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DESMÊMESAUTEURS

Ouvragesd’AntoineGlaser

Africafrance,Fayard,2014,Pluriel,2017.ArrogantcommeunFrançaisenAfrique,Fayard,2016,Pluriel,2018.SarkoenAfrique,avecStephenSmith,Plon,2008.CommentlaFranceaperdul’Afrique ,avecStephenSmith,Calmann-Lévy,

2005,Pluriel,2006.Ces Messieurs Afrique 2, des réseaux aux lobbies , avec Stephen Smith,

Calmann-Lévy,1997.CesMessieurs Afrique 1, le Paris-Village du continent noir , avec Stephen

Smith,Calmann-Lévy,1994L’Afrique sans Africains, le rêve blanc du continent noir , avec Stephen

Smith,Stock,1994.

OuvragesdeThomasHofnung

Le Scandale des biens mal acquis , Enquête sur les milliards volés de laFrançafrique,avecXavierHarel,LaDécouverte,2011.La crise ivoirienne. De Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent

Gbagbo,LaDécouverte,2011.Georges Marchais. L’inconnu du Parti communiste français , L’Archipel,

2001.Désespoirs de paix : l’ex-Yougoslavie de Dayton à la chute deMilosevic ,

Atlantica,2000.

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INTRODUCTION

«Voussavez,pourmoi, levraisecret,c’est làoùonaenterré legrand-pèredanslejardin.VossecretsdeBlancs,jepeuxbienvouslesraconter,celanemedérange pas ! »Cette réflexion d’un officier de renseignement africain, forméparlesservicesfrançais,nousadonnél’idéedecelivre.Lesecretdesunsn’estpaslesecretdesautres.«Noschersespions»ontsouventpenséqu’ilsconnaissaientmieuxl’Afrique

quelesAfricains.MaisdanscetteAfriquemondialiséedudébutduXXI siècle,nosespionsfrançaissont-ilstoujoursaussibieninformés?AumomentoùdanslespaysduSahell’arméetricoloresertdecache-misèreàuneprésencefrançaiseglobalement en déshérence et où la France a perdu l’essentiel de ses repèrespostcoloniaux, les « services » ont retrouvé leur raison d’être d’informateursprivilégiés du pouvoir politique. Au-delàmême de la lutte anti-terroriste, nos« grandes oreilles » se sont ainsi démultipliées dans toutes les strates socio-économiquesdespaysafricains.Nosespionssontmêmedevenuslesnouveauxstratègesdenosrelationsavecl’Afriqueet,commeonleverra,jusqu’aucœurdel’Élysée.Cequiachangépourlesmaîtresespionsestlepassaged’unsystèmeintégré

d’État, qui a prévalu pendant toute la période de la guerre froide, desindépendances en 1960 jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989, à uneprivatisation partielle du renseignement. Le réseau des réseaux espions de laFranceenAfriquen’a longtempseuqu’unseulchef :JacquesFoccart.Chargépar le général de Gaulle de l’Afrique, des services secrets et du RPF(Rassemblementdupeuple français), JacquesFoccartétait lui-mêmeunancienduBCRA(Bureaucentralderenseignementetd’action)delaFrancelibre,crééen juillet1940àLondres.L’hommede l’ombreduGénéralgérait à la fois lesresponsablesdel’Afriquedesservicesofficiels,telsqueleSDECE(Servicededocumentation extérieure et de contre-espionnage, qui deviendra la DGSE,Directiongénéralede lasécuritéextérieureenavril1982)etsonpropreréseaude fidèles placés auprès des chefs d’État africains alliés.On avait coutumededire que « pas un criquet ne stridulait enAfrique sans que Foccart ne soit aucourant ». C’était sans doute exagéré pour l’ensemble du continent, mais pasfaux pour le domaine dans lequel il exerçait ses prérogatives. Sa position de

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gendarmede l’Afriquepour ladéfensede l’Occidentpermettaità laFrancedecontinuer à vivre, en solo, dans ses anciennes colonies, sans concurrence.Lesdeux principaux alliés de Jacques Foccart étaient le président ivoirien FélixHouphouët-Boigny et le président gabonais Omar Bongo. Deux chefs d’Étatfrancophilesautantquefrancophones, intégrésetprotégésdans ledispositifdurenseignementfrançais.Aujourd’hui, s’il n’y a plus de PLR (poste de liaison et de renseignement)

institutionnel dans les présidences africaines, comme à l’époque de JacquesFoccart, les chefs d’État africains demeurent de précieuses sources pour lesservices français. En contrepartie, ils sont très friands d’informationsconfidentiellesquileurpermettentdeconforterleurpouvoir.Aumenuprincipalde rencontresdiscrètes : qui complote contremoidansmonentourage et chezmesvoisins?QuefabriquentmesopposantsàParis?Surdesdossierstrèssensibles,c’estparfois ledirecteurdelaDGSEoul’un

de sesadjointsqui sedéplacent.Quand les relationsdiplomatiques se révèlentcompliquées avec certains pays, comme le Soudan, ce sont les services quiservent de relais sur des dossiers d’intérêts communs : le terrorisme, les fluxmigratoires, la connaissance intimedes chefsdes réseauxclandestinsdespaysvoisins.PourlespaysliésàParis,c’estlaroutine.EnCentrafrique,uncoloneldela DGSE s’entretient ainsi chaque mardi et jeudi avec le président Faustin-Archange Touadéra. Avant ses rendez-vous rituels, le colonel lance à sonsecrétariat:«JevaismangerdespistachesavecTouadéra.»Voilàpourlescanauxofficielsderenseignement.Maisplusieursdécenniesde

présence française multiforme en Afrique offrent mille et une autres sourcesmoins institutionnelles.Lesplus sollicitéesont longtempsété les«honorablescorrespondants » corses, réputés, à juste titre, être lesmieux informés sur lessecrets les plus verrouillés des palais africains.Dans leurs casinos se pressentégalement les personnalités les plus discrètes des réseaux d’affaires. MalgréleurssoucisjudiciairesenFrancepourleurrôled’apporteursd’affairesauprèsdeprésidents africains, ils bénéficient d’uneprotection indéfectible de la part deshommesdel’ombre.Justiceetrenseignementnefontpasbonménage.DansleSahel,nos«amistouareg»sontnosyeuxetnosoreilles,àlagrandefureurdepouvoirscentrauxfrustrésquinesontpasdanslaboucledurenseignement.EnAfrique, les diplomates ont aussi, au cours des années, été sélectionnés

pour leur goût du secret. Au-delà même du classique poste de deuxièmeconseiller d’ambassade, souvent une couverture pour un fonctionnaire de la

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«Boîte » (l’undes surnomsde laDGSE), la grandemajorité desExcellencessont au parfum sur les dossiers africains. Nombre d’entre eux ont servi à ladirection de la Stratégie de la DGSE. Ils sont donc habilités àmanipuler desdocuments estampillés « Confidentiel Défense ». Les plus capés des anciensmaîtresespionsfrançaissurl’Afriqueontprisl’ascenseurpourlehautdestoursdelaDéfense,danslepremiercercledespatronsdesgroupesfrançais.Unvraisystème de vases communicants : la coopérationmilitaire a perdu d’année enannéesesbudgetsetsesformateursauprofitd’agentsdesociétésprivées.Les services secrets français officiels sont-ils informés ? Sans l’ombre d’un

doute. Environ une fois par trimestre, mais parfois plus fréquemment, lesresponsablesdecessociétésdesécurité rencontrentaucentredecriseduQuaid’OrsaydescorrespondantsdelaDGSEetdelaDGSI(Directiongénéraledelasécuritéintérieure).Ilssontainsidesmilliersàavoirtraversélemiroir,retraitésounondusecteurpublic,vers lesecteurprivé.D’anciensmilitairesquiétaientautrefois en uniforme ou en costume d’agents d’influence. Des coopérants del’enseignement ou de hauts fonctionnaires en poste dans les présidencesafricaines. Les militaires et policiers ont souvent créé des sociétés privées desécurité, voire d’intelligence économique, pour semettre au service de grandsgroupes,demoinsenmoinstricolores.Deleurcôté,lescivilssesontlancésdansdes activités de consultant ou de communicant politique. Tous ont gardé uncordonquasiombilicalaveclesnombreuxservicesofficielsfrançaisauxquelsilsont appartenu ou avec les officiers traitants qu’ils ont fréquentés à certainsmomentsde leurcarrièreafricaine.Mais ilsont fortàfaire,car laconcurrenceestdeplusenplusrude.Hommesdel’ombretricolores,officielsetofficieux,nesont plus seuls dans les anciennes colonies. Pour échapper au Big Brotherfrançais, les chefs d’État africains sollicitent de plus en plus des sociétésisraéliennespourleurprotectionpersonnelle.Ancien chef adjoint des renseignementsmilitaires de l’Ouganda, pays où il

étaitenexil,leprésidentrwandaisPaulKagamequiaprislepouvoiràKigalien1994,après legénocide, contreun régimesoutenupar lesFrançais, adéjà faitsavoirquel’Afriquen’avaitpasbesoinde«baby-sitters ».Messagereçu«cinqsur cinq » par président Emmanuel Macron, même si ce dernier a offert auRwandaladirectiondel’Organisationinternationaledelafrancophonie(OIF)ensoutenantlacandidaturedelaministrerwandaisedesAffairesétrangères,LouiseMushikiwabo,audétrimentdelaCanadienneMichaëlleJean.L’Algérie demeure aussi un pays kaléidoscope pour les services français.

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Acteursmajeursdupouvoir, les services secrets algériensont toujours jouéenFrance la DST (Direction de la surveillance du territoire, aujourd’hui DGSI)contre laDGSE.Cequinefacilitepas les relationsambigüesavec laprésencemilitaire française au Mali. Un jeu de go meurtrier animé par les chefs desgroupesarmésduNordduMali.D’anciensbastionsdesservicessecretsfrançaisenAfrique,telsqueDjibouti

ou la République centrafricaine, sont aussi menacés. À Djibouti, le présidentIsmaëlOmarGuelleh,premierchefd’Étatafricaininvitéfinnovembre2017parleprésidentXiJinpingaprèssaréélectionàlatêteduParticommunistechinois,est sous le charme de Pékin. Pièce majeure dans la pénétration du continentafricainpar laChine,Djibouti vadevenir un«nidd’espions» aussi actif queBerlin au temps de la guerre froide avec la présence d’une dizaine de basesmilitaires(française,américaine,chinoise,allemande,japonaise,espagnole…).Même le monopole français sur la formation des officiers africains est

sérieusementremisencauseparPékin,selonunenoteconfidentiellerédigéeparle Quai d’Orsay . En Centrafrique, où un officier de la DGSE, Jean-ClaudeMantion, a eu une influence de 1981 à 1993 qui dépassait largement sesattributions dans le seul secteur de la sécurité auprès du président AndréKolingba, c’estMoscou qui est désormais le grand protecteur du président enfonction, Faustin-Archange Touadéra. Une cinquantaine d’éléments des forcesspéciales russes assurent sa garde rapprochée dans le cadre d’une livraisond’armescautionnéeparlesNationsunies.UnaccordmilitaireaétéconcluentreMoscou et Bangui en décembre 2017. Les Russes, qui vont former deuxbataillons des FACA (Forces armées centrafricaines), soit 1 300 hommes, ontinstalléleurétat-majorauseindupalaisdeBerengodel’ancienempereurJean-BedelBokassa.Unsymboleaussifortquel’installationdesservicesculturelsdel’ambassade de Chine à Paris dans l’ancien ministère de la Coopération, rueMonsieur!Face à cette mondialisation des services secrets en Afrique, on comprend

mieuxpourquoi«noschersespions»ne rechignentplusàmobiliser lebanetl’arrière-ban de tous les réseaux de la France en Afrique – officiers retraités,diplomatesbranchés,Corsesdepalais,hommesd’affaires…–pourconjurerlesguerresfranco-françaisesdesofficiersderenseignement.

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Notes1.JeuneAfrique,18juin2018.2.AfricaIntelligence,28mai2018.

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CHAPITREPREMIER

Nosprésidentschouchous

Paris, juin2017.Prèsde trente ans après,ClaudeSilberzahnn’apas encoredécoléré.DanscettebrasseriedelaplaceMaubert,l’ancienpatrondelaDGSEélèveletonausouvenirdesapremièrerencontre,début1990,avecleprésidenttchadien Hissène Habré. « En sortant, j’ai retrouvé ma femme qui m’avaitaccompagnéetjeluiaidit:“Celui-là,jevaistoutfairepourlevirer.”Ilvafoutrelefeuàtoutelarégion.Ilsaitqu’iladupétroleetlesAméricainsaveclui.Ilsemoquedenous.»Silberzahnrevitlascène:«Jeluiaiparlédroitsdel’homme.Iln’ariendit.

Et,surtout,ilnem’arienditsurla“ForceHaftar” .»Haftar?Oui,c’estbienlemême.LemaréchalKhalifaHaftar,l’actuelhomme

fort de l’Est de la Libye. Commandant en chef de l’armée nationale, il estaujourd’hui sollicitéparplusieurspaysoccidentaux,ycompris laFrance,pourremettre de l’ordre dans l’ex-Tripolitaine.Mais, en 1990, c’était l’homme desseulsAméricains.DansledosdesFrançais,leprésidentHissèneHabrésoutenaitunecovertaction delaCIAauTchadcontrelecolonelKadhafi,notre«ami»àl’époque.L’opérationconsistaitàretournerdessoldats libyensfaitsprisonnierspar l’armée tchadienne. Plus de 2 000 d’entre eux avaient été secrètementregroupésdansuncamp.Àleurtête,lecoloneldissidentKhalifaHaftar,encoreclandestin.LaDGSEestaucourant,maisni les«alliés»américainsniHissèneHabré

n’enfontétatauxFrançais.«C’esttoutdemêmeunecovertactionde laCIA,pas pour les amis », s’emporte à nouveau Claude Silberzahn. Le chef desservices secrets français rentre à Paris. Il rend compte au président FrançoisMitterrand de la trahison d’HissèneHabré au profit desAméricains et de sonprojet de le « virer ».Réponse deMitterrand : «C’est vous qui voyez, faitescomme vous le sentez mais rappelez-vous que nous avons des accords dedéfense avec le Tchad. Il faut en parler à Jean-Pierre Chevènement [alors

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ministredelaDéfense].»« J’ai mis beaucoup de temps à convertir Jean-Pierre Chevènement, admet

Claude Silberzahn. Je lui demandais simplement que les avions Jaguar del’opérationÉperviernedécollentpasetquelesforcesfrançaisesbaséesàFaya-Largeau[Tchad]regardentplusàl’ouestqu’àl’est.»À l’est, c’est Idriss Déby, un ancien compagnon de route d’Hissène Habré

entréendissidence,quiseprépareàpénétrerauTchadàpartirduSoudanà latête de ses troupes constituées essentiellement de membres de son ethnie, lesZaghawas.À ses côtés, son futur conseiller spécial,PaulFontbonne, jusque-làchefdepostedelaDGSEàKhartoum.D’abordréticentsàtouteopérationcontreHissèneHabré,lesofficiersfrançaisbasésauTchad«acceptentlastratégiedelaDGSEparcequ’ilssontpersuadésqu’HissèneHabré“résisterasansproblème”àlarébellion»,ironiseSilberzahn.Erreur d’analyse : le régime d’Hissène Habré s’effondre. Les Américains

négocientaveclesFrançaissonexfiltrationversleSénégal.Habrénepartpaslesmains vides : il passe à la Banque centrale pour bourrer quelques valises demilliards de francs CFA . De leur côté, les opposants armés libyens sontconvoyésversleKenyaetleCongo.Avantdequitterleterrain,lesAméricainsobtiennentdesFrançaisqu’ilslesaidentàrécupérerlesmissilesStingerfournisàHissèneHabrépourdescendrelesavionslibyens.LevœudeClaudeSilberzahnest exaucé : Idriss Déby et son conseiller de la DGSE, Paul Fontbonne,s’installentàlaprésidencedelaRépubliqueduTchad.PrèsdetrenteansaprèssaprisedepouvoiràNdjamena,etplusieursélections

à samain,Déby est toujours là.Malgré des relations parfois en dents de scieaveclespouvoirspolitiquesàParis,sesamisespionsfrançaisneluiontjamaismanqué. Ils ont même tout de suite fait comprendre aux diplomates du Quaid’Orsay qu’IdrissDéby était leur homme et qu’il ne fallait pas l’agacer. Celacommence tôt. Nommé en 1990 par François Mitterrand, l’ambassadeur deFrance Yves Aubin de La Messuzière est très vite mis au parfum. Il nousraconte:«PeudetempsavantmondépartpourNdjamena,àl’instigationdelacelluleafricainedel’Élysée,jesuisconviéàparticiperàundînerorganiséparlaDGSE en l’honneur d’Idriss Déby qui fait son premier déplacement à Parisdepuis sa prise de pouvoir. C’est contraire aux usages, comme me le faitremarquerleQuaid’Orsay,maisjesuisimpatientdeconnaîtrelepersonnage.Jele trouve plutôt réservé, voire sur ses gardes face au flot de questions que luiadressentdesconvivesfascinésparsesexploitsguerriers.Jenesuispasdupedes

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arrière-penséesdesservices,soucieuxdemontrerd’embléeaufuturreprésentantdelaFranceauTchadquelenouveauchefdel’Étatleurdoitbeaucoup .»Ceneseraqu’unpremiermessage.Sansdoutepassuffisammentcoopératif,

l’ambassadeur sera vite marginalisé à l’initiative de Michel Roussin, alorsministrede laCoopérationetanciendirecteurdecabinetauSDECE.Engrandsecret, le ministre convoque à Dakar, au Sénégal, en septembre 1992, AndréBailleul, chef demission de coopération àNdjamena. Il lui tient ces propos :«MonsieurBailleul,onaunproblèmeàNdjamena.LeprésidentDébyneveutplusvoirl’ambassadeur,qui,dit-il,secomporteenhaut-commissaire.Lechefdel’État vous apprécie et ne veut plus avoir affaire qu’à vous au niveau del’ambassade. »Dans la foulée,MichelRoussinprécise auhaut fonctionnaire :« Vous ne rendrez compte qu’à Paul Fontbonne [le conseiller spécial de laDGSE].Ilseraenrelationavecvouset,autantquebesoin,ilvousappellerapourrencontrerlechefdel’État .»Aussitôtdit,aussitôtfait.LaDGSEgardelamainsurleTchad.Les grands protecteurs d’Idriss Déby seront également au rendez-vous en

février2008:leurchouchouestàdeuxdoigtsdeperdrelepouvoir.Sescousinsrebelles zaghawas sont entrés dans Ndjamena. Acculé dans son palais, IdrissDébydisposeàsescôtésducoloneldelaDGSEJean-MarcGadoullet.Cen’estpas le premier séjour de l’officier français dans ce pays stratégique : il a déjàtransforméen2004lagarderépublicaineenuneDirectiongénéraledesservicesdesécuritéetdesinstitutionsdel’État.DanssesMémoires,l’agentdelaDGSElivre lesminutesdecemomentcritique :«Jesuisaucentreopérationnelavecles officiers tchadiens. Je dispose dema communication directe avecParis. Jereçois les informations françaises et je connais les positions des rebelles aucentimètre près, minute par minute. Je transmets ces données stratégiques àl’état-majortchadien .»En trois phrases, l’officier a tout dit sur le soutien en renseignement décisif

quisauveleprésidenttchadien.Pourtant,àNdjamena,larumeuradéjàannoncélamortd’IdrissDéby.Jean-MarcGadoulletscénarisealorssonheuredegloireàl’Élysée : «Le lendemain, à unConseil de défense à Paris autour deNicolasSarkozy, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense expliquent auprésident de la République qu’Idriss Déby est bien décédé. Assis à la table,Pierre Brochand, le directeur général de la DGSE, sourit doucement : “IdrissDéby n’est pas mort, glisse-t-il. D’ailleurs la preuve, parlez-lui.” À six millekilomètres de l’Élysée, mon portable sonne et je réponds : “Bonjour, je vous

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passe Idriss Déby.” De son côté, le patron de la DGSE tend son appareil àNicolasSarkozy.Les deuxprésidents conversent sous les yeuxde l’assistancemédusée[…].Jesuispromucolonelpourfaitsd’armes .»

Coupd’ÉtatàBangui,silencioàParis

Cartemaîtressedesservicesderenseignementfrançaisdanslarégion–et,onle verra, jusqu’aux confins des massifs montagneux de la zone sahélo-saharienne–,IdrissDébyestaussiàlamanœuvredanslespaysvoisinscommelaRépubliquecentrafricaine.Fatiguédelaparanoïaanti-françaised’Ange-FélixPatassé, président élu en 1993 et réélu en 1999 à la tête du pays de l’ancienempereurBokassa,Parislaisses’accompliruncoupd’ÉtatàBangui,le15mars2003.RéfugiéàNdjamena,FrançoisBozizé,ancienchefd’état-majordel’arméecentrafricaine, prend le pouvoir en Centrafrique avec le soutien décisif d’unepartie de la garde présidentielle d’Idriss Déby. Bien qu’aux premières loges,Parisnemouftepas.Dixansplustard,le25mars2013,c’estlemêmeDébyquilaisselacoalition

musulmane de la Séléka (alliance des rebelles) déboulonner son ancien allié.Pourquoi?FrançoisBozizéal’impudencedevouloirexploiterlesgisementsdepétroleduNorddelaCentrafrique,quinesontqueleprolongementdeceuxduSudduTchad.Ducôté français, laDGSEest fortementagacéepar lapressionfinancière mise sur le groupe Areva par l’entourage présidentiel pourl’exploitationdugisementd’uraniumdeBakouma,dansleSud-Estdupays.LaDGSEconduitalorsuneguerredel’ombrepeuconnue.Lacible:SaifeeDurbar,leconseilleretl’éminencegrisefinancièreduprésidentFrançoisBozizé.Rencontré en décembre 2017 dans ses bureaux du quartier deMayfair, non

loindupalaisdeBuckingham,cethommed’affairesd’origineindo-pakistanaisenecachepasqu’ilapassésavieàcontrerlesintérêtsfrançaisenAfrique.Ilsevantemêmed’êtreà l’origine,danslesannées1990,delafermeturedesbasesmilitaires françaises enCentrafrique.Et finit par accuser laDGSEd’avoir « àdeux reprises » saboté ses avions . Une accusation jamais étayée par uneenquête.Après Ange-Félix Patassé, Saifee Durbar devient le conseiller de son

successeur putschiste François Bozizé. Pour les Français, Durbar est l’âmedamnéeduprésidentcentrafricain.IlconseilleàBozizéderéclameràArevauneforte sommed’argent pour l’exploitationdugisementd’uraniumdeBakouma.

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D’aprèsSaifeeDurbar,«ArevaquiauraitpuracheterUraminà475millionsdedollars en2006met2,5milliards sur la tableenmai2007».OutreBakouma,figurent dans le portefeuille d’Uramin deux autres projets d’exploitation deréserves non prouvées d’uranium en Namibie et en Afrique du Sud. Uneacquisitionquiserévéleraunfiascoautantfinancierqu’économique.Ilestvraiqu’entre-temps le drame de Fukushima au Japon a fait plonger le cours del’uraniumde100dollarsà50dollarslalivre.Lafolieboursièred’Uraminn’enreste pas moins dans les mains des magistrats après l’ouverture de plusieursprocéduresjudiciaires .Dansunpremier temps,SaifeeDurbarconseilleàBozizéde taxerArevade

150millionsdedollarspouravoir«laissélesminesàl’airlibresansprotectionpour les populations et changé d’actionnaire sans que l’État centrafricain n’ensoit informé ». Sans succès. Paris voit rouge. D’autant que François Bozizés’émancipedeplusenplus,surleplanfinancier,desesparrainsfrançaisgrâceàdes rentrées d’argent liquide obtenues par Durbar pour payer le salaire desfonctionnaires.Àl’Élysée,leconseillerAfriqueBrunoJoubert,anciendirecteurdelaStratégiedelaDGSE,n’aqu’uneobsession:«DégagerSaifeeDurbardel’entourageduPrésident .»NonseulementFrançoisBozizérésiste,maisillenommevice-ministredesAffairesétrangèresavecrésidenceàLondres,àl’abride Paris. Pas totalement… Saifee a un vieux dossier judiciaire qui traîne autribunaldeCréteil.Uneaubainepourlesservicesfrançais!Saifee Durbar se remémore sa descente aux enfers : « Nos avocats

britanniquesavaientsaisi,enaoût2007,HerbertSmith,lecabinetd’Areva,pourobtenir 150 millions de dollars. Aucune nouvelle… Cinq semaines plus tard,exactement le6 septembre2007, j’étais àBangui etonm’appelledeLondres.“Unpolicier estvenuchezvousavecunmandat internationaldatédu27août2007.”Mon chef de la sécurité qui travaille pour les services britanniques serenseigne. Paris a réactivé contre moi une condamnation de 1995 pourescroquerie.J’avaisservideréférentàunamiquiavaitempruntéauprèsd’unebanqueiraniennedelaplaceVendôme.J’étaispoursuivipouruneescroquerieenbandeorganiséede2,5millionsdedollars,alorsqu’en1995j’avaisachetéunemaison àCannespour 11millions, unbateau à 22millions, et je disposais detrois avions à mon nom. Et j’aurais été dans une escroquerie pour moins de300000dollarspourmoi,puisquehuitpersonnesétaientpoursuivies!»SaifeeDurbar remet ses multiples passeports diplomatiques africains aux autoritésbritanniques.«Aprèsexamen,laCoursuprêmem’arendutousmesdocuments

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etm’aautoriséàvoyageràconditionquejen’aillepasenFrance»,serappelle-t-il.Pourquoi alors venir à confesse à Paris deux ans plus tard ? « Après le

sabotage de mes avions j’ai pris peur et j’ai demandé, par l’intermédiaire deVincentCrouzet,àprendrecontactaveclesservicesfrançais»,justifieDurbar.Pourlesabotagedesesavions,d’autressourcespointentdudoigtlesservicesisraéliens, qui auraient pris ombrage des relations de Saifee Durbar avec desréseauxiraniens.Le 2 décembre 2009, l’homme d’affaires indo-pakistanais est incarcéré à la

prisondelaSanté.Auquartierdesparticuliers,oùsontinstalléslesVIP,ilreçoitàdeux reprisesdes responsablesdes services secrets français.Ledeal : « Enéchangedemon silence sur l’affaireUramin, onmeplaçait chezmoi avec unbraceletélectronique.Celaadurétroismoisetdemi.Ensuite,l’affairen’apaseude suites judiciaires», souffle-t-ild’unevoix lasse.Condamnéen2007à troisansdeprisonfermeparcontumace,SaifeeDurbarneserafinalement«retenu»queneufmoisenFrance(troismoisetdemiàlaprisondelaSantéauquartierdesparticuliersetsixmoissousbraceletélectronique).En septembre 2010, SaifeeDurbar quitte laFrance avec unoukaze de non-

retour des autorités françaises. À la demande du juge Van Ruymbeke, quisouhaitel’entendresurledossierUramin,ilreverratoutdemêmelatourEiffel.« J’ai vu le juge àplusieurs reprises en2014 et 2015mais je ne lui ai jamaisremislesdocuments»,affirmeDurbar,précisantaussitôt:«Seulementceuxquiconcernaient les dossiers des intermédiaires, comme Balkany. » Le nom dumaire de Levallois-Perret apparaît comme « facilitateur » entre Areva et legouvernement centrafricain. Patrick Balkany a été reçu à plusieurs reprises àBanguiparlesautoritéscentrafricaineschargéesdecedossier.

Soutienindéfectibleau«frèred’armes»deBrazzaville

VoilàcommentFrançoisBozizéaquittélacolonnedesprésidentschouchouspourcelledespersonaenongratae.Laprotectiondesservicessecretsfrançaisse cultive en effet sur le long terme.Pourtant,FrançoisBozizé avait demandéconseil à son grand frère voisin, Denis Sassou-Nguesso, président de laRépublique du Congo. Ce dernier ne l’avait-il pas initié, le 10 octobre 2003,dansl’Archeroyaledel’Afriquecentrale?Unelogeaffiliéeà laGrandeLogenationale française, longtemps le réseau des réseaux de l’Afrique en France.

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Maiscettealliancemaçonniquen’apassuffiàgarantiràBozizéuneprotectiondanslesmilieuxdupouvoirsécuritaireàParis…contrairementàDenisSassou-Nguesso.Quelssontdonclespuissantsparrainsde«Sassou»danslesservicesfrançais

depuissonarrivéeaupouvoiren1979?Dessoutiensquiluiontmêmepermisderevenir,parlaforced’uncoupd’État,àlatêtedelaRépubliquecongolaiseen1997,aprèsunetraverséedudésertdecinqansàParis.C’estMichelRoussinquinous donne une clé de compréhension, parmi d’autres, de cette protection aulong cours. Pour lui, Sassou est avant tout un frère d’armes : « Sassou, c’estl’école des officiers de réserve deCherchell enAlgérie avant l’indépendance,puis l’écoled’infanteriedeSaint-Maixent. Il estembarquéenAlgérieavec lesFrançais dans les dernières embuscades avant la résolution du conflit enjuillet 1962. Ensuite, je le découvre et l’apprécie, avec Jean-Yves Ollivier »,décrypte l’hommequiaété ledirecteurdecabinetd’AlexandredeMarenches,alorspatronduSDECE .MaisquiestdoncceJean-YvesOllivierdontparleMichelRoussin?C’estle

conseillerétrangerleplusintimeduprésidentcongolais:«JevoueàSassou,quimeconsidèrecommesonfrère,unrespectetuneamitiéindéfectibles»,confie-t-il à Paris Match le 19 août 2013, au moment où il sort de l’ombre en seprésentant comme l’homme de l’Afrique postapartheid . Ce qui n’est pasanodin. Qui d’autre qu’un homme familier des services secrets, autant sud-africainsquefrançais,auraitpumonterle7septembre1987l’opérationCondor:unéchangedeprisonniersentre l’AfriqueduSud, l’Angola, laNamibieet laFrance ?Une mission impossible sans l’appui solide d’un président africain tel que

Denis Sassou-Nguesso, à l’époque au mieux avec les pouvoirs marxistes-léninistesdelarégion,commel’Angola.Àcemoment-là, le«frèred’armes»congolais de Cherchell a gagné son ticket pour monter dans le manège desprésidentschouchousdelatourEiffel.Pourêtreprotégé,ilfauteneffetrendredes services. Et ce n’est pas qu’un mot… C’est justement dans les périodescompliquées de la guerre froide que les espions français ont sélectionné leurs«vrais»amis.Toutcomme leGabon, leCongoa,entreautresactivitéssecrètes,étéutilisé

par l’industrie françaised’armementpourpoursuivre ses relations incestueusesavec l’Afrique du Sud de l’apartheid, boycottée officiellement par les paysoccidentaux.UnsecretdePolichinellepourlesinitiés.Envoiciunepreuvepour

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les profanes : l’utilisation du Congo comme « faux nez » pour vendre desmissilesMistralàl’AfriqueduSud,sousembargodetoutarmement.Le10août1988,deuxofficierscongolais–dontlenumérodeuxdesservices

de l’ambassade du Congo à Paris – débarquent dans l’entreprise Matra. Ilscommandentlalivraisonàleurpaysde50missilesMistraletde10trépiedsdelancement.Unmissileantiaériendutype«tireetoublie»quivienttoutjustedesortir des chaînes d’armement : il n’a jamais été exporté et l’armée françaisen’en dispose pas encore, ce qui n’empêche pas cette commande de passerallègrement les autorisations les plus sévères des commissions d’exportationd’armement.Feuvertàtouslesétages,jusqu’au19janvier1989.Un officier de renseignement balance l’opération : cesmissiles ne sont pas

destinés au Congo-Brazzaville mais à l’Afrique du Sud. Scandale etmédiatisation bloquent l’affaire. Mais l’acompte de 15 millions de francs(3,6millionsd’eurosde2018,entenantcomptedel’inflation)àMatra–pouruncontratglobalde53,3millionsdefrancs(environ13millionsd’euros)–estbienarrivéviauncompteàlaKredietbankduLuxembourg,connucommeétantceluide l’Afrique du Sud. Ce que confirmera un compte rendu confidentiel de laDGSE : «Au cours de l’instruction, la juge [MmeMarie-PauleMorrachini] aégalementconstatéquel’Officefrançaisd’exportationdematérielaéronautiqueavaitreçuunetrentainedeversementsenprovenancedececompte .»Pourquoi cette dénonciationd’unofficier du renseignement ?Une classique

guerrefranco-françaiseentreintermédiairesmarchandsd’armes.Desanciensdesservices voulaient vendre directement ces missiles à leurs amis sud-africainssans passer par le Congo-Brazza. L’affaire a vite été étouffée : via la DGSE,leNIS(NationalIntelligencesud-africain)arécupérésonacompte.C’estdiresile président Denis Sassou-Nguesso est au courant de toutes les turpitudesfrançaises sur ce continent. Une sacrée assurance tout risque dont il sembletoujours bénéficier en 2018. Aujourd’hui, le président congolais se présentecomme lemeilleur soutien africain de Paris dans la COP21, avec l’animationd’une Commission climat et Fonds bleu pour le bassin du Congo. Il estégalement l’un des « parrains » régionaux d’une partie de la classe politiquecentrafricaine.Bref,ilatoujoursdebonnesraisonsd’êtrebienaccueillidanslesmilieuxsécuritairesàParis.

Omarl’intouchable,Alilemal-aimé

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Omar Bongo, autre gardien des secrets de la France en Afrique et desopérationsclandestinessursonterritoire,s’estéteintle8juin2009àBarcelonesans rien révéler. Lui aussi était pourtant plus qu’au parfum ! « Il considéraitqu’il était partie intégrante de nos services », expliqueramême JacquesSales,qui sait de quoi il retourne : il a été chef de poste de la DGSE à Librevillependanthuitansdanslesannées1980 .PourlaFrance,leGabonn’étaitpasseulementstratégiquepourlecontinent,

maisaussipourlesrelationssecrètesdelaFranceavecdespayscommel’Iran.Un jeu géopolitique à trois bandes. C’est l’uranium duGabon qui devait êtrelivréàl’usined’enrichissementd’Eurodifdontl’Étatiranienétaitactionnaire,àl’époquedushah,danslesannées1970.OmarBongoétaitainsidevenuunchefd’État intouchable, et pas seulement parce qu’il finançait des personnalitéspolitiquesfrançaises,maisaussipoursamaîtrisedesdossiers«SecretDéfense»tricolores.Poursonfils,AliBongo,cefutunetoutautrehistoire,plutôtfranco-française,

jamaisracontéeàcejour.OmarBongoabiendéclaré,devantplusieurstémoins,qu’il regrettait que sa fillePascalinene fût pasungarçon.Mais sur son lit demortàBarcelone,enjuin2009,leprésidentgabonaisadésignésonfilspourluisuccéder.Detoutefaçon,alorsministredelaDéfense,AliBongonequittepasLibreville. Ilestprêtàprendre lepouvoircoûtequecoûte,par la forcesicelan’estpasparlesurnes.IlenvoiemêmeunamicorseenEspagnelefairesavoiràl’entourageduchefdel’Étatmourant.Ilssontquatreàsonchevet,Pascalineettroisconseillers:MichelEssonghe,

FidèleEtchendaetJean-PierreLemboumba.C’estcedernierquiestreçuàParisle 13 juillet 2009 dans le bureau de Claude Guéant, secrétaire général del’Élysée. Il confirme qu’Omar Bongo a désigné Ali comme successeur.Officiellement, Ali est à Paris pour un check-up à l’Hôpital américain deNeuilly.Lefuturprésidents’engageàn’exercerqu’unmandatdetransitionetàdéfendre,commesonpère,lesintérêtsstratégiquesdelaFrance.Afind’assurerl’élection d’Ali Bongo, Nicolas Sarkozy envoie le secrétaire d’État AlainJoyandetentournéeauprèsdeschefsd’ÉtatsvoisinsduGabonpouraffirmerquela France « vote » Ali Bongo et qu’il ne faut pas soutenir son principalconcurrent,AndréMbaObame.Pourboucler l’affaire,undéjeuner estorganiséau2 ruede l’Élyséedans le

bureauduconseillerAfriqueBrunoJoubert.Surprise:àlafindudéjeuner,celui-ci faitcomprendreàAliBongoqu’il l’a reçuà lademandedeClaudeGuéant,

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maisque,desonpointdevuepersonnel, laFrancen’apasàavoirdecandidatpourl’électionprésidentiellegabonaise.LavéritéestquelaDGSEaunpenchantpourl’ancienministredelaDéfense

IdrissNgari.Cederniers’estfaitadouber,dèsmars2009,parlesservicessecretsfrançais, qui le connaissent bien, ainsi que par la compagnie pétrolière Total.Troubleschezlesbaronsgabonais:Parispréfère-t-ilAliouIdriss?Foufurieux,ClaudeGuéantobtientdeNicolasSarkozylatêtedeBrunoJoubert.Têtequiiraroulerdansunendroitplutôtplaisant:l’ambassadedeFranceauMaroc.BrunoJoubert profite d’une ambassade délaissée par un proche du Président, RogerKaroutchi, qui avait préféré le poste de représentant permanent de la Franceauprèsdel’OCDE .PourquoiAliBongon’était-ilpas,apriori , le candidat des services secrets

français?Sansdouteparcequ’ilavaitététenu,pendantdesdécennies,enmargedu palais présidentiel où paradait sa sœur, Pascaline, en lien avec lesmilieuxfrançais du père. Il avait fini par détester ces derniers et les évitaitsoigneusement…Avantsonarrivéeaupouvoir,ils’étaitbâtidesréseauxfidèlesauMaroc, au Rwanda, en Afrique du Sud, et dans les monarchies arabes duGolfe, pas à Paris. Seule concession : l’acquisition du magnifique hôtelparticulierPozzodiBorgo,leplusbeauduquartierdeSaint-Germain,pour100millions d’euros.Mais une acquisition due à la seule initiative de son épousefrançaise,SylviaBongo.

Retoursouhaitédes«grandesoreilles»françaisesàAbidjan

À l’inverse, le président ivoirien Alassane Dramane Ouattara, longtempsboudédanslesmilieuxfrançaisquilebrocardaientcomme«l’agentaméricain»–ilfutdirecteurAfriqueauFMI–,malgrélesréseauxd’influenceàParisdesonépouseDominique, a été chercher la protection des services français en 2017.C’estvraiqu’ilétaitdéjàarrivéaupouvoiren2011grâceàl’amitiédeNicolasSarkozy.«LesrelationsdirectesentreAlassaneOuattaraetNicolasSarkozyontété déterminantes pour faire intervenir l’armée française contre le bunker deLaurentGbagbo»,affirmaitainsil’ambassadeurJean-MarcSimon .Untémoignageincontestable:cediplomate,officierderéserveetbranchéde

touttempsaveclaDGSE,étaitenpremièreligneàAbidjanle11avril2011aumoment de l’assaut contre le président sortant.Une fois au pouvoir,AlassaneOuattara, détenteur d’un excellent réseau aux États-Unis depuis qu’il a été en

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posteàWashingtonpour leFMI, a,dansunpremier temps, surtout flirté avecdes cabinets américains comme Jefferson Waterman International, dirigé parCharles Waterman et Samuel Wyman, fondés par d’anciens de la CIA oud’anciensambassadeursaméricainsàAbidjan,telsqueLannonWalkeretPhillipCarterIII.Enmai2017,desmutineriesàrépétitiondansunearméeconstituéeengrande

partiederebellesquiréclamentleurdîmeébranlentlerégime.Paniqué,AlassaneOuattarasollicitealorsl’Élyséepourobtenirunsoutienenrenseignementauseinde son armée. Paris envoie, entre autres, le lieutenant-colonel FrançoisRoubyauprès de Narcisse Attoh, le directeur du renseignement militaire. Surfinancement de l’Union européenne est également positionné le commissairedivisionnaireVincentAvoine, ex-patron desRGdesHauts-de-Seine, pour uneremiseàplatdu fonctionnementduCNR(Conseilnationalde renseignement),dont le patron est Vassiriki Traoré. Enfin, des éléments des forces spécialesivoiriennesseront formésenFranceetauMarocavant l’ouvertured’uneécoledesforcesspécialesenCôted’Ivoire,àvocationrégionale .Rebranché sur Paris,AlassaneOuattara n’hésite pas à demander à François

Hollande, à l’automne 2016, si les services français ont des éléments sur lavéracité d’une écoute téléphonique qui affole les réseaux sociaux au BurkinaFaso.Ils’agitd’uneconversationtenueen2015entreGuillaumeSoro,ex-chefdesrebellesetprésidentdel’Assembléenationaleivoirienne,etDjibrilBassolé,ancien ministre burkinabé des Affaires étrangères. Au cœur de cetteconversation : la préparation d’un coup d’État au Burkina Faso. Ces deuxpersonnalités ont farouchement nié avoir tenu ces propos et dénoncé unemanipulation. Mais Alassane Ouattara semble vouloir forger ses proprescertitudes. François Hollande lui a dit qu’il allait demander aux services. Laréponsede laDGSEest revenue trèsviteauxoreillesd’AlassaneOuattara,viaHélène Le Gal, la conseillère Afrique de François Hollande. Les proches duprésidentivoirienaffirmentquelaréponse,orale,étaitpositive,maiscommeelleesttoujoursestampillée«Secret-Défense»…Pasdepreuveenmain!Le statut de « président chouchou » auprès de la DGSE pour « services

rendus»n’estpasunegaléjade.Celapeutvoussauverlavie,oudumoinsvouséviterlaprison.Aprèsavoirétéchassédupouvoirparlarue,etauxaboisdansleSuddupays,leprésidentBlaiseCompaoréaétéexfiltré,le31octobre2014,parles forces spéciales françaises vers la Côte d’Ivoire. Vraisemblablement enaccord avec la France, le « Beau Blaise » avait soutenu Charles Taylor au

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Liberia, abrité la rébellion ivoirienne à Ouagadougou et servi de base arrièrefinancière au chef de l’Unita, l’Angolais Jonas Savimbi. Entre autres actionscommunesaveclesservicesfrançaisqu’onneconnaîtpasencore.Ah,si«nosprésidentschouchous»écrivaientleursMémoires,onn’auraitpascinquanteansà attendre le récit de leurs « aventures », archivées bien à l’ombre, boulevardMortier.

