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Numéro 20 novembre 2012 Journal d’information édité par la société des Amis du musée de Cluny, musée national du Moyen Âge P our l’équipe de restaurateurs mandatée, en 2011, pour examiner La Dame à la licorne, le diagnostic était clair : « Empoussièrement marqué et doublage trop lourd,qui pèse sur les tapisseries plus qu’il ne les soutient ». Ce constat, ajouté à la volonté de la direction du musée de Cluny d’amé- liorer la présentation de la tenture, fournissait deux solides motivations pour lancer, en 2012, une grande opération de res- tauration de l’œuvre-phare du musée. Afin d’en priver le moins possible les visiteurs, les six tapis- series sont décrochées à tour de rôle. C’est d’abord L’Ouïe qui a été traitée au printemps dernier, puis la dernière pièce de la série, Mon seul désir, remise en place le 31 juillet. En août et début septembre, c’était au tour de L’Odorat, avant La Vue en octobre-novembre, Le Goût en décembre, enfin Le Tou- cher en janvier-février prochains. « L’ordre de passage a été décidé en fonction d’impératifs pratiques: il a fallu faire coïncider les durées d’intervention prévues pour chaque pièce – selon son état et sa taille, soit de 190 à 273 heures de travail – et les plages de disponibilité de l’atelier », explique Raphaëlle Déjean, man- dataire du groupement de cinq restauratrices qui a emporté le marché. L’essentiel des tâches a, en effet, été réalisé au musée. Il n’était pas question, pour des raisons de sécurité et d’assurance, d’em- porter les précieuses tapisseries ailleurs.Tant pis s’il a fallu mul- tiplier les allers et retours entre la salle 13, au premier étage – où les pièces sont exposées et où il y a assez de place au sol pour pouvoir les étaler (les jours de fermeture) – et l’ate- lier qui sert aussi pour les campagnes photographiques et l’installation des expositions. Dans les créneaux restants, les restauratrices y travaillent assises à une grande table qui occupe presque tout l’espace, en y étalant une tapisserie – la plus petite mesure 10 m 2 , la plus grande 18 m 2 – ou en la roulant sur un métier installé sur un côté. Quatre étapes Malgré les apparences, l’opération engagée n’est qu’une intervention légère. « La tenture, en laine et soie, est globale- ment en bon état, assure Raphaëlle Déjean. Il ne s’agit que de la nettoyer et de la consolider. Pas question de retissage ou de repi- quage [retissage plus aéré]. Nous consolidons l’existant et évi- tons de nouvelles dégradations. L’objectif est de pouvoir continuer à exposer l’œuvre sans qu’elle ne souffre trop. » L’une après l’autre, les six tapisseries de La Dame à la licorne sont décrochées pour nettoyage et consolidation. Avant la rénovation de la salle... et un grand voyage au Japon pendant les travaux. La Dame à la licorne se refait une beauté © RMN-Grand Palais/Daniel Arnaudet .. / .. RESTAURATIONS

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Numéro 20 � novembre 2012Journal d’information édité par la

société des Amisdu musée de Cluny,

musée national du Moyen Âge

P our l’équipe de restaurateurs mandatée, en 2011, pourexaminer La Dame à la licorne, le diagnostic était clair :« Empoussièrement marqué et doublage trop lourd,qui

pèse sur les tapisseries plus qu’il ne les soutient ».Ce constat,ajouté à la volonté de la direction du musée de Cluny d’amé-liorer la présentation de la tenture, fournissait deux solidesmotivations pour lancer,en 2012,une grande opération de res-tauration de l’œuvre-phare du musée.Afin d’en priver le moins possible les visiteurs, les six tapis-series sont décrochées à tour de rôle. C’est d’abord L’Ouïequi a été traitée au printemps dernier, puis la dernière piècede la série,Mon seul désir, remise en place le 31 juillet. En aoûtet début septembre, c’était au tour de L’Odorat, avant La Vueen octobre-novembre, Le Goût en décembre, enfin Le Tou-cher en janvier-février prochains. « L’ordre de passage a étédécidé en fonction d’impératifs pratiques : il a fallu faire coïnciderles durées d’intervention prévues pour chaque pièce – selon sonétat et sa taille, soit de 190 à 273 heures de travail – et les plagesde disponibilité de l’atelier », explique Raphaëlle Déjean, man-dataire du groupement de cinq restauratrices qui a emportéle marché.

L’essentiel des tâches a, en effet, été réalisé au musée. Il n’étaitpas question,pour des raisons de sécurité et d’assurance,d’em-porter les précieuses tapisseries ailleurs.Tant pis s’il a fallu mul-tiplier les allers et retours entre la salle 13, au premier étage– où les pièces sont exposées et où il y a assez de place ausol pour pouvoir les étaler (les jours de fermeture) – et l’ate-lier qui sert aussi pour les campagnes photographiques etl’installation des expositions. Dans les créneaux restants, lesrestauratrices y travaillent assises à une grande table qui occupepresque tout l’espace,en y étalant une tapisserie – la plus petitemesure 10 m2 , la plus grande 18 m2 – ou en la roulant sur unmétier installé sur un côté.

Quatre étapesMalgré les apparences, l’opération engagée n’est qu’uneintervention légère. « La tenture, en laine et soie, est globale-ment en bon état, assure Raphaëlle Déjean. Il ne s’agit que de lanettoyer et de la consolider. Pas question de retissage ou de repi-quage [retissage plus aéré]. Nous consolidons l’existant et évi-tons de nouvelles dégradations. L’objectif est de pouvoir continuerà exposer l’œuvre sans qu’elle ne souffre trop. »

L’une après l’autre,les six tapisseries

de La Dameà la licorne

sont décrochéespour nettoyage

et consolidation.Avant la rénovation

de la salle... etun grand voyage

au Japon pendantles travaux.

La Dame à la licorne se refait une beauté©RMN-GrandPalais/DanielArnaudet

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RESTAURATIONS

Pratiquement, le travail commence toujours un mardi, jour defermeture du musée.Après un nettoyage soigneux de la salle 13,une tapisserie est décrochée,étalée au sol sur une bâche,dédou-blée, dépoussiérée par micro-aspiration.« Au bout de cinq minutesde manipulation, nos mains sont déjà noires », confirme AnneBreugnot,autre membre de l’équipe.À l’envers, les fils allant d’unepartie retissée à une autre sont coupés afin d’éviter les tensions.Si certaines zones de fragilité apparaissent, elles sont temporai-rement consolidées au fil blanc.Les restauratrices procèdent alorsà un constat d’état détaillé,avec des photos et des relevés qui poin-tent les repiquages et les retissages antérieurs, les zones d’usure,les lacunes, voire les pièces rapportées d’autres tapisseries.Depuis son entrée au musée en 1882, la tenture a fait, en effet,l’objet de quatre campagnes de restauration,dont l’une,en 1889-1892, a inclus des retissages importants dans les parties basses.Ces restitutions sont aujourd’hui très visibles car le coloris desteintures de synthèse utilisées en cette fin du XIXe siècle a beau-coup passé,contrairement à celui des parties d’origine.Le constatvisuel est complété par des analyses réalisées par le LRMH (Labo-ratoire de recherche des Monuments historiques de Champs-sur-Marne), un chercheur venant au musée avec ses appareilsafin de déterminer la nature des colorants utilisés et leur carac-téristiques.Cette première étape terminée, la tapisserie est envoyée au lavage,dans une entreprise spécialisée. Durant une douzaine d’heures,la pièce est disposée à plat sur un tamis, avec brumisation de lasolution de lavage (eau adoucie plus tensio-actif), rinçage puisséchage sous aspiration.

De retour au bercail, troisième étape : dans l’atelier, la tapisserieest installée sur un métier à restaurer,enroulée sur deux ensouples,entre lesquelles la main accède aux deux faces de l’ouvrage.« Celanous permet de travailler avec des aiguilles droites, précise AnneBreugnot. Les aiguilles courbes ne sont utilisées que lors des phasesde travail à plat, réduites au minimum car elles ne laissent pas la mêmemaîtrise des points d’entrée et de sortie. »Les restauratrices procèdent cette fois à une analyse techniquedétaillée,pour essayer de comprendre comment les liciers d’ori-gine ont procédé, par où ils ont commencé, etc. Une nouvellesérie d’analyses du LRMH permet également de mesurer les gainsde luminosité – réels – dus au lavage.Vient ensuite la consolidation des zones fragiles,notamment desrelais (coutures entre les zones de différentes couleurs). Pource travail minutieux, nos intervenantes utilisent du coton deBruges extrafin, teinté spécialement aux nuances de la tenturepar Cécilia Aguirre,une autre des cinq membres de l’équipe, spé-cialiste en la matière et qui n’utilise que des colorants naturels,très stables.« Nous ne savons pas toujours qui a fait quoi lors des interventionsantérieures sur la tenture, regrette Raphaëlle Déjean.Quant à nous,toutes nos interventions doivent être parfaitement rapportées et docu-mentées, indique-t-elle en montrant un grand calque sur lequeldes zones sont délimitées à l’aide de codes-couleurs.Documen-tées et, bien sûr, réversibles. »Sous la lumière de la lampe, des inégalités apparaissent dans letissage, des bouclettes dépassent… Normal ? « Ce sont des alté-rations minimes.Nous n’y touchons pas, il y faudrait dix ans ! », rétorqueRaphaëlle en riant. « Et puis, certains mouvements de la laine sontvolontaires, par exemple dans telle fleur, le licier a voulu donner uneimpression de relief », ajoute Anne Breugnot.Les zones de contactentre le tissage ancien et le retissage XIXe leur posent plus dequestions.Les parties ajoutées sont plus denses, trop résistantes,elle créent des tensions. « Notre intervention s’est voulue légère,nous ne les avons pas refaites. Peut-être nos successeurs le feront-ilsun jour ? Les techniques évoluent. »

2 Millefleurs n° 20, novembre 2012 Millefleurs n° 20, novembre 2012 3

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Quatrième phase : la pose d’une nouvelle doublure en lin, pluslégère que la précédente, qui était en toile métis très épaisse.Cette étape nécessite d’abord une remise à plat de la pièce,qu’il faut donc, faute de place dans l’atelier, de nouveau monterau 1er étage pour l’étaler au sol de la salle 13 (chaque tapisseriepesant de 10 à 20 kg). Le premier calage des deux textiles entreeux est réalisé à grands points de fil blanc. « C’est une phase trèsphysique, souligne Anne Breugnot. Il faut travailler à genoux et lelendemain, nous avons des courbatures ! »Ensuite, les deux textiles solidaires sont redescendus dans l’ate-lier et de nouveau enroulés sur le métier. « L’ancienne doubluretenait à la tapisserie par un carroyage de losanges de 50 cm de côté,trop lâche, qui godillait, commente Raphaëlle Déjean. Cela proté-geait la pièce,mais ne la soutenait pas. La nouvelle doublure est, elle,fixée à petits points de fil de soie surfins, en lignes droites disposées enquinconce tous les 10 cm, de sorte que la toile puisse se détendrecomme la tapisserie et supporter une partie de son poids. » C’estaussi le moment de recoudre le galon d’entourage, qu’il a falluenlever et laver à part car sa teinte brune dégorge, puis de fixerune bande de velcro en haut de la pièce.Ne reste plus qu’à sus-pendre la tapisserie à sa cimaise, un mardi bien sûr, et à décro-cher la suivante…

