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Nouvelles découvertes sur le suaire de Turin

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André Marion Anne-Laure Courage

NOUVELLES DÉCOUVERTES

SUR LE SUAIRE DE TURIN

Albin Michel

Page 5: Nouvelles découvertes sur le Suaire de Turin

© Editions Albin Michel, S.A., 1997 22, rue Huyghens, 75014 Paris

ISBN 2-226-09231-5

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Préface

En mai 1994, le CIELT (Centre international d'études sur le linceul de Turin) soumit au professeur André Marion, de l'Ecole supérieure d'optique, un problème original et passionnant : il s'agissait de faire ressortir, par traitement d'images, des lettres à peine visibles sur des photographies du linceul de Turin.

Des mots ?... Des lettres ?... Ou peut-être simplement des signes ?... On les devinait plus qu'on ne les voyait, si estompés, si peu contrastés que, chose extraordinaire, ils étaient restés inaperçus des siècles durant sur l'un des objets les plus surprenants, les plus mystérieux, les plus incompréhensibles de l'histoire de l'humanité.

La plupart des laboratoires qui avaient travaillé sur le linceul n'avaient pas relevé, eux non plus, ces inscrip- tions. Deux Italiens, Piero Ugolotti et le père Aldo Marastoni, firent cette extraordinaire découverte en 1980, à partir de photos très contrastées du suaire : des écritures semblaient jouxter le visage de l'homme du lin- ceul ! Par la suite, d'autres spécialistes ont minutieuse- ment examiné l'image, à la recherche d'autres signes qui, peut-être, apporteraient enfin une lumière sur l'ori- gine de cet objet unique et âprement controversé : nulle autre relique ne fut conservée aussi précieusement, aussi passionnément.

Mais les méthodes d'investigation restaient rudimen-

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taires. A partir de photos plus ou moins contrastées du suaire, on tentait de donner des formes aux zones d'om- bre, d'interpréter des taches. Des inscriptions sem- blaient bien exister, mais elles étaient si informes, si estompées ! Le déchiffrage était par trop subjectif. Et puis on en venait à se demander si on ne succombait pas au syndrome de Rorschach, l'inventeur du « test des taches d'encre » bien connu des psychologues : qui n'a jamais cru reconnaître des formes dans des taches jetées au hasard ?

A force d'espérer trouver des inscriptions, ne finissait- on pas par voir des écritures dans quelques taches à peu près alignées ?...

Il fallait faire un tri parmi tous ces signes qu'on croyait deviner, et pour cela procéder avec une rigueur scientifi- que, selon une méthode fiable, réfléchie, maîtrisée et parfaitement reproductible. Il fallait faire ressortir les éventuelles inscriptions sur un fond à peu près uniforme pour pouvoir les déchiffrer et les interpréter.

Evidemment, il n'était pas question d'employer les techniques fréquemment utilisées pour le traitement des manuscrits effacés : le suaire ne devait être soumis à aucun produit chimique, et ne devait être altéré en aucune façon. Une seule solution restait : le traitement numérique d'images, qui permet de travailler à partir de photographies, sans toucher à l'objet.

Le CIELT, naturellement, s'intéressait au problème. L'organisme avait été créé lors du premier symposium international de 1989, qui avait regroupé des spécialistes du linceul de Turin afin de faire le point sur les connais- sances scientifiques qu'on avait de l'objet. Ils appar- tenaient à toutes sortes de disciplines : exégètes, historiens, spécialistes des tissus, de l'histoire de l'art ou de l'iconographie, physiciens, biologistes, anatomistes...

Deux membres du CIELT, Marcel Alonso et Eric de Bazelaire, eurent l'idée de faire appel aux compétences du groupe de physique des images de l'Institut d'opti-

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que théorique et appliquée à Orsay (IOTA), dont fait partie l'Ecole supérieure d'optique, dite « Sup- Optique ». Eric de Bazelaire est un ancien élève de l'éco- le ; lui et Marcel Alonso connaissaient les succès précédents du laboratoire dans le domaine du traite- ment des documents effacés, et ils prirent contact avec le professeur Marion. Docteur en physique nucléaire et ingénieur de recherche au CNRS, André Marion est un spécialiste du traitement d'images. Auteur de deux livres sur le sujet, il enseigne cette discipline à SupOptique et a déjà relevé plusieurs défis scientifiques au sein de son laboratoire.

