note de lecture alberti
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Alberti confronté aux problématiques environnementales contemporainesTRANSCRIPT
Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy - Année 2011-2012
M1 S1 - Initiation à la recherche - Enseignant : Hervé Gaff
Alberti confronté aux problématiques environnementales contemporainesNote de lecture : l’Art d’édifier de Leon Battista Alberti
Thibaud LOEGLER
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Les préoccupations environnementales et leurs implications dans la
société sont des thèmes omniprésents depuis quelques années, tout
particulièrement dans le champ de l'architecture. Pas un discours, pas un projet n'est
dépourvu de qualités écologiques (du moins en théorie). Sous une visée bien
souvent marketing, on retrouve cependant une terminologie confuse (architecture
écologique, verte, durable...) qu'il est nécessaire de clarifier, car ces expressions
engagent des portées sociales et politiques différentes.
La notion de développement durable semble aujourd'hui l'emporter. Il s'agit d'un
terme qui résulte d'une longue série d'initiatives institutionnelles, impulsées à l'origine
par l'ONU (Architecture écologique, une histoire critique, James Steele). En 1987, la
commission de Brundtland définit le développement durable comme "les chemins du
progrès social, économique et politique qui correspondent aux besoins actuels sans
compromettre la satisfaction de ceux des générations futures". Dans le domaine de
la construction, la notion d'écologie est plus floue : elle désigne à l'origine l'étude des
milieux où évoluent les êtres vivants et renvoie au mouvement environnementaliste
de la fin des années 1960. L'adjectif "vert" enfin, fait référence à une affirmation plus
politique de l'écologie (parti des Verts, Greenpeace, Grüne Aktion Zukunft en
Allemagne).
Le développement durable, appliqué à l'architecture, est une démarche
fondamentale qui doit s'appliquer à l'ensemble de la conception et de la construction
d'un bâtiment, afin de trouver une cohérence globale (des premières phases du
projet à la détermination des derniers détails). Il s'agit là d'une révolution des modes
de construction, mais également de la manière de concevoir l'architecture.
Actuellement, ces enjeux sont trop souvent récupérés à des fins commerciales : il
s'agit de renouveler les produits de l'industrie dans l'objectif d'une performance
thermique toujours plus accrue. Or, ce n'est là que d'un aspect du développement
durable, qui ne doit pas éclipser les autres sujets de réflexion. On en arrive parfois à
des solutions contreproductives, comme le dénonce violemment Rudy Riccioti dans
son pamphlet HQE et qui, appliquées sans discernement, peuvent nuire à la qualité
architecturale : il affirme ainsi que "les nouvelles technologies proposées permettent
de générer plus de profit pour les industries mais pas toujours un bilan énergétique
plus performant"; "chauffage, ventilation, climatisation réactivent cette inclination
naturelle (...) au mercantilisme consumériste (...) prédateur en qualité architecturale".
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Au-delà de cette vision commerciale - techniciste et partielle - du
développement durable, il convient de revendiquer une autre approche plus globale
et plus cohérente. Pour ce faire, il est nécessaire de mettre de côté, dans un premier
temps, les dernières innovations constructives, et d'appréhender le sujet en regard
de pratiques plus anciennes. Il y a en effet, dans l'architecture, une constance des
problématiques auxquelles sont soumis les concepteurs. Même si les termes
d'écologie et de développement durable ont été créés relativement récemment,
même si cela ne fait que peu de temps que l'on a conscience des enjeux liés au
réchauffement climatique, on peut tout de même déceler dans des architectures plus
anciennes, des pratiques qui se rapprochent d'une démarche durable. Les solutions
proposées peuvent ainsi apparaître avec une pertinence nouvelle lorsqu'elles sont
analysées avec un regard contemporain.
Comme l'évoque James Steele dans Architecture écologique, une histoire
critique, il s'agit "d'appréhender l'ampleur de la conscience de l'environnement à une
période de l'histoire de l'architecture dont on considère généralement, à tort, qu'elle
en était dépourvue". Il présente ainsi une série d'architectes des XIX et XXe siècles
ayant eu une grande influence sur l'évolution de la conscience environnementale : on
peut citer par exemple Ebenezer Howard qui crée les cités jardins, Hassan Fathy qui
étudie les typologies vernaculaires en Egypte et explique leur efficacité climatique ou
bien les grands architectes modernes comme Aalto, Le Corbusier ou Kahn, pour
lesquels il s'agit d'un aspect de leur travail souvent négligé.
Néanmoins, partant du principe que la prise en compte de l'environnement et la
question de la durabilité sont des problématiques récurrentes au cours de l'histoire
de l'architecture dans son ensemble, il s'agit dans cette étude de mettre en relation
ces enjeux contemporains avec un texte plus ancien encore - et peut-être plus
inattendu dans ce domaine : l'Art d'édifier de Leon Battista Alberti. Publié en 1485
(13 ans après la mort de l'auteur), cet ouvrage constitue la première définition
moderne du rôle de l'architecte. Traité fondateur dans l'histoire de l'architecture, il ne
s'agit cependant pas de l'analyser d'un point de vue historique mais d'en faire une
relecture contemporaine : quels sont les éléments du discours d'Alberti qui peuvent
entrer dans une conception durable - et plus généralement, contemporaine - de la
ville et de l'architecture?
