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NOTE D’ANALYSE
Contrôle du transit et transbordement.
Focus sur trois pays européens
par Denis Jacqmin et Lauriane Héau
20 février 2017
Résumé
Le 23 novembre dernier, les autorités portuaires de Hong Kong saisissaient neuf véhicules blindés Terrex appartenant à Singapour lors de l’escale d’un porte-conteneur dans le port chinois. Les véhicules n’avaient pas fait l’objet d’une licence de transit et leur saisie allait déclencher une crise diplomatique entre Singapour et la Chine. Cet incident nous permet de comprendre les enjeux des contrôles du transit et transbordement d’équipements de défense. Ces contrôles sont souvent le parent pauvre des publications sur les contrôles à l’exportation. Dans cette analyse, nous examinerons sous cet angle les régimes de contrôle de trois pays européens, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas, afin de dégager quelques différences dans les législations et les pratiques de ces trois états voisins de la Belgique.
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Abstract
Controls on transit and transhipment.
The example of three European countries
On November 23rd 2016, the Hong Kong harbour authorities seized nine Terrex armoured vehicles from the Singaporean army as their container ship was calling in Hong Kong. The vehicles were coming back from an exercise in Taiwan. There was no valid transit license for the vehicles and their seizure by the Chinese authorities started a diplomatic crisis between Singapore and China. This incident illustrates what is at stake with transit and transhipment controls of military equipment although those controls are often under-researched compared to other arms control measures. In this analysis, we will compare the transit and transhipment controls of three European countries, France, Germany and the Netherlands, which will allow us to draw some dividing lines between the different regimes and practices of those countries neighbouring Belgium.
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En tant qu’éditeur, ses nombreuses publications renforcent cette démarche de diffusion de l’information. En 1990, le GRIP a été désigné « Messager de la Paix » par le Secrétaire général de l’ONU, Javier Pérez de Cuéllar, en reconnaissance de « Sa contribution précieuse à l’action menée en faveur de la paix ».
NOTE D’ANALYSE – 20 février 2017
JACQMIN, D., HÉAU, L., Contrôle du transit et transbordement. Focus sur trois pays européens, Note d’Analyse du GRIP, 20 février 2017, Bruxelles.
http://www.grip.org/fr/node/2259
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Introduction
Fin novembre 2016, les autorités douanières de Hong Kong annonçaient avoir saisi
neuf véhicules blindés de transport de troupes singapouriens de type Terrex
AV811. Ces véhicules faisaient partie de la cargaison d’un navire en route pour
Singapour depuis Taiwan, où les véhicules avaient été testés lors d’un exercice. La
raison de leur déchargement dans le port de Hong Kong n’est pas claire, il pourrait
s’agir d’une erreur ou d’un renseignement parvenu aux oreilles des officiers des
douanes de Hong Kong. Toujours est-il que le transport des véhicules n’avait pas
fait l’objet d’une licence en bonne et due forme de la part des autorités
singapouriennes. Le gouvernement de Singapour a demandé le retour immédiat
des véhicules, arguant que ceux-ci bénéficient d’une immunité diplomatique de
par leur appartenance au gouvernement singapourien. Les autorités de Hong Kong
entendent bien de leur côté faire appliquer les dispositions légales chinoises en
matière de transit de biens stratégiques. Cet incident est évidemment rendu très
complexe par la relation tendue entre la Chine et Taiwan. De même, les tendances
chinoises en termes d’espionnage industriel et de respect de la propriété
intellectuelle peuvent causer du souci aux autorités singapouriennes alors que le
véhicules Terrex sont considérés comme technologiquement très sophistiqués.
Les autorités de Hong-Kong ont annoncé le 24 janvier 2017 que leur enquête était
terminée et que les véhicules seraient rendus à Singapour2. Toutefois, cet incident
illustre la problématique des contrôles du transit et transbordement de biens
stratégiques, problématique qui est souvent laissée à l’arrière-plan par rapport
aux questions liées à l’exportation de ces mêmes biens.
Cette note se limitera à l’analyse du transit et transbordement des armes, laissant
de côté les biens à double-usage et les autres régimes de non-prolifération sur les
armes non conventionnelles (Groupe des fournisseurs nucléaires, le Régime de
contrôle de la technologie des missiles, le Groupe Australie, Convention sur
l'interdiction des armes chimiques, etc.). Nous nous limiterons également aux
transferts d’armes destinées à des institutions publiques et laisserons de côté les
transferts d’armes privées (destinées à des collectionneurs, des sportifs, chasseurs
ou simplement transportées avec leur propriétaire lors de voyages).
