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Nouvelles frontières pour le syndicalisme

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DU MÊME AUTEUR

— LIP 73 (collectif) Le Seuil, 1973.

— La CFDT aujourd'hui (en collaboration avec Jacques Julliard) Le Seuil, 1975.

— Demain l'autogestion (en collaboration avec Claude Perrignon) Seghers, 1976.

— Reconstruire l'espoir Le Seuil, 1980.

— La CFDT en questions (collectif) Gallimard, 1984.

Couverture : Gérard Lo Monaco

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E Maire

Nouvelles frontières pour le syndicalisme

Préface d'Albert Mercier

S

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Collection Mouvement dirigée par Christophe Wargny

Dans la même collection :

— Gilbert Bonnemaison : La sécurité en libertés — Michel Hourcade : Le sport-system — Jean-Paul Jacquier : Les cow-boys ne meurent jamais,

l'aventure syndicale continue — Margaret Maruani : Mais qui a peur du travail des

femmes ? — Jean Mitoyen : C'est dur d'être de gauche, surtout

quand on n 'est pas de droite — Claude Neuschwander, Jean-Marie Charpentier, Olivier Dousset, Gilles de Margerie, Gérard Caries :

La communication dans tous ses états

— Paul Oriol : Les immigrés, métèques ou citoyens ? — Claude Pair : Rue du bac

1987 - Editions Syros 6, rue Montmartre, 75001 Paris

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PREFACE

« Difficile parfois de comprendre la CFDT ». Un syndi- caliste algérien, après d'autres, me le faisait remarquer lors d'une récente conversation. A la fois hyperréaliste, au point quelquefois de paraître au-dessous de ce qu'on attend d'elle, et très ambitieuse pour l'évolution de la société française. D'où des interrogations, des questions. Les différents tex- tes de ce livre illustrent bien toute la richesse et aussi, pour- quoi ne pas le dire, la complexité de ce syndicalisme.

Le syndicalisme ? Un outil pour faire aboutir les reven- dications des hommes et des femmes dans les entreprises et les administrations. C'est tout simple. Dites comme cela, les choses semblent aller de soi. Et pourtant. Des militants pourraient raconter comment, pour améliorer le pouvoir d'achat, on a restauré le salaire au rendement aux dépens des conditions de travail, ou encore comment la réduction du temps de travail n'a pas amélioré la situation des tra- vailleurs, car en moins de temps il a fallu faire la même production... De tels exemples ne manquent pas.

Très vite le syndicalisme a donc dû définir les conditions de mise en œuvre des revendications. Avant tout pour que le patron ou l'Etat ne reprenne pas d'une main ce qu'il avait concédé de l'autre. On se souviendra que le syndi-

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calisme a obtenu, en 1950, l'instauration d'un salaire mini- mum garanti, et que celui-ci, entre 1950 et 1968, a perdu quelque 50 % de sa valeur par rapport à l'évolution moyenne des salaires. Il a fallu les grèves de mai 68 pour rattraper une part du retard et assurer son évolution.

Toute l'histoire de notre syndicalisme est ainsi faite de revendications qui ont permis des avancées sociales et d'exi- gences non moins fortes pour que ces avancées soient dura- bles et améliorent les conditions de vie et de travail. Aujourd'hui, face aux mutations de la société française, notre objectif reste le même. Il est d'adapter l'action syndi- cale pour qu'elle continue d'être source de progrès social.

Notre fil conducteur depuis longtemps déjà : des sala- riés acteurs du changement. C'est la condition à la fois du progrès et de son adaptation à ces temps difficiles. Pour prendre un exemple, si la CFDT est favorable à la moder- nisation des entreprises et de l'appareil industriel, elle cons- tate, trop souvent, que l'introduction des nouvelles tech- nologies se fait au nom des seuls impératifs économiques. Avec des conséquences désastreuses, car cela ne rend en rien les entreprises plus compétitives. Une donnée en tout cas qui nous fait exiger que les salariés et leurs organisa- tions syndicales puissent intervenir dans les évolutions. Au fond, seule la rencontre-fusion entre un outil performant, la qualification du personnel et une organisation du tra- vail adaptée favorisera la productivité nécessaire aux entre- prises et aux industries. C'est là, pensons-nous, une des clés pour maintenir et développer l'emploi. La CFDT adopte d'ailleurs la même démarche, la même attitude quand il est question de l'élargissement et la garantie de la démocratie, des libertés ou encore de la protection sociale. Une constante donc.