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Notes1.Entretienavecl’auteur,Paris,10juin2017.2.Opérationsecrète,conçueetmenéedetellefaçonquelecommanditaireestinconnuouqu’ilpeut

raisonnablementniersonimplication.3.SelonlaCommissionnationaled’enquêtemisesurpiedàlafindesonrégime.4.AntoineGlaser,AfricaFrance,quandlesdirigeantsafricainsdeviennentlesmaîtresdujeu,Paris,

Fayard,2014.5.AntoineGlaser,AfricaFrance,op.cit.6.Jean-MarcGadoullet,MathieuPelloli,Agentsecret,Paris,RobertLaffont,2016.7.Ibid.8.Entretienavecl’auteur,Londres,12décembre2017.9 . À la suite d’une mésentente entre les trois juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke, Claire

ThépautetCharlotteBilger–quiontmisenexamenAnneLauvergeon,ancienneP-DGdugroupe,pour« publication de comptes inexacts et fausses informations » – et le Parquet national financier,l’instruction se poursuit. Le 29 mars 2018, c’est l’ancien directeur des mines d’Areva, Sébastien deMontessus,quiaétémisenexamenpour«corruptiond’agentpublicétranger,corruptionprivéeetabusdeconfiance»àlasuitedeversementsmensuelsauministrenamibienduCommerceetdel’Industrie,devenul’actuelprésidentHageGeingob.10.Entretienavecl’auteur,Paris,5janvier2018.11.AncienmembredelaDGSE,VincentCrouzet,aujourd’huiécrivain,aécritunedizainederomans

sursesaventuresdanslesmaquisdelaguérillaafricaineavantlafindelaguerrefroide.C’estluiquianégociéleretourenFrancedeSaifeeDurbaraveclesservicessecretsfrançais.Unehistoire,cettefois-ciréelle,qu’ilracontedanssondernierouvrage:Uneaffaireatomique,Uramin/Areva,l’hallucinantesagad’unscandaled’État,Paris,RobertLaffont,2017.12.AntoineGlaser,Africafrance,op.cit.13.Jean-YvesOllivier,Nivu,niconnu,Paris,Fayard,2014.14.Le7septembre1987,surletarmacdel’aéroportdeMaputoauMozambique,133soldatsangolais

et une cinquantaine de combattants pour l’indépendance du SWAPO de Namibie sont libérés parl’AfriqueduSud, en échangedu capitaine sud-africainWynandDuToit, capturédeuxansplus tôt enAngolaalorsqu’ilessayaitdesaboteruneinstallationpétrolièredanslecadredel’opérationCabinda.Jean-Yves Ollivier a négocié cet échange de prisonniers avec la libération de deux militants anti-apartheid qui étaient retenus enAfrique duSud : le Français Pierre-AndréAlbertini et leNéerlandaisKlaasdeJong.15.StephenSmith,AntoineGlaser,CesMessieursAfrique,leParis-Villageducontinentnoir,Paris,

Calmann-Lévy,1997.16.AntoineGlaser,Africafrance,op.cit.17.Àl’époque,seullejournalistePhilippeBernardduMondeavaitliél’électiond’AliBongole30

août 2009 au limogeage de Bruno Joubert : « Pur hasard ? La veille du scrutin gabonais, une autrenouvelle significative avait filtré : le départ pour l’ambassade de France auMaroc deBruno Joubert,conseiller de Nicolas Sarkozy, chargé de l’Afrique et figure de proue des “rénovateurs” de laprésidence»,écrivait-ildanslequotidiendu16octobre2009.

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18.AntoineGlaser,AfricaFrance,op.cit.19.LettreduContinentdu8novembre2017.

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CHAPITREII

NoscousinsdesDGSEafricaines

Quand ilvientàParis,ceprocheduprésident ivoirienAlassaneOuattaranemanque jamais l’occasion de franchir les portiques de sécurité du boulevardMortier. Il connaît la boutique. Après avoir passé l’épreuve des rayons X, ildéposeson téléphoneportableà laconsigneavantd’êtreprisenmainpar l’undesfonctionnairesdela«Boîte»chargésdel’accueildesvisiteurs.Cheminantàses côtés, il parcourt à pied la cour intérieure où flotte un drapeau françaisaccroché en haut d’unmât, avant d’entrer dans le pavillon d’honneur. Là, enfonction de son rang hiérarchique et de son degré d’intimité avec l’hôte deslieux,onleconduirasoitverslesalonmeublédedeuxcanapésencuirquelquepeu élimés, soit vers l’escalier qui mène tout droit au bureau du directeurgénéral.Pourcevisiteurivoirien,ceseralesalon.LesiègedelaDGSEn’estpasunpassageobligépourleconseillerd’Alassane

Ouattara,c’est lebutprincipaldesondéplacementàParis.Prochealliéede laFrance, qui maintient plusieurs centaines de soldats sur la base attenante àl’aéroport d’Abidjan, la Côte d’Ivoire est dans le viseur des djihadistes de labande saharo-sahélienne. L’attaque sans précédent qui a fait 19 morts, enmars 2016, sur la plage touristique de Grand-Bassam, à quelques dizaines dekilomètresd’Abidjan,l’aprouvé .Faceàcettemenace,lacoopérationaveclesservicesde«paysfrères»estplusqueprécieuse,elleestvitale.Dèslelendemaindel’attentat,desagentsétrangersétaientàpiedd’œuvresur

leterrain,auxcôtésdeleurshomologueslocaux.Aveclabénédictionduchefdel’Étativoirien:«Ouvrezgrandlesportes,accueilleztousceuxquiveulentnousaider, on a le même adversaire sans visage qu’eux et nous n’avons rien àcacher»,lanceleprésidentOuattaraàsesconseillers,rapportel’und’entreeux. « L’enquête a rapidement progressé avec l’aide des Français,mais aussi desAméricainsetdesMarocains»,poursuitleconseiller.CesdernierssontdeplusenplusactifsenAfriquedel’Ouest.«AprèsGrand-Bassam,Rabataenvoyéunedouzaine d’agents chez nous, ils ont enquêté durant plusieurs semaines »,

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racontenotresource.Pourquoiunetelleimplication?«LeMarocadesintérêtséconomiquescroissantsenCôted’Ivoire,etleroyaumechérifienveutsansdouteanticiper la menace terroriste sur son propre territoire », confie notreinterlocuteur.Leprésidentivoirienestconvaincudelanécessitéderenforcerlacoopération

avec les « services amis », notamment avec lesMarocains, dont la réputationn’est plus à faire sur le continent. « Ils ont beaucoup investi dans les sourceshumaines, souligne encore le conseiller ivoirien. Rappelez-vous : après lesattentatsdeParis,ennovembre2015,cesonteuxqui,lespremiers,ontretracéleparcoursdeSalahAbdeslam.»Delamêmemanière,onlesdittrèsinforméssurl’ÉtatislamiqueauLevant.Etnotreespiondecitercetteboutadequicirculedansla galaxie du renseignement : « Trois mille Marocains sont partis grossir lesrangsdeDaech…dontmillecinqcentsagentsinfiltrés.»Ce jour-là, à Paris, ce conseiller aura cherché à attirer l’attention de son

interlocuteur français, le directeur général de laDGSE, sur ce qu’il appelle la«menacepeule».Depuisdesmois,cettecommunautéd’éleveursnomadesesten effervescence dans le Centre duMali, où des heurts éclatent fréquemmentavec des milices touarègues. D’après les services de renseignement locaux,certainsjeunesdelacommunautépeule,excédés,n’hésiteraientplusàrallierdesgroupes djihadistes. Or, les Peuls sont présents dans de nombreux paysd’Afriquede l’Ouest,dont laCôted’Ivoire.«Jecroisque lemessageestbienpassé,confiel’Ivoirien.Lesservicesoccidentauxonttendanceàsous-estimercedanger.»En retour, le conseiller deOuattara aura été briefé par des responsables du

secteur « N » (le secteur Afrique de la DGSE) sur les dernières évolutionssécuritairesdanslarégiondontdisposela«Boîte»grâceàsesproprescapteurs.Dans le monde du renseignement, il faut partager pour entretenir de bonnesrelations,maisonneseditjamaistout.Mêmeentreservicescousins,onprotègesessources,pouréviterdepossiblesfuites.«CertainsàAbidjansontréticentsàl’idéedecoopéreraussiétroitementaveclesFrançais,auxquelsilsreprochentdecommuniquer juste assez pour obtenir ce dont ils ont besoin de notre côté »,confiecehautresponsableivoirien.Lesmêmesvontjusqu’àdénonceruneformede«néo-colonialisme».Mais,visiblement,leprésidentOuattaran’enacure.LaDGSEtravaillesurtouslessujets,ycomprissurlesplussulfureux,comme

ces rumeurs persistantes sur le haut niveau de corruption qui régnerait ausommetdel’ÉtatàAbidjan.Parexemple,lagestionconsidéréecommeopaque

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de la rente pétrolière. Le genre de dossier qui fâche et qu’on garde pour soi.Encore que… Un ancien responsable de la DGSE affirme que, lors de sesentretiensavec lesdirigeantsde l’ex-précarré françaisenAfrique, iln’hésitaitpas à faire passer certainsmessages. «On explique, en termes choisis, que lePrésidentdevraitêtreplusattentifauxagissementsdesonfils,trèsimpliquédansla gestion desmarchés d’armements . »Unmessage apparemment reçu sansprovoquerdehurlementsd’indignation.«Nousnesommespasdesdiplomates,etnosinterlocuteursnoussaventgrédeleurdirecequenoussavons,deschosesparfoisembarrassantes,avecunecertainefranchise»,assurenotreinterlocuteur.Quantàsavoirs’ilsentiennentcompte,c’estunetoutautreaffaire.LasuspicionmanifestéeparcertainsdanslesalléesdupouvoiràAbidjann’est

pasl’apanagedelaCôted’Ivoire.OnlaretrouveducôtéduNiger,l’undesplusprochesalliésde laFrancedans leSahel.«Uncolonelde l’arméeseplaignaitrécemment devantmoi que les Français ne donnaient pas grand-chose à leursfrèresd’armes,justedugrainàmoudre»,rapporteunobservateurnigérienbieninformé .PourcehautgradédeNiamey,silesFrançaiscoopéraientpleinementenmettant àdisposition toutes les informationsqu’ils recueillentgrâce à leursdronesetàleursmoyensd’interception,certainesattaquesterroristescontrelesforceslocalesauraientmêmepuêtredéjouées.Onneprêtequ’auxriches…

«Onatoujoursbesoind’unpluspetitquesoi»

L’échange s’impose, même s’il apparaît parfois déséquilibré. « Notrerenseignement technique (interceptions, imagerie) intéresse beaucoup nospartenairessurlecontinent,qui,deleurcôté,ontlerenseignementhumain,cetteconnaissance intimede leur terrain,quinousestprécieuse», assureunancienpontedu renseignementmilitaire français.Unautre anciende laDGSEpointetoutefoislerisqued’uneinstrumentalisationàdesfinspolitiques.«Nousdevonsveiller à ce que les pouvoirs locaux ne cherchent pas, à travers nous, à réglerleurscomptesavecleursopposants .»Pournombred’Étatsdelarégion,eneffet,lerenseignementrestesouventune

affaire de politique intérieure. Du Bénin au Tchad, du Congo-Kinshasa ouCongo-Brazzaville,enpassantparleTogoetleGabon,ils’agitsurtoutd’assurerlapérennitédurégimeetdesurveillersesopposants,surplaceetdanslespaysvoisins. À une nuance près : depuis quelques années, sous la pression desgroupes djihadistes, les services des pays sahéliens ont réorienté unepartie de

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leurscapteursauservicedelalutteantiterroriste.Àl’époquedelaguerrefroide,lesdirigeantslocauxsavaientpouvoircompter

surParispourobtenirdesinformationsconcernantleursadversairesexilésdanslacapitale française.Unexempleparmid’autres :celuideLaurentGbagbo, lefuturprésidentdelaCôted’Ivoire,qui,danslesannées1980,s’étaitréfugiéenFrancepouréchapperàlavindictedurégimedeFélixHouphouët-Boigny.Àlademandepressantedu«pèredelanation»ivoirienne,ilétaitsuivideprèsparles services français.LaurentGbagbo avait d’ailleurs si peu confiancepour sasécuritédansl’Hexagoneque,lorsqu’ilfutconvoquéàlafindesannées1980àl’ambassadeivoirienneàParisafindepréparersonretouraupays,l’opposanteninforma le journaliste deLibérationPierreHaski pour parer un éventuel coupfourré.GbagboregagnapeudetempsaprèslaCôted’Ivoiresansencombre.Autretemps,autresmœurs?«Iln’estpasquestiondedemanderàlaDGSE

ouàunautreservicefrançaisdes’occuperdenosopposantspolitiques,clameunproche d’Alassane Ouattara . Déjà que le Président est accusé par nosadversairesd’êtreunemarionnetteauxmainsdeParis,nousnevoulonssurtoutpas nous exposer au risque d’être accusés de perpétuer la Françafrique ! »ÀParisaussi,onassurequecetteépoqueestrévolue.Etpourtant.LejournalistenigérienSeidikAbbaestloindepartagercetavis.Ilseditsûr

d’avoir été espionné, au printemps 2016, par les services français, enl’occurrenceparlaDGSI,pourlecomptedurégimedeNiamey .Àl’encroire,l’entouragedeMahamadouIssoufouauraitfortpeuappréciésesarticlessurunequestiontrèssensibledansunpaysquiaconnudenombreuxcoupsd’État:celledumécontentement de l’armée nigérienne, écartée des décisions prises par lechef de l’État concernant l’implantation sur le territoire national de basesmilitairesfrançaiseetaméricaine.«Ils’agitd’unéchangedebonsprocédés:entrecollègues,onserendservice,

croit savoir ce journaliste nigérien. La surveillance des opposants, ou depersonnes considérées comme telles, n’a pas disparu, elle est simplementdevenue totalement informelle. » Notant qu’aucun démenti officiel n’a étéopposéàL’Expressrelatantsamésaventure ,ilconclut:«N’oublionspasquelechefdel’ÉtatduNigerestunamipersonneldeFrançoisHollande.»ÀNiamey, le Président assume totalement son étroite coopération avec ses

alliésétrangers.«Nosarméesnesontpasenétatd’assurerdemanièreautonomelasécuritédans leSahel,nousdit-il lorsd’unpassageàParis . Jesuissurpris

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qu’onnousdemandedescomptessurlaprésencedecestroupesétrangères,alorsquelesmêmesquinouscritiquenttrouventnormalecelledesAméricainsetdesFrançaisenIrak.»Danslecadredel’opérationBarkhane,laFranceadéployéplusieursdrones

d’observation(achetésauxAméricains)surl’aéroportdeNiamey.Deleurcôté,les Américains ont choisi la principale ville située dans le Centre du Niger,Agadez,pouryimplanterunegigantesquebasemilitaired’oùvontopérerleursdrones chargés de traquer les groupes djihadistes dans toute la zone.Elle leurpermettranotammentd’observerdeprèscequisepasseenLibye,unpaysqu’ilsscrutent particulièrement. Un épisode a fortement marqué les esprits àWashington : la mort de l’ambassadeur Christopher Stevens, tombé dans untraquenardàBenghazi,enseptembre2012.Mais la technologie ne peut pas tout, comme l’a montré la mort de quatre

soldats américains, tués en octobre 2017 lors d’une embuscade à la frontièreentre le Niger et leMali, dans la petite localité de Tongo Tongo, alors qu’ilspistaientunchefdjihadistelocal .«MêmelesAméricainsnesesuffisentpasàeux-mêmes, souligne le président du Niger, Mahamadou Issoufou. Dans lerenseignementhumain,onatoujoursbesoind’unpluspetitquesoi.»Cepluspetit, il faut lecajoler,enprendresoin.Selonunanciencadrede la

«Boîte»passéauprivé, laDGSEfournit ainsi aux servicesamis«desnotesd’analyse et du renseignement opérationnel ». Mais aussi du matériel,notamment pour les interceptions, qui suppose l’envoi depersonnels sur placepour assurer son bon fonctionnement. « Nous avons l’interdiction formelled’évoquer ce sujet », confie un haut cadre de Thales, contacté par nos soins.Outre les considérationspurement commerciales, ce dossier est en effet classé«ConfidentielDéfense».Ils’agitdenepasrévélerl’étenduedelacoopérationentre services amis, et peut-être aussi d’éviter des fuites intempestives surl’existence de possibles « mouchards » placés par le fournisseur au cœur dusystèmevenduàsesclientsétrangers.Autrementdit,desmicrosetdeslogicielsmalveillants permettant d’espionner directement à la source…Un sujet taboudont l’existence est confirmée, à rebours, par cet ancien directeur de la« Piscine » (autre surnom donné à la DGSE, en raison de sa proximitégéographiqueavec lapiscinedesTourellesàParis),quiconfie«avoiravertiàplusieursreprisesdesrisquesencourusparcertainsdenosalliés»quisongeaientàéquiperleursservicesderenseignementavecdumatérielchinois .Preuve de l’importance du volet coopération entre la DGSE et les services

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amis,la«Boîte»saitsemontrertrèsdisponiblequandils’agitdesoutenirceuxqui en font la demande. Ainsi, auMali, au lendemain de son élection à l’été2013, le président Ibrahim Boubacar Keïta (dit IBK) demande à la Franced’aidersonpaysàsedoterd’unservicederenseignementperformant.Parisluipropose alors un plan ambitieux de formation et d’équipement. Tellementcompletque,d’aprèsunesourcebieninformée,certainsàBamakos’inquiètent:cettefuturestructuremontéeavecl’aideactivedesFrançaisneva-t-ellepasêtretotalementphagocytéepar laDGSE?«Ona révisénotreproposition, revu leplanning pour rassurer nos interlocuteurs mais, au final, on a abouti à ce quiavaitétéprésentéinitialement»,racontecettesource,avecunsourireentendu .

Partiedepokermenteurentreamis

MaisretrouvonsnotrehautresponsableivoirienquiaétéreçuausiègedelaDGSE, boulevard Mortier. Le voilà de retour à Abidjan, sur les bords de lalaguneÉbrié.IlvaimmédiatementrendrecomptedesesentretiensenFranceaupréfet Vassiriki Traoré, coordonnateur des services de renseignement à laprésidence ivoirienne,dont le référentn’estautrequeTénéBirahimaOuattara,plus connu localement sous le nomde « Photocopie » tant il ressemble à sonprésident de frère. Mais à sa descente de l’avion d’Air France sur l’aéroportinternationalHouphouët-Boigny,notreconseillerauraittoutaussibienpubrieferdirectement le chef de l’État tant les deux hommes se connaissent bien. LePrésidentconsidèrecommesonfilscebrillantconseillernéauseindel’unedesgrandes familles duNord de la Côte d’Ivoire, soutien de toujours d’AlassaneOuattara.Cequadragénaireaeneffetgrandiauxcôtésdudirigeantivoirien,ill’asuivi

dans la clandestinité après le coup d’État raté contre Laurent Gbagbo enseptembre 2002 ; il a connu auprès de lui et de son épouse, Dominique, leslonguessemainesd’enfermementàl’hôtelduGolfeaprèsl’électioncontestéedelafin2010.Etilétaitàsescôtés,aussi,lorsdudénouementfinal,enavril2011,quandl’arméefrançaiseapermisdedélogerLaurentGbagbo(expédiépeuaprèsdans lesgeôlesde laCourpénale internationaledeLaHaye,auxPays-Bas). Ilétait làlorsdel’intronisationengrandepompedunouveauprésident,quelquessemaines plus tard, àYamoussoukro.Ces liens forgés au fil des années et desépreuves sont le ciment d’une symbiose parfaite entre eux. Et sans doute lecritèreprincipalquiaprévalulorsqu’ilafalluchoisirdeshommesdeconfiance

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pourréorganiserdesservicesderenseignement.Danscedomaine,laCôted’Ivoiren’arieninventé.Surlecontinent,cesontle

plussouventdesparentsoudespersonnalitésdupremiercerclequi«gèrent»lesservices. Des personnages clés du pouvoir avec lesquels la DGSE veille àentretenir les meilleures relations possibles. Car quand l’ambiance deviendrafraîche,voireglaciale,surleplanpolitique,seuleleurporteresteraentrouverte.LeGabond’AliBongoetleCongodeDenisSassou-Nguesso,notamment,fontpartie de ce qu’un ancien hiérarque du Quai d’Orsay appelle le « domaineréservédel’Élysée…etdelaDGSE ».AuGabon,la«Boîte»traitenotammentavecFrédéricBongo,ledemi-frère

duprésidentAliBongo.«Unetêtebrûlée»,selonunhautresponsablefrançaisdu renseignement, qui précise : « Il est un peu impulsif,mais nous avons debonnesrelationsavecluietonsaitqu’onpeutcomptersurlui.»ForméàSaint-Cyr,titulaired’unemaîtrisedesociologie,grandfanduPSGetadeptedessportsde combat, Frédéric Bongo est le directeur général des services spéciaux auGabon. Un poste clé, alors que le pays est profondément divisé depuis laprésidentielleviolemmentcontestéed’août2016entrelespartisansduprésidentAliBongoetceuxdesonadversaire,JeanPing.Parisad’autantplusbesoindeFrédéricBongoquel’anciennepuissancecolonialeaperdueninfluenceauseinduPalaisduborddemer.Aprèssonaccessioncontestéeaupouvoir,àl’été2009,AliBongoaentrepris

dediversifiersespartenairesenmatièredesécurité.AutrefoisverrouilléeparlesFrançais, lagardeprésidentiellegabonaiseestencadréepardesMarocains,desIsraéliens,maisaussidesSud-Coréens.Commedansnombredepaysdel’ex-précarré français enAfrique, ce sont des anciens duMossad qui gèrent le centrechargé des interceptions, baptisé le Silam, en lieu et place des agents de laDGSE . Les traditions se perdent. Pas tout à fait, cependant, puisqu’unemystérieuse correspondante des services français se rend quasiment chaquesemaineaupalaisprésidentieldeLibreville,pouréchangeravecseshomologuesdesserviceslocaux.En bon espion qui se respecte, la « tête brûlée » Frédéric Bongo joue sur

plusieurstableaux:s’ilentretientdebonscontactsaveclaDGSE,sacomplicitéamicale avec « Monsieur Alexandre », alias Alexandre Djouhri , est bienconnue.Le« saint-cyrien»aégalementnouédes liensavecunnouveauvenusurlascèneafricaine,BernardSquarcini,l’ancienpatrondelaDGSI,dontlefilsatrouvéunpointdechutelucratifauGabondanslagestiondesparcsnaturels

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pour lutter contre le braconnage des éléphants.Mais, comme le confie un ex-chefdurenseignementfrançais,«au-delàdeFrédéricBongo,noustraitonsavecdes responsablesmoinsvisibles,mais tout aussi bien informés ».On l’auracompris:danscejeudepokermenteur,chacunaplusieursatoutscachésdanssamanche.Depuis qu’il est revenu au pouvoir à Brazzaville en 1997 pour ne plus le

lâcher, Denis Sassou-Nguesso veille lui aussi à entretenir de bonnes relationsavec Paris. Il sait ce qu’il doit aux réseaux chiraquiens qui œuvrèrent avecsuccèsàsarésurrectionàl’issued’unecourtemaissanglanteguerrecivilecontreles partisans de son prédécesseur et rival, Pascal Lissouba. À l’instar d’IdrissDéby, Sassou s’emploie à ménager les susceptibilités de Paris, en particulierdans les rangsdesmilitaires et au seinde laDGSE. Il sait rendre service, parexemple en s’impliquant dans des conflits où la France a besoin de soutienslocaux–commeenCentrafrique–oudanslamobilisationdeParisenfaveurdela lutte contre le dérèglement climatique. Tout en demeurant sur ses gardes :« Sassou nous a récemment accusés de comploter contre lui en vue de lerenverser », confie ainsi une source bien informée à Paris (comme nous leverronsauchapitreIV).Unhommeavertienvautdeux.Bienplacéàsescôtés,àBrazzaville,l’hommedeconfiancedesFrançaisest

connusous lediminutifde«Jean-Do». Il s’agitdeJean-DominiqueOkemba.Visiteur assidu de ClaudeGuéant, secrétaire général de l’Élysée sous NicolasSarkozy,qui l’adécoréde laLégiond’honneur,«Jean-Do»est resté l’undeschouchous du Boulevard Mortier sous François Hollande. L’homme est nonseulement le réceptacle de toutes les informations confidentielles du régime,maisaussi–dit-on–leporteurdesmalletteset,surtout,le«féticheur»duclan,celui qui est relation spirituelle avec les aînés disparus (disparus,mais jamaisbien loin, et qu’il faut savoir ménager pour ne pas risquer de s’attirer leursfoudres). À Paris, Okemba est considéré comme le véritable numéro deux durégime,unsuccesseurpotentieldeSassou,maisdétestéparlesautresneveuxduPrésident.GageonsqueleBoulevardMortiern’apastoutmisésurJean-Do,enprenant bien soin de nouer des relations étroites avec d’autres dauphinsputatifs…

L’axeParis-Ouagadougou-Abidjan

Au-delàdetouteslesavancéestechnologiques,lerenseignementreste,encore

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ettoujours,uneaffairedepersonnes.LecasduBurkinaFasoestemblématiqueàcet égard. Sous le règne de l’ancien présidentBlaiseCompaoré, au pouvoir àOuagadougou de 1987 jusqu’à sa chute en octobre 2014, la France – etsingulièrementlaDGSE–aconnuunepériodefaste.Legalonnéétait toujoursprêt à rendre service, et ce, jusqu’à sa fuite sous la pression de la rue. Sonindéfectible loyauté envers Paris a-t-elle été scellée dans le sang lors del’assassinat,en1987,desonanciencompagnonderouteThomasSankara,avecle silence complice de l’ex-puissance coloniale ? Lors de sa visite àOuagadougou, en novembre 2017, le présidentMacron a promis d’ouvrir lesarchives françaises à ce sujet pour tordre le cou à tous les fantasmes.Mais laDGSEpasserasansdouteparlàlapremière…Àlafindesannées2000,alorsquelamenacedjihadisteprenddel’ampleur

dansleSaheletquelesprisesd’otagesoccidentauxsemultiplient,laFrancesemetenquêted’unlieudiscretpouryinstallerundétachementdeforcesspécialescapablederéagirauplusviteencasd’attaqueoud’enlèvementdanslarégion.C’est l’opération Sabre , restée secrète durant de longs mois avant que sonexistencenefinisseparfuiterdanslapresse.«LaMauritanieétaitunpeutropexcentrée ; avec leNiger nous avionsdes relations endents de scie, et c’étaitencorebienpluscompliquéavecleMali,trèsméfiant,raconteunhautgradé,aucœur de ce dossier à l’époque . Très vite, le Burkina Faso nous est apparucomme le pays idéal. Nous avions une excellente relation avec le présidentCompaoré,etsurtoutavecsonchefd’état-major,GilbertDiendéré.Celui-cinousatrouvél’endroitquenousrecherchions.»Ceseral’aéroportdeOuagadougou,dansunezonesituéeàl’abridesregards.Ah! si laFrancen’avaitpuavoirquedesGilbertDiendérédansson jeuen

Afrique…Aujourd’hui sous les verrous àOuagadougou, accusé d’avoir voulurenverser en 2015 le nouveau pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré, cemilitaire charismatique fut sans doute l’homme lemieux informédu«Faso »pendant près de trente ans. Il était tout à la fois le chef de l’armée, celui desforces de sécurité et des services de renseignement. « Si trois pick-up Toyotasuspectsvenaientàpasserquelquepartdansunezonereculéedupays,unbergerprévenaitaussitôtlechefduvillage,quiappelaitlechefdecanton,ettoutcelafinissaitsurleportabledeDiendéré.Ilfaisaittout!»,sesouvientavecnostalgiel’ancien ambassadeur en poste dans la capitale, le général Emmanuel Beth,décédédepuis .Diendéré – encore un ancien saint-cyrien, décoré de la Légion d’honneur à

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Parisen2008–estrestétrèsprochedesmilitairesfrançais.Orc’estbienluiqui« tenait » le pays. Calme, méthodique, il surveillait notamment de près lesmilieux salafistes locaux, ménagés par le président Compaoré. « Dans lesmosquéesàOuaga,Diendéréavaitplacédesgendarmesencivilpoursavoircequi s’y disait », confie une source bien informée. Avec lui, les Français semontraientsereins.«Dans lanuit, sesouvenait l’ambassadeurBeth, ilpouvaitnousappelerpournousdire:“OnarepéréunejeuneFrançaisequicirculedansunezonedangereuse,àlafrontièreavecleMali,jevouslarécupère?”»Maiscetteosmoseavaitdeslimites,carleduoDiendéré-Compaoréatoujours

protégésafacecachée.Le«BeauBlaise»estainsisoupçonnéd’êtreimpliquédanslessanglantesguerrescivilesquiontdéchirélaSierraLeoneetleLiberia,dans les années 1990, pour détourner à son profit une partie de la productionlocaledediamants.«BlaiseCompaorénenousdisaitpastout, ilnedemandaitpasnotreautorisationpourmenertelleoutelleopérationqu’iljugeaitutilepourluiousonpays,expliqueunanciendusecteur“N”àlaDGSE .Cen’estpasParis qui l’a incité à soutenir la rébellion sanglante en Sierra Leone. » Endécembre2017,EmmanuelBethajoutaitpoursapart:«Diendéréétaitunbonami, mais il ne me disait pas le quart de la moitié de ce qu’il savait. Ilcloisonnait,toutcommeBlaiseCompaoré.»Audébutdesannées2000,danslamêmeveine,Parisassureêtrepasséàcôté

desrebellesivoiriensquiclamaientpourtantdanslesboîtesdenuitdelacapitaleburkinabéqu’ilsallaientchasserdupouvoirLaurentGbagbo«l’usurpateur»etdanseraientbientôtdanslesclubsd’Abidjan.OriginairesduNordetvictimesdepurges à répétition au sein de l’armée ivoirienne, ces anciens sous-officiersvoulaient installer au palais présidentiel leur champion, Alassane Ouattara.Installés à demeure à Ouagadougou, ils s’entraînaient activement et ne s’encachaientpas.Enseptembre2002,ilspassentàl’attaque,maismanquentdepeuleur objectif : ils sont repoussés de justesse par les forces de sécurité restéesloyalesàGbagboàAbidjan.Contenusensuiteparl’arméefrançaisedéployéesurplace, ils se replient dans la moitié septentrionale de la Côte d’Ivoire qu’ilscontrôlerontjusqu’àlarésolutiondelacrise…neufansplustard,auprintemps2011 .Que savait au juste la DGSE de ce projet de coup d’État contre Gbagbo ?

L’armée françaisea-t-ellebloqué,dansunsecond temps,des rebellesauxquelslesservicesderenseignementauraientdélivréun«feuorange»enfermantlesyeuxetensebouchantlesoreilles?«Ilestpossiblequ’onn’aitrienvuvenir,ou

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que la menace n’ait pas été prise au sérieux », répond prudemment l’ancienagentdusecteur«N»alorsenposte. Interrogé récemment lorsd’une réuniond’experts à huis clos, l’un des anciens chefs de l’armée à l’époque ne dit pasautre chose : « Les services de renseignement, parce que c’est leur fonction,parcequ’ilsneveulentpasêtreprisendéfaut,crientaulouptouteslessemaines,touslesquinzejours,touslesmois.Quandj’étaisenfonction,jenemesouvienspasd’unesemainesansqu’ilyaituncrid’alertetrèsfortquelquepart.Etquandon crie au loup toute la journée, il se produit ce qui se passe dans la fable :personnen’ycroit…Onn’ycroyaitplus.»Près d’une décennie plus tard, la DGSE reçoit l’ordre d’aider par tous les

moyensAlassaneOuattara,déclarévainqueurparl’ONUetl’Unionafricainedelaprésidentiellede la fin2010enCôted’Ivoire faceàunLaurentGbagboquirejetteleverdictdesurnes.Commeleracontel’historienJean-ChristopheNotin,l’agenceaidenotammentleprésidentéluàsedoterd’unéquipementaudiovisuelluipermettantderiposteràlapropagandediffuséeàlongueurdejournéeparunetélévisionofficielleauxordresdeGbagbo .Lematérielestacheminé,dansleplus grand secret, par laDGSE depuis leBurkina Faso voisin, via la ville deBouaké, jusqu’àAbidjan.À l’issue de cinqmois de crise violente, et dans undernier soubresaut sanglant, Gbagbo doit s’incliner. Au bout du compte, le«BeauBlaise»,quiasoutenulestroupesrebellesdeGuillaumeSoro,équipéesetentraînéesauBurkinaFaso–sansdouteaveclacomplicitéactivedeParis–,estparvenuàsesfins.On comprend mieux pourquoi, en octobre 2014, quand il doit fuir en

catastrophesonpays,BlaiseCompaoréprendladirectiondelaCôted’Ivoire–àbordd’unhélicoptèredesforcesspécialesfrançaises–,oùilvitdepuisdansunevillacossue,souslaprotectionduprésidentivoirienAlassaneOuattara.Poursesbonsetloyauxservices,lemaîtredeslieuxluiaoctroyélanationalitéivoirienne,afindetenterdelemettreàl’abridespoursuitesjudiciaires.DepuisledépartenexilenCôted’IvoiredeBlaiseCompaoré,suiviquelques

mois plus tard par l’arrestation de Gilbert Diendéré, le Burkina Faso a étévictimedeplusieursattaquesterroristes,dontladernièreendate,enmars2018,avisél’état-majordesarméesetl’ambassadedeFrance,faisantunetrentainedevictimes.Certainsobservateurs,notammentàParis,ontrapidementfait le lien.Heureusementpour l’ex-puissancecoloniale, lenouveaupouvoirn’apas remisen question l’étroite coopération sécuritaire entre les deux pays. Les forcesspéciales, qui traquent les djihadistes dans l’immensité désertique du Sahel,

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stationnenttoujourssurl’aéroportdeOuagadougou.« Le président Kaboré nous a demandé notre aide », se console-t-on

Boulevard Mortier, après la mise hors jeu du duo Compaoré-Diendéré. Ennovembredernier, le chefdu toutnouveauConseil nationaldu renseignement,qui supervise la DGSE locale, l’Agence nationale de renseignement, FrançoisOuedraogo, a tenuàparticiper auForumpour lapaixet la sécuritéorganiséàDakar, en étroite coopération avec Paris. Les présidents passent, les espionsrestent.

Paris,aiguillondelacoopérationSud-Sud

Tout en conservant jalousement leurs petits secrets, les partenaires de laFrance sur le continent ont parfois du mal à se débarrasser de leurs vieuxréflexes,mâtinésdeméfiancevis-à-visdeleursvoisinsetd’unetendancelourdeàsetournerversParisencasdeproblème.Sousconditiond’anonymat,cetancienhautresponsabledurenseignementau

Sénégal confie:«DurantlescinqannéesoùjesuisrestéenfonctionauxcôtésduPrésident,jen’aipaseuunseulappeldemeshomologuesdelarégion,jeneles connaissaismême pas physiquement. […] En cas de soucimajeur, tout lemondes’adressaitàlaFrance.»Désormaisàlaretraite,ilexpliqueavoiressayéde développer la « coopération Sud-Sud » enmatière de renseignement, sansgrand résultat.« J’aimêmefaitquelquesappelsdupiedà l’AfriqueduSud»,dit-il.Enattendantquelesmursdeméfiances’effondrentausuddelaMéditerranée,

Paris tente de jouer les aiguillons pour renforcer la coopération enmatière derenseignement dans la région. Cette posture s’explique aussi par le souci deréduire lecoûtbudgétairedesaprésencemilitaireenAfrique.Dès2007-2008,raconteunesource française trèsau faitdudossier, laFrancemetenœuvre le« Plan Sahel » : au titre de la formation, elle implante très discrètement despetitesunitésduCommandementdesforcesspécialesenMauritanie(àAtar),auNiger(Niamey),auTchad(Ndjamena)etauMali(MoptiSévaré,dansleCentredu pays). Ironie de l’histoire, en butte à la méfiance persistante des forceslocales, leCOS (Commandementdesopérations spéciales) finiraparquitter leMali en 2011… pour mieux y revenir en force, début 2013, avec l’opérationServallancéecontrelesgroupesdjihadisteslocaux.

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À la faveur de Serval , la Direction du renseignement militaire (DRM)s’emploieàfavoriserlerapprochementdeseshomologuesdanslescinqpaysdelarégionrassemblésauseindu«G5Sahel»:Mauritanie,Mali,BurkinaFaso,NigeretTchad.Àsademande,leSénégalestégalementassociéàladémarche.Organisée à Paris en 2014, une première rencontre donne lieu à une batailled’ego : « Le Tchadien, un général rattaché directement au président Déby,prenaitlesautresdehaut,desimplescolonels,etvoulaitêtrelogédansunesuited’hôtelàParis»,raconteunresponsabledelaDRM .Pourromprelaglace,lesFrançaislancentuneopérationséduction:«Onacommuniquéauxparticipantsdesimagessatellites,faitunpointdesituationrégional.»Resteaux« locaux»àprendre la suiteetà s’approprier lenouveloutil.Ce

n’estpasgagné.Censéeavoir lieu tous lessixmois, la réuniondu«G5Sahelrenseignement » sera organisée irrégulièrement chez les uns et chez les autresparlasuite,essentiellementpourdesraisonsdelogistique.Desoncôté,laDRMcontinueàalimenterlamachineenorganisantàParisdesstagesdeformationdequinzejoursàtroissemainespoursespartenairesafricains,oùlesparticipantssefamiliarisentavecl’analysedesphotossatellites,dessonsinterceptés.Maiscetinvestissement n’est pas gagnant à tous les coups : « Parfois, le gars qu’on aformédisparaîtdujouraulendemain:ilaétémutéouilestpartidansleprivé»,notenotresource,dissimulantmalsafrustration.UnanciencadredelaDGSE,aujourd’huidansleprivé,semontrequantàlui

beaucoup plus sévère : « Cela fait plus de cinquante ans qu’on fait de laformation militaire sur le continent, et pour quel résultat ? En 2012, l’arméemalienne s’est effondrée en quelques semaines…»Et aujourd’hui ? Faute demoyens,certainesunitésàBamakos’entraînentsansmunitions,sanscarburantetsontaccuséesparl’ONUd’exactionscontrelescivils.Alorsquelamenaceterroristeresteàunniveautrèsélevédanstoutelarégion,

Paris continue à consolider ses positions, notamment au Sénégal, l’un desmeilleursalliésdesFrançais,oùlacoopérationsécuritairemiseenplacedès lelendemainde l’indépendancenes’est jamaisdémentie.C’estunFrançais,JeanCollin,quia«monté»laDGSElocale,àl’imagedesacousinefrançaise.«Lesinstitutions sénégalaises ont été édifiées en miroir des nôtres (DGSE, police,gendarmerie,etc.),indiqueunesourcediplomatiqueàDakar .Ici,nousavonsdesinterlocuteursbienformésetfiables,quifontleboulotaulieudesurveillerles opposants.Dans cet État qui ignore lesmutineries et les coups d’État, lesforces de sécurité disposent de capacités pour cibler les activités terroristes et

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criminelles.»Un ancien du renseignement sénégalais confirme : «Nous travaillonsmain

dans la main avec les Français. Ils n’ont pas besoin de nous espionner. »D’autant qu’ils disposent toujours des capacités techniques dont les serviceslocaux ont un besoin crucial et se montrent prêts à les partager, jusqu’à uncertainpoint.Fin2017,lorsduForumpourlapaixetlasécuritéàDakar,lechefde la diplomatie Jean-Yves Le Drian a ainsi annoncé la création d’un centrerégional de formation à la cybersécurité. Une façon de remercier l’alliésénégalaisenconsolidantsonstatutde«hub»sécuritairedanslarégion.« Certes, les Français sont moins nombreux sur le terrain, note ce général

sénégalais.Maisilsontdesconseillersbienplacésauseindenosforcesarmées,desunitésdelapoliceetdelagendarmerie,etdesdouanes.»Etilajoute:«Ilsontdesrenseignementsdepremièremain…D’ailleurs,ilssontsouventinformésavantnoussurcequisepassedansnotreproprepays.»Toutchangerpourque riennechange?En lieuetplaced’uneFrançafrique

d’un autre âge, Paris cherche à préserver ses acquis enAfrique de l’Ouest enmatière de renseignement par d’autres moyens, plus discrets, mais pas moinsefficaces. L’intervention militaire déclenchée dans l’urgence au Mali, début2013, a montré combien il était nécessaire de garder un œil attentif sur cettezone,grâcenotammentàdesalliéslocaux,telslesTouareg.

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Notes1 . En mars 2018, les autorités ivoiriennes ont indiqué, sans donner plus de précisions, que le

commanditairedecetattentatavaitétéarrêtéetseraitdétenuauMali,d’oùprovenaientlesterroristes.2.Entretienavecl’auteur,Paris,16avril2017.3.Entretienavecl’auteur,Paris,23mars2018.4.Entretienavecl’auteur,Paris,15septembre2017.5.Entretienavecl’auteur,Paris,7juillet2017.6.Entretienavecl’auteur,Paris,16avril2017.7.Entretienavecl’auteur,Paris,15septembre2017.8 .VincentHugeux, « SeidikAbba : “Je suis surveillé par les services français pour le compte du

Niger”»,L’Express,15avril2016.9.Entretienavecl’auteur,Paris,14décembre2017.10 .RukminiCallimachi,HeleneCooper, Eric Schmitt,AlanBlinder, ThomasGibbons-Neff, «An

endlesswar:WhyfourUSsoldiersdiedinaremoteafricandesert»,NewYorkTimes,18février2018.11.Entretienavecl’auteur,Paris,15septembre2017.12.Entretienavecl’auteur,Paris,23mars2018.13.Ibid.14.Entretienavecl’auteur,7juin2017.

15.LaLettreduContinent,n 729,mai2016.16.SimonPiel,JoanTilouine,«Lesréseauxafricainsde“MonsieurAlexandre”Djouhri»,LeMonde

,10janvier2018.17.Entretienavecl’auteur,Paris,23mars2018.18.Entretienavecl’auteur,Paris,15septembre2017.19.Entretienavecl’auteur,11décembre2017.LegénéralBethestbrutalementdécédéenavril2018.20.Entretienavecl’auteur,29septembre2017.21.ThomasHofnung,LaCriseivoirienne,Paris,LaDécouverte,2011.22.Jean-ChristopheNotin,LeCrocodileetleScorpion,Paris,Tallandier,2014.23.Entretienaveclesauteurs,Dakar,15novembre2017.24.Ibid.25.Entretienavecl’auteur,16novembre2017.