Une salle au carréL’importance de l’œuvre a incité la direction du musée à créerune commission scientifique qui suit le processus de restaura-tion. Y siègent, avec les professionnels concernés, des conser-vateurs et des restaurateurs de référence spécialistes des tex-tiles, ainsi que des représentants du C2RMF (Centre de rechercheet de restauration des musées de France) et du LRMH.Un archi-tecte y est associé.« Car la restauration n’est qu’une étape d’un projet plus vaste, indiqueÉlisabeth Taburet-Delahaye, directrice du musée de Cluny etconservatrice en charge de la collection des tapisseries.Nous vou-lions refaire l’éclairage de la tenture, l’homogénéiser : quand la salle aété créée en 1993, sa conception était sans doute à la pointe duprogrès.Elle ne l’est plus et réclame une modernisation.De plus,comme

l’un des problèmes est l’empoussièrement,nous avons réfléchi au moyende le diminuer. Par des procédés de filtrage de l’atmosphère peut-être,mais aussi par un nouvel accrochage. Les tapisseries des cinq sens,actuellement suspendues en arc de cercle sur des cimaises alvéolées,se sont révélées bien plus sales que la sixième, présentée sur un murplan.Comme l’arc de cercle ne correspond pas à une disposition d’ori-gine, nous avons pris le parti de reconfigurer la salle pour présentertoutes les pièces sur des murs plans. »Mais si le musée a pu financer la restauration de l’œuvre sur sescrédits de fonctionnement, il n’avait pas les moyens de refaire soncadre. La solution a été trouvée avec la signature, en septembre2012,d’un contrat de mécénat avec NHK, le grand groupe audio-visuel public japonais.Aux termes de cet accord,pendant les tra-vaux à Paris, la tenture s’envolera pour le pays du Soleil levantet sera exposée à Tokyo puis Osaka.Ce sera le deuxième grandvoyage de La Dame à la licorne,qui a déjà été présentée au Metro-politan Museum à New York en 1974. Tout cela pour mieux laretrouver, en novembre 2013, avec la fraîcheur d’une jeune filleet dans un écrin qui préserve au mieux sa beauté.�

Marie-Jo Maerel

Une autre grande tapisserie (3,15 m x 2,94) a fait l’objet, au débutde 2012, d’une restauration par la même équipe. Il s’agit deL’Arithmétique, l’un des sept « Arts libéraux » (qui regroupaientles matières de l’enseignement antique et médiéval). Une jeune

femme y manipule des jetons tout en montrant la page d’un livreouvert à un public d’élégants messieurs. Les éléments d’archi-tecture, de mobilier, de costume aussi bien que le choix d’uneallégorie féminine sont caractéristiques du passage entre MoyenÂge et Renaissance et des productions des Pays-Bas du Sud dansles années 1500-1520.L’œuvre présentait des altérations appelant une interventionde 260 heures, proportionnellement plus importante que pourLa Dame à la licorne : les fils de soie jaune ou ivoire, devenuscassants, réclamaient une reprise minutieuse.D’autres parties delaine brune devaient également être consolidées. En revanche, lapièce ne nécessitait pas de lavage mais un simple dépoussié-rage. L’opération a été réalisée cette fois grâce au mécénat dela Fondation BNP Paribas. Ce qui a permis de la présenter denouveau au public, dans la salle 12.

Dans une salle du musée tout juste assez grande pour ce travail, lesrestauratrices Raphaëlle Déjean et Anne Breugnot achèvent de fixerla doublure de la tapisserie Mon seul désir (3,77 m x 4,70).

©RMN/Jean-GillesBerizzi

La tenture de La Dame àla licorne a sans doute étéréalisée vers 1500, d’aprèsdes cartons du Maître desTrès Petites Heuresd’Anne de Bretagne.Paris, Tournai et Bruxellesfigurent parmi les lieuxde tissage possibles.Pour en savoir plus, voirLa Dame à la licorne,l’album signé par ÉlisabethDelahaye. RMN, 18 €.

Photos © RMN-Grand Palais/Franck Raux

D.R.

D.R.

Nuancier en lin, écheveaux et bobines spécialement préparés aux couleurs de la tenture, avec des colorants naturels… et durables.

D eux cartes à jouer, un roi de carreauet un neuf de pique,ont pu faire l’ob-

jet d’une acquisition en vente publique, le19 juin 2012, par la société des Amis dumusée de Cluny. Elles intéressaient celui-cicar,par leur format, leur type de papier car-ton, leur xylographie coloriée au pochoir,elles sont datables des années 1490-1510.Elles pourraient provenir d’un centre de pro-duction comme Lyon.« Le roi de carreau présente la figure inédited’un roi David au large manteau, muni d’unehallebarde mais sans sa harpe habituelle, sou-ligne Michel Huynh, conservateur. Le stylegracieux et élégant est servi par une gravure dequalité.Quant aux cartes de points,elles ne sontpas courantes. »Hormis une tache d’humidité sur le neuf depique, les deux cartes sont dans un assezbon état de conservation. Elles complètentheureusement les collections du muséequi détenait jusqu’à présent de nombreusespièces de jeux mais pas de carte à jouer.Toutes deux figurent d’ailleurs dans l’ex-position « Jeu ».Pour l’anecdocte, ces cartes ont été trou-vées en 1839,par un capitaine du génie,dansla niche de la statue équestre de Louis XIIau château de Blois, alors siège d’une gar-nison militaire.

Un textile « de Pérouse »C’est aussi grâce au financement apportépar les Amis que le musée a pu préempteren vente publique, le 15 juin 2012, un frag-ment de tissu de lin et de coton orné d’unmotif très stylisé de licornes affrontées depart et d’autre d’un arbre de vie ;entre leurspattes est logé un oiseau ;un autre est juchésur leur dos.« Ce textile – à fond blanc et au décor teintébleu indigo – est typique d’un ensemble appelé“nappes (ou serviettes) de Pérouse”parce qu’ila d’abord été fabriqué en Ombrie et en Tos-cane à partir du XIVe siècle,avant de se répandredans toute l’Italie et au-delà, jusqu’en Rhéna-nie, précise Christine Descatoire, conser-vatrice. Ces “serviettes” servaient aussi bien

Millefleurs n° 20, novembre 2012 54 Millefleurs n° 20, novembre 2012

Quatre pièces sont récemment entrées dans les collections grâce aux Amis…Des nouveautés à l’inventaire

ACQUISITIONS

de linge de table ou de toilette que de nappesd’autel, comme en témoignent de nombreusespeintures du XIVe au XVIe siècle. »Le musée de Cluny possédait déjà une ser-viette de Pérouse complète et en très bonétat, depuis un achat des Amis en 2005.Le fragment, qui devait constituer l’une desextrémités d’une nappe, l’intéressait pourson iconographie, rare sur ce type deproduction, la créature fantastique de lalicorne étant également emblématique dumusée.La pièce a figuré dans la collection de tex-tiles anciens de la marquise Maria Madda-lena de Vecchi Ranieri di Sorbello,à Pérouse.

Un dessin d’architectureAuparavant, un grand dessin de la portemaçonnée et menuisée de l’hôtel de Clunyest venu enrichir le fonds documentairedumusée,grâce à une acquisition de la sociétédes Amis le 1er février 2012. Cette planchede papier provient de la dispersion en ventepublique d’une partie du fonds d’atelier indif-férencié de deux architectes : Joseph Graf(1869-1934), qui avait un cabinet à Saint-Maur-des-Fossés, et son fils Lucien (1900-1987).

« Quoiqu’il s’agisse d’un relevé précis, l’œuvrene semble pas liée à une opération de res-tauration, l’hôtel de Cluny relevant alors de latutelle directe du service des Monuments his-toriques. Ce travail ressemble à un exerciced’étudiant d’une école d’art, tel qu’il s’en pra-tique encore de nos jours, estimeMichel Huynh.Le père et le fils avaient l’habileté pour réali-ser un tel dessin, mais je serais tenté de l’at-tribuer plutôt à Lucien Graf, élève de l’Écolenationale des Beaux Arts du quai Malaquaisau début des années 1920. »Le relevé au crayon, aquarellé et gouaché,représente la petite porte avec guichet don-nant sur la rue Du Sommerard. Coloréed’ocre rouge légèrement rosi par le soleil,elle est surmontée d’un feuillage de lierretombant du crénelage du mur.Des détails sont également figurés à mi-gran-deur:à gauche,un culot de l’arc avec les pro-fils de la modénature ; en bas, des piècesde serrurerie.Autant d’éléments toujours en place… saufle lierre.�

• 318000 visiteurs ont étéaccueillis en 2011 au muséede Cluny. C’est la troisièmemeilleure année jamaisenregistrée. Le publicétranger est en progressiondepuis deux ans.

• La fréquentation a variéd’une moyenne de 1300visiteurs par jour en mai à775 en novembre. Le fluxvarie significativement enfonction de l’existence, ounon, d’une expositiontemporaire.

• 96 % des salles ont étéaccessibles en moyennedurant les 309 joursd’ouverture.

• Le rapport entréespayantes/entrées gratuitess’est établi à 49/51. C’étaitl’inverse en 2010. Undimanche gratuit (le premierde chaque mois) attire enmoyenne 2248 visiteurs.

• 623 visites-conférences ontété données en 2011.S’y ajoutent 144 atelierspour les enfants. Au total,2592 activités culturellesont été proposées, qui ontbénéficié à 83000personnes : 60 % d’enfants,6 % d’étudiants, 34 %d’adultes.

• 102 œuvres ont été prêtéespour 27 expositionsdifférentes, dont12 à l’étranger.

• 1,1 million d’euros : c’estle montant des crédits defonctionnement du musée(hors dépenses depersonnel), toujours en 2011.C’est aussi le chiffred’affaires réalisé par lalibrairie-boutique.

Deux cartes àjouer (10 cm x 7).Années 1490-1510.

Lyon ?

La porte de l’hôtelde Cluny.Dessin (98 cm x 66,5).Lucien Graf ?1920 ?

À droite :Textile de Pérouse aux

licornes affrontées(50 cm x 76). Italie.XIVe ou XVe siècle.

Photos©RMN-GrandPalais/MichelUrtado

À suivre… Deux œuvresimportantes

Deux autres acquisitions,d’envergure,sonten cours au moment où nous mettonssous presse :• Une belle peinture sur bois, tout d’abord.Une Vierge à l’Enfant,volet central – inconnujusqu’alors – d’un triptyque… dont lemusée possédait déjà les panneaux laté-raux depuis 1901 ! À un siècle de distance,la réunion est exceptionnelle.L’œuvre estune production des Pays-Bas du Nord,datée vers 1510.• Un exceptionnel ivoire du milieu duXIIe siècle, ensuite. Cette grande plaqueaux douze tribus d’Israël, représente, sousl’apparence de rois, les lignées issues desfils de Jacob. Iconographie rare qui ren-force l’intérêt de la pièce passée parla prestigieuse collection Marquet deVasselot, mais dont l’origine, sans douteun ensemble prestigieux démembré,resteà ce jour énigmatique.Rendez-vous au prochain numéro.

Millefleurs n° 20, novembre 2012 76 Millefleurs n° 20, novembre 2012

B ranle-bas de combat le mardi 9 octobreau musée de Cluny et à ses abords.

Mesures de sécurité inhabituelles,antennessatellitaires, projecteurs… Le présidentde la République, François Hollande, et

son homologue croate, Ivo Josipović,venaienten personne inaugurer l’exposition « Et ilss’émerveillèrent… »,Croatie médiévale. Ils lan-çaient par la même occasion le Festival dela Croatie en France (1),une soixantaine d’évé-nements organisés à l’occasion de l’adhé-sion de ce pays à l’Union européenne,dontil deviendra le vingt-huitième État-membrele 1er juillet 2013.Pourquoi cette manifestation au musée deCluny, alors même que le festival a com-mencé dès septembre? Sa commissaire géné-rale pour la Croatie,Seadeta Midžić,est pourbeaucoup dans ce choix. Musicologueet diplomate, étudiante à la Sorbonne en1968-1970, elle a été secrétaire d’État auxrelations internationales, puis conseillèreculturelle à l’ambassade de Croatie à Parisde 2005 à 2009.Elle connaît donc bien notrepays, dont elle parle couramment la langue.