On entend dire, ici ou là, que la CFDT change. Certains pour s'en réjouir, d'autres pour le regretter. Ce qui change, ce sont les propositions, les moyens. Nous ne sommes plus en 1964 ou en 1970. Des mutations sont en cours. La notion même de débat démocratique se modifie. Comment ne pas en tenir compte ? Comment ne pas évoluer alors que les salariés, eux, n'ont plus tout à fait les mêmes comporte- ments, les mêmes envies ?

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Le livre d'Edmond Maire, à partir d'interventions, d'arti- cles, de réflexions, rend compte de ces changements. Des changements qui renouvellent la « gestion du social » mais aussi l'espace et le rôle du syndicalisme. Ce livre porte la marque de celui qui l'a écrit ; il traduit sa sensibilité pro- p son approche des problèmes, son mode de pensée. En même temps, il participe d'une approche collective en se faisant l'écho de discussions avec les militants ; en inté- g à sa manière ce que vivent les organisations de la CFDT ; en rassemblant des acquis de l'action syndicale. Très naturellement, ces textes ont donné lieu à des débats au sein de l'organe exécutif de la CFDT.

S'ils présentent bien des aspects novateurs, c'est préci- sément par cette alchimie entre des apports collectifs, l'empreinte subjective et l'envie, toujours, de faire progres- ser le débat et l'organisation syndicale.

En référence au dernier chapitre du livre, je voudrais enfin dire, ici, toute l'importance de l'action internatio- nale du syndicalisme. Car c'est aussi une « nouvelle fron- tière ». Trop souvent, elle n'est perçue que comme un com- plément à notre action quotidienne. Nous ne prenons pas assez en compte les données nouvelles qui s'imposent à nous, à notre pays, par suite de l'évolution des industries et des entreprises dans un marché désormais européen, voire mondial. Certes, nous ne manquons pas une occasion d'évoquer l'avenir de l'emploi, de l'industrie ou de la pro- tection sociale. Mais exploitons-nous suffisamment tou- tes les informations que nous recueillons sur ce qui se passe ailleurs pour pouvoir agir non seulement en France mais en Europe ? Rien n'est moins sûr. Nous raisonnons France, industrie française, entreprise française, là où il faudrait penser industrie européenne, localisation de l'emploi et outil de production en France.

Les milliers de travailleurs frontaliers montrent assez que les bassins d'emploi ne sont pas limités par les frontières. Or, à ce jour, il n'y a que peu d'expériences de revendica- tions, de propositions qui aillent au-delà des frontières pour traiter de l'emploi dans un ensemble régional. Pourtant la conviction grandit que face aux Etats-Unis, au Japon et

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aux pays d'Orient doit s'imposer une Europe plus forte et agissante. Encore faut-il combler cet écart entre une marche que nous sentons inéluctable vers l'Europe et notre culture syndi- cale hexagonale qui nous fait subir cette évolution plutôt que d'essayer de l'anticiper.

S'engager dans cette voie n'est pas facile. A la résistance culturelle et historique viennent s'ajouter les freins idéo- logiques du PC et du RPR. Tous deux enclins à monter les enchères sur les nécessités nationales, même si celles- ci, au bout du compte, affaiblissent nos industries et met- tent en cause l'emploi. L'Europe, elle-même, avec ses hési- tations, ses ratages, a du mal à susciter l'enthousiasme. C'est regrettable. Voilà en tout cas une raison pour y œuvrer de façon plus continue et plus efficace.

La CFDT est engagée avec ses partenaires de la Confé- dération européenne des syndicats dans une action auprès des institutions communautaires. Reste maintenant à mettre l'action quotidienne pour l'emploi, le patrimoine indus- triel et l'avenir des jeunes à l'heure de l'Europe. Sans plus attendre.

Albert Mercier

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CHAPITRE 1

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La d é m a r c h e e t l es e n j e u x

Ce livre est modeste. Face aux bouleversements de notre époque, à leurs effets déstabilisants et déstructurants sur le syndicalisme, il ne prétend pas proposer la réponse, la synthèse liant harmonieusement les fins et les moyens d'un syndicalisme renouvelé. Il rassemble, dans les chapitres sui- vants et sur quelques thèmes essentiels, des interventions écrites ou prononcées de l'automne 1985 à la fin 1986 en réponse à des questions théoriques et pratiques posées à la CFDT. Il propose des hypothèses d'analyse et de tra- vail plus ou moins affinées, des textes tantôt de fond, tan- tôt conjoncturels.

