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RJP 2015-1 (Novembre)

2

Olivia Sabard Professeur de droit privé, Université de Tours

Carine Laurent-Boutot Maître de conférences en droit privé, Université d’Orléans

CRJP - FDEG - ITP NORMATIS - Université d’Orléans

Revue Juridique Pothier

UFR Collegium d’ITP Droit, Economie, Gestion

Rue de Blois – BP 26739 - 45067 Orléans cedex 2

www.univ-orleans.fr/crjp

[email protected]

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Sommaire

Novembre 2015

Editorial ................................................................................................................................................... p.5

Chronique de jurisprudence des Master 2 de droit privé

- Master 2 droit des affaires et fiscalité, par les étudiants

o Procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire et preuve de

l’insolvabilité du débiteur ................................................................................................ p.6

o Action paulienne exercée par l’administration fiscale ................................................... p.9

o Absence de devoir de mise en garde par le banquier dispensateur de crédit à

l’égard des emprunteurs avertis ...................................................................................... p.14

o Clôture d’un compte bancaire professionnel .................................................................. p.22

o L’inefficacité de la clause résolutoire d’un bail commercial en procédures

collectives ......................................................................................................................... p.25

o Recevabilité et bienfondé d’une action en responsabilité délictuelle fondée sur

une inexécution contractuelle ........................................................................................... p.28

o Demande en paiement du solde débiteur d’un compte-joint ........................................... p.33

o L’interruption de prescription de l’admission des créances dans les

procédures collective ........................................................................................................ p.36

o Le refus d’exonération de la taxe annuelle de 3% sur la valeur vénale des

immeubles possédés en France ....................................................................................... p.41

o Garantie financière et défaillance des intermédiaires d’assurance ................................ p.46

o L’état de cessation des paiements déterminé par le défaut de paiement des

sommes d’un titre exécutoire ............................................................................................ p.53

o L’impossible mise en œuvre par le débiteur du bénéfice de subrogation, droit

exclusif de la caution ........................................................................................................ p.58

- Master 2 droit social et gestion des ressources humaines, par les étudiants

o Période d’essai ................................................................................................................. p.63

o Co-emploi ......................................................................................................................... p.67

o Contrat à durée déterminée ............................................................................................. p.72

o Rupture du contrat de travail ........................................................................................... p.79

Résiliation amiable du contrat de travail

Démission

Prise d’acte

Licenciement économique

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- Master 2 droit et gestion du patrimoine privé

o Assurance et gestion de patrimoine : deux ans de jurisprudences berruyères et

orléanaises : (janvier 2013 – juin 2015) : par Matthieu Robineau, Maitre de

conférences en droit privé, Co-Directeur du Master 2 DGPP .......................................... p94

Articles et mémoires

- De la responsabilité à la responsabilisation des dirigeants : Article de Monsieur Iony

Randrianirina, Docteur en droit privé de l’Université de Poitiers, Centre d’Études sur

la Coopération Juridique Internationale (FRE 3500), Attachée Temporaire

d’Enseignement et de Recherche à l’Université de Saint-Étienne ............................................... p.107

- La responsabilité de l’Opérateur du Transport Multimodal en doit français :

Mémoire De Monsieur Będkowski Szymon ................................................................................ p.125

Brèves ....................................................................................................................................................... p.161

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Editorial

En cette fin d’année 2015, j’ai le plaisir de vous annoncer la publication du troisième numéro de la

Revue juridique Pothier.

Fidèle à l’esprit de la revue, ce numéro met en avant les travaux des étudiants de master.

De nouvelles chroniques de jurisprudence des cours d’appel d’Orléans et de Bourges ont été réalisées.

Après sélection des arrêts mis à leur disposition par les greffes de ces juridictions – que nous

remercions pour leur collaboration –, les étudiants de master 2 ont rédigé des notes d’arrêts. M.

Robineau, maître de conférences à l’Université d’Orléans, a accepté lui aussi de se prêter à l’exercice

pour cette livraison.

Un mémoire de recherche de master 2 en droit des transports est également publié. Il est l’œuvre d’un

étudiant du M2 affaires européennes et internationales délocalisé à l’Université de Jagellonne à

Cracovie.

La Revue juridique Pothier a également vocation à publier les travaux de recherche des enseignants-

chercheurs. Dans ce numéro, une étude empruntant au droit de la responsabilité et au droit des sociétés

a été choisie.

Pour finir, j’aimerais profiter de cet éditorial pour annoncer que je quitte mes fonctions de directrice

scientifique de la revue. Nommée à l’Université de Tours, il me paraît naturel de laisser la place aux

membres de l’équipe orléanaise.

Je tiens à remercier Carine Laurent-Boutot et Laurence Sallé pour leur implication importante et avec

qui j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler sur ce projet.

En vous souhaitant une belle lecture,

Olivia Sabard

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Chronique de jurisprudence des Master 2 de droit privé

Chronique de jurisprudence des étudiants de

Master 2

Droit des affaires et fiscalité

1) Procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire et preuve de

l’insolvabilité du débiteur

Cour d’appel d’Orléans (chambre commerciale, économique et financière) 29 janvier 2015

n° RG : 14/02226

Exposé du litige :

Monsieur Brice LE R. a saisi la commission de surendettement des particuliers d'Indre et

Loire d'une demande de traitement de sa situation de surendettement. Cette demande a été

déclarée recevable et la commission a imposé un rééchelonnement de tout ou partie de ses

dettes sur une durée de 96 mois en prévoyant des remboursements mensuels de 1.009 euros et

a recommandé l'effacement partiel des dettes restantes à l'issue de ce délai.

La Société Générale et Monsieur LE R. ont contesté ces mesures devant le tribunal d'instance

de Tours qui, par jugement en date du 12 juin 2014, a fixé la capacité de remboursement

mensuel du débiteur à 867 euros et a élaboré un nouveau plan avec effacement partiel des

dettes restantes à l'issue.

Monsieur L. a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 26 juin 2014.

Devant la cour il fait valoir qu'il s'est désormais installé en Guadeloupe où il a créé une

société ; qu'il perçoit une rémunération mensuelle actuelle de 1.000 euros qui devrait

parvenir d'ici quelques mois à 1.300 euros ; que ces revenus lui permettent très difficilement

de faire face à ses dépenses courantes et qu'il doit en conséquence être retenu qu'il ne dispose

d'aucune capacité de remboursement. Il sollicite le bénéfice d'une mesure immédiate de

rétablissement personnel sans liquidation judiciaire.

Aucun créancier n'a comparu. Le RSI, la Banque populaire, le Centre des finances publiques

de Montbazon, le Centre national du chèque emploi service universel, BNP Paribas et le

Crédit Mutuel ont écrit pour faire connaître le montant de leur créance.

CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :

Attendu qu'il résulte du dossier que le montant total des dettes de Monsieur LE R. s'élève à

plus de 405.000 euros ;

Que lorsqu'il a statué, le tribunal a retenu que le débiteur percevait des ressources

mensuelles de 2.927 euros, ce qui est toujours le cas puisqu'en sus de ses revenus, il continue

de recevoir des indemnités de Pôle Emploi qui lui permettent de continuer à bénéficier des

mêmes ressources mensuelles ;

Que le tribunal a également retenu qu'il devait supporter des charges s'élevant à 2.060 euros,

ce qui apparaît encore une fois correspondre à sa situation actuelle puisqu'il justifie de frais

de :

-loyer : 500 euros

- versement de pension alimentaire : 350 euros

- forfait charges de la vie courante augmenté de 20% pour tenir compte du coût de la vie en

Guadeloupe : 880 euros

- impôts : 324 euros ;

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Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le

tribunal ;

Attendu que Monsieur LE R. fait cependant valoir qu'il cessera de percevoir des indemnités

de chômage dans 6 ou 7 mois et qu'il ne pourra alors plus affecter la moindre somme au

remboursement de ses créanciers ;

Mais attendu qu'il n'est nullement démontré que Monsieur LE R., qui vient de commencer son

activité, ne pourra pas bénéficier de meilleurs revenus dans quelques mois, et qu'il est en tout

état de cause constant qu'il dispose actuellement de ressources lui permettant d'honorer sans

difficultés majeures les échéances mises à sa charge par le tribunal ;

Qu'il appartiendra à Monsieur LE R., si ses ressources diminuent, de saisir à nouveau la

commission de surendettement afin de bénéficier de mesures de suspension ou de diminution

des mensualités de remboursement mises à sa charge mais que, sa demande de traitement

ayant été déposée en janvier 2013, il ne saurait être retenu qu'il démontre aujourd'hui être

dans une situation irrémédiablement compromise qui ne lui permettra pas, dans les 6 années

à venir, de verser la moindre somme à ses créanciers et justifie l'effacement immédiat d'un

passif de plus de 405.000 euros ;

Que Monsieur LE R. ne saurait donc être exonéré aujourd'hui de tout paiement au motif d'une

situation qui sera peut-être prochainement plus difficile et que sa contestation des

dispositions retenues par tribunal n'apparaît dès lors pas fondée, ce qui conduit à confirmer

entièrement le jugement déféré ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME la décision entreprise,

LAISSE les dépens d'appel à la charge du Trésor Public.

Commentaire : Le débiteur n’apportant pas la preuve de sa situation irrémédiablement

compromise au jour de l’audience ne peut solliciter l’ouverture d’une procédure de

rétablissement personnel sans liquidation judiciaire.

La demande d’ouverture d’une procédure de rétablissement personnel par un débiteur, sur

le fondement des articles L. 332-5 et suivants du Code de la consommation, permet à ce

dernier d’obtenir, en cas d’homologation par le juge et de l’absence de contestation de ses

créanciers, l’effacement de l’ensemble de ses dettes non-professionnelles.

La commission de surendettement des particuliers d’Indre et Loire a été saisie d'une

demande de traitement de sa situation de surendettement. Cette demande a été déclarée

recevable et la commission a imposé un rééchelonnement des dettes du débiteur sur une durée

de huit années, prévoyant des remboursements mensuels à hauteur de 1.009 euros,

recommandant par cette occasion l'effacement partiel des dettes restantes à l'issue de ce délai.

La Société Générale, créancière, et le débiteur ont contesté ces mesures devant le tribunal

d'instance de Tours. Le 12 juin 2014, la juridiction de première instance a fixé la capacité de

remboursement mensuel du débiteur à hauteur de 867 euros et a élaboré un nouveau plan avec

effacement partiel des dettes restantes. En date du 26 juin 2014, le débiteur a interjeté appel

du jugement rendu en première instance.

Le débiteur émet des prétentions lors de l’audience d’appel : il invoque un certain nombre

de faits, dont la création d’une société en Guadeloupe, à proximité de son domicile. De sa

nouvelle activité, il perçoit une rémunération mensuelle de 1.000 euros, qui devrait augmenter

quelques mois plus tard de 30% (1.300 euros) ne lui permettent pas de faire face aux dépenses

courantes et, en conséquence, il soutient qu’il ne dispose d'aucune capacité de

remboursement. Selon le débiteur, se retrouvant dans une situation irrémédiablement

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compromise, l'ouverture immédiate d'une mesure de rétablissement personnel sans liquidation

judiciaire serait nécessaire.

La Cour d’appel d’Orléans, dans un arrêt rendu le 29 janvier 2015, confirme le jugement

rendu en première instance, indiquant que le débiteur ne pourra saisir la commission qu’après

avoir apporté la preuve d’une diminution de ses revenus. En effet, au jour du prononcé de

l’arrêt, le débiteur dispose d’une capacité de remboursement, ce qui est contraire à

l’insolvabilité qu’il prétend.

La procédure de rétablissement personnel, dite également « procédure Borloo », concerne

les personnes physiques surendettées dont la situation est compromise de façon irréversible1.

Cette procédure suspend l’ensemble des procédures de saisie ou d'expulsion jusqu'au

jugement d'ouverture, interdit à l'intéressé de céder ou donner ses biens. Elle permet

également l’effacement de l’ensemble des dettes du débiteur.

Lorsque la situation de l'intéressé est irrémédiablement compromise et qu'il ne possède que

des meubles nécessaires à la vie courante (soit aucun actif saisissable), des biens dont les frais

de vente seraient manifestement disproportionnés au regard de leur valeur vénale et des biens

non professionnels indispensables à l'exercice de son activité professionnelle, la commission

peut recommander une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire.

Une fois que les propositions de la Commission sont homologuées par le juge et en

l'absence de contestation des créanciers, cette procédure entraîne l'effacement de toutes les

dettes non professionnelles de l'intéressé. En cas d’homologation par le juge, l’ensemble des

dettes personnelles du débiteur, d’une valeur totale de 405.000 euros, seraient effacées. Il est

nécessaire que le débiteur justifie que son insolvabilité le plaçant dans une situation

irrémédiablement compromise résulte d’une réalité économique. Afin de bénéficier d’une

procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire, le débiteur doit apporter la

preuve qu’il n’est pas à l’origine de son insolvabilité.

La bonne foi du débiteur se présume2. Les faits constitutifs de la mauvaise foi doivent être

en rapport direct avec la situation de surendettement du débiteur. Un débiteur qui aurait été

déclaré irrecevable à bénéficier des procédures de désendettement en raison de sa mauvaise

foi peut ainsi, s’il démontre l’existence d’éléments nouveaux de nature à conduire à une

analyse différente de sa situation, être considéré de bonne foi et voir sa demande suivante

déclarée recevable3. Selon cette interprétation, un débiteur de mauvaise foi peut devenir de

bonne foi. Sa situation n’est jamais figée.

L’intérêt de l’arrêt réside au niveau de l’interprétation souveraine des juges du fond au

regard de la situation objective du débiteur afin de savoir s’il se trouve dans une situation

irrémédiablement compromise, c’est à dire dans l’impossibilité de faire face à l’ensemble de

ses dettes avec l’ensemble de ses dettes avec l'ensemble de ses biens et revenus, y compris le

cas échéant au regard des perspectives d'augmentation de son revenu. Le caractère objectif de

la situation du débiteur est regardé comme un critère d‘extériorité, c’est-à-dire provenant

d’une succession d’évènements extérieurs à la volonté du débiteur.

Usant pleinement de son pouvoir de contrôle, la Cour de cassation, sans pour autant

remettre en cause la souveraineté du pouvoir de qualification des faits des juges du fond,

veille à la cohérence interne de leur motivation. Elle s’assure que les faits retenus par les

juges du fond pour refuser le bénéfice de la procédure soient de nature à caractériser la

mauvaise foi. On peut ainsi citer la cassation de décisions d’irrecevabilité fondées sur

1 Art. L. 332-5 C. Cons.

2 Cass. 1

re civ., 4 avril 1991, n° 90-04.042 et n° 90-04.004 (2 arrêts) ; Bull. civ. I, n° 124 et 126 ; JCP 1991, II,

21702, concl. Flipo, note Picod ; D. 1991, p. 307, note Bouloc. 3 Cass. 2

e civ., 10 février 2005, n° 03-17.068, Bull. civ. II, n° 30 ; Contrats, conc., consom. 2005, comm. 121,

note G. Raymond ; Cass. 2e civ., 15 septembre 2005, n° 04-04.104, Bull. civ II, n° 221 ; RTD com. 2005, p. 854.

obs. G. Paysant.

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l’omission du débiteur de déclarer des créances lors d’une précédente demande de règlement

du surendettement sur sa négligence dans la formulation de sa demande de traitement de

surendettement4.

La situation personnelle du débiteur est vérifiée par les juges du fond. L’arrêt s’inscrit dans

une évolution jurisprudentielle en matière de surendettement des particuliers. La

jurisprudence se montre protectrice envers les créanciers d’un débiteur insolvable eu égard au

montant de leur créance. le principe selon lequel la bonne foi du débiteur se présume en

matière de surendettement n’est pas toujours respecté, il s’agit d’une analyse jurisprudentielle

au cas par cas. En l’espère, on imagine mal la bonne foi du débiteur se retrouvant sans bien

saisissable pour solliciter le privilège d’une mesure de protection avec une dette d’une valeur

de 405.000 €.

MOTS CLES : PROCEDURE DE RETABLISSEMENT PERSONNEL SANS

LIQUIDATION JUDICIAIRE – SITUATION IRREMEDIABLEMENT COMPROMISE DU

DEBITEUR – SURENDETTEMENT DES PARTICULIERS – CAPACITE REELLE DE

REMBOURSEMENT.

Clément AIME

2) Action paulienne exercée par l’administration fiscale

Cour d’appel d’Orléans (chambre civile), 26 janvier 2015, n° 14/00100

ARRÊT :

Prononcé le 26 JANVIER 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les

parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de

l'article 450 du Code de procédure civile.

Sur le rappel des faits et de la procédure

Monsieur Paul L. a acquis en 1998 la propriété d'un bien immobilier dit le «Moulin

d'Echoiseau » à Mazangé (Loir et Cher).

Par acte notarié des 25 et 26 juin 2004 publié à la Conservation des hypothèques et à la

Recette principale, les consorts L. ont fait donation en avancement d'hoirie, de la nue-

propriété de ce bien ainsi que des biens meublants à leurs trois enfants, majeurs, conservant

l'usufruit du bien.

L'administration fiscale a adressé à Monsieur Paul et Madeleine L. des notifications de

redressement les 18 décembre 2003 et 26 mai 2004, portant sur des revenus perçus au cours

des années 2000 et 2001.

Sur assignation formée à la requête de Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement

spécialisé du Loir et Cher et du service des impôts des particuliers de Vendôme aux fins de se

4

Cass. 2e civ., 20 octobre 2005, n° 04-04.139 Bull. civ. II, n° 270 ; D. 2006, jurispr. p. 870, note G.

Henaff ; RTD com. 2006, 488, obs. G. Paisant ; Cass. 2e civ., 24 janvier 2008, n° 06-19.959, Bull. civ. II,

n° 23 ; Contrats, conc., consom. 2008, comm. 122, obs. Raymond.

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voir déclarer inopposable la donation, le Tribunal de grande instance de Blois a, par

jugement du 12 décembre 2013, notamment :

Déclaré Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du Loir et Cher et du

service des impôts des particuliers de Vendôme recevables en leur action engagée sur le

fondement de l'article 1167 du code civil ;

Dit que la donation en date des 25 et 26 juin 2004, publiée le 14 juillet 2004 à la

Conservation des hypothèques de Vendôme sous la référence vol 2004 P n°2154, leur est

inopposable ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Les consorts L. ont formé, le 2 janvier 2014, un appel général à l'égard de ce jugement.

Par dernières conclusions notifiées le 1er avril 2014, les consorts L. demandent de voir :

Réformer le jugement entrepris ;

Débouter Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du Loir et Cher et

du service des impôts des particuliers de leurs demandes ;

Les condamner à leur payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code

de procédure civile.

À l'appui de leur demande, les consorts L. font valoir que l'Etat n'a subi aucun préjudice du

fait de la donation portant sur la seule nue-propriété puisque, antérieurement à cette

donation, il avait inscrit des hypothèques dont le montant total excédait largement la valeur

de l'immeuble évaluée par le Trésor public, l'inscription d'une hypothèque supplémentaire eut

été inefficace car nécessairement primée par les hypothèques antérieures ; en outre ce n'est

pas aux appelants de supporter les conséquences de l'abandon par l'Etat d'une autre créance

fiscale. Par ailleurs, c'est en raison de l'âge, de la faiblesse physique et des faibles moyens

financiers de Monsieur L., qu'ils ont fait le choix de donner la nue-propriété de cet ensemble

immobilier à leurs trois enfants qui prennent en charge désormais des frais importants

d'entretien de la propriété.

Par dernières conclusions notifiées le 27 mai 2014, Messieurs les Responsables du pôle de

recouvrement spécialisé du Loir et Cher et du service des impôts des particuliers concluent à

la confirmation du jugement de première instance, au débouté des demandes de les consorts

L. et à la condamnation de les consorts L. à leur verser la somme de 2 000 euros en

application de l'article 700 du code de procédure civile.

À l'appui de leur demande, Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du

Loir et Cher et du service des impôts des particuliers font valoir que la propriété de Mazangé

était au moment de la donation de 2004, le seul bien foncier de Monsieur L., que la donation

du 26 juin 2004 rend impossible la saisie immobilière du bien foncier et met à l'abri les

enfants L. d'éventuelles poursuites en tant qu'héritiers, ces derniers étant à même le moment

venu de renoncer à la succession de leurs parents tout en conservant les actifs immobiliers et

mobiliers; que Monsieur L. ne pouvait ignorer sa qualité de débiteur au moment où il a

consenti la donation et que celle-ci a amoindri le gage de la Trésorerie de Vendôme.

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Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à

leurs dernières conclusions récapitulatives.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 25 septembre 2014.

SUR CE

Sur le bien-fondé des demandes

En application de l'article 1167 du code civil, les créanciers peuvent aussi, en leur nom

personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits.

Sur l'appauvrissement

Il n'est pas contesté que l'immeuble le « Moulin d'Echoiseau » est le seul bien immobilier du

patrimoine de Monsieur L. ; en outre, au vu de l'acte notarié de donation qui mentionne la

valeur du bien en pleine propriété et celle de la nue-propriété ainsi que celle de l'usufruit, il

est avéré que la valeur de l'usufruit est d'un montant nettement inférieur à celui de la pleine-

propriété.

Ainsi, ces éléments auquel s'ajoute le fait qu’aucune garantie ne peut être prise par un

créancier sur un usufruit, mettent en évidence le fait que l'acte de donation litigieux entraîne

un appauvrissement dans le patrimoine du débiteur.

Sur la fraude

Il est constant que le redressement fiscal à l'origine de l'action paulienne exercée par les

services fiscaux, date de décembre 2003 et mai 2004 et que la donation de la nue-propriété

par Monsieur Paul et Madeleine L. à leurs trois enfants a été consentie en juin 2004, qu'en

raison de l'antériorité très récente du redressement fiscal, Monsieur Paul L. avait

connaissance au moment où il a effectué la donation, des dettes fiscales dont le paiement lui

était réclamé ; qu'il reconnaît, en outre, dans ses conclusions, que cette donation était

destinée à « permettre d'assurer la pérennité du lieu et respecter l'attachement des donataires

pour leur mère et son oeuvre dont l'objet consiste à avoir créé dans l'ancienne demeure

d'Alfred de Musset, un jardin remarquable dans le style romantique ». Par ailleurs, Monsieur

L. reconnaît que ses revenus actuels et ceux de son épouse sont limités à 3000 euros par mois

environ ; qu'il s'y ajoute les constatations de l'administration fiscale, non démenties, selon

lesquelles aucune saisie-attribution sur les comptes bancaires de Monsieur L. n'a pu aboutir

faute d'argent.

Il se déduit de ces circonstances de fait que Monsieur L. a créé, en connaissance de cause,

par l'acte de donation, son insolvabilité.

Sur le préjudice

Les consorts L. font valoir que la donation ne causait aucun préjudice à la Trésorerie du Loir

et Cher dans la mesure où d'une part, la Trésorerie représente l'Etat, d'autre part, l'Etat avait

inscrit antérieurement au redressement fiscal litigieux, des hypothèques dont la valeur totale

avec celle d'une banque dépassait la valeur de l'immeuble en pleine propriété.

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Cet argument qui repose sur des supputations sur le sort des créances de l'Etat, ne supprime

pas le fait qu'en faisant donation de la nue-propriété de son seul bien immobilier, sans

contrepartie et alors que ses revenus pécuniaires sont faibles, Monsieur L. a enlevé à

Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du Loir et Cher et du service

des impôts des particuliers toute garantie réelle pour recouvrer leur créance.

Le préjudice de Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du Loir et

Cher et du service des impôts des particuliers est ainsi caractérisé.

Ainsi toutes les conditions de l'action paulienne sont établies en l'espèce.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré recevable Messieurs les

Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du Loir et Cher et du service des impôts des

particuliers en leur action paulienne et a dit que la donation des 25 et 26 juin 2004 leur est

inopposable.

En l'absence d'autre contestation, le jugement entrepris sera confirmé pour le surplus.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Les circonstances de fait et les solutions adoptées en appel justifient qu'il soit fait droit à la

demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile et que les consorts L. soit

condamnée à payer à Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement spécialisé du Loir

et Cher et du service des impôts des particuliers, la somme que l'équité commande de fixer à

2 000 euros.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, les consorts L. seront condamnés

aux dépens de l'appel.

PAR CES MOTIFS

STATUANT publiquement, contradictoirement, en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris en sa totalité;

REJETTE toutes demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE les consorts L. à payer à Messieurs les Responsables du pôle de recouvrement

spécialisé du Loir et Cher et du service des impôts des particuliers de Vendôme la somme de

2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE les consorts L. aux dépens de l'appel ;

DIT qu'il pourra être fait application par Me D., avocat de Messieurs les Responsables du

pôle de recouvrement spécialisé du Loir et Cher et du service des impôts des particuliers de

Vendôme, des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, pour leur

recouvrement.

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RJP 2015-1 (Novembre)

13

Commentaire : Recevabilité de l’action paulienne, en présence d’une donation de la

nue-propriété d’un immeuble par ailleurs grevé d’hypothèques au bénéfice de tiers

En présence de débiteurs désireux de soustraire leur patrimoine au gage de leurs

créanciers, il est nécessaire pour ces créanciers de bénéficier d’une protection de leurs

intérêts. Cette protection peut notamment se manifester par la voie de l’action paulienne,

offerte à ceux-ci par l’article 1167 du code civil.

En l’espèce, des notifications de redressement été adressées les 18 décembre 2003 et 26

mai 2004, par l’administration fiscale, aux époux L., portant sur les revenus de ces derniers

pour les années 2000 et 2001. Puis, par acte notarié des 25 et 26 juin 2004, les époux L., ont

procédé à la donation de la nue-propriété de leur unique bien foncier, ainsi que des biens

meublants, à leurs trois enfants, privant ainsi l’administration de garantie réelle pour

recouvrer sa créance.

Les responsables du service des impôts des particuliers, et du pôle de recouvrement

spécialisé, ont alors assigné les consorts L. devant le tribunal d’instance de Blois aux fins de

se voir déclarer inopposable la donation, sur le fondement de l’article 1167 du code civil. Par

un jugement du 12 décembre 2013, ledit tribunal a déclaré recevables les responsables de

l’administration fiscale en leur demande, et dit la donation inopposable à ces derniers.

Afin de voir le jugement réformé et l’administration fiscale déboutée de ses demandes, les

consorts L. ont, le 02 janvier 2014, interjeté appel de celui-ci. Les appelants arguent à l’appui

de leurs demandes, de l’inefficacité d’une inscription d’hypothèque sur l’immeuble objet de la

donation, au motif qu’une telle garantie aurait été primée par des hypothèques antérieures

inscrites sur le bien, dont le montant excédait la valeur de l’immeuble telle qu’évaluée par le

trésor public. Les appelants concluent en conséquence à l’absence de préjudice subi par l’Etat

du fait de la donation. En outre, ils font valoir que la donation n’avait d’autre motif que l’âge

et la faiblesse physique de M. L., et la prise en charge par les donataires, des frais d’entretien

de la propriété.

En réponse, les responsables de l’administration fiscale, avancent que la propriété objet de

la donation était le seul bien foncier des époux L., la donation ayant alors pour conséquence

de rendre impossible la saisie immobilière du bien, mais également de placer les héritiers du

couple à l’abri d’éventuelles poursuites, ces derniers étant en mesure de renoncer à la

succession de leurs parents en conservant les biens objet de la donation, du fait de la

reconstitution de la pleine propriété au décès des usufruitiers.

La cour d’appel d’Orléans a alors, par l’arrêt ici commenté du 26 janvier 2015, confirmé le

jugement de première instance, en ce qu’il déclare l’administration fiscale recevable en son

action, et dit la donation de la nue-propriété de l’immeuble inopposable à cette dernière. Les

juges ont ici procédé à une démonstration particulièrement claire de la présence des

conditions nécessaires à l’exercice de l’action paulienne.

Il est tout d’abord nécessaire pour les juges de procéder à la recherche de l’existence d’une

diminution du gage des créanciers et d’un appauvrissement du débiteur5. Or, il est constant

qu’un acte passé à titre gratuit, procède nécessairement à un appauvrissement du débiteur, ce

dernier ne recevant rien en contrepartie. Ainsi la donation de la nue-propriété doit être perçue

5 Cass. 3

eciv., 20 dec. 2000, n° 98-19.343, Bull. civ. III n° 200 p.139.

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RJP 2015-1 (Novembre)

14

comme procédant à un appauvrissement6, d’autant plus qu’il est constaté en l’espèce à l’acte

notarié que la valeur de l’usufruit est inférieure à celle de la pleine propriété.

Ensuite le caractère frauduleux de l’opération a pu être constaté par les juges. En effet, se

plaçant au jour de l’opération litigieuse, l’arrêt retient que le débiteur avait conscience de son

insolvabilité. Or, s’il est nécessaire de démontrer l’intention frauduleuse de l’auteur de l’acte7,

la jurisprudence se contente bien souvent en matière d’actes à titre gratuit, de la conscience du

débiteur de nuire à son créancier8. Ainsi la connaissance des dettes dont le paiement lui était

réclamé, et la conscience de l’impossibilité de procéder à un tel paiement faute de moyens

financiers suffisants, condition préalable à l’action paulienne9, a ici suffi à caractériser la

fraude du débiteur. Notons que s’agissant d’un acte à titre gratuit, la démonstration d’une

intention frauduleuse du donataire n’est pas nécessaire10

.

Enfin le préjudice constaté par les juges réside ici en ce que le donateur a, du fait de la

donation, enlevé toute garantie réelle à l’administration fiscale pour recouvrer sa créance, les

juges faisant fi de l’argumentation des appelants tenant à l’inefficacité manifeste de

l’inscription d’une hypothèque sur le bien dont la valeur est déjà absorbée par d’autres

garanties inscrites. Cette solution semble en opposition avec la position jurisprudentielle

recevant l’action paulienne dès lors que l’appauvrissement du débiteur amoindrit les chances

du créancier d’obtenir paiement de sa créance11

. Or, ici au jour de l’acte, le débiteur se

trouvait déjà dans l’impossibilité de procéder au paiement eut égard à ses moyens financiers,

et la valeur de l’immeuble déjà absorbée par des hypothèques. On peut alors s’étonner de

l’absence de prise en compte de ce facteur par les juges.

En conséquence, et conformément à la position de la cour de cassation concernant les

effets de l’action paulienne12

, l’arrêt confirme l’inopposabilité de l’acte de donation aux

créanciers intimés.

MOTS CLÉS : ACTION PAULIENNE – DONATION – NUE-PROPRIÉTÉ –

APPAUVRISSEMENT – FRAUDE.

Christophe Orgeval

3) Absence de devoir de mise en garde du dispensateur de crédit à l’égard des

emprunteurs avertis

Cour d'appel Orléans (Chambre commerciale, économique et financière) 22 janvier

2015, n° 14/00409

EXPOSÉ :

6 Cass. 1

reciv., 26 sept. 2007, n° 05-13.224, Inedit.

7 Article 1167 c.civ.

8 Cass. 1

re civ., 31 oct. 2007, n° 05-12.072, Inédit.

9 Cass. 1

re civ., 31 mai 1978, n° 76-12.891, Bull. civ I, n°209, p 167.

10 Cass. 1

re civ., 23 avril 1981,n° 80-10.873, Bull. civ. I, n°130.

11 Cass. civ., 19 janv. 1910, DP 1911, 1 p 36.

12 Cass. 1

re civ., 13 juil. 2004, n° 02-10.007, Inédit.

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RJP 2015-1 (Novembre)

15

Les époux CHARPENTIER/CLEREMBAULT, qui exploitaient jusqu'alors un bar-restaurant à

Tours, ont vendu leur affaire 150.000 euros en novembre 2007 pour acquérir à Chinon un

bar-tabac à l'enseigne le Palace moyennant un prix de 340.000 euros dont ils ont réglé une

partie par apports personnels et le reste grâce à un prêt hypothécaire de 299.000 euros

remboursable sur 84 mois souscrit auprès de la Caisse d'Épargne Loire Centre le 19 avril

2008 pour lequel la femme avait seule la qualité d'emprunteur, le mari s'en portant caution

solidaire à hauteur de 236.080 euros. M. et Mme CHARPENTIER rencontrant des difficultés,

la Caisse d'Épargne leur a consenti par convention du 17 janvier 2009 une autorisation de

découvert de 20.000 euros qui a été renouvelée annuellement jusqu'en 2013. Les difficultés

persistant et les époux envisageant de céder leur commerce, elle a consenti par acte

authentique du 14 mai 2012, dans l'attente de la concrétisation de la vente, un prêt de

restructuration de 181.600 euros dont ils étaient co-emprunteurs solidaires, remboursable en

96 mensualités, et qui soldait le prêt du 19 avril 2008 en englobant le découvert. Le fonds a

été vendu en définitive le 22 avril 2013, pour un prix de 210.000 euros au paiement duquel la

Caisse d'Épargne a formé opposition et sur lequel elle a perçu 190.913,85 euros.

Les époux CHARPENTIER ont fait assigner la Caisse d'Épargne, par acte du 15 avril 2013,

en sollicitant, dans le dernier état de leurs prétentions, sa condamnation à leur payer

197.339,11 euros en réparation de la perte de chance de ne pas avoir contracté s'ils avaient

été mis en garde sur les risques de l'opération, et 30.000 euros en réparation de leur

préjudice moral.

Par jugement du 16 janvier 2014, le tribunal de commerce d'Orléans, retenant la

responsabilité du prêteur tout en disant qu'elle était partagée à hauteur d'un tiers avec celle

des emprunteurs qui n'étaient pas totalement des profanes non-avertis, a condamné la Caisse

d'Épargne Loire Centre à payer aux époux CHARPENTIER 131.560 euros au titre du

préjudice matériel par perte de chance, en rejetant leur demande au titre du préjudice

moral.

La Caisse d'Épargne Loire Centre a relevé appel.

Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du

code de procédure civile, ont été déposées :

- le 24 septembre 2014 par la Caisse d'Épargne

- le 17 septembre 2014 par les époux CHARPENTIER.

La Caisse d'Épargne Loire Centre -qui assure qu'une telle demande est recevable puisqu'elle

tend, sur un autre fondement, aux mêmes fins que les prétentions qu'elle soulevait devant les

juges consulaires- sollicite à titre principal l'annulation, pour réticence dolosive, du prêt du

18 avril 2008, au motif que Mme CHARPENTIER lui avait caché avoir souscrit la veille un

prêt de 30.250 euros auprès du CIC en connaissance duquel elle-même n'aurait pas

contracté, ou à des conditions différentes, elle en infère l'annulation consécutive du prêt de

restructuration accordé en mai 2012 puisqu'il est indissociable du premier, et invoquant la

responsabilité quasi délictuelle de Mme CHARPENTIER, elle sollicite à titre d'indemnisation

du préjudice que lui cause ce dol la conservation des sommes déjà encaissées ainsi que

l'allocation de dommages et intérêts d'un montant de 84.228,46 euros correspondant aux frais

liés aux deux prêts, de sorte que les parties resteront en définitive en l'état où elles se

trouvent, sans dette respective.

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RJP 2015-1 (Novembre)

16

À titre subsidiaire, la banque conteste sa responsabilité et conclut au rejet des prétentions

adverses au motif que les époux CHARPENTIER sont des emprunteurs avertis et déloyaux,

faisant valoir à cet égard qu'ils exploitent des bars ou brasseries depuis trente ans et qu'elle

n'était débitrice envers eux d'aucun devoir de mise en garde pour ce qui était leur troisième

reprise d'un fonds ; qu'elle y était d'autant moins tenue qu'ils ne lui présentèrent pas une

situation exacte en lui dissimulant le prêt du CIC, ce qui les constitue de mauvaise foi et les

prive totalement du droit de lui reprocher un quelconque manquement ; qu'elle s'est fiée aux

renseignements fournis, qui rendaient l'opération viable au regard des résultats prometteurs

dégagés par le cédant ; que l'emprunt a d'ailleurs été remboursé, et le fonds normalement

vendu, la déconvenue des emprunteurs résultant certainement de leur mauvaise gestion,

notamment du fait de la restriction des plages horaires d'ouverture ; et qu'elle n'avait pas à

s'immiscer dans leur gestion. Elle récuse les reproches qui lui sont adressés sur

l'amortissement immédiat du prêt de 2012, en indiquant s'être conformée aux clauses du

contrat et au tableau d'amortissement.

À titre plus subsidiaire, elle conteste le principe du préjudice allégué en soutenant que les

sommes réclamées sont sans lien de causalité avec la faute qui lui est imputée, et que le

préjudice invoqué n'était pas prévisible au sens de l'article 1150 du code civil puisqu'elle

ignorait que les emprunteurs seraient amenés à vendre leur affaire. Encore plus

subsidiairement, elle conteste le montant du préjudice réclamé en faisant valoir que

l'investissement perdu n'est pas celui qui est invoqué, qu'il ne peut inclure les agios du

compte-courant professionnel ; et qu'il devrait être réduit dans de strictes proportions et

chiffré sur justificatifs avérés.

Les époux CHARPENTIER invoquent l'irrecevabilité de la demande d'annulation des deux

prêts au motif qu'elle est bien nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile,

s'y opposent subsidiairement en niant avoir pu et dû mentionner dans leur réponse à la

demande d'informations renseignée le 9 avril un prêt qui fut souscrit le 18, et soutiennent

encore plus subsidiairement que le préjudice allégué par la banque est inexistant dès lors

qu'ils ont réglé les intérêts et les pénalités liés au remboursement des deux prêts, lesquels

devraient au contraire leur être restitués en cas d'annulation.

Ils soutiennent être des emprunteurs non avertis en raison de la modestie de leur niveau

d'études et de l'étroitesse de leur expérience professionnelle, le mari étant toujours resté en

cuisine et la femme à servir en salle, et tous deux ignorant tout de la tenue d'un débit de

tabac. Ils reprochent à la banque d'avoir manqué à son devoir de mise en garde, en faisant

valoir que son plan de financement est erroné, qu'elle ne leur a pas demandé de prévisionnel,

et qu'elle n'a procédé à aucune analyse. Ils soutiennent qu'elle devait les alerter sur le risque

d'endettement lié à l'octroi du prêt, et qu'elle leur a successivement accordé deux crédits

inadaptés. Ils récusent toute erreur de gestion et affirment que l'affaire n'était pas assez

rentable pour un tel endettement. Ils rappellent les dépassements chroniques du découvert

autorisé. Ils sollicitent au titre de la réparation de leur préjudice matériel 197.319,11 euros

avec intérêts à compter du 15 avril 2013 et capitalisation des intérêts, et 30.000 euros au titre

de leur préjudice moral.

Ils reprochent aussi à la banque d'avoir immédiatement appelé les échéances du prêt de

restructuration alors qu'il était prévu un différé de douze mois pour leur donner le temps de

vendre leur affaire, et d'avoir indûment dénoncé son autorisation de découvert et mis en route

la procédure de pré-rejet des chèques.

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RJP 2015-1 (Novembre)

17

Ils indiquent n'avoir alors évité la faillite que de justesse, en se faisant aider financièrement

par leur famille et en vendant en hâte le fonds.

Il est référé pour le surplus aux conclusions récapitulatives des plaideurs.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 23 octobre 2014, ainsi que les avocats des

parties en ont été avisés.

MOTIFS DE L'ARRÊT :

* sur la recevabilité de la demande en nullité des concours consentis par la Caisse

d'Épargne

Attendu que conformément au principe posé par l'article 567 du code de procédure civile, les

demandes reconventionnelles sont recevables en appel, et celle en annulation des prêts pour

cause de réticence dolosive que formule devant la cour la Caisse d'Épargne, défenderesse à

l'action introduite par les époux CHARPENTIER, est ainsi recevable, dès lors qu'elle se

rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant puisque le litige a d'emblée porté

sur la connaissance respective des parties de l'affaire financée par l'emprunt et sur la

viabilité de l'opération, étant rappelé que la banque soutenait dès la première instance que

ses cocontractants l'avaient abusée en lui dissimulant leur situation financière réelle ;

* sur le manquement au devoir de mise en garde reproché à la Caisse d'Épargne

Attendu qu'il ressort de leurs pièces 3 et 4, et de leur curriculum vitae produit par l'appelante

(sa pièce n°1) que les époux CHARPENTIER ont successivement exploité en qualité de

commerçant pour le mari et de conjoint collaborateur pour la femme, un bar-restaurant-

crêperie-traiteur-grill à Mamers de janvier 1983 à avril 2001, puis un bar-brasserie à Tours

de juillet 2001 à novembre 2007 ;

Qu'ils avaient donc l'un et l'autre une longue expérience des affaires en matière de bar et

restauration en cette qualité ancienne d'exploitants -peu important que le mari se tînt plutôt

en cuisine et l'épouse en salle, d'autant qu'ils n'en devaient pas moins l'un et l'autre assurer la

gestion de ces fonds- lorsqu'ils ont acquis le fonds litigieux à Chinon au moyen du prêt de la

Caisse d'Épargne litigieux ;que leur faible degré d'instruction allégué est à ce titre

indifférent;

Qu'ils ne sont pas fondés à prétendre que la nature de ce fonds différait de façon significative

de celle des commerces qu'ils avaient précédemment tenus, puisqu'il s'agissait (cf. leur pièce

n°1) d'un café-bar-jeux-tabac, et donc encore, pour l'essentiel, d'un bar, l'incidence de

l'activité de buraliste ne remettant pas en cause ce constat, en raison de son caractère

complémentaire et de sa faible technicité ne requérant pas d'autre compétence spécifique que

celle qui s'acquiert aisément au moyen d'une petite formation telle celle de 33h30 que Mme

CHARPENTIER a précisément suivie du 17 au 20 mars 2008 auprès du centre national de

formation des buralistes (sa pièce n°4) ;

Qu'il n'est, en outre, ni démontré ni soutenu, que l'affaire acquise en 2008 aurait présenté des

particularités rendant sa gestion non comparable avec celle des établissements dont les

époux CHARPENTIER avaient déjà l'expérience, étant observé que Chinon, quoiqu'un peu

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plus peuplée, est une ville de taille à peu près comparable à Mamers ;

Attendu que les époux CHARPENTIER étaient l'un et l'autre emprunteur et/ou caution

avertis, et la banque n'était donc tenue envers eux d'aucun devoir de mise en garde, ce qui

prive de pertinence leurs prétentions en tant qu'elles reposent sur le grief d'avoir manqué à ce

devoir;

* sur la responsabilité de la banque

Attendu qu'il n'est pas démontré que la banque aurait par ailleurs engagé sa responsabilité

;

Que s'agissant de l'octroi du prêt initial, elle a recueilli des renseignements sur la solvabilité

personnelle des époux CHARPENTIER, respectivement emprunteur et caution solidaire, ainsi

que sur l'opération financée, en se faisant notamment remettre le bilan et le compte de

résultat du fonds dont elle finançait l'acquisition ;

Qu'elle n'a commis aucune imprudence en consentant ce concours, dont la charge de

remboursement était compatible avec les résultats réalisés par le cédant, étant observé que

l'expert-comptable du fonds, qui avait établi un prévisionnel à la demande des cessionnaires,

concluait au surplus à une 'bonne rentabilité' et validait le potentiel de développement de

l'affaire, et que les époux CHARPENTIER déclaraient se proposer d'adjoindre à l'activité une

sandwicherie et d'ouvrir aussi le dimanche (cf. pièce n°4 de l'appelante) ; que pour le reste,

elle ne devait point s'immiscer dans la gestion de l'affaire, et il n'est ni démontré, ni soutenu

qu'elle aurait disposé d'informations que les emprunteurs aient ignorées ;

Qu'elle a exécuté ses obligations en libérant la somme empruntée, qui a servi à payer au

comptant le prix d'achat du fonds ;

Que le crédit -ou celui qui l'a restructuré- a été remboursé pendant des années, et si l'expert-

comptable a certes rapidement alerté les époux CHARPENTIER sur l'érosion du fonds de

roulement, il faut considérer que ceux-ci avaient pris le parti de souscrire aussi, la veille de

cet emprunt, un prêt de brasseur dont le provisionnel n'avait pas fait état et dont la charge a

nécessairement grevé la rentabilité du commerce, les intéressés étant d'autant moins fondés à

imputer les conséquences d'une telle décision à la Caisse d'Épargne qu'outre leur caractère

averti excluant que celle-ci leur doive des conseils, ils ne lui ont pas révélé cet emprunt, que

ce soit dans la fiche de renseignements qu'ils lui avaient remise le 9 avril 2008 soit à une

époque où ils ne pouvaient pas ne pas être informés de l'accord -au moins de principe- donné

par le brasseur et l'établissement financier auquel il s'adossait puisque l'acte fut conclu

quelques jours plus tard, le 18, ou que ce soit le jour même de la signature du prêt à la Caisse

d'Épargne, qui intervint le 19 avril soit postérieurement à la souscription de cet emprunt ;

Attendu que la banque n'a commis aucune faute en accédant ensuite à la demande des époux

CHARPENTIER de restructurer leur prêt eu égard aux difficultés qu'ils rencontraient, étant

ajouté que les intimés ne sont pas fondés à lui reprocher d'en avoir appelé immédiatement les

échéances de remboursement puisqu'ils avaient préféré renoncer immédiatement au prêt de

restructuration prévoyant un différé de remboursement que la Caisse d'Épargne avait accepté

de leur consentir, en en demandant l'annulation (cf pièce n°6 de l'appelante) et en y

substituant le 12 mai 2012 un prêt sans différé d'amortissement (sa pièce n°7) ;

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RJP 2015-1 (Novembre)

19

Attendu que la Caisse d'Épargne n'a pas davantage engagé sa responsabilité en dénonçant

l'autorisation de découvert qu'elle avait consentie aux époux CHARPENTIER puisque le

plafond en était dépassé, et qu'elle a respecté un préavis de deux mois, étant ajouté qu'elle a

de toute façon accepté ensuite de leur consentir successivement deux nouveaux découverts du

28 décembre 2012 au 31 mai 2013 pour leur permettre de finaliser la cession de leur affaire

;

Attendu, dans ces conditions, qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris et de débouter les

époux CHARPENTIER de tous leurs chefs de prétentions ;

* sur la demande de la Caisse d'Épargne en nullité des prêts

Attendu que la Caisse d'Épargne n'invoque la nullité de ses concours que comme un moyen

de défense opposé à l'action adverse, puisqu'elle en a été intégralement remboursée à ce jour

et qu'elle indique (cf page 9 de ses conclusions) que la nullité qu'elle demande à la cour de

prononcer 'aura pour conséquence de laisser les parties dans l'état où elles se trouvent

actuellement, sans aucune dette respective' ;

Qu'ainsi, le complet rejet des demandes adverses rend sans objet cette prétention ;

Qu'à considérer même que ce rejet laisse subsister sa demande, il n'y aurait alors pas lieu d'y

faire droit, le prêt qu'elle reproche aux époux CHARPENTIER de lui avoir dissimulé n'ayant

pas pour objet de financer une partie de l'achat du fonds, contrairement à son propre crédit,

mais constituant un prêt de brasseur accessoire à un contrat de bière, qu'il est usuel de

contracter pour un exploitant de bar et dont rien ne démontre ni persuade que la

connaissance l'eût amenée à remettre en cause le principe ou seulement même les modalités

de son crédit, même en considérant son incidence sur les charges financières du commerce

;

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire :

DÉCLARE recevable la demande reconventionnelle de la Caisse d'Épargne en nullité de ses

concours

INFIRME le jugement entrepris,

et statuant à nouveau :

DIT que les époux CHARPENTIER étaient l'un et l'autre des emprunteurs et cautions

avertis

LES DÉBOUTE de tous leurs chefs de prétentions à l'encontre de la Caisse d'Épargne Loire

Centre

DIT n'y avoir lieu à prononcer la nullité des concours consentis par la Caisse d'Épargne

Loire Centre aux époux CHARPENTIER et DÉBOUTE en tant que de besoin la banque de sa

demande reconventionnelle en dommages et intérêts

CONDAMNE in solidum les époux CHARPENTIER/CLEREMBAULT aux dépens de

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RJP 2015-1 (Novembre)

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première instance et d'appel ainsi qu'À PAYER 1.500 euros à la Caisse d'Épargne Loire

Centre en application de l'article 700 du code de procédure civile

ACCORDE à la SCP Hugues LEROY, avocat, le droit à recouvrement direct reconnu par

l'article 699 du code de procédure civile.

Commentaire : Absence de devoir de mise en garde du dispensateur de crédit à l’égard

des emprunteurs avertis

Malgré la volonté du législateur de promouvoir et de faciliter la création d’entreprises, les

établissements de crédit intervenant dans le processus, peuvent être réticents à octroyer des

crédits. En effet, ils sont tenus à un devoir de conseil et à un devoir de mise en garde, lesquels

peuvent engager la responsabilité de l’établissement de crédit si certaines conditions sont

réunies.

C’est notamment ce qu’illustre cet arrêt infirmatif de la cour d’Appel d’Orléans du 22

janvier 2015.

Malgré la dispense de prêts et d’autorisation de découvert par une banque à des époux

commerçants, des difficultés financières ont persisté et ces derniers ont alors dû vendre leur

fonds de commerce. La banque a alors formé opposition sur le paiement du fonds, sur lequel

elle a perçu plus de 90% du prix.

C’est alors que les époux commerçants ont assigné la banque pour le paiement en

réparation de la perte de chance de ne pas avoir contracté s’ils avaient été mis en garde sur les

risques de l’opération. Le tribunal de commerce d’Orléans, par un jugement du 16 janvier

2014, a retenu la responsabilité du prêteur mais a décidé un partage de responsabilité, à

hauteur (d’un tiers pour la banque et) des deux tiers pour les emprunteurs qui n’étaient pas

totalement des profanes non avertis.

C’est alors que la banque a interjeté appel.

La cour d’appel d’Orléans a reconnu la qualité d’emprunteur et/ou de caution avertie des

époux et de ce fait, a considéré que la banque n’était pas tenue à un devoir de mise en garde.

Ainsi, la responsabilité de la banque n’est pas retenue par les juges d’appel.

La responsabilité du banquier dispensateur de crédit au regard de la qualité d’averti ou non

de l’emprunteur, est une question classique de la responsabilité bancaire, à l’origine de

nombreuses décisions jurisprudentielles, comme le confirme cet arrêt de la cour d’appel

d’Orléans.

En effet, il existe, en droit français, un devoir de mise en garde du banquier dispensateur de

crédit. Ce devoir a été consacré par quatre arrêts du même jour de la cour de cassation en

200513

en jugeant que « la banque avait méconnu ses obligations en à l’égard de ces

emprunteurs profanes en ne vérifiant pas leurs qualités financières et en leur accordant un

13

Cass. Civ. I, 12 juillet 2005, n° 02-13155, Bull. civ. I, n° 324 ; Recueil Dalloz 2005, p. 3094, note B. Parance

Cass. Civ. I, 12 juillet 2005, n° 03-10770, Bull. civ. I, n° 325 ; D. 2005, AJ p. 2276, obs. X. Delpech

Cass. Civ. I, 12 juillet 2005, n° 03-10115, Bull. civ. I, n° 326 ; Recueil Dalloz 2005, p. 3094, note B. Parance

Cass. Civ. I, 12 juillet 2005, n° 03-10921, Bull. civ. I, n° 327 ; Recueil Dalloz 2005, p. 3094, note B. Parance

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RJP 2015-1 (Novembre)

21

prêt excessif au regard de leurs facultés contributives, manquant ainsi à leur devoir de mise

en garde ». Ainsi, le banquier est tenu à des obligations spécifiques, à savoir, ne pas accorder

à son client, de prêt excessif ou disproportionné par rapport à ses revenus et sa situation

patrimoniale, se renseigner sur ses capacités de remboursement et il doit l’avertir des risques

encourus en cas de non remboursement du crédit.

Cependant, il a fallu déterminer les bénéficiaires de la protection de ce devoir de mise en

garde. C’est dans deux arrêts du même jour14

que la cour de cassation a alors distingué entre

les emprunteurs avertis et non avertis. Un emprunteur est averti lorsqu’il dispose des

compétences et des connaissances effectives en matière financière. La haute juridiction va

réserver ce devoir de mise en garde du banquier à l’emprunteur non averti.

En l’espèce, la cour d’appel considère que les époux sont des emprunteurs avertis, du fait

que c’est le troisième commerce qu’ils détiennent et gèrent, et que, même si l’activité diffère

un peu, celle-ci est néanmoins complémentaire et l’épouse a reçu une formation pour cela.

Les époux savaient donc ce pour quoi ils s’engageaient en décidant d’ouvrir un nouvel

établissement. Le banquier dispensateur de crédit n’était donc pas tenu à un devoir de mise en

garde.

Ce fut également le cas dans un arrêt de la Cour d’appel de Riom du 17 avril 201315

. Dans

cette affaire, des époux associés et gérants d’une SARL ont financé l’acquisition d’un fonds

de commerce par un prêt consenti à la société par une banque et par un prêt personnel.

Cependant, les époux rencontrant des difficultés financières, ces derniers ont alors souscrit un

nouveau prêt, destiné notamment à rembourser le premier prêt. Il faut noter que les époux

étaient les seuls gérants et les seuls associés de la société et que, de ce fait, ils étaient les

mieux placés pour connaitre l’activité et les résultats de la société. De plus, ils invoquaient un

montage juridique imposé par la banque et l’inadaptation du prêt. En réalité, le prêt a été

consenti aux époux gérants dans la perspective de la vente d’une maison dont ils étaient

propriétaire, la vente permettant ainsi le remboursement du premier prêt à la date convenue.

L’opération envisagée ne présentait aucun caractère de complexité pour les époux qui étaient

à la recherche d’un financement pour lancer leur activité commerciale. Ils ne peuvent soutenir

ne pas avoir accepté en connaissance de cause le financement proposé par la banque. Par

conséquent, les époux ne peuvent pas être considérés comme des emprunteurs non avertis, de

sorte que le devoir de mise en garde ne s’imposait pas à la banque.

Pour pouvoir engager la responsabilité d’un banquier dispensateur de crédit, l’emprunteur

doit prouver qu’il a subi un préjudice dû à la carence de conseil ou de mise en garde et non

seulement à la seule conclusion d’un contrat de prêt en ce qui concerne les emprunteurs non

avertis. Néanmoins, les emprunteurs avertis ne sont pas sans protection car les banquiers

dispensateurs de crédit engagent leur responsabilité s’ils consentent un crédit en disposant

d’un élément d’information relatif à la fragilité financière du client que celui-ci ignore16

. La

protection réside ainsi dans le principe d’asymétrie de l’information.

L’intérêt de cet arrêt réside dans le fait qu’une part de pouvoir d’appréciation est laissée

aux juges du fonds pour apprécier le caractère averti ou non des emprunteurs. Et c’est,

notamment, à partir de ce caractère que pourra être mise en cause la responsabilité du

14

Cass. Ch. Mixte. 29 juin 2007, n°05-21.04 et n° 06-11.673 ; n° 255 et 256 ; RTD Com. 2007, p. 579, note D.

Legeais 15

CA Riom, 17 avril 2013, (RG) n° 12/00820 16

Civ. 1re

, 12 juillet 2005, n° 03-10.770, Bull. civ. I, n° 325 ; JCP 2005, éd. E, 1359, note D. Legeais

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RJP 2015-1 (Novembre)

22

banquier dispensateur de crédit. Bien évidemment, cette appréciation sera faite au moyen de

certains indices, comme la profession, la fréquence des opérations ou encore, le montant du

crédit. Mais la responsabilité du banquier dispensateur de crédit sera plus difficile, mais non

impossible, à mettre en œuvre si les emprunteurs sont des emprunteurs avertis.

MOTS CLÉS : CONTRAT DE PRÊT – DEVOIR DE MISE EN GARDE – APPRÉCIATION

DE LA QUALITÉ D’EMPRUNTEUR AVERTI

Laura BILLAUD

4) Clôture d’un compte bancaire professionnel

Cour d’Appel d’Orléans (chambre commerciale, économique et financière), 29 janvier

2015, no RG : 13/0404 3, 43-15

Madame X... qui exploitait un fonds de commerce de café-restaurant à Neuillé-Pont-Pierre

(Indre-et-Loire) avait ouvert un compte nº08057482001 dans les livres de la Caisse régionale

de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou (le Crédit agricole).

Après la vente du fonds intervenue en janvier 2008, le compte présentait au 30 mai 2009 un

solde débiteur de 21'343,58 euros.

Monsieur X... s'était, par ailleurs, engagé, le 4 décembre 2008, à régler le solde débiteur du

compte de son épouse avant le 4 juin 2009.

Aucun versement n'étant intervenu malgré mise en demeure du 19 mars 2010, le Crédit

agricole a saisi, le 30 juin 2011, le tribunal de grande instance de Tours, lequel, par

jugement en date du 14 novembre 2013, a condamné in solidum les époux X... à lui payer la

somme de 21'343,58 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2010 s'agissant

de Madame X..., et de l'assignation s'agissant de Monsieur X..., outre 800 euros sur le

fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les époux X... ont régulièrement interjeté appel de cette décision le 23 décembre 2013.

Madame X... a fait valoir que le Crédit agricole n'ignorait pas qu'elle n'avait plus la qualité

d'exploitante depuis le 13 février 2008, de sorte que le compte courant devait, après cette

date, être soumis au code de la consommation, ce qui impliquait que le Crédit agricole

élaborât une convention de compte courant et ne laissât pas perdurer un découvert non

autorisé sans alerter sa cliente des risques encourus.

Elle a encore soutenu que le compte aurait dû être clôturé à sa cessation d'activité et était

devenu sans cause par la suite.

Elle a sollicité, en conséquence, le paiement d'une somme de 21'343,58 euros en

indemnisation de son préjudice.

Monsieur X... a conclu à la nullité de son engagement en ce qu'il était sans cause et ne

répondait pas aux exigences des articles L 341 ' 2 et L 341 ' 3 du code de la consommation,

ainsi que de l'article 1326 du code civil.

Les époux X... ont enfin sollicité une somme de 2000 euros en application des dispositions de

l'article 700 du code de procédure civile.

Le Crédit agricole a répliqué que le compte n'était pas un compte courant et qu'il n'avait

continué à fonctionner, après la cessation d'activité de Madame X..., que pour les besoins

d'opérations liées à cette cessation d'activité.

Expliquant ensuite, que le découvert autorisé de 15'000 euros n'avait été que ponctuellement

dépassé, après la vente du fonds, il a estimé qu'il n'avait commis aucune faute.

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RJP 2015-1 (Novembre)

23

S'agissant de Monsieur X..., il a indiqué que son engagement ne constituait pas un

cautionnement, mais un engagement de payer la dette d'autrui qu'il avait librement souscrit,

de sorte que les dispositions légales qu'il invoquait n'étaient pas applicables.

Il a conclu, en conséquence, à la confirmation du jugement entrepris et il a sollicité une

somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE,

Attendu que le compte litigieux n'était pas un compte courant et qu'il n'existe, au demeurant,

aucune convention en ce sens conclue entre les parties ;

Que le compte avait une finalité strictement professionnelle et que l'ensemble des opérations

y figurant, même celles postérieures à la vente du fonds de commerce, étaient liées à l'activité

commerciale de Madame X... ;

Que le solde du prix de vente du fonds a été versé par le notaire au Crédit agricole le 16

octobre 2008 et qu'après cette date, seul un débit de 47,38 euros a été effectué sur le compte ;

Que le Crédit agricole, auquel la radiation de Madame X... du registre du commerce et des

sociétés n'avait pas été notifiée, ne peut se voir imputer à faute le fait de ne pas avoir tiré les

conséquences de cette radiation ;

Qu'en particulier, Madame X... n'est pas fondée à faire grief au Crédit agricole de ne pas

avoir clôturé le compte, d'autant plus que c'était, au premier chef, à elle d'y procéder ;

Et attendu que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a

considéré qu'en sa qualité de professionnelle, Madame X... ne pouvait reprocher au Crédit

agricole d'avoir laissé s'aggraver un découvert dont elle était elle-même responsable et dont

elle était parfaitement à même d'en apprécier les risques ;

Attendu, enfin, s'agissant de Monsieur X..., que son engagement souscrit le 4 décembre 2008

ne constitue pas un cautionnement, en ce qu'il ne l'a pas subordonné à l'inexécution par son

épouse de son obligation de remboursement, mais un engagement personnel qu'il a librement

souscrit de payer la dette d'autrui ;

Que le premier juge a, dès lors, à bon droit considéré que les dispositions du code de la

consommation n'avaient pas à s'appliquer ;

Que, si la reconnaissance de dette de Monsieur X... n'est effectivement pas conforme aux

prescriptions de l'article 1326 du code civil en ce que le montant de la dette est seulement

indiqué en chiffres, elle vaut néanmoins commencement de preuve ;

Que la preuve complète de l'obligation est suffisamment rapportée par l'extrait du compte

dont Monsieur X... a indiqué s'engager à régler le solde débiteur, lequel est effectivement du

montant mentionné par Monsieur X... dans sa reconnaissance de dette ;

Qu'il convient, dès lors, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et attendu que les époux X... qui succombent en leur appel, paieront une somme de 1000

euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et

supporteront les dépens ;

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement entrepris ;

Y AJOUTANT,

CONDAMNE in solidum les époux X... à payer à la Caisse régionale de crédit agricole

mutuel de la Touraine et du Poitou une somme de mille (1000) euros sur le fondement de

l'article 700 du code de procédure civile ;

LES CONDAMNE in solidum aux dépens, et accorde à la SCP d'avocats Desplanques-

Devauchelle le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJEAUD, président de chambre et MadameAnne-

Chantal PELLÉ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par lemagistrat

signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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RJP 2015-1 (Novembre)

24

Monsieur Alain RAFFEJEAUD

Commentaire : Qualification de compte courant

Le compte courant est la « convention par laquelle deux personnes affectent toutes leurs

créances réciproques à un mécanisme de règlement instantané par fusion en un solde

immédiatement disponible »17

. Il doit résulter de la volonté expresse des parties. Le compte

courant est le compte permettant à la banque d’ouvrir des crédits au profit de son titulaire.

De plus, le compte courant est généralement réservé aux professionnels dans le cadre de

leur activité18

. En pratique, rien n’empêche qu’un professionnel ouvre un compte de dépôt et

qu’un particulier choisisse un compte courant.

En l’espèce, une exploitante de fonds de commerce avait ouvert un compte dans les livres

du Crédit agricole (la banque) mais il n’était pas précisé qu’il s’agissait d’un compte courant.

Après avoir vendu son fonds de commerce, le compte de l’exploitante présentait un solde

débiteur.

La question était de savoir si la banque aurait dû prendre en compte la fin de son activité

pour clôturer le compte. Selon l’article L. 312-1-1 du code monétaire et financier, il est

possible de résilier unilatéralement un compte bancaire. En l’espèce, le compte avait continué

à fonctionner après la cessation d’activité de l’exploitante et ce pour les besoins d’opérations

liées à cette cessation d’activité. Il s’agissait notamment de la perception du solde du prix de

vente. Le compte présentait bien un caractère professionnel mais il ne s’agissait pas d’un

compte courant. L’ancienne exploitante affirmait que le compte devait être soumis aux règles

du code de la consommation et non à celles du code de commerce. Dans ces circonstances, la

banque aurait dû alerter sa cliente des risques encourus en raison de son découvert. Au

moment de la cessation de son activité, le compte avait perdu son intérêt qui était celui du

transfert des fonds liés à l’activité, la banque aurait dû le clôturer.

Or la banque affirmait que le découvert n’avait été que ponctuellement dépassé, elle

n’avait donc pas commis de faute.

Selon la cour d’appel d’Orléans, « il n’existe aucune convention en ce sens conclue entre

les parties ». En effet, la cour affirme que la convention ne prévoyait pas qu’il s’agissait d’un

compte courant. Par conséquent, la banque ne pouvait se voir reprocher le fait de ne pas avoir

tiré les conséquences de cette radiation. Il appartient donc à la détentrice du compte de le

clôturer elle-même.

De plus, le mari de l’ancienne exploitante s’était engagé à régler le solde débiteur du

compte. Il s’agissait alors de savoir comment était engagé l’époux vis-à-vis de la défaillance

de son épouse. La banque l’a mis en demeure de payer. En l’absence de réponse, la banque a

ensuite saisi le tribunal de grande instance qui a condamné in solidum les époux. C’est

pourquoi les époux ont interjeté appel.

En vertu des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, le cautionnement

doit remplir des conditions de forme pour être valable. De plus, l’article 1326 du code civil

prévoit que « l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer

17

J.-L. Rives-Lange, Droit bancaire, coll. « Précis Dalloz », Paris, Dalloz, 1973, 500 pages. 18

Arrêtés du 8 mars 2005 et du 29 juillet 2009

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RJP 2015-1 (Novembre)

25

une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui

comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-

même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence,

l'acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres ».

Or en l’espèce, l’époux s’était seulement engagé à payer sans en préciser les modalités et

sans indiquer le montant qu’il souhaitait couvrir et il affirme donc que son engagement est nul

et sans cause. En effet, une reconnaissance de dette doit, non seulement, être constatée par un

écrit signé mais également comporter la mention précise de la dette en toutes lettres et en

chiffres19

. De plus, l’époux a qualité à agir car seule la personne qui s’est engagée peut

invoquer l’irrégularité relative à l’absence d’une mention obligatoire20

. L’engagement pris par

l’époux reste valable mais, dans la mesure où certaines mentions obligatoires font défaut,

l’acte vaut seulement commencement de preuve par écrit.

Selon la cour d’appel d’Orléans, cet engagement ne constituait pas un cautionnement dans

la mesure où il n’a pas pour condition essentielle l’absence de remboursement du solde

débiteur par l’ancienne exploitante.

Il s’agit seulement d’ « un engagement de payer la dette d’autrui qu’il avait librement

souscrit » soumis aux règles du droit de la consommation. Néanmoins, la cour affirme que cet

engagement vaut commencement de preuve. L’époux est donc tenu de remboursement le

solde débiteur du compte de son épouse.

La cour d’appel d’Orléans a confirmé l’arrêt de première instance excluant l’application du

droit de la consommation au compte bancaire dont le titulaire est un professionnel.

MOTS CLES : COMPTE BANCAIRE – CLÔTURE – RECONNAISSANCE DE DETTE –

CAUTIONNEMENT

Audrey GARCIA GAUGUIN

5) L’inefficacité de la clause résolutoire d’un bail commercial en procédures collectives

Cour d'appel d'Orléans (chambre commerciale, économique et financière), 29 janvier

2015, n° RG 14/02902

EXPOSÉ :

La SNC PETITCOLLIN BOCHET exploite une officine de pharmacie dans des locaux sis

avenue de Paris à Nouan le Fuzelier appartenant à la SCI du Cèdre en vertu d'un bail

commercial conclu par acte authentique du 10 janvier 2001.

Après lui avoir fait délivrer le 27 février 2014 un commandement de payer les loyers en

souffrance en visant la clause résolutoire stipulée au contrat, la bailleresse a fait assigner le

15 mai 2014 sa locataire devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Blois,

qui a constaté par ordonnance réputée contradictoire du 15 juillet 2014 la résiliation de plein

droit du bail au 28 mars 2014 et ordonné l'expulsion de la société PETITCOLLIN BOCHET

19

Article 1326 du code civil 20

Cass. civ., 18 décembre 1978, JCP G 1979.IV.74

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RJP 2015-1 (Novembre)

26

en la condamnant à une provision de 32.710,30 euros à valoir sur le montant des loyers,

charges et indemnités au 30 avril 2014, et en fixant à 3.486,70 euros le montant de

l'indemnité mensuelle d'occupation due à compter du 1er mai 2014.

La SNC PETITCOLLIN BOCHET et son mandataire judiciaire, Me Hubert LAVALLART, ont

relevé appel.

Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du

code de procédure civile, ont été déposées :

- le 24septembre 2014 par la SNC PETITCOLLIN BOCHET et Me LAVALLART

- le 24 novembre 2014 par la SCI du Cèdre.

La SNC PETITCOLLIN BOCHET et son mandataire judiciaire font valoir que le tribunal de

commerce de Blois a placé l'entreprise en redressement judiciaire par jugement du 20 juin

2014. Ils demandent à la cour de constater que l'acquisition de la clause résolutoire n'était

pas définitive à cette

date, et de dire que la résiliation du bail ne peut être constatée ni intervenir pour défaut de

paiement des loyers antérieurs, en renvoyant la bailleresse à se soumettre à la procédure de

vérification des créances.

La SCI du Cèdre indique n'avoir pas eu connaissance de l'ouverture de la procédure

collective au jour de l'assignation ni de l'audience. Elle déclare s'en remettre à justice sur le

mérite de l'appel, mais demande à la cour de ne pas mettre à sa charge les dépens ni a

fortiori une indemnité de procédure.

Il est référé pour le surplus aux conclusions des plaideurs.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 11 décembre 2014, ainsi que les avocats

des parties en ont été avisés.

MOTIFS DE L'ARRÊT :

Attendu qu'il est justifié que par jugement du 20 juin 2014 publié le 11 juillet 2014 au

Bodacc, le tribunal de commerce de Blois a ouvert le redressement judiciaire de la SNC

PETITCOLLIN BOCHET ;

Attendu qu'en application des articles L.622-21-I et L.622-13 et suivants du code de

commerce, l'action introduite par la bailleresse, avant la mise en redressement judiciaire du

preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail pour

défaut de paiement des loyers ou charges échus antérieurement au jugement d'ouverture ne

peut, dès lors qu'elle n'a donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée, être

poursuivie après ce jugement ;

Qu'il n'existait, à la date d'ouverture de la procédure collective, aucune décision définitive

ayant constaté l'acquisition de la clause résolutoire ;

Attendu que dès lors, la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire pour défaut de

paiement de loyers exigibles antérieurement à l'ouverture ne peut plus être prononcée ;

Et attendu que l'instance en référé qui tend à obtenir une condamnation provisionnelle n'est

pas une instance en cours susceptible d'être reprise devant la cour d'appel, et la créance qui

fait l'objet d'une telle instance doit être soumise à la procédure normale de vérification du

passif et à la décision du juge commissaire ; que dès lors, l'ordonnance de référé entreprise,

en ce qu'elle alloue une provision, est dépourvue d'effet, et la cour doit constater son

dessaisissement;

Attendu que chaque partie conservera la charge des dépens par elle exposés, sans indemnité

de procédure ;

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant en matière de référé, publiquement et par arrêt contradictoire :

DIT que l'ordonnance entreprise est dépourvue d'effet

RENVOIE, en ce qui concerne les loyers et charges, la SCI du Cèdre à suivre la procédure

NORMALE de vérification du passif

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RJP 2015-1 (Novembre)

27

DIT que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens, sans indemnité de

procédure.

Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJEAUD, président de chambre et Madame Anne-

Chantal PELLÉ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat

signataire.

Commentaire : L'inefficacité de la clause résolutoire d'un bail commercial en l'absence

d'une décision ayant force de chose jugée avant le jugement d'ouverture d'un

redressement judiciaire

Les litiges portant sur le bail commercial ont un impact important en droit des entreprises en

difficulté. En effet, il s'agit d'un élément patrimonial essentiel pour le débiteur. Le bail

commercial est lié directement à la poursuite de l'activité. Il est source de conflit car il est

possible que le bailleur reste lié à ce contrat alors que le débiteur est défaillant. Le législateur

a mis en œuvre de nombreux mécanismes pour protéger le bail commercial face à une

procédure collective et pour rendre difficile l'application par le bailleur d'une clause

résolutoire prévue dans le contrat. C'est ce qu’illustre l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans du

29 janvier 2015.

En l'espèce, une SNC exploite une officine de pharmacie dans des locaux appartenant à une

SCI en vertu d'un bail commercial conclu par acte authentique. La SCI fait délivrer, le 27

février 2014, un commandement de payer à la SCI pour les loyers impayés en visant la clause

résolutoire prévue dans le contrat de bail. Elle assigne cette dernière devant le juge des référés

le 15 mai 2014 qui constate par une ordonnance réputée contradictoire du 15 juillet 2014 la

résiliation de plein droit du bail au 28 mars 2014 et la condamne à une provision.

Parallèlement, cette SNC est mise en redressement judiciaire par jugement le 20 juin 2014. La

SNC et son mandataire judiciaire demandent donc au tribunal de commerce de reconnaître

que l'acquisition de la clause résolutoire n'était pas définitive à la date du redressement

judiciaire, et que le bail ne peut donc pas être résilié.

La procédure en référé permet la mise en place d'une procédure contradictoire et accélérée21.

Cette décision prise en référé est provisoire et permet au créancier d'obtenir une décision

rapidement. Cette action peut être mise en œuvre par un bailleur en vue de faire appliquer la

clause résolutoire prévue dans un contrat de bail. En effet, cette dernière prévoit une

résolution de plein droit en cas non-paiement des loyers dans le terme convenu. Toutefois

cette application de la clause a été limitée dans le cas d'une procédure collective ouverte à

l’encontre du débiteur. En effet, la cour d'appel d'Orléans rappelle dans cet arrêt que le

bénéfice de la clause n’est pas acquis au bailleur si la décision la prononçant n'a pas force de

chose jugée au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective. Cette solution avait

déjà été prononcée par la Cour de cassation dans de nombreux arrêts22

. N'a pas force de chose

jugée au sens de l'article 500 du code de procédure civile, la décision qui est susceptible d'un

recours suspensif au jour de l'ouverture de la procédure collective. La solution retenue est

donc la continuation du contrat de bail commercial. Dans ce cas, si le bail n'a pas été résilié

avant le jugement d'ouverture, il ne peut plus l'être après pour défaut de paiement des loyers

ou des charges antérieurs au jugement d'ouverture, peu importe que le bailleur ait engagé une

procédure antérieurement à celui-ci. Seule la décision statuant sur l’ouverture d’une procédure

21

Article 808 code de procédure civile 22

Com. 12 juin 1990 n° 88-19.808. Bull. civ. IV, n° 172 ; D. 1990. 450, note Derrida ; Com. 15 février 2011, n°

10-12.747, BJE mai/juin 2011 §67, p.118, note Berthelot

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RJP 2015-1 (Novembre)

28

collective envers le débiteur doit être prise en compte car elle emporte force de chose jugée.

Par voie de conséquence, l'article L. 622-21 I du code de commerce s'applique. Il prévoit que

le jugement d'ouverture interdit toute action en justice contre le débiteur pour les créances

antérieures quand celles-ci amènent au paiement d'une somme d'argent, ou d'une résolution

pour défaut de paiement. De plus, en application de l'article L. 622-13 du code de commerce,

la résolution d'un contrat ne peut pas être prononcée quand il s'agit d'un contrat en cours. Le

créancier doit remplir ses obligations même en cas de défaut de paiement antérieurs.

Le jugement d'ouverture de la procédure collective prend effet au jour de celui-ci23

. Les

dispositions24

prévoyant la publicité de ce dernier au BODACC ne remettent pas en cause

cette dernière disposition qui est d'ordre public. La date d'effet du jugement d'ouverture est à

la date de la décision prise par les juges et non celui de sa publication. La jurisprudence a

précisé que « la décision d'ouverture prend effet à compter de sa date même, c'est-à-dire le

jour de son prononcé à 0 heure »25

. Dès lors, le jugement d'ouverture est opposable aux

créanciers. Et c'est à partir de ce moment qu'est définie la distinction entre les créances

antérieures et postérieures à la procédure. En l'espèce, aucune décision n’avait force de chose

jugée au jour du jugement d'ouverture. Le bailleur doit donc continuer le contrat de bail

commercial avec le locataire alors que ce dernier est soumis à une procédure collective. Pour

obtenir le recouvrement des créances antérieures, c'est à dire les loyers impayés et les charges

afférentes, il doit donc se soumettre à la procédure de déclaration des créances antérieures de

l'article L. 622-24 du code de commerce. Le créancier doit donc soumettre à vérification sa

créance auprès du mandataire judiciaire pour qu'elle y soit admise. Il pourra alors qu'à l'issue

de la procédure espérer un recouvrement de cette dernière.

MOTS CLES : CLAUSE RESOLUTOIRE – BAIL COMMERCIAL – DECISION AYANT

FORCE DE CHOSE JUGEE

Laura FEBVRE

6) Recevabilité et bien fondé d’une action en responsabilité délictuelle fondée sur une

inexécution contractuelle

Cour d'appel d'Orléans Chambre commerciale, économique et financière, 22 janvier 2015,

n° 13/02570

EXPOSÉ :

Sylvie THOMAS a constitué en mai 2010 avec son fils la S.A.R.L. Ambitions 45, dont elle était

gérante, et qui a confié à la société MC2 une étude de marché sur un projet d'implantation

d'une concession 'Vinomania' à Orléans, qu'elle a ouverte en définitive en décembre 2010 [...]

après signature d'un contrat de concession sélective de licence de marque. La société avait

souscrit auprès du CIC Ouest un crédit de 265.000 euros dont Mme THOMAS s'était portée

caution solidaire de la bonne fin à hauteur de 92.500 euros. Elle a été placée en redressement

judiciaire le 11 juillet 2012, puis en liquidation judiciaire le 25 octobre 2012, et la banque a

mis en œuvre ce cautionnement. Autorisée à agir à jour fixe, Mme THOMAS a fait assigner la

société MC2, par acte du 9 janvier 2013, en lui réclamant une somme totale de 297.027,66

euros de dommages et intérêts sur le fondement de sa responsabilité contractuelle,

23

Article R. 621-4 du code de commerce 24

Article R. 621-8 du code de commerce

25 CA Orléans 14 juin 2007 n° 06/02928, NP

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RJP 2015-1 (Novembre)

29

subsidiairement délictuelle, au motif que son rapport d'étude était entaché d'erreurs

grossières qui l'avaient déterminée à s'engager dans un projet inadapté qui l'a ruinée. La

société MC2 a invoqué l'irrecevabilité d'une telle action, et subsidiairement conclu sur le fond

à son rejet. Par jugement du 13 juin 2013, le tribunal de commerce d'Orléans a déclaré Mme

THOMAS recevable en son action, et l'en a déboutée.

Mme THOMAS a relevé appel.

Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du

code de procédure civile, ont été déposées :

Le 31 mars 2014 par Mme THOMAS

le12 mars 2014 par la société MC2.

Mme THOMAS justifie sa recevabilité à agir en faisant valoir qu'elle a versé 92.500 euros au

CIC en novembre 2012, et elle répond au moyen adverse qu'il s'agit bien là d'un préjudice

personnel distinct d'une atteinte aux intérêts des créanciers. Elle indique dans ses dernières

conclusions récapitulatives fonder son action sur l'article 1382 du code civil et se prévaut de

la jurisprudence qui permet au tiers à un contrat d'invoquer, sur le fondement de la

responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a

causé un dommage. Elle soutient, à cet égard, que l'étude remise par MC2 n'était qu'une

compilation de données générales accessibles sur internet et auprès d'organismes et

d'administrations, sans analyse concrète des particularités locales ; qu'elle était entachée

d'une grave omission puisqu'elle ne signalait pas la présence d'un restaurant

interadministratif à moins de 150 mètres du lieu d'implantation envisagé ; et qu'elle avançait

des données chiffrées sans tenir compte du contexte économique. Elle assure que cette étude

fut déterminante dans sa décision de créer l'affaire ainsi que pour l'obtention du prêt

bancaire, et elle fait valoir que malgré sa compétence et son dynamisme, les résultats réels

s'avérèrent rapidement inférieurs des deux tiers aux prévisions. Elle soutient que son

préjudice est bien en lien direct de causalité avec les erreurs et insuffisances du rapport. Elle

demande à la cour de condamner MC2 à lui verser à titre de dommages et intérêts une

somme de 92.500 euros correspondant à celle qu'elle a dû débourser en sa qualité de caution.

La société MC2 maintient que l'action est irrecevable au motif que seul le liquidateur, et non

pas les associés d'une société en liquidation judiciaire, ont qualité pour agir en réparation du

préjudice subi au titre des pertes directement éprouvées du fait de la liquidation judiciaire, et

que tel est le cas de Mme THOMAS, qui est subrogée dans les droits de la société dont elle a

réglé la dette, de sorte qu'elle obtiendrait paiement de sa créance, en portant atteinte aux

droits des autres créanciers, si elle recevait personnellement des dommages et intérêts. À titre

subsidiaire, l'intimée prend acte de ce que Mme THOMAS n'invoque plus désormais sa

responsabilité contractuelle, en rappelant que c'est bien la société Ambitions 45 qui lui avait

passé commande de l'étude incriminée.

Elle récuse toute responsabilité sur le fondement délictuel en indiquant qu'elle a fourni la

prestation convenue, laquelle était bien présentée comme ne constituant pas une analyse mais

une présentation objective de la zone assortie d'un prévisionnel établi sans tenir compte des

charges de fonctionnement, de sorte qu'il était clair que ce rapport ne dispensait nullement le

client de faire établir un bilan prévisionnel par un professionnel du chiffre. Elle conteste

avoir commis une faute en ne mentionnant pas la présence du restaurant interadministratif à

proximité, en faisant valoir que ce type d'établissement, non ouvert au public, n'entre pas

dans le périmètre contractuel de son étude. Elle indique avoir rendu compte des concurrents

existants et des projets, et précise avoir même insisté sur l'intensité de la concurrence dans ce

secteur de la [...]. Elle conteste aussi tout lien de causalité entre les manquements invoqués et

le préjudice

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RJP 2015-1 (Novembre)

30

allégué, en faisant valoir que Mme THOMAS avait déjà créé la société Ambitions 45 avant

d'avoir reçu l'étude litigieuse, et en observant que l'appelante se garde bien de produire les

pièces de la procédure collective qui pourraient éclairer les raisons de sa déconfiture.

Il est référé pour le surplus aux dernières conclusions récapitulatives des parties.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 3 avril 2014, ainsi que les avocats des

parties en ont été avisés.

L'affaire, initialement fixée à l'audience du 10 avril 2014, a débord été renvoyée pour cause

d'indisponibilité d'un des conseils au 26 juin 2014, puis de nouveau renvoyée à la demande

des conseils des plaideurs en raison d'un mouvement de grève des avocats, et elle a été

évoquée en définitive le 4 décembre 2014.

MOTIFS DE L'ARRÊT :

* sur la recevabilité de l'action de Mme THOMAS

Attendu que Mme THOMAS, tiers au contrat en vertu duquel la société LC2 a réalisé l'étude

de marché litigieuse pour la S.A.R.L. Ambitions 45, est en droit d'invoquer sur le fondement

de la responsabilité délictuelle l'exécution défectueuse de cette convention, dès lors que ce

manquement lui a causé un dommage ;

Et attendu qu'elle justifie par la production (ses pièces n°9 et 13) de son cautionnement de

l'emprunt bancaire souscrit par la société Ambitions 45 et de la preuve du paiement de

92.500 euros qu'elle a opéré à ce titre entre les mains du CIC Ouest, avoir été poursuivie en

exécution de son engagement ; qu'elle est ainsi recevable à agir en réparation de ce qui

constitue un préjudice personnel distinct et non une atteinte à l'intérêt collectif des créanciers

;

* sur la responsabilité de la société MC2

Attendu que l'étude de marché que MC2 s'était engagée à réaliser pour la société Ambitions

45 lui a clairement et explicitement été présentée lors de la conclusion du contrat, en mai

2010, comme une étude essentiellement statistique,

opérée par voie de traitement et d'analyses de données géographiques, démographiques et

socioéconomiques et de présentation des commerces concurrents existant localement,

assortie de l'indication d'un chiffre d'affaires prévisionnel (cf pièce n°4 de l'appelante), et son

coût était en cohérence avec ces caractéristiques ;Qu'elle émane d'une officine oeuvrant

habituellement avec le franchiseur 'Vinomania', lequel renvoie (cf pièce n°3 de l'appelante)

les candidats à y recourir comme un élément parmi d'autres devant être obtenus auprès

d'autres 'partenaires qui vous accompagnent', parmi lesquels il est significatif que figurent

également, de façon distincte, des professionnels du chiffre, en l'occurrence deux cabinets

d'expertise comptable et de commissariat aux comptes dont les coordonnées, sur ce

document, sont suivies de l'indication 'leur présentation et le budget', ce qui confirme bien la

portée limitée de l'étude de marché, étant ajouté que figurait aussi parmi ces partenaires un

courtier en financement ; Attendu que le document remis par MC2 à Ambitions 45 le 8

septembre 2010 (pièce n°5) est conforme aux bases de leur accord, et l'appelante dont le

curriculum vitae (pièce n°1) persuade qu'elle était particulièrement apte à l'analyser et à en

apprécier la portée et les limites en dénature l'objet en le présentant comme une étude

financière personnalisée ayant pu et dû servir de support principal à la décision de créer une

entreprise et de s'engager comme caution; Qu'il s'agit bien d'une présentation de la région,

de l'agglomération, de la ville et du quartier, explicitement fondée sur l'exploitation de

statistiques référencées et assortie de données générales sur leur structure démographique,

sociologique et économique, ainsi que d'un recensement des fonds concurrents, tant à

proximité immédiate que dans un périmètre un peu plus vaste, avec un commentaire sur les

facteurs plus ou moins favorables d'une implantation à cet endroit, et clôturée par un

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RJP 2015-1 (Novembre)

31

prévisionnel constitué d'un tableau sommaire, fondé sur un taux moyen de fréquentation et un

chiffre d'affaires moyen par type d'activité ; Qu'Ambitions 45 avait d'ailleurs elle même

établi son propre prévisionnel (cf pièce n°7); Et attendu que c'est à bon droit que l'étude ne

mentionnait pas la présence d'un restaurant administratif qui n'entrait pas dans le champ des

concurrents ni de l'environnement commercial du bar à vin ; Attendu qu'il n'est ainsi pas

démontré que la société MC2 ait manqué à ses obligations, ni plus généralement qu'elle ait

commis une faute dont Mme THOMAS pourrait se prévaloir, et qui serait au surplus en

relation de causalité suffisante avec le préjudice dont elle argue, d'autant que la société

Ambitions 45 était déjà constituée lorsque l'étude fut commandée (cf pièce n°2) ; qu'elle avait

déjà décidé de s'implanter dans ce local de la [...] (cf pièce n°4 page 1) ; qu'elle s'établissait

dans des locaux où était déjà exploité un fonds de cave à vins (cf page 34 de l'étude), ce qui

ne pouvait manquer à la fois de renseigner et d'interroger sur la commercialité des lieux, en

s'intéressant aux raisons présidant au retrait du prédécesseur ; et que l'appelante, malgré les

représentations adverses, s'est constamment abstenue tout au long de l'instance devant le

tribunal, puis la cour, de produire des pièces, notamment tirée de la procédure collective

qu'elle détient nécessairement en sa qualité de gérante de nature à éclairer sur les motifs et

circonstances de la déconfiture rapide de l'entreprise ; Que le jugement déféré sera donc

confirmé purement et simplement ;

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire :

CONFIRME le jugement entrepris

CONDAMNE Mme Sylvie THOMAS aux dépens d'appel, ainsi qu'À PAYER à la S.A.R.L.

MC2 la somme de 2.000euros (DEUX MILLE EUROS) en application de l'article 700 du

code de procédure civile.

Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJEAUD, Président de chambre et Madame

AnneChantal

PELLÉ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Commentaire : Recevabilité et bien fondé d’une action en responsabilité délictuelle

fondée sur une inexécution contractuelle.

La Cour d'appel d'Orléans a admis la recevabilité d’une action en responsabilité délictuelle

fondée sur une inexécution contractuelle avant de rejeter la demande sur le fond.

Madame X a constitué en 2010 la SARL A dont elle était gérante. Elle a confié à la société

B la réalisation d’une étude de marché concernant son projet d’implantation d’une concession

à Orléans. Ce projet s’est concrétisé par l’ouverture de cette concession en décembre 2010.

Par ailleurs, Madame X s’est portée caution solidaire à hauteur de 92.500 euros d’un crédit

souscrit par ladite société auprès de la banque C. La société a finalement été placée en

liquidation judiciaire le 25 octobre 2012. La banque a alors mis en œuvre le cautionnement

auprès de Madame X. Celle-ci a fait assigner la société B sur le fondement de sa

responsabilité contractuelle et à titre subsidiaire délictuelle en arguant que son rapport était

entachée d’erreurs grossières qui l’avaient déterminée à s’engager dans un projet

manifestement pas viable. De son coté, la société B a invoqué l’irrecevabilité d’une telle

demande et à titre subsidiaire son rejet sur le fond. Le Tribunal de Commerce d’Orléans a

déclaré l’action de Madame X recevable toute en la déboutant de celle-ci. Cette dernière a par

la suite interjeté appel. La cour d’appel d’Orléans a confirmé le jugement rendu en première

instance à la fois sur la recevabilité de l’action de Madame X et sur le rejet sur le fond de

celle-ci.

Page 32: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

32

Cette solution n’est pas nouvelle et ne vient que s’aligner sur la solution de principe

retenue par la cour de cassation26

et qui a fait l’objet d’une décision rendue en assemblée

plénière27

.

I. La recevabilité de l’action en responsabilité délictuelle

Le principe de la relativité des contrats posé à l’article 1165 du code civil dispose que les

stipulations contractuelles n’obligent que les parties entre elles. Cela signifie qu’en matière

contractuelle, il existe deux qualités possibles celle de contractant et celle de tiers au contrat.

Toutefois cette vision binaire ne saurait englober la diversité des situations contractuelles. En

effet, le contrat va créer une situation ou réalité juridique qui est susceptible d’impacter les

tiers au contrat. Le principe est alors celui de son opposabilité à tous (erga omnes) et partant

aux tiers. Les stipulations contractuelles sont par conséquent susceptibles d’être opposables

aux tiers. Cependant ces derniers vont pouvoir se prévaloir de ces mêmes stipulations

contractuelles afin d’engager non pas la responsabilité contractuelle des parties mais leur

responsabilité délictuelle.

En l’espèce Madame X était est effectivement tiers au contrat pour lequel elle estimait

qu’il y avait eu mauvaise exécution. En effet, c’est bien la société A qui a commandé l’étude

de marché et non Madame X. A première vue, l’action en responsabilité contractuelle lui est

donc fermée dans la mesure où elle est tiers au contrat. Toutefois, les tiers peuvent fonder

leurs actions en responsabilité délictuelle sur une inexécution contractuelle. Dès lors les

insuffisances et graves erreurs qui aux dires de Madame X ont entaché l’étude de marché

réalisé pour la SARL A peuvent être invoquées au titre d’une responsabilité délictuelle, c'est-

à-dire fondée sur l’article 1382 du code civil.

II. Le rejet de l’action en responsabilité à l’aide d’un faisceau d’indices

La Cour d’appel d’Orléans vient rejeter la demande formulée par Madame X. Cette

dernière prétendait ainsi que de graves erreurs et insuffisances ont entaché l’étude

commandée par la SARL A. Le tiers au contrat peut comme on l’a vu précédemment invoquer

une inexécution contractuelle comme fondement de la responsabilité délictuelle qu’il entend

engager. Il n’a pas à apporter d’autres preuves, la simple inexécution contractuelle est

suffisante pour lui ouvrir cette action28

. Autrement dit, il n’aura pas à prouver que la partie au

contrat qu’il entend poursuivre a commis une faute détachable du contrat29

. Toutefois, celle-ci

devra démontrer qu’il y a effectivement eu mauvaise exécution contractuelle. En l’espèce, ce

n’est pas le cas. La preuve d’une inexécution contractuelle mais aussi du lien de causalité de

celle-ci avec le préjudice que le tiers prétend avoir subi, lui incombe.

MOTS-CLES : RESPONSABILITE CONTRACTUELLE – RESPONSABILITE

DELICTUELLE –TIERS – RECEVABILITE.

Fatima BITARI

26

Cass. 1re civ., 15 déc. 1998, nos 96-21.905 et 96-22.440, Bull. civ. I, no 368, Defrénois 1999, art. 37008, note

Mazeaud D., Contrats, conc., consom. 1999, comm. no 37, note Leveneur L., RTD civ. 1999, p. 623, obs. Mestre

J. 27

Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, no 05-13.255, Bull. civ. ass. plén., no 9, D. 2006, p. 2825, note Viney G., RLDC

2007/34, no 2346, note Brun Ph., RLDA 2006/11, no 656, note Jacques Ph., Resp. civ. et assur. 2006, étude 17,

note Bloch L., JCP G 2006, II, no 10181, note Billiau M., JCP G 2007, I, no 115, obs. Stoffel-Munck Ph., JCP E

2007, 1000, note Auque F., RJDA 2007, no 1, note Assie F. ; sur cet arrêt, voir également, Mestre J., Une

véritable théorie de la relativité, RLDC 2006/32, Éditorial, p. 3 28

Cass. 1re civ., 18 juill. 2000, no 99-12.135, Bull. civ. I, no 221, RTD civ. 2001, p. 146, obs. Jourdain P 29

Cass. 1re civ., 18 mai 2004, no 01-13.844, Bull. civ. I, no 141

Page 33: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

33

7) Demande en paiement du solde débiteur d’un compte-joint

Cour d’appel d’Orléans (Chambre commerciale, économique et financière), 29 janvier

2015, N°14/00397,57-15

Exposé du litige :

Le19 juin 2013, la société anonyme HSBC a assigné Monsieur Philippe Y... et son épouse,

Madame Béatrice A..., devant le tribunal d'instance de Tours afin d'obtenir leur

condamnation solidaire à lui verser 23.812,52 euros, montant du solde débiteur de leur

compte joint ouvert en ses livres.

Par jugement réputé contradictoire en date du 18 novembre 2013, le tribunal, statuant sous le

bénéfice de l'exécution provisoire, a condamné Monsieur et Madame Y... à verser à HSBC la

somme de 18.393,05 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du premier février

2013 et a débouté HSBC de sa demande en paiement d'une indemnité de procédure.

Monsieur et Madame Y... ont relevé appel de cette décision par déclaration en date du 31

janvier 2014.

Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du

code de procédure civile, ont été déposées :

-le 30 avril 2014 par les appelants,

-le 27 juin 2014 par l'intimée.

Monsieur et Madame Y... concluent à titre principal à la nullité du jugement déféré, et

subsidiairement à son infirmation, au rejet des demandes formées par HSBC et à la

condamnation de cette dernière à leur verser des dommages et intérêts équivalents au

montant du solde débiteur de leur compte courant ou 'd'au moins 10.000 euros'. A titre

infiniment subsidiaire, ils réclament les plus larges délais de paiement et, en tout état de

cause, sollicitent le versement d'une indemnité de procédure de 2.000 euros. Ils prétendent

que l'acte introductif d'instance est nul parce qu'ils n'ont jamais reçu l'assignation. Ils font

ensuite valoir que Monsieur Y... était cadre au sein de la société HSBC ; que le compte joint

fonctionnait habituellement en position débitrice et, qu'après leur avoir proposé un crédit de

restructuration sans jamais le leur accorder, la banque leur a brutalement retiré tout moyen

de paiement et a géré elle-même leur compte, les contraignant à solliciter des autorisations

pour leurs dépenses vitales. Ils signalent enfin qu'une rupture conventionnelle du contrat de

travail de Monsieur Y... est intervenue en mai 2012.

HSBC demande à la cour d'écarter l'exception de nullité de l'assignation soulevée par les

demandeurs et conclut à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation des

appelants à lui verser une indemnité de procédure de 800 euros. Elle souligne que Monsieur

Y..., cadre bancaire, savait mieux que quiconque que les comptes doivent être gérés avec

rigueur, rappelle que l'inscription des appelants au fichier des incidents de paiement résulte

de l'émission de chèques sans provision, et souligne qu'elle a adressé, le 8 août 2012, une

lettre recommandée avec demande d'avis de réception par laquelle elle dénonçait le

découvert avec délai de prévenance expirant le 8 octobre parce que salaire de l'épouse n'était

plus versé sur le compte joint. Enfin, elle s'oppose à l'octroi de délais de paiement en faisant

observer que les débiteurs ne produisent aucune pièce justifiant de leur situation financière.

CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :

Attendu que l'assignation introductive d'instance a été délivrée par remise à l'étude de

l'huissier de justice après que ce dernier ait indiqué s'être déplacé 30, chemin des sables à

Page 34: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

34

Nazelles Négron, y avoir constaté la présence du nom 'Y... ' sur la boîte aux lettres et s'être

fait confirmer le domicile par le voisinage ; que l'huissier instrumentaire a précisé avoir

laissé au domicile un avis de passage daté du 19 juin 2013 ;

Que les époux Y... , qui reconnaissent être domiciliés 30, chemin des sables à Nazelles

Négron, n'exposent pas en quoi les indications de l'huissier de justice seraient insuffisantes ni

en quoi ses diligences ne seraient pas conformes à l'article 114 du code de procédure civile

ou à l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme ;

Que l'avis d'assignation qui leur a été adressé répond entièrement aux exigences légales en

vigueur et que l'exception de nullité sera en conséquence écartée ;

Attendu que Monsieur et Madame Y... ne contestent pas être débiteurs de la somme de

18.393,05 euros envers HSBC et que le jugement déféré ne peut dès lors qu'être confirmé en

ce qu'il les a condamnés à la payer ;

Attendu que les appelants reprochent en substance à HSBC d'avoir abusivement rompu un

accord tacite de crédit qui leur permettait de faire fonctionner leur compte courant en

position débitrice et d'avoir refusé de leur accorder le prêt qu'elle leur avait pourtant proposé

;

Mais attendu qu'à l'appui de ces dires, Monsieur et Madame Y... produisent uniquement un

décompte de tous leurs créanciers établi par leurs seuls soins à une date ignorée sans qu'il

soit démontré que ce document a été un jour transmis à HSBC ou qu'il avait pour finalité de

préparer une demande de prêt de restructuration ; qu'aucune des pièces versées aux débats

ne mentionne une demande formée par les époux Y... ou une offre de la banque de procéder à

un tel prêt ;

Que la pièce numéro 2 des appelants n'est qu'un 'récapitulatif de la situation' encore une fois

unilatéralement établi par leurs soins sans qu'il soit permis de penser, en l'absence de date et

de nom de destinataire, qu'il a été adressé à HSBC ;

Qu'il ressort clairement des courriers échangés entre les parties que ce n'est nullement

l'attitude de HSBC qui a mis les appelants en difficulté mais la souscription de 20 crédits à la

consommation entraînant paiement d'échéances mensuelles trop élevées et l'accumulation

d'impayés auprès de divers créanciers, dont le Trésor Public qui a procédé à la mise en place

d'avis à tiers détenteurs ;

Que le solde débiteur du compte courant n'a alors cessé d'augmenter et que les appelants ont

arrêté d'y domicilier le salaire de l'épouse, ce qui a légitimement conduit la banque à

s'inquiéter d'une situation qui apparaissait de plus en plus compromise ;

Que Monsieur et Madame Y... ne sauraient reprocher à HSBC d'avoir brutalement décidé

d'un retrait immédiat de leurs moyens de paiement alors qu'ils n'ont pas réclamé la lettre

recommandée qui leur avait été adressée le 8 août pour les mettre en garde, leur demander

de proposer un apurement du solde débiteur et les aviser qu'à défaut d'accord leurs moyens

de paiement leur seraient retirés deux mois plus tard ;

Qu'enfin la banque n'a pas unilatéralement mis en place un système de prélèvement direct sur

le compte joint afin de rembourser le découvert mais qu'il résulte des pièces produites que ce

sont les appelants eux-mêmes qui ont proposé de telles modalités de remboursement qu'ils

n'ont jamais contestées tant que Monsieur Y... est resté salarié de HSBC ;

Qu'aucune pièce ne permet dès lors d'établir l'existence d'une faute commise par l'intimée et

que les appelants seront déboutés de leur demande en paiement de dommages et intérêts ;

Attendu que l'article 1244-1 du code civil permet au juge d'accorder des délais de paiement

tenant compte de la situation du débiteur et des besoins du créancier mais que Monsieur et

Madame Y... ne produisent aucune pièce justifiant de leur situation financière sur laquelle ils

ne s'expliquent même pas dans leurs écritures, ce qui conduit à rejeter leur demande tendant

à l'octroi de tels délais ;

Page 35: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

35

Que les époux Y... , succombant en cause d'appel, devront supporter les dépens de cette

procédure et qu'il sera fait application, au profit de l'intimée, des dispositions de l'article 700

du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

REJETTE l'exception de nullité de l'assignation,

CONFIRME la décision entreprise,

Y AJOUTANT,

DEBOUTE Monsieur Philippe Y... et son épouse, Madame Béatrice A..., de leurs demandes

tendant au paiement de dommages et intérêts et à l'octroi de délais de paiement,

CONDAMNE solidairement Monsieur Philippe Y... et Madame Béatrice A... à payer à la

société anonyme HSBC la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du

code de procédure civile,

CONDAMNE solidairement Monsieur Philippe Y... et Madame Béatrice A... aux dépens

d'appel,

ACCORDE à la SCP STOVEN et associés, avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699

du code de procédure civile.

Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJEAUD, président de chambre et Madame Anne-

Chantal PELLÉ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat

signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Monsieur Alain RAFFEJEAUD,

Commentaire : Régularité de la demande en paiement du solde débiteur d’un compte

joint

Le compte joint est un contrat bancaire caractérisé par une solidarité des co-titulaires du

compte créanciers ou débiteurs de la banque. Ainsi, deux types de solidarité coexistent au sein

de ce contrat. Les co-titulaires sont en effet solidairement tenus vis-à-vis de la banque au

règlement intégral du solde débiteur, des intérêts et des frais en vertu de la solidarité

passive.30

S’ajoute une solidarité active impliquant que chacun des co-titulaires dispose de

l’intégralité des fonds déposés sur le compte31

La jurisprudence précise que cette solidarité doit être stipulée.32

La solidarité passive permet au banquier de réclamer à l'un quelconque des co-titulaires le

remboursement du découvert. Et cela peu important qu'un seul des codébiteurs ait profité de

l'opération à l'origine du solde débiteur du compte. 33

30

Art. 1200C.civ. 31

Art. 1197 et suiv. C. civ ; Clément Ch., Solidarité et compte bancaire, D. 2007, p. 1805 32

Cass. 1re

civ., 16 juin 1992, no 90-18.209, Bull. civ. I, n

o 179, D. 1993, somm., p. 216, obs. Delebecque Ph. ;

Cass. 1re

civ., 6 oct. 1998, no 96-20.111, D. aff. 1998, p. 1811, obs. X.-D. ; Cass. com., 8 mars 1988, n

o 86-

10.733, Bull. civ. IV, no 102, Banque 1988, p. 821, note Rives-Lange J.-L., D. 1989, somm., p. 321, note

Vasseur M.

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RJP 2015-1 (Novembre)

36

Les contentieux relatifs au compte-joint sont ainsi nombreux. De plus la majorité des

comptes-joints sont souscrits par des époux, la détérioration des relations entre époux est donc

souvent à l’origine des litiges.

En l’espèce la banque créancière assigne des époux titulaires d’un compte joint en

condamnation solidaire au versement du montant du solde débiteur du compte joint.

Le tribunal accueille la demande, les co-titulaires du compte-joint interjettent alors appel

faisant valoir d’une part la nullité de l’acte introductif d’instance au motif d’absence de

réception de l’assignation, d’autre part d'avoir abusivement rompu un accord tacite de crédit

qui leur permettait de faire fonctionner leur compte courant en position débitrice et d'avoir

refusé de leur accorder le prêt qu'elle leur avait proposé.

La Cour d’appel considère l’assignation régulière, un avis de passage de l’huissier ayant

été déposé à leur domicile. Les juges ajoutent que le solde du compte étant débiteur, le

montant du solde n’étant pas contesté, les titulaires ne peuvent s’opposer à la demande en

paiement. Ainsi la Cour affirme que dès lors que le solde du compte est débiteur, la banque

créancière peut de droit demander le paiement du solde. Enfin l’argument relatif à l’octroi du

prêt est écarté, aucune démarche n’ayant été réalisée.

La Cour d’appel rappelle dans le cadre de cet arrêt une solution classique concernant la

demande en paiement du solde débiteur d’un compte joint. Ainsi le banquier créancier est

autorisé à exiger des co-titulaires du compte-courant le paiement du solde débiteur du compte

dès lors que le montant n’est pas contesté. De plus du fait de la solidarité active et passive

caractérisant ce contrat bancaire, le banquier pourra indistinctement s’adresser à l’un ou

l’autre des co-titulaires, peu important que la dépense soit engagée par l’un seul d’entre eux et

dans l’intérêt d’un seul d’entre eux.

MOTS-CLES : COMPTE JOINT-SOLDE DEBITEUR-DEMANDE EN PAIEMENT

Anissa KOURTAA

8) L’interruption de prescription de l’admission des créances dans les procédures

collectives

Cour d'appel d’Orléans, Chambre commerciale, économique et financière, 22 Janvier

2015, N° 14/00529, 31 - 15

ARRÊT :

Prononcé le 22 JANVIER 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les

parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de

l'article 450 du Code de procédure civile.

33

Cass. com., 8 févr. 2005, no 02-16.967, Bull. civ. IV, n

o 20, D. 2005, p. 771, obs. Avena-Robardet V., Banque

et droit 2005, no 100, p. 42, obs. Jacob, Banque et droit 2005, n

o101, p. 73, obs. Bonneau Th., RTD com. 2005,

p. 396, obs. Legeais D., D. 2006, p. 164, obs. Martin D.

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RJP 2015-1 (Novembre)

37

Par jugement en date du 28 septembre 1979, le tribunal de commerce de Romorantin a ouvert

une procédure de règlement judiciaire à l'encontre de Monsieur C. et a désigné Maître B. en

qualité de syndic.

Les créances de la Mutualité sociale agricole Berry Touraine antérieures au 28 septembre

1979 ont été admises au passif du règlement judiciaire le 18 juillet 1980.

Par jugement en date du 8 juillet 1983, le tribunal de commerce de Romorantin a converti le

règlement judiciaire de Monsieur C. en liquidation des biens.

La clôture de la procédure est intervenue le 20 juin 2008.

La Mutualité sociale agricole Berry Touraine a alors déclaré, le 4 juillet 2008, entre les

mains de Maître B. les sommes qui lui étaient dues, tant pour la période antérieure au

règlement judiciaire que pour la période comprise entre celui-ci et la liquidation de biens.

Monsieur C. a saisi, le 19 septembre 2012, le juge commissaire d'une contestation tendant à

voir déclarer prescrite la créance de la Mutualité sociale agricole Berry Touraine.

Par ordonnance en date du 11 juin 2013, le juge commissaire a considéré que, pour la

période antérieure au règlement judiciaire, les créances de la Mutualité sociale agricole

Berry Touraine ne pouvaient être contestées du fait de la suspension des poursuites, mais

que, pour la période comprise entre le règlement judiciaire et la liquidation des biens, les

créances pour lesquelles les titres exécutoires avaient été délivrés il y a plus de trente ans,

soit antérieurement au 1er septembre 1982, étaient prescrites.

Sur recours formé par la Mutualité sociale agricole Berry Touraine, le tribunal de commerce

de Blois, par jugement en date du 24 janvier 2014, a débouté celle-ci de sa demande

d'admission au passif, a ordonné à Maître B. d'opérer la répartition de la liquidation en

conséquence de cette constatation et a condamné la Mutualité sociale agricole Berry

Touraine à payer à Monsieur C. une somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de

procédure civile.

Pour considérer que l'action de la Mutualité sociale agricole Berry Touraine était prescrite,

le tribunal a retenu que la liquidation des biens n'était pas une cause de suspension de la

prescription, que la Mutualité sociale agricole Berry Touraine n'avait pas respecté les

dispositions de l'article L 242 -2 du code de la sécurité sociale relativement à l'exécution des

contraintes, que la prescription trentenaire de l'ancien article 2262 du code civil commençait

à courir le jour où les contraintes étaient devenues définitives et que la prescription n'avait

pas été suspendue par la contestation des créances déposée par Monsieur C. le 19 septembre

2012.

La Mutualité sociale agricole Berry Touraine a régulièrement interjeté appel de cette

décision le 11 février 2014.

Elle a fait valoir que, contrairement à ce qu'avait jugé le tribunal, la prescription était

suspendue par l'effet du jugement de liquidation des biens suspendant les poursuites

individuelles de la part des créanciers.

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RJP 2015-1 (Novembre)

38

Elle a demandé, en conséquence, son admission au passif pour la somme de 16'133,69 euros

au titre des créances antérieures au règlement judiciaire, et pour la somme de 81'654,34

euros au titre des créances relatives à la période comprise entre le règlement judiciaire et la

liquidation des biens.

Elle a encore sollicité une somme de 3000 euros en vertu de l'article 700 du code de

procédure civile.

Monsieur C. et Maître B., ès qualités de syndic à la liquidation de biens de Monsieur C., ont

conclu à la confirmation de la décision entreprise, tout en précisant que c'était l'ensemble des

contraintes émises par la Mutualité sociale agricole Berry Touraine jusqu'en 1983, et non pas

seulement celles antérieures au 1er septembre 1982 comme l'avait retenu le juge

commissaire, qui étaient prescrites.

Ils ont sollicité une somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE,

Attendu que, selon l'article 35 de la loi n° 67 ' 563 du 13 juillet 1967, le jugement qui

prononce le règlement judiciaire ou la liquidation des biens suspend toute poursuite

individuelle tant sur les immeubles que sur les meubles, de la part des créanciers dont les

créances nées avant le jugement constatant la cessation des paiements ne sont pas garanties

par un privilège spécial, un nantissement ou une hypothèque sur lesdits biens ;

Que la suspension des poursuites se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure ;

Qu'il s'ensuit que le créancier étant dans l'impossibilité d'agir, la prescription est suspendue

à son égard pendant toute la durée de la procédure collective ;

Que c'est dès lors à tort que le tribunal, à l'inverse du juge commissaire qui avait

excellemment jugé que les créances antérieures au jugement d'ouverture du règlement

judiciaire n'étaient pas prescrites, a dit que la procédure collective dont faisait l'objet

Monsieur C. ne pouvait être une cause de suspension de la prescription, confondant ainsi

l'hypothèse où la prescription court contre le débiteur et celle où elle court, comme en

l'espèce, contre le créancier ;

Qu'ainsi, la prescription de la créance de la Mutualité sociale agricole Berry Touraine,

admise au passif , étant de trente ans et le délai de prescription ayant commencé à courir le

20 juin 2008, date de la clôture de la procédure collective, ce délai n'est pas expiré ;

Qu'il convient, dès lors, d'infirmer de ce chef le jugement entrepris ;

Attendu que, s'agissant de la créance de la période comprise entre le règlement judiciaire et

la liquidation des biens, la Mutualité sociale agricole Berry Touraine est créancière de la

masse et le jugement de liquidation des biens n'a pas interrompu ou suspendu la prescription,

dès lors que la créance est postérieure au jugement d'ouverture du règlement judiciaire qui

avait constaté la cessation des paiements ;

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RJP 2015-1 (Novembre)

39

Attendu que les premiers juges ont à bon droit relevé que la prescription était en l'espèce de

trente ans, s'agissant de contraintes ayant l'effet d'un jugement par application des

dispositions de l'article L 244- 9 du code de la sécurité sociale ;

Qu'il reste à déterminer le point de départ de l'interruption de la prescription, lequel ne peut

être qu'une demande en justice ou un acte équivalent émanant de la Mutualité sociale

agricole Berry Touraine, et non pas, comme l'a retenu à tort le juge commissaire, la date de

sa saisine par Monsieur C. à l'effet de faire constater la prescription ;

Qu'il convient de rouvrir les débats sur ce point ;

PAR CES MOTIFS,

INFIRME le jugement entrepris ;

STATUANT À NOUVEAU,

DIT que la créance de la Mutualité sociale agricole Berry Touraine n'est pas prescrite pour

la période antérieure au jugement d'ouverture du règlement judiciaire de Monsieur C. ;

AVANT-DIRE DROIT sur le sort de la créance de la Mutualité sociale agricole Berry

Touraine pour la période comprise entre le jugement de règlement judiciaire et le jugement

de liquidation des biens,

INVITE les parties à s'expliquer sur la date d'interruption de la prescription trentenaire ayant

couru depuis 1981 à 1983, et plus particulièrement sur la portée du courrier de la Mutualité

sociale agricole Berry Touraine adressé à Maître B. le 4 juillet 2008 ;

RENVOIE la cause et les parties à l'audience du 9 avril 2015 à 14 heures ;

RÉSERVE les dépens.

Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJEAUD, Président de chambre et Madame Anne-

Chantal PELLÉ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat

signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Commentaire : Jugement d’ouverture : effet suspensif de prescription de créance.

Le droit des entreprises en difficultés est un droit complexe. Il l’est encore plus du fait que

les réformes successives en la matière obligent les praticiens à manier plusieurs législations

qui se superposent les unes sur les autres, chacune n’étant applicable qu’aux procédures

ouvertes à compter de leur entrée en vigueur. L’arrêt, ici commenté, est une parfaite

illustration de cette particularité de la matière.

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RJP 2015-1 (Novembre)

40

Le 22 janvier 2015, La Cour d’appel d’Orléans s’est prononcé sur la demande en appel qui

lui a été soumise en appliquant les dispositions de la loi du 13 juillet 196734

.

Les faits ayant donné lieu à cet arrêt résident dans la procédure collective ouverte à

l’encontre d’un agriculteur il y a plus de trente ans qui s’est transformée par la suite en

procédure de liquidation de biens. Afin de récupérer sa créance détenue sur Monsieur C.,

l’agriculteur en question, l’organisme de protection sociale du secteur agricole (l’OPS) forme

en 2014 un recours devant le Tribunal de commerce de Blois. Le Tribunal de commerce par

sa décision du 24 janvier 2014 rejette sa demande au motif qu’une partie de la créance étant

prescrite est éteinte et ne peut plus donc être déclarée au passif. L’OPS n’étant pas d’accord

avec cette décision, interjette appel de cette décision et obtient une nouvelle confrontation

avec son adversaire le 9 avril 2015.

Concernant le fond de cette affaire les juges d’appel avaient à se prononcer sur la question

relative au caractère prescrit ou non des créances détenues par l’appelante sur Monsieur C.

Toutefois, la juridiction d’appel n’apporte qu’une solution partielle à ce problème. Pour le

faire, elle applique la législation en vigueur au moment de l’ouverture de la procédure de

règlement judiciaire (ouverte par la décision du Tribunal de commerce de Romorantin le 28

septembre 1979), elle reconnait le caractère non prescrit de la créance de l’OPS pour la

période antérieure au jugement d’ouverture de règlement judiciaire. Alors que concernant la

créance postérieure, les juges orléanais invitent les parties à s’expliquer de nouveau sur « la

date de l’interruption de la prescription trentenaire ayant couru depuis 1981 à 1983, et plus

particulièrement sur la portée du courrier de la Mutualité sociale agricole Berry Touraine

adressé à Maître B. le 4 juillet 2008 ».

Comme nous pouvons l’observer, cet arrêt est une parfaite illustration d’application de la

législation qui, bien qu’abrogée depuis plus de vingt ans reste toujours en vigueur pour les

procédures en cours. Les juges d’appel, dans leur raisonnement, suivent l’esprit de la loi de

1967 qui était celui de la protection des créanciers. Elle donne tort au dispositif pris par le

tribunal en ce qu’il a décidé que la procédure collective dont faisait l’objet Monsieur C. ne

pouvait être une cause de suspension de la prescription. La cour d’appel reproche aux juges de

première instance de confondre la personne contre qui court la prescription, elle souligne donc

que dans le cas de l’espèce celle-ci court contre le créancier et non contre le débiteur. Pour

statuer ainsi, les juges d’appel se fondent sur les dispositions de l’article 35 de la loi du 13

juillet 1967 précitée, qui accordait un caractère suspensif de toute poursuite individuelle de la

part des créanciers antérieurs au jugement qui prononce le règlement judiciaire ou la

liquidation de biens. Dès lors la prescription qui court à l’égard de créancier doit, elle aussi,

être suspendue. Ce raisonnement n’est pas nouveau, nous pouvons même dire que les juges

d’appel ont suivi la ligne de réflexion déjà empruntée par les juges de cassation. En effet, les

juges de droit ont déjà eu l’occasion de se prononcer sur la question semblable à plusieurs

reprises35

. Voir par exemple l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 18

mars 2014. Par cet arrêt, la Cour de cassation a cassé la décision de la cour d’appel qui n’avait

pas reconnu l’effet interruptif de prescription à la déclaration de créances36

. Dans cette affaire,

les juges de cassation se sont prononcés sur la question relative au caractère prescrit ou non de

la demande de l’assureur relative à la production de la créance au passif de la liquidation des

bines de débiteur. Ils ont rendu leur décision au visa des dispositions de la loi de 1967, en

34

Loi n°67-563 du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et

les banqueroutes 35

Cass. Com. 26 septembre 2006, n° 04-10.751 , Bull. civ. IV, n° 190 ; 6 juillet 2010, n° 09-14.104 36

Cass. Com. 18 mars 2014, n°13-11925, inédit.

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RJP 2015-1 (Novembre)

41

précisant que « la production de la créance au passif de la liquidation des biens du débiteur

principal a interrompu la prescription et que cet effet interruptif est prorogé jusqu’à la

clôture de la procédure collective… ».

Par ailleurs, cette solution précitée pourrait parfaitement être appliquée à l’issue de

prochaine audience fixée par la cour d’appel au 9 avril 2015. En effet, les juges d’appel ne

statuent pas sur la question relative à la créance postérieure au jugement d’ouverture de la

procédure collective. Ne disposant pas des observations des parties sur le sujet, ils invitent les

parties à débattre sur la qualification du courrier de l’OPS adressé à monsieur C. le 4 juillet

2008. Il nous semble tout à fait possible qu’il s’agisse de la production de la créance au passif

et que de ce fait la prescription qui court à l’encontre de créancier soit interrompue, et que de

ce fait les créances qu’il détient sur monsieur C. demeurent exigibles. Toutefois l’issue de

cette affaire dépend de la qualification retenue par les juges lors de l’audience du 9 avril.

MOTS CLES : PROCEDURES COLLECTIVES – ADMISSION DES CREANCES -

INTERRUPTION DE PRESCRIPTION- LOI DE 1967

Kristina ROGOVICH

9) Le refus d’exonération de la taxe annuelle de 3% sur la valeur vénale des immeubles

possédés en France

Cour d’appel d’Orléans (chambre civile), 26 janvier, N° RG : 13/03869

ARRÊT :

Prononcé le 26 JANVIER 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les

parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de

l'article 450 du Code de procédure civile.

Sur le rappel des faits et de la procédure

La société Pompadour Palace Foundation appartient à une chaîne de sociétés de droit

américain ; elle est détenue à 100% par la société European American Institute Inc qui est

elle-même détenue à 100% par la société European American Museum ; quant à cette

dernière, elle est aussi détenue à 100% par sa filiale, la société European American Institute

Inc.

La société Pompadour Palace Foundation a acquis, en 1983, deux immeubles situés

respectivement 24 quai de Béthune à Paris et le château ayant appartenu à la Marquise de

Pompadour situé à Menard (41).

L'immeuble situé 24 quai de Béthune a été vendu le 10 janvier 2006.

A la suite de cette vente, chacune des sociétés du groupe a procédé à la déclaration afférente

à la taxe de 3% énoncée par l'article 990D du code général des impôts au titre des années

2005, 2006 et 2007 mais n'a effectué aucun paiement.

Le 22 décembre 2008, les services fiscaux ont adressé à la société European American

Museum une proposition de rectification visant à assujettir cette société pour les années

2005,2006 et 2007, à la taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés en France, dite

taxe de 3%.

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RJP 2015-1 (Novembre)

42

Par lettre du 23 janvier 2009, la société European American Museum a fait connaître son

refus des rectifications proposées.

Le 23 octobre 2009, le service des impôts a émis deux avis de mise en recouvrement :

N° 09 10 00070 au titre des années 2005 et 2006 pour un montant total de 1 120659 euros ;

N° 09 10 00071 au titre de l'année 2007, pour un montant de 196 842 euros.

Après une réclamation contentieuse assortie d'une demande de sursis de paiement qui a été

rejetée, la société European American Institute Inc venant aux droits de la société European

American Museum a fait citer le 1er décembre 2010, Monsieur le Directeur général des

finances publiques devant le Tribunal de grande instance de Blois qui a, par jugement du 31

octobre 2013, notamment:

Rejeté la demande de la société European American Institute Inc aux fins d'être déchargée

des impositions attachées à la notification de redressement en date des 22 décembre 2008, 20

décembre 2002 et 15 décembre 2003.

La société European American Institute Inc a formé, le 10 décembre 2013, un appel général à

l'égard de ce jugement.

Par dernières conclusions notifiées le 19 septembre 2014, la société European American

Institute Inc demande de voir :

Réformer le jugement entrepris ;

Juger que l'article 990 E 2º du CGI n'exige pas la présence de personnes physiques en bout

de chaîne de participation pour bénéficier de l'exonération de la taxe de 3% ;

Juger que l'administration peut se voir opposer sur le fondement de l'article L80B du Livre

des procédures fiscales l'ensemble des démarches qu'elle a faites pour recouvrer la taxe de

3% et l'abandon de ces projets avec un écrit permettant de s'assurer qu'elle a accepté la

régularisation de la situation du groupe au regard de l'exonération de la taxe de 3% et de

prononcer par conséquent la décharge des impositions ;

Subsidiairement,

Constater que l'administration n'a pas respecté le principe de la confiance légitime ;

Prononcer la nullité de la procédure pour absence de motivation de la notification de

redressement sur le fondement de l'article L5 du Livre des procédures fiscales ;

Prononcer la décharge des impositions ;

Condamner l'intimée à rembourser au requérant les dépenses mentionnées à l'article R207-1

du Livre des procédures fiscales et le condamner à lui payer la somme de 2 500 euros en

application de l'article 700 du code de procédure civile.

À l'appui de sa demande, la société European American Institute Inc fait valoir que

concernant la procédure, l'administration n'a pas notifié tous les actes de procédure

postérieurs à la notification des redressements à l'ensemble des débiteurs solidaires ;

l'administration n'a pas non plus motivé le redressement ; enfin, l'administration a pris en

1999, une position qui lui est opposable par le contribuable sur le fondement de l'article L80-

B du Livre des procédures fiscales.

Par dernières conclusions notifiées le 9 septembre 2014, Monsieur le Directeur général des

Finances publiques conclut au débouté des demandes de la société European American

Institute Inc, à la confirmation du jugement de première instance et à la condamnation de la

société European American Institute Inc à lui payer la somme de 1 500 euros en application

de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de sa demande, Monsieur le Directeur général des Finances publiques fait valoir

que la proposition de rectifier est liée à la structure du groupe qui ne permet pas de

déterminer qui détient la société European American Institute Inc, qu'en effet la participation

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RJP 2015-1 (Novembre)

43

croisée ne permet pas de satisfaire à l'obligation de déclarer les personnes morales ou

physiques détenant le capital social de cette société au regard de l'obligation déclarative de

l'article 990 E du code général des impôts, et la proposition de rectification du 22 décembre

2008 énonce ce motif.

Elle ajoute que le seul redevable de la taxe est la société European American Institute Inc,

dernière personne morale de la chaîne non exonérée, les autres sociétés de la chaîne ne sont

pas redevables mais seulement solidairement responsables du paiement de la dette fiscale.

Concernant l'argument de la prise de position antérieure opposable, Monsieur le Directeur

général des Finances publiques précise qu'elle avait seulement accepté que la société

Pompadour Palace Foundation régularise sa situation en déposant les déclarations de taxe

annuelle de 3% au titre des années vérifiées.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à

leurs dernières conclusions récapitulatives.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 octobre 2014.

SUR CE

Sur le bien-fondé des demandes

Aux termes de l'article 990D du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur

jusqu'au 31 décembre 2007, applicable en l'espèce, les personnes morales qui directement ou

par personne interposée, possèdent un ou plusieurs immeubles situés en France ou sont

titulaires de droits réels portant sur ces biens, sont redevables d'une taxe annuelle égale à 3%

de la valeur vénale de ces immeubles ou droits.

En application de l'article 990 E 2º et990 E 3º du code général des impôts dans sa rédaction

en vigueur jusqu'au 31 décembre 2007, applicable en l'espèce, sont exonérées de la taxe

annuelle de 3% les personnes morales qui ont leur siège dans un pays ou un territoire ayant

conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la

fraude et l'évasion fiscales ou une convention avec clause d'égalité de traitement à condition

de déclarer au plus tard le 15 mai de chaque année, la situation, la consistance et la valeur

des immeubles en cause au 1er janvier, l'identité et l'adresse de leurs associés à la même date

ainsi que le nombre des actions ou parts détenues par chacun d'eux, sur une déclaration

modèle portant le nº 2746.

En l'espèce, il est constant que le château de Ménars, assiette de l'imposition litigieuse, est la

propriété de la société Pompadour Palace foundation, qui a déclaré être la filiale à 100% de

la société European American Institute Inc qui a, elle aussi déclaré être filiale à 100% de la

société European American Museum. Dans la mesure où les deux premières sociétés ont leur

siège aux Etats-Unis, ont fait leur déclaration 2746 et que les Etats-Unis ont conclu avec la

France une convention d'assistance administrative, elles sont exonérées de la taxe de 3%.

En revanche, s'agissant de la société European American Museum qui à l'époque des années

d'imposition, a déclaré comme associé à 100% sa filiale à 100%, la société European

American Institute Inc, elle n'a déclaré qu'une participation croisée qui ne permet pas de

connaître le détenteur effectif des parts sociales.

D'ailleurs, en réponse à la proposition de rectification du 2 décembre 2008 de Monsieur le

Directeur général des Finances publiques, l'avocat de la société European American Museum

a écrit que la participation croisée à la tête du groupe s'apparente à un trust et que le trustee

serait Monsieur Edmond Baysari.

Cependant, en dépit des demandes de Monsieur le Directeur général des Finances publiques,

ni le trust, ni l'existence juridique du trustee n'ont été justifiés par la société European

American Museum ou Monsieur Edmond Baysari.

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RJP 2015-1 (Novembre)

44

Par conséquent, en l'absence de déclaration de l'adresse et de l'identité de son ou ses associés

effectifs, la société European American Museum qui possède un bien immobilier en France

par personnes interposées, ne peut être exonérée du paiement de la taxe de 3%.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur la procédure fiscale

1º) Sur le moyen tiré de l'absence de la notification de la procédure aux autres redevables

En l'espèce, seule la société European American Museum aux droits et obligations desquels

succède la société European American Institute Inc, est redevable de la taxe de 3% et la

procédure judiciaire n'est exercée qu'au nom de la société European American Institute Inc,

sans que les autres sociétés du groupe ne soient partie à la procédure.

Dans ces conditions, Monsieur le Directeur général des Finances publiques n'avait pas

l'obligation de notifier aux autres sociétés les actes de la procédure fiscale.

Le moyen n'est pas fondé.

2º) Sur le moyen tiré de l'absence de motivation de la proposition de rectification du

22décembre 2008

Il ressort de la lecture de la lettre du 22 décembre 2008 adressée par l'administration fiscale

à la société European American Museum valant proposition de rectification, que les pages 1

à 6 de cette lettre, énoncent la procédure, les faits, les dispositions légales, l'application au

cas d'espèce, les valeurs vénales des biens immobiliers, les rehaussements, les pénalités et les

conséquences financières, que cet acte explique ainsi les motifs de la proposition de

rectification, son fondement juridique et en prévoit les conséquences financières.

Compte tenu de ces éléments, le reproche de la société European American Institute Inc n'est

pas justifié.

3º) Sur le moyen tiré de l'opposabilité de la prise de position antérieure de

l'administrationfiscale

Au vu de la lettre du 21 décembre 1999, invoquée par la société European American Institute

Inc à l'appui de son moyen, il ressort que l'administration fiscale a 'pris acte des

régularisations effectuées par la société Pompadour Palace Foundation au titre de la taxe de

3%'.

Le fait de prendre acte ne constitue pas une interprétation de la loi fiscale applicable à la

société concernée.

Par conséquent, les dispositions de l'article L80A sur lesquelles se fonde la société European

American Institute Inc ne sont pas applicables en l'espèce.

Le moyen est rejeté.

En définitive, il n'est pas établi que la procédure fiscale suivie par Monsieur le Directeur

général des Finances publiques pour assujettir la société European American Institute Inc à

la taxe de 3% pour les années 2005, 2006 et 2007 est irrégulière.

Par conséquent et en l'absence d'autre contestation, le jugement entrepris sera confirmé en

totalité.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Les circonstances de fait et les solutions adoptées en appel justifient qu'il soit fait droit à la

demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile et que la société European

American Institute Inc soit condamnée à payer à Monsieur le Directeur général des Finances

publiques, la somme que l'équité commande de fixer à 1 500 euros.

La demande formée par la société European American Institute Inc en application de l'article

L57 du Livre des procédures fiscales est rejetée pour les mêmes motifs.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société European American

Institute Inc sera condamnée aux dépens de l'appel.

PAR CES MOTIFS

Page 45: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

45

STATUANT publiquement, contradictoirement, en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris ;

REJETTE toutes demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la société European American Institute Inc à payer à Monsieur le Directeur

général des Finances publiques la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du

code de procédure civile ;

CONDAMNE la société European American Institute Inc aux dépens de l'appel

DIT qu'il pourra être fait application par Me Daudé, avocat de Monsieur le Directeur

général des Finances publiques, des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

pour leur recouvrement.

Commentaire : Le refus d’exonération de la taxe sur la valeur vénale des immeubles

possédés en France

Les entités juridiques, notamment les personnes morales, détenant directement ou

indirectement des immeubles en France sont redevables d'une taxe annuelle égale à 3 % de

leur valeur vénale37

sous réserve de certaines exonérations. En l’espèce, suite à la vente d’un

immeuble possédé en France par plusieurs sociétés américaines, la taxe annuelle qui aurait dû

faire l’objet d’un paiement n’a pas été réglée. Dès lors, l’administration fiscale française a

adressé une proposition de rectification pour assujettir une des sociétés au paiement de cette

taxe. La société a refusé cette proposition de rectification, elle estimait qu’elle devait être

exonérée. Suite à ce refus, l’administration a émis deux avis de mise en recouvrement. Après

une réclamation contentieuse rejetée, la société a cité devant le Tribunal de grande instance le

Directeur général des finances publiques. Le tribunal a rejeté la demande de la société. Cette

dernière a fait appel du jugement.

Le premier problème est le non paiement de la taxe annuelle par la société. En l’espèce,

l’immeuble en cause était détenu par une première société américaine qui elle-même était

détenue par une deuxième société américaine. Cette deuxième société était détenue par une

troisième société. Cette dernière est associée de la deuxième société dont le siège était aux

Etats-Unis. La troisième société a déclaré une simple participation croisée qui ne permet pas

de connaitre les détenteurs des parts sociales. Lors de la vente de l’immeuble, les sociétés

auraient dû payer la taxe annuelle de 3%. Or, l’article 990 E du code général des impôts

prévoit des exonérations à cette taxe annuelle. En effet, sont exonérées de cette taxe les

personnes morales qui ont leur siège dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France

une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion

fiscale38

. Cette exonération implique de procéder à une déclaration annuelle de la valeur des

immeubles possédés en France ainsi que de l'identité et de l’adresse des associés avec le

nombre d'actions ou parts détenues par chacun d'eux sur la déclaration no2746

39. Cette

exonération est conforme au principe communautaire de liberté de circulation des capitaux40

.

En l’espèce, les deux premières sociétés avaient leur siège aux Etats-Unis, territoire qui a

conclu une convention d’assistance administrative et ont rempli la déclaration no 2746. Elles

étaient donc exonérées de payer la taxe annuelle de 3%.

Le problème se pose pour la troisième société qui a déclaré une participation croisée.

Celle-ci désigne la situation par laquelle une société prend une partie du capital d’une autre

37

Article 990D du code général des impôts 38

Article 990 E 3o du code général des impôts

39 Cass. com., 6 sept. 2011, n

o 10-17.809, inédit

40 Cass. com., 29 sept. 2009, n

o 08-14.538, Bull. civ., IV, n

o117, Dr. fisc. 2010, comm. 180, note J - P. Maublanc

Page 46: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

46

société, qui détient elle-même une part du capital de la première société41

. Par ce mécanisme,

il est impossible de connaitre les détenteurs effectifs des parts sociales. Dès lors, l’exonération

de la taxe annuelle de 3% est inapplicable puisqu’il était impossible de déclarer l’identité et

l’adresse des associés effectifs. Cependant, l’appelante a avancé un argument pour se voir

appliquer l’exonération de cette taxe. En effet, elle a estimé que la participation croisée

s’apparentait à un trust. Le trust est la situation juridique par laquelle une personne nommée

« le constituant » va placer des biens sous le contrôle d’une autre personne nommée « le

trustee » dans l’intérêt d’un bénéficiaire42

. Le trust est redevable de la taxe annuelle de 3%43

sauf s’il respecte les conditions d’exonération. Cependant, dans l’affaire en question, le trust

n’a pas pu être prouvé par les sociétés. De ce fait, la Cour d’appel d’Orléans a jugé que la

société était donc redevable de la taxe annuelle de 3%.

Un second problème était avancé par la société. Celui-ci concernait le non respect de la

procédure fiscale. D’une part, l’administration fiscale a uniquement notifié la procédure

fiscale à la société redevable de la taxe. Or, pour l’appelante, comme il s’agissait d’un groupe

de sociétés, l’ensemble des sociétés aurait du être informé. Cependant, les juges ont estimé

que seule la société redevable de l’impôt devait être informée du déroulement de la procédure.

L’administration fiscale n’avait pas d’obligation à notifier le déroulement de la procédure aux

autres sociétés. Les juges ont rejeté le moyen. D’autre part, la société estimait que

l’administration fiscale n’avait pas motivé la proposition de rectification qui lui avait été

adressée. En effet, la proposition doit être motivée afin de mettre le contribuable en mesure de

pouvoir formuler ses observations44

. Cependant, les juges du fond ont estimé que la

proposition de rectification prévoit la motivation suffisante pour permettre au contribuable de

répondre. Ils ont donc rejeté le moyen.

MOTS-CLES : TAXE DE 3 % - IMMEUBLES POSSEDES EN FRANCE - REFUS

D’EXONERATION

Olivia CARMINATI

10) Garantie financière et défaillance des intermédiaires d’assurance

Cour d'appel d’Orléans (Chambre civile), 26 janvier 2015 n° RG 13/03830 et 14/00834

ARRÊT :

Prononcé le 26 JANVIER 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les

parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de

l'article 450 du Code de procédure civile.

La SARL EURÊKA FINANCE, dirigée par Jean-Marc S., en liquidation judiciaire suivant

jugement rendu par le tribunal de commerce d'Orléans le 15 juin 2005, bénéficiait d'une

garantie financière souscrite auprès de la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS

DE L'ASSURANCE.

Entre 2000 et 2005, diverses personnes se voyaient proposer par la SARL EURÊKA de lui

confier des fonds destinés à être placé sur les contrats d'assurance-vie proposés par la

compagnie d'assurances WINTHERTUR ; en réalité ces fonds étaient détournés par Jean-

41

Rapport d’information Sénat, no 347, p 286, 22 juin 2007, C.Gaudin

42 Article 792-0 du code général des impôts

43 Article 990D al. 2 du code général des impôts

44 Article L. 57 du livre des procédures fiscales

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RJP 2015-1 (Novembre)

47

Marc S., lequel, au terme d'une procédure pénale, était reconnu coupable du délit d'abus de

confiance ; c'est dans ce contexte qu'intervenait la liquidation judiciaire de la société

EURÊKA, chaque souscripteur étant amené à régulariser une déclaration de créance auprès

du mandataire liquidateur, Maître J..

Par acte en date du 23 août 2011, Éric A., Michel A., l'EARL DE LA BONDUE, Olivier G.,

la SARL HEYTOP Co Ltd, Jean-Paul L., James M., Jean-Paul M., Gilles P., Daniel P., Dany

P., Claude S., Éric S., Hélène S., Simone W., Christian P., Charlie D. et la SARL A.,

assignaient la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE devant

le tribunal de grande instance d'Orléans afin de se voir allouer la somme de 690'000,euro,

soit 115'000 euro par année sur les six années courant entre 2000 et 2005, à se répartir entre

eux , par année de souscription et au prorata des montants des sommes confiées ; par

conclusions du 14 février 2013, ils modifiaient leurs demandes en sollicitant une somme pour

chacun d'entre eux, les différentes demandes étant d'un montant total de 608'420,23 euro

outre intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 2005 ; ils sollicitaient en outre

l'allocation de la somme de 69'000 euro à titre de dommages-intérêts et de la somme de 6000

euro en application de l' Article 700 du Code de Procédure civile.

La CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE prétendait en

réponse que les demandeurs et intervenant ne rapportaient pas la preuve des créances

invoquées, et demandait au tribunal de constater que les sommes remises à Jean-Marc S.,

agent général de la compagnie d'assurances WINTHERTUR, pour la souscription des

contrats auprès de cette compagnie, ne peuvent donner lieu au bénéfice de sa garantie

financière, et que les sommes remises à la SARL EURÊKA pour la souscription des mandats

ou des contrats de gestion n'ouvrent pas droit au bénéfice de cette garantie.

Elle demandait donc au tribunal de débouter ses adversaires de l'ensemble de leurs

demandes et, à titre subsidiaire, de constater que seule la somme de 115'000 euro

correspondant au montant de sa garantie financière serait mobilisable, et que les pleins de

garantie annuelle ne sauraient se reporter et s'additionner.

À titre plus subsidiaire elle demandait au tribunal de débouter les demandeurs de leur

demande de dommages-intérêts à hauteur de 69'000 euro , et de dire en tout état de cause que

la somme invoquée au titre du préjudice prétendument complémentaire subi ne saurait être

supérieure à la somme de 60'842,02 euro.

À titre plus subsidiaire encore, elle demandait au tribunal de dire que les règlements

susceptibles d'être effectués au profit des demandeurs et intervenants le seront au marc

l'euro.

Par un jugement en date du 12 novembre 2013, le tribunal de grande instance d'Orléans

condamnait la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE à payer

les sommes suivantes avec intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2007 :

' À Éric A. : 2311,50 euro

' à Michel A. : 11'557,50 euro

' à l'EARL DE LA BONDUE : 4198 euro

' à Olivier G. : 4197,50 euro

' à la SARL HEYTOP Co Ltd : 9246 euro

' à Jean-Paul L. : 125'994 euro

' à James M. : 6934,50 euro,

' à Jean-Paul M. : 35'661,50 euro,

' à Gilles P. : 60'685,52 euro,

' à Daniel P. : 21'451 euro,

' à Dany P. : 22'808 euro

' à Gilles S. : 60'408,71 euro

'à Éric S. 6014,50 euro,

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RJP 2015-1 (Novembre)

48

' à Hélène S. : 145'808,50 euro,

' à Simone W. : 41'594,50 euro

' à Christian P. : 33'856 euro,

' à Charly D. : 12'311,50 euro

' à la SARL A. : 3783,50 euro ;

Le tribunal déboutait les demandeurs de leurs demandes dommages-intérêts et condamnait

la CGP A à leur payer la somme de 6000 euro sur le fondement de l’Article 700 du Code de

Procédure civile.

