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Coordinateurs du document : François-Xavier de Vaujany, Amélie Bohas, Julie Fabbri & Pierre Laniray [email protected] @collspaces NOUVELLES PRATIQUES DE TRAVAIL : LA FIN DU CLIVAGE SALARIAT-ENTREPRENEURIAT ? Synthèse des recherches 2015-2016

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Coordinateursdudocument:François-XavierdeVaujany,AmélieBohas,JulieFabbri&PierreLaniray

[email protected]@collspaces

NOUVELLESPRATIQUESDETRAVAIL:LAFINDUCLIVAGE

SALARIAT-ENTREPRENEURIAT?

Synthèsedesrecherches

2015-2016

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(*) CETTE RECHERCHE EST LE PUR PRODUIT D’UNE DEMARCHE

COLLABORATIVE.ELLEN’AFAITL’OBJETD’AUCUNFINANCEMENTPUBLIC

OU PRIVE. NOUS REMERCIONS SEBASTIEN LORENZINI, GREGOR

BOUVILLE,STEFANHAEFLIGER,HELENEBUSSY-SOCRATEETJULIEFABBRI

POUR LEUR AIDE DANS L’ELABORATION DU QUESTIONNAIRE. NOUS

REMERCIONSEGALEMENTTOUSLESCOORDINATEURSDURESEAUXRGCS

POUR L’ORGANISATION DES ATELIERS ET DES SEMINAIRES, EN

PARTICULIER STEFAN HAEFLIGER, JULIE FABBRI, VIVIANE SERGI, ANNIE

CAMUS, ANNAGLASER, PIERRE LANIRAY, ANOUKMUKHERJEE, FABRICE

PERIAC, SABINE CARTON, DAVID VALLAT, BOUKJE CNOSSEN ET PAULA

UNGUREANU.

Cetteœuvre,création,siteoutexteestsouslicenceCreativeCommonsAttribution-Pasd'UtilisationCommerciale-PasdeModification4.0International.Pouraccéderàunecopiedecettelicence,mercidevousrendreàl'adressesuivantehttp://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/ouenvoyezuncourrieràCreativeCommons,444CastroStreet,Suite900,MountainView,California,94041,USA.

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RÉSUMÉ

CerapportproposeunesynthèsedesrecherchesempiriquesmenéespendantdeuxansparleréseauRGCS(ResearchGroupCollaborativeSpaces).RGCSestàlafoisunréseauindépendantdechercheursetunthinktankinternationalquis’intéresseauxnouvellespratiquesdetravaildanslecontextedel’économiecollaborative.Ilexploreenparticulierlesenjeuxliésàl’essordes espaces collaboratifs et des communautés collaboratives. La synthèse présentée icis’appuiesur l’analysed’unpeuplusde900pagesdemémosdesdiscussionsetd’idées-clésissuesdesséminaires,ateliersetautresévènementsconduitsparleréseauRGCSentrefin2014et novembre 2016; sur les résultats de l’enquête en ligne menée en 2016 sur lestransformationsdutravailetdesesespaces;etsurlesdonnéesrécoltéesàl’occasiondes82visitesdetiers-lieux(espacesdecoworking,makerspaces,fablabs,hackerspaces,incubateurs,accélérateurs,digitallabs…)réaliséesdansunedizainedepays.

Cettesynthèsedesrechercheseststructuréeautourdetroisniveauxd’analysedulienentrephénomènescollaboratifsetnouvellespratiquesdetravail:unniveau individuel,unniveaucommunautaireetunniveauplussociétal(mouvementsocial).Nousnousefforçonsàchaquefoisd’étudierlesdimensionsspatialesettemporellesdelarelation.

Parmi les points évoqués, le rapport souligne que les frontières entre salariat etentrepreneuriat sont loin d’être aussi rigides que ce que les média, les managers ou lespolitiquessupposentsouvent;aucontraire,lesnouvellespratiquesdetravaillesrendentdeplusenplusporeuses,commeenattestel’émergencedetrajectoiresprofessionnellesreposantsurl’«entrepreneuriat-alterné».Cettesynthèsefaitégalementétatd’individusqui,au-delàdustressautravail,souffrentavanttoutd’ennui.Ons’amusepeudanslemondedesorganisationsavecleurdécoupageverticalethorizontal.

Depuisunequinzained’années,lespratiquesdetravailsetransformentenprofondeurautourdel’économiecollaborativeetdesnouvellesformesdecollaboration.Nousenexploronsicilesimplications, tant pour les individus-travailleurs, les collectifs de travail que pour lesdynamiquesdelasociétédanssonensemble(nouveauxtypesdemouvementssociaux).

Pourlesindividus,lecollaboratifcorrespondàlafoisàdenouveauxespacesdecompétences,desdébouchés,unprojetdevieetparfois,unsensplusfortdonnéàleurvie.Surleplandescommunautés,lesrésultatsempiriquesmontrentl’importancedescollectifscommunautairesdans les transformations du travail. Dans des économies qui se liquéfient autour del’entrepreneuriat, du travail indépendant, de la mobilité qui fragmente et enchaîne lescontextes de travail, la communauté devient essentielle. Elle est «pratique»,«professionnelle»,«identitaire»,maisplusquetout,«émotionnelle».Ellepermetdegérerles crises de sens, la lutte contre l’ennui, la solitude du porteur de projet et/ou del’entrepreneur…Enfin,lesmouvementssociauxfontl’objetd’untroisièmevoletd’analyse.Lestravauxempiriquesduréseaumontrentl’importanceduhackingenmatièredemanagementetdepolitiquespubliques.Maisdecepointdevue, lesacteursdemouvementsociauxquenous avons eu l’occasion de rencontrer invitent à dépasser le concept dehacket celui dehackathon(trèsreprispar lesentreprisescommepar lespouvoirspublics).Leshackerssont

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aussiunmodedegouvernanceetderégulation(loinduchaos)quipeutêtreintéressantpourlesmanagers comme pour les politiques publiques. Nous évoquons plus généralement lesdiscussions (et entretiens liés aux visites) qui ontporté sur la thématiquehackers/makers:«musesoucontre-culturepourlemanagementetlespolitiquespubliques?»

Mots-clés : transformations du travail; nouvelles pratiques de travail; entrepreneuriat-alterné; entrepreneuriat; retour des communautés; clivage entrepreneuriat-salariat;management; innovation; tiers-lieux; espaces collaboratifs; coworkers;makers; hackers;fablabs;intermédiation;collaboration;formestransitoires.

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Introduction:deséchanges,uneenquêteetdesobservationspouruneexpériencedevieinoubliable…

ENCADRE1:PETITPROPOSPRELIMINAIRE:JUIN2014,LORSDELALONDONTECHNOLOGYWEEK1

C’estledébutd’unsalonaucœurdelaLondonTechnologyWeek(InternetWorld).Ilestencoretôtlematin.Pourillustrerlarecherche,jeprendsdesphotosetréalisedecourtesvidéosdesvisiteursquiarriventparlapasserelleprincipale.Ilssontlà…descentaines,desmilliers.Unevilleentièrequisedéversesurcesanciensdocksd’Excel.Ilssontjeunes,amusésetamusants.Ungroupedetroispersonnespasseàcôtédemoi.Jelesentendsparlerdeleurstart-up.Jeréalisealorsquecesmilliersd’individussontquasimenttousdesentrepreneurs!Trèspeusontdes «salariés» du numérique, des SI, des relations publiques, du marketing ou de lacommunication.

Cemomentconstitueclairementundéclic.SansdoutepartagépardenombreuxparticipantsauxréseauxRGCS,etdenombreuxautresacadémiques.Oui,au-delàdeschiffresetd’unevuede l’esprit, cela devient une évidence presque «physique»: le travail se transforme.Profondément. L’entrepreneuriat se généralise et se banalise. La culture du «faire»également. Quelques jours plus tard, je participe à un événement dans le quartier deShoreditch.Quedechangements!Ilyaplusde15ans,jemesouviensd’unenvironnementtrèsdifférent…Autourdemoi,denombreux«espacesdecoworking»,des«entrepreneurs»etdes«hipsters».L’ambianceestplutôtjoyeuseetjoueuse.Jesensdanscertainsregardsqu’ilyaprobablementunreversdelamédaille,uneréalitémoinsglamour,maislesgrainessontlà.

Les questions fusent-alors:Nos enseignements universitaires sont-ils encore adaptés à cesévolutions?Notreapprochedel’entrepreneuriatcolle-t-elleàlaréalitédenossociétés?Peut-on encore donner la charge (dans nos universités) de cette compétence plus que jamaistransversale et polymorphe à un(e) seul(e) monsieur (ou madame) entrepreneuriat? Leréférentiel de nos enseignements (une «entreprise» plus que des assembleurs ou desentrepreneursassemblés)est-ilencorepertinent?Idempournosrecherchesengestionetensciencessociales?Lesentreprises,grandescommepetites,ont-ellessaisitouslesenjeuxdecestransformations?Lescitoyens,au-delàdespeursetdesfantasmesmédiatiques,font-ilslapartdeschoses?Malgréce foisonnementd’interrogations, laprudencerestedemise.Nossociétéssontencoreaujourd'huitrèssalariales:sur25,8millionsd’actifsayantunemploienFrance,22,8millionssontdessalariés(source:INSEE,2014);lesobjetsdenotrequotidien(deplusenplusconnectés)sontencoreproduits,pouruneimmensemajorité,dansdesentreprisestraditionnelles, loin des fab labs ou desmaker spaces. Et le changement: viendra-t-il desentrepriseselles-mêmeset/oudelacité?