En 1982, à la demande du laboratoire de géodynami- que interne d'Orsay, il effectue une analyse des images enregistrées à bord du satellite Landsat, afin de mettre en évidence des failles géologiques situées au sud du Liban et au nord-ouest de la Syrie, dans la région de la grande faille de Roum. Le traitement d'images révéla un système de failles encore inconnu, lié aux mouvements horizontaux de la plaque arabique. A cette époque, la guerre faisait rage dans cette région et interdisait l'envoi d'équipes sur place ; mais une fois le conflit calmé, la découverte fut confirmée par des études complémentai- res sur le terrain*.

En 1990, à la demande d'archéologues de l'université de Cologne (Thomas-Institut), il réalisa un traitement sur une traduction du IX siècle d'un manuscrit d'Aris- tote, conservé à la Bibliothèque nationale de Vienne. Le manuscrit ne pouvait être déplacé, et il fallait travailler à partir de photographies afin de faire ressortir une ins- cription effacée sur la dernière page, une note margi- nale en latin du XIII siècle.

* P. Masson, P. Chavel, S. Equilbey et A. Marion, « Apports du traitement numérique d'images Landsat à l'étude des failles libano- syriennes », Bulletin de la Société géologique de France, 1982, 7e série, t. XXIV, n° 1, p. 63-71.

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En 1991, un nouveau problème fut soumis par Léon Schirman, agrégé de l'université Paris-Sud. Il s'agissait de restaurer une inscription grattée puis recouverte, sur un croquis de rues qui provenait des archives régionales de Schleswig (Allemagne). Il y est répertorié sous le matricule LAS 358/7734, et sous le nom de croquis de Lütgens. Il provenait d'un inculpé nommé Lütgens, et avait trait au « dimanche sanglant d'Altona » : un massa- cre qui avait été perpétré le 17 juillet 1932. Il avait été falsifié par les autorités judiciaires allemandes sous le régime nazi, en 1932, et avait servi de pièce à conviction capitale au cours de cinq grands procès de 1933 à 1937. Il avait ainsi contribué à faire condamner quatre-vingt- dix personnes ; Lütgens, en particulier, avait été exécuté. La restauration des mots effacés, grâce au traitement d'images, permit de rétablir la vérité et de faire réhabili- ter les condamnés.

En 1993, le laboratoire traita un codex palimpseste, c'est-à-dire un manuscrit ayant la structure de nos livres actuels, lavé et réutilisé. Le manuscrit initial avait été copié à Byzance vers la fin du V siècle ; il contenait les dix-sept livres de la Géographie de Strabon. Puis il fut démembré, effacé et réutilisé au VII siècle pour écrire des règles de droit ecclésiastique connues sous le nom de Nomocanons. Enfin, peu avant l'an 1000, une partie de ses pages furent de nouveau effacées, pliées en deux et servirent à copier un Pentateuque, c'est-à-dire les cinq premiers livres de la Bible : la Genèse, l'Exode, le Léviti- que, les Nombres et le Deutéronome. L'autre partie ser- vit à confectionner un volume des Homélies de Grégoire de Nazianze. Puis les pages furent dispersées. Certaines furent retrouvées, on tenta de déchiffrer la Géographie sous le texte postérieur. Le traitement d'images permit de retrouver le texte initial là où une simple lecture à l'œil nu était quasiment impossible. A la suite de ces recherches, Jean-Gabriel Lopez, qui travaillait alors en

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collaboration avec le laboratoire, obtint le titre de lau- réat de la Villa Médicis.

Le déchiffrage des fantômes d'écritures sur le linceul de Turin devait également être couronné de succès. Plu- sieurs stagiaires de l'Ecole supérieure d'optique partici- pèrent à ces travaux : en 1995, Arnaud d'Ouince et Stéphane Le Mouëllic, et en 1996, Anne-Laure Courage et Hughes Welti. Anne-Laure Courage reçut, à ce titre, le second prix du concours « Initiatives » de la fondation BMW, concours destiné à récompenser des idées origi- nales développées par des élèves des grandes écoles et à les aider dans la poursuite de leurs travaux. Les résultats obtenus sont particulièrement surprenants, et vont très probablement contribuer à relancer la controverse sur l'origine et l'authenticité du linceul.