Le tribunal motivait sa décision en expliquant que selon attestation du 14 avril 2005 délivrée

par la CGPA, la SARL EURÊKA FINANCE et Jean-Marc S. ont souscrit une police

d'assurance couvrant dans la limite des conditions générales et particulières les

conséquences pécuniaires de la responsabilité civile professionnelle qu'ils pouvaient encourir

en raison de dommages causés aux tiers du fait de leur activité professionnelle d'agent

général, que Jean-Marc S. n'était garanti que pour son activité d'agent général d'assurances,

et non pour une activité de courtage et que la SARL EURÊKA FINANCE bénéficiait de la

garantie responsabilité civile du fait du courtage de la garantie financière à hauteur de

750'000 Fr, indiquant que les conventions spéciales de garantie financière disposent

notamment : « dans la limite fixée aux conditions particulières, l'assureur garantit

conformément à l'article L530 '1 du code des assurances, le remboursement aux clients du

souscripteur de tous fonds confiés par eux à compter de la prise d'effet de la présente

garantie en vue d'être remis à des entreprises mentionnées à l'article L310 '1 du code des

assurances, ainsi que ceux confiés par ces entreprises ou par toute autre personne physique

ou morale en vue d'être versés à des assurés ».

La juridiction considérait que les conventions spéciales de la garantie responsabilité civile

disposent notamment : « dans les limites de l'activité déclarée aux conditions particulières, le

présent contrat garantit l'assuré contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité

civile pouvant lui incomber en raison des dommages causés aux tiers du fait des activités

professionnelles limitativement énumérées ci-après : ... la gestion des contrats d'assurance

conclus par l'intermédiaire de l'assuré ».

Le tribunal d'Orléans observait que la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE

L'ASSURANCE est tenue à garantie financière en application de l'article L512'7 du code des

assurances et que sa mise en jeu est définie par l'article R512 -16 du même code : la garantie

est due sur la seule justification de la défaillance de l'intermédiaire garanti sans pouvoir

opposer le bénéfice de discussion, et le paiement est dû dans le délai de trois mois à compter

de la présentation de la première demande écrite envoyée par lettre recommandée avec

accusé de réception.

Cette juridiction considérait que toutes les conditions sont remplies en l'espèce, puisque les

demandeurs justifiaient par les pièces produites, conformément aux dispositions

contractuelles, avoir mis en ouvre cette garantie par la preuve de la défaillance tant de la

SARL EURÊKA que de Jean-Marc S. : le jugement du tribunal de commerce d' Orléans du

du 15 juin 2005 prononçant la liquidation judiciaire de la SARL EURÊKA FINANCE, le

jugement correctionnel du 26 mai 2009 condamnant Jean-Marc S. pour avoir, entre le 1er

janvier 2000 et le 10 juillet 2005 détourné des fonds qui lui avaient été remis et qu'il avait

acceptés à charge de les rendre ou de les représenter, avec cette circonstance qu'étant agent

et courtier d'assurances d'une part, gérant d'une société de gestion d'autre part, il se livrait

ou prêtait son concours de manière habituelle à des opérations portant sur les biens des tiers

pour lesquels il recouvrait des fonds ou valeurs, et ce au préjudice de la compagnie

d'assurances WINTHERTUR.

Les premiers juges considéraient que les demandeurs justifient avoir confié à la SARL

EURÊKA FINANCE différentes sommes destinées à être placées sur les contrats d'assurance-

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RJP 2015-1 (Novembre)

49

vie proposée par la compagnie d'assurances WINTHERTUR, qui, en définitive, ne seront

jamais placés auprès de cette compagnie puisque détournés par Jean-Marc S. pour son usage

personnel.

Ils indiquaient qu'il résulte des textes et des polices d'assurance visées que la CGPA n'a pas

à faire la distinction là où les contrats n'en font pas, et donc à exclure de sa garantie Jean-

Paul L., Gilles P., Claude S. et Olivier G. au motif que leurs règlements auraient concerné

des mandats de gestion.

La juridiction du premier degré relevait que, selon les conventions spéciales de la garantie

financière, «le montant de la garantie est accordé à concurrence des sommes fixées aux

conditions particulières pour une année d'assurance pour l'ensemble des dettes garanties ;

cette somme doit être au moins égale à 750'000 Fr. (soit 115'000 euro) et ne peut être

inférieure au double du montant moyen mensuel des fonds perçus par le souscripteur, calculé

sur la base des fonds perçus au cours des 12 derniers mois précédant le mois de la date de

souscription ou de la date de reconduction de l'engagement de caution ; pour le calcul de ce

montant, il ne sera pas tenu compte des versements pour lesquels le souscripteur a reçu de

l'entreprise d' assurance un mandat écrit le chargeant expressément de l'encaissement des

primes et accessoires du règlement des sinistres ».

Le tribunal indiquait que selon les dispositions de l'article R512 ' 16 II du code des

assurances, en cas de pluralité de demandes présentées dans les délais prescrits, le paiement

a lieu au marc le franc en fonction des autres demandes présentées par d'autres créanciers, et

que ni la matérialité, ni le quantum des fonds confiés et détournés par Jean-Marc S. ne sont

contestés, et observait que le cumul des réclamations formulées s'élève à 608'420,23 euro, de

sorte que le plafond de garantie de 690'000 euro relatif au détournement de fonds n'est pas

atteint.

En réponse à l'argumentation formée à titre subsidiaire par la CGP A, il expliquait que, non

seulement la somme de 115'000 euro doit être accordée pour une année d'assurance et non

pas globalement pour l'ensemble des sinistres étalés sur plusieurs années, mais que, si cet

organisme est fondé en son moyen, il ne justifie pas par les éléments produits de la réalité et

du montant de son acceptation des autres réclamations invoquées.

Le tribunal estimait pour les débouter de leur demande dommages-intérêts, qu'en application

de l'article 1153 du Code civil, les demandeurs n'alléguaient ni ne démontraient aucun

préjudice distinct du retard né de la mauvaise foi de la CGPA.

Par une déclaration déposée au greffe le 4 décembre 2013, la CGPA interjetait appel de ce

jugement.

Par ses dernières conclusions en date du 29 août 2014, la partie appelante demande à la

Cour de dire que ses adversaires ne rapportent pas la preuve des créances invoquées, et

subsidiairement de constater que les sommes remises à Jean-Marc S. ne peuvent donner lieu

au bénéfice de sa garantie financière, de même que les sommes remises à la société

EURÊKA.

À titre subsidiaire, elle prétend que seule la somme de 115'000 euro correspond au montant

de sa garantie financière mobilisable, et que les pleins de garantie annuels ne peuvent se

reporter et s'additionner.

À titre plus subsidiaire, elle estime que la réclamation globale des demandeurs et intimés ne

saurait être supérieure à 598'420,23 euro et, à titre plus subsidiaire encore, conteste la

capitalisation des intérêts.

Elle sollicite l'allocation de la somme de 5000 euro en application de l' Article 700 du Code

de Procédure civile.

Elle prétend notamment que la garantie financière n'est pas due lorsque l'intermédiaire

indélicat bénéficiait d'un mandat de l'entreprise d’assurances, et invoque l'absence de droit

Page 50: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

50

au bénéfice de la garantie financière pour les sommes détournées qui avaient été versées à

l'occasion d'un mandat de gestion.

Par leurs dernières conclusions du 8 septembre 2014, les 18 intimés concluent à la

confirmation du jugement entrepris et demandent la fixation du point de départ des intérêts

légaux à compter du 20 janvier 2006 ; ils sollicitent l'allocation de la somme de 5000 euro

sur le fondement de l’Article 700 du Code de Procédure civile.

L'ordonnance de clôture était rendue le 25 septembre 2014 par le Conseiller de la mise en

état.

SUR QUOI :

Attendu que la partie appelante prétend que la garantie financière n'est pas due lorsque

l'intermédiaire indélicat bénéficiait d'un mandat d'une entreprise d’assurance, et que Jean-

Marc S. était agent général de la Compagnie WINTERTHUR ;

Qu'elle reproche au tribunal d'avoir ignoré cette argumentation ;

Que les intimés invoquent au contraire l'absence de mandat écrit ;

Attendu qu'il est constant que les fonds litigieux ont été versés par les intimés à la SARL

EURÊKA FRANCE, laquelle n'avait aucunement la qualité d'agent général de la compagnie

WINTERTHUR, puisqu'il est établi, en particulier par l'enquête pénale qui a abouti à la

condamnation de Jean-Marc S. que ce dernier exerçait en son nom propre en qualité d'agent

général ;

Que les préposés de la Compagnie WINTERTHUR (pièces 38 et 39) ont expressément déclaré

dans le cadre de ladite enquête qu'ils ignoraient l'exercice par Jean-Marc S. d'une double

activité ;

Qu'il résulte en particulier du témoignage de Marcel Q., cadre de direction à MMA

ASSURANCES, que c'est cette compagnie, et non pas la Compagnie WINTHERTUR ,

absorbée en mai 2002 par MMA, qui a été informée des faits délictueux vis-à-vis de la

clientèle en juin 2005 suite à la mise en liquidation financière du cabinet EURÊKA FINANCE

; que ce témoin explique que WINTHERTUR n'a pas eu de relations commerciales avec

EURÊKA FINANCE, qu'elle n'a pas travaillé avec EURÊKA FINANCE pour des contrats

d'assurance-vie, qu'elle n'a pas eu connaissance des faits délictueux et qu'elle n'a pas fait de

rapport ou d'audit ;

Que le témoignage de Florence L., conseiller juridique chargé de contentieux à la Direction

Centrale Administration Relation Agents depuis octobre 2002 auprès de MMA ASSURANCES

mentionne que Jean-Marc S. n'a avoué à cette compagnie l'existence d'EURÊKA FINANCE

que lors d'une réunion du 22 juillet 2004, alors que lors de son adhésion au Contractuel

MMA, il avait déclaré ne pas faire de courtage ; que ce témoin déclare que la compagnie n'a

jamais eu de relations commerciales avec cette entité, qu'elle n'a jamais travaillé avec elle

pour des contrats d'assurance-vie, et qu'elle avait demandé à Jean-Marc S. les documents

comptables de cette société pour obtenir la preuve de sa tromperie, et pour avoir la preuve de

son manquement à l'obligation de consacrer l'intégralité de son activité professionnelle aux

sociétés du groupe, conformément aux dispositions de l'Accord Contractuel MMA ; que

l'auteur de ce témoignage ajoute n'avoir eu connaissance des faits délictueux qu'après la

démission de Jean-Marc S. lors de la mise en liquidation de la société EURÊKA FINANCE ;

Que le modèle de contrat établi sous l'égide de la compagnie WINTHERTUR, qu'utilisait la

SARL EURÊKA FINANCE, s'est révélé être un faux, cette société n'ayant reçu aucun mandat

de cet assureur;

Attendu que la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE avait

connaissance du fait que Jean-Marc S., d'une part exerçait seul et en son nom propre activité

d'agent général de WINTHERTUR , d'autre part que l'activité de courtier était exercée par

lui, mais par l'intermédiaire de la SARL EURÊKA FRANCE ;

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RJP 2015-1 (Novembre)

51

Que la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE ne peut

contester que cette situation est mentionnée dans les conditions particulières de son contrat

(pièce 4) puisque celui-ci prévoit sous le titre « exclusions » : « sont exclus de la garantie : le

remboursement des fonds détenus pour lesquels le souscripteur a reçu d'une entreprise

d'assurances un mandat écrit le chargeant expressément de l'encaissement des primes et

accessoirement du règlement des sinistres » ;

Attendu qu'il n'est ni contestable ni contesté que les intimés ont remis les fonds à la SARL

EURÊKA FRANCE, et que ces créances ont été admises dans le cadre de la procédure

collective concernant cette société ;

Que le fait que celle-ci soit dirigée par Jean-Marc S. ne suffit pas à lui conférer ni un mandat

ni une qualité qui était celle de son gérant à titre personnel ;

Attendu que la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE

conteste également sa garantie au motif que les règlements faits par Jean-Paul L., Olivier G.,

Gilles P., Claude S. et Jean-Paul M. concernaient des mandats de gestion et non des

règlements de primes d'assurance ;

Attendu cependant que le courtage était l'activité de la société EURÊKA FINANCE, les fonds

étant recueillis par Jean-Marc S., ladite société informant ses clients de la valeur du contrat

(pièces 25/1) et d'une garantie de capital en cas de décès (pièce 30/1) ;

Qu'il ne s'agit pas là d'opérations bancaires, mais bien d'opérations d'assurance, les

formulations utilisées montrant qu'il ne s'agissait pas d'un mandat de gestion, mais

d'opérations obéissant aux règles spécifiques du contrat d'assurance sur la vie, qui les

distinguaient de placement en produits financiers relevant du droit commun ;

Que l'argumentation de la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE

L'ASSURANCE sur cette question ne saurait être retenue ;

Attendu que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la garantie de la CAISSE DE

GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE ; que

Attendu que la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE estime

que seule la somme garantie par le contrat de garantie financière pour l'année 2007 serait

mobilisable, s'agissant de l'année pendant laquelle la demande de garantie a été faite, à

l'exclusion des années précédentes ; que cette position, si elle devait être suivie, aboutirait à

empêcher toute réclamation des personnes lésées tant que les sommes étaient détournées à

leur insu, ce qui aboutirait à les priver de tout recours tant qu'elles ignorent existence des

détournements dont elles sont victimes ;

Que, ainsi que l'exposent les intimés, la constatation de la défaillance du souscripteur de

l'assurance n'est qu'une modalité de mise en œuvre de la garantie, et en aucun cas un élément

constitutif de celle-ci ;

Attendu que c'est par des motifs pertinents et adoptés que les premiers juges ont prononcés

comme ils l'ont fait sur les montants alloués et sur leur répartition ; attendu qu'il échet

cependant de fixer le point de départ des intérêts au 20 janvier 2006, soit trois mois après la

première demande des intimés ;

Attendu que les intimés ne persistent pas en leur demande dommages-intérêts puisqu'ils se

sont limités à demander la confirmation du jugement à l'exception de la date à laquelle les

intérêts doivent courir ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des intimés l'intégralité des sommes

qu'ils ont dû exposer du fait de la présente procédure ; qu'il échet de faire application de

l'article 700 du Code de Procédure civile et de leur allouer à ce titre la somme de 5000 euro ;

PAR CES MOTIFS :

STATUANT publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement rendu le 12 novembre 2013 par le tribunal de grande instance

d'Orléans à l'exception de la date à laquelle doive courir les intérêts,

Page 52: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

52

LE RÉFORMANT sur ce dernier point, dit que les intérêts au taux légal courront à compter

du 14 janvier 2006 et dit que la capitalisation des intérêts au sens de l'article 1154 du Code

civil aura lieu à compter de cette date,

Y AJOUTANT, condamne la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE

L'ASSURANCE à payer aux intimés la somme de 5000 euro en application de l' Article 700

du Code de Procédure civile,

CONDAMNE la CAISSE DE GARANTIE DES PROFESSIONNELS DE L'ASSURANCE aux

dépens, et autorise les avocats de la cause à se prévaloir des dispositions de l'article 699 du

Code de Procédure civile.

Arrêt signé par Monsieur Michel Louis BLANC, Président de Chambre et Madame Evelyne

PEIGNE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Commentaire : Mise en jeu de la garantie financière du fait de la défaillance des

intermédiaires d’assurance

Les intermédiaires d’assurance sont obligés de souscrire à une police d’assurance pour

couvrir les risques liés à leurs activités professionnelles. Une garantie financière devra être

mise en jeu en cas de défaillance de leur part. Les juges de la Cour d’appel d’Orléans ont eu à

statuer sur la mise en œuvre de cette garantie financière dans l’arrêt d’espèce.

Des professionnels de l’assurance, une SARL de courtage en assurance et un agent général

d’assurance ont exercé des activités d’intermédiation d’assurance-vie auprès de certains

souscripteurs. Ces professionnels ont souscrit une police d’assurance auprès d’une caisse de

garantie professionnelle couvrant les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile

professionnelle qu’ils pouvaient encourir en raison de dommages causés aux tiers du fait de

leur activité de courtage ou d’agent général. Les fonds issus des assurances-vie ont été

détournés par l’agent général qui a été reconnu, au terme d’une procédure pénale, coupable de

délit d’abus de confiance. La SARL a été placée en liquidation judiciaire et les souscripteurs

ont été amenés à déclarer leurs créances auprès du mandataire liquidateur

Les juges de la cour d’appel d’Orléans ont considéré que la caisse de garantie

professionnelle était tenue, en application de l’article L 512-7 du Code des assurances45

, à une

garantie financière du fait de l’activité des intermédiaires d’assurance de l’espèce. L’article R

512-16 du Code des assurances46

prévoit quant à lui que cette garantie financière sera « mise

en œuvre sur la seule justification que l'intermédiaire garanti est défaillant, sans que le garant

ne puisse opposer au créancier le bénéfice de discussion […]. Elle est également acquise par

un jugement prononçant la liquidation judiciaire». La mise en jeu de la garantie en l’espèce a

donc été justifiée, du fait de la défaillance de la SARL mise en liquidation judicaire et du

détournement de fonds de l’agent général d’assurance.

La caisse de garantie professionnelle a interjeté appel en considérant que la garantie

financière n’était pas due, spécifiquement pour les activités de l’agent général. En effet elle a

considéré que ces activités étaient exercées par un intermédiaire d’assurance indélicat

bénéficiant d’un mandat d’entreprise d’assurance. Pour s’exonérer de la garantie financière la

partie appelante avait soulevé l’application de l’article L.512-6 du Code des assurances47

prévoyant en effet que les intermédiaires n’ont pas à souscrire un contrat d’assurance dans les

cas où « une garantie équivalente lui est déjà fournie par une entreprise d'assurance ». En

effet, il convient d’isoler des situations d'obligations légales d'assurance le cas des

45

Article L 512-7 du Code des assurances 46

Article R.512-6 du Code des assurances 47

Article L.512-6 du Code des assurances

Page 53: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

53

intermédiaires pour lesquels il existe un garant de leur responsabilité. Comme l’explique le

professeur Daniel Langé dans son étude48

, cela peut être le cas lorsque, comme l’énonce

l’article L 511-1 III du Code des assurances49

, un mandant est désigné comme civilement

responsable, dans les mêmes termes qu'un commettant ou employeur, du dommage causé par

la faute de son mandataire, considéré comme son préposé.

Cette considération vient du célèbre arrêt de l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation,

l’arrêt Costedoat. Cet arrêt a édicté le principe selon lequel : « n'engage pas sa responsabilité

à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été

impartie par son commettant»50

. Cette solution a été étendue dans le milieu des assurances et

l’entreprise mandante répondait des actes accomplis par le mandataire. Le professeur Groutel

dans une étude s’était penché également pour l’extension de la jurisprudence Costedoat aux

agents généraux51

. La partie appelante a donc voulu, pour s’exonérer de la garantie, faire

reconnaitre que l’agent général était mandaté par une entreprise d’assurance.

La Cour d’appel d’Orléans a cependant rejeté cette prétention en considérant, au regard des

faits, que l’agent général n’était pas mandaté par une entreprise d’assurance et exerçait une

activité en nom propre. La Cour a également reconnu que la partie appelante avait

connaissance de cette activité en nom propre et que l’agent général exerçait également une

activité de courtage par l’intermédiaire de la SARL. De part ces affirmations la garantie

financière devait donc s’appliquer suite aux défaillances des intermédiaires d’assurance.

Ainsi, les souscripteurs pourront donc bien être amenés à déclarer leurs créances auprès du

mandataire liquidateur.

MOTS CLES : OBLIGATION DE GARANTIE FINANCIERE- DEFAILLANCE DES

INTERMEDIAIRES D’ASSURANCE- MISE EN JEU DE LA GARANTIE FINANCIERE

Ludovic LAROCHE

11) L’état de cessation des paiements déterminé par le défaut de paiement des sommes

d’un titre exécutoire

Cour d’appel d’Orléans (chambre civile), 26 janvier 2015, n° RG : 14/00376

Prononcé le 26 JANVIER 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les

parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de

l'article 450 du Code de procédure civile.

Par un arrêt en date du 8 décembre 2009, auquel il convient de se reporter pour plus ample

exposé des faits et de la procédure antérieurs, la Cour d'Appel de PARIS renvoyait la cause et

les parties devant la cour d'appel de céans, laquelle, par un arrêt du 18 novembre 2010

confirmait le jugement rendu le 12 octobre 2006 par le Tribunal de grande Instance de

PARIS et fixait la date de cessation de paiement de Catherine D. épouse F. au 8 août 2005.

Catherine D. épouse F. formait un pourvoi en cassation contre l'arrêt du 18 novembre 2010.

48

« Les intermédiaires d'assurance à l'heure du marché unique : la réforme de l'intermédiation en assurance »

RGDA n° 2006-04, p. 857, note D. Langé 49

Article L 511-1 III du Code des assurances 50

Cass. Ass. Plén. 25 février 2000, n° 97-17378, 97-20152, Bull. 2000 A. P. N° 2 p. 3, RTD. civ., 2000, n°

582, note P. Jourdain 51

« La nouvelle jurisprudence relative à la responsabilité des préposés peut-elle influer sur celle de l'agent

général ?», Resp. civ. et assur., 2000/09, p. 4, note H. Groutel

Page 54: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

54

Par un arrêt en date du 7 février 2012, la Cour de Cassation cassait l'arrêt objet de ce

pourvoi, mais seulement en ce qu'il avait fixé au 8 août 2005 la date de la cessation de

paiement de Catherine D. épouse F., remettait en conséquence sur ce point la cause et les

parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour faire droit, les renvoyait

devant cette Cour autrement composée.

La Cour suprême disait qu'il résultait de la combinaison des articles L 631 '1, alinéa 1er, L.

631 '8 et L. 641 '1 IV du Code de Commerce que la date de cessation des paiements est, en

cas de liquidation judiciaire, fixée comme en matière de redressement judiciaire, au jour où

le débiteur a été placé dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif

disponible.

Elle considérait que, pour reporter au 8 août 2005 la date de la cessation de paiement de

Madame F., l'arrêt retient que les différents créanciers sont impayés depuis des années et, en

tout cas, depuis cette date, laquelle est la limite de report de la cessation de paiement, mais

qu'en se déterminant par ces motifs, impropres à caractériser l'état de cessation des

paiements à la date retenue, la Cour d'Appel n'avait pas donné de base légale à sa décision.

La Cour de Cassation considérait que les autres moyens n'étaient pas fondés.

La Cour d'Appel de céans était saisie par une déclaration du 29 janvier 2014 à la diligence

de Catherine D. épouse F..

Par conclusions du 26 mai 2014, Catherine D. épouse F. demande à la Cour de dire qu'il est

devenu sans objet de statuer sur la date de cessation des paiements qui a été alléguée à son

encontre, et ce en raison de l'absence de prorogation de la procédure de liquidation

judiciaire.

Elle prétend qu'en l'absence de créances pouvant être prises en considération, aucune date de

cessation de paiement ne peut être retenue.

En toute hypothèse, et en raison des événements postérieurs qui seraient venus modifier la

situation antérieurement reconnue par le jugement dont appel, elle demande l'annulation de

ce jugement et le rejet de toutes les demandes des parties intimées.

À titre subsidiaire, elle demande à la Cour de constater l'absence de cessation de paiement,

de constater qu'une procédure de liquidation judiciaire a néanmoins été ouverte de façon

définitive par le jugement dont appel et, réformant la date de cessation des paiements qui

avaient été fixée provisoirement au 23 juin 2006 par ledit jugement, de dire qu'il n'y a pas

lieu à fixation d'une telle date ni d'aucune autre en raison de l'inexistence de l'état que cette

date serait réputée fixée dans le temps.

À titre très subsidiaire, elle demande qu'il soit sursis à statuer jusqu'à ce qu'il ait été statué

par des décisions de justice définitives sur l'admission des créances déclarées par le Service

des Impôts des Particuliers de Paris-8e et de Toulon et le Service des Impôts des Entreprises

de Paris 1er.

Elle sollicite la condamnation du chef de service comptable du Service des Impôts des

Entreprises de Paris 1r et de la Caisse nationale des Barreaux français à lui payer chacun la

somme de 100'000 euro à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du

code de procédure civile, et de condamner chacun d'entre eux à lui payer la somme de 10'000

euro sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 27 juin 2014, le Comptable du Service des Impôts des Entreprises de

Paris 1r demande à la Cour de dire que la date de cessation des paiements de Catherine D.

épouse F. doit être fixé au 8 août 2005, soit au maximum du délai prévu par la loi, constatant

que l'état de cessation de paiements est ancien et antérieur à ladite date.

Il demande à la Cour de débouter Catherine D. épouse F. de toutes demandes plus amples ou

contraires et de lui allouer la somme de 8970 euro par application de l'Article 700 du Code

de Procédure civile.

Page 55: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

55

Par conclusions déposées le 29 août 2014, l'Ordre des Avocats du Barreau de Paris demande

à la Cour, statuant après cassation mais dans les limites de celle-ci, de dire que la date de

cessation de paiements de Catherine D. épouse F. doit être fixée au 8 août 2005, de constater

que l'état de cessation des paiements est même bien antérieur à ladite date, et de débouter

Catherine D. épouse F. de toutes ses demandes.

Par conclusions en date du 10 septembre 2014, le ministère public conclut également à la

fixation de la date de cessation de paiement à la date limite de report, soit au 8 août 2005.

L'ordonnance de clôture était rendue le 11 septembre 2014 par le Conseiller de la mise en

état.

Par une ordonnance en date du 9 octobre 2014, ce magistrat disait n'y avoir lieu, en

l'absence de cause grave, à révoquer l'ordonnance de clôture du 11 septembre 2014.

Catherine D. épouse F. ayant formé une nouvelle demande de révocation de cette

ordonnance, en raison du prononcé par la cour d'appel de Versailles le 16 octobre 2014 de

quatre arrêts, le Conseiller de la mise en état, par une ordonnance du 4 novembre 2014 disait

n'y avoir lieu à révoquer l'ordonnance de clôture du 11 septembre 2014 au motif que ces

quatre décisions ne sont pas de nature à influer sur la fixation de la date de cessation des

paiements et du fait que la requérante ne justifiait pas d'une cause grave de nature à

permettre la révocation de cette décision.

SUR QUOI :

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :

Attendu que cette Cour n'est saisie que de la question relative à la date de la cessation de

paiement, les autres point ayant fait l'objet de décisions aujourd'hui définitives ;

Que l'existence des quatre arrêts de la Cour d'Appel de Versailles ne saurait suffire à

caractériser la cause grave prévue par l'article 784 du Code de Procédure civile et qui

justifierait la révocation demandée, puisqu'il se trouve, en l'état actuel de la procédure,

suffisamment d'éléments de nature à permettre à cette Cour de trancher efficacement la

question qui lui est soumise, sans avoir à rechercher si les décisions invoquées sont de nature

à influer sur la date de la cessation de paiement ;

Qu'il n'y a pas lieu de prononcer la révocation de l'ordonnance de clôture ;

Sur la date de cessation des paiements :

Attendu que le Comptable du Service des Impôts des Entreprises de Paris 1r apporte à la

procédure (pièces 1 à 10) différents titres exécutoires de nature à justifier que Catherine D.

épouse F. a éludé le paiement de la TVA perçue auprès de ses clients et qu'elle n'a pas

reversée comme elle aurait dû le faire ;

Attendu que le simple fait pour Catherine D. épouse F. d'avoir été assignée en paiement, ou

de se voir opposer un titre exécutoire sans procéder au paiement des sommes considérées est

suffisant pour caractériser l'impossibilité de faire face au passif exigible au moyen de l'actif

disponible ;

Que l'argumentation qu'elle invoque relativement à la contestation de certaines créances est

donc inopérante ;

Page 56: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

56

Attendu que dès l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Paris le 26 mars 1999, une créance de

345'736,18 euro était admise définitivement ;

Que, dès 2001, des déclarations sans paiement ont été faites pour des montants qui n'ont pas

été contestés et pour le recouvrement desquels le Comptable public a émis 43 avis de mise en

recouvrement, et ce bien antérieurement à la date du 8 août 2005, date limite du délai de 18

mois précédant la liquidation judiciaire du 8 février 2007, délai prévu par l'article L6 43 ' 9

du Code de Commerce ;

Attendu que c'est à cette date qu'il échet de fixer la date de la cessation des paiements de

Catherine D. épouse F. ;

****************************

Attendu que Catherine D. épouse F. succombe en ses prétentions ; qu'il n'y a pas lieu de faire

droit à ses demandes accessoires ;

Attendu que l'application de l'article 698 du Code de procédure civile ne serait possible que

si l'ensemble des procédures engagées par Catherine D. épouse F. avaient tourné à sa

confusion, ce qui n'est pas le cas puisque son pourvoi en cassation a été partiellement admis

par la Cour suprême ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande du Comptable du

Service des Impôts de Paris 1r ;

PAR CES MOTIFS :

STATUANT publiquement, par arrêt réputé contradictoire, sur renvoi après cassation et en

dernier ressort,

DIT n'y avoir lieu de prononcer la révocation de l'ordonnance de clôture du 11 septembre

2014 ;

FIXE à la date du 8 août 2005 la cessation des paiements de Catherine D. épouse F. ;

DÉBOUTE Catherine D. épouse F. de l'ensemble de ses prétentions,

CONDAMNE Catherine D. épouse F. aux dépens, et autorise les avocats de la cause à se

prévaloir des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure civile.

Commentaire : Le non-paiement des sommes d’un titre exécutoire ou d’une assignation

est suffisant pour caractériser une cessation des paiements

La définition de l’état de cessation des paiements remonte au Code Napoléon de 1807, où

la cessation des paiements était à l’origine l’impossibilité de payer les créance qui viennent à

échéance. Puis la Cour de cassation dans sa décision de 197852

affirmait que la cessation des

paiements devait s’entendre de l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif

disponible. Cette définition de la cessation des paiements a donné lieu à une formulation

légale par la loi du 26 juillet 1985 et se lit depuis à l’article L. 631-1 du Code de commerce

53.

Ainsi « la cessation des paiements demeure une pierre angulaire des procédures collectives

du livre VI de Code de commerce »54

.

C’est dans ce sens que va l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Orléans le 26 janvier 2015.

Dans cet arrêt la Cour d’appel a apporté des précisions s’agissant de la détermination de la

cessation des paiements. Elle déclare que l’assignation ou le fait de se voir opposer un titre

52

Cass. com., 14 février 1978, n° 76-13718, Bull. 66 p. 53 ; D. 1978. IR 443, obs. HONORAT 53

article 88 de la loi n° 2005- 845 du 26 juillet 2005 54

A-S. TEXIER et E. RUSSO, LPA 2 mars 2009, p. 3, n° 21

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RJP 2015-1 (Novembre)

57

exécutoire sans procéder au paiement des sommes considérées est suffisant pour caractériser

l’impossibilité de faire face au passif exigible au moyens de l’actif disponible, lesquelles

étaient caractérisées en l’espèce par 43 avis de recouvrement émis par le comptable public,

lesquels faisaient suite à une déclaration sans paiements pour des montants non contestés.

En effet, le passif exigible est composé en principe de toutes les dettes échues, certaines et

liquides avant le jugement d’ouverture, quand bien même ces dettes ne sont pas exigées.

Toutefois, la dette n’est pas certaine lorsqu’elle est litigieuse, c’est-dire-contestée55

.

En outre la Cour de cassation a déclaré en 1993 que « la cessation des paiements est

distincte du refus de paiement et doit être prouvée par celui qui demande l’ouverture d’un

redressement judiciaire »56

. En effet, le défaut de paiement d’une dette échue ne suffira pas

pour fonder l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire. La Cour a

également apporté des précisions dans un arrêt de 1999, en affirmant qu’« il appartient au

créancier qui engage une action tendant à voir prononcer le redressement judicaire de son

débiteur de prouver que l’état financier de son débiteur ne permet pas de faire face à un

passif exigible »57

. En l’espèce, la Cour d’appel a ainsi approuvé les arguments du créancier,

qui déclarait que le non-paiement résultait de la volonté du débiteur d’éluder le paiement de la

TVA, tant celle que le débiteur a perçu auprès de ces clients que celle que le débiteur n’a pas

reversé, quand bien même le débiteur contrait les arguments du comptable public, puisque

depuis une décision de 199658

, confirmée en 200559

, la Cour de cassation affirme que la

charge de la preuve ne peut pas être inversée et par conséquent que le débiteur ne peut pas

rapporter la preuve qu’il est en mesure de faire face au passif exigible avec son actif

disponible et qu’il possède les fonds nécessaires pour désintéresser immédiatement son

créancier.

En outre, la cessation des paiements d’une société doit être datée. La date de cette

cessation est lors d’une liquidation judiciaire fixée comme en matière de redressement

judiciaire, au jour où le débiteur a été placé dans l’impossibilité de faire face à son passif

exigible avec son actif disponible60

.

En l’absence de détermination de la date de cessation des paiements dans le jugement

d’ouverture, la cessation des paiements est réputée acquise au jour dudit jugement d’ouverture

en vertu du premier alinéa de l’article L. 631-8 du Code de commerce. Ainsi cette date de

cessation des paiements se confond avec la date du jugement d’ouverture. Le tribunal

compétent dispose de la possibilité de reporter en arrière ladite date lors du jugement

d’ouverture61

, mais également la possibilité de reporter en arrière la date, ouvrant ainsi une

période suspecte, laquelle permet de critiquer certains actes faits avant le jugement

d’ouverture. Ce report ne peut être antérieur de plus de dix-huit mois à compter de la date du

jugement62

. C’est pourquoi en l’espèce, la date de la cessation des paiements est fixée au 8

aout 2005, laquelle correspond bien à la date limite du délai de dix-huit mois précédant la date

55

Cass. com., 25 novembre 2008, 07-20.972, Inédit. ; GPC 28 avr. 2009, p. 15 obs. LEBEL 56

Cass. com., 27 avril 1993, n° 91-16470, Bull. civ. IV, n° 154 ; Cass. com. 25 février 1997, n° 95-18607,

Inédit. ; D. aff. 1997, 484 57

Cass. com., 22 juin 1999, n° 96-12746, Inédit. ; Rev. Proc. Coll. 2000, n° 45, obs. DELENEUVILLE 58

Cass. com., 2 avril 1996, n° 93-21861, Bull. civ. IV, n° 111 ; D. 1996. IR 123 ; 59

Cass. com. 24 mai 2005, n° 04-10901, Inédit. ; Gaz. Pal. 4-5 nov. 2005 p. 12, obs. LEBEL 60

article L. 640-1 du Code de commerce 61

article L. 631-8 alinéa 2 du Code de commerce 62

article L. 631-8 alinéa 2 du Code de commerce

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RJP 2015-1 (Novembre)

58

du jugement de la liquidation judiciaire, fixé au 8 février 2007, quand bien même le débiteur

rencontrait déjà des difficultés antérieurement.

Le report prononcé par le tribunal ne peut faire suite qu’à une demande de l’administrateur,

du mandataire judiciaire ou du ministère public, qui est enfermée dans un délai d’un an à

compter de la date du jugement d’ouverture. Le débiteur doit avoir été entendu par le tribunal

avant que le tribunal ne se prononce63

.

Un arrêt avait déjà été rendu en ce sens par la Chambre commerciale le 11 avril 201264

,

dans lequel la Cour a cassé l’arrêt de la Cour d’appel pour manque de base légale, alors que

cette dernière avait déclaré que la cessation des paiements était caractérisée du fait que le

débiteur ne respectait plus les échéances de son plan de continuation depuis le mois de juin

2010, et qu’il n’avait pas réglé les cotisations URSSAF s’élevant à plus de 30 000€.

MOTS-CLES : LIQUIDATION JUDICIAIRE – REPORT – DATE DE CESSATION DES

PAIEMENTS – TITRES EXECUTOIRES

Angélique MULLER

12) L’impossible mise en œuvre par le débiteur du bénéfice de subrogation, droit

exclusif de la caution

Cour d’appel d’Orléans (chambre commerciale, économique et financière), 26 janvier

2015, N° RG : 13/03079

Prononcé le 29 JANVIER 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les

parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de

l'article 450 du Code de procédure civile.

Sur le rappel des faits et de la procédure

Suivant acte sous seing privé en date du 21 juin 2008, le Crédit immobilier de France Centre

Ouest a consenti à Monsieur D. et à Monsieur L. un prêt d’un montant de 120.827 euros au

taux de 5,10% l’an, destiné à l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation et à

l’exécution de travaux.

Au terme de cet acte, la société CNP Caution s’est portée caution des emprunteurs.

Le prêt d’étant pas remboursé, la société CNP Caution a réglé au Crédit immobilier de

France une somme de 133.205,43 euros, selon quittance subrogative en date du 29 avril

2011.

C’est dans ces circonstances que la société CNP Caution a assigné Messieurs D. et L., le 18

novembre 2011, devant le tribunal de grande instance de Montargis, lequel par jugement en

date du 20 juin 2013, a condamné solidairement ceux-ci à payer à celle-là la somme de

63

article L. 631-8 alinéa 3 du Code de commerce 64

Cass. com., 11 avril 2012, n° 11-16416, Inédit. ; Lettre d’actualité des procédures collectives civiles et

commerciales, n° 10, juin 2012, alertes 151

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RJP 2015-1 (Novembre)

59

133.205,43 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 29 avril 2011 et capitalisation

des intérêts.

Monsieur D. et Monsieur L. ont régulièrement interjeté appel de cette décision le 27

septembre 2013.

Ils ont opposé à la CNP Caution les fautes qu’elle avait commises, en ne s’assurant pas que

les trois conditions suspensives auxquelles l’offre de prêt était soumise, à savoir le

remboursement préalable d’autres prêts par les débiteurs, le prononcé du divorce par

consentement mutuel de l’un d’entre eux et la souscription d’une garantie hypothécaire sur le

bien objet du projet, avaient été réalisées.

Ils se sont, par ailleurs, prévalu des manquements du Crédit immobilier de France et de la

société CNP Caution à leurs obligations, en ce qu’ils avaient manqué à leur devoir de mise

en garde, s’étaient abstenus de les informer du risque de surendettement, leur avaient fait

souscrire une assurance inefficace et avaient manqué à leur devoir de conseil.

Ils ont conclu, en conséquence, au débouté de la demande.

A titre subsidiaire, ils ont sollicité les plus amples délais de paiement.

Ils ont enfin réclamé, en toute hypothèse, une somme de 4000 euros sur le fondement de

l’article 700 du code de procédure civile et de l’article 37 de la loi relative à l’aide

juridictionnelle.

La société CNP Caution s’est attachée à réfuter l’argumentation des appelants, pour

conclure à la confirmation de la décision entreprise et solliciter une somme de 3000 euros au

titre de l’article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

Attendu que les dispositions de l’article 2314 du code civil visent exclusivement à la

protection de la caution à raison des fautes commises par le créancier empêchant la

subrogation dans les droits de celui-ci d’opérer en sa faveur ;

Qu’elles ne peuvent pas, en revanche, être invoquées par les débiteurs pour échapper au

recours de la caution qui a réglé la dette ;

Que, de toute manière, la condition suspensive d’une inscription d’hypothèque était en faveur

exclusive du créancier, lequel n’avait donc aucune obligation de l’exiger ;

Que, pour le reste, les appelants ne démontrent pas que les deux autres conditions

suspensives n’avaient pas été levées et, ne l’auraient-elles pas été, elles seraient réputées

l’avoir été dès lors que cette levée étaient de leur responsabilité et qu’ils ont accepté de

percevoir le prêt ;

Attendu que certes, la société CNP Caution qui a payé sans être poursuivie par le créancier

ou avoir averti les débiteurs, peut se voir opposer par ceux-ci, par application des

dispositions de l’article 2308 alinéa 2 du code civil, les fautes qu’ils auraient pu reprocher au

créancier pour faire déclarer la dette éteinte ;

Page 60: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

60

Mais attendu que le Crédit immobilier de France n’a commis aucune faute à l’égard des

emprunteurs, ainsi que l’a exactement retenu le premier juge en considérant que leur taux

d’endettement de 40%, tel qu’il résultait des informations qu’ils avaient fournies sur leur

situation financière, n’était pas excessif eu égard à leur objectif qui consistait en l’acquisition

d’un bien immobilier ;

Attendu que les appelants reprochent encore vainement à la société CNP Caution la

souscription d’une assurance chômage inefficace au motif qu’ils étaient déjà au chômage,

alors qu’agés d’une trentaine d’années au moment de la souscription du prêt dont le

remboursement devait s’échelonner sur trente ans, ils étaient nécessairement susceptibles de

retrouver un travail dans un délai raisonnable, de sorte qu’en cas de nouvelle perte d’emploi,

l’assurance souscrite trouvait toute sa justification ;

Et attendu que la dette est ancienne et que les débiteurs ne font aucune proposition sérieuse

de règlement ;

Que le jugement entrepris sera, en conséquence, confirmé en toutes ses dispositions :

Attendu que les appelants, qui succombent en leur appel, paieront une somme de 1000 euros

au titre de l’article 700 du code de procédure civile et supporteront les dépens ;

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement entrepris;

Y AJOUTANT,

CONDAMNE Monsieur Stéphane D. et Monsieur Xavier L. solidairement à payer à la société

CNP caution une somme de mille (1000) euros au titre de l'article 700 du code de procédure

civile ;

LES CONDAMNE solidairement aux dépens et accorde à la SELARL L.’DA C., avocat, le

bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile

Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJAUD, président de chambre et Madame Anne-

Chantal PELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat

signataire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

Commentaire : Du bon usage du bénéfice de subrogation en droit du cautionnement

Cette espèce nous présente des personnes physiques ayant souscrit un emprunt auprès

d’une banque afin de procéder à l’acquisition d’un bien immobilier à usage d’habitation.

L’établissement de crédit a exigé la présence d’une caution en garantie du prêt. Les

emprunteurs ont fait appel à une société de cautionnement, la CNP Caution.

Le prêt n’a pas été remboursé selon les termes convenus avec la banque. Cela a

entraîné l’appel en garantie de la caution. Ainsi que le prévoit l’article 2306 du code civil, la

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RJP 2015-1 (Novembre)

61

caution s’est retournée contre les emprunteurs par le biais d’un recours subrogatoire. Un tel

recours subroge le garant dans les droits et privilèges du créancier.

Afin de s’opposer à l’action en paiement de la caution contre les emprunteurs, ces

derniers ont opposé en cause d’appel le bénéfice de subrogation de l’article 2314 du code

civil. Selon cette disposition, la caution peut opposer au créancier les fautes qu’il a commises

dans la préservation de ses droits ou privilèges à l’égard du débiteur. Il s’agit d’un moyen de

défense que la caution peut soulever lorsqu’elle est appelée en garantie. Plus généralement, le

bénéfice de subrogation vient sanctionner le devoir de loyauté dû à la caution par le créancier.

La Cour d’appel a rappelé que le bénéfice de subrogation ne profite qu’à la caution et

qu’en aucun cas le débiteur ne peut s’en prévaloir pour échapper au recours de la caution. En

cela, la Cour d’appel d’Orléans applique le droit à la lettre. Des précédentes décisions avaient

souligné le fait que seule la caution pouvait s’en prévaloir65

.

En effet, la perte des droits préférentiels de la caution du fait du créancier l’empêche

d’exercer un recours subrogatoire avec un maximum d’efficacité. C’est pour cela que l’article

2314 peut être invoqué par la caution lorsqu’elle ne peut pas utiliser un droit préférentiel du

fait du créancier. Une telle situation se présente notamment lorsque le créancier néglige, par

exemple, de prendre un nantissement de fonds de commerce consenti par le débiteur66

.

A titre subsidiaire, la Cour d’appel a rappelé aux appelants les moyens de défense

qu’ils auraient pu mettre en œuvre.

Premièrement, les faits de l’espèce indiquent que la caution a payé le créancier sans

avertir le débiteur. Un tel comportement peut être sanctionné par la perte du recours

subrogatoire contre l’emprunteur principal, sur le fondement de l’article 2308 du code civil.

Néanmoins, cette défense ne peut être invoquée que si au moment du paiement de la caution,

le débiteur avait eu les moyens de faire déclarer sa dette éteinte. Autrement dit, cet article

reprend l’adage juridique selon lequel « qui paie mal paie deux fois »67

. La présence d’une

exception opposable par le débiteur rendant sa dette éteinte le protège contre un recours

subrogatoire de la caution.

En l’espèce, le débiteur ne pouvait néanmoins se prévaloir d’une exception opposable

sur le fondement du devoir de mise en garde de l’emprunteur qui pèse sur le créancier.

Tout établissement de crédit est tenu envers l’emprunteur d’un devoir de mise en

garde concernant les risques de l’octroi de crédit et notamment le risque lié à un endettement

excessif. Ce devoir de mise en garde a été consacré par une série de quatre arrêts rendus en

2005 par la première chambre civile68

. La violation de cette obligation d’origine prétorienne

expose l’établissement de crédit à la mise en œuvre de sa responsabilité contractuelle. Le

préjudice réparé consiste en la perte de chance d’échapper au risque d’endettement né de

l’octroi du crédit69

.

Néanmoins, la réparation de ce préjudice ne permet pas l’allocation de dommages et

intérêts couvrant l’intégralité du crédit, intérêts et principal. Généralement, les juridictions

octroient au débiteur à titre de compensation le montant des accessoires du crédit, à savoir les

intérêts, les frais et les pénalités70

. Une Cour d’appel a octroyé à titre de dommages et intérêts

un montant égal à 5% du crédit en intérêts et principal à un emprunteur qui n’avait pas

65

CA Paris, 28 octobre 1998 : D. 1999, act. jurispr. p. 114. – Cass. com., 10 octobre 2000 : Bull. civ. 2000, IV,

n° 153, RTD com. 2001, p. 201 66

Cass. 1re

civ., 12 février 2002, n° 99-15.944 : Bull. civ. 2002, I, n° 51. 67

B. FAGES, Droit des obligations, LGDJ, 4ème

édition, 2013 68

Cass. 1re

civ., 12 juillet 2005, n° 02-13.155 : Bull. 2005, I, n° 324 ; n° 03-10.770 : Bull. 2005, n° 325 ; n° 03-

10.115 : Bull. 2005, I, n° 326 ; n° 03-10.921: Bull. 2005, I, n° 327. 69

Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-13.034 : Bull. 2009, IV, n° 43. 70

Cass. 1re

civ.,1er

juillet 2010, n° 09-16.474, Inédit.

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RJP 2015-1 (Novembre)

62

bénéficié du devoir de mise en garde71

. Les juridictions calculent les probabilités de non-

conclusion du contrat de prêt afin de déterminer le montant du préjudice né de la perte de

chance de ne pas contracter.

En l’espèce, la Cour d’appel a estimé que le taux d’endettement proposé aux

emprunteurs n’était pas excessif. La condamnation au paiement du crédit en intérêts et

principal telle que décidée en première instance a été maintenue.

MOTS CLES : CAUTIONNEMENT – BENEFICE DE SUBROGATION – DEVOIR DE

MISE E GARDE – DEVOIR DE CONSEIL – PERTE DE CHANCE – PROTECTION DE

L’EMPRUNTEUR

Baptiste PARISELLI CAPMAN

71

CA Grenoble, 2 juillet 2013, n° RG 11/01558

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63

Chronique de jurisprudence des étudiants

Master 2

Droit social et droit des ressources humaines

1) Période d’essai

Cour d’appel de Bourges, 23 mai 2014, n°13.00982

Résumé.

Un salarié est embauché par contrat de travail à durée déterminée, du 10 septembre 2012 au

31 mars 2013, en qualité de délégué pharmaceutique, sous réserve d’une période d’essai d’un

mois de travail effectif. L’employeur lui notifie la rupture de son contrat de travail le 24

septembre 2012, soit 15 jours après son entrée en fonctions, dans le cadre de sa période

d’essai alors qu’il se trouvait être en formation dispensée par l’employeur.

Contestant la rupture de son contrat de travail, le salarié a saisi le Conseil des Prud’hommes

de Bourges le 10 octobre 2012, lequel a dit la rupture abusive et a condamné l’employeur à lui

verser 11.479, 50 euros à titre de dommages et intérêts.

Le défendeur a interjeté appel en date du 22 mai 2013, et la Cour d’Appel de Bourges, le 23

mai 2014, a infirmé la décision rendue par le Conseil des Prud’hommes aux motifs que le

délai était suffisant pour apprécier, même dans le cadre d’une formation, les qualités

professionnelles du salarié, que le salarié ne disposait pas des aptitudes professionnelles à

intégrer le positionnement de l’entreprise, et que la légèreté blâmable et l’abus de droit

invoqués n’étaient pas caractérisés.

Extraits

« Attendu qu'il est constant qu'un employeur peut mettre fin aux relations contractuelles

avant l'expiration de la période d'essai sous réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en

abus ;

Attendu que M. Minh invoque l'abus de droit de la part de la société TEVA Santé dans la

rupture de leurs relations contractuelles ;

Attendu qu' il convient de rappeler que la période d'essai se situe au commencement de

l'exécution du contrat de travail peu important que durant celle-ci est prévue une période de

formation ; qu'en vertu des dispositions de l'article L 6321-2 du code du travail le temps de

formation pour adaptation au poste de travail constitue du temps de travail effectif ;

Attendu que certes la rupture des relations contractuelles est intervenue tandis que le salarié

suivait une formation réservée aux nouveaux entrants et n'avait pas encore exercé sur le

terrain ses fonctions de délégué pharmaceutique ;

Attendu toutefois que si la société TEVA santé ne verse pas le test d'évaluation qu'elle évoque

dans ses écritures, il ressort de la lecture du programme de formation qu'à l'issue de chaque

journée de formation, les nouveaux entrants disposaient de plages horaires pour du travail

personnel permettant aux intervenants d'appréhender les aptitudes professionnelles des

salariés ; qu'ainsi M. Monney directeur de zone, qui a participé à la formation sur la

politique commerciale, atteste : 'lors de cette formation, nous avons collégialement pris la

décision de ne pas faire perdurer Marc Minh sur ce stage. Les éléments de motivation sont

liés à l'attitude de M. Minh quant à l'appropriation de la stratégie globale de TEVA

laboratoire. Son positionnement général était plus lié à une attitude centrée sur son

historique et ses habitudes sans aucune volonté d'intégrer la culture TEVA et les bonnes

pratiques tant en techniques de vente qu'en valorisation de nos outils différenciant. Les

Page 64: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

64

différents intervenants nous ayant tous alertés sur cette désinvolture récurrente cela nous a

amené à prendre la décision de ne pas continuer l'aventure avec M. Minh'.

Attendu qu'en l'espèce il a été mis fin au contrat de travail de M. Minh quinze jours après le

commencement des relations contractuelles ; que ce délai est suffisant pour apprécier, même

dans le cadre d'une formation, les qualités professionnelles du salarié étant précisé que la

validation de sa candidature pour le poste, antérieurement à son embauche, ne saurait être

déterminante sur l'appréciation de ses aptitudes professionnelles ; qu'également l'attestation

précitée est particulièrement circonstanciée sur les aptitudes professionnelles de M. Minh à

intégrer le positionnement de l'entreprise ; que M. Minh quant à lui ne produit aucune pièce

permettant de contredire cette constatation ; que l'attestation de M. ABAD est insuffisante à

établir que la rupture du contrat de travail serait motivée par l'embauche d'une autre

déléguée pharmaceutique ; que dès lors la légèreté blâmable et l'abus de droit invoqués ne

sont pas caractérisés ; qu'il convient de débouter M. Minh de ses demandes ; que le jugement

déféré sera réformé en ce sens ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau ;

Déboute M. Marc Minh de l'intégralité de ses demandes ;

Commentaire : Les limites de l’abus dans la rupture de la période d’essai

La période d’essai, qui se situe au début de l’exécution d’un contrat de travail, est une période

transitoire qui permet d’une part à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son

travail, notamment au regard de son expérience, et d’autre part au salarié d’apprécier si les

fonctions occupées lui conviennent72

. Au cours de la période d’essai, chacune des parties

dispose d’un droit de résiliation discrétionnaire. De ce fait, la rupture n’a pas à être motivée,

et les dispositions qui régissent la rupture du contrat de travail ne sont pas applicables pendant

la période d’essai73

.

Si une cause réelle et sérieuse justifiant la rupture n’est pas exigée74

, la décision de

l’employeur doit néanmoins être fondée sur l’appréciation des compétences professionnelles

de l’intéressé et en aucun cas sur un motif discriminatoire ou étranger à ses capacités. Il doit

également s’agir d’un motif inhérent à la personne du salarié. Dès lors, toute rupture de la

période d’essai doit s’exercer dans la limite de l’abus de droit, le motif ne pouvant être

étranger à l’objet de la période d’essai.

Dans le cadre de l’affaire soumise à notre commentaire, les juges de la Cour d’Appel de

Bourges ont dû s’interroger sur la cause de la rupture de la période d’essai : était-elle motivée

par le caractère non satisfaisant de l’essai ? La rupture avait-elle pour cause des

considérations strictement professionnelles ?

A cet égard, il convient d’analyser, d’une part, la durée effective de la période d’essai (1), et

d’autre part, la motivation de la rupture de la période d’essai (2).

1. Sur la durée effective de la période d’essai

72

Art. L.1221-20 du Code du travail et Circ. DGT n°2009-5, 17 mars 2009. 73

Art. L.1242-11 du Code du travail. 74

Cass. Soc., 13 novembre 1985, n° 84-41.104.

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RJP 2015-1 (Novembre)

65

En l’espèce, l’employeur a rompu la période d’essai au bout de seulement 15 jours. Cette

courte durée permet-elle réellement d’évaluer les compétences et aptitudes du salarié, sachant

que celui-ci était en période de formation ?

La jurisprudence estime abusive la rupture de la période d’essai lorsqu’elle n’est pas motivée

par des raisons professionnelles, tel est le cas de la résiliation qui témoigne d’une légèreté

blâmable, lorsque l’employeur met fin très rapidement à la période d’essai sans que le salarié

n’ait commis de faute importante. En pratique, cet abus de résiliation est reconnu lorsque le

salarié n’a pas été mis en situation, durant la brève période qui avait précédé la rupture, de

donner la preuve de sa capacité75

.

A titre d’illustrations, la rupture a été jugée abusive lorsqu’elle est intervenue une semaine

après l’embauche. Le salarié nouvellement embauché effectuait un stage d’adaptation aux

techniques de la société et n’avait pas encore été mis en mesure d’exercer ses fonctions76

. Par

ailleurs, les juges ont considéré que la rupture après trois semaines de prestation de travail ne

laisse au salarié aucune chance de réaliser les objectifs qui lui ont été assignés77

. De même

pour l’employeur qui n’a pas été en mesure d’apprécier les qualités professionnelles du salarié

compte tenu de la durée pendant laquelle il a exercé ses fonctions par rapport à celle des

stages en formation78

. Dans cette affaire presque similaire à la nôtre, un pompier d’aérodrome

avait été engagé avec une période d’essai de deux mois de travail effectif et avait suivi

immédiatement une formation locale et un stage de formation externe. Son employeur avait

pris la décision deux semaines plus tard de rompre la période d’essai, rupture qui a été

considérée abusive pour impossibilité de juger des qualités du pompier qui n’avait passé que

trois jours sur le terrain.

Pour autant, n’est pas nécessairement abusive une rupture par l’employeur au seul motif

qu’elle intervient dans un court laps de temps après le début de l’essai par rapport à la durée

prévue de la période d’essai : l’employeur ne saurait être tenu de poursuivre l’essai dès le

moment où il a jugé le salarié inadapté à l’emploi et non susceptible de s’y adapter par la

suite79

. De même, le fait de rompre le contrat de travail seulement quelques jours après le

renouvellement de la période d’essai ne caractérise pas un usage abusif du droit de rompre la

relation de travail de la part de l’employeur, ni une légèreté blâmable de sa part, les juges du

fond ayant constaté que cette rupture était motivée par le caractère non satisfaisant de

l’essai80

.

C’est donc l’ensemble de la situation qui est appréciée par le juge en cas de litige, et non la

motivation invoquée ou le seul fait que la rupture soit « précipitée ». Toutefois, en l’espèce, le

salarié a t-il vraiment été placé dans des conditions normales d’emploi permettant d’analyser

sa valeur professionnelle81

? L’interrogation semble opportune dès lors que le salarié n’a

bénéficié que « de plages horaires pour du travail personnel permettant aux intervenants

d'appréhender les aptitudes professionnelles ». Les juges du fond ont appuyé leur

raisonnement sur le fait que le temps de formation pour adaptation du poste de travail

constituait du temps de travail effectif82

, source d’évaluation pour le salarié nouvellement

embauché. Certes, mais ce temps peut-il véritablement permettre d’apprécier les qualités

professionnelles du salarié ? La formation imposée au salarié dès le début de sa période

75

Cass. Soc., 2 fév. 1994, n° 90-43.836. 76

Cass. Soc., 5 mai 2004, n° 02-41.224. 77

Cass. Soc., 20 janvier 2010, n° 08-44.465. 78

Cass. Soc., 15 mai 2008, n° 07-42.289. 79

Cass. Soc., 4 octobre 1979, n° 78-40.621. 80

Cass. Soc., 28 juin 2000, n° 92-42.561. 81

Cass. Soc., 27 octobre 2009, n° 08-41.661. 82

Art. L.6321-2 du Code du travail.

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RJP 2015-1 (Novembre)

66

d’essai permet de lui octroyer le savoir et le savoir-faire requis pour tenir le poste et les

fonctions pour lesquels il a été embauché. Ainsi, comment peut-on reprocher au salarié, au

bout de seulement deux semaines de formation et sans avoir été en mesure d’exercer sur le

terrain ses fonctions, de ne pas satisfaire aux compétences requises ?

2. Sur la motivation de la rupture de la période d’essai

Conformément aux propos liminaires, la période d’essai qui a pour objet de permettre à

l’employeur d’évaluer les compétences du salarié, c’est-à-dire de « tester » le nouveau

collaborateur, peut être librement rompue sans qu’il soit besoin de motiver cette rupture.

Cependant, ce droit discrétionnaire est limité puisqu’en période d’essai, l’abus de droit peut

toujours être sanctionné. A ce titre, la notion d’abus peut résulter des motifs de la rupture de

l’essai : compte tenu de la finalité de la période d’essai, sa rupture doit avoir pour cause des

considérations professionnelles. Elle doit se fonder sur une appréciation des aptitudes du

salarié à tenir l’emploi, étant entendu que cette aptitude fait intervenir des critères plus larges

que la stricte capacité professionnelle, tels que l’entente professionnelle ou encore

l’implication personnelle. Dès lors, la bonne foi joue un rôle prépondérant dans l’appréciation

de l’abus de la période d’essai.

Néanmoins, dans l’affaire qui nous est soumise, les juges de la Cour d’Appel disposaient-ils

de moyens suffisants et pertinents pour juger licite la motivation de la rupture de la période

d’essai ?

D’une part, en l’espèce, afin de justifier la rupture de la période d’essai du salarié,

l’employeur s’est appuyé sur un test d’évaluation qui a permis de « déplorer son

comportement négatif au cours de la formation » et sa « désinvolture récurrente ». Les juges

n’auraient-ils pas pu envisager un abus tiré de la motivation de la rupture de l’essai ? En effet,

lorsque les défaillances du salarié sont patentes, les juges estiment que la rupture de l’essai est

justifiée. Par exemple, l'absence de résultat du salarié dans la commercialisation du nouveau

produit dont il avait la charge a permis de justifier la rupture du contrat de travail pendant la

période d'essai83

. Néanmoins, il semblerait qu’en l’espèce, l’employeur ait motivé la rupture

de la période d’essai au regard du relationnel du salarié et sa façon d’interagir avec son

environnement. Cette motivation est-elle une cause licite de rupture de période d’essai ? Les

juges ont déjà eu à traiter de la question, et ont considéré que la rupture motivée par les doutes

de l’employeur quant aux qualités du salarié sur le plan des relations humaines était

légitime84

.

D’autre part, en application des règles classiques de preuve, c’est la partie « victime » de la

rupture de l’essai qui doit démontrer la mauvaise foi de l’autre contractant. Ainsi, les juges

considèrent qu’il revient au salarié de démontrer la preuve de l’abus de droit85

. Pour autant, en

l’espèce, la motivation de la rupture de la période d’essai peut nous sembler suspecte dès lors

que l’employeur ne fournit pas aux débats le fameux test d’évaluation relevant le faible

niveau de connaissances théoriques allégué ainsi que le comportement négatif du salarié. Par

conséquent, les juges de la Cour d’Appel pouvaient-ils réellement s’assurer des véritables

motifs de la rupture de la période d’essai ? Dit autrement, avaient-ils la possibilité de s’assurer

de l’absence d’un détournement de la finalité de la période d’essai ? L’aptitude personnelle du

salarié à assumer les fonctions qui lui étaient allouées a-t-elle fait l’objet d’une évaluation

sérieuse et vérifiable ?

83

Cass., Soc. 31 mai 2000, n° 98-43.457 84

Cass., Soc. 1ier

juillet 1976, n° 75-41.027 85

Cass., Soc. 20 décembre 1977, n° 76-41.096

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RJP 2015-1 (Novembre)

67

Par ailleurs, les juges considèrent que si l’employeur peut, sans motif et sans formalité, mettre

fin à la période d’essai, il doit néanmoins lorsqu’il invoque ouvertement un motif disciplinaire

à l’encontre du salarié (une faute), respecter la procédure disciplinaire86

.

Partant, ne pourrions-nous pas estimer que la réelle motivation de la rupture de la période

d’essai du salarié était liée à l’attitude fautive du salarié et non à ses aptitudes

professionnelles ? Pourtant, il sera observé qu’en l’espèce, l’employeur n’a pas mis en place

la procédure disciplinaire prévue à l’article L.1332-2 du Code du travail : aucun entretien

préalable n’a été réalisé.

Enfin, si la fonction première de la période d’essai est d’éprouver les aptitudes

professionnelles du salarié, celle-ci va plus particulièrement donner la possibilité au salarié de

pourvoir durablement le poste pour lequel il était en essai. A ce titre, l’employeur doit donc

intégrer le salarié afin de lui permettre d’apporter ses compétences, de s’habituer aux

processus définis par l’entreprise, et de s’impliquer dans la fonction pour laquelle il a été

engagé. Ainsi, la période d’essai ne devrait-elle pas faire l’objet d’un accompagnement

consistant et formel dans le but de construire la relation future sur un climat de confiance ? En

l’espèce, les juges n’auraient-ils pas du rechercher la cause des échecs du salarié dans sa

période d’essai ? Ne pourrions-nous pas envisager que cet échec soit prioritairement dû à

l’entreprise, notamment par un défaut d’intégration du salarié à la culture de l’entreprise ?

En effet, sur un si court temps d’observation, il nous semble difficile d’imputer l’insuccès de

la période d’essai au seul salarié, notamment s’il n’y a pas eu un réel suivi du process

transitoire, permettant ainsi d’ajuster mutuellement les attentes de chacun.

Elodie BRUNNER

2) Co-emploi

Cour d’appel d’Orléans 5 juin 2014, n°13/03347

Un salarié embauché en qualité d’abonneur par un éditeur de presse passe au service d’une

société de prospection et de diffusion presse. Les deux entreprises sont liées par un contrat de

commercialisation d’abonnements. Après la mise en liquidation judiciaire de la société de

prospection le salarié est licencié pour motif économique.

Devant le Conseil des prud’hommes de Blois, le salarié invoque une situation de co-emploi en

s’appuyant sur l’unité économique et sociale établie par le tribunal d’instance entre l’éditeur

et la société de prospection peu de temps après son licenciement. Il entend ainsi que son

premier employeur assume les obligations du second, et notamment les conséquences de la

nullité du licenciement qu’il invoque. Le Conseil des prud’hommes fait droit à sa demande.

Devant la Cour d’appel, se posait ainsi la question de savoir, si la situation de co-emploi était

caractérisée. D’abord, la Cour d’appel décide que la situation de co-emploi ne se déduit pas

de la seule reconnaissance d'une unité économique et sociale. Ensuite, elle estime que s’il y a

bien une confusion d'intérêts entre les deux sociétés, il n'existe pas de confusion des activités

qui ne sont que complémentaires. Par ailleurs, la gestion par un dirigeant commun pendant un

peu plus de deux mois n'ayant rien de significatif, elle décide qu’il n'y a pas de confusion de

direction. Deux des critères du co-emploi n'étant pas remplis, la Cour d’appel écarte le co-

emploi.

Extraits

86

Cass., Soc. 10 mars 2004, n° 01-44750

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MOTIFS DE LA DÉCISION

Eu égard aux dates ci-dessus, les appels, principal et incidents, sont recevables.

La SA SOCIÉTÉ NOUVELLE DU JOURNAL L'HUMANITÉ (SNJH) a pour activité

l'exploitation du journal quotidien communiste l'HUMANITÉ au moyen de tous supports, et

des publications de même obédience (notamment l'HUMANITÉ HEBDO).

Elle engage M. WATELLE, le 13 mars 2000, en CDD et puis en CDI, comme abonneur.

Le premier décembre 2002, il passe au service de la SARL SOCIÉTÉ DE PROSPECTION ET

DE DIFFUSION DE PRESSE (SPDP), dont l'activité est la prospection auprès de

particuliers afin d'obtenir des abonnements pour le compte d'organes de presse quotidiens ou

autres.

Il est alors, dans un premier temps, animateur, statut cadre, avant de devenir VRP exclusif le

8 mars 2004.

Le 23 juin 2011, la SPDP est mise en liquidation judiciaire sans maintien d'activités (cette

décision sera confirmée par la cour d'appel et deviendra irrévocable à la suite du rejet du

pourvoi le 22 mai 2013).

Me MOYRAND est mandataire liquidateur.

Le 6 juillet 2011, il licencie M. WATELLE pour motif économique.

Le 4 octobre 2011, le tribunal d'instance constate, au 11 juin 2011, l'existence d'une unité

économique et sociale entre les sociétés SPDP et SNJ H.

Cette décision est confirmée par la cour le 23 mai 2013.

La SNJH fait un pourvoi, qui est en cours d'examen.

LA RUPTURE

LE CO-EMPLOI

Une entreprise peut être considérée comme co-employeur d'un salarié au service d'une autre

à condition qu'il existe entre elles une confusion d'intérêts, d'activités et de direction, se

manifestant notamment par une immixtion de la société présentée comme deuxième

employeur dans la gestion économique et sociale de l'entité employeur « officiel » d'une

intensité telle que celle-ci est en fait privée de toute autonomie, en particulier dans la gestion

de son personnel.

Ces conditions sont cumulatives, même s'il n'est pas exigé qu'il existe un lien de

subordination entre l'entité recherchée comme co-employeur et le salarié.

C'est à tort que le conseil de prud'hommes a déduit la situation de co-emploi (allant même

jusqu'à considérer que la SNJH était l'employeur « principal » !) du seul fait que l'existence

d'une unité économique et sociale avait été reconnue.

Il s'agit en effet de 2 notions différentes et la première ne peut être déduite de la deuxième.

Ici, les 2 sociétés sont liées par un contrat de commercialisation : la SNJH confie à la SPDP

le pouvoir de vendre pour son compte certains de ses produits moyennant une commission.

Concrètement, elle lui confie la mission de rechercher et de conclure des abonnements pour

ses 2 principales publications, l'HUMANITÉ et l'HUMANITÉ HEBDO.

LA CONFUSION D'INTÉRÊTS

Elle existe en l'espèce dès lors que l'intérêt principal des 2 sociétés se confond :

-il est de l'intérêt de la SNJH de vendre le plus de journaux possible

-il est de l'intérêt de la SPDP de rechercher et de conclure le plus d'abonnements possible.

LA CONFUSION D'ACTIVITÉ

Elle n'existe pas car ces activités, si elles sont complémentaires, ne se confondent pas :

-la SNJH est un éditeur de presse, qui conçoit, fabrique et distribue des journaux

-la SPDP ne fait que rechercher des abonnés, pouvant d' ailleurs en principe le faire pour

d'autres publications que celles de la SNJH, dès lors qu'il ne s'agissait pas de journaux

d'opinion, et même si cela n'a pas été le cas.

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LA CONFUSION DE DIRECTION

Elle peut s'analyser à 2 niveaux.

* LES DIRIGEANTS COMMUNS

De fin octobre 2009 au 11 mars 2011, le gérant de la SPDP est M. JAKUBEK, qui n'a jamais

exercé de fonctions de direction à la SNJH.

Il donne sa démission.

M. GUILLOU devient gérant de la SPDP du 11 mars au 24 mai 2011.

Il est par ailleurs secrétaire général et membre du directoire de la SNJH.

Enfin M. CHABANNE devient gérant de la SPDP le 25 mai 2011.

Il avait été membre du directoire de la SNJH mais ne l'était plus depuis 2006.

Cette gestion par un dirigeant commun pendant un peu plus de 2 mois n'a rien de significatif,

et il n'y a pas confusion de direction.

* L'IMMIXTION DANS LA GESTION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE, NOTAMMENT CELLE

DU PERSONNEL

Les éléments pouvant être invoqués sont au nombre de 2.

LA LETTRE DU 12 AVRIL 2011

La SPDP propose à M. WATELLE une modification de son contrat en s'exprimant notamment

ainsi :

« Notre donneur d'ordre nous a en outre informé d'une nouvelle dégradation significative du

taux de chute d'abonnements pour ces derniers mois alors même que notre système de

facturation est basé sur une annualisation des abonnements réalisés.

Il est impératif pour notre viabilité même d'établir une corrélation entre la facturation et la

réalité des encaissements réalisés, sens de l'injonction que nous avons reçu de notre donneur

d'ordre et seul client ».

Il résulte toutefois de ce libellé que la SNJH s'était bornée à informer son partenaire d'une

augmentation des résiliations d'abonnement ces derniers mois, alors que le système de

facturation est basé sur des abonnements annuels.