Les éléments de réponse présentés ont été conçus à par- tir de ce qui s'élabore ou se réalise dans la CFDT, et ten- tent de mettre à jour, de clarifier ce qui germe parmi les militants affrontés aux mutations qui marquent notre temps.

Un lien toujours présent unit ces pages. C'est là que réside l'ambition de ce livre. Les analyses ou les problé- matiques sont toutes marquées de l'empreinte des valeurs et de l'identité de la CFDT, telle qu'elle s'est construite à travers son histoire. Et toutes s'inscrivent dans le vaste

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débat d'adaptation que nous menons aujourd'hui. Ce débat n'est pas spectaculaire mais il est maintenant bien lancé. Les militants et les organisations confédérées ont pris cons- cience de la nécessité, de l'urgence d'un renouveau des thè- mes et des pratiques. Une discussion large, une élabora- tion multiple sont en train de se développer.

Il y a peu d'années encore, des observateurs mettaient en doute la diffusion et la cohérence de la recherche de la CFDT. Combien de fois avons-nous entendu opposer la volonté confédérale de « resyndicalisation » de l'action et les pratiques locales ! Aujourd'hui l'incrédulité recule. Cha- cun voit mieux que c'est bien la CFDT tout entière qui s'est mise en mouvement.

Ce livre se présente donc comme un ensemble de réflexions intermédiaires entre la CFDT d'hier et celle de demain, comme une approche, parmi d'autres, permettant d'éclairer les enjeux et d'approfondir le débat pour don- ner au syndicalisme un nouveau souffle et assurer son avenir.

U n e a d a p t a t i o n n é c e s s a i r e

Face au chômage, aux menaces de licenciement, aux ten- tatives de déréglementation des tenants du libéralisme éco- nomique, accaparés par l'urgence du quotidien, les adhé- rents et les militants peuvent perdre de vue les évolutions de fond qui risquent de mettre hors-jeu le syndicalisme. Entendons-nous sur les mots : les groupes de pression et les corporatismes syndicaux ont de toute façon leur ave- nir assuré. Mais le syndicalisme français, depuis son ori- gine, a d'autres caractéristiques. Son action de défense immédiate des salariés a toujours été liée à une perspec- tive de changement social. L'émancipation, la solidarité en sont les références permanentes. Or, ce sont ces carac- téristiques fondatrices de notre syndicalisme qui sont actuel- lement mises en cause par les mutations en cours. Quelles sont les principales lignes de force de ces évolutions ?

D'abord, les aspects technologiques et économiques. Les nouvelles technologies — informatique, biotechnologies,

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nouveaux matériaux — bouleversent le contenu du travail et des qualifications, permettent à la productivité de faire des bonds en avant, transforment l'industrie et les servi- ces ; enfin, au moins à court terme, elles font disparaître plus d'emplois qu'elles n'en créent.

Le développement des échanges entre pays, lié à l'ouver- ture des frontières, a entraîné la mondialisation de la con- currence et l'interdépendance des économies. Du coup les nouvelles industries des pays en voie de développement accélèrent le déclin des industries traditionnelles des pays développés. Si les Etats-Unis maintiennent leur leadership monétaire et économique, la place de l'Europe décline, le Japon monte sans cesse en puissance, les nouveaux pays industrialisés décollent, les pays moins avancés s'enfon- cent dans la misère et le sous-développement.

L'entreprise se voit accorder une place capitale dans le développement économique, tandis que le rôle des Etats apparaît moins déterminant. Contrairement à ce qui était le cas naguère, les PME sont perçues comme décisives pour l'avenir de l'emploi, même si la domination des grands groupes n'est pas battue en brèche.

Les formes de gestion des entreprises évoluent rapide- ment. Face à des conditions de production plus complexes, les directions s'aperçoivent de plus en plus qu'elles ne peuvent se passer du savoir et du potentiel créatif des salariés ; elles cherchent alors à impliquer, à faire partici- p le personnel à l'adaptation de l'entreprise. En France cependant, bien des entreprises restent très traditionnel- les ; leurs formes de gestion sont encore rarement ouver- tes à la participation conflictuelle dont dépend pourtant leur avenir.

