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Eva Rielland Objets d’un autre âge DNSEP 2010

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Thesis about new technologies and perception by aging people.

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Eva Rielland

Objets d’un autre âge

DNSEP 2010

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SommaireEn Introduction p.5 Le senior Un 3ème millénaire vieillissant p.9 Un vieillissement annomcé p.9 Les différents âges du senior p.12 La place du senior hier et aujourd’hui p.14 Eternelle jeunesse p.16

De l’importance du lien social à l’estime de soi p.18 Solitude et isolement p.20 Transmission intergénérationnelle p.21 Se sentir capable, comme les autres p.23 Fracture générationnelle et fracture numérique p.25 Fracture numérique et gérontechnologie p.26

Perception des TICs Panorama des TICs p.31 Gérontechnologies p.34 Innovations déstinées à l’ensemble de la population p.36 Ubimédia, l’informatique omniprésente p.37 Le tout tactile p.42

Etude des TICs vis-à-vis des personnes âgées p.46

Obstacles dans l’utilisation des TICs p.48

Le design pour tous p.50

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Etre relié, connecté, à l’heure des nouvelles technologies Fantasmes et craintes de l’objet technologique p.57

Matérialiser l’immatériel, deux théses s’affrontent p.62 Objets communicants/Objets transitionnels p.65

Le processus p.70

En conclusion p.73

Bibliographie p.75

Webographie p.76

Expositions et conférences p.78

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En Introduction

1NBIC : Acronyme désignant un champ scientifique multidisciplinaire situé au carrefour des nanotechnolo-gies (N), des biotechnologies (B), des technologies de l’information (I) et des sciences cognitives (C).

Tenter d’anticiper, d’apporter des répon-ses à des problématiques à venir, c’est la mission du designer. Agir même à toute petite échelle, c’est apporter sa pierre à l’édifice, c’est prendre part au débat pour concevoir l’avenir.Le design doit permettre de lier les personnes, de créer de l’émotion, du sens. Nous attachons tous de l’importance à un certain nombre de nos objets, car ils ont une mémoire, une histoire. Ils portent en eux le lien qui nous unis aux autres, des moments qui nous façonnent. Dans chacun de mes projets, même dans le plus banal et le plus industriel, je m’efforce de prendre en compte cette dimension. Ces liens qui unissent les personnes à travers les objets sont ce qui a motivé mon envie de reprendre mes études de design.Une situation personnelle m’a amené à m’interroger sur la place des personnes âgées dans notre société de l’information et de la communication, ainsi qu’à m’in-terroger sur la question de la distance et des relations intergénérationnelles. Dans le contexte d’une population vieillissante, le problème de l’isolement de la personne âgé se pose. La montée en puissance de l’utilisation des technologies de l’informa-tion et de la communication par l’adulte et le junior, la laisse de côté. Délaissée, elle perd peu à peu ses repères dans une socié-té où tout se modifie rapidement. Cette incompréhension, ce manque de dialogue, devient source d’anxiété, de dépression et

de souffrance. Mon projet a pour but de tenter de créer des outils relationnels via une huma-nisation innovante des technologies de communication. Ceci en tenant compte de la problématique du vieillissement de la population et des difficultés d’intégration des séniors, vis à vis d’une société faite de technologies de l’information et de la communication (TICs) en constante muta-tion. En effet, les nouvelles technologies dites TICs, et NBIC1, ainsi que le vieillisse-ment de la population, font l’objet d’une réflexion et de débats auxquels participent activement citoyens, scientifiques, philo-sophes, industriels et politiques. Ces questions font parties, avec l’environ-nement, les ressources énergétiques, de celles qui façonneront le monde occiden-tal de demain.

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Le senior

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Un 3ème millénairevieillissant.

Un vieillissement annoncé

La population vieillit, c’est un fait. L’Insee le souligne dans son rapport « La popula-tion de la France métropolitaine en 2050 : un vieillissement inéluctable ». Quelles que soient les hypothèses formulées sur la fécondité, la mortalité et les migrations, la croissance de la population métropoli-taine sera assurée jusqu’en 2025, mais à un rythme annuel moyen inférieur à celui observé au cours des cinquante dernières années. En 2050, la France métropolitaine comptera de 58 à 70 millions d’habitants selon les différents scénarios retenus. Plus d’un tiers de la population sera alors âgée de plus de 60 ans, contre un cinquième aujourd’hui. La part des plus de 60 ans dans la population totale sera plus élevée que celle des moins de 20 ans et ceci dans tous les scenarii. Les femmes seront toujours plus nombreuses aux âges élevés, même si l’écart d’espérance de vie entre les hommes et les femmes diminue. D’ors et déjà, le nombre de personnes en âge de travailler a diminué, les premières générations du baby-boom ayant atteint l’âge de la retraite à partir de 2005. En conséquence, la proportion relative des personnes les plus âgées par rapport aux personnes en âge de travailler augmen-tera, en France, de manière significative, et ce, dans toutes les hypothèses. Les princi-paux pays européens seront confrontés, à des degrés divers, au vieillissement, voire

à la baisse de leur population au cours de cette période. L’Europe des Quinze pour-rait ainsi compter 10 millions d’habitants en moins en 2050. Toutefois, la part de la population française dans cette popu-lation augmenterait légèrement, passant de 15,7 % en 2000 à 17 % en 2050.Pour Joël de Rosnay, conseiller du président de la Cité des sciences et de l’industrie et président exécutif de Biotics International, société de conseil stratégique en nouvelles technologies, la prolongation de la durée de vie, grâce à une connaissance accrue des mécanismes du vieillissement, suscite-ra de fortes tensions sociales et politiques. Il faut donc penser le futur des sociétés humaines. Ceci permettra de construire notre avenir sur la base d’une vision globale et à long terme de l’évolution des systèmes complexes, économiques, écolo-giques, industriels et politiques, dont nous faisons partie.

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En 2050, un français sur trois aura plus de 60 ans. Comment nos sociétés occidenta-les vieillissantes vont-elles alors se déve-lopper ? Comment vont-elle pouvoir rester productives, en admettant qu’elles seront toujours construites sur le modèle écono-mique actuel et ce, malgré la crise écono-mique ? Dès maintenant, comment éviter

l’isolement des seniors face au reste de la population ? Comment mettre les diffé-rentes parties de la population en relation afin que l’entraide ne soit pas utopique ? Que faire pour que la problématique du vieillissement de la population ne soit pas seulement l’affaire des pouvoir publics mais celle de toute la communauté ?

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Prévision démographique de la population française (INSEE).

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En 2000 Prévisions pour 2050

Prévision démographique de la population française (INSEE).

Ces données prospectives sont bien entendues à prendre comme des indica-teurs d’une tendance possible, car elles sont variables en fonction des scénarii

envisagés (haute natalité, haute mortalité, migrations, etc.) mais elles démontrent toutes une tendance à un fort vieillisse-ment de la population européenne.

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Les différents âges du senior

2Serge Clément et Jean-Paul Treguer, Domovision 2009-2014, article, Ed.VIA, (2009).

Il est important de définir qui sont les seniors et quels sont les groupes sociaux-éco-nomiques que l’on regroupe sous ce terme. En effet, si pour l’INSEE un senior est un individu de plus de 55 ans, il n’existe donc pas un mais des seniors avec des mentalités et des besoins qui se différencient selon les générations ou la tranche d’âge. Pour mieux comprendre qui ils sont, voici une tentative de cartographie de cette population initiée par Serge Clément et Jean-Paul Treguet. Il existerait quatre générations2 :

Les masters ou baby-boomers (50/59 ans)Jeunes seniors, ils sont dans une phase de transition entre la vie active et la retraite et participent encore majoritairement au marché du travail. Au sommet de leur carrière professionnelle, ils ont encore souvent de grands enfants à charge. Ils possèdent un bon pouvoir financier et ont la particularité d’être les plus amateurs de consommation et de vie sociale. Gros consommateurs de médias, lecteurs assidus de la presse quotidienne et

magazine, ils sont aussi de fervents utilisateurs de l’Internet. Leur génération est celle qui a connu la mondialisation de la culture. Elle est celle de l’enfant-roi et de la révolution culturelle de 1968 qui a démantelé les structures sociales léguées par les parents, telles que l’Eglise et les partis. C’est la génération de la consommation, de la contraception et de l’IVG. Elle détient les patrimoines les plus importants et le plus fort revenu disponible.

Les libérés (60/70 ans)Retirés de la vie active, indépendants, ils vivent presque une « deuxième adolescen-ce ». Ils abordent leur retraite de manière décomplexée et très hédoniste. Parfois, ils divorcent même sur le tard et ressentent le besoin de posséder des comportements et des attitudes inattendues de

séduction. Ils achètent ainsi massivement des produits et des services valorisant la jeunesse comme des cosmétiques, des médicaments (Botox, Viagra…) et de la chirurgie à usage cosmétique. Ils sont de grands consommateurs de voyage et de loisirs.

Les retirés ou paisibles (70/85 ans)Ils présentent des signes de l’âge beau-coup plus marqués et ressentent les premières déficiences physiques. Plus casaniers, moins mobiles, ils sortent moins et consomment moins de loisirs à l’extérieur de la maison. Leurs premières préoccupations sont la santé et le confort. Ils utilisent bien souvent du mobilier

adapté à leur changement physique et des services d’assistance ménagère ou médicale. Cette génération a bien souvent combattu en Algérie. Elle est la première à avoir bénéficié du double emploi au sein du couple. Elle a aussi bénéficié de la contraception et du plein emploi.

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Les grands aînés ou le quatrième âge (85 ans et plus)Cette population en majorité féminine, veuvage oblige, a besoin d’une assistance extérieure quasi permanente. Le main-tien à domicile, au centre de leurs préoc-cupations, est de plus en plus difficile. L’accueil en institution spécialisée, plus ou moins médicalisée, représente une option de plus en plus prisée par les familles mais souvent bien trop chère. L’accompagnement en fin de vie impose une dépendance intergénérationnelle forte.

Cette génération fut aussi appelée en son temps la génération du devoir. Altruiste, engagée à l’Eglise et dans la vie sociale ou politique, elle est celle de sœur Emmanuelle, de l’abbé Pierre et de Michèle Morgan. Elle a connu les priva-tions consécutives de la crise de 1929, les affres de la guerre et a participé à la reconstruction de la France.

Suite à cette cartographie, il apparait nettement que les besoins et les mentalités différent entre ces quatre tranches d’âge. Les cinquantenaires, ainsi qu’une partie des soixantenai-res, ne sont pas encore réellement concernés par l’isolement. Ils sont encore largement ancrés et partie prenante de la société. Leurs besoins de facilité d’accès et d’usage aux technologies de l’information et de la communication seront moindres, mais varieront suivant les cas.

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La place du senior hier et aujourd’hui.

A travers l’histoire de nos sociétés occi-dentales, la représentation de la vieillesse et le statut des personnes âgées ont énormément évolués. Chaque société a un modèle d’homme idéal, et c’est de ce modèle que dépend l’image de la vieilles-se, sa dévaluation ou sa mise en valeur. Dans les plus anciennes sociétés, les vieillards avaient un statut privilégié : détenteurs de sagesse et dispensateurs de savoir, ils représentaient la continuité et la réussite du groupe. La vieillesse était considérée comme une faveur accor-dée par les dieux : Mathusalem, célèbre vieillard, aurait vécu 969 ans selon la Bible. La Grèce antique des VIIème et VIème siècles avant J.C, connue le modèle gérontocratique : un conseil des anciens, réunissant des hommes âgés, prenait les décisions législatives et judiciaires. Les plus célèbres étaient les vingt-huit géron-tes de Sparte, un gouvernement constitué de vingt-huit hommes de plus de soixante ans. Puis, la Grèce classique, tournée vers la beauté et la force, relègue les personnes

âgées à une place subalterne. La société médiévale ignore la gérontocratie en tant que modèle politique mais la personne âgée demeure l’un des fondements de l’organisation et de la solidarité de la communauté. Les longévités fabuleuses sont l’image de la sagesse et la mémoire de l’histoire des peuples. Au XIème siècle, le groupe familial explose au profit du modèle conjugal, nécessaire pour l’occu-pation des terres nouvelles. Incapables de travailler, les parents âgés s’en remettent à l’affection de leur descendance ou aux premiers asiles (XIIIème siècle). Malgré tout, les coutumes et les religions affir-ment toujours la toute puissance des anciens sur leurs descendants et leurs biens. La Révolution Française étend le principe des pensions de retraite, instau-rées par Louis XV pour les militaires inva-lides, à l’ensemble des serviteurs civils et militaires de l’État, et fête la vieillesse comme une nouvelle vertu civique. Mais, elle n’a pas les moyens de mettre ses réformes en application. Ceci d’autant

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«C’est quand le 65-100 ans atteint en Europe le plus haut pla-teau social et physique que son autorité morale est au plus bas. C’est quand on ne l’arrête plus, la vieillesse, qu’on ne peut plus la voir en peinture»

