principe de la confiance légitime ;
Prononcer la nullité de la procédure pour absence de motivation de la notification de
redressement sur le fondement de l'article L5 du Livre des procédures fiscales ;
Prononcer la décharge des impositions ;
Condamner l'intimée à rembourser au requérant les dépenses mentionnées à l'article R207-1
du Livre des procédures fiscales et le condamner à lui payer la somme de 2 500 euros en
application de l'article 700 du code de procédure civile.
À l'appui de sa demande, la société European American Institute Inc fait valoir que
concernant la procédure, l'administration n'a pas notifié tous les actes de procédure
postérieurs à la notification des redressements à l'ensemble des débiteurs solidaires ;
l'administration n'a pas non plus motivé le redressement ; enfin, l'administration a pris en
1999, une position qui lui est opposable par le contribuable sur le fondement de l'article L80-
B du Livre des procédures fiscales.
Par dernières conclusions notifiées le 9 septembre 2014, Monsieur le Directeur général des
Finances publiques conclut au débouté des demandes de la société European American
Institute Inc, à la confirmation du jugement de première instance et à la condamnation de la
société European American Institute Inc à lui payer la somme de 1 500 euros en application
de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de sa demande, Monsieur le Directeur général des Finances publiques fait valoir
que la proposition de rectifier est liée à la structure du groupe qui ne permet pas de
déterminer qui détient la société European American Institute Inc, qu'en effet la participation
RJP 2015-1 (Novembre)
43
croisée ne permet pas de satisfaire à l'obligation de déclarer les personnes morales ou
physiques détenant le capital social de cette société au regard de l'obligation déclarative de
l'article 990 E du code général des impôts, et la proposition de rectification du 22 décembre
2008 énonce ce motif.
Elle ajoute que le seul redevable de la taxe est la société European American Institute Inc,
dernière personne morale de la chaîne non exonérée, les autres sociétés de la chaîne ne sont
pas redevables mais seulement solidairement responsables du paiement de la dette fiscale.
Concernant l'argument de la prise de position antérieure opposable, Monsieur le Directeur
général des Finances publiques précise qu'elle avait seulement accepté que la société
Pompadour Palace Foundation régularise sa situation en déposant les déclarations de taxe
annuelle de 3% au titre des années vérifiées.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à
leurs dernières conclusions récapitulatives.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 octobre 2014.
SUR CE
Sur le bien-fondé des demandes
Aux termes de l'article 990D du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur
jusqu'au 31 décembre 2007, applicable en l'espèce, les personnes morales qui directement ou
par personne interposée, possèdent un ou plusieurs immeubles situés en France ou sont
titulaires de droits réels portant sur ces biens, sont redevables d'une taxe annuelle égale à 3%
de la valeur vénale de ces immeubles ou droits.
En application de l'article 990 E 2º et990 E 3º du code général des impôts dans sa rédaction
en vigueur jusqu'au 31 décembre 2007, applicable en l'espèce, sont exonérées de la taxe
annuelle de 3% les personnes morales qui ont leur siège dans un pays ou un territoire ayant
conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la
fraude et l'évasion fiscales ou une convention avec clause d'égalité de traitement à condition
de déclarer au plus tard le 15 mai de chaque année, la situation, la consistance et la valeur
des immeubles en cause au 1er janvier, l'identité et l'adresse de leurs associés à la même date
ainsi que le nombre des actions ou parts détenues par chacun d'eux, sur une déclaration
modèle portant le nº 2746.
En l'espèce, il est constant que le château de Ménars, assiette de l'imposition litigieuse, est la
propriété de la société Pompadour Palace foundation, qui a déclaré être la filiale à 100% de
la société European American Institute Inc qui a, elle aussi déclaré être filiale à 100% de la
société European American Museum. Dans la mesure où les deux premières sociétés ont leur
siège aux Etats-Unis, ont fait leur déclaration 2746 et que les Etats-Unis ont conclu avec la
France une convention d'assistance administrative, elles sont exonérées de la taxe de 3%.
En revanche, s'agissant de la société European American Museum qui à l'époque des années
d'imposition, a déclaré comme associé à 100% sa filiale à 100%, la société European
American Institute Inc, elle n'a déclaré qu'une participation croisée qui ne permet pas de
connaître le détenteur effectif des parts sociales.
D'ailleurs, en réponse à la proposition de rectification du 2 décembre 2008 de Monsieur le
Directeur général des Finances publiques, l'avocat de la société European American Museum
a écrit que la participation croisée à la tête du groupe s'apparente à un trust et que le trustee
serait Monsieur Edmond Baysari.
Cependant, en dépit des demandes de Monsieur le Directeur général des Finances publiques,
ni le trust, ni l'existence juridique du trustee n'ont été justifiés par la société European
American Museum ou Monsieur Edmond Baysari.
RJP 2015-1 (Novembre)
44
Par conséquent, en l'absence de déclaration de l'adresse et de l'identité de son ou ses associés
effectifs, la société European American Museum qui possède un bien immobilier en France
par personnes interposées, ne peut être exonérée du paiement de la taxe de 3%.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur la procédure fiscale
1º) Sur le moyen tiré de l'absence de la notification de la procédure aux autres redevables
En l'espèce, seule la société European American Museum aux droits et obligations desquels
succède la société European American Institute Inc, est redevable de la taxe de 3% et la
procédure judiciaire n'est exercée qu'au nom de la société European American Institute Inc,
sans que les autres sociétés du groupe ne soient partie à la procédure.
Dans ces conditions, Monsieur le Directeur général des Finances publiques n'avait pas
l'obligation de notifier aux autres sociétés les actes de la procédure fiscale.
Le moyen n'est pas fondé.
2º) Sur le moyen tiré de l'absence de motivation de la proposition de rectification du
22décembre 2008
Il ressort de la lecture de la lettre du 22 décembre 2008 adressée par l'administration fiscale
à la société European American Museum valant proposition de rectification, que les pages 1
à 6 de cette lettre, énoncent la procédure, les faits, les dispositions légales, l'application au
cas d'espèce, les valeurs vénales des biens immobiliers, les rehaussements, les pénalités et les
conséquences financières, que cet acte explique ainsi les motifs de la proposition de
rectification, son fondement juridique et en prévoit les conséquences financières.
Compte tenu de ces éléments, le reproche de la société European American Institute Inc n'est
pas justifié.
3º) Sur le moyen tiré de l'opposabilité de la prise de position antérieure de
l'administrationfiscale
Au vu de la lettre du 21 décembre 1999, invoquée par la société European American Institute
Inc à l'appui de son moyen, il ressort que l'administration fiscale a 'pris acte des
régularisations effectuées par la société Pompadour Palace Foundation au titre de la taxe de
3%'.
Le fait de prendre acte ne constitue pas une interprétation de la loi fiscale applicable à la
société concernée.
Par conséquent, les dispositions de l'article L80A sur lesquelles se fonde la société European
American Institute Inc ne sont pas applicables en l'espèce.
Le moyen est rejeté.
En définitive, il n'est pas établi que la procédure fiscale suivie par Monsieur le Directeur
général des Finances publiques pour assujettir la société European American Institute Inc à
la taxe de 3% pour les années 2005, 2006 et 2007 est irrégulière.
Par conséquent et en l'absence d'autre contestation, le jugement entrepris sera confirmé en
totalité.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Les circonstances de fait et les solutions adoptées en appel justifient qu'il soit fait droit à la
demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile et que la société European
American Institute Inc soit condamnée à payer à Monsieur le Directeur général des Finances
publiques, la somme que l'équité commande de fixer à 1 500 euros.
La demande formée par la société European American Institute Inc en application de l'article
L57 du Livre des procédures fiscales est rejetée pour les mêmes motifs.
En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société European American
Institute Inc sera condamnée aux dépens de l'appel.
PAR CES MOTIFS
RJP 2015-1 (Novembre)
45
STATUANT publiquement, contradictoirement, en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris ;
REJETTE toutes demandes plus amples ou contraires ;
CONDAMNE la société European American Institute Inc à payer à Monsieur le Directeur
général des Finances publiques la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du
code de procédure civile ;
CONDAMNE la société European American Institute Inc aux dépens de l'appel
DIT qu'il pourra être fait application par Me Daudé, avocat de Monsieur le Directeur
général des Finances publiques, des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
pour leur recouvrement.
Commentaire : Le refus d’exonération de la taxe sur la valeur vénale des immeubles
possédés en France
Les entités juridiques, notamment les personnes morales, détenant directement ou
indirectement des immeubles en France sont redevables d'une taxe annuelle égale à 3 % de
leur valeur vénale37
sous réserve de certaines exonérations. En l’espèce, suite à la vente d’un
immeuble possédé en France par plusieurs sociétés américaines, la taxe annuelle qui aurait dû
faire l’objet d’un paiement n’a pas été réglée. Dès lors, l’administration fiscale française a
adressé une proposition de rectification pour assujettir une des sociétés au paiement de cette
taxe. La société a refusé cette proposition de rectification, elle estimait qu’elle devait être
exonérée. Suite à ce refus, l’administration a émis deux avis de mise en recouvrement. Après
une réclamation contentieuse rejetée, la société a cité devant le Tribunal de grande instance le
Directeur général des finances publiques. Le tribunal a rejeté la demande de la société. Cette
dernière a fait appel du jugement.
Le premier problème est le non paiement de la taxe annuelle par la société. En l’espèce,
l’immeuble en cause était détenu par une première société américaine qui elle-même était
détenue par une deuxième société américaine. Cette deuxième société était détenue par une
troisième société. Cette dernière est associée de la deuxième société dont le siège était aux
Etats-Unis. La troisième société a déclaré une simple participation croisée qui ne permet pas
de connaitre les détenteurs des parts sociales. Lors de la vente de l’immeuble, les sociétés
auraient dû payer la taxe annuelle de 3%. Or, l’article 990 E du code général des impôts
prévoit des exonérations à cette taxe annuelle. En effet, sont exonérées de cette taxe les
personnes morales qui ont leur siège dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France
une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion
fiscale38
. Cette exonération implique de procéder à une déclaration annuelle de la valeur des
immeubles possédés en France ainsi que de l'identité et de l’adresse des associés avec le
nombre d'actions ou parts détenues par chacun d'eux sur la déclaration no2746
39. Cette
exonération est conforme au principe communautaire de liberté de circulation des capitaux40
.
En l’espèce, les deux premières sociétés avaient leur siège aux Etats-Unis, territoire qui a
conclu une convention d’assistance administrative et ont rempli la déclaration no 2746. Elles
étaient donc exonérées de payer la taxe annuelle de 3%.
Le problème se pose pour la troisième société qui a déclaré une participation croisée.
Celle-ci désigne la situation par laquelle une société prend une partie du capital d’une autre
37
Article 990D du code général des impôts 38
Article 990 E 3o du code général des impôts
39 Cass. com., 6 sept. 2011, n
o 10-17.809, inédit
40 Cass. com., 29 sept. 2009, n
o 08-14.538, Bull. civ., IV, n
o117, Dr. fisc. 2010, comm. 180, note J - P. Maublanc
RJP 2015-1 (Novembre)
46
société, qui détient elle-même une part du capital de la première société41
. Par ce mécanisme,
il est impossible de connaitre les détenteurs effectifs des parts sociales. Dès lors, l’exonération
de la taxe annuelle de 3% est inapplicable puisqu’il était impossible de déclarer l’identité et
l’adresse des associés effectifs. Cependant, l’appelante a avancé un argument pour se voir
appliquer l’exonération de cette taxe. En effet, elle a estimé que la participation croisée
s’apparentait à un trust. Le trust est la situation juridique par laquelle une personne nommée
« le constituant » va placer des biens sous le contrôle d’une autre personne nommée « le
trustee » dans l’intérêt d’un bénéficiaire42
. Le trust est redevable de la taxe annuelle de 3%43
sauf s’il respecte les conditions d’exonération. Cependant, dans l’affaire en question, le trust
n’a pas pu être prouvé par les sociétés. De ce fait, la Cour d’appel d’Orléans a jugé que la
société était donc redevable de la taxe annuelle de 3%.
Un second problème était avancé par la société. Celui-ci concernait le non respect de la
procédure fiscale. D’une part, l’administration fiscale a uniquement notifié la procédure
fiscale à la société redevable de la taxe. Or, pour l’appelante, comme il s’agissait d’un groupe
de sociétés, l’ensemble des sociétés aurait du être informé. Cependant, les juges ont estimé
que seule la société redevable de l’impôt devait être informée du déroulement de la procédure.
L’administration fiscale n’avait pas d’obligation à notifier le déroulement de la procédure aux
autres sociétés. Les juges ont rejeté le moyen. D’autre part, la société estimait que
l’administration fiscale n’avait pas motivé la proposition de rectification qui lui avait été
adressée. En effet, la proposition doit être motivée afin de mettre le contribuable en mesure de
pouvoir formuler ses observations44
. Cependant, les juges du fond ont estimé que la
proposition de rectification prévoit la motivation suffisante pour permettre au contribuable de
répondre. Ils ont donc rejeté le moyen.
MOTS-CLES : TAXE DE 3 % - IMMEUBLES POSSEDES EN FRANCE - REFUS
D’EXONERATION
Olivia CARMINATI
10) Garantie financière et défaillance des intermédiaires d’assurance
Cour d'appel d’Orléans (Chambre civile), 26 janvier 2015 n° RG 13/03830 et 14/00834
ARRÊT :
Prononcé le 26 JANVIER 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les
parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de
l'article 450 du Code de procédure civile.
La SARL EURÊKA FINANCE, dirigée par Jean-Marc S., en liquidation judiciaire suivant
jugement rendu par le tribunal de commerce d'Orléans le 15 juin 2005, bénéficiait d'une
garantie financière souscrite auprès de la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS
DE L'ASSURANCE.
Entre 2000 et 2005, diverses personnes se voyaient proposer par la SARL EURÊKA de lui
confier des fonds destinés à être placé sur les contrats d'assurance-vie proposés par la
compagnie d'assurances WINTHERTUR ; en réalité ces fonds étaient détournés par Jean-
41
Rapport d’information Sénat, no 347, p 286, 22 juin 2007, C.Gaudin
42 Article 792-0 du code général des impôts
43 Article 990D al. 2 du code général des impôts
44 Article L. 57 du livre des procédures fiscales
RJP 2015-1 (Novembre)
47
Marc S., lequel, au terme d'une procédure pénale, était reconnu coupable du délit d'abus de
confiance ; c'est dans ce contexte qu'intervenait la liquidation judiciaire de la société
EURÊKA, chaque souscripteur étant amené à régulariser une déclaration de créance auprès
du mandataire liquidateur, Maître J..
Par acte en date du 23 août 2011, Éric A., Michel A., l'EARL DE LA BONDUE, Olivier G.,
la SARL HEYTOP Co Ltd, Jean-Paul L., James M., Jean-Paul M., Gilles P., Daniel P., Dany
P., Claude S., Éric S., Hélène S., Simone W., Christian P., Charlie D. et la SARL A.,
assignaient la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE devant
le tribunal de grande instance d'Orléans afin de se voir allouer la somme de 690'000,euro,
soit 115'000 euro par année sur les six années courant entre 2000 et 2005, à se répartir entre
eux , par année de souscription et au prorata des montants des sommes confiées ; par
conclusions du 14 février 2013, ils modifiaient leurs demandes en sollicitant une somme pour
chacun d'entre eux, les différentes demandes étant d'un montant total de 608'420,23 euro
outre intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 2005 ; ils sollicitaient en outre
l'allocation de la somme de 69'000 euro à titre de dommages-intérêts et de la somme de 6000
euro en application de l' Article 700 du Code de Procédure civile.
La CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE prétendait en
réponse que les demandeurs et intervenant ne rapportaient pas la preuve des créances
invoquées, et demandait au tribunal de constater que les sommes remises à Jean-Marc S.,
agent général de la compagnie d'assurances WINTHERTUR, pour la souscription des
contrats auprès de cette compagnie, ne peuvent donner lieu au bénéfice de sa garantie
financière, et que les sommes remises à la SARL EURÊKA pour la souscription des mandats
ou des contrats de gestion n'ouvrent pas droit au bénéfice de cette garantie.
Elle demandait donc au tribunal de débouter ses adversaires de l'ensemble de leurs
demandes et, à titre subsidiaire, de constater que seule la somme de 115'000 euro
correspondant au montant de sa garantie financière serait mobilisable, et que les pleins de
garantie annuelle ne sauraient se reporter et s'additionner.
À titre plus subsidiaire elle demandait au tribunal de débouter les demandeurs de leur
demande de dommages-intérêts à hauteur de 69'000 euro , et de dire en tout état de cause que
la somme invoquée au titre du préjudice prétendument complémentaire subi ne saurait être
supérieure à la somme de 60'842,02 euro.
À titre plus subsidiaire encore, elle demandait au tribunal de dire que les règlements
susceptibles d'être effectués au profit des demandeurs et intervenants le seront au marc
l'euro.
Par un jugement en date du 12 novembre 2013, le tribunal de grande instance d'Orléans
condamnait la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE à payer
les sommes suivantes avec intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2007 :
' À Éric A. : 2311,50 euro
' à Michel A. : 11'557,50 euro
' à l'EARL DE LA BONDUE : 4198 euro
' à Olivier G. : 4197,50 euro
' à la SARL HEYTOP Co Ltd : 9246 euro
' à Jean-Paul L. : 125'994 euro
' à James M. : 6934,50 euro,
' à Jean-Paul M. : 35'661,50 euro,
' à Gilles P. : 60'685,52 euro,
' à Daniel P. : 21'451 euro,
' à Dany P. : 22'808 euro
' à Gilles S. : 60'408,71 euro
'à Éric S. 6014,50 euro,
RJP 2015-1 (Novembre)
48
' à Hélène S. : 145'808,50 euro,
' à Simone W. : 41'594,50 euro
' à Christian P. : 33'856 euro,
' à Charly D. : 12'311,50 euro
' à la SARL A. : 3783,50 euro ;
Le tribunal déboutait les demandeurs de leurs demandes dommages-intérêts et condamnait
la CGP A à leur payer la somme de 6000 euro sur le fondement de l’Article 700 du Code de
Procédure civile.
Le tribunal motivait sa décision en expliquant que selon attestation du 14 avril 2005 délivrée
par la CGPA, la SARL EURÊKA FINANCE et Jean-Marc S. ont souscrit une police
d'assurance couvrant dans la limite des conditions générales et particulières les
conséquences pécuniaires de la responsabilité civile professionnelle qu'ils pouvaient encourir
en raison de dommages causés aux tiers du fait de leur activité professionnelle d'agent
général, que Jean-Marc S. n'était garanti que pour son activité d'agent général d'assurances,
et non pour une activité de courtage et que la SARL EURÊKA FINANCE bénéficiait de la
garantie responsabilité civile du fait du courtage de la garantie financière à hauteur de
750'000 Fr, indiquant que les conventions spéciales de garantie financière disposent
notamment : « dans la limite fixée aux conditions particulières, l'assureur garantit
conformément à l'article L530 '1 du code des assurances, le remboursement aux clients du
souscripteur de tous fonds confiés par eux à compter de la prise d'effet de la présente
garantie en vue d'être remis à des entreprises mentionnées à l'article L310 '1 du code des
assurances, ainsi que ceux confiés par ces entreprises ou par toute autre personne physique
ou morale en vue d'être versés à des assurés ».
La juridiction considérait que les conventions spéciales de la garantie responsabilité civile
disposent notamment : « dans les limites de l'activité déclarée aux conditions particulières, le
présent contrat garantit l'assuré contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité
civile pouvant lui incomber en raison des dommages causés aux tiers du fait des activités
professionnelles limitativement énumérées ci-après : ... la gestion des contrats d'assurance
conclus par l'intermédiaire de l'assuré ».
Le tribunal d'Orléans observait que la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE
L'ASSURANCE est tenue à garantie financière en application de l'article L512'7 du code des
assurances et que sa mise en jeu est définie par l'article R512 -16 du même code : la garantie
est due sur la seule justification de la défaillance de l'intermédiaire garanti sans pouvoir
opposer le bénéfice de discussion, et le paiement est dû dans le délai de trois mois à compter
de la présentation de la première demande écrite envoyée par lettre recommandée avec
accusé de réception.
Cette juridiction considérait que toutes les conditions sont remplies en l'espèce, puisque les
demandeurs justifiaient par les pièces produites, conformément aux dispositions
contractuelles, avoir mis en ouvre cette garantie par la preuve de la défaillance tant de la
SARL EURÊKA que de Jean-Marc S. : le jugement du tribunal de commerce d' Orléans du
du 15 juin 2005 prononçant la liquidation judiciaire de la SARL EURÊKA FINANCE, le
jugement correctionnel du 26 mai 2009 condamnant Jean-Marc S. pour avoir, entre le 1er
janvier 2000 et le 10 juillet 2005 détourné des fonds qui lui avaient été remis et qu'il avait
acceptés à charge de les rendre ou de les représenter, avec cette circonstance qu'étant agent
et courtier d'assurances d'une part, gérant d'une société de gestion d'autre part, il se livrait
ou prêtait son concours de manière habituelle à des opérations portant sur les biens des tiers
pour lesquels il recouvrait des fonds ou valeurs, et ce au préjudice de la compagnie
d'assurances WINTHERTUR.
Les premiers juges considéraient que les demandeurs justifient avoir confié à la SARL
EURÊKA FINANCE différentes sommes destinées à être placées sur les contrats d'assurance-
RJP 2015-1 (Novembre)
49
vie proposée par la compagnie d'assurances WINTHERTUR, qui, en définitive, ne seront
jamais placés auprès de cette compagnie puisque détournés par Jean-Marc S. pour son usage
personnel.
Ils indiquaient qu'il résulte des textes et des polices d'assurance visées que la CGPA n'a pas
à faire la distinction là où les contrats n'en font pas, et donc à exclure de sa garantie Jean-
Paul L., Gilles P., Claude S. et Olivier G. au motif que leurs règlements auraient concerné
des mandats de gestion.
La juridiction du premier degré relevait que, selon les conventions spéciales de la garantie
financière, «le montant de la garantie est accordé à concurrence des sommes fixées aux
conditions particulières pour une année d'assurance pour l'ensemble des dettes garanties ;
cette somme doit être au moins égale à 750'000 Fr. (soit 115'000 euro) et ne peut être
inférieure au double du montant moyen mensuel des fonds perçus par le souscripteur, calculé
sur la base des fonds perçus au cours des 12 derniers mois précédant le mois de la date de
souscription ou de la date de reconduction de l'engagement de caution ; pour le calcul de ce
montant, il ne sera pas tenu compte des versements pour lesquels le souscripteur a reçu de
l'entreprise d' assurance un mandat écrit le chargeant expressément de l'encaissement des
primes et accessoires du règlement des sinistres ».
Le tribunal indiquait que selon les dispositions de l'article R512 ' 16 II du code des
assurances, en cas de pluralité de demandes présentées dans les délais prescrits, le paiement
a lieu au marc le franc en fonction des autres demandes présentées par d'autres créanciers, et
que ni la matérialité, ni le quantum des fonds confiés et détournés par Jean-Marc S. ne sont
contestés, et observait que le cumul des réclamations formulées s'élève à 608'420,23 euro, de
sorte que le plafond de garantie de 690'000 euro relatif au détournement de fonds n'est pas
atteint.
En réponse à l'argumentation formée à titre subsidiaire par la CGP A, il expliquait que, non
seulement la somme de 115'000 euro doit être accordée pour une année d'assurance et non
pas globalement pour l'ensemble des sinistres étalés sur plusieurs années, mais que, si cet
organisme est fondé en son moyen, il ne justifie pas par les éléments produits de la réalité et
du montant de son acceptation des autres réclamations invoquées.
Le tribunal estimait pour les débouter de leur demande dommages-intérêts, qu'en application
de l'article 1153 du Code civil, les demandeurs n'alléguaient ni ne démontraient aucun
préjudice distinct du retard né de la mauvaise foi de la CGPA.
Par une déclaration déposée au greffe le 4 décembre 2013, la CGPA interjetait appel de ce
jugement.
Par ses dernières conclusions en date du 29 août 2014, la partie appelante demande à la
Cour de dire que ses adversaires ne rapportent pas la preuve des créances invoquées, et
subsidiairement de constater que les sommes remises à Jean-Marc S. ne peuvent donner lieu
au bénéfice de sa garantie financière, de même que les sommes remises à la société
EURÊKA.
À titre subsidiaire, elle prétend que seule la somme de 115'000 euro correspond au montant
de sa garantie financière mobilisable, et que les pleins de garantie annuels ne peuvent se
reporter et s'additionner.
À titre plus subsidiaire, elle estime que la réclamation globale des demandeurs et intimés ne
saurait être supérieure à 598'420,23 euro et, à titre plus subsidiaire encore, conteste la
capitalisation des intérêts.
Elle sollicite l'allocation de la somme de 5000 euro en application de l' Article 700 du Code
de Procédure civile.
Elle prétend notamment que la garantie financière n'est pas due lorsque l'intermédiaire
indélicat bénéficiait d'un mandat de l'entreprise d’assurances, et invoque l'absence de droit
RJP 2015-1 (Novembre)
50
au bénéfice de la garantie financière pour les sommes détournées qui avaient été versées à
l'occasion d'un mandat de gestion.
Par leurs dernières conclusions du 8 septembre 2014, les 18 intimés concluent à la
confirmation du jugement entrepris et demandent la fixation du point de départ des intérêts
légaux à compter du 20 janvier 2006 ; ils sollicitent l'allocation de la somme de 5000 euro
sur le fondement de l’Article 700 du Code de Procédure civile.
L'ordonnance de clôture était rendue le 25 septembre 2014 par le Conseiller de la mise en
état.
SUR QUOI :
Attendu que la partie appelante prétend que la garantie financière n'est pas due lorsque
l'intermédiaire indélicat bénéficiait d'un mandat d'une entreprise d’assurance, et que Jean-
Marc S. était agent général de la Compagnie WINTERTHUR ;
Qu'elle reproche au tribunal d'avoir ignoré cette argumentation ;
Que les intimés invoquent au contraire l'absence de mandat écrit ;
Attendu qu'il est constant que les fonds litigieux ont été versés par les intimés à la SARL
EURÊKA FRANCE, laquelle n'avait aucunement la qualité d'agent général de la compagnie
WINTERTHUR, puisqu'il est établi, en particulier par l'enquête pénale qui a abouti à la
condamnation de Jean-Marc S. que ce dernier exerçait en son nom propre en qualité d'agent
général ;
Que les préposés de la Compagnie WINTERTHUR (pièces 38 et 39) ont expressément déclaré
dans le cadre de ladite enquête qu'ils ignoraient l'exercice par Jean-Marc S. d'une double
activité ;
Qu'il résulte en particulier du témoignage de Marcel Q., cadre de direction à MMA
ASSURANCES, que c'est cette compagnie, et non pas la Compagnie WINTHERTUR ,
absorbée en mai 2002 par MMA, qui a été informée des faits délictueux vis-à-vis de la
clientèle en juin 2005 suite à la mise en liquidation financière du cabinet EURÊKA FINANCE
; que ce témoin explique que WINTHERTUR n'a pas eu de relations commerciales avec
EURÊKA FINANCE, qu'elle n'a pas travaillé avec EURÊKA FINANCE pour des contrats
d'assurance-vie, qu'elle n'a pas eu connaissance des faits délictueux et qu'elle n'a pas fait de
rapport ou d'audit ;
Que le témoignage de Florence L., conseiller juridique chargé de contentieux à la Direction
Centrale Administration Relation Agents depuis octobre 2002 auprès de MMA ASSURANCES
mentionne que Jean-Marc S. n'a avoué à cette compagnie l'existence d'EURÊKA FINANCE
que lors d'une réunion du 22 juillet 2004, alors que lors de son adhésion au Contractuel
MMA, il avait déclaré ne pas faire de courtage ; que ce témoin déclare que la compagnie n'a
jamais eu de relations commerciales avec cette entité, qu'elle n'a jamais travaillé avec elle
pour des contrats d'assurance-vie, et qu'elle avait demandé à Jean-Marc S. les documents
comptables de cette société pour obtenir la preuve de sa tromperie, et pour avoir la preuve de
son manquement à l'obligation de consacrer l'intégralité de son activité professionnelle aux
sociétés du groupe, conformément aux dispositions de l'Accord Contractuel MMA ; que
l'auteur de ce témoignage ajoute n'avoir eu connaissance des faits délictueux qu'après la
démission de Jean-Marc S. lors de la mise en liquidation de la société EURÊKA FINANCE ;
Que le modèle de contrat établi sous l'égide de la compagnie WINTHERTUR, qu'utilisait la
SARL EURÊKA FINANCE, s'est révélé être un faux, cette société n'ayant reçu aucun mandat
de cet assureur;
Attendu que la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE avait
connaissance du fait que Jean-Marc S., d'une part exerçait seul et en son nom propre activité
d'agent général de WINTHERTUR , d'autre part que l'activité de courtier était exercée par
lui, mais par l'intermédiaire de la SARL EURÊKA FRANCE ;
RJP 2015-1 (Novembre)
51
Que la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE ne peut
contester que cette situation est mentionnée dans les conditions particulières de son contrat
(pièce 4) puisque celui-ci prévoit sous le titre « exclusions » : « sont exclus de la garantie : le
remboursement des fonds détenus pour lesquels le souscripteur a reçu d'une entreprise
d'assurances un mandat écrit le chargeant expressément de l'encaissement des primes et
accessoirement du règlement des sinistres » ;
Attendu qu'il n'est ni contestable ni contesté que les intimés ont remis les fonds à la SARL
EURÊKA FRANCE, et que ces créances ont été admises dans le cadre de la procédure
collective concernant cette société ;
Que le fait que celle-ci soit dirigée par Jean-Marc S. ne suffit pas à lui conférer ni un mandat
ni une qualité qui était celle de son gérant à titre personnel ;
Attendu que la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE
conteste également sa garantie au motif que les règlements faits par Jean-Paul L., Olivier G.,
Gilles P., Claude S. et Jean-Paul M. concernaient des mandats de gestion et non des
règlements de primes d'assurance ;
Attendu cependant que le courtage était l'activité de la société EURÊKA FINANCE, les fonds
étant recueillis par Jean-Marc S., ladite société informant ses clients de la valeur du contrat
(pièces 25/1) et d'une garantie de capital en cas de décès (pièce 30/1) ;
Qu'il ne s'agit pas là d'opérations bancaires, mais bien d'opérations d'assurance, les
formulations utilisées montrant qu'il ne s'agissait pas d'un mandat de gestion, mais
d'opérations obéissant aux règles spécifiques du contrat d'assurance sur la vie, qui les
distinguaient de placement en produits financiers relevant du droit commun ;
Que l'argumentation de la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE
L'ASSURANCE sur cette question ne saurait être retenue ;
Attendu que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la garantie de la CAISSE DE
GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE ; que
Attendu que la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE estime
que seule la somme garantie par le contrat de garantie financière pour l'année 2007 serait
mobilisable, s'agissant de l'année pendant laquelle la demande de garantie a été faite, à
l'exclusion des années précédentes ; que cette position, si elle devait être suivie, aboutirait à
empêcher toute réclamation des personnes lésées tant que les sommes étaient détournées à
leur insu, ce qui aboutirait à les priver de tout recours tant qu'elles ignorent existence des
détournements dont elles sont victimes ;
Que, ainsi que l'exposent les intimés, la constatation de la défaillance du souscripteur de
l'assurance n'est qu'une modalité de mise en œuvre de la garantie, et en aucun cas un élément
constitutif de celle-ci ;
Attendu que c'est par des motifs pertinents et adoptés que les premiers juges ont prononcés
comme ils l'ont fait sur les montants alloués et sur leur répartition ; attendu qu'il échet
cependant de fixer le point de départ des intérêts au 20 janvier 2006, soit trois mois après la
première demande des intimés ;
Attendu que les intimés ne persistent pas en leur demande dommages-intérêts puisqu'ils se
sont limités à demander la confirmation du jugement à l'exception de la date à laquelle les
intérêts doivent courir ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des intimés l'intégralité des sommes
qu'ils ont dû exposer du fait de la présente procédure ; qu'il échet de faire application de
l'article 700 du Code de Procédure civile et de leur allouer à ce titre la somme de 5000 euro ;
PAR CES MOTIFS :
STATUANT publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement rendu le 12 novembre 2013 par le tribunal de grande instance
d'Orléans à l'exception de la date à laquelle doive courir les intérêts,
RJP 2015-1 (Novembre)
52
LE RÉFORMANT sur ce dernier point, dit que les intérêts au taux légal courront à compter
du 14 janvier 2006 et dit que la capitalisation des intérêts au sens de l'article 1154 du Code
civil aura lieu à compter de cette date,
Y AJOUTANT, condamne la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE
L'ASSURANCE à payer aux intimés la somme de 5000 euro en application de l' Article 700
du Code de Procédure civile,
CONDAMNE la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE aux
dépens, et autorise les avocats de la cause à se prévaloir des dispositions de l'article 699 du
Code de Procédure civile.
Arrêt signé par Monsieur Michel Louis BLANC, Président de Chambre et Madame Evelyne
PEIGNE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Commentaire : Mise en jeu de la garantie financière du fait de la défaillance des
intermédiaires d’assurance
Les intermédiaires d’assurance sont obligés de souscrire à une police d’assurance pour
couvrir les risques liés à leurs activités professionnelles. Une garantie financière devra être
mise en jeu en cas de défaillance de leur part. Les juges de la Cour d’appel d’Orléans ont eu à
statuer sur la mise en œuvre de cette garantie financière dans l’arrêt d’espèce.
Des professionnels de l’assurance, une SARL de courtage en assurance et un agent général
d’assurance ont exercé des activités d’intermédiation d’assurance-vie auprès de certains
souscripteurs. Ces professionnels ont souscrit une police d’assurance auprès d’une caisse de
garantie professionnelle couvrant les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile
professionnelle qu’ils pouvaient encourir en raison de dommages causés aux tiers du fait de
leur activité de courtage ou d’agent général. Les fonds issus des assurances-vie ont été
détournés par l’agent général qui a été reconnu, au terme d’une procédure pénale, coupable de
délit d’abus de confiance. La SARL a été placée en liquidation judiciaire et les souscripteurs
ont été amenés à déclarer leurs créances auprès du mandataire liquidateur
Les juges de la cour d’appel d’Orléans ont considéré que la caisse de garantie
professionnelle était tenue, en application de l’article L 512-7 du Code des assurances45
, à une
garantie financière du fait de l’activité des intermédiaires d’assurance de l’espèce. L’article R
512-16 du Code des assurances46
prévoit quant à lui que cette garantie financière sera « mise
en œuvre sur la seule justification que l'intermédiaire garanti est défaillant, sans que le garant
ne puisse opposer au créancier le bénéfice de discussion […]. Elle est également acquise par
un jugement prononçant la liquidation judiciaire». La mise en jeu de la garantie en l’espèce a
donc été justifiée, du fait de la défaillance de la SARL mise en liquidation judicaire et du
détournement de fonds de l’agent général d’assurance.
La caisse de garantie professionnelle a interjeté appel en considérant que la garantie
financière n’était pas due, spécifiquement pour les activités de l’agent général. En effet elle a
considéré que ces activités étaient exercées par un intermédiaire d’assurance indélicat
bénéficiant d’un mandat d’entreprise d’assurance. Pour s’exonérer de la garantie financière la
partie appelante avait soulevé l’application de l’article L.512-6 du Code des assurances47
prévoyant en effet que les intermédiaires n’ont pas à souscrire un contrat d’assurance dans les
cas où « une garantie équivalente lui est déjà fournie par une entreprise d'assurance ». En
effet, il convient d’isoler des situations d'obligations légales d'assurance le cas des
45
Article L 512-7 du Code des assurances 46
Article R.512-6 du Code des assurances 47
Article L.512-6 du Code des assurances
RJP 2015-1 (Novembre)
53
intermédiaires pour lesquels il existe un garant de leur responsabilité. Comme l’explique le
professeur Daniel Langé dans son étude48
, cela peut être le cas lorsque, comme l’énonce
l’article L 511-1 III du Code des assurances49
, un mandant est désigné comme civilement
responsable, dans les mêmes termes qu'un commettant ou employeur, du dommage causé par
la faute de son mandataire, considéré comme son préposé.
Cette considération vient du célèbre arrêt de l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation,
l’arrêt Costedoat. Cet arrêt a édicté le principe selon lequel : « n'engage pas sa responsabilité
à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été
impartie par son commettant»50
. Cette solution a été étendue dans le milieu des assurances et
l’entreprise mandante répondait des actes accomplis par le mandataire. Le professeur Groutel
dans une étude s’était penché également pour l’extension de la jurisprudence Costedoat aux
agents généraux51
. La partie appelante a donc voulu, pour s’exonérer de la garantie, faire
reconnaitre que l’agent général était mandaté par une entreprise d’assurance.
La Cour d’appel d’Orléans a cependant rejeté cette prétention en considérant, au regard des
faits, que l’agent général n’était pas mandaté par une entreprise d’assurance et exerçait une
activité en nom propre. La Cour a également reconnu que la partie appelante avait
connaissance de cette activité en nom propre et que l’agent général exerçait également une
activité de courtage par l’intermédiaire de la SARL. De part ces affirmations la garantie
financière devait donc s’appliquer suite aux défaillances des intermédiaires d’assurance.
Ainsi, les souscripteurs pourront donc bien être amenés à déclarer leurs créances auprès du
mandataire liquidateur.
MOTS CLES : OBLIGATION DE GARANTIE FINANCIERE- DEFAILLANCE DES
INTERMEDIAIRES D’ASSURANCE- MISE EN JEU DE LA GARANTIE FINANCIERE
Ludovic LAROCHE
11) L’état de cessation des paiements déterminé par le défaut de paiement des sommes
d’un titre exécutoire
Cour d’appel d’Orléans (chambre civile), 26 janvier 2015, n° RG : 14/00376
Prononcé le 26 JANVIER 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les
parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de
l'article 450 du Code de procédure civile.
Par un arrêt en date du 8 décembre 2009, auquel il convient de se reporter pour plus ample
exposé des faits et de la procédure antérieurs, la Cour d'Appel de PARIS renvoyait la cause et
les parties devant la cour d'appel de céans, laquelle, par un arrêt du 18 novembre 2010
confirmait le jugement rendu le 12 octobre 2006 par le Tribunal de grande Instance de
PARIS et fixait la date de cessation de paiement de Catherine D. épouse F. au 8 août 2005.
Catherine D. épouse F. formait un pourvoi en cassation contre l'arrêt du 18 novembre 2010.
48
« Les intermédiaires d'assurance à l'heure du marché unique : la réforme de l'intermédiation en assurance »
RGDA n° 2006-04, p. 857, note D. Langé 49
Article L 511-1 III du Code des assurances 50
Cass. Ass. Plén. 25 février 2000, n° 97-17378, 97-20152, Bull. 2000 A. P. N° 2 p. 3, RTD. civ., 2000, n°
582, note P. Jourdain 51
« La nouvelle jurisprudence relative à la responsabilité des préposés peut-elle influer sur celle de l'agent
général ?», Resp. civ. et assur., 2000/09, p. 4, note H. Groutel
RJP 2015-1 (Novembre)
54
Par un arrêt en date du 7 février 2012, la Cour de Cassation cassait l'arrêt objet de ce
pourvoi, mais seulement en ce qu'il avait fixé au 8 août 2005 la date de la cessation de
paiement de Catherine D. épouse F., remettait en conséquence sur ce point la cause et les
parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour faire droit, les renvoyait
devant cette Cour autrement composée.
La Cour suprême disait qu'il résultait de la combinaison des articles L 631 '1, alinéa 1er, L.
631 '8 et L. 641 '1 IV du Code de Commerce que la date de cessation des paiements est, en
cas de liquidation judiciaire, fixée comme en matière de redressement judiciaire, au jour où
le débiteur a été placé dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif
disponible.
Elle considérait que, pour reporter au 8 août 2005 la date de la cessation de paiement de
Madame F., l'arrêt retient que les différents créanciers sont impayés depuis des années et, en
tout cas, depuis cette date, laquelle est la limite de report de la cessation de paiement, mais
qu'en se déterminant par ces motifs, impropres à caractériser l'état de cessation des
paiements à la date retenue, la Cour d'Appel n'avait pas donné de base légale à sa décision.
La Cour de Cassation considérait que les autres moyens n'étaient pas fondés.
La Cour d'Appel de céans était saisie par une déclaration du 29 janvier 2014 à la diligence
de Catherine D. épouse F..
Par conclusions du 26 mai 2014, Catherine D. épouse F. demande à la Cour de dire qu'il est
devenu sans objet de statuer sur la date de cessation des paiements qui a été alléguée à son
encontre, et ce en raison de l'absence de prorogation de la procédure de liquidation
judiciaire.
Elle prétend qu'en l'absence de créances pouvant être prises en considération, aucune date de
cessation de paiement ne peut être retenue.
En toute hypothèse, et en raison des événements postérieurs qui seraient venus modifier la
situation antérieurement reconnue par le jugement dont appel, elle demande l'annulation de
ce jugement et le rejet de toutes les demandes des parties intimées.
À titre subsidiaire, elle demande à la Cour de constater l'absence de cessation de paiement,
de constater qu'une procédure de liquidation judiciaire a néanmoins été ouverte de façon
définitive par le jugement dont appel et, réformant la date de cessation des paiements qui
avaient été fixée provisoirement au 23 juin 2006 par ledit jugement, de dire qu'il n'y a pas
lieu à fixation d'une telle date ni d'aucune autre en raison de l'inexistence de l'état que cette
date serait réputée fixée dans le temps.
À titre très subsidiaire, elle demande qu'il soit sursis à statuer jusqu'à ce qu'il ait été statué
par des décisions de justice définitives sur l'admission des créances déclarées par le Service
des Impôts des Particuliers de Paris-8e et de Toulon et le Service des Impôts des Entreprises
de Paris 1er.
Elle sollicite la condamnation du chef de service comptable du Service des Impôts des
Entreprises de Paris 1r et de la Caisse nationale des Barreaux français à lui payer chacun la
somme de 100'000 euro à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du
code de procédure civile, et de condamner chacun d'entre eux à lui payer la somme de 10'000
euro sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 27 juin 2014, le Comptable du Service des Impôts des Entreprises de
Paris 1r demande à la Cour de dire que la date de cessation des paiements de Catherine D.
épouse F. doit être fixé au 8 août 2005, soit au maximum du délai prévu par la loi, constatant
que l'état de cessation de paiements est ancien et antérieur à ladite date.
Il demande à la Cour de débouter Catherine D. épouse F. de toutes demandes plus amples ou
contraires et de lui allouer la somme de 8970 euro par application de l'Article 700 du Code
de Procédure civile.
RJP 2015-1 (Novembre)
55
Par conclusions déposées le 29 août 2014, l'Ordre des Avocats du Barreau de Paris demande
à la Cour, statuant après cassation mais dans les limites de celle-ci, de dire que la date de
cessation de paiements de Catherine D. épouse F. doit être fixée au 8 août 2005, de constater
que l'état de cessation des paiements est même bien antérieur à ladite date, et de débouter
Catherine D. épouse F. de toutes ses demandes.
Par conclusions en date du 10 septembre 2014, le ministère public conclut également à la
fixation de la date de cessation de paiement à la date limite de report, soit au 8 août 2005.
L'ordonnance de clôture était rendue le 11 septembre 2014 par le Conseiller de la mise en
état.
Par une ordonnance en date du 9 octobre 2014, ce magistrat disait n'y avoir lieu, en
l'absence de cause grave, à révoquer l'ordonnance de clôture du 11 septembre 2014.
Catherine D. épouse F. ayant formé une nouvelle demande de révocation de cette
ordonnance, en raison du prononcé par la cour d'appel de Versailles le 16 octobre 2014 de
quatre arrêts, le Conseiller de la mise en état, par une ordonnance du 4 novembre 2014 disait
n'y avoir lieu à révoquer l'ordonnance de clôture du 11 septembre 2014 au motif que ces
quatre décisions ne sont pas de nature à influer sur la fixation de la date de cessation des
paiements et du fait que la requérante ne justifiait pas d'une cause grave de nature à
permettre la révocation de cette décision.
SUR QUOI :
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :
Attendu que cette Cour n'est saisie que de la question relative à la date de la cessation de
paiement, les autres point ayant fait l'objet de décisions aujourd'hui définitives ;
Que l'existence des quatre arrêts de la Cour d'Appel de Versailles ne saurait suffire à
caractériser la cause grave prévue par l'article 784 du Code de Procédure civile et qui
justifierait la révocation demandée, puisqu'il se trouve, en l'état actuel de la procédure,
suffisamment d'éléments de nature à permettre à cette Cour de trancher efficacement la
question qui lui est soumise, sans avoir à rechercher si les décisions invoquées sont de nature
à influer sur la date de la cessation de paiement ;
Qu'il n'y a pas lieu de prononcer la révocation de l'ordonnance de clôture ;
Sur la date de cessation des paiements :
Attendu que le Comptable du Service des Impôts des Entreprises de Paris 1r apporte à la
procédure (pièces 1 à 10) différents titres exécutoires de nature à justifier que Catherine D.
épouse F. a éludé le paiement de la TVA perçue auprès de ses clients et qu'elle n'a pas
reversée comme elle aurait dû le faire ;
Attendu que le simple fait pour Catherine D. épouse F. d'avoir été assignée en paiement, ou
de se voir opposer un titre exécutoire sans procéder au paiement des sommes considérées est
suffisant pour caractériser l'impossibilité de faire face au passif exigible au moyen de l'actif
disponible ;
Que l'argumentation qu'elle invoque relativement à la contestation de certaines créances est
donc inopérante ;
RJP 2015-1 (Novembre)
56
Attendu que dès l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Paris le 26 mars 1999, une créance de
345'736,18 euro était admise définitivement ;
Que, dès 2001, des déclarations sans paiement ont été faites pour des montants qui n'ont pas
été contestés et pour le recouvrement desquels le Comptable public a émis 43 avis de mise en
recouvrement, et ce bien antérieurement à la date du 8 août 2005, date limite du délai de 18
mois précédant la liquidation judiciaire du 8 février 2007, délai prévu par l'article L6 43 ' 9
du Code de Commerce ;
Attendu que c'est à cette date qu'il échet de fixer la date de la cessation des paiements de
Catherine D. épouse F. ;
****************************
Attendu que Catherine D. épouse F. succombe en ses prétentions ; qu'il n'y a pas lieu de faire
droit à ses demandes accessoires ;
Attendu que l'application de l'article 698 du Code de procédure civile ne serait possible que
si l'ensemble des procédures engagées par Catherine D. épouse F. avaient tourné à sa
confusion, ce qui n'est pas le cas puisque son pourvoi en cassation a été partiellement admis
par la Cour suprême ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande du Comptable du
Service des Impôts de Paris 1r ;
PAR CES MOTIFS :
STATUANT publiquement, par arrêt réputé contradictoire, sur renvoi après cassation et en
dernier ressort,
DIT n'y avoir lieu de prononcer la révocation de l'ordonnance de clôture du 11 septembre
2014 ;
FIXE à la date du 8 août 2005 la cessation des paiements de Catherine D. épouse F. ;
DÉBOUTE Catherine D. épouse F. de l'ensemble de ses prétentions,
CONDAMNE Catherine D. épouse F. aux dépens, et autorise les avocats de la cause à se
prévaloir des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure civile.
Commentaire : Le non-paiement des sommes d’un titre exécutoire ou d’une assignation
est suffisant pour caractériser une cessation des paiements
La définition de l’état de cessation des paiements remonte au Code Napoléon de 1807, où
la cessation des paiements était à l’origine l’impossibilité de payer les créance qui viennent à
échéance. Puis la Cour de cassation dans sa décision de 197852
affirmait que la cessation des
paiements devait s’entendre de l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif
disponible. Cette définition de la cessation des paiements a donné lieu à une formulation
légale par la loi du 26 juillet 1985 et se lit depuis à l’article L. 631-1 du Code de commerce
53.
Ainsi « la cessation des paiements demeure une pierre angulaire des procédures collectives
du livre VI de Code de commerce »54
.
C’est dans ce sens que va l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Orléans le 26 janvier 2015.
Dans cet arrêt la Cour d’appel a apporté des précisions s’agissant de la détermination de la
cessation des paiements. Elle déclare que l’assignation ou le fait de se voir opposer un titre
52
Cass. com., 14 février 1978, n° 76-13718, Bull. 66 p. 53 ; D. 1978. IR 443, obs. HONORAT 53
article 88 de la loi n° 2005- 845 du 26 juillet 2005 54
A-S. TEXIER et E. RUSSO, LPA 2 mars 2009, p. 3, n° 21
RJP 2015-1 (Novembre)
57
exécutoire sans procéder au paiement des sommes considérées est suffisant pour caractériser
l’impossibilité de faire face au passif exigible au moyens de l’actif disponible, lesquelles
étaient caractérisées en l’espèce par 43 avis de recouvrement émis par le comptable public,
lesquels faisaient suite à une déclaration sans paiements pour des montants non contestés.
En effet, le passif exigible est composé en principe de toutes les dettes échues, certaines et
liquides avant le jugement d’ouverture, quand bien même ces dettes ne sont pas exigées.
Toutefois, la dette n’est pas certaine lorsqu’elle est litigieuse, c’est-dire-contestée55
.
En outre la Cour de cassation a déclaré en 1993 que « la cessation des paiements est
distincte du refus de paiement et doit être prouvée par celui qui demande l’ouverture d’un
redressement judiciaire »56
. En effet, le défaut de paiement d’une dette échue ne suffira pas
pour fonder l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire. La Cour a
également apporté des précisions dans un arrêt de 1999, en affirmant qu’« il appartient au
créancier qui engage une action tendant à voir prononcer le redressement judicaire de son
débiteur de prouver que l’état financier de son débiteur ne permet pas de faire face à un
passif exigible »57
. En l’espèce, la Cour d’appel a ainsi approuvé les arguments du créancier,
qui déclarait que le non-paiement résultait de la volonté du débiteur d’éluder le paiement de la
TVA, tant celle que le débiteur a perçu auprès de ces clients que celle que le débiteur n’a pas
reversé, quand bien même le débiteur contrait les arguments du comptable public, puisque
depuis une décision de 199658
, confirmée en 200559
, la Cour de cassation affirme que la
charge de la preuve ne peut pas être inversée et par conséquent que le débiteur ne peut pas
rapporter la preuve qu’il est en mesure de faire face au passif exigible avec son actif
disponible et qu’il possède les fonds nécessaires pour désintéresser immédiatement son
créancier.
En outre, la cessation des paiements d’une société doit être datée. La date de cette
cessation est lors d’une liquidation judiciaire fixée comme en matière de redressement
judiciaire, au jour où le débiteur a été placé dans l’impossibilité de faire face à son passif
exigible avec son actif disponible60
.
En l’absence de détermination de la date de cessation des paiements dans le jugement
d’ouverture, la cessation des paiements est réputée acquise au jour dudit jugement d’ouverture
en vertu du premier alinéa de l’article L. 631-8 du Code de commerce. Ainsi cette date de
cessation des paiements se confond avec la date du jugement d’ouverture. Le tribunal
compétent dispose de la possibilité de reporter en arrière ladite date lors du jugement
d’ouverture61
, mais également la possibilité de reporter en arrière la date, ouvrant ainsi une
période suspecte, laquelle permet de critiquer certains actes faits avant le jugement
d’ouverture. Ce report ne peut être antérieur de plus de dix-huit mois à compter de la date du
jugement62
. C’est pourquoi en l’espèce, la date de la cessation des paiements est fixée au 8
aout 2005, laquelle correspond bien à la date limite du délai de dix-huit mois précédant la date
55
Cass. com., 25 novembre 2008, 07-20.972, Inédit. ; GPC 28 avr. 2009, p. 15 obs. LEBEL 56
Cass. com., 27 avril 1993, n° 91-16470, Bull. civ. IV, n° 154 ; Cass. com. 25 février 1997, n° 95-18607,
Inédit. ; D. aff. 1997, 484 57
Cass. com., 22 juin 1999, n° 96-12746, Inédit. ; Rev. Proc. Coll. 2000, n° 45, obs. DELENEUVILLE 58
Cass. com., 2 avril 1996, n° 93-21861, Bull. civ. IV, n° 111 ; D. 1996. IR 123 ; 59
Cass. com. 24 mai 2005, n° 04-10901, Inédit. ; Gaz. Pal. 4-5 nov. 2005 p. 12, obs. LEBEL 60
article L. 640-1 du Code de commerce 61
article L. 631-8 alinéa 2 du Code de commerce 62
article L. 631-8 alinéa 2 du Code de commerce
RJP 2015-1 (Novembre)
58
du jugement de la liquidation judiciaire, fixé au 8 février 2007, quand bien même le débiteur
rencontrait déjà des difficultés antérieurement.
Le report prononcé par le tribunal ne peut faire suite qu’à une demande de l’administrateur,
du mandataire judiciaire ou du ministère public, qui est enfermée dans un délai d’un an à
compter de la date du jugement d’ouverture. Le débiteur doit avoir été entendu par le tribunal
avant que le tribunal ne se prononce63
.
Un arrêt avait déjà été rendu en ce sens par la Chambre commerciale le 11 avril 201264
,
dans lequel la Cour a cassé l’arrêt de la Cour d’appel pour manque de base légale, alors que
cette dernière avait déclaré que la cessation des paiements était caractérisée du fait que le
débiteur ne respectait plus les échéances de son plan de continuation depuis le mois de juin
2010, et qu’il n’avait pas réglé les cotisations URSSAF s’élevant à plus de 30 000€.
MOTS-CLES : LIQUIDATION JUDICIAIRE – REPORT – DATE DE CESSATION DES
PAIEMENTS – TITRES EXECUTOIRES
Angélique MULLER
12) L’impossible mise en œuvre par le débiteur du bénéfice de subrogation, droit
exclusif de la caution
Cour d’appel d’Orléans (chambre commerciale, économique et financière), 26 janvier
2015, N° RG : 13/03079
Prononcé le 29 JANVIER 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les
parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de
l'article 450 du Code de procédure civile.
Sur le rappel des faits et de la procédure
Suivant acte sous seing privé en date du 21 juin 2008, le Crédit immobilier de France Centre
Ouest a consenti à Monsieur D. et à Monsieur L. un prêt d’un montant de 120.827 euros au
taux de 5,10% l’an, destiné à l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation et à
l’exécution de travaux.
Au terme de cet acte, la société CNP Caution s’est portée caution des emprunteurs.
Le prêt d’étant pas remboursé, la société CNP Caution a réglé au Crédit immobilier de
France une somme de 133.205,43 euros, selon quittance subrogative en date du 29 avril
2011.