UndesacadémiquesduréseauRGCS

Quiauraitcruqu’unepetiteidéequicommençaitàgermerenjuin2014allaitmeneràuntel«nous»,àunetelleaventurecollective?Fin2016,aprèsdeuxansd’existence,legroupedetravailinitialestdevenuunréseauinternationalcomptant6chapitreslocaux(Paris,Londres,Montréal, Lyon, Grenoble et Barcelone) et 3 chapitres en cours d’ouverture (Amsterdam,

1https://londontechweek.com/

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Berlin, Rome). Le Research Group on Collaborative Spaces s’est également orientéprogressivementversunelogiquedethinktank:plusde1000personnesontainsiparticipéàlacinquantained’événementsorganisésparleréseauquicompteaujourd’huiunpeuplusde250membresactifs.AucœurdespréoccupationsdeRGCSsetrouventlesnouvellespratiquesde travail dans le contexte de l’économie collaborative et l’étude des communautéscollaboratives,desespacescollaboratifsetdesmouvementssociauxquisedéveloppentautour(espacesdecoworking,corporate,etmouvementscoworking;makerspacesetmouvementsdemakers,fablabbers,hackerspacesetmouvementsdehackers).

Oui,ilyaencoreunevraieplacepourlerêve,pourl’énergie,lapassion,l’envie,l’optimismedansnotremonde.C’esttoutcequenousavonsressentietcomprisaucontactdesmilieuxcollaboratifs.

Lerapportquisuitestàlireàlafoiscommeunesynthèseetunrapportd’étonnement.Silasérie deWhite Papers RGCS (Alpha et Omega 2 ) a une visée politique et transformative(identifier des controverses et faire des propositions pour les politiques publiques et lesstratégiesd’entreprise),cedocumentconstitueplutôtunesynthèsedesrecherchesduréseau.IlavocationàêtreréalisédefaçonbiannuelleparlescoordinateursdesdifférentschapitresdeRGCS.

Cetravails’appuiesur lesrecherchesempiriquesduréseauRGCSréaliséesentrenovembre2014etnovembre2016(cf.Figure1etAnnexe2):

FIGURE1:TROISRECHERCHES:UNEENQUETE,DESDEBATS,DESVISITES

é Desnotesetmémos(unpeuplusde900pages)des52séminaires,ateliers,réunions,meetingpointsethappening(au7novembre2016)réalisésparleréseauRGCSetsescollaborateurs en 2015 et 2016. Ces événements ont réuni un peu plus de 1000personnes, principalement dans 8 villes: Paris, Londres, Montréal, Lyon, Grenoble,

2LaversionAlphapeutêtrelibrementconsultéeàlapage:https://collaborativespacesstudy.wordpress.com/2016/04/10/rgcs-white-paper-version-alpha/ La version Omega sera miseenlignele16décembre2016.

��

�� UNE ÉTUDE SUR LES TRANSFORMATIONS DU TRAVAIL

QUESTIONNAIRE EN LIGNE (TRAVAILLEURS, TÉLÉTRAVAILLEURS)

82 VISITES AU SEIN D’ESPACES COLLABORATIFS (MAKER SPACES, FAB LABS, ESPACES DE COWORKING, HACKER SPACES DANS 10 PAYS

UNE RECHERCHE PLUS SPÉCIFIQUE SUR LES VISITES DE TIERS-LIEUX

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14

15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30

NOV. 15

UN LIVRE BLANC COLLABORATIF

52 ÉVÈNEMENTS DANS 7 PAYS

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Barcelone, Amsterdam, et Berlin. Les participants avaient des profils très variés:académiques (en management, économie, sociologie, sciences politiques, design,ergonomie, architecture, urbanisme…), gestionnaires et propriétaires de tiers-lieux(«communitymanagers»,«concierges»d’espacesdecoworking,fabmanagers,etc.),managers (consultants en organisation, stratégie ou digital, responsables openinnovation, chefs de projets, animateurs de fab labs corporate…), représentants destructures publiques (mairies, conseils régionaux, universités, COMUE…), associatifs,étudiants…Nous remercions très chaleureusement toutes ces personnes pour leurspropositions,leursquestionsetplusquetout,leurpassion.Cedocumentreprenddesélémentssaillantsetrécurrentsdesprésentations,deséchangesetdesquestionsquiontrythmécesévénements.Anoterqu’unepartiedecesdonnées(lesateliersde2016)constituentégalementlabasedutravailderédactiondelasériede«WhitePaperRGCS»(Alpha&Omega);

é LequestionnaireRGCS(cf.Annexe3)surlestransformationsdutravailetlesnouvellespratiques de collaboration (mis en ligne enmai 20163). Il portait sur les nouvellespratiques de travail, en particulier de collaboration.Unepartie des questions filtrespermettait d’approfondir le cas des personnes ayant une expérience d’espaces decoworking,demakerspaces,hackerspacesoufablabs;

é Unebasededonnéesdevisitesdetiers-lieuxetd’entretiensavecdesgestionnairesdecesespacesréaliséesentre2014et2016(824)dansunedizainedepays(Allemagne,Angleterre,Australie,Canada,Espagne,Etats-Unis,France,Italie,Portugal,Singapour).Ces visites ont permis de comparer une variété de codes esthétiques, de modèleséconomiques,depratiquesdetravail (attenduesoueffectives)etdedynamiquesdeterritoires, de politiques publiques territoriales. Elles ont aussi permis de trèsnombreusesrencontresavecdesentrepreneursetdesmakers.

Ledocumentanalyselesimplicationsduphénomènecollaboratifetdesnouvellespratiquesdetravailàtroisniveaux:

é Auniveauindividuel,ils’agitd’explorerlesnouvellespratiquesdetravaildupointdevuedesindividus et en particulier en fonction de leursstatuts professionnels. Traitée dans la premièrepartiedurapport,l’analysedecetterelationmetenlumièrelecaractèredeplusenplusporeuxdesfrontières managériales et sociologiques entresalariat et entrepreneuriat (loin d’oppositionsassez systématiques valorisées par certains

3Ilestaccessibleàl’adressesuivante:http://www.webpanel.dauphine.fr/cgi-bin/HE.exe/SF?P=1z162z2z-1z-1z0EB7D8D963

4Unerechercheplusspécifique(coordonnéeparRGCS)estencourssurcesujet.Elledevraitcouvrirunpérimètrepluslargedevisitessurlamêmepériode(environ120)analyséesaveclemêmeprotocoledecodage.

FIGURE2:3NIVEAUXD’ANALYSEDESNOUVELLESPRATIQUESDETRAVAILDANSLECONTEXTEDEL’ECONOMIECOLLABORATIVE

INDIVIDUS

COMMUNAUTÉS

MOUVEMENTS SOCIAUX

NOUVELLES PRATIQUES DE TRAVAIL

8

médias)àtraversnotammentlatrajectoiredel’«entrepreneuriat-alterné»;

é Au niveau communautaire, le rapport questionne dans une deuxième partie cesnouvellespratiquesdetravaildupointdevuedescollectifsdetravail(avecuneentréenotamment«communautés»).Cedeuxièmevoletmetainsienavantl’importancedescollectifscommunautairesdanslestransformationsdutravail;

é Auniveaumouvementsocial,latroisièmepartiedecerapportchercheàarticulercesnouvelles pratiques de travail avec des transformations plus sociétales. Nous nousintéresseronsauxmouvementssociauxquisontaucœurduphénomènecollaboratif.Nous aborderons en particulier la thématique «hackers/makers: muses ou contre-culturepourlemanagementetlespolitiquespubliques?».

Pour chaqueniveau,nousaccordonsuneattentionparticulièreauxdimensions spatialesettemporelles. Nous situons ainsi les nouvelles pratiques de travail dans l’espace avec troisacceptionsdeceterme«espace»:espace-tempsenlienaveclagestiondestempspersonnelsetcollectifsetlesnouveauxrythmesobservés;espace-lieuxenréférenceàcestiers-lieuxetàleurorganisationdel’espace;espace-territoireseuégardàcestiers-lieuxetàleurancragedansunterritoireetsesréseauxd’affaires.

1û NOUVELLESPRATIQUESDETRAVAIL-INDIVIDU:VERSUNDEPASSEMENTDESLIENSSALARIAUXETCONTRACTUELS?

