offre spe´ciale revue

14
La richesse du patrimoine archéologique constituée par les nom- breuses épaves antiques localisées sur le littoral méditerranéen fran- çais revêt un intérêt exceptionnel pour l’histoire maritime, l’histoire économique et l’histoire de l’architecture navale au cours de la période antique (POMEY, 1988). Document archéologique de première impor- tance dans l’étude des techniques de construction des navires, le bois mérite aussi, dans ce cadre, d’être l’objet d’examens dans lesquels l’approche s’étend de l’organe dont il provient au tissu qui le compose ; il peut alors apporter un ensemble d’informations relatives à la réalisa- tion de la pièce qui viennent enrichir l’étude seule de la plus-value apportée par le geste humain au matériau. Aujourd’hui, l’examen des caractéristiques morphologiques et anatomiques des pièces s’affirme fondamental pour les recherches sur la charpenterie de marine déve- loppées dans le cadre des études d’archéologie navale. Outre leur contribution à une meilleure compréhension des critères de sélection et des modes d’utilisation des bois en architecture navale, depuis le choix des essences en fonction des pièces jusqu’à leur mise en place, elles peuvent atteindre un degré de précision chronologique particulière- ment précieux par l’analyse dendrochronologique des séries de cernes de croissance offerts par les pièces. 91 Essences et qualité des bois utilisées dans la construction navale antique L’apport de l’étude anatomique et dendrochronologique par Frédéric GUIBAL et Patrice POMEY Les épaves de navire sont de très bonnes sources d’information sur l’utilisation du bois dans la construction navale antique. Cet article montre comment, à l’époque, les charpentiers de marine se sont accomodés de la rareté en bois d’œuvre local : diversité des essences et de leur origine géographique, utilisation optimisée des bois en fonction de leurs caractéristiques anatomiques et morphologiques et en fonction de leur destination architecturale... t. XXIII, n° 2, octobre 2002

Upload: trantruc

Post on 05-Jan-2017

224 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: offre spe´ciale revue

La richesse du patrimoine archéologique constituée par les nom-breuses épaves antiques localisées sur le littoral méditerranéen fran-çais revêt un intérêt exceptionnel pour l’histoire maritime, l’histoireéconomique et l’histoire de l’architecture navale au cours de la périodeantique (POMEY, 1988). Document archéologique de première impor-tance dans l’étude des techniques de construction des navires, le boismérite aussi, dans ce cadre, d’être l’objet d’examens dans lesquelsl’approche s’étend de l’organe dont il provient au tissu qui le compose ;il peut alors apporter un ensemble d’informations relatives à la réalisa-tion de la pièce qui viennent enrichir l’étude seule de la plus-valueapportée par le geste humain au matériau. Aujourd’hui, l’examen descaractéristiques morphologiques et anatomiques des pièces s’affirmefondamental pour les recherches sur la charpenterie de marine déve-loppées dans le cadre des études d’archéologie navale. Outre leurcontribution à une meilleure compréhension des critères de sélection etdes modes d’utilisation des bois en architecture navale, depuis le choixdes essences en fonction des pièces jusqu’à leur mise en place, ellespeuvent atteindre un degré de précision chronologique particulière-ment précieux par l’analyse dendrochronologique des séries de cernesde croissance offerts par les pièces.

91

Essences et qualité des boisutilisées dans

la construction navale antique

L’apport de l’étude anatomiqueet dendrochronologique

par Frédéric GUIBAL et Patrice POMEY

Les épaves de navire sont de trèsbonnes sources d’information

sur l’utilisation du bois dans laconstruction navale antique.Cet article montre comment,à l’époque, les charpentiers

de marine se sont accomodésde la rareté en bois d’œuvre local :

diversité des essences et de leurorigine géographique, utilisation

optimisée des bois en fonctionde leurs caractéristiques

anatomiques et morphologiqueset en fonction de leur destination

architecturale...

t. XXIII, n° 2, octobre 2002

Page 2: offre spe´ciale revue

Dendrochronologieet dendromorphologiedes épaves antiquesde MéditerranéeBasée sur la variation inter-annuelle de

l’épaisseur des cernes des végétaux ligneuxexposés à des climats qui leur imposent,chaque année, une phase d’activité et unephase de repos, la dendrochronologie vise àidentifier des séquences de cernes similairessur des échantillons différents pour daterceux-ci de façon absolue ou relative selon quela comparaison met en jeu une chronologiede référence ou non (SCHWEINGRUBER, 1988).Les références sont construites à partir del’identification de séquences de cernes carac-téristiques communes à des séries partielle-ment synchrones recueillies sur des arbresvivants pour lesquels l'année de formationdu dernier cerne est connue, et sur despièces de bois de plus en plus anciennes.Dans les meilleurs cas, l’année d’abattage del’arbre peut être précisée ; lorsque les cernesles plus externes ont disparu, un intervalled’abattage peut être avancé (LAMBERT, 1998).L’efficacité des datations par la dendro-

chronologie dépend de : 1) l’analyse d’aumoins une douzaine d’échantillons afin dedétecter aisément d’éventuelles anomaliesanatomiques (faux cernes, cernes absents) etétablir une chronologie moyenne garanted’un signal caractéristique d’un environne-ment local dans lequel le facteur individuellié à l’arbre est atténué ; 2) la présence surchaque pièce d'un nombre de cernes supé-rieur à 60 afin de disposer d’un signal inter-annuel suffisamment riche et original pouréviter toute reproductibilité dans le temps ;3) la disponibilité d'une référence représen-tative de la même essence et de la mêmerégion climatique (TRENARD, 1992). Car, enraison des exigences écologiques propres àchaque essence, les tentatives de comparai-son interspécifiques sont le plus souventvouées à l’échec ; en Europe et à basse alti-tude, seules les confrontations menées entrele pin d’Alep, le pin pignon et le pin méso-géen (GUIBAL, 1992), entre le sapin et letilleul (LAMBERT et LAVIER, 1990), entre leschênes caducifoliés et l’orme (LAMBERT etLAVIER, 1991) donnent des résultats positifs.Sur le littoral méditerranéen français, les