Christian Imbert Professeur à l'université de Paris-Sud

Directeur général de l'Institut d'optique et de l'Ecole supérieure d'optique

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Remerciements

Nous remercions en premier lieu M. Christian Imbert, directeur de l'Institut d'optique théorique et appliquée d'Orsay, ainsi que M. Pierre Chavel, responsable du groupe de physique des images, qui nous ont permis d'effectuer ces recherches sur le linceul de Turin.

Nous tenons à exprimer notre gratitude envers toutes les personnes et tous les organismes qui ont bien voulu apporter leur contribution à l'élaboration de ce livre. Nous remercions donc, pour leur soutien matériel :

M. Guy Berthault ; la fondation BMW ; le ministère de la Jeunesse et des Sports, pour l'attri-

bution d'un Défijeunes ; la Caisse d'épargne de Haute-Normandie. Par ailleurs, nous adressons nos remerciements les

plus sincères et les plus vifs à tous les spécialistes qui ont bien voulu nous consacrer à la fois leur temps et leur attention, afin de répondre à nos questions : par ordre alphabétique :

M. Christian Amphoux, chercheur au CNRS ; M. Hartmut Atsma, directeur adjoint de l'Institut his-

torique allemand de Paris ; M. Alain Blanchard, directeur de l'Institut de papyro-

logie (Paris-IV) ;

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M. Gilles Chazal, conservateur du musée du Petit- Palais ;

M. Vincent Déroche, chargé de recherche au CNRS ; M. Alain Desreumaux, professeur à l'Ecole pratique

des hautes études (sciences religieuses) ; Mme Sophie Desrosiers, maître de conférences à

l'Ecole des hautes études (sciences sociales) ; le R.P. André-Marie Dubarle, licencié en sciences

bibliques et auteur d'une histoire ancienne du linceul de Turin ;

M. Denis Feissel, directeur de recherche au CNRS ; M. Bernard Flusin, professeur à Paris-IV ; M. Michel Fontugne, chercheur au laboratoire des fai-

bles radioactivités à Gif-sur-Yvette (CNRS) ; M. Jean-Claude Hélas, maître de conférences à l'uni-

versité Paul-Valéry de Montpellier ; le R.P. Paramelle, directeur d'études honoraire à

l'Ecole pratique des hautes études (sciences reli- gieuses) ;

M. Pierre-Yves Le Pogam, conservateur du patrimoine au musée national du Moyen Age ;

Mme Brigitte Mondrain, directeur d'études à la qua- trième section de l'Ecole pratique des hautes études ;

M. Patrick Périn, conservateur en chef du musée des Antiquités nationales ;

M. Emmanuel Poulle, membre de l'Institut ; M. Claude Raynaud, chercheur au CNRS ; le père Santos Isidro Chapado, du couvent des Identes

(Gif-sur-Yvette) ; M. Marc Smith, secrétaire général de l'Ecole des

chartes ; M. Jean-Pierre Sodini, professeur à l'université de

Dijon ; M. Jean-Christophe Ton That, documentaliste au

musée national du Moyen Age ; M. Jean Vézin, directeur d'études à la quatrième sec-

tion de l'Ecole pratique des hautes études ;

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M. Gabriel Vial, ancien secrétaire général technique du CIETA (Centre international d'étude des textiles anciens).

Enfin, notre reconnaissance la plus chaleureuse et la plus vive s'adresse aux personnes suivantes, qui ont eu la gentillesse de contribuer à notre recherche, à laquelle ils ont apporté toutes leurs compétences et leurs connaissances :

Mme Alexandrine Garnotel, archéologue à l'AFAN Méditerranée (Association pour les fouilles archéologi- ques nationales) ;

M. Jean Guyon, directeur de recherche au CNRS ; M. Guy Jalut, professeur de botanique à l'université de

Toulouse ; M. Didier Paya, docteur de l'université Paul-Valéry de

Montpellier ; et en particulier Mlle Marie-Clotilde Hubert, profes-

seur à l'Ecole des chartes.

Nous tenons à ajouter que les interprétations et hypo- thèses avancées dans ce livre n'engagent que les auteurs.