Les discours ambiants, scientifiques, médiatiques comme managériaux (notamment enressourceshumaines),opposentassezsystématiquementl’entrepreneur-innovateur-créateuret le salarié-suiveur-exécutant. Dans cette acception, l’opposition entrepreneur / salariérenverraitàdeuxchoixdevieaprioripeucompatibles:«devenir»unentrepreneurversus«être» un salarié. Aux uns, l’aventure, le lien avec des communautés, des projets maiségalement,lesrisquesetparfois,laprécarité.Auxautres,lasécurité,lerattachementdurableàuneorganisation,unstatutsocial,leconfortd’unrôlestableetd’unestructurehiérarchique.Les entrepreneurs et plus largement, les indépendants, deviendraient une solutionincontournableàlacriseéconomique(pourcertainsd’ailleursgénéréeparunmanqued’espritd’entreprendreetdeliberté).AprèsMarx,ilsemblequeSchumpetersoitdevenuàsontourlegrandprophètedenossociétés,etl’entrepreneuriat(commel’innovation),levoletessentield’unegrandeprophétie.

Lesdébatssur lerevenuuniversel, l’uberisationdenoséconomies, lanumérisation5ontfaitémergerdesdébatsrelativementclivantsurladichotomieindépendant/salarié.

Parmilecortègedecesdébatstendusrelayésparlesmédias,celuisurl’entrepreneuriat-subi6est relativement exemplaire. Plusieurs études convergent pour valoriser une proportiond’environ40%d’entrepreneurs(cf.lesétudesGEM)quiontcrééuneentreprisesansvraimentavoir le choix (première recherche d’emploi infructueuse, licenciement, essaimage ou5AveccertesdesspécialistesduBigDatabienpayésmaiségalementdenombreuxpickersetlogisticiensdudernierkilomètretravaillantdansdesconditionsurbainessouventtrèsdifficiles.6RécurrentsurplusieursdenosséminairesetateliersRGCS.

9

intrapreneuriatplusoumoins«incité»…).Sinousnecontestonsabsolumentpascetétatdefait,nilestressoulemal-êtrequipeutl’accompagner,lestravauxduréseauRGCSnousontamenésànuancerquelquepeucetableau.

Ainsi,plusieurséchangesà l’occasiondeséminaires (enparticuliersurParisetLondres),ouencorecertainesréponsesauquestionnaire,nousontconduitsàinsistersurl’importancedutemps et des trajectoires professionnelles (individuelles ou projetées) afin de penser ourepenser cette problématique : pour de nombreux jeunes entre 20 et 30 ans, salariat etentrepreneuriatnes’opposentpas.

Uneimplicationdanssontravailpartagée

Dansnotrequestionnaire,ennousintéressantàlamanièredontsontressentieslescontraintesdetempspar lesentrepreneursouindépendantset lessalariés,nousnoussommesaperçu,qu’endehorsdecasextrêmes, lesréponsesconvergentrévélantune importancecommuneaccordéeàlagestiondutemps.Lesnouvellespratiquesdetravailrendentainsideplusenplusporeuseslesfrontièresentrelavieprofessionnelleetlaviepersonnelle,rendantsouventdeplusenplusdifficilel’appréciationréelledutempsconsacréeàl’activitéprofessionnelle.Cettequestiondu tempsde travail estd’ailleurs souventaucœurdesdébats sur la comparaison(pournepasdireopposition)entreentrepreneursetsalariés:ainsicertainesétudes(reprisesdansunarticledusiteLemonde.frdu20/01/20167)révèlentqu’unentrepreneurtravailleraitplusqu’unsalariémoyen(42,39hcontre32,38hpourlessalariésencontratlonget29,01hpourlessalariésencontratcourt,source: INSEE2010)maismoinsqu’uncadredont laduréedutempsdetravailestestiméeà45henvironparsemaine(Source:INSEE2010).Toujoursseloncesétudes, lesentrepreneursdisposeraientdemoinsdejoursdevacancesdansl’année,cequi,associéaurythmedetravailplusintense,auraitdesrépercussionsàlongtermesurlasanté.

S’agissant des cas extrêmes, on notera tout demême que ces pressions temporelles sontvécuesplusnégativementparlessalariésetaucontrairelesentrepreneurssontplusnombreuxànepassesentirsubmergésparcescontraintes(cf.Figure3).

FIGURE3:COMPARAISONDELAPERCEPTIONDESCONTRAINTESTEMPORELLESENTREENTREPRENEURS/INDEPENDANTSET

SALARIES

7 Article de Samuel Laurent intitulé «La vie d’un entrepreneur est-elle plus dure que celle d’un salariés»?:http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/01/20/la-vie-d-un-entrepreneur-est-elle-plus-dure-que-celle-d-un-salarie_4850512_4355770.html

0%

38%

14%

31%

17%7%

37%

24% 24%

9%

TOUT À FAIT D'ACCORD

D'ACCORD NI EN DÉSACCORD NI D'ACCORD

PAS D'ACCORD PAS DU TOUT D'ACCORD

Je suis facilement submergé par des contraintes de temps au travail

Entrepreneurs/Indépendants Salariés

10

Enprenantencompted’autresvariablestraduisantl’implicationautravailtellesquelefaitdepenser à ses problèmes professionnels aussitôt levé, de considérer les problèmes de sonorganisation/desacommunautécommelessiensouencorelefaitdetropsacrifierpoursontravail (selon ses proches), les données de notre questionnairemontrent (étonnamment!)assezpeudedifférenceentrelesréponsesdesentrepreneursouindépendantsetcellesdessalariés.

L’émergenced’unenouvelleformedetrajectoireprofessionnelle

Au-delàducasdes«slashers»,cestravailleurscumulantplusieursactivitésprofessionnelles(par exemple une activité salariée et une activité entrepreneuriale via une entreprise, uneassociationoudesformesdeportage)etreprésentant2millionsdepersonnesenFranceselonl’INSEE(dont70%seraientvolontaires),c’estuneformeassezparticulièredeplandecarrière,alternantentrepreneuriat-salariatdansletemps,àlaquelles’intéressentnostravaux.

La trajectoire est la suivante: le jeune diplômé crée sa startup. Il développe alors descompétencesessentiellespournombredemétiersdemanagement:lagestiondeprojetetparprojet (fonctionnement systématiqueenmodeprojet),unecapacitéàarticuler sonactivitéavecdescommunautésmétiersmultiples,unecertainerésistanceaustressetàlasolitude…Nosconversationsaveclesjeunesdiplômésparticipantauxévénementsetlesrencontreslorsde nos visites nous ont amené à rencontrer une vingtaine de profils de ce type. Cesentrepreneurs (pour la moitié d’entre eux des jeunes diplômés) ont bien compris quel’entrepreneuriatétaitunecompétencetransversalequipouvaitêtretrèsrecherchéeparlesentreprises.Uneancienneétudianteingénieurenousaainsidit:«jeveuxdevenirentrepreneurpourdevenirsalarié!»…Formuleparadoxale,maisfinalementpasvraimentcontradictoire8.

Le salariat 9 permet ensuite de développer un «réseau», d’appliquer et d’affiner descompétences. Avant de redevenir,deux-troisannéesplustard,ànouveauunentrepreneur,surlabasedecequiest une stratégie de long terme oualorssurunsimpleeffetd’opportunité(unessaimage,del’intrapreneuriat,unchangementdeviepersonnel…).

Nous avons ainsi identifié despersonnes (plutôtdans la tranche25-30ans)quiensontàlaboucled’après(cf. Figure 4). Après une courteexpérience entrepreneuriale, trois-quatre années de salariat, l’envie de8Uneautreétudianteliéeaudiplômecodirigéparl’undescoordinateursaconnuunetrajectoireproche.Aprèsuneannéesur

lestatutd’étudiant-entrepreneuràpiloterunestartuporiginale,elleaétérecrutéecommeresponsabledel’openinnovationparungrandgroupedeconsulting.9Danstous lescasbeaucoupplusdiscontinussurcetteclassed’âge.AuxEtats-Unis, les jeunesactifsde25ansrestentenmoyenne 3 ans dans une entreprise (contre 10 ans de présencemoyenne pour les personnes de 55 ans). Les choix, lesambitions, les situations, sont beaucoup moins stabilisés dans les cas des plus jeuneshttp://www.mutinerie.org/lentrepreneuriat-subi/#.WCIKLn9viot.

FIGURE4:L'EMERGENCED'UNEFORMED'ENTREPRENEURIAT-ALTERNE?

Entrepreneur

Salarié

Entrepreneur

Compétencedegestionnairedeprojet

Constructionderéseaux,Pause

Compétencedegestionnairedeprojet

11

recréersastructureestlà.Avecpourunepersonnerencontréeuneambitionétonnante:«jepensequecelam’aideraensuiteàmonter…allerversunefonctiondedirecteurdeprojetsouderesponsable du digital». Etrange. La situation décrite ici ne correspond pas vraiment à unentrepreneuriat par défaut… elle n’est pas non plus celle qui correspondrait à une formed’entrepreneuriat«vocationnel».

Il est difficile de chiffrer précisément la tendance avec nos données, mais elle semblesignificative.