Les évolutions sociologiques sont d'abord le fait de l'écla- tement du salariat. Le dualisme a plusieurs faces : entre les chômeurs et les actifs, entre le travail stable et les acti- vités intermédiaires ou les contrats précaires, entre les sec- teurs protégés et les secteurs exposés, entre les grandes et les petites entreprises, entre le secteur tertiaire devenu majo- ritaire et le secteur industriel en déclin. La différenciation s'opère aussi par groupes d'âges : les moins de 25 ans ou les plus de 50 ans ont des handicaps supplémentaires et spé-

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cifiques pour trouver un emploi. Au total, on le voit bien, le syndicalisme risque de se réduire à n'être que le groupe de pression des salariés les mieux placés.

L'accès toujours croissant des femmes à l'activité sala- riée malgré la pression du chômage est certainement le phé- nomène le plus novateur, le plus porteur de changement des modes de vie... et de travail.

L'allongement de la durée moyenne de vie suscite le déve- loppement de nouvelles demandes sociales, de nouvelles activités. Mais la baisse de la démographie se cumule avec l'augmentation du nombre de personnes âgées et le ralen- tissement de la croissance pour mettre en question l'ave- nir de la protection sociale.

Les évolutions culturelles et idéologiques constituent une autre source de déséquilibre pour le syndicalisme. L'expres- sion forte des aspirations individuelles, la volonté de cha- cun d'être reconnu, de peser dans les décisions collectives, d'avoir son espace d'autonomie invalident les réponses syndicales quand elles sont faussement unifiantes ou ne retiennent que les aspects collectifs des demandes indivi- duelles. Les solutions étatiques, les vastes idéologies pré- tendant changer le monde, changer l'homme ont perdu leur pouvoir de séduction.

En France, les limites rencontrées par un pouvoir de gau- che entre 1981 et 1986 ont fait percevoir la portée réelle des réformes de structure, et ont montré combien les socié- tés complexes ne se gèrent pas avec des recettes simples. Enfin, l'affaiblissement du PCF et de la CGT a changé, pour la CFDT notamment, les conditions de l'action syndicale.

L'ensemble de ces évolutions a des conséquences multi- ples et profondes sur le syndicalisme. Ainsi, pour s'en tenir à l'entreprise, il affronte une triple mutation :

— une mutation qui affecte le contenu du travail, la façon de travailler, la valeur accordée au travail ;

— une mutation qui transforme les formes d'emploi et la qualité de l'emploi ;

— une mutation du social qui appelle une nouvelle défi- nition de la place des salariés, des rapports sociaux, de la fonction syndicale.

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Le syndicalisme, sans pourtant rester immuable — la démarche de la CFDT en témoigne — a pris du retard par rapport à ces évolutions. Il n'a pas encore franchi le cap déci- sif de ce que l'on peut appeler sa nécessaire mutation. Lors- que nous parlons d' « adaptation » du syndicalisme, le mot, d'usage courant, est faible. Adapter, mettre à jour, chan- g renouveler le syndicalisme, c'est bien en définitive d'une mutation qu'il s'agit. Car la CFDT n'entend pas se conten- ter d'accompagner les évolutions sociales ; elle veut y impri- mer la marque d'une volonté collective de transformation.

A d a p t a t i o n e t s y n d i c a l i s a t i o n v o n t d e p a i r

La désyndicalisation est la conséquence la plus visible de l'inadaptation du syndicalisme. Mais comment se carac- térise cette inadaptation dans la vie syndicale ?

Les militants syndicaux, élus ou mandatés, représentent les salariés dans un nombre considérable d'institutions représentatives, utiles au règlement des problèmes posés à leurs mandants. La conquête des droits collectifs s'est traduite dans l'entreprise par la mise en place de délé- gués du personnel, puis de comités d'entreprise, de délé- gués syndicaux, de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, de comités de groupe. Hors de l'entreprise, le syndicat est présent dans la gestion de la protection sociale ou de l'assurance-chômage, dans les fonds de formation professionnelle, dans les instances con- sultatives sur l'emploi. Il faut citer encore les élus p les négociations à divers niveaux et tant d'autres lieux moins connus mais le plus souvent non dépourvus d'intérêt.