Régis Debray, Le plan vermeil, Ed. Gallimard.

plus que son rôle essentiel est de mettre un terme à l’autorité ancestrale du père de famille, notamment en faisant cesser la puissance paternelle à la majorité et en fixant celle-ci à vingt et un ans. Au XIXème siècle, la révolution industrielle accélère la perception de la vieillesse comme faibles-se, entamée dés la Renaissance humaniste prônant, quand à elle, l’exaltation de la jeunesse. Le monde industriel disperse les familles, l’exode rural éloigne enfants et parents. Les personnes âgées et démunies augmentent. La vieillesse devient multi-forme : heureuse et entourée ou déshéri-tée et solitaire.La notion de troisième âge est récente, elle est apparue avec les premières retraites généralisées après 1930 (année de mise en place des retraites par capitalisation obligatoires défendues depuis 1910). Avant cela, il n’y avait que les notions de vie et de mort, dont la seule limite à l’activité était l’incapacité physique. Aujourd’hui, grâce au progrès social et médical, les seniors peuvent prétendre à une meilleure santé et une retraite. Ils deviennent de véritables acteurs sociaux

et économiques, avec des besoins qui leurs sont propre. Ils peuvent accorder du temps aux autres et à eux-mêmes. Les évolutions et les progrès économiques du XXème siècle ont transformé la vieillesse. Malgré tout, l’éclatement des familles modernes favorise la rupture des relations entre générations. La mondialisation ne fait qu’accélérer le processus. Les échan-ges de données et d’hommes se font de plus en plus rapides : la vitesse et le « tout, tout de suite » sont devenus les caractéris-tiques de ce XXIème siècle. Elles sont l’apa-nage de la jeunesse. La personne âgée, incapable de suivre le rythme, se trouve déconnectée d’une société en constante mutation. Les nouveaux modes de communication du numérique (Internet, réseaux sociaux, etc.) sont conçus pour des jeunes par des jeunes. Ne pas prendre en compte les spécificités des générations plus âgées constitue un risque d’isolement et d’exclusion progressive de la personne âgée.

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// Centrifuge permettant de rajeunir: des volon-

taires allongés tournent rapidement sur une plateforme, sous la

surveillance de deux infirmières. Couverture du magazine Science and Mechanics, 1935.

Eternelle jeunesse

Au cœur des débats sur le futur de nos sociétés occidentales, la personne âgée ne doit pas être stigmatisée, infantilisée. La vieillesse, le corps et l’esprit vieillissant ont toujours été un sujet d’inquiétude. Aujourd’hui, pour atteindre la jeunesse éternelle, afin de rester « dans le coup », de nombreux remèdes nous sont propo-sés : soins du corps, du visage, exercices de mnémotechnie, etc. La quête de la jeunesse éternelle se fait de plus en plus pressante. Entre principe de précaution et engouement spontané, la DHEA, hormone réputée pour ses effets antivieillissement, a la faveur des médias. A défaut de rajeu-nir, la chirurgie esthétique nous propose, à travers l’image que nous renvoie le miroir, de nous faire oublier le vieillissement. Photo-thermolyse, lifting, injections de collagène ou de silicone ne sont plus des pratiques exceptionnelles. La tendance étant de repousser l’âge de la retraite, il semblerait qu’il faille paraître jeune et beau plus longtemps pour être admis par la société. Doit-on simuler la jeunesse pour se sentir encore utile ? Le corps a

une image sociale importante. Mais qu’en est-il de l’esprit ? Tous les gériatres le disent : le passage du 3e au 4e âge se gère dans la tête. « On peut vivre avec ses soucis de santé sans que cela devienne le centre de sa vie. Il faut cesser d’imagi-ner que bien vieillir, c’est vivre en bonne santé jusqu’à 90 ans, explique le docteur Olivier de Ladoucette, psychiatre et géria-tre, auteur du « Guide du bien vieillir ». Arrivée à ce grand âge, la machine a forcé-ment des ratés. L’important est de savoir s’adapter à ces difficultés, de rebondir après un problème physique ou moral.» Quitte à modifier profondément son mode de vie. « J’ai connu un excellent joueur de tennis qui à 70 ans n’a pas supporté d’être moins performant. Au lieu de se mettre à une autre activité, la natation par exem-ple, il a tout arrêté », poursuit ce médecin. Bien vieillir c’est vivre avec son temps, ne pas s’isoler, rester intégré à la société et évoluer avec elle. S’intégrer dans la société, c’est communiquer, c’est savoir se placer par rapport aux autres, être identi-fié comme faisant parti d’un tout.

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«Un jour on devient vieux, puis soudain on rajeunit !»

Katharine Butler Hathaway, romancière américaine.

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De l’importance du lien social à l’estime de soi

« L’amitié est ce qu’il y a de plus nécessaire pour vivre, car sans amis, personne ne choisirait de vivre, eût-il tous les autres biens. »

Aristote, Ethique à Nicomaque

Les personnes âgées sont confrontées à de nombreux changements qui modifient peu à peu leur environnement social, allant parfois jusqu’à rompre certains liens. Le vieillissement seul n’est pas vecteur de rupture du lien social. Un ensemble d’évènements survenant couramment avec l’avancée en âge viennent créer des obstacles au lien social tels que la retraite, le veuvage, les handicaps progressifs. Lorsqu’il y a moins de lien social cela ne signifie pas pour autant un vécu doulou-reux : cela peut entraîner une rupture pour les uns, une adaptation pour les autres. Plaintes et souffrance résultent de plusieurs facteurs, des facteurs objec-tifs et des facteurs subjectifs liés à la personnalité, au regard et à l’appréciation portés sur la vie tant personnelle que familiale et professionnelle, au sentiment

de satisfaction ou de frustration qui en découle. Un état dépressif, un sentiment de solitude et d’inutilité viennent renfor-cer la donne.Le lien social est essentiel tout au long du parcours de vie, de la naissance à la mort. L’être humain se développe et se construit grâce aux liens réels et imaginaires (ex : le doudou du petit enfant) qu’il tisse au fil du temps. Ceux-ci répondent au besoin d’appartenance à une famille, à un groupe social, à une communauté d’idées. Les liens se nouent et se dénouent, créant tour à tour dépendance, interdépendance et exclusion. Ils permettent la reconnaissan-ce sociale et la construction de l’identité à travers l’autre. Mais dans tous les cas et pour tous, les liens vont se modifier, se transformer, disparaître ou réapparaître, tout au long de la vie.

Pour Aristote, la philia (l’amitié, l’amour en grec ancien) est ce qu’il y a de plus précieux pour l’individu mais aussi pour les sociétés. Elle en constitue le principe même en tant que pouvoir de liaison,

de solidarité qui constitue des trames relationnelles donc des réseaux sociaux. L’amitié est ce qui fonde le socle du réseau social et donc de la société, comme enchevêtrement de relations, de liens.

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Les réseaux sociaux touchent au cœur de ce qui constitue le social.Facebook, blog, jeux en réseaux et autres formes de réseaux sociaux numériques viennent suppléer le manque de rela-tions sociales chez l’adolescent. Ils lui permettent de reconstituer une philia. Il est intéressant de noter que sur un site internet comme Facebook, on se caractéri-se par rapport à ses relations. C’est-à-dire que pour créer son réseau social, il faut d’abord déclarer ses amis, ses relations. Il s’agit de commencer par les rendre publi-ques avant de s’en créer de nouvelles. Le même système fonctionne avec les blogs et les jeux en réseaux. Pour que votre blog soit lu, il vous faut le communiquer à un premier contact, qui le communiquera à un second et peu à peu, votre blog en générant du passage sera lu par un grand nombre de personnes. De même, pour un jeu vidéo en réseau, le joueur doit créer un groupe avec d’autres personnes afin de pouvoir mener une quête et vaincre des ennemis, qu’il connaisse ou pas les autres joueurs dans la vraie vie. Ces différents réseaux sociaux numériques permettent de mettre en relation, autour de sujet et de passions communes, des personnes qui ne

se seraient jamais rencontrées dans la vie quotidienne.Au début de l’Internet et de ces nouveaux réseaux sociaux, certains se sont inquiétés du temps passé par les adolescents sur leur ordinateur. Ce dernier était accusé d’isoler l’adolescent de la cellule familiale et de favoriser une rupture sociale. Au contraire, il me semble que les réseaux sociaux numériques permettent à l’adoles-cent de rencontrer, d’intégrer un groupe social à son image, loin de sa famille. Le propre de l’adolescent étant de se défaire de sa famille, d’être en rupture avec celle-ci afin de se créer une identité propre. En se constituant une philia, il se construit la « famille » qu’il s’est choisie, les réseaux sociaux numériques étant un moyen comme un autre d’y parvenir. A la seule condition, bien sûr, de ne pas renoncer à faire des rencontres dans le monde réel. Ainsi le processus de construction de la philia peut se concrétiser. De la même manière, les Technologies de l’Information et de la Communications (TICs) pour-raient être le moyen donné au senior, en souffrance par manque de philia, pour s’en reconstruire une à son tour.

// Sans titre, Eva Rielland.

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Solitude et isolement

3Régis Debray, Le Plan vermeil, (2004).

La vieillesse peut être bien vécue, mais il arrive un moment où la personne âgée, attristée et se sentant affaiblie, peut sombrer dans la dépression. Cette dernière touche 50% des personnes âgées résidants en institution et 25% de celles vivant à leurs domiciles3. Outre les problè-mes de santé, le deuil, la peur de la mort, les principales causes en sont la solitude et l’isolement ainsi que l’absence de buts et d’objectifs dans la vie. La vieillesse est la phase de « déclin », plus ou moins rapide, de la vie succédant obligatoire-ment aux phases de développement de la jeunesse et de l’état adulte. Ceci n’est pas une vision pessimiste de l’âge tardif, mais

une réalité. Il importe d’analyser tous les facteurs générateurs d’isolement et de solitude des personnes âgées, ainsi que toutes les conséquences pouvant aboutir à une véritable exclusion sociale. Outre les soucis de santé et le sentiment d’insécuri-té, le docteur Louis Mouton détermine que la rupture avec le milieu socioprofession-nel, les pertes relationnelles affectives et le changement d’environnement peuvent venir entraver les connexions sociales.La rupture avec le milieu socioprofession-nel s’effectue dés le passage à la retraite. Si pour l’ensemble des observateurs de la démographie, un senior est un indi-vidu de plus de 55 ans (l’âge moyen des premiers départs à la retraite), il est donc

communément admis que l’on devient « vieux » lorsque l’on devient inactif. Désirée et ardemment souhaitée, la retraite signifie la cessation de diverses obligations professionnelles mais c’est également une véritable rupture avec le milieu social habituel. Le travail est synonyme d’intégration sociale, il permet de se sentir utile à la société, aux autres. La retraite constitue donc un changement

radical de statut, parfois difficile à vivre. La nature et l’évolution des relations au sein d’une famille, mais aussi les relations de voisinage ou professionnelle sont des facteurs d’équilibre entre les générations. La distance entre les habitats des plus âgées et des plus jeunes conditionne fortement la fréquence des visites. En 2007, les trois quarts des personnes âgées souffraient d’un sentiment de solitude

//Batphones, Matthias Ries.

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généré par un isolement relationnel ou géographique. Il semblerait que plus on vieillit, plus on a besoin de ressentir la vie, de se sentir comme partie prenante des actifs : avez-vous déjà remarqué que de nombreuses personnes âgées faisaient leurs courses dans le tourbillon des heures de pointe au lieu de profiter des heures creuses pendant que les personnes

actives travaillent ? Au Japon ou encore au Maghreb, les jeunes hébergent leurs ancêtres et la vie s’orga-nise autour des différentes classes d’âges, comme c’était encore le cas en France, il y a trois générations. En France, il semble nécessaire d’engager des mutations en profondeur afin de réduire les risques de conflits de générations.