Elle a donc simplement demandé à la SPDP d'être plus rigoureuse sur la qualité des

abonnements recueillis, ce qui était légitime dans le cadre de relations commerciales, mais ne

constituait en aucun cas une injonction de modifier les contrats des VRP comme le soutient

M. WATELLE.

Il ne s'agit pas d'une immixtion abusive dans la gestion sociale de son co-contractant.

LA RÉUNION DU 19 MAI 2011

Il résulte de plusieurs attestations que lors de celle-ci, M. LAURENT, président du conseil

d'administration de l'HUMANITÉ, a insisté sur la nécessité pour la SPDP de revenir à une

situation équilibrée, peu important que cela se traduise par une modification des contrats ou

même des licenciements.

S'il s'agit là d'une immixtion dans la gestion de son partenaire, elle s'est bornée à des

généralités et n'a pas eu le temps d'entraîner des décisions concrètes (la proposition de

modification du contrat est antérieure puisqu'elle est du 12 avril 2011 et la liquidation

judiciaire sera prononcée un peu plus d'un mois après).

Les autres éléments invoqués sont indifférents pour justifier une confusion de direction.

Cette immixtion unique dans de telles conditions ne suffit pas pour caractériser une confusion

de direction privant la SPDP de toute autonomie.

En conclusion, 2 des critères du co-emploi n' étant pas remplis, il sera écarté.

Commentaire : Une caractérisation de plus en plus complexe du co-emploi

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Les frontières entre les entités d’un groupe sont de plus en plus factices. A cet égard, la

théorie du co-emploi permet d’identifier parmi ces entités un autre employeur s’ajoutant à

celui figurant dans le contrat de travail. On parle alors de co-employeurs.

Cette notion n’est pas nouvelle87

. Il s’agit d’établir, que l’employeur ne dispose d’aucune

autonomie de décision et que l’autorité qu’il exerce sur son personnel est partagée avec un

autre qui lui dicte sa conduite, notamment dans la gestion de son personnel. C’est en général

l’immixtion de la société mère dans la gestion économique et sociale de sa filiale que l’on

cherche à démontrer. Cette notion se distingue de l’UES qui permet d’établir un ensemble

économique et social ayant une complémentarité d’activité, une communauté de pouvoirs et

de direction et non la simple immixtion d’une société dans une autre.

La chambre sociale de la Cour d’appel d’Orléans a statué su ce thème dans sa décision du 5

juin 2014. Elle refuse d’abord l’assimilation des notions de co-emploi et d’UES puis écarte en

l’espèce le co-emploi, ses critères n’étant pas remplis.

1- Sur l’articulation entre co-emploi et UES

Les entreprises peuvent être constituées d’un seul établissement, de plusieurs établissements,

parfois reconnus comme des établissements distincts, ou bien encore, former un regroupement

de personnes morales distinctes, une réalité juridique plus complexe. En droit du travail, le

juge est vigilant. Car il est parfois opéré un découpage frauduleux d’une entreprise en

plusieurs sociétés dans le but de ne pas atteindre le seuil d’effectif rendant obligatoire la mise

en place des institutions représentatives du personnel. C’est dans ce cadre que la

jurisprudence a été conduite à reconnaître la notion d’unité économique et sociale (UES) dont

l’essence même est d’assurer une représentation des intérêts communs des salariés

appartenant à une même communauté de travail. La notion a par la suite été consacrée par le

législateur.

Or, dans cette affaire, se posait la question de l’articulation de cette notion avec celle de co-

emploi. Le Conseil des prud’hommes avait en effet déduit de l’existence de l’UES, une

situation de co-emploi. Cette assimilation des deux notions a été fermement rejetée par la

Cour d’appel en ses termes : « C'est à tort que le conseil des prud'hommes a déduit la

situation de co-emploi (allant même jusqu'à considérer que la SNJH était l'employeur «

principal » !) du seul fait que l'existence d'une unité économique et sociale avait été

reconnue ». Les deux concepts ne sont pas à assimiler. La Cour d’appel suit, ici, la position de

la Cour de cassation pour qui l’UES ne peut, à elle seule, entraîner une situation de co-

emploi88

.

La solution inverse se serait inscrite dans l’ancienne ligne jurisprudentielle favorable au co-

emploi. En effet, une interprétation large de cette notion a prévalu quelques années depuis les

fameux arrêts « Jungheinrich » du 18 janvier 201189

. Les groupes de sociétés en étaient les

principales victimes notamment du fait de l’appréciation large faite par les juges du fond du

critère « d’immixtion anormale »90

. Ce phénomène apparaissait principalement en cas de

licenciements économiques. L’absence d’autonomie de la filiale par rapport à sa maison mère

et l’immixtion de la société mère dans la gestion de sa filiale suffisaient alors à caractériser le

co-emploi. Alors pourquoi pas l’UES ? L’objectif de l’UES est avant tout de faire échec aux

divisions artificielles de certaines entreprises pour éviter les effets de seuils en matière de

représentation du personnel et non de rendre compte de l’immixtion d’une société dans une

autre, ce que tend à établir le co-emploi. Les deux notions sont distinctes. Tirer l’existence de

l’une du seul fait de la reconnaissance de l’autre aurait eu pour effet de nier leur spécificité.

87

Cass., soc., 21 oct. 1998, n° 96-45.863. 88

Cass., soc.22 novembre 2000, n°98.42-229 89

Cass., soc. 18 janvier 2011, n°09-69.199 90

CA d’Amiens, 30 septembre 2014, n°13/05612

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La Cour d’appel, se garde ainsi d’ouvrir à nouveau la porte à de nombreux recours. On ne

peut que s’en féliciter et ce, d’autant plus que la caractérisation de l’UES a, dans cette affaire,

été rejetée par la Cour de cassation suite au pourvoi de la société SNJH91

.

2- Sur la détermination de la situation de co-emploi à partir des méthodes traditionnelles

Pour caractériser le co-emploi, deux méthodes sont appliquées traditionnellement par les

juges. La première étroite, et directement inspirée de l’arrêt Société Générale de 199692

,

consiste à faire état d’une relation de subordination entre un salarié et un autre employeur que

celui figurant sur le contrat de travail, en caractérisant le pouvoir de contrôle, de direction et

de sanction de ce dernier sur le salarié. La seconde méthode, est celle de la triple confusion.

La situation de co-emploi doit alors résulter d’une confusion d’intérêts, de direction et

d’activités entre l’employeur initial et le potentiel co-employeur.

A titre d’illustration, on peut citer l’arrêt du 11 juillet 2000 de la Cour de cassation dans

lequel elle admet clairement et de manière alternative les deux méthodes : « Qu'en statuant

comme elle l'a fait, sans rechercher s'il n'existait pas entre les diverses sociétés appartenant

au groupe Bata une confusion d'intérêts, d'activités et de direction […]ou si un lien de

subordination de M. B... n'était caractérisé qu'à l'égard de la société Zimbabwe Bata Shoe

company limited, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision »93

.

L’admission du co-emploi étant opportune pour le salarié en ce qu’elle entraine la charge

d’obligations pour le co-employeur, c’est à une application jurisprudentielle large de cette

seconde méthode que l’on a assisté pendant plusieurs années et ce, au travers notamment de

l’arrêt « Jungheinrich » précité. Florence Aubonnet, dans son commentaire de l’arrêt insiste

d’ailleurs sur la largesse de cette méthode en notant que l’arrêt « s'inscrit dans une évolution

du contentieux des licenciements collectifs, tendant, pour les salariés licenciés et leurs

conseils, à aller chercher une société solvable, en mesure de supporter des condamnations

souvent lourdes »94

.

Or, ici la Cour d’appel use encore de cette dernière méthode. Elle rejette d’abord l’application

de la première méthode pour caractériser la situation de co-emploi : « Il n’est pas exigé qu’il

existe un lien de subordination entre l’entité recherchée comme co-employeur et le salarié ».

Le lien de subordination semblait pourtant être un critère pertinent pour la caractérisation du

co-emploi. La Cour d’appel privilégie donc l’application du critère de la triple confusion,

suivant ainsi le mouvement opéré par la Cour de cassation.

Cependant, en l’espèce, la Cour d’appel ne s’emploie pas à une appréciation large de la

méthode, bien au contraire. Elle estime, que s’il y a bien confusion d’intérêts entre les deux

sociétés du fait de l’intérêt principal commun constitué par la vente de journaux, il n’y a en

revanche pas de confusion d’activités, celles-ci n’étant que complémentaires. Il n’y a en sus,

selon elle, pas de confusion de direction, la gestion par un dirigeant commun durant un peu

plus de deux mois n’étant pas un critère révélateur d’une telle confusion. Or, on peut ici se

demander comment apprécier le délai nécessaire de gestion commune pour admettre une

confusion de direction. Dès lors, la Cour d’appel considère non rempli le critère de la triple

confusion. Elle décide en toute logique, que le co-emploi n’est pas caractérisé. Pourtant, c’est

dans le sens inverse que s’est prononcée la Cour de cassation pour des faits similaires dans un

arrêt du 18 avril 200095

. En effet, la Cour de cassation avait reproché à la Cour d’appel de ne

pas avoir vérifié si, s’agissant d’un salarié invoquant le co-emploi entre la société d’éditions

91

Cass., soc.22 octobre 2014, n°13.18-429 92

Cass., soc.13 novembre 1996, n°94-13.187. 93

Cass., soc.11 juillet 2000, n°98-40.146. 94

F. Aubonnet, De l’utilité de la notion de coemployeur, JCP E, 2011, 1291. 95

Cass., soc.18 avril 2000, n°97.43-743.

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qui l’avait embauché et la société éditrice qui avait mandaté la société d’éditions, celle-ci

n’avait pas exercé à l’égard du salarié « les pouvoirs de contrôle et de direction inhérents à la

qualité d’employeur et si, dans l’affirmative, cette société n’était pas coemployeur du salarié

avec la société d’éditions ». On peut alors voir ainsi derrière ces décisions, une certaine

casuistique, qu’il apparaît complexe pour l’employeur d’anticiper.

Une autre vision de l’arrêt ici commenté peut être proposée : la Cour d’appel ne fait-elle pas

une application stricte du critère de la triple confusion. Cette dernière proposition permet

d’inscrire l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans dans le nouveau mouvement jurisprudentiel qui

répond aux craintes exprimées envers l’interprétation extensive de la notion. Ainsi l’arrêt du 5

juin 2014 s’inscrit sans doute dans un durcissement de l’appréciation du critère de la triple

confusion. L’arrêt « Molex » de la Cour de cassation du 2 juillet 201496

en est véritablement

la consécration. Pour certains, il s’agit clairement de la « consécration d’une conception

stricte de la notion de co-emploi »97

. Dans cet arrêt, les juges du fond ont été censurés au

motif que les éléments relevés ne suffisaient pas à caractériser le co-emploi et que la triple

confusion doit dépasser la coordination des activités économiques entre les sociétés d’un

groupe. Ainsi, les juges du fond sont incités à examiner chaque situation très attentivement et

à accorder de plus en plus d’importance à l’immixtion dans la gestion économique et sociale.

Avec notre présent arrêt, on note donc qu’un durcissement probable des conditions du co-

emploi est en cours chez les juges du fond, un durcissement qui pourrait s’avérer bien heureux

pour les employeurs soucieux devant le risque d’abus de la notion.

Clémence PAILLAC

3) CDD

Cour d’appel d’Orléans 11 juillet 2004, n°13/01552

Résumé

Un salarié est embauché au sein d’une entreprise de presse dans le cadre de 215 contrats à

durée déterminée (CDD) à temps partiel ou à temps plein à compter du 5 octobre 1999 et

jusqu’en janvier 2012. Le 16 mai 2012 le salarié saisit le conseil des prud’hommes afin

d’obtenir la requalification des contrats de travail en contrat à durée indéterminée (CDI) et en

tirer les conséquences indemnitaires. Le juge prud’homal ordonne la requalification.

Le 14 mai 2013 l’employeur fait appel. Selon ce dernier, les demandes relatives aux salaires

antérieurs au 16 mai 2007 sont prescrites en vertu de la prescription quinquennale alors

encore en vigueur. Surtout l’employeur prétend que seul le dernier CDD peut faire l’objet

d’une requalification au motif qu’à chaque signature d’un nouveau contrat le salarié a renoncé

à demander la requalification des contrats antérieurs. Quant aux effets de la requalification,

l’employeur considère que le rappel de salaire des jours non travaillés séparant chaque contrat

suppose la preuve que le salarié s’était tenu à la disposition de l’employeur pendant cette

période ; en l’espèce aucune preuve n’est rapportée.

Extraits

96

Cass., soc. 2 juillet 2014, n°13-15208. 97

G. Dedessus-Le-Moustier, Affaire Molex : consécration d’une conception stricte du coemploi, JCP E 2014,

act. 571.

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« La notification du jugement est intervenue le 8 mai 2013, en sorte que l'appel principal,

régularisé au greffe de cette cour, le 14 mai suivant, dans le délai légal d'un mois, s'avère

recevable en la forme, comme l'appel incident du salarié, sur le fondement des dispositions de

l'article 550 du code de procédure civile.

1° sur la prescription quinquennale alléguée.

Il est constant que toute demande de rappel de salaires et de congés payés est prescrite pour

une période antérieure à cinq ans, au-delà de la saisine du conseil des prud'hommes, en

application des articles L3 245 - 1 du code du travail et 2224 du Code civil. Cette

prescription s'applique notamment à l'action tendant au versement, à la suite de la

requalification de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, de sommes

au titre de la rémunération des journées de travail non effectuées.

Dans son jugement, le conseil des prud'hommes de Tours n'a ordonné la requalification qu'à

compter du 16 mai 2007 puisque l'action de Monsieur F. avait été introduite devant lui le 16

mai 2012. Mais il n'en a pas tiré toutes les conséquences au point de vue des calculs.

Il convient de noter que les parties sont d'accord toutes deux sur cette analyse puisque le

salarié a conclu à la confirmation du jugement qui n'avait retenu la requalification en contrat

à durée indéterminée qu'à compter du 16 mai 2007. Au besoin, la cour rappellera cette règle

de droit intangible qui doit être comprise dans tous ses effets.

2° sur la demande de requalification des CDD en CDI.

A) sur les problèmes des principes procéduraux.

La société considère que la conséquence de la signature d'un contrat à durée déterminée est

d'emporter, sur le plan juridique, renonciation à se prévaloir des effets du précédent contrat à

durée déterminée et à formuler une demande de requalification, lorsque le salarié a

régularisé, à nouveau, un contrat de ce type. Elle affirme que le salarié peut renoncer à se

prévaloir de l'irrégularité du contrat à durée déterminée. Cependant, le droit à

requalification s'inscrit dans le code du travail comme une règle d'ordre public qui l'emporte

sur les dispositions générales du Code civil et cette règle d'ordre public s'impose aux parties

et aux conventions établies entre elles.

La cour saisit mal les raisons pour lesquelles le salarié aurait dû renoncer à se prévaloir de

l'irrégularité alors que l'invocation de celle-ci peut lui conférer des droits nouveaux et

indemnitaires. En effet, la signature de contrats à durée déterminée résulte d'une situation

précaire pour le salarié à souscrire les contrats durée déterminés qui lui sont proposés. Et la

situation s'avère inégale entre le salarié, d'une part de condition modeste, qui accomplit un

travail de courte durée qui va lui permettre de subsister et qui n'a guère le choix de l'emploi,

et, d'autre part, celui de l'employeur qui maîtrise l'outil économique de l'embauche dans les

conditions de temps et de rémunération qu'il déterminait lui-même qu'il propose au salarié

qui finit par y acquiescer.

Le salarié ne peut renoncer à la réparation d'un vice dont il n'a pas connaissance alors que

l'article six du Code civil ne saurait, en tout état de cause empêcher que les règles résultant

d'un ordre public de protection viennent compléter les règles générales du Code civil. À cet

égard, aucune pièce ne démontre que la société est informée des conditions exactes des

renonciations qui seraient contenues dans certains contrats à durée déterminée et dans cette

mesure cette mention ne peut que rester inopérante. De fait, à compter du mois d'octobre

2010, la société a fait signer à ce salarié une clause selon laquelle il renonçait à se prévaloir

d'une action contre elle concernant le CDD et il renonçait à toute requalification. Faute de

pouvoir démontrer qu'elle l'a informé des droits qu'il abandonnait par cette renonciation et

qu'il a agi ainsi en toute connaissance de cause, la société ne peut se prévaloir de cette clause

léonine imposée à son salarié. En effet, il s'agit du contrat d'adhésion, rédigé par la société

qui le remet à signer au salarié et qui n'a aucune possibilité réelle d'en discuter le contenu, eu

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égard à la faiblesse de sa position où il se met, s'il refuse, le risque étant grand que les CDD

ne soient plus renouvelés et qu'ainsi il perde toute possibilité de travail.

Il est opportun de souligner qu'il est né en 1952 et que ses CDD successifs ont duré plus de

12 ans.

Par ailleurs, avant octobre 2010, rien ne prouve que le salarié avait entendu renoncer à toute

action revendicative à l'égard de la société en signant un nouveau CDD, puisque la

renonciation à un droit ne se présume pas et doit s'établir clairement.

Pour toutes ces raisons, la cour repoussera comme mal fondées ces exceptions

d'irrecevabilité

B) sur la législation applicable.

Il est invoqué les principes UNIDROIT qui résulteraient d'une jurisprudence européenne qui

s'impose aux juridictions françaises. En l'espèce l'arrêt invoqué concernait un litige à

consonance plutôt commerciale transfrontière alors que la procédure pendante devant cette

cour n'est régie que par la loi française, sans aucun élément d'extranéité pouvant susciter une

discussion à ce propos.

Dans un arrêt Kücük du 26 janvier 2012 la cour de justice de l'union européenne note que

lors de l'appréciation de la question de savoir si le renouvellement des coûts des contrats ou

des relations de travail à durée déterminée est justifié par une raison objective, les autorités

des états membres, dans le cadre de leurs compétences respectives, doivent prendre en

compte toutes les circonstances de la cause, y compris le nombre et la durée cumulée des

contrats ou des relations de travail à durée déterminée conclues dans le passé avec le même

employeur.

Plus loin, elle relève que ce recours successif aux contrats à durée déterminée peut être

considéré comme une source potentielle d'abus au détriment des travailleurs. Il en ressort que

l'arrêt ne permet aucunement à l'employeur de recourir abusivement aux CDD.

L'article L. 1242 - 2 du code du travail dispose qu'un contrat de travail à durée déterminée ne

peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise temporaire et seulement dans les

cas suivants : remplacement d'un salarié en cas d'absence, et accroissement temporaire de

l'activité de l'entreprise...

La jurisprudence constante de la Cour de Cassation prohibe l'utilisation d'un seul contrat à

durée déterminée pour le remplacement de plusieurs salariés, même de manière successive.

En l'espèce, dès le second contrat à durée déterminée, numéro 377 du 2 mai 2000, la société

contrevient manifestement aux dispositions précitées qui se retrouvent pour quatre contrats

de l'année 2000:377, 772,807 et 875 pour tous les contrats de l'année 2000 et, pour tous les

contrats de l'année 2002 à l'exception du numéro 658, pour huit contrats de l'année 2003, 6

contrats de l'année 2004, tous les CDD datés de 2005, 7 contrats de l'année 2006, 6 contrats

de l'année 2007, 7 contrats de l'année 2008 et le contrat numéro 40 de l'année 2009.

Par ailleurs, l'employeur a utilisé très fréquemment le système d'une annexe non visée par le

salarié qui n'est ni paraphée par les parties ce qui offre peu de garanties de sécurité et ne

peut être considérée comme incorporée aux contrats à durée déterminée signés par lui.

En outre, la société a fait signer des avenants au salarié après le terme des contrats à durée

déterminée dont ils sont la suite pour modifier les horaires de travail initialement convenus

ou régulariser un supplément de jours de travail non initialement convenu.

Par exemple, le contrat 27 de l'année 2005 et datée du 31 janvier n' a été soumis à la

signature du salarié que le 4 février suivant. L'avenant au contrat 158 du 2 mai 2005 ne lui a

été remis pour signature que le 4 mai alors que le précédent contrat avait expiré le 30 avril.

Les mêmes procédés ont été utilisés pour le contrat 213 du 1er juin soumis à la signature le 2

juin 2005 alors que le contrat sur lequel cet avenant s'appuyait était terminé depuis le 31 mai.

De même encore pour l'avenant au contrat 661 du 2 janvier, remis pour signature le 3 janvier

alors que le contrat avait expiré le 31 décembre.

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75

La même irrégularité existe sur les avenants des contrats 160,2 00,2 56, 3 24, 3 89,416 et 611

de l'année 2006 et sur les avenants aux contrats 112,1 48,4 99,5 42,5 99,3 89,416, et 611 de

l'année 2007.

Pour l'année 2008 il s'agit des contrats 40,219 et 545 et pour 2009 l'avenant au contrat 121.

Ainsi l'employeur tenta-t-il de modifier un contrat qui n'existe plus à la date où l'avenant est

remis au salarié pour signature.

La modification des horaires doit être annoncée au moins sept jours à l'avance et la

modification de ceux-ci, sans respecter les délais de prévenance, revient selon la Cour de

Cassation, à rompre le contrat sans cause réelle et sérieuse. En l'espèce les contrats qui lui

étaient proposés ne contenaient aucune indication quant au délai de prévenance. Par ce

biais, de fait, la société s'est affranchie de la réglementation relative aux heures

complémentaires et surtout a tenu le salarié constamment à sa disposition puisqu'il n'a pas

été en mesure de prévoir ses horaires de travail.

Toutes les carences multipliées au cours de ces années constituent autant de violations du

droit du travail qui doit être sanctionné par la requalification de tous les contrats à durée

déterminée à compter du 16 mai 2007 jusqu'au 30 janvier 2012 en contrat à durée

indéterminée puisque ce salarié a cantonné ses demandes à partir seulement du 16 mai 2007.

3° sur la requalification en contrat de travail à temps plein.

Il convient de rappeler qu'assez régulièrement, soit 215 fois en un peu plus de 11 ans, la

société a fait appel à ce salarié pour des contrats à durée déterminée qui se succédaient selon

une cadence assez rapprochée et qui permettaient, pour lui, de consacrer environ 104 heures

par mois à cette entreprise de presse, alors que la moyenne conventionnelle est de 146

heures. Comme à ces contrats à durée déterminée s'ajoutaient des avenants avec les

irrégularités stigmatisées plus haut, il est clair que cet homme déjà quinquagénaire ne

pouvait organiser un emploi du temps professionnel autre et qu'il devait ainsi se tenir en

permanence à la disposition de la société qui lui faisait accomplir également des heures de

nuit.

Dans ces conditions, la requalification en contrat de travail à temps plein s'impose. Au total,

du 16 mai 2007 au 30 janvier 2012, il a travaillé 56 mois dont il n'a pas effectué 42 heures

par mois en sorte que la société lui devra 56x42 égale 2352 heures.

Les parties, devant la cour, s'avèrent contraires quant au taux horaire. Eu égard aux bulletins

de salaire fournis, il convient de retenir un taux moyen de 16,03 euros de l'heure, mais il est

nécessaire d'y ajouter le 13e mois et les avantages concédés selon les bulletins de salaire

correspondant aux heures de nuit et aux heures complémentaires. Tout bien considéré, la

cour arrêtera à 20 € l'heure moyenne horaire. 56 X 42 X 20 € égale 47 040 € . Comme ce

calcul a intégré les congés annuels, chaque année ayant été comptabilisée pour 12 mois, il n'y

a pas lieu d'y ajouter les congés payés, ni la prime de 13e mois, incluse.

Il est dû un mois de salaires au titre de l'indemnité de requalification soit 2456,05 euros

comme les premiers juges l' ont apprécié.

4° sur la rupture et ses conséquences.

Dans la mesure où les CDD ont été requalifiés en contrat à durée indéterminée à compter du

16 juin 2007, il est opportun de constater que Monsieur F. a été congédié à 60 ans sans que

soit utilisée la procédure protectrice du licenciement, en sorte que la cour doit considérer que

la rupture est intervenue sans cause réelle et sérieuse, avec toutes ses conséquences de droit.

Il est donc dû une indemnité de préavis de 4912,10 € et les congés payés afférents de 480,21 €

puisqu'il était présent depuis plus de deux ans dans une entreprise de plus de 11 salariés. En

outre en raison de sa présence depuis plus de 11 ans une indemnité de licenciement sera

confirmée à hauteur de 4853,17 €.

Les dommages intérêts ne peuvent pas être inférieurs à six mois de salaires dans ce cas là. À

l'audience, ce salarié a reconnu qu'il avait été admis au régime de la préretraite dès le mois

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RJP 2015-1 (Novembre)

76

de mai 2012. Son préjudice sera indemnisé par une somme qui ne dépassera donc six mois de

salaires soit 14 736,30 € .

La somme de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile accordée en

première instance sera maintenue et il faut ajouter une autre somme de même montant pour

les frais exposés en appel à ce titre. Dans la mesure où la société succombe dans la presque

totalité de ses demandes, sera rejetée sa prétention à une somme de 3000 € sur le fondement

de l'article 700 précité.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe

- REÇOIT, en la forme, l'appel principal de la société NOUVELLE REPUBLIQUE DU

CENTRE OUEST et l'appel incident de Monsieur André F.

- au fond,

CONFIRME le jugement déféré (conseil des prud'hommes de Tours, section de l'industrie, 6

mai 2013) sur le rejet des fins de non-recevoir et le constat de la prescription de toute

demande antérieure au 16 mai 2007 et sur la condamnation de la société à régler les sommes

suivantes au salarié : - 2456 ,05 d' indemnité de requalification - 4912,10 € d'indemnité de

préavis et 491,21 € de congés payés afférents - 4853,17 € d' indemnité de licenciement - 1000

€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et - sur la remise des documents de

rupture habituelle sous astreinte de 20 € par jour de retard à compter 30e jour après la

notification de l'arrêt l'astreinte étant cependant liquidée éventuellement par cette cour

- MAIS L'INFIRME pour le surplus et, STATUANT À NOUVEAU,

- CONDAMNE la société de manière supplémentaire à lui régler les sommes suivantes : - 47

040 € au titre de la requalification des CDD en contrat de travail à durée indéterminée à

temps plein, cette somme incluant la prime de 13e mois et les congés payés afférents - 14 736

€ 30 de dommages intérêts pour rupture abusive - 1000 € au titre de l'article 700 du code de

procédure civile pour les frais exposés en appel

- CONDAMNE cette société aux dépens d'appel. »

Commentaire : La conclusion de nouveaux contrats à durée déterminée n’entraine pas

la renonciation au droit à la requalification du contrat de travail

Dans cette affaire, les juges estiment que « le droit à requalification s'inscrit dans le code du

travail comme une règle d'ordre public » (1). A ce titre, ils octroient à la clause de

renonciation insérée dans le contrat de travail la nature d’une clause léonine, conduisant à la

requalification des contrats à durée indéterminée (2).

1.Le droit à la requalification, une règle d’ordre public

En l’espèce, à partir d’octobre 2010, la société faisait signer au salarié une clause de

renonciation à intenter une action en requalification. Pour cette raison, elle considérait que le

salarié renonçait à son droit de se prévaloir d’une requalification du contrat à durée

déterminée conclu précédemment. Un salarié peut-il valablement limiter son droit à la

requalification de son contrat de travail à durée déterminée ? Les juges de la Cour d’Appel

d’Orléans apportent une réponse négative à cette question. En effet, ils donnent au droit à la

requalification la nature de règle d’ordre public.

La notion d’ordre public en droit social est assez floue et compliquée. La doctrine considère

que cette notion est imprécise lorsque l’on sort du domaine de l’intérêt général. Ce flou qui

entoure la notion en droit social est dû notamment au principe de faveur qui régit le droit

social. Le principe de faveur permet aux parties de déroger aux dispositions d’ordre public

dans un sens plus favorable au salarié. Les solutions relatives à cette notion d’ordre public

social relèvent de la casuistique, de ce que peuvent prévoir les conventions et clauses

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contractuelles. Une règle d’ordre public est une règle obligatoire à laquelle on ne peut

déroger. Elle touche à l’organisation de la Nation, à l’économie, à la morale, à la santé, à la

sécurité, à la paix publique, aux droits et aux libertés essentielles de chaque individu. Elle est

destinée à régir les relations entre les personnes. Dans le cadre du droit social, une telle règle

a pour objet de prévoir les relations entre le salarié et l’employeur, ou selon les circonstances

entre les salariés, à garantir les droits sociaux fondamentaux des salariés. Ainsi, parce qu’elles

sont d’ordre public, on ne peut y déroger de quelque manière que ce soit, pas même par une

stipulation contractuelle.

Le droit à requalification du CDD est un droit fondamental auquel la signature d’une clause

de renonciation par le salarié ne peut déroger, le salarié ne peut donc renoncer à ce droit de

saisir le juge pour faire valoir ses droits. Le caractère d’ordre public reconnu à ce droit à la

requalification lui permet de l’emporter face à des règles de droit qui pourraient s’y opposer.

Cette importance donnée au droit à la requalification s’explique notamment par la situation

précaire connue que confèrent les contrats à durée déterminée. En effet, le fait de pouvoir

invoquer l’irrégularité qui résulterait de la signature d’un contrat à durée déterminée octroie

au salarié de nouveaux droits ainsi que la possibilité d’obtenir des indemnités. Il serait

contraire à l’idée de protection des salariés que ceux-ci puissent renoncer à s’en prévaloir.

En mettant en exergue le caractère d’ordre public du droit du salarié à la requalification de

son contrat de travail à durée déterminée, les juges octroient à la clause de renonciation

insérée dans le contrat de travail la nature d’une clause léonine.

2. La clause de renonciation : une clause léonine

Le contrat de travail ne doit contenir aucune clause expressément prohibée par la loi ou

contraire à l’ordre public. Ainsi, la jurisprudence prohibe toute clause par laquelle un salarié

renonce directement ou indirectement à un droit qu’il tire de la loi. Ces clauses sont nulles98

.

Ces clauses sont interdites et donc inopposables au salarié. Par conséquent, la signature d’une

telle clause ne peut conduire le salarié à renoncer au droit à la requalification du contrat de

travail. En l’espèce, les juges de la Cour d’appel d’Orléans considèrent qu’une clause de

renonciation à toute possibilité de requalification du contrat de travail à durée déterminée est

léonine. A ce titre, elle est donc inopposable au salarié. Pour rappel, la clause léonine se

définit comme une clause qui fait naitre une situation de déséquilibre entre les parties. En

effet, le salarié se retrouve dans une situation précaire dès lors qu’il n’a d’autre choix que de

signer cette clause, par peur de ne pouvoir continuer de travailler, il perd son droit de saisir le

juge en présence d’irrégularités.

Les juges ont-ils fait un lien entre le caractère léonin de la clause et le consentement (vicié) du

salarié ? La Cour d’appel reproche à la société ne pas avoir informé son salarié des effets

d’une telle renonciation et qu’ainsi, il ne pouvait avoir signé en toute connaissance de cause.

En effet, à aucun moment le salarié n’a pu estimer les droits auxquels il renonçait en signant

cette clause.

Pourrions-nous estimer, a contrario, que la pleine connaissance du salarié des effets d’une

telle clause n’aurait pas eu pour effet de vicier son consentement et surtout de ne pas invalider

la clause ? L’interrogation ne semble pas dénuée de sens puisque les juges du fond semblent

insinuer que si la société avait informé le salarié des conséquences d’une telle renonciation,

cette clause aurait pu produire tous ses effets. Une telle analyse, cependant, nous paraît

douteuse, et ce, pour deux raisons. D’une part, les conséquences auraient été les mêmes : le

salarié aurait signé cette clause par peur de ne pas être réembauché, portant ainsi atteinte à son

libre consentement. D’autre part, la renonciation à des droits nouveaux et des indemnités

98

Cass.soc , 12 juillet 2005, n°03-45.394 : s’agissant d’une clause par laquelle le salarié renonçait à l’avance à se

prévaloir des règles applicables au licenciement.

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potentielles aurait pour conséquence d’affaiblir le caractère d’ordre public octroyé au droit à

la requalification, et d’accorder ainsi une valeur supérieure à la convention.

Dans l’hypothèse où la renonciation au droit de se demander la requalification aurait été

admise par les juges, la question de la requalification des contrats de travail aurait aussi pu se

poser pour les contrats conclus avant octobre 2010. Cependant dans ces contrats le salarié

n’avait pas signé de clause de renonciation. Or la renonciation à un droit ne peut être tacite.

La preuve de la renonciation devait alors être rapportée. En l’espèce, rien ne permet de

démontrer que le salarié renonçait à se prévaloir du droit à la requalification. Cependant, on

peut noter que l’action concernant les contrats antérieurs à octobre était prescrite. Le délai de

prescription était de 5 ans à compter du moment où l’intéressé à eu connaissance ou aurait dû

avoir connaissance des faits (2 ans depuis la loi de sécurisation de l’emploi), l’indemnité

demandée ayant le caractère de dommages-intérêts.

La clause de renonciation privée d’effet, les juges pouvaient examiner s’il y avait lieu à

requalification. Compte-tenu des différentes irrégularités rencontrées en l’espèce, les juges du

fond confirment la requalification du contrat de travail à durée déterminée à temps partiel en

contrat de travail à durée indéterminée à temps complet. Une telle solution tire son fondement

de plusieurs causes.

D’une part, la violation des dispositions de l’article L. 1242-2 du code du travail relatives cas

de recours possibles au contrat à durée déterminée : surcroit d’activité ou bien encore du

remplacement d’un salarié. A ce titre, il faut rappeler qu’un seul contrat à durée déterminée ne

peut avoir pour objet le remplacement de plusieurs salariés, quand bien même ces

remplacements se succèdent. En effet, si le salarié doit procéder à plusieurs remplacements,

un contrat doit être conclu pour chaque remplacement. Ainsi, entre deux contrats conclus, il

est nécessaire de respecter un délai de carence, afin que chaque remplacement corresponde à

un contrat. Conformément à la jurisprudence constante99

, la sanction du non-respect de ces

dispositions est la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée

indéterminée.

D’autre part, la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée

indéterminée était inévitable. En effet, l’employeur dans les contrats n’avait pas pris la peine

d’introduire des dispositions relatives au délai de prévenance et n’a donc pas respecté la

législation en vigueur. L’employeur n’avait pas respecté le délai de prévenance de 7 jours qui

doit précéder le changement de rythme de travail, ce qui pour la Cour d’appel est une cause de

requalification des contrats de travail.

Plusieurs irrégularités entourent donc la signature des contrats de travail, ce qui conduit les

juges à répondre favorablement à la demande en requalification du salarié.

Les juges de la Cour d’appel estiment donc que le droit à la requalification du contrat de

travail est une règle d’ordre public à laquelle une clause du contrat de travail ne peut déroger,

sous peine d’être qualifiée de léonine, ne produisant ainsi aucun effet, ce qui permet au salarié

d’agir en justice pour demander la requalification du contrat pour différentes irrégularités.

Anne-Laure COLLAS

99

Cass, soc., 30 septembre 2014, n° 13-18162

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3) Rupture du contrat de travail, résiliation amiable et transaction

CA Orléans, 22 mai 2014, n°13/00120

Un salarié embauché dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée conclu le 28 octobre

2005 avec son employeur une rupture amiable par un acte de résiliation conventionnelle,

comprenant une clause de renonciation à tout recours. Le 26 janvier 2012, le salarié saisit le

Conseil des Prud’hommes de Blois afin de contester la rupture de son contrat de travail et

solliciter la condamnation de son ancien employeur à lui régler diverses sommes. Ne

reconnaissant pas l’existence d’une requalification de la rupture du contrat de travail ayant les

effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la Cour d’Appel d’Orléans, le 22 mai

2014, confirme le jugement rendu par la juridiction inférieure aux motifs que l’acte conclu par

les parties n’est pas une transaction mais un acte de rupture amiable du contrat de travail.

Extraits

« L'article 2044 du Code civil édicte que la transaction est un contrat par lequel les parties

terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être

rédigé par écrit.

L'accord de résiliation conventionnelle litigieux expose que pour des raisons de convenance

personnelle, à savoir créer un cabinet de courtage d'assurance immatriculé au registre du

commerce et des sociétés de Blois sous le numéro 484 279 0 21, dont la vocation sera de

collaborer avec la société AVIVA VIE, Monsieur Gilles AVENARD s'est déclaré désireux de

mettre fin au contrat de travail qui le lie à la société AVIVA VIE. De son coté, cette société a,

dans ces conditions, indiqué à ce salarié qu'elle n'entendait nullement faire obstacle à son

départ anticipé.

Il est convenu entre les parties ce qui suit :

- d'un commun accord, le salarié cesse définitivement d'exercer sa fonction salariée de

responsable départemental au sein du réseau AVIVA Épargne et conseil et quitte la société le

31 octobre 2005 sans effectuer de préavis et il reconnait expressément ne pouvoir prétendre à

aucune indemnité compensatrice de ce préavis non effectué du fait de la présente résiliation

conventionnelle.

- La société lui a versé une somme de 18'180,91 euro correspondant au montant de son solde

de tout compte au 31 octobre 2005, dont il donne quittance du versement à la société.

- Moyennant le règlement de cette somme, il se déclare intégralement rempli de ses droits tels

qu'ils résultent de sa collaboration passée avec la société AVIVA VIE et de son contrat de

travail, de l'application de la convention collective nationale de l'inspection d'assurance et

des différents textes législatifs et règlementaires applicables à l'espèce ainsi que de tous

accords d'entreprise.

En conséquence, il déclare n'avoir aucune réclamation d'aucune sorte à formuler à l'encontre

de la société, que ce soit à titre de salaires quelle qu'en soit la dénomination, commissions

dues à titre et quelque titre que ce soit, congés payés, indemnités de toutes natures,

remboursement de frais, primes diverses et autres sommes ou avantages quelconques

consécutifs à l'exécution ou la résiliation de son contrat de travail, et renonce expressément à

exercer de façon directe ou indirecte tout instance ou action pouvant trouver son origine dans

le contrat de travail qui l'a uni à la société.

- Il est cependant précisé que les sommes pouvant, prorata temporis, revenir à Monsieur

AVENARD, au titre de l'intéressement et de la participation des salariés de l'exercice 2005,

lui seront versées au cours du second semestre de l'année 2006.

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80

- La société renonce expressément au bénéfice de la clause de non-concurrence insérée à la

page 10 du dernier avenant au contrat de travail du salarié du 7 avril 1997 entrée en vigueur

le 1er juin suivant. De son coté, le salarié accepte définitivement cette renonciation sans la

moindre réserve quelle qu'elle soit. Par ailleurs, dans le cadre de l'article 69 de la convention

collective nationale de l'inspection d'assurance du 27 février 1992, la société autorise, dès à

présent, le rétablissement du salarié, en qualité de salarié ou non, en quelque lieu que ce soit.

La convention précitée ne fait nullement apparaitre que, par cet acte, les parties terminent

une contestation déjà née et ou préviennent une contestation à naitre et, si les pièces

produites démontrent qu'il existait un différend entre elles, éventuellement entre le 1er

octobre 2003 et le 6 janvier 2004, aucune protestation n'émane plus de Monsieur AVENARD

après cette date, ce qui permet d'en conclure assurément que le différend s'était achevé sans

problème entre elles.

En réalité, il s'agit bien d'un acte de rupture amiable du contrat de travail qui expose

expressément les motifs de la rupture, dans son exposé préalable, puisqu'il est question des

raisons de convenance personnelle, la volonté de Monsieur AVENARD de créer un cabinet de

courtage d'assurance, d'ores et déjà immatriculé au registre du commerce et des sociétés de

Blois, dont la vocation serait de collaborer avec la société.

Il est opportun de souligner l'affectio societatis qui anime les deux partenaires, qui vont

collaborer dans un cadre nouveau à compter du 28 octobre 2005, qui éloigne définitivement

toute atmosphère hostile entre eux.

Par ailleurs, si l'objet premier d'une rupture négociée est la rupture du contrat de travail en

elle-même, rien n'interdit d'en prévoir les conséquences, ni même, éventuellement, les

contestations possibles. A cet égard, le fait d'indiquer dans l'acte de rupture que telle ou telle

partie s'interdit d'en contester les termes ou même de saisir le conseil des prud'hommes pour

ce faire, n'en fait pas, ipso facto, une transaction.

Monsieur AVENARD n'invoque pas de fraude à la loi, ni de vices du consentement.

Il s'ensuit que l'acte conclu entre les parties ne saurait être une transaction, mais bien un acte

de rupture amiable du contrat de travail passé entre deux parties capables et consentantes et

que l'acte ainsi conclu s'avère parfaitement valable puisque aucune fraude à la loi ni aucun

vice du consentement ne peut être relevé à son encontre.

Il convient d'ajouter que les relations postérieures à ce contrat entre les parties sont restées

sans nuage entre octobre 2005 et janvier 2012 soit pendant une durée de sept ans.

Il en ressort que cet accord de résiliation conventionnelle ne saurait être requalifié en

rupture du contrat de travail ayant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et

que les demandes subséquentes du salarié concernant l'indemnité de préavis et les congés

payés afférents, l'indemnité conventionnelle de licenciement, les dommages-intérêts pour

licenciement abusif et pour non-respect de la procédure ainsi qu'au titre de l'article 700 du

code de procédure civile devront être repoussée comme mal fondées.

Ainsi, cet acte a-t-il mis fin au contrat de travail qui liait les parties depuis le 27 octobre

1981.

Il y a lieu, dans ces conditions, d'approuver la décision des premiers juges qui ont débouté le

salarié de toutes ses demandes. Celui-ci a engagé une action téméraire qui a contraint la

société à faire l'avance de frais prévus par l'article 700 du code de procédure civile et, tout

bien considéré, la cour condamnera Monsieur AVENARD à payer à la société AVIVA VIE

une somme de 1000 euro, sur ce fondement pour la première instance et l'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe

- RECOIT, en la forme, l'appel de Monsieur Gilles AVENARD

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81

- au fond, REJETTE l'exception de prescription soulevée et confirme, en toutes ses

dispositions, le jugement déféré (conseil des prud'hommes de Blois, section de l'encadrement,

14 décembre 2012), sauf pour la somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile

et, statuant à nouveau sur ce point

- CONDAMNE Monsieur AVENARD à payer à la société AVIVA VIE une somme de 1000

euro sur ce fondement pour les frais exposés en première instance et en appel

- DEBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes

- CONDAMNE Monsieur AVENARD aux dépens d'appel.

Commentaire : La distinction entre une rupture amiable et une transaction

Dans l’affaire soumise à notre commentaire, les parties ont conclu une rupture amiable par un

acte de résiliation conventionnelle. A titre liminaire, il convient de distinguer la rupture

amiable de la rupture conventionnelle. En effet, rappelons qu’avant la loi du 25 juin 2008,

l’employeur et le salarié pouvaient rompre le contrat de travail à durée indéterminée de façon

amiable, dans les conditions qui n’étaient pas régies par la loi, si ce n’est l’article 1134 du

Code civil, qui permet la rupture des conventions par le consentement mutuel. La rupture

conventionnelle, dont la procédure est très formalisée, constitue un nouveau mode de rupture

du contrat de travail, qui présente des différences par rapport à la rupture d’un commun

accord : entretien préalable avec possibilité d’assistance, formulaire d’homologation de

rupture conventionnelle soumis au contrôle de la DIRECCTE, indemnité de rupture

conventionnelle, et droit aux allocations de chômage.

En venant préciser l’articulation entre la rupture amiable et la transaction (1), les juges de la

Cour d’Appel d’Orléans proposent une lecture désormais vidée de son sens par l’avènement

de la voie exclusive de la rupture conventionnelle (2).

1. Sur l’articulation entre rupture amiable et transaction

Pour le législateur, la rupture d’un commun accord et la transaction ont non seulement des

fondements légaux différents, mais également des objets distincts : la rupture négociée,

fondée sur l’article 1134 du Code civil, a pour objet « de mettre un terme au contrat de

travail », lorsque la transaction, fondée l’article 2044 du Code civil, a pour objet en revanche,

de « terminer une contestation née » ou prévenir « une contestation à naitre ».

Autrement dit, la transaction résulte de la rupture et n’a pas donc pas pour but de rompre le

contrat de travail100

. Il en résulte que la transaction succède à la rupture déjà intervenue dont

elle règle, le cas échéant, les difficultés d’exécution par des concessions réciproques. Ainsi,

l’accord qui est consécutif à une rupture déjà prononcée ne peut pas être un accord de rupture

amiable, mais une transaction101

. A l’inverse, l’accord conclu avant la rupture n’a pas valeur

de transaction102

.

Par conséquent, il n’est pas possible, au sein du même acte, de conclure un accord de rupture

et de régler les différends qui opposent les parties : il est nécessaire de disposer de deux actes

successifs, l’accord transactionnel étant toujours postérieur à l’accord de rupture définitive.

En l’espèce, les parties ont conclu un seul acte par lequel elles décident, d’une part, de rompre

le contrat de travail d’un commun accord, et d’autre part, d’organiser les conditions de la

cessation de leurs relations professionnelles. Dès lors, l’acte de rupture du contrat de travail

du salarié ne peut être analysé comme une transaction. Celle-ci aurait dû être nécessairement

100

Cass. soc., 5 décembre 2012, n° 11-15.471. 101

Cass. soc., 21 juin 1995, n° 91-45.806 ; Cass. soc., 2 décembre 1997, n° 95-42.008. 102

Cass. soc., 29 mai 1996, n° 92-45.115 ; Cass. soc., 16 juillet 1997, n° 94-42.283.

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contractée a postériori de l’acte de rupture du contrat de travail. Partant, le salarié aurait pu

saisir la juridiction prud’homale afin d’intenter une action contre son employeur pour toute

réclamation. En effet, peu important les termes de l’accord, celui-ci n’aurait pas eu pour effet

de priver le salarié d’agir en justice afin de faire reconnaître ses droits nés de l’exécution du

contrat de travail103

.

Bien qu’en l’espèce l’acte de rupture du contrat s’apparente à une rupture amiable, la solution

aurait été similaire s’agissant d’une rupture conventionnelle : une clause de renonciation à

tout recours contenue dans une convention de rupture conventionnelle est nulle mais n’affecte

pas la validité de la convention en elle-même104

. Un recours juridictionnel reste possible dans

les 12 mois de la date d’homologation de la convention105

.

A en suivre le raisonnement des juges, le salarié aurait dû avoir la pleine connaissance de la

réglementation sociale. En effet, la clause de renonciation insérée par erreur (volontaire ou

non) au sein de l’acte de rupture du contrat de travail ne valait pas acte transactionnel, et le

salarié aurait dû négocier une transaction à postériori de l’acte de rupture de son contrat de

travail. Dès lors, le salarié ne semble tirer aucun avantage de la nullité de la clause de

renonciation : l’acte de rupture amiable n’est pas remis en cause, et l’existence d’une

transaction ne peut être reconnue.

En tout état de cause, le salarié n’ayant invoqué ni une fraude ni un vice du consentement

dont il aurait pu être victime, il ne conteste dès lors pas la rupture elle-même de son contrat de

travail. Il s’ensuit que l’acte conclu entre les parties, qui ne peut être qualifié de transaction

mais simplement de rupture amiable du contrat de travail, passé entre deux parties capables et

consentantes, s’avère parfaitement valable.

2. Sur l’exclusivité d’une rupture conventionnelle

Certes, en déterminant l’articulation adéquate entre rupture amiable et transaction, les juges

de la Cour d’Appel ont fait une juste application de la jurisprudence de la Cour de Cassation.

Toutefois, rappelons qu’en l’espèce, les parties ont conclu une rupture amiable avant la loi du

25 juin 2008 qui a vu naitre la rupture conventionnelle dans le prolongement de l’ANI du 11

janvier 2008.

Aux lendemains de la consécration de la rupture conventionnelle, peut-on encore rompre le

contrat de travail dans le cadre d’une rupture amiable sans respecter les dispositions relatives

à la rupture conventionnelle ? C’est la question à laquelle ont dû répondre les juges de la

Haute Juridiction dans un arrêt du 15 octobre 2014. En effet, la Cour de cassation est venue

consacrer le caractère exclusif et incontournable de la rupture conventionnelle pour toute

rupture d’un commun accord du contrat de travail. Elle affirme désormais que, sauf

dispositions légales contraires, la rupture du contrat de travail par accord des parties ne peut

intervenir que dans les conditions prévues pour la rupture conventionnelle106

. Cette position

n’est pas étonnante, dans deux affaires concernant des parties qui avaient conclu en 2010 un

accord de rupture amiable, les juges du fond avaient pris position de manière similaire sur la

nécessité de respecter les dispositions relatives à la rupture conventionnelle.

103

Cass. soc., 16 mai 2000, n° 98-40.238 ; Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 09-40.701. 104

Cass. Soc., 26 juin 2013, n° 12-15.208. 105

Article L. 1237-14 du Code du travail. 106

Cass. Soc., 15 octobre 2014, n° 11-22.251.

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En effet, la Cour d’appel de Riom107

a considéré que « la convention de rupture ne peut

valablement rompre le contrat de travail que si elle a été conclue conformément aux

dispositions légales et si elle a été régulièrement homologuée. Le document de rupture

amiable signé par les parties n’étant pas conforme aux dispositions de l’article L1237-14 du

code du travail, ne peut être considéré comme une convention de rupture au sens de ce texte

et, n’ayant, en outre, pas fait l’objet de l’homologation requise, elle ne peut avoir eu pour

effet de rompre valablement le contrat de travail ».

D’une manière similaire, la Cour d’appel de Toulouse108

a estimé « qu’en dehors des cas

prévus par la loi, la rupture d’un commun accord du contrat de travail ne peut intervenir que

selon les dispositions d’ordre public régissant la rupture conventionnelle ».

Dès lors, si en droit civil il est possible de rompre un contrat conclu entre deux personnes par

la seule volonté commune de le faire, lorsqu'il s'agit de rompre un contrat de travail, il est

désormais nécessaire de formaliser la rupture par les dispositions de l'article L.1237-11 du

code du travail, prévoyant dans son dernier alinéa que la convention de rupture signée par les

parties au contrat de travail doit respecter les règles de la rupture conventionnelle afin de

garantir la liberté de consentement des parties.

Or, pour mettre en œuvre une rupture conventionnelle et obtenir son homologation, certaines

formalités, à peine de nullité de la convention, doivent nécessairement être respectées : tenue

d’un ou plusieurs entretiens, signature d’une convention de rupture, homologation de cette

convention par l’administration, passé un délai de rétractation109

, ou encore remise d’un

exemplaire de la convention au salarié110

. Il en résulte que désormais, toute rupture amiable

du contrat de travail d’un salarié sera automatiquement requalifiée en rupture conventionnelle

qui, au regard du non-respect de sa procédure, risquera fortement d’être annulée et requalifiée

en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elodie BRUNNER

4) Démission

Cour d’appel de Bourges 5 septembre 2014, n°13/01517

Suite à un malaise sur un chantier l’ayant conduit à une hospitalisation aux urgences, un

salarié signe le jour même sa démission et ce, après avoir été raccompagné par l’employeur de

l’hôpital à l’entreprise. Le salarié saisit alors le Conseil des Prud’hommes de Bourges pour

faire requalifier la démission en licenciement abusif et à titre subsidiaire, si la démission était

annulée, demande la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur. Le Conseil des

prud’hommes le déboute de ses demandes. Le salarié interjette alors appel en arguant du

caractère équivoque de sa démission. La Cour d’appel juge que les circonstances de la

démission du salarié entraînent son équivocité. Celle-ci doit alors être analysée en une prise

d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Extraits

La démission ne se présume pas et ne peut résulter que d'une manifestation de volonté claire

et non équivoque du salarié de mettre un terme à la relation contractuelle.

107

Cour d’appel de Riom, 12 juin 2012, n° 11-00.992. 108

Cour d’appel de Toulouse, 24 janvier 2013, n° 11-03.522. 109

Articles L. 1237-13 et suivants, article R. 1237-3 du Code du travail. 110

Cass. Soc., 6 février 2013, n° 11-27.000.

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Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation

de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son

employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la

démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une

prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse

si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission.

Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.

En l'espèce M. DIAS invoque tout à la fois une absence d'intention de démissionner, des

circonstances factuelles qui confèrent un caractère équivoque à sa démission, et un

comportement de son employeur.

Contrairement à ce que soutient l'employeur la réalité du malaise survenu sur les lieux du

travail de M. DIAS ne peut être remise en cause. Elle résulte tant de l'attestation de M.

Ferreira qui décrit ce malaise, et qui va d'ailleurs appeler les pompiers lesquels vont

conduire M. DIAS aux urgences hospitalières, que du certificat médical délivré par le service

des urgences. La circonstance que la lettre de démission de M. DIAS, non rédigée de sa main,

mais dactylographiée et signée par lui, ait été rédigée dès sa sortie de l'hôpital après que son

employeur l'ait ramené à l'entreprise, permet de considérer la réalité de l'intention de

démissionner du salarié comme équivoque. Et ce d'autant que l'employeur avait des motifs de

se séparer de M. DIAS et de le voir démissionner, lui reprochant des arrêts de travail pour

cause de maladie et des absences injustifiées, et lui ayant écrit peu de temps auparavant à ce

sujet. Il résulte de ce rappel que l'employeur a tenté de profiter d'une situation de faiblesse de

son salarié due à son état de santé pour obtenir de lui une démission que ce dernier a

contesté par la saisine du conseil des prud'hommes dans le mois qui l'a suivie.

Ces circonstances doivent dès lors être analysées en une prise d'acte de la rupture qui produit

les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé.

M. Guillaume DIAS est dès lors en droit de réclamer la condamnation de son employeur à lui

payer :

- l'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement de 1 680,91 euro,

- l'indemnité de préavis de 3 361,82 euro, outre incidence congés payés de 336,18 euro,

- l'indemnité de licenciement de 1 512,81 euro,

- et des dommages et intérêts pour licenciement abusif que la cour évalue à la somme de 10

000 euro compte tenu de l'ancienneté de M. DIAS, de son âge et de ses difficultés à retrouver

un emploi.

Il est équitable de lui allouer une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700

du code de procédure. La SARL ARC TOITURE sera condamnée à lui payer la somme de 1

500 euro à ce titre.

Par ces motifs, la Cour, INFIRME le jugement,

Statuant à nouveau,

DIT que la démission de M. Guillaume DIAS doit être analysée en prise d'acte de rupture

produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Commentaire : La démission équivoque requalifiée en prise d’acte de la rupture

La démission est un des modes de rupture du contrat de travail à durée indéterminée. Elle

permet au salarié de rompre le contrat de sa propre initiative et ce, à la condition de

manifester clairement sa volonté de démissionner. Or, c’est sur ce point qu’à dû se prononcer

la Cour d’appel de Bourges. S’agissant d’un salarié ayant démissionné juste après son retour

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d’hôpital, la démission s’avérait dénuée d’une véritable volonté de sa part. L’équivocité ne

faisant nul doute, plus délicate en revanche est la question de sa sanction.

Sur le caractère équivoque de la démission

Il est de jurisprudence constante que la volonté de démissionner ne se présume pas111

. A titre

d’illustration, la jurisprudence refuse de considérer comme démissionnaires des salariés qui se

sont engagés auprès d’un nouvel employeur en signant un nouveau contrat112

, tant elle

accorde de l’importance à l’univocité de la démission. Par ailleurs la Cour de cassation annule

les démissions qu’elle considère équivoques en ayant recours au droit commun des

obligations, et plus précisément à la théorie des vices du consentement.

En l’espèce, le salarié, victime d’un malaise, avait donné sa démission à son retour de

l’hôpital, retour au cours duquel il était accompagné de son employeur. Ainsi, profitant de la

fragilité momentanée de son salarié, l’employeur aurait bien pu user d’arguments pour le

convaincre de démissionner, d’autant que l’employeur lui reprochait ses nombreux arrêts

maladie et ses absences injustifiées et avait donc des « motifs » de s’en séparer. Et c’est

justement dans ce sens que s’est prononcée la Cour d’appel de Bourges qui estime que ces

conditions sont suffisantes pour décider de l’équivocité de la démission.

Cette décision semble bien être en adéquation avec la nécessité d’une volonté claire et

réfléchie que suppose la démission. Comment admettre la validité d’une démission faisant

suite à un séjour à l’hôpital et « souhaitée » par l’employeur ? L’admettre reviendrait à

accepter une démission donnée sous le coup de la colère ou de la faiblesse, rupture que

condamne la Cour de cassation113

.

Sur la requalification de la démission en prise d’acte de la rupture

Si la décision de la Cour d’appel semble justifiée quant au caractère équivoque de la

démission, elle est plus contestable en ce qui concerne la sanction retenue. La Cour d’appel

admet que les circonstances de la démission soient analysées en une prise d’acte de la rupture

du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation estime de manière constante « que le salarié ne peut tout à la fois

invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission et

demander que cet acte de démission soit analysé en une prise d'acte, par lui, de la rupture de

son contrat de travail en raison de faits et manquements imputables à l'employeur »114

. Pour

elle, ces deux voies sont exclusives l’une de l’autre car elles sont contradictoires par les effets

qu’elles entraînent chacune respectivement. Pour Arnaud Martinon, la Cour de cassation ne

fait que « mobiliser le principe de cohérence » auquel doit se soumettre le justiciable115

.

Les deux actions sont en effet distinctes dans leurs effets. Alors que le vice du consentement

permet d’annuler la démission et donc de poursuivre la relation contractuelle, la prise d’acte

de la rupture, elle, ne revient pas sur la rupture en elle-même, elle permet juste d’en imputer la

faute à l’employeur. En effet, une demande de prise d’acte entrainant la rupture effective du

contrat de travail n’est pas conciliable avec la demande en nullité de la démission pour vice

du consentement, laquelle implique la poursuite du contrat de travail.

Il est vrai que traditionnellement, la théorie des vices du consentement est peu utilisée dans le

cadre du contrat de travail. Néanmoins, elle connaît un regain d’intérêt depuis la loi du 25 juin

2008 « portant modernisation du marché du travail » avec la rupture conventionnelle et le

111

Cass., soc. 7 mars 2012, n°09-73.050. 112

Cass., soc. 24 avr. 2013, n°11-26.391. 113

Cass.,soc. 6 mai 1975, n°73-40.090. 114

Cass.,soc. 17 mars 2010, n°09-40.465. 115

A. Martinon, Démission viciée et prise d’acte : la contradiction censurée, JCP S 2010, 1359.

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risque d’abus qu’elle engendre. De plus, cette théorie ne s’applique pas seulement aux

conventions. Ainsi, les actes unilatéraux tels que la démission, peuvent également être

annulés si le consentement de leur auteur n’était pas libre et éclairé au moment de leur

émission.

Seulement, en l’espèce, le salarié invoque la prise d’acte de la rupture justifiée selon lui par le

caractère équivoque de la démission. Or, si les circonstances antérieures d'une démission

peuvent amener à sa requalification en prise d'acte116

, son équivocité amène le plus souvent à

prononcer la nullité de la rupture du contrat de travail. Pourtant ici, la Cour d’appel accepte de

requalifier la démission du salarié en prise d’acte de la rupture du contrat de travail, ne faisant

ainsi pas la distinction entre la demande en nullité pour vice du consentement et la demande

de prise d’acte.

Au contraire, elle semble avoir fait cette assimilation que condamne la Cour de cassation. S’il

est vrai que le salarié invoquait à la fois le caractère équivoque de la démission et sa

requalification en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et

sérieuse, il s’agissait là d’une confusion ou bien d’un manque de cohérence que n’aurait pas

dû suivre la Cour d’appel.

Même si les juges du fond doivent se cantonner aux moyens soulevés, la Cour d’appel aurait

dû aller jusqu’au bout de son raisonnement. Ainsi, elle aurait dû, après avoir admis le

caractère équivoque de la démission, contraindre le salarié à faire un choix entre le vice du

consentement entrainant la nullité de sa démission et la demande de requalification en prise

d’acte nécessitant de démontrer la faute de l’employeur. De plus, la Cour d’appel admet une

prise d’acte qui ne paraît pas admissible. Le salarié n’invoquait pas de circonstances

antérieures susceptibles de la justifier.

Clémence PAILLAC

5) Prise d’acte

Cour d’appel de Bourges 27 juin 2014, n°13/00550

Résumé

Alors que son contrat est suspendu pour maladie, une salariée sollicite, en vain, auprès de son

employeur une rupture conventionnelle. A l’issue de son arrêt de travail, fixé au 31 août 2011,

elle ne reprend pas son poste. En septembre 2011, l’employeur la sanctionne d’un

avertissement car elle n’a pas justifié son absence par la remise de son arrêt de travail. Puis il

la convoque à un entretien préalable à un éventuel licenciement auquel elle ne se présentera

pas. Finalement l’employeur renonce à la poursuite de la procédure disciplinaire bien que la

salariée ne reprenne jamais son poste. En juillet 2012, la salariée réitère son souhait de

procéder à une rupture conventionnelle.

Le 30 juillet 2012, la salariée saisit le Conseil des Prud’hommes de Bourges afin de constater

la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur pour manquement de ce dernier à

ses obligations contractuelles. Par jugement du 25 février 2013, le Conseil des Prud’hommes

déboute la salariée de ses demandes, estimant que la rupture du contrat de travail lui est

imputable pour exécution fautive de ses obligations.

Les questions auxquelles devaient répondre la Cour d’appel étaient de deux ordres. D’une

part, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat justifiait-elle une

116

Cass.,soc. 7 mars 2012, n° 09-73.050.

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prise d’acte du contrat de travail ? D’autre part, l’employeur est-il en tort de ne pas avoir

poursuivi la procédure disciplinaire pour sanctionner l’abandon de poste ?

Par arrêt du 27 juin 2014 la Cour d’appel de Bourges considère que la rupture du contrat de

travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, estimant que l’employeur

aurait dû poursuivre la procédure disciplinaire afin de sanctionner l’abandon de poste qui

paraissait irréversible.

Extraits de l’arrêt

Attendu que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés, doit

en assurer l'effectivité ; qu'à ce titre la visite médicale d'embauche concourt à la protection

de la santé des salariés ; qu'il n'est pas contesté qu'Estelle G. n'a fait l'objet d'aucune visite

médicale d'embauche ; que si ce manquement de l'employeur à ses obligations n'a pas

empêché la poursuite de la relation de travail et est ainsi insuffisamment grave pour justifier

une prise d'acte de rupture par la salariée, il n'en cause pas moins un préjudice à cette

dernière qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 500 € à titre de dommages intérêts ;

Attendu qu'Estelle G. ne saurait par contre reprocher à son employeur de ne pas avoir

organisé de visite de reprise à l'issue de son arrêt de travail dès lors qu'elle n'avait pas repris

le travail, ni manifesté son intention de le faire, ni sollicité l'organisation d'une visite de

reprise ; que la cour retiendra à cet égard que l'employeur ne pouvait pas spéculer sur la

durée des arrêts de travail, étant observé qu'Estelle G. n'avait pas justifié de celui du 1er au

23 juillet 2011, ce qui avait conduit l'employeur à lui notifier un avertissement pour absence

injustifiée ;

Attendu qu'il s'avère en fait, comme l'ont justement retenu les premiers juges, qu'Estelle

G. n'a jamais entendu reprendre son emploi au sein de l'EURL Narolle ainsi qu'il résulte de

son courrier à cette dernière du 15 juin 2011 faisant état de ce qu'elle souhaite une rupture

conventionnelle afin de donner à sa carrière une nouvelle orientation professionnelle dans

son domaine initial ;

Attendu qu'en l'absence de mise en place de celle-ci, il appartenait à l’EURL Narolle de

licencier Estelle G. qui n'avait pas repris son poste ;

Attendu que l'EURL Narolle ne s'était d'ailleurs pas méprise sur ce fait convoquant Estelle G.

à un entretien préalable à son licenciement par lettre recommandée avec demande d'avis de

réception du 8 novembre 2011, fixé au 23 novembre 2011, auquel la salariée ne devait pas se

présenter ; que pour des raisons inconnues, l'EURL Narolle ne donnait pas suite à la

procédure ;

Attendu qu'ainsi la rupture de la relation de travail s'analyse en un licenciement sans cause

réelle et sérieuse ;

Attendu qu'outre l'indemnité de licenciement allouée par les premiers juges pour un montant

de 295,75 € conforme à l'ancienneté de la salariée et aux dispositions de la convention

collective applicable, il sera alloué à Estelle G. la somme de 1183 € au titre du préavis de

deux mois conformément à cette même convention collective, outre congés payés afférents

pour 118,30 € ;

Attendu alors qu'elle comptait une ancienneté de deux années dans une entreprise comportant

moins de 11 salariés lors de son licenciement, il lui sera alloué par ailleurs la somme de 1500

€ à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Attendu que sera par ailleurs ordonnée la remise des documents de fin de contrat conformes

au présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir celle-ci d'une astreinte ;

Attendu que succombant l’EURL Narolle supportera les entiers dépens et ne saurait voir

accueillie sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, étant fait

application de ce texte au profit d’Estelle G. en lui allouant la somme de 1200 € ;

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RJP 2015-1 (Novembre)

88

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Bourges du 25 février 2013 et statuant à

nouveau :

Dit le licenciement d'Estelle G. sans cause réelle et sérieuse.

Condamne l’EURL Narolle à lui payer les sommes suivantes :

- 500 € à titre de dommages intérêts pour absence de visite médicale d'embauche ;

- 1183 € au titre du préavis et 118,30 € au titre des congés payés afférents ;

- 295,75 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

- 1500 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 1200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ordonne la remise par l’EURL Narolle à Estelle G. des documents de fin de contrat

conformes au présent arrêt.

Rejette toutes demandes plus amples ou contraires.

Commentaire : La justification et la qualification de la prise d’acte du contrat de travail

1. Justification de la prise d’acte

Par principe, il était admis que la violation par l'employeur des règles relatives aux visites

médicales justifiait une prise d'acte117

. L'employeur est en effet tenu d'une obligation de

sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés dans

l'entreprise et doit ainsi en assurer l'effectivité118

. Les examens médicaux d'embauche,

périodiques et de reprise du travail doivent donc être mis en place par l’employeur puisqu’ils

concourent à la protection des salariés.

Or depuis peu, la Chambre sociale de la Cour de cassation restreint les cas de justification de

la prise d’acte. Ainsi, dans un des arrêts du 26 mars 2014, la Cour énonce que « seul un

manquement suffisant grave empêchant la poursuite du contrat de travail permet de justifier

la prise d’acte et qu’en conséquence, des faits trop anciens n’ayant pas fait obstacle à la

poursuite du contrat, ne peuvent pas être invoqués pour la justifier119

». Sur ce fondement, la

Cour a ainsi refusé de reconnaître la prise d’acte malgré le manquement par l’employeur à son

obligation de sécurité de résultat120

. En l’espèce, le salarié avait pris acte de la rupture en

invoquant des faits datant de plus de 2 ans (absence de visite médicale d’embauche

notamment). Cette solution s’applique également à la résiliation judiciaire121

.

La solution rendue par la Cour d’appel de Bourges s’aligne sur cette jurisprudence récente de

la Cour de cassation. Dans un premier temps, elle rappelle qu’il incombe à l’employeur

d’assurer l’effectivité de l’obligation de sécurité de résultat, notamment l’organisation de la

visite médicale d’embauche. Puis elle nuance ses propos, et énonce que l’absence de visite

médicale d’embauche n’est pas suffisamment grave pour justifier une prise d’acte puisque la

relation de travail s’est poursuivie. Quant à la visite de reprise, il aurait fallu que la salariée

reprenne le travail et la sollicite pour pouvoir reprocher à l’employeur de ne pas l’avoir

organisée.

Les termes utilisés par la Cour d’appel ne sont pas anodins. En effet, elle fait référence à un

manquement suffisamment grave sous l’angle de l’écoulement du temps. Rappelons que la

117

Cass. Soc. , 22 septembre 2011, n°10-13.568. 118

Cass. soc 13 décembre 2006, n° 05-44580. 119

Cass. soc. 26 mars 2014, n° 12-35040. 120

Cass. soc, 26 mars 2004, n° 12-23.634. 121

Cass. Soc. 12 juin 2014, n°12-29063 et n°13-11448.

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RJP 2015-1 (Novembre)

89

Cour de cassation substitue désormais à la notion « de manquement d’une gravité suffisante »

celle de « manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat

de travail » pour encadrer ces régimes de rupture. La solution rendue semble s’être imprégnée

de la notion de « faute grave justifiant un licenciement »; la faute grave du salarié étant « la

faute qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ». Par conséquent, les juges

du fond ne se bornent plus à examiner la nature du manquement pour juger de la gravité des

faits. Ils appréhendent désormais les conséquences du manquement sur la relation de travail.

Les faits ont-ils empêché la poursuite de la relation de travail ? Si tel est le cas, alors le salarié

doit réagir rapidement pour demander la rupture de son contrat de travail aux torts de

l’employeur. A défaut, il sera jugé que cela n’a pas empêché la relation de travail de continuer

entre les deux parties. Or la réaction du salarié peut être tardive en raison d’une

méconnaissance de ses droits.

Ainsi, il semble aujourd’hui préférable pour le salarié de choisir la résiliation judiciaire afin

que le lien contractuel reste maintenu, la prise d’acte étant désormais trop risquée. Pourtant

une interrogation reste en suspens dans le cas où l’employeur aurait régularisé les

manquements à l’origine de la demande en résiliation judiciaire. Dans ce cas, la rupture est-

elle toujours fondée ? Si la réponse est positive ne vaudrait-il pas mieux procéder à une

prise d’acte d’autant que celle-ci a été sécurisée par le législateur qui exige qu’elle soit jugée

dans le délai d’un mois devant le conseil des prud’hommes122

? Pour le moment, le recul n’est

pas suffisant pour répondre à ces questions.