C’est dans ces circonstances que la société CNP Caution a assigné Messieurs D. et L., le 18
novembre 2011, devant le tribunal de grande instance de Montargis, lequel par jugement en
date du 20 juin 2013, a condamné solidairement ceux-ci à payer à celle-là la somme de
63
article L. 631-8 alinéa 3 du Code de commerce 64
Cass. com., 11 avril 2012, n° 11-16416, Inédit. ; Lettre d’actualité des procédures collectives civiles et
commerciales, n° 10, juin 2012, alertes 151
RJP 2015-1 (Novembre)
59
133.205,43 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 29 avril 2011 et capitalisation
des intérêts.
Monsieur D. et Monsieur L. ont régulièrement interjeté appel de cette décision le 27
septembre 2013.
Ils ont opposé à la CNP Caution les fautes qu’elle avait commises, en ne s’assurant pas que
les trois conditions suspensives auxquelles l’offre de prêt était soumise, à savoir le
remboursement préalable d’autres prêts par les débiteurs, le prononcé du divorce par
consentement mutuel de l’un d’entre eux et la souscription d’une garantie hypothécaire sur le
bien objet du projet, avaient été réalisées.
Ils se sont, par ailleurs, prévalu des manquements du Crédit immobilier de France et de la
société CNP Caution à leurs obligations, en ce qu’ils avaient manqué à leur devoir de mise
en garde, s’étaient abstenus de les informer du risque de surendettement, leur avaient fait
souscrire une assurance inefficace et avaient manqué à leur devoir de conseil.
Ils ont conclu, en conséquence, au débouté de la demande.
A titre subsidiaire, ils ont sollicité les plus amples délais de paiement.
Ils ont enfin réclamé, en toute hypothèse, une somme de 4000 euros sur le fondement de
l’article 700 du code de procédure civile et de l’article 37 de la loi relative à l’aide
juridictionnelle.
La société CNP Caution s’est attachée à réfuter l’argumentation des appelants, pour
conclure à la confirmation de la décision entreprise et solliciter une somme de 3000 euros au
titre de l’article 700 du code de procédure civile.
SUR CE
Attendu que les dispositions de l’article 2314 du code civil visent exclusivement à la
protection de la caution à raison des fautes commises par le créancier empêchant la
subrogation dans les droits de celui-ci d’opérer en sa faveur ;
Qu’elles ne peuvent pas, en revanche, être invoquées par les débiteurs pour échapper au
recours de la caution qui a réglé la dette ;
Que, de toute manière, la condition suspensive d’une inscription d’hypothèque était en faveur
exclusive du créancier, lequel n’avait donc aucune obligation de l’exiger ;
Que, pour le reste, les appelants ne démontrent pas que les deux autres conditions
suspensives n’avaient pas été levées et, ne l’auraient-elles pas été, elles seraient réputées
l’avoir été dès lors que cette levée étaient de leur responsabilité et qu’ils ont accepté de
percevoir le prêt ;
Attendu que certes, la société CNP Caution qui a payé sans être poursuivie par le créancier
ou avoir averti les débiteurs, peut se voir opposer par ceux-ci, par application des
dispositions de l’article 2308 alinéa 2 du code civil, les fautes qu’ils auraient pu reprocher au
créancier pour faire déclarer la dette éteinte ;
RJP 2015-1 (Novembre)
60
Mais attendu que le Crédit immobilier de France n’a commis aucune faute à l’égard des
emprunteurs, ainsi que l’a exactement retenu le premier juge en considérant que leur taux
d’endettement de 40%, tel qu’il résultait des informations qu’ils avaient fournies sur leur
situation financière, n’était pas excessif eu égard à leur objectif qui consistait en l’acquisition
d’un bien immobilier ;
Attendu que les appelants reprochent encore vainement à la société CNP Caution la
souscription d’une assurance chômage inefficace au motif qu’ils étaient déjà au chômage,
alors qu’agés d’une trentaine d’années au moment de la souscription du prêt dont le
remboursement devait s’échelonner sur trente ans, ils étaient nécessairement susceptibles de
retrouver un travail dans un délai raisonnable, de sorte qu’en cas de nouvelle perte d’emploi,
l’assurance souscrite trouvait toute sa justification ;
Et attendu que la dette est ancienne et que les débiteurs ne font aucune proposition sérieuse
de règlement ;
Que le jugement entrepris sera, en conséquence, confirmé en toutes ses dispositions :
Attendu que les appelants, qui succombent en leur appel, paieront une somme de 1000 euros
au titre de l’article 700 du code de procédure civile et supporteront les dépens ;
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement entrepris;
Y AJOUTANT,
CONDAMNE Monsieur Stéphane D. et Monsieur Xavier L. solidairement à payer à la société
CNP caution une somme de mille (1000) euros au titre de l'article 700 du code de procédure
civile ;
LES CONDAMNE solidairement aux dépens et accorde à la SELARL L.’DA C., avocat, le
bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile
Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJAUD, président de chambre et Madame Anne-
Chantal PELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat
signataire.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Commentaire : Du bon usage du bénéfice de subrogation en droit du cautionnement
Cette espèce nous présente des personnes physiques ayant souscrit un emprunt auprès
d’une banque afin de procéder à l’acquisition d’un bien immobilier à usage d’habitation.
L’établissement de crédit a exigé la présence d’une caution en garantie du prêt. Les
emprunteurs ont fait appel à une société de cautionnement, la CNP Caution.
Le prêt n’a pas été remboursé selon les termes convenus avec la banque. Cela a
entraîné l’appel en garantie de la caution. Ainsi que le prévoit l’article 2306 du code civil, la
RJP 2015-1 (Novembre)
61
caution s’est retournée contre les emprunteurs par le biais d’un recours subrogatoire. Un tel
recours subroge le garant dans les droits et privilèges du créancier.
Afin de s’opposer à l’action en paiement de la caution contre les emprunteurs, ces
derniers ont opposé en cause d’appel le bénéfice de subrogation de l’article 2314 du code
civil. Selon cette disposition, la caution peut opposer au créancier les fautes qu’il a commises
dans la préservation de ses droits ou privilèges à l’égard du débiteur. Il s’agit d’un moyen de
défense que la caution peut soulever lorsqu’elle est appelée en garantie. Plus généralement, le
bénéfice de subrogation vient sanctionner le devoir de loyauté dû à la caution par le créancier.
La Cour d’appel a rappelé que le bénéfice de subrogation ne profite qu’à la caution et
qu’en aucun cas le débiteur ne peut s’en prévaloir pour échapper au recours de la caution. En
cela, la Cour d’appel d’Orléans applique le droit à la lettre. Des précédentes décisions avaient
souligné le fait que seule la caution pouvait s’en prévaloir65
.
En effet, la perte des droits préférentiels de la caution du fait du créancier l’empêche
d’exercer un recours subrogatoire avec un maximum d’efficacité. C’est pour cela que l’article
2314 peut être invoqué par la caution lorsqu’elle ne peut pas utiliser un droit préférentiel du
fait du créancier. Une telle situation se présente notamment lorsque le créancier néglige, par
exemple, de prendre un nantissement de fonds de commerce consenti par le débiteur66
.
A titre subsidiaire, la Cour d’appel a rappelé aux appelants les moyens de défense
qu’ils auraient pu mettre en œuvre.
Premièrement, les faits de l’espèce indiquent que la caution a payé le créancier sans
avertir le débiteur. Un tel comportement peut être sanctionné par la perte du recours
subrogatoire contre l’emprunteur principal, sur le fondement de l’article 2308 du code civil.
Néanmoins, cette défense ne peut être invoquée que si au moment du paiement de la caution,
le débiteur avait eu les moyens de faire déclarer sa dette éteinte. Autrement dit, cet article
reprend l’adage juridique selon lequel « qui paie mal paie deux fois »67
. La présence d’une
exception opposable par le débiteur rendant sa dette éteinte le protège contre un recours
subrogatoire de la caution.
En l’espèce, le débiteur ne pouvait néanmoins se prévaloir d’une exception opposable
sur le fondement du devoir de mise en garde de l’emprunteur qui pèse sur le créancier.
Tout établissement de crédit est tenu envers l’emprunteur d’un devoir de mise en
garde concernant les risques de l’octroi de crédit et notamment le risque lié à un endettement
excessif. Ce devoir de mise en garde a été consacré par une série de quatre arrêts rendus en
2005 par la première chambre civile68
. La violation de cette obligation d’origine prétorienne
expose l’établissement de crédit à la mise en œuvre de sa responsabilité contractuelle. Le
préjudice réparé consiste en la perte de chance d’échapper au risque d’endettement né de
l’octroi du crédit69
.
Néanmoins, la réparation de ce préjudice ne permet pas l’allocation de dommages et
intérêts couvrant l’intégralité du crédit, intérêts et principal. Généralement, les juridictions
octroient au débiteur à titre de compensation le montant des accessoires du crédit, à savoir les
intérêts, les frais et les pénalités70
. Une Cour d’appel a octroyé à titre de dommages et intérêts
un montant égal à 5% du crédit en intérêts et principal à un emprunteur qui n’avait pas
65
CA Paris, 28 octobre 1998 : D. 1999, act. jurispr. p. 114. – Cass. com., 10 octobre 2000 : Bull. civ. 2000, IV,
n° 153, RTD com. 2001, p. 201 66
Cass. 1re
civ., 12 février 2002, n° 99-15.944 : Bull. civ. 2002, I, n° 51. 67
B. FAGES, Droit des obligations, LGDJ, 4ème
édition, 2013 68
Cass. 1re
civ., 12 juillet 2005, n° 02-13.155 : Bull. 2005, I, n° 324 ; n° 03-10.770 : Bull. 2005, n° 325 ; n° 03-
10.115 : Bull. 2005, I, n° 326 ; n° 03-10.921: Bull. 2005, I, n° 327. 69
Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-13.034 : Bull. 2009, IV, n° 43. 70
Cass. 1re
civ.,1er
juillet 2010, n° 09-16.474, Inédit.
RJP 2015-1 (Novembre)
62
bénéficié du devoir de mise en garde71
. Les juridictions calculent les probabilités de non-
conclusion du contrat de prêt afin de déterminer le montant du préjudice né de la perte de
chance de ne pas contracter.
En l’espèce, la Cour d’appel a estimé que le taux d’endettement proposé aux
emprunteurs n’était pas excessif. La condamnation au paiement du crédit en intérêts et
principal telle que décidée en première instance a été maintenue.
MOTS CLES : CAUTIONNEMENT – BENEFICE DE SUBROGATION – DEVOIR DE
MISE E GARDE – DEVOIR DE CONSEIL – PERTE DE CHANCE – PROTECTION DE
L’EMPRUNTEUR
Baptiste PARISELLI CAPMAN
71
CA Grenoble, 2 juillet 2013, n° RG 11/01558
RJP 2015-1 (Novembre)
63
Chronique de jurisprudence des étudiants
Master 2
Droit social et droit des ressources humaines
1) Période d’essai
Cour d’appel de Bourges, 23 mai 2014, n°13.00982
Résumé.
Un salarié est embauché par contrat de travail à durée déterminée, du 10 septembre 2012 au
31 mars 2013, en qualité de délégué pharmaceutique, sous réserve d’une période d’essai d’un
mois de travail effectif. L’employeur lui notifie la rupture de son contrat de travail le 24
septembre 2012, soit 15 jours après son entrée en fonctions, dans le cadre de sa période
d’essai alors qu’il se trouvait être en formation dispensée par l’employeur.
Contestant la rupture de son contrat de travail, le salarié a saisi le Conseil des Prud’hommes
de Bourges le 10 octobre 2012, lequel a dit la rupture abusive et a condamné l’employeur à lui
verser 11.479, 50 euros à titre de dommages et intérêts.
Le défendeur a interjeté appel en date du 22 mai 2013, et la Cour d’Appel de Bourges, le 23
mai 2014, a infirmé la décision rendue par le Conseil des Prud’hommes aux motifs que le
délai était suffisant pour apprécier, même dans le cadre d’une formation, les qualités
professionnelles du salarié, que le salarié ne disposait pas des aptitudes professionnelles à
intégrer le positionnement de l’entreprise, et que la légèreté blâmable et l’abus de droit
invoqués n’étaient pas caractérisés.
Extraits
« Attendu qu'il est constant qu'un employeur peut mettre fin aux relations contractuelles
avant l'expiration de la période d'essai sous réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en
abus ;
Attendu que M. Minh invoque l'abus de droit de la part de la société TEVA Santé dans la
rupture de leurs relations contractuelles ;
Attendu qu' il convient de rappeler que la période d'essai se situe au commencement de
l'exécution du contrat de travail peu important que durant celle-ci est prévue une période de
formation ; qu'en vertu des dispositions de l'article L 6321-2 du code du travail le temps de
formation pour adaptation au poste de travail constitue du temps de travail effectif ;
Attendu que certes la rupture des relations contractuelles est intervenue tandis que le salarié
suivait une formation réservée aux nouveaux entrants et n'avait pas encore exercé sur le
terrain ses fonctions de délégué pharmaceutique ;
Attendu toutefois que si la société TEVA santé ne verse pas le test d'évaluation qu'elle évoque
dans ses écritures, il ressort de la lecture du programme de formation qu'à l'issue de chaque
journée de formation, les nouveaux entrants disposaient de plages horaires pour du travail
personnel permettant aux intervenants d'appréhender les aptitudes professionnelles des
salariés ; qu'ainsi M. Monney directeur de zone, qui a participé à la formation sur la
politique commerciale, atteste : 'lors de cette formation, nous avons collégialement pris la
décision de ne pas faire perdurer Marc Minh sur ce stage. Les éléments de motivation sont
liés à l'attitude de M. Minh quant à l'appropriation de la stratégie globale de TEVA
laboratoire. Son positionnement général était plus lié à une attitude centrée sur son
historique et ses habitudes sans aucune volonté d'intégrer la culture TEVA et les bonnes
pratiques tant en techniques de vente qu'en valorisation de nos outils différenciant. Les
RJP 2015-1 (Novembre)
64
différents intervenants nous ayant tous alertés sur cette désinvolture récurrente cela nous a
amené à prendre la décision de ne pas continuer l'aventure avec M. Minh'.
Attendu qu'en l'espèce il a été mis fin au contrat de travail de M. Minh quinze jours après le
commencement des relations contractuelles ; que ce délai est suffisant pour apprécier, même
dans le cadre d'une formation, les qualités professionnelles du salarié étant précisé que la
validation de sa candidature pour le poste, antérieurement à son embauche, ne saurait être
déterminante sur l'appréciation de ses aptitudes professionnelles ; qu'également l'attestation
précitée est particulièrement circonstanciée sur les aptitudes professionnelles de M. Minh à
intégrer le positionnement de l'entreprise ; que M. Minh quant à lui ne produit aucune pièce
permettant de contredire cette constatation ; que l'attestation de M. ABAD est insuffisante à
établir que la rupture du contrat de travail serait motivée par l'embauche d'une autre
déléguée pharmaceutique ; que dès lors la légèreté blâmable et l'abus de droit invoqués ne
sont pas caractérisés ; qu'il convient de débouter M. Minh de ses demandes ; que le jugement
déféré sera réformé en ce sens ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau ;
Déboute M. Marc Minh de l'intégralité de ses demandes ;
Commentaire : Les limites de l’abus dans la rupture de la période d’essai
La période d’essai, qui se situe au début de l’exécution d’un contrat de travail, est une période
transitoire qui permet d’une part à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son
travail, notamment au regard de son expérience, et d’autre part au salarié d’apprécier si les
fonctions occupées lui conviennent72
. Au cours de la période d’essai, chacune des parties
dispose d’un droit de résiliation discrétionnaire. De ce fait, la rupture n’a pas à être motivée,
et les dispositions qui régissent la rupture du contrat de travail ne sont pas applicables pendant
la période d’essai73
.
Si une cause réelle et sérieuse justifiant la rupture n’est pas exigée74
, la décision de
l’employeur doit néanmoins être fondée sur l’appréciation des compétences professionnelles
de l’intéressé et en aucun cas sur un motif discriminatoire ou étranger à ses capacités. Il doit
également s’agir d’un motif inhérent à la personne du salarié. Dès lors, toute rupture de la
période d’essai doit s’exercer dans la limite de l’abus de droit, le motif ne pouvant être
étranger à l’objet de la période d’essai.
Dans le cadre de l’affaire soumise à notre commentaire, les juges de la Cour d’Appel de
Bourges ont dû s’interroger sur la cause de la rupture de la période d’essai : était-elle motivée
par le caractère non satisfaisant de l’essai ? La rupture avait-elle pour cause des
considérations strictement professionnelles ?
A cet égard, il convient d’analyser, d’une part, la durée effective de la période d’essai (1), et
d’autre part, la motivation de la rupture de la période d’essai (2).
1. Sur la durée effective de la période d’essai
72
Art. L.1221-20 du Code du travail et Circ. DGT n°2009-5, 17 mars 2009. 73
Art. L.1242-11 du Code du travail. 74
Cass. Soc., 13 novembre 1985, n° 84-41.104.
RJP 2015-1 (Novembre)
65
En l’espèce, l’employeur a rompu la période d’essai au bout de seulement 15 jours. Cette
courte durée permet-elle réellement d’évaluer les compétences et aptitudes du salarié, sachant
que celui-ci était en période de formation ?
La jurisprudence estime abusive la rupture de la période d’essai lorsqu’elle n’est pas motivée
par des raisons professionnelles, tel est le cas de la résiliation qui témoigne d’une légèreté
blâmable, lorsque l’employeur met fin très rapidement à la période d’essai sans que le salarié
n’ait commis de faute importante. En pratique, cet abus de résiliation est reconnu lorsque le
salarié n’a pas été mis en situation, durant la brève période qui avait précédé la rupture, de
donner la preuve de sa capacité75
.
A titre d’illustrations, la rupture a été jugée abusive lorsqu’elle est intervenue une semaine
après l’embauche. Le salarié nouvellement embauché effectuait un stage d’adaptation aux
techniques de la société et n’avait pas encore été mis en mesure d’exercer ses fonctions76
. Par
ailleurs, les juges ont considéré que la rupture après trois semaines de prestation de travail ne
laisse au salarié aucune chance de réaliser les objectifs qui lui ont été assignés77
. De même
pour l’employeur qui n’a pas été en mesure d’apprécier les qualités professionnelles du salarié
compte tenu de la durée pendant laquelle il a exercé ses fonctions par rapport à celle des
stages en formation78
. Dans cette affaire presque similaire à la nôtre, un pompier d’aérodrome
avait été engagé avec une période d’essai de deux mois de travail effectif et avait suivi
immédiatement une formation locale et un stage de formation externe. Son employeur avait
pris la décision deux semaines plus tard de rompre la période d’essai, rupture qui a été
considérée abusive pour impossibilité de juger des qualités du pompier qui n’avait passé que
trois jours sur le terrain.
Pour autant, n’est pas nécessairement abusive une rupture par l’employeur au seul motif
qu’elle intervient dans un court laps de temps après le début de l’essai par rapport à la durée
prévue de la période d’essai : l’employeur ne saurait être tenu de poursuivre l’essai dès le
moment où il a jugé le salarié inadapté à l’emploi et non susceptible de s’y adapter par la
suite79
. De même, le fait de rompre le contrat de travail seulement quelques jours après le
renouvellement de la période d’essai ne caractérise pas un usage abusif du droit de rompre la
relation de travail de la part de l’employeur, ni une légèreté blâmable de sa part, les juges du
fond ayant constaté que cette rupture était motivée par le caractère non satisfaisant de
l’essai80
.
C’est donc l’ensemble de la situation qui est appréciée par le juge en cas de litige, et non la
motivation invoquée ou le seul fait que la rupture soit « précipitée ». Toutefois, en l’espèce, le
salarié a t-il vraiment été placé dans des conditions normales d’emploi permettant d’analyser
sa valeur professionnelle81
? L’interrogation semble opportune dès lors que le salarié n’a
bénéficié que « de plages horaires pour du travail personnel permettant aux intervenants
d'appréhender les aptitudes professionnelles ». Les juges du fond ont appuyé leur
raisonnement sur le fait que le temps de formation pour adaptation du poste de travail
constituait du temps de travail effectif82
, source d’évaluation pour le salarié nouvellement
embauché. Certes, mais ce temps peut-il véritablement permettre d’apprécier les qualités
professionnelles du salarié ? La formation imposée au salarié dès le début de sa période
75
Cass. Soc., 2 fév. 1994, n° 90-43.836. 76
Cass. Soc., 5 mai 2004, n° 02-41.224. 77
Cass. Soc., 20 janvier 2010, n° 08-44.465. 78
Cass. Soc., 15 mai 2008, n° 07-42.289. 79
Cass. Soc., 4 octobre 1979, n° 78-40.621. 80
Cass. Soc., 28 juin 2000, n° 92-42.561. 81
Cass. Soc., 27 octobre 2009, n° 08-41.661. 82
Art. L.6321-2 du Code du travail.
RJP 2015-1 (Novembre)
66
d’essai permet de lui octroyer le savoir et le savoir-faire requis pour tenir le poste et les
fonctions pour lesquels il a été embauché. Ainsi, comment peut-on reprocher au salarié, au
bout de seulement deux semaines de formation et sans avoir été en mesure d’exercer sur le
terrain ses fonctions, de ne pas satisfaire aux compétences requises ?
2. Sur la motivation de la rupture de la période d’essai
Conformément aux propos liminaires, la période d’essai qui a pour objet de permettre à
l’employeur d’évaluer les compétences du salarié, c’est-à-dire de « tester » le nouveau
collaborateur, peut être librement rompue sans qu’il soit besoin de motiver cette rupture.
Cependant, ce droit discrétionnaire est limité puisqu’en période d’essai, l’abus de droit peut
toujours être sanctionné. A ce titre, la notion d’abus peut résulter des motifs de la rupture de
l’essai : compte tenu de la finalité de la période d’essai, sa rupture doit avoir pour cause des
considérations professionnelles. Elle doit se fonder sur une appréciation des aptitudes du
salarié à tenir l’emploi, étant entendu que cette aptitude fait intervenir des critères plus larges
que la stricte capacité professionnelle, tels que l’entente professionnelle ou encore
l’implication personnelle. Dès lors, la bonne foi joue un rôle prépondérant dans l’appréciation
de l’abus de la période d’essai.
Néanmoins, dans l’affaire qui nous est soumise, les juges de la Cour d’Appel disposaient-ils
de moyens suffisants et pertinents pour juger licite la motivation de la rupture de la période
d’essai ?
D’une part, en l’espèce, afin de justifier la rupture de la période d’essai du salarié,
l’employeur s’est appuyé sur un test d’évaluation qui a permis de « déplorer son
comportement négatif au cours de la formation » et sa « désinvolture récurrente ». Les juges
n’auraient-ils pas pu envisager un abus tiré de la motivation de la rupture de l’essai ? En effet,
lorsque les défaillances du salarié sont patentes, les juges estiment que la rupture de l’essai est
justifiée. Par exemple, l'absence de résultat du salarié dans la commercialisation du nouveau
produit dont il avait la charge a permis de justifier la rupture du contrat de travail pendant la
période d'essai83
. Néanmoins, il semblerait qu’en l’espèce, l’employeur ait motivé la rupture
de la période d’essai au regard du relationnel du salarié et sa façon d’interagir avec son
environnement. Cette motivation est-elle une cause licite de rupture de période d’essai ? Les
juges ont déjà eu à traiter de la question, et ont considéré que la rupture motivée par les doutes
de l’employeur quant aux qualités du salarié sur le plan des relations humaines était
légitime84
.
D’autre part, en application des règles classiques de preuve, c’est la partie « victime » de la
rupture de l’essai qui doit démontrer la mauvaise foi de l’autre contractant. Ainsi, les juges
considèrent qu’il revient au salarié de démontrer la preuve de l’abus de droit85
. Pour autant, en
l’espèce, la motivation de la rupture de la période d’essai peut nous sembler suspecte dès lors
que l’employeur ne fournit pas aux débats le fameux test d’évaluation relevant le faible
niveau de connaissances théoriques allégué ainsi que le comportement négatif du salarié. Par
conséquent, les juges de la Cour d’Appel pouvaient-ils réellement s’assurer des véritables
motifs de la rupture de la période d’essai ? Dit autrement, avaient-ils la possibilité de s’assurer
de l’absence d’un détournement de la finalité de la période d’essai ? L’aptitude personnelle du
salarié à assumer les fonctions qui lui étaient allouées a-t-elle fait l’objet d’une évaluation
sérieuse et vérifiable ?
83
Cass., Soc. 31 mai 2000, n° 98-43.457 84
Cass., Soc. 1ier
juillet 1976, n° 75-41.027 85
Cass., Soc. 20 décembre 1977, n° 76-41.096
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67
Par ailleurs, les juges considèrent que si l’employeur peut, sans motif et sans formalité, mettre
fin à la période d’essai, il doit néanmoins lorsqu’il invoque ouvertement un motif disciplinaire
à l’encontre du salarié (une faute), respecter la procédure disciplinaire86
.
Partant, ne pourrions-nous pas estimer que la réelle motivation de la rupture de la période
d’essai du salarié était liée à l’attitude fautive du salarié et non à ses aptitudes
professionnelles ? Pourtant, il sera observé qu’en l’espèce, l’employeur n’a pas mis en place
la procédure disciplinaire prévue à l’article L.1332-2 du Code du travail : aucun entretien
préalable n’a été réalisé.
Enfin, si la fonction première de la période d’essai est d’éprouver les aptitudes
professionnelles du salarié, celle-ci va plus particulièrement donner la possibilité au salarié de
pourvoir durablement le poste pour lequel il était en essai. A ce titre, l’employeur doit donc
intégrer le salarié afin de lui permettre d’apporter ses compétences, de s’habituer aux
processus définis par l’entreprise, et de s’impliquer dans la fonction pour laquelle il a été
engagé. Ainsi, la période d’essai ne devrait-elle pas faire l’objet d’un accompagnement
consistant et formel dans le but de construire la relation future sur un climat de confiance ? En
l’espèce, les juges n’auraient-ils pas du rechercher la cause des échecs du salarié dans sa
période d’essai ? Ne pourrions-nous pas envisager que cet échec soit prioritairement dû à
l’entreprise, notamment par un défaut d’intégration du salarié à la culture de l’entreprise ?
En effet, sur un si court temps d’observation, il nous semble difficile d’imputer l’insuccès de
la période d’essai au seul salarié, notamment s’il n’y a pas eu un réel suivi du process
transitoire, permettant ainsi d’ajuster mutuellement les attentes de chacun.
Elodie BRUNNER
2) Co-emploi
Cour d’appel d’Orléans 5 juin 2014, n°13/03347
Un salarié embauché en qualité d’abonneur par un éditeur de presse passe au service d’une
société de prospection et de diffusion presse. Les deux entreprises sont liées par un contrat de
commercialisation d’abonnements. Après la mise en liquidation judiciaire de la société de
prospection le salarié est licencié pour motif économique.
Devant le Conseil des prud’hommes de Blois, le salarié invoque une situation de co-emploi en
s’appuyant sur l’unité économique et sociale établie par le tribunal d’instance entre l’éditeur
et la société de prospection peu de temps après son licenciement. Il entend ainsi que son
premier employeur assume les obligations du second, et notamment les conséquences de la
nullité du licenciement qu’il invoque. Le Conseil des prud’hommes fait droit à sa demande.
Devant la Cour d’appel, se posait ainsi la question de savoir, si la situation de co-emploi était
caractérisée. D’abord, la Cour d’appel décide que la situation de co-emploi ne se déduit pas
de la seule reconnaissance d'une unité économique et sociale. Ensuite, elle estime que s’il y a
bien une confusion d'intérêts entre les deux sociétés, il n'existe pas de confusion des activités
qui ne sont que complémentaires. Par ailleurs, la gestion par un dirigeant commun pendant un
peu plus de deux mois n'ayant rien de significatif, elle décide qu’il n'y a pas de confusion de
direction. Deux des critères du co-emploi n'étant pas remplis, la Cour d’appel écarte le co-
emploi.
Extraits
86
Cass., Soc. 10 mars 2004, n° 01-44750
RJP 2015-1 (Novembre)
68
MOTIFS DE LA DÉCISION
Eu égard aux dates ci-dessus, les appels, principal et incidents, sont recevables.
La SA SOCIÉTÉ NOUVELLE DU JOURNAL L'HUMANITÉ (SNJH) a pour activité
l'exploitation du journal quotidien communiste l'HUMANITÉ au moyen de tous supports, et
des publications de même obédience (notamment l'HUMANITÉ HEBDO).
Elle engage M. WATELLE, le 13 mars 2000, en CDD et puis en CDI, comme abonneur.
Le premier décembre 2002, il passe au service de la SARL SOCIÉTÉ DE PROSPECTION ET
DE DIFFUSION DE PRESSE (SPDP), dont l'activité est la prospection auprès de
particuliers afin d'obtenir des abonnements pour le compte d'organes de presse quotidiens ou
autres.
Il est alors, dans un premier temps, animateur, statut cadre, avant de devenir VRP exclusif le
8 mars 2004.
Le 23 juin 2011, la SPDP est mise en liquidation judiciaire sans maintien d'activités (cette
décision sera confirmée par la cour d'appel et deviendra irrévocable à la suite du rejet du
pourvoi le 22 mai 2013).
Me MOYRAND est mandataire liquidateur.
Le 6 juillet 2011, il licencie M. WATELLE pour motif économique.
Le 4 octobre 2011, le tribunal d'instance constate, au 11 juin 2011, l'existence d'une unité
économique et sociale entre les sociétés SPDP et SNJ H.
Cette décision est confirmée par la cour le 23 mai 2013.
La SNJH fait un pourvoi, qui est en cours d'examen.
LA RUPTURE
LE CO-EMPLOI
Une entreprise peut être considérée comme co-employeur d'un salarié au service d'une autre
à condition qu'il existe entre elles une confusion d'intérêts, d'activités et de direction, se
manifestant notamment par une immixtion de la société présentée comme deuxième
employeur dans la gestion économique et sociale de l'entité employeur « officiel » d'une
intensité telle que celle-ci est en fait privée de toute autonomie, en particulier dans la gestion
de son personnel.
Ces conditions sont cumulatives, même s'il n'est pas exigé qu'il existe un lien de
subordination entre l'entité recherchée comme co-employeur et le salarié.
C'est à tort que le conseil de prud'hommes a déduit la situation de co-emploi (allant même
jusqu'à considérer que la SNJH était l'employeur « principal » !) du seul fait que l'existence
d'une unité économique et sociale avait été reconnue.
Il s'agit en effet de 2 notions différentes et la première ne peut être déduite de la deuxième.
Ici, les 2 sociétés sont liées par un contrat de commercialisation : la SNJH confie à la SPDP
le pouvoir de vendre pour son compte certains de ses produits moyennant une commission.
Concrètement, elle lui confie la mission de rechercher et de conclure des abonnements pour
ses 2 principales publications, l'HUMANITÉ et l'HUMANITÉ HEBDO.
LA CONFUSION D'INTÉRÊTS
Elle existe en l'espèce dès lors que l'intérêt principal des 2 sociétés se confond :
-il est de l'intérêt de la SNJH de vendre le plus de journaux possible
-il est de l'intérêt de la SPDP de rechercher et de conclure le plus d'abonnements possible.
LA CONFUSION D'ACTIVITÉ
Elle n'existe pas car ces activités, si elles sont complémentaires, ne se confondent pas :
-la SNJH est un éditeur de presse, qui conçoit, fabrique et distribue des journaux
-la SPDP ne fait que rechercher des abonnés, pouvant d' ailleurs en principe le faire pour
d'autres publications que celles de la SNJH, dès lors qu'il ne s'agissait pas de journaux
d'opinion, et même si cela n'a pas été le cas.
RJP 2015-1 (Novembre)
69
LA CONFUSION DE DIRECTION
Elle peut s'analyser à 2 niveaux.
* LES DIRIGEANTS COMMUNS
De fin octobre 2009 au 11 mars 2011, le gérant de la SPDP est M. JAKUBEK, qui n'a jamais
exercé de fonctions de direction à la SNJH.
Il donne sa démission.
M. GUILLOU devient gérant de la SPDP du 11 mars au 24 mai 2011.
Il est par ailleurs secrétaire général et membre du directoire de la SNJH.
Enfin M. CHABANNE devient gérant de la SPDP le 25 mai 2011.
Il avait été membre du directoire de la SNJH mais ne l'était plus depuis 2006.
Cette gestion par un dirigeant commun pendant un peu plus de 2 mois n'a rien de significatif,
et il n'y a pas confusion de direction.
* L'IMMIXTION DANS LA GESTION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE, NOTAMMENT CELLE
DU PERSONNEL
Les éléments pouvant être invoqués sont au nombre de 2.
LA LETTRE DU 12 AVRIL 2011
La SPDP propose à M. WATELLE une modification de son contrat en s'exprimant notamment
ainsi :
« Notre donneur d'ordre nous a en outre informé d'une nouvelle dégradation significative du
taux de chute d'abonnements pour ces derniers mois alors même que notre système de
facturation est basé sur une annualisation des abonnements réalisés.
Il est impératif pour notre viabilité même d'établir une corrélation entre la facturation et la
réalité des encaissements réalisés, sens de l'injonction que nous avons reçu de notre donneur
d'ordre et seul client ».
Il résulte toutefois de ce libellé que la SNJH s'était bornée à informer son partenaire d'une
augmentation des résiliations d'abonnement ces derniers mois, alors que le système de
facturation est basé sur des abonnements annuels.
Elle a donc simplement demandé à la SPDP d'être plus rigoureuse sur la qualité des
abonnements recueillis, ce qui était légitime dans le cadre de relations commerciales, mais ne
constituait en aucun cas une injonction de modifier les contrats des VRP comme le soutient
M. WATELLE.
Il ne s'agit pas d'une immixtion abusive dans la gestion sociale de son co-contractant.
LA RÉUNION DU 19 MAI 2011
Il résulte de plusieurs attestations que lors de celle-ci, M. LAURENT, président du conseil
d'administration de l'HUMANITÉ, a insisté sur la nécessité pour la SPDP de revenir à une
situation équilibrée, peu important que cela se traduise par une modification des contrats ou
même des licenciements.
S'il s'agit là d'une immixtion dans la gestion de son partenaire, elle s'est bornée à des
généralités et n'a pas eu le temps d'entraîner des décisions concrètes (la proposition de
modification du contrat est antérieure puisqu'elle est du 12 avril 2011 et la liquidation
judiciaire sera prononcée un peu plus d'un mois après).
Les autres éléments invoqués sont indifférents pour justifier une confusion de direction.
Cette immixtion unique dans de telles conditions ne suffit pas pour caractériser une confusion
de direction privant la SPDP de toute autonomie.
En conclusion, 2 des critères du co-emploi n' étant pas remplis, il sera écarté.
Commentaire : Une caractérisation de plus en plus complexe du co-emploi
RJP 2015-1 (Novembre)
70
Les frontières entre les entités d’un groupe sont de plus en plus factices. A cet égard, la
théorie du co-emploi permet d’identifier parmi ces entités un autre employeur s’ajoutant à
celui figurant dans le contrat de travail. On parle alors de co-employeurs.
Cette notion n’est pas nouvelle87
. Il s’agit d’établir, que l’employeur ne dispose d’aucune
autonomie de décision et que l’autorité qu’il exerce sur son personnel est partagée avec un
autre qui lui dicte sa conduite, notamment dans la gestion de son personnel. C’est en général
l’immixtion de la société mère dans la gestion économique et sociale de sa filiale que l’on
cherche à démontrer. Cette notion se distingue de l’UES qui permet d’établir un ensemble
économique et social ayant une complémentarité d’activité, une communauté de pouvoirs et
de direction et non la simple immixtion d’une société dans une autre.
La chambre sociale de la Cour d’appel d’Orléans a statué su ce thème dans sa décision du 5
juin 2014. Elle refuse d’abord l’assimilation des notions de co-emploi et d’UES puis écarte en
l’espèce le co-emploi, ses critères n’étant pas remplis.
1- Sur l’articulation entre co-emploi et UES
Les entreprises peuvent être constituées d’un seul établissement, de plusieurs établissements,
parfois reconnus comme des établissements distincts, ou bien encore, former un regroupement
de personnes morales distinctes, une réalité juridique plus complexe. En droit du travail, le
juge est vigilant. Car il est parfois opéré un découpage frauduleux d’une entreprise en
plusieurs sociétés dans le but de ne pas atteindre le seuil d’effectif rendant obligatoire la mise
en place des institutions représentatives du personnel. C’est dans ce cadre que la
jurisprudence a été conduite à reconnaître la notion d’unité économique et sociale (UES) dont
l’essence même est d’assurer une représentation des intérêts communs des salariés
appartenant à une même communauté de travail. La notion a par la suite été consacrée par le
législateur.
Or, dans cette affaire, se posait la question de l’articulation de cette notion avec celle de co-
emploi. Le Conseil des prud’hommes avait en effet déduit de l’existence de l’UES, une
situation de co-emploi. Cette assimilation des deux notions a été fermement rejetée par la
Cour d’appel en ses termes : « C'est à tort que le conseil des prud'hommes a déduit la
situation de co-emploi (allant même jusqu'à considérer que la SNJH était l'employeur «
principal » !) du seul fait que l'existence d'une unité économique et sociale avait été
reconnue ». Les deux concepts ne sont pas à assimiler. La Cour d’appel suit, ici, la position de
la Cour de cassation pour qui l’UES ne peut, à elle seule, entraîner une situation de co-
emploi88
.
La solution inverse se serait inscrite dans l’ancienne ligne jurisprudentielle favorable au co-
emploi. En effet, une interprétation large de cette notion a prévalu quelques années depuis les
fameux arrêts « Jungheinrich » du 18 janvier 201189
. Les groupes de sociétés en étaient les
principales victimes notamment du fait de l’appréciation large faite par les juges du fond du
critère « d’immixtion anormale »90
. Ce phénomène apparaissait principalement en cas de
licenciements économiques. L’absence d’autonomie de la filiale par rapport à sa maison mère
et l’immixtion de la société mère dans la gestion de sa filiale suffisaient alors à caractériser le
co-emploi. Alors pourquoi pas l’UES ? L’objectif de l’UES est avant tout de faire échec aux
divisions artificielles de certaines entreprises pour éviter les effets de seuils en matière de
représentation du personnel et non de rendre compte de l’immixtion d’une société dans une
autre, ce que tend à établir le co-emploi. Les deux notions sont distinctes. Tirer l’existence de
l’une du seul fait de la reconnaissance de l’autre aurait eu pour effet de nier leur spécificité.
87
Cass., soc., 21 oct. 1998, n° 96-45.863. 88
Cass., soc.22 novembre 2000, n°98.42-229 89
Cass., soc. 18 janvier 2011, n°09-69.199 90
CA d’Amiens, 30 septembre 2014, n°13/05612
RJP 2015-1 (Novembre)
71
La Cour d’appel, se garde ainsi d’ouvrir à nouveau la porte à de nombreux recours. On ne
peut que s’en féliciter et ce, d’autant plus que la caractérisation de l’UES a, dans cette affaire,
été rejetée par la Cour de cassation suite au pourvoi de la société SNJH91
.
2- Sur la détermination de la situation de co-emploi à partir des méthodes traditionnelles
Pour caractériser le co-emploi, deux méthodes sont appliquées traditionnellement par les
juges. La première étroite, et directement inspirée de l’arrêt Société Générale de 199692
,
consiste à faire état d’une relation de subordination entre un salarié et un autre employeur que
celui figurant sur le contrat de travail, en caractérisant le pouvoir de contrôle, de direction et
de sanction de ce dernier sur le salarié. La seconde méthode, est celle de la triple confusion.
La situation de co-emploi doit alors résulter d’une confusion d’intérêts, de direction et
d’activités entre l’employeur initial et le potentiel co-employeur.
A titre d’illustration, on peut citer l’arrêt du 11 juillet 2000 de la Cour de cassation dans
lequel elle admet clairement et de manière alternative les deux méthodes : « Qu'en statuant
comme elle l'a fait, sans rechercher s'il n'existait pas entre les diverses sociétés appartenant
au groupe Bata une confusion d'intérêts, d'activités et de direction […]ou si un lien de
subordination de M. B... n'était caractérisé qu'à l'égard de la société Zimbabwe Bata Shoe
company limited, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision »93
.
L’admission du co-emploi étant opportune pour le salarié en ce qu’elle entraine la charge
d’obligations pour le co-employeur, c’est à une application jurisprudentielle large de cette
seconde méthode que l’on a assisté pendant plusieurs années et ce, au travers notamment de
l’arrêt « Jungheinrich » précité. Florence Aubonnet, dans son commentaire de l’arrêt insiste
d’ailleurs sur la largesse de cette méthode en notant que l’arrêt « s'inscrit dans une évolution
du contentieux des licenciements collectifs, tendant, pour les salariés licenciés et leurs
conseils, à aller chercher une société solvable, en mesure de supporter des condamnations
souvent lourdes »94
.
Or, ici la Cour d’appel use encore de cette dernière méthode. Elle rejette d’abord l’application
de la première méthode pour caractériser la situation de co-emploi : « Il n’est pas exigé qu’il
existe un lien de subordination entre l’entité recherchée comme co-employeur et le salarié ».
Le lien de subordination semblait pourtant être un critère pertinent pour la caractérisation du
co-emploi. La Cour d’appel privilégie donc l’application du critère de la triple confusion,
suivant ainsi le mouvement opéré par la Cour de cassation.
Cependant, en l’espèce, la Cour d’appel ne s’emploie pas à une appréciation large de la
méthode, bien au contraire. Elle estime, que s’il y a bien confusion d’intérêts entre les deux
sociétés du fait de l’intérêt principal commun constitué par la vente de journaux, il n’y a en
revanche pas de confusion d’activités, celles-ci n’étant que complémentaires. Il n’y a en sus,
selon elle, pas de confusion de direction, la gestion par un dirigeant commun durant un peu
plus de deux mois n’étant pas un critère révélateur d’une telle confusion. Or, on peut ici se
demander comment apprécier le délai nécessaire de gestion commune pour admettre une
confusion de direction. Dès lors, la Cour d’appel considère non rempli le critère de la triple
confusion. Elle décide en toute logique, que le co-emploi n’est pas caractérisé. Pourtant, c’est
dans le sens inverse que s’est prononcée la Cour de cassation pour des faits similaires dans un
arrêt du 18 avril 200095
. En effet, la Cour de cassation avait reproché à la Cour d’appel de ne
pas avoir vérifié si, s’agissant d’un salarié invoquant le co-emploi entre la société d’éditions
91
Cass., soc.22 octobre 2014, n°13.18-429 92
Cass., soc.13 novembre 1996, n°94-13.187. 93
Cass., soc.11 juillet 2000, n°98-40.146. 94
F. Aubonnet, De l’utilité de la notion de coemployeur, JCP E, 2011, 1291. 95
Cass., soc.18 avril 2000, n°97.43-743.
RJP 2015-1 (Novembre)
72
qui l’avait embauché et la société éditrice qui avait mandaté la société d’éditions, celle-ci
n’avait pas exercé à l’égard du salarié « les pouvoirs de contrôle et de direction inhérents à la
qualité d’employeur et si, dans l’affirmative, cette société n’était pas coemployeur du salarié
avec la société d’éditions ». On peut alors voir ainsi derrière ces décisions, une certaine
casuistique, qu’il apparaît complexe pour l’employeur d’anticiper.
Une autre vision de l’arrêt ici commenté peut être proposée : la Cour d’appel ne fait-elle pas
une application stricte du critère de la triple confusion. Cette dernière proposition permet
d’inscrire l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans dans le nouveau mouvement jurisprudentiel qui
répond aux craintes exprimées envers l’interprétation extensive de la notion. Ainsi l’arrêt du 5
juin 2014 s’inscrit sans doute dans un durcissement de l’appréciation du critère de la triple
confusion. L’arrêt « Molex » de la Cour de cassation du 2 juillet 201496
en est véritablement
la consécration. Pour certains, il s’agit clairement de la « consécration d’une conception
stricte de la notion de co-emploi »97
. Dans cet arrêt, les juges du fond ont été censurés au
motif que les éléments relevés ne suffisaient pas à caractériser le co-emploi et que la triple
confusion doit dépasser la coordination des activités économiques entre les sociétés d’un
groupe. Ainsi, les juges du fond sont incités à examiner chaque situation très attentivement et
à accorder de plus en plus d’importance à l’immixtion dans la gestion économique et sociale.
Avec notre présent arrêt, on note donc qu’un durcissement probable des conditions du co-
emploi est en cours chez les juges du fond, un durcissement qui pourrait s’avérer bien heureux
pour les employeurs soucieux devant le risque d’abus de la notion.
Clémence PAILLAC
3) CDD
Cour d’appel d’Orléans 11 juillet 2004, n°13/01552
Résumé
Un salarié est embauché au sein d’une entreprise de presse dans le cadre de 215 contrats à
durée déterminée (CDD) à temps partiel ou à temps plein à compter du 5 octobre 1999 et
jusqu’en janvier 2012. Le 16 mai 2012 le salarié saisit le conseil des prud’hommes afin
d’obtenir la requalification des contrats de travail en contrat à durée indéterminée (CDI) et en
tirer les conséquences indemnitaires. Le juge prud’homal ordonne la requalification.
Le 14 mai 2013 l’employeur fait appel. Selon ce dernier, les demandes relatives aux salaires
antérieurs au 16 mai 2007 sont prescrites en vertu de la prescription quinquennale alors
encore en vigueur. Surtout l’employeur prétend que seul le dernier CDD peut faire l’objet
d’une requalification au motif qu’à chaque signature d’un nouveau contrat le salarié a renoncé
à demander la requalification des contrats antérieurs. Quant aux effets de la requalification,
l’employeur considère que le rappel de salaire des jours non travaillés séparant chaque contrat
suppose la preuve que le salarié s’était tenu à la disposition de l’employeur pendant cette
période ; en l’espèce aucune preuve n’est rapportée.
Extraits
96
Cass., soc. 2 juillet 2014, n°13-15208. 97
G. Dedessus-Le-Moustier, Affaire Molex : consécration d’une conception stricte du coemploi, JCP E 2014,
act. 571.
RJP 2015-1 (Novembre)
73
« La notification du jugement est intervenue le 8 mai 2013, en sorte que l'appel principal,
régularisé au greffe de cette cour, le 14 mai suivant, dans le délai légal d'un mois, s'avère
recevable en la forme, comme l'appel incident du salarié, sur le fondement des dispositions de
l'article 550 du code de procédure civile.
1° sur la prescription quinquennale alléguée.
Il est constant que toute demande de rappel de salaires et de congés payés est prescrite pour
une période antérieure à cinq ans, au-delà de la saisine du conseil des prud'hommes, en
application des articles L3 245 - 1 du code du travail et 2224 du Code civil. Cette
prescription s'applique notamment à l'action tendant au versement, à la suite de la
requalification de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, de sommes
au titre de la rémunération des journées de travail non effectuées.
Dans son jugement, le conseil des prud'hommes de Tours n'a ordonné la requalification qu'à
compter du 16 mai 2007 puisque l'action de Monsieur F. avait été introduite devant lui le 16
mai 2012. Mais il n'en a pas tiré toutes les conséquences au point de vue des calculs.
Il convient de noter que les parties sont d'accord toutes deux sur cette analyse puisque le
salarié a conclu à la confirmation du jugement qui n'avait retenu la requalification en contrat
à durée indéterminée qu'à compter du 16 mai 2007. Au besoin, la cour rappellera cette règle
de droit intangible qui doit être comprise dans tous ses effets.
2° sur la demande de requalification des CDD en CDI.
A) sur les problèmes des principes procéduraux.
La société considère que la conséquence de la signature d'un contrat à durée déterminée est
d'emporter, sur le plan juridique, renonciation à se prévaloir des effets du précédent contrat à
durée déterminée et à formuler une demande de requalification, lorsque le salarié a
régularisé, à nouveau, un contrat de ce type. Elle affirme que le salarié peut renoncer à se
prévaloir de l'irrégularité du contrat à durée déterminée. Cependant, le droit à
requalification s'inscrit dans le code du travail comme une règle d'ordre public qui l'emporte
sur les dispositions générales du Code civil et cette règle d'ordre public s'impose aux parties
et aux conventions établies entre elles.
La cour saisit mal les raisons pour lesquelles le salarié aurait dû renoncer à se prévaloir de
l'irrégularité alors que l'invocation de celle-ci peut lui conférer des droits nouveaux et
indemnitaires. En effet, la signature de contrats à durée déterminée résulte d'une situation
précaire pour le salarié à souscrire les contrats durée déterminés qui lui sont proposés. Et la
situation s'avère inégale entre le salarié, d'une part de condition modeste, qui accomplit un
travail de courte durée qui va lui permettre de subsister et qui n'a guère le choix de l'emploi,
et, d'autre part, celui de l'employeur qui maîtrise l'outil économique de l'embauche dans les
conditions de temps et de rémunération qu'il déterminait lui-même qu'il propose au salarié
qui finit par y acquiescer.
Le salarié ne peut renoncer à la réparation d'un vice dont il n'a pas connaissance alors que
l'article six du Code civil ne saurait, en tout état de cause empêcher que les règles résultant
d'un ordre public de protection viennent compléter les règles générales du Code civil. À cet
égard, aucune pièce ne démontre que la société est informée des conditions exactes des
renonciations qui seraient contenues dans certains contrats à durée déterminée et dans cette
mesure cette mention ne peut que rester inopérante. De fait, à compter du mois d'octobre
2010, la société a fait signer à ce salarié une clause selon laquelle il renonçait à se prévaloir
d'une action contre elle concernant le CDD et il renonçait à toute requalification. Faute de
pouvoir démontrer qu'elle l'a informé des droits qu'il abandonnait par cette renonciation et
qu'il a agi ainsi en toute connaissance de cause, la société ne peut se prévaloir de cette clause
léonine imposée à son salarié. En effet, il s'agit du contrat d'adhésion, rédigé par la société
qui le remet à signer au salarié et qui n'a aucune possibilité réelle d'en discuter le contenu, eu
RJP 2015-1 (Novembre)
74
égard à la faiblesse de sa position où il se met, s'il refuse, le risque étant grand que les CDD
ne soient plus renouvelés et qu'ainsi il perde toute possibilité de travail.
Il est opportun de souligner qu'il est né en 1952 et que ses CDD successifs ont duré plus de
12 ans.
Par ailleurs, avant octobre 2010, rien ne prouve que le salarié avait entendu renoncer à toute
action revendicative à l'égard de la société en signant un nouveau CDD, puisque la
renonciation à un droit ne se présume pas et doit s'établir clairement.
Pour toutes ces raisons, la cour repoussera comme mal fondées ces exceptions
d'irrecevabilité
B) sur la législation applicable.
Il est invoqué les principes UNIDROIT qui résulteraient d'une jurisprudence européenne qui
s'impose aux juridictions françaises. En l'espèce l'arrêt invoqué concernait un litige à
consonance plutôt commerciale transfrontière alors que la procédure pendante devant cette
cour n'est régie que par la loi française, sans aucun élément d'extranéité pouvant susciter une
discussion à ce propos.
Dans un arrêt Kücük du 26 janvier 2012 la cour de justice de l'union européenne note que
lors de l'appréciation de la question de savoir si le renouvellement des coûts des contrats ou
des relations de travail à durée déterminée est justifié par une raison objective, les autorités
des états membres, dans le cadre de leurs compétences respectives, doivent prendre en
compte toutes les circonstances de la cause, y compris le nombre et la durée cumulée des
contrats ou des relations de travail à durée déterminée conclues dans le passé avec le même
employeur.
Plus loin, elle relève que ce recours successif aux contrats à durée déterminée peut être
considéré comme une source potentielle d'abus au détriment des travailleurs. Il en ressort que
l'arrêt ne permet aucunement à l'employeur de recourir abusivement aux CDD.
L'article L. 1242 - 2 du code du travail dispose qu'un contrat de travail à durée déterminée ne
peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise temporaire et seulement dans les
cas suivants : remplacement d'un salarié en cas d'absence, et accroissement temporaire de
l'activité de l'entreprise...
La jurisprudence constante de la Cour de Cassation prohibe l'utilisation d'un seul contrat à
durée déterminée pour le remplacement de plusieurs salariés, même de manière successive.
En l'espèce, dès le second contrat à durée déterminée, numéro 377 du 2 mai 2000, la société
contrevient manifestement aux dispositions précitées qui se retrouvent pour quatre contrats
de l'année 2000:377, 772,807 et 875 pour tous les contrats de l'année 2000 et, pour tous les
contrats de l'année 2002 à l'exception du numéro 658, pour huit contrats de l'année 2003, 6
contrats de l'année 2004, tous les CDD datés de 2005, 7 contrats de l'année 2006, 6 contrats
de l'année 2007, 7 contrats de l'année 2008 et le contrat numéro 40 de l'année 2009.
Par ailleurs, l'employeur a utilisé très fréquemment le système d'une annexe non visée par le
salarié qui n'est ni paraphée par les parties ce qui offre peu de garanties de sécurité et ne
peut être considérée comme incorporée aux contrats à durée déterminée signés par lui.
En outre, la société a fait signer des avenants au salarié après le terme des contrats à durée
déterminée dont ils sont la suite pour modifier les horaires de travail initialement convenus
ou régulariser un supplément de jours de travail non initialement convenu.
Par exemple, le contrat 27 de l'année 2005 et datée du 31 janvier n' a été soumis à la
signature du salarié que le 4 février suivant. L'avenant au contrat 158 du 2 mai 2005 ne lui a
été remis pour signature que le 4 mai alors que le précédent contrat avait expiré le 30 avril.
Les mêmes procédés ont été utilisés pour le contrat 213 du 1er juin soumis à la signature le 2
juin 2005 alors que le contrat sur lequel cet avenant s'appuyait était terminé depuis le 31 mai.
De même encore pour l'avenant au contrat 661 du 2 janvier, remis pour signature le 3 janvier
alors que le contrat avait expiré le 31 décembre.
RJP 2015-1 (Novembre)
75
La même irrégularité existe sur les avenants des contrats 160,2 00,2 56, 3 24, 3 89,416 et 611
de l'année 2006 et sur les avenants aux contrats 112,1 48,4 99,5 42,5 99,3 89,416, et 611 de
l'année 2007.
Pour l'année 2008 il s'agit des contrats 40,219 et 545 et pour 2009 l'avenant au contrat 121.
Ainsi l'employeur tenta-t-il de modifier un contrat qui n'existe plus à la date où l'avenant est
remis au salarié pour signature.
La modification des horaires doit être annoncée au moins sept jours à l'avance et la
modification de ceux-ci, sans respecter les délais de prévenance, revient selon la Cour de
Cassation, à rompre le contrat sans cause réelle et sérieuse. En l'espèce les contrats qui lui
étaient proposés ne contenaient aucune indication quant au délai de prévenance. Par ce
biais, de fait, la société s'est affranchie de la réglementation relative aux heures
complémentaires et surtout a tenu le salarié constamment à sa disposition puisqu'il n'a pas
été en mesure de prévoir ses horaires de travail.