« Même si, explique-t-elle, à la suite d’une“saison croate”à Berlin en 2002 dont je m’étaisoccupée, l’idée de semblable manifestation àParis avait été retenue à l’échelon présidentieldès 2008 et un accord de partenariat dûment

signé en 2010,c’est en février 2011 seulementque le ministère de la Culture croate m’a demandéd’en prendre le commissariat général. Panique !Le délai était très court. Il fallait formuler rapi-dement des propositions concrètes.Vu de Zagreb,on peut penser à des institutions très impor-tantes comme le centre Pompidou, le Louvre…Moi, j’ai tout de suite songé à ce beau muséede Cluny,parce que le Moyen Âge est la période

pendant laquelle notre nation s’est formée,avecune principauté d’abord au IXe siècle, puis unroyaume à partir de 925. Par la suite, l’his-toire de notre pays a été très chahutée, sousdes dominations diverses,mais notre peuple atoujours survécu grâce à la culture. Pour nous,la culture n’est pas une question de luxe,maisde survie. Je voulais donc que notre festivalsoit fermement fondé sur deux piliers : notrehéritage historique et la création contempo-raine. Pour le premier volet, le musée de Clunyme semblait bien placé. J’ai donc écrit directe-ment à sa directrice. »Pour Élisabeth Taburet-Delahaye aussi, ledélai était très court. « Notre planning d’ex-positions est arrêté deux ans à l’avance, ilétait impossible de le décaler,mais nous ne pou-vions pas refuser. Notre musée a une dimen-sion européenne et l’occasion était belle del’ouvrir à un nouveau pays après les expositionsdéjà organisées avec succès sur la Macédoineen 1999 et la Slovaquie en 2010.Simplement,il fallait adopter un format compatible avec lessalles 2 et 3, seules disponibles à la périodedemandée.De plus, hors nos moyens humainset notre savoir-faire,nous n’avions pas de finan-cements à mettre dans la corbeille. Le parte-naire croate a pris en charge le budget, quenous avons tenu serré avec l’aide précieusede la Réunion des musées nationaux (RMNGP)et des scénographes, en faisant au mieuxavec le matériel déjà existant, d’anciennesvitrines par exemple, les équipes se mobilisantau maximum. »Seadeta Midžić confirme,en soulignant « l’ef-fort financier très important » consenti parle ministère de la Culture croate à cetteoccasion, se disant aussi « très reconnais-sante » aux autorités des deux pays d’avoirmaintenu le projet à travers les changementsde gouvernement (en décembre 2011 àZagreb, en mai 2012 à Paris).« Pour le contenu de l’exposition, ajoute-t-elle,j’avais proposé l’expertise du Pr Nikola Jakšić,

Ouverte par deux présidents de la République,une petite mais belle exposition témoigne de cet ancrage artistique.

parce qu’il avait déjà réalisé ou participé à plu-sieurs expositions à Zagreb,Vienne,Fontevraudet qu’il avait les contacts avec l’Église.Emprun-ter certains objets aux lieux de culte où ils setrouvent est parfois très compliqué… »Cependant,pour le musée de Cluny, il n’étaitpas question de présenter uniquementdes œuvres déjà exposées.Le dialogue s’estdonc engagé sur l’idée d’un projet surmesure,avec un commissariat partagé franco-croate.« Du fait de l’espace restreint, l’hypothèse a étéun moment évoquée de mettre le projecteursur trois siècles (XIIe-XIVe),ou de présenter seu-lement de l’orfèvrerie,point fort des collectionscroates, se rappelle Seadeta Midžić.Mais jetenais à ce que l’exposition englobe aussi lapériode carolingienne, celle de notre fondation.Je souhaitais aussi que les œuvres retenuesne soient pas seulement magnifiques, maisqu’elles témoignent également de l’histoire etde sa continuité. »D’où le choix de présenter,à côté des splen-dides pièces d’orfèvrerie, des sculptureset des manuscrits qui permettent de com-mencer l’exposition au IXe siècle, de sélec-tionner à la fois des œuvres civiles et reli-gieuses, enfin de montrer l’importancedes échanges européens durant toute la

période. Seules les œuvres en bois ont étéexclues, pour des impératifs de conserva-tion, et les pièces de grande taille,pour desraisons de place.« J’ai pu me rendre sur site avec le Pr Jakšićen février dernier et emprunter toutes les œuvressouhaitées.Même les pièces jalousement gar-dées dans les trésors, que Miljenko Domijan,conservateur en chef au ministère de laCulture,a aidé à obtenir »,témoigne avec bon-heur Élisabeth Taburet-Delahaye.La commande politique n’a donc pas nui auxchoix artistiques… au contraire. « Les qua-rante-trois pièces ou ensembles présentés onttous une qualité et un intérêt tels que nousles prendrions volontiers à demeure dans lescollections permanentes », s’exclame MichelHuynh, autre commissaire pour la partie

française. Il cite des œuvres exceptionnellescomme le Bras de saint Blaise en or avec sesémaux cloisonnés, la Vierge à l’Enfant byzan-tine (tous deux de la fin du XIIe s.), la Mitrede l’évêque Gyula (XIVe s.). Il s’enthousiasmeaussi pour tel pied ou calotte reliquaire :« Nous n’avons rien de tel dans nos collections ».Il s’extasie encore devant le fermail de Split,la couronne et la bague de Zadar et tantd’autres objets « qui compléteraient et enri-chiraient si bien » le musée de Cluny !« Cela a été très intéressant de bénéficier del’œil neuf de vos conservateurs sur les œuvres.Onapprend beaucoup en se confrontant au regarddes autres », estime Seadeta Midžić,qui pour-suit : « Depuis l’Empire romain,notre petit paysa toujours été sur une frontière, entre Romeet Byzance, entre monde latin et monde slave,

entre catholicisme et orthodoxie avec lesOttomans à nos portes. L’exposition montrecomment il a été pétri de mille influences venuesde l’ouest,de l’est,du nord,mais toujours en lestransformant, en les adaptant. Notre cultureillustre bien notre position géopolitique.Les dan-gers qu’elle comportait ont peut-être renforcénotre identité, le XXe siècle n’ayant pas été lemoins périlleux. Une chose est sûre, la Croatien’est jamais restée en dehors des mouvementsartistiques européens, et elle y a souvent par-ticipé activement. C’est le cas aujourd’hui.Pour nous, la culture n’est plus une question desurvie, mais de vie, d’une vie de qualité, toutsimplement. » � M.-J.M.

La Croatie, européenne depuis toujoursEXPOSITIONS

La République de Croatie – Hrvatska enlangue croate – est indépendante depuis1991. Elle compte 4,3 millions d’habitantssur un territoire de 56 540 km2 qui regroupe,comme l’indique la couronne de cinq écusde son drapeau, la Vieille Croatie (région deZagreb),Dubrovnik, la Dalmatie, l’Istrie et laSlavonie. Les Croates (90 % de la popula-tion) sont de tradition catholique et utili-sent l’alphabet latin.

Accompagnés de leurs ministres de la Culture, les présidents Ivo Josipovic et François Hollande arriventle 9 octobre au musée de Cluny, où ils sont accueillis par la directrice, Élisabeth Taburet-Delahaye.

(1) Le programme complet est surwww.croatielavoici.com.

©vincianeverguethen

En vitrine : Bras reliquaires de saint Jean leBienheureux. Venise, XIIIe s. et Zadar, 1399.Trésor de la cathédrale de Trogir.À gauche : arcade d’un baldaquin de fondsbaptismaux. Pula, IXe siècle. Musée de Pula.

Reliquaires des pieds de saintAnselme. Zadar, 1309.Trésor de l’église paroissialeSaint-Anselme de Nin.

©vincianeverguethen

©ZivkoBacic

© Zivko Baci

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Aiguière. Europe centrale, deuxième moitié du XIVe siècle ?Trésor de la cathédrale de Trogir.

Millefleurs n° 20, novembre 2012 98 Millefleurs n° 20, novembre 2012

Dés, cartes, échecs... tous nos jeux sont de filiation ancienne et lointaine. Leurs accessoires,souvent de véritables œuvres d’art, sont porteurs d’une symbolique qui va bien au-delà du délassement.

• Un point jeux sera proposéà tous en salle 10. Un livret-jeu pour enfants sera aussioffert à l’entrée. Unsubstantiel dossierpédagogique est à ladisposition des enseignants.

• Les échecs seront plusparticulièrement à l’honneurau musée pendant la duréede l’exposition. La cour seratransformée en échiquiergéant. Certains jours, unchampion viendra y jouercontre les visiteurs.

• Un problème d’échecs serasoumis quotidiennement auxamateurs qui devrontproposer une réponse en« un coup ». Le lauréatgagnera… la reproductiond’un pion médiéval.

• Un maître, Éric Birmingham,viendra, une fois par mois,partager sa passion et initierpetits et grands au jeu.

• Un grand maître, LaurentFressinet, disputera en public,le 26 janvier, une partie« simultanée » contre quinzejoueurs.

• Denis Podalydès lira unflorilège de textes sur le jeu,le hasard, la chance lors de« L’heure poétique » du21 janvier.

• Deux séances d’« Un mois,une œuvre » et un débat sur« L’actualité du Moyen Âge »seront consacrés aux jeux.

• Une journée d’étude, enfin,permettra d’approfondir lethème, le 12 février.

D’Orient et du fond des âges sentations de joueurs dans les tombes detoutes les civilisations antiques.« En supprimant, à partir du XIe siècle, l’usagedu lancer de dés dans le jeu d’échecs, le MoyenÂge a voulu rejeter l’effet du hasard dans le des-tin. Fermement condamné par l’Église, le jeu dehasard est alors laissé aux tavernes et tripots. »Ou à la soldatesque qui joue aux dés le par-tage des vêtements du Christ, scène dutableau qui clôt l’exposition.