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CHAPITREIII

Nosamislesrebellestouareg

«Allô,commentvas-tu?–Bien,maisjenepeuxpasteparler,là…–Pourquoi,qu’est-cequisepasse?–Rien,toutvabien,maisceuxquim’ontpassécetéléphonem’ontditqu’il

nefallaitplusquejeteparle…»À la mi-2012, alors que la crise s’aggrave dangereusement au Mali, le

messagedel’undesprincipauxchefsdeguerretouaregduNorddupaysestreçucinqsurcinqparcetexpertfrançaisquiavaitprisl’habitudedelejoindrepoursavoircequisetramaitdanslessablesdudésertsahélien.Lecontactserarompuentrelesdeuxhommespendantdelongsmois.Avant le tempsdes soldats et de l’interventionmilitaire, ce sont les espions

quisontlesroisduterrain.AuMalicommedanslesautresthéâtresdecrise.LaFrance n’a pas attendu janvier 2013, et le déclenchement dans l’urgence del’opérationServalauMaliparleprésidentFrançoisHollande,pouravancersespionsdansleSahel.C’estmêmel’unedesraisonsd’êtred’unservicecommelaDGSE:anticiperlescrises,collecterl’informationetêtreprêt,le«jourJ»,àlafournir au gouvernement chargé de faire face à la tempête et de prendre lesdécisions«quis’imposent».Au tournant des années 2000, sous la pression de l’armée d’Alger, certains

groupes duGIA (appelés des « katibas », ou brigades) ont reflué du territoirealgérienpourtrouverrefugedansleNordduMali,oùilsontétabliunnouveausanctuaire. Pour se financer, les djihadistes se livrent au rapt d’Occidentaux,principalement auNiger et auMali. La sécurisation du rallye Paris-Dakar quitraverselazonedevientalorsunvraicasse-têtepourlesservicesfrançais,etunepriorité.Peuàpeu,laDGSErenforceseséquipessurplace:«Dèscetteépoque,nos services sont trèsbien informés sur cequi sepassedans labande saharo-

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sahélienne,soulignel’ex-diplomateLaurentBigot(écartédesonposteen2013parLaurentFabius).Lasituationdanscettezonedonnelieuàuneproductionderenseignementdebonniveau.LaDGSEmetbeaucoupdemoyens:enquelquesannées,touslespostesdanslarégionsontdoublés .»C’est à cette même époque que laMauritanie voisine devient une cible de

choix : quatre touristes français y sont tués par un commando le24 décembre 2007. Quelques jours plus tard, pour la première fois de sonhistoire,lerallyeParis-Dakarestannulé.Lesservicesfrançaisontprésentéauxorganisateursuneinterceptionfaisantétatdemenacessérieusesd’attentatvisantlacourse.«LeSahelestalorsdevenuuneprioritépournosservices,expliqueunofficier

supérieurde l’état-majoràParis.Avant l’opérationServal(lancéedébut2013),celafaisaitdesannéesquelaDGSEsurveillaituntelouuntel.La“Boîte”pouvaitquasiment savoir en temps réel quand le gars était enrhumé, ou de mauvaisehumeur . » Selon l’historien Jean-ChristopheNotin, spécialiste des questionsmilitairesetderenseignement,laDGSEs’emploie,dèscetteépoque,àtraqueretà « neutraliser » sur place les djihadistes . Et, pour ce faire, elle n’a pasforcémentbesoind’envoyersesagentssurleterrain.

Parisetlevieuxrêved’indépendancedesTouareg

Pourtenterd’enrayerlamenacequicroîtdanslabandesaharo-sahélienne,ilyacertes lesmissionsclandestineseffectuéesdirectementpar leshommeset lesfemmesdu serviceActionde la«Piscine».Mais il y a aussi les alliésqu’onpeut seménagerdirectement surplace, les«proxy».Desproxy trèsprécieuxquand il s’agit de surveiller et d’agir en zone difficile d’accès, où il estcompliqué de se fondre dans le paysage. « Quand le gouvernement nousdemandedenepasresterinertesfaceàunecrisesansqu’onpuissedéployerdetroupes,onchercheunesolutiondemoindremal»,confielemêmehautgradédel’état-majorfrançais.EtdansleNordduMali,fin2011,quelquesmoisavantle début de l’opération Serval , la solution qui se dégage porte un nom :le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad). Aux yeux delaDGSE, laFrancepeuts’appuyersurcemouvementséparatiste touaregpourtenterd’affaiblirlesgroupesdjihadistesquimontentenpuissancedanslazone.Le MNLA, ou l’éternel retour des mouvements rebelles touareg dans la

région:tantôtautonomistes,tantôtindépendantistes,toujoursenconflitavecle

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pouvoir lointain et jugé oppresseur de Bamako. Avant même l’indépendanceproclamée en 1960, les « hommes bleus » du Mali se sont tournés vers lapuissancecoloniale françaisepour revendiquerun territoire indépendant.Peineperdue, le général de Gaulle ne voulut pas en entendre parler, et les Touareglocauxfurent intégrésauseindesnouveauxÉtatsquiémergèrentalorsdans larégion(Mali,Niger,Algérie).Mais le vieux rêve d’indépendance est demeuré bien vivace parmi les

Touareg.IlsetraduitpardesvaguessuccessivesderébellionsarméesauMalietauNigerdanslesannées1960,1980,1990etjusqu’en2011-2012.Etàchaquevague,sonaccorddepaix,parrainétantôtparl’Algérie,quiconsidèrecettezonecomme son arrière-cour, tantôt par laLibye deMouammarKadhafi, le défuntcolonel qui se rêvait roi d’Afrique.Le tout avec, dans la coulisse, laprésencediscrètedesservicesfrançais,trèsbiencâblésauprèsdesTouareg.Dans les années 1990, la DGSE suit ainsi à la trace l’homme qui va

populariserlacauseromantiquedes«hommesbleus»dudésertàParis,ManoDayak.IssudelatribudesIfoghas,répartieentreleMalietleNiger,cethommecharismatiqueestprochedesFrançais.AncienétudiantenanthropologieàParis,ilafondéuneagencedevoyagesauNigerdanslesannées1980,s’estimpliquédans l’organisationduParis-DakarauxcôtésdesonamiThierrySabine,avantde prendre les armes contre le pouvoir deNiamey au début des années 1990.Mais il décède brutalement, en 1995, dans le crash de l’avion affrété par unancienjournalistedeParisMatchetdeVSD , trèsprochedesservices,HubertLassier.Lathèsedel’accidentestprivilégiée.À cette époque, et jusqu’à aujourd’hui, certains leaders touareg et leurs

famillesséjournentsouventàParis.«Commecela, lesservices lesontsous lamain»,décrypteunbonconnaisseurdelagalaxiedes«hommesbleus» .Dansses Mémoires, l’ancien patron de la DGSE Claude Silberzahn évoque lalivraisondematériel de communication aux rebelles touaregdes années1990,officiellementpourfavoriserlesdiscussionsentrelespartiesauconflitetaideràlarésolutiondelacrise.Dans la bande saharo-sahélienne, le désir d’indépendance, alimenté par de

vieuxcontentieuxhistoriquesentrepeuplesberbérophonesetpopulationsnoiresdu Sud et par une pauvreté structurelle, ne s’éteint jamais. À la fin desannées 2000, ce sont les Touareg du Niger, rassemblés au sein du MNJ(MouvementdesNigérienspourlajustice),quiprennentlesarmes,occasionnantde nouvelles tensions avec Paris. Le gouvernement nigérien se méfie de

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l’attitudequ’iljugeambivalentedel’anciennepuissancecolonialevis-à-visdesTouareg.Defait,silaFranceofficiellesoutientbienlesrégimesenplacedanslarégion, donc celui de Niamey, ses services, eux, ont pour mission d’être encontactaveclesTouareg.Poursavoircequ’ilstrament…Maispasseulement.LaFranceveille jalousementsurses intérêts stratégiquesaucœurdudésert.

Depuis la fin des années 1960, la Cogema (rebaptisée par la suite Areva)exploitedesminesd’uraniumaumilieududésertdansleNordduNiger,àArlit.Ceminerai,surnomméleyellowcake(enraisondesacouleuraprèsunpremiertraitement sur place), alimente jusqu’àun tiers des centrales nucléaires d’EDFdans l’Hexagone, et les ogives de la force de dissuasion. « Les meilleursconnaisseurs de la zone et les mieux armés pour la surveiller, ce sont lesTouareg,pointe le journalistenigérienSeidikAbba.Si lemineraiétaitexploitéparexempleàDiffa(ausud,àlafrontièreavecleNigeria),toutauraitsansdouteététrèsdifférentpourlesTouareg .»Ainsi,lorsqueleMNJprendlesarmesen2007,lerégimedeMamadouTandja

voitrouge:certainsgardesdesécuritétouaregdesminesd’Arlitsontpassésàlarébellionaveclacaisselocaled’Areva,etNiameysuspecteuneformedesoutiendéguisédeParisauMNJ.DominiquePin,unanciendiplomateconsidérécommeprochedesservices,reconvertiendirecteurgénérald’ArevaauNiger,enfaitlesfrais:ilestexpulsésansménagementparlesautoritéslocalesenjuillet2007,aumoment même où le nouveau président français Nicolas Sarkozy effectue sapremièrevisitesurlecontinentafricain.Peu à peu, le calme va revenir dans le Nord du Niger : le vieux galonné

MamadouTandja,qui s’accrochait tantbienquemalaupouvoiràNiamey,estrenverséenfévrier2010par l’armée,pour laplusgrandesatisfactiondeParis.La junte qui a pris les rênes s’emploie alors à trouver un compromis avec lesrebelles du MNJ afin qu’ils déposent les armes, avec l’aide de MouammarKadhafi. Des ex-rebelles du mouvement sont même intégrés au sein dugouvernement et le président élu après une courte période de transition,Mahamadou Issoufou, très proche des socialistes français, nomme un Premierministretouareg.MaisàpeineéteintauNiger,l’incendieserallumeaussitôtauMalivoisin.Le

Nord du pays est en effet en ébullition depuis le début de l’interventionoccidentaleenLibye,enmars2011.

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Feuorangepourlesséparatistestouareg

À l’automne 2011, plusieurs centaines de Touareg, qui combattaient depuisdes années dans les rangs de la « Légion islamique » créée par Kadhafi, ontquittéavecarmesetbagageslavasterégionduFezzan,dansleSuddelaLibye,pourrejoindreleurspaysd’origine,leMalietleNiger.Bamakoestfurieux:dehauts responsables de l’ancien gouvernement d’Amadou Toumani Touré (ditATT), aupouvoirde2002à2012, accusent (encore aujourd’hui)Parisd’avoirfavoriséceretourinopiné.«Commentexpliquez-vousqueplusieurscentainesdepersonnes,solidement

armées,avecdesambulancesenqueuedeconvoi,aientpuquitter leSuddelaLibye, et traverser sans encombre le Niger, pour rallier le Nord duMali ? »,s’insurgeaitdès2012unministremalien,depassageàParis.«LeprésidentATTm’amontrédanssonbureaudesphotossatellitesfourniesparlesAméricainsoùl’on voit nettement des colonnes de combattants touareg quitter le Sud de laLibye, assure l’un de ses proches . Le chef de l’État malien m’a dit qu’ilsavaientétéaccompagnésausolpardescommandosfrançais,etescortésdanslecielpardesRafale.»Prudent,ilajoutetoutefois:«Maisonnelesvoitpassurlesphotos.»Paris dément : « Nous n’étions absolument pas présents dans cette zone,

expliqueunhautgradéfrançais,quiofficiaitàl’époqueaucœurdel’état-majordesarmées .ToutesnosforcesétaientconcentréescontrecellesdeKadhafidanslenord,àBenghazi,àMisrataetsurlelittoralméditerranéen.»Maiscommentêtre sûr que les forces spéciales et/ou des agents de la DGSE n’aient pas étéprésents dans cette zone, au moins pour surveiller ce qui s’y passait, voiretransmettrequelquesmessages?« Fin 2011, il y a eu un feu orange de Paris pour favoriser le retour des

TouaregdeLibye,croitsavoirunbonconnaisseurdudossier,trèsbienintroduitsurplace.Onfaisaitainsid’unepierredeuxcoups:toutenaffaiblissantKadhafi,on renforçait lesTouareg“laïcs” faceàdesgroupesdjihadistesalorsenpleinemontéeenpuissance .»Pour un diplomate français, interrogé à Paris début 2018, le présidentATT

aurait une part de responsabilité éminente dans toute cette affaire :«ContrairementaugouvernementvoisinduNigerquialesadésarmésdèsleurarrivéesursonterritoire,BamakoalaisséentrertranquillementcescentainesdeTouareg venus de Libye en espérant ainsi concurrencer et affaiblir leMNLA,

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tout juste créé. Il espérait jouer un clan contre un autre,mais son calcul s’esttotalementretournécontrelui .»Déjàaupouvoiràl’époque,leprésidentduNigerMahamadouIssoufounous

livresaversion:«IlfallaitprovoquerdesdéfectionspouraffaiblirKadhafi,dit-il,sibyllin.LesTouaregsonttouspartisavecleursarmes.AuNiger,onaététrèsvigilants,onleuradit :“Sivousvoulezrester, il fautdésarmer,sinononvouscombat!”MaisauMali,leprésidentATTlesafêtés,leuradonnédel’argentetlesagardésarmés.Oronnepeutpasavoirdeuxarméessurunmêmesol .»Defait,l’arrivéeauMalidecesex-combattantstouareg,placéssousl’autorité

ducolonelMohamedAgNajim,vadoperlesardeursindépendantistesdeleursfrères du MNLA. Ces derniers, on l’a dit, revendiquent l’indépendance del’Azawad – une vaste région qui, en réalité, déborde largement les limites duberceau géographique des Touareg dans la région, où ces derniers sontminoritaires sur le plan ethnique.Début 2012, alors queBamako renforce sesgarnisonsdanslazone,lesTouaregpassentàl’offensivetousazimutscontrelestroupes gouvernementales, leur infligeant une série de revers cuisants. Enquelques semaines, c’est toute la partie septentrionale duMali – soit les deuxtiersdupays–quipassesouslecontrôleduMNLA,maisaussisousceluidesgroupes islamistes armés. Ces derniers profitent en effet de l’aubaine pourdescendreversleSud.Auprintemps2012,les«barbus»s’installentainsiàGaoetTombouctou, les deux principales villes de la zone, sur les bords du fleuveNiger.ÀParis,certainsresponsablesnecachentplusleurexaspération,accusantlaDGSEd’avoirjouéaveclefeu.D’autantque lacrise s’envenime.Dans lapetite localitéd’Aguel’hoc,début

2012,plusieursdizainesdemilitairesmaliens sontmassacrésà l’armeblanchepar les rebelles. Pointé du doigt par Bamako, le MNLA décline touteresponsabilité,accusantlesgroupesdjihadistes,avecquiilestpourtantliésurleterrain.Lemalestfait.Pourunebonnepartiedel’opinionmalienne,lacauseestentendue:lesTouaregsontlesresponsablesdececarnage.LechocesténormeauMalietdanstoutelarégion.Ilprovoqueunenouvellepousséedefièvre,cettefoisàBamako,oùungroupedesous-officiersdirigésparlecapitaineHamadouSanogochasse legénéral-présidentATTdupouvoir, accuséd’avoir totalementéchouéàdéfendrel’intégritédupays.LeMali,présentéencoreilyapeucommeunmodèlededémocratiedansla

région, n’est plus alors que l’ombre de lui-même. À Paris, l’alarme passe aurouge au plus haut niveau de l’État. Les groupes islamistes, qui imposent la

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chariaàGaoetàTombouctou,sontenmesuredetransformerleNordduMaliensanctuaire terroriste, d’où ils pourront mener d’autres opérations dedéstabilisation. Le Niger voisin (avec ses mines d’uranium) est menacé. EtdemainlaCôted’IvoireetleSénégal,oùrésidentplusieursmilliersdeFrançais?Quelques jours après la prise des principales localités duNord-Mali par les

«terroristes»,selonlaterminologieenvigueuràParis,lestroisprincipauxchefsdes mouvements djihadistes – Abou Zeïd, Iyad ag-Ghaly et MokhtarBelmokhtar – sont localisés par les services français dans une villa àTombouctou, où ils tiennent une réunion au sommet. Le chef d’état-majorparticulierduPrésident, legénéralBenoîtPuga,faitremonterlerenseignementjusqu’àNicolasSarkozy,l’informantqu’ilesttechniquementpossibledelancerun raid aérien pour les éliminer. Mais, à quelques jours de l’électionprésidentielleduprintemps2012,lechefdel’Étatjugel’opérationtroprisquée.Dansunpremiertemps,lesservicesfrançaisvontsurtouts’employeràmettre

ensécuritélapoignéedeFrançaisprisaupiègedanslazoneensollicitantl’aidedesTouareg:«LeshommesduMNLAontaidéàexfiltreruncafetierfrançaismarié à uneCamerounaise à Tombouctou, et aussi deux femmes qui s’étaientréfugiées dans le consulat d’Alger àGao, nous confie un journalistemalien àBamako, bien au fait de ce dossier . Déguisées, elles ont pu être convoyéesjusqu’àlafrontièrealgérienne.»À la même époque, un journaliste français travaillant pour une agence de

presse parvient à se rendre clandestinement à Gao avec la complicité desTouaregduMNLAquiontbesoindepopulariser leur cause, tout enmarquantleur différence avec les djihadistes. Mais il est vite repéré par les servicesfrançais.«Unjour,àmagrandesurprise,j’aireçuunappelsurmontéléphoneportablelocal:auboutdufil,unfonctionnairefrançaism’enjoignantdequitterlazoneauplusvite,nousracontait-ilen2012.Ilm’ademandédel’appelersurunelignesécuriséeunefoisquej’étaishorszone.»PourlaDGSE,quitraiteledossier des otages, il ne faudrait surtout pas que de nouveaux ressortissantsfrançaistombentauxmainsdes«islamistes»,qui,depuisplusieursannées,ontmisenplaceunevéritableindustriedel’enlèvementleurpermettantdefinancerleurmontéeenpuissancegrâceaupaiementderançons .Auprintemps2012,lesgroupesdjihadistesdétiennentdéjàlesquatreFrançais

enlevés auNiger, àArlit, en septembre 2010, ainsi que deux autres (PhilippeVerdon et Serge Lazarevic), capturés à Hombori, dans le Centre duMali, en

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novembre 2011. La DGSE déploie des efforts importants pour tenter de leslocaliser et d’obtenir leur libération.Pour ce faire, le service français s’appuiesurdessourceslocales,unefoisdeplusdesTouaregpourl’essentiel,commeonleverraplusloin.

SchizophrénieàlafrançaiseauMali

En janvier2013, laFrance lancedans l’urgence l’opérationServal suite auxinformations présentées par la DGSE, mais aussi aux renseignements enprovenance de Niamey, où l’on entretient des liens étroits avec les réseauxtouareg répartis des deux côtés de la frontière. À l’aide d’images satellites etd’informateurs sur place, les services français disent avoir repéré uneconcentrationdeforcesdjihadistesdansleCentredupays,prêtsàdescendreversle Sud. Selon certaines sources, la DGSE aurait également fait état del’interception d’une communication dans laquelle l’un des principaux chefsdjihadistesduNord-Mali aurait promis à son interlocuteur que « demain, tousdeuxiraientprier»àlagrandemosquéedeMopti,l’unedesprincipaleslocalitésdu Centre, sur le fleuve Niger. François Hollande donne le feu vert àl’intervention.Encedébut2013,Parisnageenpleine schizophrénie :d’uncôté, laFrance

intervient militairement contre les groupes djihadistes pour – officiellement –permettreàBamakode«recouvrer l’intégralitédeson territoire» ;de l’autre,surleterrain,ellepasseundealtaciteaveccertainsgroupesséparatistestouareg,notammentàKidal,lefiefdelatribudesIfoghas,situédanslemassifdumêmenom(l’AdrardesIfoghas).Orlà,contrairementauscénariomisenœuvreàGaoetTombouctouenfévrier2013,aucunsoldatdeBamakon’entreenvilledanslesillage de l’armée française quand elle reprend, sans tirer un coup de feu oupresque, lecontrôlede la localitéduNord-Malidésertéepréalablementpar lesdjihadistes.«Onauraitbienvouluemmeneravecnousdestroupesmaliennes,nousassure

un ancien haut responsable de la Défense à Paris, mais personne à Bamakon’étaitprêtàmontersurKidal,legouvernementmalienétaitalorstrèsréticent.»Ilsemblebien,enrevanche,queParisn’aitpasbeaucoupmislapressionencesens:«Notreseulsujet,c’étaitd’éradiquerlamenaceterroriste,poursuitcemêmehautresponsablefrançais.OrleMNLAnemenaçaitpaslaFranceetnousn’avions aucune raison de nous confronter à lui. » Et de rapporter les propos

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tenusàl’époqueauxTouareg,qui,eux,s’étaientaussitôtengouffrésdansKidalaprès le départ des djihadistes : « Nous n’avons rien contre vous, mais vousdevez accepter l’autorité de Bamako. » Cinq ans plus tard, en 2018, rien n’afondamentalementchangé:lesTouaregsonttoujourslesmaîtresdeKidal,etunebonnepartiedel’opinionmalienneaccuseParisdedoublejeu.Lalocalitédu«grandNord»malienresteaujourd’huiunabcèsdefixation,et

pas qu’aux yeux deBamako. «Tous lesAfricains sont déçus, nous déclare leprésident duNiger,Mahamadou Issoufou.L’objectif, c’était de restaurer l’Étatsurtoutleterritoiremalien.Cen’estpasencorefaitàKidal.Orsionlaisselesrevendications indépendantistes prospérer en Afrique, on crée les conditionsd’uneanarchie.RegardezcequisepasseenLibye.Onamisengardeceuxquisontintervenusmilitairement:“Nefaitespasça,Kadhafiestundictateurmaiscequiva arriver après sera encorepireque ladictature !” Ilsnenousontpasécoutés.»Pour Paris, en cette année 2013, il faut poursuivre la traque des djihadistes

danslenordduMali toutententantd’obtenir la libérationdesotagesfrançais.«Notrepartenairemaliennous a reprochéd’avoir “remis en selle leMNLA”,maisenréaliténousn’avonsfaitquenousappuyersurcertainsdesesmembres,riendeplus,confieunex-pilierducabinetdeJean-YvesLeDrianàlaDéfense.Leur connaissance approfondie de l’Adrar des Ifoghas nous a été trèsprécieuse.»Cesoutientaciteauxséparatistestouaregoccasionneàlalonguedestensions

àParis, avec laconseillèreAfriquedeFrançoisHollande,HélèneLeGal, trèslégitimistevis-à-visdeBamako,ainsiqu’aveclechefdeladiplomatiefrançaise,Laurent Fabius, qui ne veut pas entendre parler du MNLA. Mais qui doit, àplusieurs reprises,mettre ses réticences de côté. TiébiléDramé, une figure del’opposition malienne, un temps chargé d’arracher un accord entre toutes lespartiespourquel’électionprésidentiellesetienneaussiàKidalàl’été2013,sesouvient:«Onétaitarrivésauboutdelanégociation,etilnemanquaitplusquele parapheduMNLA. J’ai dit àLaurentFabius : “Vous lesFrançais, vous lesconnaissezbien.Monsieurleministre,ilfautquevousleurparliez.”Ilasecouélatêtenégativement,maisparlasuiteilsontfaitcequ’ilfallait,etleMNLAasigné . »Et, quelques semainesplus tard, on avoté àKidal, commepartoutailleursauMali.

Guerredel’ombre

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Le pas de deux de la France vis-à-vis des séparatistes touareg va sepoursuivre. Le nouveau président du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta, élu enaoût 2013, a beau évoquer publiquement sonmécontentement face à l’attitudeambiguë de Paris vis-à-vis des séparatistes touareg deKidal, lesmilitaires deServalet les services de renseignement continuent de s’appuyer sur un réseaud’informateurs,voirede«supplétifs»,pourtenterd’empêcherlesdjihadistesderelever la tête.«LesFrançaisavaientbesoindeshommesduMNLAquandilsontprispieddans lazonepouravoirdurenseignementetpoursavoirquiétaitqui»,souligneunesourcebien informéeàBamako.Dans laconfigurationquiprévautdansleNordduMali,cesderniersjouentquantàeuxunenouvellecarteens’alliantouvertementaveclapuissancefrançaise.Àleursrisquesetpérils.Desbrigades«antiterroristes»composéesdecombattantstouaregvoientainsi

le jourdansKidal« libérée»de l’emprisedjihadiste.Unhomme,notamment,bien connu des Français, est à la pointe de ce nouveau combat, Iknan AgAttaher, un ancien de l’arméemalienne qui a fait défection pour rejoindre lesrangs de la rébellion en 2012.Une guerre de l’ombre s’engage dans leNord.Aiguillées par les renseignements obtenus par la DGSE, les forces spécialesfrançaises mènent des raids contre les petits groupes de djihadistes quicontinuentd’écumer la région, leur infligeantdescoups sévères, enparticulieren2014et2015.Faceàeux,lesdjihadistescherchentàrepéreretàéliminertousceuxqui,de

près ou de loin, sont considérés comme des « collabos » des Français. Lesrèglementsdecomptessemultiplient,etl’alliédesFrançais,IknanAgAttaher,manqueplusieursfoisdetrouverlamort.Impossibledeconnaîtreprécisémentlebilandecettebataille,maisentreraidsantiterroristesetreprésaillesopaques,lesmortssecomptentprobablementparcentainesdepuisledébutdel’interventionfrançaiseauMalien2013.Cetteguerredel’ombreattiseaussilestensionsentreclansrivauxauseinde

lanébuleusetouaregduNord-Mali.ParisafinalementprissesdistancesavecleMNLA,jugépeusûretminéparlesquerellespersonnelles.Unhomme,luiaussibienconnudesservicesfrançais,MoussaAgAcharatoumane,tentedetirersonépingledujeu.CetteanciennefigureduMNLA,chargéuntempsdesrelationsextérieuresdumouvement,voyagebeaucoupdanslarégion,maisaussiàParis,oùonpeutlecroiserdansdescolloquesconsacrésàlacriseduSahel.Àlatêtedesonpropremouvementfondéfin2016,leMSA(Mouvementpourlesalutde

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l’Azawad), il entreprend de lutter contre les djihadistes dans la région deMénaka, à proximité de la frontière avec le Niger, une zone gangrenée parl’insécurité et les infiltrations de groupes djihadistes. Acharatoumane chercheainsiàserendreindispensableauxyeuxdelacommunautéinternationale,alorsquesurleterrainl’arméemalienneestquasimentabsente.Enjuin2017,deshommesd’unnouveaugroupeterroriste,l’Étatislamiquedu

GrandSahara, attaquent un poste de l’armée nigérienne.Celle-ci riposte, avecl’aidedel’arméefrançaise,poussantlesassaillantsàtenterdetrouverrefugedel’autrecôtédelafrontière,auMali,oùilssontprisàreversparleMSAetparune autre milice touarègue, le Gatia, dirigé par le général Gamou, un ancienofficier touareg de l’armée malienne. Officiellement, cette opération menéeconjointement par des armées régulières (nigérienne et française) et par desmiliceslocalesestunfrancsuccès.Début2018, leMSAet leGatia,deuxgroupesarméssignatairesdel’accord

depaixavecBamakoenjuin2015,participent,auxcôtésdessoldatsfrançaisdel’opérationBarkhane,àuneopérationderatissagedanslarégiondeGao.Selonla presse de Bamako, plusieurs « terroristes » sont tués, des véhicules et del’armementsaisis.Maiselles’étonne:pourquoil’arméemaliennen’a-t-ellepasétéassociéeàceraid?Pourmenerlaluttecontrelesgroupesdjihadistes,Acharatoumanedisposede

dizaines de pick-up, de fûts d’essence et d’armes.Mais d’où proviennent ceséquipements?Surplace,unmédiateurlocalremarque:«AcharatoumaneasesentréesenFrance,oùils’estrenduauprintemps2017.IlestégalementsoutenuparleNiger,quiluidonnedesarmesetluifournitlalogistique .»OrleNigerdeMahamadou Issoufouest l’undes alliés lesplus sûrsdeParisdans la zonesaharo-sahélienne, auquel il peut sous-traiter sur le terrain quelques dossierssensibles,toutenluifournissantunsoutienmilitairerobuste.Mais la nébuleuse touarègue est tout sauf un bloc monolithique. En

s’appuyantsurcertainsclans,laFranceattiselajalousiedeceuxquisesententdélaissés et qui aimeraient bien, eux aussi, toucher les dividendes de la lutteantiterroriste, en bénéficiant d’un soutien politique et militaire. Elle prendégalementlerisqued’êtreassociéeaux«dommagescollatéraux»causésparcesmilices anti-djihadistes dont les agissements provoquent de forts remous,notammentauseindeséleveurspeuls, trèsprésentsdans leCentreduMali,etdont certainsmembres n’hésitent plus, en représailles, à faire cause communeavecles«terroristes».

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MaisdansleSahel,l’ennemipublicnumérounpourPariss’appelleIyadag-Ghaly.Anciennefigurede la rébellion touarèguedesannées1990,marginaliséavant l’opération Serval de 2013 par les séparatistes duMNLA, il a fondé lemouvement Ansar Dine, allié des groupes djihadistes, et occupe une placecentralesurl’échiquierlocaldepuisl’interventionmilitairefrançaise:Touareg,islamiste, proche des Algériens, peut-être même protégé par eux – c’est dumoins la conviction de nombreux responsables à Paris –, c’est lui qui a sufédérerlesdifférentsgroupesterroristesauseinduGSIM(Groupedesoutienàl’islametauxmusulmans),lancéenmars2017,etquiinfligedescoupssévèresauxarméesmenantlaluttecontrelesdjihadistes.LeGSIMaainsirevendiquélamortdedeuxsoldatsfrançais tuéspar l’explosiond’uneminedans leNordduMali,le21février2018,ainsiquelesattaquessanglantescontrel’état-majordel’armée et l’ambassade de France à Ouagadougou, le 2 mars 2018. Dans leSahel,etnotammentauMali,laFrancen’apasquedesamisparmilesTouareg.Plus au sud, à Bamako, comme dans d’autres capitales du continent, c’est

avec un autre type d’« amis » qu’il lui faut composer : lesCorses d’Afrique,toujours actifs dans l’entourage de quelques présidents de l’ex-pré carréfrancophone.

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Notes1.Entretienavecl’auteur,4octobre2017.2.Entretienavecl’auteur,13septembre2017.3.Jean-ChristopheNotin,LaGuerredelaFranceauMali,Paris,Tallandier,2014.4.Entretienavecl’auteur,20octobre2017.5.Entretienavecl’auteur,4octobre2017.6.Entretienavecl’auteur,10janvier2018.7.Entretienavecl’auteur,19mars2018.8.Entretienavecl’auteur,10janvier2018.9.Entretienavecl’auteur,20février2018.10.Entretienavecl’auteur,Paris,14décembre2017.11.IsabelleLasserre,ThierryOberlé,NotreguerresecrèteauMali,Paris,Fayard,2013.12.Entretienavecl’auteur,20octobre2017.13.SergeDaniel,AQMI,l’industriedel’enlèvement,Paris,Fayard,2012.14.Entretienavecl’auteur,19octobre2017.15.Entretienavecl’auteur,3octobre2017.16.Entretienavecl’auteur,14novembre2017.

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CHAPITREIV

Nos«honorablescorrespondants»corses

«Là,justelà,devantcecafé,jemontedanslavoitureàcôtédeMichelTomi.Il est handicapé, il ne pouvait descendre pour me rejoindre à l’intérieur.Évidemment,ilsenontprofité:ilsétaientplusieursànousphotographier.Tomivoulaitsavoirsijeconnaissaisunesociétéquipouvaitassurerlaformationdelasécuritéprésidentielledesonami, leprésidentmalienIbrahimBoubacarKeïta.Jeluiaiconseillédes’adresseràGalliceSecurity.Voilà,c’est tout .»AncienpatrondelaDGSIsouslaprésidencedeNicolasSarkozy,BernardSquarcinienal’intime conviction : c’est l’équipe de Manuel Valls qui, dès son arrivée auministèredel’Intérieurenmai2012,avoulu«sepayer»lesCorsesd’Afrique.D’oùlespoliciers-photographes…Assisdanslecoinleplusstratégiquedecettebrasseriedel’avenueMontaigne

– là où l’on voit qui entre et qui sort –, Bernard Squarcini ne cache pas, ce28mars2018,êtreentréenguérillacontrel’ancienPremierministresocialiste.Déjàtrèsprochedepersonnalitésafricainesdelanouvellegénération,àl’instardu ministre ivoirien de la Défense, Hamed Bakayoko, Manuel Valls a-t-ilvraimenteul’intentiondemontersespropresréseauxenAfriqueaveclesoutiende son ancien conseiller mauritanien Ibrahima Diawadoh N’Jim et ducriminologueAlainBauer?AnciengrandmaîtreduGrandOrientdeFrance–lafranc-maçonnerie est reine sur ce continent –, Bauer réagit vivement à cesoupçon : « Je ne mets plus les pieds en Afrique subsaharienne ! Tout estcompliqué. Trop de corruption . » On sent le spécialiste de sécurité et deterrorismesursesgardes,inquiet,malàl’aise.Aujourd’hui dans les tuyaux du temps long judiciaire, « l’opération

Minotaure»lancéeauprintemps2013parManuelVallscontreMichelTomi,leroides jeuxenAfrique (casinos,PMU,banditsmanchots…),estunebombeàfragmentationdans levillage franco-africain .Chacunadûchoisir soncamp.En France ou en Afrique ! Affaibli en France, Bernard Squarcini a choisil’« AfricaFrance », en mettant son impressionnant carnet d’adresses dans les

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milieux sécuritaires à la disposition de chefs d’État africains. Les meilleurs« clients » ne sont-ils pas ceux qui sont les plus inquiets des changementspolitiquesàParis?Surnomméle«Squale»,l’ancienmaîtreespionestlui-mêmedevenu très proche du président congolais Denis Sassou-Nguesso. Commepreuve de sa loyauté, Squarcini lui a livré les noms de Français qui auraientpréparé une tentative de coup d’État à Brazzaville au profit du général Jean-MarieMichelMokoko,unsaint-cyrienlongtempsbienvuparlaDGSE.Mokokoaétécondamnéle11mai2018àvingtansdeprisonpour«atteinteàlasécuritéintérieure de l’État ». Il s’était présenté le 20 mars 2016 à l’électionprésidentielle contre Denis Sassou-Nguesso et avait refusé de reconnaître sadéfaite. Les soutiens de Mokoko sont effectivement tous des anciens ou desproches des services français. Contactés, ils se défendent de tout acte debarbouzerie, et affirment ne fréquenter et soutenir que les opposants africainsdémocratesquientendentaccéderaupouvoirparlesurnes,pasparlesarmes.Une affaire franco-française qui bouleverse les stratégies traditionnelles des

services secrets français enAfrique. Comme on le verra, la DGSEménageaitjusqu’àprésentlesCorsesenAfrique,enparticulierceuxdescasinos.Nesont-ilspasdeprécieuxinformateursquiviventenosmoseaveclesdirigeantsetlesmilieux d’affaires africains ? Elle protégeait également les chefs d’État de larégion,aunomdes intérêts stratégiquesde laFrance.L’undeces«présidentschouchous » est justement Denis Sassou-Nguesso . Déstabilisé par lesrévélationsdeBernardSquarcini,Sassoun’apuêtre rassuréde l’attitudede laFrance à son égard que par la visite d’un haut responsable de la DGSE àBrazzaville. Ce dernier confie : «Grâce à des contacts directs, on a vraimentévité le pire pour Mokoko. Denis Sassou-Nguesso croyait vraiment qu’onvoulaitlerenverser .».Leprésidentcongolaisatoutdemêmedemandéàl’ancienpatrondelaDGSI

de lui trouverunprofessionnelpour sagarde rapprochée.Aussitôtdit, aussitôtfait. Si Bernard Squarcini se sent désormais chez lui à Oyo, dans le fief duprésident congolais, c’est devenu plus compliqué pour lui en France. Quandl’ancienmaîtreespiondelaDGSIrentreduCongo,le6avril2016,dansunjetprivéaffrétépour luiparDenisSassou-Nguesso, ilest trèsattenduà l’aéroportdu Bourget. Ses bagages sont passés au peigne fin ! Dans la foulée, sonappartement et ses bureaux sont perquisitionnés par des policiers de l’Officecentral de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales.Àl’issue de ces perquisitions, deux enquêtes ont été ouvertes par le parquet de

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Paris : l’une pour recel de « violation du secret professionnel », l’autre pour«compromissionduSecretDéfense»,après ladécouvertederapportsclassés.LesenquêteurscherchentàdéterminersiBernardSquarciniausédesescontactsdanslapolicepourservirlesintérêtsdesentreprisesaveclesquellesilétaitsouscontrat.

UndrapeaudelaDGSIflottesurLibreville

Mais laguerrede l’ombreentreservicesavaitcommencébeaucoupplus tôt.Dèssaprisedefonctionauministèredel’Intérieur,enmai2012,ManuelVallsavait tentédemuterdansunautre service Jean-CharlesLamonica,nomméparBernardSquarciniàLibreville,auGabon,au titrede laDGSI.PourSquarcini,c’étaitun«poste zonal»quidevait couvrirnon seulement l’Afriquecentrale,mais aussi l’Afrique de l’Ouest. « En Afrique centrale, poursuit-il, Lamonicas’appuiesur lesCorsesquiont le renseignementopérationnel : ils saventceuxquiontdel’argentetfréquententlescasinos,etquiestavecqui .»Manuel Valls mit plus d’un an à sortir Jean-Charles Lamonica de la DGSI

pourlenommeràunpostedelaDirectiondelacoopérationinternationaledelapoliceenÉgypte.Unjour,unconseillerdeManuelVallsquipasseauCairesansconnaîtreJean-CharlesLamonicaluilance:«Toi,tuesbien,tun’espascommelegarsqu’onaviréauGabon.»Lamonicarépond:«Maisc’estmoiquiétaisauGabon…»Jusqu’à l’implantation de la DGSI en Afrique subsaharienne par Bernard

Squarcini,lesrapportsdepolicen’étaientpastendresaveclesCorses,etencoremoins avec laDGSE soupçonnée de les protéger. Laméfiance des policiers àl’égard du service extérieur français transpire, sans précaution excessive, durapport du commissaire divisionnaire Paul Leray, ancien patron de l’Officecentral pour la répression du banditisme . Ce rapport de vingt-sept pagesretrace, depuis les années 1970, l’activité du milieu corse. À la date du20septembre1999, il estmentionnéausujetdedeuxpersonnalitéscorses trèsinfluentesdans les palais africains : «Ces individus sont très appuyéspar desautoritéslocales,trèsmobilesetutilisésparlaDGSE.»Deplusenplusagacésetvirulents, lesrédacteurssefontplusmenaçantsdansunenotedu22octobre1999 : « La DGSE qui travaille avec nombre de ces voyous finira bien parcomprendreavantd’avoirdesennuis.»Alorsquellessontlespartsderéalitéetdefantasmesurledegréd’influenceetleniveauderenseignementdesréseaux

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corses en Afrique ? Nous avons interrogé une personnalité qui n’était pasdestinée à être l’un de leurs amis mais qui a mesuré leur puissance lorsqu’ilgéraitl’unedesplusimportantescompagniesfrançaises.