Cette multiplicité et cette complexité des lieux d'inter- vention obtenus par l'action syndicale a peu à peu modi- fié l'image du syndicalisme et la représentation que s'en font les salariés. Si, dans les entreprises de taille modeste, la syndicalisation de masse apparaît encore en certaines cir- constances comme la condition première de l'efficacité, il n'en va pas de même ailleurs. Le syndicalisme reste appré- cié, mais les salariés ne s'y impliquent guère direc-

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tement ; c'est par la voie électorale qu'ils manifestent leur confiance. Certes, il y a des exceptions non négligeables, mais la tendance est lourde.

Quant aux militants, ils voient leur énergie largement absorbée par cette pratique des institutions représentati- ves, qui demande préparation et suivi. Le contact direct avec les salariés est souvent réduit à la portion congrue. Cette insuffisance de confrontation permanente accroît la distance entre l 'action des militants et les attentes des sala- riés, nuit à la perception fine de ces attentes et donc à l'ima- gination sociale des syndicalistes.

L 'adhérent se fait rare, d 'au tant qu'il est peu consulté et que son rôle ne lui apparaît guère. Car les salariés d 'aujourd 'hui ont soif de participation. La CFDT l 'a bien senti — et tôt — quand elle a proposé, pratiquement seule, et réussi à obtenir le droit d'expression individuelle des sala- riés sur leurs conditions de travail. Mais ce droit d'expres- sion reste trop exclusivement limité au travail. Faute d'être mis en œuvre dans la vie syndicale elle-même, celle-ci s'étiole.

Ces constats ont été faits par la CFDT à la suite d 'une enquête approfondie sur le terrain, menée depuis deux ans par un « groupe d'action pour la syndicalisation » cher- chant à comprendre les raisons de fond de la désyndicali- sation pour y apporter de vraies réponses, dépassant les limites d 'une propagande volontariste. C'est ainsi que nous avons découvert, dans certaines entreprises, que le syndicat est la propriété privée de quelques militants. Certes, ceux-ci ont un engagement fort. Ils établissent entre eux des liens de chaude convivialité. Ils sont dynamiques, ils réalisent, ils sont appréciés. Mais s'ils souhaitent trou- ver des adhérents, c'est à condition que leurs opinions soient conformes aux options militantes, en fait qu'ils soient déjà des militants en puissance. Tableau caricatural cer- tes, mais mieux vaut souligner les dérives potentielles que les gommer.

En même temps et de façon plus générale, l 'outil syndi- cal a vieilli. Dans sa façon d'être, dans ses objectifs, dans le rôle qu'il joue, dans le type de changement qu'il vise, il a pris du retard sur les évolutions. Son programme his-

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torique depuis toujours et notamment pendant « les trente glorieuses » — amélioration du pouvoir d'achat, conquête de droits collectifs, garanties collectives, protection sociale — n'a plus la même force mobilisatrice. Car les acquis ont été nombreux. Et aujourd'hui il s'agit plus de les défendre, de réduire les écarts, d'éliminer les situations scandaleuses que de proposer à tous de vastes ambitions dans les mêmes domaines.

Or de nouveaux thèmes s'imposent parmi les salariés et sont encore peu ou mal pris en compte. Ainsi, le change- ment du travail prend une importance accrue. Il devient un enjeu central de notre période. Les salariés, d'ailleurs, acceptent de moins en moins de transférer en demande d'augmentation de salaires les problèmes qu'ils rencontrent du fait de la pénibilité ou de l'inintérêt de leur travail. Ils ne se retrouvent plus dans cette globalisation salariale réductrice qui fait encore partie de la tradition syndicale. Les jeunes, notamment, veulent des changements concrets, qui les concernent directement, dans leur environnement de travail. Ils veulent en même temps pouvoir aller au bout de leur revendication. L'intérêt au travail, la qualification, la possibilité de mener un projet professionnel personnel deviennent des thèmes essentiels qui attendent des répon- ses syndicales.

Les attentes nouvelles ne concernent pas que l'entreprise. La vie en société est là toujours présente dans les réactions individuelles. A chaque fois que dans la société les valeurs fondamentales de justice, d'égalité, de liberté sont mises en cause, une réponse collective est attendue. Et puis, la qualité de la vie, la protection de l'environnement, la cons- truction de l'Europe, la coopération avec le tiers monde sont ressenties comme des thèmes d'avenir appelant de nou- velles formes d'intervention syndicale. Mais le syndicalisme avance trop lentement dans ces domaines, et les observa- teurs manifestent un certain pessimisme à son égard. En son sein, le regard est encore trop souvent tourné vers le passé. La mentalité de crise-mutation est là qui minimise les avancées faute d'y voir clair sur les nouveaux horizons.