Des prêts exceptionnelsBeaucoup d’objets présentés sortent descollections du musée de Cluny, mais plusencore sont des emprunts.A-t-il été facilede les obtenir ? « Nous avons été débor-dées par le succès qu’ont rencontré nosdemandes, assure Isabelle Bardiès. Il a fallurefaire un tri !« Nous avons quelques regrets, avoue la conser-vatrice, celui de n’avoir pu emprunter,pour desraisons financières, le plus vieux plateau dejeu du monde,daté du VIIe millénaire avant notreère, trouvé sur le site d’Aïn Ghazal et conservéà Irbid, en Jordanie ; ou le célèbre jeu de cartesde Konrad Witz,de Vienne,exposé trop récem-ment ;ou encore le sarcophage roman où figureun joueur de trictrac, du musée du Donjon deNiort,pièce trop lourde qui aurait nécessité beau-coup de main-d’œuvre… Il fallait tenir dans lebudget.« Mais nous sommes comblées par les prêts duMetropolitan Museum de New York (dont leJeu du chien et du chacal égyptien qui figuresur l’affiche), du British Museum de Londres

(dont le superbe Plateau de vingt cases d’Ur),de la Bibliothèque nationale de France (plusde 60 objets),du Louvre (70).Oui,dans tous lescas, ces prêts sont exceptionnels, parfois pourdes pièces qui ne sortent jamais… » �

A vec 164 numéros au catalogue (près de250 objets avec les ensembles), l’expo-

sition « Art du jeu, jeu dans l’art. De Baby-lone à l’Occident médiéval » propose unespectaculaire remontée dans le temps etdans l’espace. Au-delà même du Proche-Orient évoqué dans le sous-titre.« Les échecstrouvent leur origine en Inde.Quant aux cartes,elles viennent peut-être de Chine », indiqueen effet Isabelle Bardiès-Fronty, conserva-trice au musée de Cluny et l’une des deuxcommissaires de l’exposition.De même,cethéritage oriental ne prend pas fin avec leMoyen Âge puisque nombre de jeux antiquesont des prolongements jusqu’à aujourd’hui.« La filiation la plus nette est celle du jeu desdouze lignes (ainsi qu’il est appelé dans le monderomain), sans doute né au Kerman (actuel Iran),qui devient le triquetrac au Moyen Âge, le tric-trac à l’époque moderne, le backgammon depuisle XIXe siècle. »C’est précisément cette permanence destypes de jeux antiques à travers les âgesqui a donné à Anne-Élizabeth Dunn-Vaturi,alors chargée d’études documentaires auLouvre, l’idée de cette exposition. « Idéequ’elle est venue proposer, avec un premierdossier, à la directrice du musée de Cluny,Élisabeth Taburet-Delahaye, laquelle m’en a

confié la mise en œuvre lors de mon arri-vée au musée il y a six ans, poursuit Isa-belle Bardiès-Fronty.« Ce projet, Anne-Élizabeth Dunn-Vaturi,aujourd’hui au Metropolitan Museum deNew York, et moi avons pu le faire mûrirensemble de bout en bout,elle faisant d’aborddes recherches sur l’Égypte et le Proche-Orient dont elle est spécialiste, moi sur laGrèce et Rome, mon domaine d’origine, etsur le Moyen Âge.Mais à la fin, c’est bien untravail partagé que nous proposons aux visi-teurs. » Avec juste autant d’objets pour l’An-tiquité que pour le Moyen Âge, le hasard deslistes de propositions ayant bien fait leschoses, assure notre conservatrice.

Une allégorie du mondeQue voit-on dans cette exposition, pré-sentée jusqu’au 4 mars 2013 ? Des jeux etleurs accessoires : plateaux, pions, dames,dés, jetons,osselets,cartes…mais aussi touteune iconographie de joueurs en action.Le parcours commence par une typologiedes jeux, dans leur ordre d’apparition. Unepetite zone est consacrée aux apports récentsde l’archéologie, notamment aux décou-vertes faites à Mayenne. « Nous ne préten-dons pas expliquer les règles des jeux, précise

Isabelle Bardiès.Cela nous aurait d’ailleurs étédifficile car beaucoup sont perdues. » Mais undocument de quatre pages décrivant leursgrandes lignes est distribué aux visiteurs,quipeuvent le garder.Une deuxième section est consacrée à lasymbolique associée aux jeux et à son influencesur la commande artistique. « Loin d’être unsimple délassement récréatif, les jeux sont uneallégorie du monde – regardez les échecsavec le roi, le cavalier, le soldat – ; une allégoriedu combat – voyez la guerre de Troie vue à tra-vers Achille et Ajax disputant une partie de désà l’arrière du front – ;une allégorie de la chasseaussi.De là on glisse facilement aux joutes amou-reuses, qui se jouent souvent autour d’un pla-teau dans les représentations qu’en font lesartistes du Moyen Âge. »Dernière séquence : le jeu de hasard estaussi souvent lié au thème du destin et dela mort. Ne dit-on pas aujourd’hui encoreque l’on va “jouer son va-tout”? « Très signi-ficatif, estime Isabelle Bardiès, ce jeu de vingtcases en forme de foie, daté du deuxièmemillénaire avant notre ère et conservé au muséede Beyrouth, le foie étant un support habituelpour les oracles. Intéressants aussi ces dés àdouze faces où devaient figurer les signes duzodiaque,comme un exemplaire trouvé à Genèvele suggère. » De ce lien entre jeu et divina-tion découle sans doute la place des repré-

EXPOSITIONS

Jeu royal d’Ur (Irak), 2600-2400 avant notre ère. Bois, coquillage, lapis-lazuli et calcaire. British Museum.

Photos©CourtesyoftheTrusteesoftheBritishMuseum

Photos©CourtesyoftheTrusteesoftheBritishMuseum

Achille et Ajax jouant aux dés. Amphore àfigures noires. Athènes vers 530 avant notre ère.

En haut : Jeu du chien et du chacal. Thèbes, Égypte, 1810-1700 avant notre ère. Metropolitan Museum of Art, New-York.

Ci-dessus : la reine et le soldat, deux pièces d’échecs de l’îlede Lewis. Scandinavie, milieu du XIIe siècle. British Museum,Londres.

Ci-contre : le jeu comme métaphore de l’amour. Tristan et Iseultjouant aux échecs. Manuscrit du Roman de Tristan en prose,France du centre, vers 1470. Bibliothèque nationale de France.

©BibliothequenationaledeFrance,Paris

© The Metropolitan Museum of Art

Millefleurs n° 20, novembre 2012 11

D eux sites et un seul catalogue. Tel estle parti retenu pour l’exposition qui

aura lieu simultanément au musée de Clunyà Paris, du 17 avril au 15 juillet, et au muséede l’hôtel Sandelin à Saint-Omer (Pas-de-Calais), à partir du 7 avril. 127 œuvres d’uncôté,une quarantaine de l’autre.Mais un thèmeunique : la floraison artistique du nord et dunord-est de la France et de la région mosaneentre 1150 et 1250 et les relations entre cesdeux pôles.« Depuis la fin du XIXe siècle, les historiens del’art parlent d’ “art mosan”pour désigner la pro-duction de la vaste principauté du diocèse deLiège qui couvrait, selon les termes de la géopo-litique contemporaine, les trois quarts de laWallonie, une petite partie de la Flandre, dusud des Pays-Bas et même de l’Allemagne, expliqueChristine Descatoire, conservatrice et l’unedes commissaires de l’exposition. Le dis-cours traditionnel évoque les influences de cet“art mosan” sur l’art du nord et du nord-est dela France. Le propos de l’exposition est demontrer que les relations entre ces régions doi-vent être envisagées de façon moins unilaté-rale et plus complexe,non seulement en termesde circulation de modèles, d’œuvres etd’artistes,de collaborations d’ateliers,mais aussisous l’angle de recherches parallèles,d’échangeset de transferts artistiques,aboutissant à l’émer-gence d’un art septentrional original. » Danscette zone de grande circulation,en effet,desliens économiques, religieux, intellectuels etartistiques étroits se sont noués,grâce notam-ment au réseau serré des abbayes, commeSaint-Bertin (à Saint-Omer), Saint-Vaast(à Arras), Saint-Amand, Anchin,Stavelot, Saint-Laurent (àLiège),Notre-Dame-en-Vaux(à Châlons-en-Champagne),etc.

« L’intense réflexion théologique menée dans cesrégions dès l’époque carolingienne et réactivéeaux XIe et XIIe siècles a débouché sur la créationd’œuvres à l’iconographie novatrice, centrée surla notion de typologie (qui met en correspondanceles épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testa-ment) et faisant une place de choix aux per-sonnifications et figures des Vertus, poursuitChristine Descatoire. Cette réflexion théolo-gique s’est également traduite par la promotionde certains types d’objets liturgiques : stauro-thèques (reliquaires de la Vraie Croix), croix typo-logiques, phylactères (genre particulier de reli-quaire), autels portatifs et grandes châsses commecelle de la Vierge conservée au trésor de la cathé-drale de Tournai, qui fut exécutée par le célèbreorfèvre Nicolas de Verdun. Ces objets font enfinappel à des techniques élaborées:dans le domainede l’orfèvrerie,par exemple,on peut citer l’émaille-rie cloisonnée et champlevée, le vernis brun, lenielle, les filigranes. »Autant de données illustrées par des œuvres

qui seront rassembléesen quatre séquenceschronologiques :1150-1170 (les voies

du renouvellement del’art roman),1170-1180(l’émergence d’un stylenouveau), 1180-1230(l’épanouissement dustyle 1200) et 1230-1250(l’épilogue). Au sein dechacune de ces parties,des pôles consacrés à

des centres artistiques,des artistes,des com-manditaires ou des œuvres majeures serontindividualisés.À Paris, seront présentés des pièces d’orfè-vrerie, d’émaillerie et d’ivoirerie, des enlu-minures et des sceaux,et quelques exemplessignificatifs de vitraux et de sculptures.À Saint-Omer, le parcours sera concentré sur lesmanuscrits, la sculpture monumentale enpierre et la sculpture mobilière, dont la sta-tue de Notre-Dame des Miracles, toujoursobjet de culte et conservée d’ordinaire à lacathédrale.Faisant échange de bons procédés, les deuxmusées se sont consentis d’importants prêtscroisés : les Audomarois verront ainsi lecoffret-reliquaire de Moûtiers-en-Tarentaise dumusée de Cluny, tandis que nous pourronsadmirer à Paris, entre autres pièces insignes,le pied de croix de Saint-Bertin et la croix-reli-quaire de Clairmarais. De nombreux autresmusées et bibliothèques français, belges,anglais, allemands (et même le Getty deLos Angeles) vont également concourir à cerassemblement prestigieux.Comment le projet en est-il né ? « D’uncoup de cœur initial pour “l’art mosan”,alors queje préparais le concours de conservateur, avoueChristine Descatoire, qui enseignait aupara-vant l’histoire médiévale à l’université deLille 3. Et d’échanges avec Marc Gil, un col-lègue de la même université et qui y enseignetoujours l’histoire de l’art. Il partageait le mêmeenthousiasme pour cette période, qui est aussicelle de l’art 1200. »Marc Gil, nommé co-commissaire, déjà co-auteur d’un livre intitulé Saint-Omer gothique,a noué le lien avec cette ville. La convic-tion de Thierry Tribalat, adjoint à la culture,a fait le reste et entraîné l’implication dumusée de l’hôtel Sandelin dans l’exposition.Laquelle devrait constituer un point fort dudossier de l’Audomarois,qui souhaite se voirpromu “pays d’art et d’histoire”.Un label que les Amis du musée de Clunyse feront un plaisir de tester sur place auprintemps prochain ! �

AILLEURS

Le style 1200, entre Flandre et ChampagneAu printemps, Saint-Omer et Paris vont partager une exposition sur l’art original

qui a éclos entre 1150 et 1250 dans une vaste région septentrionale.

Le Moyen Âge s’exporte à QuébecCent cinquante œuvres du musée de Cluny parties dans le Nouveau Monde :

l’événement est exceptionnel pour l’emprunteur comme pour le prêteur.

D u 17 octobre 2012 au 6 janvier 2013,le Musée national des beaux-arts du

Québec (MNBAQ) accueille,à Québec même,une exposition Art et nature au Moyen Âge.Marie-France Cocheteux, secrétaire géné-rale du musée de Cluny, et ChristineDescatoire,conservatrice et commissaire del’exposition, nous expliquent, à leur retourde la Belle Province, la nature et la portéede cette manifestation.

� En quoi l’événement est-il exceptionnel?� C.D. – Quand le musée accorde un prêt pourune exposition,c’est souvent pour une à dix œuvres.Dans ce cas, le catalogue comporte 147 numé-ros, soit quelque 160 pièces avec les ensembles,toutes sorties du musée de Cluny. En fait, c’estl’exposition entière qui a été conçue chez nouset réalisée à Québec.� M.-F. C. – C’est la deuxième fois de toute sonhistoire que le musée consent un prêt aussi impor-tant, la première étant la présentation de LaDame à la licorne à New York en 1974.