Elfen«Corsafrique»àtouslesétages

Tout en ouvrant les palourdes de ses spaghetti alle vongole , l’homme à labarbe blanche et aux yeux bleus délavés n’hésite pas un quart de seconde, encette belle journée de juin 2017, dans un restaurant italien de la place Saint-Sulpice. À la question : « Mais comment vous-même, à votre niveau deresponsabilité, étiez renseigné ? », la réponse fuse : « Mais par les réseauxcorses!Riennepouvaitsefairesansquecesgens-lànesoientaucourant.LesautressourcesofficiellesétaientenretarddeplusieursmoissurlesCorses .»LoïkLe Floch-Prigent a été président d’ElfAquitaine de 1989 à 1993, une

sociétédéjàsurnommée«ElfAfricaine»avantquel’affairejudiciaireElfnelanoieen1994danslegroupeTotal.NomméparFrançoisMitterrandàlatêtedecettepouleauxœufsd’or,LoïkLeFloch-Prigentnousraconte,avecl’évidencede la pratique quotidienne, comment les Corses d’Afrique ont été, pendantplusieursdécennies,l’alphaetl’omégadelapolitiqueetdurenseignementdelaFranceenAfriquecentralepétrolière.Pourbiencomprendre,ilfauttoutefoissereplacerdanslapériodeparticulière

de la guerre froide. Après avoir perdu dans les années 1960 le pétrole etl’uranium de l’Algérie indépendante, le général de Gaulle crée la société ElfAquitaine. Sa mission : assurer l’indépendance énergétique de la France enpompantdenouvellesréservespétrolièresdanslegolfedeGuinée,enparticulierauGabon et auCongo, avant de s’attaquer plus tard à celles duNigéria et del’Angola. LeGénéral, qui avait déjà utilisé, depuisLondres, les réseaux de laRésistanceenAfriquepourlibérerlaFrance,confiecemandatàdesanciensduBCRA,lesservicessecretsdelaFrancelibre.Àlamanœuvre:JacquesFoccartet Pierre Guillaumat. Ingénieur des Mines, Guillaumat était non seulementchargédeproduiredupétrole,maisaussidecontrôlerétroitement lespouvoirsafricainsdel’Afriquenoirepétrolière.Plusquestiondeperdre,enpleineguerrefroide, la maîtrise des matières premières d’un pays comme le Gabon. D’oùl’osmoseauseind’Elfentrepétrole,argentetservicessecrets.Àtelpointquelesservicesderenseignementd’ElffinissentparcannibaliserlesofficiersdusecteurAfrique du SDECE. Sur place, les meilleurs informateurs sont… les Corses,

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présentsdelonguedateenAfriquesubsaharienne.À son arrivée,LoïkLeFloch-Prigent s’estmis au diapason.S’il voulait les

vraiesinformationssurcequisepassaitautantdanslagalaxiedepouvoirsdespalaisafricainsqu’àParis,ilfallaits’adresserauxCorses.LeBretonrevendiquéa donc pris langue avec les Français insulaires les plus influents de sa propreentreprise.«J’avaisdeuxsources,dérouleLoïkLeFloch-Prigent:AndréTaralloetMathieuValentini.Toutétaitoral.AndréTaralloétait informépar les frèresFeliciaggi puis par Michel Tomi. D’ailleurs, après une fâcherie entre AndréTarallo et Charles Pasqua, j’ai mis Alfred Sirven dans la boucle. Pasqua seplaignaitqueTarallo luicachaitdeschoses.Maiscettefâcherien’aduréqu’untemps:PasquaetTaralloontfiniparseréconcilier.»L’oralité, mère de tous les secrets en Afrique, Loïk Le Floch-Prigent la

pratiquait lui-même sans modération dans la gestion quotidienne de lacompagnie.Ildémarraitsouventsescomitésexécutifsparcetordreimpératifàsesdirecteurs:«N’écrivezrien!Cequejevaisdireestimportant.»Reprenons,dansl’ordred’entréeenscène,l’influencedesinformateurscorses

du scénariste Loïk Le Floch-Prigent. André Tarallo était le tout-puissantdirecteurAfriqued’Elf.Ilavaitunaccèsdirectauxprésidentsafricains,quiluiconfiaient tous leurs soucisdomestiqueset financiers.Àcette époque, l’argentliquide était transféré par le biais de la FIBA (Banque françaiseintercontinentale), une banque qui avait été créée parElf et la familleBongo.AvenueGeorge-V,l’agenceparisiennedelaFIBA–oùlesobligésduprésidentgabonaisvenaientchercherl’argentfraismisàdisposition–aétéferméeaprèslaperquisition, le 12 mars 2000, des juges Eva Joly et Laurence Vichnievsky,accompagnées des enquêteurs de la Brigade financière. C’était le deal :fermeturedelaFIBAenéchangedupassageàl’ardoisemagiquedesdocumentssaisis, afin de ne pasmettre en cause la souveraineté duGabon et de son trèsombrageuxprésident,OmarBongo.André Tarallo était l’homme le mieux informé sur les chefs d’États et les

cercles du pouvoir du Gabon, du Congo, du Cameroun, puis, plus tard, del’Angola. Afin que ses visiteurs sachent de quel « pays » – la Corse – ilsfoulaientletapisenserendantchezlui, ilavait toujoursunbustedeNapoléonsursonbureau.Quantàl’ancienbergerdelamontagnecorse,MathieuValentini,il était le courtier exclusif en assurances du groupe Elf. Il brassait environ150millionsd’eurosdecontratsquigénéraientprèsde15millionsd’eurosdecommissions.MathieuValentiniestmortd’uneruptured’anévrismele9janvier

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1991 au Caire, en Égypte. Tout l’état-major de la compagnie pétrolière s’estdéplacépourassisteràl’enterrementdece«coffre-fortàsecrets»dugroupeàCorte,enHaute-Corse.Les frères Feliciaggi, Robert et Charles, sont nés au Congo-Brazzaville où

leur père, fonctionnaire à l’époque coloniale, travaillait comme directeur despostesettélécommunications,tandisqueleurmèreétaitinstitutrice.Ilsonttraînésurlesbancsdel’écoleaveclesdirigeantscongolaisactuellementaupouvoiràBrazzaville, à l’instarduprésidentDenisSassou-Nguesso.SiCharlesquitta leCongopourmonterdessociétésdepêcheenAngola,Robertestdevenudanslesannées 1980 le passage obligé des hommes d’affaires pour entrer chezDenis,son ami président. Il ne s’en cachait pas.Au contraire, il était plutôt amer dumanquedegratitudepour les services rendus : «Dans les années1980, il n’yavait pasde contrat auCongoqu’uneentreprise française,publiqueouprivée,n’ait obtenu sans nous. Tout le monde venait nous solliciter . » RobertFeliciaggigéraitdescasinoset laCogelo,laLoterienationalecongolaise,avecdesprochesduchefdel’État.AumomentoùilrêvaitderentrerenCorsepourentamer une carrière politique – il présidait déjà le groupe divers droite àl’Assemblée de Corse –, Robert Feliciaggi est abattu, le 12 mars 2006, deplusieursballesde38Spécialdanslatempeetdanslanuquesurleparkingdel’aéroportd’Ajaccio.Alors ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, qui se présentait toujours au

téléphoneauprésidentOmarBongocomme«leGrandBatéké desHauts-de-Seine»,facilitaitlesréseauxd’influenceenFrancedesprésidentsafricainsetlaprotectiondesescoreligionnaires.Enfin,AlfredSirven,embarquéparLoïkLeFloch-Prigent dans son aventure pétrolière, était le « juge de paix » entre lesdifférentsclanscorses.Detoutescespersonnalitésaujourd’huidisparues,seulsdemeurentMichelTomietsesprochesaucœurdesréseauxcorsesenAfrique.

DesPMUafricainsauxcasaquesd’or

SiRobertFeliciaggiétaità l’origine incontournableauCongo-Brazzavilleetdanslescasinosdel’Afriquecentralepétrolière,MichelTomidevintviteleroidesPMUafricains.Une«superidée»,initiéeparRobertmaissurmultipliéeparMichel,d’abordenAfriquecentralepuisenAfriquedel’Ouest:fairemiserlesAfricains sur des chevaux courant àVincennes,Chantilly ouLongchamp.LesCorses obtiennent les autorisations exclusives des ministres de l’Intérieur des

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pays africains concernés. Au début, le PMU français a fait la grimace. Sesdirigeantsont finipar fairecontremauvaise fortuneboncœur.D’autantque lafortuneafinalementétéenpartiepartagéeparlacréation,audébutdesannées1990,d’unGrandPrixannueldel’amitiéFrance-Afrique.LesCorsesdesPMUsontalorsaufaîtedeleurpouvoirenAfrique.CeGrand

Prixlesconforteunpeuplus.Unefoisparan,unecoursesurl’hippodromedeVincennesestdestinéeauxparieursafricainsdespaysoùestimplantélePMU.Chaquemanifestation a unemarraine, la première dame de l’un des pays. Laveilledelacourse,ungrandgalaestorganiséauPavillond’Armenonville,àlalisièreduboisdeBoulogne,avecunetomboladontlesrecettessontréservéesàlafondationdelapremièredamedel’année.Touteslesépousesdeschefsd’ÉtatduprécarréafricaindelaFranceontainsieuleurjourdegloiresurleschampsde courses parisiens : Antoinette Sassou-Nguesso, Chantal Biya, ChantalCompaoré,VivianeWade…Enmai2001,pour legalade laFondationCongoAssistanced’AntoinetteSassou-Nguesso,l’agencecentraledeNatexis-Banquespopulaires,rueMontmartreàParis,ressemblaitàl’aérogaredeBrazzaville.DesdizainesdeCongolaisattendaientauguichetpourempocherleursgains.CertainsVIPdecepayssortaientdelabanqueavecdesenveloppesàlamain,sigléesdelaCogelo,dugroupeFeliciaggi.Tousavaientbesoindefairedesemplettespourse présenter en tenue de fête au Pavillon d’Armenonville. Cette année-là, lesturfistesafricainsavaientencorebattudesrecords:environ240millionsd’eurosdeparis,plusquelessubventionsaccordéesparlacoopérationfrançaise .L’organisation de ce Grand Prix à Paris avec les entourages des pouvoirs

africains n’est pas anecdotique. Elle renforce l’influence des grandsorganisateurs corses, qui sont déjà en famille dans les palais africains oùpolitiqueetaffairesdomestiquesnefontqu’un.

Affairesdomestiquesetprésidentielles

Etcen’estpasdel’histoireancienne.LeprésidentmalienIbrahimBoubacarKeïtanecomprendtoujourspaspourquoison«ami»MichelTomiaétémisenexamenenFrance,le20juin2014,pourentreautres«corruptiond’agentpublicétranger».DansunentretienauMondeAfrique,IBKs’explique:«Sansvouloirjouer les innocents, jen’ai riencomprisàcetteaffairequim’a sali etoutragé,s’offusque le président malien. Je n’ai jamais conclu la moindre affaire avecMichelTomi.Iln’estd’ailleurspasmonami,maismonfrèreausensafricainet

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corse.Ilm’aétéprésentéparfeuleprésidentgabonais,OmarBongoOndimba,lors d’une visite au Mali en 1995. J’étais à l’époque le Premier ministre duprésidentAlphaOumarKonaré,quim’ademandéd’aiderMichelTomidanssesdémarches d’ouverture d’un casino à Bamako. Je l’ai introduit auprès de laministreduTourismed’alors.Ilaremplilesconditionsetaouvertsoncasino.Jen’aipastouchéuncentime,maisj’aigagnéunamipourlavie.Quandilvenaitau Mali, il mangeait chez moi. Et je suis allé chez lui, en Corse. Je trouvescandaleux qu’on le considère comme un parrain qui me contrôlait ou mecorrompait », s’insurge le présidentmalien . Les relations « familiales » deMichelTomiavec lesprésidents IbrahimBoubacarKeïtaetAliBongoontétérévélées par une série d’écoutes téléphoniques en 2013 et 2014. Lesconversations sont un mélange d’affaires domestiques (costumes, lunettes,médicaments,séjourssurunyacht…)etdeprojetsfinanciers .Au-delàdelanaturedesesrelationsintimesavecIBK,l’influencedeMichel

TomidanslemilieudesaffairesauMaliestdocumentée.«Iln’yapasunseulmarché qui se fasse auMali sans qu’il ne soit au courant », soupire un chefd’entreprise français qui tient à rester anonyme. Antony Couzian-Marchand,anciencommandantensecondduGIGNetex-magistratàlaCourdescomptes,necachepas le rôle jouéparMichelTomi.Grâceà cedernier, sonentreprise,Gallice Security, a obtenu le contrat de la sécurité présidentielle : « En 2014,IBK avait vraiment besoin d’une sécurité présidentielle. Bernard Squarcini,consultant,aservid’apporteurd’affaires.IBKaappeléAliBongopoursavoirsil’on était fiable . On a eu plus de dix rendez-vous avecMichel Tomi et lePrésident.Onadéjeunéensembleàplusieursreprises.Àunmoment,Keïtaaditqu’iln’avaitpasl’argentpourfinancersasécuritépersonnelle.C’estlàqueTomiaditqu’ilallaitpayerlesdeuxpremièresfacturesenattendantquelePrésidentpuisse le faire. La facture a été réglée par une société du PMU camerounaiscontrôléeparl’hommed’affairescorse.Ilétaitindiquésurlafacturevingt-cinqhommes. La facture était de 75 000 euros alors que le coût réel était125000euros .»Sil’ex-patronduGIGNFrédéricGalloisaétémisenexamenpour«fauxet

usagedefaux»et«receld’abusdeconfiance»pourcecontrat,«nousn’avonsjamais étémis en garde par laDGSE », expliqueAntonyCouizan-Marchand.Pour Gallice Security, « l’enquête démontrera que les divers documents,notammentbancaires,sontparfaitementenrègleetqu’untelmontagefinancieravec un acteur privé extérieur n’est pas illicite ». Au moment de la mise en

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examen de Frédéric Gallois, qui a depuis quitté le groupe pour prendre ladirection de la sûreté d’Ortec (entreprise française de services à l’industrie,l’énergie, l’environnement et l’aéronautique), Gallice Security relevaitégalement qu’« aucune contestation n’a été faite sur la réalité et le coût desprestations réalisées, ni aucun reproche sur les modalités d’obtention de cecontrat».Cegroupeaurait-ilpuobtenircecontratsansl’amicorsed’IBK?

LeClubdes«grandsflics»del’AltaRoccacorse

Est-ce qu’il y aurait « un gros racisme anti-corse », comme le déclaraitBernard Squarcini dans une interview àCorse-Matin ? Ce n’est pas auxPinzutu–qualificatifenCorsedesFrançaisducontinent–deseprononcer .En revanche, il y a sans aucun doute un vif agacement dans les milieuxjudiciaires faceà l’omertàdesCorses.L’undesplusanciensàgérerce réseauinsulairedanslapoliceetàorganiserleursagapes«aumoinscinqfoisparan»,précise-t-il, est Charles Pellegrini, l’ancien patron de l’Office central pour larépressiondubanditisme .Toujoursenactivitéàplusdequatre-vingtsansdansses bureaux du boulevard Exelmans, à la tête de sa sociétéCharles PellegriniMediation,lepolicierécrivain,auteurd’unedizainedepolars,n’estpasprêtdedéposerlesarmes.Àsescôtés,sonneveuJean-FrançoisRossoestdéjàtrèsactifauseindeManagement&PrivateProtection,quiest,commeson«tonton»,encontratpourlaprotectiondescadresdugroupeLVMHdeBernardArnault.LongtempsprésentenAlgériepourassurer lasécuritédesociétés françaises

tellesqu’AirFrance,CharlesPellegriniaacceptéen2013uncontratd’ÉtatauBénin qui va sans doute servir de trame à un futur roman d’espionnage : lasurveillancejouretnuitàParisdel’hommed’affairesPatriceTalon.CedernierestaccuséparleprésidentThomasBoniYayid’avoirtentédel’empoisonner.Lecontenudecertaines ampoulesque le chefde l’Étatdevait absorber avaitbienété remplacé par de la psilocybine (un hallucinogène), du sufentanil (unanalgésique), de la kétamine (un anesthésique) et de l’atracurium (un agententraînant un blocage neuromusculaire). Patrice Talon a toujours nié en êtrel’auteur et la justice béninoise a rendu un non-lieu dans cette affaire. Entreavril2013etfin janvier2014,CharlesPellegrinietseshommesontainsipistéPatrice Talon dans tous ses rendez-vous parisiens, en particulier avec desopposants, mais aussi des députés béninois de la majorité présidentielle. LesphotosprisesàParisparleshommesdePellegrinideces«traîtres»ontrendu

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fouThomasBoniYayi.Dixfois,ildemandera,envain,l’extraditiondePatriceTalon.Cetteluttes’achèveraparlamédiationd’AbdouDiouf,anciensecrétairegénéral de la Francophonie, puis le pardon – en trompe-l’œil – du Présidentdébutmai2014.LecoupdegrâcepourBoniYayi–quiavaitadoubélefranco-béninoisLionelZinsoupour lui succéder– fut l’électiondePatriceTalonà laprésidencedelaRépubliqueduBénin,le20mars2015.CharlesPellegrini,quidisposedetouteslespiècesdudossier,ycomprisdesanalysesenlaboratoireduFBI,enrigoleencore.En Afrique, et tout particulièrement en Algérie, Charles Pellegrini a

longtemps travailléavecunautreCorsedesonpremiercercle :Pierre-AntoineLorenzi,surnomméPAL.CetanciencadredelaDGSEacédéenoctobre2015au groupe Seris la société Amarante International qu’il avait créée en 2007.Même s’il vit aujourd’hui àMilan, après avoir été au cœur d’une polémiquefranco-française sur la libération des otages français au Niger, le 29 octobre2013 , Pierre-Antoine Lorenzi ne rate pas une soirée du Club des CorsesorganiséeparCharlesPellegrini.Celledu22avril2011afailliêtreannuléeàladernièreminute.Le«chefd’orchestre»del’équipeavaitréservéaurestaurant39V, avenueGeorge-V, dans leVIII arrondissement de Paris.Mais quelquesjours auparavant, Charles Pellegrini est victime d’un AVC. Très vite pris enmain,ils’ensortirapourretrouversabandeàlasoiréedu22.Parmieux,deuxancienspatronsduRAID:AngeMancinietJean-LouisFiamenghi.ÀplusieursreprisesenposteenCorseauseindelapoliceetdelapréfecture,AngeMancini,fils d’un maçon d’origine italienne, a été coordonnateur du renseignement àl’Élyséedefévrier2011àjuin2013.Ilaaujourd’huilesdeuxpiedsenAfriquecommeconseillerdeVincentBolloré.Ilaprislasuitedel’ancienministredelaCoopération, Michel Roussin. Dans son petit bureau de la tour Bolloré àPuteaux,AngeMancinicoupecourtà touslesfantasmes.S’ilest là,«cen’estpas pour mon carnet d’adresses. Celui de Vincent Bolloré est dix fois plusimportant que le mien ». Il est un vieux camarade. « On était toujoursensemble à la faculté de droit de Nanterre de 1969 à 1973. J’étais étudiantsalarié », préciseAngeMancini, qui a ensuite pasmal fréquenté l’Afrique entantqu’ancienchefduServicedecoopérationtechniqueinternationaldepolice.Son collègue et ami Jean-Louis Fiamenghi a surtout connu de l’Afrique la

Tunisie,pourlaformationd’uneBrigadeantiterroristeetlasécuritéduprésidentHabib Bourguiba, et le Cameroun, où il a créé une unité chargée de la luttecontrelegrandbanditismeetleterrorisme:leGroupementspéciald’opérations.

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Il y a aussi les mauvais souvenirs à l’instar de l’affaire « Carrefour dudéveloppement»,ledétournementpardesresponsablessocialistesd’unepartiedes fonds du sommet France-Afrique de Bujumbura au Burundi au mois dedécembre1984.FiamenghiétaitchargédeformerunRAIDlocalpourassurerlasécuritédeschefsd’Étatdusommet .Aujourd’huiàladirectiondelasécuritédu groupeVeolia, il n’en pas fini avec lesmystères de l’Afrique :Veolia, quigéraituneconcessiond’eauetd’électricitéduGabon,aétéexproprié,dujouraulendemain,le16février2018.Pierre-AntoineLorenzi,AngeMancini,Jean-LouisFiamenghi,Jean-François

Rosso…et,lastbutnotleast,BernardSquarcini.Sitouslesmembresdececlubprivé d’anciens policiers et d’hommes de renseignement ne sont pas tousoriginairesdel’îledeBeauté,cetteamitiétientautantàdesparcourscommunsquecroisés.Enrevanche,levraiclubdesolidaritédespolicierscorsesn’estpasplus au 39V de l’avenue George-V qu’au restaurant Villa Corse dans le XV arrondissement de Paris, où Bernard Squarcini a ses habitudes. Ce club des«happyfew»asesracinesdanslenorddel’AltaRocca,terredesseigneursdela Corse du Sud, à Quenza. Tous les 5 août, révèle l’un de sesmembres quiaspire à l’anonymat, « on se retrouve, pas seulement entre Corsesmais aussiavec d’autres grands flics amis. Et l’on revient toujours à se raconter nosaventuresdansnotresecondepatrie,l’Afrique!».

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Notes1.Entretienavecl’auteur,jeudi29mars2018.Depuis2014,MichelTomiaétémisenexamenparle

juge SergeTournaire pour « corruption d’agents publics étrangers » après avoir introduit des sociétésfrançaisesauprèsdesprésidentsgabonaisAliBongoetmalienIbrahimBoubacarKeïtapourl’attributiondegréàgrédecontratsdefournitured’uniformesmilitairesetdeformationd’unegarderapprochée.2.Entretienle21mars2018avecl’auteur.AlainBauervenaitdefêteraurestaurantDrouantlasortie

de son dernier livreLesGuetteurs (avecMarie-ChristineDupuis-Danon,LesGuetteurs , Paris, OdileJacob,2018)aveclaplupartdespatronsdurenseignementfrançaisquiavaientacceptédetémoigner.3 . Olivia Recasens, Didier Hassoux, Christophe Labbé,Bienvenue Place Beauvau , Paris, Robert

Laffont,2017.4.Voirchapitrepremier:«Nosprésidentschouchous.»5.VoirchapitreII:«NoscousinsdesDGSEafricaines.»6.Entretienavecl’auteur,29mars2018.7.CerapportaétélégitiméparletémoignagedujugeMichelDebacq,ancienchefdelasectionanti-

terroristeduParquetdeParisenfaveurdujournalistePierrePéanpoursuiviendiffamationparToussaintLuciani.Jugementdelacourd’appeldeParisdu16novembre2017(dossiern 17/00018).8.Entretienaveclesauteursle22juin2017.9.AntoineGlaser,StephenSmith,CesmessieursAfrique2.Desréseauxauxlobbies,Paris,Calmann-

Lévy,1997.10.Batéké:«lepeupledesTékés»,ethniedelafamilleBongo.

11.LaLettreduContinent,n 372du17mai2001.12.LeMondeAfrique,22février2018.13.Mediapart,22mai2015.14.VoirchapitreV:«Nosagentsdormantsdansleprivé.»15.Entretienaveclesauteurs,9mai2017.16.Corse-Matin,26mai2014.17 . Le mot pinzutu désigne historiquement les soldats français venus mater les insulaires : ces

militairesportaientdeschapeauxpointus,encorsepinzuti.18.Entretienavecl’auteur,5avril2018.19.VoirchapitreIX:«Nosotagesetnosréseauxrivaux.»20.Entretienavecl’auteur,23mars2018.21.Entretienavecl’auteur,7décembre2017.

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CHAPITREV

Nosagentsdormantsdansleprivé

«Toutcommencedurantcettenuitdu31août2016,auQGdecampagneducandidatJeanPing,aurond-pointLesCharbonnagesàLibreville.Àlasuitedelaproclamationdesrésultatsduscrutinprésidentielà16heures,parleministredel’Intérieur Pacôme Moubelet, déclarant Ali Bongo vainqueur, des émeuteséclatentdanslaquasi-totalitéduGabon,maissurtoutàLibrevilleoùnousnoustrouvions », témoigne Jamel Nkebassani Missamou, alors responsable desopérationsélectoralesducandidatdel’opposition,JeanPing .«Malgrécela,monéquipeetmoi-même,installésauquatrièmeétageduQG,

continuons à centraliser les résultats, à les vérifier et ensuite à numériser lesprocès-verbaux qui revenaient de l’intérieur du pays, poursuit l’informaticien.Nousn’avionsàaucunmomentenvisagéquelelieuoùnousétionsallaitsubiruneattaqueaussiviolente.Vers21h15,unnombreimposantdevéhiculesdelagendarmerienationaleetdelapoliceassiègeleQGetdéblaielavoieprincipaleen retirant les barricades qui obstruent le passage. À 23 h 15, le local esttotalementassiégé,deuxhélicoptèressurvolentlebâtimentetlesvéhiculesdelapoliceetdelagendarmeriecèdentlaplaceàceuxdelagarderépublicaine.Descris,despleursmaissurtoutdescoupsdefeurésonnentdanslagrandecourdubâtiment,lecourantestcoupéàl’extérieuretc’estàl’éclatdesarmes,tellesdesluciolesdanslenoir,quenousvoyonsprogresserceshommesquinesemblentreculerdevant rien.Auxenvironsdeminuit,deuxautresconvoisdevéhicules,cettefois-cicivils,arriventsurleslieux.Ilstransportentunevingtained’hommesportantdestenuesdecamouflagenonidentifiables.C’estcecommandodevingthommesmasqués et aguerrisqui lancent l’assaut contre leQGde l’oppositionavantquelesgendarmesn’interviennentpournousarrêter.»Détenutreize joursdans les locauxde laDirectiongénéralederechercheau

camp Roux, situé en face de la présidence gabonaise, Jamel Nkebassani estemmené,le6septembre2016à6heuresdumatin,aupalaisprésidentielparunvéhicule des services spéciaux. Il est interrogé par un enquêteur français qui,

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affirme l’informaticien gabonais, « prétendait être un envoyé spécial de laFrancevenupourdécouvrirceuxquisèmentledésordredanslesrelationsentrelaFranceetleGabon.Ilsefaisaitappeler“02”etm’interrogeaitavecunearmesurlatableetunappareilphoto-caméraenmarche»,préciseNkebassani .La vingtaine de Français qui opèrent dans la garde républicaine de la

présidence gabonaise à de hauts niveaux de responsabilité sont-ils liés à dessociétés françaises de sécurité ? « Pas du tout », assure Antony Couzian-Marchand,l’undesdirigeantsdelasociétéGallice,quiapassélui-mêmedeuxansaupalaisàLibrevillecommeconseillerduPrésidentaumomentdelaCouped’Afriquedesnations.«CesFrançaissontsouscontratgabonaisdans lagardeprésidentielle et dans les écoutes . » Antony Couzian-Marchand gère sescontrats sur l’Afrique, en particulier la formation des gardes présidentielles,depuisDublinenIrlande.PourquoiDublin?Parcequelaloifrançaisen’autorisepascetyped’activité.AuGabon,Galliceaégalementachevéen2017uncontratdetroisanspourlaformationdelapoliceetdelagendarmerieaumaintiendel’ordre(deuxfois1500«éléments»)avecunvoletdefournituredematérielsdeplusieursmillionsd’euros.

DesspeeddatingauQuaid’Orsayentreprofessionnels

Le paradoxe est que la plupart des sociétés françaises de sécurité, enparticulier celles dont les dirigeants opèrent en Afrique, sont toujours« branchées » avec leurs anciennes maisons. Ces dirigeants sont peut-êtreinstalléshorsde l’Hexagone,dansdespaysauxlégislationsplussouples,maisils sont loind’êtredesélectrons libres.AntonyCouzian-Marchandne lecachepas : « Jen’interviens jamais dansunpays sans avoir le feuvert des servicessecrets.Jen’aijamaiseudenogoencequiconcerneleGabon.Enrevanche,ilyaeuunfeurougeduQuaid’OrsaysurlaCentrafrique .»Selonlespériodesetles amitiés politiques à Paris dans les milieux d’affaires français, la positionofficielledes«services»enCentrafriqueabeaucoupzigzagué.Lesliensentrel’administrationetlesentreprisesprivéesdesécuritésesont–

légèrement–institutionnalisésdepuis2014.Auparavant,lesanciens,passésdel’autre côté du pouvoir, étaient tenus à distance par la « Boîte ». Cela ne lesempêchait pas de garder quelques contacts avec leurs frères d’armes les plusproches,maisdiscrètement.Débutfévrier2014,leCentredecriseetdesoutiendu ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a organisé une première

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réunionentredesresponsablesdesservicessecretsetdesopérateursdesécuritéprivéeactifsàl’international.LacommunicationofficielleduQuaid’Orsayest« un dialogue permanent entre le Centre et des organisations professionnellestellesque leClubdesdirecteursdesécuritédesentreprises».Laprésencedesservicesspécialisésn’estpasvraimentprécisée.Parmilesparticipantsfiguraient,entre autres, des dirigeants des sociétés Amarante, Erys, Geos, Risk&Co,Securitas, Garda World… et Gallice . « Le plus important au cours de cesrassemblements, raconte un participant qui tient à rester anonyme, ce sont leséchanges de cartes de visite pour pouvoir rencontrer, plus tard, des officiersd’activedurenseignement,one-to-one…Jetedonne,tumedonnes:ledrapeauavanttout!»Àcesréunions, ilnemanquaitplusqueThemiis,uninstitutdereconversion

dehautsgradésmilitairesetpoliciersfrançais,toujoursprêtspourdesopérationsde formation de cadres dans les armées africaines. Dirigé par l’ex-colonel detroupes demarine Peer de Jong, ancien aide de camp des présidents FrançoisMitterrandetJacquesChirac,Themiisesttrèsactifdansl’ancienpaysduroidesBelges:laRépubliquedémocratiqueduCongo(RDC).UneprésencequiagacefurieusementBruxelles, où l’on estime que la France est trop passive dans sacondamnationdurégimedeJosephKabila.Animésparl’oppositioncongolaise,lesréseauxsociauxnesontpastendresàl’égarddelatourEiffel.Dansunelettreadressée auprésidentEmmanuelMacron, deux lanceurs d’alerte, Jean-JacquesLumumba, petit-neveu du héros de l’indépendance congolaise, réfugié enFrance, et Floribert Anzuluni, dumouvement citoyen Filimbi, dénoncent « lapoursuite de la coopérationmilitaire et sécuritaire avecKinshasa ».Dans sonpointdepressedu28février2018,leporte-paroleduQuaid’Orsayavivementréagienexpliquantque«lacoopérationdesécuritéetdedéfenseconduiteparlaFranceenRDCaconnuunediminutioncesdernièresannéesetaétéadaptéeauregarddel’évolutiondelasécuritéintérieure».Iln’yauraitplusdecoopérationpolicière depuis 2017 et un seul coopérant au sein de l’état-major des forcesarmées.Bienvenue à la coopération privée ! « Sur financement européen » précise

PeerdeJong .Sansdoutequelesascendancesnéerlandaises,doncprotestantes,de cet ex-commandant du 3 régiment d’infanterie de marine ont beaucoupplaidé en sa faveur auprès du président Joseph Kabila, très remonté contrel’Églisecatholiquequisoutientlesmarchesdel’opposition.Fin2017,l’InstitutThemiisaétéchargéduvolet«défense»d’unprogrammederéformedusecteur

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de lasécuritéd’uneduréedesixans(2015-2021), financépourunmontantde25millionsd’eurosparl’Unioneuropéenne.Maisendirect,surfondscongolais,ThemiisgèreaussiuneÉcolesupérieured’administrationmilitaireetformedesofficiers supérieurs au sein du Collège des hautes études de stratégie et dedéfenseàKinshasa.Pourdesformationsdecourtedurée,levivierdesgénérauxfrançaisàlaretraiteestinépuisable!LesplusrecherchéssontévidemmentceuxquiconnaissentleterraintelsqueJean-PaulMichel,ancienconseillerspécialduhautreprésentantdel’Unioneuropéenneetchefdelamissionpourconseilleretassisterlesforcesarméescongolaises.Ilvautmieuxdébarqueravecuncopieuxcarnetd’adressesdansl’état-majorcongolais…LaFranceestdoncprésente–officieusement–danslesecteurdelasécurité

enRDC.Quantauxrelationsofficielles,elless’effectuentquasimentencachettepour ne pas chagriner les partenaires européens de la France, toutparticulièrementlesCongo-BelgesduquartierafricaindeMatongeàBruxelles.C’est ainsi que le 20 juin 2017, à Lubumbashi (Sud du Congo), les deux« Africains » d’Emmanuel Macron – Franck Paris, conseiller Afrique del’Élysée, et RémiMaréchaux, directeur Afrique duQuai d’Orsay – sont allésdiscrètements’entreteniravecNéhémieMwilanyaWilondja,directeurdecabinetdeJosephKabila.L’ambassadeurdeFrance,AlainRémy,étaitprésentainsiqueleministrecongolaisdesAffairesétrangères,LéonardSheOkitundu .Maiscetaller-retour en avion spécial relevait plus d’une rencontre clandestine entrehommesdusecret.ParisetMaréchauxsontdeuxexemplesemblématiquesdesdiplomatespassésàl’écoledelaDGSE(lirechapitre VII ).QuantàMwilanyaWilondja,surnommélevice-président,ildoitengrandepartiesapositionaufaitqu’ilestaussitaciturnequesonpatron.Kalev Mutond, administrateur général de l’Agence nationale du

renseignement,aluiaussilaréputationd’êtreprotégéparlesFrançais.Auseindes conclaves les plus fermés de la Commission de Bruxelles, les diplomatesfrançais seraient intervenusafinqueMutondéchappe, à lami-décembre2016,aux premières sanctions prises par les Européens contre une dizaine de«sécurocrates»durégime.LemaîtreespiondeKinshasaneconfirmepascetteprotectiontricoloremaislanceàlavolée:«Jem’entendstoujoursbienaveclesservices sécuritaires français . » La DGSE ne manque pas d’autres amis àKinshasa tel André Alain Atundu Liongo, le porte-parole de la majoritéprésidentielle. Il a la réputation d’avoir plus d’un contact à Paris dans lesservices : il fut le dernier chef du renseignement de la Sécurité nationale

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d’intelligenceetdeprotectiondumaréchalMobutu.Information inédite : les services français avaientmême réussi à recruter le

colonelEddyKapend,chefdelasécuritéduprésidentLaurent-DésiréKabila .C’estluiquiavaitabattu,le16janvier2001,RashidiMizele,legardeducorpsdeLaurent-Désiré qu’il venait d’assassiner. Par la suite,EddyKapend fut lui-mêmeimpliquédansladisparitionduchefdel’Étatetcondamnéàmortàl’issued’unprocèscontroversé.Ilclametoujourssoninnocence.

Latraverséedumiroirpublic-privé

Silesresponsablesdesservicessontaujourd’huiplutôtbienveillantsàl’égarddeleursancienspassésausecteurprivé,c’estqu’ilsontdesdifficultésàrecruteret, surtout, à fidéliser leurs agents. D’où la facilité accordée, par décret dejuillet2017,auxespionsfonctionnairesàsereconvertirdansl’investigationetlasécuritéprivée .Touslesofficiersousous-officiersdestroisarmées(air,terre,mer) qui auront effectué au moins huit années de service actif, en particulierdansdesunitésderenseignementoudemissionsdecommando,peuventexercerdesactivitésd’agentderechercheprivéoudeprotectionphysique.Cedélaiestréduit à cinq ans pour lesmembres de laDirection du renseignement et de lasécuritédeladéfense(anciennementDPSD).Cefeuvertofficielviententérinerledésengagementdel’Étatetlepassageau

secteurprivédecentainesd’anciensagentsdesservicessecretsfrançais.Dansunpremier temps, plusieurs dizaines d’anciens officiers du service Action de laDGSE ou des forces spéciales, analystes et cadres du renseignement, n’ontproposéleurscompétencesqu’auxseulsgrandsgroupesfrançais.Dansl’Afriquemondialiséeetfaceàlaperted’influencedelaFrancedanssonancienprécarré,cetteoffreaétéélargieàd’autressociétésétrangères.Aujourd’hui,lesofficierslesplusexpérimentésmobilisentaussi leursréseauxdans l’administrationpourobtenir des contrats de protection des ambassades de France ou desdéplacements de personnalités officielles en zones sensibles. Un nouveaumarchéd’avenir.IlsuffisaitdesuivreleministrefrançaisdesAffairesétrangèresJean-YvesLe

Drian lors de son voyage en Libye, début septembre 2017, pour mesurer lacompétitionentrecesentreprises.GeosassuraitsaprotectiondansTripoli.ÀlatêtedeGeos,ungénéral trèsexpérimenté :DidierBolelli,anciendirecteurdesopérations de la DGSE, ancien directeur de la DRM et de la DPSD. Qui dit

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mieux ? À Tobrouk, c’est SMS Security Consultancy du Français GillesBourguignonquiétaitàlamanœuvre.ÀBenghazi,lesdéplacementsduministrefrançaisontétédirectementassurésparlesforcesdumaréchalHaftar…UnalliédelaFrancesoutenuaujourd’huiparlaDGSE.C’estdanscetterégionquetroissous-officiers françaissontmorts«enservicecommandé», le20 juillet2016,danslecrashdeleurhélicoptère.Enconcurrencesévère,lessociétésdesécuritéfrançaiseenLibyes’adaptent

auxconflitstribauxsurplace.Àchacunsarégion!AnimépardeuxanciensdelaDGSE,ArnaudDessenne et StéphaneGérardin, le groupe Erys est quasimentdevenu le référent sécuritédu conseilmunicipalde lavilledeZintan, située à150 kilomètres au sud-ouest de la capitale. Tous les groupes étrangers quiambitionnentd’opérerdans larégiondeZintanontainsi intérêtàconnaître lesnuméros de mobile des deux patrons d’Erys, qui entretiennent égalementd’excellentesrelationsaveclegouvernementdeTripoli.Toutes ces sociétés répondent en outre aux appels d’offres en matière de

protection et de sécurité des Nations unies et de la Commission européenne.Maispournégocieraveccesadministrations,ilfautdisposerd’unsérieuxback-officeadministratif.Pourlescontratsémisparl’arméefrançaise,cesontsouventlesbagarresinterarmesquidominent.EnAfrique,cesontlesréseauxdefrèresd’armesdes troupesdemarine,de laLégionétrangèreoude l’armeblindéeetcavaleriequipriment.EnmargeducinquièmesommetUnionafricaine-Unioneuropéenne,quis’est

tenule30novembre2017àAbidjan,leprésidentEmmanuelMacronaproposéàson homologue ivoirien Alassane Ouattara de créer dans son pays une écolerégionale de lutte antiterroriste.Ambition : formerdes officiers supérieurs desforces spéciales,du renseignementetd’autres forcesd’interventionde toute lasous-région. La France ayant promis demettre 30millions d’euros au pot, ceprojetmobilise plusieurs sociétés françaises de sécurité privée.Comme il fautcinq anspour formerun élément des forces spéciales qui ne sera opérationnelqu’unedizained’années,l’appuidusecteurprivéestunenécessitéafindenepaspiocherdanslepooldesformateursduCOSfrançais.Plusieursanciensofficiersderenseignementdel’arméefrançaise,aujourd’huiàlatêtedesociétésprivées(Erys, Corpguard…), tournent autour du tout-puissant ministre ivoirien de laDéfense,HamedBakayoko,quiseral’undesdécideursdeceprojet.

LesP-DGetleurshommesdel’ombre

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Les patrons n’externalisent pas tous leur sécurité et leurs besoins enintelligenceéconomiqueàdes sociétésprivées.À l’époqued’ElfAquitaine, larègleétaitimmuable:c’étaittoujoursunofficierdelaDGSEquiprenaitlepostestratégiquedelasécurité,surtoutlesancienschefsduserviceAction.C’estainsiqueMauriceRobert,Jean-PierreDaniel,PatricedeLoustaletAliceLamarquesesont succédé à la sécurité d’ElfGabon dans les années 1980 et 1990. Le lienombilical avec la « Boîte » était loin d’être coupé. Aujourd’hui, PatrickPouyanné, P-DG de Total, reçoit bien des notes et analyses politiques etstratégiquesd’uneoudeuxpagesdeconsultantsextérieurs,maisl’essentieldelasécuritéestgéréeninterne.Lesprioritéspourlacompagniepétrolièreontaussichangé.Pouyannéestplusdemandeurd’informationssurlaRussieouleMoyen-Orientquesurl’Afrique.MartinBouyguesgardeunanciencadredehautniveaudelaDGSEpoursasécurité:BrunoLefebvre,unanciendusecteur«N».Autreexempledelienavecles«anciens»:quandlepuissantgroupeCastel(bières,sucre)aeubesoindeluttercontrelafraudedouanièreenCentrafrique,ilafaitappel à un ancien légionnaire et honorable correspondant corse des services,ArmandIanarelli.Mais la greffe ne prend pas toujours entre anciens militaires et patrons de

groupes privés. La famille Saadé, qui gère le groupe CMA-CGM, leader dutransportmaritimeenAfrique,aainsiuséplusd’ungénéraldanssesbureauxdeMarseille.AnciendirecteurdecabinetdeBernardBajoletàlaDGSE,legénéralFrédéricBeth a jeté l’éponge après avoir passémoins d’un an dans la grandetourdel’entreprisequidomineleportdeMarseille.Pressentipourluisuccéderen tant que conseiller sûreté et affaires réservées de JacquesSaadé, le généralDidier Castres, sous-chef d’état-major en charge des opérations, a finalementdécliné l’offre. Il semble que le fils Saadé, qui a pris la barre du groupe,s’entendemieuxaveclesdiplomatesreconvertisdansleprivé.AprèsMicheldeBonnecorse, ancien conseiller Afrique de Jacques Chirac à l’Élysée, c’estaujourd’hui Georges Serre, ambassadeur de France en Côte d’Ivoire jusqu’enjuillet2017,quis’estinstallésurlaCanebière.Fautedelégislation–au-delàdelafacilitéaccordéeaumoisdejuillet2017à

lareconversiondanslesecteurprivéd’anciensmilitaires(péculed’incitationaudépartanticipépourlesofficiers)–,lesconditionsstructurellesd’interventionenAfriquede«nosagentsdormantsdansleprivé»restentlargementaléatoiressurleplanjuridique.Cen’estqu’en2014queleministredelaDéfenseJean-YvesLeDrianacommandéunrapportaugénéralThierryCaspar-Fille-Lambiepourétudier lesmodalitésd’associationdesentreprisesdeservicesdesécuritéetde

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défenseauxmissionsmenéesparlesforcesfrançaises.Cegénéraldel’arméedel’airquiavaitassuré,en2013,lesmoyensaériensdel’opérationServalauMaliet de l’opération Sangaris en Centrafrique a fait ses adieux aux armes enseptembre2015 sansque son rapport n’ait ébranlé leministère de laDéfense.Uneréflexionquis’esteffectuéeàbasbruit.Déjà en 2011, les députés Bernard Cazeneuve et Louis Giscard d’Estaing,

chargésd’unemissiond’évaluationetdecontrôlesurlesexternalisationsdansledomaine de la défense, avaient eu beaucoup de difficultés à faire parler laGrande Muette sur les sociétés militaires privées . Ils avaient « passé à laquestion»lecolonelFrançoisdeLapresle,alorssous-directeurdelapolitiqueetde la prospective à la Délégation des affaires stratégiques du ministère de laDéfense. Le colonel avait d’abord tapé sur « ces Anglo-Saxons » qui ontmassivementrecoursausecteurprivéenmatièredesécurité:«Ilsn’ontpasunetraditiondeséparationdespouvoirsetmêlentlapolitique, lesintérêtsprivésetl’économie. Ils adoptent à l’égard des sociétésmilitaires privées une stratégieglobale avec tous les risques de mélange des genres que l’on sait. Nous nesouhaitonspasdonneràcessociétésdescompétencesquipourraientlesamenerà de telles dérives et donc offrir un cadre clarifié. » Tout de même, avaientrelancé les députés, il y a bien des agents de sociétés privées françaises quisurveillent des ambassades de France ? « C’est le ministère des Affairesétrangèresquialancél’externalisationdansl’exercicedesesattributions,sansyassocierleministèredelaDéfense»,avivementretournélecolonel!Unerareboufféepubliqued’agacementvis-à-visdesdiplomatesquiempiéteraientsurledomainedecompétencedesmilitaires.Pourtant,àl’issuedesestravaux,lamissionarecommandé«laplusextrême

prudence à l’égard des sociétés militaires privées, tant en ce qui concerne ladélivrance d’agréments que le choix desmissions qui leur sont confiées ».Bref,toutresteofficiellementsouscontrôledel’Étatjacobin.Lesrelationsentrelesofficiers,désormais«civilisés»,dirigeantsdeleurpropresociétéprivéedesécurité,etleursanciensfrèresd’armesdesmaisonsmèresderenseignement,sepoursuivront,asusual,dansleplusgrandsecret.Sansloi,sansstructuresetsurlaseulebasedelaconfianceéprouvéeetdel’oralité.Est-cesidifférentpourlesautresintervenantsextérieursaucontinentdansle

domainedurenseignement?LesplusactifsetlesplusfurtifssontlesIsraéliens.«Ancien»estunmotquin’existepasdanslelangagedesofficiersduMossad!

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Notes1.Entretienavecl’auteur.Paris,le15juillet2017.2 . Jamel Nkebassani Missamou est présenté le 13 septembre 2016 au procureur pour sa mise en

accusationpour,entreautres:«Crimecontrelapaixpubliqueetdélitd’utilisationillégaledeservicesdetélécommunications. » Mais la doyenne des juges d’instruction le remet en liberté provisoire avecinterdiction de quitter la capitale. JamelNkebassani rejoindra clandestinement la France.Le 9 janvier2018, ilaportéplainteàParisauprèsdudoyendes jugesd’instructionduTGIcontre lesFrançaisquiopèrentauseindelagarderépublicaineetauraientparticipéàl’attaqueduQGdeJeanPing.3.Entretienaveclesauteurs,Paris,9mai2017.4.Ibid.

5.IntelligenceOnline,n 709du2avril2014.

6.Entretienavecl’auteur,Paris,1 février2018.7.JeuneAfrique,27juin2017.8.LeMondeAfrique,30juin2017.9.Confidenced’undiplomatefrançais,Paris,16février2018.