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Introduction

L e l i n c e u l m y s t é r i e u x

Depuis 1578 est conservée dans une chapelle de la cathédrale de Turin une relique*, qui est peut-être la plus précieuse de toute la Chrétienté : le linceul* de Turin, également appelé Saint Suaire. Il s'agit d'une grande pièce de tissu, qui mesure 4,36 m de longueur sur 1,10 m de largeur ; un sergé magnifique de lin blanc, tissé à chevrons et jauni par le temps.

S'agit-il, comme le pensent une partie des croyants et même des agnostiques, du véritable linceul qui enve- loppa le Christ au tombeau ?... D'autres suggèrent qu'il pourrait s'agir de l'une de ces innombrables fausses reli- ques pour lesquelles s'enthousiasmaient les pèlerins du Moyen Age : innombrables suaires* du Christ, forêts entières de morceaux de la vraie croix, épines supposées être issues de la couronne, voire gouttes de lait de la Vierge ou plumes de l'ange Gabriel.

Aujourd'hui, notre siècle est beaucoup moins porté à la vénération des reliques que ne le furent certaines épo- ques antérieures. Pourtant, le suaire de Turin continue de soulever des passions et des controverses telles qu'au- cune des reliques dont regorgent les églises ne pourrait lui être comparée. Peu d'objets bénéficient d'un suivi aussi minutieux dans leur conservation. Le tissu est

* Les astériques renvoient au glossaire, p. 253.

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extrêmement fragile et ancien, mais les siècles semblent l'avoir remarquablement préservé. On le garde enve- loppé dans une pièce de soie rouge qui le protège ; l'en- semble est enroulé autour d'un support cylindrique, pour le garantir des plis. Le tout est placé à l'intérieur d'un reliquaire de verre, dans lequel les conditions de température et d'hygrométrie sont rigoureusement contrôlées. On en prend un soin extrême et on ne l'of- fre qu'exceptionnellement aux regards des pèlerins.

Le drap n'est déroulé que lors de très rares présenta- tions aux fidèles : les ostensions*. L'une des faces est doublée d'une toile de Hollande, soigneusement appli- quée. Sur l'autre, apparaissent des ombres brunâtres ; on distingue très faiblement deux silhouettes d'homme, d'une couleur pâle variant du beige au sépia (ill. 1)**. L'image est à peine visible, vague, informe. Ses contours sont imprécis, et d'un tel flou que les témoins ne peu- vent la percevoir qu'en s'éloignant de la relique d'une distance de 2 à 9 m. On a d'autant plus de peine à la distinguer que les parties claires et les parties sombres sont inversées, comme sur un négatif photographique ; pour la voir sous un aspect normal, il faut photographier le drap et observer le négatif (ill. 2).

Quelles passions ont soulevé ces silhouettes mystérieu- ses et incompréhensibles !... Tous ceux qui se sont pen- chés sur leur étude, religieux, historiens ou scientifiques, ont ressenti, avouée ou non, une certaine interrogation devant un objet qui tient constamment la science en échec.

Les deux silhouettes, opposées par la tête, représen- tent le même homme, grand (1,78 à 1,80 m), vu de face et de dos. Il apparaît nu, barbu, aux longs cheveux se terminant en tresse ; il porte des traces de flagellation et de crucifixion.

S'agit-il réellement de l'image du Christ, imprimée on

* Voir le cahier central des illustrations.

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n e sa i t c o m m e n t s u r s o n l i n c e u l ?... O u b i e n f au t - i l y v o i r ,

c o m m e l e s o u t i e n n e n t d ' a u t r e s , u n e e x t r a o r d i n a i r e m y s -

t i f i c a t i o n ? Es t - ce l ' œ u v r e d ' u n a r t i s t e m é d i é v a l , v e s t i g e

u n i q u e d ' u n e t e c h n i q u e p i c t u r a l e i n c o m p r é h e n s i b l e e t

p e r d u e , q u e t o u t e l a s c i e n c e e t l es c o n n a i s s a n c e s p i c t u r a - les du XX siècle seraient incapables d'expliquer ? Rare- ment un objet archéologique aura donné lieu à autant d'argumentations et de recherches, scientifiques comme historiques. Il est aujourd'hui certain que le suaire actuellement conservé à Turin est bien celui que la cathédrale renferme depuis plus de quatre siècles, et qui est apparu soudainement en 1357 en France, dans un village de Champagne : Lirey. En revanche, aucun histo- rien n'a pu établir avec certitude ses origines.