Toutes les carences multipliées au cours de ces années constituent autant de violations du
droit du travail qui doit être sanctionné par la requalification de tous les contrats à durée
déterminée à compter du 16 mai 2007 jusqu'au 30 janvier 2012 en contrat à durée
indéterminée puisque ce salarié a cantonné ses demandes à partir seulement du 16 mai 2007.
3° sur la requalification en contrat de travail à temps plein.
Il convient de rappeler qu'assez régulièrement, soit 215 fois en un peu plus de 11 ans, la
société a fait appel à ce salarié pour des contrats à durée déterminée qui se succédaient selon
une cadence assez rapprochée et qui permettaient, pour lui, de consacrer environ 104 heures
par mois à cette entreprise de presse, alors que la moyenne conventionnelle est de 146
heures. Comme à ces contrats à durée déterminée s'ajoutaient des avenants avec les
irrégularités stigmatisées plus haut, il est clair que cet homme déjà quinquagénaire ne
pouvait organiser un emploi du temps professionnel autre et qu'il devait ainsi se tenir en
permanence à la disposition de la société qui lui faisait accomplir également des heures de
nuit.
Dans ces conditions, la requalification en contrat de travail à temps plein s'impose. Au total,
du 16 mai 2007 au 30 janvier 2012, il a travaillé 56 mois dont il n'a pas effectué 42 heures
par mois en sorte que la société lui devra 56x42 égale 2352 heures.
Les parties, devant la cour, s'avèrent contraires quant au taux horaire. Eu égard aux bulletins
de salaire fournis, il convient de retenir un taux moyen de 16,03 euros de l'heure, mais il est
nécessaire d'y ajouter le 13e mois et les avantages concédés selon les bulletins de salaire
correspondant aux heures de nuit et aux heures complémentaires. Tout bien considéré, la
cour arrêtera à 20 € l'heure moyenne horaire. 56 X 42 X 20 € égale 47 040 € . Comme ce
calcul a intégré les congés annuels, chaque année ayant été comptabilisée pour 12 mois, il n'y
a pas lieu d'y ajouter les congés payés, ni la prime de 13e mois, incluse.
Il est dû un mois de salaires au titre de l'indemnité de requalification soit 2456,05 euros
comme les premiers juges l' ont apprécié.
4° sur la rupture et ses conséquences.
Dans la mesure où les CDD ont été requalifiés en contrat à durée indéterminée à compter du
16 juin 2007, il est opportun de constater que Monsieur F. a été congédié à 60 ans sans que
soit utilisée la procédure protectrice du licenciement, en sorte que la cour doit considérer que
la rupture est intervenue sans cause réelle et sérieuse, avec toutes ses conséquences de droit.
Il est donc dû une indemnité de préavis de 4912,10 € et les congés payés afférents de 480,21 €
puisqu'il était présent depuis plus de deux ans dans une entreprise de plus de 11 salariés. En
outre en raison de sa présence depuis plus de 11 ans une indemnité de licenciement sera
confirmée à hauteur de 4853,17 €.
Les dommages intérêts ne peuvent pas être inférieurs à six mois de salaires dans ce cas là. À
l'audience, ce salarié a reconnu qu'il avait été admis au régime de la préretraite dès le mois
RJP 2015-1 (Novembre)
76
de mai 2012. Son préjudice sera indemnisé par une somme qui ne dépassera donc six mois de
salaires soit 14 736,30 € .
La somme de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile accordée en
première instance sera maintenue et il faut ajouter une autre somme de même montant pour
les frais exposés en appel à ce titre. Dans la mesure où la société succombe dans la presque
totalité de ses demandes, sera rejetée sa prétention à une somme de 3000 € sur le fondement
de l'article 700 précité.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe
- REÇOIT, en la forme, l'appel principal de la société NOUVELLE REPUBLIQUE DU
CENTRE OUEST et l'appel incident de Monsieur André F.
- au fond,
CONFIRME le jugement déféré (conseil des prud'hommes de Tours, section de l'industrie, 6
mai 2013) sur le rejet des fins de non-recevoir et le constat de la prescription de toute
demande antérieure au 16 mai 2007 et sur la condamnation de la société à régler les sommes
suivantes au salarié : - 2456 ,05 d' indemnité de requalification - 4912,10 € d'indemnité de
préavis et 491,21 € de congés payés afférents - 4853,17 € d' indemnité de licenciement - 1000
€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et - sur la remise des documents de
rupture habituelle sous astreinte de 20 € par jour de retard à compter 30e jour après la
notification de l'arrêt l'astreinte étant cependant liquidée éventuellement par cette cour
- MAIS L'INFIRME pour le surplus et, STATUANT À NOUVEAU,
- CONDAMNE la société de manière supplémentaire à lui régler les sommes suivantes : - 47
040 € au titre de la requalification des CDD en contrat de travail à durée indéterminée à
temps plein, cette somme incluant la prime de 13e mois et les congés payés afférents - 14 736
€ 30 de dommages intérêts pour rupture abusive - 1000 € au titre de l'article 700 du code de
procédure civile pour les frais exposés en appel
- CONDAMNE cette société aux dépens d'appel. »
Commentaire : La conclusion de nouveaux contrats à durée déterminée n’entraine pas
la renonciation au droit à la requalification du contrat de travail
Dans cette affaire, les juges estiment que « le droit à requalification s'inscrit dans le code du
travail comme une règle d'ordre public » (1). A ce titre, ils octroient à la clause de
renonciation insérée dans le contrat de travail la nature d’une clause léonine, conduisant à la
requalification des contrats à durée indéterminée (2).
1.Le droit à la requalification, une règle d’ordre public
En l’espèce, à partir d’octobre 2010, la société faisait signer au salarié une clause de
renonciation à intenter une action en requalification. Pour cette raison, elle considérait que le
salarié renonçait à son droit de se prévaloir d’une requalification du contrat à durée
déterminée conclu précédemment. Un salarié peut-il valablement limiter son droit à la
requalification de son contrat de travail à durée déterminée ? Les juges de la Cour d’Appel
d’Orléans apportent une réponse négative à cette question. En effet, ils donnent au droit à la
requalification la nature de règle d’ordre public.
La notion d’ordre public en droit social est assez floue et compliquée. La doctrine considère
que cette notion est imprécise lorsque l’on sort du domaine de l’intérêt général. Ce flou qui
entoure la notion en droit social est dû notamment au principe de faveur qui régit le droit
social. Le principe de faveur permet aux parties de déroger aux dispositions d’ordre public
dans un sens plus favorable au salarié. Les solutions relatives à cette notion d’ordre public
social relèvent de la casuistique, de ce que peuvent prévoir les conventions et clauses
RJP 2015-1 (Novembre)
77
contractuelles. Une règle d’ordre public est une règle obligatoire à laquelle on ne peut
déroger. Elle touche à l’organisation de la Nation, à l’économie, à la morale, à la santé, à la
sécurité, à la paix publique, aux droits et aux libertés essentielles de chaque individu. Elle est
destinée à régir les relations entre les personnes. Dans le cadre du droit social, une telle règle
a pour objet de prévoir les relations entre le salarié et l’employeur, ou selon les circonstances
entre les salariés, à garantir les droits sociaux fondamentaux des salariés. Ainsi, parce qu’elles
sont d’ordre public, on ne peut y déroger de quelque manière que ce soit, pas même par une
stipulation contractuelle.
Le droit à requalification du CDD est un droit fondamental auquel la signature d’une clause
de renonciation par le salarié ne peut déroger, le salarié ne peut donc renoncer à ce droit de
saisir le juge pour faire valoir ses droits. Le caractère d’ordre public reconnu à ce droit à la
requalification lui permet de l’emporter face à des règles de droit qui pourraient s’y opposer.
Cette importance donnée au droit à la requalification s’explique notamment par la situation
précaire connue que confèrent les contrats à durée déterminée. En effet, le fait de pouvoir
invoquer l’irrégularité qui résulterait de la signature d’un contrat à durée déterminée octroie
au salarié de nouveaux droits ainsi que la possibilité d’obtenir des indemnités. Il serait
contraire à l’idée de protection des salariés que ceux-ci puissent renoncer à s’en prévaloir.
En mettant en exergue le caractère d’ordre public du droit du salarié à la requalification de
son contrat de travail à durée déterminée, les juges octroient à la clause de renonciation
insérée dans le contrat de travail la nature d’une clause léonine.
2. La clause de renonciation : une clause léonine
Le contrat de travail ne doit contenir aucune clause expressément prohibée par la loi ou
contraire à l’ordre public. Ainsi, la jurisprudence prohibe toute clause par laquelle un salarié
renonce directement ou indirectement à un droit qu’il tire de la loi. Ces clauses sont nulles98
.
Ces clauses sont interdites et donc inopposables au salarié. Par conséquent, la signature d’une
telle clause ne peut conduire le salarié à renoncer au droit à la requalification du contrat de
travail. En l’espèce, les juges de la Cour d’appel d’Orléans considèrent qu’une clause de
renonciation à toute possibilité de requalification du contrat de travail à durée déterminée est
léonine. A ce titre, elle est donc inopposable au salarié. Pour rappel, la clause léonine se
définit comme une clause qui fait naitre une situation de déséquilibre entre les parties. En
effet, le salarié se retrouve dans une situation précaire dès lors qu’il n’a d’autre choix que de
signer cette clause, par peur de ne pouvoir continuer de travailler, il perd son droit de saisir le
juge en présence d’irrégularités.
Les juges ont-ils fait un lien entre le caractère léonin de la clause et le consentement (vicié) du
salarié ? La Cour d’appel reproche à la société ne pas avoir informé son salarié des effets
d’une telle renonciation et qu’ainsi, il ne pouvait avoir signé en toute connaissance de cause.
En effet, à aucun moment le salarié n’a pu estimer les droits auxquels il renonçait en signant
cette clause.
Pourrions-nous estimer, a contrario, que la pleine connaissance du salarié des effets d’une
telle clause n’aurait pas eu pour effet de vicier son consentement et surtout de ne pas invalider
la clause ? L’interrogation ne semble pas dénuée de sens puisque les juges du fond semblent
insinuer que si la société avait informé le salarié des conséquences d’une telle renonciation,
cette clause aurait pu produire tous ses effets. Une telle analyse, cependant, nous paraît
douteuse, et ce, pour deux raisons. D’une part, les conséquences auraient été les mêmes : le
salarié aurait signé cette clause par peur de ne pas être réembauché, portant ainsi atteinte à son
libre consentement. D’autre part, la renonciation à des droits nouveaux et des indemnités
98
Cass.soc , 12 juillet 2005, n°03-45.394 : s’agissant d’une clause par laquelle le salarié renonçait à l’avance à se
prévaloir des règles applicables au licenciement.
RJP 2015-1 (Novembre)
78
potentielles aurait pour conséquence d’affaiblir le caractère d’ordre public octroyé au droit à
la requalification, et d’accorder ainsi une valeur supérieure à la convention.
Dans l’hypothèse où la renonciation au droit de se demander la requalification aurait été
admise par les juges, la question de la requalification des contrats de travail aurait aussi pu se
poser pour les contrats conclus avant octobre 2010. Cependant dans ces contrats le salarié
n’avait pas signé de clause de renonciation. Or la renonciation à un droit ne peut être tacite.
La preuve de la renonciation devait alors être rapportée. En l’espèce, rien ne permet de
démontrer que le salarié renonçait à se prévaloir du droit à la requalification. Cependant, on
peut noter que l’action concernant les contrats antérieurs à octobre était prescrite. Le délai de
prescription était de 5 ans à compter du moment où l’intéressé à eu connaissance ou aurait dû
avoir connaissance des faits (2 ans depuis la loi de sécurisation de l’emploi), l’indemnité
demandée ayant le caractère de dommages-intérêts.
La clause de renonciation privée d’effet, les juges pouvaient examiner s’il y avait lieu à
requalification. Compte-tenu des différentes irrégularités rencontrées en l’espèce, les juges du
fond confirment la requalification du contrat de travail à durée déterminée à temps partiel en
contrat de travail à durée indéterminée à temps complet. Une telle solution tire son fondement
de plusieurs causes.
D’une part, la violation des dispositions de l’article L. 1242-2 du code du travail relatives cas
de recours possibles au contrat à durée déterminée : surcroit d’activité ou bien encore du
remplacement d’un salarié. A ce titre, il faut rappeler qu’un seul contrat à durée déterminée ne
peut avoir pour objet le remplacement de plusieurs salariés, quand bien même ces
remplacements se succèdent. En effet, si le salarié doit procéder à plusieurs remplacements,
un contrat doit être conclu pour chaque remplacement. Ainsi, entre deux contrats conclus, il
est nécessaire de respecter un délai de carence, afin que chaque remplacement corresponde à
un contrat. Conformément à la jurisprudence constante99
, la sanction du non-respect de ces
dispositions est la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée
indéterminée.
D’autre part, la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée
indéterminée était inévitable. En effet, l’employeur dans les contrats n’avait pas pris la peine
d’introduire des dispositions relatives au délai de prévenance et n’a donc pas respecté la
législation en vigueur. L’employeur n’avait pas respecté le délai de prévenance de 7 jours qui
doit précéder le changement de rythme de travail, ce qui pour la Cour d’appel est une cause de
requalification des contrats de travail.
Plusieurs irrégularités entourent donc la signature des contrats de travail, ce qui conduit les
juges à répondre favorablement à la demande en requalification du salarié.
Les juges de la Cour d’appel estiment donc que le droit à la requalification du contrat de
travail est une règle d’ordre public à laquelle une clause du contrat de travail ne peut déroger,
sous peine d’être qualifiée de léonine, ne produisant ainsi aucun effet, ce qui permet au salarié
d’agir en justice pour demander la requalification du contrat pour différentes irrégularités.
Anne-Laure COLLAS
99
Cass, soc., 30 septembre 2014, n° 13-18162
RJP 2015-1 (Novembre)
79
3) Rupture du contrat de travail, résiliation amiable et transaction
CA Orléans, 22 mai 2014, n°13/00120
Un salarié embauché dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée conclu le 28 octobre
2005 avec son employeur une rupture amiable par un acte de résiliation conventionnelle,
comprenant une clause de renonciation à tout recours. Le 26 janvier 2012, le salarié saisit le
Conseil des Prud’hommes de Blois afin de contester la rupture de son contrat de travail et
solliciter la condamnation de son ancien employeur à lui régler diverses sommes. Ne
reconnaissant pas l’existence d’une requalification de la rupture du contrat de travail ayant les
effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la Cour d’Appel d’Orléans, le 22 mai
2014, confirme le jugement rendu par la juridiction inférieure aux motifs que l’acte conclu par
les parties n’est pas une transaction mais un acte de rupture amiable du contrat de travail.
Extraits
« L'article 2044 du Code civil édicte que la transaction est un contrat par lequel les parties
terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être
rédigé par écrit.
L'accord de résiliation conventionnelle litigieux expose que pour des raisons de convenance
personnelle, à savoir créer un cabinet de courtage d'assurance immatriculé au registre du
commerce et des sociétés de Blois sous le numéro 484 279 0 21, dont la vocation sera de
collaborer avec la société AVIVA VIE, Monsieur Gilles AVENARD s'est déclaré désireux de
mettre fin au contrat de travail qui le lie à la société AVIVA VIE. De son coté, cette société a,
dans ces conditions, indiqué à ce salarié qu'elle n'entendait nullement faire obstacle à son
départ anticipé.
Il est convenu entre les parties ce qui suit :
- d'un commun accord, le salarié cesse définitivement d'exercer sa fonction salariée de
responsable départemental au sein du réseau AVIVA Épargne et conseil et quitte la société le
31 octobre 2005 sans effectuer de préavis et il reconnait expressément ne pouvoir prétendre à
aucune indemnité compensatrice de ce préavis non effectué du fait de la présente résiliation
conventionnelle.
- La société lui a versé une somme de 18'180,91 euro correspondant au montant de son solde
de tout compte au 31 octobre 2005, dont il donne quittance du versement à la société.
- Moyennant le règlement de cette somme, il se déclare intégralement rempli de ses droits tels
qu'ils résultent de sa collaboration passée avec la société AVIVA VIE et de son contrat de
travail, de l'application de la convention collective nationale de l'inspection d'assurance et
des différents textes législatifs et règlementaires applicables à l'espèce ainsi que de tous
accords d'entreprise.
En conséquence, il déclare n'avoir aucune réclamation d'aucune sorte à formuler à l'encontre
de la société, que ce soit à titre de salaires quelle qu'en soit la dénomination, commissions
dues à titre et quelque titre que ce soit, congés payés, indemnités de toutes natures,
remboursement de frais, primes diverses et autres sommes ou avantages quelconques
consécutifs à l'exécution ou la résiliation de son contrat de travail, et renonce expressément à
exercer de façon directe ou indirecte tout instance ou action pouvant trouver son origine dans
le contrat de travail qui l'a uni à la société.
- Il est cependant précisé que les sommes pouvant, prorata temporis, revenir à Monsieur
AVENARD, au titre de l'intéressement et de la participation des salariés de l'exercice 2005,
lui seront versées au cours du second semestre de l'année 2006.
RJP 2015-1 (Novembre)
80
- La société renonce expressément au bénéfice de la clause de non-concurrence insérée à la
page 10 du dernier avenant au contrat de travail du salarié du 7 avril 1997 entrée en vigueur
le 1er juin suivant. De son coté, le salarié accepte définitivement cette renonciation sans la
moindre réserve quelle qu'elle soit. Par ailleurs, dans le cadre de l'article 69 de la convention
collective nationale de l'inspection d'assurance du 27 février 1992, la société autorise, dès à
présent, le rétablissement du salarié, en qualité de salarié ou non, en quelque lieu que ce soit.
La convention précitée ne fait nullement apparaitre que, par cet acte, les parties terminent
une contestation déjà née et ou préviennent une contestation à naitre et, si les pièces
produites démontrent qu'il existait un différend entre elles, éventuellement entre le 1er
octobre 2003 et le 6 janvier 2004, aucune protestation n'émane plus de Monsieur AVENARD
après cette date, ce qui permet d'en conclure assurément que le différend s'était achevé sans
problème entre elles.
En réalité, il s'agit bien d'un acte de rupture amiable du contrat de travail qui expose
expressément les motifs de la rupture, dans son exposé préalable, puisqu'il est question des
raisons de convenance personnelle, la volonté de Monsieur AVENARD de créer un cabinet de
courtage d'assurance, d'ores et déjà immatriculé au registre du commerce et des sociétés de
Blois, dont la vocation serait de collaborer avec la société.
Il est opportun de souligner l'affectio societatis qui anime les deux partenaires, qui vont
collaborer dans un cadre nouveau à compter du 28 octobre 2005, qui éloigne définitivement
toute atmosphère hostile entre eux.
Par ailleurs, si l'objet premier d'une rupture négociée est la rupture du contrat de travail en
elle-même, rien n'interdit d'en prévoir les conséquences, ni même, éventuellement, les
contestations possibles. A cet égard, le fait d'indiquer dans l'acte de rupture que telle ou telle
partie s'interdit d'en contester les termes ou même de saisir le conseil des prud'hommes pour
ce faire, n'en fait pas, ipso facto, une transaction.
Monsieur AVENARD n'invoque pas de fraude à la loi, ni de vices du consentement.
Il s'ensuit que l'acte conclu entre les parties ne saurait être une transaction, mais bien un acte
de rupture amiable du contrat de travail passé entre deux parties capables et consentantes et
que l'acte ainsi conclu s'avère parfaitement valable puisque aucune fraude à la loi ni aucun
vice du consentement ne peut être relevé à son encontre.
Il convient d'ajouter que les relations postérieures à ce contrat entre les parties sont restées
sans nuage entre octobre 2005 et janvier 2012 soit pendant une durée de sept ans.
Il en ressort que cet accord de résiliation conventionnelle ne saurait être requalifié en
rupture du contrat de travail ayant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et
que les demandes subséquentes du salarié concernant l'indemnité de préavis et les congés
payés afférents, l'indemnité conventionnelle de licenciement, les dommages-intérêts pour
licenciement abusif et pour non-respect de la procédure ainsi qu'au titre de l'article 700 du
code de procédure civile devront être repoussée comme mal fondées.
Ainsi, cet acte a-t-il mis fin au contrat de travail qui liait les parties depuis le 27 octobre
1981.
Il y a lieu, dans ces conditions, d'approuver la décision des premiers juges qui ont débouté le
salarié de toutes ses demandes. Celui-ci a engagé une action téméraire qui a contraint la
société à faire l'avance de frais prévus par l'article 700 du code de procédure civile et, tout
bien considéré, la cour condamnera Monsieur AVENARD à payer à la société AVIVA VIE
une somme de 1000 euro, sur ce fondement pour la première instance et l'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe
- RECOIT, en la forme, l'appel de Monsieur Gilles AVENARD
RJP 2015-1 (Novembre)
81
- au fond, REJETTE l'exception de prescription soulevée et confirme, en toutes ses
dispositions, le jugement déféré (conseil des prud'hommes de Blois, section de l'encadrement,
14 décembre 2012), sauf pour la somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile
et, statuant à nouveau sur ce point
- CONDAMNE Monsieur AVENARD à payer à la société AVIVA VIE une somme de 1000
euro sur ce fondement pour les frais exposés en première instance et en appel
- DEBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes
- CONDAMNE Monsieur AVENARD aux dépens d'appel.
Commentaire : La distinction entre une rupture amiable et une transaction
Dans l’affaire soumise à notre commentaire, les parties ont conclu une rupture amiable par un
acte de résiliation conventionnelle. A titre liminaire, il convient de distinguer la rupture
amiable de la rupture conventionnelle. En effet, rappelons qu’avant la loi du 25 juin 2008,
l’employeur et le salarié pouvaient rompre le contrat de travail à durée indéterminée de façon
amiable, dans les conditions qui n’étaient pas régies par la loi, si ce n’est l’article 1134 du
Code civil, qui permet la rupture des conventions par le consentement mutuel. La rupture
conventionnelle, dont la procédure est très formalisée, constitue un nouveau mode de rupture
du contrat de travail, qui présente des différences par rapport à la rupture d’un commun
accord : entretien préalable avec possibilité d’assistance, formulaire d’homologation de
rupture conventionnelle soumis au contrôle de la DIRECCTE, indemnité de rupture
conventionnelle, et droit aux allocations de chômage.
En venant préciser l’articulation entre la rupture amiable et la transaction (1), les juges de la
Cour d’Appel d’Orléans proposent une lecture désormais vidée de son sens par l’avènement
de la voie exclusive de la rupture conventionnelle (2).
1. Sur l’articulation entre rupture amiable et transaction
Pour le législateur, la rupture d’un commun accord et la transaction ont non seulement des
fondements légaux différents, mais également des objets distincts : la rupture négociée,
fondée sur l’article 1134 du Code civil, a pour objet « de mettre un terme au contrat de
travail », lorsque la transaction, fondée l’article 2044 du Code civil, a pour objet en revanche,
de « terminer une contestation née » ou prévenir « une contestation à naitre ».
Autrement dit, la transaction résulte de la rupture et n’a pas donc pas pour but de rompre le
contrat de travail100
. Il en résulte que la transaction succède à la rupture déjà intervenue dont
elle règle, le cas échéant, les difficultés d’exécution par des concessions réciproques. Ainsi,
l’accord qui est consécutif à une rupture déjà prononcée ne peut pas être un accord de rupture
amiable, mais une transaction101
. A l’inverse, l’accord conclu avant la rupture n’a pas valeur
de transaction102
.
Par conséquent, il n’est pas possible, au sein du même acte, de conclure un accord de rupture
et de régler les différends qui opposent les parties : il est nécessaire de disposer de deux actes
successifs, l’accord transactionnel étant toujours postérieur à l’accord de rupture définitive.
En l’espèce, les parties ont conclu un seul acte par lequel elles décident, d’une part, de rompre
le contrat de travail d’un commun accord, et d’autre part, d’organiser les conditions de la
cessation de leurs relations professionnelles. Dès lors, l’acte de rupture du contrat de travail
du salarié ne peut être analysé comme une transaction. Celle-ci aurait dû être nécessairement
100
Cass. soc., 5 décembre 2012, n° 11-15.471. 101
Cass. soc., 21 juin 1995, n° 91-45.806 ; Cass. soc., 2 décembre 1997, n° 95-42.008. 102
Cass. soc., 29 mai 1996, n° 92-45.115 ; Cass. soc., 16 juillet 1997, n° 94-42.283.
RJP 2015-1 (Novembre)
82
contractée a postériori de l’acte de rupture du contrat de travail. Partant, le salarié aurait pu
saisir la juridiction prud’homale afin d’intenter une action contre son employeur pour toute
réclamation. En effet, peu important les termes de l’accord, celui-ci n’aurait pas eu pour effet
de priver le salarié d’agir en justice afin de faire reconnaître ses droits nés de l’exécution du
contrat de travail103
.
Bien qu’en l’espèce l’acte de rupture du contrat s’apparente à une rupture amiable, la solution
aurait été similaire s’agissant d’une rupture conventionnelle : une clause de renonciation à
tout recours contenue dans une convention de rupture conventionnelle est nulle mais n’affecte
pas la validité de la convention en elle-même104
. Un recours juridictionnel reste possible dans
les 12 mois de la date d’homologation de la convention105
.
A en suivre le raisonnement des juges, le salarié aurait dû avoir la pleine connaissance de la
réglementation sociale. En effet, la clause de renonciation insérée par erreur (volontaire ou
non) au sein de l’acte de rupture du contrat de travail ne valait pas acte transactionnel, et le
salarié aurait dû négocier une transaction à postériori de l’acte de rupture de son contrat de
travail. Dès lors, le salarié ne semble tirer aucun avantage de la nullité de la clause de
renonciation : l’acte de rupture amiable n’est pas remis en cause, et l’existence d’une
transaction ne peut être reconnue.
En tout état de cause, le salarié n’ayant invoqué ni une fraude ni un vice du consentement
dont il aurait pu être victime, il ne conteste dès lors pas la rupture elle-même de son contrat de
travail. Il s’ensuit que l’acte conclu entre les parties, qui ne peut être qualifié de transaction
mais simplement de rupture amiable du contrat de travail, passé entre deux parties capables et
consentantes, s’avère parfaitement valable.
2. Sur l’exclusivité d’une rupture conventionnelle
Certes, en déterminant l’articulation adéquate entre rupture amiable et transaction, les juges
de la Cour d’Appel ont fait une juste application de la jurisprudence de la Cour de Cassation.
Toutefois, rappelons qu’en l’espèce, les parties ont conclu une rupture amiable avant la loi du
25 juin 2008 qui a vu naitre la rupture conventionnelle dans le prolongement de l’ANI du 11
janvier 2008.
Aux lendemains de la consécration de la rupture conventionnelle, peut-on encore rompre le
contrat de travail dans le cadre d’une rupture amiable sans respecter les dispositions relatives
à la rupture conventionnelle ? C’est la question à laquelle ont dû répondre les juges de la
Haute Juridiction dans un arrêt du 15 octobre 2014. En effet, la Cour de cassation est venue
consacrer le caractère exclusif et incontournable de la rupture conventionnelle pour toute
rupture d’un commun accord du contrat de travail. Elle affirme désormais que, sauf
dispositions légales contraires, la rupture du contrat de travail par accord des parties ne peut
intervenir que dans les conditions prévues pour la rupture conventionnelle106
. Cette position
n’est pas étonnante, dans deux affaires concernant des parties qui avaient conclu en 2010 un
accord de rupture amiable, les juges du fond avaient pris position de manière similaire sur la
nécessité de respecter les dispositions relatives à la rupture conventionnelle.
103
Cass. soc., 16 mai 2000, n° 98-40.238 ; Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 09-40.701. 104
Cass. Soc., 26 juin 2013, n° 12-15.208. 105
Article L. 1237-14 du Code du travail. 106
Cass. Soc., 15 octobre 2014, n° 11-22.251.
RJP 2015-1 (Novembre)
83
En effet, la Cour d’appel de Riom107
a considéré que « la convention de rupture ne peut
valablement rompre le contrat de travail que si elle a été conclue conformément aux
dispositions légales et si elle a été régulièrement homologuée. Le document de rupture
amiable signé par les parties n’étant pas conforme aux dispositions de l’article L1237-14 du
code du travail, ne peut être considéré comme une convention de rupture au sens de ce texte
et, n’ayant, en outre, pas fait l’objet de l’homologation requise, elle ne peut avoir eu pour
effet de rompre valablement le contrat de travail ».
D’une manière similaire, la Cour d’appel de Toulouse108
a estimé « qu’en dehors des cas
prévus par la loi, la rupture d’un commun accord du contrat de travail ne peut intervenir que
selon les dispositions d’ordre public régissant la rupture conventionnelle ».
Dès lors, si en droit civil il est possible de rompre un contrat conclu entre deux personnes par
la seule volonté commune de le faire, lorsqu'il s'agit de rompre un contrat de travail, il est
désormais nécessaire de formaliser la rupture par les dispositions de l'article L.1237-11 du
code du travail, prévoyant dans son dernier alinéa que la convention de rupture signée par les
parties au contrat de travail doit respecter les règles de la rupture conventionnelle afin de
garantir la liberté de consentement des parties.
Or, pour mettre en œuvre une rupture conventionnelle et obtenir son homologation, certaines
formalités, à peine de nullité de la convention, doivent nécessairement être respectées : tenue
d’un ou plusieurs entretiens, signature d’une convention de rupture, homologation de cette
convention par l’administration, passé un délai de rétractation109
, ou encore remise d’un
exemplaire de la convention au salarié110
. Il en résulte que désormais, toute rupture amiable
du contrat de travail d’un salarié sera automatiquement requalifiée en rupture conventionnelle
qui, au regard du non-respect de sa procédure, risquera fortement d’être annulée et requalifiée
en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Elodie BRUNNER
4) Démission
Cour d’appel de Bourges 5 septembre 2014, n°13/01517
Suite à un malaise sur un chantier l’ayant conduit à une hospitalisation aux urgences, un
salarié signe le jour même sa démission et ce, après avoir été raccompagné par l’employeur de
l’hôpital à l’entreprise. Le salarié saisit alors le Conseil des Prud’hommes de Bourges pour
faire requalifier la démission en licenciement abusif et à titre subsidiaire, si la démission était
annulée, demande la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur. Le Conseil des
prud’hommes le déboute de ses demandes. Le salarié interjette alors appel en arguant du
caractère équivoque de sa démission. La Cour d’appel juge que les circonstances de la
démission du salarié entraînent son équivocité. Celle-ci doit alors être analysée en une prise
d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Extraits
La démission ne se présume pas et ne peut résulter que d'une manifestation de volonté claire
et non équivoque du salarié de mettre un terme à la relation contractuelle.
107
Cour d’appel de Riom, 12 juin 2012, n° 11-00.992. 108
Cour d’appel de Toulouse, 24 janvier 2013, n° 11-03.522. 109
Articles L. 1237-13 et suivants, article R. 1237-3 du Code du travail. 110
Cass. Soc., 6 février 2013, n° 11-27.000.
RJP 2015-1 (Novembre)
84
Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation
de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son
employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la
démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une
prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission.
Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.
En l'espèce M. DIAS invoque tout à la fois une absence d'intention de démissionner, des
circonstances factuelles qui confèrent un caractère équivoque à sa démission, et un
comportement de son employeur.
Contrairement à ce que soutient l'employeur la réalité du malaise survenu sur les lieux du
travail de M. DIAS ne peut être remise en cause. Elle résulte tant de l'attestation de M.
Ferreira qui décrit ce malaise, et qui va d'ailleurs appeler les pompiers lesquels vont
conduire M. DIAS aux urgences hospitalières, que du certificat médical délivré par le service
des urgences. La circonstance que la lettre de démission de M. DIAS, non rédigée de sa main,
mais dactylographiée et signée par lui, ait été rédigée dès sa sortie de l'hôpital après que son
employeur l'ait ramené à l'entreprise, permet de considérer la réalité de l'intention de
démissionner du salarié comme équivoque. Et ce d'autant que l'employeur avait des motifs de
se séparer de M. DIAS et de le voir démissionner, lui reprochant des arrêts de travail pour
cause de maladie et des absences injustifiées, et lui ayant écrit peu de temps auparavant à ce
sujet. Il résulte de ce rappel que l'employeur a tenté de profiter d'une situation de faiblesse de
son salarié due à son état de santé pour obtenir de lui une démission que ce dernier a
contesté par la saisine du conseil des prud'hommes dans le mois qui l'a suivie.
Ces circonstances doivent dès lors être analysées en une prise d'acte de la rupture qui produit
les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera infirmé.
M. Guillaume DIAS est dès lors en droit de réclamer la condamnation de son employeur à lui
payer :
- l'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement de 1 680,91 euro,
- l'indemnité de préavis de 3 361,82 euro, outre incidence congés payés de 336,18 euro,
- l'indemnité de licenciement de 1 512,81 euro,
- et des dommages et intérêts pour licenciement abusif que la cour évalue à la somme de 10
000 euro compte tenu de l'ancienneté de M. DIAS, de son âge et de ses difficultés à retrouver
un emploi.
Il est équitable de lui allouer une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700
du code de procédure. La SARL ARC TOITURE sera condamnée à lui payer la somme de 1
500 euro à ce titre.
Par ces motifs, la Cour, INFIRME le jugement,
Statuant à nouveau,
DIT que la démission de M. Guillaume DIAS doit être analysée en prise d'acte de rupture
produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Commentaire : La démission équivoque requalifiée en prise d’acte de la rupture
La démission est un des modes de rupture du contrat de travail à durée indéterminée. Elle
permet au salarié de rompre le contrat de sa propre initiative et ce, à la condition de
manifester clairement sa volonté de démissionner. Or, c’est sur ce point qu’à dû se prononcer
la Cour d’appel de Bourges. S’agissant d’un salarié ayant démissionné juste après son retour
RJP 2015-1 (Novembre)
85
d’hôpital, la démission s’avérait dénuée d’une véritable volonté de sa part. L’équivocité ne
faisant nul doute, plus délicate en revanche est la question de sa sanction.
Sur le caractère équivoque de la démission
Il est de jurisprudence constante que la volonté de démissionner ne se présume pas111
. A titre
d’illustration, la jurisprudence refuse de considérer comme démissionnaires des salariés qui se
sont engagés auprès d’un nouvel employeur en signant un nouveau contrat112
, tant elle
accorde de l’importance à l’univocité de la démission. Par ailleurs la Cour de cassation annule
les démissions qu’elle considère équivoques en ayant recours au droit commun des
obligations, et plus précisément à la théorie des vices du consentement.
En l’espèce, le salarié, victime d’un malaise, avait donné sa démission à son retour de
l’hôpital, retour au cours duquel il était accompagné de son employeur. Ainsi, profitant de la
fragilité momentanée de son salarié, l’employeur aurait bien pu user d’arguments pour le
convaincre de démissionner, d’autant que l’employeur lui reprochait ses nombreux arrêts
maladie et ses absences injustifiées et avait donc des « motifs » de s’en séparer. Et c’est
justement dans ce sens que s’est prononcée la Cour d’appel de Bourges qui estime que ces
conditions sont suffisantes pour décider de l’équivocité de la démission.
Cette décision semble bien être en adéquation avec la nécessité d’une volonté claire et
réfléchie que suppose la démission. Comment admettre la validité d’une démission faisant
suite à un séjour à l’hôpital et « souhaitée » par l’employeur ? L’admettre reviendrait à
accepter une démission donnée sous le coup de la colère ou de la faiblesse, rupture que
condamne la Cour de cassation113
.
Sur la requalification de la démission en prise d’acte de la rupture
Si la décision de la Cour d’appel semble justifiée quant au caractère équivoque de la
démission, elle est plus contestable en ce qui concerne la sanction retenue. La Cour d’appel
admet que les circonstances de la démission soient analysées en une prise d’acte de la rupture
du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation estime de manière constante « que le salarié ne peut tout à la fois
invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission et
demander que cet acte de démission soit analysé en une prise d'acte, par lui, de la rupture de
son contrat de travail en raison de faits et manquements imputables à l'employeur »114
. Pour
elle, ces deux voies sont exclusives l’une de l’autre car elles sont contradictoires par les effets
qu’elles entraînent chacune respectivement. Pour Arnaud Martinon, la Cour de cassation ne
fait que « mobiliser le principe de cohérence » auquel doit se soumettre le justiciable115
.
Les deux actions sont en effet distinctes dans leurs effets. Alors que le vice du consentement
permet d’annuler la démission et donc de poursuivre la relation contractuelle, la prise d’acte
de la rupture, elle, ne revient pas sur la rupture en elle-même, elle permet juste d’en imputer la
faute à l’employeur. En effet, une demande de prise d’acte entrainant la rupture effective du
contrat de travail n’est pas conciliable avec la demande en nullité de la démission pour vice
du consentement, laquelle implique la poursuite du contrat de travail.
Il est vrai que traditionnellement, la théorie des vices du consentement est peu utilisée dans le
cadre du contrat de travail. Néanmoins, elle connaît un regain d’intérêt depuis la loi du 25 juin
2008 « portant modernisation du marché du travail » avec la rupture conventionnelle et le
111
Cass., soc. 7 mars 2012, n°09-73.050. 112
Cass., soc. 24 avr. 2013, n°11-26.391. 113
Cass.,soc. 6 mai 1975, n°73-40.090. 114
Cass.,soc. 17 mars 2010, n°09-40.465. 115
A. Martinon, Démission viciée et prise d’acte : la contradiction censurée, JCP S 2010, 1359.
RJP 2015-1 (Novembre)
86
risque d’abus qu’elle engendre. De plus, cette théorie ne s’applique pas seulement aux
conventions. Ainsi, les actes unilatéraux tels que la démission, peuvent également être
annulés si le consentement de leur auteur n’était pas libre et éclairé au moment de leur
émission.
Seulement, en l’espèce, le salarié invoque la prise d’acte de la rupture justifiée selon lui par le
caractère équivoque de la démission. Or, si les circonstances antérieures d'une démission
peuvent amener à sa requalification en prise d'acte116
, son équivocité amène le plus souvent à
prononcer la nullité de la rupture du contrat de travail. Pourtant ici, la Cour d’appel accepte de
requalifier la démission du salarié en prise d’acte de la rupture du contrat de travail, ne faisant
ainsi pas la distinction entre la demande en nullité pour vice du consentement et la demande
de prise d’acte.
Au contraire, elle semble avoir fait cette assimilation que condamne la Cour de cassation. S’il
est vrai que le salarié invoquait à la fois le caractère équivoque de la démission et sa
requalification en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et
sérieuse, il s’agissait là d’une confusion ou bien d’un manque de cohérence que n’aurait pas
dû suivre la Cour d’appel.
Même si les juges du fond doivent se cantonner aux moyens soulevés, la Cour d’appel aurait
dû aller jusqu’au bout de son raisonnement. Ainsi, elle aurait dû, après avoir admis le
caractère équivoque de la démission, contraindre le salarié à faire un choix entre le vice du
consentement entrainant la nullité de sa démission et la demande de requalification en prise
d’acte nécessitant de démontrer la faute de l’employeur. De plus, la Cour d’appel admet une
prise d’acte qui ne paraît pas admissible. Le salarié n’invoquait pas de circonstances
antérieures susceptibles de la justifier.
Clémence PAILLAC
5) Prise d’acte
Cour d’appel de Bourges 27 juin 2014, n°13/00550
Résumé
Alors que son contrat est suspendu pour maladie, une salariée sollicite, en vain, auprès de son
employeur une rupture conventionnelle. A l’issue de son arrêt de travail, fixé au 31 août 2011,
elle ne reprend pas son poste. En septembre 2011, l’employeur la sanctionne d’un
avertissement car elle n’a pas justifié son absence par la remise de son arrêt de travail. Puis il
la convoque à un entretien préalable à un éventuel licenciement auquel elle ne se présentera
pas. Finalement l’employeur renonce à la poursuite de la procédure disciplinaire bien que la
salariée ne reprenne jamais son poste. En juillet 2012, la salariée réitère son souhait de
procéder à une rupture conventionnelle.
Le 30 juillet 2012, la salariée saisit le Conseil des Prud’hommes de Bourges afin de constater
la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur pour manquement de ce dernier à
ses obligations contractuelles. Par jugement du 25 février 2013, le Conseil des Prud’hommes
déboute la salariée de ses demandes, estimant que la rupture du contrat de travail lui est
imputable pour exécution fautive de ses obligations.
Les questions auxquelles devaient répondre la Cour d’appel étaient de deux ordres. D’une
part, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat justifiait-elle une
116
Cass.,soc. 7 mars 2012, n° 09-73.050.
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prise d’acte du contrat de travail ? D’autre part, l’employeur est-il en tort de ne pas avoir
poursuivi la procédure disciplinaire pour sanctionner l’abandon de poste ?
Par arrêt du 27 juin 2014 la Cour d’appel de Bourges considère que la rupture du contrat de
travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, estimant que l’employeur
aurait dû poursuivre la procédure disciplinaire afin de sanctionner l’abandon de poste qui
paraissait irréversible.
Extraits de l’arrêt
Attendu que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés, doit
en assurer l'effectivité ; qu'à ce titre la visite médicale d'embauche concourt à la protection
de la santé des salariés ; qu'il n'est pas contesté qu'Estelle G. n'a fait l'objet d'aucune visite
médicale d'embauche ; que si ce manquement de l'employeur à ses obligations n'a pas
empêché la poursuite de la relation de travail et est ainsi insuffisamment grave pour justifier
une prise d'acte de rupture par la salariée, il n'en cause pas moins un préjudice à cette
dernière qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 500 € à titre de dommages intérêts ;
Attendu qu'Estelle G. ne saurait par contre reprocher à son employeur de ne pas avoir
organisé de visite de reprise à l'issue de son arrêt de travail dès lors qu'elle n'avait pas repris
le travail, ni manifesté son intention de le faire, ni sollicité l'organisation d'une visite de
reprise ; que la cour retiendra à cet égard que l'employeur ne pouvait pas spéculer sur la
durée des arrêts de travail, étant observé qu'Estelle G. n'avait pas justifié de celui du 1er au
23 juillet 2011, ce qui avait conduit l'employeur à lui notifier un avertissement pour absence
injustifiée ;
Attendu qu'il s'avère en fait, comme l'ont justement retenu les premiers juges, qu'Estelle
G. n'a jamais entendu reprendre son emploi au sein de l'EURL Narolle ainsi qu'il résulte de
son courrier à cette dernière du 15 juin 2011 faisant état de ce qu'elle souhaite une rupture
conventionnelle afin de donner à sa carrière une nouvelle orientation professionnelle dans
son domaine initial ;
Attendu qu'en l'absence de mise en place de celle-ci, il appartenait à l’EURL Narolle de
licencier Estelle G. qui n'avait pas repris son poste ;
Attendu que l'EURL Narolle ne s'était d'ailleurs pas méprise sur ce fait convoquant Estelle G.
à un entretien préalable à son licenciement par lettre recommandée avec demande d'avis de
réception du 8 novembre 2011, fixé au 23 novembre 2011, auquel la salariée ne devait pas se
présenter ; que pour des raisons inconnues, l'EURL Narolle ne donnait pas suite à la
procédure ;
Attendu qu'ainsi la rupture de la relation de travail s'analyse en un licenciement sans cause
réelle et sérieuse ;
Attendu qu'outre l'indemnité de licenciement allouée par les premiers juges pour un montant
de 295,75 € conforme à l'ancienneté de la salariée et aux dispositions de la convention
collective applicable, il sera alloué à Estelle G. la somme de 1183 € au titre du préavis de
deux mois conformément à cette même convention collective, outre congés payés afférents
pour 118,30 € ;
Attendu alors qu'elle comptait une ancienneté de deux années dans une entreprise comportant
moins de 11 salariés lors de son licenciement, il lui sera alloué par ailleurs la somme de 1500
€ à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu que sera par ailleurs ordonnée la remise des documents de fin de contrat conformes
au présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir celle-ci d'une astreinte ;
Attendu que succombant l’EURL Narolle supportera les entiers dépens et ne saurait voir
accueillie sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, étant fait
application de ce texte au profit d’Estelle G. en lui allouant la somme de 1200 € ;
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PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Bourges du 25 février 2013 et statuant à
nouveau :
Dit le licenciement d'Estelle G. sans cause réelle et sérieuse.
Condamne l’EURL Narolle à lui payer les sommes suivantes :
- 500 € à titre de dommages intérêts pour absence de visite médicale d'embauche ;
- 1183 € au titre du préavis et 118,30 € au titre des congés payés afférents ;
- 295,75 € au titre de l'indemnité de licenciement ;
- 1500 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 1200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ordonne la remise par l’EURL Narolle à Estelle G. des documents de fin de contrat
conformes au présent arrêt.
Rejette toutes demandes plus amples ou contraires.
Commentaire : La justification et la qualification de la prise d’acte du contrat de travail
1. Justification de la prise d’acte
Par principe, il était admis que la violation par l'employeur des règles relatives aux visites
médicales justifiait une prise d'acte117
. L'employeur est en effet tenu d'une obligation de
sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés dans
l'entreprise et doit ainsi en assurer l'effectivité118
. Les examens médicaux d'embauche,
périodiques et de reprise du travail doivent donc être mis en place par l’employeur puisqu’ils
concourent à la protection des salariés.
Or depuis peu, la Chambre sociale de la Cour de cassation restreint les cas de justification de
la prise d’acte. Ainsi, dans un des arrêts du 26 mars 2014, la Cour énonce que « seul un
manquement suffisant grave empêchant la poursuite du contrat de travail permet de justifier
la prise d’acte et qu’en conséquence, des faits trop anciens n’ayant pas fait obstacle à la
poursuite du contrat, ne peuvent pas être invoqués pour la justifier119
». Sur ce fondement, la
Cour a ainsi refusé de reconnaître la prise d’acte malgré le manquement par l’employeur à son
obligation de sécurité de résultat120
. En l’espèce, le salarié avait pris acte de la rupture en
invoquant des faits datant de plus de 2 ans (absence de visite médicale d’embauche
notamment). Cette solution s’applique également à la résiliation judiciaire121
.
La solution rendue par la Cour d’appel de Bourges s’aligne sur cette jurisprudence récente de
la Cour de cassation. Dans un premier temps, elle rappelle qu’il incombe à l’employeur
d’assurer l’effectivité de l’obligation de sécurité de résultat, notamment l’organisation de la
visite médicale d’embauche. Puis elle nuance ses propos, et énonce que l’absence de visite
médicale d’embauche n’est pas suffisamment grave pour justifier une prise d’acte puisque la
relation de travail s’est poursuivie. Quant à la visite de reprise, il aurait fallu que la salariée
reprenne le travail et la sollicite pour pouvoir reprocher à l’employeur de ne pas l’avoir
organisée.
Les termes utilisés par la Cour d’appel ne sont pas anodins. En effet, elle fait référence à un
manquement suffisamment grave sous l’angle de l’écoulement du temps. Rappelons que la
117
Cass. Soc. , 22 septembre 2011, n°10-13.568. 118
Cass. soc 13 décembre 2006, n° 05-44580. 119
Cass. soc. 26 mars 2014, n° 12-35040. 120
Cass. soc, 26 mars 2004, n° 12-23.634. 121
Cass. Soc. 12 juin 2014, n°12-29063 et n°13-11448.
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Cour de cassation substitue désormais à la notion « de manquement d’une gravité suffisante »
celle de « manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat
de travail » pour encadrer ces régimes de rupture. La solution rendue semble s’être imprégnée
de la notion de « faute grave justifiant un licenciement »; la faute grave du salarié étant « la
faute qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ». Par conséquent, les juges
du fond ne se bornent plus à examiner la nature du manquement pour juger de la gravité des
faits. Ils appréhendent désormais les conséquences du manquement sur la relation de travail.
Les faits ont-ils empêché la poursuite de la relation de travail ? Si tel est le cas, alors le salarié
doit réagir rapidement pour demander la rupture de son contrat de travail aux torts de
l’employeur. A défaut, il sera jugé que cela n’a pas empêché la relation de travail de continuer
entre les deux parties. Or la réaction du salarié peut être tardive en raison d’une
méconnaissance de ses droits.
Ainsi, il semble aujourd’hui préférable pour le salarié de choisir la résiliation judiciaire afin
que le lien contractuel reste maintenu, la prise d’acte étant désormais trop risquée. Pourtant
une interrogation reste en suspens dans le cas où l’employeur aurait régularisé les
manquements à l’origine de la demande en résiliation judiciaire. Dans ce cas, la rupture est-
elle toujours fondée ? Si la réponse est positive ne vaudrait-il pas mieux procéder à une
prise d’acte d’autant que celle-ci a été sécurisée par le législateur qui exige qu’elle soit jugée
dans le délai d’un mois devant le conseil des prud’hommes122
? Pour le moment, le recul n’est
pas suffisant pour répondre à ces questions.
2. La qualification de la rupture du contrat de travail
Comment qualifier la rupture du contrat dans cette affaire ? Sur ce point, la solution de la
Cour d’appel soulève des interrogations. En effet, en l’espèce, il n’apparait aucunement que la
salariée ait demandé une prise d’acte de son contrat. Pour autant, la Cour d’appel qualifie la
rupture de prise d’acte. Des questions restent donc en suspens. La Cour d’appel a-t-elle
considéré que la saisine du conseil des prud’hommes aux torts de l’employeur constituait une
prise d’acte ? La salariée a-t-elle demandé une prise d’acte en cours d’instance ? Tous ces
points n’étant pas développés, il est difficile de savoir précisément qu’elle a été le
raisonnement des juges du fond. Il semblerait qu’en l’absence de volonté de chacune des
parties de rompre le contrat de travail, la Cour d’appel ait voulu mettre un terme à une
situation inextricable. Ainsi, les juges imputent la responsabilité de la rupture à l’employeur,
et prononcent le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Selon eux, l’employeur aurait dû
continuer la procédure disciplinaire et ne pas y renoncer d’autant qu’il apparaissait
explicitement que la salariée ne reprendrait pas son travail. C’est d’ailleurs à juste titre qu’il
l’avait sanctionnée une première fois par un avertissement en raison du fait qu’elle n’avait pas
justifiée de son absence pendant une période correspondant à son arrêt de travail.
Cette solution ne risque-t-elle pas de donner un pouvoir important au salarié qui pourra
décider d’abandonner son poste dans l’unique but d’être licencié et à défaut de l’être, la
rupture sera imputable à l’employeur ? On peut parler de rupture s’apparentant à une sorte
d’auto-licenciement123
du point de vue de Monsieur Jean-Emmanuel Ray124
. L’employeur est
dans une situation de soumission face au salarié puisqu’il ne jouit plus de façon absolue de
l’appréciation de l’opportunité d’utiliser son pouvoir disciplinaire. Toutefois, on peut
122
Frédéric Géa, « Prise d’acte de la rupture et résiliation judiciaire : vers une déconstruction de la jurisprudence
? », Semaine social Lamy – 2014 n°1645. 123
Isabelle Ayache-Revah, Head of councel Raphaël Avocats, « Quand résiliation judiciaire, prise d’acte et
licenciement s’entremêlent », Les Cahiers du DRH n° 207 du 01/03/2014.
124
Gérard Couturier et Jean-Emmanuel Ray, « Auto-licenciement : dérives et revirements », Droit
Social 2003 p.817.
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également comprendre qu’il s’agit de prendre ses responsabilités face à une situation aussi
ambivalente, et c’est bien souvent à la partie dite forte d’en subir les conséquences. Par
ailleurs, il se peut qu’au vu des éléments du dossier, la Cour d’appel estime qu’il y avait un
acte de malveillance à garder la salariée à sa disposition, celle-ci ne pouvant rechercher un
nouveau contrat de travail. A ce sujet, la Cour de cassation dans un arrêt du 25 septembre
2013125
a énoncé que le seul engagement d'une procédure disciplinaire qui n'a pas été menée à
son terme ne saurait caractériser un manquement de l'employeur à ses obligations
contractuelles, dès lors que cette mise en œuvre ne procède pas d'une légèreté blâmable ou
d'une intention malveillante. La Cour de cassation applique les limites classiques de l’abus de
droit. En effet, l’engagement d’une procédure disciplinaire sans prononcer de sanction peut
apparaitre abusif car l’employeur laisse le salarié qui a abandonné son poste, sans
démissionner, à sa disposition. On peut penser que c’est ce comportement de l’employeur que
la Cour d’appel de Bourges a voulu sanctionner.
6) Licenciement économique
Cour d’appel de Bourges 10 octobre 2014, n°13-01623
Un pharmacien cède son fonds de commerce d’officine de pharmacie. Bien qu’il ait pris
connaissance des charges afférentes à la cession, le nouvel employeur procède au
licenciement économique de deux salariés au motif qu’une réorganisation était nécessaire
pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. L’un des salariés conteste son licenciement
et saisit le Conseil des Prud’hommes afin d’obtenir le paiement de diverses sommes. Ce
dernier a considéré le licenciement pour cause économique dépourvu de cause réelle et
sérieuse au motif que la réorganisation voulue par le nouvel employeur n’avait pas pour
objectif de prévenir des difficultés financières mais à s’assurer une meilleure rentabilité de
l’investissement.
Se posait donc la question de savoir si la réorganisation invoquée pouvait justifier les
licenciements économiques ? Par un arrêt du 10 octobre 2014, la Cour d’appel de Bourges
confirme le jugement de la juridiction prud’homale et en conclu que les licenciements sont
dépourvus de cause réelle et sérieuse. En effet, elle constate que l’activité et le résultat de la
pharmacie étaient en augmentation au regard des chiffres de l’année 2011. Par conséquent, la
réorganisation n’avait pas pour but de prévenir de difficultés financières ni de sauvegarder la
pérennité de l’entreprise.
Extraits
« Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif
économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non
inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'un emploi
ou d'une modification substantielle du contrat de travail, consécutives notamment à des
difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Une réorganisation de
l'entreprise ne peut constituer une cause économique de licenciement, si elle n'est pas justifiée
par des difficultés économiques ou une mutation technologique, qu'à la condition d'être
nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité dont elle
relève.
Par ailleurs, la lettre de licenciement doit comporter non seulement l'énonciation des
difficultés économiques, mutations technologiques ou de la réorganisation de l'entreprise,
125
Cass. Soc., 25 septembre 2013, n n° 12-11832.
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mais également l'énonciation des incidences de ces éléments sur l'emploi ou le contrat de
travail du salarié licencié.