Transmission intergénérationnelle

La personne âgée, en ayant quitté le monde du travail, peut avoir le sentiment d’être mise à l’écart de la société. Pour Olivier de Ladoucette, psychiatre et géria-tre, « les gens ont peur de vieillir parce qu’ils souffrent du regard que l’on porte sur eux. Ils ont l’impression d’être laids, inutiles, un fardeau pour la société. Il nous faut donc commencer par changer le regard que nous portons sur les person-nes âgées ». L’absence de but dans la vie, la peur de devenir transparents, de ne plus intéres-ser personne, peuvent venir renforcer ce sentiment. Il me semble alors inté-ressant d’envisager l’importance de la transmission intergénérationnelle afin de contrebalancer ce sentiment d’isole-ment et d’inutilité chez le senior. En effet, d’après un sondage réalisé pour l’Ecole des Grands-Parents Européens (EGPE), la transmission est un sujet important pour 96% des grands parents et pour 95% des parents. Dans un monde qui évolue très vite, les grands-parents restent pour beaucoup les vecteurs de la mémoire familiale. Les jeunes générations comp-tent aussi sur la sagesse, le recul et l’expé-rience de vie de leurs aînés. Si la famille reste le lieu privilégié de la transmission, la volonté de transmettre se manifeste aussi dans d’autres lieux et contextes. La retraite n’est pas nécessairement “la mise au placard” du savoir-faire profes-sionnel. Certains organismes misent

sur la transmission de savoir-faire et le tutorat professionnel : ils engagent un retraité pour guider un nouveau venu et lui faire bénéficier de son savoir et de son réseau. Nombreuses sont les personnes âgées qui intensifient leur engagement dans la vie associative ou citoyenne, pren-nent du temps pour les autres. Elles ont besoin d’avoir des activités socialement reconnues, de « servir à quelque chose ». L’implication des retraités dans des activités socialement utiles a un double effet positif : pour eux-mêmes et pour la collectivité. La reconnaissance de la place des retraités dans la société passe par la reconnaissance de leur utilité sociale.La transmission intergénérationnelle implique un échange, une complicité, une compréhension entre deux généra-tions. C’est ce qui en fait la richesse. On transmet des valeurs, certes, mais aussi un projet d’humanité, tel que l’a exprimé Jean Claude Guillebaud lors du colloque La Transmission intergénérationnelle, et non pas des dogmes, des interdits.

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On transmet ce qui nous constitue. On transmet l’histoire de nos parcours de vie, afin de rassurer, réconforter nos descendants. La transmission est un échange. Elle est une forme de don de soi. Comment effectuer ce don si l’isolement

ne permet pas de communiquer avec autrui ? Sans communication, il ne peut y avoir de transmission, d’échange. La complexité des moyens de communica-tion actuels rend difficile les relations intergénérationnelles.

// Photographie de Barbara Singer, Getty Image

// Photographie de Benoit Paillé, Getty Image

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Se sentir capable, comme les autres

En vieillissant, on perd certains sens, notre corps vieillit, ses facultés diminuent. On est atteint par une série de handicaps plus ou moins sévères suivant les cas. La perte progressive des sens privilégiés de la communication orale ou écrite (la vue, l’ouïe) peut mettre à mal la patience de notre interlocuteur, qui préférera peu à peu éviter le dialogue. L’évolution perma-nente des modes de communication et l’éclatement géographique de la structure familiale ne font qu’accroître le problème. Rester en contact avec ses proches, c’est communiquer sur le même mode qu’eux. Communiquer c’est créer, renforcer, manifester le lien qui nous unit aux autres. Comment communiquer à l’heure des nouvelles technologies, lorsque leur utili-sation semble parfois hors de portée. Les outils numériques peuvent paraître complexes car ils ont une logi-que propre. Ce sont les personnes âgées elles-mêmes, qui en parlent le mieux. Ainsi, Dédée, Gisèle, Jacqueline, Dolorès, ayant toutes plus de 77 ans, participent au Tea time with Albertine4, un atelier Internet. Avant d’apprendre à utiliser l’ordinateur, elles disent avoir eu peur, de s’être senties incapables et démunies : «J’ai acheté l’ordinateur, histoire de ne pas être complètement isolée dans mon coin, de ne pas être complètement perdue». Maintenant, «On est capable [...], on se sent moins en bas par rapport aux autres qu’avant». Désormais, «je reste dans le monde actuel parce que autrement j’avais

l’impression d’être mise à part, de côté». «J’ai l’impression de rester dans l’époque actuelle autrement j’aurais l’impression d’être dans une catégorie qu’on ignore». «Ça nous empêche de vieillir». En revan-che, lors d’un épisode de la série docu-mentaire « En Campagne » se déroulant à Mortagne et diffusé sur France 5, une dame âgée annonçait au journaliste qu’elle désirait mourir car elle se sentait dépassée «par tous ces mots»: courriel, panel (!?), domotique, pas domotique». «J’y comprends rien... la vie a changée, tout a changé [...] maintenant j’en ai marre.» Toutes ces femmes évoquent une impression d’abandon, un sentiment d’être laissée de coté alors que la société avance sous une nouvelle forme, avec de nouveaux rapports au temps, à l’espace, aux relations. Quelques unes, comme les participantes au Tea time d’Albertine, ont fait la démarche d’apprendre. Elles ont eu la chance d’être encadrées, les encou-ragements des animateurs ont su faire tomber leurs dernières barrières. Ces barrières, la peur de mal faire, de ne pas être capable, de tout casser, sont en réalité la conséquence d’un manque d’estime de soi. On s’identifie en partie par rapport aux autres, au regard que ceux-ci nous renvoient : à la manière dont ils nous jugent et dont on se sent jugé.

4 http://teatimewithalbertine.tumblr.com

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L’usage des TICs en maison de retraites commence à intéresser les spécialistes. Vidéoprojecteurs, Internet et consoles de jeux font leur entrée dans les hôpitaux et les maisons de retraites. Beaucoup d’articles fleurissent dans les magazines spécialisés ou sur le net, notamment à propos de l’utilisation de la console de jeux Wii de Nintendo. Selon Mathieu Rached, chroniqueur sur le site Internet www.ecrans.fr (Libération), cette innovation multimédia, dont les applications pour la santé restent encore à déterminer, a été détournée de son objet premier par les ergothérapeu-tes. Dans les pays anglo-saxons, on parle de Wii-thérapie et de Wii-rééducation. Cette console fait même l’objet de recher-ches cliniques. La diversité des jeux offre un aspect attrayant, mais surtout cette console de jeux permet d’exercer les fonctions motrices : équilibre, coordina-tion manuelle, force motrice, coordination oculo-manuelle, stimulation cognitive.

Ce support suscite de la curiosité chez nos aînés et présente un intérêt « social » car il crée du lien entre résidents de maison de retraite, mais aussi entre générations. C’est surtout ce lien social qu’il est inté-ressant de souligner. Ce jeu, relativement intuitif, est véritablement accessible et facilement compréhensible par tous. Il fonctionne par analogie gestuelle : il suffit de mimer le geste de taper une balle de tennis avec une raquette pour réussir à jouer. Toutes les générations peuvent donc y jouer, puisqu’il fonctionne sur le « faire comme si » que enfants et grands enfants connaissent bien. Il y a ici communication et échange autour d’un jeu, d’une activité commune. Cette possibilité de communi-quer avec les plus jeunes, sur les mêmes modes qu’eux, peut réactiver l’estime de soi ; d’où l’importance d’inclure les anciens dans l’usage des nouvelles techno-logies. Ne serait-ce pas là une illustration de «vivre avec son temps»?

// Pensionnaire de maison de retraite

jouant à la Wii, source Newsteam

// Le XO-1, dessiné par le designer Yves Béhar, est le premier ordinateur conçu par le projet One Laptop per Child (OLPC). C’est un ordinateur portable bon marché (200$) destiné aux enfants des pays en développement, pour leur permettre d’apprendre, d’explorer, d’expérimen-ter et de s’exprimer. Le XO-1 est fabriqué par la société taïwanaise Quanta.

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Fracture générationnelle et fracture numérique

En constante mutation, les outils de communication issus du numérique régis-sent notre vie quotidienne. Les usages qui en découlent, façonnent un monde en rupture avec celui de nos aînés : notre rapport à l’espace et au temps a changé. Grâce aux téléphones portables, nous pouvons être joignables n’importe où et à toute heure. La vidéoconférence nous permet d’être là sans y être physiquement. Nous pouvons aller jusqu’à nous rencon-trer dans des univers virtuels, être physi-quement devant notre ordinateur mais mentalement ailleurs. Internet a modifié notre rapport au pouvoir et à la hiérarchie : grâce aux forums et aux blogs, nous pouvons diffuser très largement une idée, une contestation. Les démarches administratives y sont facilitées, certai-nes ne sont mêmes réalisables que par Internet. Tous ces changements appor-tés à notre vie quotidienne peuvent être extrêmement pénalisants pour qui ne sait ou n’a pas su s’y adapter. Cela participe à augmenter la fracture générationnelle : de fracture générationnelle à fracture numé-rique, il n’y a qu’un pas.

De plus en plus, nous entendons parler de la Fracture numérique dans les médias, dans les discours politiques et les confé-rences sur l’innovation. Les progrès technologiques liés à l’informatique et à Internet sont à la base du développement de la « société de l’Information ». Cette nouvelle forme de société, source de crois-sance économique, a généré de nouvelles formes d’exclusion que l’on rassemble sous le terme de « fracture numérique ». La fracture numérique désigne l’inégalité d’accès aux technologies numériques, essentiellement l’ordinateur et Internet. Cette inégalité est fortement marquée entre les pays dits développés et les pays dits en voie de développement, mais aussi entre les zones urbaines et les zones rurales. De nombreuses actions politiques ont été mises en place afin de lutter contre la fracture numérique. On les regroupe sous le nom d’e-inclusion. Cette fracture ne représente qu’une petite partie des inégalités de développement mais elle est considérée comme un frein au développe-ment d’un pays.

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Pour preuve de l’enjeu politique, il existe une Journée mondiale de la Société de l’information qui a lieu tous les ans le 17 mai depuis 2006, avec pour but de sensibiliser sur le sujet mais aussi sur les ouvertures que peut offrir Internet. La fracture numérique est un sujet régulier de bataille pré-électorale. Dés 1994, aux Etats-Unis, le vice-président Al-Gore annonçait qu’Internet permettrait l’avè-nement d’une démocratie en ligne, d’une agora électronique. Il fut l’un des premiers politiques à parler du réseau Internet comme des « autoroutes de l’informa-tion ». En 1997, le président Clinton envi-sagea de connecter chaque salle de classe et bibliothèque à Internet d’ici l’an 2000, chaque maison d’ici 2007. Aux Etats-Unis, la fracture numéri-que passe par un clivage entre noirs et blancs : les blancs seraient plus nombreux a avoir accès au numérique que les

populations noires. En France, il existe un Secrétariat d’état de la Prospective et du Développement de l’économie numé-rique. Un plan France Numérique 2012 a été présenté avec, parmi les principa-les mesures, un service d’accès internet universel pour moins de 35 euros par mois avant la fin 2010. « Chaque Français, où qu’il habite, bénéficiera ainsi d’un droit à l’accès à internet haut débit opposable à des opérateurs clairement identifiés » déclarait Eric Besson, ministre alors en charge de ce secrétariat d’état.

Le Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie (CREDOC), dans son étude, réalisée en décembre 2007, concernant «La diffusion des technologies de l’information dans la société française», constate que 40% de la population n’est jamais confrontée à l’informatique. Il s’agit principalement des plus de 60 ans, des personnes peu diplômées (83% des non-diplômés et 49% des titulaires d’un BEPC) et des personnes vivant dans un foyer percevant moins de 1 500 euros mensuels. Enfin, au-delà de 60 ans, 80 à 95% de la population ne se connecte jamais. C’est aussi le cas de 87% des non-diplômés et de 65% des person-nes vivant dans des foyers modestes. Les personnes âgées, souvent réfractaires aux nouvelles technologies, semblent être les laissées pour compte du développement numérique. Le combat contre la frac-ture numérique dirigée par les pouvoirs publics a eu pour origine le rattrapage du retard français concernant Internet. L’idée

de fracture a rapidement été interprétée comme un effet des inégalités sociales. En même temps, les chiffres montrent qu’au-delà de 60 ans, la fracture n’est plus uniquement d’ordre social mais aussi générationnelle. De quelles manières aborder cette problématique ? L’individu a-t-il le droit de choisir s’il veut user de ces technologies ? En a t’il la possibilité ? Comment se les approprier ? En quoi les nouvelles technologies peuvent elles contribuer à améliorer la vie des person-nes âgées ?

L’utilisation des technologies de l’infor-mation et de la communication par une population vieillissante pose une question éthique d’importance. Cela nécessite de replacer les choses sur le plan de l’in-dividu et de ses valeurs. Le recours aux nouvelles technologies ne doit pas être pensé comme un substitut à la présence humaine. Leurs fonctions doivent être fondées sur la recherche de solutions

Fracture numérique et gérontechnologies

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personnalisées répondant aux besoins et aux situations concrètes des personnes âgées à domicile. D’où la nécessité d’établir une typologie des besoins en matière de sécurité, de prévention, de relation, d’aide à la vie quotidienne et

de développer les technologies qui répon-dent à ces besoins, l’âge ne devant pas être un facteur discriminant. Ce n’est pas la technologie qui crée le besoin, mais le besoin qui crée la technologie.

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Perception des TICs

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Nous vivons un véritable bouleversement de nos modes de communications. Internet a modifié la manière dont nous envisageons le futur. En l’espace de cent ans, les technolo-gies de l’information ont énormément évoluées. Le temps d’une vie tout s’est transformé. Domaine d’innovation par excellence, les produits technologiques sont envisagés comme des outils pouvant venir soulager notre quotidien. Parfois, ces outils vont même jusqu’à pallier nos défaillances. C’est de cette façon que sont envisagées les technologies destinées aux seniors.