1. Définitions et cadre légal
Le Traité sur le commerce des armes, ratifié par la Belgique le 3 juin 2014, précise
dans son article 9 : « Chaque État Partie prend les mesures nécessaires pour
réglementer, lorsque cela est nécessaire et possible, le transit ou le
transbordement, sous sa juridiction et sur son territoire, des armes classiques (…),
conformément au droit international applicable. »
1. « Hong Kong customs officials seized 9 Terrex AV81 wheeled armored personnel carriers »,
Defence Blog, 24 novembre 2016.
2. « Hong Kong to return 9 SAF Terrex vehicles to Singapore: Ministry of Foreign Affairs », The Straits Times, 24 janvier 2017.
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Toutefois, les termes « transit » et « transbordement » ne sont pas définis dans ce
Traité. Plusieurs définitions sont néanmoins acceptées au niveau international. On
trouvera ainsi dans la Convention internationale sur la simplification et
l’harmonisation des régimes douaniers (Convention de Kyoto) les définitions
suivantes :
« "transit douanier" : le régime douanier sous lequel sont placées des
marchandises transportées sous contrôle douanier d’un bureau de douane
à un autre bureau de douane; »
« "transbordement": le régime douanier en application duquel s'opère,
sous contrôle de la douane, le transfert de marchandises qui sont enlevées
du moyen de transport utilisé à l'importation et chargées sur celui utilisé à
l'exportation, ce transfert étant effectué dans le ressort d'un bureau de
douane qui constitue, à la fois, le bureau d'entrée et le bureau de sortie ».
Ces deux définitions correspondent à la fonction principale du travail de douanier
et se concentrent donc sur la perception des taxes et le statut fiscal des
marchandises en transit sur le territoire d’un État. Or, dans la perspective d’un
contrôle des exportations axé sur leur impact en termes de sécurité nationale et
internationale, cette définition a peu d’utilité.
Au niveau belge, le Décret wallon relatif à l’importation, à l’exportation, au transit
et au transfert d’armes civiles et de produits liés à la défense, ne propose pas de
définition autre qu’un renvoi vers la législation douanière existante : « Pour
l’application du présent titre, on entend par : 1° "importation, exportation et
transit" : les opérations considérées comme telles pour l’application de la
législation douanière ». La Région flamande, dans son Wapenhandeldecreet
(décret sur le commerce des armes) décrit le transit comme :
« Le transport de biens qui entre sur le territoire belge avec pour seul but d’être
transporté depuis ce territoire vers un autre pays, à l’exception du transfert entre
deux États membres de l’UE, et par lequel les biens sont transportés d’une des
façons suivantes : a) ils sont transbordés d’un moyen de transport à un autre
moyen de transport ; b) ils sont déchargés d’un moyen de transport, et ensuite sont
chargés à nouveau sur le même [type de] moyen de transport. »3
Les notions de transit et transbordement ne font pas l’objet d’une définition dans
la position commune de l’Union européenne définissant des règles communes
régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires4.
Une définition est toutefois fournie dans le guide d’utilisation lié à la Position
commune :
3. Decreet betreffende de in-, uit-, doorvoer en overbrenging van defensiegerelateerde producten,
ander voor militair gebruik dienstig materiaal, ordehandhavingsmateriaal, civiele vuurwapens, onderdelen en munitie, 15 juin 2012.
4. Position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires
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« -"transit": mouvement de marchandises (équipements militaires) qui ne font
que traverser le territoire d'un État membre ;
- transbordement : au cours d'un transit, opération qui consiste à décharger les
marchandises du moyen de transport d'importation puis à les recharger (en
règle générale) sur un autre moyen de transport utilisé aux fins de
l'exportation »5.
D’autres définitions des termes de transit et transbordement figurent dans les
régimes internationaux liés à la non-prolifération (Résolution du Conseil de
sécurité 1540 sur la lutte contre la prolifération d’armes de destruction massive
ainsi que dans plusieurs régimes de sanctions internationales (Résolution 1929 sur
l’Iran et résolution 1373 sur la Corée du Nord).