L'image correspond avec une étrange précision aux descriptions que donnent les Evangiles du martyre de Jésus de Nazareth : l'homme du linceul porte les stigma- tes* de la flagellation, du couronnement d'épines et de la crucifixion. Si l'on se réfère aux textes sacrés, il y a tout lieu de penser que le drap conservé à Turin repré- sente le linceul que Joseph d'Arimathie acheta pour envelopper le corps du Christ avant la mise au tombeau, à moins qu'il ne s'agisse de ce linceul lui-même. Comment trancher entre ces deux hypothèses : simple représentation, ou linceul véritable ?... Jusqu'en 1988, c'est-à-dire avant la fameuse datation au carbone 14, la plupart des observations et investigations semblaient pencher en faveur de l'authenticité.

A la différence des autres « suaires » qui avaient existé ou existaient encore à travers le monde et qui n'étaient de toute évidence que des copies du véritable linceul, c'est-à-dire des icônes*, simples objets de dévotion, le suaire de Turin était alors considéré par beaucoup, croyants ou agnostiques, comme l'authentique linceul de Jésus de Nazareth. Les uns voyaient en lui le fils de Dieu ; les autres, un simple personnage historique qui avait vécu en Palestine près de deux mille ans aupara-

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vant. Beaucoup croyaient voir dans la mystérieuse dou- ble silhouette l'image même du Christ, ombre formée miraculeusement et conservée intacte vingt siècles durant pour soutenir la foi des croyants. D'autres, plus matérialistes, cherchaient à expliquer rationnellement le mécanisme de formation de l'image, et s'interrogeaient sur la brutale apparition du drap au XIV siècle.

Le linceul avait toujours intrigué, aussi bien par son aspect incompréhensible que par les questions histori- ques qu'il soulevait. Depuis le début du XX siècle sur- tout, on l'avait soumis à de multiples analyses, tant scientifiques qu'archéologiques, historiques ou icono- graphiques. Malgré les innombrables recherches effec- tuées par les laboratoires les plus renommés de la planète, le mystère restait entier, mais rien n'interdisait formellement de croire à l'authenticité.

Il va sans dire que les ostensions du suaire attiraient un nombre considérable de pèlerins venus de toutes parts. La dernière en date, qui remonte à 1978, avait ainsi drainé pendant quarante jours plus de trois mil- lions et demi de fidèles, qui avaient défilé devant la reli- que. Le linceul fascinait littéralement. Pourtant, son authenticité était vivement contestée, jusqu'au sein de l'Eglise elle-même.

La question parut définitivement tranchée en 1988 par les résultats de la datation au radiocarbone, qui fai- saient remonter l'origine du tissu à une fourchette située entre 1260 et 1390, et firent pencher la balance en faveur d'un faux datant de cette époque. Pourtant cette mesure était la seule à faire du linceul un objet médiéval, au milieu d'un grand nombre de coïncidences singuliè- res et d'arguments troublants. Pouvait-on, sur la foi de cette unique méthode, balayer la masse des arguments qui plaidaient pour l'authenticité ?

Pour beaucoup, tout était dit, l'oracle du carbone 14 avait parlé. Le suaire de Turin ne pouvait être que l'œu- vre d'un habile faussaire du Moyen Age, et la datation

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réglait définitivement les diverses querelles quant à l'an- cienneté et par suite quant à l'authenticité de la relique.

Pourtant, les choses n'en restèrent pas là et le débat rebondit. La méthodologie employée lors de la datation fut vivement critiquée, ainsi que l'analyse statistique des résultats. L'intervalle de confiance dans lequel on situait la datation semblait sujet à caution. On alla même jus- qu'à évoquer une substitution d'échantillons, voire une falsification des mesures.

Aujourd'hui, les chercheurs semblent partagés. Pour les uns, la polémique est close et l'objet est bien médié- val. Pour les autres, la mesure n'est pas fausse et n'a pas à être mise en cause en tant que telle ; mais les résultats ont pu être altérés par un ou plusieurs facteurs perturba- teurs, qui n'auraient pas été pris en compte. Diverses hypothèses ont été avancées, mais aucune n'a pu être retenue avec certitude. Nous y reviendrons par la suite.