Ci-après, mon schéma non exhaustif me permet d’évaluer où en sont les concepteurs dans la création de TIC. Je l’ai divisé en deux parties, d’un coté les TICs s’adressant unique-ment aux personnes âgées uniquement (les gérontechnologies), de l’autre les innovations dédiées à l’ensemble de la population, sans limite d’âge.

Panorama des T.I.Cs

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Light touch, Microsoft research.

Clavier virtuel, Microsoft research.

Ecran souple, Microsoft research.

Eeepc, Asus:écran tactile et interface simpli�ée.

Wii, Nintendo.

DS lite, Nintendo.

Dr Kawashima, jeu DS.

Clavierautocollant.

Poignéeretire-prise

MEM-X, aide mémoire vocal

Doro MemoryPlus 335, retrouve les objets

Telephone 312ci, Doro.

Mobile Doro

Bazile Telecom

Magui, ordinateur à interface simplifiée.

Amber, Stratel. Home Safety Alert.

Domokab, Doro. Boitier Temo.

Telecommande étanche Sécure plus,Doro

Birdy angel,Birdy Technology

Fold/Unfold, Asus.

Surface,Microsoft research

Nabaztag, Violet

POU

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LES GERONTECH

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LOGIES

LES LUDIQUES

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LES PROSPECTIFS

LES ADAPTABLES

LES VIGILANTS

LES FUTURISTES

BIENTÔ

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Light touch, Microsoft research.

Clavier virtuel, Microsoft research.

Ecran souple, Microsoft research.

Eeepc, Asus:écran tactile et interface simpli�ée.

Wii, Nintendo.

DS lite, Nintendo.

Dr Kawashima, jeu DS.

Clavierautocollant.

Poignéeretire-prise

MEM-X, aide mémoire vocal

Doro MemoryPlus 335, retrouve les objets

Telephone 312ci, Doro.

Mobile Doro

Bazile Telecom

Magui, ordinateur à interface simplifiée.

Amber, Stratel. Home Safety Alert.

Domokab, Doro. Boitier Temo.

Telecommande étanche Sécure plus,Doro

Birdy angel,Birdy Technology

Fold/Unfold, Asus.

Surface,Microsoft research

Nabaztag, Violet

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Gérontechnologies

Les communicants, comme ce nom l’indique, regroupent les produits de communications adaptés aux personnes âgées, tels que les téléphones portables ou fixes et les ordinateurs. D’interfaces extrêmement simplifiées, ils sont dotés de gros boutons de couleurs vives permet-tant leur utilisation par les malvoyants.

La fonction d’appel classique des télé-phones est parfois couplée à une fonction d’appel à un centre de secours. Ainsi, Bazile Prestige3, de Bazile Telecom, est à la fois un téléphone ultra-simplifié et un service d’opérateur. En appuyant sur le bouton qui le constitue, l’usager est mis en relation avec un opérateur qui transfère

Du coté des gérontechnologies, j’ai identi-fié et nommé quatre catégories de produits pouvant être intéressantes à observer : les vigilants, les communicants, les aides mémoire, les adaptables.

Les vigilants concernent tous les produits de sécurité et de repère dans l’espace. Les premiers sont généralement pourvus d’un bouton d’appel simple, de couleur vive. Celui-ci permet d’appeler un centre de secours en cas de danger, de chute. Le GPS contenu dans le boitier, permet au corps médical de repérer la personne ne sachant pas elle-même se situer. Les vigilants se portent souvent en collier (Home safety Alert2) ou en bracelet (Télécommande étanche Sécure plus, Doro1).

1 2

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Les Aides mémoire sont, quand à eux, une aide aux mémoires défaillantes. Le MEM-X6, par exemple, est un aide mémoi-re vocal, il rappelle les choses à faire aux dates et heures programmées par une voix familière préenregistrée. Quant au Doro MemoryPlus 3355, il permet aux personnes sujettes aux trous de mémoire

de retrouver facilement clefs, portefeuille, etc. Il suffit pour cela d’accrocher des détecteurs sans fil sur ses objets habituels et d’appuyer sur les touches du boîtier de recherche pour déclencher un signal sonore.

l’appel vers tous les correspondants. Lorsque le téléphone Bazile sonne, il suffit d’appuyer sur ce même bouton pour décrocher et converser avec la personne ; pratique et évident, même s’il faut prévoir un répertoire à fournir à l’opératrice. En option, la reconnaissance vocale permet de contacter les contacts du répertoire en prononçant leur nom. Malgré tout, on ne peut, simplement et rapidement, appeler des personnes dont on n’a pas

communiqué les coordonnées auparavant. Il est intéressant de noter que le fonction-nement de ce téléphone est directement inspiré du premier système de téléphonie. Longtemps, pour contacter son correspon-dant, il fallait passer par une opératrice4. Lorsque l’abonné décrochait son télépho-ne, il tournait la manivelle et était mis en relation avec l’opératrice qui transmettait l’appel vers le correspondant.

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J’ai divisé les innovations destinées à l’ensemble de la population en trois catégories : les prospectifs, les commu-nicants et les ludiques. Les prospectifs concernent les recherches menées dans différents centres et plus particulièrement celui de Microsoft Research. C’est une division de Microsoft, créé en 1991 afin de mener des recherches sur différents sujets et questions liées à l’informatique. Les communicants rassemblent deux produits très différents, l’ordinateur à écran tactile, EeeTOP d’Asus et le lapin communicant Nabaztag de Violet. Les ludi-ques sont représentés par deux produits de Nintendo : la console Wii permettant une gestuelle intuitive grâce à sa fameuse manette, la Wiimote, dotée d’un accéléro-mètre, et la DS, dotée d’un écran tactile et d’un stylet. Dans ces catégories, émergent deux tendances importantes : celle du tout tactile et celle de l’informatique ubiquiste que d’autres appellent l’Internet des objets. Dans les deux cas, la technologie se veut intuitive, évidente. D’où l’importance

de l’interface du produit. Dans le design des objets communicants, le design de l’interface est un point crucial. Celle-ci est le point d’intervention de l’usager, elle structure sa relation avec l’objet. L’étude des mouvements a donné lieu aux interfa-ces tactiles telles que nous les connaissons aujourd’hui mises en œuvre dans des objets “icons” tels que l’Iphone d’Apple et la table Microsoft surface. Les concep-teurs de ces objets imaginent l’interaction avec les interfaces via des métaphores et des analogies gestuelles. Par exemple, en transposant des gestes naturels et des pratiques usuelles de notre quotidien. C’est le cas de l’étagére Wazz de l’agence Nodesign sur laquelle on vient déposer des ouvrages (CDs, livres) afin que l’objet en fasse la lecture. C’est aussi le cas de la tablette graphique dotée d’un crayon.

Innovations déstinées à l’ensemble de la population

Enfin, les adaptables sont des accessoires qui permettent d’adapter des produits existants aux handicaps : un clavier auto-collant8 permet de remplacer à moindre coût le clavier d’un ordinateur classique par des touches à gros caractères. Une poignée retire-prise7 permet de faciliter le retrait des prises par des mains âgées et fatiguées. J’ai choisi de mettre ces deux produits dans mon tableau, car ils sont deux réponses simples pour des usages facilités. Les gérontechnologies sont ancrées dans un univers froid et médical, parfois presque infantilisant et manquant d’hu-manité, tant d’un point de vue esthétique que dans leur mode de fonctionnement. L’esthétique des gérontechnologies s’apparente souvent à l’univers du jouet pour enfant. Leurs matériaux sont froids (plastique, métal brossé) et leurs couleurs

neutres ou primaires. L’interlocuteur est déshumanisé : un centre d’appel met en relation l’usager et ses proches (Bazile Telecom), une voix synthétisée rappelle la prise de médicament (MEM-X). De nombreux appareils de gérontechnologies nécessitent au préalable l’intervention d’un tiers qui doit aider à l’apprentissage du fonctionnement de l’objet. Tout cela indique un malaise dans notre concep-tion de la gestion de la vieillesse et notre rapport aux aînés. Ne leur proposer que des objets tristes, se ressemblant tous, c’est peut être les déposséder de libre arbitre et les infantiliser. Il est temps de ne plus les considérer comme une catégorie à part mais comme partie constituante de notre société. Ces produits parlent seule-ment de vieillesse, de maladie et très peu d’humanité.

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Ubimédia, l’informatique omniprésente

« La disparition des ordinateurs est une conséquence fondamentale non pas de la technologie mais de la psycholo-gie humaine. Chaque fois que les gens ont une connaissance suffisante de quelque chose, ils cessent d’y prêter attention. »

Mark Weiser, The Computer of the 21st Century, article.

// Nabaztag, Violet.

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L’Internet s’apprête à s’échapper du monde électronique pour partir à la conquête d’un monde bien plus réel, celui des milliers d’objets qui nous entourent. L’Internet des Objets, tiré du « Internet of Things » anglophone, serait-il la prochaine évolution du réseau qui va révolutionner notre façon de travailler, collaborer et vivre? Il semblerait que loin de devenir ces monstres futuristes qui ambitionnent de remplacer l’humain comme dans certaines œuvres de science-fiction, les ordinateurs vont se fondre dans les objets qui nous entourent. L’informatique, l’information numérique quitteraient le carcan du PC pour devenir omniprésente, invisible, partout et nulle part. C’est l’émergence de l’informatique ubiquiste. Les objets, les vêtements, les appartements, les meubles, les villes entières seront augmentés, riches de nouvelles possibilités, faisant naître de nouveaux objets, de nouveaux usages.

C’est à Mark Weiser, alors technologue en chef du centre de recherches du Xerox Palo Alto Research Center (Xerox PARC), que l’on doit, au début des années 90, l’expression « Informatique ubiquitaire ». L’informatique devait bientôt devenir « invisible, mais intégrée à toutes les boiseries » tout en étant « aussi infor-mative que reposante », résolvant des questions du quotidien telles que : « Où sont mes clefs de voitures ? Demain, va-t-il faire beau ? ». Prés de vingt ans plus tard, cette tendance s’amorce, on voit apparaî-tre de plus en plus d’objet dits commu-nicants. La société française Violet se veut la pionnière de l’Internet des Objets grâce à Nabaztag, le lapin multifonctions connecté à l’Internet qui a conquis le monde en devenant l’icône d’une nouvelle ère. Il vit sa vie, tranquillement, scrutant en permanence le réseau pour rendre les services que vous lui demandez, assurer les missions que vous lui confiez, vous informer en temps réel, vous transmettre les messages que vos amis vous envoient.

// Mir:ror, Violet

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Désormais, l’entreprise a franchi un cap supplémentaire avec son nouveau produit Mir:ror, autre dispositif connecté à un ordinateur. Il reconnaît les objets que vous lui montrez et accomplit les tâches que vous lui avez attribuées. La start-up fran-çaise a également inventé le timbre digital fonctionnant grâce à la technologie RFID. Collez simplement ces timbres, après les avoir chargés en information, sur vos objets pour qu’ils deviennent interactifs et riches en contenu. Dès lors, les exem-ples d’applications sont infinis : présentez votre parapluie à un Mir:ror, il donnera la météo ; agitez votre porte-clés devant lui, il enverra un email à vos proches pour dire que vous êtes de retour.L’agence NoDesign, dirigée par Jean-Louis Frechin, fait figure de chef de file français en matière de design de l’Internet des objets. Le projet « Interfac(es) » propose un métissage entre les nouvelles techno-logies et les objets légitimes de la maison

(mobiliers, éléments de décoration, de confort, d’éclairage, etc.). Ces objets deviennent ainsi des interfaces supports, émetteurs ou récepteurs de services en ligne. L’agence NoDesign a tenté d’intégrer les technologies à l’univers domestique en proposant des matérialisations discrètes et douces. On notera le désir d’enfouir les ordinateurs dans nos objets quotidien (tapisserie, mobilier), afin de leur donner plus de simplicité, de légèreté, avec une interaction «naturelle» via des analogies gestuelles. Malgré une simplification de l’usage réussie, je regrette l’aspect encore trop technologisant des objets (papier peint façon jeu vidéo Pong, étagère dans un style un peu brut, ou encore façon carrosserie d’automobile pour l’étagère néo-juke box utilisant le logiciel itunes). Au final, des objets intéressants mais peu compréhensibles sans explications préalables.