Dans son courrier de licenciement du 2 février 2012 l'employeur justifie la mesure du
licenciement par la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise en précisant :
J’ai acquis la pharmacie le 1er janvier dernier à l’aide d’un emprunt bancaire. Je supporte
de lourdes charges liées à ce prêt et aux intérêts.
Aussi, au regard du chiffre d'affaires de la pharmacie (1.500.490 € au 31 mars 2011), je ne
peux assumer la totalité des charges de la pharmacie (1.327.315 € pour la période du 1er
avril 2010 au 31 mars 2011), même en les réduisant au maximum, outre les charges liées à
cet emprunt et dégager suffisamment de capacité de financement pour faire face aux
échéances annuelles de remboursement d'un montant de 98 333,33 € .
D'ailleurs les banques, à la lecture du bilan prévisionnel réalisé par la société d'expertise
comptable KPMG, m'ont accordé ce prêt à la condition que je puisse réduire les charges de
la structure et ainsi faire face à mes engagements.
Je suis donc amené à réduire significativement tous les frais de la société mais également les
charges salariales afin d'assurer la pérennité même de la société.
Je suis donc contraint de réorganiser la pharmacie, en réduisant notamment les charges
salariales, afin de sauvegarder sa compétitivité et prévenir de grandes difficultés financières
à venir et ainsi de supprimer votre emploi d'employée en pharmacie'.
Des pièces versées au débat il ressort que l'activité de la pharmacie lors de son rachat
intervenu dans les semaines précédant le licenciement était la suivante :
- chiffre d'affaire réalisé du 1er avril 2010 au 31 mars 2011 : 1 500 490 €
- charges : 1 103 717 €
- autres charges dont salaires : 223 598 €
- charges financières : 27 569 €
- résultat : 145 606 €
L'examen des résultats précédents montrent que les chiffres d'affaire et les résultats étaient en
augmentation constante, signe que si le secteur de la pharmacie peut de manière générale
connaître des difficultés ainsi qu'invoqué, il n'en était rien pour la pharmacie achetée par M.
J. .
Le montant du remboursement du prêt contracté est de 98 333,33 € hors intérêts.
Le bilan prévisionnel établi par la société KPMG versé au débat démontre qu'à chiffre
d'affaires à peu près constant la réduction de la masse salariale ne visait qu'à assurer une
rémunération au dirigeant de 45 000 € outre 12 580 € de cotisations sociales afférentes, les
charges salariales passant quant à elles à 149 678 € , et les charges financières à 45 778 € .
Il n'est en conséquence aucunement justifié que les deux licenciement effectués, dont celui de
Mme M. , aient eu pour but de prévenir de grandes difficultés financières à venir ni de
sauvegarder la pérennité de l'entreprise.
Au regard de ce motif le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a dit le licenciement
dépourvu de cause réelle et sérieuse, n'étant dès lors pas nécessaire d'examiner la question
du respect de l'obligation de reclassement.
Compte tenu de l'âge de la salariée (45 ans), de son ancienneté (13 ans) et du fait qu'elle a
finalement pu retrouver un emploi 18 mois après son licenciement, certes à un salaire
moindre, le jugement sera également confirmé quant au montant des dommages et intérêts
qui lui ont été alloués de ce chef.
Le jugement sera encore confirmé du chef des dommages et intérêts alloués du fait de
l'irrégularité de la procédure reconnue par l'employeur quant à la réponse tardive donnée
par ce dernier à la demande de communication des critères d'ordre des licenciements.
Il est enfin équitable non seulement de confirmer le jugement du chef de l'allocation à la
salariée d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, mais
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aussi de lui allouer une nouvelle indemnité en cause d'appel de 1 000 € au paiement de
laquelle l'EURL Pharmacie Javot sera condamnée.
Cette dernière supportera également les dépens.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
CONFIRME le jugement,
Y ajoutant,
CONDAMNE l'EURL Pharmacie Javot à payer à Mme Nathalie M. la somme de 1 000 € au
titre de l'article 700 du code de procédure civile,
LA CONDAMNE aux dépens.
Commentaire : la réorganisation pour la sauvegarde de la compétitivité comme motif
économique de licenciement
Aux termes de l’article L1233-2 du Code du Travail, le licenciement économique doit être
justifié par une cause réelle et sérieuse. L’article L. 1233-3 du Code du travail énonce que la
rupture du contrat de travail doit être consécutive notamment à des difficultés économiques
ou à des mutations technologiques. La notion même de cause réelle et sérieuse semble être
aisée à comprendre. Pourtant, ce n’est pas aussi simple puisqu’il peut arriver que des
licenciements économiques soient justifiés par une cause réelle et sérieuse en dehors de toutes
difficultés économiques ou de mutations technologiques. En effet, l’emploi de l’adverbe
« notamment » permet aux juges d’admettre des suppressions d’emplois en l’absence de
difficultés économiques immédiates. Dans l’arrêt nous concernant, pour justifier les
licenciements l’employeur invoque la réorganisation nécessaire de la pharmacie afin de
sauvegarder sa compétitivité et de prévenir de grandes difficultés financières. Ainsi, Cour
d’appel devait se prononcer sur l’existence d’une telle réorganisation.
La réorganisation de l'entreprise n'étant pas expressément prévue par l'article L. 1233-3 du
Code du travail comme un motif économique de licenciement, elle a fait l’objet d’une
construction jurisprudentielle. Ainsi, dans un premier temps, la réorganisation de l'entreprise
ne pouvait être une cause de licenciement pour motif économique que si elle était faite dans
l'intérêt de l'entreprise126
. Puis, dans un célèbre arrêt Thomson du 5 avril 1995, la chambre
sociale de la Cour de cassation a estimé que « lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés
économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation ne peut constituer un
motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise,
ou, si elle appartient à un groupe, si elle est nécessaire à la sauvegarde du secteur d'activité
de ce groupe ». Ainsi, ce n'est que si la nécessité de la sauvegarde de la compétitivité de
l'entreprise est avérée que sa réorganisation peut constituer un motif économique de
licenciement127
.
En l’espèce, la Cour d’appel considère qu’au vu des éléments objectifs, à savoir le chiffre
d’affaire, les charges et le résultat de la pharmacie en date de 2011, la réorganisation pour la
sauvegarde de la compétitivité et la prévention des difficultés économiques n’est pas
caractérisée. En effet, l’activité de la pharmacie lors de son rachat intervenu dans les semaines
précédant le licenciement montrait que le chiffre d’affaires et les résultats étaient en constante
progression. Par conséquent, la pharmacie achetée par l’employeur n’était pas menacée par
126
Cass. soc., 1er avr. 1992, n° 90-44.697 : Bull. civ. V, n° 223. 127
Cass. soc., 13 juin 2001, n° 99-41.636 ; Cass. soc., 15 janv. 2003, n° 00-44.793 ; Cass. soc., 16 déc. 2008, n°
07-41.953.
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des difficultés à venir nécessitant une réorganisation de celle-ci. Toutefois, les juges du fond
doivent veiller à vérifier l’évolution du marché car il s’agit derrière le motif invoqué par
l’employeur de prévenir de difficultés économiques.
« En effet, l’idée qui sous-tend la notion « la réorganisation destinée à sauvegarder la
compétitivité » de l’entreprise est qu’il vaut mieux adapter ses effectifs pour maintenir sa
compétitivité plutôt que d’attendre d’être confronté à des difficultés économiques qui
nécessiteront une réorganisation de plus grande ampleur. Il ne s’agit donc plus de
comptabiliser la baisse du chiffre d’affaires ou les pertes réalisées par l’entreprise, mais
d’apprécier l’évolution du marché128
. En conséquence, il est tout à fait envisageable de
réaliser des bénéfices tout en restructurant pour maintenir sa position face à la concurrence.
La sauvegarde de la compétitivité implique l’existence d’une menace concrète qui pourrait
entraîner des difficultés économiques en l’absence de réorganisation ». Dans cette optique, si
la réorganisation de l’entreprise mise en œuvre pour assurer la sauvegarde de la compétitivité
n’est pas subordonnée à l’existence de difficultés économiques, l’employeur doit caractériser
l’existence d’une menace à l’aide d’éléments objectifs laissant pressentir l’avènement de
difficultés économiques futures en l’absence de réorganisation129
. Il s’agit donc de mener une
réorganisation préventive en vue de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. L’entreprise
peut ainsi, valablement procéder à des licenciements pour motif économique si elle est en
mesure de justifier qu’une absence de réorganisation immédiate conduira inéluctablement à
une perte significative de sa compétitivité et donc à des difficultés économiques prévisibles.
La solution rendue par la Cour d’appel va dans ce sens puisqu’elle déduit des éléments
chiffrés que l’activité de la pharmacie ne souffrait pas de la concurrence, et qu’il s’agissait en
fait pour l’employeur de dégager un revenu suffisant en procédant aux licenciements. Par
ailleurs, l’employeur a procédé au rachat de la pharmacie en parfaite connaissance de cause
des charges. En effet, il savait les conditions et caractéristiques des contrats de travail du
personnel de l’officine de pharmacie dont les conditions financières de ces contrats. Par
conséquent, même s’il s’était engagé auprès d’un organisme bancaire à réduire ces-dernières,
il ne pouvait le faire valablement par la voie du licenciement économique. La Cour d’appel a
donc parfaitement jugé l’affaire prononçant un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Du
fait de l’inopportunité de la réorganisation, elle n’a pas eu à se prononcer sur le non-respect
de l’obligation de reclassement, élément d’appréciation du caractère réel et sérieux.
L’arrêt rendu est donc conforme à la ligne jurisprudentielle tracée par la Cour de cassation
concernant la réorganisation comme motif de licenciement économique.
Cindy MUREAU
128
https://inspectiondutravail.wordpress.com/tag/sauvegarde-de-la-competitivite/ 129
Cass. Soc., 11 janvier 2006, 05-40.977.
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Chronique de jurisprudence
Master 2
Droit et gestion du patrimoine privé
par Matthieu Robineau
Maître de conférences à l’Université d’Orléans
Co-directeur du Master Droit et Gestion du patrimoine privé
Assurance et gestion de patrimoine : deux ans de jurisprudences berruyères et
orléanaises
(janvier 2013 – juin 2015)
S’il est habituel de commenter les arrêts rendus par la Cour de cassation, il l’est un peu moins
d’analyser ceux rendus par les cours d’appel. Pourtant, ceux-ci n’en sont pas moins
intéressants. D’une part, aux praticiens, ils offrent des indicateurs de premier choix, par
exemple sur les chances d’obtenir ou non gain de cause devant la juridiction du second degré ;
d’autre part, aux universitaires, ils permettent parfois de déceler de nouvelles questions ou de
nouvelles façons de poser des questions habituelles. Dans les deux cas, ces arrêts peuvent être
lus à l’aune de la jurisprudence de la Cour de cassation afin de déterminer s’il existe une
jurisprudence locale (et dans quelle mesure) ou bien si les Cours d’appel sont disciplinées et
respectueuses des lignes tracées quai de l’Horloge.
Dans le cadre de la Revue Juridique Pothier, c’est naturellement vers les arrêts rendus par les
Cours d’appel de Bourges et d’Orléans qu’il convient de se tourner, étant précisé que, pour
des raisons bien compréhensibles, la chronique qui suit se limitera à une sélection d’arrêts
rendus ces deux dernières années130
.
Les arrêts retenus l’ont été pour l’importance des questions, théoriques ou pratiques, qu’ils
tranchent ou contribuent à trancher, voire pour celles qu’ils soulèvent par ricochet. Aussi,
certaines décisions ne paraissant pas nécessiter une recension ont-elles été écartées. Tel est le
cas, par exemple, d’un arrêt ayant jugé que des versements, même modiques, par une épouse
sur un contrat d’assurance vie, contribuent, aux côtés d’autres éléments, à la débouter de sa
demande versement de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère, l’épouse ne
rapportant pas la preuve de son état de besoin (Bourges, Chambre civile, 5 mars 2015,
n° 14/00865, JurisData : 2015-004729, dans une affaire où le mariage avait duré 58 ans et
les époux étaient âgés de 81 et 85 ans...).
Les arrêts sélectionnés peuvent être regroupés autour de trois thématiques principales. Les uns
portent en effet sur les obligations, au stade de la formation du contrat, des professionnels de
l’assurance (I), entendus au sens large, ce qui permet d’englober non seulement les assureurs
mais aussi les distributeurs de contrats, comme les courtiers. D’autres sont relatifs à
l’exécution du contrat d’assurance (II). Les derniers ont trait au bénéfice de la garantie décès
(III), avec en toile de fond évidente, les enjeux successoraux de l’assurance vie.
I - La formation du contrat
Le fonctionnement du contrat d'assurance vie n’est pas toujours aisé à comprendre. Ceci
explique sans doute que les juges fassent preuve d’une certaine mansuétude et ne
reconnaissent la fraude ourdie à l’aide d’un contrat d'assurance vie que lorsque celle-ci est
caractérisée. Il est vrai qu’en raison de la présomption générale de bonne foi qui innerve notre
130
Les arrêts cités sont tous consultables sur la base JurisData.
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droit, le doute doit profiter au souscripteur. Ainsi, il a été jugé que l’action en remboursement
de prestations formée par la CARSAT se prescrit par deux ans faute pour celle-ci d’avoir
établi la mauvaise foi de l’allocataire, circonstance qui aurait allongé le délai de prescription à
cinq ans (CSS, art. L 815-11). En effet, il est jugé que si l'allocataire n'a pas complètement
informé la CARSAT sur les revenus mobiliers dont elle pouvait bénéficier grâce aux
placements opérés sur ses livrets d'épargne et ses contrats d'assurance vie, elle a cependant agi
par ignorance et incompréhension et n'a pas effectué de fausses déclarations ou commis une
fraude (Orléans, Chambre des affaires de sécurité sociale, 28 janv. 2015, n° 13/03814,
JurisData : 2015-001812). Autrement dit : la complexité du régime de l’assurance vie absout
le souscripteur et prive la CARSAT d’un allongement du délai de prescription.
Quoi qu’il en soit, ces difficultés justifient à elles seules, les obligations mises à la charge des
professionnels de l’assurance, c'est-à-dire des assureurs et des intermédiaires d’assurance, au
stade de la formation du contrat. Outre une obligation légale d’information précontractuelle,
qui consiste en la remise de documents, ils sont en effet tenus d’une obligation de conseil,
parfois appelée obligation de mise en garde voire obligation d’adaptation. Posée par la
jurisprudence, cette obligation a pour objet de guider le candidat à l’assurance, de lui fournir
un conseil sur-mesure que l’exécution de l’obligation légale d’information ne permet pas
d’obtenir.
Au-delà, lorsque la souscription du contrat d'assurance vie s’inscrit dans une opération de
gestion de patrimoine, c’est celui qui la préconise et l’organise qui sera soumis, comme tout
professionnel, à une obligation d’information et de conseil. Un arrêt relatif à un montage
défiscalisant intégrant la souscription d’un contrat d'assurance vie permet d’illustrer ces
questions (A), même s’il convient de rappeler que les obligations des professionnels ne sont
pas sans limites (B).
A – L’obligation de la banque en présence d’une opération de défiscalisation intégrant la
souscription d’un contrat d'assurance vie
La Cour d’appel de Bourges a rendu un intéressant arrêt (Bourges, Chambre civile, 22 mai
2014, n° 13/00928, JurisData : 2014-013576) en présence d’un montage assez classique. En
l’espèce, il s’agissait de réaliser une opération de défiscalisation en investissant dans
l’immobilier, sous le régime institué par la loi Périssol (depuis remplacé par toute une série de
régimes dont la loi Scellier et, plus récemment, la loi Pinel), qui permettait de réduire l’impôt
sur les revenus de l’investisseur, grâce à l’amortissement de l’immeuble acquis et la création
de déficits fonciers. Pour financer l’acquisition, il avait été souscrit auprès d’une banque un
prêt in fine, c'est-à-dire dont le capital était intégralement remboursable à l’échéance du prêt,
les mensualités ne comportant que des intérêts. Pour financer la dette de restitution, chaque
époux avait souscrit un contrat d’assurance vie par l’intermédiaire de la banque et avait choisi
d’investir les primes sur des unités de compte, espérant profiter d’une hausse des marchés
financiers (les deux primes étaient égales à 190 000 FF, l’objectif était de rembourser 718 000
FF dix ans plus tard, soit presque le double). Las, au moment de rembourser le capital à la
banque, les emprunteurs découvraient qu’ils avaient subi des pertes sur leurs contrats
d’assurance vie respectifs, les unités de compte s’étant effondrées. Ils décidaient de demander
réparation à la banque.
Dans une affaire assez proche, la Cour de cassation a jugé récemment que dès lors que le
montage mis en œuvre – un crédit immobilier remboursable in fine au moyen de l’épargne
accumulée sur un contrat d’assurance vie – n’est pas inadapté à la situation personnelle du
RJP 2015-1 (Novembre)
96
client, la banque ne manque pas à son obligation de conseil et ne peut donc voir sa
responsabilité engagée131
.
En l’espèce, ce n’est pas sur ce terrain que les demandeurs sont déboutés. En effet, la cour, à
la suite des premiers juges, relève qu’ils étaient des investisseurs particulièrement avertis, qui
avaient déjà réalisé par le passé une opération similaire de défiscalisation (selon le dispositif
Méhaignerie). En outre, il est établi que leur conseiller financier les avait prévenus des risques
de cette opération financière.
En d’autres termes, l’intensité de l’obligation de conseil varie selon celui à qui elle est due. La
solution peut sembler classique, sous quelques réserves.
Elle est tout d’abord classique dans la mesure où de manière générale, le devoir de conseil se
mesure à la lumière des connaissances et compétences du créancier. Il en résulte par exemple
que l’intensité du devoir de conseil de l’assureur diminue lorsque la garantie a pour objet le
cœur de l’activité professionnelle de l’assuré132
.
S’agissant des réserves, elles sont de trois ordres.
D’abord, l’obligation de conseil de la banque est discutée. S’il a été en effet énoncé à titre de
principe que le banquier n’a pas de devoir de conseil envers son client133
, d’autres arrêts sont
venus reconnaître une obligation d’éclairer le client, notamment dans des opérations de
crédit134
ou une obligation de mettre en garde l’emprunteur non averti135
.
Ensuite, dans d’autres circonstances, les compétences particulières du client ou du
consommateur sont indifférentes. C’était indubitablement le cas s’agissant de la prorogation
du délai d’exercice de la faculté de renonciation en matière d’assurance vie136
, solution
désormais douteuse puisqu’une loi du 30 décembre 2014 est venue modifier l’article L. 132-
5-2 du Code des assurances et réserve la prorogation de la faculté de renonciation pour défaut
de remise des documents d’information au seul contractant de bonne foi137
. Or il n’est pas
certain que le contractant très au fait des montages de défiscalisation puisse être considéré de
bonne foi.
Enfin, certains professionnels sont tenus d’une obligation de conseil nonobstant les
compétences avérées du client ou le fait qu’il soit accompagné d’un professionnel. Tel est le
cas des notaires dont la responsabilité professionnelle a pris une ampleur considérable des
deux dernières décennies138
.
Quoi qu’il en soit, en assurance vie, tout est au fond question de l’étendue de la mission
assignée à l’assureur ou à l’intermédiaire (la banque en l’espèce). Il est possible de distinguer
quatre hypothèses.
En premier lieu, lorsque l’assureur agit en tant qu’assureur et seulement en tant que tel, en
plus de l’information précontractuelle (c. assur., art. L. 132-5-1 et s.) et du conseil tel que
131
Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-18.359, www.actuassurance.com, mars-avr. 2015, n° 40, act. jurispr., note
M. Robineau. 132
Cass. 2ème
civ., 10 avril 2008, n° 07-11.071. Adde, Cass. 2ème
civ., 11 juin 2015, n° 14-18.141. 133
Cass. com., 24 sept. 2003, n° 02-11.362 : Bull. civ. IV, n° 137 ; RTD com. 2004. 142, obs. D. Legeais. 134
v. par ex., Cass. 1ère
civ., 12 juill. 2005, n° 03-10.115 : Bull. civ. I, n° 326, R., p. 335 ; D. 2005. 3094, note
B. Parance (4ème
esp.) ; JCP G 2005. II. 1040, note A. Gourio (3ème
esp.) ; JCP E 2005. 1359, note D. Legeais
(2ème
esp.). 135
Cass. 1ère
civ., 12 juill. 2005, n° 03-10.921 : Bull. civ. I, n° 327, R., p. 335 ; D. 2005. 3094, note B. Parance
(3ème
esp.) ; JCP G 2005. II. 1040, note A. Gourio (2ème
esp.) ; JCP E 2005. 1359, note D. Legeais (1ère
esp.). 136
v. not., Cass. 2ème
civ., 7 mars 2006, n° 05-12.338, n° 05-10.366 et n° 05-10.367 : Bull. civ. II, n° 63 ; JCP G
2006. II. 10056, note F. Descorps Declère ; JCP G 2006, I, 135, n°10, obs. L. Mayaux ; JCP E 2006, 1938, note
S. Hovasse ; D. 2008. 120, obs. H. Groutel ; Resp. civ. et assur. 2006, comm. 208, note G. Courtieu ; RDC 2007.
223, note. Th. Revet et C. Pérès. 137
v. P.-G. Marly, Assurance-vie : la fin des renonciations abusives : LEDA 2/2015, n° 017 138
J De Poulpiquet, Responsabilité des notaires, Dalloz, 2ème
éd., 2009 – J.-L. Aubert et R. Crône, La
responsabilité civile des notaires, Defrénois, 5ème
éd., 2009.
RJP 2015-1 (Novembre)
97
défini par l’article L. 132-27-1139
, il doit un conseil qui n’est valablement et pleinement
délivré que s’il tient compte de la situation personnelle du client140
. La solution a été rappelée
par un arrêt du 5 février 2015 : lorsque l’assureur n’est pas intervenu dans les choix de
restructuration du patrimoine du client, il satisfait à son obligation d'information et de conseil
en tenant compte de la situation personnelle de l'intéressé141
.
En deuxième lieu, et en lien avec cette dernière solution, lorsque l’assureur agit comme
conseiller en gestion de patrimoine, les obligations liées à la souscription éventuelle d’un
contrat d’assurance vie demeurent, mais la pertinence du conseil s’apprécie à un échelon
supérieur, le contrat d’assurance vie étant pris pour ce qu’il est : le maillon d’une chaîne, la
partie d’un tout142
.
En troisième lieu, si c’est un intermédiaire d’assurance (une banque agissant en tant que
courtier par exemple) qui est l’interlocuteur du client, s’agissant seulement d’assurance,
l’article L. 520-1 du Code des assurances s’applique143
. L’intermédiaire est en outre tenu
d’une obligation de conseil qui consiste à inviter le client à souscrire une garantie adaptée à sa
situation personnelle. Il convient de préciser que, dans l’hypothèse où une banque intervient
en tant que souscripteur d’un contrat groupe emprunteur, des règles spécifiques
s’appliquent144
.
En dernier lieu, si c’est un conseiller en gestion de patrimoine qui intervient et qu’il distribue
des produits d’assurance en tant que courtier, il demeure tenu des obligations liées à son statut
de courtier. Toutefois, si le contrat d’assurance vie s’inscrit dans une stratégie patrimoniale
d’ensemble, il doit également délivrer un conseil portant sur la globalité de l’opération, qu’il
ne peut satisfaire en se contentant d’apporter au client l’ensemble des informations pré-
contractuelles et contractuelles dues au titre de son devoir d’information145
. Le conseil donné
doit être adapté à la complexité de l’opération envisagée146
. L’arrêt précité rendu par la
Chambre commerciale le 10 février 2015 exige que le montage souscrit ne soit pas inadapté à
la situation personnelle du client et à ses objectifs. La double négation n’est pas neutre :
devoir ne pas proposer un montage inadapté n’est pas tout à fait la même chose que devoir
139
« Avant la conclusion d'un contrat d'assurance individuel comportant des valeurs de rachat, d'un contrat de
capitalisation, ou avant l'adhésion à un contrat mentionné à l'article L. 132-5-3 ou à l'article L. 441-1, l'entreprise
d'assurance ou de capitalisation précise les exigences et les besoins exprimés par le souscripteur ou l'adhérent
ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un contrat déterminé. Ces précisions, qui reposent en
particulier sur les éléments d'information communiqués par le souscripteur ou l'adhérent concernant sa situation
financière et ses objectifs de souscription, sont adaptées à la complexité du contrat d'assurance ou de
capitalisation proposé.
Pour l'application du premier alinéa, l'entreprise d'assurance ou de capitalisation s'enquiert auprès du
souscripteur ou de l'adhérent de ses connaissances et de son expérience en matière financière.
Lorsque le souscripteur ou l'adhérent ne donne pas les informations mentionnées aux premier et deuxième
alinéas, l'entreprise d'assurance ou de capitalisation le met en garde préalablement à la conclusion du contrat.
(…) ». 140
Cass. 2ème
civ., 7 juill. 2011, n° 10-16.267 : RGDA 2012. 103, note J. Bigot. 141
Cass. 2ème
civ., 5 févr. 2015, n° 13-28.468, www.actuassurance.com, mars-avr. 2015, n° 40, act. jurispr., note
M. Robineau. 142
Rappr. Cass. 2ème
civ., 4 juin 2014, n° 13-12.770 : Bull. civ. I, no 98, www.actuassurance.com, sept.-oct. 2014,
n° 37 act. jurispr., M. Robineau ; JCP G 2014. 864, note Mayaux. 143
Le texte pose les obligations de l’intermédiaire lors de l’entrée en relation avec le client et renvoie à l’article
L. 132-27-1 précité. 144
C. assur., art. L. 141-1 et s. – Cass. ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267 : Bull. civ. ass. plén., n° 4 ; D. 2007.
985, note S. Piedelièvre ; JCP G 2007, II, 10098, note A. Gourio ; RD bancaire et fin. 2007, comm. 55, obs.
D. Legeais ; RGDA 2007. 397, note J. Kullmann ; RDI 2007. 319, obs. L. Grynbaum ; RDC 2007. 750, obs.
G. Viney. 145
v. Cass. com., 23 sept. 2014, n° 13-22.763, www.actuassurance.com, nov.-déc. 2014, n° 38, act. jurispr.,
M. Robineau ; RGDA 2014. 617, note D. Langé. 146
Cass. 2ème
civ., 4 juin 2014, n° 13-12.770, préc.
RJP 2015-1 (Novembre)
98
proposer un montage adapté147
. L’arrêt de la Cour d’appel de Bourges ajoute qu’il convient de
tenir compte de la compétence du client lorsqu’il s’agit de se prononcer que le manquement à
l’obligation de conseil. Cela revient à décider que l’obligation n’a pas la même intensité ou la
même ampleur selon l’interlocuteur du conseiller en gestion de patrimoine (au sens large de
l’expression).
Pour autant, il convient de prendre cette présentation synthétique pour ce qu’elle est : une
tentative de rationalisation d’une jurisprudence particulièrement foisonnante en la matière. En
outre, les projets de directive actuellement en examen pourraient conduire à renouveler les
débats.
On ajoutera que l’arrêt rendu par la Cour de Bourges suscite la curiosité, voire la perplexité,
car la question de la prescription, soulevée par la banque, est tranchée en mobilisant deux
textes qui ne peuvent pourtant pas être sollicités simultanément. Le premier, l’article L. 114-1
du Code des assurances, qui prévoit une prescription biennale, est propre au droit du contrat
d’assurance. Selon la Cour de Bourges, il résulte de ce texte que l'action en responsabilité
engagée par l'assuré contre l'assureur ou son représentant en raison d'un manquement à son
obligation contractuelle de renseignement et de conseil se prescrit par deux ans à compter de
la date à laquelle l'assuré a eu connaissance du manquement de l'assureur à ses obligations
ainsi que du préjudice en résultant. Or il est de jurisprudence constante que l’action en
responsabilité de l’assuré contre un courtier n’est pas soumise à la prescription biennale148
car
elle ne dérive pas du contrat d’assurance, au sens du texte. De même, l’action engagée contre
un assureur en raison de son manquement à une obligation précontractuelle d’information et
de conseil ne dérive pas du contrat d’assurance et est donc soumise à la prescription de droit
commun149
. En outre, il est possible de douter du caractère contractuel de la responsabilité en
cause, s’agissant d’obligations précontractuelles.
Le second texte, l’article L. 110-4 du Code de commerce, prévoyait l’application d’un délai
de prescription de dix ans, ramené à cinq ans depuis l’entrée en vigueur de la réforme du 17
juin 2008, sauf si l’obligation en cause est soumise à une prescription plus courte (comme la
prescription biennale du droit des assurances). En l’espèce, seul celui-ci devait s’appliquer. Il
est dommage que l’arrêt ne l’ait pas affirmé.
À la décharge des magistrats berruyers, il est vrai qu’il n’est pas toujours aisé de qualifier les
situations juridiques liées à la bancassurance. En l’espèce, l’établissement de crédit
intervenait à la fois en cette qualité et comme courtier en assurances. Le contrat d’assurance
avait été souscrit auprès d’une autre société, évidemment liée à l’établissement bancaire. Or
ce ne sont pas les mêmes obligations qui pèsent sur l’assureur, sur l’intermédiaire d’assurance
et sur la banque. Identifier les fonctions de chaque intervenant est donc décisif. Il en est de
même en assurance emprunteur, assurance de groupe pour laquelle la banque joue le rôle de
souscripteur.
B – Fausse déclaration du risque et questionnaire de santé
Un arrêt rendu par la Cour de Bourges en juin 2013 (Bourges, Chambre civile, 27 juin 2013,
n° 12/01611, JurisData : 2013-018010) mérite quelques observations, qu’il importe
147
Comp., Cass. com., 13 avr. 2010, n° 08-21.334 : RGDA 2010.1113, note A. Astegiano-La Rizza, qui énonce
que le courtier est tenu d'un devoir de conseil sur les caractéristiques des produits d'assurance qu'il propose et sur
leur adéquation avec la situation personnelle et les attentes de ses clients. 148
Cass. 1ère
civ., 3 mars 1987, n° 85-15.865 : Bull. civ. I, n° 76 ; D. 1987, comm. 337, obs. H. Groutel ; RGAT
1987. 285, note R. Bout. 149
Cass. 1ère
civ., 30 janv. 2001, n° 98-18.145 : Bull. civ. I, n° 14 ; RGDA 2001. 53, note J. Kullmann ; JCP G
2001. II. 10609, note H. Maleville ; RCA 2001, comm. 135.
RJP 2015-1 (Novembre)
99
d’ailleurs de replacer dans la jurisprudence, quelque peu modifiée depuis, de la Cour de
cassation.
Dans cette affaire, un couple marié avait eu recours à un crédit à la consommation. À cette
occasion, l’époux avait adhéré à l’assurance emprunteur proposée par la banque (la loi
Lagarde n’avait pas encore été adoptée). À cette fin, il avait rempli un questionnaire de santé,
valant déclaration des risques. Il l’avait adressé sous pli confidentiel au médecin conseil de
l’assureur, ce dernier pas davantage que la banque, n’ayant à avoir accès aux données de santé
de l’assuré150
.
Pour des raisons non communiquées dans l’arrêt, une fausse déclaration de l’assuré avait été
établie (certainement après le décès de celui-ci, l’assureur, par l’intermédiaire de son
médecin-conseil, procédant logiquement à ses vérifications après sinistre). Le contrat
d’assurance était donc nul en application de l’article L. 113-8 du Code des assurances.
À la suite d’impayés, une déchéance du terme avait été prononcée par la banque. Mise en
demeure de procéder au règlement, l’épouse survivante faisait la sourde oreille. Puis elle
contre-attaquait en reprochant à l’assureur un certain nombre de manquements. On croit
comprendre qu’elle critiquait notamment l’assureur de ne pas avoir utilement conseillé son
époux au moment de la déclaration des risques.
La Cour de Bourges écarte l’argument en s’appuyant sur les mentions de l’offre préalable de
prêt qui indiquaient que le questionnaire de santé obligatoire doit être adressé sous pli
confidentiel à l'attention du médecin conseil des assureurs. Elle en déduit que l’établissement
de crédit n’a jamais été en possession du questionnaire de santé et qu’il ne peut lui être
reproché de ne pas le produire.
La solution doit être approuvée. Très factuelle ici, elle rejoint la jurisprudence en vertu de
laquelle il n’appartient pas à l’assureur ou à l’intermédiaire d’assurance d’avertir le candidat à
l’assurance qu’il doit remplir le formulaire de déclaration des risques avec sincérité, cette
dernière obligation relevant de l’obligation générale de bonne foi151
. Incontestable sur le plan
des principes, la solution pose cependant difficultés en pratique : il arrive en effet parfois que
l’interlocuteur du candidat à l’assurance lui souffle les « bonnes » réponses, de manière à
éviter des majorations de primes ou de franchises. L’inexactitude de la déclaration des risques
sera alors inopposable à l’assuré si, et seulement si, il parvient à établir cette complicité.
Ainsi, il a été jugé qu’un assureur ne peut se prévaloir, sur le fondement des art. L. 113-8 ou
L. 113-9 de la nullité ou de la réduction proportionnelle lorsqu'il est établi que son agent
général ou son préposé avait eu connaissance lors de la souscription du contrat de la
déclaration fausse ou inexacte de l'assuré152
. Il a du reste été précisé que le principe selon
lequel nul ne peut se prévaloir en justice de sa propre turpitude ne s'oppose pas à ce que la
faute, la négligence ou l'imprudence du mandataire soit invoquée même par celui qui a fait la
fausse déclaration153
.
150
Sur cette question, M. Robineau, L’assureur et les données de santé : quelles obligations ?, in A. Leca (dir.),
Le secret médical, Les études hospitalières, CDSA, 2012, pp. 127-140. – Il ne saurait pas davantage se les
procurer pour les produire en justice. Plus précisément, il ne peut produire un document couvert par le secret
médical intéressant le litige qu'à la condition que l'assuré ait renoncé au bénéfice de ce secret, et il appartient au
juge, en cas de difficulté, d'apprécier, au besoin après une mesure d'instruction, si l'opposition de l'assuré tend à
faire respecter un intérêt légitime (Cass. 2ème
civ., 2 juin 2005, n° 04-13.509 : Bull. civ. II, n° 142 ; RCA 2005,
n° 269, obs. H. Groutel ; RGDA 2005. 693, note J. Kullmann).
151 Cass. 1
ère civ., 28 mars 2000, n° 97-18.737 : Bull. civ. I, n° 101 ; RGDA 2000. 488, note L. Mayaux ; D. 2000.
574, note B. Beignier. 152
Cass. 1ère
civ., 23 nov. 1999, n° 97-15.319 : Bull. civ. I, n° 312 ; RGDA 2000. 49, note A. Favre-Rochex. –
Cass. 1ère
civ., 19 mai 1999, n° 97-14.120 : Bull. civ. I, n° 160 ; RCA 1999, n
° 282, et Chron. 18, par H. Groutel ;
RGDA 1999. 570, note A. Favre-Rochex. 153
Cass. 2ème
civ., 4 févr. 2010, n° 09-11.464 : RGDA 2010. 310, note J. Bigot. – Cass. 1ère
civ., 8 juill. 2010,
n° 09-67.899 : RCA 2010, n° 338, note H. Groutel ; RGDA 2010. 1016, note L. Mayaux.
RJP 2015-1 (Novembre)
100
L’arrêt annoté souligne également que l’assuré a bien eu connaissance du questionnaire. En
effet, s'il n'avait pas rempli ce questionnaire et ne l'avait pas retourné au médecin conseil,
l'assurance n'aurait pu être mise en place. De la sorte, la preuve que l’assuré est bien l’auteur
de la déclaration des risques est apportée.
Il est vrai que lorsque la déclaration prend la forme d’un questionnaire de santé, la question ne
se pose généralement pas. Il n’en va pas de même en assurance de dommages. C’est d’ailleurs
en considération de cet état de fait que par un arrêt du 7 février 2014 rendu en chambre mixte,
la Cour de cassation a jugé que l'assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse
déclaration intentionnelle de l'assuré que si celles-ci procèdent des réponses qu'il a apportées
aux questions posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque154
.
Elle tranchait ainsi une divergence entre sa chambre criminelle et sa deuxième chambre civile.
Il s’agissait notamment de mettre un terme à la pratique des réponses pré-rédigées par
l’assureur, et ratifiées par le souscripteur, au mieux après un contrôle léger, le plus souvent les
yeux fermés.
Quoi qu’il en soit, en raison de cette jurisprudence de la Haute juridiction, l’assureur ne peut
désormais opposer la fausse déclaration que s’il produit les réponses de l’assuré au
questionnaire de risques qu’il a élaboré. Cette solution produisant parfois des résultats que
l’on peut juger moralement regrettables155
, elle est encore en phase de consolidation et
d’affinement156
. L’arrêt berruyer semble avoir, d’une certaine manière, anticipé les arrêts les
plus récents de la Cour de cassation, en prenant le soin de relever que les réponses inexactes
apportées au questionnaire de santé, et qui avaient conduit à l’annulation du contrat
d’assurance pour fausse déclaration, ne pouvaient être que l’œuvre de l’assuré.
II - L’exécution du contrat d'assurance vie
Deux arrêts relatifs à l’exécution du contrat d'assurance méritent d’être signalés, le premier
étant relatif à la résiliation pour non-paiement des primes d’une assurance décès, le second
portant sur le point de savoir si une banque, courtier en assurances, est tenue ou non de
procéder à des arbitrages sur le contrat d’assurance vie qu’elle a fait souscrire, lorsque la
valeur des unités de comptes sur lesquelles sont investies les primes s’effondre.
A – Le paiement de la prime et la résiliation d’une assurance décès
La Cour d’Orléans a rendu un arrêt que l’on peut qualifier de curieux au mois de juin 2014
(Orléans, Chambre civile, 16 Juin 2014, n° 13/02228, JurisData : 2014-020313). En
l’espèce, en 2003, une banque, agissant certainement en tant que courtier, avait fait souscrire
auprès d’un assureur, une assurance décès à l’un de ses clients. Les primes étaient prélevées
sur le compte du client. Quelques années plus tard, en 2009, à la suite d’une erreur de sa part,
non contestée, la banque opérait le prélèvement sur le compte de la SARL dont le client était
le gérant.
154
Cass. ch. mixte, 7 févr. 2014, n° 12-85.107 : D. 2014. 1074, note A. Pélissier ; JCP G 2014, 419, note
M. Asselain ; RCA 2014, n° 99, note H. Groutel ; RGDA 2014. 197, note J. Kullmann et L. Mayaux.
155 Pour un exemple, Cass. 3
ème civ., 3 juill. 2014, n° 13-21.734 : RTDI 2014-4, p. 43, note M. Robineau.
156 Cass. 2
ème civ., 11 juin 2015, n° 14-14.336, PB : « Qu’en statuant ainsi, sans relever que l’inexactitude de
cette déclaration procédait d’une réponse à une question précise posée par l’assureur lors de la conclusion du
contrat de nature à lui faire apprécier les risques pris en charge, la cour d’appel a privé sa décision de base
légale ». – Cass. 2ème
civ., 11 juin 2015, n° 14-17.971 et 14-18.013, PB : « Qu’en l’état de ces constatations et
énonciations, faisant ressortir la précision et l’individualisation des déclarations consignées dans le formulaire de
déclaration des risques signé par l’assurée, la cour d’appel a souverainement décidé qu’elles correspondaient
nécessairement à des questions posées par l’assureur lors de la souscription du contrat, notamment sur l’identité
du conducteur principal ».
RJP 2015-1 (Novembre)
101
La SARL en éprouvait une juste émotion dont elle faisait part à la banque quatorze mois plus
tard, en janvier 2011. Un litige s’ensuivait, la banque acceptant de rembourser la SARL si son
client payait les primes qu’elle avait prélevées par erreur sur les comptes de la SARL et non
sur les siens. De son côté le client estimait le contrat d’assurance résilié puisqu’il n’avait plus
payé les primes depuis l’interruption des prélèvements sur son compte.
La banque ayant remboursé la SARL, le juge de première instance estime que le contrat
d’assurance décès a été résilié le 6 juin 2011 (sept jour après réception d’une lettre de l’assuré
adressée à la banque) et condamne l’assuré à rembourser les primes à la banque.
La Cour d’appel infirme ce jugement. Elle considère le contrat résilié depuis 2009 et
condamne la banque à rembourser à l’assuré les sommes prélevées sur son compte au titre du
contrat d’assurance entre janvier et juin 2011.
Au soutien de son arrêt, la Cour d’Orléans rappelle les dispositions de l’article L. 132-20 du
Code des assurances selon lesquelles, en matière d’assurance vie, d’une part, « l'entreprise
d'assurance ou de capitalisation n'a pas d'action pour exiger le paiement des primes » (alinéa
1er
) et, d’autre part, « le défaut de paiement d'une cotisation due au titre d'un contrat de
capitalisation ne peut avoir pour sanction que la suspension ou la résiliation pure et simple du
contrat et, dans ce dernier cas, la mise à la disposition du porteur de la valeur de rachat que
ledit contrat a éventuellement acquise » (alinéa 4). Ce rappel paraît doublement contestable.
En premier lieu en effet, le contrat d’assurance décès lie le souscripteur assuré et la société
d’assurance. La banque est un tiers, qui n’intervient dans l’opération que lors de sa formation,
en tant qu’intermédiaire, puis lors de l’exécution dans la mesure où elle exécute les ordres de
prélèvements afin de payer les primes. En conséquence, il n’y aucune raison pour que la
relation entre la banque et l’assuré ou encore l’erreur commise par la banque ait une incidence
sur le sort du contrat d’assurance. Réciproquement, l’exécution du contrat d’assurance ne
devrait avoir aucune incidence sur le litige opposant une banque et son client, eût-il pour
contexte le paiement des primes d’un contrat d'assurance vie.
En second lieu, la Cour déduit du non-paiement des primes par le souscripteur assuré une
résiliation. À lire son arrêt, tout se passe comme si la résiliation avait lieu de plein droit dans
une telle situation. Or tel n’est pas le cas. L’article L. 132-20, d’ordre public157
, comporte en
effet un alinéa 2 qui prévoit la procédure ouverte à l’assureur s’il désire sanctionner le non-
paiement des primes158
. En conséquence, faute d’initiative de l’assureur, et en particulier faute
d’envoi d’une lettre recommandée, le juge ne peut constater la résiliation.
La Cour a été ici certainement mal aiguillée par les conclusions des parties. La banque avait
commis une erreur qu’elle avait réparée en remboursant la SARL sur les comptes de laquelle
elle avait indûment opéré les prélèvements. L’affaire aurait dû s’arrêter là, à moins que la
banque agît en qualité de mandataire de l’assureur, ce qui n’est pas dit dans l’arrêt et ce que
rien ne permet de penser. Faute de résiliation du contrat d’assurance, celui-ci aurait dû
continuer à produire ses effets. Dès lors il n’y avait pas lieu à condamner la banque à restituer
les primes versées à compter de janvier 2011, sauf à ce qu’une résiliation soit établie.
Il est en effet possible que les parties mettent fin d’un commun accord à leur relation
contractuelle159
. Toutefois, là a encore, de mutuus dissensus entre l’assuré et l’assureur, il n’y
avait trace.
157
C. assur., art. L. 111-2. 158
« Lorsqu'une prime ou fraction de prime n'est pas payée dans les dix jours de son échéance, l'assureur adresse
au contractant une lettre recommandée par laquelle il l'informe qu'à l'expiration d'un délai de quarante jours à
dater de l'envoi de cette lettre le défaut de paiement, à l'assureur ou au mandataire désigné par lui, de la prime ou
fraction de prime échue ainsi que des primes éventuellement venues à échéance au cours dudit délai, entraîne
soit la résiliation du contrat en cas d'inexistence ou d'insuffisance de la valeur de rachat, soit la réduction du
contrat ». 159
Ce qui permet d’ailleurs d’admettre des résiliations alors même que le formalisme légal n’est pas respecté. Il
arrive en effet qu’une lettre de résiliation irrégulière soit considérée comme valant offre de résiliation.
RJP 2015-1 (Novembre)
102
B – Absence d’obligation de la banque de procéder d’office à des arbitrages sur le contrat
d'assurance vie
Un arrêt déjà évoqué (Bourges, Chambre civile, 22 mai 2014, n° 13/00928, JurisData :
2014-013576) écarte l’action en responsabilité dirigée contre une banque, courtier en
assurances, à laquelle il était reproché de ne pas avoir procédé à des arbitrages permettant de
limiter l’effondrement de la valeur de rachat du contrat, en raison de la chute des unités de
compte sur lesquelles étaient investies les primes.
La solution est logique : faute de mandat de gestion confié à la banque, tiers au contrat
d’assurance, celle-ci ne dispose d’aucune prérogative. Eût-elle demandé à l’assureur de
procéder à des arbitrages, celui-ci aurait refusé d’accéder à sa demande, faute de pouvoir.
Du reste, on peut penser qu’en la matière, un mandat spécial s’imposerait, comme l’exige la
jurisprudence de la Cour de cassation en matière de rachat160
. Il s’agirait alors de viser
expressément le contrat d’assurance vie en cause, en l’identifiant précisément, ce qui ne
poserait pas de difficultés particulières. En l’espèce en effet, c’est la banque elle-même qui
avait servi d’intermédiaire d’assurance et était donc à-même, si tel était le vœu des parties, de
rédiger un mandat spécial.
III - Le bénéfice du contrat d’assurance vie
S’agissant du bénéfice du contrat d’assurance vie, c’est bien entendu principalement sur la
clause bénéficiaire qu’il convient de s’attarder. Cela n’interdit pas de consacrer quelques
brèves observations à un arrêt portant sur la rémunération d’un généalogiste.
A – La clause bénéficiaire
La clause bénéficiaire pose un certain nombre de difficultés pratiques qui, bien souvent,
trouvent leur origine dans une rédaction maladroite, source d’hésitations ou de conflits
d’interprétations. Ce sont bien sûr les enjeux patrimoniaux qui enveniment les débats. Sans
doute est-il vrai que dans nombre de cas, aucune question ne se pose. En effet, soit le stipulant
a coché la clause-type proposée par son contrat, celle qui désigne le conjoint, à défaut les
enfants, à défaut les héritiers. D’une rédaction formellement correcte, elle ne pose pas de
difficultés de mise en œuvre161
, même si en termes de pertinence et d’opportunité, elle est
davantage contestable162
. Soit le stipulant a retenu une autre clause, sur les conseils avisés
d’un professionnel (notaire, conseiller en gestion de patrimoine, etc.). Là encore, si les
préconisations ont été judicieuses, il n’y aura pas de place pour l’interprétation et la mise en
œuvre de la stipulation pour autrui se fera aisément.
L’acceptation de celle-ci par l’assureur permet de mettre un terme à la relation contractuelle. V. Cass. 1
ère civ.,
20 févr. 1973 : Bull. civ. I, n° 62 ; RGAT 1974. 223 – Cass. 1ère
civ., 31 mars 1998 : RGDA 1998. 696, note
F. Chardin et 713, note J. Kullmann. – Cass. 3ème
civ., 19 juin 2012 : RGDA 2012. 1001, note A. Pélissier. 160
Cass. 2ème
civ., 5 juin 2008, n° 07-14.077 : RGDA 2008. 1013, note J. Kullmann. 161
Encore que… La représentation des enfants prédécédés n’est pas toujours prévue alors qu’elle ne joue pas de
plein droit en matière d’assurance vie (Cass. 2ème
civ., 22 sept. 2005, n° 04-13.077 : Dr. famille 2006, comm.
215, note S. Lambert. – Cass. 2ème
civ., 10 avril. 2008, n° 07-12.992 : RGDA 2008. 724, note L. Mayaux ; RCA
2008, comm. 206. – Cass. 2ème
civ., 13 juin 2013, n° 12-20.518 : www.actuassurance.com, sept-oct. 2013, n° 32,
act. jurispr., note M. Robineau ; RGDA 2013.934, note L. Mayaux. 162
V. par ex., J. Aulagnier, Pour une protection optimale sur survivant, choisir de prélever tout ou partie des
biens du prémourant, JCP N, n° 9/10, 1er
mars 2013.
RJP 2015-1 (Novembre)
103
Il en va tout autrement lorsque le stipulant, de sa propre initiative ou sur les conseils
maladroits d’un tiers a rédigé une clause bénéficiaire susceptible de recevoir plusieurs
interprétations incompatibles entre elles.
1 – La détermination du bénéficiaire : la lettre ou l’esprit ?
Un arrêt rendu par la Cour de Bourges au printemps 2014 (Bourges, Chambre civile, 30 avr.
2014, n° 13/0042, JurisData : 2014-014101) mérite d’être signalé en raison de sa singularité.
En l’espèce, un salarié avait adhéré au contrat de prévoyance collective souscrit par son
employeur. Concernant la garantie décès, il avait choisi de retenir la clause bénéficiaire type,
qui désignait son conjoint survivant non séparé de corps, à défaut, ses enfants. Or il se trouve
que l’adhérent n’était pas marié et vivait en concubinage.
Dans une telle hypothèse, un arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes avait pu retenir qu’en
désignant son conjoint, une assurée avait en réalité souhaité stipuler au profit de son
concubin, d’autant que lors de la souscription, elle était veuve depuis plusieurs années et
vivait en concubinage163
. Cette solution illustre particulièrement bien l’idée selon laquelle, en
matière d’assurance vie, et plus précisément en ce qui concerne la désignation du bénéficiaire
de la garantie décès, la volonté du souscripteur joue un rôle déterminant. En réalité, ce constat
se dédouble.
D’une part, quant à la forme de la désignation, si l’article L. 132-8 du Code des assurances
donne quelques exemples de support, en citant la police, un avenant, le testament ou un acte
sous seing privé signifié à l’assureur, la jurisprudence fait preuve de libéralisme et admet
toute forme d’instrumentum, dès lors que la volonté du souscripteur est clairement exprimée.
Ainsi, elle veille à respecter l’intention du stipulant et à neutraliser tout formalisme inutile164
.
D’autre part, quant au fond, les juges recherchent précisément quelle a été l’intention du
souscripteur, quitte à « sonder les reins et les cœurs », en faisant primer l’esprit sur la lettre.
L’arrêt rennais se situe dans cette voie. D’autres l’ont également explorée165
.
L’arrêt berruyer semble de prime abord s’écarter de cette logique, puisqu’il paraît faire
prévaloir la lettre sur l’esprit. En effet, il déboute la concubine de sa demande tendant à se
faire reconnaître bénéficiaire du capital-décès, la clause désignant le conjoint survivant non
séparé de corps.
À l’examen, il n’en est rien. Adoptant les motifs des premiers juges, la Cour de Bourges
relève en effet toute une série de circonstances qui aboutissent à interdire de se faire une
opinion ferme de la volonté du stipulant. Par exemple, si des attestations affirment que
l’intention de ce dernier était bien de protéger sa concubine, il est à l’inverse relevé que
l’assuré avait été dûment informé de ce que la clause bénéficiaire retenue ne permettait pas de
parvenir à un tel résultat et qu’il n’avait pas réagi à cette information. En d’autres termes,
dans l’affaire berruyère, le conflit opposait la lettre de la clause, qui conduisait à écarter la
concubine au profit des enfants du stipulant, et la volonté de ce dernier, volonté difficilement
déterminable en, l’espèce. Dès lors, n’y avait-il pas véritablement conflit. Ce pourquoi la
Cour énonce qu'en cas de doute, foi est due au titre. Ce n’est que lorsque la volonté du
stipulant est claire et a été mal exprimée dans une clause que l’esprit doit l’emporter sur la
lettre, comme cela avait pu être jugé à Rennes, au profit d’un concubin dans l’arrêt évoqué
précédemment.
163
CA Rennes, 6 nov. 2002 : JCP G 2003, II, 10034, note S. Hovasse ; Dr. famille 2003, comm. 33, note
M. Leroy. 164
v. Cass. 2ème
civ., 7 avr. 2005, n° 04-11.712 : RGDA 2005. 682, note J. Kullmann, admettant une désignation
par lettre simple, dès lors qu’elle était l’expression certaine de la volonté de son auteur alors que la police
exigeait une lettre recommandée 165
Cass. 2ème
civ., 13 juin 2013, n° 12-20.518, préc.
RJP 2015-1 (Novembre)
104
2 – L’attribution par testament du bénéfice de la garantie décès
Comme cela a été rappelé plus haut, il est possible de désigner le bénéficiaire de la garantie
décès d’un contrat d'assurance vie par la voie testamentaire166
. Trois raisons peuvent justifier
le recours à un tel support. D’abord, le testament peut naturellement être l’occasion de
bénéficier des conseils du notaire pour rédiger la clause. Ensuite, dans la continuité, le
recensement du testament au fichier central des dispositions de dernières volontés augmente
les chances de donner efficacité à la clause. Enfin, la voie testamentaire permet de passer
outre les réticences de certains assureurs devant des clauses bénéficiaires perfectionnées,
qu’ils n’ont pas l’habitude de lire et auxquelles, au motif d’un hypothétique risque
d’engagement de leur responsabilité, ils opposent un refus parfaitement injustifié en droit.
Plus original, le recours au testament semble également autoriser le stipulant à évincer les
règles des articles L. 132-12 et L. 132-13 du Code des assurances, de manière à appliquer au
capital versé au bénéficiaire le droit commun des successions et non le droit spécial de
l’assurance167
. On sait en effet que les règles du rapport et de la réduction ne s’appliquent ni
au capital ou à la rente payables au décès du contractant, ni aux primes versées, sauf si celles-
ci ont été manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur, hypothèse rarissime
en raison des contours de cette notion, telle qu’elle a été forgée par la jurisprudence
récente168
. Encore convient-il de préciser que ce retour au droit commun est discuté non
seulement quant à son principe même169
, mais encore quant à ses effets fiscaux170
.
Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Bourges (Bourges, Chambre civile, 27 févr. 2014,
n° 13/00604, JurisData 2014-005086) se rattache à la première série de préoccupations,
encore que la rédaction de la clause eût pu inviter à glisser vers la seconde.
