observations de michel berson sur les programmes “recherche” dans le projet de loi de règlement
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MISSION « RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR » MM. PHILIPPE ADNOT ET MICHEL BERSON, RAPPORTEURS SPÉCIAUX
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III. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS SUR LES PROGRAMMES « RECHERCHE » (RAPPORTEUR SPÉCIAL : MICHEL BERSON)
1. La promesse d’une sanctuarisation des crédits de la recherche n’a pas résisté aux conditions tendues de l’exécution budgétaire 2014
Le 30 janvier 2014, le Président de la République déclarait, à l’occasion d’un discours prononcé à l’Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires (Isis), sur le campus universitaire de Strasbourg, que les crédits de la recherche seraient « sanctuarisés ».
La loi de finances pour 2014 semblait confirmer cette affirmation : le budget total des programmes « Recherche »1 de la mission, hors programme d’investissements d’avenir, devait s’élever à 11 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) en crédits de paiement (CP) en 2014, soit une augmentation de 1,8 % en AE et de 3,1 % en CP.
Le budget de la mission a cependant connu d’importantes annulations en cours d’année et les crédits finalement dépensés par les gestionnaires sont inférieurs tant à la prévision de la loi de finances initiale qu’à l’exécution de 2013.
Exécution des crédits des programmes « Recherche » en 2014
(en millions d’euros et en %) N° Intitulé du programme Crédits
exécutés en 2013
Crédits
votés LFI 2014
Crédits
exécutés 2014
Écart
exécution 2014 /
exécution 2013
Écart
exécution 2014 / LFI
2014
142
Enseignement supérieur et recherche agricole
AE 302,4 312,0 315,9 4,4% 1,2%
CP 304,2 312,0 315,9 3,8% 1,2%
172
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires
AE 5 010,4 5 053,7 4 961,1 -1,0% -1,8%
CP 4 908,4 5 053,7 4 719,9 -3,8% -6,6%
186
Recherche culturelle et culture scientifique
AE 110,3 112,7 109,3 -0,9% -3,0%
CP 114,5 114,6 110,6 -3,5% -3,5%
187
Recherche dans le domaine de la gestion
des milieux et des ressources
AE 1 273,4 1 277,6 1 261,1 -1,0% -1,3%
CP 1 273,4 1 277,6 1 261,1 -1,0% -1,3%
1 Dans la présente analyse, le périmètre des programmes « Recherche » ne correspond pas parfaitement à celui des crédits spécifiquement alloués à la recherche dans la présente mission (cf. infra).
- 340 - LOI DE RÈGLEMENT ET D’APPROBATION DES COMPTES DE L’ANNÉE 2014
N° Intitulé du programme Crédits
exécutés en 2013
Crédits
votés LFI 2014
Crédits
exécutés 2014
Écart
exécution 2014 /
exécution 2013
Écart
exécution 2014 / LFI
2014
190
Recherche dans les domaines de l’énergie,
du développement et de la mobilité durable
AE 1 536,9 1 630,7 1 589,1 3,4% -2,6%
CP 1 498,7 1 640,7 1 608,2 7,3% -2,0%
191
Recherche duale AE 177,4 192,1 61,1 -65,6% -68,2%
CP 177,4 192,1 61,1 -65,6% -68,2%
192
Recherche et enseignement supérieur en matière économique
et industrielle
AE 967,3 963,0 916,0 -5,3% -4,9%
CP 1 003,4 984,2 942,1 -6,1% -4,3%
193
Recherche spatiale AE 1 398,2 1 429,1 1 355,7 -3,0% -5,1%
CP 1 398,2 1 429,1 1 345,9 -3,7% -5,8%
409
Écosystèmes d’excellence
AE 0,0 4 115,0 3 986,5 sans objet -3,1%
CP 0,0 4 115,0 3 986,5 sans objet -3,1%
410
Recherche dans le domaine de
l’aéronautique
AE 0,0 1 220,0 1 008,5 sans objet -17,3%
CP 0,0 1 220,0 1 008,5 sans objet -17,3%
Total des programmes « Recherche »
AE 10 776,2 16 305,9 15 564,2 44,4% -4,5%
CP 10 678,2 16 339,0 15 359,7 43,8% -6,0%
Total des programmes « Recherche » hors PIA
(programmes 409 et 410)
AE 10 776,2 10 970,9 10 569,2 -1,9% -3,7%
CP 10 678,2 11 004,0 10 364,7 -2,9% -5,8%
Source : commission des finances du Sénat, d’après les données transmises par la direction du budget
Hors programme d’investissements d’avenir, les crédits ont ainsi
diminué de près de 2 % en AE et 3 % en CP par rapport à l’exécution 2013. La baisse des ressources fait obstacle au lancement de certains projets et met les organismes de recherche sous une tension encore accrue, rendant difficile la réalisation d’investissements de long terme pourtant nécessaires à la qualité tant des infrastructures de recherche que des travaux qu’elles permettent de mener.