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On étudiera en premier lieu les questions relevant de l'échelle urbaine ou
territoriale, traitant du choix du site, de l'implantation et de l'orientation des
constructions. On développera ensuite les recommandations portant sur une échelle
plus domestique, à propos de l'organisation du logement, et les dispositifs techniques
qui permettent d'assurer le confort des habitants en fonction des saisons. Enfin, on
verra que la durabilité passe également par l'embellissement et le soin apporté à la
construction.
Les thématiques que l'on peut rapprocher du développement durable dans
l’Art d'édifier concernent en premier lieu la question du choix du site lorsque l'on
cherche à construire. Cette thématique est évoquée tout d'abord dans le cas de
l'implantation d'une villa de campagne : Alberti pose alors un certain nombre de
conditions à satisfaire avant de planifier la construction. Ainsi, les données
climatiques font l'objet d'une attention particulière : l'auteur indique qu'il faut "prendre
en compte l'intensité et la nature de l'ensoleillement de la région" (p62)1, "privilégier
les régions modérément humides et tempérées" (p64), et rechercher les
"configurations dignes et plaisantes, avec une véritable vue, un air vif et une légère
brise" (p65). Au contraire, il est essentiel "d'éviter tout voisinage susceptible de
laisser échapper une nuisance quelconque" (p62) (par exemple, les marécages
"insalubres"). Alberti met également en garde contre les côtes exposées au sud : "on
juge que la région offerte à la réverbération des rayons endure deux soleils, qui la
brûlent, l'un depuis le ciel, l'autre depuis la mer" (p62). Il y a donc une véritable prise
en compte des spécificités climatiques et des effets de l'orientation du soleil dans le
choix du site. La question de la topographie est aussi abordée : l'auteur conseille de
"privilégier les emplacements au pied d'un relief, dans une région bien irriguée,
ensoleillée" (p65).
Second pré-requis avant toute construction : les conditions de desserte et
d'accès aux ressources depuis le terrain choisi. Avant tout, il est nécessaire "d'éviter
les lieux difficiles d'accès ou isolés" (p63). Alberti précise : "je voudrais qu'on ne
manque de rien dont on puisse avoir besoin" (p63), l'architecte doit trouver un "site
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1 Toutes les citations du développement se réfèrent à l’ouvrage suivant : Leon Battista Alberti, L’Art d’édifier (traduit du latin par P. Caye et F. Choay), Ed. du Seuil, Paris, 2004
capable d'attirer les hommes par l'espoir de ses fruits" (p256). L'auteur détaille
ensuite la nature des ressources nécessaires (feu nourriture, eau) et souligne
l'importance de la qualité des sources à proximité (p65). Dans le cas de la villa
rurale, il recommande qu'elle soit "située dans une partie de la campagne qui soit
aisément reliée à la résidence urbaine du maître", ce qui ''nécessite une voie d'accès
commode" (p255). Il résume (p63) : "la région que l'on choisira devra permettre à ses
habitants de les accorder à tous égards avec la nature ainsi qu'avec le reste du
genre humain et de la société". Pour Alberti, il y a donc une conciliation nécessaire
entre la prise en compte de la nature et le développement humain dans la région,
dialectique qui n'est pas sans rappeler la définition même du développement durable.
Ces extraits doivent bien sûr être remis dans leur contexte : il s'agit de
l'installation d'une maison de campagne, laissant donc une liberté d'implantation
assez grande. Ce n’est généralement plus le cas aujourd'hui car les territoires sont
beaucoup plus urbanisés qu'au XVe siècle, et régis par des règlementations
d'urbanisme qui limitent les zones disponibles à la construction. Cependant, les
conseils d'Alberti sont loin d'être caduques : le choix d'un site en fonction de ses
qualités propres (relief, climat, orientation, accès) semble relever du bon sens mais
cette démarche mériterait peut-être d'être réhabilitée aujourd'hui, où ce sont souvent
les opportunités foncières ou les contraintes économiques qui conditionnent
l'implantation d'une construction. Bien évidemment, les difficultés liées à l'accès aux
ressources primaires n'ont plus de nos jours la même importance qu'à l'époque
d'Alberti. Néanmoins, la distance - plus ou moins grande - qui sépare une habitation
des commerces ou des équipements publics engendre un recours plus ou moins
fréquent à la voiture, et influence donc de manière importante l'empreinte écologique
de ses habitants.