épaves de navires constituent une source dedonnées dendrochronologiques de premier

choix. Le nombre élevé de pièces de bois dis-ponibles sur la plupart des gisements, lescaractéristiques dimensionnelles des plusimportantes pièces de charpente (quille,massif d’emplanture, varangues, pré-ceintes...), les modes de débitage des piècespermettent d’offrir des échantillons satisfai-sant les exigences de la dendrochronologie.Apte à répondre aux questions chronolo-giques posées par les épaves, l’analyse descernes peut aussi bénéficier des donnéeslivrées par les charpentes de nombreux gise-ments sous-marins dont beaucoup consti-tuent des ensembles chronologiquementhomogènes (Ier s. av. J.-C., Bas-Empire) pourcontribuer à la mise en place des référenceset combler leur retard par rapport à celles del’Europe médiotempérée où les études ontcommencé plus de trente années auparavant(CORONA, 1983 ; SERRE-BACHET, 1985 ;LAMBERT, 1998).Mais, malgré l’avantage représenté par

l’abondance des épaves sur les côtes méditer-ranéennes françaises, l’ignorance du lieu deconstruction des navires et de l’origine géo-graphique des arbres utilisés pour leur réali-sation ne va pas sans compliquer ladémarche et freiner l’avancement des syn-chronisations d’un gisement à l’autre. Car, sila cargaison et le matériel de bord permet-tent de préciser le lieu d’embarquement de lacargaison de l’ultime voyage et la date dunaufrage, ils n’apportent aucun renseigne-ment sur le lieu ni sur la date de construc-tion du navire (GIANFROTTA et POMEY, 1980).Seul un réseau de chronologies de référencesuffisamment dense sur le plan géogra-phique peut dater, localiser la provenancedes arbres utilisés et définir une région danslaquelle le bateau a pu être construit.Pour répondre à ces questions a été engagé

depuis 1991 par le Centre Camille Jullian(CNRS - Université de Provence) et leLaboratoire de chrono-écologie (CNRS -Université de Franche-Comté) et, depuis1994, l’Institut méditerranéen d’écologie etde paléoécologie (CNRS - Université d’Aix-Marseille) avec le concours du Ministère dela culture et du département des recherchesarchéologiques sub-aquatiques et sous-marines le programme de rechercheDendrochronologie et dendromorphologie desépaves antiques de Méditerranée.Le programme vise à constituer un échan-

tillonnage de référence pour l’analyse den-drochronologique des bois utilisés pour laconstruction en région méditerranéenne afinde répondre aux problèmes chronologiques

92

Page 3: offre spe´ciale revue

auxquels doivent faire face les recherchesarchéologiques et de développer, à partir desmêmes échantillons, les analyses dendromor-phologiques des bois utilisés dans laconstruction navale antique (GUIBAL etPOMEY, 1998, 1999). Le programme reposesur des séries de prélèvements systéma-tiques d’échantillons de bois sur les vestigesde coques d’épaves connues et sélectionnéesselon des critères :- géographiques (zones à forte densité

d’épaves) ;- archéologiques (qualité et représentati-

vité des vestiges) (Cf. photos 1 et 2) ;- chronologiques (possibilité de corrélation

entre les chronologies stationnelles).Afin d’avoir une vision détaillée et la plus

représentative possible de la diversité et del’effectif des essences employées pour laconstruction d’un navire, à l’exception despièces d’assemblage pour lesquelles unéchantillonnage est réalisé, la quasi-totalitédes pièces de la coque (Cf. photos 3 et 4) sontexaminées pour l’analyse dendromorpholo-gique et prélevées pour l’identification anato-mique des essences : un volume de matériauégal à 1 cm3 suffit largement pour cela. Pourl’analyse dendrochronologique, après avoirprioritairement recueilli une douzained’échantillons par essence sur les pièces quioffrent le plus grand nombre de cernes afind’acquérir l’assise chronologique la plussolide possible, les prélèvements sont ensuiteréalisés en fonction de problématiquesvariées dans lesquelles entrent en compteréparations et remplois, destinées à mieuxconnaître l'histoire du navire, en veillant àlimiter les atteintes à l'intérêt muséogra-phique de la coque. Un examen attentif detoutes les sections transversales visibles estnécessaire pour évaluer le nombre de cernesdisponibles sur les pièces.Neuf campagnes de prélèvements ont été

réalisées jusqu'à présent sur 28 épaves loca-lisées dans le golfe de Fos, la rade deMarseille, les îles d’Hyères, la corniche desMaures Occidentales, la côte de l’Estérel, labaie de Cannes et les bouches de Bonifacioau cours des années 1991 à 1996 et 1998-99et 2001 (Cf. Fig. 1).Du fait de la quasi-disparition des épaves

Laurons 5 et 6, alors que quatre autres,Grand Congloué IA et IB, Laurons 3 et 4, envoie de disparition, n’étaient plus représen-tées que par des fragments épars dontl’individualisation était impossible, seuls ontété pris en compte les résultats propres auxépaves qui ont livré des vestiges homogènes

93

Fig. 1 :Localisation géographique des épaves.

Photo 1 :Epave Madrague de Giens. Phase de désensablage.Photo A. Chéné et G. Réveillac, Centre Camille-Jullian, CNRS.

Page 4: offre spe´ciale revue

et individualisés ayant permis d’effectuerdes prélèvements représentatifs pour lesanalyses xylologique, dendrochronologique etdendromorphologique. Soit au total vingt-deux épaves, réparties du point de vue chro-nologique comme suit :- 2e s. - première moitié du 1er s. ap. J.-C. :Baie de Briande, Chrétienne C, Pointe du

Brouil, Cavalière, Chrétienne A, Dramont C,Caveaux I, Jeaume-Garde B, Dramont A,Madrague de Giens, Pointe de Pomègues,Cap de l’Estérel, Planier III, Plane I, Roche-Fouras, Tradelière, Sud-Lavezzi 3.- 2e s. ap. J.-C. :Pointe de la Luque A, Saint-Gervais III.