Lesmoteursdecettetrajectoiresontvraisemblablementmultiples.

Du côté de l’offre (celle des individus), on peut mentionner: une humeur («lutter contrel’ennui…j’aivumonpères’ennuyeràmourirdanssacarrièreprofessionnellequiaétéunvrairail bien droit»), une envie («progresser», «aller vite», «être disruptif avec mon boulotcommemastartup»),del’opportunisme(«lemarchédutravailapprécieradeplusenpluslestempéramentsd’entrepreneurs…»).Laluttecontrel’ennuienentreprisesprendd’ailleursdeplusenplusd’importancecesdernièresannéesavecl’émergencedu«boreout»ousyndromed’épuisement professionnel par l’ennui. Selon certains chercheurs en management et ensociologie, cemanqued’engagementetdeproductivité semble résulterde lapressionà laconformité(sociale,professionnelle…)quilimitetoutelibertéd’expressionpersonnelleetdecréativitédesacteursenentreprises10.

Sur la notion de bonheur au travail, nos résultats montrent que les entrepreneurs ouindépendants sontplusnombreuxà se sentirheureuxvoire trèsheureuxau travailque lessalariés.

FIGURE5:COMPARAISONDELAPERCEPTIONDUBONHEURAUTRAVAILENTREENTREPRENEURS/INDEPENDANTSET

SALARIES

Ducôtédelademande(celledesentreprises),nousavonségalementpuconstater(d’ailleursbien avant l’expérience de RGCS) l’importance de l’innovation, de l’entrepreneuriat, de

10Voiràcesujetunrécentarticled’HarvardBusinessReviewsurlesmécanismesdecephénomèneetlesvoiespours’ensortir(lanon-conformitéconstructive):«Letyourworkersrebel»byFrancescaGino(https://hbr.org/cover-story/2016/10/let-your-workers-rebel?utm_campaign=harvardbiz&utm_source=twitter&utm_medium=social)

31%

64%

5%11%

70%

19%

TRÈS HEUREUX HEUREUX MALHEUREUX

Comment vous sentez-vous au travail ?

Entrepreneurs / Independants Salariés

95%desentrepreneurssontheureuxautravail

12

l’intrapreneuriat,desfonctionnementsenmodeprojet(organisationnelouindividuel11)…Lescabinetsdeconseilnotammentdeviennentfriandsdecesprofilsetd’effetsd’annonceautourdecesprofils.Onserêvefinalementtousplusoumoinsentrepreneurs…lesfiguresquel’onpourrait généralement opposer à celle-ci étant peu flatteuses pour beaucoup de jeunesdiplômés.

Anotregrandétonnement,nousavonsconstatéquecertainstiers-lieuxintégraientdéjàtoutoupartiedelaboucledécriteparlaFigure3.Leresponsabled’unespacedecoworking(coupléavec un incubateur) nous a ainsi confié devenir de plus en plus un cabinet de gestion desressources humaines. Les entrepreneurs hébergés pouvant être intéressants pour desrecruteurs (au-delà de l’intérêt des projets et des startups elles-mêmes), il insistait sur lesindividus,leurscompétencesetleuremployabilité.Celadevaitsetraduireconcrètementselonluipardeplusenplusd’événementsprochesdeforumsderecrutement.Cecasdefigureetcetteposturerestentcependantencoretrèsatypiques.

PourlecasspécifiquedelaFrance,despolitiquespubliquesontégalementcontribuéàrendrepossible ce type de trajectoires. C’est le cas des politiques qui sont à l’origine du statutd’«étudiant-entrepreneur»12 (dont le but était probablement de se limiter à la premièreboucle…maispasdegénérerunenouvelleformedesalariat).L’impulsiondonnéeégalementpar les regroupements d’universités en France (les COMUE) a également été essentielle.Difficiledelégitimerleurs(nouvelles)prérogativesparrapportàdesinstitutionsparfoisvieillesdeplusieurssiècles…L’entrepreneuriatet l’innovationontsouventété(etrestent)desaxesstratégiques intéressants, souvent en zone neutre pour les grands regroupementsuniversitaires.Oncréedeslabs,desincubateurs,desaccélérateurs,desespacesdecoworking,avecdesmoyensparticulièrementimportants(liésauxinitiativesd’excellence…).Danslemêmetemps, les étudiants sélectionnés (notamment issus des grandes écoles intégrées dans desregroupementsd’universitéetd’écolesappelésCOMUE)ontdesprofilsetdesambitionsquipeuventmenerassezlogiquement(pourcertains)àlatrajectoirequenousavonsdécrite.Onseformeautantparlapratiqueentrepreneurialequ’àl’entrepreneuriat.

Toujours sur le plan des politiques publiques, nous trouvons cette tendance del’entrepreneuriat-alternétrèsintéressante.L’idéed’une«entitéàduréedéterminée»,d’une«firme-apprentissage»estrelativementcontre-intuitive(tantd’ailleurspourlespolitiquesquepourlesmanagersoulesacadémiques).Ils’agitpourtantd’unepossibilitéquipeutcréerdesexternalitéspositivespourtoutelasociété.Sil’onentreprogressivementdansuncapitalismeliquide, l’apprentissagedesmanagersestdeplusenplusdésencastréetreconvertible(d’unprojetàunautre,d’uneorganisationàuneautre).Au-delàdustatutd’étudiant-entrepreneuretd’autoentrepreneur(facileàinitieretàabandonner),ilyasansdoutelàdesarticulationspossiblesentrepolitiqueséducativeetpolitiqueséconomiquesàcultiver13.

11

FaçonGoogle,avecun jourparsemaine laisséà l’employépourtravaillerunprojet,ouplusradicalement,surunmodesabbatiquequipourrameneràl’essaimage.12t

http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid79926/statut-national-etudiant-entrepreneur.html13

NousyreviendronsdanslaversionOmegaduWhitePaperRGCSquiseradiffuséeendécembre2016.

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Unedimensionémotionnellefortedansl’émergencedesnouvellespratiquesdetravail

Nous avons également relevé une autre tendance, plus émotionnelle, sur le lien individu-nouvelles pratiques de travail. Il s’agit de l’aménagement d’un espace-temps très affectif,interpersonnel(plusraredanslastructuretraditionnelledutravail).Lesnouveauxtravailleursexprimentdeplusenpluslebesoind’unecellulefamiliale«recomposée»,cellequecertainespersonnesrencontréesappellent«lacommunauté»,«labandedepotes»,le«prolongementde l’association étudiante et des soirées» ou encore«la tribu». Comme l’amontré notrequestionnaire(cf.leprofildesrépondantsenannexe4),maiségalementdesobservationsdeplusieurs des tiers-lieux visités (principalement dans des grandes mégalopoles), unpourcentage élevé des jeunes entrepreneurs (associés à des espaces de coworking ou desincubateurs) ou des innovateurs (membres de fab labs et makers spaces) sont des«provinciaux».Leurs familles, leursamisd’enfance, leursconnaissances,sontsouvent loin.Lors de nos visites dans des tiers-lieux étudiants en régionparisienne, nous avons souventconstatés qu’un pourcentage élevé (entre 1/3 et la moitié) d’étudiants-entrepreneurs oud’étudiantsprésentspourunprojetvenaitdeprovinceetontétéau lycée loindeParis.Lemécanisme de la classe préparatoire et du concours national renforce sans doute cettedynamiquede«catapultage»(pourreprendreletermed’unétudiant)loindelamaison.Lacommunauté au sens historique (une famille symbolique14 ) prend toute son importance.Pendant les études (dans les espacesdecoworking étudiants, le fab lab universitaireou lemakerspace),maisaussiimmédiatementaprès,ontientàcette«bandedepotes».Elleestunespaceimportantpourparler,échanger,gérerdesémotions(lestress,lasolitude,laviolenceparfoisduprojetentrepreneurial…).Commenousledisaitunjeunestartuperdiplôméunanauparavantd’uneécolede commerce:«Skype c’estbien,maisprendreunebièreavecdesautresentrepreneursdel’espacec’estmieux.Etbeaucoupontd’ailleurstrouvéleurcopineici15[rires]…».