Là encore, faute de rédaction irréprochable, les juges du fond ont dû se livrer à un travail
d’interprétation. On note d’ailleurs que la Cour énonce que « s’il n’est pas contestable que le
contrat d'assurance doit être traité hors succession et que le légataire universel peut être
166
C. assur., art. L. 132-8. 167
Cass. 1ère
civ., 8 juill. 2010, n° 09-12.491 : Bull. civ. I, n° 170 ; RGDA 2010. 1128, note L. Mayaux ;
Defrénois 2011, n° 39225, n° 2, obs. B. Vareille ; RJPF 2010-10/35, n° 10, obs. P. Delmas Saint-Hilaire ;
RTD civ. 2011, p. 167, note M. Grimaldi. – Cass. 1ère
civ., 20 mars 2013, n° 11-27.221 : RGDA 2013. 673, note
L. Mayaux ; Defrénois, 2013. 407, note M. Leroy ; www.actuassurance.com, mars-avr. 2013, n° 30, act. jurispr.,
note M. Robineau. - Adde, Cass. 1ère
civ., 10 oct. 2012, n° 11-17.891 : Bull. civ. I, n° 200 ; RGDA 2013. 160,
note L. Mayaux ; LEDA 2012, n° 159, obs. M. Leroy ; RCA 2013, comm. 72, note Ph. Pierre, Gaz. Pal. 16-
17 nov. 2012, p. 27, note M. Leroy ; RD bancaire et fin. 2013, comm. n° 19, note F. Sauvage ; Dr. et patr. 2013,
n° 227, obs. Ph. Delmas-Saint-Hilaire ; Rev. MJN 2/3013, p. 12, note M. Robineau et L. Villet. 168
Sur cette question, Variations autour du droit de l’assurance vie : petit florilège inspiré par un arrêt du 19
mars 2014, www.actuassurance.com, mars-avril 2014, n° 35, analyses. – J. Aulagnier, Assurance-vie :
l’exclusion des réservataires ou la protection inopérante des primes exagérées : Dr. et patr. 2014, n° 242, p. 20. 169
On lui peut y opposer le caractère d’ordre public de l’article L. 132-13 du Code des assurances (F. Douet,
Retour sur l'intégration volontaire de l'assurance-vie dans la succession : JCP N 2014, act. 178 ; L. Mayaux, note
sous Cass. 1ère
civ., 8 juill. 2010, préc. ; M. Robineau et L. Villet, note préc.). Ce caractère d’ordre public est en
effet affirmé par l’article L. 111-2 du même code. L’argument est cependant écarté par certains auteurs,
s’appuyant notamment sur les premiers commentaires de la loi du 13 juillet 1930, au motif que ne relèvent de
l’ordre public que les dispositions régissant les relations entre assureur et souscripteur (v. not. M. Iwanesko et
M. Leroy, L'intégration volontaire de l'assurance-vie dans la succession : JCP N 2014. 1176 ; M. Leroy et
F. Fruleux, Analyse raisonnée en faveur de l'intégration volontaire de l'assurance-vie dans les opérations
liquidatives, JCP N 2014. 1143). 170
La question est de savoir si l’intégration volontaire de l’assurance vie dans l’actif successoral contamine le
terrain fiscal, ce qui aurait le mérite de la cohérence, ou si elle est cantonnée au terrain civil, ce qui est la thèse
majoritaire (v. not. M. Leroy et F. Fruleux, art préc et réf. cit.), avec le risque, souligné par un auteur (F. Douet,
art. préc.), que l’administration y voie un abus de droit fiscal.
RJP 2015-1 (Novembre)
105
considéré comme l’héritier visé dans la clause bénéficiaire d’un contrat d'assurance vie, ces
principes doivent être appréciés à la lumière de la volonté prioritaire de la testatrice. ».
En l’espèce, l’assurée, dans son testament, avait précisé les quotes-parts de son contrat
d’assurance vie qu’elle voulait voir attribuer aux bénéficiaires désignés. Il devait s’en déduire,
selon la Cour, que le reliquat devait être attribué à des associations, légataires particuliers,
solution corroborée par la mention dans le même testament que son « argent » devait revenir
aux associations.
La solution semble incontestable au regard des faits de l’espèce. En droit, outre les doutes que
l’on peut éprouver quant au maniement des qualifications de légataires, elle pose davantage
questions. Elle suppose d’admettre que le souscripteur d’un contrat d'assurance vie est un
créancier de l’assureur, autrement dit que le droit de rachat est un droit de créance. Or cette
question est discutée en doctrine, tout au moins en droit civil171
. Le droit fiscal, lui, a tranché
puisque les contrats rachetables entrent dans l’assiette de l’ISF172
.
Il n’est du reste par certain que le considérant précité éclaire et justifie véritablement l’arrêt.
En effet, le juge n’a fait qu’articuler deux stipulations compatibles entre elles et contenues
dans un même testament. Il n’a pas évincé le légataire universel, contrairement à ce que la
formule reproduite plus haut pourrait laisser penser.
Quoi qu’il en soit, cette dernière remarque conduit à rappeler qu’en matière d’assurance vie,
lorsque le stipulant désigne ses héritiers en tant que bénéficiaires, le terme héritier renvoie à
l’ordre successoral organisé par la loi ou par la volonté du défunt. Cette position a été
confirmée par le Ministère de l’économie et des finances173
et par le Garde des Sceaux174
:
« Le terme héritier peut être interprété, depuis un arrêt de la première chambre civile du 4
avril 1978, comme renvoyant à l’ordre successoral organisé par la loi ou la volonté du
défunt », rien ne justifiant « de distinguer la notion d’héritier, selon qu’il s’applique en droit
des assurances ou en droit des successions ». Pourra ainsi bénéficier du contrat le légataire
universel, qui exclura un héritier ab intestat175
.
Toutefois, là encore, la règle n’est pas absolue : la jurisprudence tient compte de la volonté du
souscripteur. Il a ainsi pu être décidé que malgré la présence d’une légataire universelle, le
capital devait être partagée entre tous les héritiers car le legs ne faisait pas perdre aux nièces
du souscripteur, parents désignés par la loi, leur qualité d’héritières et que la désignation par
le souscripteur de ses héritiers comme bénéficiaires de son contrat d’assurance vie démontrait
sa volonté de gratifier les personnes ayant cette qualité et non pas seulement celle ayant la
qualité de légataire universelle176
. Il est vrai que la clause avait été rédigée postérieurement au
testament (une solution inverse aurait sans doute été retenue si le testament avait été
postérieur à la clause).
171
Ph. Pierre in H. Goutel, F. Leduc, Ph. Pierre et M Asselain, Traité du contrat d’assurance terrestre,
LexisNexis, Litec, 2008, n° 2179 et s. – J. Aulagnier, Le droit de rachat : un droit de créance discuté : JCP N
1999. 1405. 172
CGI, art. 885 E. – Cependant, font également partie de l’assiette taxable à l’ISF les primes versées après 70
ans sur les contrats on rachetables. 173
RM Roubaud JOAN 1 juin 2008, p. 5182, n° 8657. 174
RM Laffineur, JOAN 20 juillet 2009, p. 7515, n° 44814. 175
Cass. 1ère
civ., 4 avr. 1978, n 76-12.085 : Bull. civ. I, n° 138. 176
Cass. 2ème
civ., 12 mai 2010, n° 09-11.256 : RGDA 2010. 765, note L. Mayaux.
RJP 2015-1 (Novembre)
106
B – La rémunération du généalogiste
Cette remarque n’est pas sans lien avec le dernier arrêt signalé dans cette chronique. La Cour
d’Orléans (Orléans, Chambre civile, 16 sept. 2013, n° 12/03223, JurisData : 2013-019565)
a en effet infirmé un jugement qui avait fixé l'assiette de l'indemnisation du généalogiste à
l'actif net de la succession perçu par chacun des héritiers, tel qu'arrêté par le notaire chargé du
règlement de la succession. Pour la juridiction du second degré, il convient d'allouer au
généalogiste 10 % de l'actif net de toutes les sommes perçues par chacun des héritiers, cette
assiette comprenant également les fonds reçus au titre des assurances vie dont chacun des
héritiers a pu être bénéficiaire.
En l’espèce, le généalogiste réclamait une indemnisation sur le fondement de la gestion
d’affaires, les héritiers ayant refusé de conclure avec lui un contrat de révélation. Le principe
de l’indemnisation étant acquis, deux points étaient en débat : le pourcentage à appliquer aux
sommes perçues par les héritiers retrouvés par le généalogiste, d’une part, et l’assiette sur
laquelle faire porter ce pourcentage, d’autre part. Sur le second point, qui seul mérite
remarque, l’assurance vie étant « hors succession » aux termes des articles L. 132-12 et
L. 132-13 du Code des assurances, les héritiers estimaient que les capitaux perçus ne devaient
pas se voir amputer d’une indemnité au profit du gérant d’affaires.
C’était oublier que la clause bénéficiaire désignait « mes héritiers ». Dès lors, le généalogiste
a pu être pleinement indemnisé, et l’apparente mauvaise foi des héritiers (des neveux et nièces
dont l’arrêt laisse penser qu’ils n’avaient pas fait preuve de soins et d’affection particulière
pour la défunte) sanctionnée. En outre, s’agissant d’appliquer le régime de la gestion
d’affaires, il n’y avait aucune raison de limiter l’assiette de l’indemnisation et d’exclure les
contrats d’assurance vie. Tel n’aurait pas été le cas si les héritiers et le généalogiste avaient
passé entre eux un contrat de révélation et limité l’assiette de la rémunération à l’actif
successoral. Dans une telle hypothèse, les capitaux décès auraient été exclus. Ils n’auraient
intégré l’assiette de l’indemnisation du généalogiste qu’en l’absence de clause bénéficiaire .
En effet, l’article L. 132-11 du Code des assurances dispose que « lorsque l’assurance en cas
de décès a été conclue sans désignation d’un bénéficiaire, le capital ou la rente garantis font
partie du patrimoine ou de la succession du contractant ».
RJP 2015-1 (Novembre)
107
Articles et Mémoires
De la responsabilité à la responsabilisation des dirigeants
Iony Randrianirina
Docteur en droit privé de l’Université de Poitiers
Centre d’Études sur la Coopération Juridique Internationale (FRE 3500)
Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Université de Saint-Étienne
À l’heure où sont définitivement adoptées les différentes réformes destinées à prévenir les
défaillances des entreprises, il est permis au juriste de s’interroger sur le sort réservé à la
responsabilité des dirigeants de sociétés, principalement des sociétés anonymes, celles qui
pèsent le plus lourd dans l’économie mondiale 177
. Le lecteur l’aura compris, l’étude fait
essentiellement référence aux mesures prises à l’issue de la dernière crise financière de 2008.
En effet, en octobre de cette année-là, en Islande, trois des plus grandes banques ont connu
une défaillance financière et devaient, ensemble, plus de soixante milliards de dollars, soit
plus de trois fois le PIB du pays. La couronne islandaise avait, consécutivement, perdu plus
de 50 % de sa valeur en quelques jours 178
. Aux États-Unis, c’est la banque Lehman Brothers
qui avait donné lieu à plus de soixante-quinze procédures de liquidation judiciaire 179
. Cette
suite de défaillances était due à la vente de crédits hypothécaires à taux variable (subprimes) à
des bénéficiaires sans revenus, ni travail, ni fortune 180
. Enfin, la gestion des fonds
alternatifs 181
, notamment les fonds spéculatifs (hedge funds), a en partie été mise en cause 182
.
Craignant que la crise devienne systémique 183
, les États ont dû intervenir à travers des
177
Bien que les sociétés anonymes représentent un peu plus de 3 % du total des sociétés françaises (M. COZIAN,
A. VIANDIER et F. DEBOISSY, Droit des sociétés, 26e éd., Litec, 2013, p. 286, n° 506), cette forme sociale
s’impose pour les grandes entreprises dont les besoins en capitaux ne peuvent être assurés par un cercle restreint
d’associés, et permet de rechercher les capitaux en faisant appel au public et en offrant aux épargnants, en
échange de leurs investissements, des titres négociables (Sociétés commerciales, Mémento pratique Francis
Lefebvre, 2014, p. 491, n° 37010). 178
V. M. WAIBEL, Iceland’s Financial Crisis – Quo Vadis International Law, ASIL Insights 2010, vol. 14, issue
5. 179
Lehman Brother’s bankruptcy, lessons learned for the survivors, août 2009 : www://pwc.com. 180
M. SANTI, « Les banques ont-elles une responsabilité morale dans le déclenchement de la crise ? », RD
bancaire et fin. 2014, n° 3, dossier 18, n° 7, qui dénonce un abus de la finance : « Dans le monde de la finance
globalisée, la fraude n’est pas une anomalie : elle fait partie intégrante du système ». 181
Les fonds d’investissement alternatifs ont fait l’objet d’une définition juridique officielle par l’article 4 de la
directive « AIFM » (Alternative Investment Fund Manager) n° 2011/61/UE du Parlement et du Conseil du 8 juin
2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs. Ils sont donc « des organismes de placement
collectif, y compris leurs compartiments d’investissement, qui lèvent des capitaux auprès d’un certain nombre
d’investisseurs en vue de les investir, conformément à une politique d’investissement définie, dans l’intérêt de
ces investisseurs et ne sont pas soumis à agrément au titre de l’article 5 de la directive n° 2009/65/CE ». 182
F. BUSSIERE, « La directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs », Bull. Joly Bourse
2012, n° 6, p. 255. Notons que dans l’Union européenne, les fonds d’investissement alternatifs gèrent près de
2 200 milliards d’euros, soit 18 % du PIB (B. FRANÇOIS, « Présentation de la directive AIFM et de l’ordonnance
française du 25 juillet 2013 transposant celle-ci », RTDF 2013, numéro spécial « Colloques », p. 3, et « Colloque
international sur la transposition de la directive AIFM », RD bancaire et fin. 2014, n° 1, alerte 6). 183
La crise systémique est définie comme étant « un événement soudain et généralement inattendu [qui] secoue
les marchés financiers et les empêche d’acheminer efficacement le flux de capitaux là où les opportunités
d’investissement sont les meilleures » (F. MISHKIN, cité par Ch. BORDES, « Les banques et le filet de sécurité
contre le risque systémique », in Les banques entre droit et économie, LGDJ, 2006, p. 177 et s.).
RJP 2015-1 (Novembre)
108
recapitalisations importantes, voire des nationalisations temporaires 184
, la contribution des
banques centrales et des injections de fonds publics. Les banques centrales jouent un rôle de
prêteur en dernier ressort lorsqu’elles doivent prêter des fonds à des établissements qui
subissent des pertes sur leurs actifs liquides — crédits à court terme, titres — et ne peuvent
faire face à leurs obligations — notamment aux demandes de retrait des dépôts —, sans
vendre des actifs illiquides — les capitaux des entreprises —, afin de restaurer la confiance
des déposants et éviter une course aux dépôts due à la contagion des comportements des
déposants 185
. Quant à l’injection de fonds publics dans les banques, elle a été mise en œuvre
à hauteur de plusieurs milliards d’euros lorsque d’autres secteurs de l’économie étaient laissés
de côté 186
. En Europe, entre octobre 2008 et la fin de l’année 2010, le total des aides
apportées par les gouvernements aux établissements financiers représentait 36,7 % du PIB de
l’Union européenne 187
.
Afin d’éviter qu’une nouvelle crise systémique se reproduise, les États ont élaboré un
arsenal juridique destiné à prévenir toute défaillance économique des grandes sociétés, à
savoir les sociétés anonymes cotées en bourse, les établissements financiers et les fonds
d’investissement alternatifs. Ainsi, aux États-Unis, le Dodd Frank Wall Street Reform and
Consumer Protection Act, adopté le 21 juillet 2010, pose comme principe général que les
contribuables américains ne financeront pas les coûts relatifs à une nouvelle crise financière.
Dans ce cadre, ont notamment été créés une autorité de protection des consommateurs
(Consumer Financial Protection Bureau), un comité de protection des investisseurs (Investor
Advisory Committee), un Office for the Investor Advocate chargé d’assister les investisseurs
en difficulté, un programme de dénonciation (whistleblower), un bureau de la notation de
crédit (Office of Credit Rating) chargé de la régulation de l’activité de notation, et enfin un
conseil de stabilité financière (Financial Stability Oversight Council) ayant pour mission
d’identifier les risques systémiques. Dans le cadre de l’application du Dodd Frank Act, une
règle dite Volcker prévoit d’abord la séparation des activités les plus risquées de celles qui
sont couvertes par la garantie publique, ensuite une restriction des investissements bancaires
dans les hedge funds et les fonds de capital-investissement (private equity) avec un taux
maximal fixé à 3 % du capital de ces fonds, et enfin une limitation de la taille des banques :
en cas de fusion, la nouvelle société ne doit pas représenter plus de 10 % des parts du marché.
En Europe, un régime de résolution des défaillances des établissements de crédit et des
entreprises d’investissement est actuellement en négociation entre le Parlement, le Conseil et
la Commission européenne 188
. Directement inspiré de celui en vigueur aux États-Unis depuis
le Dodd Frank Act, il cherche à trouver un point d’équilibre entre deux exigences
contradictoires : la préservation des actifs de la banque dans le cadre d’une liquidation
ordonnée, d’une part, et la prévention des effets de contagion et du risque systémique, d’autre
part.
Mais pour l’heure, un ensemble de règles introduit une nouvelle régulation prudentielle 189
à travers ce qu’il est communément appelé le « paquet CRD IV » 190
: la directive n°
184
C’est notamment le cas des banques Northern Rock et Royal Bank of Scotland au Royaume-Uni. 185
Ch. BORDES, « Les banques et le filet de sécurité contre le risque systémique », op. cit. 186
B. LECOURT, « Le gouvernement d’entreprise dans les banques : lorsque le droit des sociétés doit s’adapter au
droit bancaire (transposition de la directive “CRD 4”) », Rev. sociétés 2014, p. 335. 187
H. et A. de VAUPLANE, « La gouvernance des banques à l’issue de la crise du système financier », in
Mélanges en l’honneur et à la mémoire de Philippe Bissara, ANSA, 2013, n° 205, p. 359. 188
COM/2012/0280 final. 189
La régulation prudentielle est définie comme étant un « ensemble de dispositions qui tendent à prévenir un
accroissement trop important des risques pris par les professionnels dans leur activité bancaire ou financière,
pour préserver tant la sécurité de la clientèle de ces professionnels que le bon fonctionnement du système
bancaire et financier et, au-delà, l’équilibre de l’économie » (M.-M. VEVERKA, et E. FERNANDEZ-BOLLO, JCl.
RJP 2015-1 (Novembre)
109
2013/36/UE du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des
établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des
entreprises d’investissement — dite directive CRD 4 —, et le règlement (UE) n° 575/2013 du
Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 — dit règlement CRR 191
—, concernant les
exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises
d’investissement. Dès lors, l’ordonnance française n° 2014-158 du 20 février 2014 192
, portant
diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière
financière, a transposé la directive CRD 4 et adapté le droit français au règlement CRR en
modifiant certaines dispositions du Code monétaire et financier. L’article L. 511-1 prévoit
ainsi la séparation des services bancaires et crée, d’une part, des établissements de crédit
agréés pour recevoir des fonds du public et octroyer du crédit, et d’autre part, des sociétés de
financement qui conduisent seulement des opérations de crédit. Ces dernières ne pourront
plus se refinancer auprès de la Banque centrale européenne. Par ailleurs, la loi n° 2013-672 du
26 juillet 2013 193
interdit aux établissements de crédit, aux compagnies financières et aux
compagnies financières holding mixtes dont les activités sur instruments financiers dépassent
des seuils fixés par décret, d’effectuer certaines opérations autrement que par l’intermédiaire
d’une filiale dédiée. Celle-ci ne pourra recevoir de dépôts couverts par la garantie des dépôts.
Les plus grandes banques françaises devront alors filialiser leurs opérations sur instruments
financiers pour compte propre de l’établissement, ainsi que toute opération pour compte
propre non garantie par des sûretés et conclue avec des organismes de placement collectifs à
effet de levier et autres véhicules similaires 194
. L’objectif affiché de cette obligation de
cloisonner certaines activités dans une filiale dédiée est de « garantir la stabilité financière et
la solvabilité à l’égard des déposants, leur absence de conflits d’intérêts avec leurs clients et
leur capacité à assurer le financement de l’économie » 195
. Le paquet CRD IV impose
également aux établissements bancaires et financiers de respecter des ratios prudentiels
calculés en fonction du niveau de leurs fonds propres et de leur exposition aux risques 196
. Les
filiales dédiées devront elles aussi respecter des ratios prudentiels sur base individuelle, et les
établissements de crédit devront les exclure du périmètre de consolidation. Elles seront donc
traitées comme des entités tierces aux groupes pour l’application de la réglementation des
grands risques. Enfin, toute souscription par la maison mère à une augmentation de capital de
la filiale devra obtenir l’autorisation de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
(ACPR).
Les activités des fonds d’investissement alternatifs ont également fait l’objet d’un
encadrement plus sévère. La directive AIFM exige ainsi des gestionnaires un niveau minimal
de capital initial et de fonds propres 197
. Le capital initial doit être d’au moins 125 000
Banque-Crédit-Bourse, mai 2006, Fasc. n° 60 : Autorité de contrôle des institutions bancaires et financières.—
Statut, n° 2). 190
Capital Requirements Directive. 191
Capital Requirements Regulation. 192
Décr. n° 2014-785 du 8 juillet 2014 relatif au seuil prévu à l’article L. 511-47 du Code monétaire et financier,
JO n° 0158 du 10 juillet 2014, p. 11447. 193
JO 27 juill. 2013, p. 12530. 194
Des exceptions sont toutefois prévues. Les établissements de crédit pourront notamment, dans certains cas,
négocier directement des instruments financiers pour compte propre. Il s’agit principalement d’autoriser les
activités qui répondent aux besoins des clients ou qui permettent de couvrir les risques des établissements. 195
Loi du 26 juillet 2013, art. 2. 196
Les économistes distinguent trois grands types de risques bancaires : le risque de crédit ou risque de défaut,
lié aux prêts octroyés, le risque de taux lié aux taux d’intérêt pratiqués qui, en cas de forte hausse inattendue,
peuvent mettre en difficulté les banques trop exposées à ce risque, et enfin le risque de marché lié aux opérations
sur les marchés de produits dérivés ou des changes (Ch. BORDES, « Les banques et le filet de sécurité contre le
risque systémique », op. cit.). 197
Directive AIFM, art. 9.
RJP 2015-1 (Novembre)
110
euros 198
. De plus, un montant de fonds propres supplémentaires est exigé lorsque les
portefeuilles des fonds d’investissement alternatifs gérés par le gestionnaire excèdent 250
millions d’euros 199
. Pour finir, la directive AIFM ajoute que les sociétés de gestion, « pour
couvrir les risques éventuels en matière de responsabilité professionnelle auxquels sont
exposés les gestionnaires dans le cadre des activités qu’ils exercent […] doivent soit disposer
de fonds propres supplémentaires d’un montant suffisant pour couvrir les risques éventuels en
matière de responsabilité pour négligence professionnelle ou être couverts par une assurance
de responsabilité civile professionnelle ».
Il est aisé de constater que les mesures prises par les États constituent un véritable arsenal
destiné à prévenir tout risque systémique. Or, si certaines difficultés financières prennent
naissance dans un contexte économique fragile 200
, d’autres, en revanche, sont le résultat de
fautes de gestion ou de défaillances dans la mission de contrôle, directement imputables aux
dirigeants. Que l’on se souvienne seulement de l’affaire Vivendi Universal 201
, de l’affaire
Madoff — du nom du banquier américain ayant recouru à la pyramide de Ponzi dans un but
purement spéculatif 202
—, ou encore de l’affaire Kerviel dans laquelle trois class actions
(actions de groupe) ont été intentées contre la Société Générale, son P.-D.G. et l’un de ses
administrateurs 203
.
Face aux nouvelles mesures de prévention des défaillances financières, dont certaines ne
sont pas encore en vigueur, il apparaît légitime de se poser la question de savoir si les
arsenaux juridiques mis en place prévoient une responsabilisation plus accrue des dirigeants.
Au terme d’une recherche menée en ce sens, il faut remarquer qu’en cas de liquidation
judiciaire révélant une faute de gestion ayant conduit à une insuffisance d’actif, la
responsabilité des dirigeants n’est que théorique. En effet, si des cas de responsabilité civile et
pénale sont prévus par les lois des différents pays, en pratique, toutefois, les actions sont
rarement intentées pour amener les dirigeants à répondre de leurs fautes et notamment à
réparer le préjudice subi par la société. Les ministères publics peinent d’autant plus à
poursuivre les dirigeants que certaines banques avaient été estimées « too big to fail » 204
. Les
responsabilités sont d’autant moins recherchées dans un contexte où des systèmes d’assurance
privée de responsabilité civile, importés d’outre-Atlantique, sont admis par les tribunaux afin
d’inciter les dirigeants à prendre les risques financiers inhérents à leurs fonctions, sans
craindre les foudres de la justice. Ainsi, il est constaté une difficile mise en œuvre de la
responsabilité des dirigeants (I).
198
Ce capital est porté à 300 000 euros pour les fonds d’investissement alternatifs autogérés. 199
Dans ce cas, un montant supplémentaire de 0,02 % du montant du portefeuille excédant 250 millions d’euros
est exigé, en sachant que le montant du capital ne peut excéder dix millions d’euros. 200
Que l’on pense notamment à la déflation des années 1930, aux chocs pétroliers de années 1970, aux krachs de
1987 et de 1991, à la crise asiatique de 1997, à la banqueroute russe de 1998 et à la crise argentine de 2000. 201
Dans laquelle les dirigeants étaient accusés de délit d’initié, de diffusions d’informations fausses ou
trompeuses et d’abus de biens sociaux (Lire not. F. STASIAK, « Affaire Vivendi Universal : condamnation des
dirigeants pour infractions boursières », RSC 2012, p. 571). 202
La pyramide de Ponzi, du nom de son inventeur, un banquier d’origine italienne des années 1920, est un
mécanisme financier consistant à promettre et à servir à des investisseurs des revenus élevés, lesquels ne peuvent
être payés que par des prélèvements sur les apports de futurs investisseurs. Le procédé est nécessairement voué à
un échec qui survient lorsque l’initiateur de la pyramide a épuisé la population des souscripteurs qu’il peut
solliciter. Pour une synthèse, lire J.-H. ROBERT, « L’affaire Madoff et ses suites », RTDF 2013, numéro spécial,
p. 69. 203
Une (08 CV 2495) introduite le 5 mars 2008, une autre le 14 mars 2008, et une troisième (08 CV 2901) le 19
mars 2008 (J. EL AHDAB, « La prise en charge financière par la société de la responsabilité de ses dirigeants :
vers un modèle américain ? », Rev. sociétés 2008, p. 239 et s., note n° 131). Pour une synthèse, lire V. WESTER-
OUISSE, « Responsabilité civile et responsabilité pénales pour dommages boursiers : troublante affaire Kerviel »,
RCA 2013, n° 5, dossier 32. 204
Litt. « trop gros pour faire faillite ». Cette théorie économique décrit la situation d’un établissement financier
dont la liquidation aurait des conséquences systémiques désastreuses sur l’économie.
RJP 2015-1 (Novembre)
111
Sans doute cette mise en cause n’a-t-elle pas lieu d’être grâce à la prévention, en amont,
des difficultés. En effet, lorsque la société est in bonis, un cadre juridique prévoit un
gouvernement des sociétés 205
essentiellement fondé sur un système collégial, censé prévenir
toute défaillance qui créerait un risque systémique. Un tel gouvernement permet de
responsabiliser tous les acteurs de la vie économique de la société : directeurs généraux,
membres du directoire, membres du conseil d’administration et du conseil de surveillance, et
même les actionnaires. Il s’agit d’une véritable responsabilisation préventive des
dirigeants (II).
I. LA DIFFICILE MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ DES
DIRIGEANTS
En théorie, lorsque la procédure de liquidation judiciaire d’une société fait apparaître une
insuffisance d’actif due à une faute de gestion, plusieurs textes prévoient la mise en jeu de la
responsabilité civile et/ou pénale des dirigeants. Mais en pratique, les actions sont rarement
intentées (A). Quand bien même elles le sont, des systèmes d’assurances de responsabilité
sont admis par les tribunaux, ce qui contribue à la déresponsabilisation des dirigeants (B).
A. Des actions en responsabilité rarement intentées
Sur la mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants ayant commis des fautes de gestion
contributives d’une liquidation judiciaire, les dispositions légales sont légion, tant en matière
civile qu’en matière pénale.
Ainsi, l’article L. 651-2 du Code de commerce prévoit que « lorsque la liquidation
judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en
cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de
cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou
de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de
dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables ».
Devant les juridictions commerciales, la responsabilité délictuelle peut également être
recherchée sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, mais seulement par un
créancier de la société en difficulté ou un associé, et pour des faits antérieurs au jugement
d’ouverture de la procédure collective. Si le créancier demandeur doit justifier d’un préjudice
personnel distinct de celui des autres créanciers — lequel est inhérent à la procédure —, et
rapporter l’existence d’une faute séparable des fonctions de gérance 206
, l’associé, quant à lui,
doit établir un préjudice distinct de celui subi par la société 207
. Une telle action de droit
commun n’est recevable qu’en l’absence d’insuffisance d’actif car si une faute commise par
les dirigeants a contribué à une insuffisance d’actif, l’action en responsabilité ne peut être
exercée que sur le fondement de l’article L. 651-2 du Code de commerce 208
. C’est ainsi que
205
Le terme est issu de la terminologie anglo-saxonne corporate governance. C’est ainsi qu’il est plus courant de
lire sous la plume des auteurs spécialistes la traduction littérale « gouvernance d’entreprise ». 206
Com., 16 avr. 1991, Bull. Joly 1991, p. 705, note J.-J. DAIGRE ; Rev. sociétés 1992, p. 102, note Y. CHAPUT ;
D. 1995, p. 390, note F. DERRIDA.— Com., 7 mars 2006, n° 04-16.536 ; Bull civ. IV, n° 61; D. 2006, AJ, 857,
obs. A. LIENHARD.— Voir également, pour la reconnaissance d’un préjudice subi par le créancier, Com., 11 oct.
1994, Bull. civ. IV, n° 281, p. 225.— Com., 19 déc. 1995, Bull. civ. IV, n° 309, p. 283. 207
Com., 9 mars 2010, n° 08-21.547 ; Bull. civ. IV, n° 48; D. 2010, AJ, 761, obs. A. LIENHARD. 208
Cela était déjà le cas sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985. En ce sens, lire M.-C. PINIOT,
« Responsabilité civile des dirigeants sociaux. Non-cumul du droit des sociétés et du droit des procédures
collectives », RJDA 1995/7, p. 639 : « L’ouverture d’une procédure collective emporte, pour les dirigeants
sociaux, attraction et même absorption des règles de leur responsabilité par le régime dérogatoire organisé par la
RJP 2015-1 (Novembre)
112
la Cour de cassation juge que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif —
anciennement dénommée action en comblement de passif — ne se cumule, au cas où la
procédure fait apparaître une insuffisance d’actif, ni avec l’action en responsabilité des
dirigeants propre au droit des sociétés, ni avec l’action en responsabilité de droit commun des
articles 1382 et 1383 du Code civil 209
. L’exclusivité de l’action en comblement de
l’insuffisance d’actif entraîne dès lors l’impossibilité de la cumuler avec celle fondée sur les
articles 1382 et 1383 du Code civil 210
. Les actions étant d’ailleurs ouvertes à des catégories
différentes de demandeurs, il est plus exact d’évoquer un concours qu’un cumul d’actions 211
.
Parallèlement, le Code de commerce énonce des sanctions pénales punissant l’abus de
biens sociaux et la banqueroute. Le premier délit consiste, pour les dirigeants mis en cause, à
« faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à
l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise
dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement » 212
, et la banqueroute, définie
à l’article L. 654-2 du Code de commerce, est caractérisée dans des « malversations dans le
but de différer l’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire,
qu’elles aient ou non pour effet d’aggraver le déficit » 213
. S’agissant de ces deux délits, les
actions introduites contre les dirigeants se cumulent aisément avec l’action fondée sur l’article
L. 651-2 du Code de commerce. En effet, la jurisprudence rappelle que l’action indemnitaire
exercée par le liquidateur contre les dirigeants condamnés pour abus de biens sociaux et pour
banqueroute présente une cause et un objet différents de celle tendant à rechercher leur
responsabilité pour insuffisance d’actif, pendante devant la juridiction commerciale 214
.
Par ailleurs, tant en matière de responsabilité civile que pénale, les juges sont unanimes à
sanctionner aussi bien les dirigeants de droit que les dirigeants de fait 215
. En matière bancaire,
la notion de dirigeant de droit et de dirigeant de fait est la même qu’en droit commun 216
.
loi de 1985, tant en ce qui concerne les fautes de nature à engager leur responsabilité, que les personnes
susceptibles de la mettre en cause et le préjudice donnant lieu à réparation ». 209
Com., 28 févr. et 20 juin 1995, Bull. civ. IV, n° 60, p. 57 et n° 187, p. 174 ; D. 1995, p. 390, obs. F.
DERRIDA ; RJDA 1995/7, n° 904 ; RTD com. 1995, p. 663, note J.-P. HAEHL.— Paris, 4 juill. et 15 sept. 1995, D.
aff. 1995, p. 90 et 25. 210
Com., 28 févr. 1995 et 20 juin 1995, n° 93-12.810 ; Bull. civ. IV, n° 60, p. 57 et n° 187, p. 174 ; D. 1995, p.
390, obs. F. DERRIDA ; RTD com. 1995, p. 663, note J.-P. HAEHL ; D. aff. 1995, p. 25 et 90. 211
E ce sens, F. POLLAUD-DULIAN, « De quelques avatars de l’action en responsabilité civile dans le droit des
affaires », RTD com. 1997, p. 349 et s. : « Souvent, on parle de cumul, mais en réalité, il est rare que le
demandeur puisse cumuler des actions. Il est même rare qu’il puisse choisir entre plusieurs actions. Il s’agit
plutôt de concours, c’est-à-dire d’actions en responsabilité intentées par des demandeurs différents contre une
même personne ». 212
C. com., art. L. 242-6, al. 1er
, 3°. 213
D. PASCAL, Rép. dr. pén. et pr. pén., V° Banqueroute, 2006, n° 1. L’article L. 654-2 du Code de commerce
identifie plus précisément le fait d’ « avoir, dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de
redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, soit fait des achats en vue d’une revente au-dessous du
cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds » (1°), d’ « avoir détourné ou dissimulé tout
ou partie de l’actif du débiteur » (2°), d’ « avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur » (3°),
d’ « avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l’entreprise ou de la
personne morale ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation »
(4°), ou enfin d’ « avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des
dispositions légales ». 214
Crim., 31 mai 2006, n° 05-86.396, Juris-Data n° 2006-034488.— Voir également Com., 29 févr. 2000, Bull
civ. IV, n° 42 ; Bull. Joly 2000, 597, note B. SAINTOURENS ; D. aff. 2000, AJ, 158, obs. A. LIENHARD, qui admet
qu’une condamnation pénale pour abus de biens sociaux n’exclut pas une condamnation au titre d’une
insuffisance d’actif.— À l’inverse, une condamnation pour insuffisance d’actif n’empêche pas l’exercice d’une
action civile pour banqueroute et abus de biens sociaux : Crim., 21 nov. 2001, RJDA 2002, n° 3, n° 287. 215
Ainsi en est-il en matière d’abus de biens sociaux (Crim., 3 mai 1967, n° 66-92.965, Bull. crim., n° 148,
concernant le président du conseil d’administration d’une banque qui a consenti des avances à une société
dirigée par son frère, en violation des statuts de cet établissement de crédit) et de banqueroute (Crim., 7 déc.
RJP 2015-1 (Novembre)
113
La responsabilité pour insuffisance d’actif étant appréciée selon le droit commun, les juges
doivent identifier une faute, un dommage et le lien de causalité entre la faute et le dommage,
étant entendu que la faute ne peut être qu’une faute de gestion. Selon une partie de la doctrine,
la faute de gestion, plus large que la faute dans la gestion, peut être un acte positif ou une
abstention, volontaire ou d’imprudence, légère ou dolosive 217
. Elle consiste dans la mauvaise
appréciation de la situation 218
. D’aucuns considèrent que toute situation critiquable peut
constituer une faute de gestion 219
, et qu’au fond, « la faute de gestion révèle plutôt
l’entêtement dans l’erreur » 220
. C’est donc cette faute de gestion qui est exigée dans le cadre
de l’action pour insuffisance d’actif. S’agissant des administrateurs des sociétés anonymes, le
désintérêt, l’absence d’un contrôle sérieux de l’administration de la société est considérée
comme une faute de gestion par les tribunaux 221
. Le dommage, quant à lui, dans le droit des
1992, n° 92-80.627 ; Bull. crim., n° 402.— Crim., 26 sept. 2001, Dr. sociétés 2002, n° 91, obs. J.-P. LEGROS.—
Crim., 17 nov. 2004, Dr. pén. 2005, n° 61, obs. J.-H. ROBERT). En ce qui concerne l’action en responsabilité
pour insuffisance d’actif, c’est le législateur lui-même qui pose le principe à l’article L. 651-2, al. 1er
. Les
dirigeants de droit s’entendent des « organes légaux de la personne morale, régulièrement désignés » (Ch.
HANNOUN, JCl. Procédures collectives, Fasc. 2905 : Redressement et liquidation judiciaires.— Dirigeants
sociaux. Sanctions patrimoniales.— Responsabilité pour insuffisance d’actif. Obligation aux dettes sociales,
n° 14), à savoir les présidents de conseils d’administration (Com., 25 juin 1991, n° 88-14.373, inédit), les
administrateurs et membres des directoires (Com., 15 janv. 1974, BRDA 1979, n° 9, p. 12), ou encore les
directeurs généraux adjoints (Com., 3 mars 1981, JCP G 1982, II, 19754 ; RTD com. 1982, p. 463, n° 7, obs.
MERLE ; Rev. sociétés 1982, p. 564, note HEMARD). Quant aux dirigeants de fait, ce sont les personnes physiques
ou morales qui, s’immisçant dans les fonctions de directeur, accomplissent des actes positifs de gestion ou de
direction en toute indépendance (Com., 12 juill. 2005, n° 02-19.860 ; Juris-Data n° 2006-029487 ; Bull. civ. IV,
n° 174.— Com., 30 mai 2006, n° 05-14.958 ; Juris-Data n° 2006-033831.— Com., 27 juin 2006, n° 04-15.831 ;
Juris-Data n° 2006-034269 ; D. 2006, p. 2534, note R. DAMMANN et J. PASZKUDZKI.— Voir également J.-L.
RIVES-LANGE, « La notion de dirigeant de fait au sens de l’article 99 de la loi du 13 juillet 1967 sur le règlement
judiciaire et la liquidation des biens », D. 1975, chron., p. 41). Aussi en est-il de l’investisseur qui, par ses
interventions, dépasse un simple rôle de conseil technique et financier et exerce en fait un pouvoir de direction
sur les organes de gestion de la société conseillée, placés ainsi en état de dépendance (Com., 6 févr. 2001, Juris-
Data n° 2001-008025), des membres du conseil de surveillance lorsqu’ils ont exercé une activité positive (Com.,
12 juill. 2005, JCP G 2006, I, 115, n° 8, J.-J. CAUSSAIN, F. DEBOISSY et G. WICKER ; D. 2005, p. 2071,
A. LIENHARD ; Bull. Joly 2006, p. 22, § 4, avis Av. gén. Lafortune et note B. SAINTOURENS ; Rev. proc. coll.
2006, p. 290, n° 2, obs. A. MARTIN-SERF), de l’associé fondateur qui paie les fournisseurs de ses propres deniers
(Com., 28 oct. 2008, n° 07-16.779 ; Juris-Data n° 2008-045600), de celui qui, sans être administrateur, participe
aux délibérations du conseil d’administration (Com., 24 janv. 1984, Bull. civ. IV, n° 31), de la société mère qui
exerce une influence prédominante sur sa filiale et dispose ainsi d’une autorité de fait (Com., 6 juin 2000, n° 96-
21.134 ; Juris-Data n° 2000-002567), du conseil juridique, quand bien même son statut lui interdit l’exercice
d’une activité commerciale (Com., 14 mai 1996, n° 93-13.059), ou encore du banquier ayant choisi une personne
physique exerçant sous son emprise des pouvoirs de direction dans la société en difficulté (Com., 27 juin 2006,
n° 04-15.831 ; Juris-Data n° 2006-034269 ; D. 2006, p. 2534, note R. DAMMANN et J. PASZKUDZKI). 216
Ch. LEGUEVAQUES, Droit des défaillances bancaires, Economica, 2002, p. 507 et s., n° 984 et s. 217
F. DERRIDA, P. GODE et J.-P. SORTAIS, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, 3e éd., Dalloz,
1991, p. 439. 218
M. PARIENTE, « L’action en comblement d’insuffisance d’actif : définition de la faute de gestion et nature
juridique de l’action », Rev. sociétés 1994, p. 778 et s. 219
J. BLANCHARD, Revue des procédures collectives, 1993, p. 584. 220
D. TRICOT, « La responsabilité des dirigeants d’entreprise en France », Les Petites Affiches 2007, n° 249, p.
54 et s. 221
Com., 25 mars 1997, n° 95-10.995, Droit et Patrimoine, juin 1997, p. 89, n° 1703, obs. J.-P. BERTREL, RJDA,
7/1997, n° 966.— Voir égal. Com., 30 mars 2010, n° 08-17.841, JurisData n° 2010-002958 ; D. 2010, p. 960,
qui énonce que lorsque le conseil d’administration ou le directoire d’une société anonyme prend une décision
fautive, chaque membre qui y participe commet une faute individuelle. L’administrateur qui souhaite éviter
d’être associé à la faute du conseil d’administration doit « démontrer qu’il s’est comporté en administrateur
prudent et diligent ». L’arrêt fait donc peser une présomption de faute sur les administrateurs en cas de décision
fautive du conseil. Il rejoint en cela la décision que la Cour de cassation avait rendue, dans la même affaire, le 6
décembre 2005 (Bull. civ. 2005, IV, n° 239 ; Bull. Joly Bourse 2006, p. 31, note Th. BONNEAU ; D. 2006, p. 136,
obs. V. AVENA-ROBARDET ; RTD com. 2006, p. 177, obs. D. LEGEAIS.— Lire égal. D. ROBINE, « Faillite de
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114
procédures collectives, consiste dans l’insuffisance d’actif que le tribunal apprécie au jour où
il statue 222
.
Les fondements de la responsabilité pour insuffisance d’actif peuvent être recherchés dans
la faute, mais aussi dans le risque. Certains auteurs considèrent ainsi que la notion de risque
comme fondement de la responsabilité joue un rôle dans la sévérité que la jurisprudence
manifesterait notamment à l’égard des établissements financiers. M. le professeur Rives-
Lange et Mme le professeur Contamine-Raynaud estiment, en ce sens, que « les banques
représentent une puissance économique considérable et se livrent à une activité à risque
contre laquelle il convient de protéger la société. Si la création d’un risque n’entraîne pas en
droit français ipso facto, la responsabilité de son auteur, elle incite les juges à se montrer plus
sévères dans l’appréciation des fautes commises » 223
. M. le professeur Pollaud-Dulian, quant
à lui, pose la question de savoir si « à travers le choix de la personne poursuivie en
responsabilité civile, on ne recherche pas une entreprise solvable susceptible d’assumer le
montant des réparations, davantage qu’un responsable véritablement fautif. Même si ce
phénomène reste marginal, il traduirait une incursion de la garantie ou du risque dans un
secteur de responsabilité toujours dominé par la faute » 224
. C’est en tout cas la solution
admise dans les systèmes anglo-saxons qui recherchent la responsabilité dans la personne des
deep pockets, plus solvables. Les dirigeants des sociétés anonymes sont donc traités sur un
pied d’égalité, qu’ils gèrent un établissement de crédit, un fonds d’investissement ou une
société commerciale classique 225
.
La plupart des systèmes de droit étrangers prévoient également la mise en jeu de la
responsabilité des dirigeants en cas d’insuffisance d’actif causée par une faute de gestion.
Ainsi, la jurisprudence américaine connaît la doctrine du piercing of corporate veil ou du
lifting of corporate veil 226
qui consiste à lever l’écran de la personnalité morale, notamment
pour rétablir l’égalité des créanciers dans une procédure collective 227
. Au Royaume-Uni,
l’exception de lifting of corporate veil est rarement appliquée 228
. Elle ne l’est que pour
sanctionner les actes illicites commis par les actionnaires au nom de la société 229
. En effet,
nombre de dirigeants, associés et administrateurs abusent de la personnalité morale. La
banque : recours du Fonds de garantie des dépôts », Act. proc. coll. 2006, p. 1 ; RD bancaire et fin. 2006, comm.
51, obs. F. J. CREDOT et Th. SAMIN). 222
Com. 18 févr. 1992, RJDA 1992/5, n° 521. 223
J.-L. RIVES-LANGE et M. CONTAMINE-RAYNAUD, Droit bancaire, 6e éd., Dalloz 1995, n° 168, p. 153.
224 F. POLLAUD-DULIAN, « De quelques avatars de l’action en responsabilité civile dans le droit des affaires »,
op. cit. Cela apparaît d’ailleurs dans les actions dirigées contre les établissements de crédit des entreprises
soumises à une procédure collective (not. Paris 6 janv. 1977, D. 1977, IR, 44, obs. M. VASSEUR ; JCP 1977, II,
18689, obs. J. STOUFFLET ; Banque 1977, p. 476, obs. MARIN). 225
Aucune atténuation de responsabilité n’est observée à l’égard des dirigeants de banques au motif qu’il serait
plus difficile d’évaluer un produit financier complexe qu’un produit industriel : « bien au contraire, le banquier
est considéré comme un professionnel du risque : on attend de lui qu’il les maîtrise mieux qu’une entreprise
quelconque » (Ch. NOYER, « Les banques se gouvernent-elles comme d’autres entreprises ? », in Les banques
entre droit et économie, op. cit., p. 315, n° 966). 226
J. MACEY and J. MITTS, « The Three Justifications for Piercing the Corporate Veil », in John M. Olin Center
for Studies in Law, Economics and Public Policy, Research paper no. 488. La règle est définie comme suit :
« Piercing the corporate veil is not a principle but a process by which the court remove the cover of separate
from the corporation to find out the person who is working behind it » (J. MCKAY, AG Equitycorp Industries
Group Ltd [1996] 1 NZLR (CA), cité par L. Ch. BISWAS, « Approach of the UK Court in Piercing Corporate
Veil », January 13, 2011, p. 3, http://ssrn.com/abstract=2438217). 227
Par exemple, extension à la société mère de la procédure introduite contre sa filiale : les créanciers de la
filiale peuvent déclarer leurs créances contre la société mère. 228
L. Ch. BISWAS, « Approach of the UK Court in Piercing Corporate Veil », op. cit., p. 5 et s. 229
Ibidem, p. 7 : « If it is appeared to the court that the company is nothing else but the agent of the shareholders
in that case they will pierce the veil. If it does not appear so, the court will never lift the corporate veil ».
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115
doctrine du lifting of corporate veil agit donc comme un garde-fou 230
. En revanche, une fois
que le director sait ou devrait savoir qu’il n’existe pas de chance raisonnable d’éviter la
liquidation de la société, il est tenu de faire ce qui est raisonnable afin de minimiser le
préjudice des créanciers. S’il continue à endetter l’entreprise, il encourt le risque d’être
poursuivi par le syndic pour wrongful trading et d’être condamné à contribuer aux pertes de la
société et indemniser les créanciers 231
.
Le droit belge connaît également l’équivalent de notre action en responsabilité pour
insuffisance d’actif. Le Code belge des sociétés prévoit ainsi en son article 530, § 1, qu’ « en
cas de faillite de la société et d’insuffisance de l’actif et s’il est établi qu’une faute grave et
caractérisée dans leur chef a contribué à la faillite, tout administrateur ou ancien
administrateur, ainsi que toute autre personne qui a effectivement détenu le pouvoir de gérer
la société, peuvent être déclarés personnellement obligés, avec ou sans solidarité, de tout ou
partie des dettes sociales à concurrence de l’insuffisance d’actif » 232
.
Le droit allemand, en revanche, ne met à la charge du directoire aucune obligation de
combler le passif 233
. La seule responsabilité des dirigeants consiste à déposer le bilan dans les
délais impartis, et une faute de gestion commise avant le dépôt de bilan ne justifie qu’une
demande de la société envers ses dirigeants. Mais aucun fondement spécifique n’existe à la
responsabilité des dirigeants envers la société en difficulté. Néanmoins, si le manquement à
l’obligation de saisine aux fins d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire a
conduit à la cessation des paiements ou au surendettement de la société, le préjudice sera en
théorie double : le préjudice principal de la société et le préjudice spécifique né de la tardiveté
de la saisine. Le conseil de surveillance, quant à lui, engage sa responsabilité s’il n’a pas réagi
aux fautes évidentes du directoire et n’a par conséquent pas pu éviter l’état d’insolvabilité de
la société. Le conseil de surveillance est également responsable dans les hypothèses où il a eu
connaissance de l’insolvabilité de la société et de la tardiveté du dépôt de bilan par le
directoire 234
.
Ainsi, comme chacun peut le constater, les textes sont assez sévères dans la sanction, tant
civile que pénale, des manquements ayant contribué à l’insuffisance d’actif. Cependant, en
pratique, il peut paraître regrettable que les actions soient rarement mises en œuvre. Ainsi, en
2002, aucun des hauts fonctionnaires à la tête des banques nationalisées en difficulté —
Crédit Lyonnais, Worms, UIC Sofal, CDE — n’a été poursuivi sur ses deniers personnels.
Mais, comme le fait remarquer un auteur, « il est vrai que, compte tenu des enjeux financiers
en cause, une telle poursuite représente plus une vengeance qu’une véritable nécessité
230
Ibidem, p. 4 : « Owing to the opportunity of corporate personality many directors, shareholders and other
responsible persons of the company abuse of this power. To defeat such kind of misuse the doctrine of lifting
corporate veil works as a safeguard ». 231
Insolvency Act 1986, art. 214. 232
La faute grave étant « celle qu’un dirigeant raisonnablement prudent et diligent n’aurait pas commise et qui
heurte les normes essentielles de la vie en société » (Comm. Bruxelles, 10 sept 1985, RDC 1987, p. 523.—
Comm. Charleroi, 8 sept 1992, RPS 1993, p. 329), la faute caractérisée suppose que le comportement incriminé
doit pouvoir être perçu comme gravement fautif par tout homme raisonnable (Y. de CORDT et F. MAGNUS, « Les
sanctions du pouvoir en droit belge des sociétés », in Le pouvoir dans les sociétés, travaux de l’association Henri
Capitant, Bruylant, 2012, p. 475). En revanche, la preuve que la faute a contribué à la faillite est suffisante, sans
qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre la faute et l’insuffisance d’actif (Mons,
22 mars 1993, RPS 1993, p. 328.— Bruxelles, 22 mars 2005, JLMB 2006, p. 341.— Comm. Charleroi, 16 déc.
2008, RDC 2000, p. 642). 233
Ch. TEICHMANN, « Le dirigeant d’Aktiengesellschaft en Allemagne », in La direction des sociétés anonymes
en Europe. Vers des pratiques harmonisées de gouvernance ?, sous la dir. de Y. CHAPUT et A. LEVI, Litec, 2008,
p. 51 et s., n° 104. 234
Ch. TEICHMANN, « Le dirigeant d’Aktiengesellschaft en Allemagne », op. cit., p. 53 et s., n° 108. L’action
avait été intentée contre 46 dirigeants de la banque Pallas Stern dont les fautes de gestion avaient été reconnues
(Ch. LEGUEVAQUES, Droit des défaillances bancaires, op. cit., p. 529, n° 1020).
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116
économique » 235
. D’ailleurs, la seule fois où les juges avaient prononcé une condamnation de
dirigeants à combler le passif, ce fut moins pour sanctionner que pour inciter les actionnaires
à réagir en vue de contribuer à réparer le préjudice de la société liquidée. « Tirer d’abord et
négocier ensuite » 236
. En réaction de la décision judiciaire, les actionnaires personnes morales
avaient spontanément fait une offre de contribution au comblement du passif. L’offre ayant
été homologuée par le tribunal 237
, les demandeurs avaient mis fin aux poursuites civiles 238
.
La dernière mise en cause des dirigeants concerne l’affaire Kerviel et a eu lieu aux États-
Unis 239
.
Si l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif revêt, en pratique, un caractère
anecdotique, l’action récursoire prévue au bénéfice du Fonds de garantie des dépôts, en
revanche, est systématiquement intentée 240
. La dernière action en date est celle engagée
contre les dirigeants du Crédit Martiniquais et accueillie par la Cour de cassation le 30 mars
2010 241
.
Parallèlement, il est tout aussi déplorable que la responsabilité pénale des dirigeants soit
difficilement engagée. Le délit d’abus de biens sociaux, par exemple, s’il peut être caractérisé
en matière bancaire 242
, il obéit néanmoins à un régime dérogatoire au droit commun de
l’infraction d’abus de biens sociaux. Ainsi, le tribunal de grande instance de Paris a-t-il jugé,
le 14 avril 1999 243
, que l’objet social fondamental d’une banque résidant dans la distribution
de crédit à tout client, en conséquence, l’octroi par un établissement de crédit d’un concours à
ses dirigeants ne peut a priori être présumé illicite. Dès lors, pour qu’un concours soit
susceptible de recevoir la qualification d’abus de biens sociaux ou de crédit, il faut constater
qu’au jour de sa conclusion, il a été accordé en faisant obstacle à la mission du contrôle
interne concernant en particulier la prise des garanties possibles (sûretés économiques ou
juridiques), eu égard à la nature de l’opération, en violation des règles prudentielles bancaires,
et de manière contraire à l’intérêt social de la banque, l’opération devant impérativement
présenter un caractère courant et être conclue à des conditions normales. Toutes ces
circonstances font en effet peser un risque anormal et injustifié sur l’établissement de crédit.
235
Ch. LEGUEVAQUES, Droit des défaillances bancaires, op. cit., p. 509 et s., n° 986. 236
L’expression est empruntée à Ch. LEGUEVAQUES, Droit des défaillances bancaires, op. cit., p. 529, n° 1019. 237
Trib. com., Paris, 7 sept. 1998, n° RG 97 076614, n° PC 961200, 01/10/97, inédit. 238
On peut alors lire sous la plume des premiers juges que « l’obligation au comblement de l’insuffisance d’actif
[…] a un caractère patrimonial et indemnitaire, que les dispositions de ce texte ne font pas obstacle à ce que les
dirigeants de droit ou de fait des sociétés débitrices participent volontairement à l’apurement du passif même
s’ils ne reconnaissent pas leur responsabilité et sans que celle-ci soit constatée ». Ainsi, selon le tribunal, la loi
lui donne « la faculté, si les contributions sont effectives et s’il les estime suffisamment significatives,
d’apprécier leur caractère satisfactoire au regard de l’article 180 de la loi du 25 janvier 1985, sans avoir à
rechercher plus avant les responsabilités encourues ». Par la suite, « eu égard au caractère satisfactoire des offres
et au comblement de l’insuffisance d’actif ainsi obtenu, le tribunal dira n’y avoir lieu à statuer plus avant au titre
de l’article 180 à l’égard de quiconque et qu’en conséquence il conviendra de mettre fin aux opérations
d’expertise devenues sans objet et de rejeter comme inutiles, inopérantes ou mal fondées, toutes conclusions plus
amples ou contraires des parties et de les en débouter ». En revanche, l’action en comblement du passif ayant été
engagée, il n’avait pas été possible aux dirigeants de transiger sur cette action (Ch. LEGUEVAQUES, Droit des
défaillances bancaires, op. cit., p. 531, n° 1024). 239
Cf. supra, note n° 27. 240
C. mon. fin., art. L. 312-6, al. 2 : « Le fonds de garantie peut engager toute action en responsabilité à
l’encontre des dirigeants de droit ou de fait des établissements pour lesquels il intervient aux fins d’obtenir le
remboursement de tout ou partie des sommes versées par lui ». 241
Com., 30 mars 2010, pourvoi n° 08-17.841, D. 2010, p. 1678, obs. B. DONDERO ; Rev. proc. coll. 2010, n° 3,
comm. 136, comm. Th. BONNEAU. 242
Voir par exemple Trib. corr., 10 déc. 1976, JurisData n° 60053 ; Rev. jur. comm. 1978, p. 122, note
CHEYRON : « Commet le délit d’abus de biens sociaux le gérant d’une banque qui utilise à des fins personnelles
une partie de la clientèle, en se faisant remettre personnellement des fonds, tout en remettant des reçus sur des
papiers de la société, qui était ainsi engagée à rembourser des sommes qu’elle n’avait pas encaissées ». 243
TGI Paris, 11e ch., 14 avr. 1999, Gaz. Pal. 2000, n° 50, p. 9, note C. TARDO-DINO.