- fin 3e s. - 4e s. ap. J.-C. :Laurons 2, Pointe de la Luque B, Laurons 1.Les épaves Chrétienne A et Chrétienne C

ont été analysées par S. WICHA (1997) ; lesépaves Dramont A et Dramont C l’ont étépar Ch. DAGNEAU (non publié).Pour chaque épave, l’étude comprend

l’observation macroscopique des pièces(étude des formes), l’analyse xylologique dubois (identification anatomique), l’analysedendrochronologique et dendromorpholo-gique des sections transversales recueilliespar sciage (Cf. photo 5). La suite du textedécrira les résultats majeurs des analysesxylologique et dendromorphologique.

Le choix des essencesLes observations menées au microscope

optique sur des coupes minces réaliséesmanuellement selon les plans transversal,radial et tangentiel identifient vingt-deuxessences, représentatives de trois milieuxbiogéographiques .Sept espèces (pin d’Alep, pin maritime, pin

pignon, châtaignier, chêne à feuillage caduc,chêne vert, olivier) sont distribuées à bassealtitude dans l’étage de végétation méditer-ranéen et sont donc présentes à proximitédes côtes. Neuf (aulne, charme, érable, frêne,hêtre, noyer, orme, peuplier, saule) sontcaractérisées par une distribution géogra-phique très large, couvrant l’Europe médio-tempérée et la région méditerranéenne oùelles occupent des stations de plaine, parmilesquelles des stations de ripisylve qui peu-vent être proches de la côte. Six (épicéa,mélèze, pin type sylvestre, pin de Bosnie, pinnoir, sapin) sont des espèces résineuses desétages de végétation montagnard et subal-pin.

94

Photo 2 (en haut) :Epave Madrague de Giens. Phase de désensablage.

Photo A. Chéné et G. Réveillac, Centre Camille-Jullian, CNRS.

Photo 3 (ci-dessus) :Epave Madrague de Giens. Détail de la coque et de la cargaison.

Photo A. Chéné et G. Réveillac, Centre Camille-Jullian, CNRS.

Page 5: offre spe´ciale revue

Le nombre d’essences varie d’une épave àl’autre :- deux à trois espèces sont identifiées sur

trois épaves : Pointe du Brouil, Pointe de laLuque A et B ;- quatre à huit espèces sur dix-sept

épaves : Baie de Briande, Chrétienne C,Cavalière, Chrétienne A, Caveaux I, Jeaume-Garde B, Madrague de Giens, Pointe dePomègues, Cap de l’Estérel, Dramont C,Dramont A, Planier III, Plane I, Roche-Fouras, Tradelière, Sud-Lavezzi 3,Laurons 1;- dix espèces aux Laurons 2 et douze à

Saint-Gervais III.Sur un même navire, les effectifs sont tel-

lement variables que certaines essences peu-vent être dominantes tandis que d’autressont peu représentées ou seulement repré-sentées par des pièces de très faible dimen-sion (pièces d’assemblage, par exemple) ;cette particularité exige donc un examenplus détaillé de la distribution des essencesen fonction des différentes pièces de struc-ture des navires.

Charpente axiale (Cf. Tab. I)Une utilisation préférentielle de trois

types d’essences apparaît :- des feuillus aux qualités mécaniques éle-

vées, tels le chêne et l’orme (Madrague deGiens, Pointe de Pomègues, Laurons 1 et 2),le châtaignier (Tradelière), le chêne vert(Dramont C), le noyer (Dramont A), lecharme (Chrétienne C) et le hêtre(Chrétienne A) ;- des résineux de montagne tel le pin type

sylvestre (Chrétienne A, Tradelière, Sud-Lavezzi 3), le pin de Bosnie (Cavalière) et lemélèze (Pointe de la Luque B) ;- des essences facilement disponibles tel le

pin d’Alep (Cap de l’Estérel, Saint-GervaisIII, Laurons 2).A l’exception de ces dernières pour les-

quelles les exigences d’approvisionnementl’emportent, et du hêtre dont la tenue à l’eauest médiocre, les essences dotées de bonnesqualités mécaniques sont préférées pour leurdurabilité. Pour la réalisation des massifsd’emplanture où, à l’exception du médiocre -pour une telle fonction - sapin de l’épave deSaint-Gervais III qui traduit probablementdes difficultés d’approvisionnement, desespèces aux qualités mécaniques élevées,feuillues (chêne) ou résineuses (mélèze, pinde Bosnie) sont utilisées en raison de leurdureté et leur résistance à la compression.

95

Photo 4 (en haut) :Epave Madrague de Giens. Détail de la coque et de la cargaison.Photo A. Chéné et G. Réveillac, Centre Camille-Jullian, CNRS.

Photo 5 (ci-dessus) :Epave Madrague de Giens. Prélèvement à la tronçonneuse.Photo A. Chéné et G. Réveillac, Centre Camille-Jullian, CNRS.

Page 6: offre spe´ciale revue

Bordé (Cf. Tab. II)Les essences résineuses sont ici largement

employées ; leur élasticité élevée, offrant lasouplesse nécessaire à la mise en forme descoques selon les procédés de constructionbordé premier en usage dans l’Antiquitéméditerranéenne (POMEY, 1998), en est pro-bablement la raison. A côté d’essences demontagne tel le mélèze ou le pin type syl-vestre, tous deux dotés d’une bonne sou-plesse et durabilité ainsi que d’une résis-tance aux chocs et à la compression élevée,une large utilisation du pin d’Alep, essencefacile d’approvisionnement, prévaut.Douze épaves (Baie de Briande, Chrétienne

C, Dramont C, Caveaux I, Cap de l’Estérel,Planier III, Plane I, Roche-Fouras,Tradelière, Sud-Lavezzi 3, Pointe de laLuque A et B) présentent une forte homogé-néité en ne faisant intervenir qu’une seuleessence (sapin, mélèze, pin type sylvestre,pin de Bosnie, pin noir) pour la réalisationdu bordé.Six autres (Pointe du Brouil, Cavalière,

Jeaume-Garde B, Pointe de Pomègues, Saint-Gervais III, Laurons 1) offrent une homogé-néité convenable en associant deux essences(mélèze et pin d’Alep, pin type sylvestre etpin d’Alep ou pin de Bosnie ou sapin). Lebordé de l’épave de la Chrétienne C, qui asso-

cie trois essences, peut être inclus dans cegroupe dans la mesure où seule une virurede sapin a été identifiée tandis que troisvirures débitées dans du pin type sylvestre,dont les galbords, ont été notées.