� Comment le projet est-il né?�M.-F.C.– L’idée a jailli d’une rencontre à Bonnen 2009, dans le cadre de l’IEO (InternationalExhibition Organizers), entre Line Ouellet, alorsdirectrice des expositions au MNBAQ, et moi.Elle a été très bien accueillie par nos directionsrespectives et concrétisée d’autant plus facile-ment outre-Atlantique que Line Ouellet est deve-nue entre-temps directrice du musée québécois.

� À quoi ressemble ce musée national ?� C. D. – Il est merveilleusement situé au borddu Saint-Laurent, à une demi-heure à pied dela vieille ville de Québec, dans le grand parc desChamps-de-Bataille, dit aussi des Plaines-d’Abraham(1). Une entrée moderne donne accèsà un majestueux bâtiment néo-classique inau-guré en 1933 d’une part, à un édifice plus sévè-re d’autre part… qui n’est autre que l’ancien-ne prison de la ville, ouverte en 1867.Quelquescellules y ont d’ailleurs été préservées.�M.-F.C.– Le MNBAQ est une institution dyna-mique : elle lève actuellement des fonds, via unefondation, pour la construction d’un nouveaupavillon qui rapprocherait l’entrée du musée, tropen retrait, de la « Grande Allée » qui y mène.Un

projet à plus de 32 millions de dollars canadiens(26 millions d’euros). Cela fait rêver.

� L’exposition est-elle en lien avec sescollections?� C. D. – Pas du tout, car ce musée national ad’abord vocation à montrer l’art du Québec,avecdes œuvres qui vont du XVIIe siècle à nos jours,collectées depuis les années 1920. Le premiervoyage de Jacques Cartier a eu lieu en 1534,en pleine Renaissance.Outre-Atlantique, le MoyenÂge, c’est l’histoire d’un autre continent, pourne pas dire de la préhistoire !� M.-F. C. – C’est justement une active politiqued’exposition qui permet au MNBAQ d’ouvrir letemps et l’espace et d’accéder à une dimen-sion internationale. L’an dernier, les Ballets russesy étaient à l’honneur, avec des costumes duV & A londonien…

� Qu’y voit-on cette fois ?� C. D. – L’idée de départ était de présenter laculture du Moyen Âge avec des œuvres de l’en-semble de la période, du Ve au XVe siècle, et desobjets de tous usages, toutes techniques, tous maté-riaux. C’est pourquoi nous avons suggéré ce thèmede la nature, très présent dans nos collections etqui permet d’évoquer de nombreux aspects de la

vie.Nous,c’est-à-dire Xavier Dectot (devenu depuisdirecteur du Louvre-Lens) et moi.�M.-F.C.– Line Ouellet était partie sur une autrehypothèse, mais elle s’est facilement laisséeconvaincre après une visite dans nos salles.� C.D.– Le parcours permet d’abord d’évoquerl’héritage antique, les apports “barbares” et lesinfluences islamiques. Il conduit ensuite de la sty-lisation de l’art roman à l’observation précise dela nature dans le décor gothique, en évoquantau passage la place des règnes animal et végé-tal dans l’iconographie chrétienne, l’héraldique,le monde fantastique, la symbolique courtoise, laparure, le cadre de vie… Tout cela avec desœuvres importantes comme un olifant d’ivoiredu XIe siècle, la Broderie aux léopards, unecolombe eucharistique, une sculpture de Saint-Denis, un vitrail de Gercy, une tapisserie de laTenture de saint Étienne et une du cycle de LaVie seigneuriale…

� Visuellement?� C. D. – La présentation est très sobre. C’estbeau, cela respire… Nos œuvres sont très bienPied de Croix de Saint-

Bertin. Atelier mosan, vers1180, cuivre doré, fondu,ciselé, gravé, émauxchamplevés. Saint-Omer,musée de l’hôtel Sandelin.

(1) Lieu d’une défaite française contre la Grande-Bretagne en 1759, durant la guerre de Sept Ansconclue en 1763 par la perte du Canada français.

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Photo©MNBAQ,IdraLabrie

Au Musée national des beaux-arts du Québec, Christine Descatoire (de dos) présente l’exposition auxjournalistes. On reconnaît une tapisserie de la tenture de La Vie seigneuriale et le Vitrail aux perdrix.

©MuséesdeSaint-Omer-BrunoJagerschmidt

10 Millefleurs n° 20, novembre 2012

EXPOSITIONS

Millefleurs n° 20, novembre 2012 1312 Millefleurs n° 20, novembre 2012

A u début du mois de septembre, desrestaurateurs s’activaient à tous les

étages du musée de Cluny.Surtout le mardi,jour de fermeture au public, mis à profitpour toutes sortes d’interventions.Au sous-sol, Hélène Dreyfus, spécialiste desculpture,décrassait les palmettes d’un cha-piteau de marbre. Au rez-de-chaussée, uneéquipe de quatre professionnels de la pierre,emmenée par Hubert Boursier, manipulaitpalans et palettes pour décrocher d’autreschapiteaux et clefs de voûte destinés à prendrel’avion pour Québec. Au premier étage, lesrestauratrices de textiles dépoussiéraientune des tapisseries de la tenture de la Vieseigneuriale.Dans le petit atelier du deuxièmeétage enfin, les spécialistes se succédaient :Agnès Cascio recollait les baguettes d’uncoffret d’ivoire du XIVe siècle, DelphineMasson nettoyait une valve de miroir duXIIIe siècle,Aurélia Streri consolidait la reliured’un livre d’Heures,toutes cesœuvres devantégalement partir outre-Atlantique.Enfin,JaninBechstedt allégeait les vernis et réduisait lescloques d’une peinture de la fin duXVIIIe sièclereprésentant le frigidarium, devenue très dif-ficile à lire.Certes,toutes les semaines ne sont pas aussichargées en interventions mais, même enpériode calme,des restaurateurs d’œuvres

d’art sont souvent actifs au musée.Qui sontces spécialistes et que font-ils ?

Une voie étroitePrestataires extérieurs, le plus souvent sousstatut de professionnel libéral ou d’arti-san, parfois d’auto-entrepreneur, ils doivent,pour travailler dans les musées de France,être titulaires d’un diplôme de conserva-tion-restauration de niveaumaster 2 (bac + 5).« La loi “musées” du 4 janvier 2002 (et sacirculaire du 24 décembre) énumère les quatreétablissements dont ils doivent sortir, indiqueHubert Boursier : l’Institut national du patri-moine (INP), l’université Paris 1, les écoles d’artde Tours (ESBAT) et d’Avignon (ESAA), les deuxpremiers établissements formant à de multiplesspécialités, au contraire des deux derniersorientés respectivement sur la sculpture etla peinture. » Au passage, ce professionnelchevronné recommande « que les jeunesne s’engagent pas dans d’autres parcours deformation dont les diplômes ne dépassentpas le niveau licence et ne donnent pas accèsaux marchés publics. »Les cursus agréés,précise Raphaëlle Déjean,restauratrice textile, « sont théoriquementaccessibles avec le baccalauréat,mais le niveaudes exigences est tel que, souvent, les postu-lants sont déjà titulaires d’une licence ou d’une

maîtrise,que ce soit en sciences,histoire de l’art,archéologie, métier d’art… Pour entrer enformation, il faut, outre un bagage scientifiqueet technique, faire preuve d’habileté manuelleet de sens esthétique. » Autant dire que lavoie est étroite, que les jeunes diplôméssont souvent des bac + 8 ou 10, qu’ils ontdes compétences à la fois manuelles et intel-lectuelles, et beaucoup de qualités.La patience notamment ?, leur demande-t-on en les voyant penchés sous la lampe,concentrés sur des travaux minutieux.« Passpécialement », détrompent-ils. « Les vertuscardinales sont le soin au travail et la rigueur »,estime Agnès Cascio. « Il faut surtout avoirl’œil », juge pour sa part Delphine Masson.« Faire preuve d’ingéniosité et d’adaptabi-lité », suggère Raphaëlle Déjean. « Et d’hu-milité, ajoute Anne Breugnot, car la bonnerestauration est celle qui ne se voit pas, pourle public en tout cas. »

Un groupement par marchéAutre condition pour intervenir dans unmusée,les restaurateurs doivent avoir emportéun marché ou une commande (voir l’enca-dré p.15). Pour cela, ils se regroupent dansdes ensembles à géométrie variable, selonle volume et les particularités des appelsd’offres. Le même professionnel peut ainsi

mises en valeur. Le catalogue aussi est un belobjet, enrichi de textes des deux éminents spé-cialistes que sont Michel Pastoureau et MichelZink. C’est une publication intéressante égale-ment pour notre musée,un autre album sur sescollections.

� Quelles précautions prend-on pourlaisser partir tant de pièces ?�M.-F.C.– Le total représentait trente caisses,qui ont été réparties en trois lots de valeur àpeu près équivalente,embarqués sur trois avionsdifférents, chacun à un jour d’intervalle. Ils revien-dront de la même façon, en trois temps.� C. D. – Le plus difficile a peut-être étéd’estimer la valeur de chaque objet, pour l’as-surance. Avant chaque prêt, c’est toujours uncasse-tête ! Alors pour 150 œuvres…� M.-F. C. – Au Québec, c’est le gouvernement(provincial en l’occurrence) qui se fait son propreassureur. Sinon, c’est le MNBAQ qui assumétous les coûts directs, de transport, de scéno-graphie, du catalogue…

� Comment a fonctionné le partenariat ?� M.-F. C. – Fort bien ! De l’avis unanime.L’accord s’est fait facilement à toutes les étapes,aussi bien sur les grands thèmes que sur lesinévitables ajustements de détail en cours deroute. Facilement et agréablement. Au muséede Cluny, beaucoup de personnes se sont mobi-

lisées pendant les deux ans qu’a duré la pré-paration, qui s’ajoutait à notre propre pro-grammation…� C.D. – Outre les conservateurs, qui ont vali-dé nos propositions et veillé à la restaurationdes œuvres qui le nécessitaient, il faudrait citerAurélie Vertu, du service documentation, qui abeaucoup travaillé en amont sur le program-me, la photothèque, la régie des œuvres… Jen’oublie pas Béatrice de Chancel-Bardelot, cher-cheuse à l’INHA (Institut national d’histoirede l’art), qui, après le départ de Xavier Dectot,a accepté de prendre le relais pour la rédac-tion de la moitié des essais et des notices ducatalogue.Avec Québec, les échanges ont été permanentsavec Jean-Pierre Labiau, conservateur chargéde la coordination,André Gilbert, éditeur,AndréSylvain, pour la logistique, enfin Marie-FranceGrondin, scénographe,qui s’est encore montréeencline au dialogue tout au long des deuxsemaines de montage. Cela a été un plaisir detravailler avec eux !

� Avez-vous noté des différences de fonc-tionnement?� C.D.– Le musée compte deux départementsséparés, chacun avec ses conservateurs, quis’occupent l’un des collections permanentes,l’autre des expositions. Les services incluent unservice édition, deux scénographes… d’unapport précieux, ce qui n’exclut pas l’appel com-plémentaire à des prestataires extérieurs. J’aiaussi remarqué parmi les équipes la présencede jeunes artistes, qui ont un sens de l’objetaigu et stimulant.J’ai été surprise également du côté très organi-sé du travail pendant le montage, avec deshoraires minutés : à 10 heures et à 15 heuresprécises,pauses de quinze minutes ; déjeuner àmidi pile ; tout le monde parti à 18 heures auplus tard…Mais les équipes travaillent très bien.