10.IntelligenceOnline,n 789du6septembre2017.11.BernardCazeneuve,LouisGiscardd’Estaing,«Rapportd’informationdelaMissiond’évaluation

etdecontrôle (MEC)sur lesexternalisationsdans ledomainede ladéfense»,Assembléenationale,5juillet2011.12.Ibid.

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CHAPITREVI

Nosfaux-frèresisraéliensaux«grandesoreilles»high-tech

Appelons-le « Haskel ». Un pseudo, tant cet homme de l’ombre ne nouspardonneraitpasd’êtreidentifié.AncienresponsableduMossadoud’uneunitéde l’Israeli Defense Force, dédiée au réseau de la Cyberdéfense israélienne,Haskelimpressionne,etpasseulementparsamusculature.Spécialistedetoutcequi est offensif enmatière d’interceptions téléphoniques et de pénétrations dedonnées, il tientàvousmettreà l’aise : sivous le trahissez, il sauravitevousretrouver.Aussiêtes-voussoulagéqu’ilpassetrèsviteauxtravauxpratiquessurlesdonnéesd’autrescobayes.Quevoulez-voussavoir?Onse lance :«Oùsetrouveencemomentceprésidentd’unpaysd’Afriquecentrale(dontontairalenom)quiestenvisiteàParis?»En quelques minutes, à l’aide d’un numéro GSM international, Haskel

géolocalise le numéro un de ce pays.Après avoir été reçu à l’Élysée, ce chefd’Étatsepromèneactuellementdansunezonedemagasinsde luxe.Haskelnes’arrêtepaslà.Àl’aided’uneautreapplication,ilaccèdeàtouslescontactsdurépertoire téléphonique d’une proche de ce même président, en hackant sonGSM.Là,vousêtesunpeugêné,unpeuvoyeur…Surtoutquandilestcapable,à partir de cette liste de contacts, de localiser n’importe qui dans les zonescouvertespardessatellites.Après une telle démonstration, on comprendmieux l’affluence des hommes

du renseignement dans les Forums de cybersécurité France-Israël-USA,organiséschaqueannéeàParis.Les«sécurocrates»despalaisafricainsnesontpas les derniers à hanter les travées et les stands de ces réunions. Mais lesreprésentantsdesgroupesisraélienslesplusactifsenAfriquen’ontpasattenducerendez-vous:ilssesontdéjàrendussurleterrainpourproposerauxpouvoirsen place la panoplie complète de leurs équipements high-tech . L’éventail estlarge :duvirusPegasusdeNSOGroup,championisraéliendudéveloppement

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de logiciels espions, au systèmede neutralisation de drones ennemis au rayonlaserdeMCTECHHorizonSolution,sansoublierlesinterceptionssurlescâblesde télécommunication d’Athena GS3, filiale de Mer Group, ou sur lescommunicationsen4Gd’ElbitSystems.Les néophytes pourraient s’interroger sur cette stratégie entre Israéliens et

AméricainsàParis.Laréponseest toutesimple:auxIsraélienslatechnologie,auxAméricains lescapitauxpour financer lespremiers.Chaperonnéspar leursanciens services (Mossad, Shin Bet ou Israeli Sigint National Unit), « lesvétéransdesunités8100et8200,spécialiséesdanslesécoutesetlehackingdeprécision, bénéficient d’un accès privilégié aux capitaux américains, enparticulier californiens », nous apprennent nos confrères Pierre Gastineau etPhilippeVasset,quiontlonguementenquêtésurlestaupeslesplusenfouiesdudarknet .«Une société comme leMerGroup, qui assure les interceptions Internet et

télécomspourlecomptedeplusieurspaysafricainsetdontledirigeantdel’unedes filiales, Athena G3, n’est autre que Shabai Shavit, ancien directeur duMossad, aurait fait fuir n’importe quel business angel européen, inquiet desrépercussions d’un tel investissement sur son image », écrivent Gastineau etVasset.IlssesontégalementintéressésauCalifornienFranciscoPartners,quiaracheté deux opérateurs de surveillance israéliens : le petit groupe NSO,spécialisédans l’exploitationde failles informatiques,ainsiqueCircles, tournéversl’interceptiondescommunicationscellulaires.

«Lesprésidentsveulentjustesavoirquicoucheavecqui!»

Lesprésidentsafricainssontfansdetouscesmatérielsd’écoute.«Maisilslesachètent rarementpour lasécuritédupays»,confieuncadreafricain,sollicitédanscesmilieuxpoursaconnaissancedumarchédelasécurité.«L’entreprisepourlaquellejedevaisvendredumatérielademandéàl’entouragesécuritaireduPrésident de dresser une liste de quinze personnes à cibler, autrement dit àécouter. Seules cinq demandes concernaient des opposants. Les dix autres sesont avérées être des demandes pour des affaires de mœurs. Tout ce qu’ilsvoulaientsavoir,c’estquicoucheavecqui!»,selamenteceprofessionnel.Cequin’enlèverienàlaqualitédumatérielutilisé.CettescènevécueauCameroun,pays où les services nationaux vivent en osmose avec d’anciens officiers durenseignementisraélien,enestlapreuve.

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Même la première dame, Chantal Biya, y a son propre service derenseignement et pas, comme le disent lesmauvaises langues, pour surveiller« Monsieur » de très près. C’est avant tout un symbole de pouvoir. À laprésentation d’une cérémonie de vœux, devant un aréopage d’épouses deministres et autres femmes d’influence, les participantes étaient contraintes delaisserleurportableàl’entrée…C’estdirelaparanoïasécuritaireaupalaisalorsqu’aucun secret n’a jamais circulé dans ces réunions de courtoisie. L’une desparticipantesacependantcruêtre laplusmaligne:elleagardésonappareiletenvoyé un texto à une amie. Un acte qui a vite été repéré par les grandesantennesetautreséquipementsdesurveillanceinstallésparlesIsraélienssurletoitetdanslepalais.Àlasortie,touteslesparticipantesontétéinterrogéesetlacoupableretrouvée.Onnesaitpasquelleaétélasanctionpourcecrimedelèse-majesté.AuCameroun, les hommes duMossad, officiels et officieux, sont chez eux

depuis le 6 avril 1984, date d’une tentative de coup d’État contre le présidentPaulBiya.Lechefdel’Étatcamerounaisleuraconfiésasécuritéetsesservicesde renseignement. Il a toujours été persuadé que certains milieux français,nostalgiques de la période de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, avaientsoutenuleputsch.Aussiest-iltoujoursméfiantàl’égarddelaDGSE,mêmesilesrelationsavecParissesontamélioréesdanslecadredelarécupérationdelaricherégionpétrolièredeBakassi,revendiquéeuntempsparleNigeria,puisdelaluttecommunecontrelemouvementterroristeBokoHaram.Encadré par des officiers israéliens, leBIR (Bataillon d’intervention rapide)

camerounais a d’abord été dédié à la sécurité présidentielle avant d’intervenirdansleNorddupayscontrelemouvementdjihadistenigérian.LepatronduBIRest Maher Herez, un ex-général de Tsahal (l’armée israélienne), après ladisparitionen2010desonprédécesseur,lecolonelAbrahamAviSivan,danslecrashdesonhélicoptère.Sivanétaitl’ancienattachédedéfensedel’ambassaded’Israël à Yaoundé. Auparavant, c’était un autre colonel du Mossadofficiellement à la retraite, Meir Meyouhas, dit Meyer, qui supervisaitl’encadrementdelagardeprésidentielle.Jusqu’en1988,cedernieravaitofficiéauZaïre(aujourd’huiRDC),auseindelagardedumaréchalMobutu.Pour l’équipement militaire, tous ces officiers israéliens travaillent ou

travaillaientavecSamiMeyuhas,fournisseuragrééparleministèreisraéliendelaDéfenseetquiopèredepuisGenève.PourlagardeprésidentielleetleBIR,lescrédits sont illimités pour l’achat des armements et équipements les plus

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sophistiqués.Les6800hommesdelagardeprésidentielle,véritables«rambos»suréquipés, pourraient sans problème résister aux 40 000 hommes de l’arméecamerounaise.OnreconnaîtlescommandosformésparleBIRàleursPataugasbeigeset,surtout,àleursconversationsenhébreu,langueobligatoiresil’onveutgrimper dans la hiérarchie de cette brigade d’élite. Les officiers camerounaisdoivent apprendre l’hébreu pendant un an et demi. Après tout, Yaoundé n’estqu’àquatreheuresdevoldeTel-Aviv.LapassiondePaulBiyapourIsraëlvaau-delàdusimpleparapluiesécuritaire.

Selonlesconfidencesd’unanciendiplomateisraélien,leprésidentcamerounaisaétéinitiéàlaKabbaleparlerabbinfranco-israélienLéonAshkenazi.AussileCamerounest-ill’undesrarespaysafricainsquivotetoujoursenfaveurd’Israëlau Conseil de sécurité des Nations unies, en tout cas jamais contre. Au pis,l’ambassadeur camerounais prétexte une envie pressante pour s’abstenir devoter…Dans cette ambiance sécuritaire israélienne, mieux vaut ne pas être trop

proche des services français, sous peine d’être marginalisé. C’est ce qui estarrivéàEdgardAlainMébéNgo’o,anciendéléguégénéralàlasûreténationaleduCamerounpuisministredéléguéàlaprésidence,chargédelaDéfense.AvecLéopoldMaximeEkoEko,l’undesesproches,directeurgénéraldelarechercheextérieure, il avait bien géré la libération en 2008 des dixmarins français duBourbonSagittaenlevésau largede lapéninsuledeBakassi.NicolasSarkozy,qu’AlainMébéNgo’o avait fréquenté quand le président français était encoreministre de l’Intérieur, voulait le décorer de la Légion d’honneur à l’Élysée.Prudent,Mebe Ngo’o a demandé l’autorisation à Paul Biya. Pas vraiment deréponse de l’énigmatique chef de l’État.MebeNgo’o a tout demême préféréêtre décoré Place Beauvau, au ministère français de l’Intérieur, plutôt qu’àl’Élysée . Surtout ne pas paraître adoubé par la présidence française pourpouvoiréventuellementsuccéderàBiya!Danslesautresanciennescolonies,iln’yaguèrequeleTogosurlequelIsraël

puisse compter comme fidèle allié pour défendre ses positions, tant sur lecontinent que dans les organisations internationales. Une vieille complicité.C’est en Israël que l’ancien président Gnassingbé Eyadema allait toujours sefairesoignerlesyeux.Ilestd’ailleursdécédéd’unecrisecardiaque,le5février2005,dansl’avionquileconduisaitàTel-Aviv.Sonfils,FaureGnassingbé,quiluiasuccédé,aofficialisédesrelationsavecIsraël,surunmodeplusdiscretquedutempsdesonpère.AuxNationsunies,leTogoaainsiétéleseulpaysafricain

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àvoter,le21décembre2017,contrelacondamnationdeladécisiondeDonaldTrump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël.Même leCamerouns’estabstenu.Quelquesmois auparavant, le 7 août 2017, FaureGnassingbé avait dîné en

tête-à-têteàTel-AvivavecBenjaminNetanyahou.Lechefd’État togolaisavaitconfirméauPremierministreisraéliensonengagementd’organiseràLomé,du24 au 26 octobre 2017, le premier sommet Israël-Afrique. Une promesse nontenue.Àlasuitedemanifestationssocialesetpolitiquesd’enverguredanstoutlepays, ceprojet adû être reporté sinedie . Sans doute un soulagement pour lePrésident,quisubissaitlapressiondeplusieursdeseshomologuesafricainsàlatêtedepaysmusulmans.

LeMossadauxpaysdesdiamantaires

Mais business is business : priorité aux écouteurs de la technologieisraélienne d’espionnage, même dans des pays où les relations diplomatiquessontàl’étiage.Lesdémarcheursdecetypedematérielsontainsireçusaveclesourire professionnel des maîtres espions locaux, même dans les présidencesafricaineslesplushostilesàlapolitiquedeTel-Aviv.Delonguedate,lesanciensduMossadsontenterrainconquisdanslesgrandspaysminiersducontinentoùs’affairentlesdiamantaires,àl’instardeDanGertlerauprèsdeJosephKabilaauCongo-KinshasaetdeLevLevievenAngola.Cedernieralongtempsbénéficiéde laprotectiondeMirlaGalqui a été en activité auMossadpendantplusdetrenteans,tantenAfriquequ’enFrance.De crainte d’être piétinées, les PME de cybersécurité tentent néanmoins

d’éviterlespaysoùs’affrontentàmortlestrèsgrandesfortunes,commecelledeGeorgeSoros qui s’oppose à celle deBenySteinmez enGuinée. «Quand leséléphants se battent, ce sont les fourmis qui meurent », rapporte sagement leproverbe. Mais certaines prennent le risque : il y a de sérieux contrats àrécupérer pour les fourmis survivantes. L’un des principaux collaborateurs deBenySteinmetzenGuinéeétaitAsherAvidan,unanciencadreduShinBet.Les anciens des services israéliens sont toutefois souvent meilleurs en

technologie qu’en politique africaine. Le soutien d’Israël Ziv, ancien directeurdesopérationsdeTsahal,auputschisteguinéenMoussaDadisCamaraen2009n’a pas été une heure de gloire de l’expertise de l’encadrement d’une gardeprésidentielleenAfrique .Le28septembre2009,l’arméeguinéennearéprimé3

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dans le sang (156morts) unemanifestation de l’opposition. À son arrivée aupouvoirennovembre2010àConakry,leprésidentAlphaCondéaégalementfaitappel à une entreprise israélienne de sécurité : AD consultants, de l’ancienlieutenant-colonel de l’Israeli Air Force Gabriel Peretz, qui fournit aussi desavionsdetransport .AuCongo-Brazzaville, qui a des liens financiers étroits avec leQatar pour

l’exploitationdupétroleet,plusrécemment,avecl’Arabiesaoudite,Tel-Avivafournil’ensembledessystèmesd’écouteetdebrouillageduConseilnationaldesécurité, dont le patron est Jean-DominiqueOkemba, l’un desmaîtres espionsafricains préférés de ses homologues français. Ces équipements sont installésdanslatourElfNabembaquisurplombeBrazzaville.Dans d’autres bastions français comme la Côte d’Ivoire, les Israéliens sont

restésprésentsmêmeaprèslechangementderégimeen2011quiavuledépartdeLaurentGbagboetl’arrivéeaupouvoird’AlassaneOuattara.Ilsontéquipéenmatérielsd’écouteunétagedel’HôtelIvoire,quidominelaLagune,lepointleplushautdelacapitaleivoirienne,et,aussi,lessous-solsdelaPosteduPlateau.Desoncôté,lasociétéisraélo-canadienneVisualDenceetsafilialeAviSecure,déjàprésenteauportd’Abidjan,ontobtenupourvingt-cinqanslaconcessiondelasécuritéglobaledel’aéroportd’Abidjan.Unsitehautementstratégique.Au détriment des Français dontAbidjan est lemeilleur point d’entrée dans

l’Afriquedel’Ouestfrancophone?Pasvraiment.«Celanenousgênepastantquecela,onad’autresmoyenspoursavoircequisepasse,d’autrescapteurstrèsefficaces»,confieunhautresponsablefrançaisdurenseignementquin’endirapasplussurces«capteurs».

LaDGSEnelabellisequelatechnologietricolore

Cette offensive tous azimuts des « petites oreilles » technologiquesisraéliennes gêne d’autant moins la DGSE que le service français tourne encircuitfermé.Sadirectiontechniquenelabellisequelessociétésnationalesquiont été testées commeétanches ethabituées auxmodusoperandi secrets de la«Boîte».LasociétélaplusconnuedesfournisseursagréésettraditionnelsdelaDGSE estErcom, installée àVélizy-Villacoublay, pas très loin de ses grandessœurs,ThalesetDassaultSystèmes.Sursonsite,Ercomseprésentecommeunspécialisted’outilsdéfensifsdechiffrementdecommunications.Cettesociétésevante d’équiper, depuis 2002, l’avion présidentiel français d’un téléphone

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sécurisé et d’avoir pour principaux clients l’Élysée, le Quai d’Orsay,l’ImprimerienationaleetOrano(ex-Areva).C’estdirelaconfiance!Lemasqueafricaind’ErcomestsafilialeSunerisSolutionquidispose,quantàelle,d’unepanoplie d’outils plutôt offensifs d’interception. La DGSE oriente sesmaîtresespionsafricainsalliésduMali,duNiger,oudelaCôted’Ivoireverscetypedesociétéscompatibles.Voilà pour le renseignement intérieur auprès des pouvoirs africains. Pour

surveillerl’immensezonesahélo-sahariennedeplusde5millionsdekm ,c’estune autre histoire. LaDGSE et laDRM ont longtemps été tributaires du bonvouloirdurenseignementaméricain.Commel’areconnu,le8mars2018àl’Assembléenationale,legénéralJean-

FrançoisFerlet,directeurde laDRM, le renseignement françaisauSahel,sansles Américains, serait borgne et dur d’oreille : « Nous avons énormémentd’échangesaveceux,auniveaucentral,entreagencesderenseignement,etsurleterrain, notamment au Sahel où le soutien américain en moyens aériens desurveillance et de reconnaissance est déterminant pour nos opérations. CeséchangesderenseignementsaveclesAméricainssonttrèsimportants[…].Sansaller jusqu’à une formule de Six Eyes , nous avons obtenu des accordsbilatérauxdepartagedurenseignement .»Aujourd’hui,lesdeuxservicessecretsfrançaisespèrent,nonsansimpatience,

disposer d’ici 2025 de leur propre flotte de huit drones et, d’ici 2030, de huitavionslégersdesurveillanceetdereconnaissance.Enattendant,laDRMutiliseson Transall C-160 Gabriel. Il recueille du renseignement en pratiquant desécoutes, explique le général Jean-François Ferlet : « Le linguiste (parlant letamasheq) est dans l’avion, il écoute en direct, et s’il entend quelque chosed’intéressant, il note l’information et la diffuse immédiatement. Par ailleurs,nous disposons de beaucoup d’informations dans les bases de données. Toutn’estpastraduit.Cesinformationspeuventfairel’objetderecherchesultérieurespourdesétudesplusfouilléessurdessujetsspécifiques .»Quant à la DGSE, elle sous-traite au prestataire privé CAE Aviation ses

missionsenIntelligence-Surveillance-Reconnaissance.BernardZeller,lepatronde cette société dont le siège est installé sur l’aéroport du Luxembourg, adémarré ses activités dans l’épandage agricole avant de se développer dans lerenseignement.Lesservicessontvenuslechercheren2011àNouakchott,avantl’opération Serval en 2013. Le pilote ne disposait alors que d’un avion.Aujourd’hui, CAE Aviation met à disposition des services français de

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renseignement ses onze avions (Beechcraft 350 « Super King »,FairchildSA227«MerlinIV»…).Lecrash,le25octobre2016àMalte,d’unappareildecettecompagnieavec

cinqmembres de laDGSE à bord a toutefois relancé les interrogations sur lebien-fondédecettesous-traitancedansundomaineaussisensible.«L’achatdece type d’avion est trop cher pour nous. La location est plus souple et nouspermetdebénéficierdesévolutions technologiquesen tempsréel», justifieunhaut responsable du renseignement français. Si laDGSE a ses habitudes avecCAEAviation,laDRM,outresonTransallC-160,louelesavionsdelasociétéAir Attack Technologies qui disposent d’instruments d’interception decommunicationssatellitairespriséesparlesdjihadistes.

AuSénégal,onécoutelessous-marins

Pourmoderniserses«grandesoreilles»ausol, laFranceserepliedanssonfief imprenable du Sénégal. À la pointe ouest du continent africain, ce paysd’une importance géostratégiquemajeure est le plus français d’Afrique. C’estjustement à Rufisque, ancienne capitale de l’Afrique-Occidentale française(1902),surnommée«lepetitParisdel’Afrique»,quel’arméefrançaisedisposede son plus grand centre d’écoutes dans la région. Ses antennes balayent unepartiedelazonesahélo-saharienne.Ellesserventégalementderelaissecretauxsous-marinsnucléairesfrançaisquipatrouillentdanslesfondsdel’Atlantique.En2017,laDGSEetlesservicesduministèredel’Intérieurontcommencéla

formationdetechniciensetd’analystessénégalaisdanslaperspectivedemonterun nouveau grand centre d’interceptions. Au cœur de cette fête high-tech :l’araignéeThalesetsesnombreuxsecteursdedéfense,desécuritéetdetransportterrestre.Thales est engagéauSénégal autantdans laventededeux radarsdedétectionaérienneGM400–sesmodèles lesplusrécentsetperformants–quedans lemégaprojet de train express régional qui reliera la capitale,Dakar, aunouvelaéroportinternationalDiamniadio.Desaffairesconcluesen2017,entêteàtête,entrelesprésidentsMackySalletEmmanuelMacron.C’estaussiaupaysdel’ancienprésident-poèteLéopoldSédarSenghor–dont

le nom a été choisi par la promotion de Macron à l’ENA – que la Franceorganise chaque année un Forum sur la paix et la sécurité en Afrique. Laquatrièmeéditions’est tenueàDakar les13et14novembre2017.Unesacréeorganisation mais un rituel bien rodé. Les cinq cents participants quittent à

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l’aubeleurshôtelspouréchapperauxembouteillagesd’enferdeDakar.Pourdesraisonsdesécurité,ilssontexfiltrésà30kilomètresausud-ouestdelacapitalesénégalaise, au Centre international de conférence Abdou Diouf (CICAD).Gigantesquemasse de béton hors sol, construite par les Turcs, le CICAD estsituédanslanouvellezonefuturistedeDiamniadio,plutôtlunaire:pasâmequiviveàl’horizon.LeForumseveut international.Las, lesministresdesAffairesétrangèresdu

Kenya, du Ghana et de la Zambie se sont, pour cette quatrième édition,décommandés à la dernière minute. Aussi l’ambiance générale est-elle restéefrancophone, plutôt tricolore et entre soi.Bref, un peu rétro dans uneAfriquemondialisée. La grande majorité des sociétés participantes sont françaises.Officiellement,aucunesociétéisraéliennen’estprésente!Danslegrandhallducentre, les officiers généraux de l’armée française opérant en Afrique, enuniforme,semblentheureuxderetrouverleursanciensfrèresd’armes,dejeunesgénérauxretraitéspassésausecteurprivé.Ilséchangententreinitiés.Tousfuientdesassembléesplénièresauxdébatslénifiants.Cen’estquedanslehuisclosdesateliers, où interviennent de discrets émissaires de terrain dans les zones deconflit sahéliennes, que l’on apprend le modus operandi du renseignementhumain,complémentindispensableàtouslessystèmesd’écoute.Pour lesconsultantsprivésdéfroquésde leuruniforme, laprincipaleactivité

aucoursdeceforumestdecontacter lesquelquesgénérauxafricainsprésents,surtout les patrons des états-majors du G5-Sahel (Mauritanie, Burkina Faso,Mali, Niger, Tchad) à la veille du déblocage d’importants financements pourl’acquisitiond’équipements.Leplusdurpourlesgénérauxretraitésfrançaisquiontmonté leur entreprise est de pister les apporteurs d’affaires de l’entouragedes présidents africains. Fils du président du Mali, député et président de lacommissiondedéfensedel’Assembléenationale,KarimKeïtaétaitl’hommeleplus recherché de ce forum 2017. C’est sans doute la raison pour laquelle iltraversaittoujourslehallàviveallure…Dans ce huis clos familier du monde des affaires de la sécurité et de

l’armement en Afrique, l’invité-surprise de cette quatrième édition fut leprésidentrwandaisPaulKagame.Futurprésidentdel’Unionafricaineen2018,ilnepouvaitpasrefuserunebrèveapparitionàsespairsd’Afriquedel’Ouest,leSénégalaisMackySalletleMalienIbrahimBoubacarKeïta.Justeletempspourlechefd’Étatrwandaisd’appelerlesAfricainsàseprendreenmainetànepas« laisser les autres définir nos défis à notre place et prendre en charge la

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résolution de nos problèmes ». Une petite leçon en terre franco-sénégalaise.Avant de quitter le forum, Paul Kagame aurait toutefois, dans le plus grandsecret,serrélamaindugénéralGrégoiredeSaint-Quentin,anciencommandantdelamissionmilitairefrançaiseauRwandaen1994.Unepaixdesbravespluspolitiquequemilitaire.Enclôture,le14novembre,leministredel’EuropeetdesAffairesétrangères

Jean-Yves Le Drian a évoqué le projet en cours d’une école nationale de lacybersécurité à vocation régionale. « Il s’agit d’un projet innovant, en vue derenforcerlescapacitésdenospartenairesafricainsdanslaréponseauxmenacescyber,quecesoitlaprotectiondesréseaux,laréponseauxcyber-attaques,maisaussi la lutte contre la cybercriminalité et le terrorisme, qui sont desmenacestout à fait réelles et ne sont pas limitées au monde européen ou au mondeaméricain»,alancél’ancienministredelaDéfense.Iladéjàprisdatepour«leconstat du caractère opératoire de cette école » au prochain forum denovembre2018.Sansdouteuncalendrierunpeuoptimistesileprojetn’estconduitqueparla

Directiondelacoopérationetdesécuritéetdedéfense.InstalléeboulevarddesInvalides,cettedirectionduQuaid’OrsaygèredéjàquatorzeécolesnationalesàvocationrégionaleenAfriquesubsaharienne,maisavecunbudgetenchutelibreetdeseffectifsquinedépassentpas les troiscentscoopérantsmilitairescontreseptcents,ilyaquelquesannées.En2015,laDRMamontésursabasedeCreil(région desHauts-de-France) un super centre de recherche et d’analyse cyberavec des effectifs de plus de quatre-vingt-dix personnes. Mais à usagestrictementhexagonal.Faute de financement public, les spécialistes privés français de la

cybersécurité tentent d’émerger pour affronter la puissante technologieisraélienne.LegrandorganisateurduForumdeDakarest lecabinetdeconseilen stratégie et management des risques CEIS. Présidé par Olivier Darrason,spécialiste des conseils de défense, CEIS anime également chaque année leForum international sur la cybersécuritédeLille.C’est l’alignementdesastresdans la galaxie du numérique. Au quarante-cinquième étage de la tourMontparnasseàParis,CEIdisposedéjàd’uneéquipede«méchants»hackersmaison (les responsables deCEIS disent plutôt « hackers éthiques ») installésdans des fauteuils rouges, capuche sur la tête, face à de « gentils » cadres desociétés françaises considérées comme sensibles aux intrusions maléfiques.Baptisé«Bluecyforce», ce centred’entraînement en cyberdéfense est financé

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parlesentreprises.Sur l’Afrique de l’Ouest, qui a fait l’objet d’une étude récente duCEIS, le

problème du financement n’est pas réglé alors que la cybercriminalité est enpleinboom:«LepaysleplusattaquéestleNigeria,suiviparlaCôted’Ivoireetle Sénégal. Des statistiques qui suivent logiquement le taux de pénétrationInternet .»Etgrâceàlaréussite,sil’onosedire,dugroupechinoisHuaweiquia emporté tous les contrats de desserte en fibre optique de la région (Guinée,Sénégal,Côted’Ivoire,Mali…),lacybercriminalitédevraitvivementprogresser.Selon la division du crime informatique du FBI, trois pays africains seraientmêmeclassésparmilesdixpremièressourcesdecyber-arnaques:leNigeria(3),leGhana(7 )etleCameroun(9 ).MaisqueproposentdonclesIsraéliensdanslesdomainesdelacyberdéfense

et de la cybercriminalité que les autres sont incapablesde fournir ?Haskel nedoute pas de la suprématie de ses compatriotes. Il sort de sa besace deuxdisquettes. Travailler à l’ancienne semble pour lui être un gage deconfidentialité…L’unecomporteunannuairecompletdesdeuxcentsentreprisesisraéliennesrépertoriéesparleministèredelaDéfense,àvocationinternationale.Tout y est, y compris les coordonnées des attachés de défense israéliens enEurope.Ilsuffitdedécrochersontéléphone…Lasecondedisquettecontientunautre répertoire de la Homeland Defense , des entreprises israéliennes dedéfense, tout aussi, apparemment, accessibles.À l’évidence, l’État assure sansfardl’offretechnologiquesécuritaireisraéliennedusecteurprivé.Pasdesasnide pudeurs excessives. En contrepartie, les hommes d’affaires israéliens quirentrentaupayssontdébriefésjusqu’àlamoelle.Unpatron d’un groupe français de sécurité raconte : « Je devais joindre un

ami,patrond’unesociétéisraéliennedesécuritéd’envergure.Ondevaitseparleretjen’arrivaispasàlejoindre.Quand,enfin,j’airéussiàl’atteindre,ilm’atoutdesuitedit:“Excuse-moi,j’étaisentraindemefairedébrieferparleMossad.Pas toi avec taDGSE ?” » L’oralité en tête à tête est toujours reine ! Et passeulementenAfrique.

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Notes1.PierreGastineau,PhilippeVasset,Armesdedéstabilisationmassive.Enquête sur lebusinessdes

fuitesdedonnées,Paris,Fayard,2017.

2.JeuneAfrique,n 2970du10au16décembre2017.

3.IntelligenceOnline,n 803du28mars2018.

4.LaLettreduContinent,n 757du12juillet2017.5.«FiveEyes»estl’allianced’échangederenseignemententrelesÉtats-Unis,leRoyaume-Uni,le

Canada,laNouvelle-Zélandeetl’Australie.LaFranceserait,presque,le«SixièmeŒil».6.AuditiondugénéralJean-FrançoisFerlet,directeurdelaDirectiondurenseignementmilitaire,le8

mars2018devantlacommissiondeladéfensenationaleetdesforcesarméesdel’Assembléenationale.7.Ibid.8.«Afriquedel’Ouest:ledéfidelacybersécurité»,NotesstratégiquesCEIS,avril2017.

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CHAPITREVII

Nosmaîtresespionsdiplomates

Qu’ya-t-ildecommunentreleconseillerAfriqueduprésidentMacronFranckParis,ledirecteurdudépartementAfriqueduQuaid’OrsayRémiMaréchaux,etl’ambassadeurdeFranceàDakarChristopheBigot?Cestroisdiplomatessontpasséspar la caseDGSEau coursde leurparcoursdans les arcanesde l’État.Bienleurenapris.UncrochetparleBoulevardMortierapparaîtdeplusenpluscomme un passage recommandé, sinon obligé, pour qui aspire à de hautesresponsabilités dans les affaires diplomatiques. Et singulièrement dans lesaffairesafricaines.

ÀDakar,toutprèsduchaudronsahélien

Bellegueuled’acteur,ChristopheBigotseseraitbienvuàladirectiond’uneDGSEqu’ilconnaîtbienpouryavoirœuvré,de2013à2016,commedirecteurdelaStratégie(surnomméelaDSeninterne)–ilyaétéaffectéjusteaprèsavoirété ambassadeur en Israël –, ou bien CNR (coordonnateur national durenseignement) à l’Élysée. Finalement, il restera à Dakar, un lieu où il peutsatisfairesongoûtpourlesaffairesdélicates .Situéesurlesrivesdel’Atlantique,justeenfacedel’îledeGorée,hautlieude

mémoiredelatraitenégrière,larésidencedel’ambassadeurdeFranceestl’unedesplusbelles, etdesplusvastes,dontdispose l’ex-puissancecoloniale sur lecontinent africain. Mais Dakar n’est pas que prestige. C’est aussi un postestratégique, légèrement en retrait du chaudron sahélien. Une place idéalementsituéepoursurveillercequis’ypasseetpouryfaireface.Siège de grandes organisations internationales actives dans la région, la

capitale sénégalaise est un carrefour où se croisent diplomates, humanitaires,chercheurs et militaires. L’écrivain et académicien Jean-Christophe Rufin, ex-ambassadeur à Dakar sous Nicolas Sarkozy, en a fait son miel en rédigeant

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Katiba , roman à clef sur lamenace djihadiste publié en 2011, juste avant lavagued’attaquesquiafrappél’Hexagone .L’endroitestsensible.Enoctobre2017,lesAméricainsontdéclenchél’alerte

rougesurunprojetd’attentatimminentvisantunhôteldeluxeduborddemerdans la capitale sénégalaise, provoquant la fermeture immédiate d’unétablissement cité nommément par les services de Washington. « Pas depanique ! », répondit, en substance, le représentant de la France sur place,Christophe Bigot, pour la plus grande satisfaction des autorités locales, quiredoutentl’impactravageurdecegenred’affairesurlesecteurtouristique.Lesressortissants français dûment répertoriés par les services consulaires ont ainsireçu ce message sibyllin sur leur portable : « Sécurité : seuls les messagesémanantde l’ambassadedeFranceàDakar sont àprendreenconsidération.»Les collègues américains ont dû apprécier… Mais Paris estimait que leurrenseignement, obtenu dans la Guinée-Conakry voisine, émanait d’une sourcepeufiable,nonrecoupée.Entoutcas,d’attentat,iln’yeutpoint.Au-delàdecesbisbillesentrealliés,lesservicessonteffectivementsurlequi-

vive àDakar, sans doute la dernière grande ville de la région, aumoment oùnous écrivons ces lignes, à ne pas avoir été la cible d’une attaque terroriste.Contrairement à Bamako, Niamey, Ouagadougou et Abidjan (ou, plusprécisément,Grand-Bassam).Maislamenaceserapproche.Enjuin2017,deuxterroristes soupçonnés d’appartenir à la mouvance de l’État islamique sontexpulsésparlesautoritésturques,destinationDakar.Àleurplusgrandesurprise,ilsdébarquenttranquillementàl’aéroportinternationaldelacapitalesénégalaise,sanspersonnepourvenirlescueilliràleurdescented’avion.Ilfautdirequelesautorités d’Ankara avaient oublié un léger détail : prévenir leurs homologuessénégalais!Les deux hommes, de nationalité algérienne, s’évanouissent alors dans la

nature,avantquelesservicessénégalaisetfrançaisn’aienteuventdel’affaire.Maisilyauraunesessionderattrapagequelquessemainesplustard.TousdeuxsesontmisauvertenMauritanie,d’oùil leurfautsortirauboutdetroismoispourobtenirunvisaenbonneetdue forme.En traversant la frontière, ils sontaussitôtinterpellésparlapolicesénégalaise.Gageonsquelesservicesfrançaisetaméricains, très présents à Dakar, auront été associés de près à leurinterrogatoire.Selonlapresselocale,leSénégaldétiendraituncertainnombrededjihadistesprésumésdanssesgeôles.Fortdesonexpérienceà la«Piscine»,ChristopheBigotestàsonaffaireà

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Dakar.Ilfaitpartiedecettecastedes«diplomates-espions»qui,aufildesans,s’agrandit à mesure que certaines têtes bien faites du ministère des AffairesétrangèresquittentprovisoirementlesorsduQuaid’Orsaypourtravailler,durantquelques années, dans les bureaux très fonctionnels du Boulevard Mortier.« Quand il évoque son passage à la DGSE, c’est toujours avec beaucoup depassion»,confieundiplomatedudépartementAfriqueàproposdesoncollèguedeDakar.ChristopheBigotatiréprofitdecetteexpérienceBoulevardMortieretappris

à en dire le moins possible. S’il reçoit des journalistes dans l’une des piècesspacieuses et richement décorées de son ambassade à Dakar, c’est avec unecertaine réticence et peu de temps à leur consacrer. Flanqué d’un de ses brasdroits, qui prend des notes, le diplomate consent à évoquer son passage à la«Boîte»:«C’estsansdouteunatoutpourintégrerladimensionsécuritairedela zone,mais cela a aussi ses limites : onvous colle facilement une imagedebarbouze, raconte-t-il. Je m’entends souvent dire : “Toi qui connais bien leMossad …”»MaisselonunbonobservateuràDakar,bien introduitdans lesmilieuxdiplomatico-militaires locaux,«ChristopheBigotcite trèssouventsonpassageàlaDGSE,ilaimebienenjouervis-à-visdesesinterlocuteurs ».Diplomatesetespionsformentuncouplecontrenature,contraintdecohabiter

etdontlarelationestsanscesseàréinventer.Laméfianceestdemiseentrecesdeuxcorporations.«JemesouviensavoirentenduunancienconseillerAfriquedeJacquesChiracdireàproposdesnotesdelaDGSE:“Jenelispascegenredetorchon!”»,raconteainsiunprochedel’ancienprésidentdelaRépublique.Cetteméfiancepersistanteetréciproqueaétéillustréelorsduquinquennatde

FrançoisHollandeparun épisodequi amarqué tous ceuxqui étaient assis, cejour-là,autourdelatabledu2,ruedel’Élysée,siègedelacelluleAfriquedelaprésidencedelaRépubliquedepuisJacquesFoccart.Chaquejeudis’ytientuneréunionregroupantlesdifférentsservicesdel’État,

notamment de renseignement, impliqués dans les dossiers africains. Soit unevingtainedepersonnes.«Celafaitunpeutropdemonde»,jugeunfamilierdeces réunions. La DGSE, avec sa discrétion habituelle, y participe : sesreprésentantsinterviennentgénéralementsousl’étiquetteneutreduministèredelaDéfense,quin’abusepasgrandmondeparmilesprésentsmaisquientretientunedélicieuseambiguïté.Undiplomatesesouvientainsidesasurprisequandunespion s’y présenta, un jour, sans lui en avoir parlé au préalable, comme sonadjoint.

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Les tensions y sont parfois palpables, en fonction de l’actualité brûlante dumomentetdelasensibilitédecertainsdossiers.Commecejour-là,en2013,oùlaconseillèreAfriquedeFrançoisHollande,HélèneLeGal,s’enprendvivementaureprésentantdela«Boîte»:«Vouscolportezdesrumeurs!»,luiassène-t-elledevantl’assistancemédusée.L’intervenantdelaDGSEvenaitd’évoquerlaquestion du trafic de drogue au Niger et les présumées complicités dansl’entourage direct du présidentMahamadou Isssoufou, un proche de FrançoisHollande.Or,expliqueunbonconnaisseurdescoulissesdel’État,«laDGSEneditriensansavoirrecoupéà80-90%unrenseignement,c’estsacrédibilitéquiestenjeu ».Pourunanciendiplomatespécialistedel’Afrique,leproblèmeseraitailleurs:

selon lui, toute vérité ne serait pas bonne à dire, surtout concernant les amisafricains de l’Élysée. Du coup, poursuit-il, la DGSE en viendrait parfois à« s’autocensurer».Et de citer, en particulier, le cas d’une note concernant unhomme d’affaires nigérien très proche du président du Niger, Chérif OuldAbidine,quiavaitgagnélocalementlesurnomévocateurde«cheikhcocaïne».Considérécommel’undesgrandssoutiensfinanciersdeMahamadouIssoufou,il estmort brutalement en février 2016.Unegrosseperte pour le président duNiger.

La«DS»,fiefdesdiplomatesduBoulevardMortier

Pour tenter de combler ce fossé deméfiance et d’incompréhension entre lemondefeutrédeladiplomatieetceluidurenseignementoù,parnature,touslescoups sont permis, un ancien patron de la DGSE sous François Mitterrand,ClaudeSilberzahn,acrééen1989ladirectiondelaStratégie,unposteréservéaux diplomates.Dans le sillage de l’affaire duRainbowWarrior enNouvelle-Zélande,souvenircuisants’ilenestducôtéduBoulevardMortier, ils’agissaitdesortirlaDGSEdesonsplendideisolement,demieuxl’arrimeraurestedelamachined’Étatetdemieuxidentifiersespriorités.«L’idée,résumesanslanguede bois un ancien titulaire du poste , c’était un peu d’en finir avec lesbarbouzeries.»Àlafindesannées1990,cettenouvelledirectionsecomposedequatre ou cinq personnes. Aujourd’hui, elle en compterait environ centcinquante, des agents de laDGSEplacés sous la direction de diplomates.LescompétencesdelaDSsesontd’ailleursaccruesdepuislepassagedeChristopheBigotàsatête:ellegèredésormaislesrelationsaveclesservicesétrangersamis.

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Parlepassé,lepostede«DS»(directeurdelaStratégie)aaussiétéoccupépar deuxhommesque l’Afrique a réunis :Bruno Joubert (de 1997 à 2001) etRémiMaréchaux(entre2010et2013).Lesdeuxdiplomatesseconnaissenttrèsbien : sous lequinquennatdeNicolasSarkozy,RémiMaréchauxa travailléausein de la cellule Afrique de l’Élysée sous l’autorité d’un certain… BrunoJoubert.Àquelques années de distance, le premier amarché sur les traces dusecond : après avoirquitté sonpostedeconseiller aupalaisde l’Élysée,RémiMaréchaux a donc été nommé à la tête de la direction de la Stratégie duBoulevardMortier(de2010à2013).Puiscediplomatequiparlecourammentleswahili a pris la directionduKenya commeambassadeur avant d’être nommédirecteurAfriqueduQuaid’Orsay.Comme,avantlui,BrunoJoubert.« La DGSE, c’est sans doute un plus », concède aujourd’hui Rémi

Maréchaux,danssonbureauornédestatuettesetdemasquesafricains,etd’undessinsignéparuncélèbrecartoonistekényan.Sonpassageàla«Piscine»luiaétéfortutile:«RémiMaréchaux“parle”DGSE,ilsaitcequ’ilpeutdemanderetobtenir. », confie un diplomate qui le connaît bien. Tout comme le conseillerAfriqued’EmmanuelMacron,FranckParis,quiaéténumérodeuxnonpasdelaDS,mais de la direction du Renseignement, le cœur de la « Boîte ». Un casatypique.Luiaussi«parle»DGSE.«Celasesentets’entenddanssespropos»,poursuitnotreinterlocuteur .« Au Quai d’Orsay, on a certes un accès privilégié au travail mené par la

DGSEpar le biais des notes blanches reçues (jusqu’à une vingtaine par jour),maisenœuvrantdirectementBoulevardMortier,onvoituneautreréalité,etonsentmieux les choses quand quelqu’un essaie de vous enfumer », raconte cediplomatequiyestpassé,avantd’ajouter,sibyllin:«Onprendconscienceausside la palette d’outils dont disposent les services pour empêcher quelqu’un denuireànosintérêts.»