// WaSnake, Nodesign

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// WaDoor, Nodesign

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// WaNetLight, Nodesign

// Wazz, Nodesign

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Depuis quelques années, la mode est au tactile dans la téléphonie mobile et la bureautique personnelle. Popularisée par l’iPhone d’Apple, les constructeurs s’y engouffrent : chacun propose son produit tactile qui se veut intuitif. L’iPhone, outre la nouveauté de son écran tactile, a remis au premier plan l’ergonomie de l’inter-face. Cet élément remodèle le paysage de la téléphonie mobile mais aussi celui des ordinateurs portables, comme l’EeeTop d’Asus, ordinateur tactile lowcost. La tech-nologie utilisée dans l’iPhone est celle du Multi-touch. Elle se compose d’un écran tactile ou d’un touchpad qui reconnait des points de contact simultanés et multiples ainsi que d’un logiciel qui les interprète. La position et le degré de pression de chaque point de contact sont pris en compte de façon indépendante, permet-tant d’effectuer des gestes et d’interagir avec plusieurs doigts, de créer une inte-raction riche par des gestes intuitifs. Les recherches du centre Microsoft research vont plus loin. Encore au stade d’expé-rimentation, elles préfigurent un avenir où les interfaces évoquent celles utilisées par le héros de Minority Report, un film de science-fiction américain réalisé par Steven Spielberg. On parle beaucoup de

la table Surface, cet ordinateur tactile d’un nouveau genre intégré à une table de salon. Dans un registre beaucoup plus futuriste, Microsoft research travaille à un écran nommé TouchLight. Il s’agit d’une interface tactile combinant deux caméras à un projecteur diffusant les images sur un écran de verre. Ce système permet d’enregistrer et de diffuser des images simultanément. L’utilisateur peut déplacer, manipuler à la main les informations sur son écran de verre. Il peut même scanner un document en le déposant simplement sur la plaque. Microsoft research imagine des réunions de travail virtuelles, des cours interactifs en classe où le tableau noir (au-delà de l’actuel tableau numé-rique) devient surface de dialogue, voire cabine d’essayage virtuel de vêtements. Cette technologie pourrait être appliquée à la projection d’un clavier virtuel sur une surface ordinaire. Réduit à l’état de projec-teur associé à des capteurs de mouvement et de profondeur, le clavier deviendrait extrêmement mobile et transportable. C’est en réalité une technologie similaire que Microsoft research propose pour faire fonctionner la table Surface.

Le tout tactile

// Table Surface, Microsoft research

// EeeTop, Asus

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L’usage du tactile dans les produits tech-nologiques destinés aux seniors, comme les ordinateurs, intéresse de nombreuses entreprises. Certaines personnes âgées ont du mal à utiliser une souris d’ordi-nateur, car elles ne font pas forcément le

lien entre le déplacement du curseur sur l’écran et le mouvement à faire avec la main. L’écran tactile serait une solution pour simplifier l’usage de l’ordinateur et éviter ainsi de passer par un objet inter-médiaire, la souris.

// TouchLight, Microsoft research

// Technologie surface adaptée sur une

tablette d’avion , Microsoft research

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// Ordinateur à écran tactile Hello de Orange : ce produit

est fourni avec un accès inter-net, l’installation à domicile, et

une aide en ligne.

Curieusement, la technologie tactile ne trouve pas son public auprès des seniors et les ordinateurs qui en sont dotés (comme l’ordinateur portable à écran tactile d’Helvet Packard) se vendent peu aux plus de 60 ans mais plus facilement aux trentenaires. L’explication la plus probable à cette désaffection tient dans le degré de sensibilité de l’écran. En effet, le temps de latence entre le moment où l’on touche l’écran et l’action qui s’en suit peut parfois être de plusieurs secondes. On est alors tenté d’appuyer plusieurs fois, ce qui ralentit inévitablement le système et rend la démarche fastidieuse (propos recueilli auprès d’un vendeur-conseil en informatique).Malgré une volonté de rendre sensible l’utilisation des technologies, de faire de chaque action numérique une expérience unique, on reste très loin de l’émotion, de l’accessibilité. La gestuelle « tactile » est relativement pauvre. Elle se trouve lissée de toute infractuosité. Elle n’est pas réellement tactile, puisque la surface sur laquelle les doigts interagissent est lisse, plane : pour la mettre en œuvre, la vue

doit accompagner le geste. L’individu privé de certains de ses sens, tels que l’ouïe ou la vue, ne peut évoluer dans un monde lisse, où plus rien n’a de relief, ni de densi-té sonore, ni même d’odeurs. L’expérience doit être complète, elle doit jouer sur tous les sens, les perceptions. Elle doit être immersive. Quelques tentatives de recher-che abondent dans ce sens et tentent de prendre en compte le toucher. Il existe déjà des interfaces tactiles haptiques qui offrent une perception du toucher. Grâce à cette technologie baptisée « retour hapti-que », l’interface réagit au toucher par une vibration qui permet à l’utilisateur de savoir quelle action vient d’être réalisée, de la corriger si besoin. Outre des vibra-tions, l’écran tactile peut aussi renvoyer des sons, différents selon le menu, le texte ou l’image sélectionnée. Immersion Corp a ainsi développé la technologie VibeTonz, disponible sur près de 40 millions de téléphones dans le monde. Celle-ci permet à l’utilisateur de ressentir une vibration lorsqu’il effectue une action sur une surfa-ce tactile. Il a ainsi la confirmation de cette action. Le projet européen Multimodal

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Collaboration Environment for Inclusion of Visually Impaired Children (Micole) a déve-loppé une manette permettant aux enfants malvoyants de se servir plus facilement d’environnements informatiques. L’intérêt du système est de permettre aux jeunes d’utiliser leurs sens, le toucher et l’ouïe en particulier, pour manier les technologies de l’information et de la communication. Cette manette, appelée Bras haptique, permet de « ressentir » l’écran. Pour le moment, un seul programme est proposé : il permet aux enfants d’apprendre à connaître le système solaire. Les enfants non-voyants, accompagnés de leur binôme «bien voyant» se dirigent grâce au bras.

Celui-ci fonctionne comme une souris douée du sens du toucher : quand l’enfant passe sur une planète, il peut en suivre les contours qui lui apparaissent en relief. S’il s’éloigne trop de la zone dans laquelle il doit se rendre, le bras effectue une pres-sion qui lui permet de modifier sa trajec-toire. Il peut également créer lui-même des planètes et effectuer d’autres exer-cices, en dessinant des lignes sur l’écran qu’il ressentira en relief. Divers sons lui permettent de mieux s’orienter. Ces recherches laissent présager qu’un jour nous utiliserons des interfaces « tactiles » au sens étymologique du terme : tactile, qui est perçu par le toucher.

// Homère, Bras haptique

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Etude des TICs vis-à-vis des personnes âgées

Afin de mieux comprendre le point de vue des seniors sur la technologie, il m’a paru intéressant d’effectuer une étude sur les produits technologiques auxquels ils sont le plus sensibles. Pour cela, j’ai interrogé un vendeur du rayon informatique d’un magasin FNAC.En général, toute la gamme Apple bénéfi-cie d’une bonne image auprès des plus de soixante ans. En effet, d’après ce vendeur, la marque semble plus accessible lorsque l’on n’a pas d’antécédent sur le système d’exploitation Windows. Mac de Apple et Windows sont les deux systèmes d’ex-ploitation leaders sur le marché. Il est vrai qu’Apple bénéficie d’une image plus ergonomique, plus simple, tournée vers l’expérience de l’usager. Cette image est en grande partie le fruit d’un bon travail marketing et du design de leurs produits (ordinateurs, mp3, téléphones…) auquel la marque attache une grande importance. Une étude sur l’évolution de l’équipe-ment des foyers américains en ordinateur personnel, réalisée en 2006 par le cabinet de recherche MetaFacts, vient corroborer les dires de ce vendeur. Elle vient contre-dire l’image jeune, dynamique et urbaine que l’on a l’habitude de s’imaginer lorsque l’on évoque Apple. On pense bien évidem-ment aux nombreuses publicités mettant en scène les iPod donnant une image très décontractée d’Apple. On songe également aux courts épisodes publicitaires décalés où deux personnages représentent un Mac et un PC. Le premier est jeune, décontracté

et performant, tandis que le second est plus âgé et a un style vestimentaire plus austère. Pourtant, les utilisateurs améri-cains des ordinateurs de la firme à la pomme seraient plus âgés que chez ses concurrents les PC. La part des utilisa-teurs de plus de 55 ans d’ordinateur Mac représenterait 46%, c’est à dire près de la moitié. Cette tranche d’âge tombe à 25,2% en ce qui concerne les PC.Une deuxième information qui m’a été donnée par le vendeur en informatique est aussi corroborée par cette étude. Les consommateurs, dont les seniors, achè-teraient plus facilement des ordinateurs portables (quelque soit la marque) même si ces personnes ne sont pas amenées à faire des déplacements fréquents et l’utilisent plus largement dans leur foyer. L’étude indique que les ordinateurs porta-bles représenteraient 52% de la gamme des ordinateurs Apple présent dans les foyers américains. L’ordinateur portable est plus léger et plus mobile, on peut le ranger, le déplacer de pièce en pièce. Il a l’avantage de ne pas nécessiter de meuble dédié à son usage contrairement à son homologue, l’ordinateur de bureau. Il se plie, se range et sait se faire oublier. Qu’est-ce qui fait le succès des produits Apple auprès des plus de 50 ans ? Une rapide étude formelle s’impose. Apple privilégie pour ses produits des formes simples, intelligibles et rassurantes afin de mettre en confiance le consommateur. Peu de bouton, les accessoires s’intègrent

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parfaitement les uns aux autres, les câbles d’alimentation ne trainent pas, tout est conçu pour que rien ne vienne perturber la compréhension de l’objet. Cette idée de véhiculer une image propre, sans défaut, se poursuit dans le choix de la couleur phare de la marque : le blanc. Le blanc que l’on retrouve dans les produits, le logo, les concepts-stores, transmet une image hygiéniste où tout est dénué de microbes, de parasites. Il n’y a ni bugs, ni virus. Cette couleur (ou plutôt, cette non-couleur) a été reprise par d’autres marques concur-rentes à Apple. Le blanc est devenu peu à peu la nouvelle couleur de la technologie. Tout est conçu pour donner confiance en la qualité de l’objet. Il est reconnu que Jonathan Ive, responsable du design chez Apple, a été inspiré par Dieter Rams, figu-re importante du design fonctionnaliste

allemand dans les années 50 et 60, et responsable du design chez Braun jusque dans les années quatre-vingt dix. Ce dernier fait preuve d’une grande simpli-cité formelle dans ses dessins. Equilibre géométrique, harmonie des formes et des volumes facilitent la compréhension des produits. Un soin particulier est apporté aux commandes qui sont efficaces et fonctionnelles. Les produits imaginés par Dieter Rams transmettent une image intemporelle et de confiance dans la qualité de l’objet. Intelligibilité du produit, confiance, intemporalité, compréhension, ergonomie, simplicité, toutes ces notions séduisent bien évidemment les seniors, car ils sont beaucoup plus sensible à ces problématiques.

// T3 pocket radio, Braun

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Obstacles dans l’utilisation des TICs

A partir de 55 ans, le vieillissement de notre corps se fait de plus en plus remar-qué. Même si les ennuis de santé se font moins ressentir à la soixantaine que vers les quatre-vingts ans, chaque senior peut sentir que son corps a changé. Les affec-tions les plus courantes à partir de la soixantaine sont notamment, les troubles de la mémoire, la presbytie, la perte de sensibilité aux couleurs, la difficulté à percevoir les contours des formes, la dimi-nution des facultés de préhension et de manipulation. Pour finir, le corps devient moins flexible. Cette série de caracté-ristiques fait que les produits numéri-ques qui sont disponibles sur le marché aujourd’hui sont difficiles à manipuler par les seniors.A titre d’exemple, les écrans de petite taille et de haute résolution, comme ceux présents aujourd’hui dans la plupart de téléphones portables, sont difficiles à lire pour les personnes atteintes de presbytie. L’écran est d’ailleurs le principal canal de communication de la machine à l’usager. En plus, les claviers de ces types d’appa-reils sont assez petits et donc difficiles à manipuler pour les personnes qui ont commencées à développer des problè-mes d’articulations. Les problèmes ne se manifestent malheureusement pas qu’au niveau physique, ils sont aussi présents au niveau psychologique. Les seniors restent et ont besoin de rester socialement actifs. La communication est un élément

essentiel de la constitution et du maintien du réseau social. Il est donc préoccupant de voir que les produits numériques se substituent progressivement aux produits traditionnels de communication, auxquels les seniors étaient déjà habitués, sans prendre en compte leurs limites lors de leurs conceptions.