� Quelles retombées en attendez-vouspour le musée de Cluny?� M.-F. C. – Cette exposition – qui va être visi-tée par des Québecois et, plus largement nousl’espérons, par des Nord-Américains – va ren-forcer la notoriété de notre musée et de ses col-lections. Nous ne prétendons pas rivaliser avecles grands musées généralistes du monde,maisnous avons des atouts pour développer, dansle domaine qui est le nôtre, des liens et des col-laborations à l’échelle internationale.Nous nousy employons,avec une autre manifestation atten-due dès 2013 ! �

MÉTIERS

Restaurateurs d’objets d’artÀ la fois médecins et infirmiers, les restaurateurs réalisent les diagnostics, aident à la prévention

des risques et prodiguent leurs soins aux œuvres.

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Photos©RMN-GrandPalais/Jean-GillesBerizzi

• Larmes d’albâtre. C’est sousce titre que les Pleurants dutombeau de Jean sans Peur,duc de Bourgogne, quipérégrinent depuis 2010,vont faire une dernière étapeau musée de Cluny du27 février au 3 juin 2013.Pendant la rénovation dumusée des Beaux-Arts deDijon, ces splendides figures,sculptées entre 1443 et1470, ont accompli unetournée aux États-Unis, puisà Bruges et à Berlin. Aprèsl’ultime étape parisienne,le cortège regagnerases arcades d'origine dansla capitale bourguignonne.

• La palissade installée dans lejardin protège les installationsdu chantier d’étanchéificationde la cave « gothique » et deses voûtes, situées sousl’ancienne palestre. Après lestravaux, cette salle de 32 m2

sera intégrée au circuit devisite des thermes.

• 3 204 objets en plomb,dont nombre d’enseignes depèlerinage, ont fait l’objetd’un examen, d’un classe-ment et d’un catalogage àl’occasion d’un stage réalisépar Anne-Sophie Lesage-Munch, étudiante en 2e cyclede l’École du Louvre, sous ladirection d’Isabelle Bardiès-Fronty. Pour les pièces enréserve, un recondionnementdans des blocs de moussede polyéthylène est en courspar un technicien de l’ateliermuséographique.

• Isabelle Bardiès-Fronty,conservatrice au musée deCluny, est désormais lacoordinatrice de la classepréparatoire aux concours deconservateurs du patrimoineà l’École du Louvre.

Cette fibule en forme d’aigle, bijou wisigothiquedu VIe siècle, en bronze et pâte de verre, a faitle voyage vers Québec.

PhotosD.R.

Hubert Boursier et ses collègues restaurateurs de sculptures décrochent un masque feuillu (1280-1290). Janin Bechstedt éclaircit une peinture (XVIIIe) du frigidarium.

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Millefleurs n° 20, novembre 2012 1514 Millefleurs n° 20, novembre 2012

se retrouver en même tempsdans des groupements diffé-rents et officier avec l’un àCluny, avec un autre dans unmusée à Toulouse, avec untroisième à Boulogne-sur-Mer,le reste de son emploi dutemps pouvant être consacréaux commandes d’un collec-tionneur ou d’un antiquaire…« Du moins choisit-on ses col-lègues de travail », apprécieAnne Breugnot.Cela ne se traduit-il pas pardes plannings très hachés, unjour ici, le lendemain là ? « Oui,mais il faut bien répondre auxurgences et tenter de satisfairetous les clients !, répond en sou-riant Hubert Boursier. C’estparfois un crève-cœur d’aban-donner un travail en cours,maisles impératifs de calendrier liésaux jours de fermeture,de trans-port… ne sont pas toujours uninconvénient. Il y a des temps debain ou de séchage à respecterentre deux opérations sur la même pièce.Alors,en attendant,on vaque à un autre chantier.Celalaisse aussi le temps de la réflexion. »Arrive-t-il que le planning comporte destrous ? Le chômage sévit-il dans la profes-sion qui compterait moins de 500membres ?« Oui, reconnaît Anne Breugnot, mais celadépend de la spécialité… Les restaurateurs depeinture sont très nombreux, alors que dansle domaine textile où je suis, nous avons plu-tôt trop de travail. Des collègues partiss’installer en province ont aussi plus de mal àremplir leur carnet de commandes. D’autresabandonnent le métier. »

Extrême variétéQuelles sont les tâches confiées aux res-taurateurs ? Elles sont plus diverses quene l’imagine le béotien.Certes, il y a des opé-rations spectaculaires qui permettent deretrouver sous les badigeons la polychro-mie d’origine d’une œuvre ou de recollerune tête et un buste séparés depuis dessiècles… Mais ce type d’intervention estbeaucoup plus rare que lesmissions d’entretiencourant.Ainsi, le cahier des charges des mar-

chés passés par le musée de Cluny prévoit-il (avec des nuances selon les matériaux)la réalisation de « constats d’état » desœuvres, la préconisation d’examens,d’étudesou d’analyses complémentaires, le dépous-siérage à intervalles réguliers, l’enlève-ment des taches ou dépôts, la reprise desassemblages ou montages, le refixage dessupports, l’harmonisation d’en-semble, le conseil en matièrede conservation,de stockage,d’emballage et de présenta-tion, l’intervention en cas dedéplacement,de prêt ou d’ac-quisition, les premiers traite-ments en cas d’accident, etencore l’aide à la rédactiondu cahier des charges pourles restaurations lourdes néces-sitant un appel d’offres séparé !Le tout, incluant la rédactiond’un rapport détaillé pourchaque intervention.Quand on les interroge surl’intérêt qu’ils trouvent à leurmétier, la première réponse

des restaurateurs est unanime:la diversité des tâches préci-sément, et la variété desœuvrestraitées.Par exemple ? Tout en net-toyant au coton-tige un ivoirequi lui tient dans la main,Del-phine Masson raconte com-ment elle a participé au chan-tier qui a permis de retrouverla polychromie du portail dela cathédrale de Senlis et tra-vaillé au rafraîchissement del’énorme statue de la Répu-blique, sur la place du mêmenom à Paris.Agnès Cascio citede modestes dés à jouer en oset la Porte de l’Enfer de Rodin.Hélène Dreyfus des Viergesd’églises de campagne et la fon-taine des Jacobins à Lyon.Raphaëlle Déjean a manié l’ai-guille sur des textiles archéo-logiques coptes, un paraventchinois brodé du XVIIIe siècle,des œuvres contemporainesincluant du plastique avant

de se pencher sur La Dame à la licorne.AnneBreugnot a fait de même sur des objets eth-nographiques, des marionnettes, des pou-pées, une robe deDior,des costumes d’opéradu XIXe siècle aussi bien que sur des mont-golfières ou… la doublure d’une peau detigre.Aurélia Streri passe d’une enluminuremédiévale sur parchemin à un album photo

1900.Quant à Hubert Boursier, sapalette d’intervention va des idolescycladiques à une sculpture du XXIe

siècle ébréchée lors d’un transport,en passant par l’étude de la struc-ture de la Vénus de Milo !Cette variété n’a pas qu’un intérêtanecdotique ou esthétique. Elleentraîne des travaux sur des maté-riaux très divers,avec des techniquesdifférentes.Restaurer des sculptures,c’est se confronter au calcaire, aumarbre, à la terre cuite, au bronze,à l’ivoire, au plâtre. Et puis au métalde la structure ou des fixations. Lagamme est également riche dans lestextiles, de la soie au chanvre, de labroderie à la robe de bure. « On ararement le temps de se lasser, estimeAnne Breugnot. Ce qui est intéres-sant, aussi, c’est de travailler avec descollègues d’autres spécialités sur desobjets composites.C’est souvent le casavec les pièces ethnographiques, parexemple.»Ou avec certainesœuvrescontemporaines, qui ne craignentpas les juxtapositions hardies.Autre motif d’intérêt souvent sou-ligné : la variété des interlocuteurs.Des conservateurs de musée aussibien que des maires de communesrurales,des curés parfois bien embar-rassés par leurs trésors, des admi-nistratifs de conseils généraux,des collectionneurs,des antiquaires,des architectes… « Des gens auxpréoccupations et aux priorités trèsdiverses, résume Hélène Dreyfus.Onne s’ennuie jamais ! »Enfin,« c’est un secteur qui bouge. Larecherche progresse.Les sciences et lestechniques évoluent. Il faut se tenirau courant,continuer à se former.C’eststimulant »,assure Hubert Boursier.

Mal payéAprès les bons points, les mauvais :quelles sont les difficultés dumétier ?Le cri du cœur est, là encore, una-nime:« Il paye mal ! » « C’est difficiled’en vivre. » « Nous travaillons pourdes tarifs de plus en plus dérisoires. »« Les particuliers trouvent nos prix éle-

vés, dit Anne Breugnot,mais ils ne se rendentpas compte du temps qu’il faut passer sur lesobjets.Au final, c’est toujours plus long que l’es-timation, jamais l’inverse ! » « Et cela, d’au-tant plus que le temps d’intervention effectif nereprésente que 50 % du temps de travail total »,estime Hubert Boursier. Pour lui, « les prixdu marché ont été divisés par deux en quinzeans. Du coup, on n’arrête pas de courir, avecles conséquences sur la santé, le stress… et lesrisques pour les œuvres. On n’est pas à l’abrid’une mauvaise manip, d’un accident. »Comment expliquer pareille évolution ?« Dans le domaine qui est le mien, la pierre, leschantiers de restauration monumentale ont étépris en main par les gros groupes du BTP,répond-il. Comme les diplômes ne sont pasexigés pour travailler sur les monuments, cesentreprises ont monté des ateliers où s’activentparfois un seul professionnel et vingt tâche-rons. » Mais dans les autres spécialités ?Cause ou conséquence, la profession seféminise fortement et les vocations se raré-fient...Quoi qu’il en soit, la plainte semble fondée.« Vu le niveau d’études et les compétencesdemandées, le prix de journée des marchés derestauration est très faible par rapport à ceuxd’autres spécialités comme l’informatique, lamuséographie, la com ou la formation »,confirmeMarie-France Cocheteux, secrétaire géné-rale du musée.« L’administration fiscale nous pousse à adop-ter un statut de profession libérale, mais nousn’avons pas les revenus des médecins ou desavocats,note Hélène Dreyfus.Alors, il ne faut

Les règles de la profession

S elon la Confédération européenne des organisations de conserva-teurs-restaurateurs (ECCO selon l’acronyme anglais), la profession a

une « responsabilité particulière » envers les objets auxquels la sociétéattribue une valeur artistique,historique,documentaire,esthétique, scien-tifique ou religieuse, communément appelés “biens culturels”, mais aussi« envers leur propriétaire ou responsable juridique, leur auteur ou créa-teur, le public et la postérité ».Le conservateur-restaurateur a pour mission : l’examen diagnostiquedes biens culturels ; leur conservation préventive (action indirecte afind’en retarder la détérioration ou d’en prévenir les risques d’altération) ;leur conservation curative (action directe sur les pièces endommagées oudétériorées dans le but d’en faciliter la lecture).Le conservateur-restaurateur doit respecter la signification esthétique ethistorique ainsi que l’intégrité physique des biens culturels. Il doit prendreen compte les exigences d’utilisation sociale de ces biens, appliquer lesnormes les plus élevées sans considération de leur valeur marchande,limiter son intervention au strict nécessaire et n’utiliser que des produits,matériaux et procédés qui, dans l’état actuel des connaissances, nenuiront pas aux biens culturels, ni à l’environnement, ni aux personnes.Son intervention doit faire l’objet d’un rapport précis et être, si possible,facilement réversible.Le conservateur-restaurateur ne doit entreprendre que les interventionspour lesquelles il est compétent. Il doit consulter les historiens et les spé-cialistes de l’analyse scientifique, échanger librement avec eux, partagerexpérience et informations avec ses collègues.Enfin, l’implication dans le commerce des bien culturels n’est pas compa-tible avec l’exercice de la profession. Le conservateur-restaurateur doitnon seulement ne jamais favoriser le commerce illicite des biens cultu-rels mais « activement s’y opposer ».