Le White Paper RGCS (Alpha), a déjà été l’occasion de souligner que les communautéscollaboratives (incubateurs, accélérateurs, coworking,makers, fab labs, hackers…) sont aumoinsautantdescommunautésémotionnellesquedescommunautésdepratiques(lesdeuxétant d’ailleurs difficiles à dissocier). Interrogés sur la définition de communautés, lesgestionnairesdetiers-lieuxquiontréponduànotreenquêtelaprésented’ailleursenréférenceà des termes forts: «personnes de confiance», «un groupe de personnes qui s’aidentmutuellement»,«valeurspartagées/convergentes»,«Atmosphèreamicale,aidemutuelle».Nousnesommespasloinicidelanotiondebienveillanceautravailprônéedepuis2011parcertains(leréseauEntrepreneursd’Avenirnotammentàl’origineavecPsychologiesmagazinedel’«Appelàplusdebienveillanceautravail»).Pourunemajoritédesgestionnairesdetiers-lieux,cequiestaucœurdela«communauté»,cesontleséchangesréciproques(47%),plusqueladimensionspatiale(20%),ladimensiontechnologique(13%)ouencorelesévènementsorganisés (13%).Cetattachementà lacommunautéestd’ailleursdeplusenplusprégnantepuisquelapartdecoworkersquiontlesentimentd’apparteniràlacommunautédeleurespace

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Cf.laversionAlphadenotreWhitePaper.15

Surcepoint,unsondagemenéendécembre2014auprèsdes250espacesdecoworkingfrançaisparBureauxàpartageretLa Fonderie révèle que 28% des espaces ont vu des couples se former (pour en savoir plus sur cette étude:https://www.bureauxapartager.com/blog/les-chiffres-du-coworking-en-2014/)

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decoworkingestpasséede58%en2011-2012à61%en2013-1014etatteintdésormais70%en 2015-2016 selon une étude sur les communautés d’ espace de coworking conduite parGCUCCanada.

En ce qui concerne les individus-managers dans un sens plus traditionnel, nous avonségalement constaté une autre tendance (en particulier lors de nos visites de tiers-lieuxindépendants ou corporate). Participer à la vie d’un tiers-lieu pour un salarié (lors d’unhackathon,unévénement,unevisiteextérieure,unelearningexpedition,uneformation…)estuneexpérienceamusante,«disruptive»pourreprendreletermeà lamodeaujourd’hui.Letiers-lieucorporatepermetd’hébergerdesinnovateursetdesentrepreneursexternesquisontmélangésaux salariés. Il permetaussidegérerdesmobilités géographiques,desemployésnationauxouinternationauxd’autresentitésdepassageenvilleauseindutiers-lieucorporate,destélétravailleursoudestravailleursengénéral.Onbrasseautantqu’onassemble…cequidébouche suruneautre tendance individuelle: lecommunitymanager, commemétier-clé,dépasse largement le cadre du gestionnaire de plateforme électronique (réseau socialnotamment) ou du gestionnaire de tiers-lieu. Dans les organisations d’aujourd’hui, toutmanagerd’équipedoitdeveniruncommunitymanager,avectoutcequecelasuppose:soucid’horizontalité,animationdedon-contre-don,rejetdelaposturehiérarchique,facilitateurplusqu’ordonnateur,recherchedejeugagnant-gagnant…Onpassedecompétencesindividuellesdecadres(avectoutcequecettenotionsupposedehiérarchiqueetstructurelle)àunelogiquedechefsdeprojets(toujoursprésente)quisupposedesligneshiérarchiquesmultiplesàunelogique(coexistantaveclaprécédente)decommunitymanagement(cf.Figure6).

FIGURE6:TROISLOGIQUESMANAGERIALESDONTUNEPOSTUREPOST-SALARIALE,CELLEDECOMMUNITYMANAGER

Plusieurstémoignagesconvergentverslestatuttrès«post-salarial»ducommunitymanager.A l’imageduchefdeprojet, ilvaassemblerdans leprojetdessalariés internes,dessalariésexternesetdesindépendants(c’estlecaspourdeplusenplusdeprojetdigitaux).Bienau-delàdupérimètred’actionhabituelduchefdeprojet,ilvainteragiravecdespérimètresouvertsetfluctuantsd’acteursrencontréssurlestiers-lieux,pendantlesmobilitésphysiquesousurdesplateformesélectroniques.Lesconsommateurseux-mêmessontsouventdanslaboucleetdefaçonbeaucouppluscontinuequelechefdeprojet.Lescompétencesetlafeuillederoutedu

ÉQUIPE PROJET A ÉQUIPE PROJET CÉQUIPE PROJET B

CADRE(Logiquehiérarchique)

CHEFDEPROJET(Logiquedecoordination)

COMMUNITY MANAGER(Logiquerelationnelle)

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communitymanagersontparailleursbeaucoupplushasardeuses(«communitymanagement…lesenschangeaufuretàmesuredecequejegère»).

2û NOUVELLESPRATIQUESDETRAVAIL-(RETOURDES)COMMUNAUTES:VERSUNERECOMPOSITIONDELIENSSOCIAUX?

Le vocable de communautés, dans la littérature académique comme dans la bouche despraticiens, est loin d’être nouveau. «Communautés occupationnelles», «communautés demétier»,«communautésdepratique»…Depuis longtemps,onessaiede s’appuyer sur lescollectifs informelsqui se formentà l’intersectiondesorganisationspour innover,gérer lesconnaissances,repenserunegestiondesressourceshumainespluslocale,etc.

Les recherches du réseau RGCS nous ont amenés à constater le grand retour descommunautés,ausensleplushistorique.

Dansunemondedeplusenplusliquéfié,«entrepreneurialisé»,assembléetdésassembléenpermanence, lacommunautéest lamaillequipermetà la foidesmicro-coordinationsmaiségalementcellequipermetd’éviterlegrandvertige.Ongèresesémotionsensemble.Danslesilence(relatif)desopenspacesetdesbureauxpartagés,danslebrouhahadesévénementscollectifs organisés (les hackatons, les pitchs…), la communauté est là. Un coworker nousconfiaitainsiàquelpointilétaitheureuxd’avoirrejointsonespace.Ilajustaitsespassages(etles horaires de ses passages) autant en fonction de ses projets et rendez-vous quede sonhumeur(«quandjemesensunpeudéprimé,jepasseplus.C’estsympatoutecetteénergie!»).Le lienapparaîtparfoistrèsexplicitementcommeleprolongementde lavieuniversitaireetassociative.DansunmakerspacedeBarcelone(hangard.org),lagestionnaire(lorsd’unevisite)nous précisait ainsi qu’elle n’organisait pas des «événements» mais plutôt des «parties»(soirées).Lasallequenousavonsvisitéeressemblaitdavantageàunesalledeconcertqu’àl’espace événementiel d’un tiers-lieu. Posture assumée ou cas exceptionnel? En restantprudent sur les généralisations, de nombreux événements nocturnes auxquels nous avonsparticipé nous ont davantage rappelé une soirée étudiante qu’un moment de networkingprofessionnel.

Le tempsau seinde ces tiers-lieuxestd’ailleurs rythmépardes routines (petits-déjeuners,goûters,«tabled’hôtes»,pitchs,sessionsdeformation,hackhatonetautresévènements…)qui alternent temps privés (travail sur son projet) et temps collectifs(réflexions partagées,coachings,challengesentreéquipespoursusciter l’émulation,etc…).Cettenotiondetempspartagéesttrèsimportantedanscesespacesoùfinalementunegrandepartiedesmembresfonctionnentenmodeprojet.Iln’estdoncpasétonnantderetrouverenpremierlieusurlesdifférents supports communicationnels de ces tiers-lieux (sites internet, newsletter, …) lanotionde«calendrier»,d’«évènements».Auplanducollectifhumainontrouvedeplusenplus également d’approches intergénérationnelles au sens où semêlent dans ces espacestoutestranchesd’âgesetcertainsévènementss’adressentplusparticulièrementauxenfants(ex: «coding goûters») ou aux séniors (ex: «rencontres séniors: tables d’hôtesnumériques»).

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Unatelieraétél’occasiondeserendrecomptequ’uneautrecommunautéestsouventoubliéesur cette problématique émotionnelle: celle des community managers eux-mêmes. Unresponsablede fab labnous a confié le désarroi de son successeur (il a quitté son fab labprécédentpourunautre fab lab).Detrèsnombreusespersonnesvenaientseconfieràsonremplaçant,luifairedesconfessions,partagerdesproblèmes,venaient«décompresser»…Ilnes’attendaitpasàcela.Pourlegestionnairedefablab,cettesituationluiafaitcomprendreune composante importante (psychologique) de son activité passée (dont il n’avait pasvraimentconscienceavantdepartir).Celatémoigneaussiquelanotionde«communauté»etl’épanouissement au sein de celle-ci ne vont pas nécessairement de soi et nécessitent parconséquentd’êtregérés.Onvoitainsiapparaîtredanscertainsespaces(notammentauFrenchTechHubdeBerlin),lafonctionde«ChiefHappinessOfficer».Malheureusement,lerôledecesgestionnairesdetiers-lieuxestsouventmésestiméalorsmêmequebeaucoupd’entreeux(88%dansnotre sondage) considèrentqu’ils jouentun rôle important sinonessentiel dansl’émergencedescollaborationssurplacevoirepluslargementdanslesrelationsétabliesavecl’environnementvoisindel’espacecollaboratif(lamoitiédesrépondantsestimentqu’ilssontsouventvoiretoujoursreliésàcevoisinage,pourlesautrescetteconnexionexistemêmesiellese faitplusoccasionnellement).Celapermetainsid’ancrer le tiers-lieudansun territoireetdoncdansune«communauté»pluslarge.LasociétéCoworkies(baséeàBerlin)proposeainsidedévelopperunevasteinfrastructurenumériquequipermettradeconnecterlescoworkersetlesespacesdecoworkingetdefaciliterl’accueildecoworkerdansunespace,amplifiantpar-làmêmecetteconnectivité.Cesmissionsrequièrentdugestionnairedetiers-lieuunegrandepolyvalence:d’ailleurs,lorsqu’onlesquestionnesurleurimplicationauseindecesespaces,67%desrépondantsdisentqu’ilss‘occupentdetout.Parmilescompétencesattenduespourexercercetypedemétier,lesgestionnairesdetiers-lieuxconsidèrentà82%quelescapacitésrelationnelles sont absolument nécessairesquand ils jugent les aptitudes techniques et lescompétencesfinancièresetadministrativesimportantes(respectivementàhauteurde59%et47%).