Lors de mes recherches, j’ai eu l’occasion d’observer l’apprentissage du fonction-nement d’un téléphone portable par une dame de soixante-dix-sept ans. Madame Morize possédait déjà un téléphone portable de la marque Nokia dont elle avait un usage limité: appeler en cas de soucis, éventuellement les secours lors de ses promenades, parfois pour appeler sa famille. Lorsqu’elle a dû changer son télé-phone, elle a opté pour un téléphone Doro PhoneEasy 345gsm. Celui-ci est conçu pour les personnes âgées : il possède un large écran avec un fort contraste, de gros-ses touches, une prise en main aisée. De plus, il ne fait pas « siffler » les appareils auditifs. Ces caractéristiques imaginées pour satisfaire les besoins des seniors en font un produit idéal pour Madame Morize. Malgré tout, l’apprentissage ou plutôt le réapprentissage de l’usage de ce téléphone portable ne s’est pas fait sans heurt. Le passage d’un portable à l’autre, pourtant d’interfaces similaires, a soulevé quelques difficultés. Il a fallu que Mme Morize réapprenne de nouveaux

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automatismes car elle avait pris des habi-tudes d’usage et de gestuelle. Sur le télé-phone Doro, il y a un bouton unique pour allumer et éteindre le téléphone alors que sur le téléphone Nokia le même bouton servait à raccrocher lors d’une conversa-tion et à éteindre le téléphone. Cette petite différence a perturbé ses automatismes. Une deuxième difficulté vient des deux boutons multitâches situés sous l’écran, présent sur la plupart des appareils de ce type, notamment le téléphone Doro. La

fonction de ces boutons change suivant ce qui est écrit sur l’écran. Cette particu-larité est difficile à comprendre pour une personne fonctionnant par automatisme, par habitude, voire par du « par cœur ». Le système du menu déroulant est un obstacle supplémentaire car il est difficile de percevoir le cheminement pour aller d’une fonction à l’autre. Ici, le savoir « par cœur » permet de contourner la difficulté de compréhension.

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A ce stade du mémoire, il me semble important de rappeler les fondements du Design pour tous dans lequel s’inscrit mon projet. Partie des États-Unis avec la loi American with Disabilities Act (ADA) de 1990 et connue sous le nom d’Universal Design ou d’Inclusive Design, la démarche s’est étendue au Canada, au Japon et dans une grande partie de l’Europe sous le nom de Design for all. Dans ses documents, la Commission Européenne utilise principa-lement la traduction française de Design pour tous. En 2001, elle en donne la définition suivante :« Le Design pour Tous

vise à concevoir, développer et mettre sur le marché des produits, des services, des systèmes ou des environnements courants qui soient accessibles et utilisables par le plus large éventail possible d’usagers. »

Le Design pour tous répond à sept principes. Ceux-ci peuvent être utilisés pour évaluer les conceptions existantes, épauler les réflexions en matière de design et éduquer les designers comme les consommateurs sur les caractéristiques les plus utiles de leurs produits et de leur environnement.

Le design pour tous

// OXO, Good Grips Kitchen Tools, (1990).

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1_ Un usage équitable.Le design a pour objectif d’aider et de faciliter la vie de toutes personnes face à toutes situations handicapantes. Il doit donc offrir le même niveau de fonction-nalités à tous les utilisateurs. Il doit éviter toute discrimination entre ces derniers. Il permet une sécurité optimale pour tous les utilisateurs, quelque soit leurs capaci-tés ou niveau d’exposition face au danger. Un design approprié, contemporain, esthétique, agréable à toute personne.

2_ Un usage modulable.Le design pour tous rend le produit adap-table aux capacités des différents indivi-dus : mobilité, force, particularités physi-ques ou sensorielles. En offrant différentes méthodes dans le mode d’utilisation d’un produit, il permet une meilleure adapta-tion au besoin fonctionnel de l’individu. Il facilite l’utilisation, la manipulation et la précision des gestes.

3_ Un usage simple et intuitif.Quelque soit l’expérience de la personne, sa capacité d’expression et de compréhen-sion, l’utilisation d’un produit doit être facile. Ainsi, les personnes handicapées, quelque soit leur handicap, notamment cognitif, les personnes âgées qui pour-raient être atteintes de troubles de la mémoire ou de la compréhension, ne doivent pas être lésées.

4_ Des informations perceptibles.Un objet doit être conçu pour communi-quer à l’utilisateur toutes les informations qui lui sont nécessaires, quelques soient ses facultés sensorielles.

5_ Le droit à l’erreur et à l’imprévu.La conception de l’objet doit prendre en compte les conséquences des gestes acci-dentels, hasardeux et les minimiser.

6_ L’utilisation ne doit pas nécessiter un grand effort physique.L’objet doit permettre à tous les utilisa-teurs, même aux plus faibles, de diminuer la fatigue au quotidien, en évitant les actions répétitives.

7 _ Un environnement d’usage adapté.Il s’agit d’aménager les espaces afin de faciliter la préhension, la posture, la mobi-lité et les manipulations: laisser suffisam-ment de place pour que l’utilisateur puisse accéder là où il le souhaite, avec un équi-pement ou avec un accompagnant, mettre les choses à la portée de toutes personnes, qu’elle soit en fauteuil ou debout.

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Le lecteur CD mural dessiné par Naoto Fukasawa répond bien aux principes du « Design pour tous ». Je ne sais s’il a été conçu avec ces critères mais sa simplicité d’utilisa-tion me semble tout à fait adaptée aux person-nes ayant une ou plusieurs déficiences cogni-tives. En effet, il suffit de tirer sur la cordelette pour mettre en route et arrêter l’appareil. Ce système d’interaction rend l’objet accessi-ble aux malvoyants, aux personnes ayant des difficultés de préhension, de dextérité ou de mémoire. Son utilisation ne nécessite pas de grand effort physique, le placement du CD est facile avec la possibilité de disposer le lecteur sur un mur à la hauteur souhaité.

// Lecteur CD mural, designer Naoto Fukasawa,

fabricant Muji.

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Les principes du design pour tous, sont des points importants que nous devons prendre en compte dans la conception de tout produit. Cependant, le cas des objets communicants nécessite un huitième point tant leur usage est complexe. Utiliser les nouvelles technologies demande des compétences particulières, un apprentis-sage en amont. Les moyens de communi-cations en devenant numériques intro-duisent un nouveau concept : l’immatériel. Pour nous permettre d’interagir avec cet immatériel, les concepteurs ont développé des abstractions difficiles à comprendre qui excluent de l’usage une partie de la population, dont les seniors. Revenir vers des pratiques naturelles, vers un usage instinctif de l’outil permettrait d’éviter

cette exclusion en ancrant l’objet dans des références d’usage, en s’appuyant sur des savoir-faires déjà établis. L’autre point important à prendre en compte, pour faciliter la compréhension de l’objet communicant, est son pouvoir évocateur. Ce point, les gérontechnologies actuel-les ont trop tendance à l’oublier. L’objet communicant s’anime et raconte des histoires, tel un objet d’enchantement. Il substitue à la communication primaire de l’humain vers l’humain, la communication de l’humain vers la machine. L’objet et son immatérialité deviennent alors un support de projections imaginaires, de désirs mais aussi de craintes qui peuvent s’exacerber chez le sujet âgé.

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Être relié, connecté, à l’heure des nouvelles

technologies

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Les modes de communications évoluent. Depuis toujours, nous avons su adapter les avancées technologiques afin de faciliter les communications et les relations entre les hommes. Depuis peu, nous avons franchi un nouveau cap. La vie quoti-dienne de millions de personnes a été bouleversée par l’Internet, qui nous relie les uns aux autres, indépendamment des distances et des fuseaux horaires. Internet a inauguré une nouvelle façon de commu-niquer. S’il permet de faciliter les commu-nications d’individu à individu, il permet aussi celles de l’homme à la machine et de la machine à la machine. La communi-cation « machine à machine », de l’an-glais « machine to machine » (M2M), est l’association des technologies de l’infor-mation et de la communication avec des objets dits intelligents et communicants. Cela dans le but de fournir à ces derniers les moyens d’interagir sans intervention humaine avec le système d’informa-tion. Les objets inanimés pourront ainsi communiquer les uns avec les autres par voie électronique. Par exemple, les réfri-gérateurs pourront échanger des infor-mations avec les rayonnages des super-marchés, les machines à laver pourront faire de même avec les vêtements. Cette notion de connexion entre monde réel et monde virtuel de l’Internet est appelée «l’internet des objets». On peut prévoir que l’environnement de demain four-millera de réseaux invisibles de micro-

processeurs communiquant tous les uns avec les autres, sans que nous nous en rendions compte. Le défunt Mark Weiser, ancien Directeur du Centre de recher-ches de XEROX à Palo Alto, en Californie (Etats-Unis), préfigurait en ces termes notre avenir lorsqu’il a inventé, en 1991, le terme d’«informatique ubiquitaire»: «Les technologies les plus profondément enracinées sont les technologies invisi-bles. Elles s’intègrent dans la trame de la vie quotidienne jusqu’à ne plus pouvoir en être distinguées.» Les communications à distance se font par l’intermédiaire de messagers mais aussi d’objets. Ces objets fortement chargés de sens, d’émotion, sont en train de se métamorphoser : une nouvelle caté-gorie d’objets émerge. Celle où les objets deviennent nos interfaces privilégiées vers le monde numérique. Seules interfaces physiques dans un monde immatériel, leur perception devient d’autant plus impor-tante. En effet les formes et fonctions de ces nouveaux objets communicants sont encore instables, en mutation. Les objets techniques s’inscrivent dans une histoire culturelle de longue durée. L’objet est un lieu de projections, le produit d’une culture qui construira son identité, son image. Toute innovation technique émerge dans un environnement culturel précis. Dans cette dernière partie, il s’agit de défi-nir quels sont les éléments constitutifs de l’imaginaire des objets communicants.

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Fantasmes et craintes de l’objet technologique

4 Le nouveau Petit Robert de la langue française 2008, définition du mot Robot. 5 Homère, Iliade, Chant XVIII.

A travers l’Internet des objets et les nouveaux objets communicants, il y a la réminiscence de la pensée magique puis-que nous utilisons des objets qui réalisent des actions sans que la plupart d’entre nous sache comment cela fonctionne. Leur fonctionnement est miniaturisé jusqu’à l’infiniment petit (nanotechnologies). Les objets techniques redessinent la frontière entre nature et artifice. En les dotant de facultés cognitives jusque là propres aux humains (communiquer, prévoir, infor-mer, alerter, aider, etc.), ils deviennent de nouveaux supports de facultés humaines comme par exemple l’ordinateur, l’agenda électronique, le téléphone portable, le Nabaztag, etc. Ces objets communicants interagissent entre eux mais aussi avec l’homme. Avec des facultés semblables aux humains (mémoire, raison, communica-tion), ils s’apparentent à des robots dont la forme la plus aboutie est l’humanoïde. En effet, le robot est un « mécanisme automatique à commande électronique pouvant se substituer à l’homme pour effectuer certaines opérations4 ». L’image de l’homme automatisé prend son origine dés l’antiquité gréco-romaine. Héphaïstos, dieu du feu terrestre et de la métallurgie, fabriqua deux automates représentant deux belles jeunes filles sur lesquel-les il s’appuyait pour déambuler dans son palais. Ces automates marchaient et parlaient, comme des femmes et semblaient douées de raison mais elles

ne respiraient pas et elles n’avaient que l’apparence de la vie5. Au XIXème siècle, la technologie permit d’imaginer des créatures mécaniques. La littérature de science-fiction, apparue à cette époque autour du thème des robots est foison-nante et se fait le témoin de la crainte qu’on les humains d’être remplacés par leurs propres créations. Aujourd’hui, l’automate à forme humaine, l’androïde ou l’humanoïde, commence à s’échap-per du monde de la science fiction pour intervenir dans le monde réel. Il est vu, notamment au Japon, comme une solu-tion possible pour pallier aux handicaps et défaillance physique, ou encore aux besoins d’ordre affectif. L’IFF Research Institute (Université de Tokyo- Japon) en collaboration avec Fujitsu Laboratories a réalisé un robot dont l’objectif est d’aider les personnes âgées. Mamoru est un robot équipé d’un système vidéo de traitement de l’image, de détection de mouvement ou encore de reconnaissance d’objets. Doté d’un large champ de vision, il a été conçu pour aider les personnes à retrouver des objets égarés tels qu’une télécom-mande par exemple. C’est également un compagnon utile qui ne manquera pas d’indiquer qu’il est l’heure de prendre ses médicaments. Couplé à un réseau de capteurs RFID, pouvant notamment être intégrés dans les pantoufles de l’utilisa-teur, Mamoru devient capable de détec-ter la personne âgée en cas de besoin.

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// Fritz Lang, Métropolis, extrait du film, (1920).

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// Tokyo’s elite Waseda University, Twendy-One,

robot d’aide à la personne, Japon, (2007).

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Twendy-One, un autre robot humanoïde, est capable d’aider les gens dans diver-ses tâches quotidiennes comme sortir de son lit ou préparer le petit déjeuner. Il a été développé par le professeur Shigeki Sugano au sein de la Tokyo’s elite Waseda University, au Japon, afin de venir en aide aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Si les Japonais entretiennent un rapport familier et décomplexé à la robotique humanoïde, ce n’est pas le cas de la plupart des pays occidentaux. En effet, l’image du robot véhiculée par la littérature et le cinéma la création dépas-sant le créateur fait peur. Les différences de perception de la technique sont d’ordre

culturel. « L’héritage religieux (mono-théiste ou animiste) préside au rapport que l’homme entretient avec le monde technique. Les cultures de tradition animiste, comme le Japon par exemple, ont un rapport moins problématique à la technique. » C’est la théorie soutenue par Stéphanie Chifflet, doctorante au Centre de Recherche sur l’Imaginaire de l’Univer-sité Stendhal-Grenoble III6. Ceci explique-rait en partie la popularité des robots dans la société japonaise.