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Treize marchés à l’annéePour la première fois en 2011, le muséede Cluny a lancé un appel à candidaturesgroupé pour toutes les prestations deconservation-restauration. Il portait surquatorze lots,par type d’œuvre et de maté-riau. Treize se sont révélés fructueux etse sont conclus par la passation d’autantde marchés : trois pour la sculpture (surpierre, bois, ivoire et os), autant pour lapeinture, un chacun pour l’orfèvrerie, lesémaux peints, les tapisseries, les autrestextiles, la céramique, le vitrail et la pho-tographie ancienne. Ces marchés, passéspour un an, sont reconductibles deux fois.

En haut : Hélène Dreyfus nettoie les palmettes d’unchapiteau de marbre antique et enlève au ciseau lesvilains joints au plâtre d’un rafistolage ancien avantd’en faire des nouveaux, à la chaux et discrets.

Ci-dessus : Aurélia Streri consolide la reliure d’un livred’Heures à l’usage de Besançon du début du XVe siècle.

À gauche : Raphaëlle Déjean achève de fixer la doublured’une des tapisseries de La Dame à la licorne.

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PhotosD.R.

Millefleurs n° 20, novembre 2012 1716 Millefleurs n° 20, novembre 2012

surtout pas tomber malade. Il n’y a pas d’in-demnités d’arrêt de travail et si peu de congésde maternité… »Autre problème ? « L’augmentation de la pape-rasse ! dénoncent aussi tous ces profes-sionnels. Il faut répondre à plusieurs appelsd’offres pour en emporter un, et cela prendbeaucoup de temps. » Hubert Boursier pré-cise:« Avant,on produisait simplement un deviset une facture. Maintenant, il faut monter desdossiers de plus en plus complexes.À nous,par-fois, de faire les recherches en archives surles œuvres ou de décrire les travaux à réali-ser, ce qui devrait être fait par les services. Eton nous redemande trois fois la même chose !Les donneurs d’ordre veulent se couvrir, ils ontpeur de se retrouver en procès, alors ils ver-rouillent tout ! Pour moi,cela représente annuel-lement trente jours de travail gratuit. »« Il faut produire des notes méthodologiquesà n’en plus finir, mais finalement c’est lemoins cher qui rafle le marché », se désoleAgnès Cascio. « Chercher du travail, remplirdes dossiers administratifs, c’est une chose quel’on n’apprend pas durant notre formation etqui manque, ajoute Delphine Masson. Cer-tains jeunes ont beaucoup de mal à démarreret des collègues abandonnent le métier. »« Pourtant, nuance Aurélia Streri, la procé-dure des marchés publics telle que les muséesla mettent en œuvre présente un avantage :quand on emporte un lot, on a la garantie d’unminimum de travail dans l’année.C’est précieux.C’est une bonne façon de contractualiser ce quin’est pas toujours prévisible. Et puis, dèsqu’un problème se pose dans notre spécialité,on est appelé, on devient un interlocuteur pri-vilégié, on aide à hiérarchiser les urgences, àdéfinir les priorités. »

ReconnaissanceDernier grief largement partagé : le manquede considération.« On nous prend parfois pourdes cousettes,des petites mains », lance RaphaëlleDéjean. « Des recolleurs de marbre » ren-chérit Hélène Dreyfus.«Même les architectes,y compris ceux des monuments historiques, necomprennent pas tous notre rôle,ajoute HubertBoursier.Certains n’écoutent pas et font appelà un tailleur de pierre ou à un sculpteur là oùdes traitements beaucoup plus respectueuxdevraient s’imposer.C’est comme ça qu’on abou-tit parfois à des catastrophes. »

Contrairement à ce qui se passe dans d’autrespays, en France, peu de musées ou d’insti-tutions salarient des restaurateurs à pleintemps. « Comme on ne nous voit pas tous lesjours, nous avons peu de poids dans les déci-sions, regrette Aurélia Streri.Dans beaucoupde cas, cela marcherait mieux si on n’attendaitpas le sauvetage final pour nous consulter, etce serait moins coûteux. Parfois, j’ai aussi l’im-pression que nous faisons peur. Il faut tou-jours rassurer sur nos interventions. »Mais attention,rectifient-ils immédiatement,ces critiques ne valent pas pour le muséede Cluny. « C’est sincère : nous y avons desinterlocuteurs compétents et qui respectent noscompétences »,dit Hélène Dreyfus.« D’abord,ce qui ne gâche rien, tout le monde est très gen-til, des membres de l’atelier muséographique àla direction,ajoute Aurélia Streri.La régie desœuvres (en charge de la conservation préven-tive) et les conservateurs sont à l’écoute et trèsaccessibles.Nous les voyons dix fois plutôt qu’unepour leur demander leur avis, en discutant àchaque étape de ce qu’il vaut mieux faire oune pas faire, notamment si l’on découvre desproblèmes après avoir démonté l’œuvre.Et puis,il y a des choix qui relèvent autant de l’esthé-tique que de la technique,nous faisons des pro-positions, mais c’est aux conservateurs querevient la décision. À Cluny, le dialogue estvraiment de rigueur. »

De leur côté, les conservateurs confirment.« Les échanges avec les restaurateurs sont tou-jours enrichissants. Ils apportent un autre regardsur l’œuvre, très complémentaire, j’apprendsénormément à leur contact », témoigne Chris-tine Descatoire.« C’est comme un parent quiva avec son enfant chez le médecin, assureMichel Huynh.Des échanges doivent sortir lebon diagnostic et le meilleur traitement pos-sible pour améliorer la situation, sans jamaisobérer l’avenir. »Au total, le musée de Cluny n’a qu’un seuldéfaut : l’absence d’un vaste atelier pour lesrestaurations de pièces volumineuses.« Maisc’est le cas dans la plupart des musées,mêmeà Branly, pourtant de construction récente »,déplore Hubert Boursier.Alors si c’était à refaire ? Aucun des res-taurateurs rencontrés ne regrette le choixde ce métier. Ils n’en cachent pas les diffi-cultés aux jeunes qui les interrogent, maisdeux d’entre eux au moins, Hubert Bour-sier et Agnès Cascio, l’enseignent.« On aime ce que l’on fait », résume HélèneDreyfus. « C’est un tel privilège de voir debelles choses tous les jours, et de si près !assure Aurélia Streri. C’est une telle satis-faction de voir les pièces restaurées présen-tées en salle ou partir en exposition. Et deles savoir préservées pour les générationsfutures. » � M.-J.M.

AMIS DU MUSÉE

C ette année 2012 a été riche en évé-nements, et la société des Amis du

musée de Cluny,à travers le travail des béné-voles qui l’animent,a proposé à ses membresde nombreuses possibilités de satisfaire leurintérêt pour le Moyen Âge.Privilège toujours apprécié à sa juste valeur,nous avons bénéficié de visites privées avecles commissaires des expositions du muséelorsqu’ils nous ont présenté Gaston Fébus,le narcisse flamboyant et grand chasseur,« Cluny 1120 », spectaculairement mis enscène par une reconstitution du portail, laCroatie médiévale et ses reliquaires épous-touflants, enfin « L’art du jeu » et ses loin-taines racines orientales.Ces découvertes se sont prolongées à Parissur les traces de notre héritage avec, parexemple, la visite du musée de la Chasse etde la Nature (encore Fébus !), la prome-nade dans le Paris médiéval, l’exposition duLouvre sur les Belles Heures du duc de Berry,ou encore celle des Archives nationales surla demeure médiévale.La vie quotidienne au Moyen Âge a égale-ment été illustrée par les expositions sur

le vin à la tour Jean sans Peur, l’Artd’aimer selon le Roman de la Rose à la biblio-thèque de l’Arsenal ou les « Festins Renais-sance » à Blois.Nous avons voyagé par la pensée, là encoreen l’excellente compagnie des commissaires,en découvrant les miniatures flamandes à laBibliothèque nationale ou encore la Chypremédiévale au Louvre.Des groupes ont également voyagé pour debon en allant avec grand intérêt :– deux jours dans le Jura, dans les égliseset abbayes autour de Dole et d’Arbois ;– une journée dans la vallée de la Seine,au point de contact des influences entreNormandie et Île-de-France au XIIe siècle ;– six jours en Croatie, en parallèle avecl’exposition du musée, à la découvertedes trésors médiévaux (et autres mer-veilles) de Zadar, Sibenik, Trogir, Split etDubrovnik.Que les nombreux intervenants qui nousont offert leur immense savoir, leur formi-dable culture et leur gentillesse en soientvivement remerciés ! �

Martine Gaucheron

De Paris à Dubrovnik

• 107 personnes travaillent aumusée (soit 91 équivalentstemps plein). 81 sont agentsde l’État, les 26 autres(à la caisse, à la librairieou conférenciers) étantsalariés de la RMNGP(Réunion des muséesnationaux). Les équipesde surveillance de nuitmobilisent à elles seulesonze postes.

• Anne-Bénédicte Danonlaisse le Centre nationaldu cinéma pour venir, le3 décembre, renforcerl’administration du muséeen tant que secrétairegénérale adjointe.

• Marie-Alice Virlouvet,chargée de la bibliothèque,part à la DRAC Île-de-France.Élisabeth Loison a quittéaussi le servicedocumentation pour uncongé de formation.

• Rachel Beaujean-Deschamps,ancienne des Archivesnationales et du Louvre,remplace Florence Ertaud,responsable adjointe dela régie des œuvres, partiepour la Malmaison.

• Laure Pétermin, quitravaillait déjà à la librairie,en a pris la responsabilitéaprès le départ à la retraitede Jacques Bertaudon.

• Au service d’accueil et desurveillance, Mogan Mironet Fabrice Greillot ont postuléavec succès pour Écouen etles Tours de La Rochelle. Leurcollègue William Cledes est,quant à lui, devenuprofesseur d’arts plastiques.Enfin, Michel Tutu, Jean-Charles Goubareff et GérardPrudenti ont fait valoir leursdroits à la retraite. PatriciaRamond et Béatrice Vaissièreont pris le relais, d’autresrecrutements sont en cours.

Penchée sur un coffret de l’atelier des Embriachi (XIVe siècle), Agnès Cascio propose une solution derestauration à Élisabeth Taburet-Delahaye. Le dialogue avec les conservateurs est permanent.

L’émouvante chapelle de la Sainte-Trinité, à Split. Construite en rotonde avec six absidioles semi-circulaires,elle est typique d’églises édifiées sur les deux rives de l’Adriatique à la fin du VIIIe siècle et au IXe.

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PhotoFrançoiseBeaumont

Millefleurs n° 20, novembre 2012 19

�Miniatures flamandes, 1404-1482sous la direction de Bernard Bousmanne etThierry Delcourt.Co-édition Bibliothèquenationale de France et Bibliothèque royalede Belgique. 49 €.

Pourquoi les Pays-Bas bourguignons – sur-tout la Flandre et le Brabant – devinrent-ils au XVe siècle une florissante terre de pro-duction de manuscrits enluminés? Ce beauvolume, qui est plus que le catalogue desdeux expositions récemment présentéesà Bruxelles et à Paris, éclaire la question.