Quoi qu'il en soit, les scientifiques s'accordent au moins sur un point : un mystère demeure, même s'il s'agit d'un faux. Comme nous le verrons plus loin, il est à présent établi que l'image du suaire de Turin n'est pas une peinture ; après les innombrables analyses scientifi- ques, sa nature est incompréhensible, et le mécanisme de sa formation reste inexpliqué. Malgré toutes les tech- niques de la science moderne, nul n'a réussi jusqu'à pré- sent à reproduire en laboratoire une image semblable à celle du linceul de Turin, c'est-à-dire présentant les mêmes caractéristiques physico-chimiques. D'autre part, l'extrême précision anatomique de l'image du corps ainsi que les curieuses découvertes que l'étude scientifi- que a pu révéler laissent incertains jusqu'aux détracteurs les plus farouches du suaire.

En vérité, jusqu'à ce jour, personne n'a pu démontrer qu'il s'agissait de l'authentique linceul de Jésus, et per- sonne n'a pu, non plus, démontrer le contraire. L'incer- titude est toujours aussi complète ; et toute la science des plus grands savants de notre siècle est peut-être mise

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en échec par la réalisation géniale d'un faussaire inconnu, vivant au Moyen Age... Ou bien par la confron- tation déroutante à un objet qui sort du cadre de l'ar- chéologie courante ?

Mais voici qu'une découverte curieuse et très récente vient relancer le débat et donner un nouvel élan à l'étude du linceul, au risque de remettre sérieusement en cause la datation au radiocarbone : plusieurs auteurs ont noté la présence, sur le visage et autour de celui-ci, de fantômes d'écritures grecques, latines et peut-être aussi hébraïques. Huit siècles après sa découverte avérée, le suaire va-t-il parler de lui-même et peut-être enfin dire sa vérité ?...

Pour essayer d'en savoir plus, des photographies de la région du visage ont été analysées avec précision à l'Insti- tut d'optique d'Orsay ; des techniques originales de trai- tement numérique des images ont été mises en œuvre, afin de déchiffrer les inscriptions. La plupart ont pu être confirmées et précisées ; d'autres ont été découvertes. Les résultats sont surprenants et laissent les historiens perplexes. Non, décidément, le linceul de Turin n'a pas fini de livrer ses secrets...

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Chapitre I

A v a n t 1357 : e n t r e h i s t o i r e e t l é g e n d e

L'origine du Saint Suaire semble relever de la légende. Parmi les textes du premier millénaire, certains mentionnent bien le linceul du Christ ; la plupart sont des récits légendaires, et se réfèrent à des époques anté- rieures, souvent lointaines. Cependant, on connaît aussi des témoignages qui font allusion aux linges sépulcraux du Christ. Ils sont d'ailleurs parfois contradictoires : combien de reliques, au cours de l'histoire, ont été pré- sentées comme le Saint Suaire ?...

S'il existe une tradition datant des premiers siècles, selon laquelle le linceul de Jésus de Nazareth aurait été conservé, bien peu d'indices en sont parvenus jusqu'à nous.

Les premières mentions du linceul du Christ : en Palestine entre le Ier et le VIe siècle

Les Evangiles canoniques* sont les premiers textes connus à faire allusion aux linges funéraires du Christ. Déjà se rencontre une première difficulté, sujette à dis- cussion pour les exégètes* : les textes grecs des Synopti- ques*, c'est-à-dire les Evangiles de Luc, Marc et Matthieu, mentionnent un soudarion (linceul) dans

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lequel le corps aurait été enveloppé, tandis que le récit de Jean fait allusion à des othonia (bandelettes).

Il semble possible et même probable que ces linges aient été conservés ; mais les Evangiles ne donnent aucune indication à ce sujet ni sur la personne qui aurait pu les recueillir. Ils ne mentionnent d'ailleurs pas non plus la présence d'une éventuelle image sur le linge.

En dehors des textes bibliques, la plus ancienne réfé- rence au linceul du Christ a été relevée dans l' Evangile s e l o n l e s H é b r e u x . I l s ' a g i t d ' u n é c r i t a p o c r y p h e * c i t é a u I I

siècle par saint Jérôme ; l'original est probablement plus ancien. Au cours du récit, on relève : « Alors le Seigneur, après avoir donné le Suaire au serviteur du prêtre, apparut à Jacques. » Selon certains historiens, cette phrase pourrait être l'indice d'une conservation du linceul au sein de la communauté chrétienne.