Dans les chapitres suivants, Alberti parle également d'implantation, mais à une
échelle plus vaste, celle de la ville : "il importe surtout de savoir si tu implanteras ta
ville en plaine, au bord de la mer ou dans la montagne (...) chacune de ces positions
présente des avantages mais aussi des inconvénients." (p192) : meilleure sécurité
en montagne mais manque d'eau, commodité des rivières en plaine mais grandes
chaleurs. Il recommande alors le compromis : s'implanter en montagne mais sur un
plateau, à proximité de la côte mais avec une distance suffisante de la mer, pour
éviter les inondations ou anticiper une éventuelle avancée de la mer (p192). De plus,
Alberti porte une attention particulière aux vents : "quel que soit le vent, il est
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préférable de le tenir éloigné de la ville plutôt que de le laisser y pénétrer" (p195), "du
côté où les vents ont la voie libre, tu leur opposeras des murailles" (p195). Il
développe en outre la distinction entre ce qu'il appelle vents "sains" (vents du nord)
et vents "insalubres" (venant du Sud, "Auster"). On voit là, à nouveau, que les
données climatiques et géographiques ont une grande importance pour Alberti. A
cela s'ajoutent d'autres contraintes plus spécifiques à l'échelle urbaine
(problématiques militaires ou commerciales), qui contribuent également à la
durabilité "sociale" de la ville (sécurité, prospérité économique). Ces logiques de
développement sont toujours présentes dans les villes actuelles (par exemple,
croissance importante des villes portuaires en Asie (Singapour, Shanghai, etc.)).
Concernant l'organisation interne de la ville, l'auteur de l'Art d'édifier aborde une
question tout à fait centrale dans l'établissement d'un urbanisme durable : il s'agit de
la densité. Il précise ainsi : "les uns ont voulu (la ville) dense, la croyant ainsi plus
sûre, d'autres, qui se promettaient les plus grands espoirs pour l'avenir, ont été
séduits par une vaste étendue" (p197), et ajoute également : "la ville dotée de la plus
grande capacité sera circulaire" (p199). Alberti insiste par ailleurs sur l'importance de
l'autonomie des villes en matières d'accès aux ressources : "il convient d'établir la
cité de façon que, dans la mesure où la raison et la condition des choses humaines
le permettent, son propre territoire lui suffise sans qu'elle ait besoin de rien chercher
ailleurs" (p191). Ces recommandations, à propos de la densité, de la "forme" de la
ville, de son indépendance économique sont bien-sûr sous-tendues par des logiques
militaires : il s'agit de concevoir les remparts de manière rationnelle, de pouvoir
résister à un siège. Néanmoins, dans notre parallèle avec les logiques de
développement durable, on ne peut s'empêcher de rapprocher ces contraintes
d'enjeux plus contemporains (lutte contre l'étalement urbain, développement d'une
économie de proximité, production locale) qui semblent appeler des solutions - ou du
moins des questionnements - similaires.
Dans l'Art d'édifier, Alberti décrit une organisation urbaine "classique" :
constructions à l'alignement - "la voie urbaine (...) sera embellie (...) par des maisons
alignées de chaque côté au cordeau et au niveau" (p397), mais également
hiérarchisation des voies entre axes principaux - "voies de circulation publiques et
dégagées" (p206) - et rues de desserte - "voies plus petites (offrant) un accès aux
habitations riveraines" (p206). En réaction à l'urbanisme moderne, ces caractères de
la ville "traditionnelle" sont largement réhabilités depuis quelques dizaines d'années.
Mais l'aspect le plus surprenant lorsqu'Alberti aborde l'urbanisme est l'attention
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portée aux problématiques thermiques en ville (thème longtemps négligé et dont
l'importance n'a été redécouverte que récemment). A ce sujet, l'auteur aborde
principalement la question de la voirie : faut-il privilégier les ruelles étroites des tissus
moyen-âgeux ou les larges avenues?. Il en va de la salubrité et du confort d'été des
citadins. Alberti déclare ainsi : "en été (les voies) ne seront jamais dépourvues
d'ombre, sans qu'aucune habitation soit toutefois privée de la lumière du
jour" (p206), "la ville sera bien aérée : en effet, d'où qu'il souffle, l'air y trouvera une
voie de passage directe et en grande partie dégagée" (p206). Il se réfère également
à Tacite (Annales, Livre XV, Chap 43), qui constatait un certain réchauffement de la
ville de Rome après les travaux de rénovations entrepris par Néron : "quelques-uns
crurent cependant que l'ancienne forme convenait mieux pour la salubrité, parce que,
les rues étant étroites et les toits élevés, le soleil y dardait moins de feu, tandis que,
maintenant, il embrase de toutes ses ardeurs ces vastes espaces que ne défend
aucune ombre". On peut ainsi remarquer qu'Alberti, et avant lui ses prédécesseurs
antiques, avaient déjà conscience des conséquences thermiques ou climatiques que
peut avoir le choix d'une forme urbaine ou d'un type de revêtement. C'est selon ce
même principe que l'on cherche actuellement à réduire la "surchauffe" en milieu
urbain, en limitant l'usage de matériaux accumulant la chaleur (minéraux) au profit de
surfaces végétales (squares, parcs publics, toitures végétalisées).