2. La qualification de la rupture du contrat de travail

Comment qualifier la rupture du contrat dans cette affaire ? Sur ce point, la solution de la

Cour d’appel soulève des interrogations. En effet, en l’espèce, il n’apparait aucunement que la

salariée ait demandé une prise d’acte de son contrat. Pour autant, la Cour d’appel qualifie la

rupture de prise d’acte. Des questions restent donc en suspens. La Cour d’appel a-t-elle

considéré que la saisine du conseil des prud’hommes aux torts de l’employeur constituait une

prise d’acte ? La salariée a-t-elle demandé une prise d’acte en cours d’instance ? Tous ces

points n’étant pas développés, il est difficile de savoir précisément qu’elle a été le

raisonnement des juges du fond. Il semblerait qu’en l’absence de volonté de chacune des

parties de rompre le contrat de travail, la Cour d’appel ait voulu mettre un terme à une

situation inextricable. Ainsi, les juges imputent la responsabilité de la rupture à l’employeur,

et prononcent le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Selon eux, l’employeur aurait dû

continuer la procédure disciplinaire et ne pas y renoncer d’autant qu’il apparaissait

explicitement que la salariée ne reprendrait pas son travail. C’est d’ailleurs à juste titre qu’il

l’avait sanctionnée une première fois par un avertissement en raison du fait qu’elle n’avait pas

justifiée de son absence pendant une période correspondant à son arrêt de travail.

Cette solution ne risque-t-elle pas de donner un pouvoir important au salarié qui pourra

décider d’abandonner son poste dans l’unique but d’être licencié et à défaut de l’être, la

rupture sera imputable à l’employeur ? On peut parler de rupture s’apparentant à une sorte

d’auto-licenciement123

du point de vue de Monsieur Jean-Emmanuel Ray124

. L’employeur est

dans une situation de soumission face au salarié puisqu’il ne jouit plus de façon absolue de

l’appréciation de l’opportunité d’utiliser son pouvoir disciplinaire. Toutefois, on peut

122

Frédéric Géa, « Prise d’acte de la rupture et résiliation judiciaire : vers une déconstruction de la jurisprudence

? », Semaine social Lamy – 2014 n°1645. 123

Isabelle Ayache-Revah, Head of councel Raphaël Avocats, « Quand résiliation judiciaire, prise d’acte et

licenciement s’entremêlent », Les Cahiers du DRH n° 207 du 01/03/2014.

124

Gérard Couturier et Jean-Emmanuel Ray, « Auto-licenciement : dérives et revirements », Droit

Social 2003 p.817.

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RJP 2015-1 (Novembre)

90

également comprendre qu’il s’agit de prendre ses responsabilités face à une situation aussi

ambivalente, et c’est bien souvent à la partie dite forte d’en subir les conséquences. Par

ailleurs, il se peut qu’au vu des éléments du dossier, la Cour d’appel estime qu’il y avait un

acte de malveillance à garder la salariée à sa disposition, celle-ci ne pouvant rechercher un

nouveau contrat de travail. A ce sujet, la Cour de cassation dans un arrêt du 25 septembre

2013125

a énoncé que le seul engagement d'une procédure disciplinaire qui n'a pas été menée à

son terme ne saurait caractériser un manquement de l'employeur à ses obligations

contractuelles, dès lors que cette mise en œuvre ne procède pas d'une légèreté blâmable ou

d'une intention malveillante. La Cour de cassation applique les limites classiques de l’abus de

droit. En effet, l’engagement d’une procédure disciplinaire sans prononcer de sanction peut

apparaitre abusif car l’employeur laisse le salarié qui a abandonné son poste, sans

démissionner, à sa disposition. On peut penser que c’est ce comportement de l’employeur que

la Cour d’appel de Bourges a voulu sanctionner.

6) Licenciement économique

Cour d’appel de Bourges 10 octobre 2014, n°13-01623

Un pharmacien cède son fonds de commerce d’officine de pharmacie. Bien qu’il ait pris

connaissance des charges afférentes à la cession, le nouvel employeur procède au

licenciement économique de deux salariés au motif qu’une réorganisation était nécessaire

pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. L’un des salariés conteste son licenciement

et saisit le Conseil des Prud’hommes afin d’obtenir le paiement de diverses sommes. Ce

dernier a considéré le licenciement pour cause économique dépourvu de cause réelle et

sérieuse au motif que la réorganisation voulue par le nouvel employeur n’avait pas pour

objectif de prévenir des difficultés financières mais à s’assurer une meilleure rentabilité de

l’investissement.

Se posait donc la question de savoir si la réorganisation invoquée pouvait justifier les

licenciements économiques ? Par un arrêt du 10 octobre 2014, la Cour d’appel de Bourges

confirme le jugement de la juridiction prud’homale et en conclu que les licenciements sont

dépourvus de cause réelle et sérieuse. En effet, elle constate que l’activité et le résultat de la

pharmacie étaient en augmentation au regard des chiffres de l’année 2011. Par conséquent, la

réorganisation n’avait pas pour but de prévenir de difficultés financières ni de sauvegarder la

pérennité de l’entreprise.

Extraits

« Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif

économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non

inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'un emploi

ou d'une modification substantielle du contrat de travail, consécutives notamment à des

difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Une réorganisation de

l'entreprise ne peut constituer une cause économique de licenciement, si elle n'est pas justifiée

par des difficultés économiques ou une mutation technologique, qu'à la condition d'être

nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité dont elle

relève.

Par ailleurs, la lettre de licenciement doit comporter non seulement l'énonciation des

difficultés économiques, mutations technologiques ou de la réorganisation de l'entreprise,

125

Cass. Soc., 25 septembre 2013, n n° 12-11832.

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RJP 2015-1 (Novembre)

91

mais également l'énonciation des incidences de ces éléments sur l'emploi ou le contrat de

travail du salarié licencié.

Dans son courrier de licenciement du 2 février 2012 l'employeur justifie la mesure du

licenciement par la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise en précisant :

J’ai acquis la pharmacie le 1er janvier dernier à l’aide d’un emprunt bancaire. Je supporte

de lourdes charges liées à ce prêt et aux intérêts.

Aussi, au regard du chiffre d'affaires de la pharmacie (1.500.490 € au 31 mars 2011), je ne

peux assumer la totalité des charges de la pharmacie (1.327.315 € pour la période du 1er

avril 2010 au 31 mars 2011), même en les réduisant au maximum, outre les charges liées à

cet emprunt et dégager suffisamment de capacité de financement pour faire face aux

échéances annuelles de remboursement d'un montant de 98 333,33 € .

D'ailleurs les banques, à la lecture du bilan prévisionnel réalisé par la société d'expertise

comptable KPMG, m'ont accordé ce prêt à la condition que je puisse réduire les charges de

la structure et ainsi faire face à mes engagements.

Je suis donc amené à réduire significativement tous les frais de la société mais également les

charges salariales afin d'assurer la pérennité même de la société.

Je suis donc contraint de réorganiser la pharmacie, en réduisant notamment les charges

salariales, afin de sauvegarder sa compétitivité et prévenir de grandes difficultés financières

à venir et ainsi de supprimer votre emploi d'employée en pharmacie'.

Des pièces versées au débat il ressort que l'activité de la pharmacie lors de son rachat

intervenu dans les semaines précédant le licenciement était la suivante :

- chiffre d'affaire réalisé du 1er avril 2010 au 31 mars 2011 : 1 500 490 €

- charges : 1 103 717 €

- autres charges dont salaires : 223 598 €

- charges financières : 27 569 €

- résultat : 145 606 €

L'examen des résultats précédents montrent que les chiffres d'affaire et les résultats étaient en

augmentation constante, signe que si le secteur de la pharmacie peut de manière générale

connaître des difficultés ainsi qu'invoqué, il n'en était rien pour la pharmacie achetée par M.

J. .

Le montant du remboursement du prêt contracté est de 98 333,33 € hors intérêts.

Le bilan prévisionnel établi par la société KPMG versé au débat démontre qu'à chiffre

d'affaires à peu près constant la réduction de la masse salariale ne visait qu'à assurer une

rémunération au dirigeant de 45 000 € outre 12 580 € de cotisations sociales afférentes, les

charges salariales passant quant à elles à 149 678 € , et les charges financières à 45 778 € .

Il n'est en conséquence aucunement justifié que les deux licenciement effectués, dont celui de

Mme M. , aient eu pour but de prévenir de grandes difficultés financières à venir ni de

sauvegarder la pérennité de l'entreprise.

Au regard de ce motif le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a dit le licenciement

dépourvu de cause réelle et sérieuse, n'étant dès lors pas nécessaire d'examiner la question

du respect de l'obligation de reclassement.

Compte tenu de l'âge de la salariée (45 ans), de son ancienneté (13 ans) et du fait qu'elle a

finalement pu retrouver un emploi 18 mois après son licenciement, certes à un salaire

moindre, le jugement sera également confirmé quant au montant des dommages et intérêts

qui lui ont été alloués de ce chef.

Le jugement sera encore confirmé du chef des dommages et intérêts alloués du fait de

l'irrégularité de la procédure reconnue par l'employeur quant à la réponse tardive donnée

par ce dernier à la demande de communication des critères d'ordre des licenciements.

Il est enfin équitable non seulement de confirmer le jugement du chef de l'allocation à la

salariée d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, mais

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92

aussi de lui allouer une nouvelle indemnité en cause d'appel de 1 000 € au paiement de

laquelle l'EURL Pharmacie Javot sera condamnée.

Cette dernière supportera également les dépens.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

CONFIRME le jugement,

Y ajoutant,

CONDAMNE l'EURL Pharmacie Javot à payer à Mme Nathalie M. la somme de 1 000 € au

titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LA CONDAMNE aux dépens.

Commentaire : la réorganisation pour la sauvegarde de la compétitivité comme motif

économique de licenciement

Aux termes de l’article L1233-2 du Code du Travail, le licenciement économique doit être

justifié par une cause réelle et sérieuse. L’article L. 1233-3 du Code du travail énonce que la

rupture du contrat de travail doit être consécutive notamment à des difficultés économiques

ou à des mutations technologiques. La notion même de cause réelle et sérieuse semble être

aisée à comprendre. Pourtant, ce n’est pas aussi simple puisqu’il peut arriver que des

licenciements économiques soient justifiés par une cause réelle et sérieuse en dehors de toutes

difficultés économiques ou de mutations technologiques. En effet, l’emploi de l’adverbe

« notamment » permet aux juges d’admettre des suppressions d’emplois en l’absence de

difficultés économiques immédiates. Dans l’arrêt nous concernant, pour justifier les

licenciements l’employeur invoque la réorganisation nécessaire de la pharmacie afin de

sauvegarder sa compétitivité et de prévenir de grandes difficultés financières. Ainsi, Cour

d’appel devait se prononcer sur l’existence d’une telle réorganisation.

La réorganisation de l'entreprise n'étant pas expressément prévue par l'article L. 1233-3 du

Code du travail comme un motif économique de licenciement, elle a fait l’objet d’une

construction jurisprudentielle. Ainsi, dans un premier temps, la réorganisation de l'entreprise

ne pouvait être une cause de licenciement pour motif économique que si elle était faite dans

l'intérêt de l'entreprise126

. Puis, dans un célèbre arrêt Thomson du 5 avril 1995, la chambre

sociale de la Cour de cassation a estimé que « lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés

économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation ne peut constituer un

motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise,

ou, si elle appartient à un groupe, si elle est nécessaire à la sauvegarde du secteur d'activité

de ce groupe ». Ainsi, ce n'est que si la nécessité de la sauvegarde de la compétitivité de

l'entreprise est avérée que sa réorganisation peut constituer un motif économique de

licenciement127

.

En l’espèce, la Cour d’appel considère qu’au vu des éléments objectifs, à savoir le chiffre

d’affaire, les charges et le résultat de la pharmacie en date de 2011, la réorganisation pour la

sauvegarde de la compétitivité et la prévention des difficultés économiques n’est pas

caractérisée. En effet, l’activité de la pharmacie lors de son rachat intervenu dans les semaines

précédant le licenciement montrait que le chiffre d’affaires et les résultats étaient en constante

progression. Par conséquent, la pharmacie achetée par l’employeur n’était pas menacée par

126

Cass. soc., 1er avr. 1992, n° 90-44.697 : Bull. civ. V, n° 223. 127

Cass. soc., 13 juin 2001, n° 99-41.636 ; Cass. soc., 15 janv. 2003, n° 00-44.793 ; Cass. soc., 16 déc. 2008, n°

07-41.953.

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des difficultés à venir nécessitant une réorganisation de celle-ci. Toutefois, les juges du fond

doivent veiller à vérifier l’évolution du marché car il s’agit derrière le motif invoqué par

l’employeur de prévenir de difficultés économiques.

« En effet, l’idée qui sous-tend la notion « la réorganisation destinée à sauvegarder la

compétitivité » de l’entreprise est qu’il vaut mieux adapter ses effectifs pour maintenir sa

compétitivité plutôt que d’attendre d’être confronté à des difficultés économiques qui

nécessiteront une réorganisation de plus grande ampleur. Il ne s’agit donc plus de

comptabiliser la baisse du chiffre d’affaires ou les pertes réalisées par l’entreprise, mais

d’apprécier l’évolution du marché128

. En conséquence, il est tout à fait envisageable de

réaliser des bénéfices tout en restructurant pour maintenir sa position face à la concurrence.

La sauvegarde de la compétitivité implique l’existence d’une menace concrète qui pourrait

entraîner des difficultés économiques en l’absence de réorganisation ». Dans cette optique, si

la réorganisation de l’entreprise mise en œuvre pour assurer la sauvegarde de la compétitivité

n’est pas subordonnée à l’existence de difficultés économiques, l’employeur doit caractériser

l’existence d’une menace à l’aide d’éléments objectifs laissant pressentir l’avènement de

difficultés économiques futures en l’absence de réorganisation129

. Il s’agit donc de mener une

réorganisation préventive en vue de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. L’entreprise

peut ainsi, valablement procéder à des licenciements pour motif économique si elle est en

mesure de justifier qu’une absence de réorganisation immédiate conduira inéluctablement à

une perte significative de sa compétitivité et donc à des difficultés économiques prévisibles.

La solution rendue par la Cour d’appel va dans ce sens puisqu’elle déduit des éléments

chiffrés que l’activité de la pharmacie ne souffrait pas de la concurrence, et qu’il s’agissait en

fait pour l’employeur de dégager un revenu suffisant en procédant aux licenciements. Par

ailleurs, l’employeur a procédé au rachat de la pharmacie en parfaite connaissance de cause

des charges. En effet, il savait les conditions et caractéristiques des contrats de travail du

personnel de l’officine de pharmacie dont les conditions financières de ces contrats. Par

conséquent, même s’il s’était engagé auprès d’un organisme bancaire à réduire ces-dernières,

il ne pouvait le faire valablement par la voie du licenciement économique. La Cour d’appel a

donc parfaitement jugé l’affaire prononçant un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Du

fait de l’inopportunité de la réorganisation, elle n’a pas eu à se prononcer sur le non-respect

de l’obligation de reclassement, élément d’appréciation du caractère réel et sérieux.

L’arrêt rendu est donc conforme à la ligne jurisprudentielle tracée par la Cour de cassation

concernant la réorganisation comme motif de licenciement économique.

Cindy MUREAU

128

https://inspectiondutravail.wordpress.com/tag/sauvegarde-de-la-competitivite/ 129

Cass. Soc., 11 janvier 2006, 05-40.977.

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94

Chronique de jurisprudence

Master 2

Droit et gestion du patrimoine privé

par Matthieu Robineau

Maître de conférences à l’Université d’Orléans

Co-directeur du Master Droit et Gestion du patrimoine privé

Assurance et gestion de patrimoine : deux ans de jurisprudences berruyères et

orléanaises

(janvier 2013 – juin 2015)

S’il est habituel de commenter les arrêts rendus par la Cour de cassation, il l’est un peu moins

d’analyser ceux rendus par les cours d’appel. Pourtant, ceux-ci n’en sont pas moins

intéressants. D’une part, aux praticiens, ils offrent des indicateurs de premier choix, par

exemple sur les chances d’obtenir ou non gain de cause devant la juridiction du second degré ;

d’autre part, aux universitaires, ils permettent parfois de déceler de nouvelles questions ou de

nouvelles façons de poser des questions habituelles. Dans les deux cas, ces arrêts peuvent être

lus à l’aune de la jurisprudence de la Cour de cassation afin de déterminer s’il existe une

jurisprudence locale (et dans quelle mesure) ou bien si les Cours d’appel sont disciplinées et

respectueuses des lignes tracées quai de l’Horloge.

Dans le cadre de la Revue Juridique Pothier, c’est naturellement vers les arrêts rendus par les

Cours d’appel de Bourges et d’Orléans qu’il convient de se tourner, étant précisé que, pour

des raisons bien compréhensibles, la chronique qui suit se limitera à une sélection d’arrêts

rendus ces deux dernières années130

.

Les arrêts retenus l’ont été pour l’importance des questions, théoriques ou pratiques, qu’ils

tranchent ou contribuent à trancher, voire pour celles qu’ils soulèvent par ricochet. Aussi,

certaines décisions ne paraissant pas nécessiter une recension ont-elles été écartées. Tel est le

cas, par exemple, d’un arrêt ayant jugé que des versements, même modiques, par une épouse

sur un contrat d’assurance vie, contribuent, aux côtés d’autres éléments, à la débouter de sa

demande versement de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère, l’épouse ne

rapportant pas la preuve de son état de besoin (Bourges, Chambre civile, 5 mars 2015,

n° 14/00865, JurisData : 2015-004729, dans une affaire où le mariage avait duré 58 ans et

les époux étaient âgés de 81 et 85 ans...).

Les arrêts sélectionnés peuvent être regroupés autour de trois thématiques principales. Les uns

portent en effet sur les obligations, au stade de la formation du contrat, des professionnels de

l’assurance (I), entendus au sens large, ce qui permet d’englober non seulement les assureurs

mais aussi les distributeurs de contrats, comme les courtiers. D’autres sont relatifs à

l’exécution du contrat d’assurance (II). Les derniers ont trait au bénéfice de la garantie décès

(III), avec en toile de fond évidente, les enjeux successoraux de l’assurance vie.

I - La formation du contrat

Le fonctionnement du contrat d'assurance vie n’est pas toujours aisé à comprendre. Ceci

explique sans doute que les juges fassent preuve d’une certaine mansuétude et ne

reconnaissent la fraude ourdie à l’aide d’un contrat d'assurance vie que lorsque celle-ci est

caractérisée. Il est vrai qu’en raison de la présomption générale de bonne foi qui innerve notre

130

Les arrêts cités sont tous consultables sur la base JurisData.

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RJP 2015-1 (Novembre)

95

droit, le doute doit profiter au souscripteur. Ainsi, il a été jugé que l’action en remboursement

de prestations formée par la CARSAT se prescrit par deux ans faute pour celle-ci d’avoir

établi la mauvaise foi de l’allocataire, circonstance qui aurait allongé le délai de prescription à

cinq ans (CSS, art. L 815-11). En effet, il est jugé que si l'allocataire n'a pas complètement

informé la CARSAT sur les revenus mobiliers dont elle pouvait bénéficier grâce aux

placements opérés sur ses livrets d'épargne et ses contrats d'assurance vie, elle a cependant agi

par ignorance et incompréhension et n'a pas effectué de fausses déclarations ou commis une

fraude (Orléans, Chambre des affaires de sécurité sociale, 28 janv. 2015, n° 13/03814,

JurisData : 2015-001812). Autrement dit : la complexité du régime de l’assurance vie absout

le souscripteur et prive la CARSAT d’un allongement du délai de prescription.

Quoi qu’il en soit, ces difficultés justifient à elles seules, les obligations mises à la charge des

professionnels de l’assurance, c'est-à-dire des assureurs et des intermédiaires d’assurance, au

stade de la formation du contrat. Outre une obligation légale d’information précontractuelle,

qui consiste en la remise de documents, ils sont en effet tenus d’une obligation de conseil,

parfois appelée obligation de mise en garde voire obligation d’adaptation. Posée par la

jurisprudence, cette obligation a pour objet de guider le candidat à l’assurance, de lui fournir

un conseil sur-mesure que l’exécution de l’obligation légale d’information ne permet pas

d’obtenir.

Au-delà, lorsque la souscription du contrat d'assurance vie s’inscrit dans une opération de

gestion de patrimoine, c’est celui qui la préconise et l’organise qui sera soumis, comme tout

professionnel, à une obligation d’information et de conseil. Un arrêt relatif à un montage

défiscalisant intégrant la souscription d’un contrat d'assurance vie permet d’illustrer ces

questions (A), même s’il convient de rappeler que les obligations des professionnels ne sont

pas sans limites (B).

A – L’obligation de la banque en présence d’une opération de défiscalisation intégrant la

souscription d’un contrat d'assurance vie

La Cour d’appel de Bourges a rendu un intéressant arrêt (Bourges, Chambre civile, 22 mai

2014, n° 13/00928, JurisData : 2014-013576) en présence d’un montage assez classique. En

l’espèce, il s’agissait de réaliser une opération de défiscalisation en investissant dans

l’immobilier, sous le régime institué par la loi Périssol (depuis remplacé par toute une série de

régimes dont la loi Scellier et, plus récemment, la loi Pinel), qui permettait de réduire l’impôt

sur les revenus de l’investisseur, grâce à l’amortissement de l’immeuble acquis et la création

de déficits fonciers. Pour financer l’acquisition, il avait été souscrit auprès d’une banque un

prêt in fine, c'est-à-dire dont le capital était intégralement remboursable à l’échéance du prêt,

les mensualités ne comportant que des intérêts. Pour financer la dette de restitution, chaque

époux avait souscrit un contrat d’assurance vie par l’intermédiaire de la banque et avait choisi

d’investir les primes sur des unités de compte, espérant profiter d’une hausse des marchés

financiers (les deux primes étaient égales à 190 000 FF, l’objectif était de rembourser 718 000

FF dix ans plus tard, soit presque le double). Las, au moment de rembourser le capital à la

banque, les emprunteurs découvraient qu’ils avaient subi des pertes sur leurs contrats

d’assurance vie respectifs, les unités de compte s’étant effondrées. Ils décidaient de demander

réparation à la banque.

Dans une affaire assez proche, la Cour de cassation a jugé récemment que dès lors que le

montage mis en œuvre – un crédit immobilier remboursable in fine au moyen de l’épargne

accumulée sur un contrat d’assurance vie – n’est pas inadapté à la situation personnelle du

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RJP 2015-1 (Novembre)

96

client, la banque ne manque pas à son obligation de conseil et ne peut donc voir sa

responsabilité engagée131

.

En l’espèce, ce n’est pas sur ce terrain que les demandeurs sont déboutés. En effet, la cour, à

la suite des premiers juges, relève qu’ils étaient des investisseurs particulièrement avertis, qui

avaient déjà réalisé par le passé une opération similaire de défiscalisation (selon le dispositif

Méhaignerie). En outre, il est établi que leur conseiller financier les avait prévenus des risques

de cette opération financière.

En d’autres termes, l’intensité de l’obligation de conseil varie selon celui à qui elle est due. La

solution peut sembler classique, sous quelques réserves.

Elle est tout d’abord classique dans la mesure où de manière générale, le devoir de conseil se

mesure à la lumière des connaissances et compétences du créancier. Il en résulte par exemple

que l’intensité du devoir de conseil de l’assureur diminue lorsque la garantie a pour objet le

cœur de l’activité professionnelle de l’assuré132

.

S’agissant des réserves, elles sont de trois ordres.

D’abord, l’obligation de conseil de la banque est discutée. S’il a été en effet énoncé à titre de

principe que le banquier n’a pas de devoir de conseil envers son client133

, d’autres arrêts sont

venus reconnaître une obligation d’éclairer le client, notamment dans des opérations de

crédit134

ou une obligation de mettre en garde l’emprunteur non averti135

.

Ensuite, dans d’autres circonstances, les compétences particulières du client ou du

consommateur sont indifférentes. C’était indubitablement le cas s’agissant de la prorogation

du délai d’exercice de la faculté de renonciation en matière d’assurance vie136

, solution

désormais douteuse puisqu’une loi du 30 décembre 2014 est venue modifier l’article L. 132-

5-2 du Code des assurances et réserve la prorogation de la faculté de renonciation pour défaut

de remise des documents d’information au seul contractant de bonne foi137

. Or il n’est pas

certain que le contractant très au fait des montages de défiscalisation puisse être considéré de

bonne foi.

Enfin, certains professionnels sont tenus d’une obligation de conseil nonobstant les

compétences avérées du client ou le fait qu’il soit accompagné d’un professionnel. Tel est le

cas des notaires dont la responsabilité professionnelle a pris une ampleur considérable des

deux dernières décennies138

.

Quoi qu’il en soit, en assurance vie, tout est au fond question de l’étendue de la mission

assignée à l’assureur ou à l’intermédiaire (la banque en l’espèce). Il est possible de distinguer

quatre hypothèses.

En premier lieu, lorsque l’assureur agit en tant qu’assureur et seulement en tant que tel, en

plus de l’information précontractuelle (c. assur., art. L. 132-5-1 et s.) et du conseil tel que

131

Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-18.359, www.actuassurance.com, mars-avr. 2015, n° 40, act. jurispr., note

M. Robineau. 132

Cass. 2ème

civ., 10 avril 2008, n° 07-11.071. Adde, Cass. 2ème

civ., 11 juin 2015, n° 14-18.141. 133

Cass. com., 24 sept. 2003, n° 02-11.362 : Bull. civ. IV, n° 137 ; RTD com. 2004. 142, obs. D. Legeais. 134

v. par ex., Cass. 1ère

civ., 12 juill. 2005, n° 03-10.115 : Bull. civ. I, n° 326, R., p. 335 ; D. 2005. 3094, note

B. Parance (4ème

esp.) ; JCP G 2005. II. 1040, note A. Gourio (3ème

esp.) ; JCP E 2005. 1359, note D. Legeais

(2ème

esp.). 135

Cass. 1ère

civ., 12 juill. 2005, n° 03-10.921 : Bull. civ. I, n° 327, R., p. 335 ; D. 2005. 3094, note B. Parance

(3ème

esp.) ; JCP G 2005. II. 1040, note A. Gourio (2ème

esp.) ; JCP E 2005. 1359, note D. Legeais (1ère

esp.). 136

v. not., Cass. 2ème

civ., 7 mars 2006, n° 05-12.338, n° 05-10.366 et n° 05-10.367 : Bull. civ. II, n° 63 ; JCP G

2006. II. 10056, note F. Descorps Declère ; JCP G 2006, I, 135, n°10, obs. L. Mayaux ; JCP E 2006, 1938, note

S. Hovasse ; D. 2008. 120, obs. H. Groutel ; Resp. civ. et assur. 2006, comm. 208, note G. Courtieu ; RDC 2007.

223, note. Th. Revet et C. Pérès. 137

v. P.-G. Marly, Assurance-vie : la fin des renonciations abusives : LEDA 2/2015, n° 017 138

J De Poulpiquet, Responsabilité des notaires, Dalloz, 2ème

éd., 2009 – J.-L. Aubert et R. Crône, La

responsabilité civile des notaires, Defrénois, 5ème

éd., 2009.

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RJP 2015-1 (Novembre)

97

défini par l’article L. 132-27-1139

, il doit un conseil qui n’est valablement et pleinement

délivré que s’il tient compte de la situation personnelle du client140

. La solution a été rappelée

par un arrêt du 5 février 2015 : lorsque l’assureur n’est pas intervenu dans les choix de

restructuration du patrimoine du client, il satisfait à son obligation d'information et de conseil

en tenant compte de la situation personnelle de l'intéressé141

.

En deuxième lieu, et en lien avec cette dernière solution, lorsque l’assureur agit comme

conseiller en gestion de patrimoine, les obligations liées à la souscription éventuelle d’un

contrat d’assurance vie demeurent, mais la pertinence du conseil s’apprécie à un échelon

supérieur, le contrat d’assurance vie étant pris pour ce qu’il est : le maillon d’une chaîne, la

partie d’un tout142

.

En troisième lieu, si c’est un intermédiaire d’assurance (une banque agissant en tant que

courtier par exemple) qui est l’interlocuteur du client, s’agissant seulement d’assurance,

l’article L. 520-1 du Code des assurances s’applique143

. L’intermédiaire est en outre tenu

d’une obligation de conseil qui consiste à inviter le client à souscrire une garantie adaptée à sa

situation personnelle. Il convient de préciser que, dans l’hypothèse où une banque intervient

en tant que souscripteur d’un contrat groupe emprunteur, des règles spécifiques

s’appliquent144

.

En dernier lieu, si c’est un conseiller en gestion de patrimoine qui intervient et qu’il distribue

des produits d’assurance en tant que courtier, il demeure tenu des obligations liées à son statut

de courtier. Toutefois, si le contrat d’assurance vie s’inscrit dans une stratégie patrimoniale

d’ensemble, il doit également délivrer un conseil portant sur la globalité de l’opération, qu’il

ne peut satisfaire en se contentant d’apporter au client l’ensemble des informations pré-

contractuelles et contractuelles dues au titre de son devoir d’information145

. Le conseil donné

doit être adapté à la complexité de l’opération envisagée146

. L’arrêt précité rendu par la

Chambre commerciale le 10 février 2015 exige que le montage souscrit ne soit pas inadapté à

la situation personnelle du client et à ses objectifs. La double négation n’est pas neutre :

devoir ne pas proposer un montage inadapté n’est pas tout à fait la même chose que devoir

139

« Avant la conclusion d'un contrat d'assurance individuel comportant des valeurs de rachat, d'un contrat de

capitalisation, ou avant l'adhésion à un contrat mentionné à l'article L. 132-5-3 ou à l'article L. 441-1, l'entreprise

d'assurance ou de capitalisation précise les exigences et les besoins exprimés par le souscripteur ou l'adhérent

ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un contrat déterminé. Ces précisions, qui reposent en

particulier sur les éléments d'information communiqués par le souscripteur ou l'adhérent concernant sa situation

financière et ses objectifs de souscription, sont adaptées à la complexité du contrat d'assurance ou de

capitalisation proposé.

Pour l'application du premier alinéa, l'entreprise d'assurance ou de capitalisation s'enquiert auprès du

souscripteur ou de l'adhérent de ses connaissances et de son expérience en matière financière.

Lorsque le souscripteur ou l'adhérent ne donne pas les informations mentionnées aux premier et deuxième

alinéas, l'entreprise d'assurance ou de capitalisation le met en garde préalablement à la conclusion du contrat.

(…) ». 140

Cass. 2ème

civ., 7 juill. 2011, n° 10-16.267 : RGDA 2012. 103, note J. Bigot. 141

Cass. 2ème

civ., 5 févr. 2015, n° 13-28.468, www.actuassurance.com, mars-avr. 2015, n° 40, act. jurispr., note

M. Robineau. 142

Rappr. Cass. 2ème

civ., 4 juin 2014, n° 13-12.770 : Bull. civ. I, no 98, www.actuassurance.com, sept.-oct. 2014,

n° 37 act. jurispr., M. Robineau ; JCP G 2014. 864, note Mayaux. 143

Le texte pose les obligations de l’intermédiaire lors de l’entrée en relation avec le client et renvoie à l’article

L. 132-27-1 précité. 144

C. assur., art. L. 141-1 et s. – Cass. ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267 : Bull. civ. ass. plén., n° 4 ; D. 2007.

985, note S. Piedelièvre ; JCP G 2007, II, 10098, note A. Gourio ; RD bancaire et fin. 2007, comm. 55, obs.

D. Legeais ; RGDA 2007. 397, note J. Kullmann ; RDI 2007. 319, obs. L. Grynbaum ; RDC 2007. 750, obs.

G. Viney. 145

v. Cass. com., 23 sept. 2014, n° 13-22.763, www.actuassurance.com, nov.-déc. 2014, n° 38, act. jurispr.,

M. Robineau ; RGDA 2014. 617, note D. Langé. 146

Cass. 2ème

civ., 4 juin 2014, n° 13-12.770, préc.

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RJP 2015-1 (Novembre)

98

proposer un montage adapté147

. L’arrêt de la Cour d’appel de Bourges ajoute qu’il convient de

tenir compte de la compétence du client lorsqu’il s’agit de se prononcer que le manquement à

l’obligation de conseil. Cela revient à décider que l’obligation n’a pas la même intensité ou la

même ampleur selon l’interlocuteur du conseiller en gestion de patrimoine (au sens large de

l’expression).

Pour autant, il convient de prendre cette présentation synthétique pour ce qu’elle est : une

tentative de rationalisation d’une jurisprudence particulièrement foisonnante en la matière. En

outre, les projets de directive actuellement en examen pourraient conduire à renouveler les

débats.

On ajoutera que l’arrêt rendu par la Cour de Bourges suscite la curiosité, voire la perplexité,

car la question de la prescription, soulevée par la banque, est tranchée en mobilisant deux

textes qui ne peuvent pourtant pas être sollicités simultanément. Le premier, l’article L. 114-1

du Code des assurances, qui prévoit une prescription biennale, est propre au droit du contrat

d’assurance. Selon la Cour de Bourges, il résulte de ce texte que l'action en responsabilité

engagée par l'assuré contre l'assureur ou son représentant en raison d'un manquement à son

obligation contractuelle de renseignement et de conseil se prescrit par deux ans à compter de

la date à laquelle l'assuré a eu connaissance du manquement de l'assureur à ses obligations

ainsi que du préjudice en résultant. Or il est de jurisprudence constante que l’action en

responsabilité de l’assuré contre un courtier n’est pas soumise à la prescription biennale148

car

elle ne dérive pas du contrat d’assurance, au sens du texte. De même, l’action engagée contre

un assureur en raison de son manquement à une obligation précontractuelle d’information et

de conseil ne dérive pas du contrat d’assurance et est donc soumise à la prescription de droit

commun149

. En outre, il est possible de douter du caractère contractuel de la responsabilité en

cause, s’agissant d’obligations précontractuelles.

Le second texte, l’article L. 110-4 du Code de commerce, prévoyait l’application d’un délai

de prescription de dix ans, ramené à cinq ans depuis l’entrée en vigueur de la réforme du 17

juin 2008, sauf si l’obligation en cause est soumise à une prescription plus courte (comme la

prescription biennale du droit des assurances). En l’espèce, seul celui-ci devait s’appliquer. Il

est dommage que l’arrêt ne l’ait pas affirmé.

À la décharge des magistrats berruyers, il est vrai qu’il n’est pas toujours aisé de qualifier les

situations juridiques liées à la bancassurance. En l’espèce, l’établissement de crédit

intervenait à la fois en cette qualité et comme courtier en assurances. Le contrat d’assurance

avait été souscrit auprès d’une autre société, évidemment liée à l’établissement bancaire. Or

ce ne sont pas les mêmes obligations qui pèsent sur l’assureur, sur l’intermédiaire d’assurance

et sur la banque. Identifier les fonctions de chaque intervenant est donc décisif. Il en est de

même en assurance emprunteur, assurance de groupe pour laquelle la banque joue le rôle de

souscripteur.

B – Fausse déclaration du risque et questionnaire de santé

Un arrêt rendu par la Cour de Bourges en juin 2013 (Bourges, Chambre civile, 27 juin 2013,

n° 12/01611, JurisData : 2013-018010) mérite quelques observations, qu’il importe

147

Comp., Cass. com., 13 avr. 2010, n° 08-21.334 : RGDA 2010.1113, note A. Astegiano-La Rizza, qui énonce

que le courtier est tenu d'un devoir de conseil sur les caractéristiques des produits d'assurance qu'il propose et sur

leur adéquation avec la situation personnelle et les attentes de ses clients. 148

Cass. 1ère

civ., 3 mars 1987, n° 85-15.865 : Bull. civ. I, n° 76 ; D. 1987, comm. 337, obs. H. Groutel ; RGAT

1987. 285, note R. Bout. 149

Cass. 1ère

civ., 30 janv. 2001, n° 98-18.145 : Bull. civ. I, n° 14 ; RGDA 2001. 53, note J. Kullmann ; JCP G

2001. II. 10609, note H. Maleville ; RCA 2001, comm. 135.

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RJP 2015-1 (Novembre)

99

d’ailleurs de replacer dans la jurisprudence, quelque peu modifiée depuis, de la Cour de

cassation.

Dans cette affaire, un couple marié avait eu recours à un crédit à la consommation. À cette

occasion, l’époux avait adhéré à l’assurance emprunteur proposée par la banque (la loi

Lagarde n’avait pas encore été adoptée). À cette fin, il avait rempli un questionnaire de santé,

valant déclaration des risques. Il l’avait adressé sous pli confidentiel au médecin conseil de

l’assureur, ce dernier pas davantage que la banque, n’ayant à avoir accès aux données de santé

de l’assuré150

.

Pour des raisons non communiquées dans l’arrêt, une fausse déclaration de l’assuré avait été

établie (certainement après le décès de celui-ci, l’assureur, par l’intermédiaire de son

médecin-conseil, procédant logiquement à ses vérifications après sinistre). Le contrat

d’assurance était donc nul en application de l’article L. 113-8 du Code des assurances.

À la suite d’impayés, une déchéance du terme avait été prononcée par la banque. Mise en

demeure de procéder au règlement, l’épouse survivante faisait la sourde oreille. Puis elle

contre-attaquait en reprochant à l’assureur un certain nombre de manquements. On croit

comprendre qu’elle critiquait notamment l’assureur de ne pas avoir utilement conseillé son

époux au moment de la déclaration des risques.

La Cour de Bourges écarte l’argument en s’appuyant sur les mentions de l’offre préalable de

prêt qui indiquaient que le questionnaire de santé obligatoire doit être adressé sous pli

confidentiel à l'attention du médecin conseil des assureurs. Elle en déduit que l’établissement

de crédit n’a jamais été en possession du questionnaire de santé et qu’il ne peut lui être

reproché de ne pas le produire.

La solution doit être approuvée. Très factuelle ici, elle rejoint la jurisprudence en vertu de

laquelle il n’appartient pas à l’assureur ou à l’intermédiaire d’assurance d’avertir le candidat à

l’assurance qu’il doit remplir le formulaire de déclaration des risques avec sincérité, cette

dernière obligation relevant de l’obligation générale de bonne foi151

. Incontestable sur le plan

des principes, la solution pose cependant difficultés en pratique : il arrive en effet parfois que

l’interlocuteur du candidat à l’assurance lui souffle les « bonnes » réponses, de manière à

éviter des majorations de primes ou de franchises. L’inexactitude de la déclaration des risques

sera alors inopposable à l’assuré si, et seulement si, il parvient à établir cette complicité.

Ainsi, il a été jugé qu’un assureur ne peut se prévaloir, sur le fondement des art. L. 113-8 ou

L. 113-9 de la nullité ou de la réduction proportionnelle lorsqu'il est établi que son agent

général ou son préposé avait eu connaissance lors de la souscription du contrat de la

déclaration fausse ou inexacte de l'assuré152

. Il a du reste été précisé que le principe selon

lequel nul ne peut se prévaloir en justice de sa propre turpitude ne s'oppose pas à ce que la

faute, la négligence ou l'imprudence du mandataire soit invoquée même par celui qui a fait la

fausse déclaration153

.

150

Sur cette question, M. Robineau, L’assureur et les données de santé : quelles obligations ?, in A. Leca (dir.),

Le secret médical, Les études hospitalières, CDSA, 2012, pp. 127-140. – Il ne saurait pas davantage se les

procurer pour les produire en justice. Plus précisément, il ne peut produire un document couvert par le secret

médical intéressant le litige qu'à la condition que l'assuré ait renoncé au bénéfice de ce secret, et il appartient au

juge, en cas de difficulté, d'apprécier, au besoin après une mesure d'instruction, si l'opposition de l'assuré tend à

faire respecter un intérêt légitime (Cass. 2ème

civ., 2 juin 2005, n° 04-13.509 : Bull. civ. II, n° 142 ; RCA 2005,

n° 269, obs. H. Groutel ; RGDA 2005. 693, note J. Kullmann).

151 Cass. 1

ère civ., 28 mars 2000, n° 97-18.737 : Bull. civ. I, n° 101 ; RGDA 2000. 488, note L. Mayaux ; D. 2000.

574, note B. Beignier. 152

Cass. 1ère

civ., 23 nov. 1999, n° 97-15.319 : Bull. civ. I, n° 312 ; RGDA 2000. 49, note A. Favre-Rochex. –

Cass. 1ère

civ., 19 mai 1999, n° 97-14.120 : Bull. civ. I, n° 160 ; RCA 1999, n

° 282, et Chron. 18, par H. Groutel ;

RGDA 1999. 570, note A. Favre-Rochex. 153

Cass. 2ème

civ., 4 févr. 2010, n° 09-11.464 : RGDA 2010. 310, note J. Bigot. – Cass. 1ère

civ., 8 juill. 2010,

n° 09-67.899 : RCA 2010, n° 338, note H. Groutel ; RGDA 2010. 1016, note L. Mayaux.

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RJP 2015-1 (Novembre)

100

L’arrêt annoté souligne également que l’assuré a bien eu connaissance du questionnaire. En

effet, s'il n'avait pas rempli ce questionnaire et ne l'avait pas retourné au médecin conseil,

l'assurance n'aurait pu être mise en place. De la sorte, la preuve que l’assuré est bien l’auteur

de la déclaration des risques est apportée.

Il est vrai que lorsque la déclaration prend la forme d’un questionnaire de santé, la question ne

se pose généralement pas. Il n’en va pas de même en assurance de dommages. C’est d’ailleurs

en considération de cet état de fait que par un arrêt du 7 février 2014 rendu en chambre mixte,

la Cour de cassation a jugé que l'assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse

déclaration intentionnelle de l'assuré que si celles-ci procèdent des réponses qu'il a apportées

aux questions posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque154

.

Elle tranchait ainsi une divergence entre sa chambre criminelle et sa deuxième chambre civile.

Il s’agissait notamment de mettre un terme à la pratique des réponses pré-rédigées par

l’assureur, et ratifiées par le souscripteur, au mieux après un contrôle léger, le plus souvent les

yeux fermés.

Quoi qu’il en soit, en raison de cette jurisprudence de la Haute juridiction, l’assureur ne peut

désormais opposer la fausse déclaration que s’il produit les réponses de l’assuré au

questionnaire de risques qu’il a élaboré. Cette solution produisant parfois des résultats que

l’on peut juger moralement regrettables155

, elle est encore en phase de consolidation et

d’affinement156

. L’arrêt berruyer semble avoir, d’une certaine manière, anticipé les arrêts les

plus récents de la Cour de cassation, en prenant le soin de relever que les réponses inexactes

apportées au questionnaire de santé, et qui avaient conduit à l’annulation du contrat

d’assurance pour fausse déclaration, ne pouvaient être que l’œuvre de l’assuré.

II - L’exécution du contrat d'assurance vie

Deux arrêts relatifs à l’exécution du contrat d'assurance méritent d’être signalés, le premier

étant relatif à la résiliation pour non-paiement des primes d’une assurance décès, le second

portant sur le point de savoir si une banque, courtier en assurances, est tenue ou non de

procéder à des arbitrages sur le contrat d’assurance vie qu’elle a fait souscrire, lorsque la

valeur des unités de comptes sur lesquelles sont investies les primes s’effondre.

A – Le paiement de la prime et la résiliation d’une assurance décès

La Cour d’Orléans a rendu un arrêt que l’on peut qualifier de curieux au mois de juin 2014

(Orléans, Chambre civile, 16 Juin 2014, n° 13/02228, JurisData : 2014-020313). En

l’espèce, en 2003, une banque, agissant certainement en tant que courtier, avait fait souscrire

auprès d’un assureur, une assurance décès à l’un de ses clients. Les primes étaient prélevées

sur le compte du client. Quelques années plus tard, en 2009, à la suite d’une erreur de sa part,

non contestée, la banque opérait le prélèvement sur le compte de la SARL dont le client était

le gérant.

154

Cass. ch. mixte, 7 févr. 2014, n° 12-85.107 : D. 2014. 1074, note A. Pélissier ; JCP G 2014, 419, note

M. Asselain ; RCA 2014, n° 99, note H. Groutel ; RGDA 2014. 197, note J. Kullmann et L. Mayaux.

155 Pour un exemple, Cass. 3

ème civ., 3 juill. 2014, n° 13-21.734 : RTDI 2014-4, p. 43, note M. Robineau.

156 Cass. 2

ème civ., 11 juin 2015, n° 14-14.336, PB : « Qu’en statuant ainsi, sans relever que l’inexactitude de

cette déclaration procédait d’une réponse à une question précise posée par l’assureur lors de la conclusion du

contrat de nature à lui faire apprécier les risques pris en charge, la cour d’appel a privé sa décision de base

légale ». – Cass. 2ème

civ., 11 juin 2015, n° 14-17.971 et 14-18.013, PB : « Qu’en l’état de ces constatations et

énonciations, faisant ressortir la précision et l’individualisation des déclarations consignées dans le formulaire de

déclaration des risques signé par l’assurée, la cour d’appel a souverainement décidé qu’elles correspondaient

nécessairement à des questions posées par l’assureur lors de la souscription du contrat, notamment sur l’identité

du conducteur principal ».

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RJP 2015-1 (Novembre)

101

La SARL en éprouvait une juste émotion dont elle faisait part à la banque quatorze mois plus

tard, en janvier 2011. Un litige s’ensuivait, la banque acceptant de rembourser la SARL si son

client payait les primes qu’elle avait prélevées par erreur sur les comptes de la SARL et non

sur les siens. De son côté le client estimait le contrat d’assurance résilié puisqu’il n’avait plus

payé les primes depuis l’interruption des prélèvements sur son compte.

La banque ayant remboursé la SARL, le juge de première instance estime que le contrat

d’assurance décès a été résilié le 6 juin 2011 (sept jour après réception d’une lettre de l’assuré

adressée à la banque) et condamne l’assuré à rembourser les primes à la banque.

La Cour d’appel infirme ce jugement. Elle considère le contrat résilié depuis 2009 et

condamne la banque à rembourser à l’assuré les sommes prélevées sur son compte au titre du

contrat d’assurance entre janvier et juin 2011.

Au soutien de son arrêt, la Cour d’Orléans rappelle les dispositions de l’article L. 132-20 du

Code des assurances selon lesquelles, en matière d’assurance vie, d’une part, « l'entreprise

d'assurance ou de capitalisation n'a pas d'action pour exiger le paiement des primes » (alinéa

1er

) et, d’autre part, « le défaut de paiement d'une cotisation due au titre d'un contrat de

capitalisation ne peut avoir pour sanction que la suspension ou la résiliation pure et simple du

contrat et, dans ce dernier cas, la mise à la disposition du porteur de la valeur de rachat que

ledit contrat a éventuellement acquise » (alinéa 4). Ce rappel paraît doublement contestable.

En premier lieu en effet, le contrat d’assurance décès lie le souscripteur assuré et la société

d’assurance. La banque est un tiers, qui n’intervient dans l’opération que lors de sa formation,

en tant qu’intermédiaire, puis lors de l’exécution dans la mesure où elle exécute les ordres de

prélèvements afin de payer les primes. En conséquence, il n’y aucune raison pour que la

relation entre la banque et l’assuré ou encore l’erreur commise par la banque ait une incidence

sur le sort du contrat d’assurance. Réciproquement, l’exécution du contrat d’assurance ne

devrait avoir aucune incidence sur le litige opposant une banque et son client, eût-il pour

contexte le paiement des primes d’un contrat d'assurance vie.

En second lieu, la Cour déduit du non-paiement des primes par le souscripteur assuré une

résiliation. À lire son arrêt, tout se passe comme si la résiliation avait lieu de plein droit dans

une telle situation. Or tel n’est pas le cas. L’article L. 132-20, d’ordre public157

, comporte en

effet un alinéa 2 qui prévoit la procédure ouverte à l’assureur s’il désire sanctionner le non-

paiement des primes158

. En conséquence, faute d’initiative de l’assureur, et en particulier faute

d’envoi d’une lettre recommandée, le juge ne peut constater la résiliation.

La Cour a été ici certainement mal aiguillée par les conclusions des parties. La banque avait

commis une erreur qu’elle avait réparée en remboursant la SARL sur les comptes de laquelle

elle avait indûment opéré les prélèvements. L’affaire aurait dû s’arrêter là, à moins que la

banque agît en qualité de mandataire de l’assureur, ce qui n’est pas dit dans l’arrêt et ce que

rien ne permet de penser. Faute de résiliation du contrat d’assurance, celui-ci aurait dû

continuer à produire ses effets. Dès lors il n’y avait pas lieu à condamner la banque à restituer

les primes versées à compter de janvier 2011, sauf à ce qu’une résiliation soit établie.

Il est en effet possible que les parties mettent fin d’un commun accord à leur relation

contractuelle159

. Toutefois, là a encore, de mutuus dissensus entre l’assuré et l’assureur, il n’y

avait trace.

157

C. assur., art. L. 111-2. 158

« Lorsqu'une prime ou fraction de prime n'est pas payée dans les dix jours de son échéance, l'assureur adresse

au contractant une lettre recommandée par laquelle il l'informe qu'à l'expiration d'un délai de quarante jours à

dater de l'envoi de cette lettre le défaut de paiement, à l'assureur ou au mandataire désigné par lui, de la prime ou

fraction de prime échue ainsi que des primes éventuellement venues à échéance au cours dudit délai, entraîne

soit la résiliation du contrat en cas d'inexistence ou d'insuffisance de la valeur de rachat, soit la réduction du

contrat ». 159

Ce qui permet d’ailleurs d’admettre des résiliations alors même que le formalisme légal n’est pas respecté. Il

arrive en effet qu’une lettre de résiliation irrégulière soit considérée comme valant offre de résiliation.

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RJP 2015-1 (Novembre)

102

B – Absence d’obligation de la banque de procéder d’office à des arbitrages sur le contrat

d'assurance vie

Un arrêt déjà évoqué (Bourges, Chambre civile, 22 mai 2014, n° 13/00928, JurisData :

2014-013576) écarte l’action en responsabilité dirigée contre une banque, courtier en

assurances, à laquelle il était reproché de ne pas avoir procédé à des arbitrages permettant de

limiter l’effondrement de la valeur de rachat du contrat, en raison de la chute des unités de

compte sur lesquelles étaient investies les primes.

La solution est logique : faute de mandat de gestion confié à la banque, tiers au contrat

d’assurance, celle-ci ne dispose d’aucune prérogative. Eût-elle demandé à l’assureur de

procéder à des arbitrages, celui-ci aurait refusé d’accéder à sa demande, faute de pouvoir.

Du reste, on peut penser qu’en la matière, un mandat spécial s’imposerait, comme l’exige la

jurisprudence de la Cour de cassation en matière de rachat160

. Il s’agirait alors de viser

expressément le contrat d’assurance vie en cause, en l’identifiant précisément, ce qui ne

poserait pas de difficultés particulières. En l’espèce en effet, c’est la banque elle-même qui

avait servi d’intermédiaire d’assurance et était donc à-même, si tel était le vœu des parties, de

rédiger un mandat spécial.

III - Le bénéfice du contrat d’assurance vie

S’agissant du bénéfice du contrat d’assurance vie, c’est bien entendu principalement sur la

clause bénéficiaire qu’il convient de s’attarder. Cela n’interdit pas de consacrer quelques

brèves observations à un arrêt portant sur la rémunération d’un généalogiste.

A – La clause bénéficiaire

La clause bénéficiaire pose un certain nombre de difficultés pratiques qui, bien souvent,

trouvent leur origine dans une rédaction maladroite, source d’hésitations ou de conflits

d’interprétations. Ce sont bien sûr les enjeux patrimoniaux qui enveniment les débats. Sans

doute est-il vrai que dans nombre de cas, aucune question ne se pose. En effet, soit le stipulant

a coché la clause-type proposée par son contrat, celle qui désigne le conjoint, à défaut les

enfants, à défaut les héritiers. D’une rédaction formellement correcte, elle ne pose pas de

difficultés de mise en œuvre161

, même si en termes de pertinence et d’opportunité, elle est

davantage contestable162

. Soit le stipulant a retenu une autre clause, sur les conseils avisés

d’un professionnel (notaire, conseiller en gestion de patrimoine, etc.). Là encore, si les

préconisations ont été judicieuses, il n’y aura pas de place pour l’interprétation et la mise en

œuvre de la stipulation pour autrui se fera aisément.

L’acceptation de celle-ci par l’assureur permet de mettre un terme à la relation contractuelle. V. Cass. 1

ère civ.,

20 févr. 1973 : Bull. civ. I, n° 62 ; RGAT 1974. 223 – Cass. 1ère

civ., 31 mars 1998 : RGDA 1998. 696, note

F. Chardin et 713, note J. Kullmann. – Cass. 3ème

civ., 19 juin 2012 : RGDA 2012. 1001, note A. Pélissier. 160

Cass. 2ème

civ., 5 juin 2008, n° 07-14.077 : RGDA 2008. 1013, note J. Kullmann. 161

Encore que… La représentation des enfants prédécédés n’est pas toujours prévue alors qu’elle ne joue pas de

plein droit en matière d’assurance vie (Cass. 2ème

civ., 22 sept. 2005, n° 04-13.077 : Dr. famille 2006, comm.

215, note S. Lambert. – Cass. 2ème

civ., 10 avril. 2008, n° 07-12.992 : RGDA 2008. 724, note L. Mayaux ; RCA

2008, comm. 206. – Cass. 2ème

civ., 13 juin 2013, n° 12-20.518 : www.actuassurance.com, sept-oct. 2013, n° 32,

act. jurispr., note M. Robineau ; RGDA 2013.934, note L. Mayaux. 162

V. par ex., J. Aulagnier, Pour une protection optimale sur survivant, choisir de prélever tout ou partie des

biens du prémourant, JCP N, n° 9/10, 1er

mars 2013.

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RJP 2015-1 (Novembre)

103

Il en va tout autrement lorsque le stipulant, de sa propre initiative ou sur les conseils

maladroits d’un tiers a rédigé une clause bénéficiaire susceptible de recevoir plusieurs

interprétations incompatibles entre elles.

1 – La détermination du bénéficiaire : la lettre ou l’esprit ?

Un arrêt rendu par la Cour de Bourges au printemps 2014 (Bourges, Chambre civile, 30 avr.

2014, n° 13/0042, JurisData : 2014-014101) mérite d’être signalé en raison de sa singularité.

En l’espèce, un salarié avait adhéré au contrat de prévoyance collective souscrit par son

employeur. Concernant la garantie décès, il avait choisi de retenir la clause bénéficiaire type,

qui désignait son conjoint survivant non séparé de corps, à défaut, ses enfants. Or il se trouve

que l’adhérent n’était pas marié et vivait en concubinage.

Dans une telle hypothèse, un arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes avait pu retenir qu’en

désignant son conjoint, une assurée avait en réalité souhaité stipuler au profit de son

concubin, d’autant que lors de la souscription, elle était veuve depuis plusieurs années et

vivait en concubinage163

. Cette solution illustre particulièrement bien l’idée selon laquelle, en

matière d’assurance vie, et plus précisément en ce qui concerne la désignation du bénéficiaire

de la garantie décès, la volonté du souscripteur joue un rôle déterminant. En réalité, ce constat

se dédouble.

D’une part, quant à la forme de la désignation, si l’article L. 132-8 du Code des assurances

donne quelques exemples de support, en citant la police, un avenant, le testament ou un acte

sous seing privé signifié à l’assureur, la jurisprudence fait preuve de libéralisme et admet

toute forme d’instrumentum, dès lors que la volonté du souscripteur est clairement exprimée.

Ainsi, elle veille à respecter l’intention du stipulant et à neutraliser tout formalisme inutile164

.

D’autre part, quant au fond, les juges recherchent précisément quelle a été l’intention du

souscripteur, quitte à « sonder les reins et les cœurs », en faisant primer l’esprit sur la lettre.

L’arrêt rennais se situe dans cette voie. D’autres l’ont également explorée165

.

L’arrêt berruyer semble de prime abord s’écarter de cette logique, puisqu’il paraît faire

prévaloir la lettre sur l’esprit. En effet, il déboute la concubine de sa demande tendant à se

faire reconnaître bénéficiaire du capital-décès, la clause désignant le conjoint survivant non

séparé de corps.

À l’examen, il n’en est rien. Adoptant les motifs des premiers juges, la Cour de Bourges

relève en effet toute une série de circonstances qui aboutissent à interdire de se faire une

opinion ferme de la volonté du stipulant. Par exemple, si des attestations affirment que

l’intention de ce dernier était bien de protéger sa concubine, il est à l’inverse relevé que

l’assuré avait été dûment informé de ce que la clause bénéficiaire retenue ne permettait pas de

parvenir à un tel résultat et qu’il n’avait pas réagi à cette information. En d’autres termes,

dans l’affaire berruyère, le conflit opposait la lettre de la clause, qui conduisait à écarter la

concubine au profit des enfants du stipulant, et la volonté de ce dernier, volonté difficilement

déterminable en, l’espèce. Dès lors, n’y avait-il pas véritablement conflit. Ce pourquoi la

Cour énonce qu'en cas de doute, foi est due au titre. Ce n’est que lorsque la volonté du

stipulant est claire et a été mal exprimée dans une clause que l’esprit doit l’emporter sur la

lettre, comme cela avait pu être jugé à Rennes, au profit d’un concubin dans l’arrêt évoqué

précédemment.

163

CA Rennes, 6 nov. 2002 : JCP G 2003, II, 10034, note S. Hovasse ; Dr. famille 2003, comm. 33, note

M. Leroy. 164

v. Cass. 2ème

civ., 7 avr. 2005, n° 04-11.712 : RGDA 2005. 682, note J. Kullmann, admettant une désignation

par lettre simple, dès lors qu’elle était l’expression certaine de la volonté de son auteur alors que la police

exigeait une lettre recommandée 165

Cass. 2ème

civ., 13 juin 2013, n° 12-20.518, préc.

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104

2 – L’attribution par testament du bénéfice de la garantie décès

Comme cela a été rappelé plus haut, il est possible de désigner le bénéficiaire de la garantie

décès d’un contrat d'assurance vie par la voie testamentaire166

. Trois raisons peuvent justifier

le recours à un tel support. D’abord, le testament peut naturellement être l’occasion de

bénéficier des conseils du notaire pour rédiger la clause. Ensuite, dans la continuité, le

recensement du testament au fichier central des dispositions de dernières volontés augmente

les chances de donner efficacité à la clause. Enfin, la voie testamentaire permet de passer

outre les réticences de certains assureurs devant des clauses bénéficiaires perfectionnées,

qu’ils n’ont pas l’habitude de lire et auxquelles, au motif d’un hypothétique risque

d’engagement de leur responsabilité, ils opposent un refus parfaitement injustifié en droit.

Plus original, le recours au testament semble également autoriser le stipulant à évincer les

règles des articles L. 132-12 et L. 132-13 du Code des assurances, de manière à appliquer au

capital versé au bénéficiaire le droit commun des successions et non le droit spécial de

l’assurance167

. On sait en effet que les règles du rapport et de la réduction ne s’appliquent ni

au capital ou à la rente payables au décès du contractant, ni aux primes versées, sauf si celles-

ci ont été manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur, hypothèse rarissime

en raison des contours de cette notion, telle qu’elle a été forgée par la jurisprudence

récente168

. Encore convient-il de préciser que ce retour au droit commun est discuté non

seulement quant à son principe même169

, mais encore quant à ses effets fiscaux170

.

Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Bourges (Bourges, Chambre civile, 27 févr. 2014,

n° 13/00604, JurisData 2014-005086) se rattache à la première série de préoccupations,

encore que la rédaction de la clause eût pu inviter à glisser vers la seconde.

Là encore, faute de rédaction irréprochable, les juges du fond ont dû se livrer à un travail

d’interprétation. On note d’ailleurs que la Cour énonce que « s’il n’est pas contestable que le

contrat d'assurance doit être traité hors succession et que le légataire universel peut être

166

C. assur., art. L. 132-8. 167

Cass. 1ère

civ., 8 juill. 2010, n° 09-12.491 : Bull. civ. I, n° 170 ; RGDA 2010. 1128, note L. Mayaux ;

Defrénois 2011, n° 39225, n° 2, obs. B. Vareille ; RJPF 2010-10/35, n° 10, obs. P. Delmas Saint-Hilaire ;

RTD civ. 2011, p. 167, note M. Grimaldi. – Cass. 1ère

civ., 20 mars 2013, n° 11-27.221 : RGDA 2013. 673, note

L. Mayaux ; Defrénois, 2013. 407, note M. Leroy ; www.actuassurance.com, mars-avr. 2013, n° 30, act. jurispr.,

note M. Robineau. - Adde, Cass. 1ère

civ., 10 oct. 2012, n° 11-17.891 : Bull. civ. I, n° 200 ; RGDA 2013. 160,

note L. Mayaux ; LEDA 2012, n° 159, obs. M. Leroy ; RCA 2013, comm. 72, note Ph. Pierre, Gaz. Pal. 16-

17 nov. 2012, p. 27, note M. Leroy ; RD bancaire et fin. 2013, comm. n° 19, note F. Sauvage ; Dr. et patr. 2013,

n° 227, obs. Ph. Delmas-Saint-Hilaire ; Rev. MJN 2/3013, p. 12, note M. Robineau et L. Villet. 168

Sur cette question, Variations autour du droit de l’assurance vie : petit florilège inspiré par un arrêt du 19

mars 2014, www.actuassurance.com, mars-avril 2014, n° 35, analyses. – J. Aulagnier, Assurance-vie :

l’exclusion des réservataires ou la protection inopérante des primes exagérées : Dr. et patr. 2014, n° 242, p. 20. 169

On lui peut y opposer le caractère d’ordre public de l’article L. 132-13 du Code des assurances (F. Douet,

Retour sur l'intégration volontaire de l'assurance-vie dans la succession : JCP N 2014, act. 178 ; L. Mayaux, note

sous Cass. 1ère

civ., 8 juill. 2010, préc. ; M. Robineau et L. Villet, note préc.). Ce caractère d’ordre public est en

effet affirmé par l’article L. 111-2 du même code. L’argument est cependant écarté par certains auteurs,

s’appuyant notamment sur les premiers commentaires de la loi du 13 juillet 1930, au motif que ne relèvent de

l’ordre public que les dispositions régissant les relations entre assureur et souscripteur (v. not. M. Iwanesko et

M. Leroy, L'intégration volontaire de l'assurance-vie dans la succession : JCP N 2014. 1176 ; M. Leroy et

F. Fruleux, Analyse raisonnée en faveur de l'intégration volontaire de l'assurance-vie dans les opérations

liquidatives, JCP N 2014. 1143). 170

La question est de savoir si l’intégration volontaire de l’assurance vie dans l’actif successoral contamine le

terrain fiscal, ce qui aurait le mérite de la cohérence, ou si elle est cantonnée au terrain civil, ce qui est la thèse

majoritaire (v. not. M. Leroy et F. Fruleux, art préc et réf. cit.), avec le risque, souligné par un auteur (F. Douet,

art. préc.), que l’administration y voie un abus de droit fiscal.

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RJP 2015-1 (Novembre)

105

considéré comme l’héritier visé dans la clause bénéficiaire d’un contrat d'assurance vie, ces

principes doivent être appréciés à la lumière de la volonté prioritaire de la testatrice. ».

En l’espèce, l’assurée, dans son testament, avait précisé les quotes-parts de son contrat

d’assurance vie qu’elle voulait voir attribuer aux bénéficiaires désignés. Il devait s’en déduire,

selon la Cour, que le reliquat devait être attribué à des associations, légataires particuliers,

solution corroborée par la mention dans le même testament que son « argent » devait revenir

aux associations.

La solution semble incontestable au regard des faits de l’espèce. En droit, outre les doutes que

l’on peut éprouver quant au maniement des qualifications de légataires, elle pose davantage

questions. Elle suppose d’admettre que le souscripteur d’un contrat d'assurance vie est un

créancier de l’assureur, autrement dit que le droit de rachat est un droit de créance. Or cette

question est discutée en doctrine, tout au moins en droit civil171

. Le droit fiscal, lui, a tranché

puisque les contrats rachetables entrent dans l’assiette de l’ISF172

.

Il n’est du reste par certain que le considérant précité éclaire et justifie véritablement l’arrêt.

En effet, le juge n’a fait qu’articuler deux stipulations compatibles entre elles et contenues

dans un même testament. Il n’a pas évincé le légataire universel, contrairement à ce que la

formule reproduite plus haut pourrait laisser penser.

Quoi qu’il en soit, cette dernière remarque conduit à rappeler qu’en matière d’assurance vie,

lorsque le stipulant désigne ses héritiers en tant que bénéficiaires, le terme héritier renvoie à

l’ordre successoral organisé par la loi ou par la volonté du défunt. Cette position a été

confirmée par le Ministère de l’économie et des finances173

et par le Garde des Sceaux174

:

« Le terme héritier peut être interprété, depuis un arrêt de la première chambre civile du 4

avril 1978, comme renvoyant à l’ordre successoral organisé par la loi ou la volonté du

défunt », rien ne justifiant « de distinguer la notion d’héritier, selon qu’il s’applique en droit

des assurances ou en droit des successions ». Pourra ainsi bénéficier du contrat le légataire

universel, qui exclura un héritier ab intestat175

.

Toutefois, là encore, la règle n’est pas absolue : la jurisprudence tient compte de la volonté du

souscripteur. Il a ainsi pu être décidé que malgré la présence d’une légataire universelle, le

capital devait être partagée entre tous les héritiers car le legs ne faisait pas perdre aux nièces

du souscripteur, parents désignés par la loi, leur qualité d’héritières et que la désignation par

le souscripteur de ses héritiers comme bénéficiaires de son contrat d’assurance vie démontrait

sa volonté de gratifier les personnes ayant cette qualité et non pas seulement celle ayant la

qualité de légataire universelle176

. Il est vrai que la clause avait été rédigée postérieurement au

testament (une solution inverse aurait sans doute été retenue si le testament avait été

postérieur à la clause).

171

Ph. Pierre in H. Goutel, F. Leduc, Ph. Pierre et M Asselain, Traité du contrat d’assurance terrestre,

LexisNexis, Litec, 2008, n° 2179 et s. – J. Aulagnier, Le droit de rachat : un droit de créance discuté : JCP N

1999. 1405. 172

CGI, art. 885 E. – Cependant, font également partie de l’assiette taxable à l’ISF les primes versées après 70

ans sur les contrats on rachetables. 173

RM Roubaud JOAN 1 juin 2008, p. 5182, n° 8657. 174

RM Laffineur, JOAN 20 juillet 2009, p. 7515, n° 44814. 175

Cass. 1ère

civ., 4 avr. 1978, n 76-12.085 : Bull. civ. I, n° 138. 176

Cass. 2ème

civ., 12 mai 2010, n° 09-11.256 : RGDA 2010. 765, note L. Mayaux.

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106

B – La rémunération du généalogiste

Cette remarque n’est pas sans lien avec le dernier arrêt signalé dans cette chronique. La Cour

d’Orléans (Orléans, Chambre civile, 16 sept. 2013, n° 12/03223, JurisData : 2013-019565)

a en effet infirmé un jugement qui avait fixé l'assiette de l'indemnisation du généalogiste à

l'actif net de la succession perçu par chacun des héritiers, tel qu'arrêté par le notaire chargé du

règlement de la succession. Pour la juridiction du second degré, il convient d'allouer au

généalogiste 10 % de l'actif net de toutes les sommes perçues par chacun des héritiers, cette

assiette comprenant également les fonds reçus au titre des assurances vie dont chacun des

héritiers a pu être bénéficiaire.

En l’espèce, le généalogiste réclamait une indemnisation sur le fondement de la gestion

d’affaires, les héritiers ayant refusé de conclure avec lui un contrat de révélation. Le principe

de l’indemnisation étant acquis, deux points étaient en débat : le pourcentage à appliquer aux

sommes perçues par les héritiers retrouvés par le généalogiste, d’une part, et l’assiette sur

laquelle faire porter ce pourcentage, d’autre part. Sur le second point, qui seul mérite

remarque, l’assurance vie étant « hors succession » aux termes des articles L. 132-12 et

L. 132-13 du Code des assurances, les héritiers estimaient que les capitaux perçus ne devaient

pas se voir amputer d’une indemnité au profit du gérant d’affaires.

C’était oublier que la clause bénéficiaire désignait « mes héritiers ». Dès lors, le généalogiste

a pu être pleinement indemnisé, et l’apparente mauvaise foi des héritiers (des neveux et nièces

dont l’arrêt laisse penser qu’ils n’avaient pas fait preuve de soins et d’affection particulière

pour la défunte) sanctionnée. En outre, s’agissant d’appliquer le régime de la gestion

d’affaires, il n’y avait aucune raison de limiter l’assiette de l’indemnisation et d’exclure les

contrats d’assurance vie. Tel n’aurait pas été le cas si les héritiers et le généalogiste avaient

passé entre eux un contrat de révélation et limité l’assiette de la rémunération à l’actif

successoral. Dans une telle hypothèse, les capitaux décès auraient été exclus. Ils n’auraient

intégré l’assiette de l’indemnisation du généalogiste qu’en l’absence de clause bénéficiaire .

En effet, l’article L. 132-11 du Code des assurances dispose que « lorsque l’assurance en cas

de décès a été conclue sans désignation d’un bénéficiaire, le capital ou la rente garantis font

partie du patrimoine ou de la succession du contractant ».

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107

Articles et Mémoires

De la responsabilité à la responsabilisation des dirigeants

Iony Randrianirina

Docteur en droit privé de l’Université de Poitiers

Centre d’Études sur la Coopération Juridique Internationale (FRE 3500)

Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Université de Saint-Étienne

À l’heure où sont définitivement adoptées les différentes réformes destinées à prévenir les

défaillances des entreprises, il est permis au juriste de s’interroger sur le sort réservé à la

responsabilité des dirigeants de sociétés, principalement des sociétés anonymes, celles qui

pèsent le plus lourd dans l’économie mondiale 177

. Le lecteur l’aura compris, l’étude fait

essentiellement référence aux mesures prises à l’issue de la dernière crise financière de 2008.