Le chômage mais aussi les limites des politiques macro- économiques ont eu pour effet de replier le syndicalisme

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sur les institutions représentatives et l'action dans l'entre- prise. Certes la tâche y est décisive pour le redressement de l'économie et de l'emploi. Mais un syndicalisme qui per- drait son ancrage dans la société, dans les mouvements pro- fonds qui l'animent, manquerait à sa mission. Ainsi, l'émancipation des femmes nécessite de poursuivre les chan- gements culturels amorcés, et appelle une intervention, des objectifs syndicaux liant étroitement l'amélioration des con- ditions de vie à l'évolution des conditions de travail. De même la conquête de l'égalité des droits et des conditions sociales faites aux immigrés déborde largement le cadre de l'entreprise.

Une question aussi importante que le contenu à donner à la formation professionnelle pour permettre la mobilité professionnelle ne peut être résolue indépendamment de l'évolution de la formation scolaire et universitaire ; le mouvement étudiant et le syndicalisme doivent progresser dans la compréhension et le dialogue pour faire converger leurs efforts en ce sens. Et puis, par exemple, notre res- ponsabilité syndicale est directement engagée dans la défense des libertés fondamentales mises en danger par le terrorisme.

Bref, notre action dans l'entreprise est indissociable de notre action dans la société. Bien des militants CFDT le vivent ainsi qui sont engagés dans des associations pour les droits de l'homme, la défense des immigrés, la réinser- tion des drogués, l'aide au quart monde, la protection de l'environnement... Mais ils le sont souvent à titre indivi- duel, et les déclarations confédérales sur ces thèmes, bien qu'appréciées, ne suffisent pas à la multiplication des initiatives.

R é a g i r

L'adaptation, pour être synonyme de regain de la syndi- calisation, doit remédier aux phénomènes constatés. Comment fonder à nouveau le syndicalisme sur une participation active, une implication directe des salariés dans la vie syndicale (1) ? 1. Voir à ce sujet le livre de Jean-Paul Jacquier, Les Cow-boys ne meurent jamais, l'aventure syndicale continue, Syros, 1986.

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La nécessité première consiste à donner aux adhérents une place décisive dans les choix syndicaux. L'exigence de notre époque, c'est l'approfondissement de la démocra- tie. On le voit partout, y compris à Shangai ou à Moscou. Dans un pays comme le nôtre, ce n'est pas d'abord par l'alourdissement des mécanismes de la démocratie repré- sentative mais par l'extension de la démocratie participa- tive que nous pouvons répondre à cette exigence. Pour nous, syndicalistes, elle implique avant tout l'extension de la participation active des adhérents à tous les domaines, à tous les choix du syndicat, qu'ils concernent l'action dans les institutions représentatives ou les objectifs et les for- mes de la pression collective.

Il convient donc de dépasser les vues malthusiennes des préalables idéologiques ou politiques mis à l'adhésion syndicale. Il faut sortir d'une adhésion au syndicat vue comme un engagement total, ou comme requérant un accord préalable sur ses orientations. C'est dans l'alchi- mie de l'action et du débat que se développe la culture sociale, que se forge la capacité de prendre toute sa part aux décisions collectives. L'adhésion n'est pas un racolage à des choix préétablis, c'est la condition d'une démocratie large, vivante, pluraliste. C'est aussi un service rendu à l'inorganisé. En se syndiquant — et c'est encore plus vrai dans cette époque d'incertitude — , il sort de l'isolement, il surmonte ses craintes devant l'avenir, il acquiert un droit privilégié à être informé, à donner son avis sur les options à prendre.

Ce serait une pente fatale que de prendre son parti d'un syndicalisme de militants et non d'adhérents, d'un syndi- calisme électoral et non de participation directe des syndi- q Un syndicat ne peut être pleinement vecteur de démo- cratie s'il se contente de donner la parole aux salariés tous les ans ou tous les deux ans, lors des élections profession- nelles. La force, la portée démocratique du syndicat vien- nent au contraire de l'influence déterminante qu'ont les syndiqués sur son action quotidienne et donc de la dispo- nibilité des militants à accepter les évolutions dont une telle pratique est porteuse.

Cette démarche est essentielle pour la syndicalisation.