6 et 7 Stéphanie Chifflet, L’imaginaire des objets communicants : les objets magiques du Moyen-Âge, article, colloque MEOTIC de l’université Stendhal, (novembre 2007.)

// IFF Research Institute et Fujitsu Laboratories, Mamoru, robot d’aide à la personne, Japon, (2007).

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// Horloge du film Harry Potter qui indique où le héros et ses amis se trouvent.

// Microsoft research, Horloge basée sur un système de géoloca-lisation, Cambridge,

(2007).

Toujours selon Stéphanie Chifflet7, la perception des objets innovants est héri-tée de l’image des objets merveilleux de la littérature médiévale et de la littérature de science-fiction. Il y a dans ces objets la réminiscence de la pensée magique, puis-que ce sont des objets qui réalisent des actions sans que l’on sache comment ils fonctionnent. Dans ces œuvres, les héros se voient attribuer des objets magiques aux pouvoirs étranges, certains de ces objets contrôlent et dépassent la volonté de celui qui les porte. Ils exprimeraient la peur de perdre toute maîtrise sur ce qui se passe et se dit. Cette peur nourrit les inquiétudes sur les objets technologi-ques, celles d’objets qui en sauraient trop sur la vie privée de leurs propriétaires et qui pourraient les trahir. Il s’agit ici de la même peur que suscite la robotique, celle d’être soumis à un pouvoir supé-rieur. Auparavant il s’agissait d’un pouvoir magique, aujourd’hui il s’agit d’un pouvoir technique issu de l’ingénierie, mais incom-préhensible pour beaucoup. Il est intéres-sant de noter que la littérature fantastique trouve un écho dans les recherches tech-nologiques et inversement. La littérature a toujours été représentative de l’état

d’esprit d’une civilisation, et les parallèles entre science et littérature peuvent parfois être troublants. C’est le cas, par exemple, d’une horloge d’un genre particulier mise au point en 2007 par le centre Microsoft research de Cambridge. Celle-ci aurait été directement inspirée de l’horloge de la famille Weasley dans le livre Harry Potter. Cette horloge permet de localiser les membres d’une famille selon leur position géographique, tout comme celle du centre Microsoft research. A la différence près que cette dernière fonctionne par géoloca-lisation, et non par magie. Les nouveaux objets techniques sont une nouvelle déclinaison d’une même idée : la magie au service de l’homme où la techni-que deviendrait un moyen d’accéder à des pouvoirs surhumains, divins. L’homme est aussi un être irrationnel, son rapport aux choses et au monde est de l’ordre de l’af-fectif et du symbolique. C’est à travers un prisme culturel qu’il perçoit les objets qui l’entourent. L’image d’un objet technique est connotée. Les objets communicants n’ont pas uniquement une fonction. Ils sont porteurs de sens, un sens qu’il est néces-saire de savoir saisir dans son contexte culturel originel.

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Les réseaux reliant les objets communi-cants sont par essence invisibles, imma-tériels. Tout est connecté, interconnecté. A travers les réseaux, les informations s’échangent, se partagent, se propagent mais restent immatérielles, impalpa-bles sans l’interface physique de l’objet communicant. L’invisibilité d’un système ou d’un objet nourrit les fantasmes et les craintes. Comment représenter quel-que chose que l’on ne voit pas ? Deux thèses, en apparence opposées mais en réalité complémentaires, ont été exposées lors des Entretiens du Nouveau Monde Industriel en novembre 2009. La première est que l’objet communicant se doit d’être hypermatériel, et la seconde est que l’en-veloppe de l’objet importe peu. L’objet communicant doit d’abord être considéré comme un objet, car il est visible, palpable, manipulable, intelligible. L’hypermatérialité rassure, évoque, provo-que. Elle permet le dialogue avec l’usa-ger, la compréhension de l’usage et son acceptation. A l’instar des objets dits, par convention sémantique, traditionnels, ils véhiculent leur part de sensibilité, d’émo-tion, d’imaginaire. L’objet communicant est un objet hybride au point d’interaction avec l’utilisateur, entre le matériel et l’im-matériel (dans sa production de service). Je citerai ici Alain Cadix, directeur de l’Ecole nationale supèrieure de création industrielle lors de son intervention aux Entretiens du Nouveau Monde Industriel 2009, « le design de l’objet communi-cant, par essence instable, mouvant et

souvent mobile, donc décontextualisé, doit proposer une morphologie adéquate pour chaque usage, pour chaque contexte, pour chaque usager qui doit pouvoir mettre l’objet à sa main ». Le design des objets communicants appelle donc de nouveaux modes de pensée. L’internet des objets a-t-il quelque chose de vraiment neuf et désirable à nous apporter ? Sans doute, à condition de s’ouvrir à l’imaginaire, à la soif d’échan-ger, à l’énergie productive des gens, à la capacité de s’exprimer au travers de choses et non plus d’écrans. C’est ce que tente de faire Matt Cottam. Ce designer a réuni une équipe d’ingénieurs, designers, artistes, pour travailler à la rencontre du numérique et du physique. L’expérience des « Pairs » consiste en six paires d’objets en bois s’emboitant l’une dans l’autre. Chaque pair contient de l’électronique intégrée, qui permet aux éléments de s’échanger des informations lorsqu’ils sont emboités entre eux. L’intérêt de l’expérience réside dans l’usage du bois en tant que matière organique « augmen-tée ». Chaque paire a subit diverses interventions : patinée, gravée, dessinée, mâchouillée, tâchée, trempée dans l’eau salée. L’objet transmettant des données (la mémoire numérique) devient d’autant plus chargé d’émotions qu’il est marqué (tâches, eau, etc.). Il y a de la poésie dans cet objet. Il devient familier. Il n’est plus étranger, effrayant. Il prend du sens. En ayant une démarche poétique, on imagine d’autres expériences.

Matérialiser l’immatériel, deux thèses s’affrontent

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// Matt Cottam, The Pairs,

(2009).

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Pour Frédéric Kaplan, ingénieur en robo-tique, ce n’est pas tant l’objet qui importe mais le service qu’il offre. L’ordinateur tel que nous le connaissons aujourd’hui serait un objet de transition vers le cloud computing (informatique dans les nuages). Les ordinateurs ne seraient que des interfaces vers un méga-ordinateur planétaire (le réseau). Le cœur de l’ob-jet, l’information, se trouverait dans le réseau. L’objet communicant est donc une porte y donnant accès. « C’est un pont entre deux mondes. Contrairement à une table, une chaise, un sabre ou une tasse, un objet électronique peut prendre une forme quelconque. Il peut être n’importe quoi. »8 En tant qu’objet, il ne compte pas. Même si il est un objet de désir lors de l’achat, la rapidité avec laquelle il devient obsolète fait que l’on ne s’y attache pas. Pourquoi ces objets, pourtant convoités, n’arrivent-ils pas à prendre de la valeur ? Contrairement aux autres objets techni-ques qui nous entourent, les objets élec-troniques sont jeunes et ne bénéficient pas de longues traditions artisanales ou industrielles.

Il me semble qu’en donnant accès au monde virtuel, l’objet communicant est en réalité un support de service. Contrairement aux autres objets dont la forme est en partie dépendante de la fonction, l’objet communicant offre un service immatériel. Il peut, comme l’avance Frédéric Kaplan, prendre n’im-porte quelle forme. Malgré tout, sa forme ne peut être décidée au hasard. L’objet est le point d’interaction entre le service et l’utilisateur. Il m’apparait alors que sa forme et sa représentation permettent de faciliter la compréhension du service. Une expérience d’usage agréable dépend de la façon dont on perçoit l’objet. En cela je rejoins Alain Cadix. L’hypermatérialité d’un objet facilite notre relation à celui-ci. La possibilité de sentir, de toucher un objet ancré dans la réalité permet de facili-ter la compréhension de l’objet et de son service. Ce que l’on ne voit pas, on ne le comprend pas. Ce point me parait particu-lièrement important, notamment lorsque l’on imagine des objets communicants dédiés aux seniors. L’hypermatérialité d’un objet pourrait permettre d’éviter les peurs, les angoisses que les objets communicants suscitent. Celles d’un objet qui pourrait dépasser la volonté de son propriétaire. Si la forme de l’objet commu-nicant n’est pas contrainte par la fonction, elle sera tout de même contrainte par la perception culturelle que l’on en a.

8,9 Frédéric Kaplan, La métamorphose des objets, Edytions FYP, (2009).

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Comme exposé prècedemment, le déve-loppement des objets communicants est accompagné d’un imaginaire propre, produit d’une culture. Ces objets sont les lieux de projections, de cristallisations de peurs et de fantasmes profonds, propres à tous les objets techniques. Les objets qui « comptent », ceux dont on ne veut pas se séparer, sont des objets de mémoire, de rêverie, de jeu. Pour Frédéric Kaplan, ils sont tous dotés d’une double dimension. « Ils sont physiques, incorporables, leur forme invite à la métamorphose. Ils sont historiques et offrent la base matérielle pour se souvenir, pour rêver, pour réflé-chir. Ces deux fonctions intrinsèquement mêlées dans leur structure sculptent implicitement les pratiques quotidiennes : ce que je fais, ce que je pense, ce que je suis. »9 L’objet communicant agit par sa fonc-tion, il transmet des informations. Mais il communique aussi en tant qu’objet. Il communique un passé, une histoire, une culture, à travers sa forme, son usure, etc. L’objet au sens large (traditionnel, technique ou technologique) est pour Bernard Stielger10, philosophe, un support de mémoire qui forme un système de mémoire avec d’autres objets. A travers sa relation à l’objet, la psyché de l’indi-vidu s’y dépose et y laisse ses traces. C’est parce que les objets sont de tels porteurs de mémoire que l’archéologue peut, en

l’absence d’écriture, reconstituer des modes de vie passée. L’objet constitue une troisième mémoire, qui n’est ni génétique, ni nerveuse, de l’être humain : une mémoi-re culturelle, celle du genre humain. Cette mémoire culturelle est tout d’abord héri-tée, puis individuellement appropriable. L’objet constitue un trait de l’individu (le pinceau du peintre, le doudou du bébé), une trace, un témoignage d’une vie passé. L’objet sera plus ou moins chargé d’histoi-re, de psyché en fonction de l’importance qu’on lui donne. Mais tous seront chargés en souvenirs d’instants passés. L’objet porteur de psychisme peut s’interpéné-trer avec d’autres : on peut emprunter cet objet, le voler, le partager. En cela, il s’inscrit dans un contexte psycho-sociétal. On se sociabilise à travers les objets (le partage, la propriété, l’échange). On trans-met, par exemple, des objets familiaux qui deviennent ainsi une partie de la mémoire familiale.

Objets communicants/ Objets transitionnels

10 Bernard Stielger, Entretiens du nouveau monde industriel : Objets réticulés et hyperobjectivité, conférence, 26 et 27 novembre 2009.

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Dans Esquisse d’une théorie générale de la magie11, Marcel Mauss, anthropolo-gue, introduit le thème du mana. Dans la société mélanésienne, le mana est ce qui peut se fixer sur un objet comme si celui-ci pouvait se charger du pouvoir qu’est le mana. « Le mana n’est pas simplement une force, un être, c’est encore une action, une qualité et un état. En d’autres termes, le mot est à la fois un substantif, un adjectif, un verbe. On dit d’un objet qu’il est mana, pour dire qu’il a cette qualité ; et dans ce cas, le mot est une sorte d’adjectif (on ne peut pas le dire d’un homme). On dit d’un être, esprit, homme, pierre ou rite, qu’il a du mana, le mana de faire ceci ou cela. […]Le mana est proprement ce qui fait la valeur des choses et des gens, valeur magique, valeur religieuse et même valeur sociale. […] Il est par nature transmissible, contagieux ; on communique le mana qui

est dans une pierre à la récolte, à d’autres pierres, en les mettant en contact avec elles. » C’est cette notion de transmis-sion qu’il est intéressant de noter ici : l’idée qu’un objet transmet une force, un pouvoir à d’autre. Dans la culture polyné-sienne, le don d’un objet (taonga) appelle un autre don en échange. Ici, l’objet chargé en mana, acquiert ce que les polynésiens appellent le hau (hau a deux sens: la paix et «en plus»). L’objet chargé de hau (d’un plus), n’est pas une chose inerte. A chaque échange, à chaque nouveau propriétaire, l’objet se charge du hau du propriétaire et évolue. Il y a là, un parallèle indéniable avec l’objet de transmission même si il n’existe pas de mots, ni de concept défini dans la culture occidentale. L’objet se transmet et se charge de la personnalité, des traces, de chaque individu.

// Loïc Lobet, Objets (in)animés, cadre photo, (2009) : Ce projet joue sur les souvenirs que l’on associe subjectivement à des objets. L’objet révélateur est ici une boîte à souvenirs, connectée au réseau et équipée d’un lecteur RFID. Elle permet d’associer des photos et contenus numéri-ques à des objets, en leur assignant des étiquettes RFID.