En effet, en octobre de cette année-là, en Islande, trois des plus grandes banques ont connu

une défaillance financière et devaient, ensemble, plus de soixante milliards de dollars, soit

plus de trois fois le PIB du pays. La couronne islandaise avait, consécutivement, perdu plus

de 50 % de sa valeur en quelques jours 178

. Aux États-Unis, c’est la banque Lehman Brothers

qui avait donné lieu à plus de soixante-quinze procédures de liquidation judiciaire 179

. Cette

suite de défaillances était due à la vente de crédits hypothécaires à taux variable (subprimes) à

des bénéficiaires sans revenus, ni travail, ni fortune 180

. Enfin, la gestion des fonds

alternatifs 181

, notamment les fonds spéculatifs (hedge funds), a en partie été mise en cause 182

.

Craignant que la crise devienne systémique 183

, les États ont dû intervenir à travers des

177

Bien que les sociétés anonymes représentent un peu plus de 3 % du total des sociétés françaises (M. COZIAN,

A. VIANDIER et F. DEBOISSY, Droit des sociétés, 26e éd., Litec, 2013, p. 286, n° 506), cette forme sociale

s’impose pour les grandes entreprises dont les besoins en capitaux ne peuvent être assurés par un cercle restreint

d’associés, et permet de rechercher les capitaux en faisant appel au public et en offrant aux épargnants, en

échange de leurs investissements, des titres négociables (Sociétés commerciales, Mémento pratique Francis

Lefebvre, 2014, p. 491, n° 37010). 178

V. M. WAIBEL, Iceland’s Financial Crisis – Quo Vadis International Law, ASIL Insights 2010, vol. 14, issue

5. 179

Lehman Brother’s bankruptcy, lessons learned for the survivors, août 2009 : www://pwc.com. 180

M. SANTI, « Les banques ont-elles une responsabilité morale dans le déclenchement de la crise ? », RD

bancaire et fin. 2014, n° 3, dossier 18, n° 7, qui dénonce un abus de la finance : « Dans le monde de la finance

globalisée, la fraude n’est pas une anomalie : elle fait partie intégrante du système ». 181

Les fonds d’investissement alternatifs ont fait l’objet d’une définition juridique officielle par l’article 4 de la

directive « AIFM » (Alternative Investment Fund Manager) n° 2011/61/UE du Parlement et du Conseil du 8 juin

2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs. Ils sont donc « des organismes de placement

collectif, y compris leurs compartiments d’investissement, qui lèvent des capitaux auprès d’un certain nombre

d’investisseurs en vue de les investir, conformément à une politique d’investissement définie, dans l’intérêt de

ces investisseurs et ne sont pas soumis à agrément au titre de l’article 5 de la directive n° 2009/65/CE ». 182

F. BUSSIERE, « La directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs », Bull. Joly Bourse

2012, n° 6, p. 255. Notons que dans l’Union européenne, les fonds d’investissement alternatifs gèrent près de

2 200 milliards d’euros, soit 18 % du PIB (B. FRANÇOIS, « Présentation de la directive AIFM et de l’ordonnance

française du 25 juillet 2013 transposant celle-ci », RTDF 2013, numéro spécial « Colloques », p. 3, et « Colloque

international sur la transposition de la directive AIFM », RD bancaire et fin. 2014, n° 1, alerte 6). 183

La crise systémique est définie comme étant « un événement soudain et généralement inattendu [qui] secoue

les marchés financiers et les empêche d’acheminer efficacement le flux de capitaux là où les opportunités

d’investissement sont les meilleures » (F. MISHKIN, cité par Ch. BORDES, « Les banques et le filet de sécurité

contre le risque systémique », in Les banques entre droit et économie, LGDJ, 2006, p. 177 et s.).

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RJP 2015-1 (Novembre)

108

recapitalisations importantes, voire des nationalisations temporaires 184

, la contribution des

banques centrales et des injections de fonds publics. Les banques centrales jouent un rôle de

prêteur en dernier ressort lorsqu’elles doivent prêter des fonds à des établissements qui

subissent des pertes sur leurs actifs liquides — crédits à court terme, titres — et ne peuvent

faire face à leurs obligations — notamment aux demandes de retrait des dépôts —, sans

vendre des actifs illiquides — les capitaux des entreprises —, afin de restaurer la confiance

des déposants et éviter une course aux dépôts due à la contagion des comportements des

déposants 185

. Quant à l’injection de fonds publics dans les banques, elle a été mise en œuvre

à hauteur de plusieurs milliards d’euros lorsque d’autres secteurs de l’économie étaient laissés

de côté 186

. En Europe, entre octobre 2008 et la fin de l’année 2010, le total des aides

apportées par les gouvernements aux établissements financiers représentait 36,7 % du PIB de

l’Union européenne 187

.

Afin d’éviter qu’une nouvelle crise systémique se reproduise, les États ont élaboré un

arsenal juridique destiné à prévenir toute défaillance économique des grandes sociétés, à

savoir les sociétés anonymes cotées en bourse, les établissements financiers et les fonds

d’investissement alternatifs. Ainsi, aux États-Unis, le Dodd Frank Wall Street Reform and

Consumer Protection Act, adopté le 21 juillet 2010, pose comme principe général que les

contribuables américains ne financeront pas les coûts relatifs à une nouvelle crise financière.

Dans ce cadre, ont notamment été créés une autorité de protection des consommateurs

(Consumer Financial Protection Bureau), un comité de protection des investisseurs (Investor

Advisory Committee), un Office for the Investor Advocate chargé d’assister les investisseurs

en difficulté, un programme de dénonciation (whistleblower), un bureau de la notation de

crédit (Office of Credit Rating) chargé de la régulation de l’activité de notation, et enfin un

conseil de stabilité financière (Financial Stability Oversight Council) ayant pour mission

d’identifier les risques systémiques. Dans le cadre de l’application du Dodd Frank Act, une

règle dite Volcker prévoit d’abord la séparation des activités les plus risquées de celles qui

sont couvertes par la garantie publique, ensuite une restriction des investissements bancaires

dans les hedge funds et les fonds de capital-investissement (private equity) avec un taux

maximal fixé à 3 % du capital de ces fonds, et enfin une limitation de la taille des banques :

en cas de fusion, la nouvelle société ne doit pas représenter plus de 10 % des parts du marché.

En Europe, un régime de résolution des défaillances des établissements de crédit et des

entreprises d’investissement est actuellement en négociation entre le Parlement, le Conseil et

la Commission européenne 188

. Directement inspiré de celui en vigueur aux États-Unis depuis

le Dodd Frank Act, il cherche à trouver un point d’équilibre entre deux exigences

contradictoires : la préservation des actifs de la banque dans le cadre d’une liquidation

ordonnée, d’une part, et la prévention des effets de contagion et du risque systémique, d’autre

part.

Mais pour l’heure, un ensemble de règles introduit une nouvelle régulation prudentielle 189

à travers ce qu’il est communément appelé le « paquet CRD IV » 190

: la directive n°

184

C’est notamment le cas des banques Northern Rock et Royal Bank of Scotland au Royaume-Uni. 185

Ch. BORDES, « Les banques et le filet de sécurité contre le risque systémique », op. cit. 186

B. LECOURT, « Le gouvernement d’entreprise dans les banques : lorsque le droit des sociétés doit s’adapter au

droit bancaire (transposition de la directive “CRD 4”) », Rev. sociétés 2014, p. 335. 187

H. et A. de VAUPLANE, « La gouvernance des banques à l’issue de la crise du système financier », in

Mélanges en l’honneur et à la mémoire de Philippe Bissara, ANSA, 2013, n° 205, p. 359. 188

COM/2012/0280 final. 189

La régulation prudentielle est définie comme étant un « ensemble de dispositions qui tendent à prévenir un

accroissement trop important des risques pris par les professionnels dans leur activité bancaire ou financière,

pour préserver tant la sécurité de la clientèle de ces professionnels que le bon fonctionnement du système

bancaire et financier et, au-delà, l’équilibre de l’économie » (M.-M. VEVERKA, et E. FERNANDEZ-BOLLO, JCl.

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RJP 2015-1 (Novembre)

109

2013/36/UE du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des

établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des

entreprises d’investissement — dite directive CRD 4 —, et le règlement (UE) n° 575/2013 du

Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 — dit règlement CRR 191

—, concernant les

exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises

d’investissement. Dès lors, l’ordonnance française n° 2014-158 du 20 février 2014 192

, portant

diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière

financière, a transposé la directive CRD 4 et adapté le droit français au règlement CRR en

modifiant certaines dispositions du Code monétaire et financier. L’article L. 511-1 prévoit

ainsi la séparation des services bancaires et crée, d’une part, des établissements de crédit

agréés pour recevoir des fonds du public et octroyer du crédit, et d’autre part, des sociétés de

financement qui conduisent seulement des opérations de crédit. Ces dernières ne pourront

plus se refinancer auprès de la Banque centrale européenne. Par ailleurs, la loi n° 2013-672 du

26 juillet 2013 193

interdit aux établissements de crédit, aux compagnies financières et aux

compagnies financières holding mixtes dont les activités sur instruments financiers dépassent

des seuils fixés par décret, d’effectuer certaines opérations autrement que par l’intermédiaire

d’une filiale dédiée. Celle-ci ne pourra recevoir de dépôts couverts par la garantie des dépôts.

Les plus grandes banques françaises devront alors filialiser leurs opérations sur instruments

financiers pour compte propre de l’établissement, ainsi que toute opération pour compte

propre non garantie par des sûretés et conclue avec des organismes de placement collectifs à

effet de levier et autres véhicules similaires 194

. L’objectif affiché de cette obligation de

cloisonner certaines activités dans une filiale dédiée est de « garantir la stabilité financière et

la solvabilité à l’égard des déposants, leur absence de conflits d’intérêts avec leurs clients et

leur capacité à assurer le financement de l’économie » 195

. Le paquet CRD IV impose

également aux établissements bancaires et financiers de respecter des ratios prudentiels

calculés en fonction du niveau de leurs fonds propres et de leur exposition aux risques 196

. Les

filiales dédiées devront elles aussi respecter des ratios prudentiels sur base individuelle, et les

établissements de crédit devront les exclure du périmètre de consolidation. Elles seront donc

traitées comme des entités tierces aux groupes pour l’application de la réglementation des

grands risques. Enfin, toute souscription par la maison mère à une augmentation de capital de

la filiale devra obtenir l’autorisation de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

(ACPR).

Les activités des fonds d’investissement alternatifs ont également fait l’objet d’un

encadrement plus sévère. La directive AIFM exige ainsi des gestionnaires un niveau minimal

de capital initial et de fonds propres 197

. Le capital initial doit être d’au moins 125 000

Banque-Crédit-Bourse, mai 2006, Fasc. n° 60 : Autorité de contrôle des institutions bancaires et financières.—

Statut, n° 2). 190

Capital Requirements Directive. 191

Capital Requirements Regulation. 192

Décr. n° 2014-785 du 8 juillet 2014 relatif au seuil prévu à l’article L. 511-47 du Code monétaire et financier,

JO n° 0158 du 10 juillet 2014, p. 11447. 193

JO 27 juill. 2013, p. 12530. 194

Des exceptions sont toutefois prévues. Les établissements de crédit pourront notamment, dans certains cas,

négocier directement des instruments financiers pour compte propre. Il s’agit principalement d’autoriser les

activités qui répondent aux besoins des clients ou qui permettent de couvrir les risques des établissements. 195

Loi du 26 juillet 2013, art. 2. 196

Les économistes distinguent trois grands types de risques bancaires : le risque de crédit ou risque de défaut,

lié aux prêts octroyés, le risque de taux lié aux taux d’intérêt pratiqués qui, en cas de forte hausse inattendue,

peuvent mettre en difficulté les banques trop exposées à ce risque, et enfin le risque de marché lié aux opérations

sur les marchés de produits dérivés ou des changes (Ch. BORDES, « Les banques et le filet de sécurité contre le

risque systémique », op. cit.). 197

Directive AIFM, art. 9.

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euros 198

. De plus, un montant de fonds propres supplémentaires est exigé lorsque les

portefeuilles des fonds d’investissement alternatifs gérés par le gestionnaire excèdent 250

millions d’euros 199

. Pour finir, la directive AIFM ajoute que les sociétés de gestion, « pour

couvrir les risques éventuels en matière de responsabilité professionnelle auxquels sont

exposés les gestionnaires dans le cadre des activités qu’ils exercent […] doivent soit disposer

de fonds propres supplémentaires d’un montant suffisant pour couvrir les risques éventuels en

matière de responsabilité pour négligence professionnelle ou être couverts par une assurance

de responsabilité civile professionnelle ».

Il est aisé de constater que les mesures prises par les États constituent un véritable arsenal

destiné à prévenir tout risque systémique. Or, si certaines difficultés financières prennent

naissance dans un contexte économique fragile 200

, d’autres, en revanche, sont le résultat de

fautes de gestion ou de défaillances dans la mission de contrôle, directement imputables aux

dirigeants. Que l’on se souvienne seulement de l’affaire Vivendi Universal 201

, de l’affaire

Madoff — du nom du banquier américain ayant recouru à la pyramide de Ponzi dans un but

purement spéculatif 202

—, ou encore de l’affaire Kerviel dans laquelle trois class actions

(actions de groupe) ont été intentées contre la Société Générale, son P.-D.G. et l’un de ses

administrateurs 203

.

Face aux nouvelles mesures de prévention des défaillances financières, dont certaines ne

sont pas encore en vigueur, il apparaît légitime de se poser la question de savoir si les

arsenaux juridiques mis en place prévoient une responsabilisation plus accrue des dirigeants.

Au terme d’une recherche menée en ce sens, il faut remarquer qu’en cas de liquidation

judiciaire révélant une faute de gestion ayant conduit à une insuffisance d’actif, la

responsabilité des dirigeants n’est que théorique. En effet, si des cas de responsabilité civile et

pénale sont prévus par les lois des différents pays, en pratique, toutefois, les actions sont

rarement intentées pour amener les dirigeants à répondre de leurs fautes et notamment à

réparer le préjudice subi par la société. Les ministères publics peinent d’autant plus à

poursuivre les dirigeants que certaines banques avaient été estimées « too big to fail » 204

. Les

responsabilités sont d’autant moins recherchées dans un contexte où des systèmes d’assurance

privée de responsabilité civile, importés d’outre-Atlantique, sont admis par les tribunaux afin

d’inciter les dirigeants à prendre les risques financiers inhérents à leurs fonctions, sans

craindre les foudres de la justice. Ainsi, il est constaté une difficile mise en œuvre de la

responsabilité des dirigeants (I).

198

Ce capital est porté à 300 000 euros pour les fonds d’investissement alternatifs autogérés. 199

Dans ce cas, un montant supplémentaire de 0,02 % du montant du portefeuille excédant 250 millions d’euros

est exigé, en sachant que le montant du capital ne peut excéder dix millions d’euros. 200

Que l’on pense notamment à la déflation des années 1930, aux chocs pétroliers de années 1970, aux krachs de

1987 et de 1991, à la crise asiatique de 1997, à la banqueroute russe de 1998 et à la crise argentine de 2000. 201

Dans laquelle les dirigeants étaient accusés de délit d’initié, de diffusions d’informations fausses ou

trompeuses et d’abus de biens sociaux (Lire not. F. STASIAK, « Affaire Vivendi Universal : condamnation des

dirigeants pour infractions boursières », RSC 2012, p. 571). 202

La pyramide de Ponzi, du nom de son inventeur, un banquier d’origine italienne des années 1920, est un

mécanisme financier consistant à promettre et à servir à des investisseurs des revenus élevés, lesquels ne peuvent

être payés que par des prélèvements sur les apports de futurs investisseurs. Le procédé est nécessairement voué à

un échec qui survient lorsque l’initiateur de la pyramide a épuisé la population des souscripteurs qu’il peut

solliciter. Pour une synthèse, lire J.-H. ROBERT, « L’affaire Madoff et ses suites », RTDF 2013, numéro spécial,

p. 69. 203

Une (08 CV 2495) introduite le 5 mars 2008, une autre le 14 mars 2008, et une troisième (08 CV 2901) le 19

mars 2008 (J. EL AHDAB, « La prise en charge financière par la société de la responsabilité de ses dirigeants :

vers un modèle américain ? », Rev. sociétés 2008, p. 239 et s., note n° 131). Pour une synthèse, lire V. WESTER-

OUISSE, « Responsabilité civile et responsabilité pénales pour dommages boursiers : troublante affaire Kerviel »,

RCA 2013, n° 5, dossier 32. 204

Litt. « trop gros pour faire faillite ». Cette théorie économique décrit la situation d’un établissement financier

dont la liquidation aurait des conséquences systémiques désastreuses sur l’économie.

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Sans doute cette mise en cause n’a-t-elle pas lieu d’être grâce à la prévention, en amont,

des difficultés. En effet, lorsque la société est in bonis, un cadre juridique prévoit un

gouvernement des sociétés 205

essentiellement fondé sur un système collégial, censé prévenir

toute défaillance qui créerait un risque systémique. Un tel gouvernement permet de

responsabiliser tous les acteurs de la vie économique de la société : directeurs généraux,

membres du directoire, membres du conseil d’administration et du conseil de surveillance, et

même les actionnaires. Il s’agit d’une véritable responsabilisation préventive des

dirigeants (II).

I. LA DIFFICILE MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ DES

DIRIGEANTS

En théorie, lorsque la procédure de liquidation judiciaire d’une société fait apparaître une

insuffisance d’actif due à une faute de gestion, plusieurs textes prévoient la mise en jeu de la

responsabilité civile et/ou pénale des dirigeants. Mais en pratique, les actions sont rarement

intentées (A). Quand bien même elles le sont, des systèmes d’assurances de responsabilité

sont admis par les tribunaux, ce qui contribue à la déresponsabilisation des dirigeants (B).

A. Des actions en responsabilité rarement intentées

Sur la mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants ayant commis des fautes de gestion

contributives d’une liquidation judiciaire, les dispositions légales sont légion, tant en matière

civile qu’en matière pénale.

Ainsi, l’article L. 651-2 du Code de commerce prévoit que « lorsque la liquidation

judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en

cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de

cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou

de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de

dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables ».

Devant les juridictions commerciales, la responsabilité délictuelle peut également être

recherchée sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, mais seulement par un

créancier de la société en difficulté ou un associé, et pour des faits antérieurs au jugement

d’ouverture de la procédure collective. Si le créancier demandeur doit justifier d’un préjudice

personnel distinct de celui des autres créanciers — lequel est inhérent à la procédure —, et

rapporter l’existence d’une faute séparable des fonctions de gérance 206

, l’associé, quant à lui,

doit établir un préjudice distinct de celui subi par la société 207

. Une telle action de droit

commun n’est recevable qu’en l’absence d’insuffisance d’actif car si une faute commise par

les dirigeants a contribué à une insuffisance d’actif, l’action en responsabilité ne peut être

exercée que sur le fondement de l’article L. 651-2 du Code de commerce 208

. C’est ainsi que

205

Le terme est issu de la terminologie anglo-saxonne corporate governance. C’est ainsi qu’il est plus courant de

lire sous la plume des auteurs spécialistes la traduction littérale « gouvernance d’entreprise ». 206

Com., 16 avr. 1991, Bull. Joly 1991, p. 705, note J.-J. DAIGRE ; Rev. sociétés 1992, p. 102, note Y. CHAPUT ;

D. 1995, p. 390, note F. DERRIDA.— Com., 7 mars 2006, n° 04-16.536 ; Bull civ. IV, n° 61; D. 2006, AJ, 857,

obs. A. LIENHARD.— Voir également, pour la reconnaissance d’un préjudice subi par le créancier, Com., 11 oct.

1994, Bull. civ. IV, n° 281, p. 225.— Com., 19 déc. 1995, Bull. civ. IV, n° 309, p. 283. 207

Com., 9 mars 2010, n° 08-21.547 ; Bull. civ. IV, n° 48; D. 2010, AJ, 761, obs. A. LIENHARD. 208

Cela était déjà le cas sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985. En ce sens, lire M.-C. PINIOT,

« Responsabilité civile des dirigeants sociaux. Non-cumul du droit des sociétés et du droit des procédures

collectives », RJDA 1995/7, p. 639 : « L’ouverture d’une procédure collective emporte, pour les dirigeants

sociaux, attraction et même absorption des règles de leur responsabilité par le régime dérogatoire organisé par la

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la Cour de cassation juge que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif —

anciennement dénommée action en comblement de passif — ne se cumule, au cas où la

procédure fait apparaître une insuffisance d’actif, ni avec l’action en responsabilité des

dirigeants propre au droit des sociétés, ni avec l’action en responsabilité de droit commun des

articles 1382 et 1383 du Code civil 209

. L’exclusivité de l’action en comblement de

l’insuffisance d’actif entraîne dès lors l’impossibilité de la cumuler avec celle fondée sur les

articles 1382 et 1383 du Code civil 210

. Les actions étant d’ailleurs ouvertes à des catégories

différentes de demandeurs, il est plus exact d’évoquer un concours qu’un cumul d’actions 211

.

Parallèlement, le Code de commerce énonce des sanctions pénales punissant l’abus de

biens sociaux et la banqueroute. Le premier délit consiste, pour les dirigeants mis en cause, à

« faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à

l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise

dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement » 212

, et la banqueroute, définie

à l’article L. 654-2 du Code de commerce, est caractérisée dans des « malversations dans le

but de différer l’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire,

qu’elles aient ou non pour effet d’aggraver le déficit » 213

. S’agissant de ces deux délits, les

actions introduites contre les dirigeants se cumulent aisément avec l’action fondée sur l’article

L. 651-2 du Code de commerce. En effet, la jurisprudence rappelle que l’action indemnitaire

exercée par le liquidateur contre les dirigeants condamnés pour abus de biens sociaux et pour

banqueroute présente une cause et un objet différents de celle tendant à rechercher leur

responsabilité pour insuffisance d’actif, pendante devant la juridiction commerciale 214

.

Par ailleurs, tant en matière de responsabilité civile que pénale, les juges sont unanimes à

sanctionner aussi bien les dirigeants de droit que les dirigeants de fait 215

. En matière bancaire,

la notion de dirigeant de droit et de dirigeant de fait est la même qu’en droit commun 216

.

loi de 1985, tant en ce qui concerne les fautes de nature à engager leur responsabilité, que les personnes

susceptibles de la mettre en cause et le préjudice donnant lieu à réparation ». 209

Com., 28 févr. et 20 juin 1995, Bull. civ. IV, n° 60, p. 57 et n° 187, p. 174 ; D. 1995, p. 390, obs. F.

DERRIDA ; RJDA 1995/7, n° 904 ; RTD com. 1995, p. 663, note J.-P. HAEHL.— Paris, 4 juill. et 15 sept. 1995, D.

aff. 1995, p. 90 et 25. 210

Com., 28 févr. 1995 et 20 juin 1995, n° 93-12.810 ; Bull. civ. IV, n° 60, p. 57 et n° 187, p. 174 ; D. 1995, p.

390, obs. F. DERRIDA ; RTD com. 1995, p. 663, note J.-P. HAEHL ; D. aff. 1995, p. 25 et 90. 211

E ce sens, F. POLLAUD-DULIAN, « De quelques avatars de l’action en responsabilité civile dans le droit des

affaires », RTD com. 1997, p. 349 et s. : « Souvent, on parle de cumul, mais en réalité, il est rare que le

demandeur puisse cumuler des actions. Il est même rare qu’il puisse choisir entre plusieurs actions. Il s’agit

plutôt de concours, c’est-à-dire d’actions en responsabilité intentées par des demandeurs différents contre une

même personne ». 212

C. com., art. L. 242-6, al. 1er

, 3°. 213

D. PASCAL, Rép. dr. pén. et pr. pén., V° Banqueroute, 2006, n° 1. L’article L. 654-2 du Code de commerce

identifie plus précisément le fait d’ « avoir, dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de

redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, soit fait des achats en vue d’une revente au-dessous du

cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds » (1°), d’ « avoir détourné ou dissimulé tout

ou partie de l’actif du débiteur » (2°), d’ « avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur » (3°),

d’ « avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l’entreprise ou de la

personne morale ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation »

(4°), ou enfin d’ « avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des

dispositions légales ». 214

Crim., 31 mai 2006, n° 05-86.396, Juris-Data n° 2006-034488.— Voir également Com., 29 févr. 2000, Bull

civ. IV, n° 42 ; Bull. Joly 2000, 597, note B. SAINTOURENS ; D. aff. 2000, AJ, 158, obs. A. LIENHARD, qui admet

qu’une condamnation pénale pour abus de biens sociaux n’exclut pas une condamnation au titre d’une

insuffisance d’actif.— À l’inverse, une condamnation pour insuffisance d’actif n’empêche pas l’exercice d’une

action civile pour banqueroute et abus de biens sociaux : Crim., 21 nov. 2001, RJDA 2002, n° 3, n° 287. 215

Ainsi en est-il en matière d’abus de biens sociaux (Crim., 3 mai 1967, n° 66-92.965, Bull. crim., n° 148,

concernant le président du conseil d’administration d’une banque qui a consenti des avances à une société

dirigée par son frère, en violation des statuts de cet établissement de crédit) et de banqueroute (Crim., 7 déc.

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RJP 2015-1 (Novembre)

113

La responsabilité pour insuffisance d’actif étant appréciée selon le droit commun, les juges

doivent identifier une faute, un dommage et le lien de causalité entre la faute et le dommage,

étant entendu que la faute ne peut être qu’une faute de gestion. Selon une partie de la doctrine,

la faute de gestion, plus large que la faute dans la gestion, peut être un acte positif ou une

abstention, volontaire ou d’imprudence, légère ou dolosive 217

. Elle consiste dans la mauvaise

appréciation de la situation 218

. D’aucuns considèrent que toute situation critiquable peut

constituer une faute de gestion 219

, et qu’au fond, « la faute de gestion révèle plutôt

l’entêtement dans l’erreur » 220

. C’est donc cette faute de gestion qui est exigée dans le cadre

de l’action pour insuffisance d’actif. S’agissant des administrateurs des sociétés anonymes, le

désintérêt, l’absence d’un contrôle sérieux de l’administration de la société est considérée

comme une faute de gestion par les tribunaux 221

. Le dommage, quant à lui, dans le droit des

1992, n° 92-80.627 ; Bull. crim., n° 402.— Crim., 26 sept. 2001, Dr. sociétés 2002, n° 91, obs. J.-P. LEGROS.—

Crim., 17 nov. 2004, Dr. pén. 2005, n° 61, obs. J.-H. ROBERT). En ce qui concerne l’action en responsabilité

pour insuffisance d’actif, c’est le législateur lui-même qui pose le principe à l’article L. 651-2, al. 1er

. Les

dirigeants de droit s’entendent des « organes légaux de la personne morale, régulièrement désignés » (Ch.

HANNOUN, JCl. Procédures collectives, Fasc. 2905 : Redressement et liquidation judiciaires.— Dirigeants

sociaux. Sanctions patrimoniales.— Responsabilité pour insuffisance d’actif. Obligation aux dettes sociales,

n° 14), à savoir les présidents de conseils d’administration (Com., 25 juin 1991, n° 88-14.373, inédit), les

administrateurs et membres des directoires (Com., 15 janv. 1974, BRDA 1979, n° 9, p. 12), ou encore les

directeurs généraux adjoints (Com., 3 mars 1981, JCP G 1982, II, 19754 ; RTD com. 1982, p. 463, n° 7, obs.

MERLE ; Rev. sociétés 1982, p. 564, note HEMARD). Quant aux dirigeants de fait, ce sont les personnes physiques

ou morales qui, s’immisçant dans les fonctions de directeur, accomplissent des actes positifs de gestion ou de

direction en toute indépendance (Com., 12 juill. 2005, n° 02-19.860 ; Juris-Data n° 2006-029487 ; Bull. civ. IV,

n° 174.— Com., 30 mai 2006, n° 05-14.958 ; Juris-Data n° 2006-033831.— Com., 27 juin 2006, n° 04-15.831 ;

Juris-Data n° 2006-034269 ; D. 2006, p. 2534, note R. DAMMANN et J. PASZKUDZKI.— Voir également J.-L.

RIVES-LANGE, « La notion de dirigeant de fait au sens de l’article 99 de la loi du 13 juillet 1967 sur le règlement

judiciaire et la liquidation des biens », D. 1975, chron., p. 41). Aussi en est-il de l’investisseur qui, par ses

interventions, dépasse un simple rôle de conseil technique et financier et exerce en fait un pouvoir de direction

sur les organes de gestion de la société conseillée, placés ainsi en état de dépendance (Com., 6 févr. 2001, Juris-

Data n° 2001-008025), des membres du conseil de surveillance lorsqu’ils ont exercé une activité positive (Com.,

12 juill. 2005, JCP G 2006, I, 115, n° 8, J.-J. CAUSSAIN, F. DEBOISSY et G. WICKER ; D. 2005, p. 2071,

A. LIENHARD ; Bull. Joly 2006, p. 22, § 4, avis Av. gén. Lafortune et note B. SAINTOURENS ; Rev. proc. coll.

2006, p. 290, n° 2, obs. A. MARTIN-SERF), de l’associé fondateur qui paie les fournisseurs de ses propres deniers

(Com., 28 oct. 2008, n° 07-16.779 ; Juris-Data n° 2008-045600), de celui qui, sans être administrateur, participe

aux délibérations du conseil d’administration (Com., 24 janv. 1984, Bull. civ. IV, n° 31), de la société mère qui

exerce une influence prédominante sur sa filiale et dispose ainsi d’une autorité de fait (Com., 6 juin 2000, n° 96-

21.134 ; Juris-Data n° 2000-002567), du conseil juridique, quand bien même son statut lui interdit l’exercice

d’une activité commerciale (Com., 14 mai 1996, n° 93-13.059), ou encore du banquier ayant choisi une personne

physique exerçant sous son emprise des pouvoirs de direction dans la société en difficulté (Com., 27 juin 2006,

n° 04-15.831 ; Juris-Data n° 2006-034269 ; D. 2006, p. 2534, note R. DAMMANN et J. PASZKUDZKI). 216

Ch. LEGUEVAQUES, Droit des défaillances bancaires, Economica, 2002, p. 507 et s., n° 984 et s. 217

F. DERRIDA, P. GODE et J.-P. SORTAIS, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, 3e éd., Dalloz,

1991, p. 439. 218

M. PARIENTE, « L’action en comblement d’insuffisance d’actif : définition de la faute de gestion et nature

juridique de l’action », Rev. sociétés 1994, p. 778 et s. 219

J. BLANCHARD, Revue des procédures collectives, 1993, p. 584. 220

D. TRICOT, « La responsabilité des dirigeants d’entreprise en France », Les Petites Affiches 2007, n° 249, p.

54 et s. 221

Com., 25 mars 1997, n° 95-10.995, Droit et Patrimoine, juin 1997, p. 89, n° 1703, obs. J.-P. BERTREL, RJDA,

7/1997, n° 966.— Voir égal. Com., 30 mars 2010, n° 08-17.841, JurisData n° 2010-002958 ; D. 2010, p. 960,

qui énonce que lorsque le conseil d’administration ou le directoire d’une société anonyme prend une décision

fautive, chaque membre qui y participe commet une faute individuelle. L’administrateur qui souhaite éviter

d’être associé à la faute du conseil d’administration doit « démontrer qu’il s’est comporté en administrateur

prudent et diligent ». L’arrêt fait donc peser une présomption de faute sur les administrateurs en cas de décision

fautive du conseil. Il rejoint en cela la décision que la Cour de cassation avait rendue, dans la même affaire, le 6

décembre 2005 (Bull. civ. 2005, IV, n° 239 ; Bull. Joly Bourse 2006, p. 31, note Th. BONNEAU ; D. 2006, p. 136,

obs. V. AVENA-ROBARDET ; RTD com. 2006, p. 177, obs. D. LEGEAIS.— Lire égal. D. ROBINE, « Faillite de

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RJP 2015-1 (Novembre)

114

procédures collectives, consiste dans l’insuffisance d’actif que le tribunal apprécie au jour où

il statue 222

.

Les fondements de la responsabilité pour insuffisance d’actif peuvent être recherchés dans

la faute, mais aussi dans le risque. Certains auteurs considèrent ainsi que la notion de risque

comme fondement de la responsabilité joue un rôle dans la sévérité que la jurisprudence

manifesterait notamment à l’égard des établissements financiers. M. le professeur Rives-

Lange et Mme le professeur Contamine-Raynaud estiment, en ce sens, que « les banques

représentent une puissance économique considérable et se livrent à une activité à risque

contre laquelle il convient de protéger la société. Si la création d’un risque n’entraîne pas en

droit français ipso facto, la responsabilité de son auteur, elle incite les juges à se montrer plus

sévères dans l’appréciation des fautes commises » 223

. M. le professeur Pollaud-Dulian, quant

à lui, pose la question de savoir si « à travers le choix de la personne poursuivie en

responsabilité civile, on ne recherche pas une entreprise solvable susceptible d’assumer le

montant des réparations, davantage qu’un responsable véritablement fautif. Même si ce

phénomène reste marginal, il traduirait une incursion de la garantie ou du risque dans un

secteur de responsabilité toujours dominé par la faute » 224

. C’est en tout cas la solution

admise dans les systèmes anglo-saxons qui recherchent la responsabilité dans la personne des

deep pockets, plus solvables. Les dirigeants des sociétés anonymes sont donc traités sur un

pied d’égalité, qu’ils gèrent un établissement de crédit, un fonds d’investissement ou une

société commerciale classique 225

.

La plupart des systèmes de droit étrangers prévoient également la mise en jeu de la

responsabilité des dirigeants en cas d’insuffisance d’actif causée par une faute de gestion.

Ainsi, la jurisprudence américaine connaît la doctrine du piercing of corporate veil ou du

lifting of corporate veil 226

qui consiste à lever l’écran de la personnalité morale, notamment

pour rétablir l’égalité des créanciers dans une procédure collective 227

. Au Royaume-Uni,

l’exception de lifting of corporate veil est rarement appliquée 228

. Elle ne l’est que pour

sanctionner les actes illicites commis par les actionnaires au nom de la société 229

. En effet,

nombre de dirigeants, associés et administrateurs abusent de la personnalité morale. La

banque : recours du Fonds de garantie des dépôts », Act. proc. coll. 2006, p. 1 ; RD bancaire et fin. 2006, comm.

51, obs. F. J. CREDOT et Th. SAMIN). 222

Com. 18 févr. 1992, RJDA 1992/5, n° 521. 223

J.-L. RIVES-LANGE et M. CONTAMINE-RAYNAUD, Droit bancaire, 6e éd., Dalloz 1995, n° 168, p. 153.

224 F. POLLAUD-DULIAN, « De quelques avatars de l’action en responsabilité civile dans le droit des affaires »,

op. cit. Cela apparaît d’ailleurs dans les actions dirigées contre les établissements de crédit des entreprises

soumises à une procédure collective (not. Paris 6 janv. 1977, D. 1977, IR, 44, obs. M. VASSEUR ; JCP 1977, II,

18689, obs. J. STOUFFLET ; Banque 1977, p. 476, obs. MARIN). 225

Aucune atténuation de responsabilité n’est observée à l’égard des dirigeants de banques au motif qu’il serait

plus difficile d’évaluer un produit financier complexe qu’un produit industriel : « bien au contraire, le banquier

est considéré comme un professionnel du risque : on attend de lui qu’il les maîtrise mieux qu’une entreprise

quelconque » (Ch. NOYER, « Les banques se gouvernent-elles comme d’autres entreprises ? », in Les banques

entre droit et économie, op. cit., p. 315, n° 966). 226

J. MACEY and J. MITTS, « The Three Justifications for Piercing the Corporate Veil », in John M. Olin Center

for Studies in Law, Economics and Public Policy, Research paper no. 488. La règle est définie comme suit :

« Piercing the corporate veil is not a principle but a process by which the court remove the cover of separate

from the corporation to find out the person who is working behind it » (J. MCKAY, AG Equitycorp Industries

Group Ltd [1996] 1 NZLR (CA), cité par L. Ch. BISWAS, « Approach of the UK Court in Piercing Corporate

Veil », January 13, 2011, p. 3, http://ssrn.com/abstract=2438217). 227

Par exemple, extension à la société mère de la procédure introduite contre sa filiale : les créanciers de la

filiale peuvent déclarer leurs créances contre la société mère. 228

L. Ch. BISWAS, « Approach of the UK Court in Piercing Corporate Veil », op. cit., p. 5 et s. 229

Ibidem, p. 7 : « If it is appeared to the court that the company is nothing else but the agent of the shareholders

in that case they will pierce the veil. If it does not appear so, the court will never lift the corporate veil ».

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RJP 2015-1 (Novembre)

115

doctrine du lifting of corporate veil agit donc comme un garde-fou 230

. En revanche, une fois

que le director sait ou devrait savoir qu’il n’existe pas de chance raisonnable d’éviter la

liquidation de la société, il est tenu de faire ce qui est raisonnable afin de minimiser le

préjudice des créanciers. S’il continue à endetter l’entreprise, il encourt le risque d’être

poursuivi par le syndic pour wrongful trading et d’être condamné à contribuer aux pertes de la

société et indemniser les créanciers 231

.

Le droit belge connaît également l’équivalent de notre action en responsabilité pour

insuffisance d’actif. Le Code belge des sociétés prévoit ainsi en son article 530, § 1, qu’ « en

cas de faillite de la société et d’insuffisance de l’actif et s’il est établi qu’une faute grave et

caractérisée dans leur chef a contribué à la faillite, tout administrateur ou ancien

administrateur, ainsi que toute autre personne qui a effectivement détenu le pouvoir de gérer

la société, peuvent être déclarés personnellement obligés, avec ou sans solidarité, de tout ou

partie des dettes sociales à concurrence de l’insuffisance d’actif » 232

.

Le droit allemand, en revanche, ne met à la charge du directoire aucune obligation de

combler le passif 233

. La seule responsabilité des dirigeants consiste à déposer le bilan dans les

délais impartis, et une faute de gestion commise avant le dépôt de bilan ne justifie qu’une

demande de la société envers ses dirigeants. Mais aucun fondement spécifique n’existe à la

responsabilité des dirigeants envers la société en difficulté. Néanmoins, si le manquement à

l’obligation de saisine aux fins d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire a

conduit à la cessation des paiements ou au surendettement de la société, le préjudice sera en

théorie double : le préjudice principal de la société et le préjudice spécifique né de la tardiveté

de la saisine. Le conseil de surveillance, quant à lui, engage sa responsabilité s’il n’a pas réagi

aux fautes évidentes du directoire et n’a par conséquent pas pu éviter l’état d’insolvabilité de

la société. Le conseil de surveillance est également responsable dans les hypothèses où il a eu

connaissance de l’insolvabilité de la société et de la tardiveté du dépôt de bilan par le

directoire 234

.

Ainsi, comme chacun peut le constater, les textes sont assez sévères dans la sanction, tant

civile que pénale, des manquements ayant contribué à l’insuffisance d’actif. Cependant, en

pratique, il peut paraître regrettable que les actions soient rarement mises en œuvre. Ainsi, en

2002, aucun des hauts fonctionnaires à la tête des banques nationalisées en difficulté —

Crédit Lyonnais, Worms, UIC Sofal, CDE — n’a été poursuivi sur ses deniers personnels.

Mais, comme le fait remarquer un auteur, « il est vrai que, compte tenu des enjeux financiers

en cause, une telle poursuite représente plus une vengeance qu’une véritable nécessité

230

Ibidem, p. 4 : « Owing to the opportunity of corporate personality many directors, shareholders and other

responsible persons of the company abuse of this power. To defeat such kind of misuse the doctrine of lifting

corporate veil works as a safeguard ». 231

Insolvency Act 1986, art. 214. 232

La faute grave étant « celle qu’un dirigeant raisonnablement prudent et diligent n’aurait pas commise et qui

heurte les normes essentielles de la vie en société » (Comm. Bruxelles, 10 sept 1985, RDC 1987, p. 523.—

Comm. Charleroi, 8 sept 1992, RPS 1993, p. 329), la faute caractérisée suppose que le comportement incriminé

doit pouvoir être perçu comme gravement fautif par tout homme raisonnable (Y. de CORDT et F. MAGNUS, « Les

sanctions du pouvoir en droit belge des sociétés », in Le pouvoir dans les sociétés, travaux de l’association Henri

Capitant, Bruylant, 2012, p. 475). En revanche, la preuve que la faute a contribué à la faillite est suffisante, sans

qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre la faute et l’insuffisance d’actif (Mons,

22 mars 1993, RPS 1993, p. 328.— Bruxelles, 22 mars 2005, JLMB 2006, p. 341.— Comm. Charleroi, 16 déc.

2008, RDC 2000, p. 642). 233

Ch. TEICHMANN, « Le dirigeant d’Aktiengesellschaft en Allemagne », in La direction des sociétés anonymes

en Europe. Vers des pratiques harmonisées de gouvernance ?, sous la dir. de Y. CHAPUT et A. LEVI, Litec, 2008,

p. 51 et s., n° 104. 234

Ch. TEICHMANN, « Le dirigeant d’Aktiengesellschaft en Allemagne », op. cit., p. 53 et s., n° 108. L’action

avait été intentée contre 46 dirigeants de la banque Pallas Stern dont les fautes de gestion avaient été reconnues

(Ch. LEGUEVAQUES, Droit des défaillances bancaires, op. cit., p. 529, n° 1020).

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RJP 2015-1 (Novembre)

116

économique » 235

. D’ailleurs, la seule fois où les juges avaient prononcé une condamnation de

dirigeants à combler le passif, ce fut moins pour sanctionner que pour inciter les actionnaires

à réagir en vue de contribuer à réparer le préjudice de la société liquidée. « Tirer d’abord et

négocier ensuite » 236

. En réaction de la décision judiciaire, les actionnaires personnes morales

avaient spontanément fait une offre de contribution au comblement du passif. L’offre ayant

été homologuée par le tribunal 237

, les demandeurs avaient mis fin aux poursuites civiles 238

.

La dernière mise en cause des dirigeants concerne l’affaire Kerviel et a eu lieu aux États-

Unis 239

.

Si l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif revêt, en pratique, un caractère

anecdotique, l’action récursoire prévue au bénéfice du Fonds de garantie des dépôts, en

revanche, est systématiquement intentée 240

. La dernière action en date est celle engagée

contre les dirigeants du Crédit Martiniquais et accueillie par la Cour de cassation le 30 mars

2010 241

.

Parallèlement, il est tout aussi déplorable que la responsabilité pénale des dirigeants soit

difficilement engagée. Le délit d’abus de biens sociaux, par exemple, s’il peut être caractérisé

en matière bancaire 242

, il obéit néanmoins à un régime dérogatoire au droit commun de

l’infraction d’abus de biens sociaux. Ainsi, le tribunal de grande instance de Paris a-t-il jugé,

le 14 avril 1999 243

, que l’objet social fondamental d’une banque résidant dans la distribution

de crédit à tout client, en conséquence, l’octroi par un établissement de crédit d’un concours à

ses dirigeants ne peut a priori être présumé illicite. Dès lors, pour qu’un concours soit

susceptible de recevoir la qualification d’abus de biens sociaux ou de crédit, il faut constater

qu’au jour de sa conclusion, il a été accordé en faisant obstacle à la mission du contrôle

interne concernant en particulier la prise des garanties possibles (sûretés économiques ou

juridiques), eu égard à la nature de l’opération, en violation des règles prudentielles bancaires,

et de manière contraire à l’intérêt social de la banque, l’opération devant impérativement

présenter un caractère courant et être conclue à des conditions normales. Toutes ces

circonstances font en effet peser un risque anormal et injustifié sur l’établissement de crédit.

235

Ch. LEGUEVAQUES, Droit des défaillances bancaires, op. cit., p. 509 et s., n° 986. 236

L’expression est empruntée à Ch. LEGUEVAQUES, Droit des défaillances bancaires, op. cit., p. 529, n° 1019. 237

Trib. com., Paris, 7 sept. 1998, n° RG 97 076614, n° PC 961200, 01/10/97, inédit. 238

On peut alors lire sous la plume des premiers juges que « l’obligation au comblement de l’insuffisance d’actif

[…] a un caractère patrimonial et indemnitaire, que les dispositions de ce texte ne font pas obstacle à ce que les

dirigeants de droit ou de fait des sociétés débitrices participent volontairement à l’apurement du passif même

s’ils ne reconnaissent pas leur responsabilité et sans que celle-ci soit constatée ». Ainsi, selon le tribunal, la loi

lui donne « la faculté, si les contributions sont effectives et s’il les estime suffisamment significatives,

d’apprécier leur caractère satisfactoire au regard de l’article 180 de la loi du 25 janvier 1985, sans avoir à

rechercher plus avant les responsabilités encourues ». Par la suite, « eu égard au caractère satisfactoire des offres

et au comblement de l’insuffisance d’actif ainsi obtenu, le tribunal dira n’y avoir lieu à statuer plus avant au titre

de l’article 180 à l’égard de quiconque et qu’en conséquence il conviendra de mettre fin aux opérations

d’expertise devenues sans objet et de rejeter comme inutiles, inopérantes ou mal fondées, toutes conclusions plus

amples ou contraires des parties et de les en débouter ». En revanche, l’action en comblement du passif ayant été

engagée, il n’avait pas été possible aux dirigeants de transiger sur cette action (Ch. LEGUEVAQUES, Droit des

défaillances bancaires, op. cit., p. 531, n° 1024). 239

Cf. supra, note n° 27. 240

C. mon. fin., art. L. 312-6, al. 2 : « Le fonds de garantie peut engager toute action en responsabilité à

l’encontre des dirigeants de droit ou de fait des établissements pour lesquels il intervient aux fins d’obtenir le

remboursement de tout ou partie des sommes versées par lui ». 241

Com., 30 mars 2010, pourvoi n° 08-17.841, D. 2010, p. 1678, obs. B. DONDERO ; Rev. proc. coll. 2010, n° 3,

comm. 136, comm. Th. BONNEAU. 242

Voir par exemple Trib. corr., 10 déc. 1976, JurisData n° 60053 ; Rev. jur. comm. 1978, p. 122, note

CHEYRON : « Commet le délit d’abus de biens sociaux le gérant d’une banque qui utilise à des fins personnelles

une partie de la clientèle, en se faisant remettre personnellement des fonds, tout en remettant des reçus sur des

papiers de la société, qui était ainsi engagée à rembourser des sommes qu’elle n’avait pas encaissées ». 243

TGI Paris, 11e ch., 14 avr. 1999, Gaz. Pal. 2000, n° 50, p. 9, note C. TARDO-DINO.

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RJP 2015-1 (Novembre)

117

En droit américain, la qualification pénale est souvent retenue. Aussi en est-il en matière

de fausses déclarations sur la santé financière de l’entreprise – False Statement Act –,

spécialement pour les sociétés cotées – Securities Exchange Act de 1934. Pour citer un autre

exemple, la loi Sarbanes-Oxley de 2004 oblige le président-directeur général et le directeur

financier d’une société cotée à certifier les comptes comme exacts et sincères, et à mettre en

place les procédures de contrôle leur permettant de faire une telle déclaration sous peine

d’amendes civile et pénale sévères ainsi que d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à

vingt ans.

On peut également se poser la question de la responsabilité des associés, bien que le propre

de la société par actions soit de limiter leur responsabilité. Cependant, en ce qui concerne les

établissements de crédit, l’article 52, alinéa 1er

, de la loi du 24 janvier 1984, donne au

gouverneur de la Banque de France la faculté d’inviter les actionnaires à fournir à

l’établissement de crédit le soutien qui lui est nécessaire en cas de défaillance financière.

Toutefois, la Cour d’appel de Paris a jugé que la prérogative reconnue par l’article 52, alinéa

1er

, « n’est pas juridiquement contraignante, dès lors que le texte ne prévoit aucune sanction

contre l’actionnaire qui n’a pas répondu positivement à « l’invitation » et que les engagements

d’un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci 244

.

C’est ainsi que l’ordonnance du 12 mars 2014 a inséré un article L. 631-9-1 au Code de

commerce, qui a pour objet de forcer la main des actionnaires. À défaut de reconstitution des

capitaux propres conformément à l’article L. 626-3, l’administrateur a qualité pour demander

la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée compétente et de voter à la

place du ou des actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit, en faveur d’une ou de

plusieurs personnes qui s’engagent à respecter le plan, une modification du capital ou des

cessions de parts sociales, de titres de capital ou de valeurs mobilières donnant accès au

capital. Cette disposition n’est toutefois prévue que dans le cadre d’un redressement

judiciaire.

La rareté des actions visant à sanctionner les dirigeants ayant contribué, par leurs fautes, à

une insuffisance d’actif ne signifie pas, loin de là, nous l’avons vu, que les textes ne prévoient

rien, bien au contraire. Mme le professeur Saint-Alary-Houin rappelle d’ailleurs qu’ « en

réalité, les sanctions demeurent dans les procédures et sont appliquées. En pratique, se produit

souvent un partage des actions : le ministère public intente les poursuites pour banqueroute et

faillite personnelle ; les mandataires judiciaires les actions en responsabilité quand le dirigeant

est solvable et lorsqu’ils disposent de fonds pour les mettre en œuvre » 245

. Simplement, les

actions sont rares. Mais la simple possibilité d’exercer les actions est la raison pour laquelle

des systèmes d’assurance privée permettent de mettre les dirigeants à l’abri d’avoir à payer de

leurs propres deniers. Or, ces mécanismes ne font que contribuer à leur déresponsabilisation.

B. Un système d’assurance de responsabilité

La déresponsabilisation des dirigeants à l’issue d’une procédure de liquidation judiciaire

née d’une faute de gestion ne trouve pas un fondement clair dans les droits continentaux.

Dans les systèmes anglo-saxons, en revanche, elle peut se justifier par la business judgment

244

Paris, 1re

ch. A, 13 janvier 1998, RTD com. 1998, p. 390, obs. M. CABRILLAC ; Les Petites Affiches 1998, n°

83, p. 20, note F.-J. CREDOT.— Lire également M.-A. FRISON-ROCHE, « L’invitation de l’article 52 de la loi

bancaire », RD bancaire et bourse 1996, p. 86. 245

C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Risques et responsabilités en droit des procédures collectives », Rev. pr. coll.

2010, n° 6, dossier 14.

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118

rule qui peut se traduire par la règle de « prise de décision stratégique souveraine » 246

ou

encore par la « règle de bon sens commercial » 247

. Selon ce principe, il est admis que les

sociétés sont dirigées par des professionnels présumés compétents et les juges ne doivent pas

s’ingérer dans leurs affaires. Les tribunaux n’ont pas à se prononcer sur l’opportunité d’une

décision de gestion apparaissant motivée prise par un dirigeant. Cette décision est présumée

avoir été prise de façon informée, de bonne foi et dans le meilleur intérêt de la société, sauf

preuve contraire – cas de mauvaise foi ou de conflit d’intérêts 248

. Si les directors ont jusqu’à

maintenant rarement été poursuivis en responsabilité aux Etats-Unis, ils le sont parfois en cas

de faute grave (gross negligence)249

. Par ailleurs, les règles de l’Etat du Delaware sont

muettes en matière de responsabilité civile des dirigeants. Les règles sont par conséquent

entièrement jurisprudentielles, et depuis deux siècles, elles sont influencées par l’equity 250

.

La majorité des Etats autorisent la limitation de responsabilité des dirigeants dans les

statuts, à l’égard de la société et/ou des actionnaires. Deux types d’assurance existent : la

société peut, d’une part, souscrire une assurance pour le compte de ses dirigeants, ou d’autre

part, directement prendre en charge les sanctions pécuniaires éventuellement prononcées à

l’encontre de ses mandataires sociaux – condamnation à des dommages et intérêts, frais de

justice, etc. 251

. Les sociétés américaines assurent systématiquement leurs dirigeants contre la

mise en jeu de leur responsabilité par le biais de polices communément connues sous le nom

de Directors’ and Officers’ insurance (D&O insurance). Concrètement, la société s’engage à

indemniser le dirigeant des frais de justice engagés ainsi que des dommages et intérêts

auxquels il est condamné 252

.

En France, ce type d’assurance ne serait que de peu d’intérêt car la prise en charge de la

responsabilité ne pourrait avoir lieu qu’en cas d’action par les tiers, donc seulement en cas de

faute détachable des fonctions. Or, le risque est élevé et aurait un coût exorbitant. La seule

possibilité envisageable est d’assurer la responsabilité du dirigeant à l’étranger, dans des pays

où la responsabilité personnelle est plus aisément admise, notamment aux États-Unis, même

s’ils ont agi dans le cadre de leurs fonctions 253

.

La question se pose en doctrine de savoir quels critères de qualification retenir concernant

la validité d’une telle convention d’assurance. Ni le Code civil, ni le Code des assurances ne

définissent l’opération d’assurance. Ce que l’on sait, c’est qu’elle est constituée de trois

éléments fondamentaux : le risque, la prime et la prestation de l’assureur. Le risque est celui

de voir la responsabilité du dirigeant engagée. La prestation de l’assureur consiste à prendre

en charge les sanctions pécuniaires prononcées à son encontre. En définitive, c’est la prime en

contrepartie de cette prestation qui semble faire défaut : son paiement est-il prévu directement

par le dirigeant ou sous forme de déductions mensuelles sur son salaire ?

Une autre question se pose, celle de savoir si une telle convention relève des conventions

de l’article L. 225-43 du Code de commerce qui interdit aux administrateurs de faire avaliser

par la société leurs engagements envers les tiers. La doctrine majoritaire s’accorde à

246

J. EL AHDAB, « La prise en charge financière par la société de la responsabilité de ses dirigeants : vers un

modèle américain ? », op. cit., n° 35. 247

J. RIGGS, « Le devoir de loyauté des dirigeants sociaux en droit américain », Gaz. Pal. 2000, n° 340, p. 62, p.

62. 248

J. RIGGS, « Les principes juridiques de la responsabilité des dirigeants aux États-Unis », Les Petites Affiches

2007, n° 249, p. 54 et s. 249

ibidem. 250

ibidem. 251

Voir par exemple l’article 145 du RMBCA. 252

J. M. PEREZ, « Esquisse sur la responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit américain », Rev. sociétés

2003, p. 195. 253

J. EL AHDAB, « La prise en charge financière par la société de la responsabilité de ses dirigeants : vers un

modèle américain ? », op. cit., n° 39.

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119

considérer que l’aval doit être entendue, en l’espèce, de façon restrictive et ne doit viser que la

garantie des engagements personnels du dirigeant, position suivie par la jurisprudence 254

. En

effet, comme le fait remarquer un auteur, « le but précis et recherché de cet article consiste

avant tout à prévenir et empêcher les crédits personnels, autrefois généreusement et

abusivement consentis par une société à ses dirigeants. Or, par hypothèse ici, il ne s’agit pas

d’une dette de nature personnelle qu’aurait contractée le dirigeant, mais d’une créance de

dommages-intérêts judiciairement et directement sanctionnée, certes sur son patrimoine

personnel, mais uniquement en raison de ses fonctions sociales » 255

.

Pour en revenir à la nature de la prime d’assurance, on sait qu’au terme d’une

jurisprudence constante, un avantage octroyé à un dirigeant peut s’analyser en un complément

de rémunération lorsque d’une part, il est consenti en contrepartie de services particuliers

rendus à la société par le dirigeant pendant l’exercice de son mandat, et d’autre part, il est

proportionnel à ces services, de façon à ne pas constituer une charge excessive pour la

société 256

. À défaut de réunion de ces trois conditions, l’avantage sera assimilé à une

indemnité particulière constitutive d’une convention conclue entre la société et l’un de ses

dirigeants et donc soumise à la procédure obligatoire de l’article L. 225-38 du Code de

commerce 257

. En tout état de cause, pour la majorité des auteurs, la prise en charge d’une

assurance de responsabilité civile du dirigeant ne relèverait pas de la procédure des

conventions réglementées dans la mesure où d’une part, le contrat d’assurance n’est pas

conclu entre la société et l’un de ses dirigeants, mais entre la société et une compagnie

d’assurance sur le fondement d’une stipulation pour autrui, et d’autre part, le dirigeant ne

saurait être considéré comme une personne directement intéressée 258

.

À ce stade de l’étude, force est de constater que finalement, aucune leçon ne semble avoir

été tirée des crises financières dues à des fautes de gestion : les dirigeants post-crise semblent

être encore plus à l’abri de poursuites judiciaires. La nouvelle maxime de Wall Street et de la

City le prouve bien : « I’ll Be Gone, You’ll Be Gone » 259

. Cela étant, le problème tend peut-

être à disparaître, étant donné une forte responsabilisation préventive des dirigeants en amont,

dans le but de maintenir la société in bonis.

II. LA RESPONSABILISATION PRÉVENTIVE DES DIRIGEANTS

Afin d’éviter l’apparition de toute difficulté financière telle qu’un état de cessation des

paiements, des règles de gouvernance stricte s’imposent aux dirigeants. Ainsi, la direction de

la société se révèle être beaucoup plus collégiale, ce qui est censé conjurer toute défaillance

économique (A). Par ailleurs, les actionnaires ne sont pas en reste puisque leur contrôle est de

plus en plus encouragé par les législateurs (B).

254

Com., 12 avr. 1983, Gaz. Pal. 1983, 2, pan. 239, note DUPICHOT.— Com., 26 avr. 2000, Bull. civ. IV, n° 87 ;

JCP E 2000, n° 30, p. 1234, note Y. GUYON ; Bull. Joly 2000, p. 705, note A. COURET ; Rev. sociétés 2000, p.

531, note Ph. DELEBECQUE ; D. 2000, AJ, p. 270, obs. M. BOIZARD ; RTD com. 2000, p. 669, obs. CHAZAL et

REINHARD ; Banque et Droit juill.-août 2000, p. 54, obs. RONTCHEVSKY ; RD bancaire et fin. 2000, n° 149, obs.

D. LEGEAIS. 255

J. EL AHDAB, « La prise en charge financière par la société de la responsabilité de ses dirigeants : vers un

modèle américain ? », op. cit. 256

Voir not. Com., 11 oct. 2005, RJDA 2006/2, p. 164. 257

En ce sens, J. EL AHDAB, « La prise en charge financière par la société de la responsabilité de ses dirigeants :

vers un modèle américain ? », op. cit., n° 68. 258

Comité juridique ANSA, déc. 2005, n° 05-062, Régime des instruments et pensions de retraite des dirigeants

et information sur leurs rémunérations, avantages et indemnités, spéc. p. 7.— J. MONNET, JCl. Sociétés, Traité,

Fasc. 132-15, 2003 : Assurance de responsabilité – Dirigeants sociaux, spéc. n° 22. 259

Litt. « je ne serai plus là, vous ne serez plus là » (M. SANTI, « Les banques ont-elles une responsabilité morale

dans le déclenchement de la crise ? », op. cit., n° 10).

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A. Une direction plus collégiale de la société

La notion de gouvernement d’entreprise est née d’une doctrine anglo-saxonne sur la

corporate governance destinée à prévenir les dysfonctionnements des conseils

d’administration par la mise en place de contrepouvoirs, à la suite des affaires de corruption

de grande ampleur des années 1990 260

.

En France, le gouvernement d’entreprise a été élaboré par le rapport Viénot I de 1995,

lequel a introduit un conseil d’administration indépendant de la gestion et des actionnaires 261

.

Ainsi, suivant une conception dominante en gestion des entreprises, le gouvernement

d’entreprise peut s’entendre des structures, procédures et pratiques qui précisent le

fonctionnement des organes de direction de façon à ce que soient préservés les intérêts des

parties prenantes 262

.

Si le gouvernement d’entreprise fait aujourd’hui l’objet d’un encadrement plus rigoureux,

c’est parce que les autorités de l’Union européenne estiment que des risques excessifs ont été

pris dans le secteur des services financiers en raison justement des lacunes de la gouvernance

d’entreprise dans un grand nombre d’établissements financiers 263

. Les dirigeants et conseils

d’administration auraient en effet sous-estimé les risques engendrés par de nouveaux produits

financiers particulièrement complexes 264

. Il convenait alors d’imposer des normes

contraignantes, le code de gouvernement d’entreprise diffusé par l’AFEP 265

et le MEDEF 266

n’étant alors qu’un corpus de recommandations et de préconisations dépourvu de toute

sanction coercitive 267

. Il a été reproché aux établissements financiers de ne pas avoir assuré

un véritable équilibre des pouvoirs, en raison d’un faible contrôle des décisions prises en

matière de gestion 268

. L’objectif des réformes n’est pas de punir les banques, mais de

260

Notamment du scandale Lockheed aux États-Unis et de l’affaire Maxwell en Grande-Bretagne (J. SIMON,

« Origine et évolutions du gouvernement d’entreprise à la française de 1995 à nos jours », in Mélanges en

l’honneur et à la mémoire de Philippe Bissara, op. cit., p. 302). 261

À l’appui de ce système, le rapport a défini l’intérêt social comme étant « l’intérêt supérieur de la personne

morale elle-même c’est-à-dire de l’entreprise considérée comme un agent économique autonome, poursuivant

ses fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de ses salariés, de ses créanciers dont le fisc,

de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt général commun, qui est d’assurer la

prospérité et la continuité de l’entreprise » (Lire Ph. BISSARA, « Les véritables enjeux du débat sur le

gouvernement d’entreprise », Rev. sociétés 1998, p. 5.— Ph. BISSARA, R. FOY et A. de VAUPLANE, « Droit et

pratique de la gouvernance des sociétés cotées », Bull. Joly 2007, p. 12.— J. SIMON, « Origine et évolutions du

gouvernement d’entreprise à la française de 1995 à nos jours », op. cit.). 262

J.-P. HELFER, M. KALIKA et J. ORSONI, Management – Stratégie et organisation, 8e éd., Vuibert, 2010, spéc.

p. 449. 263

Les auteurs anglo-saxons dénoncent le fait que des « failures in the corporate governance of banks

contributed to the financial crisis » (lire not. K. J. HOPT, « Corporate Governance of Banks after the Financial

Crisis », August 29, 2011, in Financial Regulation and Supervision, a Post-Crisis Analysis, by E. Wymeersch,

K. J. Hopt, G. Ferrarini, eds., Oxford University Press, 2012, p. 337 ; D. H. ERKENS, M. HUNG and P. MATOS,

« Corporate Governance in the 2007-2008 Financial Crisis : Evidence from Financial Institutions Worldwide »,

January 15, 2012, Journal of Corporate Finance, vol. 18, 2012 ; A. N. BERGER, B. IMBIEROWICZ and Ch.

RAUCH, « The Role of Corporate Governance in Bank Failures during the Recent Financial Crisis », April 2014,

http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2021799). 264

The high-level group on financial supervision in the UE, rapport Jacques de LAROSIÈRE, 2009. 265

Association française des entreprises privées. 266

Mouvement des entreprises de France. 267

Code AFEP-MEDEF, éd. 2013, art. 20 et 25. 268

Directive CRD 4, considérants n° 53 et s.— Lire égal. le Livre vert sur « Le gouvernement d’entreprise dans

les établissements financiers et les politiques de rémunération », COM (2010), 284 final, juin 2010. Certains

auteurs reprochent toutefois aux autorités européennes de trop insister sur la responsabilité des conseils

d’administration dans le déclenchement de la crise financière, sans tenir compte des facteurs macroéconomiques

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RJP 2015-1 (Novembre)

121

s’assurer qu’à l’avenir, elles ne prennent plus de risques disproportionnés par rapport aux

besoins de l’économie 269

.

Si des réformes spéciales ont été menées pour les établissements financiers, les sociétés

cotées et les fonds d’investissement alternatifs, il faut constater une certaine uniformité dans

les mesures prises, ce qui s’explique aisément par la structure des entreprises concernées. En

effet, elles adoptent en majorité la forme de sociétés anonymes à conseil d’administration

avec unicité des fonctions 270

. Le législateur européen exigeant que les établissements

financiers aient la personnalité morale, et le Comité des établissements de crédit et des

entreprises d’investissement prescrivant l’existence d’un organe collégial dans un souci de

renforcer l’équilibre dans l’exercice des fonctions de direction et de contrôle, quelle que soit

la forme juridique adoptée, la forme la plus répandue reste la société anonyme 271

.

Parmi les règles communes aux sociétés cotées, aux établissements financiers et aux fonds

d’investissement alternatifs, trois grands axes se dessinent : la soumission obligatoire à un

code de gouvernement, la dissociation des fonctions de président du conseil d’administration

et de directeur général, et enfin la création d’un organe de contrôle des risques.

Concernant les sociétés cotées, c’est la directive n° 2006/46 du 14 juin 2006 272

qui leur

impose de se référer à un code de gouvernement d’entreprise. À défaut de s’y conformer, elles

doivent expliquer les raisons pour lesquelles elles ne s’y réfèrent pas ou n’appliquent pas

certaines de ses recommandations 273

. Le code de gouvernement en vigueur est celui élaboré

par l’AFEP et le MEDEF en juin 2013 274

. Quant aux établissements financiers, c’est la

directive CRD 4 qui sanctionne les sociétés qui n’ont pas mis en place un dispositif de

gouvernement d’entreprise 275

. S’agissant des fonds d’investissement alternatifs, l’obligation

de se conformer à un gouvernement d’entreprise est imposée par la directive AIFM 276

.

(not. B. LECOURT, « La directive “CRD 4” du 26 juin 2013 et les mesures ayant trait au gouvernement

d’entreprise », Rev. sociétés 2013, p. 654). 269

B. BREHIER et F. MEKOUI, « Réflexions sur la loi de séparation et de régulation des activités bancaires :

quelles conséquences pour la structure des banques, l’organisation des marchés et la supervision ? », Bull. Joly

Bourse, sept. 2013, n° 9, p. 422.— Lire égal. H. et A. de VAUPLANE, « La gouvernance des banques à l’issue de

la crise du système financier », op. cit., p. 359 : « Le changement dans la gouvernance des banques constitue

donc une piste nécessaire et indispensable pour éviter que celles-ci recommencent à prendre les niveaux de

risques inconsidérés aboutissant à la création d’un risque systémique ». 270

D’aucuns déplorent que le système français délaisse la société à directoire « alors que deux structures de

direction sont offertes dans notre pays » (B. FRANÇOIS, « Recommandation AMF DOC-2013-20 – Rapport 2013

de l’AMF sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants des valeurs moyennes et petites 18

novembre 2013 », Rev. sociétés 2014, p. 66). 271

Ch. NOYER, « Les banques se gouvernent-elles comme d’autres entreprises ? », op. cit., p. 315, n° 964.— À

noter également que le Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, chargé de vérifier

l’adéquation de la forme juridique de l’entreprise à l’exercice de l’activité d’établissement de crédit, n’a jusqu’ici

jamais agréé en qualité de banque des sociétés à responsabilité limitée (Rapport du Comité, 2004, p. 106 et s.). 272

codifiée dans la directive comptable n° 2013/34/UE du 26 juin 2013. 273

Directive n° 2013/34/UE du 26 juin 2013, art. 20. Cette règle, dite « comply or explain », est aujourd’hui

insérée à l’article L. 225-37 du Code de commerce. 274

Pour les petites et moyennes capitalisations, le code de gouvernement applicable est le code Middlenext. 275

Not. déclaration publique précisant l’identité de l’établissement, injonction, retrait d’agrément, interdiction

provisoire frappant les dirigeants d’exercer des fonctions dans des établissements de crédit ou des entreprises

d’investissement, sanctions pécuniaires d’un montant maximal de 10 % du chiffre d’affaires annuel net

(Directive CRD 4, art. 67, § 1, d et § 2). 276

Son considérant n° 22, notamment, dispose qu’ « il est nécessaire que l’activité des gestionnaires fasse l’objet

d’un contrôle de gouvernance strict. Les gestionnaires devraient être gérés et organisés de manière à réduire au

minimum les conflits d’intérêts. Les exigences organisationnelles énoncées par la présente directive ne devraient

pas préjuger les régimes et contrôles instaurés par le droit national pour l’enregistrement des personnes

physiques travaillant chez ou pour un gestionnaire ».

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RJP 2015-1 (Novembre)

122

Par ailleurs, dans les trois types de sociétés, le législateur enjoint les dirigeants à séparer

les fonctions de président du conseil d’administration de celles de directeur général 277

. Faut-il

comprendre ici une importation du gouvernement d’entreprise pratiqué aux États-Unis ? Le

principe posé par le RMBCA (Revised Model Business Corporation Act), sorte de code type

des sociétés transcrit dans le droit positif de plus de la moitié des États fédérés 278

, est la

gestion par le conseil d’administration (board of directors). Ce sont donc les directors qui

sont responsables devant les actionnaires, mais ils délèguent les affaires quotidiennes à des

officers (gérants) : CEO, CFO, etc. Mais ces derniers, qui détiennent très souvent des mandats

de directors, encourent dès lors la même responsabilité dans leur gestion 279

.

Enfin, dans chacune des trois structures, les textes imposent la création d’un organe chargé

de contrôler les décisions de prise de risques financiers. Pour les sociétés cotées, c’est la

directive 2006/43/CE qui impose la mise en place d’un comité d’audit afin d’assurer

l’efficacité des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques. Pour les établissements

financiers, c’est l’article 76, §3, de la directive CRD 4, qui impose la création d’un comité des

risques composé d’administrateurs et qui a pour mission de conseiller l’organe de direction au

regard des stratégies globales en matière de risques. Les établissements doivent également

disposer d’une « fonction de gestion du risque », indépendante des fonctions opérationnelles,

et dirigée en principe par un membre de la direction générale 280

. En droit français,

parallèlement à la création du comité des risques, l’ordonnance du 20 février 2014 prévoit la

nomination d’un responsable de la gestion des risques 281

, lequel peut être un dirigeant ou une

autre personne si cette dernière dispose d’une position hiérarchique suffisamment élevée pour

exercer sa mission de façon indépendante.