LefantômedeDenisAllex

L’actuel directeurAfriqueduQuai d’Orsay« reste très impressionnépar cequ’il a vu à la « Piscine », notamment par les capacités dont disposent lesservices », confie notre source diplomatique. Rémi Maréchaux a vécu, auxpremières loges, un épisode aussi intense que tragique de la vie de l’agence.En2010,ilrejointlaDGSE,alorsfortementmobiliséepourtenterd’extirperl’undes siens tombé auxmains d’un groupe islamiste en Somalie : l’agent Denis

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Allex (un pseudonyme), capturé à Mogadiscio le 14 juillet 2009, et détenudepuislorsparlesShebabs.Uneéquipeseconsacre«H24,7jourssur7»,confieunesourceimpliquée

danscedossier,àlatraquedesravisseursdeDenisAllexetàl’obtentiondesalibération. La détention, dans des conditions qualifiées d’inhumaines par sescollègues,estuncalvairepoursafamille,maisaussipourtoutesleséquipesduBoulevardMortier.La traquevadurer troisansetdemi.Quand,courant2012,l’équipedelaDGSEparvientàlocaliser,grâceàdessourcessurplace,l’endroitoùDenisAllexestdétenu:unediscrètevillasécuriséedeBuuloMareer,ausuddeMogadiscio,dansunezonealorscontrôléeparlesShebabs.Après trois années de vaines négociations avec les ravisseurs, et alors que

l’étatgénéraldel’otagesedégraderapidement,ladécisionestprise,auplushautniveaudel’Étatfrançais,demonteruneopérationcommandopourtenterdelelibérer.Celle-civaêtrepréparéedurantdesmois,avecd’énormesmoyens.LesFrançais s’inspirent notamment de l’opération réussie par les Navy Sealsaméricains (commandos demarine), au cœur du Pakistan enmai 2011, qui aaboutià lamortd’OussamaBenLaden.Le lieuoùest retenuprisonnierDenisAllex est reconstitué sur la base française de Djibouti, proche du théâtresomalien.Lescommandoss’entraînentsurplace,répétantchaquegeste.Ilssonthypermotivés:ils’agitdecamaradesduserviceActiondel’otage.Certainsontthéoriquement passé l’âge, mais ils demandent à reprendre du service pourpouvoirparticiperàlalibérationdeleurcollègueetami.Lefeuvertdesautoritésestfinalementdonnédanslanuitdu11au12janvier

2013,alorsqu’aumêmemomentlesforcesspécialesfrançaisesentrentenactionàdesmilliersdekilomètresdelà,auMali–c’estledébutdel’opérationServal.LecommandochargédelibérerDenisAllexembarqueàborddesixhélicoptèresquidécollentduBPCMistral,unnavirepolyvalent,àlafoisporte-hélicoptères,centredesoins,etdotéd’unpostedecommandement.Lebateaucroisenonloinde la côte somalienne.Dans le ciel, deshélicoptèresduCOSetdes avionsdel’arméedel’airaméricainesontprêtsàintervenirsibesoin,commelerévéleraleprésidentBarackObamadansune lettreadresséeauCongrès,au lendemaindel’opération.Le raid a été prévu à une date bien précise : une nuit de pleine lune, qui

garantitunclair-obscurnaturel.Mais,endéfinitive,lescieuxneserontpasaveclecommandofrançais.Débarquésàplusieurskilomètresdulieudel’assaut,pouréviter d’attirer l’attention, les hommes du service Action convergent,

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apparemment sans encombre (bien que certains témoignages, non confirmés,évoquent de violents échanges de tirs sur le chemin), vers la villa où estenchaîné,àmêmelesol, l’otagefrançais.Hélaspour lesFrançais, l’und’entreeuxtrébuchesurunhommequidormaitàl’extérieurdelavilla,dissimulésousunecouverture.«Noscamérasthermiquesnel’avaientpasrepéré»,selamenteunesourcebieninformée .Cethommedéclenchel’alerte,avantd’êtreabattu.Aussitôt, l’opération tourne à la bataille rangée. Les Français tentent de

pénétreràl’intérieurdelavillaenfaisantsauterunmurd’enceinte,maisilsnepeuventplusbénéficierdel’effetdesurprise.Lourdementarmés,davantagequenel’avaitprévulaDGSE,lesShebabsrépliquentviolemment.Plusieursd’entreeuxsonttués,maisdeuxmembresducommandofrançaistrouventeuxaussilamort.Quantà l’otageDenisAllex, ilest, semble-t-il,exécutépendant l’assaut,aumomentoùsesgeôlierscraignentdeperdrelecontrôledelasituation.L’opérationpréparéependantdesmoissesoldedoncparunéchectragique.Et

lebilanauraitpuêtrebienpluslourd:deuxrobusteshélicoptèresTigrefrançaisduCOSdoiventintervenirenurgencesurleslieuxpourpermettreaucommandode battre en retraite, avant de rejoindre le navire.Au final, non seulement lescamaradesdeDenisAllexn’ontpaspulesauver,maisilscomptentdeuxpertessupplémentaires,et–détailcruel–ladépouilledel’und’entreeuxestrestéesurlesolsomalien.À l’image de la célèbre photo où l’on aperçoit Barack Obama et Hillary

Clintonlevisageblême,scrutantparécraninterposél’assautmenéparlesNavySealscontrelavilladeBenLaden,ledirecteurdelaStratégieRémiMaréchauxasuiviendirect,auxcôtésdeshautsresponsablesdelaDGSE,toutel’opérationmenéeenSomalie.Unsouvenirquilemarquerasansdouteàjamais.Aulendemaindeceterribleéchec,quelquepeuoccultéparl’accélérationde

l’Histoire au Mali, où la France est en train de lancer sa plus importanteopération militaire depuis la fin de la guerre d’Algérie, Paris promet quel’exécutiondeDenisAllexneresterapasimpunie.Enclair:quesamortetcellede ses deux camarades venus tenter de le libérer seront vengées. Il s’agit designifierauxShebabs,etau-delààtousles«ennemis»delaFrance,qu’onnetuepasl’undesesespionssanss’exposeràdesreprésailles.S’agit-il de l’une des opérations « homo » (pour homicide) que François

HollandeaavouéavoirordonnéessoussonquinquennatàdeuxjournalistesduMonde (Gérard Davet et Fabrice Lhomme) – un aveu qui déclencha alors unbeau scandale ? En tout cas, la France tiendra parole et le fera savoir. En

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septembre 2014, le chef des Shebabs, Ahmed Abdi (dit Godane), est tué enSomalieparunefrappedel’arméeaméricaine.L’Élyséeindiqueimmédiatementqueceraidaétémenégrâceàunrenseignementfourniparlesservicesfrançais.Tout le travailaccomplipourespérer libérerDenisAllexn’auraitdoncpasétévain,sil’onencroitcehautresponsablefrançais:«Onaaccumuléénormémentderenseignementsetacquisuneconnaissancetrèsfinedelanébuleuseislamisteen Somalie, supérieure même à celle des services américain et britannique,assure-t-il.Quand lesAméricainsmènentuneopération surplace,une fois surdeux,c’estsurunrenseignementfrançais .»

L’AfriqueàlaDGSE,couleurkaki

SiàParisontentedeplusenplusdecollaborerenbonneintelligence,surleterrain c’est encore une autre affaire. Au sein des ambassades, suivant lespersonnalitésdunumérounetdel’agentdelaDGSE(généralementaffublédutitrede«deuxièmesecrétaire»),l’ambiancepeutêtrecordialeouglaciale.Sousunmêmetoitcohabitenteneffetdeuxlogiquesbiendifférentes,pournepasdireopposées : celle du diplomate, qui agit officiellement au nom de la France etrend compte à Paris ; celle de l’espion, qui communique d’abord avec sahiérarchie,viasespropresmoyenscryptésdetransmission,etpartage–parfois–quelquesmiettesderenseignementavecsescollèguesduQuaid’Orsay.« Certains agents se méfient beaucoup d’ambassadeurs qu’ils jugent

“stockholmisés”, trop proches du président du pays hôte, confie un diplomatefrançais.Ducoup,ilsnelâchentrien,depeurquecelafuiteauprèsdesautorités,mettantendangerleursource.»D’autressemontrentplusouverts,maisjustecequ’il faut : « Le type de la DGSE me transmettait quelques notes surl’environnement régional, jamais sur le pays où nous nous trouvions », sesouvientainsiunancienambassadeurenpostedansl’AfriquedesGrandsLacs. Et il ajoute : « L’Afrique, c’est le bac à sable des troupes demarine et desmilitaires de la DGSE. Fondamentalement, on sent bien que, nous, lesdiplomates,onlesdérange.»L’Afrique,oudumoinsl’ex-EmpirefrançaisenAfriquedel’Ouestetcentrale,

domaine réservé des militaires… Cette réalité se ressent aussi directementBoulevardMortier,oùlesecteur«N»dela«Boîte»faitunpeubandeàpart.AumomentoùilcréeladirectiondelaStratégieàlaDGSE,ClaudeSilberzahndécide aussi d’injecter plus de civils au sein de ses différents services.

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Fraîchement diplômé de Sciences Po, Arnaud Danjean (aujourd’hui députéeuropéen) rejoint ainsi le service Europe, avant d’être parachuté à SarajevodurantlaguerredeBosnie.IljoueraparlasuiteunrôleimportantdansleconflitauKosovo(1999-2000),enétablissantuncontactdirectaveclechefpolitiquedelarébellionalbanophonedel’UCK,HashimThaçi.Cequenombredemilitairespro-Serbes, au sein de la DGSE et au-delà, lui reprocheront d’ailleursamèrement.« Silberzahn cherche alors à inverser le ratiomilitaires/civils en faveur des

seconds»,raconteArnaudDanjean .Toutefois,jusqu’àaujourd’hui,lacouleurdominante du secteur «N » continue d’être le kaki. Son chef est toujours unmilitaire, et la plupart des chefs de poste en Afrique demeurent, eux aussi,desmilitaires.«MêmelesanalystesboulevardMortiersontmajoritairementdesofficiers,bienquecelaévoluelentement»,ajouteledéputé.Danscertainscas,lesrapportsauseindesambassadessontfacilitésparlefait

quelenumérounn’estpasdiplomatedeformation,maisluiaussiunmilitairedecarrière,parfoismêmetrèsbienintroduitBoulevardMortier.AncienpatrondelaforceLicorneenCôted’Ivoire,puischefduCPCO(Centredeplanificationetdeconduitedesopérations), lecœurbattantde l’état-majordesarmées, legénéralEmmanuelBeth(décédéenavril2018)aétéambassadeur,de2010à2013,auBurkinaFaso,oùapus’installerdès2010undétachementdesforcesspéciales,avec l’aval du présidentBlaiseCompaoré (lire chapitre II ). Qui commandaitalorsleCOSàParis?FrédéricBeth,lefrèredel’ambassadeur.AprèsleCOS,cedernierseranommé…directeurdecabinetàlaDGSE,boulevardMortier.C’estdeOuagadougouqu’uncommandodesforcesspécialesdécollerapourtenter,envain,de libérer lesdeux jeunesFrançaisenlevésen janvier2011dansunpetitrestaurantdeNiamey,auNiger(voirchapitresuivant).Dans cette zone sahélienne travaillée par le salafisme et gangrenée par les

trafics en tous genres, Emmanuel Beth disposait d’un profil séduisant,notamment vis-à-vis du président burkinabé, lui-même militaire, BlaiseCompaoré,etdesonchefd’état-majorethommedeconfiance,legénéralGilbertDiendéré. Il arrivait que Beth et Diendéré sautent en parachute ensemble,histoired’entretenirleurformephysique,maisaussileursbonsrapports.

Unaccélérateurdecarrière

Autre profil sécuritaire affirmé, éloigné des canons traditionnels du Quai

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d’Orsay : celui de l’actuel ambassadeur en Côte d’Ivoire, Gilles Huberson.Gendarme de formation, lui aussi formé à Saint-Cyr et apparemment bienconnectéaveclesservices,c’estunhommed’action,unfonceur.En2012,ilestparachutéauMaliparsonministre,LaurentFabius,d’abordpours’occuperdudossiersensibleduNordetdesrelationsaveclesTouareg,puisilestnomméaudébotté ambassadeur à Bamako, en lieu et place d’un diplomate pur sucre,ChristianRouyer,jugétroptimoréàParis.Pourundiplomatefrançais,Abidjanestl’undesposteslesplusenviéssurle

continentafricain(avecDakar).PourGillesHuberson,cetteambassadeapparaîtsurtout comme une récompense pour bons et loyaux services. L’anciengendarme, qui a rejoint le Quai d’Orsay sur le tard, a fait son chemin enexploitant au mieux son profil sécuritaire et sa proximité avec le monde durenseignement.Onleditproche,notamment,d’unautregendarmedeformation,MichelRoussin,ex-ministredelaCoopérationsousÉdouardBalladuretsurtoutlui-même ancien directeur de cabinet du patron du SDECE, Alexandre deMarenches,danslesannées1970 .GillesHubersonfaitpartiedecetteracedediplomatesdontl’intimitéavecle

mondedurenseignementfaitofficed’accélérateurdecarrière.C’estlecas,entreautres, pour l’un de ses prédécesseurs à Abidjan, l’ambassadeur Jean-MarcSimon.Aujourd’huiàlaretraite,iladémarrémodestement:dotéd’unemaîtrisede droit public, il entre au Quai comme simple rédacteur. Sa rencontre avecMichelRoussinetsonentréedanslesréseauxchiraquiensvontluipermettredegravir rapidement les échelons, et ainsi de se retrouver propulsé à la têted’ambassades où la France des militaires et du renseignement joue un rôleéminent : à Bangui (Centrafrique), puis à Libreville (Gabon), où il assiste àl’agonied’OmarBongo.NommédanslafouléeàAbidjan,ceseralesommetdesacarrière.Jean-Marc

Simon joueunrôledepremierplandurant lacrisequisuit laprésidentielleenCôte d’Ivoire, fin 2010 . Cet homme aux cheveux argentés, un colonel deréservequiaimeenfilerl’uniformequandl’occasions’yprête,obligequasimentmanu militari le président de la Commission électorale Youssef Bakayoko àannoncer les résultats qui donnent Laurent Gbagbo perdant face à AlassaneOuattara.Quelquessemainesplustard,le11avril2011,c’estencoreluiquiconvaincle

président Nicolas Sarkozy de donner l’ordre à l’armée française de cerner larésidence de Gbagbo dans le quartier de Cocody, à Abidjan, transformée en

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bunker,pourpermettresonarrestationparlesforcesloyalesàOuattara,etainsimettrefinàlacrisepost-électoralequiafaitenvirontroismillemorts.Aprèscetépisode mouvementé, Nicolas Sarkozy lui octroie le titre exceptionnel etprestigieux d’« ambassadeur de France », qu’il pourra conserver à vie. Unevéritableapothéosepourcethommetaiseuxqui,depuis,s’estreconvertidanslebusinessprivé.NotammentaveclaCôted’Ivoire .SilaméfianceentrediplomatesduQuaietespionsdelaDGSEneserasans

doute jamais totalement surmontée, chacun sent bienqu’il a besoinde l’autre.Ainsi, en novembre 2004, au plus fort de la crise entre Français et Ivoiriens,suite aubombardementd’un campement tricolore àBouakéqui fit neufmortsparmilessoldatsdelaforceLicorne,lecontactfutrompuentrelesdeuxpays,l’ambassadeurGildasLeLidecn’ayantplusaccèsauprésidentLaurentGbagbo.Maislescanauxn’étaientpastotalementcoupés.Pendantplusieursjours,c’estlechef de poste de laDGSE àAbidjan qui prit le relais.Un colonel de l’arméefrançaise.

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Notes1 . Le gouvernement Macron a nommé à la tête de la DGSE, en juin 2017, Bernard Émié, un

diplomate,spécialistedumondearabo-musulman(avantsanomination,ilétaitambassadeurenAlgérie).LepréfetetancienpatrondelaDSTsousJacquesChirac,PierredeBousquetdeFlorian,aquantàluiéténomméCNR.2.Jean-ChristopheRufin,Katiba,Paris,Gallimard,2011.3.Entretienaveclesauteurs,Dakar,14novembre2017.4.Entretienaveclesauteurs,Dakar,16novembre2017.5.Entretienavecl’auteur,9novembre2017.6.Entretienavecl’auteur,23juin2017.7.Entretienavecl’auteur,20février2018.8.Entretienavecl’auteur,9novembre2017.9.Entretienavecl’auteur,janvier2018.10.GérardDavet,FabriceLhomme,UnPrésidentnedevraitpasdireça…,Paris,Stock,2016.Lire

aussiàcesujet:VincentNouzille,LesTueursdelaRépublique,Paris,Fayard,2015.11.Entretienavecl’auteur,19février2018.12.Entretienavecl’auteur,14février2018.13.Entretienavecl’auteur,12juin2017.14.Jean-ChristopheNotin,AlexandredeMarenches,leMaîtredusecret,Paris,Tallandier,2018.15.Jean-MarcSimon,Secretsd’Afrique,Paris,LeCherche-Midi,2016.16.ThomasHofnung,«Jean-MarcSimon,l’ambassadeurdécomplexé»,LeMonde,24juin2016.

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CHAPITREVIII

NospatronsenguérillaàParis

« Alors, il paraît que vous êtes fâchés tous les deux ? » C’est un Premierministrelégèrementgoguenard,ManuelValls,quiinterpelleencestermesdeuxdesresponsableslesplusimportantsdelagalaxiedeladéfenseenFrance.Noussommesen2013,etBernardBajolet, lenouveaupatrondelaDGSE,etCédricLewandowski,lepuissantdirecteurdecabinetduministredelaDéfense,Jean-YvesLeDrian,neseparlentdéjàquasimentplus.S’il a pris un tour personnel entre le grand commis de l’État droit dans ses

bottes et le grand manitou habile du ministère, le conflit est d’abordinstitutionnel. Le statut à part de laDGSE et la volonté de l’équipeLeDriand’affirmer son autorité sur tous les secteurs placés théoriquement sous saresponsabilitéysontpourbeaucoup.Dansl’organigrammedel’État,lesespionsdu BoulevardMortier sont en effet placés sous la tutelle administrative de laDéfense.Maisdans les faits, laDGSEestun instrument à lamainduchefdel’État, un domaine réservé au cœur du domaine réservé. Une bizarrerie à lafrançaise,quiestpasséedanslesusagesdel’État.Saufque,dèssamiseenaction,leduoLeDrian-Lewandowskiestdéterminé

àfairerentrerdansleranglestêtesquidépassent,profitantdupeud’appétencedeFrançoisHollande pour les questions de sécurité. Problème : avecBernardBajolet,ilsvonttombersurunos.Cetancienambassadeurtoutterrain–enposteàBagdad,Amman,Alger,Kaboul,Sarajevo– estun intimeduchefde l’État,qu’iltutoie.Lesdeuxhommesseconnaissentdepuisquelefuturprésident,alorsélèveàl’ENA,afaitsonstageàl’ambassadedeFranceàAlger,en1978…sousladirectiondusecond.Celacréedesliens.

FroidpolaireentrelaDéfenseetlaDGSE

Quand François Hollande est élu à l’Élysée, enmai 2012, la « Boîte « est

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dirigée par l’ancien préfet des Hauts-de-Seine, Erard Corbin deMangoux, un«Sarkozyboy».PourluisuccéderBoulevardMortier,enmars2013,letandemLe Drian-Lewandowski a son candidat. On évoque les noms de Jean-ClaudeMallet, un proche conseiller de Le Drian, ou celui de Louis Gautier, ancienconseilleràlaDéfenseauprèsdeLionelJospin(entre1997et2002)etquiserafinalement nommé en 2014 à la tête du SGDSN (Secrétariat général de laDéfenseetdelaSécuriténationale).MaislePrésidentauneautreidéeentête:dèssonentréeenfonction,ilaappeléBernardBajoletàKaboulpourlesondersursesintentionset,àl’oréeduprintemps2013,illuiconfirmesanomination.LadéceptionestgrandeducôtéduministèredelaDéfense.Jean-YvesLeDriannedésarmepaspourautant,etsaisitlapremièreoccasion

pourrappeleràBernardBajoletquelaDGSEestplacéesoussonautorité.Celui-cifaitmined’approuver…toutenrefusantdeserendreauxréunionsorganiséesauministèreparCédricLewandowski.Ildécided’yenvoyersystématiquementl’undesesconseillers.Leclashest inévitableentrecesdeuxcrocodilesplacésdanslemêmemarigot:ilfinitparseproduiredanslebureaudubrasdroitdeLeDrian, quand le numéro un de la DGSE lâche lemorceau : il n’a qu’un seulpatron,lechefdel’État!CédricLewandowskilemetlittéralementàlaporte.Larupture est consommée entre les deux hommes, et elle sera lourde deconséquencespourlagestiondecertainsdossiers,enparticulierceluidesotages(lirechapitreIX).Pourtant,BajoletetLewandowskiseconnaissentbien:audébutdumandatde

NicolasSarkozy,tousdeuxparticipaientauxréunionsd’unclubinformelbaptiséle«groupededécèlementprécoce».Celui-ci se réunissait environun samedipar mois à l’Élysée pour passer en revue tous les sujets considérés comme«stratégiques»pourlepays.Sousl’autoritédeClaudeGuéant,alorssecrétairegénéraldel’Élysée,unaréopagedetêtespensantesphosphoraitsec.Parmieux,lecriminologueAlainBauer(unprochedeManuelVallsetdeNicolasSarkozy),Philippe Delmas (Airbus), Valérie Derouet-Mazoyer (EADS, Areva, etc.), lediplomateÉricDanon,l’essayisteXavierRauffer,lepatrondelapolicenationaleFrédéricPéchenard,maisaussiBernardBajolet,alorscoordonnateurnationaldurenseignement, et Cédric Lewandowski, directeur de cabinet du P-DG d’EDF,FrançoisRoussely.Au début du quinquennat de Hollande, même en froid polaire, les deux

hommessontamenésà secroiser,notamment lorsdesconseils restreintsde laDéfenseautourduprésidentdelaRépublique.Lesvoilàcontraintsdeseparler.

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Maisàl’automne2013,c’estl’affairedetrop:lalibérationdesderniersotagesfrançaisenlevésàArlit auNiger troisansauparavant.UnarticleparudansLeMonde metlefeuauxpoudresenracontantparlemenulesconditionsdeleurrécupération, le versement d’une rançon faramineuse et l’intervention d’unancien duBoulevardMortier, Pierre-AntoineLorenzi, alias PAL, activé par lecabinetLeDriandans ledosdeBajolet.Ladirectionde laDGSEévoqueuneimposturepureetsimple(lirechapitreIX).Enest-ellevraimentsûre?Contraintausilence, lepatrondela«Boîte»fulmine.BajoletetLeDrianneseverrontplusentêteàtêtejusqu’àlafinduquinquennatdeHollande.

LeserviceActiondansleviseurdesforcesspéciales

Cetteguerredetranchéesausommetdel’Étatestattisée,aumêmemoment,par la montée en puissance du Commandement des opérations spéciales(leCOS), la force d’élite de l’armée française. Sous sonquinquennat,NicolasSarkozy ne jurait déjà que par lui, séduit par l’agilité et la réactivité de cetinstrumentàsamain,dontilapunotammentapprécierlesperformanceslorsdel’opérationHarmattanenLibye, en 2011.Sous l’influence de son chef d’état-major particulier, le général Benoît Puga, qui a lui-même dirigé le COS, lelocataire de l’Élysée a une nette tendance à privilégier le Commandement audétrimentduserviceActiondelaDGSE:leSA.Les uns et les autres sont tous des militaires, mais il existe une différence

fondamentale entre eux : leCOSagit en tenue, tandisque leshommesduSAsont en civil.Cette distinctionvestimentaire n’est pas quede pure forme : lesagents du bras armé de la DGSE sont appelés à agir demanière clandestine,quandl’Étatnepeutpasassumerpubliquementuneaction.S’ilssefontprendre,comme lors de la tristement célèbre affaire duRainbowWarrior enNouvelle-Zélande, en 1985, le gouvernement de la République n’est pas censé être aucourant.Durantsonquinquennat,NicolasSarkozyexprimeouvertementsesréticences

vis-à-visduserviceActionetdesaculturedusecret,qu’ilassimilevisiblementàde la barbouzerie. Alors qu’au large des côtes de la Somalie, les piratesmultiplient lesarraisonnementsdenaviresmarchandset lesprisesd’otagessurdesbateauxdeplaisance,dontcertainssontfrançais,laDGSEproposeauchefde l’État d’attaquer les « bateaux-mères », ceux qui en mer supervisent lesassauts. Mais, d’après l’un des participants à cette réunion, Nicolas Sarkozy

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décline:«Uneopérationclandestine?Celanesertàrien,onest12autourdecettetable,ilyenabienunquiécriraunjoursesMémoires.»Les militaires du COS tentent de pousser leur avantage. En 2008, ils sont

intervenusavecsuccèslorsd’unespectaculaireopérationmenéesurleterritoiredelaSomaliepourappréhenderdespiratesquiavaientprisd’assautlePonantetvenaientdetoucherunesubstantiellerançonenéchangedelalibérationdeleursotages.Lespiratesontétéarrêtés,etl’argentrécupéréparlesmilitairesfrançais.LeSAconnaîtdesoncôtéunreversimportantdansleSahel.Àl’été2010,la

DGSE pense avoir localisé le lieu où est retenu depuis des mois MichelGermaneau, un retraité amoureux du désert, enlevé alors qu’il visitait dans leNordduNiger l’écolequesonassociationacontribuéàfinancer.La«Boîte»proposeaugouvernementd’envoyerleSApourlerécupérer.Maisilluifaudrad’abord vaincre les réticences du Président : celui-ci penche plutôt pour uneinterventionduCOS,avantdeserangerauxargumentsdelaDGSE.Leraiddoiteneffetavoir lieusur le territoired’unÉtatsouverain,sanssonaccordformel,quiplusestavecl’aidedesforcesd’unÉtatvoisin, laMauritanie…Maiscetteaudacieuseopérationclandestinevaratersacible: l’otagefrançaisn’estpaslàoù la DGSE pensait le trouver, et samort sera annoncée peu de temps aprèsparAQMIenreprésaillesaudécèsdeseptdeseshommeslorsdeceraidfranco-mauritanien,premierdugenre.Quelquesmoisplus tard, en janvier 2011, ce sont les hommesduCOSqui,

cette fois, reçoivent l’ordre de stopper coûte que coûte les ravisseurs de deuxjeunes Français,VincentDelory etAntoine de Léocour, enlevés dans un petitrestaurant à Niamey, la capitale du Niger. À bord d’hélicoptères, les forcesspécialesdécollentdel’aéroportdeOuagadougouetselancentauxtroussesducommando.Alorsqueles4X4desravisseursapprochentdelafrontièreavecleMali,lesmilitairesfrançaisouvrentlefeusurleconvoi.L’opérationsesoldeparun fiasco : lesdeux jeunesFrançais sont tués, l’unàboutportantpar l’undesterroristes, l’autre au cours des échanges de tirs nourris qui éclatent entre lessoldatsduCOSetleshommesd’AQMI .Ce douloureux épisode est bientôt suivi par un autre échec, tout aussi

douloureux,celuidel’opérationmenée,enjanvier2013,parleserviceActionenSomaliepourtenterdelibérerl’undessiens,DenisAllex.UnhautresponsabledelaDGSEréfutepourtantletermede«fiasco»:«Onaquandmêmeréussiàlocaliser très précisément notre otage et on y était presque … » Ces échecsrépétés– tantducôtéCOSqueducôtéSA–vontmettreuncoupd’arrêtàce

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type de tentatives de libération de « vive force ». Retour à la voie de lanégociation,moinsdangereusepour les otagesmais pasmoinspérilleusepourl’État(lirechapitreIX).ÀsonarrivéeauxaffairesrueSaint-Dominique,auprintemps2012,l’équipe

de Le Drian semble, elle aussi, sur le point de succomber au charme kakidu COS, qu’elle estime pouvoir contrôler plus facilement que le SA. Uneconvictionrenforcéeparlesrésistancesdel’insaisissableBernardBajolet.Danslescerclesdupouvoir,onévoquealorsdeplusenplusouvertementunepossiblefusionentrecesdeuxcorps,leCOSdevantabsorberleSA.MaislepatrondelaDGSE monte en première ligne pour défendre un instrument qu’il jugeindispensable au bon fonctionnement de l’État, afin de pouvoir mener desactions clandestines«non revendicablespar l’État », comme il l’explique lui-même .Ilobtiendrafinalementgaindecause.Toutefois,mêmesi–officiellement–touslesservicesdel’Étatsontenordre

debataillepourladéfensedesintérêtsdupaysdurementfrappésurleterritoirenationalparleterrorismeàpartirde2015,latensionresteforteentreCOSetSA.Letragiqueépisodequis’estdéroulésurleterritoirelibyen,le17juillet2016,acontribué à l’exacerber.Ce jour-là, unmystérieux hélicoptère s’écrase dans larégion de Benghazi (dans l’Est de la Libye). À son bord, trois sous-officiersfrançais.Leministère de laDéfense reconnaît rapidement leurmort, évoquantlaconiquement des hommes « en service commandé ». Une périphrase quirenvoieauserviceAction. Iln’yapassi longtemps,comme lorsduconflitenAfghanistan , cette information « Confidentiel Défense » aurait été passéetotalement sous silence par les autorités françaises. Mais le gouvernementpréfèredésormaisdevancerdepossiblesfuites.Cet accident va provoquer d’importants remous au sein de l’appareil

sécuritaire français. Car, au même moment, plus à l’ouest dans ce paysprofondémentfracturé,dessoldatsduCOSépaulentlegouvernementdeTripoli,reconnuparlacommunautéinternationale–etdoncparParis…–enconflitaveclafactionrivaledeBenghazi,dirigéeparlegénéralKhalifaHaftar.LesautoritésdeTripoliapprennentainsiavecstupeuretcolèrequelesFrançaisontplusieursfers au feu. Le gouvernement libyen d’union nationale accuse Paris de«violation»desonterritoire.Rienne«justifieuneintervention»,proteste-t-il,sansqu’ilensoitinformé .MaislegouvernementdeTripolin’estpasleseulàdécouvrirlepotauxroses.

C’estaussilecasduCOS.Misesdevantlefaitaccompli,etdevantlafureurde

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leursalliés libyens, les forcesspéciales françaisessontobligéesde«démonterleurdispositif»dansl’urgence,commel’expliqueunofficiersupérieurfrançais.Autrementdit,dedécamper…Aux yeux du cabinet Le Drian, cet épisode vient alourdir un peu plus le

«dossierBajolet»,déjàbienépais.MaisledirecteurgénéraldelaDGSEn’endémordpas: leSAdoitagirdanslaclandestinité laplustotale,pouréviter lesfuitespotentiellementdévastatricespoursesagents.Aussibien,d’ailleurs,vis-à-vis des services alliés (britannique et américain, notamment) que des autresorganesdesécuritéhexagonaux.

DansleSahel,péchéd’orgueiletcomplexedesupériorité

« La DGSE souffre d’un complexe de supériorité, et nous d’un complexed’infériorité.»L’ancienresponsabledelaDirectiondurenseignementmilitaire(DRM)quis’exprimeainsiapourtanttouttentépourvaincrecesyndrome .Àl’abridesmursépaisdel’anciennecaserneduboulevardMortier,la«Piscine»suscitebiendes jalousies.Parcequ’elleveille scrupuleusementàpréserver sessecretsetsonautonomie,etsurtoutparcequ’ellegardelecontrôleduformidableoutil technologique qui lui permet d’intercepter les communicationsinternationales.Au fildesans,profitantdesmoyens financiers supplémentairesdégagéspar

l’Étataprèslesattentatsde2015pourétofferseséquipes,saDirectiontechniqueestmontéeenpuissance.Elleregroupeaujourd’huiprèsdutiersdeseffectifsdela «Boîte », soit environ 2 000personnes, dont un bonquart d’ingénieurs dehautevolée,issusdelafinefleurdesgrandesécoles.«Pourattirerlesmeilleurs(sortis de Polytechnique, des Mines, de Centrale, etc.), l’agence a mêmebénéficié, discrètement, d’exceptions sur la grille des salaires de la fonctionpublique»,assureunex-ambassadeursurlecontinentafricain .Certes,contrôlen’estpascensérimeravecmonopole,etlaDGSEesttenuede

jouerlesprestatairesdeservicesenrépondantauxdemandesdesautresmaisons,àcommencerparcellesdelaDGSIetdelaDRM.Mais,danslesfaits,c’estbienellequigère,etdonchiérarchiselescommandes.Oncomprendmieuxpourquoil’ancien patron de la DRM, le général Christophe Gomart, milite ardemmentpour une restructuration des services français avec la création d’« une grandeagence technique, sur le modèle du GCHQ (Government Commmunications

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Headquarters),quiservetouslesservices .»Etilajoute:«Seuleuneagencetechniqueautonome,individualisée,permettraunediffusionéquitableetefficacedu renseignement technique, basée non pas sur le rattachement administratif àunedirectionouàuneautre,maissurlajustificationd’unbesoin.»Pasbesoind’unebouledecristalpoursavoirquiestviséparcemessage.LegénéralGomart,quiacommandé leCOSavantdediriger laDRMetde

finalementquitter l’arméeen2017pourpasserdansleprivé,écritencorececi,insistant à nouveau très clairement sur la notiond’équité : «Les exemples duSahel et de l’Irak sont parlants : il s’agit de théâtres où terrorisme et groupesarmés sont étroitement liés. Chaque direction, motivée par des besoins enrenseignementmilitaireoupolitique,doitpouvoirs’appuyersurdes ressourcestechniqueséquitablementréparties .»Le galonné parle d’expérience. Dans la répartition institutionnelle des

missionsentreservices,laDGSEs’occupedesgroupesterroristes,laDRMdesgroupesarmés.Maisdèslelancementdel’opérationServalauMali,ChristopheGomartdemandeauxautoritésdetutelleleleadenmatièrederenseignementsurleterrain,tousgroupesconfondus.Etl’obtient.LaDRMalàl’occasiondefaireses preuves et d’en remontrer à la DGSE. Pour y parvenir, elle pense avoirquelquesatouts.Depuispeu,laDRM–fortede1800personnesetd’unbudgetennetteaugmentationen2018–peutelleaussi recruterdes informateurs (des« sources »), qu’elle rétribue grâce aux fonds secrets alloués par l’État. Parailleurs, à la faveur du déploiement du dispositif des forces spéciales dans lespays du Sahel (voir chapitre II ), le service de renseignement de l’armée acommencéàratisserleterrainpourcollectersespropresinformations.L’idéeestd’alimenter le COS, chargé de frapper les « HVT » (High Value Targets) ,autrement dit les chefs de file des groupes djihadistes toujours actifs dans lazone.Mais,rapidement,malgréquelquestrophéesdepremièrecatégorieaccrochés

au fil des mois au tableau de chasse des forces françaises de l’opérationBarkhane (qui a succédé à Serval à l’été 2014), la DRM a l’impressiondésagréable de faire du surplace. L’ennemi public numéro un, Iyad ag-Ghaly,notamment, est toujours dans la nature. À l’automne 2013, déjà, lerenseignement français n’avait pas su anticiper la brutale dégradation de lasituationsécuritaireàKidal,oùlesdeuxjournalistesfrançaisdeRFI,GhislaineDupont et Claude Verlon, sont enlevés et exécutés dans la foulée par leursravisseurs(lirechapitreX).

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«LaDGSEnousacertescédé le leaddans leSahel,maisendéfinitiveellenous a laissés nous débrouiller tous seuls, confie amèrement un haut gradé.Mortiers’estbiengardédepartagersessources,oumêmedenoustransmettrelerenseignement à haute valeur ajoutée dont nous avions besoin . » Dansl’immensitédudésertsaharo-sahélien,laDRMfaitalorslacruelleexpériencedeses limites : ses officiers de renseignement ne restent pas suffisammentlongtemps en poste pour glaner l’information qui, au final, fera la différence.Danscecombatdel’ombre,lerenseignementtechnique–lesinterceptionsmaisaussi l’imagerie satellitaire, gérée par la DRM – ne peut pas tout face à desdjihadistesquisesaventécoutés,scrutés, traqués,etontapprisàcommuniquerlemoinspossible,ouenprenantunmaximumdeprécautions.Lerenseignementhumainconserveuneimportanceprimordiale.Et,danscedomaine, laDGSEal’antérioritéetl’expériencequifontdéfautauxautresservices.La DRM a-t-elle péché par excès d’orgueil et de naïveté vis-à-vis de la

«Piscine»?LaDGSEreste,dufaitdesacultureetdesonhistoire,«uneboîtenoire»,confieundiplomate.«L’agencenepartagepassesinfosaveclesautresservices, le cloisonnementest total,d’ailleurs la centralenepartagemêmepastout ce qu’elle sait avec ses chefs de poste sur le terrain, ajoute-t-il. D’unecertaine manière, de là où j’étais au Quai d’Orsay, grâce aux notes que jerecevais chaque jour, j’avaisunemeilleurevisionde la situationque celledesagentsdéployéssurplace .»Desoncôté,unancienpatrondelaDRM(entre2001et2005),AndréRanson,

résume bien la situation quand il constate : « La DGSE a une culture bienparticulière qui est de travailler en mode centralisé : tout ce qui remonte duterrainvaàlacentraleetlacentraleendisposecommeellel’entend.Ellediffuseou ne diffuse pas et, si elle diffuse, ce sont exclusivement des analysessynthétiséesmaisjamaisdel’informationbrute .»

LaDGSEn’estpasprêteuse

La détermination de la « Boîte » à garder le monopole du renseignementcollecté grâce à des réseaux patiemment bâtis au fil du temps n’empêche pas,jusqu’àuncertainpoint, lerenforcementde lacoordinationentre lesdifférentsservicesde renseignementetde sécurité,voulupar l’autoritépolitique.Disonsquetoutestaffairededosage.«Avantlacréationen2008dupostedeCNR,onassistaitàunjeudepokermenteurentrelespatronsdesservices,remarqueAnge

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Mancini,quiassumacettefonctionde2011à2013.C’étaitàceluiquiendiraitlemoins …»Àlasuitedulancementdel’opérationServal, laDGSEdétache l’undeses

agentsauprèsduCOSàOuagadougou.«Onabienbosséensemble,assureunhautresponsablemilitaire impliquédeprèsdansledossierSahel.La“Boîte”abienvul’intérêtdetravailleravecnous .»LeciblagedesHVTestuneœuvrecollective, en amont, notamment au sein de la cellule interservices Hermèsinstalléeaucœurdel’état-majordesarméesàParis .Mais,surleterrain,c’estbien le COS, mieux outillé pour mener des opérations difficiles sur le planlogistique,quiestàlamanœuvre.ÀParis,àpartirdulancementdeServaldébut2013,setienttroisfoisparjour

auministère de laDéfense, rue Saint-Dominique, une réunion rassemblant lespatrons–ouleursbrasdroits–desservicesdesécuritéetderenseignementpourmieux coordonner les efforts des uns et des autres sur le terrain.C’estCédricLewandowskiquidirige,ouvrantmêmelaportedesonbureauàuneéquipedeFrance 2. Celle-ci filme la scène, montrant des responsables quelque peuinterloqués de se retrouver sous l’œil inquisiteur d’une caméra, comme deslapinsprisdanslespharesd’unevoiture.Aprèsquoi,àl’issuedecetteréunion,onpeutvoirdanslemêmereportageCédricLewandowskibriefersonministre,Jean-Yves Le Drian. Comme si les rôles et les fonctions étaient quasimentinversés.Fondamentalement, malgré les efforts de rapprochement, plus ou moins

sincères, les buts et les méthodes des uns et des autres divergent, et sontdifficilement conciliables, même si chacun poursuit le même objectiffondamental:réduirelesmenacesquipèsentsurlasécuritéetlesintérêtsdelaFrance.Certes,commelaDRMetleCOS,laDGSEchercheàéliminerleschefsdjihadistes pour, à défaut d’annihiler tout danger, asséner des coups àl’adversaire, ledésorganiser, l’empêcherdereprendrede lavigueur.D’ailleurs,n’est-ce pas ce qu’elle fait dans le Sahel depuis les années 2000 ? Selonl’historien Jean-Christophe Notin , le SA aurait ainsi neutralisé (ou faitneutraliser,viasesalliéssurleterrain)desdizainesde«terroristes».Mais,alorsquelesarméesoulesagentsdelaDGSIrecueillentdurenseignementpouragiret neutraliser au plus vite la menace, la DGSE peut, quant à elle, chercher àreculer l’échéance si elle estime avoir la possibilité d’engranger durenseignementàtrèshautevaleurajoutée.Selonunanciendela«Boîte»,aujourd’huireconvertidansleprivé,laDGSE

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s’est ainsi opposée à la volonté de l’état-major des armées de frapper tousazimuts les chefs des réseaux djihadistes dès le début de l’opérationServal :« L’armée voulait liquider l’ensemble des leaders identifiés par laDGSE (quiavait répertorié tous leurs numéros de GSM et de téléphones satellitairesThuraya depuis longtemps), mais celle-ci a obtenu qu’on épargne certainessources en arguant qu’elle risquait de devenir aveugle sur la zone … » Et,notamment,deperdrelefilpourtenterdefairelibérerlesotagesfrançaisalorsauxmainsdesgroupesdjihadistes.Oncomprendmieuxceconstatdésabuséetquelquepeusurprenantd’unpontedelaDRM:«QuandServalaétélancé,onademandé àMortier denousdonner les localisationsdes chefs djihadistes et, ànotre grande surprise, ils n’en savaient rien… » Vraiment ? Espion un jour,espiontoujours:laDGSEn’estpasprêteuse.Sa discrétion, sa volonté manifeste de préserver ses sources, agace, voire

exaspère.Mêmeceuxquiconnaissentbien laboutique.C’est lecasdePatrickCalvar,quiaœuvréde2009à2012àlaDirectiondurenseignementdelaDGSEavantdeprendrelasuccessiondeBernardSquarciniàlatêtedelaDGSI.MalgrésonpassageBoulevardMortier–ouàcausedecetteexpérience?–,iln’estpastendreavecla«Boîte».ÀlatoutefinduquinquennatdeFrançoisHollande,sondernierministredel’Intérieur,BrunoLeroux,organiseundéjeunerréunissantlesdifférents patrons du renseignement… qui vire rapidement au règlement decomptes.Entre la poire et le fromage, selon l’un des convives, PatrickCalvarreprocheainsiouvertementàlaDGSEson«hégémonisme».En cause, une fois de plus, son contrôle exclusif sur les interceptions. De

guerrelasse, laDGSIs’estd’ailleursdotéed’uneplate-formedestinéeàmieuxgérer ses propres données. Problème : n’ayant pas trouvé son bonheur dansl’Hexagone, elle l’a achetée à un fournisseur étranger, la start-up américainePalantir,réputéetrèsprochedelaCIA .«Cesystèmeatoutdesalluresd’unchevaldeTroie»,déploreunhautresponsabledelaDGSE,quineredoutepaslescontradictions .Entre les maisons de Levallois-Perret et le Boulevard Mortier, on se rend

d’ailleurscouppourcoup.Sousladirectiondu«Squale»,laDGSIanotammentpris un malin plaisir à marcher sur les terres de sa cousine en Afriquesubsaharienne, remettant ainsi en cause unYalta tacite entre services français.Au gré des vicissitudes de l’Histoire, le renseignement intérieur a obtenu lapossibilité de disposer de postes permanents auMaghreb et au Proche-Orient.C’estnotammentlecasàAlgerouàTripoli,maisaussiauCaireouàAmman.