2. Directive 2009/43/CE
Il est important de préciser que cette note se concentrera sur le transit et
transbordement impliquant un pays extérieur à l’Union européenne. En effet,
depuis 2012 et la mise en œuvre de la directive 2009/43/CE, le transit de produits
de défense au sein de l’Union européenne est largement facilité, les États
membres ne peuvent ainsi plus exiger de licence systématique pour le transit de
produits liés à la défense qui circulent au sein de l’espace communautaire. Les
contrôles du transit intra-européen de produits de défense se limitent désormais
à la sécurité publique, notamment la sécurité des transports6.
3. Enjeux du contrôle des transits et transbordements
5. Guide d'utilisation de la position commune 2008/944/PESC, p. 23.
6. Seniora Jihan, Transferts intra-communautaires des produits liés à la défense : Un an de mise en œuvre de la Directive, Note d’Analyse du GRIP, 25 juin 2013, Bruxelles.
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Parmi les risques principaux auxquels les contrôles du transit et transbordement
doivent répondre, le risque de détournement est prépondérant. Ces contrôles
permettent donc, d’une part, de vérifier que les chargements
transitant/transbordés sur le territoire d’un État : 1. continuent bien leur route
vers le destinataire final pour lequel ils ont été agréés, 2. ne subissent pas de
modifications lors de cette phase de transit/transbordement. L’article 11.3 du TCA
explique ainsi : « Les États Parties d’importation, de transit, de transbordement et
d’exportation coopèrent et échangent des informations, dans le respect de leur
droit interne, si nécessaire et possible, afin de réduire le risque de détournement
lors du transfert d’armes classiques visées à l’article 2. »
D’autre part, les contrôles du transit et transbordement servent également à
prévenir la livraison d’équipements militaires dans des conditions contraires à
l’article 6 du TCA (respect des embargos de l’ONU et interdiction de livraisons
d’armes qui pourraient être utilisées pour commettre des crimes contre
l’humanité ou des violations du droit humanitaire international). Ils peuvent
également servir à lutter contre le trafic illicite d’armes7.
Pour réaliser des contrôles du transit et transbordement efficaces tout en évitant
de perturber le trafic régulier de marchandises qui ne cesse de croître, – le tout
dans un contexte de compétition entre hubs logistiques (port et aéroports) –,
plusieurs sources d’information peuvent être croisées. Premièrement, l’analyse
informatisée des déclarations douanières sur base d’une évaluation des risques
(pays d’origine, marchandises déclarées, pays de destination, historiques des
compagnies de transport, etc.) permet de faire un premier tri entre cargaisons
suspectes et cargaisons de routine. Deuxièmement, les services de
renseignements sont également mis à contribution, particulièrement dans la lutte
contre la prolifération d’armes de destruction massive mais également d’armes
conventionnelles. Leurs analyses peuvent aider les douanes dans leurs choix
d’activités opérationnelles. Enfin, les activités opérationnelles des douanes elles-
mêmes peuvent apporter leur lot d’information8.
Il est important d’associer le secteur du transport pour s’assurer de la bonne
compréhension des règles ce qui permet d’éviter les faux positifs voire même la
coopération du secteur dans la dénonciation de cargaisons suspectes. Vu le
passage progressif des demandes de licence et notifications sous format
numérique, le croisement des bases de données douanières et de celles liées au
contrôle des armements peut également apporter une plus-value au contrôle du
transit et transbordement.
4. France
7. Nijs, T., « Transit and trans-shipments controls » dans Parker, S., « The Arms Trade Treaty: A
practical guide to National Implementation », Small Arms Survey, p. 93.
8. Dunne, A., « The role of transit and trans-shipment in counterproliferation efforts », SIPRI, septembre 2016, p. 4.
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4.1. Cadre légal
La législation concernant le commerce de matériel de guerre et matériels assimilés
se trouve principalement dans le code de la Défense, mais elle est complétée par
plusieurs autres textes. Le Titre III du code de la Défense contient un certain
nombre d’éléments concernant les importations et exportations de matériel de
guerre et matériels assimilés. Le Décret n° 95-589 du 6 mai 1995 et l’annexe de
l’arrêté du 28 septembre 20169 viennent compléter les dispositions du code de la
Défense en détaillant le type d’armes concernées. Le Décret n° 2011-1467 du 9
novembre 2011 et l’Arrêté du 2 octobre 1992 détaillent eux les licences de transit
et la procédure à suivre. L’Arrêté du 20 novembre 2011 décrit les modalités de
contrôle par le ministère de la Défense, et le Décret n° 55-965 du 16 juillet 1955
précise les modalités d’organisation de la commission interministérielle pour
l’étude des exportations de matériel de guerre. Il faut noter que la législation
française utilise le terme autorisation et non licence.