Sanssurprise, la«communauté»(autantquelelieu,etàtraverslelieuetlesactivitésqu’ilabrite) est un enjeu majeur. Les visites (ou «tours») sont de ce point de vue un rituelindispensable. Chaque semaine, parfois plusieurs fois par semaine, on organise des visites.Celles-cipeuventêtreimproviséesetdemandéesdirectementàl’accueilquandilexiste16.Aladifférenced’uncampustouroud’unevisitedemusée,nousavonsétéfrappésàquelpointlavisiteétaitdéjàunmomentessentieldansl’entréedansunecommunauté.C’estmêmesouventuneétapeobligatoirepourdevenirmembre.Silavisited’uneuniversitéaméricaine(lefameux«campustour»)seral’occasiondemontrerl’excellencedel’institutionetladistancequiresteà parcourir pour la rejoindre, la visite du tiers-lieu est plutôt le contraire.On commence àprendreconnaissancedelacuisine,desespacesdetravail,delamachineàcafé,onrencontreetéchangeparfoisavecdesmembressympas,onapprenddesanecdotes(surlemobilieretl’espace,lesévénements,lacuisineetsesusages,lequartier,lescoworkersoumakersetdescompétencesdéjàprésentes…)quipeuventavoirleurimportancesidemainonrejointletiers-lieu… Le mot «communauté» est martelé («you will join a/our community», «ourcommunity…»,«communitymembersmeet…»,«Theeventsweorganizeareattheheartof

16Selonl’étudeconduiteparBureauxàPartageretLaFonderieen2014citéeplushaut,52%desespacesdecoworkingsondésdisposaientd’unaccueilàl’entrée.

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ourcommunity»…).Elleestlagrandepromessequipeutdifférencierlechoixd’untiers-lieu(indépendantmaisaussisouventcorporate)deceluid’unespacedetravailplustraditionneloudelamaison.D’ailleursenviron2/3desgestionnairesdetiers-lieuxquiontréponduànotresondage promettent dans leur communication à leurs membres qu’ils feront partie d’une«communauté».Ilfautfaireressentirlacommunauté,sachaleur,sesmembres,sesliensquis’étendentdansl’espaceetdansletemps,bienau-delàdel’espacedecoworkingoudumakerspace.Ilfautégalementrassurersurleprofessionnalismedupersonneletlaqualitédesoutilsetconditionsdetravail.Lecoworkervientchercherunespacedetravail,unlieudetravailetune infrastructure. L’organisation spatiale de ces espaces est d’ailleurs une composanteimportante:s’yarticulentopenspaces,espacescommunsdeconvivialité,sallesdeformation,salle informatique, etc. Le maker veut accéder à des machines, des formations, desqualifications et des certifications. Ainsi, ces lieux se révèlent également de nouveaux«espacesde compétences» voirede créativité: cesespaces sonteneffetdes«creusets»d’innovation(s’ymêlentvoires’yfondentdifférentesapprochesdutravail,originessociales,générations,secteursd’activité,nationalitésetc.).

Montrerlelieuetlacommunautédevientparailleursun enjeu qui dépasse largement celui du businessmodel.Lesfablabs,lesmakersspaces,lesincubateurs,les accélérateurs, les e-garage et autres digital labsdeviennent également des «vitrines» pour desterritoirespluslarges.Onobserveainsilaspécialisationde certains territoires dans des domainestechnologiques innovants à l’instar de la ville deToulouseavec lacréationde l’IoT(InternetofThings)Valley,unaccélérateurportéparuneassociationdontles missions sont «de développer l'excellence et laproductivité dans l'IoT dans les milieuxentrepreneuriaux, industriels et universitaires» 17 .Danscetissuéconomiqueetsociologique,cestiers-lieuxconstituentdes«traitsd’union»,desobjets d’intermédiation, des « objet frontières » entre startup, business angels, grandesentreprises,structuresd’accompagnement, institutionspolitiques,etc.C’estprécisémentcequienfaitdes«tiers»-lieux:ilss’inscriventdansdesrelationstriangulaires.Pourlesespacescorporate(corpoworking,fablabcorporate,makerspaceinterne…),lelieuetlacommunautépermettentdemontrer(àdesclientsenvisite,desnouveauxcollaborateurs,levoisinage,desjournalistes,dessalariésdepassagepouruneformation, lesacteursdeprojets«excubés»,desentrepreneurshébergés…)un«concentréderéalité»,lessavoir-fairelespluspointus,lacréativité et le dynamismede l’entreprise…Pour les tiers-lieux indépendants, c’est toutunterritoirequipeutêtrevalorisé. LavisitedeRaynade Jordanie (Figure7 ci-contre) l’illustreclairement.

Au-delàdesvisites,une«industriedutourismecollaboratif»(pourreprendrel’expressiond’unhacker)semetenplacedepuisdeuxans.Lescollectivitésterritoriales,lesétats,lesuniversités,lescabinetsdeconseilélaborentdes«tours»deplusieursespacesexternesetinternesoude

17Pourensavoirplus:http://www.iot-valley.fr/fra/

FIGURE7:VISITEDERAYNADEJORDANIEAUFABLABDEBERLINEN2015

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véritables«learningexpeditions».Lavisiteelle-même,devenantune«expérience»,untempsde «veille» et de contacts, se «marchandise». On la paie ou on est invité à faire une«donation»(lapratiqueserépanddansdenombreuxlieux,notammentàBerlin).Ilestvraiquelessollicitationsdeviennentnombreuses,aupointd’êtretoutsimplementperturbantespourlaquiétudedulieu,commepourlequotidiendesescommunitymanagers.

Deplusenplussouvent, laquestionde l’openinnovation inciteàuneexpériencebeaucoupplus longue qu’un simple passage de quelques heures. Il s’agit d’ailleurs d’un enjeu trèsimportantauseindecesespacespuisque73%desmanagersdetiers-lieuxsondésdansnotrequestionnairecomptentd’unemanièreoud’uneautresurl’openinnovation.Nosvisitesnousontamenésà identifiertroiscasdefigure: larelocalisation, l’excubationet latransition.Larelocalisationconsisteàdétacherpendantquelquesjours,quelquessemainesvoirequelquesmois,dessalariésauseind’untiers-lieucorporateouindépendant.Lesbénéficesattendussontmultiples: nouvelles collaborations, apprentissage de nouvelles techniques, veille…L’excubationconcernedesentitésouunprojetdel’organisationdélocalisé(avecsesacteursetsesmoyens)dansuntiers-lieu.Leseffetsattendussontquasi-similairesàceuxconcernantlesindividus relocalisés. Enfin, la transitionestuncasunpeuàpart (susceptibledeconcernerdavantage une forme de coworking plus immobilière). Des salariés et des indépendantsparcourantdelonguesdistancessurdesmissionssevoientallouerunabonnementàuntiers-lieumi-distantousontaffectésàuntiers-lieuinternechezleclient(letempsdespassages).Le«Mixer» à Paris met ainsi à disposition 7 bureaux «flex office» «aux collaborateurs endéplacementausiège».

Maisplusque tout,etau-delàdes statuts salariés, indépendants, chômeurs… les tiers-lieuxapparaissentcommedepossiblestempset lieuxderégulationdespratiques.Cesmodesderégulation sont essentiellement émotionnelles. Nos visites de Noisebridge, C-Base, OpenBerlin,Hangar.orgontétél’occasionderéaliser(enparticulierpourleshackerspacesetmakerspaceslesplusliésàdesmouvementssociaux)l’importancedecettedimension.

Souvent réduits par lesmanagers à deshackathons (nombreux dans les tiers-lieux les pluscorporate)ouàunvagueprincipedehacking(«ilfautdésormaishackerlemanagement»),leshackerspacesetcertainsmakerspacesnoussontapparuscommedesmodesdegouvernancetrès intéressants. La fameuse«Hackerethic»est fortement centrée sur la communauté. Ils’agitnonseulementdecertifierensemblelavaleurd’unhack18maiségalementdeleréguler.A nouveau, la dimension émotionnelle est très présente (on ressent et on partage denombreusesémotions)maislerésultatestloinderessemblerauchaosouàl’anarchie(telquel’entend lesenscommun).Lesdiscussionssont longueset interminables.Levote, rejetéauprofitduconsensus,estsouventunéchec.Ons’écoute,onparle,onseregarde,onessaiedelisserlestempsdeparole.Lasallecommuneestsouventlegrandthéâtredesdiscussions-clé.Maistousleslieuxetsesrituelsparticipentfinalement(etdansladurée)àcetteconstruction.Silebricolage,l’improvisationetcertainesformesdetransgressionsontlesbienvenus,lavraiequestion est surtout jusqu’où ? C’est dans une émotion compétente et partagée que la

18Leprocessusn’estpassansrappelerlaconstructiond’unecontributionthéoriquedansunecommunautéscientifique.Avecdes conférences et des publications «peer reviewed», l’idée est progressivement amendée, diffusée et validée par lacommunauté.Etreungénieseuln’apasdesensdanslemondeacadémique.Ilenestdemêmechezleshackers.