L’épave des Laurons 2 avec quatreessences différentes (sapin, pin d’Alep, pinpignon, mélèze) pour le bordé se distinguepar son hétérogénéité.

A côté de cet ensemble, la Madrague deGiens avec son bordé principal en orme, danslequel le pin noir et le sapin n’apparaissentque lors de réparations, témoigne d’un soucide qualité, attesté aussi par la présence d’unbordé de doublage. Comme ceux des épavesde la Pointe du Brouil, Dramont A et Pointede Pomègues, celui-ci est réalisé en sapin,bois dont l’élasticité et la souplesse répon-dent bien à la fonction recherchée.

Enfin, il est à noter qu’à Cavalière,Chrétienne A, la Madrague de Giens,Tradelière, Sud-Lavezzi 3 et la Pointe de laLuque B, la même essence (pin de Bosnie,pin type sylvestre, orme et mélèze) estemployée pour la quille et les bordés de fond,vraisemblablement pour obtenir la meilleurehomogénéité possible des assemblages de cesparties fondamentales de la carène.

96

Tab. I (ci-dessus) :Identification anatomique

des pièces de charpenteaxiale par épave.

Page 7: offre spe´ciale revue

Membrure (Cf. Tab. III)A la différence de la charpente axiale et

des bordés, la réalisation de la membruremontre une forte diversité.L’homogénéité n’est rencontrée que sur

cinq épaves avec l’emploi d’une seuleessence, aux qualités mécaniques élevées, deplaine ou de montagne : Chrétienne A etPointe de Pomègues (chêne), Pointe de laLuque A et B (mélèze), Cavalière (pin deBosnie).Neuf autres possèdent encore une mem-

brure relativement homogène dans laquelleinterviennent deux ou trois essences : Baiede Briande (chêne, érable - présent en unseul exemplaire), Dramont C et Dramont A(chêne, chêne-vert), Caveaux I (chêne, orme),Jeaume-Garde B (orme, pin d’Alep), Plane I(aulne, peuplier), Cap de l’Estérel (chênecaducifolié, chêne-vert, noyer), Roche-Fouras(chêne, orme, saule - présent seulement enun exemplaire), Tradelière (châtaignier,frêne, noyer).Ce n’est plus le cas de sept autres épaves

dont six (Chrétienne C, Madrague de Giens,Planier III, Sud-Lavezzi 3, Laurons 2,Laurons 1) révèlent quatre à cinq espècesalors que l’épave de Saint-Gervais III associedix essences.

97

Tab. II (ci-dessus) :Identification anatomique des piècesde bordé par épave.Voir légende p.96

Tab. III (ci-contre) :Identification anatomique des piècesde membrure par épave.Voir légende p.96

Page 8: offre spe´ciale revue

A part le premier groupe particulièrementhomogène, les autres font intervenir indiffé-remment des essences aux caractéristiquesmécaniques convenables, des essences facile-ment disponibles ou encore des essencesn’ayant pas de propriété mécanique oud’avantages particuliers, voire même desessences de qualité médiocre tels l’aulne, lepeuplier (Plane I) et le saule (Roche-Fouras),bois médiocres et fragiles aux chocs qui n’ontpour intérêt que leur légèreté, leur disponibi-lité et, pour l’aulne, une bonne tenue à l’humi-dité. Dans la plupart des cas, l’homogénéiténe semble pas être un critère dominant et lesconsidérations de disponibilité semblentl’emporter. C’est le cas sur l’épave de laChrétienne C où l’emploi massif de bois decharme surprend compte tenu de sa densité etde sa vulnérabilité à l’humidité. Enfin, surl’épave de Saint-Gervais III, le choix semblemême aléatoire et répondre à des disponibilitésur place variées n’excluant pas des remplois.

Charpente longitudinale(Cf.Tab. IV)Pour les préceintes, des essences iden-

tiques ou voisines de celles utilisées pour lebordé sont utilisées (épicéa, mélèze, orme).Les serres et les vaigres font appel aux

98

Tab. IV (ci-contre) :Identification anatomique

des pièces de charpentelongitudinale par épave.

Voir légende p. 96.

Tab. V (ci-dessous) :Identification anatomique

des élémentsd’assemblage par épave.

Voir légende p. 96.

Page 9: offre spe´ciale revue

mêmes essences que le bordé, à l’exceptionde la Chrétienne C où les serres sont débitéesdans du hêtre, du charme et du chêne, deDramont C où les serres sont en sapin et dela Madrague de Giens où les vaigres sonttaillées, en plus de l’orme, dans du chêne, dupin noir ou du pin type sylvestre.

Eléments d’assemblage :languettes et chevillesde bordé, gournablesde membrure (Cf Tab. V)

Très homogènes, ils sont débités dans desbois durs, de préférence dans du chêne-vert.Cependant, on trouve parfois (Baie deBriande, Cavalière, Chrétienne A, DramontC, Planier III, Plane I, Roche-Fouras) desrésineux tel le sapin pour la confection desgournables. Mais il est à noter que sur lesépaves de Baie de Briande, Chrétienne A,Planier III et Plane I, les gournables sonttraversées par des clous et que sur lesépaves de Dramont C, Cavalière, Plane I etRoche-Fouras, elles sont associées à des liga-tures. Il est vraisemblable, dans ces deuxcas, que l’usage d’un bois tendre pour lesgournables est ici lié à leur fonction secon-daire dans ces assemblages mixtes. Enfin, laMadrague de Giens se distingue par uneplus grande diversité d’essences utilisées car,à côté du chêne-vert, figurent aussi desfeuillus (chêne caducifolié, frêne, orme,noyer, cornouiller) et des résineux (pin noir)sans doute tirés - exception faite du cor-nouiller - des chutes des débits des pièces destructure ; la même remarque peut êtreappliquée à la Chrétienne C où des chevilleset des gournables d’aulne, résultent proba-blement de chutes lors du débitage des demi-couples.