4.2. Définitions et types de licences
Définition : Les douanes françaises utilisent les deux notions de transit et
transbordement, alors que seul le transit est mentionné dans le code de la Défense
(CD). Si aucune des deux notions n’y est définie, on y trouve une définition du
transit dans le code des douanes, mais qui se révèle peu utile pour les questions
de contrôle d’armes (voir introduction). Les équipements militaires dont le transit
est soumis à autorisation sont définis par la liste en annexe de l’Arrêté du 28
septembre 2016. Cette liste constitue une simple copie de la Liste commune des
équipements militaires de l'Union européenne10.
Interdiction : Le Titre IV du code de la Défense liste les armes interdites de transit.
Sont concernées les armes biologiques, toxiques et chimiques (Art. L 2341-1 et
seq).
Autorisation nécessaire : Une autorisation est nécessaire pour les transits (dont au
moins un des pays concernés est situé hors UE) effectués par la route (CD, art.
R2335-41), et pour les transbordements avec mise à terre dans les ports et
aéroports. Il existe deux formes d’autorisations. Les autorisations de transit de
matériels de guerre (ATMG) sont valables six mois à compter de la date de
délivrance et pour une seule opération. Les autorisations globales de transit de
matériels de guerre (AGTMG) couvrent le transit des matériels identifiés sans
limite de quantité ni de montant, pour une durée d’un an, renouvelable par tacite
reconduction.
Pas d’autorisation nécessaire : L’autorisation n’est pas nécessaire pour les transits
par train, les transbordements sans mise à terre dans les ports et aéroports, et les
9. Arrêté du 28 septembre 2016 modifiant l'arrêté du 27 juin 2012 relatif à la liste des matériels de
guerre et matériels assimilés soumis à une autorisation préalable d'exportation et des produits liés à la défense soumis à une autorisation préalable de transfert.
10. Liste commune des équipements militaires de l’UE, 14 mars 2016.
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transbordements avec mise à terre d’armes portées par des personnes physiques,
ainsi que pour certains équipements militaires spécifiques (composants,
équipements d’entretien et de maintenance, etc.) (Décret n° 2011-1467, art. 16).
Il est à noter qu’il n’y a pas de mention dans la législation française de transit
naval/ aérien sans escale dans un port/aéroport.
Procédure : La demande de transit doit être effectuée par une personne exerçant
une activité de représentation en douane, résidant dans l’Union européenne, et
titulaire du statut d’opérateur économique agréé tel que défini dans le règlement
UE n° 952-/2013 du 9 octobre 2013 établissant le code des douanes de l’Union, ou
par une personne exerçant une activité d’auxiliaire de transport de marchandises
tel que définie au 3 de la liste II de l’annexe IV de la directive 2005/36/CE du 7
septembre 2005.
Cette demande s’effectue via un formulaire disponible sur le site des Douanes
françaises (CERFA 11193 et CERFA 12363), formulaire qui doit ensuite être
transmis auprès de la Direction générale de l’armement, Direction du
développement international (DGA/DI) du ministère de la Défense11. En principe,
elle est ensuite étudiée par la Direction générale des Douanes et Droits indirects
(DGDDI), qui se charge de prendre la décision d’accorder ou non l’autorisation,
puis de notifier les personnes concernées.
Cependant, le Premier ministre, les ministres chargés de l’Économie, des Affaires
étrangères, de la Défense, de l’Intérieur ou chargé des Douanes peuvent
demander à ce que le dossier soit examiné par la commission interministérielle
pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Dans ce cas,
l’autorisation de transit est approuvée par le Premier ministre, et le ministre des
douanes notifie les personnes concernées.
L’Arrêté du 2 octobre 1992 prévoit la possibilité de suspendre une autorisation de
transit (Art. 26-1), dans les cas où celle-ci contrevient à l’intérêt national, risque
de porter atteinte à la sécurité nationale ou publique, à la sécurité internationale
ou encore aux obligations internationales de la France. La suspension est aussi
possible si les conditions dans lesquelles l’autorisation a été accordée ne sont plus
respectées, ou si le bénéficiaire n’est plus impliqué dans l’activité de transit. La
suspension d’une licence relève du Premier ministre, et peut avoir lieu après une
11. Transit et transbordement de matériels de guerre, armes et munitions et matériels assimilés,
ministère de l’économie et des Finances.