« Objets inanimés avez-vous donc une âme ? »

Alphonse De Lamartine, Milly ou la terre natale.

11 Marcel Mauss, Esquisse d’une théorie générale de la magie, article originalement publié dans l’Année Sociologique, 1902-1903 (1903).

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En tant qu’interface matérielle d’une communication, l’objet communicant devient un interlocuteur à part entière. Il est le symbole d’une relation plaisante ou désagréable. Il devient un objet tran-sitionnel, le support de désirs. L’objet transitionnel tel que le définit le pédiatre et psychanalyste Donald Winnicott est, chez l’enfant, un objet matériel fortement investi par le tout petit et lui assurant la transition entre la première relation orale à la mère et la relation à l’objet. C’est le doudou, par exemple. Il devient un objet de projections où l’objet importe moins que l’usage que l’on en fait et les fantas-mes que l’on y projette. Cette faculté créa-tive à s’imaginer des choses, à les projeter sur des objets, continue de se manifester à l’âge adulte. Nous avons tous besoin d’être entendu, afin d’être sûr d’être pris en compte. Les nouvelles technologies de communication n’ont rien changé à cet état de fait. Serge Tisseron, psychanalyste, avance que les téléphones sont une façon de nier la sépa-ration. Ces nouvelles communications ont le pouvoir de créer l’illusion d’une conver-sation ininterrompue. Nous créons une union privilégiée avec un interlocuteur toujours disponible et attentif : la techno-logie de communication elle-même (MSN,

SMS, e-mails, téléphone, Skype, etc). Il va même jusqu’à écrire que « plus le corps de ceux avec lesquels nous interagissons s’efface et plus nous somme tentés de lui substituer celui des machines. Le toucher, par exemple, nous manque tellement que nous caressons volontiers nos télépho-nes »12. Les sens, autant que l’imagination, ont une importance primordiale dans la réhabilitation du corps face aux commu-nications à distance. Certains chercheurs (concepteurs, designers ou artistes), envisagent déjà de créer des objets ou des dispositifs technologiques que nous pouvons chérir et qui soient porteurs de charges émotionnelles. C’est déjà le cas avec the Kiss communicator, un prototy-pe-concept de IDEO. L’objet permet de souffler un baiser à votre bien-aimé quand il (ou elle) est à l’autre bout du monde. La vibration du souffle se transforme en message lumineux transmit au partenaire. De cette façon, il sait que vous pensez à lui ou à elle. L’apparence de l’objet, froide et futuriste, ne me semble pas en adéquation avec l’émotion et la symbolique que le geste d’envoyer un baiser implique. Elle crée une distance avec l’objet et le sens de la démarche.

.

12 Serge Tisseron, Virtuel mon amour. Penser, aimer, souffrir, à l’ère des nouvelles technologies, Editions Albin Michel, (2008)

// IDEO, The Kiss communicator,

(1999).

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Beaucoup plus réussi, Mutsugoto est un dispositif de peinture sur corps pour des partenaires à distance l’un de l’autre. A l’aide d’un capteur-bijou faisant office de pinceau lumineux, les amants peignent dans le vide. En laissant aller leur imagi-nation, c’est comme s’ils peignaient sur le corps l’un de l’autre. Un projecteur, situé au dessus de chaque lit, projette sur le corps d’un des amants le dessin lumineux réalisé par l’autre à distance et inversement. Un rituel doux, de caresses imaginées et de véritables auto-caresses, se réalise alors. Ce dispositif laisse libre cours à l’imagination, aux fantasmes. Un autre objet permet de transmettre à distance des gestes d’affections mais celui là va encore plus loin. The Hug, de Jodi Forlizzi du Human Computer inte-raction Institute (HCII), a été conçu pour fournir un soutien social et émotionnel pour les aînés qui vivent à distance des membres de leur famille. Ce robot offre une communication intime à travers une voix accompagnée par le toucher, la chaleur, l’éclairage et le son. Comme son

nom l’indique (Hug signifiant « câlin » en français), il transmet des « câlins » et messages vocaux directement à l’interlo-cuteur. Mais si celui-ci est absent, il peut aussi avoir son « câlin » ou son message vocal un peu plus tard. Cet objet me parait étrange et dérangeant dans son usage mais surtout dans sa forme. En effet, sa forme anthropomorphique évoque un corps mal développé, à demi-humain et à demi-machine. De plus, l’idée de donner à un robot, de façon littérale, une manifes-tation d’affection propre à l’humain afin de pallier au manque, me parait hors de propos. Cela risque de réveiller les inquié-tudes sur l’objet technologique se substi-tuant à l’homme décrites plus haut. En ne laissant pas libre cours à l’imagination, on ne permet pas l’appropriation de l’objet comme support d’affection. Cet exemple me permet de mettre une limite à l’idée d’objet transitionnel. Un objet communi-cant est transitionnel à la seule condition que son apparence et sa fonction puissent laisser le champ libre à l’imagination et donc à l’appropriation.

// Tomoko Hayashi, Stefan Agamanolis , Mutsugoto, a body-drawing communicator for

distant partners, Media Design Lab.

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// Jodi Forlizzi, The Hug,

Human Computer interaction Institute.

L’acceptation de l’objet communicant et du nouvel objet technologique ne pourra se faire que si, lors de sa conception, on parvient à garder à l’esprit que la relation à l’objet s’établit en fonction d’un contexte culturel et d’un imaginaire propre. Cette acceptation est le premier pas vers une appropriation facilitée de l’objet.

L’acceptation est donc un point important dans l’usage des nouvelles technologies, notamment par les laissés pour compte des avancées du numérique comme les seniors.

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Tout comme une histoire d’amour, la relation entre l’objet et son propriétaire ne peut débuter par une rupture et doit être amenée progressivement. Dans le cas des personnes âgées, il m’est apparu nécessaire d’ancrer l’objet dans des références d’usage déjà connues, accep-tés et comprises. Ceci afin de permettre une appropriation de l’objet plus rapide. Après l’analyse dont ce mémoire donne un aperçu, il m’a paru nécessaire que l’usage de l’objet passe par une gestuelle forte qui minimise l’usage de l’inter-face graphique. Un geste évident pour chaque objet permet de ritualiser l’usage et de favoriser sa compréhension : on comprend ce que l’on voit, ce que l’on peut ressentir. En mettant en place un rituel de communication, comme l’écriture et la conversation téléphonique, l’objet devient porteur de sens, de symbole. Privilégier une dimension sensorielle, sensible afin de retrouver l’émotion de l’échange, n’est pas en contradiction avec des contraintes d’ergonomie, de technologie, primordiales lorsque l’on imagine des produits dédies aux seniors.

D’ores et déjà, je peux définir quelques règles à suivre pour imaginer un produit ou service efficace. Il devra:

- ne nécessiter aucune formation : les utilisateurs n’ont pas le temps, ni l’envie d’apprendre.- ne nécessiter aucune installation complexe.- permettre une utilisation immédiate.- n’avoir aucune complication : l’utilisation doit être simple, évidente.- offrir un bénéfice personnel immédiat.

Ce cahier des charges permettra à mon projet d’être rapidement compris, d’être porteur de sens et de véritable innovation.

Le processus

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Les technologies de l’information et de la communication permettent de garder un lien à distance et d’échanger d’avantage sur l’intime. C’est le postulat de départ de mon projet. Il s’agit d’interroger les concepts de capacitation, d’innovation sociale à travers des produits destinés au senior. A cause de ses handicaps et de la disparition progressive de ses sens, la personne âgée vieillissante s’isole du reste du monde. Les TICs pourraient être une solution pour maintenir les relations entre l’aîné et les autres. Cependant, ils apparaissent parfois comme destinées non pas à cultiver le lien, mais à le maintenir à distance : ils ne doivent pas se substituer à la relation humaine. Ce n’est pas parce que l’on prend des nouvelles de ces proches, que l’on peut se passer de leur rendre visite.

Après analyse, je peux dire que les TICs jouent un rôle secondaire mais crois-sant dans le jeu de l’intergénérationnel. Certains pensent que nos aînés seraient incompétents, qu’ils appartiendraient à une autre ère technologique. Pourtant, les TICs peuvent compenser l’éloignement par un lien. Elles technicisent la relation, comblent un vide. Les TICs peuvent être aussi utilisées par les grands-parents dans une logique de renforcement du lien du type plus on se voit, plus on communique. Les seniors maintiennent le lien entre une fratrie et sont la mémoire d’une famille, son identité. Plus largement, comment le fait de « desi-gner » pour les seniors, peut-il ouvrir de nouvelles pistes d’innovation sociale pour un public plus large (la famille, les proches, les autres) ?

En conclusion

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Bibliographie. Olivier de Ladoucette, Guide du bien vieillir, Editions Odile Jacob.

. Alzheimer, Appel à projets design, Cité du design éditions, 2008.

. Brochure Orange Healthcare, Orange, 2008.

. Etude de l’Insee , La population de la France métropolitaine en 2050 : un vieillissement inéluctable.

. Régis Debray, Le plan vermeil, Editions Gallimard, 2004.

. Entretiens du nouveau monde industriel sous la direction de Bernard Stiegler, Le design de nos existences à l’époque de l’innovation ascendante, Edition Centre Pompidou, 2008.

. Audrey DODO, Fermer les yeux pour voir, autoédition, 2008.

. Serge Tisseron, Virtuel, mon amour, Editions Albin Michel, 2008.

. Maxence Layet, Frédéric Kaplan, Philippe Bultez Adams, Futur 2.0: Comprendre les 20 prochaines années, Editions Fyp, 2007.

. Joël De Rosnay, 2020 Les scénarios du futur, Editions Fayard, 2008.

. Frédéric Kaplan, La métamorphose des objets, Editions Fyp, 2009.

. Marie de Hennezel, La chaleur du cœur empêche nos corps de rouiller, Editions Robert Laffont, 2008.

. Frédéric Kaplan, La métamorphose des objets, Editions FYP, 2009.

. Bruce Sterling, Objets bavards, Editions FYP, 2009.

. Bill Moggridge, Designing interactions, Editions MIT, 2007.

. Marcel Mauss, Esquisse d’une théorie générale de la magie, article originalement publié dans l’Année Sociologique, 1902-1903 (1903).

. Stéphanie Chifflet, L’imaginaire des objets communicants : les objets magiques du moyen-âge, article, colloque MEOTIC de l’université Stendhal, (novembre 2007.)

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. Atelier internet pour senior, Tea time with Albertine : teatimewithalbertine.tumblr.com

. Association Accordages : www.accordages-intergeneration.com

. L’actualité des gérontechnologies - 19 décembre 2008

. Ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville. : www.travail-solidarite.gouv.fr

. Lexique de la Cité des Sciences et de l’Industrie. : www.cite-sciences.fr/lexique/

. Fédération Internet Nouvelle Génération : www.fing.org

. Site de conseil en stratégie de l’éditeur Sénior strategic : www.vieillissementdelapopula-tion.com

. Programme d’action et de recherche de la FING, sur la question du senior et des nouvel-les technologies : www.pluslonguelavie.net

. Secrétariat d’état à la Prospective et du Développement de l’écono-mie numérique : www.premier-ministre.gouv.fr/acteurs/gouvernement/secretariat_etat_prospective_evaluation_m621/

. Agence Nodesign : www.nodesign.net

.Grand débat gouvernemental France 2025 : www.france2025.fr

. Subtainable Everyday Project: www.sustainable-everyday.net

. Institut de Recherche et d’Innovation: www.iri.centrepompidou.fr

. Cap Digital, pôle de compétitivité des contenus numériques : digitallyours.fr

. Make, web magazine: makezine.com

. Arduino: www.arduino.cc

Webographie

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. Credoc, Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de vie : www.credoc.fr

. Distance lab, Laboratoire de recherche créative pour redéfinir et surmonter les désavan-tages de distance en réunissant de la technologie de médias numériques, la conception et les arts : www.distancelab.org

. Centre de ressource de Design pour tous : www.design-pour-tous.info

. Matt Cottam : http://www.openarts.org/matt/

. Entretiens du nouveau monde industriel 2009, sous Lignes de temps : http://amateur.iri.centrepompidou.fr/nouveaumonde/enmi/conf/

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Expositions et conférences. Les entretiens du nouveau monde industriel 2009, les 26 et 27 novembre 2009 au CNAM, Paris.

. France 2025, Cité des sciences et de l’industrie.

. Seniorlab, ateliers à La Cantine, PARIS.

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Mémoire réalisé sous la direction de Claire Fayolle

Achevé d’imprimer à Ecole Supérieure d’Art et de Design

de Saint-Etienne,Avril 2010

Je tiens à remercier l’ensemble des professeurs:Claire Fayolle, Rodolphe Dogniaux, Christophe Marx,

Eric Jourdan, Anouk Schoellkopf, Laurent Grégori, Juliette Fontaine, Damien Baïs.

ainsi que Madame Morize et mes proches.