Synthèse xylologique

De ces résultats peuvent être dégagéesquelques remarques. L’homogénéité taxono-mique de la charpente axiale et des bordéscontraste avec l’hétérogénéité de la mem-brure. Un moindre soin semble présider à laconstitution de celle-ci dont le rôle apparaîtsecondaire par rapport aux bordés qui sontl’objet d’un souci de qualité plus marqué.

Cela reflète bien le principe-même de laconstruction navale antique fondé sur uneconception structurale sur bordé danslaquelle ce dernier joue le rôle essentiel à ladifférence de la membrure qui n’intervientque comme élément de renfort secondaire(POMEY, 1998).Mais, si un faible nombre d’espèces

employées à la construction d’un mêmenavire apparaît comme un facteurd’homogénéité et souvent, lorsqu’il s’agitd’essences dotées de bonnes qualités méca-niques, comme un critère de qualité, la diver-sité des essences peut traduire aussi bien lacomplexité des structures, des problèmesd’approvisionnement ou d’utilisation ration-nelle des bois disponibles que des répara-tions sans que l’homogénéité des partiesessentielles de la structure soit compromise.L’épave de la Madrague de Giens, dont laqualité et le soin de la construction sont évi-dents en est l’exemple (TCHERNIA et al.,1978). En revanche, il est certain que surd’autres épaves, telles les Laurons 2 etSaint-Gervais III, cette diversité exprimeune réelle hétérogénéité de la structure, etsans doute un moindre souci de qualité, pro-bablement dû à des problèmes de disponibi-lité de bois d’œuvre.

Une localisationgéographiquedes approvisionnementsen bois ?

La diversité des milieux biogéographiquestraduite par les nombreuses essences identi-fiées sur une même épave compromet touteinterprétation en terme de localisation géo-graphique du chantier de construction.Néanmoins, une interprétation peut êtretentée pour les épaves de la Pointe de laLuque B et de Cavalière en raison de la trèsforte homogénéité des essences qui les carac-térise. A l’exception des pièces d’assemblage,et de deux virures en pin type sylvestre àCavalière, toutes les pièces de la coque sontdébitées dans du mélèze à la Pointe de laLuque B et en pin de Bosnie à Cavalière. Cesdeux espèces dont l’aire de distribution géo-graphique se trouve éloignée du littoral,dans l’étage de végétation subalpin de l’arcalpin, d’une altitude de 1200 m à la limite

99

Page 10: offre spe´ciale revue

supérieure des arbres pour le mélèze, dansles Apennins méridionaux et les Balkans àune altitude supérieure à 1500 m pour le pinde Bosnie, sembleraient au premier abordpeu susceptibles d’alimenter un chantier deconstruction navale. Mais, si l’on tientcompte que les aires de distribution dumélèze et du pin de Bosnie à l’époqueantique étaient similaires à leurs airesactuelles, des régions maritimes bien défi-nies ont pu s’approvisionner dans des forma-tions forestières situées à des distancesn’excédant pas 150 km et le plus souvent dis-tantes de moins d’une centaine de kilomètresseulement.Ainsi, dans l'hypothèse d'une construction

du navire de la Pointe de la Luque B sur lescôtes de Provence, de Ligurie ou de Vénétie,les mélézeins les plus proches du littoraln’étaient distants de la côte que d'environ35 km dans le secteur actuel des AlpesMaritimes, d'environ 140 km dans la régionmarseillaise et de 80 km dans le nord de lamer Adriatique. Pour le navire de Cavalière,dans l’hypothèse d’une construction, soit surla côte campanienne ou calabraise, soit surla côte illyrique, les formations à pin deBosnie n’étaient jamais distantes de plus de50 km du littoral. Dans tous les cas, les billespouvaient ainsi avoir été flottées jusqu’auxchantiers.Du fait de l'homogénéité taxonomique des

épaves Pointe de la Luque B et Cavalière etde l'aire limitée de distribution du mélèze etdu pin de Bosnie, apparaissent ici deux casde figure où l'origine géographique desapprovisionnements permet de proposer desaires potentielles de construction bien défi-nies. Dans les deux cas, l’importation d’unbois de qualité témoigne d'un souci deconstruction soignée.

Caractères anatomiqueset utilisation du boisParallèlement à la sélection d’essences

dont les caractéristiques du plan ligneux(facteur interne) étaient autant que possibleles mieux adaptées aux exigences méca-niques d'une pièce donnée, les charpentiersantiques savaient aussi tirer parti des carac-tères anatomiques conférés par les condi-tions stationnelles de l’environnement danslequel les arbres avaient poussé (facteursexternes).

Par exemple, les qualités technologiquesdes billes chez les essences feuillues au boiscaractérisé par une zone initiale poreuse dif-férenciée (chêne à feuillage caduc, orme,frêne) dépendent de l’épaisseur moyenne descernes et de la régularité de cette épaisseur :la finesse des cernes est un facteur de qua-lité qui se traduit par un débitage plus facileet des propriétés mécaniques élevées(meilleure aptitude au tranchage, faibleretrait). La régularité dans l’épaisseur descernes induit, pour sa part, une forte homo-généité du bois, une facilité d’usinage et unedéformabilité moindre au séchage. La finessedes cernes est aussi un facteur de qualitépour les résineux de haute montagne (résis-tance mécanique élevée, facilité d’usinage)bien que des nuances sensibles puissent sur-venir selon les essences et les provenances.Elle produit une texture (rapport del’épaisseur du bois final du cerne àl’épaisseur totale du cerne) faible chez lesessences feuillues à zone initiale poreuse dif-férenciée et forte chez les résineux (VENET,1986). Consécutivement, pour assurer unecertaine flexibilité aux pièces de renforttransversal, l’emploi de tiges de chêne àfeuillage caduc ou d’orme ayant poussé rapi-dement a souvent prévalu ; les cernesannuels offrent une zone de bois final richeen fibres particulièrement large (forte tex-ture) afin d’assurer l’élasticité exigée par cetype de pièce (cas des épaves Jeaume-GardeB, Cap de l’Estérel, Laurons 1).