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consultation avec la commission interministérielle. En cas d’urgence,
l’autorisation peut être suspendue immédiatement par le Premier ministre.
Un système informatisé a été mis en place pour les demandes de licences
d’exportations, le Système d’information, de gestion et d’administration des
licences d’exportation (SIGALE), mais il ne permet pas pour le moment d’effectuer
des demandes d’autorisations de transit.
4.3. Contrôle
Le contrôle du respect des régulations en place pour le transit ressort de la
compétence douanes françaises et en particulier de la Direction générale des
douanes et droits indirects (DGDDI). La DGDDI réalise des contrôles sur base du
ciblage et blocage de certaines déclarations en douane à la suite d’une analyse de
risque effectuée par le système automatisé DELT@ (dédouanement en ligne par
traitement automatisé)12. Ce contrôle consiste à vérifier la conformité de la
déclaration avec les documents présentés.
Au niveau de la transparence, les autorités françaises communiquent sur le
nombre d’autorisations de transit de matériel de guerre accordées chaque année.
Les derniers chiffres disponibles indiquent qu’en 2015, 129 autorisations de transit
ont été accordées par les Douanes, quatre autres ayant fait l’objet d’un refus. La
majorité des autorisations accordées concernent l’Union européenne (53%) et
autres pays européens (23%). La toute grande majorité du matériel en transit est
représentée par la catégorie ML3 (munitions et composants)13.
5. Allemagne
5.1. Cadre légal
Le cadre légal allemand régulant le transit de produits de défense est constitué de
trois instruments légaux. Le premier est la « loi sur le contrôle des armes de
guerre » (Kriegswaffenkontrolgesetz – KWKG), le deuxième est la « loi sur le
commerce international et les paiements » (Außenwirtschaftsgesetz – AWG) et
enfin le « décret sur le commerce international » (Außenwirtschaftsverordnung –
AWV). Il est intéressant de constater à ce stade que la législation allemande
distingue une catégorie spécifique de matériel militaire décrite comme « armes de
guerre » soumise à des contrôles accrus par rapport au reste du matériel militaire.
Ces « armes de guerre » sont comprises dans une liste spécifique
(Kriegswaffenliste- KWL) en annexe du KWKG qui comprend : missiles, aéronefs de
combat, navires militaires, véhicules de combat, armes à feu (y compris canons),
armes antichars, torpilles, mines et autres (sous)munitions, armes laser14. Les
équipements considérés comme « armes de guerre » tombent donc sous le coup
12. Rapport initial de la France sur la mise en œuvre du TCA
13. Rapport au Parlement 2016 sur les exportations d’armement de la France, mai 2016, p. 72.
14. Kriegswaffenliste, annexe de la Kriegswaffenkontrolgesetz telle qu’amendée le 26 février 1998, Journal officiel féderal I, p. 385.
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d’une législation spécifique (KWKG) mais ne sont pas pour autant exclus des règles
générales du commerce extérieur allemand (AWG). Certains biens peuvent donc
être soumis aux deux régimes de contrôle de manière superposée avec deux
licences différentes15.
5.2. Définitions et types de licences
Une définition générale du terme transit peut être trouvée dans l’AW Gesetz.
« Le transit sera défini comme
1. le transport de biens matériels de l’étranger à travers l’Allemagne, et
2. le transport de biens matériels en libre circulation d’un autre pays membre de
l’Union européenne à travers l’Allemagne. »16
La définition du transit englobe donc le transbordement qui n’apparait pas comme
tel dans la législation. Le transit d’équipements militaires fait l’objet de différents
régimes réglementaires suivant la nature des biens.
Interdiction : Sont interdites de transit sur le territoire allemand, les armes
nucléaires bactériologiques et chimiques de même que les mines antipersonnel
(art. 17 et 18 du KWKG). Une exception est toutefois prévue pour les armes
nucléaires « appartenant à un État membre de l’OTAN » (Art. 16 KWKG).