La réduction des crédits alloués aux différents programmes est d’autant plus problématique qu’elle ne s’explique pas par une
réorientation claire des priorités du Gouvernement mais paraît bien davantage trouver sa source dans des arbitrages ponctuels, en cours de gestion, afin de financer les dépenses d’autres missions.
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2. L’écart entre les crédits votés par le Parlement en loi de finances initiale et les fonds disponibles pour les gestionnaires devient préoccupant
Au total, les crédits consommés sont inférieurs de 4,5 % en AE et
6 % en CP à l’autorisation parlementaire donnée en loi de finances initiale
(soit respectivement 714,7 millions d’euros en AE et 979,2 millions d’euros en CP). Les mouvements budgétaires qui affectent la mission « Recherche »
en cours de gestion, qu’ils interviennent par décret d’avance, décret d’annulation ou loi de finances rectificative, atteignent donc des ordres de
grandeur substantiels. Dans la mesure où les projets de recherche nécessitent des investissements importants, tant par leur ampleur financière que par leur horizon temporel, souvent situé à moyen ou long terme, votre
rapporteur souligne que l’importance des annulations décidées en cours d’exécution crée une instabilité dommageable aux gestionnaires de programme comme aux chercheurs et aux organismes au sein desquels ils
travaillent.
Comme le récapitule le tableau ci-après, l’écart entre les crédits
votés par le Parlement en loi de finances initiale et les fonds consommés
au cours de l’année est particulièrement élevé pour deux programmes : les programmes 191 « Recherche duale » (exécution inférieure de 68,2 % aux crédits alloués en loi de finances initiale) et 410 « Recherche dans le domaine de l’aéronautique » (- 17,3 %).
Il s’agit dans les deux cas de mouvements sur fonds du programme
d’investissement d’avenir (PIA), relatifs pour partie à une débudgétisation qui fait l’objet d’une explication développée dans le quatrième point de la présente contribution.
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3. La mise en réserve doit rester un outil de gestion des aléas, et non un moyen de réduire les crédits sans attendre l’autorisation du Parlement
L’écart entre crédits votés et crédits disponibles pour les gestionnaires ne se limite pas à des ajustements par décret d’avance ou loi de finances rectificative, qui font l’objet d’un examen du Parlement. La mise en
réserve conduit à rendre des crédits indisponibles pour les programmes alors même qu’ils ont été votés par le Parlement et qu’aucun texte
législatif ou réglementaire n’est venu modifier leur montant.
Il s’agit, certes, d’un outil de pilotage infra-annuel utile, qui permet de faire face aux aléas en cours de gestion et qui autorise une certaine souplesse à l’exécutif. L’augmentation continue de la réserve de précaution
interroge cependant la portée de l’autorisation parlementaire : la mise en réserve était de 7 % des crédits hors titre 2 en 2014 et de 0,5 % des crédits sur le titre 2.
Le fait que la plupart des programmes « Recherche » n’atteignent
pas ces taux s’explique par le poids des opérateurs : leurs subventions, bien que ne relevant pas du titre 2 stricto sensu, visent pour une large part à financer des dépenses de personnel. Le taux de mise en réserve sur les subventions pour charges de service public est donc modulé pour en tenir compte.
Quelques situations particulières doivent également être soulignées : ainsi, l’importance du taux de mise en réserve en AE sur le programme 142 correspond au lancement de l’opération Saclay. Le programme 191 a quant à lui subi un gel exceptionnellement important du fait d’une opération de débudgétisation, détaillée dans le point 4 de la présente contribution.
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Part de la mise en réserve sur les crédits alloués en loi de finances initiale (en %)
Source : commission des finances du Sénat, d’après les réponses de la direction du budget
La mobilisation accrue de la mise en réserve paraît d’autant plus problématique que la part de crédits « gelés » finalement annulés atteint
des proportions très élevées pour la quasi-totalité des programmes, comme le montre le tableau ci-après. Dans les cas où les annulations semblent limitées, comme par exemple sur le programme « Enseignement supérieur et recherche agricoles » en AE, la situation s’explique le plus souvent non par le dégel et la consommation du reliquat mais par son report : en d’autres termes, soit la plus large part de la mise en réserve est annulée, soit elle est
reportée sur l’exercice suivant – dans tous les cas, elle n’est pas disponible pour les gestionnaires.