Après avoir abordé l'implantation des villas rurales puis quelques notions
d'urbanisme, il est intéressant de relever chez Alberti les éléments d'une dialectique
entre ville et campagne, thème récurrent dans l'histoire de l'architecture. Lorsqu'il
décrit l'organisation des maisons de ville, l'auteur précise en premier lieu qu'elles
doivent essayer de retrouver les qualités de la campagne : "les maisons urbaines
chercheront à acquérir l'agrément et le charme de la villa (...) elles auront donc (...)
un coeur généreux, un portique, un promenoir, une cour, des jardins
d'agrément" (p270). Cette aspiration - paradoxale - est toujours bien présente
aujourd'hui, notamment lorsqu'on la confronte au fait qu'une très grande partie de la
population souhaite vivre en maison individuelle, c'est-à-dire proche de la ville mais
avec des qualités d'espace et d'intimité que permettent la périphérie éloignée.
Face à cette opposition, Alberti évoque une première piste - "pour les gens
fortunés, la villa est une résidence d'été, tandis que la maison de ville leur sert à
passer plus commodément l'hiver" (p270) - mais il prône surtout le développement
d'une autre forme d'habitation : "la maison à jardin, qui ne nous empêche pas de
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vaquer à nos occupations urbaines, tout en étant à l'abri de l'insalubrité de l'air, est à
mon avis la principale et la plus saine des constructions édifiées pour la commodité
de l'usage" (p429). Il ajoute : "il est vraiment agréable de profiter à la fois du
voisinage de la ville et d'une retraite facile d'accès" (p429). A nouveau, on ne peut
s'empêcher de faire le rapprochement entre ces maisons antiques et les pavillons de
banlieue qui se développent depuis une quarantaine d'années maintenant. Il s'agit là
d'un exemple frappant de la permanence des enjeux urbains et des solutions qui y
sont apportées, montrant bien la pertinence de l'étude de ces textes anciens pour
une recherche contemporaine sur la ville et sur l'architecture.
Les aspects urbains ou territoriaux ne sont cependant pas les seuls à être
impactés par le développement durable. A une échelle plus restreinte, l'architecture
est également concernée et on retrouve à ce sujet dans l'Art d'édifier, quelques
recommandations d'ordre général portant sur le positionnement dans le terrain ou la
forme générale du bâti. Alberti explicite tout d'abord la logique de durabilité dans
laquelle doit s'inscrire l'architecture : "il appartient de toute évidence à l'homme de
tout mettre en oeuvre pour que le soin et l'argent dépensés à l'édification ne le soient
pas en vain, et que l'ouvrage lui-même soit durable et parfaitement sain" (p72). En
découle donc une analyse précise du terrain sur lequel on cherche à construire :
"j'estime bon d'écouter en priorité ceux qui nous avertissement d'examiner
soigneusement, au moyen de forages (...) dans quelle mesure tel ou tel sol (...) est
susceptible de porter par lui-même la charge de la construction" (p76-77). Le relief
est également considéré comme un paramètre important dans la conception
architecturale. Alberti recommande ainsi "d'araser la partie sommet et de remblayer
la partie en pente" (p77), disposition permettant d'optimiser les travaux de
terrassement. Ces conseils, relevant d'une économie ou d'un "bons sens" constructif
ne sont cependant pas si banals au regard de la production architecturale actuelle :
les hangars qui abritent les supermarchés sont-ils conçus pour durer? les pavillons
de banlieue standardisés tiennent-ils compte de la pente du terrain?
Au-delà de ces indications générales, la durabilité d'un bâtiment - et plus
particulièrement du logement - engage aussi des implications sociales : un logement
"durable" est avant tout un logement pratique, commode à l'usage. Il y a donc une
réflexion précise à mener sur les relations et les caractéristiques des différentes
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pièces qui composent l'habitat. Alberti donne des indications assez détaillées à ce
sujet : "chaque membre de l'édifice doit avoir une place convenable" (p80). Après
avoir traversé l'entrée puis le vestibule, "la plus importante de toutes les parties de la
maison est (...) l'atrium" (p262), qu'Alberti nomme "coeur", "viennent les salles à
manger ; puis les chambres à coucher individuelles" (p262). Ces différentes parties
de la villa sont hiérarchisées en espaces publics, semi-publics et privés : "certaines
parties de la demeure s'adressent à tous, d'autres à un grand nombre de personnes,
et d'autres encore à des personnes individuelles" (p262). Les parties publiques
correspondent aux espaces extérieurs de représentation (allées, promenades,
bassins), les parties semi-publiques concernent le coeur et les salles à manger (où
se croisent la famille, les domestiques, les hôtes), enfin les parties les plus intimes
sont les chambres à coucher et autres dépendances.