La densité élevée offerte par les billes dechêne caducifolié de forte texture a aussi étéappréciée par les charpentiers antiques pourobtenir des pièces dures, capables de résisterconvenablement à une compression. Sur lenavire de la Madrague de Giens, l’épaisseurélevée des cernes aux rapports bois final/boisinitial et fibres/vaisseaux élevés sur le mas-sif d’emplanture du mât résulte d'un choixdélibéré afin de s’assurer d'une pièce demasse élevée et offrant la meilleure résis-tance possible à la force verticale exercée parle mât. Notons toutefois qu’un tel choix n'apas guidé les constructeurs de Saint-GervaisIII où, d'une part, la sélection de l'essence(sapin) et, d’autre part, l’épaisseur impor-tante des accroissements annuels aux rap-ports bois final/bois initial etfibres/vaisseaux faibles chez les boisd’essences résineuses ont abouti à une piècepeu adaptée à sa fonction.

La finesse des cernes s’accompagne, chezles essences résineuses, d’une texture forte,garante d’une résistance mécanique élevée,

100

Page 11: offre spe´ciale revue

d’un retrait moindre et d’une meilleure apti-tude au tranchage. Chrétienne C, Jeaume-Garde B, Madrague de Giens, Pointe dePomègues, Cap de l’Estérel, Laurons 2,Laurons 1 offrent des séries de virures deforte texture ; en revanche Dramont C, PlaneI et Saint-Gervais III n’ont fourni que desvirures issues de sujets jeunes ayant poussétrès rapidement, à la texture faible.

Choix des pièces d’aprèsla morphologie des bois

La sélection des tiges par les charpentiersa aussi porté sur des critères d’ordre mor-phologique. Des bois préformés ont été utili-sés pour parer le plus justement possible à laforme de la pièce architecturale. C’estnotamment le cas des varangues pour les-quelles des embranchements principaux detroncs - comme en témoigne la très forte dis-symétrie des cernes dans la partie médianedes pièces - semblent avoir eu la préférencedes charpentiers : Caveaux I, Jeaume-GardeB, Madrague de Giens, Pointe de Pomègues,Cap de l’Estérel, Planier III, Plane I,Tradelière, Saint-Gervais III, Laurons 2,Pointe de la Luque B.Des bois tors, apparemment issus de sujets

de médiocre venue, ont été employés pour laconfection de plusieurs pièces de membruresur les épaves Plane I, Saint-Gervais III,Laurons 2, Laurons 1 reflétant ainsi le soinmoindre apporté à la réalisation de ce typed’éléments par rapport aux virures de bordéet confortant l’idée selon laquelle les piècesde renfort transversal ne jouent pas, dansl’architecture navale antique, un rôle struc-tural important (POMEY, 1998).

Optimisationde l’utilisationdu matériau-bois

La présence fréquente de l’écorce et del’aubier sur les éléments de membrureconfirme cette observation dans la mesure oùl’écorce et l’aubier, bois périphérique fonc-tionnel distinct du duramen par la couleur(mélèze) et/ou la présence de thylles qui obs-

truent la lumière des vaisseaux (chêne,orme, noyer), sont, en raison de leur richesseen matières nutritives, facilement vulné-rables aux micro-organismes, vers etinsectes lignivores ; aussi est-il courant encharpenterie d’éliminer l’ensemble écorce-aubier de la bille.

La présence de tissu cortical a été notéesur un demi-couple en aulne de Plane I, unemembrure en pin d'Alep de Jeaume-Garde B,des demi-couples en pin d'Alep aux Laurons2 et des membrures en pin d'Alep auxLaurons 1. Sur ces deux dernières épaves, laprésence d'écorce sur des pièces de mem-brure débitées dans du pin d'Alep et l'ab-sence d'écorce sur toutes les autres mem-brures débitées dans des essences feuilluesincitent à envisager un regarni de la mem-brure à base de pin d'Alep, essence large-ment disponible à proximité des chantiers deconstruction. Plusieurs membrures de laMadrague de Giens présentaient aussi dutissu cortical lors de la campagne initiale defouille ; ce caractère à première vue contra-dictoire avec le soin avec lequel les construc-teurs de ce navire ont massivement utilisédes essences aux bonnes caractéristiquesmécaniques (chêne et orme) soulignerait plu-tôt le rôle structural secondaire joué par lamembrure dans ce mode de construction.Parallèlement à cet enseignement, la pré-sence de l’écorce témoigne d’un emploi debois vert et souligne l’optimisation del’utilisation du matériau-bois pratiquée parles charpentiers antiques.

La présence fréquente de l’écorce sur despièces de membrure atteste l’emploi de boisvert, donc l’emploi rapide du matériau-bois,probablement lié à une plus grande facilitéde débitage et de travail ou à des délais deconstruction brefs, voire les deux. Le débi-tage rapide des grumes après l’abattage desarbres avait pour avantage de moins émous-ser le tranchant des outils, d’éviter la forma-tion de fentes de dessication à la suite deretraits du bois et de faciliter la pratique duployage lors de l’assemblage des pièces debordé (RIVAL, 1991).

Ce souci de gestion du matériau estconfirmé par l’analyse dendrochronolo-gique des pièces de même nature au seind’un même navire. La très forte concor-dance visuelle que dégagent les courbesreprésentatives de la variation inter-annuelle de l’épaisseur des cernes de deuxmembrures de l’épave de la Tradelière,toutes deux en chêne caducifolié, témoigne

101

Page 12: offre spe´ciale revue

qu’elles proviennent du débitage de lamême bille (Cf. Fig. 2).Deux raisons peuvent être avancées pour

expliquer cette utilisation optimisée dumatériau-bois : des raisons économiquesliées à des problèmes de disponibilité dumatériau, de délai d’acheminement et, vrai-semblablement, de coût de celui-ci ; des rai-sons mécaniques liées au fait que les diffé-rences de retrait et de variationdimensionnelle d'un type de débit à l'autrepeuvent avoir une incidence sur la bonnetenue des liaisons. Ainsi note-t-on un soucipermanent d'alterner la disposition desvirures sur parement et sur contre-parementpour éviter d'éventuelles déformations partuilage et assurer une bonne étanchéité desliaisons entre les virures.L’impossibilité de distinguer l’aubier du

duramen chez la plupart des essences rési-neuses identifiées parmi les pièces de bordéne permet pas de noter la présence de cernes

d’aubier sur les virures de bordé. Cependant,l’utilisation de très jeunes billes d’essencesrésineuses aux accroissements annuelslarges, soit locales, comme par exemple àSaint-Gervais III (pin d’Alep), soit importéescomme à la Pointe de la Luque B (mélèze),semble refléter une utilisation optimisée dela totalité de la section de la bille.