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communautéconstruitl’émotionnégativedu«celavatroploin».Unepetitscèneextraitedufilml’«Outsider»surl’affaireKervielpermetdel’illustrer(cf.Encadré2etFigure5ci-dessous).

ENCADRE2COMMENTAIRED’UNESCENE-CLEDEL’«OUTSIDER»

La scène se déroule au milieu du film, àl’épicentredelatragédie.JérômeKervielestaucœurdesatempête.Ilretrouvesonancienresponsable (un trader joué par François-XavierDemaison)dansunrestaurantparisien.Demaisonaquitté la SociétéGénérale il y aplus d’un an pour rejoindre un fondd’investissementsurNewYork.IlestderetoursurParisafinderevoirsonancien«poulain»(JérômeKerviel)et lui faireuneproposition.La petite amie de Kerviel est en retard. Ilsattendent donc au bar. La conversationrevient vite sur des sujets professionnels.Demaisonluiaapprislatechniquedu«carpet»(l’artdemettredesgains«sousletapis»)quipermetdemettredecôtédesfondsau-delàdespositionsclôturéeschaquejour.Illuidemandeoùilenest…10millions,20millions,50millions,100millions?Lejeunetraderluirépondalorsplusd’unmilliardd’euros!Levieuxtraderestsouslechoc.Ilneditrien.Ilsenttout.Kervielaperdutotalementlecontrôle.Commeunediva,priseparsapropreémotion,quienoublieraitdejoueraveccelledesonpublic.Lemomentestfort,trèsémotionnel,trèscorporel.Demaisonsait que sans risqueet sans transgression, lesprofitsmêmede labanqued’investissementseraient limités.Mais jusqu’où aller ? Comment se rendre compte (non pas ex post,maispendantl’actionelle-même)quel’onvatroploin?Danscettescène,c’estunHommedemétierquienrencontreunautrequi«sent»quecelavatroploin.Quelecontrôlen’estpluslà.C’estun Homme lui-même (avec de l’humour, de la dérision…) qui cultive un certain reculémotionnel. Jérôme Kerviel se lève. Il va aux toilettes. Entre temps, il laisse un dossier àDemaison(unprojetd’investissement).Demaisonécritunmotbrefsurunpost-itqu’ilcollesurledossier«Tun’espasfaitpourêtreuntrader».Puisils’enva.

Les hackers se régulent par et avec la communauté occupationnelle. Les opportunitésd’échangescollectifssontmultipliées.Ellespermettent(pourlacommunautéelle-même)derendreexplicite,transparent,departager.Encoreunefois,lemondedeshackersn’estpasceluidu chaos. Dans la même boucle, contrôles endogènes (le groupe présent) et régulationsexogènessansaucunehiérarchie(lacommunautépluslargedulieu,passéeouprésente,ainsiquelemouvementsocialtoutentier)construisentetsolidifientlejugement.Leprocessusestprofondément émotionnel. On s’écoute et on se ressent, dans ces petits ensembles. Lescommunautésencoprésencequenousavonsobservéessontsouventtrèshétéroclites:desindépendants, des étudiants, mais également très souvent des salariés (notamment desuniversitairesetdesscientifiques)participentàladiscussion.Lesprofilsnesontpaslesmêmesenfonctiondel’heure(plusd’entrepreneursetdecoworkerslematinetlajournée,plusdehackersetdemakerslesoir).Biensûr,lemécanismederégulation,aussiintéressantsoit-il,aseslimites.Delarégulationdelacommunautéàladérivesectaire,iln’yaqu’unpasquepeut

FIGURE8:QUANDLATRANSGRESSIONVATROPLOIN,LACOMMUNAUTEPRODUITUNEEMOTIONNEGATIVE

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faire franchir la rupture avec la régulation exogène de la communauté plus large et dumouvementsocial(etsesquestionnementsréflexifs).

3û NOUVELLESPRATIQUESDETRAVAIL-MOUVEMENTSCOLLABORATIFS:MUSEOUCONTRE-CULTURE?

Ce troisièmeniveaud’analyse des nouvelles pratiques de travail est celui quimène le plusfacilementàdesdébatsdesociété.Silesmakersetleshackerssontrapidementidentifiésdanslesdiscussionsauxquellesnousavonsassistésàunmouvementsocial,lesfablabs,àuntypeparticulierdemouvementsocial,lecasdescoworkerssembleunpeuàpart.

Lestermeslesplusfréquentsétaientplutôtceuxd’«industrie»,de«tendance»desociétés,de«lieuxd’innovation».SicertainsmouvementsenFrance(parexemple,lecollectifdestiers-lieux),enEspagne(l’associationcatalanedesespacesdecoworking),ouàl’échelleeuropéenne(CoworkingEurope),s’efforcentdestructureroud’incarnerunmouvementsocial,lerésultat(pourdenombreusespersonnesquenousavonsrencontrées)estnettementmoinsprobantquepourleshackersetlesmakers(quis’inscriventdansunehistoirebeaucouppluslongue).

Pour tous lesmouvementscollaboratifs,deuxpointsdevue semblent s’opposer : celuidesmilitants,desparticipantsauxmouvements sociaux ; et celuidesmanagers, à la recherched’expériences«disruptives»etd’innovation.

Pourlesmakers,hackersetfabbers,l’entrepriseetlecapitalismeengénéralrestentdesobjetsambigus.

Endéfendantl’openknowledge,onsemetàdistancedetouslessystèmesclosquevéhiculentlesentreprises.Oncherchesystématiquementlebiencommunetdesmoyensdel’alimenter.Onluttecontrelerythmemêmedel’innovation(finalementregardéecommeune«idéologie»parcertainsmakersethackersrencontrés).Plussurprenant,l’innovationn’estpasunefinensoi.Le«faireensemble»,l’apprentissage,sonsensprofond,sontbeaucoupplusimportants(cf.Encadré3ci-dessous).

ENCADRE3:DISCUSSIONSURUNDRONEDANSUNMAKERSPACEPARISIEN

Pendantplusd’uneheure,j’échangeavecdespassionnésquimeparlentdeleurdrone.Ilsontpassédescentainesd’heuresensembleàlefabriquer.Ilsmedétaillentlesidées,lesastuces,les«recyclages»…Detouteévidence,ilsontsacrifiédetrèsnombreusessoiréesàceprojet.L’avionestbeau,imposant.Ilportelescicatricesdenombreuxbricolages.Avantdeleslaisseràunautreprojet,j’oseunequestion:«ilvole?».«Non,ilestbeaucouptroplourd!»

Bien sûr, les apprentissages sans fin et sans finalité débouchent parfois sur de profondesinnovations. Les échanges (avec desmakers plus entrepreneurs) peuvent inciter à la fois àacheverleprojet(nousavonsétéétonnésdansdenombreuxmakerspacesethackersspacespar les prototypes loin d’être achevés) et à l’orienter vers des voies plus utilitaristes. Leprocessusdesunsestaussiparfoislabasedel’innovationutiledesautres.Plussimplement,ilfautparfoisseperdredansdeschosesinutilesoufutilesavantdeparveniràinnoverpouruneactivitéplusindustrielle.Lorsd’unséminaire,ungestionnairedefablabévoquaitainsilecas

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d’unmanagerquiétaitvenuedanssonlab(corporate)pourfaireuncadredephotosavecuneimprimante3Detqui enétait ressorti avecunevision renouveléedesprocessus liés à sonmétierengérantdésormais sesprojetsd’innovationautourdeprototypes3Dmultiplesquideviennentdesobjets-frontièrespourlesmembresdesonéquipe.

Parmilesprocessusfinalisésdesmakersetdeshackers,ilenestunquimérited’êtresouligné: la lutte contre l’obsolescence programmée (des ampoules, des ordinateurs, des appareilsélectro-ménagers…).Prolongerlaviedesobjetsestainsil’objectifavouédenombreuxmakersethackersquenousavonsrencontrés.Parfois,l’ambitionestencoreplusgrande:ils’agitderégénérer un territoire voire toute une économie. C’est le cas du dirigeant d’ICIMontreuil(France)quivoitsonvastemakerspacecommeunvecteurpossiblederéindustrialisation.