À côté d’un gouvernement d’entreprise plus collégial, il est proposé que les actionnaires

soient plus impliqués dans la gestion des sociétés anonymes.

B. Un contrôle plus accru des actionnaires

Une proposition de directive est en discussion en vue de promouvoir l’engagement à long

terme des actionnaires 282

. Elle vise la modification de la directive n° 2007/36/CE du 11 juillet

2007 concernant l’exercice de certains droits des actionnaires de sociétés cotées. De manière

plus générale, cette proposition devrait permettre de prévenir les défaillances dues à une

gouvernance insatisfaisante des sociétés cotées par leurs conseils d’administration, leurs

actionnaires — investisseurs institutionnels et gestionnaires d’actifs —, les intermédiaires et

277

Pour les établissements financiers, c’est l’article 88, § 1, e, de la directive CRD 4, transposé à l’article L. 511-

58 du Code monétaire et financier, qui interdit le cumul. 278

Même quand il n’est pas transcrit dans le droit interne d’un État, il est souvent cité par les tribunaux. En effet,

le droit des sociétés dépend du droit applicable dans chaque État et non du système fédéral. Il faut noter qu’une

large majorité des sociétés commerciales (corporations) est créée selon le droit de l’État du Delaware qui a

élaboré un droit souple, la corporate law, ou Delaware General Corporations Law (DGCL), qui sert de

référence à toutes les sociétés commerciales américaines. D’ailleurs, les plus importantes sociétés américaines

ont leur siège dans cet État. Sur ce point, lire J. RIGGS, « Le devoir de loyauté des dirigeants sociaux en droit

américain », op. cit. — J. M. PEREZ, « Esquisse sur la responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit

américain », op. cit. 279

J. RIGGS, « Les principes juridiques de la responsabilité des dirigeants aux États-Unis », op. cit.— Lire aussi

J. EL AHDAB, « La prise en charge financière par la société de la responsabilité de ses dirigeants : vers un modèle

américain ? », op. cit., n° 35. 280

Directive CRD 4, art. 76, § 5). Le comité des risques doit donc être distinct du comité d’audit, ce qui va dans

le sens des vœux doctrinaux (Lire not. B. LECOURT, « Le gouvernement d’entreprise dans les banques… », op.

cit.). 281

C. mon. fin., art. L. 511-64 et s. 282

COM (2014), 213 final, 9 avril 2014.

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les conseillers en vote — les entreprises qui fournissent des services aux actionnaires,

notamment des conseils de vote. Les actionnaires devraient pouvoir exercer plus facilement

leurs droits, voire les renforcer. Notons que le Code de commerce octroie déjà des droits non

négligeables aux actionnaires. Ces derniers décident notamment du montant des jetons de

présence que le conseil d’administration partagera entre les administrateurs 283

. En outre, ils

autorisent un plan de stock options 284

et approuvent les conventions réglementées attribuant

des rémunérations liées à la cessation des fonctions de dirigeant 285

. Désormais, le § 24.3 du

code AFEP-MEDEF introduit un vote consultatif des actionnaires sur la rémunération

individuelle des dirigeants, appelé say on pay. Il s’agit d’un vote ex-post sur le montant ou la

valorisation des éléments de la rémunération due ou attribuée au cours du dernier exercice

clos, à l’inverse d’un vote ex-ante sur la politique de rémunération de l’exercice en cours. Le

texte recommande de soumettre aux actionnaires une résolution pour le directeur général ou le

président du directoire, et une autre pour les directeurs généraux délégués ou autres membres

du directoire 286

.

En matière bancaire, le Comité des établissements de crédit et des entreprises

d’investissement subordonne parfois l’agrément à la signature par l’actionnaire majoritaire

d’une lettre dite de confort ou de parrainage par laquelle il s’engage à exercer une

surveillance sur la gestion de l’établissement de crédit en cause afin que la société soit

toujours en mesure de respecter les obligations imposées par la réglementation bancaire en

vigueur, ainsi qu’à répondre à toute demande du gouverneur de la Banque de France de

fournir à l’établissement le soutien financier nécessaire, conformément au premier paragraphe

de l’article 52 de la loi bancaire de 1984 287

.

Les catégories d’actionnaires les plus intéressées par un renforcement de leurs droits sont

incontestablement les investisseurs institutionnels. Certains auteurs craignent dès lors un

phénomène du free rider (« passager clandestin »). Mme le professeur François, notamment,

redoute que « les actionnaires qui possèdent peu d’actions [soient] enclins à différer leur

surveillance dans l’espoir que d’autres s’en chargeront et qu’eux-mêmes en profiteront sans

en assumer le coût, ce qui peut décourager l’actionnaire assurant ce contrôle qui n’en recueille

le bénéfice qu’à proportion de sa détention d’actions » 288

.

On peut le constater, le cadre juridique prévu concernant le gouvernement d’entreprise

paraît suffisamment strict afin de prévenir tout risque de défaillance financière et donc tout

risque de crise systémique. En effet, des contrôles sont instaurés à tous les niveaux de la

gestion, et l’accentuation des droits des actionnaires ne peut que contribuer à la politique de

prévoyance adoptée par les différents gouvernements.

Cependant, l’enthousiasme peut être assombri par le constat de l’absence de règles aussi

drastiques à l’égard des dirigeants dans l’hypothèse où, malgré une prévention en amont des

difficultés, la société vient à être liquidée. Les propos développés en première partie de cette

étude montrent que dans ce cas, on assiste à une véritable déresponsabilisation des dirigeants.

283

C. com., art. L. 225-45. 284

C. com., art. L. 225-177. 285

C. com., art. L. 225-42-1. 286

Pour plus de détails sur le say on pay vote, lire B. DONDERO, « Le code AFEP-MEDEF révisé : un nouveau

départ », Rev. sociétés 2014, p. 7 ; B. FRANÇOIS, « Recommandation AMF n° 2013-15 – Rapport 2013 de

l’AMF sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants », Rev. sociétés 2014, p. 65, et

« Guide d’application du code AFEP-MEDEF de gouvernement d’entreprise, Rev. sociétés 2014, p. 270 ; S.

ROUSSEAU, « Le Say on Pay : l’expérience nord-américaine », RTD com. 2014, p. 461. 287

L’article 52, alinéa 1er

, de la loi du 24 janvier 1984, donne au gouverneur de la Banque de France la faculté

d’inviter les actionnaires à fournir à l’établissement de crédit le soutien qui lui est nécessaire en cas de

défaillance financière. 288

B. FRANÇOIS, « Le renforcement des règles de transparence pour les investisseurs institutionnels », Rev.

sociétés 2013, p. 399.

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Sans doute Mme le professeur Coquelet avait-elle raison en écrivant que « décidément, il

devient nécessaire que le droit des entreprises en difficulté et le droit des sociétés cessent

simplement de cohabiter et qu’un dialogue se noue entre ces deux branches du droit pour

qu’existe enfin un droit des sociétés en difficulté, digne de ce nom » 289

.

Au terme de cette recherche, un bilan peut être dressé entre l’appréhension de la

responsabilité des dirigeants dans une société in bonis et celle dans une société en liquidation

judiciaire. Alors que cette responsabilité est aujourd’hui fortement encadrée tant que la

société est in bonis, elle est pratiquement inexistante en cas d’insuffisance d’actif générée par

des fautes de gestion. L’explication est sans doute simplement celle fournie par Mme le

professeur Saint-Alary-Houin : « alors que le traitement du risque est mécanique et objectif,

l’appréciation des responsabilités repose sur celle des comportements » 290

.

289

M.-L. COQUELET, « Risques, responsabilités des associés d’une société en procédure collective », Rev. proc.

coll. 2010, n° 6, dossier 6, n° 23. 290

C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Risques et responsabilités en droit des procédures collectives », op. cit.

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La responsabilité de l’Opérateur du Transport Multimodal en doit français

Będkowski Szymon

Mémoire présenté en vue de l’obtention du Master Droit, économie, gestion, mention droit

privé, spécialité droit des affaires international et européen, Université d’Orléans, UFR DEG

– Université Jagellone, Cracovie. Sous la Direction de Carine Laurent-Boutot

Introduction

L’accroissement intensif des échanges internationaux de marchandises qui a eu lieu au

début du XXème siècle a montré très clairement la nécessité du développement du transport

en utilisant une variété de moyens. Cependant, en raison de l’approche sectorielle au

processus de déplacement des marchandises, les points de contact des branches de transport

étaient très souvent négligés. Et c’est justement le transport multimodal qui englobe toutes ces

points et les branches. Il répond aux besoins économiques du transport moderne, et constitue,

en outre un reflet du progrès en matière de technique et de standardisation du transport de

marchandises par les unités de cargaison tels que les palettes ou les conteneurs, d'une part

permettant de simplifier la passation des contrats, et de l'autre part la réclamation des recours

par l’expéditeur de la marchandise.

Il faut souligner que malgré la récession on n’a pas observé une baisse de l'utilisation

des conteneurs. Les statistiques de bande passante par les 10 ports les plus grands du monde

sont optimistes, et on a connu pendant quatre ans291

une croissance de 6% à près de 50% du

nombre de conteneurs expédiés292

. Cela signifie que malgré la diffraction du commerce

mondial, la popularité des services de type door-to-door293

présente toujours la tendance

croissante.

Le transport multimodal écarte l'approche traditionnelle: un mode de transport - un

contrat. Au lieu de conclure plusieurs contrats l'expéditeur contracte seulement avec une

entité, qui le libère de l'organisation de l'ensemble du projet de déplacement de marchandises.

Cependant, le contrat, dont l'objet est d'organiser le processus du transport à l'aide de

différents modes de transport, crée de nombreux de problèmes juridiques dans le monde des

conventions unimodales. Le transport multimodal place au centre une figure d'organisateur,

entrepreneur du transport, qui est le seul cocontractant de l'expéditeur initial294

, puisque il

s’oblige d’effectuer le déplacement sur tout le trajet prévu par le contrat. Rarement, va-t-il

exécuter cette obligation lui-même, la nature de ce type de transport le forcera à contracter

avec des autres entités. Ainsi un univers particulier s’est créé, où les réclamations en cas de

dommages peuvent survenir à deux niveaux: premier: l'entité autorisé pour demander la

291

Statistiques disponibles pour la période 2008-2012, OECD Statistics Brief Trends in the Transport Sector,

International Transport Forum, décembre 2013, p.3

http://www.internationaltransportforum.org/statistics/StatBrief/2013-12-Trends-Perspective.pdf OECD Key

Transport Statistics 2012 Data, International Transport Forum, 2013

http://www.internationaltransportforum.org/Pub/pdf/13KeyStat2012.pdf 292

Il est important de mentionner aussi que la plupart de ces ports sont situés sur le territoire de la Chine, qui

investit le plus fortement dans le développement des infrastructures de transport multimodal, en reconnaissant

son véritable potentiel. Multimodal Transport to Spur Economic Growth in Central PRC 27 février 2014,

http://www.adb.org/news/china-peoples-republic/multimodal-transport-spur-economic-growth-central-prc 293

294

On va utiliser la notion d’expéditeur initial, puisque l’ETC est aussi un expéditeur des marchandises en

contractant avec des transporteurs de branche.

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RJP 2015-1 (Novembre)

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réparation295

– l’entrepreneur de transport multimodal, et deuxième: entre ce dernier et les

voituriers sectoriels. On va donc confronter la question si dans la première de ces relations

peut-on utiliser l'un des systèmes de responsabilité de branche. Si on ajoute le fait que le

dommage est rarement localisable dans le transport de conteneurs un ensemble de problèmes

juridiques intéressants est né.

Le problème principal, un axe de la question, en raison duquel il fonctionne dans

tous les discussions doctrinales, est comment la responsabilité de cette entité qui assume

l’obligation d’organiser le processus du transport multimodal doit-elle être formée.

Le but du présent mémoire est de formuler un modèle de la solution internationale et

nationale de la responsabilité d’entrepreneur du transport multimodal. L'analyse portera non

seulement sur les manifestations de la présence de la régulation du transport multimodal sur la

scène internationale, mais aussi sur les lois des pays qui possèdent des dispositions relatives à

ce type de transport dans leur ordre juridique interne. Ce rassemblement et la dissertation

transparente de différentes propositions de traiter le sujet, en indiquant leurs avantages et

inconvénients pratiques, servira par la suite à la base de la création du meilleur modèle

théorique possible. Ensuite, ce modèle va subir un traitement supplémentaire afin de clarifier

la proposition spécifique du régime de responsabilité précis. Enfin, en utilisant les résultats de

cette analyse, on va regarder le droit français. Le but ultime est de répondre à la question

quelle place doit-on attribuer au contrat de transport multimodal dans la législation nationale,

et donc d'aborder indirectement le problème de la responsabilité de l’entrepreneur du

transport multimodal en vertu de droit français.

L’utilisation du terme de l’entrepreneur du transport multimodal - ETM (angl.

Multimodal Transport Operator ou MTO296

) mérite une explication. C’est une notion qui a

été utilisée dans la Convention de Genève de l'Organisation des Nations Unies relative au

transport multimodal international de marchandises en 1980, qui sera dans le présent mémoire

acceptée et utilisée comme le terme le plus caractéristique et le plus conforme à la nature

particulière de cette figure juridique.

La première partie de ce mémoire va être consacrée à la présentation de la notion du

transport multimodal, sa définition et sa caractéristique principale, les divers termes plus ou

moins proches pour maitriser le désordre doctrinal. Consécutivement on va aborder la nature

du contrat de transport multimodal, différences principales des contrats les plus proches dans

la pratique du transport pour déterminer si ce contrat peut être assimilé à un contrat nommé ou

nécessite sa propre régulation.

La deuxième partie traite le problème de la construction d'un système de

responsabilité. Dans son cadre, tous les trois systèmes les plus fréquemment rencontrés seront

analysés, donc le système uniforme, de réseau et uniforme modifié. Leur étude va démontrer

précisément les avantages et les inconvénients de chacun et la meilleure proposition théorique

va être présentée, tenant compte de la nécessité pratique tout d'abord d'assurer le respect

élémentaire de la revendication de la personne autorisée vers l’organisateur du transport et de

cet dernier envers ses contractants - transporteurs de branche, autrement dit, des problèmes

de recours. Puis, on va présenter une analyse de la façon de remplir le modèle de système de

la responsabilité qui sera choisi comme le meilleur, avec les éléments structuraux détaillés de

responsabilité, comme sa période, son fondement, l’exclusion de responsabilité et des limites

d'indemnisation.

Enfin, la troisième partie répond à la dernière des questions sous-thèmes de ce présent

mémoire, à savoir quelle est la relation du droit français au transport multimodal international.

Après la réflexion sur si et quand le recours à la loi française sera du tout possible et

295

Ce n’est pas toujours l’expéditeur initial. Le contrat de transport multimodal peut être conclu pour autrui. 296

La version française du texte de la convention utilise le terme d’entrepreneur, et non organisateur. Cependant

la législation hispanophone préfère cette deuxième notion.

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RJP 2015-1 (Novembre)

127

approprié, la classification du contrat en vertu de la loi française va être proposée, une analyse

de la conformité de la loi française avec les objectifs du modèle de responsabilité développé,

sera réalisée. On va commenter l’institution de commission de transport pour vérifier si elle

s’étend aux cas du transport multimodal. À la suite de cette comparaison des propositions

détaillées seront présentées également concernant le changement de la législation nationale et

des exigences potentielles d’un agissement sur la scène internationale.

Étonnamment dans la doctrine juridique française et pareillement polonaise le sujet,

contrairement à son importance pratique, a rencontré peu d’intérêt Le manque de

monographies complètes et à jour concernant ce sujet est particulièrement sévère, c’est donc

la littérature économique qui prévaut dans la thématique. Cela a obligé à la recherche

approfondie de sources étrangères qui ne sont aussi pas trop abondantes. Bien sûr, la

dimension internationale du problème cause qu’il était indispensable d’étudier des solutions

juridiques et ses projets de nombreux pays et régions du monde, par le biais de l’analyse

comparative.

I. La nature juridique du contrat de transport multimodal

A. Une notion spécifique

1) La notion du transport multimodal

La définition du transport multimodal semble facile à formuler. Il s’agit d’utiliser

quelques moyens de transport297

. Donc on pourrait proposer de caractériser ledit transport

comme le déplacement des marchandises d’un point à un autre, en utilisant au moins deux

moyens de transport différents298

.

Cette proposition concise souligne bien la condition principale, qui doit être remplie

pour pouvoir démontrer l’existence du transport multimodal, c’est-à-dire l’utilisation des

différentes branches de transport. On doit donc observer que le portage des marchandises en

utilisant par exemple deux bateaux ne sera jamais considéré comme multimodal.

L’utilisation de deux branches de transport entraîne une autre nécessité évidente d’au

moins un transbordement d’un moyen à un autre. Cette présupposition permet d’exclure du

champ de définition de la notion du transport multimodal le déplacement des marchandises

effectué par le même véhicule, mais dans des branches différentes. Le meilleur exemple a été

donné par Müller-Feldhammer299

qui cite le transport effectué par le navire unique d’abord

par mer, et postérieurement par des voies navigables.

Ce qu’on doit prendre en considération à la suite, c’est l’aspect subjectif. Le transport

multimodal échappe le classement traditionnel en deux catégories: le transporteur des

marchandises ou le transitaire. L’entité qui entreprend cette manière de transporter les biens

doit préserver son immunité dénominative, étant spécifié par la doctrine le plus fréquemment

par le terme « l’entrepreneur du transport multimodal », ou « ETM ». Cette notion a été

popularisée par la fameuse Convention TM300

de 1980.

Conséquemment on doit s’opposer à l’usage du terme « le transporteur

multimodal »301 .

L’opinion présentée dans le mémoire ne permet pas d’identifier

l’entrepreneur du transport multimodal avec le transporteur qui opère seulement dans le cadre

297

Lat. multus modus – d’où vient la notion utilisée. 298

Tel est la définition propose par C. Christiansen, Transporte Multimodal en Sudamérica Hacia una

articulación normativa de carácter regional, Informe Final, Fondo Financiero Para El Desarrollo De La Cuenca

De La Plata, IIRSA., Bolivia 2003, p.12 299

R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers beim multimodalen Transport für Güterschäden und

Güterverluste aus dem Beförderungsvertrag Frankfurt am Mein 1996, p.22 300

La convention de l’ONU de Genève relative au transport multimodal international de 1980. 301

Comme le fait R. De Wit, Multimodal Transport Carrier Liability and Documentation, Londres 1995, p.3,

qui utilise le terme « le transporteur, appelé ETM ».

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RJP 2015-1 (Novembre)

128

de son segment au sens des conventions de branche. L’hypothèse contraire mène à confondre

le transport multimodal avec le transport pliable ou mixte302

.

Le transport multimodal peut être effectué à l’intérieur du pays où dépasser ses

frontières. Sa présence ne dépend point de sa couverture géographique. Ainsi p.ex. la Chine

possède deux règlements de transport multimodal distincts: national et international.

Néanmoins il se réalise plutôt sur des longues distances, donc la seconde situation reste sans

doute plus fréquente.

La doctrine souligne également un autre trait caractéristique c’est-à-dire l’existence

d’un contrat unique303

, par lequel les parties conviennent entre elles que le déplacement des

marchandises sera effectué par au moins deux moyens de transport. Cette condition non

remplie, même si les parties ne changent pas, on est en présence des contrats successifs,

englobant des segments consécutifs du transport, ce groupe de contrats ne crée que des

relations « unimodales » en constituant un cas de transport pliable.

Enfin, L’ETM doit assumer la responsabilité de la totalité du transport. Sinon il ne

peut pas être regardé que comme le transitaire qui s’oblige seulement à conclure des contrats

de transport au nom du commettant-expéditeur des marchandises. Même s’il effectue le

transport sur l’un des segments, il est considéré au plus comme transporteur et non comme

l’ETM.

En outre, les marchandises pendant le transport multimodal peuvent changer librement

l’unité de charge (p.ex. le conteneur), ce que n’est plus possible dans le cadre de la notion

transport intermodal.

Certaines des solutions normatives, notamment l'accord MERCOSUR, qui base sur la

Convention TM, intègrent toute la gamme de services expressément dans le concept de

transport multimodal outre le simple fait de déplacement des marchandises. De cette façon-là

l’accord dans son article 1 a) énumère des services tels que la collecte, le groupement, la

dissociation, le stockage, la livraison, et la préservation des marchandises. Elles sont ainsi

inclues dans le paquet de services fournis par l’ETM. Bien que ce supplément soit très

important, prouvant clairement l’amplitude de la notion du transport multimodal en

comparaison avec le transport « classique », on ne peut pas raisonnablement soutenir la thèse,

que cela signifie qu’a contrario p.ex. la convention TM qui ne possède pas une telle

énumération n’accorde pas lesdites pouvoirs à l’ETM. Ces prestations sont, en fait englobés

par le concept de «performance de transport multimodal » de l’article 1(3) in fine de la

convention TM.

L’opérateur de transport multimodal doit donc assumer l’obligation d’effectuer le

déplacement des marchandises pour l’ensemble du parcours. Un engagement commun de

plusieurs entités est quand même envisageable en forme de consortium304

, sous une condition

que chacun des agents assume la responsabilité pour la performance de tout le processus de

transport. Dans le cas contraire on est en présence du phénomène de transport commun

directe. L’engagement d’ETM est complètement indépendant de l’intention réelle de

l’entrepreneur de se servir des voituriers pour effectuer des segments de transport particuliers

ou non305

. Il existe même une hypothèse où l’ETM n’effectue le transport dans aucun segment

du trajet. Cette dernière situation se produit avec une certaine fréquence, des voituriers sont

baptisés « papier » ou NVOCC (anglais – non-vessel operating common carriers) donc ceux

302

Définies dans le point I A 2) b i. 303

Voir M. Hoeks, Multimodal Transport Law The law applicable to the multimodal contract for the carriage of

goods Kluwer Law International 2010, p.51 304

Cette thèse est soutenue par R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.5 305

P.Delebecque, Le transport multimodal dans Revue internationale de droit comparé. Volume 50 N 2, IV-V

1998. P. 529.

Page 129: Olivia Sabard - univ-orleans.fr · RJP 2015-1 (Novembre) 7 Que sa capacité réelle de remboursement s'élève donc bien à 867 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal ; Attendu que

RJP 2015-1 (Novembre)

129

qui n’exploitent aucun navire306

. Droit français utilise ici la notion de « commissionnaire de

transport ». Cette figure va être analysée ci-après.

Le contrat de transport multimodal crée donc un univers juridique, dans lequel il faut

distinguer deux plans contractuels:

- La relation entre ETM et l’expéditeur initial, ou on est en présence d’un contrat de

transport multimodal et

- La relation d’ETM avec des transporteurs potentiels pour les segments consécutifs

du trajet, ou ETM conclut des contrats de transport « classiques »

Cette dualité n’est pas à omettre, à cause de ses conséquences significatives non

seulement pour la forme finale de la structure de responsabilité d’ETM, mais aussi pour les

politiques du système de sa construction. Pour assurer la couverture des demandes de recours

d’ETM contre les transporteurs unimodals quand le dommage sera localisable, on doit se

référer, en construisant le système de responsabilité d’ETM, aux règlements conventionnels

prévus par des accords internationaux à régler la situation des voituriers dans les segments

particuliers.

La définition doctrinale la plus significative est celle de caractère objectif qui a été

élaboré par les auteurs de la Convention TM de 1980. Pour des raisons évidentes elle ne

couvre que le transport multimodal international. La définition de ce terme a été établi par

l’article 1(1) selon lequel est multimodal tout déplacement des marchandises par au moins

deux moyens de transport, prévu par un seul contrat, d’un lieu dans un pays ou les

marchandises sont prises en garde par l’entrepreneur de transport multimodal, a la destination

indiquée dans un autre pays.

Cette définition doit être lue en conjonction avec des articles 1(2) et 1(3) qui la

complètent en expliquant la notion d’ETM qui est une entité qui, en son propre nom ou en

nom d’un autre, va conclure un contrat de transport multimodal en assumant la responsabilité

pour l’exécution du contrat. Enfin, la convention définit la notion du contrat multimodal

comme un accord, par lequel ETM s’engage, en contrepartie du paiement d’une redevance, à

exécuter ou à provoquer l’exécution du transport multimodal international.

Dans les dispositions de la convention on peut trouver un certain rétrécissement de la

notion abordée. L’article 1(1) in fine contient une disposition selon laquelle si les parties au

contrat conclu comme unimodal ont incorporé des stipulations concernant la collecte et

livraison supplémentaires de marchandises, ledit contrat ne peut être regardé comme

306

M. Hoeks, Multimodal Transport Law 2010, p.46

Figure 1 – Univers juridique du contrat de transport multimodal

Source: élaboration propre

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RJP 2015-1 (Novembre)

130

multimodal. La doctrine reconnait ici l’application de la théorie de l’absorption307

. Pour

montrer que cette thèse est erronée, il suffit de souligner que les auteurs de la convention TM

ont accordé aux parties le choix entre la conclusion du contrat de transport multimodal, ou de

considération, que même qu’il y a physiquement un déplacement des marchandises par le

second moyen de transport, le contrat reste unimodal, et régit par les dispositions normatives

prévu pour le segment particulier. En effet, la définition du transport multimodal reconstruit

de la convention doit préciser que le transport possède le caractère multimodal seulement si la

partie effectué par les autres moyens de transport que celui qui y est principal est

suffisamment importante, qu’elle ne constitue plus des « collectes et livraisons

supplémentaires de marchandises ». Le contrat lui-même doit donc être dénommé

« multimodal » ou au moins ne laisser aucun doute de l’intention claire et précise de parties

pour lui en donner ce caractère308

.

Cependant ils existent des règlements dans lesquels on n’a pas intercepté la solution

présenté ci-dessus, notamment par exemple l’accord MERCOSUR qui ne tente pas limiter de

cette manière la notion du transport multimodal309

. Le problème est important, puisque

MERCOSUR étant en vigueur pose des problèmes d’interprétation de ses dispositions.

La question est de savoir si, par conséquent, étant en présence de l'accord intitulé « le

contrat de transport », qui prévoit le déplacement des marchandises à l'aide de deux modes de

transport, la cour nationale d’un des pays de l’accord, en cas du litige doit obligatoirement

appliquer les dispositions de l’accord MERCOSUR, comme il est devenu officiellement un

contrat de transport multimodal. Il semble que dans une telle situation, la réponse positive

doit être donnée, si les responsabilités du fournisseur de services, ont une caractéristique de

dépasser le cadre des obligations contractuels et pouvoirs classiques du transporteur. Bien sûr,

on doit décider conformément si les parties n’ont pas du tout défini comment la prestation de

transport sera exécutée, et on a physiquement utilisé deux ou plusieurs modes de transport.

Cette solution est certainement plus cohérente que celle proposée par la Convention TM, alors

il n'est pas nécessaire de recourir à la théorie de l'absorption, qui crée la tentation de s'appuyer

sur la théorie des contrats mixtes.

Une autre question intéressante est la suivante, quel facteur est décisif pour que le

transport devient multimodal: la détermination des parties, ou l’exécution réelle du

déplacement des marchandises. L’importance du cas est facilement démontrée dans la

situation où le contrat a été conclu comme multimodal, mais il a été physiquement effectué

avec un seul moyen de transport. On devrait ici opter pour la réponse que le caractère

multimodal est déterminé par l’accord des parties. Conséquemment même le transport

effectivement réalisé unimodalement doit être considéré comme multimodal selon la volonté

de ses parties. Sinon, il serait possible d’échapper aux dispositions de la législation sur la

responsabilité d’ETM, par un changement de la manière dont le contrat est réellement

effectué.

De manière analogue, en reconnaissant la primauté de la volonté des parties, il faut

appliquer la convention unimodale même si on a utilisé plusieurs moyens de transport en

exécution du contrat d’une seule branche de transport. Seulement si le contrat ne précise ni

307

M. Hoeks, Multimodal Transport Law, p.57 Il convient de laisser à la marge de la discussion le problème

d’application de la théorie d’absorption au contrat de transport multimodal, qui selon l’opinion présenté par

l’auteur doit être considéré comme un contrat sui generis. 308

L’évaluation détaillée de cette solution ou on laisse les parties déterminer librement le caractère du transport

doit être omis dans le présent mémoire. 309

Ce qui est intéressant d’observer, parce que la plupart des pays du MERCOSUR (à l'exception du Venezuela)

est partie à la convention de Montréal, qui dans l'art. 38 semble prima facie y avoir conflit avec les dispositions

de l’accord MERSOSUR. C'est encore une autre preuve que la Convention de Montréal ne réglemente point des

cas de transport multimodal dans le plan contractuel ETM-expéditeur initial, et n'impose pas le système de

réseau.

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RJP 2015-1 (Novembre)

131

son type, ni aucune manière particulière d'utilisation des moyens de transport, et

physiquement on en a utilisé plus d'un mode, on devrait agréer la classification d'un contrat en

tant que multimodal. C’est donc le seul cas où la forme de la performance réelle du transport

est, en l'absence de manifestation de la volonté des parties, déterminatif pour la nature du

contrat.

2) Les distinctions terminologiques

a. La confusion terminologique

Un regard plus complet sur la question de la responsabilité d’opérateur de transport

multimodal ne sera pas possible sans examen rudimentaire de notions utilisées par la doctrine,

d’autant plus qu'il est extrêmement divers et complexe. On doit donc apporter quelques

précisions.

Une part de la terminologie est très libéralement traitée comme synonymes littérales

pour le concept du transport multimodal. On utilise alternativement des termes: le transport

intermodal et le transport combiné.

Le concept de transport intermodal a été introduit dans la littérature juridique en 2001

par la Commission Economique des Nations Unies, en coopération avec la Commission

Européenne et la Conférence Européenne des Ministres des Transports (CEMT). Ce terme est

ainsi défini comme le déplacement des marchandises dans la même unité de chargement

(p.ex. un conteneur) ou dans le même véhicule routier, qui utilise successivement deux ou

plusieurs modes de transport sans transbordement des marchandises310

. Eventuellement, le

terme a été étendu pour décrire la chaîne de transport porte à porte (anglais door to door) en

utilisant plus d'un mode de transport, au cours de laquelle la manutention des marchandises

n'aura pas lieu311

.

La raison la plus importante pour laquelle ce concept ne peut pas être considéré

comme équivalent au transport multimodal est le fait que dans ce dernier la possibilité de

transbordement de marchandises n'est en aucun cas limitée.

Le transport combiné est le terme rencontré un peu plus fréquemment. En 1992, le

Conseil de l’Union européenne dans sa directive propose une définition, pour les propres

besoins de cet acte, selon laquelle, le transport combiné constitue le transport de marchandises

entre les États membres pour lesquels le véhicule utilise la route pour la partie initiale ou

terminale du trajet et, pour l'autre partie, le chemin de fer ou une voie navigable, ou un

parcours maritime lorsque celui-ci excède 100 kilomètres à vol d'oiseau et effectuent le trajet

initial ou terminal routier:

- soit entre le point de chargement de la marchandise et la gare ferroviaire

d'embarquement appropriée la plus proche pour le trajet initial et entre la gare

ferroviaire de débarquement appropriée la plus proche et le point de déchargement

de la marchandise pour le trajet terminal;

- soit dans un rayon n'excédant pas 150 kilomètres à vol d'oiseau à partir du port

fluvial ou maritime d'embarquement ou de débarquement312

.

En 2001, la question de l'unification de la terminologie a été soulevée encore une fois

dans le document unifiant la terminologie du transport combiné313

, ou on visait simplifier la

définition donné ci-dessus, le texte a précisé la notion du transport combiné, comme tel ou la

310

Terminology on combined transport, Note by the secretariat TRANS/WP.24/2000/1, 2000, p.4 311

J. Neider , Transport międzynarodowy, Varsovie 2008, p.108 312

Article 1er de la directive du Conseil 92/106/EEC du 7 décembre 1992 relative à l'établissement de règles

communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres. La doctrine la considère

plutôt comme définition historique, comme p.ex.. A.Wiktorowska-Jasik dans I.N. Semenov Zintegrowane

Łańcuchy Transportowe p. 46 313

Terminology on combined transport, p.4

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132

majorité de transport européen s’effectue par le chemin de fer ou une voie navigable, ou un

parcours maritime, et les sections initiales et / ou finales routières sont le plus court possible.

La définition initiale de la directive, avait cependant uniquement un but pragmatique,

pas théorique, car elle a été créée pour rendre la libéralisation d'un type spécifique de

transport possible, en déchargeant les transporteurs de l’obligation de posséder des permis et

contingents, pareillement aux exonérations fiscales, qu’elle prévoyait. Cette vue est seulement

historique, et le fait que la définition a été reprise par la terminologie du transport combiné, ne

change rien en ce que le terme devait être évité. On peut remarquer que la généralisation du

terme n’est point convaincant, parce que la notion du transport combiné détermine la chaîne

de transport de manière rigide, Cependant celle-ci peut encore prendre de diverses formes. Le

transport multimodal constitue donc un concept beaucoup plus large, car il n'est pas limité en

aucune manière ; ni quant à la nature des secteurs constituants le trajet en question et encore

moins leur longueur maximale. Malheureusement, le concept de transport combiné au cours

des dernières années a été vulgarisé314

.

La notion « multimodal » semble être la plus approprié, aussi du point de vue de la

construction juridique de ce type de transport, pour dénommer le type de contrat. Les termes

«combiné» ou «mixte» appliqués par la doctrine des nombreux pays comme synonymes

doivent être considérés comme beaucoup moins assortissant. Ils semblent impliquer que le

contrat en question est nécessairement une sorte de connexion simple ou un mélange de

contrats de transport comme ses composants. Ceci menace l'adoption d'une vision inadéquate

de la nature du contrat de transport multimodal. Cependant, c’est le fait de déplacement des

marchandises en utilisant plusieurs moyens de transport, qui devrait devenir la caractéristique

dénominative principale de ce type de contrat. Le terme «multimodal» a également été utilisé

dans les actes de la plus grande importance pour le domaine, comme la Convention TM, les

Règles de l’UNCTAD/ICC, ainsi que, suivant ces deux, le modèle adopté dans les systèmes

juridiques de nombreux pays et régions, particulièrement d’ASEAN et de l’Amérique du Sud.

b. Les concepts proches

i. Le transport de conteneurs

En premier lieu, on doit prêter attention à la nature disjointe des termes de transport

multimodal et transport de conteneurs. Le premier est un concept juridique, tandis que le

transport de conteneurs est une notion technique. Le conteneur n'est rien de plus que d'une

boîte, unité de chargement de biens, en lui-même est significatif techniquement et

économiquement, mais pas juridiquement. Bien sûr, les conteneurs en transport multimodal

servent comme un moyen commun de consolider la cargaison, car on ne peut pas oublier que

c'était la vulgarisation de ce type de récipients qui a permis la séparation juridique du

transport multimodal. Toutefois, organisation du transport multimodal sans les utiliser est tout

à fait possible.

ii. Le transport pliable

Il convient de souligner qu'il ne faut en aucun cas confondre le transport multimodal et

le transport appelé pliable ou « cassé », qui est essentiellement la somme de secteurs de

transport unimodal. C'est la plus simple des structures, dans laquelle, pour chacune de ces

sections on conclut un contrat séparé avec le transporteur de branche opérant à point dans la

région. Chacune des phases de déplacement des marchandises aura également son propre

314

Utilisé p. ex. par R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers beim multimodalen Transport für

Güterschäden und Güterverluste aus dem Beförderungsvertrag Frankfurt am Mein 1996, p.7, aussi C. Bernat,

Contrats spéciaux du commerce maritime : les contrats proches du connaissement maritime, 25 mars 2010

http://cedricbernat.wordpress.com/2010/03/25/contrats-speciaux-du-commerce-maritime-les-contrats-proches-

du-connaissement-maritime/ utilise le terme « multimodal » et « combiné » indifféremment en argumentant ce

choix par la popularité du second de ces notions parmi les opérateurs sans examiner son origine.

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RJP 2015-1 (Novembre)

133

document de transport. L’expéditeur initial entre donc dans de nombreux rapports

contractuels, pour chaque segment du transport. Aucune modification des règles de

responsabilité ne s’effectue, personne n’assume en particulier la responsabilité pour le

processus de transport entier. Tout le poids de choisir les partenaires adéquats, et de

l'organisation des étapes de transition entre les segments, comme le stockage de

marchandises, repose par conséquent seulement sur l’expéditeur initial.

iii. Le transport direct

Le transport appelé direct est un concept juridique qui n’exige pas d’utiliser des

véhicules de différents modes de transport. C’est pourquoi il est une notion plus large que le

transport multimodal, qu’il englobe. Il contient aussi la notion du transport effectue par

plusieurs moyens de transport successif de la même branche.

On peut distinguer aussi un type particulier de transport direct, le transport commun

direct. Il se produit quand l’expéditeur initial conclut un contrat, mais avec plusieurs

transporteurs dans le cadre duquel chacun d’entre eux assume la responsabilité seulement

pour son segment. C’est actuellement le contraire du concept de transport multimodal, dans

lequel toute la responsabilité repose sur une seule entité – l’ETM.

La notion du transport inadéquat direct est encore plus complexe. (Figure 2). Dans ce

concept intéressant, le premier des voituriers (A) qui assume la responsabilité comme

transporteur, donc pour le résultat du déplacement des marchandises, seulement pour sa

première section du, assume aussi la responsabilité comme transitaire pour le reste du trajet.

Sur les segments subséquents il est donc responsable seulement pour la sélection soigneuse

des transporteurs, la manipulation et la préparation des documents pertinents. Il est facile de

remarquer que l’ampleur de la responsabilité et les pouvoirs d’un tel transporteur-transitaire

sont beaucoup moins modeste que ceux de l’ETM315

.

iv. Non-Vessel-Operating-Common-Carrier (N.V.O.C.C.)

N.V.O.C.C. (anglais: non-vessel-operating-common-carrier – un transporteur qui ne

dispose de son propre moyen de transport, appelé papier) est un concept d’origine des Etats-

Unis, ayant pour but d’assurer la médiation en transport. Cette figure se charge du

regroupement marchandises de plusieurs expéditeurs dans une unité de chargement, p.ex.

dans un conteneur et de la conclusion d’un contrat de transport avec le transporteur maritime.

Il devient, par conséquent, un expéditeur initial dans la relation contractuelle avec son

cocontractant. Vis-à-vis des entités dont le regroupement des produits est effectué il est

considérée comme transporteur, pourtant étant incapable de déplacer physiquement les

marchandises. La limitation au transport maritime316

reste une différence la plus grande par

315

R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers beim multimodalen Transport für Güterschäden und

Güterverluste aus dem Beförderungsvertrag Frankfurt am Mein 1996, p.7 316

M. Hoeks, Multimodal Transport Law 2010, p.46

Figure 2 – Transport inadéquat direct

Source: élaboration propre

A B C

Transporteur Transitaire

A

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RJP 2015-1 (Novembre)

134

rapport au transport multimodal. En outre, l’ETM n’est jamais le transporteur face à

l’expéditeur initial, est une figure juridique complètement distincte et dispose non seulement

du droit d’effectuer le déplacement, mais souvent il possède des ressources d’exécuter le

contrat lui-même au moins sur un des segments du trajet.

B. La nature du contrat de transport multimodal

Pour répondre à la question comment peut-on former la responsabilité de l’ETM, on

doit examiner d’abord quel est la nature juridique du contrat de transport multimodal, et ainsi

sa relation avec les autres contrats de l’activité du transport, particulièrement avec les contrats

de transport unimodals. Dans la littérature, ils existent trois approches juridiques au contrat de

transport multimodal : qu’il n'est que la somme des contrats de transport de chaque section,

qu’il présente un caractère d’un contrat mixte, enfin, qu'il a un caractère juridique autonome.

Les conséquences de l'adoption de chacun de ces concepts seront différentes à la fois pour le

système dans lequel la responsabilité de l’ETM sera construit et pour sa construction

particulière. En outre, il y aura probablement des répercussions aussi pour le législateur, sans

activité duquel le classement juridique du contrat de transport multimodal ne peut pas

s’opérer. Ledit contrat sera alors soit un type particulier de contrat de transport, ou un contrat

complétement distinct, dans la plupart des systèmes juridiques de type innommé.

1) Les propositions doctrinales

a. La somme des contrats

Le contrat de transport multimodal peut être sans doute regardé comme une simple

liaison de contrats de transport de branche, comme une sorte de « combinaison et

d'accumulation » des contrats de transports réalisés par des modes de transport consécutifs317

.

Ce point de vue est particulièrement caractéristique pour la doctrine des pays anglo-saxons318

,

et n'oppose pas au contrat de transport multimodal en tant que tel, les contrats de transport qui

sont conclus en conformité avec les dispositions de branche.

Le transport multimodal devient ainsi le transport pliable ou « cassé », et l’ETM est

regardé en principe, comme le transporteur classique de branche. Cela signifie que si l’endroit

d’occurrence du dommage est connu, la responsabilité doit être mise au point sur les principes

découlant d'une convention particulière de branche, appropriée pour la section où le dommage

est survenu.

Les partisans de ce concept affirment également qu'un point de vue différent sur la

nature du transport multimodal, en particulier, de lui accorder la nature du contrat sui generis

entraîne le contournement de la loi, évitement d’application des conventions de branche et

donc une violation du droit international.

La solution proposée ci-dessus ne peut pas être approuvée. Tout d'abord, elle est basée

sur une erreur de classement terminologique du contrat de transport multimodal comme le

transport pliable ou « cassé », tandis que le contenu lui-même de ce contrat est complétement

différent de celui d’un contrat classique de transport. Il est à noter en effet, que l’entrepreneur

du transport multimodal s’oblige à exécuter une prestation de déplacer les marchandises dès

lieu de la réception à la destination, à partir du point A au point B, et la décision quel mode de

transport particulier sera utilisé, reste dans le domaine de l’ETM, et ne présente pour

l’expéditeur initial qu’une portée secondaire.

Deuxièmement, si on démontre que le contrat de transport multimodal est un contrat

de type distinct, l'argument de la violation du droit international perd de l’actualité, parce que

317

R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.128 318

M. Hoeks, Multimodal Transport Law, s.55 cite la jurisprudence anglaise Quantum Corporation Inc., 2002,

ou la cour décide que la convention unimodale CMR, selon son article 1er

doit être appliquée pour régler la

section routière du transport multimodal.

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RJP 2015-1 (Novembre)

135

le transport multimodal reste au-delà du champ d'application des conventions unimodales de

branche. On doit souligner que le transport multimodal ce n’est plus seulement le

déplacement des marchandises avec un moyen de transport déterminé, mais le transport avec

plusieurs de modes spécifiés, ou même complètement indéterminés319

.

Troisièmement, le concept de la somme des contrats ne résout point des questions de

responsabilité de l’ETM lorsque le dommage ne peut pas être localise. Si on considère que le

contrat de transport multimodal est vraiment seulement une simple somme des contrats,

l’indication de l'impact des contrats de transport classiques sur le contenu du contrat TM ne

serait pas le moindre problème. Cependant, ils ne la composent pas, ils fonctionnent sur un

plan différent, constituent une relation contractuelle complètement différente (Figure 1).

b. Le contrat mixte

Le deuxième concept, qu’on peut rencontrer dans la doctrine, est fondé sur l'idée que

le contrat de transport multimodal est essentiellement «fusionné» de plusieurs types de

contrats. Le contrat mixte possède donc une caractéristique de plus d'un contrat nommé ou

innommé320

. Ce point de vue est représenté par la littérature néerlandaise et allemande. Dans

la littérature polonaise on souligne que les contrats mixtes sont en fait une sous-classe de

contrats innommés321

.

Classiquement, on distingue trois types de contrats: les contrats mixtes combinés,

traversant et accords fondus (mixtes au sens strict). Il convient de rappeler ici que le premier

groupe est constitué par des contrats ou la prestation d’une partie est composée d'un certain

nombre de prestations spécifiques dérivant de différents types de contrats. Le contrat est

traversant si les prestations de deux parties sont typiques pour un certain type de contrat

nommé. La troisième catégorie, donc les contrats mixtes au sens strict sont des accords ou la

prestation uniforme et inséparable d'une partie s’inscrit dans de nombreux types de contrats.

Les accords mixtes posent le problème de la sélection de l'application des dispositions

légales appropriés pour eux. Dans la littérature, ils existent trois théories, permettant le

dénouement de cette question complexe - la théorie de l'absorption, la théorie de l'intégration

(combinaison) et la théorie de l'analogie.

La théorie de l'absorption accorde la priorité à l'application des règles relatives au

contrat, dont les caractéristiques prennent la tête du contrat mixte, ceux qui disposent de

moins de poids sont donc "absorbés", comme si l'accord était en fait un contrat simple. Un

exemple normatif d'une telle situation est donné par Hoeks dans son travail, qui essaie de

prouver que l'article 1(1) in fine de la Convention MT, est un cas de la théorie de l'absorption,

parce qu’il dispose que le contrat de transport unimodal demeure comme tel, même s’il

contient des stipulations concernant le déplacement supplémentaire de marchandises en

dehors de la section principale sous la forme de ramassage et de livraison. On doit toutefois

critiquer largement la théorie ci-dessus. Elle va être en défaut quand les éléments qui

devraient être considérés comme spécifiques à certains types de contrats seront combiné dans

des proportions égales, donc il n'y aura pas aucun élément supérieur du contrat. En appliquant

la théorie on risque aussi la marginalisation du poids économique du contrat en faveur de

l'obéissance à un modèle normatif d’un contrat nommé particulier. La théorie de l'intégration (combinaison), à son tour, essaie d'appliquer les dispositions

appropriées à tous les contrats mixtes, assignant à chacun des éléments distincts de l'accord

son effet juridique caractéristique. Mais c'est une approche ancienne de la doctrine qui a dû

admettre la supériorité de la multiplicité et de la diversité des types de contrats innommés, et

d’utilisation des règles générales du droit des contrats. On peut opposer à la théorie de

combinaison l'affirmation selon laquelle il n'est pas possible d'élaborer un dénombrement des

319

R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.136 320

M. Hoeks, Multimodal Transport Law, p.56 321

B. Gawlik, Umowy mieszane – konstrukcja i ocena prawna. Palestra 1974, nº 5, p.28

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RJP 2015-1 (Novembre)

136

éléments des contrats nommés en attribuant à chacun d’eux ses conséquences juridiques

permanents322

. Il n'est pas difficile d'imaginer comment une combinaison de dispositions

serait difficile à effectuer dans le cas du contrat de transport multimodal, car il est dérivée

d'éléments d’expédition des marchandises, de transport ou encore contrat d’entreprise. Aussi

la question est de savoir si même un tel lien étant fait, on a une chance quelconque de

répondre au problème de la responsabilité juridique pour les dommages non localisés.

La dernière proposition est la théorie de l'analogie, qui suppose que les dispositions

appropriés aux contrats nommés ne peuvent être utilisés au contrat mixte que par analogie.

Cette solution est largement approuvée par la littérature juridique323

.

Le contrat de transport multimodal, comme l'observe catégoriquement et justement

Müller-Feldhammer, ne peut pas être en aucun cas considéré comme le contrat mixte, fondu

des contrats de transport de différentes branches. Chaque fois qu’on parle d’un contrat mixte,

il s’agit d’une situation dans laquelle les prestations découlant d'autres types de contrats sont

permanentes. Cependant, le contrat de transport multimodal possède une structure différente,

variable selon des circonstances. La vente avec le montage cité par la doctrine comme un

exemple d'un contrat mixte dispose toujours des éléments constants de la vente et de contrat

d’entreprise, alors que dans le contrat de transport multimodal reste une question ouverte, de

quels secteurs va-t-il se composer324

.

Toutefois, même en supposant que dans le contrat de transport multimodal les

éléments fondus sont spécifiques pour le contrat de transport et l’expédition de marchandises

contrat de transport et d'expédition contrat, de sorte qu'il appartient à la catégorie des contrats

innommés mixtes, cette classification ne permet pas de déterminer la loi applicable à la

détermination de responsabilité de l’ETM. L’approche « transport plus » et « l’expédition des

marchandises plus »325

va échouer, parce que les règles applicables à chaque de ces contrats

isolement ne correspondent pas à la situation spécifique qui se créé après la prise de

responsabilité de l'exécution de l'ensemble du processus de transport par l’ETM.

La référence à la construction d'un contrat mixte ne permet pas, en particulier, de

répondre à la question quelles mesures faut-il prendre en cas de dommage non localisable, si

fréquents dans le transport effectué avec l’utilisation des conteneurs, donc ne répond

absolument aux besoins de transport multimodal. Même dans le cas où le dommage peut être

localisé sur le secteur déterminé du trajet, le recours à la théorie des contrats mixtes ne se

justifie pas, car de toute façon la responsabilité sera régie par la régulation de la section de

branche, où le dommage est survenu, et jamais par les dispositions légales d'une autre

branche, ce qui pourrait être indiqué une théorie de contrat mixte326

. Dans le système

uniforme la responsabilité repose sur le principe unique.

322

R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.131 323

P.ex. B. Gawlik, Umowy mieszane, s. 31 324

R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.134 325

Ici la notion « transport plus » se réfère à la situation ou la convention unimodal essaie de régler la situation

juridique du contrat de transport multimodal, E. Eftestol-Wilhelmsson, The Rotterdam Rules in a European

multimodal context, The Journal Of International Maritime, 2010 p.274 326

. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.134

A B C Figure 3 – Un exemple de la situation juridique dans le transport multimodal.

Source: élaboration propre

MTO

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137

Pour illustrer ce problème, on peut imaginer un exemple simple (Figure 3). Si le

transport multimodal se compose de trois sections, deux maritimes (A, B), et un routier (C), et

les dommages ont survenu sur ce dernier, on devrait appliquer des règles concernant cette

branche particulière. Cependant, l'adoption du concept d'un contrat mixte, le transport serait

probablement considérée comme maritime, ce qui mène à la modification infondée du régime

de la responsabilité.

2) Un contrat sui generis ?

On peut finalement regarder le contrat de transport multimodal comme un type

d’accord complètement indépendant. Il se distingue évidemment des contrats de transport, de

branche à la fois par son objectif et par sa structure. L'objet de l’obligation contractuelle de

l’ETM est comme on a déjà indiqué ci-dessus, l'organisation et la coordination du processus

de transport. Pour l’expéditeur initial des marchandises l’ETM est un cocontractant unique, et

une seule entité responsable de totalité d’entreprise.

Le résultat de l'adoption de ce point de vue consiste en inapplicabilité au transport

multimodal des règlements internationaux ou nationaux relatifs au contrat de transport

classique, ce qui force la création de dispositions distinctes.

Malgré la difficulté pour les législateurs, on ne peut pas se contenter de l'adoption

d'opinion que le contrat de transport multimodal est la somme des contrats de transport327

. On

ne peut en effet trouver les règles de responsabilité de l’ETM, donc répondre à la grande

majorité des cas de dommages non localisés, ni d'ailleurs les dommages subis dans

l’intervalle des segments du trajet, par exemple pendant le transbordement. Le défaut de

réglementation, laisse inévitablement une grande influence sur la conception du contrat aux

parties, ce qui devrait devenir la force motrice pour l'introduction de dispositions normatives

relatives au transport multimodal, pour protéger les intérêts des expéditeurs initiaux.

Les opposants du concept de la nature juridique du contrat TM présenté ci-dessus ont

trouvé essentiellement deux arguments. Tout d'abord, il est soutenu que l'évitement complet

des dispositions de branche dans l'état actuel de la loi n'est plus possible. Il est fait référence à

la teneur des deux dispositions qui vont au-delà de l'approche sectorielle traditionnelle pour le

transport unimodal: article 38 de la Convention de Montréal et l’article 1 § 3 et 4 de la

Convention COTIF-CIM. On doit également réfléchir sur l'article 2 CMR328

, qui est reconnu

par la doctrine comme la régulation du cas spécifique du transport multimodal.

Les dispositions de tous ces articles, ainsi que l'ensemble de tendance de la

construction de règles « unimodal plus » devraient être évalués négativement. Le fait que les

solutions normatives actuelles sont absurdement adaptées aux besoins de la pratique, ne peut

pas conduire à la conclusion que le contrat est un contrat de transport multimodal est pliable,

ou mixte. Les dispositions de ces conventions peuvent résoudre le problème seulement quand

l’endroit du dommage est localisable. Malheureusement, la majorité des cas dans transport

multimodal c’est le dommage non-localisé.

En outre, un examen plus attentif de l'article 2 de CMR conduit à la conclusion qu'il ne

couvre pas du tout, en fait, les cas de transport multimodal, à cause du défaut

d'accomplissement de la condition de transbordement de marchandises. De même, l'article 38

de la Convention de Montréal peut être lu comme exigeant l'application de la Convention

pour le segment aérien seulement au second plan du contrat de transport multimodal, c’est-à-

327

Autre opinion est adoptée par Hoeks, qui montre qu’en raison de l’absence des dispositions normatives

concernant le transport multimodal en vigueur, il faut s’orienter vers le système de réseau. Hoeks, Multimodal

Transport Law, p.10 328

Convention de Genève relative au contrat de transport international de marchandises par voie terrestre depuis

du 19 mai 1956

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RJP 2015-1 (Novembre)

138

dire ou l’ETM contracte avec des transporteurs329

. Operateur mentionné ne peut pas aussi

être considéré comme l'un des transporteurs en vertu de l’article 39 de la Convention, donc

celle-ci, par conséquent, en aucune façon efficace, ne s'applique pas pour régler la

responsabilité de l’ETM330

.

Le second argument est encore plus facile à renverser. L'attribution de nature juridique

particulière au contrat de transport multimodal, ne constitue pas un échappatoire des

dispositions de branche. S’il est classifié comme un contrat autonome, il est simplement hors

de champ d’application des conventions unimodales. L’échappatoire ainsi crée doit être

couvert par une nouvelle solution normative.

La conséquence de l'adoption de la thèse que le transport multimodal est un contrat sui

generis Dans les pays où l'on ne retrouve pas sa régulation normative, la solution consiste en

application des dispositions générales relatives aux obligations, voire des modifications

législatives.

Une preuve supplémentaire du fait que le contrat de transport multimodal est une

figure juridique indépendante peut être apportée par la démonstration d'un certain nombre de

différences qui existent dans sa construction, en comparaison avec un contrat de transport

classique331

.

Toutefois la différence principale sera certainement l’incidence de l'entité différente de

transporteur classique, et pourtant le nom ETM n'est pas un hasard. Il dispose non seulement

d’une obligation d’effectuer le «pur» mouvement des marchandises, mais aussi un certain

nombre d'autres composantes de la prestation, comme les opérations sur les marchandises

(chargement, déchargement, garde, cargaison), actes juridiques (comme par exemple la

conclusion du contrat de stockage s’il la trouve nécessaire au cours du transport) assurance

des marchandises, et même remplissaient des obligations administratives (douaniers, fiscaux,

sanitaires)332

.

Autre trait caractéristique du contrat de transport multimodal est l’occurrence du

transporteur de fait, avec lequel l'expéditeur initial ne contractait pas. En effet, peu importe

comment l’ETM l’effectue, ce qui compte c’est le résultat de livrer les marchandises à la

destination. Rarement l’ETM va transporter la cargaison sur tout le trajet, mais même dans ce

cas-là il ne peut pas être traité comme un transporteur.

L’opérateur de transport multimodal devient responsable de l'ensemble du trajet pour

simplifier considérablement la position juridique d’expéditeur, pour que tout le poids de

l’organisation de processus de transport soit délégué.

Il semblerait, prima facie, que le contrat de transport multimodal peut être facilement

aligné avec le cas particulier de l’expédition des marchandises. La définition de ce deuxième

contrat est très difficile à formuler et s’opère habituellement par l’énumération des exemples

329

De même, la période de responsabilité selon l’article 18 de la convention ne s'étend pas au-delà de la durée de

transport aérien à tout transport par terre, par mer ou par voie de navigation intérieure effectué en dehors d'un

aérodrome. Dans les deux cas cités, il est en effet impensable que toute autre convention de branche pourrait

intervenir normativement dans une toute autre qualité, c’est-à-dire le contrat de transport multimodal. 330

Il y a aussi un moyen facile d'éviter le problème de la superposition des conventions, si on va finalement

réussir à introduire une solution uniforme pour le transport multimodal. On peut suggérer la séparation des

termes «multimodal» et «combiné». Ce dernier est en effet largement utilisé dans l'écriture académique. Si on

accepte qu’il correspond au transport pliable ou « cassé » et donc au système de réseau, cela ouvre la possibilité

d'introduire une réglementation du transport multimodal avec une désignation uniforme, évitant le conflit avec

des conventions de branche. 331

Évidement on ne peut pas discuter toutes les différences, tels que absence de dualisme d’objet de déplacement

(seulement les marchandises), distances plus longues couverts par le transport multimodal, l’existence d’un seul

document de transport, absence de caractère adhésif du contrat 332

Le contenu de l'art. 1 a) de l'accord MERCOSUR en est la meilleure preuve. Ceci inclut expressément dans le

faisceau des prestations de l’ETM des opérations, groupement, dégroupement, stockage, livraison et la

préservation des biens, toutes manifestement hors du champ des pouvoirs juridiques du transporteur.

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RJP 2015-1 (Novembre)

139

des activités qui relèvent de la compétence de l'expéditeur des marchandises comme:

prestation des conseils, conclusion des contrats de transport, la rédaction de documents,

marquage des envois, réception de l'envoi de l'expéditeur, l'expédition, la présentation au

dédouanement et autres mesures organisationnelles et juridiques.

Cependant, il y a un consensus dans la doctrine que l’expédition de marchandises

n’encadre pas le transport en soi, la cargaison et autres (comme par exemple les matières

d'assurance ou d'emballage des marchandises). L’ETM dispose donc des pouvoirs beaucoup

plus étroits333

.

L'expéditeur initial n’est pas du tout intéressé par les mesures à prendre pour assurer

l’effet de la livraison des marchandises à l'endroit désigné sur l'heure prévue, le contrat du

transport multimodal s’approche donc vers le contrat de résultat.

II. Les solutions de responsabilité d’Entrepreneur du Transport Multimodal (ETM)

A. Les systèmes de responsabilité

Compte tenu de la diversité des points de vue sur la nature du transport multimodal, et

la complexité de la construction de la responsabilité, la réponse à la question quelle forme

concrète sera plus pertinente et pratiquement plus opportune, exige de regarder le problème en

deux étapes.

La création d’une relation particulière entre les parties contractantes est la spécificité

principale du contrat de transport multimodal. Il y aura donc, comme on a indiqué

précédemment, deux plans contractuels. Une seule chose incontestable c’est qu’on doit

appliquer des dispositions de branche pour les contrats conclus par l’ETM avec les

transporteurs, car ce sont des contrats de transport classiques. En conséquence, tout le

problème avec la construction de responsabilité de l’ETM repose sur l’adaptation de son

régime aux régulations unimodales qui sont loin d’être ressemblantes.

Le législateur international a donc établi pour chacune des branches du transport un

régime particulier de responsabilité de caractéristique unique334

. La création des dispositions

relatives au transport multimodal doit donc être un tant soit peu cohérent avec les dispositions

unimodales. En effet, le défi le plus important est la construction d'une telle structure, qui sera

un dénominateur commun, permettant de maintenir un minimum de respect aux dispositions

existantes, pour que les différences entre eux ne se traduisent pas par une augmentation des

coûts de conclusion de contrats.

Le système de responsabilité d’ETM est principalement un résultat du point de vue

adapté sur la nature du contrat de transport multimodal. Si on assume par exemple que ledit

contrat est la somme des contrats de transport de branche, et par conséquent il ne possède pas

une autonomie juridique, l’ETM va voir sa responsabilité engagée conformément aux

dispositions relatives à la section où le dommage est survenu. Évidemment, cela ne résout pas

le problème commun quand on utilise le conteneur (en fonction de la source on estime, 50-

80%), lorsque le dommage ne peut pas être localisé.

Avant de passer à l’analyse des hypothèses de systèmes de responsabilité de l’ETM il

convient de souligner que chacun d’entre eux doit prévoir un régime unique de responsabilité

pour les situations du dommage non localisé. La seule différence réside donc dans l’approche

aux cas ou l’endroit où le dommage a survenu est connu.

333

Il y a des systèmes normatifs ou l’expéditeur de marchandises peut effectuer le transport. C’est la situation

d’art. 800 du Code Civil polonais. C’est une prérogative conféré par la loi, pour permettre à l’expéditeur de faire

preuve de diligence due en raison d'événements exceptionnels et imprévisibles, il estime que les intérêts du client

seraient satisfaits dans une grande mesure, si la prestation de transport était effectuée par lui. Il a donc un

caractère purement accidentel. Dans le transport multimodal l’ETM est déjà autorisé par le contrat à effectuer

même le déplacement entier des marchandises. En plus, il peut prendre des mesures qui ne peuvent jamais être

pris par l’expéditeur (p ex. en matière d’assurance). 334

Bien sûr il est impossible de les examiner dans le cadre de ce mémoire.

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RJP 2015-1 (Novembre)

140

Il y donc trois systèmes de responsabilité envisageables. On peut donc avoir un

système uniforme ou le fondement de responsabilité et les limites de l’indemnisation335

sont

homogènes à la fois pour les cas de dommage localisé et non-localisé. Le système opposé est

celui qui établit le fondement et les limites uniformes pour le dommage non-localisé, mais

renvoie absolument aux conventions unimodales quand le lieu où le dommage survient est

déterminable. Finalement la troisième possibilité se situe dans le milieu. Dans le système

uniforme modifié le fondement de la responsabilité reste unique, mais on renvoie aux

conventions de branche si les limites y prévues sont supérieures de celles fixés par les

dispositions relatifs pour le secteur ou le dommage est survenu.

Figure 4 – La comparaison des traits caractéristiques des systèmes de responsabilité

d’ETM

Source: élaboration propre

1) Le système de réseau

Le système de réseau essaie d’assurer une conformité de la responsabilité de l‘ETM

avec celles qui existent déjà dans les conventions de branche du contrat de transport. Ainsi, il

est généralement le produit de l'hypothèse que le contrat de transport multimodal ne se

distingue pas assez du contrat de transport unimodal, pour éviter l'application des dispositions

de branche, donc à la conclusion que le contrat TM est en fait la somme de contrats de

transport, ou bien le contrat mixte.

Pour le cas où le dommage peut être localisé, ce système sert comme une sorte de

«réseau» reliant la responsabilité de l’ETM avec les dispositions normatives des conventions

de branche. Il ne crée donc aucune solution du droit matériel, il se trouve satisfait par

l’instauration des règles de conflit. Cependant, on doit rappeler que dans le transport

multimodal, le transport effectué avec l'aide de conteneurs, la situation du dommage

localisable constitue une minorité des cas.

La littérature distingue parfois le système de réseau propre et limitée. La différence se

traduit par l'approche aux prescriptions dispositifs, lorsque la section de transport ou le

dommage survient ne possède pas de réglementation impérative. Le système de réseau propre

respecte aussi des prescriptions dispositifs, pendant que sa version limitée renvoie dans ces

cas à la règle uniforme de responsabilité, prévu par les dispositions relatives au transport

multimodal. Cette solution a été appliquée dans le projet TCM336

.

Le système de réseau possède une autre caractéristique importante. Il ne permet pas

de mélanger des composants de la responsabilité provenant des différents systèmes dans le

cas du dommage localisé. Le renvoi est simple et clair, mais le système lui-même est

suffisamment compliqué. La nécessite d’unir les dispositions des actes (conventions ou lois)

différents va se produire dans le système uniforme modifié.

335

Influant l’étendue de la réparation. Ces limites sont prévues par chaque convention de branche de manière

différente. 336

Reproduit dans l‘annexe par Müller-Feldhammer R., Die Haftung des Unternehmers beim multimodalen

Transport für Güterschäden und Güterverluste aus dem Beförderungsvertrag, Frankfurt am Mein 1996

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RJP 2015-1 (Novembre)

141

Les avantages de la mise en œuvre du réseau en pratique résultent principalement pour

l’ETM. La convergence de sa responsabilité avec celle des transporteurs de branche est

maximale. Contrairement au système uniforme les couts de la police d'assurance seront

fortement diminués337

, parce que les demandes de recours vont être toujours possibles à

présenter et prévisibles quant à son étendue.

Le système de réseau présente aussi plusieurs inconvénients. Dans le cas où le

dommage est survenu lorsque les marchandises ne sont pas en mouvement sur l'une des

sections, donc par exemple pendant le stockage. Théocratiquement dans ce cas-là personne

n’est pas responsable, si le transport multimodal est seulement une somme des transports sur

les segments, il n’englobe point des interphases. On pourra remédier à cette situation, par

l’adoption d'une obligation générale de prendre soin des marchandises. Malheureusement elle

est caractéristique pour le système uniforme. On devra donc observer que le système uniforme

et de réseau diffèrent dans la période de responsabilité338

.

Un autre inconvénient de cette solution est sa complexité significative par rapport au

système uniforme. D'une part, il sera donc nécessaire d'adopter des règles uniformes pour la

responsabilité dans des cas du dommage non localisable. Dans le système de réseau limité, le

renvoi à un tel principe sera effectué aussi dans le cas de dommages localisés où il n'y a pas

de réglementation juridique impérative. Malgré cela, le système renvoie en cas de dommages

localisés à une palette entière des solutions normatives. L’ETM devra donc prendre en compte

cette diversité, particulièrement au moment de choisir son assurance339

. Ce phénomène

s’aggrave particulièrement hors d'Europe, où CMR et la COTIF / CIM ne s’appliquent plus et

on doit s’appuyer sur d'autres réglementations locales, qui ne serait certainement pas de

réduire le coût de l'assurance. Autre phénomène indésirable qui résulte du système présenté,

c’est « l’exportation de conventions » c’est-à-dire l’imposition d’une convention à un

contractant qui a son siège dans un pays qui n’est pas partie à une convention de branche.

Parmi les autres inconvénients on devrait mentionner le risque de différends au sujet

de l'emplacement des dommages pour que l’ETM bénéficie d’un régime unimodal plus

favorable. En raison des différences entre les dispositions de branche par exemple. quant aux

exonérations de responsabilité, ou l’étendue de la réparation. Dans le système uniforme ce

n’est plus possible, et dans le système uniforme modifié plus rentable.

Le système de réseau suppose aussi une sorte de fiction que l’ETM est un transporteur

au sens des conventions unimodales segmentaires. Pendant ce temps, selon la position

présente dans ce mémoire, ce point de vue sur la nature du transport multimodal est une

hypothèse inacceptable340

. On peut rencontrer aussi des opinions jugent l'utilisation d'un

système de réseau comme un indice de manque de vision et d'imagination de la part des

avocats, et injustifiable en présence du développement rapide de la technologie et du

maniement des marchandises. Pendant que le transport multimodal intègre les prestations et

crée une chaine de transport, les avocats pensent encore de manière « unimodale ». C'est là

où réside le plus grand défaut du système de réseau - il essaie de démembrer quelque chose en

fait inséparable341

.

337

En effet la complexité du système, à cause du nombre des conventions possiblement applicables, rend

pratiquement impossible de prévoir comment va se former la responsabilité dans un cas particulier, ce qui peut

provoquer l’augmentation des couts des services juridiques. 338

Contrairement Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.141 339

R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.160 340

Le système de réseau encourage donc à constater que le transport multimodal est une somme de contrats ou

un contrat mixte. 341

R. De Wit, Multimodal transport Carrier Liability and Documentation, Londres 1995, p. 142, qui affirme

franchement qu’on ne peut pas « décuisiner » le repas, il n’y a donc aucun raison pour démembrer la chaine de

transport.

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RJP 2015-1 (Novembre)

142

Lorsque les dommages causés au cours du déplacement des marchandises ne

parviennent pas à être localisées, le système et le réseau, comme mentionné ci-dessus, est

confronté à la nécessité d'adopter une règle de responsabilité MTO. Cependant, il y a

plusieurs façons possibles de la déterminer, et certains d’eux exigent une brève analyse.

Il est proposé, premièrement d’adopter une règle uniforme fixe342

, mais on peut

imaginer d’autres solutions, et on devrait citer deux d’entre elles. La première proposition

présuppose d’utiliser la convention avec le régime de responsabilité le plus favorable pour

l’expéditeur initial. Le choix s’opère bien sur entre des conventions relatives aux secteurs

d’un cas particulier du transport multimodal. Cette solution est excessivement injuste pour

l’ETM et difficile pour la pratique. Si la convention la plus favorable serait celle sous

l’empire de laquelle on a effectué seulement un part infime du déplacement des marchandises,

l’ETM sera obligé de fournir une prestation manifestement disproportionnée. La notion d’une

convention plus favorable pose aussi des difficultés interprétatives. Non seulement c’est

l’étendue de la réparation, mais aussi la prescription ou l’exclusion de la responsabilité qui

influence ce terme. La question de la charge de la preuve n’est pas moins importante, et le

risque de conflits concertants le droit applicable, qui est ici particulièrement élevé. Donc, il

serait complètement impossible de déterminer a priori des règles qui s'appliquent dans une

situation particulière343

.

Si on suppose que le contrat de transport multimodal est un contrat mixte, il ne sera

pas surprenant si on relativise l’indemnité à tous les moyens de transport utilisés pendant le

transport. Une des solutions proposées est ainsi appelé la « responsabilité repartie », qui offre

une attribution proportionnelle du montant de la compensation entre les sections réalisés par

les moyens de transport concernés, en fonction de leur longueur, calculé sur la base du poids

et la valeur de la cargaison et la limite de l'indemnisation de branche donnée. On arrive donc à

lier le montant de l'indemnisation avec la longueur de la route de la section, qui est un critère

facile à établir, mais totalement incompréhensible, comme en fait, ce sont les évènements

comme le maniement, et ainsi de courtes sections de la route qui causent plus de risque pour

la cargaison, rendant ainsi la relativisation de la responsabilité inexacte. Mais cette fois-là

l'estimation a priori du montant de la compensation est possible, puisque la distance

approximative pour chacun des moyens de transport est connu même avant le déplacement de

la cargaison.