RJP 2015-1 (Novembre)
117
En droit américain, la qualification pénale est souvent retenue. Aussi en est-il en matière
de fausses déclarations sur la santé financière de l’entreprise – False Statement Act –,
spécialement pour les sociétés cotées – Securities Exchange Act de 1934. Pour citer un autre
exemple, la loi Sarbanes-Oxley de 2004 oblige le président-directeur général et le directeur
financier d’une société cotée à certifier les comptes comme exacts et sincères, et à mettre en
place les procédures de contrôle leur permettant de faire une telle déclaration sous peine
d’amendes civile et pénale sévères ainsi que d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à
vingt ans.
On peut également se poser la question de la responsabilité des associés, bien que le propre
de la société par actions soit de limiter leur responsabilité. Cependant, en ce qui concerne les
établissements de crédit, l’article 52, alinéa 1er
, de la loi du 24 janvier 1984, donne au
gouverneur de la Banque de France la faculté d’inviter les actionnaires à fournir à
l’établissement de crédit le soutien qui lui est nécessaire en cas de défaillance financière.
Toutefois, la Cour d’appel de Paris a jugé que la prérogative reconnue par l’article 52, alinéa
1er
, « n’est pas juridiquement contraignante, dès lors que le texte ne prévoit aucune sanction
contre l’actionnaire qui n’a pas répondu positivement à « l’invitation » et que les engagements
d’un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci 244
.
C’est ainsi que l’ordonnance du 12 mars 2014 a inséré un article L. 631-9-1 au Code de
commerce, qui a pour objet de forcer la main des actionnaires. À défaut de reconstitution des
capitaux propres conformément à l’article L. 626-3, l’administrateur a qualité pour demander
la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée compétente et de voter à la
place du ou des actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit, en faveur d’une ou de
plusieurs personnes qui s’engagent à respecter le plan, une modification du capital ou des
cessions de parts sociales, de titres de capital ou de valeurs mobilières donnant accès au
capital. Cette disposition n’est toutefois prévue que dans le cadre d’un redressement
judiciaire.
La rareté des actions visant à sanctionner les dirigeants ayant contribué, par leurs fautes, à
une insuffisance d’actif ne signifie pas, loin de là, nous l’avons vu, que les textes ne prévoient
rien, bien au contraire. Mme le professeur Saint-Alary-Houin rappelle d’ailleurs qu’ « en
réalité, les sanctions demeurent dans les procédures et sont appliquées. En pratique, se produit
souvent un partage des actions : le ministère public intente les poursuites pour banqueroute et
faillite personnelle ; les mandataires judiciaires les actions en responsabilité quand le dirigeant
est solvable et lorsqu’ils disposent de fonds pour les mettre en œuvre » 245
. Simplement, les
actions sont rares. Mais la simple possibilité d’exercer les actions est la raison pour laquelle
des systèmes d’assurance privée permettent de mettre les dirigeants à l’abri d’avoir à payer de
leurs propres deniers. Or, ces mécanismes ne font que contribuer à leur déresponsabilisation.
B. Un système d’assurance de responsabilité
La déresponsabilisation des dirigeants à l’issue d’une procédure de liquidation judiciaire
née d’une faute de gestion ne trouve pas un fondement clair dans les droits continentaux.
Dans les systèmes anglo-saxons, en revanche, elle peut se justifier par la business judgment
244
Paris, 1re
ch. A, 13 janvier 1998, RTD com. 1998, p. 390, obs. M. CABRILLAC ; Les Petites Affiches 1998, n°
83, p. 20, note F.-J. CREDOT.— Lire également M.-A. FRISON-ROCHE, « L’invitation de l’article 52 de la loi
bancaire », RD bancaire et bourse 1996, p. 86. 245
C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Risques et responsabilités en droit des procédures collectives », Rev. pr. coll.
2010, n° 6, dossier 14.
RJP 2015-1 (Novembre)
118
rule qui peut se traduire par la règle de « prise de décision stratégique souveraine » 246
ou
encore par la « règle de bon sens commercial » 247
. Selon ce principe, il est admis que les
sociétés sont dirigées par des professionnels présumés compétents et les juges ne doivent pas
s’ingérer dans leurs affaires. Les tribunaux n’ont pas à se prononcer sur l’opportunité d’une
décision de gestion apparaissant motivée prise par un dirigeant. Cette décision est présumée
avoir été prise de façon informée, de bonne foi et dans le meilleur intérêt de la société, sauf
preuve contraire – cas de mauvaise foi ou de conflit d’intérêts 248
. Si les directors ont jusqu’à
maintenant rarement été poursuivis en responsabilité aux Etats-Unis, ils le sont parfois en cas
de faute grave (gross negligence)249
. Par ailleurs, les règles de l’Etat du Delaware sont
muettes en matière de responsabilité civile des dirigeants. Les règles sont par conséquent
entièrement jurisprudentielles, et depuis deux siècles, elles sont influencées par l’equity 250
.
La majorité des Etats autorisent la limitation de responsabilité des dirigeants dans les
statuts, à l’égard de la société et/ou des actionnaires. Deux types d’assurance existent : la
société peut, d’une part, souscrire une assurance pour le compte de ses dirigeants, ou d’autre
part, directement prendre en charge les sanctions pécuniaires éventuellement prononcées à
l’encontre de ses mandataires sociaux – condamnation à des dommages et intérêts, frais de
justice, etc. 251
. Les sociétés américaines assurent systématiquement leurs dirigeants contre la
mise en jeu de leur responsabilité par le biais de polices communément connues sous le nom
de Directors’ and Officers’ insurance (D&O insurance). Concrètement, la société s’engage à
indemniser le dirigeant des frais de justice engagés ainsi que des dommages et intérêts
auxquels il est condamné 252
.
En France, ce type d’assurance ne serait que de peu d’intérêt car la prise en charge de la
responsabilité ne pourrait avoir lieu qu’en cas d’action par les tiers, donc seulement en cas de
faute détachable des fonctions. Or, le risque est élevé et aurait un coût exorbitant. La seule
possibilité envisageable est d’assurer la responsabilité du dirigeant à l’étranger, dans des pays
où la responsabilité personnelle est plus aisément admise, notamment aux États-Unis, même
s’ils ont agi dans le cadre de leurs fonctions 253
.
La question se pose en doctrine de savoir quels critères de qualification retenir concernant
la validité d’une telle convention d’assurance. Ni le Code civil, ni le Code des assurances ne
définissent l’opération d’assurance. Ce que l’on sait, c’est qu’elle est constituée de trois
éléments fondamentaux : le risque, la prime et la prestation de l’assureur. Le risque est celui
de voir la responsabilité du dirigeant engagée. La prestation de l’assureur consiste à prendre
en charge les sanctions pécuniaires prononcées à son encontre. En définitive, c’est la prime en
contrepartie de cette prestation qui semble faire défaut : son paiement est-il prévu directement
par le dirigeant ou sous forme de déductions mensuelles sur son salaire ?
Une autre question se pose, celle de savoir si une telle convention relève des conventions
de l’article L. 225-43 du Code de commerce qui interdit aux administrateurs de faire avaliser
par la société leurs engagements envers les tiers. La doctrine majoritaire s’accorde à
246
J. EL AHDAB, « La prise en charge financière par la société de la responsabilité de ses dirigeants : vers un
modèle américain ? », op. cit., n° 35. 247
J. RIGGS, « Le devoir de loyauté des dirigeants sociaux en droit américain », Gaz. Pal. 2000, n° 340, p. 62, p.
62. 248
J. RIGGS, « Les principes juridiques de la responsabilité des dirigeants aux États-Unis », Les Petites Affiches
2007, n° 249, p. 54 et s. 249
ibidem. 250
ibidem. 251
Voir par exemple l’article 145 du RMBCA. 252
J. M. PEREZ, « Esquisse sur la responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit américain », Rev. sociétés
2003, p. 195. 253
J. EL AHDAB, « La prise en charge financière par la société de la responsabilité de ses dirigeants : vers un
modèle américain ? », op. cit., n° 39.
RJP 2015-1 (Novembre)
119
considérer que l’aval doit être entendue, en l’espèce, de façon restrictive et ne doit viser que la
garantie des engagements personnels du dirigeant, position suivie par la jurisprudence 254
. En
effet, comme le fait remarquer un auteur, « le but précis et recherché de cet article consiste
avant tout à prévenir et empêcher les crédits personnels, autrefois généreusement et
abusivement consentis par une société à ses dirigeants. Or, par hypothèse ici, il ne s’agit pas
d’une dette de nature personnelle qu’aurait contractée le dirigeant, mais d’une créance de
dommages-intérêts judiciairement et directement sanctionnée, certes sur son patrimoine
personnel, mais uniquement en raison de ses fonctions sociales » 255
.
Pour en revenir à la nature de la prime d’assurance, on sait qu’au terme d’une
jurisprudence constante, un avantage octroyé à un dirigeant peut s’analyser en un complément
de rémunération lorsque d’une part, il est consenti en contrepartie de services particuliers
rendus à la société par le dirigeant pendant l’exercice de son mandat, et d’autre part, il est
proportionnel à ces services, de façon à ne pas constituer une charge excessive pour la
société 256
. À défaut de réunion de ces trois conditions, l’avantage sera assimilé à une
indemnité particulière constitutive d’une convention conclue entre la société et l’un de ses
dirigeants et donc soumise à la procédure obligatoire de l’article L. 225-38 du Code de
commerce 257
. En tout état de cause, pour la majorité des auteurs, la prise en charge d’une
assurance de responsabilité civile du dirigeant ne relèverait pas de la procédure des
conventions réglementées dans la mesure où d’une part, le contrat d’assurance n’est pas
conclu entre la société et l’un de ses dirigeants, mais entre la société et une compagnie
d’assurance sur le fondement d’une stipulation pour autrui, et d’autre part, le dirigeant ne
saurait être considéré comme une personne directement intéressée 258
.
À ce stade de l’étude, force est de constater que finalement, aucune leçon ne semble avoir
été tirée des crises financières dues à des fautes de gestion : les dirigeants post-crise semblent
être encore plus à l’abri de poursuites judiciaires. La nouvelle maxime de Wall Street et de la
City le prouve bien : « I’ll Be Gone, You’ll Be Gone » 259
. Cela étant, le problème tend peut-
être à disparaître, étant donné une forte responsabilisation préventive des dirigeants en amont,
dans le but de maintenir la société in bonis.
II. LA RESPONSABILISATION PRÉVENTIVE DES DIRIGEANTS
Afin d’éviter l’apparition de toute difficulté financière telle qu’un état de cessation des
paiements, des règles de gouvernance stricte s’imposent aux dirigeants. Ainsi, la direction de
la société se révèle être beaucoup plus collégiale, ce qui est censé conjurer toute défaillance
économique (A). Par ailleurs, les actionnaires ne sont pas en reste puisque leur contrôle est de
plus en plus encouragé par les législateurs (B).
254
Com., 12 avr. 1983, Gaz. Pal. 1983, 2, pan. 239, note DUPICHOT.— Com., 26 avr. 2000, Bull. civ. IV, n° 87 ;
JCP E 2000, n° 30, p. 1234, note Y. GUYON ; Bull. Joly 2000, p. 705, note A. COURET ; Rev. sociétés 2000, p.
531, note Ph. DELEBECQUE ; D. 2000, AJ, p. 270, obs. M. BOIZARD ; RTD com. 2000, p. 669, obs. CHAZAL et
REINHARD ; Banque et Droit juill.-août 2000, p. 54, obs. RONTCHEVSKY ; RD bancaire et fin. 2000, n° 149, obs.
D. LEGEAIS. 255
J. EL AHDAB, « La prise en charge financière par la société de la responsabilité de ses dirigeants : vers un
modèle américain ? », op. cit. 256
Voir not. Com., 11 oct. 2005, RJDA 2006/2, p. 164. 257
En ce sens, J. EL AHDAB, « La prise en charge financière par la société de la responsabilité de ses dirigeants :
vers un modèle américain ? », op. cit., n° 68. 258
Comité juridique ANSA, déc. 2005, n° 05-062, Régime des instruments et pensions de retraite des dirigeants
et information sur leurs rémunérations, avantages et indemnités, spéc. p. 7.— J. MONNET, JCl. Sociétés, Traité,
Fasc. 132-15, 2003 : Assurance de responsabilité – Dirigeants sociaux, spéc. n° 22. 259
Litt. « je ne serai plus là, vous ne serez plus là » (M. SANTI, « Les banques ont-elles une responsabilité morale
dans le déclenchement de la crise ? », op. cit., n° 10).
RJP 2015-1 (Novembre)
120
A. Une direction plus collégiale de la société
La notion de gouvernement d’entreprise est née d’une doctrine anglo-saxonne sur la
corporate governance destinée à prévenir les dysfonctionnements des conseils
d’administration par la mise en place de contrepouvoirs, à la suite des affaires de corruption
de grande ampleur des années 1990 260
.
En France, le gouvernement d’entreprise a été élaboré par le rapport Viénot I de 1995,
lequel a introduit un conseil d’administration indépendant de la gestion et des actionnaires 261
.
Ainsi, suivant une conception dominante en gestion des entreprises, le gouvernement
d’entreprise peut s’entendre des structures, procédures et pratiques qui précisent le
fonctionnement des organes de direction de façon à ce que soient préservés les intérêts des
parties prenantes 262
.
Si le gouvernement d’entreprise fait aujourd’hui l’objet d’un encadrement plus rigoureux,
c’est parce que les autorités de l’Union européenne estiment que des risques excessifs ont été
pris dans le secteur des services financiers en raison justement des lacunes de la gouvernance
d’entreprise dans un grand nombre d’établissements financiers 263
. Les dirigeants et conseils
d’administration auraient en effet sous-estimé les risques engendrés par de nouveaux produits
financiers particulièrement complexes 264
. Il convenait alors d’imposer des normes
contraignantes, le code de gouvernement d’entreprise diffusé par l’AFEP 265
et le MEDEF 266
n’étant alors qu’un corpus de recommandations et de préconisations dépourvu de toute
sanction coercitive 267
. Il a été reproché aux établissements financiers de ne pas avoir assuré
un véritable équilibre des pouvoirs, en raison d’un faible contrôle des décisions prises en
matière de gestion 268
. L’objectif des réformes n’est pas de punir les banques, mais de
260
Notamment du scandale Lockheed aux États-Unis et de l’affaire Maxwell en Grande-Bretagne (J. SIMON,
« Origine et évolutions du gouvernement d’entreprise à la française de 1995 à nos jours », in Mélanges en
l’honneur et à la mémoire de Philippe Bissara, op. cit., p. 302). 261
À l’appui de ce système, le rapport a défini l’intérêt social comme étant « l’intérêt supérieur de la personne
morale elle-même c’est-à-dire de l’entreprise considérée comme un agent économique autonome, poursuivant
ses fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de ses salariés, de ses créanciers dont le fisc,
de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt général commun, qui est d’assurer la
prospérité et la continuité de l’entreprise » (Lire Ph. BISSARA, « Les véritables enjeux du débat sur le
gouvernement d’entreprise », Rev. sociétés 1998, p. 5.— Ph. BISSARA, R. FOY et A. de VAUPLANE, « Droit et
pratique de la gouvernance des sociétés cotées », Bull. Joly 2007, p. 12.— J. SIMON, « Origine et évolutions du
gouvernement d’entreprise à la française de 1995 à nos jours », op. cit.). 262
J.-P. HELFER, M. KALIKA et J. ORSONI, Management – Stratégie et organisation, 8e éd., Vuibert, 2010, spéc.
p. 449. 263
Les auteurs anglo-saxons dénoncent le fait que des « failures in the corporate governance of banks
contributed to the financial crisis » (lire not. K. J. HOPT, « Corporate Governance of Banks after the Financial
Crisis », August 29, 2011, in Financial Regulation and Supervision, a Post-Crisis Analysis, by E. Wymeersch,
K. J. Hopt, G. Ferrarini, eds., Oxford University Press, 2012, p. 337 ; D. H. ERKENS, M. HUNG and P. MATOS,
« Corporate Governance in the 2007-2008 Financial Crisis : Evidence from Financial Institutions Worldwide »,
January 15, 2012, Journal of Corporate Finance, vol. 18, 2012 ; A. N. BERGER, B. IMBIEROWICZ and Ch.
RAUCH, « The Role of Corporate Governance in Bank Failures during the Recent Financial Crisis », April 2014,
http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2021799). 264
The high-level group on financial supervision in the UE, rapport Jacques de LAROSIÈRE, 2009. 265
Association française des entreprises privées. 266
Mouvement des entreprises de France. 267
Code AFEP-MEDEF, éd. 2013, art. 20 et 25. 268
Directive CRD 4, considérants n° 53 et s.— Lire égal. le Livre vert sur « Le gouvernement d’entreprise dans
les établissements financiers et les politiques de rémunération », COM (2010), 284 final, juin 2010. Certains
auteurs reprochent toutefois aux autorités européennes de trop insister sur la responsabilité des conseils
d’administration dans le déclenchement de la crise financière, sans tenir compte des facteurs macroéconomiques
RJP 2015-1 (Novembre)
121
s’assurer qu’à l’avenir, elles ne prennent plus de risques disproportionnés par rapport aux
besoins de l’économie 269
.
Si des réformes spéciales ont été menées pour les établissements financiers, les sociétés
cotées et les fonds d’investissement alternatifs, il faut constater une certaine uniformité dans
les mesures prises, ce qui s’explique aisément par la structure des entreprises concernées. En
effet, elles adoptent en majorité la forme de sociétés anonymes à conseil d’administration
avec unicité des fonctions 270
. Le législateur européen exigeant que les établissements
financiers aient la personnalité morale, et le Comité des établissements de crédit et des
entreprises d’investissement prescrivant l’existence d’un organe collégial dans un souci de
renforcer l’équilibre dans l’exercice des fonctions de direction et de contrôle, quelle que soit
la forme juridique adoptée, la forme la plus répandue reste la société anonyme 271
.
Parmi les règles communes aux sociétés cotées, aux établissements financiers et aux fonds
d’investissement alternatifs, trois grands axes se dessinent : la soumission obligatoire à un
code de gouvernement, la dissociation des fonctions de président du conseil d’administration
et de directeur général, et enfin la création d’un organe de contrôle des risques.
Concernant les sociétés cotées, c’est la directive n° 2006/46 du 14 juin 2006 272
qui leur
impose de se référer à un code de gouvernement d’entreprise. À défaut de s’y conformer, elles
doivent expliquer les raisons pour lesquelles elles ne s’y réfèrent pas ou n’appliquent pas
certaines de ses recommandations 273
. Le code de gouvernement en vigueur est celui élaboré
par l’AFEP et le MEDEF en juin 2013 274
. Quant aux établissements financiers, c’est la
directive CRD 4 qui sanctionne les sociétés qui n’ont pas mis en place un dispositif de
gouvernement d’entreprise 275
. S’agissant des fonds d’investissement alternatifs, l’obligation
de se conformer à un gouvernement d’entreprise est imposée par la directive AIFM 276
.
(not. B. LECOURT, « La directive “CRD 4” du 26 juin 2013 et les mesures ayant trait au gouvernement
d’entreprise », Rev. sociétés 2013, p. 654). 269
B. BREHIER et F. MEKOUI, « Réflexions sur la loi de séparation et de régulation des activités bancaires :
quelles conséquences pour la structure des banques, l’organisation des marchés et la supervision ? », Bull. Joly
Bourse, sept. 2013, n° 9, p. 422.— Lire égal. H. et A. de VAUPLANE, « La gouvernance des banques à l’issue de
la crise du système financier », op. cit., p. 359 : « Le changement dans la gouvernance des banques constitue
donc une piste nécessaire et indispensable pour éviter que celles-ci recommencent à prendre les niveaux de
risques inconsidérés aboutissant à la création d’un risque systémique ». 270
D’aucuns déplorent que le système français délaisse la société à directoire « alors que deux structures de
direction sont offertes dans notre pays » (B. FRANÇOIS, « Recommandation AMF DOC-2013-20 – Rapport 2013
de l’AMF sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants des valeurs moyennes et petites 18
novembre 2013 », Rev. sociétés 2014, p. 66). 271
Ch. NOYER, « Les banques se gouvernent-elles comme d’autres entreprises ? », op. cit., p. 315, n° 964.— À
noter également que le Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, chargé de vérifier
l’adéquation de la forme juridique de l’entreprise à l’exercice de l’activité d’établissement de crédit, n’a jusqu’ici
jamais agréé en qualité de banque des sociétés à responsabilité limitée (Rapport du Comité, 2004, p. 106 et s.). 272
codifiée dans la directive comptable n° 2013/34/UE du 26 juin 2013. 273
Directive n° 2013/34/UE du 26 juin 2013, art. 20. Cette règle, dite « comply or explain », est aujourd’hui
insérée à l’article L. 225-37 du Code de commerce. 274
Pour les petites et moyennes capitalisations, le code de gouvernement applicable est le code Middlenext. 275
Not. déclaration publique précisant l’identité de l’établissement, injonction, retrait d’agrément, interdiction
provisoire frappant les dirigeants d’exercer des fonctions dans des établissements de crédit ou des entreprises
d’investissement, sanctions pécuniaires d’un montant maximal de 10 % du chiffre d’affaires annuel net
(Directive CRD 4, art. 67, § 1, d et § 2). 276
Son considérant n° 22, notamment, dispose qu’ « il est nécessaire que l’activité des gestionnaires fasse l’objet
d’un contrôle de gouvernance strict. Les gestionnaires devraient être gérés et organisés de manière à réduire au
minimum les conflits d’intérêts. Les exigences organisationnelles énoncées par la présente directive ne devraient
pas préjuger les régimes et contrôles instaurés par le droit national pour l’enregistrement des personnes
physiques travaillant chez ou pour un gestionnaire ».
RJP 2015-1 (Novembre)
122
Par ailleurs, dans les trois types de sociétés, le législateur enjoint les dirigeants à séparer
les fonctions de président du conseil d’administration de celles de directeur général 277
. Faut-il
comprendre ici une importation du gouvernement d’entreprise pratiqué aux États-Unis ? Le
principe posé par le RMBCA (Revised Model Business Corporation Act), sorte de code type
des sociétés transcrit dans le droit positif de plus de la moitié des États fédérés 278
, est la
gestion par le conseil d’administration (board of directors). Ce sont donc les directors qui
sont responsables devant les actionnaires, mais ils délèguent les affaires quotidiennes à des
officers (gérants) : CEO, CFO, etc. Mais ces derniers, qui détiennent très souvent des mandats
de directors, encourent dès lors la même responsabilité dans leur gestion 279
.
Enfin, dans chacune des trois structures, les textes imposent la création d’un organe chargé
de contrôler les décisions de prise de risques financiers. Pour les sociétés cotées, c’est la
directive 2006/43/CE qui impose la mise en place d’un comité d’audit afin d’assurer
l’efficacité des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques. Pour les établissements
financiers, c’est l’article 76, §3, de la directive CRD 4, qui impose la création d’un comité des
risques composé d’administrateurs et qui a pour mission de conseiller l’organe de direction au
regard des stratégies globales en matière de risques. Les établissements doivent également
disposer d’une « fonction de gestion du risque », indépendante des fonctions opérationnelles,
et dirigée en principe par un membre de la direction générale 280
. En droit français,
parallèlement à la création du comité des risques, l’ordonnance du 20 février 2014 prévoit la
nomination d’un responsable de la gestion des risques 281
, lequel peut être un dirigeant ou une
autre personne si cette dernière dispose d’une position hiérarchique suffisamment élevée pour
exercer sa mission de façon indépendante.
À côté d’un gouvernement d’entreprise plus collégial, il est proposé que les actionnaires
soient plus impliqués dans la gestion des sociétés anonymes.
B. Un contrôle plus accru des actionnaires
Une proposition de directive est en discussion en vue de promouvoir l’engagement à long
terme des actionnaires 282
. Elle vise la modification de la directive n° 2007/36/CE du 11 juillet
2007 concernant l’exercice de certains droits des actionnaires de sociétés cotées. De manière
plus générale, cette proposition devrait permettre de prévenir les défaillances dues à une
gouvernance insatisfaisante des sociétés cotées par leurs conseils d’administration, leurs
actionnaires — investisseurs institutionnels et gestionnaires d’actifs —, les intermédiaires et
277
Pour les établissements financiers, c’est l’article 88, § 1, e, de la directive CRD 4, transposé à l’article L. 511-
58 du Code monétaire et financier, qui interdit le cumul. 278
Même quand il n’est pas transcrit dans le droit interne d’un État, il est souvent cité par les tribunaux. En effet,
le droit des sociétés dépend du droit applicable dans chaque État et non du système fédéral. Il faut noter qu’une
large majorité des sociétés commerciales (corporations) est créée selon le droit de l’État du Delaware qui a
élaboré un droit souple, la corporate law, ou Delaware General Corporations Law (DGCL), qui sert de
référence à toutes les sociétés commerciales américaines. D’ailleurs, les plus importantes sociétés américaines
ont leur siège dans cet État. Sur ce point, lire J. RIGGS, « Le devoir de loyauté des dirigeants sociaux en droit
américain », op. cit. — J. M. PEREZ, « Esquisse sur la responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit
américain », op. cit. 279
J. RIGGS, « Les principes juridiques de la responsabilité des dirigeants aux États-Unis », op. cit.— Lire aussi
J. EL AHDAB, « La prise en charge financière par la société de la responsabilité de ses dirigeants : vers un modèle
américain ? », op. cit., n° 35. 280
Directive CRD 4, art. 76, § 5). Le comité des risques doit donc être distinct du comité d’audit, ce qui va dans
le sens des vœux doctrinaux (Lire not. B. LECOURT, « Le gouvernement d’entreprise dans les banques… », op.
cit.). 281
C. mon. fin., art. L. 511-64 et s. 282
COM (2014), 213 final, 9 avril 2014.
RJP 2015-1 (Novembre)
123
les conseillers en vote — les entreprises qui fournissent des services aux actionnaires,
notamment des conseils de vote. Les actionnaires devraient pouvoir exercer plus facilement
leurs droits, voire les renforcer. Notons que le Code de commerce octroie déjà des droits non
négligeables aux actionnaires. Ces derniers décident notamment du montant des jetons de
présence que le conseil d’administration partagera entre les administrateurs 283
. En outre, ils
autorisent un plan de stock options 284
et approuvent les conventions réglementées attribuant
des rémunérations liées à la cessation des fonctions de dirigeant 285
. Désormais, le § 24.3 du
code AFEP-MEDEF introduit un vote consultatif des actionnaires sur la rémunération
individuelle des dirigeants, appelé say on pay. Il s’agit d’un vote ex-post sur le montant ou la
valorisation des éléments de la rémunération due ou attribuée au cours du dernier exercice
clos, à l’inverse d’un vote ex-ante sur la politique de rémunération de l’exercice en cours. Le
texte recommande de soumettre aux actionnaires une résolution pour le directeur général ou le
président du directoire, et une autre pour les directeurs généraux délégués ou autres membres
du directoire 286
.
En matière bancaire, le Comité des établissements de crédit et des entreprises
d’investissement subordonne parfois l’agrément à la signature par l’actionnaire majoritaire
d’une lettre dite de confort ou de parrainage par laquelle il s’engage à exercer une
surveillance sur la gestion de l’établissement de crédit en cause afin que la société soit
toujours en mesure de respecter les obligations imposées par la réglementation bancaire en
vigueur, ainsi qu’à répondre à toute demande du gouverneur de la Banque de France de
fournir à l’établissement le soutien financier nécessaire, conformément au premier paragraphe
de l’article 52 de la loi bancaire de 1984 287
.
Les catégories d’actionnaires les plus intéressées par un renforcement de leurs droits sont
incontestablement les investisseurs institutionnels. Certains auteurs craignent dès lors un
phénomène du free rider (« passager clandestin »). Mme le professeur François, notamment,
redoute que « les actionnaires qui possèdent peu d’actions [soient] enclins à différer leur
surveillance dans l’espoir que d’autres s’en chargeront et qu’eux-mêmes en profiteront sans
en assumer le coût, ce qui peut décourager l’actionnaire assurant ce contrôle qui n’en recueille
le bénéfice qu’à proportion de sa détention d’actions » 288
.
On peut le constater, le cadre juridique prévu concernant le gouvernement d’entreprise
paraît suffisamment strict afin de prévenir tout risque de défaillance financière et donc tout
risque de crise systémique. En effet, des contrôles sont instaurés à tous les niveaux de la
gestion, et l’accentuation des droits des actionnaires ne peut que contribuer à la politique de
prévoyance adoptée par les différents gouvernements.
Cependant, l’enthousiasme peut être assombri par le constat de l’absence de règles aussi
drastiques à l’égard des dirigeants dans l’hypothèse où, malgré une prévention en amont des
difficultés, la société vient à être liquidée. Les propos développés en première partie de cette
étude montrent que dans ce cas, on assiste à une véritable déresponsabilisation des dirigeants.
283
C. com., art. L. 225-45. 284
C. com., art. L. 225-177. 285
C. com., art. L. 225-42-1. 286
Pour plus de détails sur le say on pay vote, lire B. DONDERO, « Le code AFEP-MEDEF révisé : un nouveau
départ », Rev. sociétés 2014, p. 7 ; B. FRANÇOIS, « Recommandation AMF n° 2013-15 – Rapport 2013 de
l’AMF sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants », Rev. sociétés 2014, p. 65, et
« Guide d’application du code AFEP-MEDEF de gouvernement d’entreprise, Rev. sociétés 2014, p. 270 ; S.
ROUSSEAU, « Le Say on Pay : l’expérience nord-américaine », RTD com. 2014, p. 461. 287
L’article 52, alinéa 1er
, de la loi du 24 janvier 1984, donne au gouverneur de la Banque de France la faculté
d’inviter les actionnaires à fournir à l’établissement de crédit le soutien qui lui est nécessaire en cas de
défaillance financière. 288
B. FRANÇOIS, « Le renforcement des règles de transparence pour les investisseurs institutionnels », Rev.
sociétés 2013, p. 399.
RJP 2015-1 (Novembre)
124
Sans doute Mme le professeur Coquelet avait-elle raison en écrivant que « décidément, il
devient nécessaire que le droit des entreprises en difficulté et le droit des sociétés cessent
simplement de cohabiter et qu’un dialogue se noue entre ces deux branches du droit pour
qu’existe enfin un droit des sociétés en difficulté, digne de ce nom » 289
.
Au terme de cette recherche, un bilan peut être dressé entre l’appréhension de la
responsabilité des dirigeants dans une société in bonis et celle dans une société en liquidation
judiciaire. Alors que cette responsabilité est aujourd’hui fortement encadrée tant que la
société est in bonis, elle est pratiquement inexistante en cas d’insuffisance d’actif générée par
des fautes de gestion. L’explication est sans doute simplement celle fournie par Mme le
professeur Saint-Alary-Houin : « alors que le traitement du risque est mécanique et objectif,
l’appréciation des responsabilités repose sur celle des comportements » 290
.
289
M.-L. COQUELET, « Risques, responsabilités des associés d’une société en procédure collective », Rev. proc.
coll. 2010, n° 6, dossier 6, n° 23. 290
C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Risques et responsabilités en droit des procédures collectives », op. cit.
RJP 2015-1 (Novembre)
125
La responsabilité de l’Opérateur du Transport Multimodal en doit français
Będkowski Szymon
Mémoire présenté en vue de l’obtention du Master Droit, économie, gestion, mention droit
privé, spécialité droit des affaires international et européen, Université d’Orléans, UFR DEG
– Université Jagellone, Cracovie. Sous la Direction de Carine Laurent-Boutot
Introduction
L’accroissement intensif des échanges internationaux de marchandises qui a eu lieu au
début du XXème siècle a montré très clairement la nécessité du développement du transport
en utilisant une variété de moyens. Cependant, en raison de l’approche sectorielle au
processus de déplacement des marchandises, les points de contact des branches de transport
étaient très souvent négligés. Et c’est justement le transport multimodal qui englobe toutes ces
points et les branches. Il répond aux besoins économiques du transport moderne, et constitue,
en outre un reflet du progrès en matière de technique et de standardisation du transport de
marchandises par les unités de cargaison tels que les palettes ou les conteneurs, d'une part
permettant de simplifier la passation des contrats, et de l'autre part la réclamation des recours
par l’expéditeur de la marchandise.
Il faut souligner que malgré la récession on n’a pas observé une baisse de l'utilisation
des conteneurs. Les statistiques de bande passante par les 10 ports les plus grands du monde
sont optimistes, et on a connu pendant quatre ans291
une croissance de 6% à près de 50% du
nombre de conteneurs expédiés292
. Cela signifie que malgré la diffraction du commerce
mondial, la popularité des services de type door-to-door293
présente toujours la tendance
croissante.
Le transport multimodal écarte l'approche traditionnelle: un mode de transport - un
contrat. Au lieu de conclure plusieurs contrats l'expéditeur contracte seulement avec une
entité, qui le libère de l'organisation de l'ensemble du projet de déplacement de marchandises.
Cependant, le contrat, dont l'objet est d'organiser le processus du transport à l'aide de
différents modes de transport, crée de nombreux de problèmes juridiques dans le monde des
conventions unimodales. Le transport multimodal place au centre une figure d'organisateur,
entrepreneur du transport, qui est le seul cocontractant de l'expéditeur initial294
, puisque il
s’oblige d’effectuer le déplacement sur tout le trajet prévu par le contrat. Rarement, va-t-il
exécuter cette obligation lui-même, la nature de ce type de transport le forcera à contracter
avec des autres entités. Ainsi un univers particulier s’est créé, où les réclamations en cas de
dommages peuvent survenir à deux niveaux: premier: l'entité autorisé pour demander la
291
Statistiques disponibles pour la période 2008-2012, OECD Statistics Brief Trends in the Transport Sector,
International Transport Forum, décembre 2013, p.3
http://www.internationaltransportforum.org/statistics/StatBrief/2013-12-Trends-Perspective.pdf OECD Key
Transport Statistics 2012 Data, International Transport Forum, 2013
http://www.internationaltransportforum.org/Pub/pdf/13KeyStat2012.pdf 292
Il est important de mentionner aussi que la plupart de ces ports sont situés sur le territoire de la Chine, qui
investit le plus fortement dans le développement des infrastructures de transport multimodal, en reconnaissant
son véritable potentiel. Multimodal Transport to Spur Economic Growth in Central PRC 27 février 2014,
http://www.adb.org/news/china-peoples-republic/multimodal-transport-spur-economic-growth-central-prc 293
294
On va utiliser la notion d’expéditeur initial, puisque l’ETC est aussi un expéditeur des marchandises en
contractant avec des transporteurs de branche.
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126
réparation295
– l’entrepreneur de transport multimodal, et deuxième: entre ce dernier et les
voituriers sectoriels. On va donc confronter la question si dans la première de ces relations
peut-on utiliser l'un des systèmes de responsabilité de branche. Si on ajoute le fait que le
dommage est rarement localisable dans le transport de conteneurs un ensemble de problèmes
juridiques intéressants est né.
Le problème principal, un axe de la question, en raison duquel il fonctionne dans
tous les discussions doctrinales, est comment la responsabilité de cette entité qui assume
l’obligation d’organiser le processus du transport multimodal doit-elle être formée.
Le but du présent mémoire est de formuler un modèle de la solution internationale et
nationale de la responsabilité d’entrepreneur du transport multimodal. L'analyse portera non
seulement sur les manifestations de la présence de la régulation du transport multimodal sur la
scène internationale, mais aussi sur les lois des pays qui possèdent des dispositions relatives à
ce type de transport dans leur ordre juridique interne. Ce rassemblement et la dissertation
transparente de différentes propositions de traiter le sujet, en indiquant leurs avantages et
inconvénients pratiques, servira par la suite à la base de la création du meilleur modèle
théorique possible. Ensuite, ce modèle va subir un traitement supplémentaire afin de clarifier
la proposition spécifique du régime de responsabilité précis. Enfin, en utilisant les résultats de
cette analyse, on va regarder le droit français. Le but ultime est de répondre à la question
quelle place doit-on attribuer au contrat de transport multimodal dans la législation nationale,
et donc d'aborder indirectement le problème de la responsabilité de l’entrepreneur du
transport multimodal en vertu de droit français.
L’utilisation du terme de l’entrepreneur du transport multimodal - ETM (angl.
Multimodal Transport Operator ou MTO296
) mérite une explication. C’est une notion qui a
été utilisée dans la Convention de Genève de l'Organisation des Nations Unies relative au
transport multimodal international de marchandises en 1980, qui sera dans le présent mémoire
acceptée et utilisée comme le terme le plus caractéristique et le plus conforme à la nature
particulière de cette figure juridique.
La première partie de ce mémoire va être consacrée à la présentation de la notion du
transport multimodal, sa définition et sa caractéristique principale, les divers termes plus ou
moins proches pour maitriser le désordre doctrinal. Consécutivement on va aborder la nature
du contrat de transport multimodal, différences principales des contrats les plus proches dans
la pratique du transport pour déterminer si ce contrat peut être assimilé à un contrat nommé ou
nécessite sa propre régulation.
La deuxième partie traite le problème de la construction d'un système de
responsabilité. Dans son cadre, tous les trois systèmes les plus fréquemment rencontrés seront
analysés, donc le système uniforme, de réseau et uniforme modifié. Leur étude va démontrer
précisément les avantages et les inconvénients de chacun et la meilleure proposition théorique
va être présentée, tenant compte de la nécessité pratique tout d'abord d'assurer le respect
élémentaire de la revendication de la personne autorisée vers l’organisateur du transport et de
cet dernier envers ses contractants - transporteurs de branche, autrement dit, des problèmes
de recours. Puis, on va présenter une analyse de la façon de remplir le modèle de système de
la responsabilité qui sera choisi comme le meilleur, avec les éléments structuraux détaillés de
responsabilité, comme sa période, son fondement, l’exclusion de responsabilité et des limites
d'indemnisation.
Enfin, la troisième partie répond à la dernière des questions sous-thèmes de ce présent
mémoire, à savoir quelle est la relation du droit français au transport multimodal international.
Après la réflexion sur si et quand le recours à la loi française sera du tout possible et
295
Ce n’est pas toujours l’expéditeur initial. Le contrat de transport multimodal peut être conclu pour autrui. 296
La version française du texte de la convention utilise le terme d’entrepreneur, et non organisateur. Cependant
la législation hispanophone préfère cette deuxième notion.
RJP 2015-1 (Novembre)
127
approprié, la classification du contrat en vertu de la loi française va être proposée, une analyse
de la conformité de la loi française avec les objectifs du modèle de responsabilité développé,
sera réalisée. On va commenter l’institution de commission de transport pour vérifier si elle
s’étend aux cas du transport multimodal. À la suite de cette comparaison des propositions
détaillées seront présentées également concernant le changement de la législation nationale et
des exigences potentielles d’un agissement sur la scène internationale.
Étonnamment dans la doctrine juridique française et pareillement polonaise le sujet,
contrairement à son importance pratique, a rencontré peu d’intérêt Le manque de
monographies complètes et à jour concernant ce sujet est particulièrement sévère, c’est donc
la littérature économique qui prévaut dans la thématique. Cela a obligé à la recherche
approfondie de sources étrangères qui ne sont aussi pas trop abondantes. Bien sûr, la
dimension internationale du problème cause qu’il était indispensable d’étudier des solutions
juridiques et ses projets de nombreux pays et régions du monde, par le biais de l’analyse
comparative.
I. La nature juridique du contrat de transport multimodal
A. Une notion spécifique
1) La notion du transport multimodal
La définition du transport multimodal semble facile à formuler. Il s’agit d’utiliser
quelques moyens de transport297
. Donc on pourrait proposer de caractériser ledit transport
comme le déplacement des marchandises d’un point à un autre, en utilisant au moins deux
moyens de transport différents298
.
Cette proposition concise souligne bien la condition principale, qui doit être remplie
pour pouvoir démontrer l’existence du transport multimodal, c’est-à-dire l’utilisation des
différentes branches de transport. On doit donc observer que le portage des marchandises en
utilisant par exemple deux bateaux ne sera jamais considéré comme multimodal.
L’utilisation de deux branches de transport entraîne une autre nécessité évidente d’au
moins un transbordement d’un moyen à un autre. Cette présupposition permet d’exclure du
champ de définition de la notion du transport multimodal le déplacement des marchandises
effectué par le même véhicule, mais dans des branches différentes. Le meilleur exemple a été
donné par Müller-Feldhammer299
qui cite le transport effectué par le navire unique d’abord
par mer, et postérieurement par des voies navigables.
Ce qu’on doit prendre en considération à la suite, c’est l’aspect subjectif. Le transport
multimodal échappe le classement traditionnel en deux catégories: le transporteur des
marchandises ou le transitaire. L’entité qui entreprend cette manière de transporter les biens
doit préserver son immunité dénominative, étant spécifié par la doctrine le plus fréquemment
par le terme « l’entrepreneur du transport multimodal », ou « ETM ». Cette notion a été
popularisée par la fameuse Convention TM300
de 1980.
Conséquemment on doit s’opposer à l’usage du terme « le transporteur
multimodal »301 .
L’opinion présentée dans le mémoire ne permet pas d’identifier
l’entrepreneur du transport multimodal avec le transporteur qui opère seulement dans le cadre
297
Lat. multus modus – d’où vient la notion utilisée. 298
Tel est la définition propose par C. Christiansen, Transporte Multimodal en Sudamérica Hacia una
articulación normativa de carácter regional, Informe Final, Fondo Financiero Para El Desarrollo De La Cuenca
De La Plata, IIRSA., Bolivia 2003, p.12 299
R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers beim multimodalen Transport für Güterschäden und
Güterverluste aus dem Beförderungsvertrag Frankfurt am Mein 1996, p.22 300
La convention de l’ONU de Genève relative au transport multimodal international de 1980. 301
Comme le fait R. De Wit, Multimodal Transport Carrier Liability and Documentation, Londres 1995, p.3,
qui utilise le terme « le transporteur, appelé ETM ».
RJP 2015-1 (Novembre)
128
de son segment au sens des conventions de branche. L’hypothèse contraire mène à confondre
le transport multimodal avec le transport pliable ou mixte302
.
Le transport multimodal peut être effectué à l’intérieur du pays où dépasser ses
frontières. Sa présence ne dépend point de sa couverture géographique. Ainsi p.ex. la Chine
possède deux règlements de transport multimodal distincts: national et international.
Néanmoins il se réalise plutôt sur des longues distances, donc la seconde situation reste sans
doute plus fréquente.
La doctrine souligne également un autre trait caractéristique c’est-à-dire l’existence
d’un contrat unique303
, par lequel les parties conviennent entre elles que le déplacement des
marchandises sera effectué par au moins deux moyens de transport. Cette condition non
remplie, même si les parties ne changent pas, on est en présence des contrats successifs,
englobant des segments consécutifs du transport, ce groupe de contrats ne crée que des
relations « unimodales » en constituant un cas de transport pliable.
Enfin, L’ETM doit assumer la responsabilité de la totalité du transport. Sinon il ne
peut pas être regardé que comme le transitaire qui s’oblige seulement à conclure des contrats
de transport au nom du commettant-expéditeur des marchandises. Même s’il effectue le
transport sur l’un des segments, il est considéré au plus comme transporteur et non comme
l’ETM.
En outre, les marchandises pendant le transport multimodal peuvent changer librement
l’unité de charge (p.ex. le conteneur), ce que n’est plus possible dans le cadre de la notion
transport intermodal.
Certaines des solutions normatives, notamment l'accord MERCOSUR, qui base sur la
Convention TM, intègrent toute la gamme de services expressément dans le concept de
transport multimodal outre le simple fait de déplacement des marchandises. De cette façon-là
l’accord dans son article 1 a) énumère des services tels que la collecte, le groupement, la
dissociation, le stockage, la livraison, et la préservation des marchandises. Elles sont ainsi
inclues dans le paquet de services fournis par l’ETM. Bien que ce supplément soit très
important, prouvant clairement l’amplitude de la notion du transport multimodal en
comparaison avec le transport « classique », on ne peut pas raisonnablement soutenir la thèse,
que cela signifie qu’a contrario p.ex. la convention TM qui ne possède pas une telle
énumération n’accorde pas lesdites pouvoirs à l’ETM. Ces prestations sont, en fait englobés
par le concept de «performance de transport multimodal » de l’article 1(3) in fine de la
convention TM.
L’opérateur de transport multimodal doit donc assumer l’obligation d’effectuer le
déplacement des marchandises pour l’ensemble du parcours. Un engagement commun de
plusieurs entités est quand même envisageable en forme de consortium304
, sous une condition
que chacun des agents assume la responsabilité pour la performance de tout le processus de
transport. Dans le cas contraire on est en présence du phénomène de transport commun
directe. L’engagement d’ETM est complètement indépendant de l’intention réelle de
l’entrepreneur de se servir des voituriers pour effectuer des segments de transport particuliers
ou non305
. Il existe même une hypothèse où l’ETM n’effectue le transport dans aucun segment
du trajet. Cette dernière situation se produit avec une certaine fréquence, des voituriers sont
baptisés « papier » ou NVOCC (anglais – non-vessel operating common carriers) donc ceux
302
Définies dans le point I A 2) b i. 303
Voir M. Hoeks, Multimodal Transport Law The law applicable to the multimodal contract for the carriage of
goods Kluwer Law International 2010, p.51 304
Cette thèse est soutenue par R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.5 305
P.Delebecque, Le transport multimodal dans Revue internationale de droit comparé. Volume 50 N 2, IV-V
1998. P. 529.
RJP 2015-1 (Novembre)
129
qui n’exploitent aucun navire306
. Droit français utilise ici la notion de « commissionnaire de
transport ». Cette figure va être analysée ci-après.
Le contrat de transport multimodal crée donc un univers juridique, dans lequel il faut
distinguer deux plans contractuels:
- La relation entre ETM et l’expéditeur initial, ou on est en présence d’un contrat de
transport multimodal et
- La relation d’ETM avec des transporteurs potentiels pour les segments consécutifs
du trajet, ou ETM conclut des contrats de transport « classiques »
Cette dualité n’est pas à omettre, à cause de ses conséquences significatives non
seulement pour la forme finale de la structure de responsabilité d’ETM, mais aussi pour les
politiques du système de sa construction. Pour assurer la couverture des demandes de recours
d’ETM contre les transporteurs unimodals quand le dommage sera localisable, on doit se
référer, en construisant le système de responsabilité d’ETM, aux règlements conventionnels
prévus par des accords internationaux à régler la situation des voituriers dans les segments
particuliers.
La définition doctrinale la plus significative est celle de caractère objectif qui a été
élaboré par les auteurs de la Convention TM de 1980. Pour des raisons évidentes elle ne
couvre que le transport multimodal international. La définition de ce terme a été établi par
l’article 1(1) selon lequel est multimodal tout déplacement des marchandises par au moins
deux moyens de transport, prévu par un seul contrat, d’un lieu dans un pays ou les
marchandises sont prises en garde par l’entrepreneur de transport multimodal, a la destination
indiquée dans un autre pays.
Cette définition doit être lue en conjonction avec des articles 1(2) et 1(3) qui la
complètent en expliquant la notion d’ETM qui est une entité qui, en son propre nom ou en
nom d’un autre, va conclure un contrat de transport multimodal en assumant la responsabilité
pour l’exécution du contrat. Enfin, la convention définit la notion du contrat multimodal
comme un accord, par lequel ETM s’engage, en contrepartie du paiement d’une redevance, à
exécuter ou à provoquer l’exécution du transport multimodal international.
Dans les dispositions de la convention on peut trouver un certain rétrécissement de la
notion abordée. L’article 1(1) in fine contient une disposition selon laquelle si les parties au
contrat conclu comme unimodal ont incorporé des stipulations concernant la collecte et
livraison supplémentaires de marchandises, ledit contrat ne peut être regardé comme
306
M. Hoeks, Multimodal Transport Law 2010, p.46
Figure 1 – Univers juridique du contrat de transport multimodal
Source: élaboration propre
RJP 2015-1 (Novembre)
130
multimodal. La doctrine reconnait ici l’application de la théorie de l’absorption307
. Pour
montrer que cette thèse est erronée, il suffit de souligner que les auteurs de la convention TM
ont accordé aux parties le choix entre la conclusion du contrat de transport multimodal, ou de
considération, que même qu’il y a physiquement un déplacement des marchandises par le
second moyen de transport, le contrat reste unimodal, et régit par les dispositions normatives
prévu pour le segment particulier. En effet, la définition du transport multimodal reconstruit
de la convention doit préciser que le transport possède le caractère multimodal seulement si la
partie effectué par les autres moyens de transport que celui qui y est principal est
suffisamment importante, qu’elle ne constitue plus des « collectes et livraisons
supplémentaires de marchandises ». Le contrat lui-même doit donc être dénommé
« multimodal » ou au moins ne laisser aucun doute de l’intention claire et précise de parties
pour lui en donner ce caractère308
.
Cependant ils existent des règlements dans lesquels on n’a pas intercepté la solution
présenté ci-dessus, notamment par exemple l’accord MERCOSUR qui ne tente pas limiter de
cette manière la notion du transport multimodal309
. Le problème est important, puisque
MERCOSUR étant en vigueur pose des problèmes d’interprétation de ses dispositions.
La question est de savoir si, par conséquent, étant en présence de l'accord intitulé « le
contrat de transport », qui prévoit le déplacement des marchandises à l'aide de deux modes de
transport, la cour nationale d’un des pays de l’accord, en cas du litige doit obligatoirement
appliquer les dispositions de l’accord MERCOSUR, comme il est devenu officiellement un
contrat de transport multimodal. Il semble que dans une telle situation, la réponse positive
doit être donnée, si les responsabilités du fournisseur de services, ont une caractéristique de
dépasser le cadre des obligations contractuels et pouvoirs classiques du transporteur. Bien sûr,
on doit décider conformément si les parties n’ont pas du tout défini comment la prestation de
transport sera exécutée, et on a physiquement utilisé deux ou plusieurs modes de transport.
Cette solution est certainement plus cohérente que celle proposée par la Convention TM, alors
il n'est pas nécessaire de recourir à la théorie de l'absorption, qui crée la tentation de s'appuyer
sur la théorie des contrats mixtes.
Une autre question intéressante est la suivante, quel facteur est décisif pour que le
transport devient multimodal: la détermination des parties, ou l’exécution réelle du
déplacement des marchandises. L’importance du cas est facilement démontrée dans la
situation où le contrat a été conclu comme multimodal, mais il a été physiquement effectué
avec un seul moyen de transport. On devrait ici opter pour la réponse que le caractère
multimodal est déterminé par l’accord des parties. Conséquemment même le transport
effectivement réalisé unimodalement doit être considéré comme multimodal selon la volonté
de ses parties. Sinon, il serait possible d’échapper aux dispositions de la législation sur la
responsabilité d’ETM, par un changement de la manière dont le contrat est réellement
effectué.
De manière analogue, en reconnaissant la primauté de la volonté des parties, il faut
appliquer la convention unimodale même si on a utilisé plusieurs moyens de transport en
exécution du contrat d’une seule branche de transport. Seulement si le contrat ne précise ni
307
M. Hoeks, Multimodal Transport Law, p.57 Il convient de laisser à la marge de la discussion le problème
d’application de la théorie d’absorption au contrat de transport multimodal, qui selon l’opinion présenté par
l’auteur doit être considéré comme un contrat sui generis. 308
L’évaluation détaillée de cette solution ou on laisse les parties déterminer librement le caractère du transport
doit être omis dans le présent mémoire. 309
Ce qui est intéressant d’observer, parce que la plupart des pays du MERCOSUR (à l'exception du Venezuela)
est partie à la convention de Montréal, qui dans l'art. 38 semble prima facie y avoir conflit avec les dispositions
de l’accord MERSOSUR. C'est encore une autre preuve que la Convention de Montréal ne réglemente point des
cas de transport multimodal dans le plan contractuel ETM-expéditeur initial, et n'impose pas le système de
réseau.
RJP 2015-1 (Novembre)
131
son type, ni aucune manière particulière d'utilisation des moyens de transport, et
physiquement on en a utilisé plus d'un mode, on devrait agréer la classification d'un contrat en
tant que multimodal. C’est donc le seul cas où la forme de la performance réelle du transport
est, en l'absence de manifestation de la volonté des parties, déterminatif pour la nature du
contrat.
2) Les distinctions terminologiques
a. La confusion terminologique
Un regard plus complet sur la question de la responsabilité d’opérateur de transport
multimodal ne sera pas possible sans examen rudimentaire de notions utilisées par la doctrine,
d’autant plus qu'il est extrêmement divers et complexe. On doit donc apporter quelques
précisions.
Une part de la terminologie est très libéralement traitée comme synonymes littérales
pour le concept du transport multimodal. On utilise alternativement des termes: le transport
intermodal et le transport combiné.
Le concept de transport intermodal a été introduit dans la littérature juridique en 2001
par la Commission Economique des Nations Unies, en coopération avec la Commission
Européenne et la Conférence Européenne des Ministres des Transports (CEMT). Ce terme est
ainsi défini comme le déplacement des marchandises dans la même unité de chargement
(p.ex. un conteneur) ou dans le même véhicule routier, qui utilise successivement deux ou
plusieurs modes de transport sans transbordement des marchandises310
. Eventuellement, le
terme a été étendu pour décrire la chaîne de transport porte à porte (anglais door to door) en
utilisant plus d'un mode de transport, au cours de laquelle la manutention des marchandises
n'aura pas lieu311
.