Le phénomène a bien sûr une base écono-mique, les terres nordiques des ducs deBourgogne comptant parmi les zones lesplus prospères et les plus urbanisées del’époque. Il a aussi des raisons politiques,avec le développement des ambitions desducs,de l’avènement de Jean sans Peur (1404)à la mort de Marie de Bourgogne (1482).Le décryptage des scènes de dédicace oùfigure Philippe le Bon montre bien que sesnombreuses commandes de livres peints nevisaient pas seulement à satisfaire ses goûtsde bibliophile…Après un utile rappel des diverses accep-tions de la notion même de Flandre et d’artflamand, l’ouvrage souligne la diversificationdes types de textes livrés aux scribes et auxpeintres au XVe siècle, même si les livresd’Heures restent majoritaires. Le phéno-mène est lié à la multiplication des com-manditaires, bourgeois, villes et confrériess’ajoutant aux princes et aux clercs. Les

auteurs décrivent aussi l’évolution de l’artdes miniaturistes selon les époques, lescentres de production et les artistes. Pources derniers,quelques patronymes –WillemVrelant, Loyset Liédet, Liévin Van Lathem,Simon Marmion… – émergent parmi denombreux noms de convention, le plus évo-cateur étant sans doute celui du Maître auxmains volubiles.

� L’assassinat de Charles le Bon,comte de Flandre. 2 mars 1127Laurent Feller. Éd. Perrin. 23 €.

Un vrai roman policier ! Passionnant et auxmultiples rebondissements… L’histoire decet assassinat dans un lieu sacré, la collégialeSaint-Donatien de Bruges, et du chaos quis’ensuivit est bien connue des historiens,car elle a été racontée par des chroniqueurscontemporains. Elle est écrite ici avec viva-cité et minutie.Mais ce qui fait l’intérêt prin-cipal de l’ouvrage,c’est l’art avec lequel l’au-teur entrelace dans son récit toutes sortesd’autres aspects de l’histoire du moment etdu lieu, l’importance du corps du princeassassiné, l’intervention des bourgeois etdes pauvres dans une vengeance en prin-cipe réservée aux nobles, la dimension poli-tique de l’affaire à l’échelle du royaume deFrance et au-delà… En fin de lecture, il nousconduit à constater l’impact de l’événementsur l’évolution de la société, en particuliersur les villes et leur émancipation.

�Une capitale flamboyante. La créa-tion monumentale à Paris autour de 1500

Étienne Hamon. Éd. Picard, 61 €.La construction monumentale connut unbel essor à Paris pendant les règnes deCharles VIII et de Louis XII, l’hôtel de Clunyen est l’un des témoins encore debout.Long-temps négligée par les spécialistes, commed’ailleurs bien des productions artistiquesde la fin du Moyen Âge,cette floraison com-mence à être reconnue,en quantité,en qua-lité et en diversité.Les recherches d’Étienne Hamon,appuyéessur un dépouillement exhaustif du Minutiercentral des notaires à partir des années1480, y apportent leur lot de précisions.Elles permettent de relire les autres sourcesà la lumière des informations ainsi collec-tées et de préciser des chronologies. Ellesmontrent la variété des chantiers,mais aussides commanditaires. Elles éclairent lespratiques,celles du monarque aussi bien quedes paroisses. Elles lèvent enfin le voile surles professionnels à l’œuvre – architectes,maçons,charpentiers,sculpteurs – dont cer-tains sortent de l’anonymat

�Saint-Étienne d’Auxerre. La secondevie d’une cathédrale

Sous la dir.de Christian Sapin.Centre d’étudesmédiévales d’Auxerre-Éd. Picard. 80 €.

Ouvrage important,à la mesure de la cathé-drale d’Auxerre, et ouvrage collectif car la

Parmi les parutions récentesLIVRES

18 Millefleurs n° 20, novembre 2012

complexité et la richesse de l’édifice a néces-sité de rassembler des spécialistes dans unedémarche interdisciplinaire et internatio-nale. Saint-Étienne est exploré méthodi-quement et minutieusement, faisant appelsimultanément à des observations,des rele-vés, des documents d’archives et à des tech-niques du XXIe siècle.Néanmoins, la sommed’informations livrées est accessible grâceà une abondante et magnifique iconogra-phie et à l’utilisation de la modélisation3D qui visualise les étapes du chantier médié-val, première approche de l’édifice. L’étudeest exemplaire,va de l’architecture au décoren passant par les matériaux, et donne ladescription globale d’une grande cathédralegothique. De quoi combler tout amateuréclairé.

� La demeure médiévale à Parispublié sous la direction scientifique d’ÉtienneHamon et ValentineWeiss.Somogy-Archivesnationales. Deux volumes : 35 € et 25 €.

Étonnant : contrairement à l’idée répandueencore récemment, il existe à Paris, entout ou partie, des dizaines de demeuresmédiévales,plus encore de caves voûtées…et l’on en retrouve chaque année ! À l’oc-casion de la riche exposition présentéeaux Archives nationales,deux volumes fontle point sur cette réalité encore très incom-plètement explorée : l’un est un répertoiredes hôtels et maisons connus, l’autre unrecueil d’une cinquantaine d’essais.D’un article à l’autre sont examinés lessources documentaires, la topographie, leparcellaire, les règlements d’urbanisme, les

fonctions, les techniques de construction,l’architecture et ses évolutions du XIIIe siècleau début du XVIe,bref tout ce qui a modeléla maison ordinaire ou l’hôtel aristocratique.Les fonds des archives sont largement misà contribution mais aussi les observationsdes archéologues. Un utile coup de pro-jecteur est enfin donné sur la postérité du« vieux Paris » à travers les siècles et lesmodes.

�Chronique dite de Jean de VenetteLe Livre de poche,coll.Lettres gothiques.12€.

De 1340 à 1368, un Carme parisien tientannuellement le journal des terribles évé-nements de son temps : roi prisonnier enAngleterre, guerre civile avec Charles deNavarre,grande Jacquerie,révolte d’ÉtienneMarcel,épidémies de peste, intempéries quiruinent les récoltes, manipulations moné-taires… Fait rarissime, ce témoin – à l’op-posé de son contemporain Froissart – necraint pas de souligner les faiblesses despuissants et s’afflige des malheurs des popu-lations. Il est vrai qu’il écrit en latin, gage dediscrétion. Son récit, auquel se mêlentcroyances et prophéties, rend bien comptedes mentalités de l’époque. Il se lit facile-ment dans la traduction et avec les notesde Colette Beaune.

� L’âge d’or capétien, 1180-1328Jean-Christophe Cassard. Éd. Belin, 42 €.

Parmi les tout derniers volumes parus deL’Histoire de France dirigée par Joël Cornette,cet ouvrage sur un « long XIIIe siècle » rendcompte d’une étape décisive dans la consti-

tution du pays.Les règnes de Philippe Auguste,saint Louis et Philippe le Bel sont ceux dupassage de la féodalité à la royauté, de lamise en place des premières structures admi-nistratives d’un État, du triomphe de l’artgothique autorisé par des progrès tech-niques et économiques… Les encadrés detextes d’époque, les illustrations et surtoutles nombreuses cartes éclairent cette syn-thèse où la vie quotidienne et l’évolution dela spiritualité trouvent place à côté des trans-formations politiques.

�Le Moyen Âge sur le bout du nez.Lunettes, boutons et autres inventionsmédiévales

Chiara Frugoni.Éd.Les Belles Lettres.25,40€.

Eh bien,oui, les lunettes ont sans doute étéinventées en Italie autour de 1300. Elles serépandent si bien qu’un peintre les fait por-ter, encore sans branches,par saint Luc pourrédiger son Évangile ! À travers une abon-dante iconographie et mille anecdotes, cetouvrage au style alerte, savant avec gaîté,nous propose une vision inattendue et rafraî-chissante du Moyen Âge.Dans un inventaireà la Prévert,qui passe du chapelet aux cartesà jouer, des boutons au purgatoire ou auCarnaval,on voit le chat devenir animal fami-lier au point d’être présent dans une Nati-vité, les pâtes figurer désormais au menu etmangées bientôt avec une fourchette.Autantd’inventions médiévales, utiles ou futiles,toujours présentes dans notre vie quoti-dienne.

PrimésPour la sixième année consécutive, la sociétédes Amis du musée de Cluny a décerné le Prixde la Dame à la licorne. Le jury a distinguécette fois deux ouvrages : l’un en histoire,L’as-sassinat de Charles le Bon, l’autre en histoire del’art, le catalogue desMiniatures flamandes.LePrix a été remis aux auteurs lors d’une sym-pathique réception au musée de Cluny, le17 octobre 2012.Occasion de rendre un hom-mage particulier à l’un d’eux, Thierry Del-court, directeur du département des Manus-crits à la BnF, trop tôt disparu.

Pages réalisées avec la participationde Claude Coupry et de Brigitte Affholder.

20 Millefleurs n° 20, novembre 2012

� AutunMusée RolinBologne et le pontificald’Autun. Un chef-d’œuvreinconnu du premier Trecento(1330-1340)Jusqu’au 9 décembre 2012

� BeauvaisGalerie nationale de latapisserieTentures et tapisseriesdu trésor de la cathédralede BeauvaisJusqu’au 15 décembre2012

� BerlinBode MuseumLamentations pour un princedéfunt. Les pleurants de latombe de Jean sans peur.Jusqu’au 2 février 2013

� BrugesGruuthusemuseumAmour et Dévotion. Lemanuscrit de GruuthuseDu 22 mars au 23 juin2013

est édité par la société des Amisdu musée de Cluny,6, place Paul-Painlevé, 75005 Paris.01 53 73 78 28. [email protected]

Directeur de la publication : Christian GiacomottoRédaction : Marie-Jo MaerelImprimerie Promoprint, 75018 Paris

Dépôt légal : quatrième trimestre 2012ISSN : 1621-8000

Expositions autour du Moyen Âge

Si vous passez par…� BruxellesMusées royaux desBeaux-ArtsL'héritage de Rogier Vander Weyden. La peintureà Bruxelles, 1450-1520Du 10 octobre 2013 au26 janvier 2014

� CologneMusée SchnütgenLes prophètes de l’hôtelde ville. Sculpture desannées 1400Jusqu’au 7 avril 2013

� FlorencePalazzo StrozziLe printemps de la Renais-sance. La sculpture et les artsà Florence, 1400-1460Du 23 mars au 18 août2013

� MagdebourgMusée d’histoire culturelleOthon le Grand et l’empireromain. L’impérialité del’Antiquité au Moyen ÂgeJusqu’au 9 décembre 2012

� PaderbornMusée diocésainCredo. La christianisation del’Europe au Moyen ÂgeDu 26 juillet au 20novembre 2013

� ParisArchives nationalesLa Demeure médiévale àParisJusqu’au 14 janvier 2013

Bibliothèque de l’ArsenalL’art d’aimer au Moyen Âge :le Roman de la RoseJusqu’au 17 février 2013

Musée du LouvreChypre entre Byzance etl’Occident, IVe-XVIe siècleJusqu’au 28 janvier 2013

Tour Jean sans PeurLa cuisine au Moyen ÂgeJusqu’au 3 avril 2013

� RotterdamMusée Boijmans VanBeuningenVan Eyck et ses précurseursJusqu’au 10 février 2013

� Saint-MihielMusée d’art sacréTrésors de MeuseDu 1er mai au 31 octobre2013

� Saint-OmerMusée de l’hôtel SandelinBestiaire médiévalJusqu’au 16 décembre2012Une renaissance. L’art entreFlandre et Champagne(1150-1250)Du 1er avril au 1er juillet2013

� UtrechtCatharijneconventLes survivants de l’icono-clasme. La sculpturemédiévale d’UtrechtJusqu’au 24 février 2013

� Vienne (Autriche)Albertina MuseumL’empereur Maximilien1er

(1459-1519) et l’art deson tempsJusqu’au 6 janvier 2013

Professeur enseignant,figure d’un tombeau.Bologne ? vers 1340.Cette sculpture de marbre,prêtée par le musée deCluny, était cet automneau musée Rolin d’Autun.

©RMN-GrandPalais/MichelUrtado