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Or,àlafaveurdel’intensificationdelalutteantiterroriste,Squarcinis’estmisen tête de bousculer les vieilles habitudes : un poste permanent de laDGSI aainsiétécrééauGabon,etconfiéinitialementaupolicierJean-CharlesLamonica(lire chapitre IV ). Un officier supérieur, bien au fait des affaires africaines,résumelachoseàsa façon :«SquarciniadécidédedéveloppersonpropreréseauenAfriquepouremmerderlaDGSE.»Seloncertainsinitiés,mêmes’ilnefautpassurestimerlesmoyensconsacrésà

l’étrangerparlaDGSI,ilneseraitpasloind’yêtreparvenu.«Lesservicesdesécurité locaux aiment bien travailler avec la DGSI, car il s’agit de purecoopération, il n’y a pas ce soupçon permanent d’espionnage, confie unresponsabled’unesociétédesécuritéfranco-suisse.D’ailleurs,lespolicierssontplus libres de leurs mouvements que les agents de la DGSE et disposentd’élémentsparfoispluspertinents …»C’est, peut-être, ce qui explique le refus de Patrick Calvar d’accepter une

proposition intéressée de son collègue et ami Bernard Bajolet. Selon nosinformations, ce dernier lui aurait proposé la création de postes communsDGSE-DGSIà l’étranger.Mais lepatronde laDGSIn’aurait pasdonné suite.«IlaréponduàBajoletqu’unetelleinitiativerisquaitdejeterlasuspicionsurletravaildelaDGSI»,raconteunesourceprochedudossier.

GuerredesservicesàBrazzaville

Loin d’être anecdotiques, ces tensions peuvent avoir des conséquencesfâcheusesjusquechezlesplusprochespartenairesdelaFrancesurlecontinentafricain. Et voici comment le président du Congo-Brazzaville, l’inamovibleDenisSassou-Nguesso, figure de prouede laFrançafrique et allié précieuxdeses services de sécurité, s’est retrouvé récemment à accuser la DGSE decomplotercontreluipourtenterdelerenverser.Lorsd’unentretienentêteàtêteàBrazzaville,commeonl’avuprécédemment,unhautresponsabledelaDGSEamêmeétéobligédejurersesgrandsdieuxqu’iln’enétaitrien(chapitreIV).Galvanisés par les événements qui se sont déroulés au Burkina Faso à

l’automne2014,oùdesgroupesdelasociétécivile,bienorganisés,notammentsur les réseaux sociaux, ont réussi à renverser le puissant président BlaiseCompaoré,certainsvoudraientrééditerlemêmecoupauCongo-Brazzaville,oùdoit se tenir une élection en mars 2016. Ils pensent pouvoir compter sur lesoutiendecertainsrelaisparisienstrèsconscientsdupeudesympathieéprouvée

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parl’équipedeFrançoisHollandepourSassou.Aprèstrente-troisansàlatêtedupays,cedernierestpassémaîtredansl’art

d’annihiler toute forme d’opposition par un savant mélange de pressionphysique, de cooptation dans les rouages du pouvoir et de séduction à coupsd’espèces sonnantes et trébuchantes. Résultat, comme au Gabon voisin,l’opposition congolaise est morcelée, décapitée à intervalles réguliers et, aufinal,impuissante.Maislorsdecetteélectionduprintemps2016,lesadversaireslesplusrésolusdurégimedeSassoupensentavoirenfin trouvé leurchampionenlapersonnedugénéralJean-MarieMichelMokoko(aliasJ3M),unconseillermilitaireduPrésidentquivientderompreaveclui.Cet ancien chef d’état-major de l’armée congolaise (entre 1987 et 1993)

représente une menace sérieuse pour le pouvoir. Il est du Nord, issu du clanMbochi – comme le Président – et a des relais puissants au sein de l’arméecongolaise,maisaussiàl’étranger.ForméàSaint-Cyraudébutdesannées1970,il y a notamment côtoyé le général Elrik Irastorza, qui a commandé la forceLicorneenCôted’Ivoireaumilieudesannées2000,avantdedirigerl’arméedeterre dans l’Hexagone.Selondes sources diplomatiques,Mokokobénéficieraitainsidesdiscretsencouragementsdel’amicaledesanciensdeSaint-Cyr,auseindelaquellefigureraitenbonneplacelegénéralBenoîtPuga,lechefd’état-majorparticulierdeFrançoisHollande.Sous l’influencedesafricanistesduPalais(letandemforméparHélèneLeGaletThomasMelonio),lePrésidentn’estpasloinde considérer, lui aussi, que Sassou a fait son temps. Même s’il a approuvépubliquement la tenue d’un référendum constitutionnel, en octobre 2015,permettantàSassouderesteraupouvoiradvitamaeternam.Le potentat deBrazzaville le sait bien. Est-ce pour cela qu’il prend très au

sérieux la menace d’un possible coup d’État au moment de la présidentielle,qu’il remportesanssurprise le20mars2016avecofficiellementplusde60%desvoix,contremoinsde15%pour legénéralMokoko?Cedernierparlede«forfaiture»etrefusedereconnaîtresadéfaite.Accusédeprépareruncoupdeforce,ilestarrêtéetjetéenprison.LepouvoirdeSassoufondesessoupçonssurune vidéo datant de 2007, qui réapparaît à ce moment précis. On y voit legénéralMokokodiscuterlonguementd’unpossiblecoupd’ÉtatavecunindividuseprésentantcommeunagentdelaDGSE.Lascèneaétéfilméedanslecabinetd’un avocat à la réputation sulfureuse, proche de plusieurs dirigeants de laFrançafrique.Mokokoévoqueun«piège».Or,encemêmeprintemps2016,leclanSassouapprendlaprésencesurlesol

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duGabon voisin d’un petit groupe de Français gravitant autour d’une sociétéd’intelligenceéconomique,Axis,baséeàParisetdirigéeparunancienmilitaire,Jean-Renaud Fayol, avec Bertrand de Turkheim, un ex-colonel de la DGSE.Considérédanslemilieucommeprochedesservicesderenseignement,Fayolditvouloir aider pacifiquement, aux quatre coins de la planète, les mouvementsdémocratiques face aux dictatures – de la Birmanie au Congo-Brazza, donc.Reconnaissant bien volontiers ses sympathies pour le généralMokoko, Fayolréfuteformellementtouteformedebarbouzerie,affirmantquesonconcourss’estlimitéàduconseilstratégique.MaispourlerégimedeSassou,larévélationdelaprésencede ce petit groupe est pain bénit : voilà de quoi alimenter le feudesaccusationscontrelegénéralMokoko,afindelemettredéfinitivementhorsjeu.LerivaldeSassouaétécondamné,le11mai2018,àvingtansdeprisonfermepar la cour d’appel deBrazzaville pour « atteinte à la sûreté de l’État ».Toutcomme ses sept co-accusés, les six Français et un Congolais, tous jugés parcontumaceetprésentéscommedesmercenairesparl’accusation.MaisquiavaitdoncprévenuBrazzavilledelaprésencedecepetitnoyaude

militants-activistes français auGabon?BernardSquarcini reconnaît volontiersavoirinforméSassoudece«complot»enfournissantlesécoutestéléphoniques(lire chapitre IV ). Reconverti dans le privé, le « Squale » s’est rapproché deSassou, avec lequel il est en affaire. Il ferait ainsi d’une pierre deux coups,réglantuncontentieuxpersonnelavecFayol,qu’ilaccusedevouloirnuireàsesintérêts,toutenaccablantlamaisonconcurrentedelaDGSI.Difficile,auboutducompte,dedémêlerlevraidufauxdanscetteténébreuse

affaire à tiroirs, où chacun dispose de plusieurs agendas.Mais, au-delà du finmotdecettehistoirefranco-congolaiseauxrelentsdeFrançafrique,celle-ciestsurtoutrévélatricedelapersistancedeceszonesgrisesdanslesquellesévoluentetsedébattentservices,officines,communicants,avocatsetpolitiques.En ce printemps 2016, la DGSE n’avait sans doute pas pour mission de

renverserSassou,levieuxlionduCongoquisaitsemontrercoopératifquandille fautavecParis.Enrevanche,savoircequepeuvent tramer lesopposantsdeSassou, y compris avec le concours d’activistes français, entre bien dans lesattributionsdela«Boîte».Neserait-cequepouravoirlecontactetrebondiraucasoù…

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Notes1. JacquesFollorou, «Lesotagesd’Arlit : les dessousd’unenégociation»,LeMonde, 30 octobre

2013.2.VioletteLazard,ThomasHofnung,«OtagesduNiger:l’assautvuparlescommandos»,Libération

,22avril2012.3.Entretienavecl’auteur,23mars2018.4.«AucœurdelaDGSE»,entretienavecBarnardBajolet,Politiqueinternationale,automne2016.5.Jean-ChristopheNotin,LaGuerredel’ombredesFrançaisenAfghanistan,Paris,Fayard,2011.6.CyrilBensimonetFrédéricBobin,«TroismembresdelaDGSEtuésenLibye,legouvernement

libyenproteste»,LeMonde,20juillet2016.7.Entretienavecl’auteur,14septembre2017.8.Entretienavecl’auteur,20janvier2018.9.Entretienavecl’auteur,6avril2018.10.AlainBauer,Marie-ChristineDupuis-Danon,LesGuetteurs,OdileJacob,2018,p.252-267.11.Ibid.12.Entretienavecl’auteur,20janvier2018.13.Entretienavecl’auteur,17mai2017.14.AlainBauer,Marie-ChristineDupuis-Danon,op.cit.,p.151-166.15.Entretienavecl’auteur,27novembre2017.16.Entretienavecl’auteur,20janvier2018.17.LacelluleHermèsregroupedesmembresdeseptservicesdesécuritéetderenseignement.Elleest

installée àBalard, au sein duministère de laDéfense, plus précisément auCPCOde l’état-major desarmées.18.Jean-ChristopheNotin,LaGuerredelaFranceauMali,op.cit.19.Entretienavecl’auteur,Paris,27novembre2017.20.PhilippeCohen-Grillet,«LaCIAappeléeausecoursparl’antiterrorismefrançais»,ParisMatch,

7décembre2016.21.Entretienavecl’auteur,23mars2018.22.Entretienavecl’auteur,20janvier2018.23.Entretienavecl’auteur,10juin2017.

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CHAPITREIX

Nosotagesetnosréseauxrivaux

Pas un cri de joie, plutôt un gémissement.Ce 30 octobre 2013, la porte del’avion siglé aux couleurs de la République française vient de s’ouvrir surl’aéroport militaire de Villacoublay, près de Paris. Un à un, les quatre otagesenlevés à Arlit, au Niger, il y a plus de trois ans descendent de l’aéronef.Soudain, l’apparition de Daniel Larribe arrache ce cri sourd à sa femme,Françoise, kidnappée en même temps que lui, mais libérée bien plus tôt, enfévrier2011.Cejour-là, il faitunsoleil radieuxsurParis.LeprésidentFrançoisHollande

l’est toutautant,commesesministresdesAffairesétrangèresetdelaDéfense,Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian, qui, la veille, sont allés chercher lesotageslibérésàNiamey,lacapitaleduNiger.DanielLarribe,MarcFéret,PierreLegrandetThierryDole,eux,ontlevisagefermé,etpourtroisd’entreeuxlesyeuxdissimulésderrièreunepairede lunettesnoires.En retrait, aucund’entreeuxneprendralaparolesurletarmac.Enlevésparuncommandod’AQMIdansla nuit du 16 septembre 2010, dans la cité minière du Nord-Niger où Arevaexploite desmines d’uranium à ciel ouvert depuis la fin des années 1960, lesquatrehommessontmarquésparlaterribleépreuvequ’ilsontendurée .Maisleurréservecacheaussidel’amertume,etmêmedelacolère.Sixmois

aprèslerapt,enfévrier2011,troisd’entreeux,FrançoiseLarribeetdeuxotagesoriginairesducontinentafricain(denationalitésmalgacheettogolaise),avaientété libérés par leurs ravisseurs. Comment et pourquoi leurs compagnonsd’infortunel’ont-ilsétésilongtempsaprès?Aprèslesilenceviendrontletempsdes questions et le temps judiciaire. Marc Féret a porté plainte contre X,accusantParisd’avoirretardésciemmentsalibération.Maispourquelleraison?Au fil desmois, plusieurs intermédiaires, ces hommes qui d’ordinaire prisentl’ombre pour accomplir leurmission, vont apparaître à visage découvert pourexigerleurdû.DansuneenquêtefouilléediffuséesurFrance2,deuxanciensdelaDGSE,Jean-MarcGadoulletetPierre-AntoineLorenzi,affirmentainsiquele

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compten’yestpas:tousdeuxaffirmentnepasavoirreçulatotalitédelasommequeleurauraientpromisleursmandatairespourlibérerlesotages.MalaisedanslaRépublique.C’est la revanche posthume d’Abou Zeïd, ce petit homme barbu au regard

perçant qui avait lui-même dirigé l’opération d’Arlit, la nuit du 16 septembre2010,sil’onencroitletémoignagedesépouxLarribe .Pluspersonne,eneffet,necroità la fablede ladoctrineofficielleédictéeparFrançoisHollandeàsonarrivée à l’Élysée au printemps 2012 : la France ne paie pas pour obtenir lalibérationdesesotages .Maisoutrelereniementdelaparolepubliquesurlaquestiondesrançons–qui

permettent à AQMI de financer ses activités, l’achat d’armes, et donc deprocéder potentiellement à d’autres rapts –, c’est cette concurrence écheveléeentreréseauxd’intermédiaires–toutsaufdésintéressés–quichoqueaprès-coup.Une compétition sans merci attisée par des rivalités au sommet de l’État,révélatricedegravesdysfonctionnements,etqui,enboutdechaîne,asansdouteretardélalibérationdequatrehommesbringuebalésparleursravisseurspendanttroisansetdemiaufinfonddudésert,dansdesconditionsextrêmes .

JMG,l’espiontémérairequigênait

Dès la nouvelle connue du spectaculaire enlèvement d’Arlit, un homme vaproposersonaide:GuyDelbrel,leconseillerpourl’Afriqueduprésidentd’AirFrance. La compagnie est alors dirigée par Jean-Cyril Spinetta, lequel présidepar ailleurs le conseil de surveillance d’Areva (de 2009 à 2013). Proche desmilieuxliésauxmouvementsdedécolonisationetdelagaucherévolutionnaireen Afrique, en particulier de Thomas Sankara – qui a brièvement dirigé leBurkinaFaso avantd’être assassiné en1987–,Delbrel aun carnetd’adressesbien rempli dans l’ancienpré carré francophone enAfrique.Au lendemaindurapt,encoresouslechocdel’événementetdansleflouleplustotal,Spinettaluidonnesonfeuvertpouractiversescontactssurlecontinent.DelbrelserendaussitôtàOuagadougoupourvoirBlaiseCompaoré,quipasse

pour avoir un certain savoir-faire (non dénué d’ambiguïtés) en matière denégociations avec les groupes djihadistes. L’une des éminences grises duprésidentburkinabé,leMauritanienMoustaphaLimamChafi,n’a-t-ilpasobtenupar le passé la libération de plusieurs otages occidentaux tombés aux mains

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d’AQMI ?Mais,cettefois,Compaoréneveutpasmonterenpremièreligne,ilaiguilleDelbrelverssonhomologuemalien,AmadouToumaniTouré(ATT),unhommequeleconseillerfrançaisconnaîtbien.Au palais présidentiel de Bamako, le président ATT le reçoit et accepte de

l’aider,maisaminima,rappelantqueleraptaeulieusurleterritoireduvoisinnigérienetnonpasauMali. Ilposeaussiunecondition : ilne fautpasque lemontantdes rançons s’envole–pasplusdedeuxmillionsd’eurosparotage–afinde freiner lamontéeenpuissanced’AQMIauMali…Pour le reste, il estdisposéàaiderleconseillerd’AirFrancedanssamission.GuyDelbrel se rapproche alors d’un responsable touareg influent, Ahmada

ag-Bibi. Ce dernier présente l’avantage d’être aussi bien connecté à Bamakoqu’à Kidal, où il a notamment le contact avec Iyad ag-Ghaly, l’une despersonnalitéslespluspuissantesetlesplushabilesdanslarégion(lirechapitreIII).Vétérandesmouvementsrebelles touaregdesannées1990,Iyadag-Ghalyest devenu très proche des salafistes implantés dans la zone, et des groupesdjihadistes.Ilvajouerunrôlecapital.AgBibi est bien connudes services français : «C’estunTouareg javellisé,

persifleunesourcebieninforméeàBamako.IlserendàParisquandilveut,oùilestprotégéparlaDGSE.Safemmeyad’ailleursaccouché .»Amorcéavecl’assentimentdesplushautesautoritésdelarégionparGuyDelbrel,quieffectueà l’automne 2010 plusieurs allers-retours entre Paris et la zone sahélienne, leprocessus mis en œuvre par ce premier réseau « Air France/Areva/ATT » vapourtant tourner court ausssitôt. Car une filière concurrente est déjà entrée enaction.Au bout de quelques semaines, c’est un Ahmada ag-Bibi légèrement

embarrassé, selon une source proche du dossier, qui confie à l’émissaired’AirFranceque«quelqu’und’autre»afaitsonapparitiondanslepaysageetqu’il a « beaucoup d’argent ». Guy Delbrel comprend que son intermédiairevientde le lâcher, et assureavoirpris ladécisionde s’effacer très rapidement.Mais,danslemêmetemps,ilfaitétatdemultiplesmanœuvresd’intimidationlevisant . Étrange. Contrairement à ce qu’il affirme, le conseiller de Spinettan’aurait-ilpastoutàfaitdécroché?Disposait-ild’élémentscompromettantssurles agissements de ce second réseau susceptibles d’entraver la réussite de samission?DansledosdeDelbrel,Ahmadaag-Bibiaeneffetétéapprochéparunautre

Français,dotéd’unprofil trèsdifférent.Ils’appelleJean-MarcGadoullet(alias

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JMG).Cepersonnagederomandéjàprésenté,anciencolonelduserviceActiondelaDGSE,apourprincipalfaitd’armes–quiluiavalulaLégiond’honneur–d’avoirépauléleprésidenttchadienIdrissDéby,enfévrier2008,assiégépardesrebellesdanssonpalaisaucœurdeNdjamena.Depuis,iladitadieuauserviceActionpoursereconvertir,commebeaucoup

d’autres, dans la sécurité privée. Il a créé la société Opos (Opérations etorganisationsspéciales)qu’ilcherche,comme toutbonpatrondePME,à faireprospérer.Àcetégard,lapérilleusezonesahélienne,oùsontprésentsdegrandsgroupesfrançais,constitueunmarchédechoix,aiguisantlesappétits.Peuaprèsleraptd’Arlit,JMGestapproché,entoutediscrétion,parlegroupeVinci,dontplusieursemployésauseindelafilialeSogea-Satomfigurentparmilesotages.Unsecondréseausemetainsienmouvement.Mais,àladifférencedelafilièreDelbrel,celui-cibénéficied’unsoutiendéterminant:celuidelaDGSE.Ce soutien, loin de chercher à le dissimuler, Jean-Marc Gadoullet en fait

largement état dans le livre qu’il a publié, récemment, sur son parcours .Expliquer par le menu qu’on bénéficie de la confiance du BoulevardMortierparcequ’ondisposedesolidescontactsdanslazone–voiredemeilleurs,même,quesonancienemployeur–,celanepeutpasnuirequandonestpassédansleprivé. Mais pourquoi la DGSE, habilitée par l’État à gérer les libérationsd’otages, délègue-t-elle ce dossier à un ancien du SA ? Est-elle moins bienimplantée,etdoncmoinsbieninforméequ’onnelecroitdanslazonesahélienne–commelesuggère,aupassage,Gadoulletdanssonouvrage?Le recours àun«privé»permet en réalité à l’agencede faired’unepierre

deuxcoups:nepasapparaîtreenpremièrelignedansundossierminé, touten« pilotant » à distance la manœuvre en fournissant une aide précieuse à unancien de lamaison. « LaDGSE est le seul organisme en France capable depiloterunenégociationd’otagesàl’étranger.Elleeststructuréeetmandatéepourcela.Ilpeutyavoirtoutuntasd’habillagesautourdesonaction,maisellerestefinalement la seule à conseiller le président de laRépublique », reconnaît lui-mêmeJMG .Jean-Marc Gadoullet se met au travail, et il va rapidement engranger des

résultats.CommeGuyDelbrel, ils’appuiesurAhmadaag-BibipourapprocherIyadag-Ghalyet,parsonintermédiaire,entrerencontactdirectavecAbouZeïdlui-même.Avecunréelcourage, l’ancienduSAserendsurplace,aucœurdudésert,pournégocierfaceàfaceaveclechefdesravisseurs.BoulevardMortier,on suit de très près sa mission : « Je pars avec l’aval de la DGSE qui s’est

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entretenueàParisaveclesdeuxentreprises(VincietAreva),maisjen’agisenaucuncasensonnom»,préciseJMG.Avec l’aval, mais pas seulement : « Certes, la DGSE ne négocie pas

directement, mais elle est très présente en arrière-plan, confie une source àBamakoquisuitdepuisdesannéescetyped’affaires.Ellesupervisel’ensemble,donne les téléphones cryptés aux négociateurs et fournit des moyenslogistiques .»Ellesurveilleaussiattentivementl’environnementimmédiatdunégociateurpourparer,autantquefairesepeut,àtoutdanger.Latéméritédel’ancienduSAvaêtrerécompensée.AbouZeïdestembarrassé

par la présence parmi les otages d’une femme, Françoise Larribe, et celle dedeuxressortissantsafricains.Ilsouhaiteleslibérerauplusvite.Gratuitement,oucontreunesommerelativementmodique?C’estcequ’affirmeGuyDelbrel .Mais ce n’est pas ce qui s’est produit. Les négociations portent sur diversescontreparties.Outre leversementd’unerançon,dont lemontantresteàce joursujet à caution, mais qui selon une note du Quai d’Orsay divulguée parFrance2 dépasseraitles10millionsd’euros,lalibérationdeprisonniersestsurlatable.LesautoritésdeBamakofont,apparemment,preuvedebonnevolontédansce

domaine. Gadoullet note ainsi dans son livre : « Début janvier 2011, quandj’apprends par lesmédias que SandaOuldBouamama (un djihadiste,N.D.A.)s’estéchappé,jecomprendsqu’AmadouToumaniTouré,leprésidentmalien,quisuitavecleplusgrandintérêtl’avancéedemamission,aacceptélademandedelibération, tout en trouvant un prétexte pour qu’elle n’apparaisse pasofficiellement.Ledeuxièmerounddenégociationestdoncenclenché.»Ilvaaboutirenfévrier2011àlalibérationdeFrançoiseLarribe,quidepuisne

taritplusd’élogessurGadoullet,etcelledesdeuxotagestogolaisetmalgache.Tous trois sont aussitôt exfiltrés du Mali, via le Niger. Le premier épisodes’achèveparunhappyend…decourtedurée.Car lesennuisdeJMGnefontque commencer. D’abord à Bamako où, selon une source directe, leprésidentATTenrageenapprenantquelestroisotagesontétélibéréscontreunesommedébloquéeparleursemployeursfrançaisbiensupérieureauplafondqu’ilavaitlui-mêmefixé.«IlaaussitôtconvoquélepatrondelaDGSEduMali,MamyCoulibaly,etlui

ademandécequ’il enétait»,nous racontecette sourcequidit avoir assistéàtoute la scène. Le chef des services secrets maliens cite un montantapparemmentexorbitantetexplique,confus,n’avoirrienditauchefdel’Étatà

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lademandeexpressedeGadoullet:cedernierluiauraitassuréqueleprésidentSarkozytenaitàeninformerlui-mêmesonhomologuemalien…Quelquesjoursplustard,lechefdelaDGSEmalienneseralimogéetexfiltréversAbidjan,oùilseranomméconsulgénéral.Enréalité,pourpouvoiragirentoutesécurité,enévitantdesfuiteslemettant

potentiellementendangertoutenbénéficiantdeleuraide,JMGseseraitassurédes soutiens dans l’entourage d’ATT à l’aide d’espèces sonnantes ettrébuchantes . En clair, certains « sécurocrates » parmi les plus éminents deBamako auraient été achetés. À cette époque, à Paris, la DGSE affirme quel’environnementprocheduprésidentmalienestengrandepartiecorrompuetenliaison étroite à la fois avec des trafiquants de drogue qui sillonnent la zonesahélienneetavecdesresponsablesdjihadistesactifsdansleNorddupays.Sansdoutevalait-ilmieux,auxyeuxdecesecondréseau,mettreleprixpourpouvoirseconcentrersurlatâchelaplusardue,lesnégociationsavecAQMI.Cesversementsoccultessont-ilsà l’origined’une rumeur tenace faisantétat

dudétournementd’unepartiedelasommedébloquéeparlesentreprisesArevaet Vinci pour la libération des trois otages ? JMG réfute en bloc toute idéed’enrichissement personnel ou de rétro-commissions à usage de politiqueintérieure, assurant même dans son livre que la DGSE dispose del’enregistrement d’une conversation dans laquelle Abou Zeïd confirme avoirreçulatotalitédelasommeprévue.Ces multiples polémiques vont, en tout cas, laisser des traces durables et

profondesdanslesesprits.MaisaussisurlecorpsdeJean-MarcGadoullet,qui,entre-temps,areprissonbâtondenégociateurpourtenterd’arracherlalibérationdesquatrederniersotagesd’Arlit. JMG,quiévitedésormaissoigneusementdepasserparBamako,atterritàNiameyavantdetraverserdiscrètementlafrontièreavecleMali.Finnovembre2011,ànouveauenrouteverslefiefd’AbouZeïd,ilest sérieusement blessé à l’épaule en tentant de forcer un barrage dressé à lasortie de la ville de Gao par des hommes en armes. Bamako, informé de saprésence, avait-il décidé de le bloquer coûte que coûte ? Ou bien est-ce toutsimplementparmanquedechance?Gadoullet,lui,sedemandes’iln’apasétéenfindecompteviséparunréseaurival,connectéauxservicesdel’Algérie,trèsprésents dans cette zone, et décidé à le mettre hors jeu pour reprendre leflambeau…etlebusiness.IlestaussitôtrapatriéenFranceparunavionaffrétéparVinci,ethospitalisé

dans un hôpital militaire parisien durant plusieurs semaines. Il ne le sait pas

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encore, mais, malgré sa volonté de poursuivre et achever sa mission, avecl’assentiment des employeurs des otages – qui, sous la pression des familles,redoutentunenlisementdesnégociations–,sontempsestrévolu.Auprintemps2012,JMGassureavoirétésur lepointd’obtenir la libération

desquatrederniersotagesd’Arlit.Mais,explique-t-il, alorsqu’il étaitdans lesstarting-blocks àNiamey,prêt à traverser la frontière, samission soutenueparArevaetVinciaétébrutalementannuléepar legénéralBenoîtPuga,entre lesdeuxtoursdelaprésidentielleenFrance,aulendemaind’uneultimeréunionsurcedossieràl’Élysée .SentantleventtourneràParisàlaveilledel’arrivéed’unenouvelleéquipeau

pouvoir,lechefd’état-majorparticulierduPrésidenta-t-ilpréféréjouerlacartedelaprudence?A-t-ilreçudesmessagesdiscretsmaisexplicitesdelapartdeceux dont la victoire ne faisait alors plus guère de doute pour ne pas prendred’initiativesintempestivesàladernièreminute?Àtortouàraison,Pugapassepour un fin connaisseur des rapports de force politiques.Mais au-delà de sonavenirpersonnel,legénéralcinqétoilesn’apaspuignorerlaprisedepositiondelaDGSE,opposéeàunenouvellemissionsurplacedeGadoullet,devenugênantdufaitdelafranchehostilitédeBamakoàsonencontre.En mai 2012, au lendemain de la victoire de François Hollande à la

présidentielle,unenouvelleéquipes’installeausommetdel’État.Lepatrondela DGSE nommé par Nicolas Sarkozy, Erard Corbin de Mangoux, resteprovisoirementenplaceBoulevardMortier.Lechefd’état-majorparticulierduPrésidentàl’Élysée,legénéralBenoîtPuga,garderaquantàluisonpostedurantlaquasi-totalitédunouveauquinquennat.C’estde la rueSaint-Dominiquequevasoufflerleventd’unchangementradical:lenouveauministreJean-YvesLeDrian et son conseiller le plus proche, le directeur de cabinet CédricLewandowski,sontbiendécidésàassumerl’intégralitédespouvoirsdévolusaupatronde l’HôteldeBrienne,mais rognésau fildesanspar l’Élyséeet l’état-major des armées. Ils veulent, notamment, reprendre en main le dossier desotages.Danslesarcanesdupouvoir,chacunattendfébrilementsanouvellefeuillede

route.Gadoulletdoitserendreàl’évidence:iln’estplusl’hommedelasituation–niauxyeuxducabinetLeDrianniauxyeuxdunouveaupatrondelaDGSE,BernardBajolet.Définitivementhorscourse, l’anciencolonelduserviceActionn’adecesse,

depuis,de réclamer ceque sesmandataires– les sociétésArevaetVinci– lui

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auraient promis sur le plan financier pour poursuivre les négociations après lalibération des trois premiers otages en février 2011. En désespoir de cause,Gadoulletadécidéd’intenteruneactionenjusticepourfairevaloirsesdroitsetpublieégalementunouvragedanslequelillivresaversiondesfaits.Commeunultimebaroudd’honneur.Autre révélation dans cette affaire : selon une source bien informée,

Mouammar Kadhafi aurait tenté, pendant l’intervention militaire occidentalecontresonrégimeen2011,deracheterlesquatreotagesd’ArlitàAQMI.Mais,seloncettesource,ilseseraitheurtéaurefuscatégoriqued’AbouZeïddecéder«ses»otagescontreunefortesommed’argent.

Lafilièrenigérienneentreenaction

Qui dit nouveau pouvoir, dit nouvelle filière. En réalité, le pluriel est ànouveau de mise dans cette affaire. Car, alors que les quatre otages françaisluttent toujours pour leur survie dans leNord duMali, la compétition initialeentre réseauxprivésvapeuàpeucéder laplaceàuneguerresansmercientreréseauxconcurrents,cettefoisausommetdel’État.Enmars2013,quandBernardBajoletprendsesfonctionsBoulevardMortier,

l’armée française a lancé l’opération Serval depuis plusieurs semaines et lesfamilles peuvent légitimement redouter le pire pour les otages. Ces derniersraconteront, par la suite, avoir été à deux doigts d’être tués par des frappesfrançaises .Or, tout comme sonministre de tutelle, le nouveau patron de laDGSE – un ancien ambassadeur rompu aux missions les plus délicates (lirechapitre VIII ) – a la ferme intention d’affirmer son autorité. « Lorsqu’il étaitcoordonnateur national pour le renseignement auprès de Nicolas Sarkozy,Bajoletétaitdefactoexclududossierdesotagesetilaeudumalàl’encaisser»,confieunhautresponsablemilitairequil’acôtoyéàcetteépoque .Lesaffairesd’otages – qui nécessitent le recours à de multiples leviers et pressionsinavouables – entrent clairement dans les attributions de la DGSE. Ens’installant dans le fauteuil du directeur général, boulevard Mortier, BernardBajoletestdoncbiendécidéàrécupérerledossierd’Arlit.Or,d’aprèsunesourcebieninformée,s’ilreconnaîtvolontierslacontribution

apportéepar Jean-MarcGadoullet, et l’intérêtpour laDGSEd’avoirutiliséuntempscettecarte,BernardBajoletaffirmevouloirappliquerlanouvelledoctrineformuléeparFrançoisHollande :onnepayepas.Oudumoins, l’Étatnepaye

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pas. « La libération des trois premiers otages parGadoullet a coûté très cher,souligneune sourceofficielle impliquéedanscedossier.Elle a faitmonter lesenchèresetcrééunprécédentauxyeuxdesravisseurs .»Defait,depuissonfiefduNord-Mali,AbouZeïdfaitpasserdesmissivesàJMGdanslesquellesilexige d’abord 6,5millions d’euros en échange de la libération deMarcFéret,puis, un peu plus tard, 30millions d’euros pour celle deMarc Féret et PierreLegrand.PourlenouveaupatrondelaDGSE,leprocessusaclairementétémalengagéaudépart,etilfautchangerdeméthode.BernardBajoletvadoncédicterdenouvellesrèglesdanslagestiondudossier

desotages:plusquestionderecouriràdesintermédiaireshexagonaux,fussent-ilsprochesdela«Boîte»;laDGSEdoitmonterenpremièreligneetgérerelle-même les appuis locauxdont elle a besoin pour communiquer et négocier parleur intermédiaire avec les ravisseurs. À Paris, tous les regards se tournentdorénavantversNiameyetleNigerduprésidentIssoufou,unprochedeFrançoisHollande qui, à bas bruit, a branché ses antennes sur le Nord-Mali depuis ledébutdecetteaffaire.En septembre 2010, les employés d’Areva et de Vinci ont en effet été

kidnappésàArlit,surleterritoireduNiger,etlesautoritésdeNiameyontàcœurderéparercetaffrontenactivantleurspropresréseaux.Dèslelendemaindurapt,en toute discrétion, un personnage clé a ainsi entamé une mission de longuehaleine,multipliantlesallers-retourssurleterrain,àlarencontredesravisseursoudeleursproches.Ils’agitdeMohamedAkotey,unhommequelesFrançaisconnaissentbien.Cetindividuposéettaiseux,auregardpénétrant,sesitue–deparsonprofil–

au centre de l’échiquier dans ce maelström. Neveu de l’ancien chefcharismatiquedesrebellestouareg,ManoDayak(lirechapitre III ),Akoteyestissu de la tribu des Ifoghas – tout comme Iyad ag-Ghaly. Ancienministre del’ex-présidentMamadouTandja, il est également proche de son successeur, leprésident Issoufou,qu’il conseille.Enfin,MohamedAkoteydisposede solidescontacts enFrance,où il a fait unepartiede ses études avantde regagner sonpays à la mort de Mano Dayak. Areva l’a nommé président du conseild’administrationdesafilialechargéedelamiseenexploitationd’unenouvellemined’uraniumjugéetrèsprometteusedansleNordduNiger,àImouraren–leprojetaétégelédepuis.Akoteyn’apasattenduqueParissolliciteofficiellementl’aideduNigerpour

se mettre en action, à la demande du président Issoufou. Le conseiller l’a

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d’ailleurs raconté de manière circonstanciée sur les ondes de RFI, enjanvier2017 . « J’ai rencontré les djihadistes avantM.Gadoullet. »D’aprèsnos informations, Akotey rencontre Abou Zeïd à deux reprises, les 17 et18 octobre. Lors de son entrevue initiale avec l’émir d’al-Qaida auMaghrebislamique,ilapprend–àsagrandesurprise–qu’iln’estpaslepremieràvenirdiscuter du sort des otages. D’après une source impliquée de près dans cedossier,unémissaire«mandatépar legouvernementmalien»estpasséavantlui :uncertain Iyadag-Ghaly,quideviendraplus tard l’ennemipublicnuméroun des Français dans la zone. Dans cette affaire, le premier négociateur pourtenterdefairelibérerdesotagesfrançaisn’estdoncniAkoteyniGadoullet,maisbienIyad,dontl’aideaétésollicitéeparBamako.Toutefois, ce dernier s’efface rapidement, peut-être en échange de

contreparties restées confidentielles, au profit de Gadoullet, mandaté par lesentreprises françaises et soutenu, on l’a dit, par la DGSE. Akotey, qui suitl’avancement des discussions grâce à son propre réseau d’informateurs sur leterrain,poursuitsurRFI:«Lorsdemonsecondvoyage,findécembre2010,onm’avaitditqu’ilyavaitunFrançaisquiétaitvenudeuxsemainesavant,quiétaitrepartimaisquiétaitmandatéuniquementparVinci[…].JesuisensuiterevenuplusieursfoisetsuisdoncaucourantdecequeGadoulletfaisaitlà-bas,maisjene suis jamais rentré dans les négociations proprement dites parce que j’aipromis–c’estcequ’onaconvenuaveclesdjihadistes–quejesuivraisdeloinmaisn’auraispaslesdétailsdecequisefaisait.»Pasquestion,pourMohamedAkotey, de mettre le doigt dans l’engrenage des tractations financières. C’estl’affairedesFrançais.Aprèsavoir«débranché»Gadoullet,Parismisetoutsurlafilièrenigérienne.

Jean-Yves Le Drian, Cédric Lewandowski, Bernard Bajolet : à partir duprintemps 2013, les responsables français se succèdent à Niamey auprès duprésidentIssoufou.Letempspresse,lescombatssesontachevésauMaliparladéfaite desgroupesdjihadistes sous les coupsdeboutoir de l’armée française.Malgrélamortd’AbouZeïd,tuéfinfévrier2013dansunraidfrançais,legroupequidétientlesquatreotagesnelesapasexécutésenreprésailles.Aucontraire,leurs geôliers veillent sur ce « bien » à haute valeur ajoutée qui doit leurrapportergros,aumomentoùilsontbesoinderessourcesfinancièrespourtenterderebondir.Ilsfontsavoirqu’ilssonttoujoursprêtsànégocier.SurRFI,Akoteyprécise :«C’est leprésidentde laRépublique [duNiger],

M. Issoufou Mahamadou, qui m’a mandaté pour négocier la libération des

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otages.Àpartirdelami-juin2013,j’aitoutmené,dudébutjusqu’àlafin.»Pouryparvenir,l’émissairebénéficiedusoutiendugénéralChekouKoré,quidirigelerenseignementextérieurduNiger,etdeceluidelaDGSE,enpremièrelignedepuisl’arrivéedeBajoletboulevardMortier,etquifournit,d’aprèsunesourcenigérienne proche du dossier, des moyens logistiques pour aider auxnégociations.Celles-ci progressent et vont bientôt aboutir. Le 29 octobre 2013, le

gouvernement français annonce enfin la libération tant attendue des quatrederniersotagesd’Arlit.Danslasoirée,ilssontàNiamey,sainsetsaufs,unpeugênésde se retrouver subitement sous le feudes projecteurs après avoir passéplusdetroisansdanslesilencedudésert.MohamedAkoteyaréussisamission.De nombreux détails concordants ont filtré depuis dans la presse sur la

délicate opération de récupération des quatre d’Arlit. Avec son équipe, lenégociateurmandatépar legouvernementduNigerest allé leschercherpar laroute en coupant toute communication pour ne pas se faire repérer. À sademande, et afin de ne pas tout faire capoter au dernier moment, Akotey ademandéetobtenudeParisqu’aucunavionnesurvolelazoneoùdoitavoirlieul’échange.Unefois lesotagesrécupérés,deshélicoptèresde l’arméeduNiger,selon une source proche du dossier – deuxMI-17 de fabrication soviétique –sont venus les chercher pour lesmettre en lieu sûr àKidal, où stationnent lesforces de l’opérationServal , avant de les emmener plus tard dans la capitalenigérienne.Surplace,ilssontaccueillisparleprésidentnigérienIssoufou,maisaussi par Jean-Yves Le Drian et Laurent Fabius, qui ont tenu à faire ledéplacement, malgré les réticences des services de renseignement. Unelibérationd’otages,c’est l’occasiond’engrangerunbénéficepolitique.Bientôt,unnouveauraptvasurvenirdanslamêmezone,àKidal,etvireraudrame.Pourl’heure,lesoulagementdesfamillesestimmense.Aprèsplusdetroisans

decalvaire,lesquatrehommesexténuésmaisvivantsregagnentlaFrance,oùilsretrouventleursprochesdèslelendemain.Maisàpeineleuravions’est-ilposésurletarmacdeVillacoublayqu’unepolémiquevirulenteéclateaveclaparutionde l’articleexplosifduMonde .Le soirmême,unLaurentFabiusgênéauxentournures affirme sur TF1 qu’« aucun argent public » n’a été engagé,suggérantencreuxlapossibilitéd’unversementd’uneautrenature…ArevaetVinci,lesemployeursdesquatreex-otages,couvertsparleursassurances,ont-ilsété à nouveau mis à contribution ? Ou la rançon a-t-elle été prélevéemanumilitari sur les fonds secrets de laDGSE, comme l’affirment certains,malgré

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l’opposition exprimée auprès de l’Élysée par son directeur général, BernardBajolet?Évoquée publiquement par le président Hollande sur le tarmac de

Villacoublay,dansunmessagecodéenformed’injonctions’adressantpeut-êtreenprioritéàsonentourageetauxdifférentsservicesdel’État,«l’unité»delanation dans cette dernière ligne droite n’était que de façade.Dans la coulisse,uneguerresourdefaisaitrageentrelesdifférentsprotagonistes.