La raison la plus importante pour laquelle ce concept ne peut pas être considéré
comme équivalent au transport multimodal est le fait que dans ce dernier la possibilité de
transbordement de marchandises n'est en aucun cas limitée.
Le transport combiné est le terme rencontré un peu plus fréquemment. En 1992, le
Conseil de l’Union européenne dans sa directive propose une définition, pour les propres
besoins de cet acte, selon laquelle, le transport combiné constitue le transport de marchandises
entre les États membres pour lesquels le véhicule utilise la route pour la partie initiale ou
terminale du trajet et, pour l'autre partie, le chemin de fer ou une voie navigable, ou un
parcours maritime lorsque celui-ci excède 100 kilomètres à vol d'oiseau et effectuent le trajet
initial ou terminal routier:
- soit entre le point de chargement de la marchandise et la gare ferroviaire
d'embarquement appropriée la plus proche pour le trajet initial et entre la gare
ferroviaire de débarquement appropriée la plus proche et le point de déchargement
de la marchandise pour le trajet terminal;
- soit dans un rayon n'excédant pas 150 kilomètres à vol d'oiseau à partir du port
fluvial ou maritime d'embarquement ou de débarquement312
.
En 2001, la question de l'unification de la terminologie a été soulevée encore une fois
dans le document unifiant la terminologie du transport combiné313
, ou on visait simplifier la
définition donné ci-dessus, le texte a précisé la notion du transport combiné, comme tel ou la
310
Terminology on combined transport, Note by the secretariat TRANS/WP.24/2000/1, 2000, p.4 311
J. Neider , Transport międzynarodowy, Varsovie 2008, p.108 312
Article 1er de la directive du Conseil 92/106/EEC du 7 décembre 1992 relative à l'établissement de règles
communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres. La doctrine la considère
plutôt comme définition historique, comme p.ex.. A.Wiktorowska-Jasik dans I.N. Semenov Zintegrowane
Łańcuchy Transportowe p. 46 313
Terminology on combined transport, p.4
RJP 2015-1 (Novembre)
132
majorité de transport européen s’effectue par le chemin de fer ou une voie navigable, ou un
parcours maritime, et les sections initiales et / ou finales routières sont le plus court possible.
La définition initiale de la directive, avait cependant uniquement un but pragmatique,
pas théorique, car elle a été créée pour rendre la libéralisation d'un type spécifique de
transport possible, en déchargeant les transporteurs de l’obligation de posséder des permis et
contingents, pareillement aux exonérations fiscales, qu’elle prévoyait. Cette vue est seulement
historique, et le fait que la définition a été reprise par la terminologie du transport combiné, ne
change rien en ce que le terme devait être évité. On peut remarquer que la généralisation du
terme n’est point convaincant, parce que la notion du transport combiné détermine la chaîne
de transport de manière rigide, Cependant celle-ci peut encore prendre de diverses formes. Le
transport multimodal constitue donc un concept beaucoup plus large, car il n'est pas limité en
aucune manière ; ni quant à la nature des secteurs constituants le trajet en question et encore
moins leur longueur maximale. Malheureusement, le concept de transport combiné au cours
des dernières années a été vulgarisé314
.
La notion « multimodal » semble être la plus approprié, aussi du point de vue de la
construction juridique de ce type de transport, pour dénommer le type de contrat. Les termes
«combiné» ou «mixte» appliqués par la doctrine des nombreux pays comme synonymes
doivent être considérés comme beaucoup moins assortissant. Ils semblent impliquer que le
contrat en question est nécessairement une sorte de connexion simple ou un mélange de
contrats de transport comme ses composants. Ceci menace l'adoption d'une vision inadéquate
de la nature du contrat de transport multimodal. Cependant, c’est le fait de déplacement des
marchandises en utilisant plusieurs moyens de transport, qui devrait devenir la caractéristique
dénominative principale de ce type de contrat. Le terme «multimodal» a également été utilisé
dans les actes de la plus grande importance pour le domaine, comme la Convention TM, les
Règles de l’UNCTAD/ICC, ainsi que, suivant ces deux, le modèle adopté dans les systèmes
juridiques de nombreux pays et régions, particulièrement d’ASEAN et de l’Amérique du Sud.
b. Les concepts proches
i. Le transport de conteneurs
En premier lieu, on doit prêter attention à la nature disjointe des termes de transport
multimodal et transport de conteneurs. Le premier est un concept juridique, tandis que le
transport de conteneurs est une notion technique. Le conteneur n'est rien de plus que d'une
boîte, unité de chargement de biens, en lui-même est significatif techniquement et
économiquement, mais pas juridiquement. Bien sûr, les conteneurs en transport multimodal
servent comme un moyen commun de consolider la cargaison, car on ne peut pas oublier que
c'était la vulgarisation de ce type de récipients qui a permis la séparation juridique du
transport multimodal. Toutefois, organisation du transport multimodal sans les utiliser est tout
à fait possible.
ii. Le transport pliable
Il convient de souligner qu'il ne faut en aucun cas confondre le transport multimodal et
le transport appelé pliable ou « cassé », qui est essentiellement la somme de secteurs de
transport unimodal. C'est la plus simple des structures, dans laquelle, pour chacune de ces
sections on conclut un contrat séparé avec le transporteur de branche opérant à point dans la
région. Chacune des phases de déplacement des marchandises aura également son propre
314
Utilisé p. ex. par R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers beim multimodalen Transport für
Güterschäden und Güterverluste aus dem Beförderungsvertrag Frankfurt am Mein 1996, p.7, aussi C. Bernat,
Contrats spéciaux du commerce maritime : les contrats proches du connaissement maritime, 25 mars 2010
http://cedricbernat.wordpress.com/2010/03/25/contrats-speciaux-du-commerce-maritime-les-contrats-proches-
du-connaissement-maritime/ utilise le terme « multimodal » et « combiné » indifféremment en argumentant ce
choix par la popularité du second de ces notions parmi les opérateurs sans examiner son origine.
RJP 2015-1 (Novembre)
133
document de transport. L’expéditeur initial entre donc dans de nombreux rapports
contractuels, pour chaque segment du transport. Aucune modification des règles de
responsabilité ne s’effectue, personne n’assume en particulier la responsabilité pour le
processus de transport entier. Tout le poids de choisir les partenaires adéquats, et de
l'organisation des étapes de transition entre les segments, comme le stockage de
marchandises, repose par conséquent seulement sur l’expéditeur initial.
iii. Le transport direct
Le transport appelé direct est un concept juridique qui n’exige pas d’utiliser des
véhicules de différents modes de transport. C’est pourquoi il est une notion plus large que le
transport multimodal, qu’il englobe. Il contient aussi la notion du transport effectue par
plusieurs moyens de transport successif de la même branche.
On peut distinguer aussi un type particulier de transport direct, le transport commun
direct. Il se produit quand l’expéditeur initial conclut un contrat, mais avec plusieurs
transporteurs dans le cadre duquel chacun d’entre eux assume la responsabilité seulement
pour son segment. C’est actuellement le contraire du concept de transport multimodal, dans
lequel toute la responsabilité repose sur une seule entité – l’ETM.
La notion du transport inadéquat direct est encore plus complexe. (Figure 2). Dans ce
concept intéressant, le premier des voituriers (A) qui assume la responsabilité comme
transporteur, donc pour le résultat du déplacement des marchandises, seulement pour sa
première section du, assume aussi la responsabilité comme transitaire pour le reste du trajet.
Sur les segments subséquents il est donc responsable seulement pour la sélection soigneuse
des transporteurs, la manipulation et la préparation des documents pertinents. Il est facile de
remarquer que l’ampleur de la responsabilité et les pouvoirs d’un tel transporteur-transitaire
sont beaucoup moins modeste que ceux de l’ETM315
.
iv. Non-Vessel-Operating-Common-Carrier (N.V.O.C.C.)
N.V.O.C.C. (anglais: non-vessel-operating-common-carrier – un transporteur qui ne
dispose de son propre moyen de transport, appelé papier) est un concept d’origine des Etats-
Unis, ayant pour but d’assurer la médiation en transport. Cette figure se charge du
regroupement marchandises de plusieurs expéditeurs dans une unité de chargement, p.ex.
dans un conteneur et de la conclusion d’un contrat de transport avec le transporteur maritime.
Il devient, par conséquent, un expéditeur initial dans la relation contractuelle avec son
cocontractant. Vis-à-vis des entités dont le regroupement des produits est effectué il est
considérée comme transporteur, pourtant étant incapable de déplacer physiquement les
marchandises. La limitation au transport maritime316
reste une différence la plus grande par
315
R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers beim multimodalen Transport für Güterschäden und
Güterverluste aus dem Beförderungsvertrag Frankfurt am Mein 1996, p.7 316
M. Hoeks, Multimodal Transport Law 2010, p.46
Figure 2 – Transport inadéquat direct
Source: élaboration propre
A B C
Transporteur Transitaire
A
RJP 2015-1 (Novembre)
134
rapport au transport multimodal. En outre, l’ETM n’est jamais le transporteur face à
l’expéditeur initial, est une figure juridique complètement distincte et dispose non seulement
du droit d’effectuer le déplacement, mais souvent il possède des ressources d’exécuter le
contrat lui-même au moins sur un des segments du trajet.
B. La nature du contrat de transport multimodal
Pour répondre à la question comment peut-on former la responsabilité de l’ETM, on
doit examiner d’abord quel est la nature juridique du contrat de transport multimodal, et ainsi
sa relation avec les autres contrats de l’activité du transport, particulièrement avec les contrats
de transport unimodals. Dans la littérature, ils existent trois approches juridiques au contrat de
transport multimodal : qu’il n'est que la somme des contrats de transport de chaque section,
qu’il présente un caractère d’un contrat mixte, enfin, qu'il a un caractère juridique autonome.
Les conséquences de l'adoption de chacun de ces concepts seront différentes à la fois pour le
système dans lequel la responsabilité de l’ETM sera construit et pour sa construction
particulière. En outre, il y aura probablement des répercussions aussi pour le législateur, sans
activité duquel le classement juridique du contrat de transport multimodal ne peut pas
s’opérer. Ledit contrat sera alors soit un type particulier de contrat de transport, ou un contrat
complétement distinct, dans la plupart des systèmes juridiques de type innommé.
1) Les propositions doctrinales
a. La somme des contrats
Le contrat de transport multimodal peut être sans doute regardé comme une simple
liaison de contrats de transport de branche, comme une sorte de « combinaison et
d'accumulation » des contrats de transports réalisés par des modes de transport consécutifs317
.
Ce point de vue est particulièrement caractéristique pour la doctrine des pays anglo-saxons318
,
et n'oppose pas au contrat de transport multimodal en tant que tel, les contrats de transport qui
sont conclus en conformité avec les dispositions de branche.
Le transport multimodal devient ainsi le transport pliable ou « cassé », et l’ETM est
regardé en principe, comme le transporteur classique de branche. Cela signifie que si l’endroit
d’occurrence du dommage est connu, la responsabilité doit être mise au point sur les principes
découlant d'une convention particulière de branche, appropriée pour la section où le dommage
est survenu.
Les partisans de ce concept affirment également qu'un point de vue différent sur la
nature du transport multimodal, en particulier, de lui accorder la nature du contrat sui generis
entraîne le contournement de la loi, évitement d’application des conventions de branche et
donc une violation du droit international.
La solution proposée ci-dessus ne peut pas être approuvée. Tout d'abord, elle est basée
sur une erreur de classement terminologique du contrat de transport multimodal comme le
transport pliable ou « cassé », tandis que le contenu lui-même de ce contrat est complétement
différent de celui d’un contrat classique de transport. Il est à noter en effet, que l’entrepreneur
du transport multimodal s’oblige à exécuter une prestation de déplacer les marchandises dès
lieu de la réception à la destination, à partir du point A au point B, et la décision quel mode de
transport particulier sera utilisé, reste dans le domaine de l’ETM, et ne présente pour
l’expéditeur initial qu’une portée secondaire.
Deuxièmement, si on démontre que le contrat de transport multimodal est un contrat
de type distinct, l'argument de la violation du droit international perd de l’actualité, parce que
317
R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.128 318
M. Hoeks, Multimodal Transport Law, s.55 cite la jurisprudence anglaise Quantum Corporation Inc., 2002,
ou la cour décide que la convention unimodale CMR, selon son article 1er
doit être appliquée pour régler la
section routière du transport multimodal.
RJP 2015-1 (Novembre)
135
le transport multimodal reste au-delà du champ d'application des conventions unimodales de
branche. On doit souligner que le transport multimodal ce n’est plus seulement le
déplacement des marchandises avec un moyen de transport déterminé, mais le transport avec
plusieurs de modes spécifiés, ou même complètement indéterminés319
.
Troisièmement, le concept de la somme des contrats ne résout point des questions de
responsabilité de l’ETM lorsque le dommage ne peut pas être localise. Si on considère que le
contrat de transport multimodal est vraiment seulement une simple somme des contrats,
l’indication de l'impact des contrats de transport classiques sur le contenu du contrat TM ne
serait pas le moindre problème. Cependant, ils ne la composent pas, ils fonctionnent sur un
plan différent, constituent une relation contractuelle complètement différente (Figure 1).
b. Le contrat mixte
Le deuxième concept, qu’on peut rencontrer dans la doctrine, est fondé sur l'idée que
le contrat de transport multimodal est essentiellement «fusionné» de plusieurs types de
contrats. Le contrat mixte possède donc une caractéristique de plus d'un contrat nommé ou
innommé320
. Ce point de vue est représenté par la littérature néerlandaise et allemande. Dans
la littérature polonaise on souligne que les contrats mixtes sont en fait une sous-classe de
contrats innommés321
.
Classiquement, on distingue trois types de contrats: les contrats mixtes combinés,
traversant et accords fondus (mixtes au sens strict). Il convient de rappeler ici que le premier
groupe est constitué par des contrats ou la prestation d’une partie est composée d'un certain
nombre de prestations spécifiques dérivant de différents types de contrats. Le contrat est
traversant si les prestations de deux parties sont typiques pour un certain type de contrat
nommé. La troisième catégorie, donc les contrats mixtes au sens strict sont des accords ou la
prestation uniforme et inséparable d'une partie s’inscrit dans de nombreux types de contrats.
Les accords mixtes posent le problème de la sélection de l'application des dispositions
légales appropriés pour eux. Dans la littérature, ils existent trois théories, permettant le
dénouement de cette question complexe - la théorie de l'absorption, la théorie de l'intégration
(combinaison) et la théorie de l'analogie.
La théorie de l'absorption accorde la priorité à l'application des règles relatives au
contrat, dont les caractéristiques prennent la tête du contrat mixte, ceux qui disposent de
moins de poids sont donc "absorbés", comme si l'accord était en fait un contrat simple. Un
exemple normatif d'une telle situation est donné par Hoeks dans son travail, qui essaie de
prouver que l'article 1(1) in fine de la Convention MT, est un cas de la théorie de l'absorption,
parce qu’il dispose que le contrat de transport unimodal demeure comme tel, même s’il
contient des stipulations concernant le déplacement supplémentaire de marchandises en
dehors de la section principale sous la forme de ramassage et de livraison. On doit toutefois
critiquer largement la théorie ci-dessus. Elle va être en défaut quand les éléments qui
devraient être considérés comme spécifiques à certains types de contrats seront combiné dans
des proportions égales, donc il n'y aura pas aucun élément supérieur du contrat. En appliquant
la théorie on risque aussi la marginalisation du poids économique du contrat en faveur de
l'obéissance à un modèle normatif d’un contrat nommé particulier. La théorie de l'intégration (combinaison), à son tour, essaie d'appliquer les dispositions
appropriées à tous les contrats mixtes, assignant à chacun des éléments distincts de l'accord
son effet juridique caractéristique. Mais c'est une approche ancienne de la doctrine qui a dû
admettre la supériorité de la multiplicité et de la diversité des types de contrats innommés, et
d’utilisation des règles générales du droit des contrats. On peut opposer à la théorie de
combinaison l'affirmation selon laquelle il n'est pas possible d'élaborer un dénombrement des
319
R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.136 320
M. Hoeks, Multimodal Transport Law, p.56 321
B. Gawlik, Umowy mieszane – konstrukcja i ocena prawna. Palestra 1974, nº 5, p.28
RJP 2015-1 (Novembre)
136
éléments des contrats nommés en attribuant à chacun d’eux ses conséquences juridiques
permanents322
. Il n'est pas difficile d'imaginer comment une combinaison de dispositions
serait difficile à effectuer dans le cas du contrat de transport multimodal, car il est dérivée
d'éléments d’expédition des marchandises, de transport ou encore contrat d’entreprise. Aussi
la question est de savoir si même un tel lien étant fait, on a une chance quelconque de
répondre au problème de la responsabilité juridique pour les dommages non localisés.
La dernière proposition est la théorie de l'analogie, qui suppose que les dispositions
appropriés aux contrats nommés ne peuvent être utilisés au contrat mixte que par analogie.
Cette solution est largement approuvée par la littérature juridique323
.
Le contrat de transport multimodal, comme l'observe catégoriquement et justement
Müller-Feldhammer, ne peut pas être en aucun cas considéré comme le contrat mixte, fondu
des contrats de transport de différentes branches. Chaque fois qu’on parle d’un contrat mixte,
il s’agit d’une situation dans laquelle les prestations découlant d'autres types de contrats sont
permanentes. Cependant, le contrat de transport multimodal possède une structure différente,
variable selon des circonstances. La vente avec le montage cité par la doctrine comme un
exemple d'un contrat mixte dispose toujours des éléments constants de la vente et de contrat
d’entreprise, alors que dans le contrat de transport multimodal reste une question ouverte, de
quels secteurs va-t-il se composer324
.
Toutefois, même en supposant que dans le contrat de transport multimodal les
éléments fondus sont spécifiques pour le contrat de transport et l’expédition de marchandises
contrat de transport et d'expédition contrat, de sorte qu'il appartient à la catégorie des contrats
innommés mixtes, cette classification ne permet pas de déterminer la loi applicable à la
détermination de responsabilité de l’ETM. L’approche « transport plus » et « l’expédition des
marchandises plus »325
va échouer, parce que les règles applicables à chaque de ces contrats
isolement ne correspondent pas à la situation spécifique qui se créé après la prise de
responsabilité de l'exécution de l'ensemble du processus de transport par l’ETM.
La référence à la construction d'un contrat mixte ne permet pas, en particulier, de
répondre à la question quelles mesures faut-il prendre en cas de dommage non localisable, si
fréquents dans le transport effectué avec l’utilisation des conteneurs, donc ne répond
absolument aux besoins de transport multimodal. Même dans le cas où le dommage peut être
localisé sur le secteur déterminé du trajet, le recours à la théorie des contrats mixtes ne se
justifie pas, car de toute façon la responsabilité sera régie par la régulation de la section de
branche, où le dommage est survenu, et jamais par les dispositions légales d'une autre
branche, ce qui pourrait être indiqué une théorie de contrat mixte326
. Dans le système
uniforme la responsabilité repose sur le principe unique.
322
R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.131 323
P.ex. B. Gawlik, Umowy mieszane, s. 31 324
R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.134 325
Ici la notion « transport plus » se réfère à la situation ou la convention unimodal essaie de régler la situation
juridique du contrat de transport multimodal, E. Eftestol-Wilhelmsson, The Rotterdam Rules in a European
multimodal context, The Journal Of International Maritime, 2010 p.274 326
. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.134
A B C Figure 3 – Un exemple de la situation juridique dans le transport multimodal.
Source: élaboration propre
MTO
RJP 2015-1 (Novembre)
137
Pour illustrer ce problème, on peut imaginer un exemple simple (Figure 3). Si le
transport multimodal se compose de trois sections, deux maritimes (A, B), et un routier (C), et
les dommages ont survenu sur ce dernier, on devrait appliquer des règles concernant cette
branche particulière. Cependant, l'adoption du concept d'un contrat mixte, le transport serait
probablement considérée comme maritime, ce qui mène à la modification infondée du régime
de la responsabilité.
2) Un contrat sui generis ?
On peut finalement regarder le contrat de transport multimodal comme un type
d’accord complètement indépendant. Il se distingue évidemment des contrats de transport, de
branche à la fois par son objectif et par sa structure. L'objet de l’obligation contractuelle de
l’ETM est comme on a déjà indiqué ci-dessus, l'organisation et la coordination du processus
de transport. Pour l’expéditeur initial des marchandises l’ETM est un cocontractant unique, et
une seule entité responsable de totalité d’entreprise.
Le résultat de l'adoption de ce point de vue consiste en inapplicabilité au transport
multimodal des règlements internationaux ou nationaux relatifs au contrat de transport
classique, ce qui force la création de dispositions distinctes.
Malgré la difficulté pour les législateurs, on ne peut pas se contenter de l'adoption
d'opinion que le contrat de transport multimodal est la somme des contrats de transport327
. On
ne peut en effet trouver les règles de responsabilité de l’ETM, donc répondre à la grande
majorité des cas de dommages non localisés, ni d'ailleurs les dommages subis dans
l’intervalle des segments du trajet, par exemple pendant le transbordement. Le défaut de
réglementation, laisse inévitablement une grande influence sur la conception du contrat aux
parties, ce qui devrait devenir la force motrice pour l'introduction de dispositions normatives
relatives au transport multimodal, pour protéger les intérêts des expéditeurs initiaux.
Les opposants du concept de la nature juridique du contrat TM présenté ci-dessus ont
trouvé essentiellement deux arguments. Tout d'abord, il est soutenu que l'évitement complet
des dispositions de branche dans l'état actuel de la loi n'est plus possible. Il est fait référence à
la teneur des deux dispositions qui vont au-delà de l'approche sectorielle traditionnelle pour le
transport unimodal: article 38 de la Convention de Montréal et l’article 1 § 3 et 4 de la
Convention COTIF-CIM. On doit également réfléchir sur l'article 2 CMR328
, qui est reconnu
par la doctrine comme la régulation du cas spécifique du transport multimodal.
Les dispositions de tous ces articles, ainsi que l'ensemble de tendance de la
construction de règles « unimodal plus » devraient être évalués négativement. Le fait que les
solutions normatives actuelles sont absurdement adaptées aux besoins de la pratique, ne peut
pas conduire à la conclusion que le contrat est un contrat de transport multimodal est pliable,
ou mixte. Les dispositions de ces conventions peuvent résoudre le problème seulement quand
l’endroit du dommage est localisable. Malheureusement, la majorité des cas dans transport
multimodal c’est le dommage non-localisé.
En outre, un examen plus attentif de l'article 2 de CMR conduit à la conclusion qu'il ne
couvre pas du tout, en fait, les cas de transport multimodal, à cause du défaut
d'accomplissement de la condition de transbordement de marchandises. De même, l'article 38
de la Convention de Montréal peut être lu comme exigeant l'application de la Convention
pour le segment aérien seulement au second plan du contrat de transport multimodal, c’est-à-
327
Autre opinion est adoptée par Hoeks, qui montre qu’en raison de l’absence des dispositions normatives
concernant le transport multimodal en vigueur, il faut s’orienter vers le système de réseau. Hoeks, Multimodal
Transport Law, p.10 328
Convention de Genève relative au contrat de transport international de marchandises par voie terrestre depuis
du 19 mai 1956
RJP 2015-1 (Novembre)
138
dire ou l’ETM contracte avec des transporteurs329
. Operateur mentionné ne peut pas aussi
être considéré comme l'un des transporteurs en vertu de l’article 39 de la Convention, donc
celle-ci, par conséquent, en aucune façon efficace, ne s'applique pas pour régler la
responsabilité de l’ETM330
.
Le second argument est encore plus facile à renverser. L'attribution de nature juridique
particulière au contrat de transport multimodal, ne constitue pas un échappatoire des
dispositions de branche. S’il est classifié comme un contrat autonome, il est simplement hors
de champ d’application des conventions unimodales. L’échappatoire ainsi crée doit être
couvert par une nouvelle solution normative.
La conséquence de l'adoption de la thèse que le transport multimodal est un contrat sui
generis Dans les pays où l'on ne retrouve pas sa régulation normative, la solution consiste en
application des dispositions générales relatives aux obligations, voire des modifications
législatives.
Une preuve supplémentaire du fait que le contrat de transport multimodal est une
figure juridique indépendante peut être apportée par la démonstration d'un certain nombre de
différences qui existent dans sa construction, en comparaison avec un contrat de transport
classique331
.
Toutefois la différence principale sera certainement l’incidence de l'entité différente de
transporteur classique, et pourtant le nom ETM n'est pas un hasard. Il dispose non seulement
d’une obligation d’effectuer le «pur» mouvement des marchandises, mais aussi un certain
nombre d'autres composantes de la prestation, comme les opérations sur les marchandises
(chargement, déchargement, garde, cargaison), actes juridiques (comme par exemple la
conclusion du contrat de stockage s’il la trouve nécessaire au cours du transport) assurance
des marchandises, et même remplissaient des obligations administratives (douaniers, fiscaux,
sanitaires)332
.
Autre trait caractéristique du contrat de transport multimodal est l’occurrence du
transporteur de fait, avec lequel l'expéditeur initial ne contractait pas. En effet, peu importe
comment l’ETM l’effectue, ce qui compte c’est le résultat de livrer les marchandises à la
destination. Rarement l’ETM va transporter la cargaison sur tout le trajet, mais même dans ce
cas-là il ne peut pas être traité comme un transporteur.
L’opérateur de transport multimodal devient responsable de l'ensemble du trajet pour
simplifier considérablement la position juridique d’expéditeur, pour que tout le poids de
l’organisation de processus de transport soit délégué.
Il semblerait, prima facie, que le contrat de transport multimodal peut être facilement
aligné avec le cas particulier de l’expédition des marchandises. La définition de ce deuxième
contrat est très difficile à formuler et s’opère habituellement par l’énumération des exemples
329
De même, la période de responsabilité selon l’article 18 de la convention ne s'étend pas au-delà de la durée de
transport aérien à tout transport par terre, par mer ou par voie de navigation intérieure effectué en dehors d'un
aérodrome. Dans les deux cas cités, il est en effet impensable que toute autre convention de branche pourrait
intervenir normativement dans une toute autre qualité, c’est-à-dire le contrat de transport multimodal. 330
Il y a aussi un moyen facile d'éviter le problème de la superposition des conventions, si on va finalement
réussir à introduire une solution uniforme pour le transport multimodal. On peut suggérer la séparation des
termes «multimodal» et «combiné». Ce dernier est en effet largement utilisé dans l'écriture académique. Si on
accepte qu’il correspond au transport pliable ou « cassé » et donc au système de réseau, cela ouvre la possibilité
d'introduire une réglementation du transport multimodal avec une désignation uniforme, évitant le conflit avec
des conventions de branche. 331
Évidement on ne peut pas discuter toutes les différences, tels que absence de dualisme d’objet de déplacement
(seulement les marchandises), distances plus longues couverts par le transport multimodal, l’existence d’un seul
document de transport, absence de caractère adhésif du contrat 332
Le contenu de l'art. 1 a) de l'accord MERCOSUR en est la meilleure preuve. Ceci inclut expressément dans le
faisceau des prestations de l’ETM des opérations, groupement, dégroupement, stockage, livraison et la
préservation des biens, toutes manifestement hors du champ des pouvoirs juridiques du transporteur.
RJP 2015-1 (Novembre)
139
des activités qui relèvent de la compétence de l'expéditeur des marchandises comme:
prestation des conseils, conclusion des contrats de transport, la rédaction de documents,
marquage des envois, réception de l'envoi de l'expéditeur, l'expédition, la présentation au
dédouanement et autres mesures organisationnelles et juridiques.
Cependant, il y a un consensus dans la doctrine que l’expédition de marchandises
n’encadre pas le transport en soi, la cargaison et autres (comme par exemple les matières
d'assurance ou d'emballage des marchandises). L’ETM dispose donc des pouvoirs beaucoup
plus étroits333
.
L'expéditeur initial n’est pas du tout intéressé par les mesures à prendre pour assurer
l’effet de la livraison des marchandises à l'endroit désigné sur l'heure prévue, le contrat du
transport multimodal s’approche donc vers le contrat de résultat.
II. Les solutions de responsabilité d’Entrepreneur du Transport Multimodal (ETM)
A. Les systèmes de responsabilité
Compte tenu de la diversité des points de vue sur la nature du transport multimodal, et
la complexité de la construction de la responsabilité, la réponse à la question quelle forme
concrète sera plus pertinente et pratiquement plus opportune, exige de regarder le problème en
deux étapes.
La création d’une relation particulière entre les parties contractantes est la spécificité
principale du contrat de transport multimodal. Il y aura donc, comme on a indiqué
précédemment, deux plans contractuels. Une seule chose incontestable c’est qu’on doit
appliquer des dispositions de branche pour les contrats conclus par l’ETM avec les
transporteurs, car ce sont des contrats de transport classiques. En conséquence, tout le
problème avec la construction de responsabilité de l’ETM repose sur l’adaptation de son
régime aux régulations unimodales qui sont loin d’être ressemblantes.
Le législateur international a donc établi pour chacune des branches du transport un
régime particulier de responsabilité de caractéristique unique334
. La création des dispositions
relatives au transport multimodal doit donc être un tant soit peu cohérent avec les dispositions
unimodales. En effet, le défi le plus important est la construction d'une telle structure, qui sera
un dénominateur commun, permettant de maintenir un minimum de respect aux dispositions
existantes, pour que les différences entre eux ne se traduisent pas par une augmentation des
coûts de conclusion de contrats.
Le système de responsabilité d’ETM est principalement un résultat du point de vue
adapté sur la nature du contrat de transport multimodal. Si on assume par exemple que ledit
contrat est la somme des contrats de transport de branche, et par conséquent il ne possède pas
une autonomie juridique, l’ETM va voir sa responsabilité engagée conformément aux
dispositions relatives à la section où le dommage est survenu. Évidemment, cela ne résout pas
le problème commun quand on utilise le conteneur (en fonction de la source on estime, 50-
80%), lorsque le dommage ne peut pas être localisé.
Avant de passer à l’analyse des hypothèses de systèmes de responsabilité de l’ETM il
convient de souligner que chacun d’entre eux doit prévoir un régime unique de responsabilité
pour les situations du dommage non localisé. La seule différence réside donc dans l’approche
aux cas ou l’endroit où le dommage a survenu est connu.
333
Il y a des systèmes normatifs ou l’expéditeur de marchandises peut effectuer le transport. C’est la situation
d’art. 800 du Code Civil polonais. C’est une prérogative conféré par la loi, pour permettre à l’expéditeur de faire
preuve de diligence due en raison d'événements exceptionnels et imprévisibles, il estime que les intérêts du client
seraient satisfaits dans une grande mesure, si la prestation de transport était effectuée par lui. Il a donc un
caractère purement accidentel. Dans le transport multimodal l’ETM est déjà autorisé par le contrat à effectuer
même le déplacement entier des marchandises. En plus, il peut prendre des mesures qui ne peuvent jamais être
pris par l’expéditeur (p ex. en matière d’assurance). 334
Bien sûr il est impossible de les examiner dans le cadre de ce mémoire.
RJP 2015-1 (Novembre)
140
Il y donc trois systèmes de responsabilité envisageables. On peut donc avoir un
système uniforme ou le fondement de responsabilité et les limites de l’indemnisation335
sont
homogènes à la fois pour les cas de dommage localisé et non-localisé. Le système opposé est
celui qui établit le fondement et les limites uniformes pour le dommage non-localisé, mais
renvoie absolument aux conventions unimodales quand le lieu où le dommage survient est
déterminable. Finalement la troisième possibilité se situe dans le milieu. Dans le système
uniforme modifié le fondement de la responsabilité reste unique, mais on renvoie aux
conventions de branche si les limites y prévues sont supérieures de celles fixés par les
dispositions relatifs pour le secteur ou le dommage est survenu.
Figure 4 – La comparaison des traits caractéristiques des systèmes de responsabilité
d’ETM
Source: élaboration propre
1) Le système de réseau
Le système de réseau essaie d’assurer une conformité de la responsabilité de l‘ETM
avec celles qui existent déjà dans les conventions de branche du contrat de transport. Ainsi, il
est généralement le produit de l'hypothèse que le contrat de transport multimodal ne se
distingue pas assez du contrat de transport unimodal, pour éviter l'application des dispositions
de branche, donc à la conclusion que le contrat TM est en fait la somme de contrats de
transport, ou bien le contrat mixte.
Pour le cas où le dommage peut être localisé, ce système sert comme une sorte de
«réseau» reliant la responsabilité de l’ETM avec les dispositions normatives des conventions
de branche. Il ne crée donc aucune solution du droit matériel, il se trouve satisfait par
l’instauration des règles de conflit. Cependant, on doit rappeler que dans le transport
multimodal, le transport effectué avec l'aide de conteneurs, la situation du dommage
localisable constitue une minorité des cas.
La littérature distingue parfois le système de réseau propre et limitée. La différence se
traduit par l'approche aux prescriptions dispositifs, lorsque la section de transport ou le
dommage survient ne possède pas de réglementation impérative. Le système de réseau propre
respecte aussi des prescriptions dispositifs, pendant que sa version limitée renvoie dans ces
cas à la règle uniforme de responsabilité, prévu par les dispositions relatives au transport
multimodal. Cette solution a été appliquée dans le projet TCM336
.
Le système de réseau possède une autre caractéristique importante. Il ne permet pas
de mélanger des composants de la responsabilité provenant des différents systèmes dans le
cas du dommage localisé. Le renvoi est simple et clair, mais le système lui-même est
suffisamment compliqué. La nécessite d’unir les dispositions des actes (conventions ou lois)
différents va se produire dans le système uniforme modifié.
335
Influant l’étendue de la réparation. Ces limites sont prévues par chaque convention de branche de manière
différente. 336
Reproduit dans l‘annexe par Müller-Feldhammer R., Die Haftung des Unternehmers beim multimodalen
Transport für Güterschäden und Güterverluste aus dem Beförderungsvertrag, Frankfurt am Mein 1996
RJP 2015-1 (Novembre)
141
Les avantages de la mise en œuvre du réseau en pratique résultent principalement pour
l’ETM. La convergence de sa responsabilité avec celle des transporteurs de branche est
maximale. Contrairement au système uniforme les couts de la police d'assurance seront
fortement diminués337
, parce que les demandes de recours vont être toujours possibles à
présenter et prévisibles quant à son étendue.
Le système de réseau présente aussi plusieurs inconvénients. Dans le cas où le
dommage est survenu lorsque les marchandises ne sont pas en mouvement sur l'une des
sections, donc par exemple pendant le stockage. Théocratiquement dans ce cas-là personne
n’est pas responsable, si le transport multimodal est seulement une somme des transports sur
les segments, il n’englobe point des interphases. On pourra remédier à cette situation, par
l’adoption d'une obligation générale de prendre soin des marchandises. Malheureusement elle
est caractéristique pour le système uniforme. On devra donc observer que le système uniforme
et de réseau diffèrent dans la période de responsabilité338
.
Un autre inconvénient de cette solution est sa complexité significative par rapport au
système uniforme. D'une part, il sera donc nécessaire d'adopter des règles uniformes pour la
responsabilité dans des cas du dommage non localisable. Dans le système de réseau limité, le
renvoi à un tel principe sera effectué aussi dans le cas de dommages localisés où il n'y a pas
de réglementation juridique impérative. Malgré cela, le système renvoie en cas de dommages
localisés à une palette entière des solutions normatives. L’ETM devra donc prendre en compte
cette diversité, particulièrement au moment de choisir son assurance339
. Ce phénomène
s’aggrave particulièrement hors d'Europe, où CMR et la COTIF / CIM ne s’appliquent plus et
on doit s’appuyer sur d'autres réglementations locales, qui ne serait certainement pas de
réduire le coût de l'assurance. Autre phénomène indésirable qui résulte du système présenté,
c’est « l’exportation de conventions » c’est-à-dire l’imposition d’une convention à un
contractant qui a son siège dans un pays qui n’est pas partie à une convention de branche.
Parmi les autres inconvénients on devrait mentionner le risque de différends au sujet
de l'emplacement des dommages pour que l’ETM bénéficie d’un régime unimodal plus
favorable. En raison des différences entre les dispositions de branche par exemple. quant aux
exonérations de responsabilité, ou l’étendue de la réparation. Dans le système uniforme ce
n’est plus possible, et dans le système uniforme modifié plus rentable.
Le système de réseau suppose aussi une sorte de fiction que l’ETM est un transporteur
au sens des conventions unimodales segmentaires. Pendant ce temps, selon la position
présente dans ce mémoire, ce point de vue sur la nature du transport multimodal est une
hypothèse inacceptable340
. On peut rencontrer aussi des opinions jugent l'utilisation d'un
système de réseau comme un indice de manque de vision et d'imagination de la part des
avocats, et injustifiable en présence du développement rapide de la technologie et du
maniement des marchandises. Pendant que le transport multimodal intègre les prestations et
crée une chaine de transport, les avocats pensent encore de manière « unimodale ». C'est là
où réside le plus grand défaut du système de réseau - il essaie de démembrer quelque chose en
fait inséparable341
.
337
En effet la complexité du système, à cause du nombre des conventions possiblement applicables, rend
pratiquement impossible de prévoir comment va se former la responsabilité dans un cas particulier, ce qui peut
provoquer l’augmentation des couts des services juridiques. 338
Contrairement Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.141 339
R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.160 340
Le système de réseau encourage donc à constater que le transport multimodal est une somme de contrats ou
un contrat mixte. 341
R. De Wit, Multimodal transport Carrier Liability and Documentation, Londres 1995, p. 142, qui affirme
franchement qu’on ne peut pas « décuisiner » le repas, il n’y a donc aucun raison pour démembrer la chaine de
transport.
RJP 2015-1 (Novembre)
142
Lorsque les dommages causés au cours du déplacement des marchandises ne
parviennent pas à être localisées, le système et le réseau, comme mentionné ci-dessus, est
confronté à la nécessité d'adopter une règle de responsabilité MTO. Cependant, il y a
plusieurs façons possibles de la déterminer, et certains d’eux exigent une brève analyse.
Il est proposé, premièrement d’adopter une règle uniforme fixe342
, mais on peut
imaginer d’autres solutions, et on devrait citer deux d’entre elles. La première proposition
présuppose d’utiliser la convention avec le régime de responsabilité le plus favorable pour
l’expéditeur initial. Le choix s’opère bien sur entre des conventions relatives aux secteurs
d’un cas particulier du transport multimodal. Cette solution est excessivement injuste pour
l’ETM et difficile pour la pratique. Si la convention la plus favorable serait celle sous
l’empire de laquelle on a effectué seulement un part infime du déplacement des marchandises,
l’ETM sera obligé de fournir une prestation manifestement disproportionnée. La notion d’une
convention plus favorable pose aussi des difficultés interprétatives. Non seulement c’est
l’étendue de la réparation, mais aussi la prescription ou l’exclusion de la responsabilité qui
influence ce terme. La question de la charge de la preuve n’est pas moins importante, et le
risque de conflits concertants le droit applicable, qui est ici particulièrement élevé. Donc, il
serait complètement impossible de déterminer a priori des règles qui s'appliquent dans une
situation particulière343
.
Si on suppose que le contrat de transport multimodal est un contrat mixte, il ne sera
pas surprenant si on relativise l’indemnité à tous les moyens de transport utilisés pendant le
transport. Une des solutions proposées est ainsi appelé la « responsabilité repartie », qui offre
une attribution proportionnelle du montant de la compensation entre les sections réalisés par
les moyens de transport concernés, en fonction de leur longueur, calculé sur la base du poids
et la valeur de la cargaison et la limite de l'indemnisation de branche donnée. On arrive donc à
lier le montant de l'indemnisation avec la longueur de la route de la section, qui est un critère
facile à établir, mais totalement incompréhensible, comme en fait, ce sont les évènements
comme le maniement, et ainsi de courtes sections de la route qui causent plus de risque pour
la cargaison, rendant ainsi la relativisation de la responsabilité inexacte. Mais cette fois-là
l'estimation a priori du montant de la compensation est possible, puisque la distance
approximative pour chacun des moyens de transport est connu même avant le déplacement de
la cargaison.
Il convient de rappeler encore une fois que le dommage est rarement localisable dans
le transport multimodal, en raison du fait que le conteneur reste fermé pendant le
déplacement344
. Ce fait affaiblit de façon significative l'importance de la controverse
doctrinale concernant le renvoi aux dispositions de branche. La pratique nécessite alors même
du système de réseau, dans la plupart des cas, de disposer d’un principe uniforme de
responsabilité d’ETM.
2) Le système uniforme
Le système analysé est caractérisé par le fondement de la responsabilité, les exclusions
de responsabilité, et les limites d'indemnisation uniformes, et donc spécifiques seulement pour
le transport multimodal, et c’est à la fois pour les cas du dommage localisé, ainsi que ceux ou
l’endroit où le dommage est survenu ne pourrait pas être déterminé. Une obligation de
surveillance des marchandises pèse donc sur l’entrepreneur du transport multimodal
342
Cela s’effectue par le biais d'une règle générale, de la surveillance, pareille à celle utilise par les conventions
unimodales, selon laquelle l’ETM est responsable des dommages qui pourraient se produire pendant le transport
multimodal et, par conséquent, la durée pendant laquelle il prend la responsabilité de l'intégrité des
marchandises. 343
R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.160 344
R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.165
RJP 2015-1 (Novembre)
143
consistant en la protection contre la perte et les dommages à survenir pendant le processus de
transport entier345
, donc le période de responsabilité s’étend pour le temps ou les
marchandises ne restent plus dans la conduite des transporteurs classiques de branche.
La responsabilité de l’ETM prévue comme uniforme, ne peut pas faire appel à des
solutions de branche, en particulier, en cas de dommages localisés. L'introduction d'un tel
système serait donc une conséquence de l'octroi au contrat du transport multimodal une
autonomie juridique complète, ce qui nécessite aussi la création d’une disposition législative
spéciale, à la fois lorsque on essaiera de la mettre en vigueur au niveau international et au
niveau national.
Sans aucun doute, un avantage important de ce système c’est sa transparence absolue.
La responsabilité d’ETM est déterminée sur la base d'un acte normatif conventionnel ou légal,
sans avoir recours à toute autre réglementation. La forme de cette responsabilité, ses principes
et son étendu serait connu a priori346
. La situation du propriétaire de la marchandise dans un
tel cas serait extrêmement bénéfique. Il ne serait en fait pas du tout obligé dans une telle
situation de la preuve du lieu où le dommage a survenu, en étant sûr d'obtenir une
indemnisation de l’ETM. Donc, cette sécurité juridique avancée permettrait également à
l’entrepreneur de transport multimodal à estimer bien à l'avance des risques posés par les
activités dans la situation juridique particulière, peu importe quelle configuration spécifique
de véhicules sera utilisé dans la circulation des marchandises. Cela pourrait également
affecter la réduction des coûts administratifs et des services juridiques éventuelles347
.
À son tour, l’inconvénient principal du système est évident le problème de la relation
des "plans" du contrat de transport multimodal. L'introduction d'un système uniforme de
responsabilité, même si elle est faite à la suite comme une sorte de moyenne des solutions
unimodales, il n’existe aucune chance de réduire le risque de recours d’ETM. Dans le cas
d’un dommage localisé, puisque seulement dans ce cas on peut parler de recours, rien ne
garantit que l’ETM va récupérer du transporteur de branche toute même partie de la somme
versée à titre de compensation à l'expéditeur.
La raison de cet état de cause est la différence d'approche d’exclusions de
responsabilité, de sorte que le transporteur de branche peut réussir de se libérer de sa
responsabilité vis-à-vis l’ETM, qui devrait payer l’indemnité a’ l’expéditeur initial. Un
phénomène similaire pourrait se produire en raison des différences dans le montant des
limites d'indemnisation. Si le système uniforme prévoit une indemnité pas assez élevée, ou
un nombre excessif de cas d'exonération de responsabilité, il peut porter atteinte aux intérêts
de l’expéditeur initial de la marchandise qui peut recevoir dans ce cas-là du transporteur de
branche sur la base de la réglementation relative la somme supérieure. Cette incohérence
indéniable dans le montant de l'indemnité génère une augmentation du coût de l'assurance, car
l’ETM devra souscrire une police d’assurance pour couvrir les pertes liées potentielles liées à
la situation examinée, dans le cas de dommages localisés sur le secteur avec une régulation
umimodale moins rigoureuse348
.
Le système en question suppose des hypothèses un peu trop optimistes, qu’il est
possible de ignorer les dispositions de la branche, et forcer la nature sui generis du contrat de
transport multimodal dans la doctrine suffisamment pour emporter les conventions
unimodales ou même causer leur changement pour l’unification des dispositions. Sans aucun
doute, dans l'état actuel du droit au niveau international, le système uniforme ne peut pas être
établi par l'interprétation des dispositions, car il nécessite une intervention législative explicite
345
Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.146 346
Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.146 347
R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.138 348
R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.139
RJP 2015-1 (Novembre)
144
dans ce sens, il est également peu probable que pour les raisons de la politique juridique que
ces mesures vont être pris.
Mais il n’est pas possible de souscrire à l’argumentation de Kwasniewski349
qui, en
reconnaissant que, en l'absence d’une convention internationale applicable établissant un
système uniforme de responsabilité, les dispositions de branche forcent leur application pour
les cas du dommage localise en transport multimodal. Si on accepte que ce contrat présente
une qualité distincte de contrat de transport classique, qui est régie par les dispositions de
branche, par conséquent, les dispositions relatives à d'autres contrats ne peuvent jamais
affecter la forme du transport multimodal. Le fait que le lieu où le dommage a survenu est
connu, ne cause que le transport cesse d'être multimodal. Il semble difficile à imaginer que si
le dommage est localisé, le transport multimodal devra se diviser en transport de branche et
un groupe des prestations supplémentaires d’ETM. Les dispositions de conventions
unimodales s’appliquent seulement au deuxième « plan » du contrat de transport multimodal,
dans la relation entre l’ETM qui conclut des contrats de transport classiques avec les
transporteurs de branche, ce qui n'est pas un objet de controverses.
On doit juger possible la conclusion d’un contrat de transport multimodal dans lequel
l’ETM est responsable pour l’exécution du contrat entier de manière uniforme, même lorsque
on n’a pas réussi à déterminer le lieu du préjudice. L’ETM est en fait responsable de
l'exécution du transport multimodal, comme un faisceau de prestations qualitativement
différents, et pas un transport classique. Le contrat du transport multimodal peut être
considéré en vertu de ce point de vue, comme innomé également au niveau international,
puisque il n’y existe aucune disposition spécifique interdisant les partis d'organiser une
relation contractuelle selon sa volonté.
Au cours de la recherche de la régulation du système uniforme de responsabilité dans
le transport multimodal, il est essentiel de prêter attention à l'art. 2 CMR350
qui provoque de
nombreux problèmes d'interprétation doctrinale. Il ordonne, dans le cas où le véhicule
contenant les marchandises, est transporté sur une partie du trajet par un autre moyen de
transport, sans maniement des marchandises, d’appliquer les dispositions de la CMR pour la
totalité du transport. La question est de savoir si cette disposition établit un cas particulier du
transport multimodal, pour lequel crée un système uniforme de responsabilité. Il semblerait
que l'utilisation des deux modes de transport a été effectuée, le déplacement des marchandises
peut donc être considéré comme multimodal. Le véhicule routier est pendant les étapes
successives du voyage, effectué sur la mer ou par le chemin de fer, réduit à un élément - objet
de déplacement des marchandises, leur emballage351
, ce qui semble de confirmer le caractère
multimodal. Cependant on ne peut pas consentir avec une telle hypothèse pour une raison
simple - il est évident que dans une telle situation, pour reconnaitre le transport multimodal il
s’en faut de transbordement des marchandises. C’est pour éviter les risques de dommages aux
marchandises pendant la cargaison, que ce type de transport est utilisé. En outre, la
convention relative au contrat de transport unimodal classique, il ne peut pas réglementer les
cas de transport multimodal, qui constitue un contrat juridiquement autonome, de nature
complètement différente. Les créateurs de la CMR d'ailleurs n'avaient point cette intention, en
fait dans un protocole de la signature ont inclus une clause de réservation, que la
349
Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.146 La position de l’auteur est surprenant puisque
il accorde une nature sui generis au transport multimodal, mais finalement se prononce pour application des
dispositions de branche. 350
La doctrine le commente plutôt négativement, des opinions recueillis p ex. par R. De Wit, Multimodal
Transport, p.103 351
M. Hoeks, Multimodal Transport Law, p.160 Cet auteur trouve que c’est un exemple du transport
multimodal.
RJP 2015-1 (Novembre)
145
réglementation internationale du transport multimodal devrait être traitée par d’autres
dispositions352
.
3) Le système uniforme modifié
Comme on a indiqué plus haut, il n'est pas possible d'éviter la nécessité de règles
uniformes de responsabilité, dans la plupart des cas, c’est-à-dire toujours ou le dommage n’est
pas localisable. Il semble donc inutile de compliquer artificiellement le système de
responsabilité, par une diversification supplémentaire de ses fondements dans la mesure où un
système réseau le propose.
La référence aux dispositions de conventions de branche au niveau du fondement de la
responsabilité crée un système de réseau. Cependant si on effectue le même renvoi seulement
au niveau des limites de l’indemnisation le système uniforme modifié est établi, peu importe
comment on effectue en fait la référence. On peut imaginer une référence absolue à une limite
de l'indemnité de la réglementation juridique en vigueur du secteur ou on a localise le
dommage353
. Une construction plus sophistiqué, est celle qui se réfère à une limite de
l’indemnisation de branche afin de la comparer avec les dispositions uniformes prévus pour le
transport multimodal, qui en quelque sorte, constituent une moyenne de toutes les limites.
Une limite de branche est donc appliquée dans cette hypothèse si elle s'avère supérieure à la
limite uniforme. C’est la solution qui a été prévue par la Convention TM. Le système
uniforme modifié peut être regarde comme un symptôme de concession aux dispositions des
conventions relatives aux différents modes de transport, dans ce cas-là le «réseau» relie donc
seulement des limites de l’indemnisation.
Les auteurs de la Convention TM ont prévu cette solution, donc la responsabilité
uniforme, pour les cas de dommages dont on ne pourrait pas localiser l’endroit où ils sont
survenus. Dans le cas des dommages localisés, sans écarter le principe de la responsabilité
uniforme, on a effectué l'autorisation d'utiliser des limites des dommages-intérêts provenant
de conventions de branche pour le cas dans lesquels la limite de la Convention TM soit
inferieur. Il s'agit essentiellement d'un compromis entre le système uniforme et les avantages
d système de réseau. Le système uniforme modifié emprunte de ce dernier le rapprochement
du recours de l’ETM contre le transporteur de branche avec les prétentions de l’expéditeur
initial contre l’entrepreneur du transport multimodal.
Mais cette solution n'est pas totalement dépourvue d'inconvénients, parmi lesquels
sont mentionnés dans la littérature la sortie des limites de l’indemnisation de leur contexte
constitué par la convention de branche particulière, sans regarder le fondement de la
responsabilité concret, et les exclusions prévus par les dispositions de cet acte. Le recours
donc d’ETM contre p ex, un transporteur maritime doit être évaluée comme incertaine, en
raison des exclusions de responsabilité relativement larges prévus dans les dispositions de la
branche, qui permettent à ce dernier incident, de se libérer de toute responsabilité. Cependant,
c'est l'essence même de la différence entre le système et le réseau uniforme modifié et le
système de réseau, que ce premier il maintient la position que le contrat de transport
multimodal possède son autonomie juridique, donc en permettant l'utilisation de limites de
l’indemnisation supérieurs de branche, rend un clin d'œil aux droit du transport fragmenté,
seulement dans l’étendue absolument nécessaire pour la pratique. On affirme également, que
ce problème est un prix nécessaire qu’on doit payer pour introduire le système uniforme, et
comme une conséquence d'une telle démarche on pourrait même observer l'unification du
352
R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, s.142 353
De telle manière effectuent le renvoi les dispositions du MTMAP, MERCOSUR et ASEAN, comparer U.J.
Ooi, The Pandora’s Box of Unimodal Transport Regimes in a Multi-Modal World: Reasons why Malaysia needs
a Multi-Modal Transport Framework, Shah Alam 2005, p.1
RJP 2015-1 (Novembre)
146
droit de transport en général354
. Il n'est pas non plus physiquement possible de poursuivre la
simplification du système de responsabilité tout en maintenant une certaine cohérence avec
les dispositions de branche355
.
La question de savoir quel système de responsabilité convient le mieux aux besoins de
la situation particulière, créée par le contrat de transport multimodal, peut être abordée par la
méthode d’élimination. Certes, le moins apte à être considéré comme efficace est le système
de réseau. Il est chargé avec le plus grand nombre des inconvénients précités, et leur oppose à
peine quelques avantages secondaires. Le système uniforme peut à son tour être encore
pratiquement équipé pour éviter de trop grandes différences dans la matière de recours sur le
plan des relations de l’ETM et les transporteurs classiques. En reconnaissant qu'un système
uniforme modifiée permet d’effectuer les concessions nécessaires à la diversité de la
réglementation unimodale, va principalement exclure le système uniforme pur. On devrait
donc surement opter pour un système uniforme modifié, qui combine presque toutes les
avantages des deux précédents, sans reproduire leurs inconvénients les plus graves.
B. Le régime de responsabilité
1) Le fondement de la responsabilité
Le cadre de responsabilité de l’ETM doit d'abord être déterminé dans le temps356
. La
plupart des solutions normatives, et notamment la Convention TM prévoit que la période de
responsabilité d’ETM s'étend du moment de la prise en charge des marchandises jusqu’au
moment de leur livraison357
, et donc le temps réel pendant lequel l’ETM dispose du pouvoir
sur les marchandises. Il est évident aussi que conformément à l'article 14(3), il sera également
responsable si le dommage survient au moment où les marchandises sous la garde des entités
agissant en son nom. L'article 15 de la Convention édicte en effet responsable des actes ou
omissions de ses préposés ou mandataires agissant dans l'exercice de leurs fonctions et de
ceux de toute autre personne aux services de laquelle il recourt pour l'exécution du contrat de
transport multimodal, lorsque cette personne agit aux fins de l'exécution du contrat, dans
certaines circonstances particulières358
, comme si ces actes et omissions étaient les siens.