Pour le bon fonctionnement de la maison, ces pièces doivent s'articuler selon
des rapports précis : "Le coeur sera la partie principale de la maison vers laquelle les
autres parties convergent" (p263), "(il) demande un espace ample, ouvert, digne et
facile d'accès" (p263). Alberti précise également que c'est en s'ouvrant sur le coeur
que certaines pièces trouvent de la lumière naturelle. L'atrium donne accès aux
salles à manger. Celles-ci "doivent être pourvues d'une cuisine et d'un office pour
ranger les reliefs des repas et la vaisselle" (p266). "La cuisine ne devra se trouver ni
au milieu des convives, ni non plus à une trop grande distance" (p266). Les
chambres à coucher sont individuelles pour le mari et la femme (p267) ; "la garde-
robe sera attenante à la chambre de l'épouse et la bibliothèque à celle de
l'époux" (p267). "L'aïeule, (...) qui a besoin de repos et tranquillité aura une chambre
bien chaude et bien protégée à l'écart de tout le vacarme de la famille et de
l'extérieur" (p267). Des chambres réservées aux invités sont installées à proximité du
vestibule, "afin que ceux désirent les saluer puissent les joindre aisément" (p267).
Elles peuvent également accueillir les garçons les plus âgés, souhaitant plus
d'indépendance. Enfin les domestiques ont des chambres installées à proximité de
leur lieu de travail (cuisine, écurie, garde-robe, etc.). Certes les modes de vie actuels
n’ont plus grand chose à voir avec ceux décrits par Alberti (qui se réfère à la villa
antique) : les structures familiales et les contraintes de surface sont très différentes
et ne peuvent être directement comparées. Néanmoins, avec les évolutions
démographiques récentes - apparitions de familles monoparentales ou recomposées
-, on peut trouver quelques dispositifs intéressants dans la description d'Alberti :
pièce à part pour un parent âgé ou encore chambre plus indépendante pour un
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adolescent ou un visiteur. A cela s'ajoutent les qualités architecturales et la possibilité
de densification que permettent l'organisation d'une maison autour d'un patio central.
Les différentes parties de la maison que nous venons d'évoquer possèdent en
outre des caractéristiques spécifiques se rapportant à leur orientation et au
dimensionnement de leurs ouvertures. Ces dispositions s'inscrivent pleinement dans
ce que l'on qualifie aujourd'hui de démarche de développement durable, car elles
permettent avec des moyens simples, d'optimiser le confort thermique à l'intérieur du
bâtiment. A propos du portique d'entrée, Alberti écrit par exemple : "les Anciens
étaient d'avis de placer le portique au midi parce que (...) le soleil, en raison de la
hauteur de sa course, ne peut y pénétrer l'été, tandis qu'il s'y glisse
l'hiver" (p263-264). Il précise également : "les parties qui n’ont besoin de lumière
qu'au crépuscule , c'est-à-dire la grand-salle, la galerie et surtout la bibliothèque,
regarderont le levant d'équinoxe" (p271), "les objets qui redoutent la décoloration, la
moisissure ou la rouille (...) seront conservés au midi et au couchant" (p272) ou
encore "puisque le peintre, l'écrivain, le sculpteur ont besoin d'une lumière constante,
offre-leur le nord" (p272).
Mais le dispositif le plus intéressant dans l'Art d'édifier à propos du confort
thermique de la maison est probablement l'usage de pièces différentes en fonction
des saisons. Alberti déclare ainsi :
"Il faut tenir compte des saisons, en attribuant des situations différentes aux pièces d'été et aux pièces d'hiver, qui appellent en effet des orientations et des dimensions différentes : il faut que les premières soient vastes, tandis qu'on ne s'opposera pas à ce que les secondes aient des dimensions réduites. En outre, l'ombre et une bonne ventilation conviendront aux pièces d'été, et les rayons du soleil aux pièces d'hiver. Il faut ici prendre garde à ce que les habitants ne soient pas contraints de passer sans transition tantôt d'un lieu frais à un lieu très chaud (...) car de telles conditions nuiraient grandement à la santé de tous" (p80)
Ces "pièces d'été" et "pièces d'hiver" correspondent en réalité aux chambres -
"les demeures raffinées auront des chambres différentes pour l'été et pour
l'hiver" (p266) - mais également aux salles à manger - "selon les besoins, on aura
des salles à manger d'été, d'hiver (...) et d'intersaison" (p264). L'auteur précise à ce
sujet : "les salles à manger d'été réclament surtout l'eau et la verdure des jardins, et
celles d'hiver, une douce chaleur et un foyer" (p264). De manière générale, les
pièces d'été sont donc ombragées, et bien ventilées alors que l'on privilégie, pour les
pièces d'hiver, des locaux plus petits - car plus faciles à chauffer - et plus éclairés. 10
Pour une orientation idéale de ces pièces "saisonnières", Alberti se réfère à Vitruve :
"pour l'hiver, les chambres à coucher doivent regarder le levant d'hiver, la salle à
manger le couchant d'équinoxe ; pour l'été : les chambres à coucher doivent
regarder le midi et la salle à manger le levant d'hiver" (p262). Ce système de pièces
d'été et d'hiver, bien qu'il "consomme" beaucoup de surface, a l'avantage de
permettre une adaptation fine aux variations du climat, sans pour autant faire appel à
des dispositifs technologiques complexes. Un peu oublié, il mériterait d'être à
nouveau analysé aujourd'hui.