Il convient de rappeler encore une fois que le dommage est rarement localisable dans

le transport multimodal, en raison du fait que le conteneur reste fermé pendant le

déplacement344

. Ce fait affaiblit de façon significative l'importance de la controverse

doctrinale concernant le renvoi aux dispositions de branche. La pratique nécessite alors même

du système de réseau, dans la plupart des cas, de disposer d’un principe uniforme de

responsabilité d’ETM.

2) Le système uniforme

Le système analysé est caractérisé par le fondement de la responsabilité, les exclusions

de responsabilité, et les limites d'indemnisation uniformes, et donc spécifiques seulement pour

le transport multimodal, et c’est à la fois pour les cas du dommage localisé, ainsi que ceux ou

l’endroit où le dommage est survenu ne pourrait pas être déterminé. Une obligation de

surveillance des marchandises pèse donc sur l’entrepreneur du transport multimodal

342

Cela s’effectue par le biais d'une règle générale, de la surveillance, pareille à celle utilise par les conventions

unimodales, selon laquelle l’ETM est responsable des dommages qui pourraient se produire pendant le transport

multimodal et, par conséquent, la durée pendant laquelle il prend la responsabilité de l'intégrité des

marchandises. 343

R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.160 344

R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.165

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RJP 2015-1 (Novembre)

143

consistant en la protection contre la perte et les dommages à survenir pendant le processus de

transport entier345

, donc le période de responsabilité s’étend pour le temps ou les

marchandises ne restent plus dans la conduite des transporteurs classiques de branche.

La responsabilité de l’ETM prévue comme uniforme, ne peut pas faire appel à des

solutions de branche, en particulier, en cas de dommages localisés. L'introduction d'un tel

système serait donc une conséquence de l'octroi au contrat du transport multimodal une

autonomie juridique complète, ce qui nécessite aussi la création d’une disposition législative

spéciale, à la fois lorsque on essaiera de la mettre en vigueur au niveau international et au

niveau national.

Sans aucun doute, un avantage important de ce système c’est sa transparence absolue.

La responsabilité d’ETM est déterminée sur la base d'un acte normatif conventionnel ou légal,

sans avoir recours à toute autre réglementation. La forme de cette responsabilité, ses principes

et son étendu serait connu a priori346

. La situation du propriétaire de la marchandise dans un

tel cas serait extrêmement bénéfique. Il ne serait en fait pas du tout obligé dans une telle

situation de la preuve du lieu où le dommage a survenu, en étant sûr d'obtenir une

indemnisation de l’ETM. Donc, cette sécurité juridique avancée permettrait également à

l’entrepreneur de transport multimodal à estimer bien à l'avance des risques posés par les

activités dans la situation juridique particulière, peu importe quelle configuration spécifique

de véhicules sera utilisé dans la circulation des marchandises. Cela pourrait également

affecter la réduction des coûts administratifs et des services juridiques éventuelles347

.

À son tour, l’inconvénient principal du système est évident le problème de la relation

des "plans" du contrat de transport multimodal. L'introduction d'un système uniforme de

responsabilité, même si elle est faite à la suite comme une sorte de moyenne des solutions

unimodales, il n’existe aucune chance de réduire le risque de recours d’ETM. Dans le cas

d’un dommage localisé, puisque seulement dans ce cas on peut parler de recours, rien ne

garantit que l’ETM va récupérer du transporteur de branche toute même partie de la somme

versée à titre de compensation à l'expéditeur.

La raison de cet état de cause est la différence d'approche d’exclusions de

responsabilité, de sorte que le transporteur de branche peut réussir de se libérer de sa

responsabilité vis-à-vis l’ETM, qui devrait payer l’indemnité a’ l’expéditeur initial. Un

phénomène similaire pourrait se produire en raison des différences dans le montant des

limites d'indemnisation. Si le système uniforme prévoit une indemnité pas assez élevée, ou

un nombre excessif de cas d'exonération de responsabilité, il peut porter atteinte aux intérêts

de l’expéditeur initial de la marchandise qui peut recevoir dans ce cas-là du transporteur de

branche sur la base de la réglementation relative la somme supérieure. Cette incohérence

indéniable dans le montant de l'indemnité génère une augmentation du coût de l'assurance, car

l’ETM devra souscrire une police d’assurance pour couvrir les pertes liées potentielles liées à

la situation examinée, dans le cas de dommages localisés sur le secteur avec une régulation

umimodale moins rigoureuse348

.

Le système en question suppose des hypothèses un peu trop optimistes, qu’il est

possible de ignorer les dispositions de la branche, et forcer la nature sui generis du contrat de

transport multimodal dans la doctrine suffisamment pour emporter les conventions

unimodales ou même causer leur changement pour l’unification des dispositions. Sans aucun

doute, dans l'état actuel du droit au niveau international, le système uniforme ne peut pas être

établi par l'interprétation des dispositions, car il nécessite une intervention législative explicite

345

Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.146 346

Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.146 347

R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.138 348

R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.139

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RJP 2015-1 (Novembre)

144

dans ce sens, il est également peu probable que pour les raisons de la politique juridique que

ces mesures vont être pris.

Mais il n’est pas possible de souscrire à l’argumentation de Kwasniewski349

qui, en

reconnaissant que, en l'absence d’une convention internationale applicable établissant un

système uniforme de responsabilité, les dispositions de branche forcent leur application pour

les cas du dommage localise en transport multimodal. Si on accepte que ce contrat présente

une qualité distincte de contrat de transport classique, qui est régie par les dispositions de

branche, par conséquent, les dispositions relatives à d'autres contrats ne peuvent jamais

affecter la forme du transport multimodal. Le fait que le lieu où le dommage a survenu est

connu, ne cause que le transport cesse d'être multimodal. Il semble difficile à imaginer que si

le dommage est localisé, le transport multimodal devra se diviser en transport de branche et

un groupe des prestations supplémentaires d’ETM. Les dispositions de conventions

unimodales s’appliquent seulement au deuxième « plan » du contrat de transport multimodal,

dans la relation entre l’ETM qui conclut des contrats de transport classiques avec les

transporteurs de branche, ce qui n'est pas un objet de controverses.

On doit juger possible la conclusion d’un contrat de transport multimodal dans lequel

l’ETM est responsable pour l’exécution du contrat entier de manière uniforme, même lorsque

on n’a pas réussi à déterminer le lieu du préjudice. L’ETM est en fait responsable de

l'exécution du transport multimodal, comme un faisceau de prestations qualitativement

différents, et pas un transport classique. Le contrat du transport multimodal peut être

considéré en vertu de ce point de vue, comme innomé également au niveau international,

puisque il n’y existe aucune disposition spécifique interdisant les partis d'organiser une

relation contractuelle selon sa volonté.

Au cours de la recherche de la régulation du système uniforme de responsabilité dans

le transport multimodal, il est essentiel de prêter attention à l'art. 2 CMR350

qui provoque de

nombreux problèmes d'interprétation doctrinale. Il ordonne, dans le cas où le véhicule

contenant les marchandises, est transporté sur une partie du trajet par un autre moyen de

transport, sans maniement des marchandises, d’appliquer les dispositions de la CMR pour la

totalité du transport. La question est de savoir si cette disposition établit un cas particulier du

transport multimodal, pour lequel crée un système uniforme de responsabilité. Il semblerait

que l'utilisation des deux modes de transport a été effectuée, le déplacement des marchandises

peut donc être considéré comme multimodal. Le véhicule routier est pendant les étapes

successives du voyage, effectué sur la mer ou par le chemin de fer, réduit à un élément - objet

de déplacement des marchandises, leur emballage351

, ce qui semble de confirmer le caractère

multimodal. Cependant on ne peut pas consentir avec une telle hypothèse pour une raison

simple - il est évident que dans une telle situation, pour reconnaitre le transport multimodal il

s’en faut de transbordement des marchandises. C’est pour éviter les risques de dommages aux

marchandises pendant la cargaison, que ce type de transport est utilisé. En outre, la

convention relative au contrat de transport unimodal classique, il ne peut pas réglementer les

cas de transport multimodal, qui constitue un contrat juridiquement autonome, de nature

complètement différente. Les créateurs de la CMR d'ailleurs n'avaient point cette intention, en

fait dans un protocole de la signature ont inclus une clause de réservation, que la

349

Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.146 La position de l’auteur est surprenant puisque

il accorde une nature sui generis au transport multimodal, mais finalement se prononce pour application des

dispositions de branche. 350

La doctrine le commente plutôt négativement, des opinions recueillis p ex. par R. De Wit, Multimodal

Transport, p.103 351

M. Hoeks, Multimodal Transport Law, p.160 Cet auteur trouve que c’est un exemple du transport

multimodal.

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RJP 2015-1 (Novembre)

145

réglementation internationale du transport multimodal devrait être traitée par d’autres

dispositions352

.

3) Le système uniforme modifié

Comme on a indiqué plus haut, il n'est pas possible d'éviter la nécessité de règles

uniformes de responsabilité, dans la plupart des cas, c’est-à-dire toujours ou le dommage n’est

pas localisable. Il semble donc inutile de compliquer artificiellement le système de

responsabilité, par une diversification supplémentaire de ses fondements dans la mesure où un

système réseau le propose.

La référence aux dispositions de conventions de branche au niveau du fondement de la

responsabilité crée un système de réseau. Cependant si on effectue le même renvoi seulement

au niveau des limites de l’indemnisation le système uniforme modifié est établi, peu importe

comment on effectue en fait la référence. On peut imaginer une référence absolue à une limite

de l'indemnité de la réglementation juridique en vigueur du secteur ou on a localise le

dommage353

. Une construction plus sophistiqué, est celle qui se réfère à une limite de

l’indemnisation de branche afin de la comparer avec les dispositions uniformes prévus pour le

transport multimodal, qui en quelque sorte, constituent une moyenne de toutes les limites.

Une limite de branche est donc appliquée dans cette hypothèse si elle s'avère supérieure à la

limite uniforme. C’est la solution qui a été prévue par la Convention TM. Le système

uniforme modifié peut être regarde comme un symptôme de concession aux dispositions des

conventions relatives aux différents modes de transport, dans ce cas-là le «réseau» relie donc

seulement des limites de l’indemnisation.

Les auteurs de la Convention TM ont prévu cette solution, donc la responsabilité

uniforme, pour les cas de dommages dont on ne pourrait pas localiser l’endroit où ils sont

survenus. Dans le cas des dommages localisés, sans écarter le principe de la responsabilité

uniforme, on a effectué l'autorisation d'utiliser des limites des dommages-intérêts provenant

de conventions de branche pour le cas dans lesquels la limite de la Convention TM soit

inferieur. Il s'agit essentiellement d'un compromis entre le système uniforme et les avantages

d système de réseau. Le système uniforme modifié emprunte de ce dernier le rapprochement

du recours de l’ETM contre le transporteur de branche avec les prétentions de l’expéditeur

initial contre l’entrepreneur du transport multimodal.

Mais cette solution n'est pas totalement dépourvue d'inconvénients, parmi lesquels

sont mentionnés dans la littérature la sortie des limites de l’indemnisation de leur contexte

constitué par la convention de branche particulière, sans regarder le fondement de la

responsabilité concret, et les exclusions prévus par les dispositions de cet acte. Le recours

donc d’ETM contre p ex, un transporteur maritime doit être évaluée comme incertaine, en

raison des exclusions de responsabilité relativement larges prévus dans les dispositions de la

branche, qui permettent à ce dernier incident, de se libérer de toute responsabilité. Cependant,

c'est l'essence même de la différence entre le système et le réseau uniforme modifié et le

système de réseau, que ce premier il maintient la position que le contrat de transport

multimodal possède son autonomie juridique, donc en permettant l'utilisation de limites de

l’indemnisation supérieurs de branche, rend un clin d'œil aux droit du transport fragmenté,

seulement dans l’étendue absolument nécessaire pour la pratique. On affirme également, que

ce problème est un prix nécessaire qu’on doit payer pour introduire le système uniforme, et

comme une conséquence d'une telle démarche on pourrait même observer l'unification du

352

R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, s.142 353

De telle manière effectuent le renvoi les dispositions du MTMAP, MERCOSUR et ASEAN, comparer U.J.

Ooi, The Pandora’s Box of Unimodal Transport Regimes in a Multi-Modal World: Reasons why Malaysia needs

a Multi-Modal Transport Framework, Shah Alam 2005, p.1

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RJP 2015-1 (Novembre)

146

droit de transport en général354

. Il n'est pas non plus physiquement possible de poursuivre la

simplification du système de responsabilité tout en maintenant une certaine cohérence avec

les dispositions de branche355

.

La question de savoir quel système de responsabilité convient le mieux aux besoins de

la situation particulière, créée par le contrat de transport multimodal, peut être abordée par la

méthode d’élimination. Certes, le moins apte à être considéré comme efficace est le système

de réseau. Il est chargé avec le plus grand nombre des inconvénients précités, et leur oppose à

peine quelques avantages secondaires. Le système uniforme peut à son tour être encore

pratiquement équipé pour éviter de trop grandes différences dans la matière de recours sur le

plan des relations de l’ETM et les transporteurs classiques. En reconnaissant qu'un système

uniforme modifiée permet d’effectuer les concessions nécessaires à la diversité de la

réglementation unimodale, va principalement exclure le système uniforme pur. On devrait

donc surement opter pour un système uniforme modifié, qui combine presque toutes les

avantages des deux précédents, sans reproduire leurs inconvénients les plus graves.

B. Le régime de responsabilité

1) Le fondement de la responsabilité

Le cadre de responsabilité de l’ETM doit d'abord être déterminé dans le temps356

. La

plupart des solutions normatives, et notamment la Convention TM prévoit que la période de

responsabilité d’ETM s'étend du moment de la prise en charge des marchandises jusqu’au

moment de leur livraison357

, et donc le temps réel pendant lequel l’ETM dispose du pouvoir

sur les marchandises. Il est évident aussi que conformément à l'article 14(3), il sera également

responsable si le dommage survient au moment où les marchandises sous la garde des entités

agissant en son nom. L'article 15 de la Convention édicte en effet responsable des actes ou

omissions de ses préposés ou mandataires agissant dans l'exercice de leurs fonctions et de

ceux de toute autre personne aux services de laquelle il recourt pour l'exécution du contrat de

transport multimodal, lorsque cette personne agit aux fins de l'exécution du contrat, dans

certaines circonstances particulières358

, comme si ces actes et omissions étaient les siens.

L’ETM ne devrait être responsable que dans la période du temps dans lequel il peut

réellement interférer avec les marchandises. Ainsi, dans sont exclus les périodes au cours

desquelles les marchandises resteront en possession de toutes entités, autres que le personnel

de l’ETM. Ceux-ci comprennent notamment les autorités douanières, les opérateurs de

terminaux, ainsi que d'autres institutions. On doit observer que l’art. 8 de la Décision CAN

331359

effectue ici une extension erronée et injustifiée du période de responsabilité, ne

354

R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p 187 sur le phénomène de la construction archaïque

de la faute nautique, comparer R.Malujda, Schyłek ekscepcji winy nautycznej w regułach rotterdamskich, a

sprawa Tasman Pioneer dans Prawo Morskie Tom XXVII, Gdańsk 2011 p. 85 355

Hoeks donc se trompe en affirmant que le système uniforme modifié est trop complexe et problématique pour

la pratique .M. Hoeks, Multimodal Transport Law, p.24 356

Il n’y a pas besoin de souligner combien il est important de déterminer avec précision le moment où la

responsabilité pour les dommages en cours d'expédition va passer de l'expéditeur à l'ETM. 357

Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.151 L’auteur y observe que la disposition d’art.

14(1) de la Convention TM est similaire a toutes les solutions de conventions unimodales, sauf les règles de La

Haye-Visby qui établissent ce période relativement au transbordement a un navire. 358

Notamment dans l’exercice de ses fonctions professionnelles. 359

Le régime légal commun relatif au transport multimodal en vigueur dans les pays-membres de la CAN - la

Bolivie, l'Équateur, la Colombie et le Pérou, membres associés: le Chili, l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et

l'Uruguay, et l'Espagne dans le statut d'observateur. Consulter:http://www.comunidadandina.org/Quienes.aspx# ,

et N.M. Devia, The Multimodal Transport System in The Andean Community, Rotterdam 2008, p. 15

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RJP 2015-1 (Novembre)

147

permettant pas la livraison des marchandises par l’ETM dans les mains d'un non-bénéficiaire,

même si nécessaire par la réglementation normative du lieu de la livraison360

.

Cependant, en raison du fait que sous l’empire de la Convention TM, le principe de la

responsabilité serait uniforme, l’ETM serait responsable des dommages résultant dans les

interphases du transport, même si on va exclure la responsabilité de stockeur.

Il est évident que l’ETM, assumant la prestation de garder la marchandise est

responsable du préjudice résultant des pertes ou dommages subis par les marchandises, ainsi

que le retard à la livraison361

sous la condition que l’évènement qui cause la perte ou retard a

lieu pendant le période de garde362

.

L'adoption de règles adéquates, qui pourraient constituer un fondement de

responsabilité d’ETM n'est pas une tâche simple. Ils peuvent choisir la responsabilité pour

faute et pour risque. On peut également utiliser la charge de la preuve, qui peut dans le cas de

l'adoption du principe de faute influencer significativement la forme finale de responsabilité.

Dans la littérature, on indique qu'il est impossible de trouver une réponse à la question

sur le meilleur principe de la responsabilité d’ETM sans avoir analysé des tendances présentes

dans les solutions unimodales. Depuis l'époque romaine, dans laquelle la responsabilité était

formulée très strictement, sous la forme d’une action prétorienne receptum nautarum,

cauponum et stabulariorum qui ne prévoyait l’exonération que dans des cas exceptionnels de

force majeure, beaucoup de choses ont changé. Au XVIIIe siècle, en Angleterre, la

responsabilité du transporteur à l'aide du concept de private carrier est très affaiblie, puisque

il était responsable seulement pour négligence. Une autre étape a été faite aux Etats-Unis par

le « Harter Act », qui fait prévoit la responsabilité pour faute. Similairement dans les règles

HVR363

de 1921 la responsabilité est fondée sur la faute avec l’inversion de la charge de la

preuve, qui à son tour a inspiré les auteurs de la Convention de Varsovie. On voit donc très

clairement qu’on a cherché à généraliser le principe de la faute, avec de diverses exigences de

diligence rigoureuse364

. Les solutions unimodales se distinguent justement par ce mesureur de

la diligence365

. Pendant quelques dernières années, on observe cependant, une tendance nette

à rendre la responsabilité des transporteurs plus sévère.

Prima facie, il semble que l'adoption du principe de la responsabilité de l'OMT dans

un système uniforme modifié, devrait être possiblement proche aux solutions unimodals366

en

prenant en considération particulièrement des revendications de recours.

Il est difficile d’imaginer que la responsabilité de l’ETM devrait être fondée sur le

principe de risque. Bien que, sans aucun doute transparent et objectivé, ce principe conduirait

à des disparités importantes entre la situation de l'entité habilitée à demander la réparation de

360

On voit donc qu’il y a des différentes échappatoires de responsabilité, p.ex. pendant le dépôt des

marchandises. Dans ce cas-là, les revendications doivent être régies par le droit national du lieu de stockage. La

Convention des Nations Unies sur la responsabilité des exploitants de terminaux de transport dans le commerce

international du 19 Avril 1991 a été une tentative pour remédier à cette situation, cependant, n'est jamais entré en

vigueur en raison de l'impossibilité d'obtenir le nombre requis de ratifications. Art. 5 de cette convention prévoit

notamment la responsabilité pour faute OTT implicite. Comparer Preliminary Draft Convention on Operators of

Transport Terminals as adopted by the governing council of UNIDROIT on 4 may 1983 with explanatory report,

Rome 1983, p.15 361

Art. 16 de la Convention TM 362

Dans le cadre du présent mémoire il n’y a pas de place pour l’analyse approfondie de la notion de la perte ou

dommage subi par la marchandise. Il convient d’observer quand même qu’on peut indemniser non seulement le

damnum emergens, mais aussi le lucrum cessans, parce que ce sont des limites de la responsabilité qui vont ici

sécuriser la situation juridique d’ETM. 363

Les règles de La Haye-Visby, HR modifié par le Protocole de Bruxelles du 23 Février de 1968 364

Cette évolution est présentée tout au long par R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des Unternehmers, p.199 365

Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.56 366

Certaines des dispositions de branche prévoient la responsabilité pour risque: l'art. 17 CMR, 23 COTIF-CIM,

18 MC. Pourtant, CMR et HVR basent sur le principe de faute.

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RJP 2015-1 (Novembre)

148

dommage pendant le transport, et les transporteurs de branche. On doit rappeler que très

souvent un segment maritime va être présent dans le transport multimodal, cependant, les

règles HVR qui le régissent, fournissent une des plus légères solutions de la responsabilité

fondée sur la faute uniquement avec inversion de la charge de la preuve seulement dans un

cas précis367

. On ne peut pas oublier que même la Convention MT en ne fournissant que le

principe de la faute présumé, n’a pas trouvé d’acceptation plus large368

.

La conclusion qui peut être tirée des considérations ci-dessus est évident – il est mieux

d'adopter le principe de la faute dans le cas d'un contrat de transport multimodal, puisque elle

correspond mieux à la diversité extraordinaire des situations qui peuvent survenir dans le

transport multimodal, en prenant en compte un certain élément de subjectivité de

responsabilité369

.

Le principe exprimé dans 16 (1) MTC est souvent décrit dans la littérature comme trop

subjectivisé, difficile pour une application pratique370

, il permet l'exonération de

responsabilité, si l’ETM a pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement être exigées

pour éviter l'événement et ses conséquences371

. L’art. 9 (2) i de projet TCM est jugé meilleur

en termes de mesureur de diligence, puisque il statue que l’ETM sera libéré de sa

responsabilité si malgré sa diligence due, il ne pouvait ni éviter ni prévenir les effets d’un

évènement. Des règles UNCTAD/ICC, à son tour, n’utilisent aucune formulation du mesureur

de la diligence372

.

Dans le cas du principe traditionnel de faute est entité autorisée pour demander la

réparation du préjudice doit prouver trois faits: la survenance du dommage, que l'acte d’ETM

était caractérisée par faute ou négligence, et finalement que le dommage résulte d'événements

qui se sont produits à la suite d'un acte ou d'une omission de l’ETM, et donc un lien de

causalité entre l'événement et le dommage373

. C’est une preuve souvent complexe et difficile.

C'est pourquoi on transfère la charge de la preuve au transporteur (dans le transport

multimodal à l’ETM)374

. On est donc en présence de deux présomptions simples contre

l’ETM. D’une part, qu’il a agi de manière fautive, ou caractérisée par négligence, et, d'autre

part, que son action a causé le dommage375

. Finalement la distribution de la charge de la

preuve s’opère de manière présentée ci-dessous :

Tout d'abord, le propriétaire de la cargaison doit prouver l'existence d'un contrat de

transport multimodal, démontrer que l’ETM a reçu les marchandises et leur état.

Conséquemment il prouve la perte quantitative ou de qualitative376

. Puisque on présume la

faute ou la négligence de l'ETM, et le lien de causalité entre son action et le dommage subi,

dans cette situation sa responsabilité est engagée.

367

Il n'est pas difficile d'imaginer comment les coûts d'assurance peuvent augmenter en raison de l'introduction

du principe de risque pour l’ETM 368

L’une des préoccupations était la responsabilité de rigueur excessive. 369

Par conséquent elle a été proposée dans les deux actes les plus importants, la Convention MT et le projet

TCM et est utilisé par les règles de l’UNCTAD/ICC. 370

Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.157, R. Müller-Feldhammer, Die Haftung des

Unternehmers, p 202 371

Considéré impropre à une évaluation fiable, en raison du fait que le rétablissement de la situation d’ETM

avec une telle précision n'est pas possible, comme trop étroitement associé à sa personne. Il n'est pas ni claire ni

particulièrement déterminé normativement quelles des exigences sont « raisonnables ». 372

La règle 5.1 prévoit que l’ETM sera responsable de la perte ou des dommages aux biens, si l'événement qui

las a causé a eu lieu dans la période de responsabilité de l'ETM, et celui-ci prouve qu'il n'y a pas eu de faute ou

de négligence de sa part. 373

C’est la preuve p ex. sous l’empire de règles HVR. 374

La doctrine anglaise appelle cette pratique une preuve prima facie de la responsabilité. 375

De Wit, Multimodal Transport Carrier Liability and Documentation, Londres 1995, p.334 376

Selon la Convention TM, si les marchandises ne sont pas livrées, le propriétaire de la cargaison pourrait les

considérer comme perdues après 90 jours, dans ce cas, de prouver l’écoulement de cette période.

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RJP 2015-1 (Novembre)

149

L’ETM pour se dégager de la responsabilité dispose de trois possibilités:

- Il peut essayer de réfuter la preuve de dommage pendant le transport, afin de se

libérer de la responsabilité dans son intégralité

- il peut prouver qu’il y avait des circonstances particulières de l’exclusion de

responsabilité, prévues dans des dispositions relatives au transport multimodal

- il peut également prouver que lui, et toute personne agissant en son nom, ont pris

toutes les mesures possibles pour éviter les événements qui ont causé le dommage ou de ses

conséquences377

.

L’ETM sans avoir contesté la responsabilité elle-même peut prouver qu’un autre a

contribué pour le dommage, donc peut tenter de réduire l'étendue de sa responsabilité. Enfin,

le propriétaire de la cargaison est en droit de réclamer que le MTO ne peut pas limiter sa

responsabilité, due à l'action avec une faute intentionnelle ou d'une négligence et avec

conscience qu'un dommage peut se produire

.

2) L’exclusion de la responsabilité

Le principe de la faute présumé permet de proposer la construction de circonstances,

qui prouvés par l’ETM vont lui permettre de s’exonérer de toute responsabilité. Lors de la

construction de ces circonstances, on doit prendre en compte d'une certaine manière les

dispositions de réglementation de branche, pour rapprocher le recours de l’ETM aux

prétentions qui exécutera contre lui la même entité autorisée de demander la réparation du

dommage378

. Il faut donc, se demander si la formulation casuistique des circonstances

d’exclusion de responsabilité est nécessaire dans le cas du transport multimodal, et s’il n'est

pas possible de remplacer une clause universelle.

Le projet TCM dans l'art. 9(2) prévoyait, dans sa version de base379

neuf circonstances

énumérées380

. Si des dommages surviennent du fait de ceux-ci, l’ETC est exonéré de

responsabilité, s'il donne la preuve conformément à l'art. 9 (3) TCM. Dans les cas visés aux

paragraphes c) à f) art. 9 (4) TCM créé la présomption que le dommage résulte des

circonstances énumérés dans ces points. Point i) exprime une clause générale d’exclusion de

responsabilité avec le mesureur de diligence raisonnable, inspiré par les règles HVR. Il

semble que la version de base du projet TCM propose un montant excessif des circonstances

d'exonération de responsabilité, et est également trop favorable pour les intérêts de l’ETM

dans leur formulation.

377

Littéralement, ce modèle a été adopté dans la Convention TM dans l'art. 16 (1), ainsi que les Règles

de Hambourg à l'article 5(1). Une autre solution a été prise par la décision 331 de la CAN de 1993, où,

conformément à l'art. 9 selon lequel on prouve un manque de faute et de la négligence, la solution des règles

l’UNCTAD/ICC disposent d’une solution analogique. 378

En raison de leur diversité, il est extrêmement difficile de trouver un dénominateur commun, apte à l'emploi

dans un transport multimodal, particulièrement dans les cas de dommage non-localisable. 379

La version alternative prévoyait seulement quatre circonstances, y compris la faute nautique. 380

Il s'agissait de dommages découlant des événements suivants :

a) la faute ou la négligence de l'expéditeur

b) l'exécution des instructions (commandes) d’une personne qui avait droit à l’édicter

c) l'absence ou le défaut de l’emballage, en raison desquels les marchandises ont été exposés à des dommages,

sauf dans le cas où c’est l’ETC qui devait prendre soin de l'emballage

d) les opérations sur les marchandises, de leur chargement, le stockage, le déchargement effectués par

l'expéditeur initial ou l’entité recevant des marchandises, ainsi que des tiers agissant en leur nom

e) la défectuosité du produit lui-même

f) l’étiquetage des marchandises insuffisant ou manquant, sauf dans le cas où ETC devrait l’assurer

g) à la suite d'une grève, lock-out, interruption ou d'autres pauses dans le travail, l'ETC ne pouvait pas éviter de

diligence raisonnable

h) l'accident nucléaire, si le propriétaire de la centrale nucléaire, ou une entité équivalente est responsable des

dommages selon la réglementation nationale ou internationale

i) un événement dont la survenance l’ETC, malgré sa diligence due, ne pouvait ni éviter ni empêcher ses effets

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RJP 2015-1 (Novembre)

150

La Convention TM à son tour, a remplacé entièrement des circonstances casuistiques

par la preuve d’avoir pris toutes les mesures qui pourraient être raisonnablement exigés de

l’ETM et de son personnel. On peut indiquer que la solution la plus raisonnable est l'adoption

d'une seule clause de diligence raisonnable élastique et relativement objectivé, suivant le

modèle de l'article 9 (2) i du projet TCM.

Autre solution a été adoptée dans les Règles de l’UNCTAD/ICC. Principalement, la

même règle générale est applicable, et l’ETM doit prouver absence de la faute de sa part, et de

la part de son personnel. Toutefois, la règle 5.4 prévoit une exonération spécifique de

responsabilité en cas de dommage localisable dans la section maritime ou de voie navigable.

Circonstances justifiant une telle exemption sont (1) l'action ou l'omission du capitaine du

navire, les membres du personnel, pilote ou membre d'équipage de la navigation ou la

conduite du navire, et (2) d'un incendie, à l'exception causé par la faute du transporteur ou

juridique contraignant. Si le dommage résulte du défaut de navire navigable, l’ETM sera en

mesure de se libérer de la responsabilité s’il a fait des efforts raisonnables pour expédier une

navigable. Cette solution, même si était un compromis avec les règles HVR est contestée dans

la littérature comme trop compliqué381

.

Les circonstances permettant l’exclusion de la responsabilité sont différemment

reconnues dans les réglementations régionales relatives au transport multimodal. Le catalogue

le plus large, similaire aux règles HVR est prévu par la loi chinoise, puisque dans ce pays le

transport multimodal est essentiellement basée sur le secteur maritime382

. L’ASEAN et

MTMAP suivent les solutions de la convention TM. Mais toutes les régulations maintiennent

la casuistique des circonstances. Conditions prévues à l'accord de l'ASEAN comprennent une

solution similaire à l’UNCTAD/ICC.

La convention MT dans l'art. 17 prévoit une solution qui permet limiter la

responsabilité de l'ETM dans un cas particulier si à la faute de l’ETM ou de son personnel

rejoint une autre circonstance supplémentaire. Il peut alors prouver que cette circonstance a

contribué à la blessure, ce qui devrait permettre de réduire son obligation de compensation.

Malheureusement cette solution de la Convention MT n’a pas été redoublée dans aucun

règlement régional important.

3) L’étendue de la réparation

L'adoption d'un système uniforme modifié dans la matière de l’étendue de la

réparation est, en plus de la construction de principe de responsabilité unique, la possibilité de

recourir auxiliairement aux limites d’indemnisation prévus par les dispositions de branche

dans le cas de dommage localisé.

La convention MT dans l'art. 19 dans le cas de dommages localisés impose d'adopter

la limite provenant de la convention unimodale ou de la législation nationale, mais seulement

si la limite prévue par la convention elle-même s’avère inferieure, que celle de branche.

L’argument de l'analyse économique constitue un motif principal de cette solution, qui

affirme que le contrat de transport multimodal est conclu seulement, si les limites de

l’indemnisation sont plus favorables que dans les conventions de branche.

On peut imaginer une autre solution, d’un renvoi aux limites de l’indemnisation de

branche dans chaque cas de dommage localisable, quel que soit leur relation avec la limite

381

H.M. Kindred, M.R. Brooks, Multimodal Transport Rules, Haye 1997, p.82 382

Section 8 du chapitre 4 Maritime Code of The People’s Republic of China (Extracts), 1992, S.K.Tai, The

Applicable Law in a Multimodal Transport Contract in China, Seaview No. 96, 2011 p.5, L. Zhu, M.D. Guner-

Ozbek, H. Yan, Carrier’s Liability in Multimodal Carriage Contracts in China and its Comparison with US and

EU, 2011, p. 107, Ch. Schröder, Der multimodale Frachtvertrag nach chinesischem Recht, Berlin 2008, p. 120.

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RJP 2015-1 (Novembre)

151

uniforme, de sorte qu’on introduit un réseau des limites. Ce concept a été adopté dans les

dispositions des accords MTMAP, CAN et l'ASEAN.

Des limites de l’indemnisation uniformes pour les dommages non localisés dans la

Convention MT ont été, à leur tour, différenciés selon que le transport contient un segment

maritime ou effectué par voie navigable ou non. Lorsque l'une des secteurs est maritime, le

limite est spécifié par somme plus élevé de celles: 920 SDR / paquet ou unité de cargaison, ou

2,75 SDR / kg. Sinon, le plafond sera de 8,33 SDR / kg. Cette solution offre une uniformité

considérable et constitue une réponse à la diversité des dispositions unimodales383

.

En outre, la Convention MT prévoit, conformément aux dispositions de solutions

unimodales que l’ETM ne sera pas en mesure de bénéficier de cette limitation du montant de

l'indemnité si on va prouver son comportement avec la faute intentionnelle ou imprudent,

entrepris avec la conscience de la probabilité de causer des dommages. Dans une telle

situation, il va réparer tout étendu du dommage.

III. La responsabilité de l’ETM dans le droit interne français

A. Les dispositions à utiliser

Pour répondre à la question dans quelle situation les dispositions normatives françaises

vont être appliqués dans le cas d'un contrat de transport multimodal il convient de rappeler

que le contrat de transport multimodal peut être de l’étendue nationale ou internationale. Dans

le premier cas le droit relatif, c’est le droit français. Il convient de souligner que, dans les

réalités économiques de transport multimodal, et le distances qu’il couvre habituellement

c’est une situation un peu plus rare.

La deuxième possibilité du point de vue de la législation française est plus difficile.

Actuellement, en absence de normes internationales impératives de fond pour la France384

, par

conséquent, on doit orienter l’analyse vers les dispositions de conflit de droit international

privé. Le contrat international, conformément au règlement (CE) n° 44/2001 du 22 Décembre

2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en

matière civile et commerciale (Bruxelles I) ne va être soumis dans la majorité des cas à la

juridiction française que si le défendeur, qui est dans le cas analysé, l’ETM avait son domicile

sur le territoire français385

.

La question la plus importante est, bien sûr celle concernant l’applicabilité de la loi

française. La réponse peut être trouvée dans le Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement

européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles

(Rome I). Selon ses dispositions, précisément en conformité avec l'art. 3, la loi française

pourrait être appliquée au contrat de transport multimodal, si les ont prévus des parties elles-

mêmes, en opérant un choix approprié. Cette possibilité doit être évaluée comme peu

probable, la loi française ne contient pas de réglementation relative spécifiquement au

transport multimodal et il n'y a donc aucune raison rationnelle pour choisir l’ordre juridique

français. En plus ils existent des règles contractuelles, possibles à incorporer dans l’accord des

parties, tels que les Règles UNCTAD/ICC386

.

Dans la deuxième situation, en l'absence du choix des parties conformément à l'art. 3,

du règlement Rome I, la loi française peut être désignée par le règlement lui-même. Cet acte

dans son article 5 prévoit le contrat de transport. Cette disposition et assez générale, pour

383

Z. Kwaśniewski, Umowa międzynarodowego przewozu, p.177 384

La France n’est pas partie d’aucune des conventions concernant le transport multimodal. 385

Art. 2(1) du règlement. On ne peut pas aborder dans le présent mémoire toutes hypothèses possibles

concernant le conflit de juridictions. 386

Règles UNCTAD/ICC pour les documents du transport multimodal de 1992

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RJP 2015-1 (Novembre)

152

accorder la possibilité de l’appliquer pour le cas du transport multimodal387

. Cela ne signifie

bien sûr que la nature juridique de ce type de déplacement des marchandises perd son

caractère autonome, on peut simplement raisonner per analogiam. Conformément à l'art. 5, la

loi applicable pour le contrat de transport est la loi du pays dans lequel le transporteur a sa

résidence habituelle, pourvu que le lieu de chargement ou le lieu de livraison ou encore la

résidence habituelle de l'expéditeur se situe aussi dans ce pays. Si ces conditions ne sont pas

satisfaites, la loi du pays dans lequel se situe le lieu de livraison convenu par les parties

s'applique.

Cela signifie que le droit français va être appliqué si l’entrepreneur du transport

multimodal a sa résidence habituelle en France et, en même temps l'itinéraire du déplacement

de marchandises commence ou termine sur le territoire français. Sinon c’est le lieu de la

livraison qui devrait être situé en France, pour que la loi française s’applique, dans ce cas-là

indépendamment du lieu où les marchandises étaient chargés, et de la résidence habituelle

d’ETM.

Il apparaît donc que, en absence de normes internationales de fond, la loi française a

une possibilité de trouver certaines applications. Il existe donc un besoin pour l'analyse de la

législation nationale pour déterminer les dispositions relatives.

Le contrat de transport multimodal est sans aucun doute, dans l'état actuel de la

législation française un contrat innomé388

, c’est-à-dire qui n'est pas réglementé par le code

civil. La recevabilité de la création d’un tel contrat est le résultat du principe de la liberté

contractuelle. Conformément à l’article 6 du Code civil, qui constitue les limites de cette

liberté, en statuant qu’on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui

intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs.

Le contrat innomé possède une triple caractéristique. Ses traits principaux sont la

subsidiarité, la relativité et le caractère transitoire389

.

La subsidiarité se manifeste dans le fait évident que pour pouvoir même considérer le

contrat comme innomé, il ne peut être classé comme l'un des types de contrats nommés par la

loi. Bien que la jurisprudence française ait une tendance de créer des régimes juridiques

particuliers pour certains contrats innommés, ce phénomène ne peut changer leur caractère

innomé390

.

La relativité, à son tour, signifie qu'il n'est pas possible de déterminer le caractère

innomé du contrat sans référence aux autres définitions des types de contrats nommés. Pour

être considéré pour un contrat innomé, on doit constater qu'il diffère manifestement des

contrats nommés les plus proches. C’est donc le cas d'un contrat de transport multimodal, qui

ne peut être considéré ni comme un contrat de transport, ni comme l’expédition de

marchandises, puisque il montre un certain nombre de différences fondamentales391

.

387

Puisque l'art. 5 du règlement constitue notamment, le principe de la lex specialis à l'art. 4, et traite le contrat

de transport, comme un contrat avec une certaine inégalité des parties, ou le cocontractant du transporteur est

considéré la partie plus faible. Si on considère que l’article 5 ne peut être appliqué per analogiam au transport

multimodal, l'art. 4 du règlement va régir cette situation. Selon cette disposition la loi applicable au contrat de

prestation de service, est toujours la loi de ce pays ou le fournisseur de service (dans ce cas, l’ETM) a sa

résidence habituelle. Pour des raisons téléologiques de protection de l’expéditeur initial on devrait permettre

l’application de l’art. 5. 388

Prévu par l’art. 1107 du code civil : « Les contrats, soit qu'ils aient une dénomination propre, soit qu'ils n'en

aient pas, sont soumis à des règles générales, qui sont l'objet du présent titre. » 389

Voir, par exemple Katner W.J., Pojęcie umowy nienazwanej dans: Katner W.J. (dir.) Prawo zobowiązań –

umowy nienazwane. Tom 9. System Prawa Prywatnego Varsovie 2010 p. 15, ou J. Jacyszyn, Umowy

nienazwane, Rzeczpospolita PCD. Thèse n 2 6856/2, LEX, 4.10.1996 390

P.Fréchette, La qualification des contrats : aspects pratiques, Les Cahiers de droit

Volume 51, numéro 2, juin 2010, par. 84 http://www.erudit.org/revue/cd/2010/v51/n2/045635ar.html#re1no117 391

Cette constatation a été effectuée dans le point I B 2) du présent mémoire.

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RJP 2015-1 (Novembre)

153

Enfin, les contrats anonymes possèdent un caractère transitoire ce qui s’exprime dans

le fait que le législateur peut répondre au fonctionnement du contrat dans la pratique

commerciale, en plaçant sa régulation dans un acte législatif appropriée, réalisant un objectif

spécifique de la politique du droit. C'est pourquoi un certain nombre de pays et des

organisations internationales ont pris cette tentative de protéger les intérêts des parties du

transport multimodal.

La principale conséquence de la reconnaissance du contrat de transport multimodal

comme le contrat innomé en droit français sera que pour sa construction on va utiliser les

règles générales relatives à la responsabilité contractuelle392

.

B. La commission de transport

Dans le contexte du transport multimodal on doit analyser la figure française de

commissionnaire de transport. Une solution similaire est aussi présente dans le droit de la

Belgique, les Pays-Bas, et l’Italie393

. En France les dispositions relatives sont les articles L-

132-1 et suivants du code de commerce et par le décret 2014-530 du 22 mai 2014 relatif à

certaines dispositions de la partie réglementaire du code des transports.

La question se pose si ce concept englobe le transport multimodal. Dans la littérature

on peut trouver l’avis qu'il est en quelque sorte situé au milieu, entre la notion de l’expédition

des marchandises et de transport.

Premièrement l’art. L132-1 du code de commerce statue que le commissionnaire est

celui qui agit en son propre nom ou sous un nom social pour le compte d'un commettant.

Cependant, classiquement l’entrepreneur du transport multimodal ne peut agir qu’en son

propre nom, puisque c’est la nature de ce contrat, qu’il assume la responsabilité pour

l’organisation du processus de transport. Le commissionnaire de transport est donc seulement

un intermédiaire394

, et non une entité tout à fait indépendante.

Selon la définition du contrat commission de transport, proposé par la Cour de

cassation française395

, par la conclusion de ce contrat, le commissionnaire s’engage envers le

commettant à accomplir pour le compte de celui-ci les actes juridiques nécessaires au

déplacement de la marchandise d'un lieu à l'autre, elle se caractérise par la latitude laissée au

commissionnaire d'organiser librement le transport par les voies et moyens de son choix, sous

son nom et sous sa responsabilité, ainsi que par le fait que cette convention porte sur le

transport de bout en bout.

Le commissionnaire ne peut donc être considéré comme le transporteur classique, il ne

dispose pas d’un droit d’effectuer le déplacement de marchandises lui-même. En outre, même

s’il fournit une telle prestation, rien ne changera dans sa qualification juridique396

. En raison

du fait qu'il n’effectue généralement pas de transport est aussi appelé, avec toutes les

392

Comparer avec P. Fréchette, La qualification des contrats : aspects pratiques, Les Cahiers de droit

Volume 51, numéro 2, juin 2010, p. 375-424 L’auteur affirme qu’il est difficile de reconnaître un régime

juridique nécessairement uniforme aux contrats innommés. Dans ce sens, il apparaît possible, à son point de vue,

de faire un rapprochement avec d’autres institutions du droit civil, tel l’usage qui fait partie du contenu implicite

du contrat. 393

Là, elle possède un caractère doucement diffèrent. R. De Wit, Multimodal Transport, p.21 et M. Hoeks,

Multimodal Transport Law, p.45 394

F. Letacq, Droit des transports: La commission de transport, IDIT, 2004 p.2 395

Cour de Cassation, Chambre commerciale, 16 février 1988, comparer F. Letacq, Droit des transports: La

commission de transport, IDIT, 2004 396

M. Hoeks semble surpris par une telle situation tout à fait naturelle. M. Hoeks, Multimodal Transport Law,

p.45 et suiv. C’est pourquoi il n’accepte pas l'idée d'une nature sui generis du transport multimodal, pour ledit

auteur ce contrat ne constitue qu’une somme des contrats.

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RJP 2015-1 (Novembre)

154

imperfections de cette expression prises en compte « le transporteur papier »397

. L’agent de

transport est chargé de la responsabilité étroite du transporteur en cas de perte ou

d'endommagement des marchandises, bien que la commission de transport soit

essentiellement une sorte d’expédition de marchandises élargie, et résulte du fait que, en droit

français le transitaire est fortement lié avec les instructions de son client398

. On peut discuter

si en droit français l’ETM pourrait être classé comme le commissionnaire de transport. Il

semble que, en répondant par l'affirmative comme R. De Wit, on ne voit pas l'inadéquation de

l'ajustement de la responsabilité du commissionnaire aux besoins de l’entrepreneur de

transport multimodal.

Le décret de 90-200 du 5 mars 1990 abrogé par celui de 2014-530 du 22 mai 2014,

l’accès aux professions de transport unifié dans le droit français. Selon art. R 1422-1 on doit

être inscrit au registre des commissionnaires de transport. L’inscription est subordonnée à des

conditions de capacité professionnelle et d'honorabilité professionnelle prévus dans des

articles suivants. Le commissionnaire dispose d’une obligation légale de s'assurer

préalablement à la conclusion du contrat avec une entreprise à laquelle il a fait appel pour

exécuter son contrat de commission de transport, que l'entreprise est habilitée à exercer

l'activité demandée.

Bien que la responsabilité du commissionnaire de transport est présumée, dans le

cadre de l’art. L. 132-4 et L. 132-5, les commissionnaires peuvent s’exonérer en prouvant

qu’ils n’ont pas commis de faute et que l’inexécution contractuelle provient d’une cause qui

leur est étrangère, et constitutive de force majeure, de même qu’ils peuvent stipuler une clause

limitative de responsabilité, et finalement s’exonérer de toute responsabilité en prouvant que

les avaries et pertes survenus ont été causées par un événement de force majeure, la faute du

chargeur ou le vice propre de la marchandise 399

.

Selon le modèle d’un contrat de commission de transport prévu par l’art. 13 de

l’annexe à l’art. D. 1432-3 du décret, la réparation due par le commissionnaire de transport est

égale à 20 € par kilogramme de poids brut de marchandise manquante ou avariée sans pouvoir

excéder une somme supérieure au produit du poids brut de la marchandise de l'envoi exprimé

en tonnes multiplié par 5 000 €. On voit donc que cette limitation est arbitraire et n’est pas du

tout lié avec les limites conventionnelles.

En second lieu, le commissionnaire de transport est responsable à l’égard de son

commettant, du fait de ses substitués. On peut se demander si le contrat de commission de

transport possède une caractéristique d’intuitus personae, donc si le commissaire a besoin de

l’accord d’expéditeur de marchandise pour recourir à un sous-contrat. Dans le transport

multimodal la nécessité de sous contracter est évidente, et absolument indispensable pour

l’exécution propre des prestations par l’ETM. Cependant il y a des opinions dans la doctrine,

que le commissaire de transport ne peut point conclure un accord sans autorisation

préalable400

.

Si les substitués ont été imposés au commissionnaire par le commettant, il n’y a plus

commission mais mandat, et ès-qualité de mandataire le commissionnaire n’a plus à répondre

de ses substitués et n’est plus responsable que de ses fautes personnelles401

. Cependant

l’entrepreneur du transport multimodal assume la responsabilité pour le résultat du processus

397

Ang. paper carrier. Une meilleure traduction serait probablement "transporteur contractuel" contrairement

aux transporteurs du fait avec lesquels il contracte, vous devez vous rappeler, cependant, que l'agent de transport

n'est pas du tout le transporteur. R. De Wit, Transport Multimodal, p.21 398

Ib., p.22. 399

C. Bernat, Le régime de responsabilité des commissionnaires de transport, 25 mars 2010

http://cedricbernat.wordpress.com/2010/03/25/le-regime-de-responsabilite-des-commissionnaires-de-

transport/#comments, par. 238-2 400

Ib. par. 239-1 401

Art. 1994 du Code civil, Ib. par. 239-3

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RJP 2015-1 (Novembre)

155

de déplacement des marchandises et qui en fait va le réaliser dans un de secteurs n’est pas du

tout important. Le contrat de transport multimodal n’est jamais le mandat. Même si

l’expéditeur initial va imposer un transporteur concret dans le contrat, l’ETM ne cesse être

responsable pour l’exécution du contrat par cette entité.

La deuxième différence la plus grande entre la commission de transport et le transport

multimodal réside dans le fait que la responsabilité du commissaire dans le cas du dommage

localisé est recherchée selon les dispositions de branche relatives au contrat de transport. Il

peut donc se prévaloir des exclusions de responsabilité, des limites d’indemnisation de

branche. Selon l’art. 13.1. de l’annexe à l’art. D. 1432-3 du décret mentionné ci-dessus la

réparation de ce préjudice prouvé due par le commissionnaire de transport est limitée à celle

encourue par le substitué dans le cadre de l'envoi qui lui est confié. Quand les limites

d'indemnisation des substitués n'ont pas été portées à la connaissance du donneur d'ordre ou

ne résultent pas de dispositions impératives, légales ou réglementaires, elles sont réputées

identiques à celles relatives à la responsabilité personnelle du commissionnaire de transport.

En d’autres termes, le commissionnaire répond de ses substitués dans les mêmes

conditions que ces derniers, donc sa responsabilité du commissionnaire est alignée sur le

régime de responsabilité du cocontractant défaillant402

. On a déjà démontré que c’est

indésirable dans le transport multimodal. La responsabilité de l’ETM est autonome de celle

des transporteurs de branche.

C. Bernat y voit une qualité de la commission de transport. Cependant, contrairement

à son opinion, l’entrepreneur du transport multimodal doit indemniser la totalité du dommage

subi par l’expéditeur initial, même si en se retournant vers le transporteur défaillant il ne va

pas être indemnisé dans la totalité, à cause de la limitation de sa responsabilité, ou même pas

du tout si une circonstance particulière d’exclusion de responsabilité se produit403

. C’est dans

la nature du transport multimodal, et dans l’autonomie de la prestation assumé par l’ETM qui

est garant du succès du déplacement des marchandises indépendamment des transporteurs du

fait. La thèse qu’aucun opérateur ne se risquerait à contracter ès-qualité de commissionnaire

est aussi indue, puisque c’est la nécessité de l’organisation du processus d’une chaine de

transport qui pousse à contracter multimodalement, et la police d’assurance résout le

problème. Bernat semble oublier aussi que dans le transport multimodal, le dommage est

rarement possible à localiser.

On est en présence d’un système de responsabilité de réseau. Dans le cas où on ne peut

pas localiser le dommage le système renvoi aux dispositions de branche. On a déjà prouvé que

cette solution ne répond point aux besoins du transport multimodal. Il convient donc de

constater que la commission de transport n’a pas été créée pour le transport avec utilisation de

différents moyens de transport, ni ne donne aucune réponse aux problèmes juridiques

particulières de ce type de transport.

C. La solution proposée

Premièrement on doit donc constater qu’on est en présence d’un vide législatif. Le

transport multimodal ne possède aucune disposition législative relative, ni conventionnelle, ni

de droit interne. Dans cette situation, un certain nombre de problèmes se posent. Tout d'abord,

sans aucune position prise par le législateur, on peut être tenté, surtout en regardant les

dernières tendances dans la littérature d'autres pays à admettre que le transport multimodal

n’est que la somme des contrats. Une telle situation condamne également les parties à

l'utilisation de modelés de contrats ou règles contractuelles fonctionnant dans la pratique

402

Ib. 403

Ib. Bien sûr, la responsabilité du commissaire peut être construite d’une telle façon. Mais cela ne peut pas

habiliter à qualifier le transport multimodal dedans la notion de la commission. Le commissaire est donc plutôt

un transitaire.

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RJP 2015-1 (Novembre)

156

commerciale ou à la construction du contrat par les parties-elles mêmes. Chaque défectuosité

de détermination des stipulations par les parties sera très difficile à remplir par la loi française.

Les expéditeurs initiaux ne sont aussi suffisamment protégés par la loi.

Puisque le découpage de l’opération du transport ainsi effectuée n’est pas possible on

doit réfléchir sur le régime unique relatif au contrat du transport multimodal. On est en

présence d’un vide total, puisque il est difficile d’imaginer l’application des dispositions

relatives à un autre type de contrat.

Plusieurs éléments de responsabilité ne peuvent point être interprètes per analogiam.

Sans détermination d’un système de responsabilité on devrait admettre le système uniforme.

Même si on assume la faute présumée comme le fondement de la responsabilité, on n’arrive

pas à préciser des circonstances d’exclusion de responsabilité. Les limites de responsabilité ne

peuvent pas être déterminées sans l’intervention du législateur.

Il semble impossible de maintenir cet état de choses. La législation existante ne permet

pas le développement du transport multimodal en France. Cependant on ne peut pas se

concentrer uniquement sur l’amélioration de la logistique, construction des terminaux,

infrastructure et des systèmes d’information routière404

. Les changements législatifs doivent

s’opérer pour assurer le système prévisible et la protection des parties du contrat de transport

multimodal405

.

Comme il ressort de ce qui a été montré jusqu'à présent, le contrat du transport

multimodal en raison de sa spécificité et la complexité d’un univers contractuel créée au

moment de sa conclusion, mérite à être traité indépendamment. L'application des dispositions

générales du code civil doit être jugé insuffisante. Puisque la détermination jurisprudentielle

ne sera jamais cohérente, on devrait proposer l’introduction du contrat dans la catégorie des

contrats nommés.

L’introduction du contrat de transport multimodal dans le droit français devrait

s’opérer principalement par adjonction d’un nouveau titre dans le code de commerce, comme

il est un contrat distinct, mérite d’être traité séparément. Une loi spéciale relative au transport

multimodal est aussi envisageable.

Non seulement les éléments de la responsabilité devront être inclus dans la régulation.

Il est souhaitable que le législateur créé un système de responsabilité logique et cohérent avec

les hypothèses d'un système uniforme modifié. Il est donc nécessaire, comme un minimum

absolu d’inclure:

- la définition de l'entité de l’entrepreneur de transport multimodal, quelle que soit sa

dénomination, bien que l'introduction de la confusion conceptuelle plus grande ne semble

qu’illogique406

. On peut soit utiliser la notion d’ETM, ou le terme d’organisateur du transport

multimodal407

.

- la définition de la notion de contrat de transport multimodal, préférablement suivant

le modèle proposé dans la Convention TM, donc en supposant qu'il s'agit d'un contrat dans

lequel l’ETM s'engage, en contrepartie d'une rémunération, à effectuer le déplacement des

marchandises. Il est possible et même recommandé de préciser à ce stade que l’ETM assume

404

V. Lefavrais, Le transport multimodal en France, choix stratégique ou désillusion ? Université Paris 1

Panthéon-Sorbonne, 2010 p. 21 405

Les raisons pour avoir le régime légal du contrat du transport multimodal sont identiques a celles qui

motivent la régulation du transport classique ou la commission de transport, qui sont des autres types de contrats

populaires dans la pratique commerciale. 406

La dénomination est secondaire, mais il est important qu’elle soit facile à distinguer du transporteur et

expéditeur des marchandises. 407

Utilisé par Professeur Bonassies, cité par C. Bernat Contrats spéciaux du commerce maritime : les contrats

proches du connaissement maritime, 25 mars 2010

http://cedricbernat.wordpress.com/2010/03/25/contrats-speciaux-du-commerce-maritime-les-contrats-proches-

du-connaissement-maritime/

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tout un faisceau de prestations qui vont au-delà des pouvoirs du transporteur classique. Par

exemple, il peut être clairement indiqué que le concept de transport multimodal au-delà du

simple fait de déplacer les marchandises comprend toute la gamme des services, telles que la

collecte, le groupement, la dissociation, le stockage, la livraison et l’assurance des biens.

- la détermination de la période de responsabilité, en conformité avec la majorité

écrasante des réglementations, du moment de la prise en charge des marchandises jusqu’au

moment de leur livraison, l’intervention des autorités et des entités tierces prise en compte.

- la détermination du principe de responsabilité d’ETM comme la faute présumé, donc

charge de preuve renversée, c’est-à-dire l’obligation pour l’entrepreneur du transport

multimodal de prouver la diligence due pour exclure sa responsabilité pour le dommage qui

est survenu

- la détermination des limites de responsabilité pour les dommages en faveur de

l’ETM, où il est recommandé fonder la solution sur celle la Convention MT,

- introduction d’une disposition en conformité avec laquelle, l’ETM ne sera pas en

mesure de bénéficier d’une limitation de l'indemnisation s’il est prouvé que la perte, le

dommage ou le retard à la livraison résultent d'un acte ou d'une omission qu'il a commis, soit

avec l'intention de provoquer cette perte, ce dommage ou ce retard, soit témérairement et en

sachant que cette perte, ce dommage ou ce retard en résulteraient probablement408

.

On doit fortement déconseiller au législateur la tentative de répétition à ce point des

solutions allemandes qui reprennent explicitement le système de réseau de responsabilité

d’OTM en statuant les dispositions spécifiques suivant dans le code du commerce ceux

relatifs au contrat de transport classique409

.

Il est également recommandé de laisser la porte ouverte pour une éventuelle

convention internationale relative au transport multimodal, donc une des dispositions peut

statuer que la législation nationale n’affecte point des dispositions conventionnelles dans la

matière.

Il semble que maintenant, lorsque l'accent est posé de manière considérable sur la

protection de la partie faible du contrat la mise en place de la réglementation du contrat du

transport multimodal doit être préconisée. Ce serait certainement une solution moderne, qui

pourrait contribuer à la compétitivité des réalités du système juridique de transport français.

A.Salomon a déjà averti que si on ne prend pas rapidement des mesures pour renforcer

l'attractivité du système national, en tant qu’un pays de transit pour les itinéraires de transport

multimodal, la vraie menace est l'augmentation de la position de autres pays est possible410

.

L'auteur a souligné qu’en Europe il y a des conditions pour le développement intensif du

transport multimodal et objectifs mentionnés pourrait être atteint par un règlement juridique

moderne.

En raison du fait que les solutions normatives nationales ne peuvent pas être

suffisantes dans tous les cas dans la pratique du transport, on devrait envisager d'autres

possibilités qui peuvent être utilisés pour obtenir une régulation cohérente de transport

multimodal. Bien entendu, comme déjà indiqué, sa spécificité réside dans le fait qu’il couvre

des longues distances. Des conditionnements géographiques et politiques causent, par

conséquent, qu'il va souvent au-delà des frontières des pays. Dans la plupart des cas, il sera

donc un transport international, exigeant, par conséquent, l'unification des solutions

normatives d'une manière spéciale par des conventions internationales appropriées, qui ont un

pouvoir unifiant beaucoup plus développé que la loi nationale.

408

Donc l’équivalent de l’art. 21(1) de la Convention TM 409

Art. 452a HGB et suiv. 410

A. Salomon, Spedycja w handlu morskim. Procedury i dokumenty, Wydawnictwo Uniwersytetu Gdańskiego,

Gdańsk 2003, p.186–202

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La réponse à la question de savoir si on devrait recommander à la France de ratifier la

Convention TM doit être paradoxalement négative. La ratification ne sera qu’une idée

idéaliste. La Convention ne va jamais entrer en vigueur411

, le nombre des ratifications exigées

est trop élevé, elle ne va donc en conséquence jamais entrer dans le régime juridique français.

Il est peu probable qu’on peut attirer l’attention suffisante à la convention qui est aujourd’hui

vieille et n’est pas dépourvue des imperfections mineures412

.

En particulier, il serait souhaitable de déconseiller la ratification par la France les

Règles de Rotterdam. Ils contiennent des solutions « maritimes plus » préjudiciables au

fonctionnement de la pratique du transport multimodal et se caractérisé par la complexité

inutile et ambiguïtés nombreuses dans ses dispositions. La ratification est, bien sûr, du point

de vue du transport multimodal, inutile aussi parce que cet acte n'est pas du tout complexe, et

n’englobe pas toutes les cas du transport multimodal, mais seulement ces trajets qui

contiennent un secteur maritime.

Il semble que l'on devrait plutôt opter pour un nouvel examen de la thématique et le

recommencement des travaux sur une nouvelle convention internationale concernant le

transport multimodal. Il est très probable que l'atmosphère parmi les opérateurs de transport

va permettre l'adoption de solutions uniformes pour le transport multimodal. Il n'est pas

inconcevable que le texte de la Convention TM ou les suggestions de Projet ISIC413

peuvent

statuer un point de départ pour une éventuelle réglementation du transport multimodal.

Ce qui est certain, c'est que si on propose un projet de convention, on doit absolument

exclure les liens avec la Convention MT qui est, comme on a déjà indiqué, jugée trop sévère.

Cela ne signifie pas, cependant, que la nouvelle convention devrait présenter beaucoup de

différences414

. L’encouragement à un tel accord international est devenu possible en raison du

fait que, depuis le début de Convention TM beaucoup de temps a déjà passé et le transport

multimodal a gagné en popularité. Le commencement, ou plutôt la renaissance des travaux

sur la convention avait certainement une portée considérable pour la circulation des

marchandises et la pratique de conclure des contrats du transport multimodal au niveau

européen, on doit donc opter pour la reprise de la discussion sur cette éventualité.

Conclusion

L’étude de droit comparé de la gamme de solutions normatives, de projets, de

conventions, de la régulation au niveau international, régional et national, présentées dans ce

mémoire, l’analyse dogmatique de la question de la forme théorique de la responsabilité,

enrichie par une tentative de prendre en compte les conséquences pratiques de ces éléments

structurels de chaque des solutions juridiques de la responsabilité de entrepreneur du transport

multimodal a permis de formuler un certain nombre de conclusions.

La forme de la responsabilité d’ETM est fondamentalement affectée par l’hypothèse

admise de la nature du contrat du transport multimodal. On a prouvé que la seule théorie

acceptable, non seulement théoriquement, mais détenant également une vaste dimension

pratique est la classification du contrat de transport multimodal comme un contrat sui generis.

Pour une telle construction on ne peut pas alors appliquer les dispositions de branche relatives

411

Cela ne signifie pas qu’elle n’inspire pas des solutions dans le domaine. Consulter M. Faghfouri.,

International Regulation of Liability for Multimodal Transport – in Search for Uniformity dans WMU Journal of

Maritime Affairs, Volume. 5, nr 1, 2006, s. 99, et dans le meme sens Multimodal transport. The feasibility of an

international legal instrument UNCTAD/SDTE/TLB/2003/1 p.13 412

Rien n’empêche les états d’intégrer les solutions normatives d’une convention inapplicable dans le droit

national. 413

M.A. Clarke, R. Herber, F. Lorenzon, J. Ramberg, Integrated Services in the Intermodal Chain (ISIC) Final

Report Task B: Intermodal liability and documentation, Southampton 2005 414

Il est parfois suffisante pour obtenir un plus grand intérêt et l'acceptation sur le niveau international de réaliser

certaines opérations de marketing, il suffit donc préparer un « emballage » nouveau pour la solution.

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159

au contrat de transport classique, puisque ils ne sont pas capables de régler la responsabilité

dans les cas du dommage non localisable. Le contrat analysé n’est donc ni un cas particulier

de l’expédition de marchandises, ni une somme de contrats ou un contrat mixte. Donc,

évidemment est apparu ici, le besoin de formuler des réglementations relatives au transport

multimodal, adaptés à sa réalité. Ce besoin était, par ailleurs, reconnu, et on a tenté de

répondre par des nombreux projets des conventions nationales et régulations régionales, dont

malheureusement seulement un certain nombre sont entrés en vigueur dans les enclaves

régionales.

En premier lieu, il convient de souligner qu’un système de transport multimodal tout à

fait correct et fonctionnel est celui qui conduit à une réduction des coûts de la passation des

contrats, ce qui devrait être une priorité non seulement à l'échelle internationale, mais aussi

dans les systèmes normatifs nationaux. Un tel résultat ne peut être atteint que par la création

d'un système prévisible et certain de la responsabilité d’ETM. Un autre facteur important est

la coexistence dans le contrat de transport multimodal de deux plans, et donc la nécessité pour

la synchronisation de recours contre l’ETM et contre les transporteurs de branche en cas de

dommages localisés.

Le système uniforme modifié de responsabilité d’ETM s’est révélé la meilleure

solution. Le système de réseau n'est pas en mesure de réduire le coût de passation de contrats,

par renvoi artificiel et conservateur à la réglementation de branche en vigueur.

Le système uniforme modifié permet donc d’achever une sécurité, et en liant les

limites d’indemnisation de conventions de branche constitue une concession maximale aux

solutions de branche.

Parmi les propositions qui ont été présentées par les experts dans le cadre d'un débat

au sein des organisations internationales la Convention MT s’est avéré la meilleur jugé. Fait

de cette manière a permis l'émergence d'une vue d'ensemble des solutions dotées de la plus

grand nombre possible d'avantages structurels, mais aussi pratique, chargé avec le nombre

minimum de défauts.

L'analyse a montré que le système uniforme modifiée de responsabilité de l'ETM

devrait être complété par les éléments structurels de la responsabilité de manière que la

responsabilité de l'ETM s'appuye sur le principe de la faute présumé La période de la

responsabilité doit être prévue pour le temps pendant lequel l’ETM dispose d’un pouvoir

effectif sur les marchandises. Comme on a démontré, le renversement de la charge de la

preuve devrait être accompagné par la formulation du mesureur de la diligence due de l’ETM.

Il n'est pas nécessaire de formuler des circonstances excluant la responsabilité dans la manière

casuistique, dans la solution unique pour le transport multimodal. On a démontré qu’une

clause générale est plus avantageuse.

Les limites de l’indemnité, peuvent être associés avec ceux de branche dans chaque

cas, ou seulement si s’avèrent plus élevés que celui prévu par les dispositions relatives au

transport multimodal. La convention potentielle devra pourtant plutôt unifier les limites, pour

servir d’une impulsion d’effacement de l’approche sectorielle.

Pour assurer la sécurité et la prévisibilité du système de responsabilité de l’ETM, on

devrait d'abord opter pour le début des travaux sur le projet de la nouvelle convention, qui

d'une manière intégrale régira les questions de transport multimodal et dans les hypothèses

conformément a ceux présenté dans ce mémoire. Seulement un tel instrument, en supposant

son acceptation universelle, est capable de faire un changement important dans les coûts

pratiques de la conclusion de contrats de transport multimodal et de contribuer ainsi à la

propagation et à l'amélioration du processus de transport. Et ce devrait être une convention

spécifique, non un instrument « transport plus », qui comme on a indiqué ne peut pas

répondre aux besoins du transport multimodal. En outre, il est recommandé que ce soit une

nouvelle convention, parce que les solutions existantes ne vont recevoir jamais assez de

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RJP 2015-1 (Novembre)

160

popularité, voire ne conviennent pas à règlementer le transport multimodal et leur entrée en

vigueur doit être considéré comme préjudiciable à la pratique du transport.

Une solution secondaire quant à l'échelle, mais qui détient également une grande

importance est la question de l'adaptation du contrat étudié en vertu du droit national. Le

problème est né lorsque le droit national est indiqué par le choix de parties ou les règles de

droit international privé. En absence d'un règlement distinct, y compris internationale, dans le

droit français des règles générales du contrat se révéleront à être appropriées et ils, dans

n'importe quelle configuration imaginable ne sont pas en mesure de répondre à un ensemble

spécifique de besoins de ce type de transport. Pour que la responsabilité d’ETM soit

prévisible et son détermination a priori soit possible, il est nécessaire d’introduire le contrat

dans la loi française, et en fait, suivant l'exemple d'autres pays415

au code civil ou commercial.

Bien sûr, ce travail ne pouvait pas épuiser tout le potentiel du sujet. Il y avait des

questions qui, même que intéressants, devraient être laisses a la marge des considérations. On

peut mentionner la nécessité de l’étude plus approfondie des coûts spécifiques d'assurance,

ainsi que la possibilité réelle de mettre en vigueur de nouvelles solutions juridiques que ce

soit par les organes législatifs de l'Union Européenne, ou les tentatives successives de

l'Organisation des Nations Unies.

glossaire

Accord MTMAP – l’accord concernant le Transport Multimodal International de

L’Amérique du Sud (1996)

CAN – Décision 331 de Comunidad Andina de Naciones relative au transport, multimodal,

1993

CMNI – convention de Budapest relative au contrat de transport de marchandises par voie

navigable du 22 juin 2001

CMR – convention de Genève relative au contrat de transport international de marchandises

par voie terrestre depuis du 19 mai 1956

Convention de Varsovie – la convention de Varsovie pour harmonisation de certains

principes de transport aérien international du 12 octobre 1929

Convention MC – la convention de Montréal pour harmonisation de certains principes de

transport aérien du 28 mai 1999

Convention TM – la convention de l’ONU de Genève relative au transport multimodal

international de 1980

COTIF-CIM – convention relative au transport international ferroviaire (COTIF) du 9 mai

1980 telle que modifiée par le Protocole de Vilnius du 3 Juin 1999, annexe B (CIM)

HBR – les règles de Hambourg (La Convention de Hambourg), de l'Organisation des Nations

Unies sur le transport de marchandises par mer de 1978

HR – Règles de La Haye, la convention de Bruxelles pour l'unification de certaines règles

relatives aux connaissements du 25 août 1924

HVR – Les règles de La Haye-Visby, HR modifié par le Protocole de Bruxelles du 23

Février de 1968

Règles UNCTAD/ICC – Règles UNCTAD/ICC pour les documents du transport multimodal

de 1992

RR – Règles de Rotterdam, la Convention de l’ONU concernant le contrat de transport

international effectué partiellement ou entièrement par mer de 23 septembre 2009

415

P ex. la Chine, l’Allemagne

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