Un autre Evangile apocryphe, l' Evangile de Gamaliel, fait également allusion aux linges funéraires du Christ. On ne connaît pas avec certitude la date à laquelle le texte a été rédigé ; il se situe probablement vers l'an 100. Il fait partie des Actes de Pilate, cités par Justin vers le milieu du II siècle. L'un des récits est centré autour des linges saints, censés opérer des guérisons par leur contact miraculeux : le soldat romain borgne qui garde l'entrée du tombeau du Christ recouvre l'usage de son œil ; le « bon larron » crucifié à la droite de Jésus ressus- cite. Enfin, les linges sont enlevés au ciel. Une telle conclusion laisse au moins supposer que dans les milieux d'où est issue cette légende, il n'y avait probable- ment pas de tradition selon laquelle le linceul aurait été conservé.

D'autres allusions ponctuent les premiers siècles. Des récits commencent à apparaître, selon lesquels il existe- rait un linge portant une image du Christ ; il semble que le plus ancien témoignage mentionnant un linge de cette sorte remonte à l'évêque saint Epiphane de Sala- mine (315-403). Il s'agit d'une lettre, dont l'interpréta-

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tion est d'ailleurs controversée, de saint Epiphane à l'évêque Jean de Jérusalem. Il rapporte qu'il a vu à l'en- trée d'une église, à Anablatha, une ville proche de Jéru- salem, un voile portant l'image d'un homme qu'on disait être le Christ, et que lui même qualifie de « quasi Christi ».

A la même époque, le pape saint Sylvestre I (314- 335) demande que les nappes des autels ne soient plus en soie, mais en lin, pour évoquer le tissu du linceul. Le décret est consigné dans le Liber Pontificalis. Il semble- rait donc que l'existence et la nature exacte du linceul du Christ aient été connues au IV siècle.

Puis en 340, dans sa deuxième catéchèse* mystagogi- que*, saint Cyrille de Jérusalem mentionne « le linceul, témoin de la résurrection ». Un peu plus tard, avec le déve- loppement des pèlerinages sur les Lieux saints, d'autres écrits citent la présence d'un suaire du Christ dans diffé- rentes villes de Palestine : saint Jérôme y fait allusion en 440, Antonin en 510, l'évêque franc Arculfe de Péri- gueux en 670.

Mais même si l'on relève un certain nombre d'allu- sions au linceul du Christ dans les premiers siècles, ces mentions restent isolées et imprécises ; et il est difficile de savoir si elles se rapportent au même objet. En revan- che, à partir du milieu du VI siècle, on peut suivre en Orient la trace d'une icône qu'on a cherché à mettre en parallèle avec le linceul : le Mandylion ou image d'Edesse. La légende l'évoque dès le début du IV siècle ; l'icône eut une influence immense en Orient, à la fois reli- gieuse, politique et iconographique*, jusqu'à sa dispari- tion en 1204, au cours du sac de Constantinople par les croisés.

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Histoire et légende du Mandylion : du VIe siècle à 1204, d'Edesse à Constantinople

En 325, Eusèbe de Césarée rédige une Histoire ecclésias- tique à partir de son étude des archives d'Edesse. Son manuscrit contient, entre autres, le premier récit connu de la légende d'Abgar V, dit le Noir, roi d'Edesse au I siècle après Jésus Christ : il relate un échange de let- tres entre le Christ et le roi Abgar.

Au cours des siècles, la légende acquiert un certain nombre de variantes ; l'une d'elles figure dans la Doctrine d'Addai, un manuscrit syriaque* de la fin du IV siècle, ou du milieu du VI selon les auteurs. Au fur et à mesure qu'il se transmet, le récit s'étoffe : l'échange de lettres s'accompagne d'un portrait du Christ par Hannan, l'en- voyé d'Abgar, et destiné au roi.

Puis, au VI siècle, la version d'Evagre le Scolastique mentionne pour la première fois une image acheiro- poïétique*, c'est-à-dire « non faite de main d'homme » : on l'appelle Mandylion. Hannan, envoyé par Abgar, ne parvient pas à réaliser le portrait du Christ. Celui-ci prend alors une serviette, et l'applique sur son visage ; son image s'y imprime miraculeusement.