Selon la fonction et l'orientation, chacune de ces pièces doit présenter des
ouvertures spécifiques : ainsi, "il convient de donner aux pièces d'été soit des
ouvertures de grandes dimensions quand elles sont situées au nord, soit des
ouvertures basses et étroites quand elles sont situées au sud (...) pour que les
premières captent les brises favorables et pour que les secondes reçoivent une
moins grande quantité de soleil" (p88). Alberti poursuit : "dans les pièces d'hiver, les
fenêtres auront une large ouverture pour recevoir directement les rayons du soleil et
seront placées en hauteur pour que les vents (ne puissent pas) atteindre les
habitants" (p88). Si ces recommandations ne peuvent pas être toutes respectées, la
priorité doit revenir au confort d'été - enjeu dont on redécouvre l'importance ces
dernières années (il est en effet souvent bien plus facile de chauffer que de
rafraichir). Alberti conseille ainsi : "occupe-toi avant tout de la commodité des pièces
d'été (...) car pour l'hiver la tâche est aisée : ferme toutes les ouvertures et allume le
feu. Mais contre la chaleur on engage beaucoup de moyens, qui ne sont pas toujours
très efficaces." (p272). L'auteur cite plus loin d'autres exemples de dispositifs visant à
limiter ces surchauffes : "contre l'effet des grandes chaleurs, nos prédécesseurs
utilisaient (...) des pièces voûtées qui reçoivent la lumière exclusivement en leur
sommet" (p515) - on peut ici imaginer que l'inertie thermique d'une voûte en pierre
garantit une atmosphère plus fraiche à l'intérieur. Autre solution : "de grandes salles
dotées de larges ouvertures tournant le dos au midi, qui peuvent recueillir les
courants d'air frais" (p515).
Ces considérations sur l'orientation et la nature des ouvertures, nous amènent
naturellement à la question de la ventilation et de la perméabilité du bâtiment. Il va
de soi qu'il n'était pas possible, au XVe siècle, d'obtenir des constructions aussi
"étanches", et aux flux d'air aussi maîtrisés que dans les bâtiments actuels.
Néanmoins ce sujet n'est pas négligé par Alberti : "il doit y avoir des fenêtres dans
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chacune des pièces, à la fois pour recevoir la lumière et pour renouveler l'air" (p87),
"l'air enfermé doit pouvoir sortir (...) autrement, il se corromprait et deviendrait
nocif" (p87). Cette nécessité du renouvellement de l'air serait par ailleurs liée à la
"salubrité des vents" : "il conviendra de donner de vastes dimensions aux fenêtres
qui font face aux vents salubres" (p88), Alberti préconise alors d'abaisser les
allèges ; "les fenêtres exposées aux vents moins salubres seront placées (...) à une
hauteur suffisante pour que le mur, faisant rempart aux corps, intercepte les
vents" (p88). Cependant, l'aération ne passe pas uniquement par les fenêtres : ainsi,
"il est nécessaire d'ouvrir (...) des soupiraux et des bouches d'aération, à peu de
distance les uns des autres : par cette voie, toutes les vapeurs s'exhaleront librement
et abondamment sans aucun dommage pour la construction" (p150). On peut donc
constater qu'Alberti prône des constructions ouvertes, "respirantes", contrairement à
la tendance actuelle qui vise à rendre les bâtiments hermétiques ; étanchéité qui
implique des dispositifs techniques supplémentaires (films pare-vapeur, ventilations
mécanisées). Pour autant, l'auteur de l'Art d'édifier ne fait pas totalement abstraction
des déperditions thermiques. Il évoque ainsi un système intéressant à propos des
conduits de fumée : "dans la cheminée, en haut de son gosier, il doit y avoir au milieu
un volet de fer transversal qui, dès que la fumée se sera entièrement dissipée et que
la braise incandescente entretiendra sa propre chaleur, sera rabattu et fermé de
façon que cette ouverture ne laisse passer aucun courant d'air extérieur" (p516).
Alberti donne également quelques conseils pour l'isolation thermique du
logement. A propos du plancher, il recommande : "creuse l'aire de la salle à manger
en fouillant jusqu'à douze pieds de profondeur et couvre-la de planches : quand un
plancher (...) est posé directement sur le sol nu, il refroidit si incroyablement
l'atmosphère de la pièce que les pieds y deviennent glacés" (p520). Il ajoute aussi :
"voûte bien au dessus de ta tête le tout de la salle à manger, et tu seras étonné de
sentir combien elle est fraîche l'été et tiède l'hiver" (p520). Le revêtement des murs
ne doit pas non plus être négligé : "si tu revêts les parois d'un atrium de tentures de
laine, celui-ci se réchauffera, mais si tu les revêts de lin, il se rafraîchira" (p520).