Licence nécessaire : Le transport de matériel militaire faisant partie de la catégorie
« armes de guerre » est de manière générale interdit, la licence constitue une
exception (art. 3 §3 KWKG). Il est intéressant de remarquer que la législation
allemande comporte une dimension extraterritoriale puisque le transport
d’« armes de guerre » par un navire battant pavillon allemand ou un avion
enregistré en Allemagne est également soumis à licence et ce, même si la
cargaison ne transite pas par l’Allemagne (art. 4 § 1 KWKG). Le demandeur de la
licence s’engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter tout acte de
détournement des armes transportées.
Pas de licence nécessaire : Le transit de matériel militaire qui ne fait pas partie de
la catégorie « armes de guerre » est lui libre avec toutefois d’importantes marges
de manœuvre permettant aux autorités allemandes de soumettre la transaction à
une obligation de licence préalable voire à une interdiction pure et simple (art. 4,
§ 1 et 2 ; art. 5 AWG). Les raisons potentielles en sont la sécurité publique en
Allemagne, le respect des engagements internationaux de l’Allemagne,
particulièrement les régimes de sanctions européens et onusiens ainsi que la
préservation des relations extérieures de l’Allemagne.
5.3. Procédure
15. Van Heuverswyn, K., Duquet, N., « Transit of strategic goods in Europe », Flemish Peace
Institute, août 2013, p. 73.
16. Außenwirtschaftsgesetz – AWG, Partie 1, §2 (9).
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Si la responsabilité ultime d’octroi des licences pour les « armes de guerre »
appartient au gouvernement fédéral allemand, dans la pratique, la demande de
licence pour le transit d’« armes de guerre » doit être adressée au ministère de
l’Économie et des Technologies. Pour le cas spécifique des transports effectués
par un navire ou un aéronef allemand, la demande doit être adressée au ministère
des Transports. Pour le reste du matériel militaire, si une licence devait s’appliquer
pour des raisons de sécurité extérieure ou intérieure, c’est le BAFA (Bureau fédéral
pour les Affaires économiques et le Contrôle des exportations) qui serait
compétent.
Parmi les critères qui pourraient empêcher l’octroi d’une licence de transit pour
des « armes de guerre » figurent le maintien des bonnes relations de l’Allemagne
avec d’autres pays, le respect des obligations internationales de l’Allemagne ou le
fait que ces armes puissent servir à mener une guerre d’agression. Le demandeur
de la licence ou la personne qui transporte les armes doit avoir la nationalité
allemande ou résider en Allemagne (KWKG art. 6). En plus de ces critères légaux,
le gouvernement allemand a aussi formulé des critères politiques (Principes
politiques du gouvernement fédéral pour l’exportation d’armes de guerre et
d’autres armements17). Ces principes politiques établissent une distinction entre
les pays appartenant à l’UE et à l’OTAN ainsi que les pays associés (Australie,
Nouvelle-Zélande, Suisse et Japon) et les pays tiers. La première catégorie de pays
bénéficie d’une approbation tacite tandis que la seconde catégorie fait l’objet d’un
contrôle complet de la demande de licence.
5.4. Contrôle
Le contrôle physique des marchandises en transit ressort de la responsabilité des
Douanes. Si les douanes suspectent une cargaison d’être en infraction au niveau
des licences de transit ou devraient faire l’objet d’une interdiction de continuer
leur route, la cargaison est temporairement saisie en attendant que le BAFA
prenne une décision. Les douanes disposent d’un agent de liaison au sein du BAFA
afin d’assurer la coopération entre les deux institutions.
6. Pays-Bas
6.1. Cadre légal
Le cadre légal entourant les licences de transit/transbordement d’armes et
d’équipements militaires aux Pays-Bas est principalement fourni par le Décret sur
les Biens stratégiques (Besluit Strategische Goederen – BSG). Un règlement
d’exécution sur les Biens stratégiques complète la Décision (Uitvoeringsregeling
Strategische Goederen – USG). La législation néerlandaise consacre une partie
conséquente de sa législation au transit (art. 5 à 10 BSG).
17. Ces principes politiques peuvent être trouvés à la fin des rapports annuels sur l’exportation
d’armes destiné au parlement allemand. Voir exemple.
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6.2. Définitions et types de licences
Le transit est défini aux Pays-Bas comme « le transport de biens militaires qui sont
amenés sur le territoire des Pays-Bas uniquement dans le but d’être transporté vers
une destination en dehors du territoire néerlandais » (BSG §1 art. 1). Le
transbordement n’est pas défini comme tel mais joue un rôle dans l’obligation ou
non de demander une licence pour du transit (voir ci-dessous). La définition de
« matériel militaire » renvoie à la Position commune européenne et donc à la Liste
commune des équipements militaires de l’UE (USG §1 art. 2).