Conclusion

La faible fréquence relative de boisd’œuvre locaux de qualité et l’importation debois provenant des régions de montagnesvoisines témoignent de la rareté en boisd’œuvre local à laquelle furent confrontés lescharpentiers de marine antiques.Visiblement gênés par le caractère trèslimité des ressources locales en bois utili-sable pour la construction, les charpentierssemblent avoir accordé, lorsque la forme despièces le tolérait ou l’exigeait, une large partaux disponibilités occasionnellesd’approvisionnement, à l’utilisation de boistors et, éventuellement de bois préformés,voire aux remplois. Quelle que soit l’essence,l’utilisation des billes paraît avoir été optimi-sée afin de tirer le meilleur parti de toute laressource ligneuse, sous la contrainte pos-sible d’impératifs économiques liés à desdélais de réalisation et livraison très rapides.

F.G., P.P.

102

Frédéric GUIBALChargé

de Recherches CNRSInstitut

Méditerranéend’Ecologie

et de PaléoécologieUMR 6116 - CNRS

Faculté des Scienceset Techniques

de Saint-Jérôme –Case 451

Avenue EscadrilleNormandie-Niemen

13397 MarseilleCedex 20

Patrice POMEYDirecteur

de Recherches CNRSCentre Camille Jullian

MaisonMéditerranéenne desSciences de l’Homme

UMR 6573 CNRS5, rue du Château

de l’HorlogeBP 647 13094

Aix-en-ProvenceCedex 2

Fig. 2 (ci-dessus) :Synchronisation

des chronologiesd’épaisseurs brutes

de deux membruresdébitées en chêne

caducifolié de l’épavede la Tradelière.

Corona, E. 1983, Dendrocronologia in Italia.Dendrochronologia,1, pp. 21-35.Gianfrotta, P. et Pomey, P., 1980,Archeologia Subacquea : storia, techniche,scoperte e relitti, Milan, ArnoldoMondadori ed., 1980.Guibal, F., 1992, Comparative analysis ofthree mediterranean pine series : Pinushalepensis Mill., Pinus pinea L., Pinusmesogeensis Fieschi et Gaussen. LundquaReport, 33, pp. 132-136.Guibal, F. et Pomey, P., 1998, Nouvellesrecherches sur les épaves antiques deMéditerranée : dendrochronologie et den-

dromorphologie. Actes du ColloqueNavigation, Echanges et Environnement enMéditerranée, 11-14/04/1996, Montpellier,41-54.

Guibal, F. et Pomey, P., 1999, Essences etqualité des billes employées dans laconstruction navale antique : étude anato-mique et dendrochronologique. Actes duColloque “ Forêt et Marine ”. Grouped’Histoire des Forêts Françaises, 10-13/09/1997, L'Harmattan, Paris, 15-32.

Lambert, G.-N., 1998, La dendrochronologie,mémoire de l'arbre, dans A. Ferdière (ed.)La datation en laboratoire, Collection

Bibliographie

Page 13: offre spe´ciale revue

"Archéologiques", Errance éd., Paris, 13-69.Lambert, G.-N. et Lavier, C., 1990, Analysesdendrochronologiques des sculptures duretable d’Issenheim. S.F.I.I.C. JournéesBesançon, pp. 132-138.Lambert, G.-N. et Lavier, C., 1991, Analysedendrochronologique d’outils en orme de lamine de Château-Lambert (Haute-Saône).C.U.E.R. Regards sur les VosgesComtoises, Université de Franche-Comté,ISBN 2-904088-07-5, pp. 259-268.Pomey, P., 1988, Principes et méthodes deconstruction en architecture navaleantique. In Navires et commerces de laMéditerranée antique. Hommage à JeanRougé, Cahiers d’Histoire, XXXIII, n°3-4,pp. 397-412.Pomey, P., 1998, Conception et réalisationdes navires dans l’Antiquité méditerra-néenne, dans E. Rieth (dir.) Concevoir etconstruire les navires. TIP,13, 1, Ed. ERES,Ramonville Saint-Agne, 49-72.Rival, M., 1991, La charpenterie navaleromaine. Matériaux, méthodes, moyens »,Travaux du Centre Camille Jullian, n°4,Paris, Ed. CNRS, 324p.

Schweingruber, F.H., 1988, Tree Rings.Basics and Applications ofDendrochronology. D. Reidel PublishingCo., Dordrecht, 276p.

Serre-Bachet, F. 1985, La dendrochronologiedans le bassin méditerranéen.Dendrochronologia, 3, pp. 77-92.

Tchernia, A., Pomey, P. et Hesnard, A., 1978,L’épave romaine de la Madrague de Giens(Var) XXXIVe suppl. à Gallia, Paris.

Trenard, Y., 1992, Dendrochronologie : lecompte à rebours du bois. In Les veines dutemps. Lectures de bois en Bourgogne,Autun, Musée Rolin, ISBN 901.288, 1992,pp. 43-73.

Venet , J., 1986, Identification et classementdes bois français. 2e éd., Nancy, ENGREFed., 311p.

Wicha, S., 1997, Analyse dendrochronolo-gique de deux épaves antiques ChrétienneA et C. Mémoire de D.E.A. Préhistoire,Archéologie, Histoire et Civilisations del’Antiquité et du Moyen-Age, Université deProvence.