Enfin, Alberti propose un dispositif original dans la conception des murs et de la
toiture :
"Pour maintenir la fraicheur de l'ombre, on doublera utilement le toit par un toit et le mur par un mur ; et, plus ils seront distants l'un de l'autre, plus l'ombre triomphera de la chaleur, puisque aussi bien le lieu ainsi clos et couvert se réchauffe moins. En effet, le vide qui se trouve entre les deux murs exerce pratiquement l'effet d'un mur de même
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épaisseur ; davantage, il le surpasse, dans la mesure où il élimine plus lentement la chaleur solaire accumulée par les murs et où il retient aussi plus longtemps le froid qui y a pénétré ; dans la double paroi que nous venons de décrire, la température de l'air reste constante." (p516)
Cette solution s'apparente à ce que l'on nomme aujourd'hui une "double peau".
Il ne s'agit pas véritablement de rendre les murs plus isolants (car la lame d'air entre
les deux parois n'est probablement pas étanche). Néanmoins, elle permet de
renforcer l'inertie thermique du mur (ce qu'Alberti explique clairement dans ce
passage) : on peut ainsi imaginer que le soleil chauffe d'abord le mur extérieur, qui
transmet dans un second temps la chaleur accumulée à la paroi interne. Le transfert
de chaleur étant plus long, le bâtiment peut restituer la fraicheur de la nuit pendant la
journée et inversement. En amortissant les variations de température, ce système
contribue donc au confort d'été, et cela sans recourir à des dispositifs technologiques
complexes à mettre en oeuvre.
Les recommandations présentées jusqu'à présent se rapportent principalement
à l'habitat. Cependant, la prise en compte de l'environnement et des conditions
climatiques est également présente pour des programmes plus spécifiques, comme
les bâtiments publics. Concernant la ventilation, Alberti évoque ainsi le cas des
basiliques : "il est nécessaire que les basiliques respirent continuellement et très
librement afin que la poussière soulevée par les allées et venues incessantes de
ceux qui les fréquentent ne porte atteinte à leurs poumons" (p264). Il conseille alors
de placer dans les ouvertures hautes, de "fines plaques de bronze ou de plomb,
criblées, de petits trous à travers lesquels la lumière puisse pénétrer et l'air soit
purifié par le mouvement de la brise" (p264). On peut supposer que ce dispositif
permet en outre d'assurer une occultation partielle des rayons du soleil.
Autre exemple à propos des "ouvrages destinés au spectacle" : "le théâtre en
particulier, doit entièrement tourner le dos au soleil et être protégé de ses rayons,
puisque c'est au mois d'août que le peuple recherche les poètes, l'ombre et les
plaisirs légers de l'esprit. En effet, la réverbération des rayons dans l'ensemble de la
construction brûlerait les corps" (p404). Pour réduire encore les risques de
surchauffe, Alberti propose d'installer une sorte de vélum : "un voile amovible qui (...)
recouvre de son ombre à la fois l'aire centrale et les gradins", "autant pour donner de
l'ombre que pour servir les voix" (p407). Ce couvrement concilie ainsi contraintes
thermiques et acoustiques.
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Dans le champ de la durabilité, un dernier paramètre - plus inattendu - est
évoqué par Alberti : c'est la question de l'esthétique. L'auteur de l'Art d'édifier affirme
en effet que la beauté inspire le respect et favorise donc la longévité des bâtiments
en les préservant des destructions : "la beauté apporte à elle seule, le plus grand
soutien à la commodité et même à la longévité des édifices" (p278). Il précise : "la
beauté obtiendra, même de la part d'ennemis acharnés, qu'ils modèrent leur
courroux et consentent à la laisser inviolée ; j'oserai donc dire qu'un ouvrage ne sera
jamais mieux préservé de l'agression des hommes et conservé dans son intégrité
que par la noblesse et la beauté de sa forme" (p278).
Alberti définit la beauté comme "l'harmonie réglée par une proportion
déterminée, qui règne entre l'ensemble des parties du tout auquel elles
appartiennent, à telle enseigne que rien ne puisse être ajouté, retranché ou changé
sans le rendre moins digne d'approbation" (p279). Il s'agit donc du caractère inné
d'un corps et non pas d'un ornement rapporté. Par ailleurs, il est indiqué p288 : "dans
tous les domaines, le principal embellissement réside dans l'absence de toute
inconvenance". Une organisation cohérente, une mise en oeuvre soignée sont donc
préalables à toute tentative d'embellissement (p289). Pour les constructions
communes (l'habitat par exemple), la beauté passe par une certaine forme de
sobriété, car "l'essence de l'édification découle avant tout de la nécessité puis de la
commodité" (p81). En revanche, le soin apporté aux finitions est prioritaire : "un
matériau ordinaire, s'il est traité avec art, confère plus de grâce qu'un matériau noble
entassé en désordre" (p290).
Au-delà des risques de destruction par des "ennemis acharnés" - risques assez
faibles de nos jours -, le soin apporté lors de la construction est tout de même
déterminant pour la durabilité d'un bâtiment. En effet, un édifice dont on aurait
négligé la finition, aura toutes les chances de se détériorer plus rapidement. Il en est
de même pour un bâtiment dont la configuration serait inappropriée pour ses
utilisateurs. En outre, la sobriété que prône Alberti pour les bâtiments relevant de
programmes communs n'est pas un rappel inutile aujourd'hui, où certains nouveaux
quartiers voient les architectes rivaliser de façades toujours plus spectaculaires
cachant de simples immeubles de logement...