L’ETM ne devrait être responsable que dans la période du temps dans lequel il peut
réellement interférer avec les marchandises. Ainsi, dans sont exclus les périodes au cours
desquelles les marchandises resteront en possession de toutes entités, autres que le personnel
de l’ETM. Ceux-ci comprennent notamment les autorités douanières, les opérateurs de
terminaux, ainsi que d'autres institutions. On doit observer que l’art. 8 de la Décision CAN
331359
effectue ici une extension erronée et injustifiée du période de responsabilité, ne
354
R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p 187 sur le phénomène de la construction archaïque
de la faute nautique, comparer R.Malujda, Schyłek ekscepcji winy nautycznej w regułach rotterdamskich, a
sprawa Tasman Pioneer dans Prawo Morskie Tom XXVII, Gdańsk 2011 p. 85 355
Hoeks donc se trompe en affirmant que le système uniforme modifié est trop complexe et problématique pour
la pratique .M. Hoeks, Multimodal Transport Law, p.24 356
Il n’y a pas besoin de souligner combien il est important de déterminer avec précision le moment où la
responsabilité pour les dommages en cours d'expédition va passer de l'expéditeur à l'ETM. 357
Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.151 L’auteur y observe que la disposition d’art.
14(1) de la Convention TM est similaire a toutes les solutions de conventions unimodales, sauf les règles de La
Haye-Visby qui établissent ce période relativement au transbordement a un navire. 358
Notamment dans l’exercice de ses fonctions professionnelles. 359
Le régime légal commun relatif au transport multimodal en vigueur dans les pays-membres de la CAN - la
Bolivie, l'Équateur, la Colombie et le Pérou, membres associés: le Chili, l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et
l'Uruguay, et l'Espagne dans le statut d'observateur. Consulter:http://www.comunidadandina.org/Quienes.aspx# ,
et N.M. Devia, The Multimodal Transport System in The Andean Community, Rotterdam 2008, p. 15
RJP 2015-1 (Novembre)
147
permettant pas la livraison des marchandises par l’ETM dans les mains d'un non-bénéficiaire,
même si nécessaire par la réglementation normative du lieu de la livraison360
.
Cependant, en raison du fait que sous l’empire de la Convention TM, le principe de la
responsabilité serait uniforme, l’ETM serait responsable des dommages résultant dans les
interphases du transport, même si on va exclure la responsabilité de stockeur.
Il est évident que l’ETM, assumant la prestation de garder la marchandise est
responsable du préjudice résultant des pertes ou dommages subis par les marchandises, ainsi
que le retard à la livraison361
sous la condition que l’évènement qui cause la perte ou retard a
lieu pendant le période de garde362
.
L'adoption de règles adéquates, qui pourraient constituer un fondement de
responsabilité d’ETM n'est pas une tâche simple. Ils peuvent choisir la responsabilité pour
faute et pour risque. On peut également utiliser la charge de la preuve, qui peut dans le cas de
l'adoption du principe de faute influencer significativement la forme finale de responsabilité.
Dans la littérature, on indique qu'il est impossible de trouver une réponse à la question
sur le meilleur principe de la responsabilité d’ETM sans avoir analysé des tendances présentes
dans les solutions unimodales. Depuis l'époque romaine, dans laquelle la responsabilité était
formulée très strictement, sous la forme d’une action prétorienne receptum nautarum,
cauponum et stabulariorum qui ne prévoyait l’exonération que dans des cas exceptionnels de
force majeure, beaucoup de choses ont changé. Au XVIIIe siècle, en Angleterre, la
responsabilité du transporteur à l'aide du concept de private carrier est très affaiblie, puisque
il était responsable seulement pour négligence. Une autre étape a été faite aux Etats-Unis par
le « Harter Act », qui fait prévoit la responsabilité pour faute. Similairement dans les règles
HVR363
de 1921 la responsabilité est fondée sur la faute avec l’inversion de la charge de la
preuve, qui à son tour a inspiré les auteurs de la Convention de Varsovie. On voit donc très
clairement qu’on a cherché à généraliser le principe de la faute, avec de diverses exigences de
diligence rigoureuse364
. Les solutions unimodales se distinguent justement par ce mesureur de
la diligence365
. Pendant quelques dernières années, on observe cependant, une tendance nette
à rendre la responsabilité des transporteurs plus sévère.
Prima facie, il semble que l'adoption du principe de la responsabilité de l'OMT dans
un système uniforme modifié, devrait être possiblement proche aux solutions unimodals366
en
prenant en considération particulièrement des revendications de recours.
Il est difficile d’imaginer que la responsabilité de l’ETM devrait être fondée sur le
principe de risque. Bien que, sans aucun doute transparent et objectivé, ce principe conduirait
à des disparités importantes entre la situation de l'entité habilitée à demander la réparation de
360
On voit donc qu’il y a des différentes échappatoires de responsabilité, p.ex. pendant le dépôt des
marchandises. Dans ce cas-là, les revendications doivent être régies par le droit national du lieu de stockage. La
Convention des Nations Unies sur la responsabilité des exploitants de terminaux de transport dans le commerce
international du 19 Avril 1991 a été une tentative pour remédier à cette situation, cependant, n'est jamais entré en
vigueur en raison de l'impossibilité d'obtenir le nombre requis de ratifications. Art. 5 de cette convention prévoit
notamment la responsabilité pour faute OTT implicite. Comparer Preliminary Draft Convention on Operators of
Transport Terminals as adopted by the governing council of UNIDROIT on 4 may 1983 with explanatory report,
Rome 1983, p.15 361
Art. 16 de la Convention TM 362
Dans le cadre du présent mémoire il n’y a pas de place pour l’analyse approfondie de la notion de la perte ou
dommage subi par la marchandise. Il convient d’observer quand même qu’on peut indemniser non seulement le
damnum emergens, mais aussi le lucrum cessans, parce que ce sont des limites de la responsabilité qui vont ici
sécuriser la situation juridique d’ETM. 363
Les règles de La Haye-Visby, HR modifié par le Protocole de Bruxelles du 23 Février de 1968 364
Cette évolution est présentée tout au long par R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.199 365
Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.56 366
Certaines des dispositions de branche prévoient la responsabilité pour risque: l'art. 17 CMR, 23 COTIF-CIM,
18 MC. Pourtant, CMR et HVR basent sur le principe de faute.
RJP 2015-1 (Novembre)
148
dommage pendant le transport, et les transporteurs de branche. On doit rappeler que très
souvent un segment maritime va être présent dans le transport multimodal, cependant, les
règles HVR qui le régissent, fournissent une des plus légères solutions de la responsabilité
fondée sur la faute uniquement avec inversion de la charge de la preuve seulement dans un
cas précis367
. On ne peut pas oublier que même la Convention MT en ne fournissant que le
principe de la faute présumé, n’a pas trouvé d’acceptation plus large368
.
La conclusion qui peut être tirée des considérations ci-dessus est évident – il est mieux
d'adopter le principe de la faute dans le cas d'un contrat de transport multimodal, puisque elle
correspond mieux à la diversité extraordinaire des situations qui peuvent survenir dans le
transport multimodal, en prenant en compte un certain élément de subjectivité de
responsabilité369
.
Le principe exprimé dans 16 (1) MTC est souvent décrit dans la littérature comme trop
subjectivisé, difficile pour une application pratique370
, il permet l'exonération de
responsabilité, si l’ETM a pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement être exigées
pour éviter l'événement et ses conséquences371
. L’art. 9 (2) i de projet TCM est jugé meilleur
en termes de mesureur de diligence, puisque il statue que l’ETM sera libéré de sa
responsabilité si malgré sa diligence due, il ne pouvait ni éviter ni prévenir les effets d’un
évènement. Des règles UNCTAD/ICC, à son tour, n’utilisent aucune formulation du mesureur
de la diligence372
.
Dans le cas du principe traditionnel de faute est entité autorisée pour demander la
réparation du préjudice doit prouver trois faits: la survenance du dommage, que l'acte d’ETM
était caractérisée par faute ou négligence, et finalement que le dommage résulte d'événements
qui se sont produits à la suite d'un acte ou d'une omission de l’ETM, et donc un lien de
causalité entre l'événement et le dommage373
. C’est une preuve souvent complexe et difficile.
C'est pourquoi on transfère la charge de la preuve au transporteur (dans le transport
multimodal à l’ETM)374
. On est donc en présence de deux présomptions simples contre
l’ETM. D’une part, qu’il a agi de manière fautive, ou caractérisée par négligence, et, d'autre
part, que son action a causé le dommage375
. Finalement la distribution de la charge de la
preuve s’opère de manière présentée ci-dessous :
Tout d'abord, le propriétaire de la cargaison doit prouver l'existence d'un contrat de
transport multimodal, démontrer que l’ETM a reçu les marchandises et leur état.
Conséquemment il prouve la perte quantitative ou de qualitative376
. Puisque on présume la
faute ou la négligence de l'ETM, et le lien de causalité entre son action et le dommage subi,
dans cette situation sa responsabilité est engagée.
367
Il n'est pas difficile d'imaginer comment les coûts d'assurance peuvent augmenter en raison de l'introduction
du principe de risque pour l’ETM 368
L’une des préoccupations était la responsabilité de rigueur excessive. 369
Par conséquent elle a été proposée dans les deux actes les plus importants, la Convention MT et le projet
TCM et est utilisé par les règles de l’UNCTAD/ICC. 370
Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.157, R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des
Unternehmers, p 202 371
Considéré impropre à une évaluation fiable, en raison du fait que le rétablissement de la situation d’ETM
avec une telle précision n'est pas possible, comme trop étroitement associé à sa personne. Il n'est pas ni claire ni
particulièrement déterminé normativement quelles des exigences sont « raisonnables ». 372
La règle 5.1 prévoit que l’ETM sera responsable de la perte ou des dommages aux biens, si l'événement qui
las a causé a eu lieu dans la période de responsabilité de l'ETM, et celui-ci prouve qu'il n'y a pas eu de faute ou
de négligence de sa part. 373
C’est la preuve p ex. sous l’empire de règles HVR. 374
La doctrine anglaise appelle cette pratique une preuve prima facie de la responsabilité. 375
De Wit, Multimodal Transport Carrier Liability and Documentation, Londres 1995, p.334 376
Selon la Convention TM, si les marchandises ne sont pas livrées, le propriétaire de la cargaison pourrait les
considérer comme perdues après 90 jours, dans ce cas, de prouver l’écoulement de cette période.
RJP 2015-1 (Novembre)
149
L’ETM pour se dégager de la responsabilité dispose de trois possibilités:
- Il peut essayer de réfuter la preuve de dommage pendant le transport, afin de se
libérer de la responsabilité dans son intégralité
- il peut prouver qu’il y avait des circonstances particulières de l’exclusion de
responsabilité, prévues dans des dispositions relatives au transport multimodal
- il peut également prouver que lui, et toute personne agissant en son nom, ont pris
toutes les mesures possibles pour éviter les événements qui ont causé le dommage ou de ses
conséquences377
.
L’ETM sans avoir contesté la responsabilité elle-même peut prouver qu’un autre a
contribué pour le dommage, donc peut tenter de réduire l'étendue de sa responsabilité. Enfin,
le propriétaire de la cargaison est en droit de réclamer que le MTO ne peut pas limiter sa
responsabilité, due à l'action avec une faute intentionnelle ou d'une négligence et avec
conscience qu'un dommage peut se produire
.
2) L’exclusion de la responsabilité
Le principe de la faute présumé permet de proposer la construction de circonstances,
qui prouvés par l’ETM vont lui permettre de s’exonérer de toute responsabilité. Lors de la
construction de ces circonstances, on doit prendre en compte d'une certaine manière les
dispositions de réglementation de branche, pour rapprocher le recours de l’ETM aux
prétentions qui exécutera contre lui la même entité autorisée de demander la réparation du
dommage378
. Il faut donc, se demander si la formulation casuistique des circonstances
d’exclusion de responsabilité est nécessaire dans le cas du transport multimodal, et s’il n'est
pas possible de remplacer une clause universelle.
Le projet TCM dans l'art. 9(2) prévoyait, dans sa version de base379
neuf circonstances
énumérées380
. Si des dommages surviennent du fait de ceux-ci, l’ETC est exonéré de
responsabilité, s'il donne la preuve conformément à l'art. 9 (3) TCM. Dans les cas visés aux
paragraphes c) à f) art. 9 (4) TCM créé la présomption que le dommage résulte des
circonstances énumérés dans ces points. Point i) exprime une clause générale d’exclusion de
responsabilité avec le mesureur de diligence raisonnable, inspiré par les règles HVR. Il
semble que la version de base du projet TCM propose un montant excessif des circonstances
d'exonération de responsabilité, et est également trop favorable pour les intérêts de l’ETM
dans leur formulation.
377
Littéralement, ce modèle a été adopté dans la Convention TM dans l'art. 16 (1), ainsi que les Règles
de Hambourg à l'article 5(1). Une autre solution a été prise par la décision 331 de la CAN de 1993, où,
conformément à l'art. 9 selon lequel on prouve un manque de faute et de la négligence, la solution des règles
l’UNCTAD/ICC disposent d’une solution analogique. 378
En raison de leur diversité, il est extrêmement difficile de trouver un dénominateur commun, apte à l'emploi
dans un transport multimodal, particulièrement dans les cas de dommage non-localisable. 379
La version alternative prévoyait seulement quatre circonstances, y compris la faute nautique. 380
Il s'agissait de dommages découlant des événements suivants :
a) la faute ou la négligence de l'expéditeur
b) l'exécution des instructions (commandes) d’une personne qui avait droit à l’édicter
c) l'absence ou le défaut de l’emballage, en raison desquels les marchandises ont été exposés à des dommages,
sauf dans le cas où c’est l’ETC qui devait prendre soin de l'emballage
d) les opérations sur les marchandises, de leur chargement, le stockage, le déchargement effectués par
l'expéditeur initial ou l’entité recevant des marchandises, ainsi que des tiers agissant en leur nom
e) la défectuosité du produit lui-même
f) l’étiquetage des marchandises insuffisant ou manquant, sauf dans le cas où ETC devrait l’assurer
g) à la suite d'une grève, lock-out, interruption ou d'autres pauses dans le travail, l'ETC ne pouvait pas éviter de
diligence raisonnable
h) l'accident nucléaire, si le propriétaire de la centrale nucléaire, ou une entité équivalente est responsable des
dommages selon la réglementation nationale ou internationale
i) un événement dont la survenance l’ETC, malgré sa diligence due, ne pouvait ni éviter ni empêcher ses effets
RJP 2015-1 (Novembre)
150
La Convention TM à son tour, a remplacé entièrement des circonstances casuistiques
par la preuve d’avoir pris toutes les mesures qui pourraient être raisonnablement exigés de
l’ETM et de son personnel. On peut indiquer que la solution la plus raisonnable est l'adoption
d'une seule clause de diligence raisonnable élastique et relativement objectivé, suivant le
modèle de l'article 9 (2) i du projet TCM.
Autre solution a été adoptée dans les Règles de l’UNCTAD/ICC. Principalement, la
même règle générale est applicable, et l’ETM doit prouver absence de la faute de sa part, et de
la part de son personnel. Toutefois, la règle 5.4 prévoit une exonération spécifique de
responsabilité en cas de dommage localisable dans la section maritime ou de voie navigable.
Circonstances justifiant une telle exemption sont (1) l'action ou l'omission du capitaine du
navire, les membres du personnel, pilote ou membre d'équipage de la navigation ou la
conduite du navire, et (2) d'un incendie, à l'exception causé par la faute du transporteur ou
juridique contraignant. Si le dommage résulte du défaut de navire navigable, l’ETM sera en
mesure de se libérer de la responsabilité s’il a fait des efforts raisonnables pour expédier une
navigable. Cette solution, même si était un compromis avec les règles HVR est contestée dans
la littérature comme trop compliqué381
.
Les circonstances permettant l’exclusion de la responsabilité sont différemment
reconnues dans les réglementations régionales relatives au transport multimodal. Le catalogue
le plus large, similaire aux règles HVR est prévu par la loi chinoise, puisque dans ce pays le
transport multimodal est essentiellement basée sur le secteur maritime382
. L’ASEAN et
MTMAP suivent les solutions de la convention TM. Mais toutes les régulations maintiennent
la casuistique des circonstances. Conditions prévues à l'accord de l'ASEAN comprennent une
solution similaire à l’UNCTAD/ICC.
La convention MT dans l'art. 17 prévoit une solution qui permet limiter la
responsabilité de l'ETM dans un cas particulier si à la faute de l’ETM ou de son personnel
rejoint une autre circonstance supplémentaire. Il peut alors prouver que cette circonstance a
contribué à la blessure, ce qui devrait permettre de réduire son obligation de compensation.
Malheureusement cette solution de la Convention MT n’a pas été redoublée dans aucun
règlement régional important.
3) L’étendue de la réparation
L'adoption d'un système uniforme modifié dans la matière de l’étendue de la
réparation est, en plus de la construction de principe de responsabilité unique, la possibilité de
recourir auxiliairement aux limites d’indemnisation prévus par les dispositions de branche
dans le cas de dommage localisé.
La convention MT dans l'art. 19 dans le cas de dommages localisés impose d'adopter
la limite provenant de la convention unimodale ou de la législation nationale, mais seulement
si la limite prévue par la convention elle-même s’avère inferieure, que celle de branche.
L’argument de l'analyse économique constitue un motif principal de cette solution, qui
affirme que le contrat de transport multimodal est conclu seulement, si les limites de
l’indemnisation sont plus favorables que dans les conventions de branche.
On peut imaginer une autre solution, d’un renvoi aux limites de l’indemnisation de
branche dans chaque cas de dommage localisable, quel que soit leur relation avec la limite
381
H.M. Kindred, M.R. Brooks, Multimodal Transport Rules, Haye 1997, p.82 382
Section 8 du chapitre 4 Maritime Code of The People’s Republic of China (Extracts), 1992, S.K.Tai, The
Applicable Law in a Multimodal Transport Contract in China, Seaview No. 96, 2011 p.5, L. Zhu, M.D. Guner-
Ozbek, H. Yan, Carrier’s Liability in Multimodal Carriage Contracts in China and its Comparison with US and
EU, 2011, p. 107, Ch. Schröder, Der multimodale Frachtvertrag nach chinesischem Recht, Berlin 2008, p. 120.
RJP 2015-1 (Novembre)
151
uniforme, de sorte qu’on introduit un réseau des limites. Ce concept a été adopté dans les
dispositions des accords MTMAP, CAN et l'ASEAN.
Des limites de l’indemnisation uniformes pour les dommages non localisés dans la
Convention MT ont été, à leur tour, différenciés selon que le transport contient un segment
maritime ou effectué par voie navigable ou non. Lorsque l'une des secteurs est maritime, le
limite est spécifié par somme plus élevé de celles: 920 SDR / paquet ou unité de cargaison, ou
2,75 SDR / kg. Sinon, le plafond sera de 8,33 SDR / kg. Cette solution offre une uniformité
considérable et constitue une réponse à la diversité des dispositions unimodales383
.
En outre, la Convention MT prévoit, conformément aux dispositions de solutions
unimodales que l’ETM ne sera pas en mesure de bénéficier de cette limitation du montant de
l'indemnité si on va prouver son comportement avec la faute intentionnelle ou imprudent,
entrepris avec la conscience de la probabilité de causer des dommages. Dans une telle
situation, il va réparer tout étendu du dommage.
III. La responsabilité de l’ETM dans le droit interne français
A. Les dispositions à utiliser
Pour répondre à la question dans quelle situation les dispositions normatives françaises
vont être appliqués dans le cas d'un contrat de transport multimodal il convient de rappeler
que le contrat de transport multimodal peut être de l’étendue nationale ou internationale. Dans
le premier cas le droit relatif, c’est le droit français. Il convient de souligner que, dans les
réalités économiques de transport multimodal, et le distances qu’il couvre habituellement
c’est une situation un peu plus rare.
La deuxième possibilité du point de vue de la législation française est plus difficile.
Actuellement, en absence de normes internationales impératives de fond pour la France384
, par
conséquent, on doit orienter l’analyse vers les dispositions de conflit de droit international
privé. Le contrat international, conformément au règlement (CE) n° 44/2001 du 22 Décembre
2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en
matière civile et commerciale (Bruxelles I) ne va être soumis dans la majorité des cas à la
juridiction française que si le défendeur, qui est dans le cas analysé, l’ETM avait son domicile
sur le territoire français385
.
La question la plus importante est, bien sûr celle concernant l’applicabilité de la loi
française. La réponse peut être trouvée dans le Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement
européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles
(Rome I). Selon ses dispositions, précisément en conformité avec l'art. 3, la loi française
pourrait être appliquée au contrat de transport multimodal, si les ont prévus des parties elles-
mêmes, en opérant un choix approprié. Cette possibilité doit être évaluée comme peu
probable, la loi française ne contient pas de réglementation relative spécifiquement au
transport multimodal et il n'y a donc aucune raison rationnelle pour choisir l’ordre juridique
français. En plus ils existent des règles contractuelles, possibles à incorporer dans l’accord des
parties, tels que les Règles UNCTAD/ICC386
.
Dans la deuxième situation, en l'absence du choix des parties conformément à l'art. 3,
du règlement Rome I, la loi française peut être désignée par le règlement lui-même. Cet acte
dans son article 5 prévoit le contrat de transport. Cette disposition et assez générale, pour
383
Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.177 384
La France n’est pas partie d’aucune des conventions concernant le transport multimodal. 385
Art. 2(1) du règlement. On ne peut pas aborder dans le présent mémoire toutes hypothèses possibles
concernant le conflit de juridictions. 386
Règles UNCTAD/ICC pour les documents du transport multimodal de 1992
RJP 2015-1 (Novembre)
152
accorder la possibilité de l’appliquer pour le cas du transport multimodal387
. Cela ne signifie
bien sûr que la nature juridique de ce type de déplacement des marchandises perd son
caractère autonome, on peut simplement raisonner per analogiam. Conformément à l'art. 5, la
loi applicable pour le contrat de transport est la loi du pays dans lequel le transporteur a sa
résidence habituelle, pourvu que le lieu de chargement ou le lieu de livraison ou encore la
résidence habituelle de l'expéditeur se situe aussi dans ce pays. Si ces conditions ne sont pas
satisfaites, la loi du pays dans lequel se situe le lieu de livraison convenu par les parties
s'applique.
Cela signifie que le droit français va être appliqué si l’entrepreneur du transport
multimodal a sa résidence habituelle en France et, en même temps l'itinéraire du déplacement
de marchandises commence ou termine sur le territoire français. Sinon c’est le lieu de la
livraison qui devrait être situé en France, pour que la loi française s’applique, dans ce cas-là
indépendamment du lieu où les marchandises étaient chargés, et de la résidence habituelle
d’ETM.
Il apparaît donc que, en absence de normes internationales de fond, la loi française a
une possibilité de trouver certaines applications. Il existe donc un besoin pour l'analyse de la
législation nationale pour déterminer les dispositions relatives.
Le contrat de transport multimodal est sans aucun doute, dans l'état actuel de la
législation française un contrat innomé388
, c’est-à-dire qui n'est pas réglementé par le code
civil. La recevabilité de la création d’un tel contrat est le résultat du principe de la liberté
contractuelle. Conformément à l’article 6 du Code civil, qui constitue les limites de cette
liberté, en statuant qu’on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui
intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs.
Le contrat innomé possède une triple caractéristique. Ses traits principaux sont la
subsidiarité, la relativité et le caractère transitoire389
.
La subsidiarité se manifeste dans le fait évident que pour pouvoir même considérer le
contrat comme innomé, il ne peut être classé comme l'un des types de contrats nommés par la
loi. Bien que la jurisprudence française ait une tendance de créer des régimes juridiques
particuliers pour certains contrats innommés, ce phénomène ne peut changer leur caractère
innomé390
.
La relativité, à son tour, signifie qu'il n'est pas possible de déterminer le caractère
innomé du contrat sans référence aux autres définitions des types de contrats nommés. Pour
être considéré pour un contrat innomé, on doit constater qu'il diffère manifestement des
contrats nommés les plus proches. C’est donc le cas d'un contrat de transport multimodal, qui
ne peut être considéré ni comme un contrat de transport, ni comme l’expédition de
marchandises, puisque il montre un certain nombre de différences fondamentales391
.
387
Puisque l'art. 5 du règlement constitue notamment, le principe de la lex specialis à l'art. 4, et traite le contrat
de transport, comme un contrat avec une certaine inégalité des parties, ou le cocontractant du transporteur est
considéré la partie plus faible. Si on considère que l’article 5 ne peut être appliqué per analogiam au transport
multimodal, l'art. 4 du règlement va régir cette situation. Selon cette disposition la loi applicable au contrat de
prestation de service, est toujours la loi de ce pays ou le fournisseur de service (dans ce cas, l’ETM) a sa
résidence habituelle. Pour des raisons téléologiques de protection de l’expéditeur initial on devrait permettre
l’application de l’art. 5. 388
Prévu par l’art. 1107 du code civil : « Les contrats, soit qu'ils aient une dénomination propre, soit qu'ils n'en
aient pas, sont soumis à des règles générales, qui sont l'objet du présent titre. » 389
Voir, par exemple Katner W.J., Pojęcie umowy nienazwanej dans: Katner W.J. (dir.) Prawo zobowiązań –
umowy nienazwane. Tom 9. System Prawa Prywatnego Varsovie 2010 p. 15, ou J. Jacyszyn, Umowy
nienazwane, Rzeczpospolita PCD. Thèse n 2 6856/2, LEX, 4.10.1996 390
P.Fréchette, La qualification des contrats : aspects pratiques, Les Cahiers de droit
Volume 51, numéro 2, juin 2010, par. 84 http://www.erudit.org/revue/cd/2010/v51/n2/045635ar.html#re1no117 391
Cette constatation a été effectuée dans le point I B 2) du présent mémoire.
RJP 2015-1 (Novembre)
153
Enfin, les contrats anonymes possèdent un caractère transitoire ce qui s’exprime dans
le fait que le législateur peut répondre au fonctionnement du contrat dans la pratique
commerciale, en plaçant sa régulation dans un acte législatif appropriée, réalisant un objectif
spécifique de la politique du droit. C'est pourquoi un certain nombre de pays et des
organisations internationales ont pris cette tentative de protéger les intérêts des parties du
transport multimodal.
La principale conséquence de la reconnaissance du contrat de transport multimodal
comme le contrat innomé en droit français sera que pour sa construction on va utiliser les
règles générales relatives à la responsabilité contractuelle392
.
B. La commission de transport
Dans le contexte du transport multimodal on doit analyser la figure française de
commissionnaire de transport. Une solution similaire est aussi présente dans le droit de la
Belgique, les Pays-Bas, et l’Italie393
. En France les dispositions relatives sont les articles L-
132-1 et suivants du code de commerce et par le décret 2014-530 du 22 mai 2014 relatif à
certaines dispositions de la partie réglementaire du code des transports.
La question se pose si ce concept englobe le transport multimodal. Dans la littérature
on peut trouver l’avis qu'il est en quelque sorte situé au milieu, entre la notion de l’expédition
des marchandises et de transport.
Premièrement l’art. L132-1 du code de commerce statue que le commissionnaire est
celui qui agit en son propre nom ou sous un nom social pour le compte d'un commettant.
Cependant, classiquement l’entrepreneur du transport multimodal ne peut agir qu’en son
propre nom, puisque c’est la nature de ce contrat, qu’il assume la responsabilité pour
l’organisation du processus de transport. Le commissionnaire de transport est donc seulement
un intermédiaire394
, et non une entité tout à fait indépendante.
Selon la définition du contrat commission de transport, proposé par la Cour de
cassation française395
, par la conclusion de ce contrat, le commissionnaire s’engage envers le
commettant à accomplir pour le compte de celui-ci les actes juridiques nécessaires au
déplacement de la marchandise d'un lieu à l'autre, elle se caractérise par la latitude laissée au
commissionnaire d'organiser librement le transport par les voies et moyens de son choix, sous
son nom et sous sa responsabilité, ainsi que par le fait que cette convention porte sur le
transport de bout en bout.
Le commissionnaire ne peut donc être considéré comme le transporteur classique, il ne
dispose pas d’un droit d’effectuer le déplacement de marchandises lui-même. En outre, même
s’il fournit une telle prestation, rien ne changera dans sa qualification juridique396
. En raison
du fait qu'il n’effectue généralement pas de transport est aussi appelé, avec toutes les
392
Comparer avec P. Fréchette, La qualification des contrats : aspects pratiques, Les Cahiers de droit
Volume 51, numéro 2, juin 2010, p. 375-424 L’auteur affirme qu’il est difficile de reconnaître un régime
juridique nécessairement uniforme aux contrats innommés. Dans ce sens, il apparaît possible, à son point de vue,
de faire un rapprochement avec d’autres institutions du droit civil, tel l’usage qui fait partie du contenu implicite
du contrat. 393
Là, elle possède un caractère doucement diffèrent. R. De Wit, Multimodal Transport, p.21 et M. Hoeks,
Multimodal Transport Law, p.45 394
F. Letacq, Droit des transports: La commission de transport, IDIT, 2004 p.2 395
Cour de Cassation, Chambre commerciale, 16 février 1988, comparer F. Letacq, Droit des transports: La
commission de transport, IDIT, 2004 396
M. Hoeks semble surpris par une telle situation tout à fait naturelle. M. Hoeks, Multimodal Transport Law,
p.45 et suiv. C’est pourquoi il n’accepte pas l'idée d'une nature sui generis du transport multimodal, pour ledit
auteur ce contrat ne constitue qu’une somme des contrats.
RJP 2015-1 (Novembre)
154
imperfections de cette expression prises en compte « le transporteur papier »397
. L’agent de
transport est chargé de la responsabilité étroite du transporteur en cas de perte ou
d'endommagement des marchandises, bien que la commission de transport soit
essentiellement une sorte d’expédition de marchandises élargie, et résulte du fait que, en droit
français le transitaire est fortement lié avec les instructions de son client398
. On peut discuter
si en droit français l’ETM pourrait être classé comme le commissionnaire de transport. Il
semble que, en répondant par l'affirmative comme R. De Wit, on ne voit pas l'inadéquation de
l'ajustement de la responsabilité du commissionnaire aux besoins de l’entrepreneur de
transport multimodal.
Le décret de 90-200 du 5 mars 1990 abrogé par celui de 2014-530 du 22 mai 2014,
l’accès aux professions de transport unifié dans le droit français. Selon art. R 1422-1 on doit
être inscrit au registre des commissionnaires de transport. L’inscription est subordonnée à des
conditions de capacité professionnelle et d'honorabilité professionnelle prévus dans des
articles suivants. Le commissionnaire dispose d’une obligation légale de s'assurer
préalablement à la conclusion du contrat avec une entreprise à laquelle il a fait appel pour
exécuter son contrat de commission de transport, que l'entreprise est habilitée à exercer
l'activité demandée.
Bien que la responsabilité du commissionnaire de transport est présumée, dans le
cadre de l’art. L. 132-4 et L. 132-5, les commissionnaires peuvent s’exonérer en prouvant
qu’ils n’ont pas commis de faute et que l’inexécution contractuelle provient d’une cause qui
leur est étrangère, et constitutive de force majeure, de même qu’ils peuvent stipuler une clause
limitative de responsabilité, et finalement s’exonérer de toute responsabilité en prouvant que
les avaries et pertes survenus ont été causées par un événement de force majeure, la faute du
chargeur ou le vice propre de la marchandise 399
.
Selon le modèle d’un contrat de commission de transport prévu par l’art. 13 de
l’annexe à l’art. D. 1432-3 du décret, la réparation due par le commissionnaire de transport est
égale à 20 € par kilogramme de poids brut de marchandise manquante ou avariée sans pouvoir
excéder une somme supérieure au produit du poids brut de la marchandise de l'envoi exprimé
en tonnes multiplié par 5 000 €. On voit donc que cette limitation est arbitraire et n’est pas du
tout lié avec les limites conventionnelles.
En second lieu, le commissionnaire de transport est responsable à l’égard de son
commettant, du fait de ses substitués. On peut se demander si le contrat de commission de
transport possède une caractéristique d’intuitus personae, donc si le commissaire a besoin de
l’accord d’expéditeur de marchandise pour recourir à un sous-contrat. Dans le transport
multimodal la nécessité de sous contracter est évidente, et absolument indispensable pour
l’exécution propre des prestations par l’ETM. Cependant il y a des opinions dans la doctrine,
que le commissaire de transport ne peut point conclure un accord sans autorisation
préalable400
.
Si les substitués ont été imposés au commissionnaire par le commettant, il n’y a plus
commission mais mandat, et ès-qualité de mandataire le commissionnaire n’a plus à répondre
de ses substitués et n’est plus responsable que de ses fautes personnelles401
. Cependant
l’entrepreneur du transport multimodal assume la responsabilité pour le résultat du processus
397
Ang. paper carrier. Une meilleure traduction serait probablement "transporteur contractuel" contrairement
aux transporteurs du fait avec lesquels il contracte, vous devez vous rappeler, cependant, que l'agent de transport
n'est pas du tout le transporteur. R. De Wit, Transport Multimodal, p.21 398
Ib., p.22. 399
C. Bernat, Le régime de responsabilité des commissionnaires de transport, 25 mars 2010
http://cedricbernat.wordpress.com/2010/03/25/le-regime-de-responsabilite-des-commissionnaires-de-
transport/#comments, par. 238-2 400
Ib. par. 239-1 401
Art. 1994 du Code civil, Ib. par. 239-3
RJP 2015-1 (Novembre)
155
de déplacement des marchandises et qui en fait va le réaliser dans un de secteurs n’est pas du
tout important. Le contrat de transport multimodal n’est jamais le mandat. Même si
l’expéditeur initial va imposer un transporteur concret dans le contrat, l’ETM ne cesse être
responsable pour l’exécution du contrat par cette entité.
La deuxième différence la plus grande entre la commission de transport et le transport
multimodal réside dans le fait que la responsabilité du commissaire dans le cas du dommage
localisé est recherchée selon les dispositions de branche relatives au contrat de transport. Il
peut donc se prévaloir des exclusions de responsabilité, des limites d’indemnisation de
branche. Selon l’art. 13.1. de l’annexe à l’art. D. 1432-3 du décret mentionné ci-dessus la
réparation de ce préjudice prouvé due par le commissionnaire de transport est limitée à celle
encourue par le substitué dans le cadre de l'envoi qui lui est confié. Quand les limites
d'indemnisation des substitués n'ont pas été portées à la connaissance du donneur d'ordre ou
ne résultent pas de dispositions impératives, légales ou réglementaires, elles sont réputées
identiques à celles relatives à la responsabilité personnelle du commissionnaire de transport.
En d’autres termes, le commissionnaire répond de ses substitués dans les mêmes
conditions que ces derniers, donc sa responsabilité du commissionnaire est alignée sur le
régime de responsabilité du cocontractant défaillant402
. On a déjà démontré que c’est
indésirable dans le transport multimodal. La responsabilité de l’ETM est autonome de celle
des transporteurs de branche.
C. Bernat y voit une qualité de la commission de transport. Cependant, contrairement
à son opinion, l’entrepreneur du transport multimodal doit indemniser la totalité du dommage
subi par l’expéditeur initial, même si en se retournant vers le transporteur défaillant il ne va
pas être indemnisé dans la totalité, à cause de la limitation de sa responsabilité, ou même pas
du tout si une circonstance particulière d’exclusion de responsabilité se produit403
. C’est dans
la nature du transport multimodal, et dans l’autonomie de la prestation assumé par l’ETM qui
est garant du succès du déplacement des marchandises indépendamment des transporteurs du
fait. La thèse qu’aucun opérateur ne se risquerait à contracter ès-qualité de commissionnaire
est aussi indue, puisque c’est la nécessité de l’organisation du processus d’une chaine de
transport qui pousse à contracter multimodalement, et la police d’assurance résout le
problème. Bernat semble oublier aussi que dans le transport multimodal, le dommage est
rarement possible à localiser.
On est en présence d’un système de responsabilité de réseau. Dans le cas où on ne peut
pas localiser le dommage le système renvoi aux dispositions de branche. On a déjà prouvé que
cette solution ne répond point aux besoins du transport multimodal. Il convient donc de
constater que la commission de transport n’a pas été créée pour le transport avec utilisation de
différents moyens de transport, ni ne donne aucune réponse aux problèmes juridiques
particulières de ce type de transport.
C. La solution proposée
Premièrement on doit donc constater qu’on est en présence d’un vide législatif. Le
transport multimodal ne possède aucune disposition législative relative, ni conventionnelle, ni
de droit interne. Dans cette situation, un certain nombre de problèmes se posent. Tout d'abord,
sans aucune position prise par le législateur, on peut être tenté, surtout en regardant les
dernières tendances dans la littérature d'autres pays à admettre que le transport multimodal
n’est que la somme des contrats. Une telle situation condamne également les parties à
l'utilisation de modelés de contrats ou règles contractuelles fonctionnant dans la pratique
402
Ib. 403
Ib. Bien sûr, la responsabilité du commissaire peut être construite d’une telle façon. Mais cela ne peut pas
habiliter à qualifier le transport multimodal dedans la notion de la commission. Le commissaire est donc plutôt
un transitaire.
RJP 2015-1 (Novembre)
156
commerciale ou à la construction du contrat par les parties-elles mêmes. Chaque défectuosité
de détermination des stipulations par les parties sera très difficile à remplir par la loi française.
Les expéditeurs initiaux ne sont aussi suffisamment protégés par la loi.
Puisque le découpage de l’opération du transport ainsi effectuée n’est pas possible on
doit réfléchir sur le régime unique relatif au contrat du transport multimodal. On est en
présence d’un vide total, puisque il est difficile d’imaginer l’application des dispositions
relatives à un autre type de contrat.
Plusieurs éléments de responsabilité ne peuvent point être interprètes per analogiam.
Sans détermination d’un système de responsabilité on devrait admettre le système uniforme.
Même si on assume la faute présumée comme le fondement de la responsabilité, on n’arrive
pas à préciser des circonstances d’exclusion de responsabilité. Les limites de responsabilité ne
peuvent pas être déterminées sans l’intervention du législateur.
Il semble impossible de maintenir cet état de choses. La législation existante ne permet
pas le développement du transport multimodal en France. Cependant on ne peut pas se
concentrer uniquement sur l’amélioration de la logistique, construction des terminaux,
infrastructure et des systèmes d’information routière404
. Les changements législatifs doivent
s’opérer pour assurer le système prévisible et la protection des parties du contrat de transport
multimodal405
.
Comme il ressort de ce qui a été montré jusqu'à présent, le contrat du transport
multimodal en raison de sa spécificité et la complexité d’un univers contractuel créée au
moment de sa conclusion, mérite à être traité indépendamment. L'application des dispositions
générales du code civil doit être jugé insuffisante. Puisque la détermination jurisprudentielle
ne sera jamais cohérente, on devrait proposer l’introduction du contrat dans la catégorie des
contrats nommés.
L’introduction du contrat de transport multimodal dans le droit français devrait
s’opérer principalement par adjonction d’un nouveau titre dans le code de commerce, comme
il est un contrat distinct, mérite d’être traité séparément. Une loi spéciale relative au transport
multimodal est aussi envisageable.
Non seulement les éléments de la responsabilité devront être inclus dans la régulation.
Il est souhaitable que le législateur créé un système de responsabilité logique et cohérent avec
les hypothèses d'un système uniforme modifié. Il est donc nécessaire, comme un minimum
absolu d’inclure:
- la définition de l'entité de l’entrepreneur de transport multimodal, quelle que soit sa
dénomination, bien que l'introduction de la confusion conceptuelle plus grande ne semble
qu’illogique406
. On peut soit utiliser la notion d’ETM, ou le terme d’organisateur du transport
multimodal407
.
- la définition de la notion de contrat de transport multimodal, préférablement suivant
le modèle proposé dans la Convention TM, donc en supposant qu'il s'agit d'un contrat dans
lequel l’ETM s'engage, en contrepartie d'une rémunération, à effectuer le déplacement des
marchandises. Il est possible et même recommandé de préciser à ce stade que l’ETM assume
404
V. Lefavrais, Le transport multimodal en France, choix stratégique ou désillusion ? Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne, 2010 p. 21 405
Les raisons pour avoir le régime légal du contrat du transport multimodal sont identiques a celles qui
motivent la régulation du transport classique ou la commission de transport, qui sont des autres types de contrats
populaires dans la pratique commerciale. 406
La dénomination est secondaire, mais il est important qu’elle soit facile à distinguer du transporteur et
expéditeur des marchandises. 407
Utilisé par Professeur Bonassies, cité par C. Bernat Contrats spéciaux du commerce maritime : les contrats
proches du connaissement maritime, 25 mars 2010
http://cedricbernat.wordpress.com/2010/03/25/contrats-speciaux-du-commerce-maritime-les-contrats-proches-
du-connaissement-maritime/
RJP 2015-1 (Novembre)
157
tout un faisceau de prestations qui vont au-delà des pouvoirs du transporteur classique. Par
exemple, il peut être clairement indiqué que le concept de transport multimodal au-delà du
simple fait de déplacer les marchandises comprend toute la gamme des services, telles que la
collecte, le groupement, la dissociation, le stockage, la livraison et l’assurance des biens.
- la détermination de la période de responsabilité, en conformité avec la majorité
écrasante des réglementations, du moment de la prise en charge des marchandises jusqu’au
moment de leur livraison, l’intervention des autorités et des entités tierces prise en compte.
- la détermination du principe de responsabilité d’ETM comme la faute présumé, donc
charge de preuve renversée, c’est-à-dire l’obligation pour l’entrepreneur du transport
multimodal de prouver la diligence due pour exclure sa responsabilité pour le dommage qui
est survenu
- la détermination des limites de responsabilité pour les dommages en faveur de
l’ETM, où il est recommandé fonder la solution sur celle la Convention MT,
- introduction d’une disposition en conformité avec laquelle, l’ETM ne sera pas en
mesure de bénéficier d’une limitation de l'indemnisation s’il est prouvé que la perte, le
dommage ou le retard à la livraison résultent d'un acte ou d'une omission qu'il a commis, soit
avec l'intention de provoquer cette perte, ce dommage ou ce retard, soit témérairement et en
sachant que cette perte, ce dommage ou ce retard en résulteraient probablement408
.
On doit fortement déconseiller au législateur la tentative de répétition à ce point des
solutions allemandes qui reprennent explicitement le système de réseau de responsabilité
d’OTM en statuant les dispositions spécifiques suivant dans le code du commerce ceux
relatifs au contrat de transport classique409
.
Il est également recommandé de laisser la porte ouverte pour une éventuelle
convention internationale relative au transport multimodal, donc une des dispositions peut
statuer que la législation nationale n’affecte point des dispositions conventionnelles dans la
matière.
Il semble que maintenant, lorsque l'accent est posé de manière considérable sur la
protection de la partie faible du contrat la mise en place de la réglementation du contrat du
transport multimodal doit être préconisée. Ce serait certainement une solution moderne, qui
pourrait contribuer à la compétitivité des réalités du système juridique de transport français.
A.Salomon a déjà averti que si on ne prend pas rapidement des mesures pour renforcer
l'attractivité du système national, en tant qu’un pays de transit pour les itinéraires de transport
multimodal, la vraie menace est l'augmentation de la position de autres pays est possible410
.
L'auteur a souligné qu’en Europe il y a des conditions pour le développement intensif du
transport multimodal et objectifs mentionnés pourrait être atteint par un règlement juridique
moderne.
En raison du fait que les solutions normatives nationales ne peuvent pas être
suffisantes dans tous les cas dans la pratique du transport, on devrait envisager d'autres
possibilités qui peuvent être utilisés pour obtenir une régulation cohérente de transport
multimodal. Bien entendu, comme déjà indiqué, sa spécificité réside dans le fait qu’il couvre
des longues distances. Des conditionnements géographiques et politiques causent, par
conséquent, qu'il va souvent au-delà des frontières des pays. Dans la plupart des cas, il sera
donc un transport international, exigeant, par conséquent, l'unification des solutions
normatives d'une manière spéciale par des conventions internationales appropriées, qui ont un
pouvoir unifiant beaucoup plus développé que la loi nationale.
408
Donc l’équivalent de l’art. 21(1) de la Convention TM 409
Art. 452a HGB et suiv. 410
A. Salomon, Spedycja w handlu morskim. Procedury i dokumenty, Wydawnictwo Uniwersytetu Gdańskiego,
Gdańsk 2003, p.186–202
RJP 2015-1 (Novembre)
158
La réponse à la question de savoir si on devrait recommander à la France de ratifier la
Convention TM doit être paradoxalement négative. La ratification ne sera qu’une idée
idéaliste. La Convention ne va jamais entrer en vigueur411
, le nombre des ratifications exigées
est trop élevé, elle ne va donc en conséquence jamais entrer dans le régime juridique français.
Il est peu probable qu’on peut attirer l’attention suffisante à la convention qui est aujourd’hui
vieille et n’est pas dépourvue des imperfections mineures412
.
En particulier, il serait souhaitable de déconseiller la ratification par la France les
Règles de Rotterdam. Ils contiennent des solutions « maritimes plus » préjudiciables au
fonctionnement de la pratique du transport multimodal et se caractérisé par la complexité
inutile et ambiguïtés nombreuses dans ses dispositions. La ratification est, bien sûr, du point
de vue du transport multimodal, inutile aussi parce que cet acte n'est pas du tout complexe, et
n’englobe pas toutes les cas du transport multimodal, mais seulement ces trajets qui
contiennent un secteur maritime.
Il semble que l'on devrait plutôt opter pour un nouvel examen de la thématique et le
recommencement des travaux sur une nouvelle convention internationale concernant le
transport multimodal. Il est très probable que l'atmosphère parmi les opérateurs de transport
va permettre l'adoption de solutions uniformes pour le transport multimodal. Il n'est pas
inconcevable que le texte de la Convention TM ou les suggestions de Projet ISIC413
peuvent
statuer un point de départ pour une éventuelle réglementation du transport multimodal.
Ce qui est certain, c'est que si on propose un projet de convention, on doit absolument
exclure les liens avec la Convention MT qui est, comme on a déjà indiqué, jugée trop sévère.
Cela ne signifie pas, cependant, que la nouvelle convention devrait présenter beaucoup de
différences414
. L’encouragement à un tel accord international est devenu possible en raison du
fait que, depuis le début de Convention TM beaucoup de temps a déjà passé et le transport
multimodal a gagné en popularité. Le commencement, ou plutôt la renaissance des travaux
sur la convention avait certainement une portée considérable pour la circulation des
marchandises et la pratique de conclure des contrats du transport multimodal au niveau
européen, on doit donc opter pour la reprise de la discussion sur cette éventualité.
Conclusion
L’étude de droit comparé de la gamme de solutions normatives, de projets, de
conventions, de la régulation au niveau international, régional et national, présentées dans ce
mémoire, l’analyse dogmatique de la question de la forme théorique de la responsabilité,
enrichie par une tentative de prendre en compte les conséquences pratiques de ces éléments
structurels de chaque des solutions juridiques de la responsabilité de entrepreneur du transport
multimodal a permis de formuler un certain nombre de conclusions.
La forme de la responsabilité d’ETM est fondamentalement affectée par l’hypothèse
admise de la nature du contrat du transport multimodal. On a prouvé que la seule théorie
acceptable, non seulement théoriquement, mais détenant également une vaste dimension
pratique est la classification du contrat de transport multimodal comme un contrat sui generis.
Pour une telle construction on ne peut pas alors appliquer les dispositions de branche relatives
411
Cela ne signifie pas qu’elle n’inspire pas des solutions dans le domaine. Consulter M. Faghfouri.,
International Regulation of Liability for Multimodal Transport – in Search for Uniformity dans WMU Journal of
Maritime Affairs, Volume. 5, nr 1, 2006, s. 99, et dans le meme sens Multimodal transport. The feasibility of an
international legal instrument UNCTAD/SDTE/TLB/2003/1 p.13 412
Rien n’empêche les états d’intégrer les solutions normatives d’une convention inapplicable dans le droit
national. 413
M.A. Clarke, R. Herber, F. Lorenzon, J. Ramberg, Integrated Services in the Intermodal Chain (ISIC) Final
Report Task B: Intermodal liability and documentation, Southampton 2005 414
Il est parfois suffisante pour obtenir un plus grand intérêt et l'acceptation sur le niveau international de réaliser
certaines opérations de marketing, il suffit donc préparer un « emballage » nouveau pour la solution.
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159
au contrat de transport classique, puisque ils ne sont pas capables de régler la responsabilité
dans les cas du dommage non localisable. Le contrat analysé n’est donc ni un cas particulier
de l’expédition de marchandises, ni une somme de contrats ou un contrat mixte. Donc,
évidemment est apparu ici, le besoin de formuler des réglementations relatives au transport
multimodal, adaptés à sa réalité. Ce besoin était, par ailleurs, reconnu, et on a tenté de
répondre par des nombreux projets des conventions nationales et régulations régionales, dont
malheureusement seulement un certain nombre sont entrés en vigueur dans les enclaves
régionales.
En premier lieu, il convient de souligner qu’un système de transport multimodal tout à
fait correct et fonctionnel est celui qui conduit à une réduction des coûts de la passation des
contrats, ce qui devrait être une priorité non seulement à l'échelle internationale, mais aussi
dans les systèmes normatifs nationaux. Un tel résultat ne peut être atteint que par la création
d'un système prévisible et certain de la responsabilité d’ETM. Un autre facteur important est
la coexistence dans le contrat de transport multimodal de deux plans, et donc la nécessité pour
la synchronisation de recours contre l’ETM et contre les transporteurs de branche en cas de
dommages localisés.
Le système uniforme modifié de responsabilité d’ETM s’est révélé la meilleure
solution. Le système de réseau n'est pas en mesure de réduire le coût de passation de contrats,
par renvoi artificiel et conservateur à la réglementation de branche en vigueur.
Le système uniforme modifié permet donc d’achever une sécurité, et en liant les
limites d’indemnisation de conventions de branche constitue une concession maximale aux
solutions de branche.
Parmi les propositions qui ont été présentées par les experts dans le cadre d'un débat
au sein des organisations internationales la Convention MT s’est avéré la meilleur jugé. Fait
de cette manière a permis l'émergence d'une vue d'ensemble des solutions dotées de la plus
grand nombre possible d'avantages structurels, mais aussi pratique, chargé avec le nombre
minimum de défauts.
L'analyse a montré que le système uniforme modifiée de responsabilité de l'ETM
devrait être complété par les éléments structurels de la responsabilité de manière que la
responsabilité de l'ETM s'appuye sur le principe de la faute présumé La période de la
responsabilité doit être prévue pour le temps pendant lequel l’ETM dispose d’un pouvoir
effectif sur les marchandises. Comme on a démontré, le renversement de la charge de la
preuve devrait être accompagné par la formulation du mesureur de la diligence due de l’ETM.
Il n'est pas nécessaire de formuler des circonstances excluant la responsabilité dans la manière
casuistique, dans la solution unique pour le transport multimodal. On a démontré qu’une
clause générale est plus avantageuse.
Les limites de l’indemnité, peuvent être associés avec ceux de branche dans chaque
cas, ou seulement si s’avèrent plus élevés que celui prévu par les dispositions relatives au
transport multimodal. La convention potentielle devra pourtant plutôt unifier les limites, pour
servir d’une impulsion d’effacement de l’approche sectorielle.
Pour assurer la sécurité et la prévisibilité du système de responsabilité de l’ETM, on
devrait d'abord opter pour le début des travaux sur le projet de la nouvelle convention, qui
d'une manière intégrale régira les questions de transport multimodal et dans les hypothèses
conformément a ceux présenté dans ce mémoire. Seulement un tel instrument, en supposant
son acceptation universelle, est capable de faire un changement important dans les coûts
pratiques de la conclusion de contrats de transport multimodal et de contribuer ainsi à la
propagation et à l'amélioration du processus de transport. Et ce devrait être une convention
spécifique, non un instrument « transport plus », qui comme on a indiqué ne peut pas
répondre aux besoins du transport multimodal. En outre, il est recommandé que ce soit une
nouvelle convention, parce que les solutions existantes ne vont recevoir jamais assez de
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160
popularité, voire ne conviennent pas à règlementer le transport multimodal et leur entrée en
vigueur doit être considéré comme préjudiciable à la pratique du transport.
Une solution secondaire quant à l'échelle, mais qui détient également une grande
importance est la question de l'adaptation du contrat étudié en vertu du droit national. Le
problème est né lorsque le droit national est indiqué par le choix de parties ou les règles de
droit international privé. En absence d'un règlement distinct, y compris internationale, dans le
droit français des règles générales du contrat se révéleront à être appropriées et ils, dans
n'importe quelle configuration imaginable ne sont pas en mesure de répondre à un ensemble
spécifique de besoins de ce type de transport. Pour que la responsabilité d’ETM soit
prévisible et son détermination a priori soit possible, il est nécessaire d’introduire le contrat
dans la loi française, et en fait, suivant l'exemple d'autres pays415
au code civil ou commercial.
Bien sûr, ce travail ne pouvait pas épuiser tout le potentiel du sujet. Il y avait des
questions qui, même que intéressants, devraient être laisses a la marge des considérations. On
peut mentionner la nécessité de l’étude plus approfondie des coûts spécifiques d'assurance,
ainsi que la possibilité réelle de mettre en vigueur de nouvelles solutions juridiques que ce
soit par les organes législatifs de l'Union Européenne, ou les tentatives successives de
l'Organisation des Nations Unies.
glossaire
Accord MTMAP – l’accord concernant le Transport Multimodal International de
L’Amérique du Sud (1996)
CAN – Décision 331 de Comunidad Andina de Naciones relative au transport, multimodal,
1993
CMNI – convention de Budapest relative au contrat de transport de marchandises par voie
navigable du 22 juin 2001
CMR – convention de Genève relative au contrat de transport international de marchandises
par voie terrestre depuis du 19 mai 1956
Convention de Varsovie – la convention de Varsovie pour harmonisation de certains
principes de transport aérien international du 12 octobre 1929
Convention MC – la convention de Montréal pour harmonisation de certains principes de
transport aérien du 28 mai 1999
Convention TM – la convention de l’ONU de Genève relative au transport multimodal
international de 1980
COTIF-CIM – convention relative au transport international ferroviaire (COTIF) du 9 mai
1980 telle que modifiée par le Protocole de Vilnius du 3 Juin 1999, annexe B (CIM)
HBR – les règles de Hambourg (La Convention de Hambourg), de l'Organisation des Nations
Unies sur le transport de marchandises par mer de 1978
HR – Règles de La Haye, la convention de Bruxelles pour l'unification de certaines règles
relatives aux connaissements du 25 août 1924
HVR – Les règles de La Haye-Visby, HR modifié par le Protocole de Bruxelles du 23
Février de 1968
Règles UNCTAD/ICC – Règles UNCTAD/ICC pour les documents du transport multimodal
de 1992
RR – Règles de Rotterdam, la Convention de l’ONU concernant le contrat de transport
international effectué partiellement ou entièrement par mer de 23 septembre 2009
415
P ex. la Chine, l’Allemagne
RJP 2015-1 (Novembre)
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cadavres et des cendres (chapitre VI, section 05) in Traité des nouveaux droits de la mort,
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