103

Les épaves de navires constituent une source privilégiée de documents pour acquérir des séries den-drochronologiques propices à l’établissement de chronologies de référence et pour connaître lesmodalités de l'utilisation du matériau-bois dans la construction navale antique. L’étude des coques devingt-huit épaves antiques localisées dans sept secteurs géographiques du littoral méditerranéen fran-çais (rade de Marseille, golfe de Fos, îles d’Hyères, côte occidentale des Maures, côte de l’Estérel, baiede Cannes, bouches de Bonifacio), dont la datation basée sur la cargaison et le matériel de bord estestimée entre le 2e s. av. J.-C. et le 4e s. ap. J.-C., vise à constituer un échantillonnage de référencepour l’analyse dendrochronologique des bois méditerranéens afin de répondre aux besoins de datationdes recherches archéologiques.Préalablement à l’analyse dendrochronologique, l’identification anatomique des échantillons révèlel’emploi de vingt-deux essences. Parmi elles, sept essences sont distribuées à basse altitude dansl’étage de végétation méditerranéen, neuf sont caractérisées par une distribution géographique trèslarge, couvrant l’Europe médio-tempérée et la région méditerranéenne, et six sont des essences rési-neuses des étages de végétation montagnard et subalpin. Inégalement distribuées, les essences dont lenombre varie de 2 à 12 par navire compromettent toute interprétation en terme de localisation géo-graphique du chantier de construction..La diversité des essences peut traduire aussi bien la complexité des structures, des problèmesd’approvisionnement ou d’utilisation rationnelle des bois disponibles que des réparations.L’homogénéité taxonomique de la charpente axiale et des bordés contraste avec l’hétérogénéité de lamembrure.La faible fréquence relative de bois d’œuvre locaux de qualité et l’importation de bois provenant desrégions de montagnes voisines témoignent de la rareté en bois d’œuvre local à laquelle furentconfrontés les charpentiers de marine antiques. Une utilisation du matériau-bois optimisée se dégage,au vu de la large part accordée aux disponibilités occasionnelles d’approvisionnement, de l’utilisationde bois tors ou préformés, voire de remplois, et de la multiplication de débitages issus d’une même

Cet article fait partiedes textes réuniset présentéspar Andrée Corvol(Groupe d’histoiredes forêts françaises)dans l’ouvrageForêt et Marineédité chezl’Harmattan, 1999,5-7 rue de l’EcolePolytechnique75005 Paris

Résumé

t. XXIII, n° 2, octobre 2002

Page 14: offre spe´ciale revue

104

Summary

The species and qualities of the timber used in shipbuilding in classical times

Shipwrecks provide an outstanding source of raw material from which dendrochronological time seriescan be deduced. Such series can then be used as a standard chronological reference as well as thebasis for understanding the criteria governing the use of wood in shipbuilding in classical times. Thestudy investigated twenty eight wrecks lying in seven different areas off the French Mediterraneancoast (the roads approaching Marseille, the Fos gulf, Hyères Islands, the west coast of the Maures pro-montory, the coast off the Esterel, the bay of Cannes, the entrance to Bonifacio in Corsica). Theirdating, deduced from the cargo and the equipment on board and estimated between 2nd century BC -4th century AD, was carried out in order to make a reference series available to research archeologistswho use the dendrochronological analysis of Mediterranean wood in their dating procedures.Anatomical identification carried our prior to dendrochronological analysis showed that twenty twotree species had been used. Seven species belong at the low altitude Mediterranean vegetation zone ;nine occur over a very wide geographical range including meso-temperate Europe and theMediterranean Rim ; and six are resinous species from mountain and sub-alpine vegetation zones. Theuse of wood types occurs with no particular pattern, numbering from two to twelve per boat, and arethus of limited use in determining the geographic location of the shipyards.The diversity of the kinds of wood used might indicate, variously, the complexity of a ship's structure,problems of getting supplies, the rational use of each variety or repair work. The regular taxinomictypes of wood used for the main members and planks contrasts with the heterogenious assortmentused for the ribs.

Riassunto

Essenze e qualità dei legni impiegati nella costruzione navale antica :l’apporto dello studio anatomico e dendrologico

I relitti di navi costituiscono una fonte privilegiata di documenti per acquistare serie dendrocronolo-giche propizie all’accertamento di cronologie di riferimento e per conoscere le modalitàdell’utilizzazione del materiale-legno nella costruzione navale antica. Lo studio degli scafi di ventottorelitti antichi localizzati in sette settori geografici del litorale mediterraneo francese (rada di Marsiglia,golfo di Fos, isole di Hyères, costa occidentale dei Mauri, costa dell’Esterel, baia di Cannes, bocche diBonifacio), di cui la datazione basata sul carico e il materiale di bordo è stimato tra il secondo secoloprima di Cristo e il quarto secolo dopo Cristo, mira a costituire un campionario di riferimento perl’analisi dendrocronologica dei legni mediterranei allo scopo di rispondere ai bisogni di datazione dellericerche archeologiche.Innanzi all’analisi dendrocronologica, l’identificazione anatomica dei campioni rivela l’impiego di venti-due essenze. Tra esse, sette essenze sono distribuite a bassa altitudine nello stadio di vegetazionemediterraneo, nove sono caratterizzate da una distriibuzione geografica assai larga, coprendo l’Europamedio-temperata e la regione mediterranea, e sei sono essenze resinose degli stadi di vegetazionemontanaro e subalpino. Inegualmente distribuite, le essenze di cui il numero varia tra 2 e 12 per navecompromettono ogni interpretazione in termine di localizzazione geografica del cantiere di costru-zione.La diversità delle essenze può tradurre tanto la complessità delle strutture, dei problemi di approvvigio-namento o di utilizzazione razionale dei legni disponibili quanto delle riparazioni. L’omogeneità tasso-nomica dell’armatura assiale e delle bordate contrasta coll’eterogeneità della costa.La debole frequenza relativa dei legnami locali di qualità e l’importazione di legname provenendo diregioni di montagne vicine mostrano la scarsità in legname locale alla quale furono confrontati i car-pentieri di marina antichi. Una utilizzazione ottimizzata del materiale-legno si evidenzia, alla luce dellalarga parte accordata alle disponibilità occasionali di approvvigionamento, dell’utilizzazione del legnotorto o preformato, anzi di reimpiego, e della moltiplicazione di tagli usciti dello stesso tronco.

t. XXIII, n° 2, octobre 2002