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Elle ne s'oppose pas, bien au contraire, à la recherche de moyens facilitant le développement et la permanence de l'adhésion syndicale. Les services pratiques rendus aux adhérents sont un moyen complémentaire utile. Ici et là, des initiatives se font jour dans divers domaines, parfois destinées d'abord aux salariés des petites entreprises, les plus dépourvus en la matière. Il faut aussi réfléchir aux formes de financement du syndicalisme français qui reste l'un des seuls à travers le monde à demander, en fait, cha- que mois à l'adhérent de renouveler son adhésion en ver- sant sa cotisation. Des initiatives de prélèvement automa- tique des cotisations sur le compte courant des syndiqués sont en cours de développement. Mais d'autres modalités sont possibles qui permettraient, tout en respectant la liberté individuelle, de donner au syndicalisme une représentati- vité bien plus large, à la mesure de son audience et de son rôle dans l'entreprise et la société.

On le voit bien, ce qui se joue dans la mutation du syndi- calisme, c'est la recomposition des rapports entre l'indi- vidu et le collectif et d'abord entre les syndiqués et le syndi- cat. La montée en force des aspirations individuelles diver- sifie les attentes des salariés, non seulement selon l'entre- prise mais aussi selon le sexe, l'âge, la catégorie profes- sionnelle, le service. Nier cette diversité de situation ne fait avancer d'un pouce ni les revendications, ni l'adaptation du syndicat. Prendre en compte pleinement cette diversité, c'est au contraire se donner la chance de mieux sentir, mieux traduire les ambitions nouvelles et le nouveau rap- port entre individuel et collectif.

Les formes d'action elles-mêmes ont tout à y gagner. La grève a longtemps été considérée comme la seule véritable forme d'action. L'histoire du mouvement ouvrier retient les grandes grèves comme des moments fameux qui mar- quent une période. La France se distingue particulièrement en ce domaine. De longues périodes de calme social rela- tif font soudainement place à l'irruption d'un grand mou- vement collectif. Récemment, une longue période d'ato- nie sociale s'est brisée brusquement avec le mouvement des étudiants et lycéens puis celui des grandes entreprises publi- ques fin 1986.

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Cette vie sociale marquée de temps à autre par des chocs imprévisibles est le signe d'un handicap caractéristique de notre société française. Elle ne saisit pas les grands événe- ments sociaux pour en tirer des leçons et opérer progressi- vement des réformes en profondeur. Au lieu d'être une occasion de progrès, ces grands mouvements ne sont sou- vent qu'une occasion d'en découdre ensuite... politique- ment. Et l'archaïsme social perdure. La sous-syndicalisation n'arrange rien, car elle se paie toujours, un jour ou l'autre, en explosions sporadiques.

La grève est d'abord l'expression d'un refus, refus d'une fermeture des espaces de négociation, refus d'une société bloquée, réaction à une atteinte devenue insupportable à la dignité, à la justice, à la liberté. C'est un cri social, l'expression exaspérée d'exigences fortes refoulées ou méprisées par les dirigeants ou pouvoirs en place.

Mais en même temps, la grève n'est qu'un moyen d'action parmi d'autres. Elle ne doit pas masquer la diver- sité et la richesse des formes d'action plus quotidiennes. D'autant que les droits d'expression et de négociation annuelle conquis par les salariés du secteur privé ces der- nières années donnent des lieux de respiration sociale, de confrontation, de négociation et d'obtention de résultats. Lorsque certains syndicalistes continuent à estimer que la seule forme d'action qui vaille vraiment, c'est la grève, ils minimisent la portée des moyens d'action les plus habituels ; ils prennent le risque de cultiver la morosité et de manquer le coche de l'adaptation du syndicat. Car la grève n'a pas seulement comme limite d'être un moyen d'action excep- tionnel elle reste aussi une forme d'action très collective, regroupant le plus grand nombre des salariés d'une entre- prise au-delà de leur diversité. Quand les attentes des sala- riés sont communes à tous — défense du niveau de vie, des garanties collectives et de la protection sociale —, des actions rassemblant le plus grand nombre sur les mêmes objectifs ont leur efficacité. Mais aujourd'hui où les attentes spéci- fiques des individus et des groupes apparaissent avec force, et où les lieux d'intervention syndicale se sont multipliés, les formes d'action courantes doivent être plus diverses, mieux ajustées et s'exprimer dans la durée. Et puis rien ne