La communauté des puristes est parfois très dure avec les tentatives corporate demakerspaces,dehackerspacesoudefablabs.Ungestionnairedefablabuniversitairenousconfiaitainsi: «Si c’était des vrais fab labs, je pourrais facilement y aller sans rendez-vous, et ilspartageraientleursconnaissancesetprocéduresavectoutlemonde…mêmeleursconcurrents!Moi,jesuisununiversitairedeformation,ettoutcequejefaisdansmonfablabestouvert…même aux universités et universitaires concurrents! La preuve! [montre le chercheur dudoigt]»

Ducôtédel’entreprise,lesmouvementscollaboratifssuscitentdeplusenplusd’intérêt.Dansdes contextes où l’innovation, l’entrepreneuriat et l’intrapreneuriat deviennent des axesstratégiques majeurs 19 , les makers, les hackers et les coworkers semblent apporter dessolutionsévidentes:recentrersurlescommunautésmétiers,hackerlemanagement,favoriserlebricolageetlasérendipité,libérerl’entreprisedesesmursetdesesniveauxhiérarchiques…Ainsilecorporatehackingpeutapparaîtrecommeunmoyen«pourfairebougerleslignes».«Sens de l’opportunité, voire de l’improvisation, détournement positif, et bricolageorganisationnel:pourlecorporatehacker,touslesmoyensoupresquesontbonspourœuvrer,dans le collectif, à l’amélioration de l’entreprise. Le corporate hacking ne joue pas contrel’entreprise,maisauservicede la transformationdecelle-ci,etdans le respectdesa raisond’êtreprofonde.»20Encesens, il incite lesentreprisesàs'engagerdans lavoiede la«non-conformité constructive», c’est-à-dire vers la recherche de comportements déviants aubénéficedel'entreprise,sourcedecréativitéetdenombreuxbénéfices(dontlacréationd’une«culturedel’originalité»àencroireFrancescaGino(cf.supra).Biensûr,onpeuts’interrogersur la finde lacitation(êtreauservicede la transformationde l’entreprise).Laplupartdeshackersindépendantsquenousavonsrencontréssesontditsauservicedevaleursetd’unecommunauté.L’importationdespratiquesdehackingdansunenvironnementcorporateestcependantunevéritableinnovationdanssonesprit(ons’éloigneplusquejamaisd’uncontrôlehiérarchiqueetplanifiédel’organisation).

Dans un contexte de mobilité de plus en plus systématique, les tiers-lieux permettent deconstruireunvasteréseaud’escalespourlesmobilitésurbainesoururalesdesmanagers.Dans

19Aupointparfoisdecacherunmanqueflagrantdevisionstratégique.L’incantationdel’innovationetdel’entrepreneuriatontainsiétédécritscommedevéritables«cache-misèrestratégique»pardescadresquenousavonsrencontrés.20Définitionducoporatehackingparuncorporatehacker:cf.lesitehttps://hacktivateurs.co/2016/04/05/corporate-hacking-quest-ce-que-cest/

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unelogiquedeveilleetdestimulationdel’innovation,lestiers-lieuxcorporate,mutualisésavecdespartenaires,voiredesconcurrents,lestiers-lieuxindépendants(oùl’onvarelocaliserdessalariés ouexcuberdesprojets) semblent la panacée.Onpeut capter l’énergiedesprojetsémergentsetproposeruneformedecoachingavecdessalariésplusâgés(quibénéficierontàleur tour d’une forme de «reverse mentoring»). On peut mettre en place de véritablesdémarches d’innovation ouverte incluant des entrepreneurs externes, des étudiants-entrepreneurs,deshackersrésidents,dessalariésd’entitésnormalementdistantes…

Defaçongénérale,onattenddesmouvementscollaboratifsunevéritablecontre-culture,unstimulusdisruptif.Onchercheà«hacker» l’entreprise,épurersesgestes,sesdiscours,sonjargonmanagérial,sesprocédures,sesoutils.Simplifier.Enperdantsansdouteladimensionprofondément communautaire du hack. Le choix des open sources, les hackathons, lecorpoworking, l’holacratie, l’entreprise libérée, l’entréedansune culturemaker corporate…sont autant de signes d’unmanagement qui cherche, plus que jamais, du sens, voire desutopies.Decepointdevue,lesmouvementscollaboratifssontautantdesmuses(nécessaires)etquedescontre-cultures(égalementnécessaires)pourlarefontedespratiquesdetravail.

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ANNEXE1:WEBOGRAPHIE

é PrésentationdelaLondonTechWeek:

https://londontechweek.com/

é WhitePaperRGCS,VersionAlpha:

https://collaborativespacesstudy.wordpress.com/2016/04/10/rgcs-white-paper-

version-alpha/

é Articlesurl’entrepreneuriatsubi:http://www.mutinerie.org/lentrepreneuriat-

subi/#.WCIKLn9viot

é ArticledusiteLemonde.frsurlacomparaisonsalariés/entrepreneurs:«Lavied’un

entrepreneurest-elleplusdurequecelled’unsalariés»?parSamuelLaurent

http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/01/20/la-vie-d-un-entrepreneur-

est-elle-plus-dure-que-celle-d-un-salarie_4850512_4355770.html

é Articled’HarvardBusinessReviewsurlepoidsdelaconformitéenentreprises:«Let

yourworkersrebel»byFrancescaGino:

https://hbr.org/cover-story/2016/10/let-your-workers-

rebel?utm_campaign=harvardbiz&utm_source=twitter&utm_medium=social

é Etudesurlestatutnationald’étudiantentrepreneur:

http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid79926/statut-national-etudiant-

entrepreneur.html

é EtudeBureauxàPartageretLaFonderie2014surlesespacesdecoworking:

https://www.bureauxapartager.com/blog/les-chiffres-du-coworking-en-2014/

é Présentationdel’IoTValley(Associationetincubateur):

http://www.iot-valley.fr/fra/

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ANNEXE2:DONNEESMOBILISEESPOURLASYNTHESE2015-2016DESRECHERCHESRGCS

SOURCES DESCRIPTIONDESDONNEES

EvénementsRGCS2015-2016 52événements(au7novembre2016):desséminaires, des ateliers et des meetingspointsàParis,Londres,Montréal,Barcelone,Lyon, Grenoble, Amsterdam, Berlin. Unhappening scientifique à Berlin#visualizinghacking(juillet2016).Synthèse de ces événements par lecoordinateurduréseau.

Visitesdetiers-lieux

En parallèle aux événements, 82 visitesd’espacesdecoworking,makerspaces, fablabs et hacker spaces à Paris, Lille, Lyon,Londres, Montréal, Berlin, Barcelone,Lisbonne,Singapour,Sydney.46 entretiens avec des gestionnairesd’espacescollaboratifs.Réalisationde1450photosetunetrentainede films sur les espaces intérieurs et leterritoire.D’autres visites sont en cours deconsolidation dans le cadre d’un projet derechercheduréseauRGCS.

EnquêteRGCS(cf.ANNEXES3et4) Enquête sur les nouvelles pratiques detravail et la collaboration. Diffusée auprèsd’anciensétudiants(graduate)d’universitéseuropéennes et canadiennes. GénérationERASMUS. Mobilisation pour la synthèsed’un échantillon de 378 répondantsreprésentatifs du profil ERASMUS (sur lescritères d’âge, de sexe, de mobilité etparcoursacadémique).

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ANNEXE3:QUESTIONNAIRE2016SURLESTRANSFORMATIONSDUTRAVAILETDESESESPACES

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ANNEXE4:PROFILDESRÉPONDANTS

Lapopulationcibléeestcelledesdiplômésplutôt«graduate»,quiviventdansdesgrandesmétropolesàl’international(Paris,Londres,Montréal,Barcelone,etc.)etquionteffectuéleursétudes(semestresàl’étranger,double-diplôme…)àl’étrangerdanscesmêmesvilles.Nouslesavonsappelésla«GénérationErasmus».

Surenviron1500réponsesreçues,nousn’avonsexploitéque378questionnaires.

Latranched’âgelaplusreprésentéeestainsicelledes21à30ans.

L’échantilloncomprenddestravailleurs,destélétravailleursetdescoworkers,pourunelargemajoritéissuedemétropoleseuropéennesetcanadiennes.

S’agissantdustatutprofessionnel, lespersonnesenCDIsontlesplusreprésentées.Ainsi les«salariés» (CDI et CDD) représentent environ 63% de l’échantillon tandis que lesentrepreneursetindépendantsreprésententenviron15%.

Parmicesdeuxcatégoriesprofessionnelles,hommesetfemmessontglobalementbienreprésentées.

50,4%

13,1% 10,1% 4,9% 12,0% 7,4% 2,2%

CDI CDD ENTREPRENEUR AUTRETRAVAILLEURINDÉPENDANT

EMPLOYÉSOUSUNAUTRETYPEDE

CONTRAT(CONTRATFLEXIBLE)

SANSEMPLOI SANSRÉPONSES

Statutprofessionnel

51% 49%44%

56%

UN HOMME UNE FEMME

Vous êtes :

Entrepreneurs / Indépendants Salariés

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