Licence nécessaire : La règle générale énonce que le transit de matériel militaire
sans licence (générale ou individuelle) est interdit (BSG §3 art. 5). Toutefois, de
larges exceptions existent à cette règle générale (voir ci-dessous). Deux types de
licence existent pour le transit : la licence générale de transit et la licence
individuelle de transit. Elles sont toutes deux délivrées par le ministère des Affaires
économiques.
La licence générale est divisée en deux catégories18 :
la licence générale NL007 pour le transbordement de cargaisons en
provenance de pays alliés (OTAN/UE + Australie Japon, Nouvelle-Zélande et
Suisse) et à destination de pays tiers. Cette licence ne permet de faire transiter
que certains types d’équipements militaires (en sont exclus les catégories ML1,
ML2, ML3 (armes à feu, canons), ML4 a (roquettes, missiles, torpilles) ainsi que
les catégories ML6 (véhicules), ML9 (navires), ML10 (aéronefs), ML12
(systèmes d’armes à énergie cinétique), ML19 (lasers et radio fréquences
capables de détruire une cible) lorsque qu’ils constituent des systèmes
complets). Cette licence est donc tout à fait adaptée pour le transbordement
de pièces détachées.
la licence générale NL008 pour le transbordement les cargaisons à destination
de pays alliés quelle que soit leur origine. Elle s’applique à la quasi-totalité des
équipements militaires à l’exception des biens très sensibles (armes à sous
munitions et mines antipersonnel).
Pour tous les autres cas, la licence individuelle s’applique.
De larges exceptions existent à cette obligation de licence, en particulier pour :
« le transit à travers les Pays-Bas de biens militaires qui seront uniquement
transportés dans l’espace aérien ou les eaux territoriales [des Pays-Bas].
le transit à travers les Pays-Bas de biens militaires qui proviennent ou qui
ont pour destination finale l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la
Suisse, un État membre [de l’UE] ou un des États membres de l’Organisation
du Traité de l’Atlantique Nord et qui quittent les Pays-Bas avec le même
18. K. Leenman, « Transit-Transhipment », présentation donnée par le Team POSS lors du
Wassenaar Agreement workshop les 27-28 juin 2016.
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moyen de transport par lequel ils sont entrés sans transbordement aux
Pays-Bas.
Le transit à travers les Pays-Bas de biens militaires qui sont originaires et
ont pour destination un État membre [de l’UE]. »
Le règlement d’exécution ajoute une série d’exceptions à l’obligation de licence :
« les équipements militaires destinés à l’usage des forces armées
néerlandaises ;
les équipements militaires, propriétés de forces de l’OTAN et destinés à être
utilisés par le Joint Force Command de l’OTAN à Brunssum ;
les biens militaires appartenant à l’ESA [agence spatiale européenne] ;
les véhicules militaires qui seront utilisés par des forces armées étrangères
lors d’occasions telles que les visites d’État ou de courtoisie, les passages
en revue ou les manifestations aériennes. »
Toutefois, même pour les cas précités pour lesquels une licence n’est pas
nécessaire, le ministère de l’Économie néerlandais garde la possibilité d’imposer
une licence si :
« Si l'intérêt du droit international ou d'un accord international pertinent
l’exige ou
Si le ministre [de l’Économie] l’estime nécessaire pour la protection
d’intérêts essentiels liés à la sécurité nationale. »
Le ministère de l’Économie détient également de nombreuses possibilités
d’exemptions et de dérogations et peut également attacher des conditions à
l’octroi d’une licence (ou d’une exemption/dérogation) (art. 6).
Dans le cas où la licence n’est pas nécessaire, une notification doit toutefois être
introduite auprès du Centrale Dienst In- en Uitvoer (CDIU), qui appartient au
ministère des Finances néerlandais. Un système électronique permet aux
entreprises de s’identifier et remettre les notifications sous forme électronique.
Toutefois, des exemptions et des dérogations à cette obligation de notification
sont également possibles via une décision ministérielle (BSG §3, art. 10, 3-6)
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Le système néerlandais de contrôle du transit est donc un système assez complexe
qui laisse cependant une grande marge de manœuvre aux opérations de transit
de pays alliés et aux opérations de transit n’impliquant pas de transbordement. Le
système de notification joue le rôle de filtre entre le commerce légitime et des
cargaisons plus sensibles et peut donc être considéré comme une sorte de
système d’alerte. Si, après la notification, plusieurs indices pointent vers une
cargaison suspecte, le gouvernement dispose des moyens légaux pour imposer
une licence de transit et approfondir son enquête.