Mise en réserve par programme en 2014
(en millions d’euros) Mise en
réserve initiale
Mise en réserve
après surgel Dégels
Annula-tions
Annula-tions/mise en
réserve
Programmes AE CP AE CP AE CP AE CP AE CP
Enseignement supérieur et recherche agricoles 7,4 7,4 87,9 7,9 3,3 4,5 -5,5 -5,4 -6,2% -68,4%
Recherche culturelle et culture scientifique 4,7 4,9 4,7 4,9 0,0 0,0 -4,7 -4,9 -100,6% -100,6%
Recherche dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources
16,1 16,1 21,3 21,3 -4,8 -4,8 -16,5 -16,5 -77,4% -77,4%
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables
46,3 47,0 56,3 57,0 0,0 0,0 -56,3 -57,0 -100,0% -100,0%
Recherche duale (civile et militaire) 12,6 12,6 132,0 132,0 0,0 0,0 -132,0 -132,0 -100,0% -100,0%
28,2%
2,6% 4,2% 1,7% 3,5%
68,7%
5,4% 5,8% 5,2%2,5%6,7% 6,1% 6,4%
0,0%10,0%20,0%30,0%40,0%50,0%60,0%70,0%80,0%
142 172 186 187 190 191 192 193 Totalgénéral
AE CP
- 346 - LOI DE RÈGLEMENT ET D’APPROBATION DES COMPTES DE L’ANNÉE 2014
Mise en
réserve initiale
Mise en
réserve après surgel
Dégels Annula-
tions Annula-
tions/mise en réserve
Programmes AE CP AE CP AE CP AE CP AE CP
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle
51,7 53,2 51,7 59,9 0,4 0,4 -51,3 -52,8 -99,3% -88,2%
Recherche spatiale 83,1 83,1 83,1 83,2 17,8 8,0 -65,3 -65,4 -78,6% -78,6%
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires
132,1 132,1 132,2 340,5 -42,2 148,3 -78,1 -138,1 -59,1% -40,6%
Total général 354,0 356,3 569,3 706,7 -25,5 156,4 -409,8 -472,2 -72,0% -66,8%
Source : commission des finances du Sénat, d’après les réponses de la direction du budget
Au total, 70 % de la mise en réserve est annulée sur les programmes « Recherche ». Plusieurs interlocuteurs ont indiqué à votre rapporteur spécial que les gestionnaires ne prennent pas même en compte les crédits gelés dans l’établissement de leurs budgets prévisionnels. Votre rapporteur
spécial souligne que la mise en réserve doit rester conforme à son objet, et que le « gel » des crédits ne saurait constituer une forme d’annulation
anticipée, sans contrôle du Parlement et sans visibilité pour les gestionnaires.
4. Le programme d’investissements d’avenir a été, pour une part, détourné de son objet et utilisé en vue d’une débudgétisation
L’ensemble des crédits du PIA 2 (12 milliards d’euros dont environ 5 milliards d’euros sur la mission « Recherche ») ont été délégués en 2014 aux opérateurs gestionnaires. Cela ne signifie pas pour autant que les dotations soient réellement consommées : elles sont simplement transférées aux opérateurs, qui assureront les décaissements effectifs au fur et à mesure de la mise en œuvre des projets.
Le deuxième programme des investissements d’avenir était isolé, dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2014, sur des programmes budgétaires spécifiques. Au sein de la mission « Recherche et enseignement », étaient concernés les deux programmes 409 « Écosystèmes
d’excellence » et 410 « Recherche dans le domaine de l’aéronautique ».
L’un comme l’autre a vu ses crédits réduits en faveur d’autres missions, notamment la défense. La réduction des crédits du PIA alloués à la mission « Recherche » fait écho à celle intervenue sur les autres programmes non liés au PIA et démontre qu’en l’absence d’une volonté politique forte, aucun
dispositif budgétaire ne semble capable de protéger le financement de la recherche, notamment fondamentale, dans le contexte budgétaire actuel.
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Outre la diminution des enveloppes budgétaires des programmes 409 et 410, doit également être signalée une débudgétisation par le moyen
du PIA sur le programme 191 « Recherche duale ». En effet, l’ampleur de la sous-exécution sur ce programme (l’écart entre les crédits alloués et consommés est de près de 70 %) s’explique par le fait que l’ensemble des
crédits budgétaires annulés a été compensé par des fonds issus du programme d’investissements d’avenir (PIA), dont la consommation n’est
pas retracée dans le budget général (seuls apparaissent les fonds transmis aux opérateurs).
Exécution des crédits du programme 191 « Recherche duale » en 2014
(en millions d’euros)
Source : commission des finances du Sénat, d’après les documents budgétaires
Cette débudgétisation peut, certes, sembler d’un montant limité au regard du poids budgétaire de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Mais la légitimité du PIA, qui n’est pas soumis aux règles
budgétaires de droit commun, repose en grande partie sur sa bonne
utilisation. Sa pérennisation, annoncée par le Président de la République en mars 2015, n’aura de sens que si les programmes antérieurs ont fait la preuve de leur efficacité. Votre rapporteur spécial se montrera donc
particulièrement vigilant quant aux conventions PIA qui lui seront
transmises ainsi qu’à leurs avenants.
177,4 192,1
61,1
192,1
0,0
50,0
100,0
150,0
200,0
250,0
Crédits exécutésen 2013
Crédits votésLFI 2014
Crédits exécutés2014
Hors PIA
Avec PIA