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Au livre IX, Alberti résume son propos en lançant un avertissement aux
futurs constructeurs :
"Tu seras certainement jugé fautif si, pour implanter ton ouvrage, tu as choisi une région insalubre, inhospitalière, infortunée (...). Tu seras aussi jugé fautif si tu as donné à l'aire une étendue inadaptée (...), si tu as associé des membres qui ne s'accordent entre eux ni pour l'usage, ni pour la commodité des habitants (...), si tu n'as pas pourvu à la commodité de tous les membres de la famille (...), si tu as fait les parties de ton ouvrage trop vastes ou trop séparées les unes des autres ; si tu n'as pas donné à l'édifice les moyens de supporter la chaleur et le froid sans désagrément ; ajoute à tout cela le fait de ne pas avoir assez prémuni et protégé la construction contre les dommages des hommes et les accidents imprévus" (p452-453).
Cet extrait montre l'importance qu'Alberti porte - entre autres - à l'implantation
des édifices, à la pertinence de leur organisation, à la compacité des bâtiments ou
encore au confort d'été et d'hiver. Parmi ces différents points et les thèmes évoqués
tout au long de cette analyse, on retrouve d'ailleurs les "trois piliers" du
développement durable : à savoir, l'écologie (orientation, dispositifs thermiques,
confort d'été), l'économie (implantation, rationalité constructive) et le social
(organisation du logement). A cela s'ajoute la préservation les bâtiments existants : "il
est indigne de sacrifier les travaux de nos aînés sans tenir compte des commodités
que les citoyens tirent des anciennes demeures (...) c'est pourquoi je voudrais que tu
conserves les édifices primitifs jusqu'à ce que tu ne puisses sans les démolir en
élever de nouveaux" (p141).
Il y a donc une véritable volonté de construire durablement chez Alberti - "nos
constructions sont supposées êtres adaptées à leur usage, solides et
durables" (p277) -, bien que ce ne soit pas exactement au sens du "développement
durable" tel qu'il est défini aujourd'hui. Certaines recommandations relèvent certes du
bon sens ou sont dictées par les limitations techniques de l'époque. Il ne faut pas
faire d'anachronisme : il serait périlleux d'affirmer une authentique ambition
écologique chez Alberti. Néanmoins, les nécessités environnementales que nous
connaissons actuellement peuvent nous amener, pour des motifs différents, à nous
rediriger vers des solutions similaires. Qu'elles soient issues de contraintes
techniques aujourd'hui dépassées n'enlève rien à leur pertinence. A l'heure où le
développement durable constitue bien souvent un simple prétexte au renouvellement 15
des produits industriels et à une surenchère technologique parfois contreproductive,
il est intéressant de voir que l'on peut obtenir une construction "durable" avec une
certaine économie de moyens.
Bien-sûr les dispositifs décrits par Alberti ne sont pas appelés à être répliqués
tels quels de nos jours, mais ils peuvent faire l'objet de réinterprétations
intéressantes : l'idée des "pièces saisonnières", très consommatrice en surface,
pourrait être rationalisée en déterminant des fonctions précises pour chaque pièce, à
chaque période de l'année. Ainsi une chambre d'été servirait de stockage en hiver
par exemple, organisant ainsi une sorte de rotation annuelle au sein du logement. Le
thème de la double paroi, plus courant parmi les recherches des architectes
contemporains, pourrait être adapté en installant une paroi plus fine à l'extérieur,
limitant ainsi les surcoûts liés à la construction de deux murs.
Dominique Gauzin-Müller, dans Habiter écologique, quelles architectures pour
une ville durable?, décrit une dichotomie dans le domaine de l'architecture durable
qui oppose "ceux qui croient que seule la science peut remédier à la dégradation
accélérée de la nature, à ceux qui pensent que, pour agir, nous ne devons recourir
qu'à des moyens passifs et non technologiques". Cette étude de l'Art d'édifier, bien
que faisant référence à l’Histoire, ne s'inscrit pas dans cette seconde vision
traditionaliste et passive. Le développement durable ne doit pas se limiter à la
redécouverte d'un "bon sens" qui aurait été perdu avec l'industrialisation de la
construction et la production de masse. Comme Alberti à son époque, qui se réfère
aux constructions antiques, il est à l'inverse nécessaire de privilégier une approche
pragmatique : confronter toutes les techniques actuelles et antérieures et les juger
uniquement selon leur pertinence dans une logique durable. Il faut à ce titre
considérer les implications écologiques au sens large - pluralité d'approche qui est
d'ailleurs manifeste dans l'Art d'édifier - et non pas se focaliser uniquement sur un
paramètre, comme cela peut parfois être le cas aujourd'hui avec les questions de
performance thermique.
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