Contrôle
Le contrôle physique des transits et transbordements aux Pays-Bas ressort de la
compétence des Douanes. Sur ce point, le système de contrôle néerlandais
présente une originalité puisque les Pays-Bas disposent d’une unité spécialisée
dans le contrôle des biens stratégiques, Team POSS (Precursors, Origin, Strategic
Goods and Sanctions). Il s’agit d’une unité faisant partie des Douanes mais qui est
spécialisée dans le contrôle du transit, de l’exportation et de l’importation de
biens à double usage et de matériel militaire. Team POSS permet donc de faire le
lien entre la vision douanière et la vision « contrôle des exportations » du
commerce international. Cette unité participe à la matrice d’analyse des risques
informatisée utilisée par les Douanes pour exécuter les contrôles physiques
nécessaires19. Si les Douanes trouvent des équipements illégaux / non déclarés
dans le domaine des biens stratégiques, Team POSS décide de la marche à suivre
en termes de procédure judiciaire.
Enfin, la transparence des autorités néerlandaises en matière de transit peut être
soulignée. Un rapportage est en effet disponible sur le site du gouvernement
néerlandais reprenant les différentes opérations d’exportations/ transit avec les
pays de destinations et origine, description des biens et valeur en euros20. Ce
rapportage peut aider des acteurs extérieurs à contrôler la politique du
gouvernement néerlandais en termes d’octroi de licence de transit.
19. Voir page du ministère des Finances néerlandais sur l’analyse des risques.
20. Voir https://www.rijksoverheid.nl/documenten/rapporten/2016/10/01/overzicht-uitvoer-militaire-goederen
Tableau récapitulatif de la nécessité ou non d’une licence (individuelle, NL007 ou NL008) pour le transit d’armes aux Pays-Bas
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Tableau récapitulatif de la nécessité ou non d’une licence (individuelle, NL007 ou NL008) pour le transit d’armes aux Pays-Bas
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Conclusion
Quoique limitée dans son objet et sa portée géographique, cette analyse des
dispositions légales en matière de transit/transbordement d’équipements
militaires a permis de relever de grandes différences entre pays européens en ce
qui concerne les critères présidant à l’octroi de licences de transit.
Certains pays font une différence claire entre transit et transbordement (France,
Pays-Bas). Le transbordement déclenche ainsi automatiquement une obligation
de licence aux Pays-Bas. La France est par contre le seul pays à mentionner
spécifiquement le transit par route et à le soumettre à licence (autorisation).
L’Allemagne quant à elle ne fait pas de différence entre transit et transbordement,
mettant plutôt l’accent sur une catégorie spécifique d’équipements militaires, les
« armes de guerre », qui font l’objet d’un contrôle systématique.
L’origine/la destination des cargaisons en transit/ transbordement peut aussi être
un critère déterminant l’obligation ou non d’obtenir une licence, via la législation
elle-même (Pays- Bas) ou via les principes politiques (Allemagne). On constate
ainsi des différences importantes dans les niveaux de précision des dispositions
législatives, certains États ayant des législations très poussées, avec de
nombreuses exceptions (Pays-Bas), d’autres préférant un cadre légal général et
des exceptions s’appliquant au niveau opérationnel ou sous forme de principes
politiques.
Enfin, les niveaux de coopération entre services des douanes et services chargés
du contrôle des exportations semblent différents entre les pays évoqués. Les
Pays-Bas, avec l’équipe de douanes spécialisée Team POSS, semble être le pays
qui pousse le plus loin cette coopération. Avec l’informatisation croissante des
procédures, l’interconnexion des bases de données douanières et des
administrations chargées du contrôle des armements va devenir de plus en plus
intéressante en matière de ciblage des contrôles du transit et du transbordement
* * *
Les auteurs
Denis Jacqmin est chercheur au GRIP dans l’axe « armes légères et transferts
d’armes ». Il a notamment travaillé pour le SPF Affaires étrangères dans le
domaine de la PESC (2010-2012).
Lauriane Héau est chercheuse stagiaire au GRIP, et étudiante en Master Conflits
et Développement à Sciences Po Lille.