Selon le R.P. Paramelle de l'Institut de recherche et d'histoire des textes, l'étymologie du mot Mandylion pourrait provenir du grec μανδηλo, qui désigne un linge, un suaire (c'est-à-dire un linge avec lequel on essuyait la sueur). L'origine pourrait être syriaque ou latine (man- tile). Autre hypothèse, μανδηασ, mot d'origine perse, désigne en grec un grand manteau de laine. Enfin, le grec μανδηλιoν désigne un linge à usage ecclésiastique.

D'autres versions se développent ; toutes font allusion à une empreinte du visage du Christ miraculeusement imprimée sur une serviette. Dans certains récits, le linge serait celui sur lequel il aurait essuyé la « sueur de sang de l'agonie » au jardin des Oliviers. Des légendes similaires,

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telle celle de Véronique essuyant le visage du Christ por- tant sa croix, en sont probablement dérivées. Le nom de Véronique serait d'ailleurs une déformation de l'expres- sion vera ikona, « vraie image ».

L'existence de telles légendes peut laisser supposer que, dès les premiers siècles, une image de Jésus de Nazareth provenant de Jérusalem pourrait avoir été conservée à Edesse, l'actuelle Urfa, au sud-est de la Tur- quie. Il est en tout cas avéré qu'au début du VI siècle, apparaît à Edesse une icône dont l'influence s'étendra sur l'Orient jusqu'au XIII siècle. Sa découverte est men- tionnée dans les écrits d'Evagre le Scolastique vers 594 ; elle aurait été retrouvée par hasard en 544, dans une niche dissimulée au-dessus d'une porte de la ville d'Edesse. Les historiens pensent généralement qu'elle fut plutôt découverte en 525, lors de la restauration de la cathédrale, après une crue du fleuve mentionnée dans les écrits de Procope de Césarée.

Quoi qu'il en soit, l'icône fut aussitôt assimilée au Man- dylion de la légende d'Abgar, et fut réputée acheiropoïé- tique. Son origine reste obscure ; on suppose qu'elle aurait pu être cachée lors du siège d'Edesse par les Perses en 260. On lui attribua plusieurs miracles ; entre autres, d'après Evagre le Scolastique, la victoire miraculeuse de la ville contre les Perses en 544. Au cours des siècles qui suivirent, la légende s'étoffa encore davantage. Des copies du Mandylion apparurent, elles aussi prétendues acheiropoïétiques par leurs possesseurs : la plus célèbre est la Sainte Brique ou Sainte Tuile, qui portait une image de visage du Christ. Une nouvelle version de la légende se fit jour, destinée àjustifier l'antériorité du Mandylion : Han- nan, à son retour de Jérusalem, s'arrêtait pour la nuit, et posait le portrait miraculeux sur une tuile. Au cours de la nuit, un brasier s'élevait et attirait l'attention des gardes : la tuile avait pris l'empreinte du visage divin...

Les connaissances iconographiques que nous avons

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André Marion

Anne-Laure Courage NOUVELLES DECOUVERTES SUR

LE SUAIRE DE TURIN L'image mystérieuse imprimée en « négatif » sur le

linceul de Turin n 'a pas fini de soulever les controverses. Son extraordinaire conformité aux récits de la mort de Jésus, les caractéristiques du tissu, l'analyse des traces de sang, la nature des poussières, des pollens, et de multiples études médicales et anatomiques tendent à prouver l'authenticité du « Saint Suaire ». Seule la datation au carbone 14 est venue contredire cette interprétation, mais les conditions dans lesquelles elle s'est déroulée ont été sérieusement remises en cause. Aussi les recherches scientifiques se poursuivent-elles pour percer cette énigme...

Après avoir exposé de la façon la plus objective l ' histoire du linceul et l'état actuel de ce dossier brûlant, André Marion et Anne-Laure Courage rendent compte de leurs propres découvertes. Ingénieurs à l 'Institut d 'op t ique d 'Orsay, dont l 'expert ise en matière de traitement numérique des images est utilisée notamment dans le domaine criminel, ils ont mis en évidence des traces de lettres latines et grecques autour du visage de l'homme du Suaire. La découverte de ces « fantômes d'écritures », révélés au public pour la première fois, soulève de nombreuses interrogations auxquelles les auteurs tentent de répondre de façon rationnelle et approfondie. Leurs conclusions amènent à poser de nouveau la question de l'authenticité du Suaire...

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