LesupplicedePAL

Sil’articleduMondesuscitelacolèredelaDGSE,c’estaussiparcequ’ilmeten avant la contribution prétendument déterminante pour la réussite del’opérationd’unhommedont lenomapparaît pour lapremière foisdans cetteaffaire,celuidePierre-AntoineLorenzi .Cedernier,surnommé«PAL»,estunanciendelaDGSEquicodirigelasociétédesécuritéprivéeAmarante.Auprintemps2013,laquestiondesotagesadonnélieuàunepremièrepasse

d’armessévèreentreBernardBajoletetCédricLewandowskiprécisémentàsonsujet.Lesdeuxhommess’opposentsurlerôlequedevraitjouerLorenzidansleprocessusdenégociations.LedirecteurdecabinetdeLeDrianveutl’imposeraunouveaupatrondelaDGSE,quirefusetoutnet.«Tuviensd’arriverettufousdéjàlebordel!»,luiauraitalorslancéLewandowski,selonunprochedesdeuxhommes.Unechoseestsûre:PALestdanslepaysagedepuisunbonmoment.Courant

2011,commeill’aracontélui-mêmeàEnvoyéspécial,ilproposesesservicesàlaDGSE,quidécidedelegarderenréservedelaRépublique.Lorenzin’estpasà proprement parler un espion, ni un homme de terrain, contrairement àGadoullet, mais un politique, doté d’un solide réseau dans les milieuxsécuritaires. Après ses études de science politique à Aix-en-Provence, il acommencé sa carrière, dans les années 1980 et 1990, dans les cabinetsministériels alors que la gauche était aupouvoir.En1997, il étoffe son carnetd’adresses en rejoignant le Boulevard Mortier, et va notamment exercer lafonctiondechefdecabinetdudirecteurdel’époque,Jean-ClaudeCousseran.Ilnerestequequatreansauseindela«Boîte» .Quelques années plus tard, en 2007, il fonde avec son associé Alexandre

HollanderlasociétédesécuritéAmarante,quicompteparmisesconseillersl’ex-

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commissairedivisionnaireCharlesPellegrini(lirechapitreIV).D’originecorse,PALestprochedeBernardSquarcini,brutalement remerciéaprès l’électiondeFrançoisHollande à l’Élysée. La société de Lorenzi etHollander connaît unecroissance rapide, et gagne notamment plusieurs gros contrats en Algérie, unpaysquioccuperapidementuneplacesubstantielledanssonchiffred’affaires .Selondessourcesbieninformées,PALcultivesesréseauxdanslepays,oùilesten contact avec de hauts responsables du DRS, le service de renseignementalgérien .Parmilesprestationsproposéesàsesclients,Amarantemetenavantson savoir-faire en termes de négociation et de libération d’otages. Enavril2013,c’estd’ailleurscetteentreprisequiagéréavecsuccèslalibérationdudirecteurfinancierdel’ONGActedenlevéàKaboulquelquesmoisauparavant.Surplace, l’ambassadeurde l’époque avait fait savoir que l’État ne s’occupaitpasdeshumanitairesprisenotage.Lenomdecediplomate?BernardBajolet.Après le rapt d’Arlit, Pierre-Antoine Lorenzi semet rapidement en contact

avec Mohamed Akotey, à Niamey, avant de proposer ses services à l’Étatfrançais.Dansunpremiertemps,courant2011,lesdeuxhommesdécidentdenepas interférer dans les négociations, laissant la main à Gadoullet, tout en setenantprêtsàprendrelerelaissinécessaire.LamisehorsjeudeJMG,labrutaledégradationdelasituationauMalipuisl’opérationServalrebattentlescartes:ilfautpasserparNiameyetpeut-êtreaussiparAlgerpourrenouerlecontactaveclesravisseurs,vial’incontournableIyadag-Ghaly.Le tandem Akotey-Lorenzi dispose, dès lors, d’arguments solides à faire

valoir auprès du cabinet de Jean-Yves Le Drian, qui semble rapidementconvaincupar l’opportunitédeceplanB.Lorsd’undéplacementàNiameyauprintemps2013, leministre françaisde laDéfensedemandeainsi auprésidentIssoufou,enprésencedeMohamedAkotey,de travailleravecPAL.Maisc’estcomptersansBernardBajolet,qui,desoncôté,refusetoujoursd’inclureLorenzidanslaboucle.À son corps défendant,MohamedAkotey évolue au cœur de cet imbroglio

franco-français.IlracontesurRFI:«Ilétaitprévuqu’il[Lorenzi]fasseletravailque faisait auparavant M. Gadoullet […]. Un premier négociateur qui n’étaitplusnégociateur.Donc,Pierre-AntoineLorenziavoulureprendresaplaceet ilavait l’appui du ministre français de la Défense. On avait prévu une missionentre le 12 et le 14 juin 2013 avec lui,mais le directeur général de laDGSEs’étaitopposéfermementàsaprésencedanslamission.»MohamedAkoteypoursuit : «Quand ledirecteurgénéral de laDGSEs’est

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opposé à saprésencedans lamission,M.Lorenzim’a finalement appelépourme dire qu’il se retirait etm’a souhaité bonne chance. Il disait qu’il le faisaitpourl’intérêtdelamission,pourquecelle-ciréussisse.Àpartirdecemoment-là, sur le terrain, iln’aparticipéàaucuneopérationdenégociation.Aucune.»Surleterrain,préciseAkotey.Maisencoulisse?De juin 2013 jusqu’au dénouement final, l’émissaire nigérien se rend à de

multiplesreprisesàlarencontredesravisseurs.Àchaqueretour,ilrendcompteaux services nigériens et français de l’état d’avancement des négociations.Aujourd’hui,sur lamêmelignequelaDGSE,ilpersisteetsigne:Lorenzin’ajouéaucunrôle,pasplusqueleséquipesd’Amarante.Parole contre parole. PAL affirme, à l’inverse, avoir œuvré au dénouement

final, et tient à le faire savoir. Dès le lendemain de la libération des quatreotages,donc,LeMondemetenlumièresonrôleprésumé.Ilprendainsilerisquede s’attirer les foudres de la « Boîte », qui a la rancune tenace. Enseptembre 2015, le cofondateur d’Amarante est visé par une enquêtepréliminaireduParquetnationalfinancierpour«fraudefiscaleetblanchiment».Perquisitions,saisiedesescomptesauLuxembourgoùilestrésidentfiscal.Endécembre 2015, la justice du grand-duché estime pourtant que les preuvesfournies par la justice française sont insuffisantes, et restitue ses biens àLorenzi .Mais PAL n’en démord pas : il réclame toujours à qui de droit 3 millions

d’eurospour ses«bonset loyaux» servicesdans l’affaired’Arlit.Maisquelsservicesexactement?S’est-iloccupéd’activerdesintermédiairesalgérienspourobtenir le feu vert d’Iyad ag-Ghaly, considéré comme proche des serviceslocaux ? A-t-il géré la rançon que le patron de la DGSE refusait de verser,conformément à la doxa officielle de François Hollande, et qui aurait pu êtreconfiéeparAmaranteàl’équiped’Akotey,peut-êtreàKidal,aumomentoùcedernier prenait la route pour aller chercher les otages ? Il ne l’a jamais ditprécisément. Au lendemain de la libération des otages, le cabinet Le Drian atransmislafactureà laDGSEdeBajolet,quiarefusétoutnet.LaquestiondurôleexactjouéparLorenziresteentière.« Lorenzi, comme Gadoullet d’ailleurs, a un ego démesuré, confie un

protagonistedel’affaire.Ilaprofitédecetteaffairepourfaireparlerdelui,etdesasociété .»Àl’automne2015,Lorenziavendusespartsauseind’Amaranteà son associé Alexandre Hollander, lequel aurait très peu goûté toute cettepublicité. Ilssontnombreuxàavoiroublié leprécepteédictéenson tempspar

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feu Jacques Foccart : « Si tu ne veux pas attraper de coup de soleil, reste àl’ombre.»LajoieseradecourteduréeenFrance.Troisjoursaprèsleretourdesquatre

ex-otages d’Arlit, deux journalistes de RFI en reportage à Kidal, GhislaineDupontetClaudeVerlon,sontenlevésdanslecentredecettelocalitéduNord-Malietembarquésdeforceparplusieurshommesarmés.Leraptalieuàlami-journée,etl’alerteestrapidementdonnée.Présentssurplace,lessoldatsfrançaisdel’opérationServalreçoivent l’ordredese lancerauxtroussesdesravisseurs.Mais très vite, les corps sans vie des deux envoyés spéciaux de RFI sontretrouvésprèsdupick-uplocaliséàlasortiedelaville.Ilsontétéexécutésparleursravisseursquiontréussiàs’enfuir.Quelquesjoursplustard,l’assassinatdeDupontetVerlonestrevendiquépar lakatiba(brigade)dirigéeparAbdelkrim,dit«leTouareg» .L’émotionesttrèsforte,etpasseulementàRadio-France.LamorttragiquedesdeuxjournalistesdeRFIest-elleliéeàl’affaired’Arlit?

Larumeurnetardepasàenfler,notammentdufaitdelaquasi-concomitance– troublante, ilestvrai–entre lesdeuxévénements.Pourcertainsobservateurs,Paris n’aurait peut-être pas tenu tous les engagements pris pour obtenir lalibérationdesquatred’Arlit.Tous les intermédiaires,dit-on,n’auraientpasétépayés.D’autres croient savoir que les prisonniers qui auraient dû être libérés,notammentparBamako,nel’ontpasété,déclenchantlafureurdesdjihadistes .La justicefrançaiseenquête toujourssurcetteaffairequin’apas livré toussessecrets.Selonplusieurs sourcesdignesde foi, l’enlèvementdesdeux journalistesde

RFIauraitétémenépardesamateursquiescomptaient«revendre»leursotagesàungroupedjihadiste.C’estnotammentlaconvictiondunégociateurMohamedAkotey,qui,toujourssurRFI,évoque«unraptd’opportunitéquiamaltourné ». L’enquête a en effet révélé que le véhicule des ravisseurs était tombé enpanneàlasortiedeKidal.Sesachantpourchassés,cesderniersauraientpaniquéettuéleursotages,avantdes’évanouirdanslessablesdudésert.AuxyeuxdeMohamedAkotey,endéfinitive,c’esttoutelapublicitéautourdu

paiement de rançon qui serait à l’origine du drame : « La presse a tellementrabâchélesoreillesàtoutlemondesurlemontantfaramineuxdelarançonquecelaadûdonnerdesidéesàquelques-uns.Ilsonttrouvécequ’ilsavaientsouslamainetpuiscelaamaltourné .»

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Mais faut-il vraiment pointer la responsabilité de la presse dans ce drame ?Celle-ci cherche surtout à éclairer les ambiguïtés tragiques d’un État pris aupiègeentrelanécessitédenepasalimenterleterrorismeetsavolontédenepasabandonner ses otages. Et qui, sous la pression de l’opinion publique et desmédias,prometdefairetoutelalumièresurdesaffairesclassées«ConfidentielDéfense».

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Notes1.TémoignagedeDanielLarribedansLibérationdu11novembre2013.2.Ibid.3.DorothéeMoisan,Rançons,Paris,Fayard,2013.4.MathieuOlivier,«PierreLegrand,MarcFéret,ThierryDol : la frondedesanciensotagescontre

l’Étatfrançais»,JeuneAfrique,22janvier2016.5.VincentHugeux,«LimamChafi,lessecretsd’unpreneurd’otages»,L’Express,10mars2013.6.Entretienavecl’auteur,20octobre2017.7.PatrickForestier,«OtagesduNiger : rivalitésentrenégociateurs»,ParisMatchdu 9 novembre

2011.8.Jean-MarcGadoullet,MathieuPelloli,Agentsecret,op.cit.9.Ibid.,p.222.10.Entretienavecl’auteur,viaSkype,20octobre2017.11.Entretienavecl’auteur,6avril2018.12.Envoyéspécial,France2,26janvier2017.13.Ibid.14.Ibid.15.Libération,11novembre2013,op.cit.16.Entretienavecl’auteur,17janvier2018.17.Entretienavecl’auteur,23mars2018.18. Propos recueillis parDavidBaché,MarieCasadebaig etOlivier Fourt et diffusés le 31 janvier

2017surRFI.19.JacquesFollorou,«Otagesd’Arlit:lesdessousdelanégociation»,op.cit.20.Contactéparlesauteurs,Pierre-AntoineLorenziafaitsavoirqu’ilnesouhaitaitplus«s’exprimer

surcessujets».21.Envoyéspécial,26janvier2017.22.PhilippeVasset,«Agentdoublé»,VanityFair,juillet2016.

23.Surlesactivitésd’AmaranteenAlgérie,lireIntelligenceOnline,n 655,2décembre2011.

24.IntelligenceOnline,n 751,20janvier2016.25.Entretienavecl’auteur,2mai2018.26.AbdelkrimleTouaregaététuéparlesforcesfrançaiseslorsd’uneopérationauMalienmai2015.

Songroupeestégalementresponsabledel’enlèvement,ennovembre2011,desdeuxFrançaisPhilippeVerdonetSergeLazarevicdansleCentreduMali.27.Envoyéspécial,26janvier2017.28.RFI,26janvier2017.29.Ibid.

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CHAPITREX

Nosdossiers«ConfidentielDéfense»

« Vous saurez tout, minute par minute ! » Ce vendredi 24 juillet 2015, leprésident François Hollande reçoit des membres des familles de GhislaineDupontetClaudeVerlon,lesdeuxreportersassassinés.Enmartelantcesmots,lechef de l’État s’adresse les yeux dans les yeux à Marie-Solange, la mère deGhislaine. François Hollande s’engage à « déclassifier tous les documentsdemandésparlesmagistratsinstructeurs»,enparticulierlesarchivesdel’arméeetdesservicesderenseignementfrançais,trèsactifsdanslarégion.Lesfamillessont à peine sorties de l’Élysée qu’un communiqué officiel réaffirme : « LePrésidentaexprimélesouhaitquetoutelatransparencepuisseêtrefaite.»Pourquoi tant d’insistance ? Car une fois la décision politique engagée au

niveauprésidentiel,leprocessusdeconsultationdedocumentssecretsn’estqueledébutd’uneautreaventure.Elles’apparenteàunlongparcoursdansuntunnelhostile vers une lueur de vérité incertaine.D’abord, parce que la demande esttoujoursaveugle:elleavanceàtâtonsversdesdossiersdontelleignoresouventl’existence. Ensuite, parce que toute sortie d’archives est à la discrétion del’institution elle-même. Et quand cette institution est la DGSE, l’incertitudedevient la règleet le temps inhumain.Sansaccélérateurprésidentiel, lesdélaisd’accèsauxarchivesdelaDGSEsontdecinquanteans,voiredecentanspourles documents qui pourraient porter atteinte à la sécurité de personnesnommément désignées ou facilement identifiables. Il faut ajouter dans lemillefeuilledesinterditsd’accèslesinformationsconfidentiellesquiproviennentdeservicesalliés(CIA,MI6,DGSN…):ellesnepeuventêtrecommuniquéesàdestiers.C’estlarèglesecrèteentrecesgrandesagences.Aussifaut-ilunesacréepatienceetdelaténacitépourtirerlapetiteficellequi

déroulerapeut-êtreunjourlapelotedelavérité.AssassinatdeThomasSankaraauBurkinaFaso (1987),meurtredu jugeBorrelàDjibouti (1995),actionsdesmilitairesfrançaisauRwanda(1994),exécutionde«tirailleurssénégalais»dansle camp de Thiaroye à Dakar (1944), assassinat à Paris de la militante anti-

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apartheid Dulcie September (1988), attaque d’un camp à Bouaké en Côted’Ivoire (neuf soldats français tués en 2004). Tous les présidents qui se sontsuccédéàl’Élyséeontreçulesfamillesdes«disparus»enleurassurantqu’ilsallaientdemanderladéclassificationdeleurdossierafinqu’ellessachent,enfin,commentetpourquoileursprochesavaientétéassassinés.

GhislaineDupontetClaudeVerlon,l’enquêteinachevée

PourGhislaineDupontetClaudeVerlon,entrelespromessesduPrésidentetl’accès aux documents, sept mois se sont écoulés. C’est à la demande desmagistratsLaurenceLeVert,MarcTrévidic etChristopheTeissier, chargés del’instructionsurcesmeurtres,queleministredelaDéfenseJean-YvesLeDrianasaisilaCSDN(CommissiondusecretdelaDéfensenationale) .Le21janvier2016, cette commission « consultative » a émis un avis favorable à ladéclassification de cinquante-sept documents, dont huit de la Direction durenseignementmilitaire,deuxdelaDirectiondelaprotectionetdelasécuritédeladéfense(devenuedepuisDRSD)etquarante-sixdelaDirectiongénéraledelasécurité extérieure. Au total, une centaine de feuillets dont une grande partiecaviardée.N’imaginezpasdegrandscoupsdefeutrenoirnerveuxsurdestextesdactylographiés. Non, ils ont été expurgés. Il ne reste que de tristes pagesblanches où il est spécifié : « Non déclassifié par décision du ministre de laDéfense » et, juste en dessous, il est précisé : « Conformément à l’avis du26 janvier 2016 de laCSDN. »Comprenez : leministre et les parlementairessont d’accord sur tous les documents à soustraire aux yeux des juges, de lafamilleetdesjournalistes.Misère.Desdocumentsetphotosdisponibles,ainsiquedesentretiensàl’Élysée,ilest

toutdemêmeressortiqueleshommesquiontenlevéGhislaineetClaudeontétéidentifiés.Troisd’entreeux–dontl’undescommanditaires,AmadaAgHama,alias Abdelkrim le Touareg – sont morts, dont deux « neutralisés » par desmilitaires français. Deux autres se seraient réfugiés en Algérie. Lemobile dumeurtren’estpasencoreéclairci:enlèvement«d’opportunité»pourrécupérerunepartiedelarançondeplusieursmillionsd’eurospourlalibérationdesotagesfrançaisd’ArevaetdeVinci?Unevengeanceàlasuitedepromessesnontenuesde libération de proches des assassins a également été évoquée. Autresmystères:pourquoil’ordinateurdeGhislaineDuponta-t-ilétévisitéavantson

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enlèvement?Quelaétél’impactdelaprésenced’unhélicoptèredelaMinusma(MissionmultidimensionnelleintégréedesNationsuniespourlastabilisationduMali) qui volait parallèlement à la voiture des terroristes ? Est-ce qu’unhélicoptère de l’armée française était également présent ?Mille et une autresquestions soulevées aussi par l’attitude de l’armée française opposée à laprésence des deux journalistes à Kidal. À ce jour, les archives mises àdispositionparlesservicessecretsn’ontpaspermisderépondreàcesquestions.

LedossierSankaravraimentàlivreouvert?

Le28novembre2017,c’estEmmanuelMacronquiannonceauxétudiantsdel’universitéOuaga1,auBurkinaFaso,lalevéedu«SecretDéfense»enFrancesurledossierdel’assassinatdeThomasSankara,le15octobre1987.Onestdéjàtrente ans après la disparition de l’un des rares chefs d’État africainsanticolonialistesquigalvanisetoujourslajeunesseducontinent.Bienbrieféparsesconseillers,EmmanuelMacronavitecomprisqu’iltenait,enprononçantlenommagique deSankara, son sésamepour s’adresser à la jeunesse burkinabédansundiscoursquisevoulaitrefondateurd’unenouvellepolitiqueàl’égarddel’Afrique.Là aussi, le Président assure que « tous [les documents] produits par des

administrationsfrançaisespendantlerégimedeSankaraetaprèssonassassinat[…] couverts par le secret national seront déclassifiés et consultés en réponseaux demandes de la justice burkinabé ». Cette même justice qui a inculpéquatorzepersonnesdontlegénéralGilbertDiendéré,l’hommedetouslessecretsdurégimedeBlaiseCompaoréquiesttombéenoctobre2014.RéfugiéenCôted’Ivoire, l’ancien président burkinabé est lui-même sous mandat d’arrêtinternationalainsiqueHyacintheKafando,lechefprésuméducommandoquiatuéThomasSankara .Malgrélespromessesd’EmmanuelMacron,onpeutdéjàparierquelenomde

Gilbert Diendéré sera le grand absent de tous les documents fournis par laDGSE.Lerenseignementnefaitpasbonménageavec la justice.Détenteurdetous les secrets des interventions clandestines de la France dans la région(Liberia,Côted’Ivoire…)surplusieursdécennies,GilbertDiendéréavaitmêmepermis,avantlachutedurégime,l’installationducommandementdesopérationsspéciales de l’armée française dans une zone protégée de l’aéroport deOuagadougou, à l’abri des regards. C’est à partir de ce camp que les forces

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spéciales françaises opèrent toujours discrètement dans toute la zone sahélo-saharienne,enappuià l’opérationBarkhane .Toutà la foischefde l’arméeetdes services de renseignement de son pays, Gilbert Diendéré était « notrehomme à Ouaga ». Intouchable il était, intouchable il restera… grâce auBoulevardMortier.

LedossierdujugeBernardBorrel,millefoisenterré

L’omertà de l’armée française est tout aussi étanche à Djibouti, surl’assassinat,danslanuitdu18au19octobre1995,deBernardBorrel,magistratfrançaisdétachéauprèsduministredelaJusticedjiboutien.Cejugeenquêtaitàlafoissurl’attentatduCafédeParisle27septembre1990 ,etsurdiverstrafics(armes, stupéfiants, fausse monnaie). Sa veuve, Élisabeth Borrel, elle-mêmemagistrate, a déjà mis près de trente ans à faire reconnaître que son mari nes’étaitpassuicidémaisavaitbienétéfrappéàlatêtepuisbrûlé.Objectifvisé:accréditer l’idée que le juge s’était immolé par le feu. Un assassinat reconnule 13 juillet 2017 par le tribunal de grande instance de Paris, sur la based’expertises incontestables. Dans ce dossier également, le président Sarkozyavait assuré le 19 juin 2007 àÉlisabethBorrel que« toute la lumière » seraitfaitesurl’assassinatdesonmari.Ensortantdel’Élysée,l’épousedujugeétait,pour la première fois, optimiste : « Il n’y aura plus les obstructions qu’on aconnues », déclarait-elle. La mort de son mari « en service, victime d’unattentat»,étaitenfinactée.Lasse,dixansplustard,ÉlisabethBorrelnecroitplusàlalevéedu«Secret

Défense ». Pourtant, en ce début d’après-midi du 5 mars 2018 où nous larencontrons,elles’apprêteàparticiperàuncolloquesurcethèmeàlafacultédedroitduPanthéon.«Celafaitlongtempsquejevoulaismonteruncollectifsurlesecret-défense », confie-t-elle.Elle est désormais de tous les combats de cetteassociation . Pour le reste, c’est une femme désabusée qui raconte son longcalvaireet toutes lesavaniessubies :sonépouxtraitédepédophile,elle-mêmedefolle,ladécouvertedefauxenécriture,ladestructiondescellésaupalaisdejusticedeParis,laconnivenceentreDjiboutiensetFrançaisauplushautniveaudel’État.«Pendantlongtemps,jen’aipascompris.J’étaismoi-mêmemagistratalors que l’onme considérait comme l’ennemi. J’étais assimilée à un espion.C’estvraimentune illusiondenepascroireà la raisond’État.Ongêne,onne

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veutpaslavérité.J’étaisbienseule»,murmureÉlisabethBorrel .Toutdemême,aprèsl’interventionduprésidentNicolasSarkozy,plusde200

pages de documents déclassifiés ont pu être consultées par la juge SophieClément,alorsenchargedudossier,notammentdes«Journauxdemarchesetdesopérations»d’unitésmilitairesfrançaisesbaséesàDjibouti.ÉlisabethBorrelse redresse et s’esclaffe : « Oui, effectivement, tous les jours étaient bienconsignés…sauflanuitdu18au19octobredel’assassinatdeBernard!»

LestirailleursdeThiaroye,«mortspourlaFrance»?

De son côté, la courageuse historienne ArmelleMabon a consulté pendantplusdequinzeansdesmilliersdedocumentspourretrouvertracedumassacre,le1 décembre1944,detirailleursd’Afriquedel’OuestaucampdeThiaroyeàDakar.Prisonniersdeguerredanslesfrontstalags(campsdeprisonnierssituésàl’extérieurduReich)pendantquatre ans, ces tirailleurs s’étaient révoltés aprèsqu’onleureutrefusélasoldepromiseauretourenAfrique.Ilsontétéexécutésàlamitrailleuseparl’arméefrançaise.EnvisiteauSénégalpourleSommetdelafrancophoniele30novembre2014,

leprésidentFrançoisHollandeasolennellementreconnucemassacreet«saluéla mémoire d’hommes qui portaient l’uniforme français et sur lesquels lesFrançaisavaientretournéleursfusils».Lechefdel’Étataégalementremisauxautoritéssénégalaisesunecopiedel’intégralitédesarchivessurcetévénement.Maissanslacartographiedessépulturesnilalistedesvictimes…PourArmelleMabon, « les autorités françaises possèdent la cartographie des fossescommunes, qui fait partie des archives jamais classées et restées interdites auseindesforcesfrançaisesauSénégaljusqu’àleurdissolutionen2011.Jepensequ’il y a la liste des victimes, des rapatriés, les calculs des soldes, les vraisordres ».L’historienne conteste également que les tirailleurs se soient rassemblés

d’eux-mêmescejourfuneste.«Làaumoinslesarchivessontconcordantes:ilsont été rassemblés sur ordre des officiers devant les automitrailleuses. » Etsurtout, ilmanqueentre300et400hommesalorsque lechiffreofficielestde35morts…Danssonintervention,FrançoisHollandeadoublélenombreàplusde70morts.Loindusinistredécompteréel.

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Pour lesévénementsdeThiaroye, leproblèmeest l’accèsàdesarchivesquin’ont jamais été ni classées ni inventoriées et pourraient même avoir étédétruites.Parmi lesdocuments récupérésparArmelleMabon,une feuilled’un«journaldemarche»intrigue:unepagede«Punitions»,totalementcaviardée,cettefois-ciaufeutrenoirpourles«dates»,la«nature»etle«gradeetemploides autorités qui ont infligé les punitions ». Seule cette note visible : « Loid’amnistie du 10 août 1947. » Un officier aurait été sanctionné pour sesagissements contre les tirailleurs de Thiaroye. Avec ou sans les ordres de sahiérarchie?ArmelleMabonnelâcherienetenvisaged’allerdevantleConseild’Étatpourconnaîtrelemotifdecettesanction.

DulcieSeptember,déclassification…enAfriqueduSud!

Le29mars1988,DulcieSeptember,représentanteàParisdel’ANC(AfricanNational Congress), est assassinée de cinq balles tirées à bout portant d’uncalibre 22 équipé d’un silencieux, peu avant 10 heures, sur le palier de sesbureaux, au quatrième étage du 28, rue des Petites-Écuries, dans le XarrondissementdeParis.Malgrélesoutienofficieldugouvernementsocialisteàlalutteanti-apartheid

enAfriqueduSud,unechapedeplombs’abatenFrancesurlesprotagonistesetle mobile de ce meurtre. Les premières informations ne viendront qu’enavril 1998 d’Afrique du Sud : le colonel Eugene de Kock, ancien chef desescadrons de lamort sud-africains, reconnaît avoir commandité lemeurtre deDulcieSeptember.C’estsansdouteunmercenairefrançaisquiafroidementtiréàParissurlamilitantesud-africaine.Le mobile ne sera connu qu’en mai 2017, avec la déclassification de

documents du renseignement militaire sud-africain. Auteur d’Apartheid, GunsandMoney.A tale of profit ,HennieVanVuuren, directeur de l’ONGOpenSecrets,et la journalistenéerlandaiseEvelynGroeninck,quigérait lesarchivesprivées,ontrévélépourquoiDulcieétaitdevenue«unecible».Lareprésentantede l’ANC avait découvert les relations incestueuses entre l’Afrique du Sud etl’industrie d’armement française. Des dizaines de représentants d’Armscor,l’organisme sud-africain chargé des programmes de matériels militaires,animaientunbureauclandestinauseinmêmedel’ambassaded’AfriqueduSudà Paris. Les rencontres secrètes entre services sud-africains et français étaienttrès régulières, en particulier pour la livraison d’armes sous embargo, tels que

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desmissilesMistral.

Rwanda,lavéritédanslesarchivesduFondsMitterrand?

Plonger dans les archives de la France au Rwanda est encore une autreaventure.LejournalisteDavidServenayyaconsacrédesannéesetenatiréuneséried’articlesdocumentésetinéditspourLeMonde .Contrairementauxautresdossiersclassifiés,Servenaysaitcequ’ilcherche. Ilaeuaccèsàun inventaireconfidentielduFondsRwanda1990-1998duServicehistoriquede laDéfense,basé au château de Vincennes : 210 cartons d’archives provenant de plus de40 services ou unités différents. Manquent tout de même les archives de laDGSE alors que laDRM, elle, aurait livré ses notes et rapports.Une absenced’autant plus regrettable que laDGSE avait été, dès le départ, très réticente àl’égarddel’engagementdel’arméefrançaisedanscetteanciennecoloniebelge.AnciendirecteurdelaDGSE,ClaudeSilberzahnnousraconte,vingt-cinqans

plus tard, comment il s’était opposé à l’intervention de l’armée française auRwanda:«J’aitoutdesuiteditdanslesréunionsconsacréesàceprojet:“Nousn’avons personne au Rwanda. Pas plus qu’au Zaïre. On fait confiance à noscopainsbelges.Quandonabesoin,onleurdemande.”Unpeupourmemoquer,j’ai également dit : “On n’a personne en Malaisie au cas où vous voudriezintervenir dans ce pays.” Pourquoi va-t-on semêler des affaires duRwanda ?Nousn’existonspasdanscepays .»Face à l’insistance du premier cercle de FrançoisMitterrand, « j’ai tout de

mêmeenvoyédeséquipespournousdirecequisepassaitdanslarégion,confieSilberzahn. Ils sont revenus en disant que c’était bien une rébellion de TutsisrwandaisetquelesOugandaisnes’enmêlaientpas.Etquandl’arméefrançaiseest intervenue, nos gars sont revenus en disant que c’étaient les militairesfrançaisquigéraient lesmortiers».Desproposque l’ancienchefdes servicessecretsavaitdéjàtenusen2011:«LorsquelaFrances’engageauRwanda,ellele fait contre notre avis, clairement exprimé, explicité et répété, etessentiellement parce que le pouvoir politique veut donner un os à ronger àl’armée …»Parlons alors des archives du « pouvoir politique ». Cette prise de position

initiale du patron des services secrets rend encore plus nécessaire l’accès auFonds Mitterrand. Un fonds constitué de plus de 10 000 cartons ! DavidServenay rappelle la loi d’exception de la consultation de ces archives. Pour

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inciter les plus hauts dirigeants (Présidents et Premiers ministres) à verser àl’État leurs documents, un dispositif « Archives sous protocole » avait étéinstituésouslaprésidencedeValéryGiscardd’Estaing.Pendantladuréelégaledeprotection(soixanteans),lePrésidentoulePremierministregardentainsilecontrôle de leurs archives remises à l’État. Ensuite, c’est l’affaire de sonmandataire…Enl’occurrence,laconsultationdesdocumentssurleRwandadela présidence est donc du seul ressort de Dominique Bertinotti, légataire deFrançoisMitterrand,etnonceluideschefsd’Étatquiluiontsuccédéetmarteléque«touslesdocuments»devaientêtredéclassifiés.Onestalorsdansleseulregistredelapréservationdelamémoiredel’ancienprésident.Comment faire évoluer le principe du « Secret Défense » avec une

commission qui n’est que consultative ?Avocat de l’Association des amis deGhislaine Dupont et Claude Verlon, Christophe Deltombe, qui a longuementtravaillé sur ce sujet, a proposé à des parlementaires la création d’une hautejuridiction spécialisée qui pourrait s’appeler « Juridiction du secret » :« L’exigence de vérité est confrontée à celle de la protection des services del’État,d’intérêtsdiplomatiques,stratégiques,économiquesousécuritaires–deuxexigences parfois irréductibles l’une à l’autre. Or nous constatons que dansnombre d’affaires, la balance penche résolument du côté du secret, dans desconditions qui s’inscrivent dans une vision abusivement étendue de l’intérêtsupérieur de l’État, et au pire, ont pour objet de protéger des opérationsdiscutablesetpeuconformesàcetintérêtsupérieur»,relèvel’avocat .Selon Deltombe, cette juridiction indépendante devrait être composée, par

exemple, de «membres de la Cour des comptes, de la Cour de cassation, duConseil constitutionnel, avec un statut inamovible ». Ces magistrats seraientnommés pour une durée de cinq ans. Par ailleurs, le délai de saisine de lacommissiondevraitêtre limitédans les troismoisde lademandeau lieude laformulesansdélaiactuel.Tombéedanslesmainsdequelquesparlementaires,lapropositionderéforme

Deltomben’apasencoreétévraimentrelayéedanslesassembléesdupeuple.Enrevanche,aumoisde janvier2018,unrapportduSGDSNsur le«secretde ladéfense nationale enFrance » a bien annoncé une réformede la classificationdes documents. Mais au-delà de la communication de quelques informationsfactuelles – 5 millions de documents classifiés au 1 janvier 2017 et400000personneshabilitéesà lesconsulterdont68%relèventdesarmées–,pas vraiment de piste d’ouverture. Pour l’instant, la seule proposition sera de

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classerlesnouveauxdocumentssouslessceauxde«Secret»et«TrèsSecret»àlaplacedestroisniveauxactuels:«ConfidentielDéfense»,«SecretDéfense»et«TrèsSecretDéfense».Unchangementdetamponsquivisesurtoutàalignerlespratiquesfrançaisessurcellesdesesalliés.Uneanecdoteillustrelapérennitédel’omertàsurnosdossiers«Confidentiel

Défense».Noussommesen1958.ÀlatêteduSDECEdepuisenvironunan,legénéralPaulGrossinreçoituncoupdefildugénéraldeGaulle.Leprésidentdela République lui demande de sortir de son coffre les documents les plusconfidentielsetdevenirlevoiràl’Élysée.PaulGrossins’exécuteetmetdanssasacoche ses documents les plus secrets, souvent disponibles en un seulexemplaire.DeGaullelereçoitdanssonbureau.Unfeucrépitedansl’unedescheminées.Lechefde l’Étatprendunàunlesdossiersquelui tendlegénéralGrossin,etlesjetteaufeu.Àl’issuedeleurentretien,CharlesdeGaulleditaupatron des services secrets français : «Chaque année, vous viendrez ainsimevoiravecvosdocumentslesplusconfidentiels .»Aujourd’hui, au siège de la DGSE boulevard Mortier, ce sont les

impressionnants broyeurs situés près du Centre de veille opérationnel qui ontremplacélefeudeboisdugénéraldeGaulle.

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Notes1.Créée le 8 juillet 1998, laCommissiondu secret de la défensenationale compte unmembredu

Conseild’État,unmagistratdelaCourdecassation,unmagistratdelaCourdescomptes,undéputéetunsénateur.L’avisde lacommissionestconsultatif.Leministreadonctoute latitudepourdéclassifiermalgréunavisdéfavorabledelacommissionetinversement.2.Comité«JusticepourSankara,justicepourl’Afrique».3.VoirchapitreII:«NoscousinsdesDGSEafricaines.»4.Lejeudi27septembre1990,à22h45,quatrehommesarrivésàbordd’untaxilancedesgrenades

contre deux cafés de la place du 27-Juin à Djibouti, dont le Café de Paris. Plusieurs dizaines depersonnes,essentiellementfrançaises,sontblesséesetdeuxenfantsyperdentlavie.5 . Collectif « Secret Défense-un enjeu démocratique » qui compte Élisabeth Borrel, Bachir Ben

Barka,DanièleGonod(AssociationLesAmisdeGhislaineDupontetClaudeVerlon),FrançoisGraner(AssociationSurvie,surlerôledelaFrancedanslegénocideauRwanda),BrunoJaffré(Réseau«Justicepour Sankara »), Jacques Losay (Association SOS Bugaled Breizh ), Armelle Mabon (Massacre deThiaroye)etHenriPouillot(ComitéMauriceAudin).6.Entretienavecl’auteur,Paris,5mars2018.7.Communicationavecl’auteur,Paris,11avril2016.8.HennieVanVuuren,Apartheid,Guns,andMoney,ÉditionsJacanaMedia,2017.9.«LessecretsdelaFranceauRwanda»,Letempsdesarchives,LeMonde,18et19mars2018.10.Entretienavecl’auteur,Paris,10juin2017.11.SébastienLaurent(dir.),Lesespionsfrançaisparlent,Paris,NouveauMondeéditions,2011.12.Entretienavecl’auteur,Paris,19avril2018.13.AnecdoterecueillieparlejournalisteGérardGrysbeckdeFrance2TVauprèsdemembresdela

familledugénéralPaulGrossinetrecoupéeauprèsd’officiersdelaDGSE.

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ÉPILOGUE

Laphototrôneàl’entréedupassagesouterrainquipermetderelierlesdeuxemprises de la DGSE, de chaque côté du boulevard Mortier, sans avoir àtraverser la voie publique. On n’est jamais trop prudent. C’est une image duBureau des légendes , la série de Canal + réalisée par Éric Rochant, avecMathieu Kassovitz. Cette saga à rebondissements, qui a remporté un francsuccèsd’audiencedansl’Hexagone,peut-ellechangerenprofondeurl’imagequicolleàlapeaudel’agencedepuisl’affaireduRainbowWarrioren1985?Celled’unlieuoùsontconcoctées–àl’abridesregards–touteslesbarbouzeries.LaDGSEa jouéfinementenouvrantsesportesà l’équipedufilm,pour lui

permettre de humer l’air de la « Boîte » et de rencontrer certains de sesresponsables. Quelques années plus tard, l’un d’entre eux se dit bluffé par lesavoir-faireduchefdécorateur :n’ayantpasétéautoriséàprendredesphotos,celui-cia reproduitdemémoire les lieux.Et,visiblement,ellene l’apas trahi.Plusvraiquenature,cebureaudeslégendes!Unautre se souvient, amusé,de la rencontrededeuxmondes :unvéritable

chocdescultures.L’agenceavaitprévuundéjeunerdanslepavillond’honneur,maisl’acteurJean-PierreDarroussinazappél’invitation,filantsanscriergareàun rendez-vous chez le médecin, sous l’œil médusé de ses hôtes. Quant àMathieu Kassovitz, il a rapidement mis au menu un sujet qui lui tientparticulièrement à cœur et sur lequel il a d’ailleurs fait quelques déclarationsfracassantes au cours des dernières années : la « vérité » sur les attentats du11septembre2001.Pourquoilesservicesaméricainsn’ont-ilsrienvuvenir?Unavions’est-ilvraimentcrashésur lePentagone,àWashington?Silencepolietquelquepeugênédel’assistanceautourdelatable…S’il est difficile de faire la part des choses entre l’impact du succès – bien

réel–duBureaudes légendeset celui – tragique – des attentats de janvier etnovembre2015àParis,laréalitéestbienlà:lescandidaturesaffluentausiègede la DGSE. Cela tombe bien, on y recrute, et en nombre. Les moyensbudgétaires et les effectifs y sont en constante augmentation depuis quelquesannées, notamment au sein de la direction technique et du département ducontre-terrorisme.

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Untempsmenacéparlavolontéaffichéedel’anciendirecteurBernardBajolet(parti en2017)de réorganiser lesdépartementsde l’agenceafind’y introduiredavantage de transversalité, le secteur « N », celui de l’Afrique, a pourtantrésisté. Il estencoredominépar lesmilitaires.Toujoursunpeuàpart,marquépar l’histoireduserviceet lesparticularitésdes relationsentre laFranceetsesanciennescoloniessurcecontinent.BoulevardMortier,cedépartementestainsil’undesraresàdisposerdesonproprelogo:unmasqueafricain.Onn’échappepasàl’Afrique.L’arabisantBernardBajolet,étrangerjusqu’ici

auxaffaires subsahariennes,ensaitquelquechose.Durant sonmandatdecinqans à la tête de la DGSE, c’est le continent où il a effectué le plus dedéplacements.C’estlàqu’ilaétéreçuquasimentcommeunchefd’Étatparlesprésidents de l’ancien pré carré francophone. C’est là qu’un directeur desservices secrets français peut encore espérer influer sur le cours de l’Histoire.Maispourcombiendetempsencore?Entre la concurrence permanente des « alliés » (États-Unis, Royaume-Uni,

Israël), l’irruptiondenouveauxacteurspolitiques(lesmonarchiesduGolfe), leretour d’anciennes gloires (les Russes en Centrafrique et au Tchad), laconsolidation des positions de certains géants (la Chine) et l’influencegrandissantedesmultinationalessurlecontinent,nosespionsaurontfortàfairepourexister.Etleurshomologuesafricainsnesepriventpas–quipourraitlesenblâmer?–dediversifierleurssourcespourgagnerenautonomie.AliBongoestàtuetàtoiaveclesouverainduMaroc,MohammedVI,dont

lesservicessontdeplusenplusactifsausudduSaharaetquis’abstientdeluifairelaleçonenmatièrederespectdesdroitsdel’homme.Mêmel’autocrateduCongo-Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso, se méfie de la DGSE, lasoupçonnant de comploter contre lui. Pourtant, il a longtemps été l’un deschouchous des officiers français de la guerre froide, du fait de ses bonnesrelationsaveclesrégimesprosoviétiquesd’Afriqueaustrale.Sansparlerdesessoutiensdanslesmilieuxpétroliers.QuantàIdrissDéby,quisaitcequ’ildoitàsesparrainsduBoulevardMortier,iljouedesaproximitéaveclesservicesdesamis divers et variés du Tchad avec la précision d’un virtuose. Un coup laFrance,lejourd’aprèsleSoudan,etdemainlaRussie…Letempsdutête-à-tête,desdroitsacquisetdesplacesréservéesestbienfini.D’autant qu’au sein de la galaxie du renseignement et de la sécurité, les

partenairesde laFrancepeuvent,deplusenplus, faire leurmarché.LaDGSEn’est plus reine en son royaume africain.D’un côté, les policiers de laDGSI

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n’hésitentpasàmarchersursesplates-bandesausudduMaghreb,etàjouersurles réseaux traditionnels sur lesquels la « Boîte » pouvait s’appuyerconfortablement, tels les Corses. De l’autre, les militaires de la Direction durenseignementmilitaires’engouffrentdans labrèchedesopérationsextérieuresmenéesparlaFrancedansleSahelpourétofferleurpropreréseau,sanspouvoirêtretotalementsûrs,d’ailleurs,qu’ilsnesollicitentpaslamêmesourcequelescollègues du Boulevard Mortier… Et au centre, les commandos des forcesspécialesquirécupéreraientbiensousleuraile,unebonnefoispourtoutes,leurscamaradesduserviceAction,pouréviterlesdoublons,enLibyeouailleurs.Jusqu’ici,laDGSEatoujourssupréserversescartesmaîtresses,etnotamment

sonstatutsiparticulier:bienqu’étantsouslatutelledelaDéfense,elledisposed’une ligne directe avec l’Élysée, et chacun semble y trouver son compte, auPalais comme àMortier. Comme s’il y régnait unmicroclimat particulier, lesdiplomatesquisesuccèdentàlatêtedel’agencedeviennentinvariablementlesplus grands défenseurs de cette institution qui fait tant de jaloux. Le zèle desconvertis,sansdoute…IlsuffitdelireBernardBajolet :«Surleplanhumain,j’aibeaucoupappris.

LespersonnelsduServicenepeuventpas,dufaitdeleurmétier,seconfierauxautres,à leursproches […], les rapportshumainsysont très forts […].Quandj’entendsparfoisemployerlemot“barbouze”pourdécrirenosactivités,celamefaitbondir !Nospersonnels sontauservicedupays.D’ailleurs, jen’ai jamaisessuyé de refus, même pour les missions les plus dangereuses ou les plusdélicates .»Mais pour convaincre durablement et massivement par-delà les murs de la

caserneduboulevardMortier,ilfaudrasansdoutedavantagequ’unesérietéléàsuccès.Quelques semainesavant samort, legénéraletancienambassadeurdeFranceauBurkinaFasoEmmanuelBethregrettaitainsilaméfiancepersistantedesesconcitoyensvis-à-visdesservicesde l’État.«AuBurkina, jen’aicesséd’inciterlesFrançaisinstallésdansdifférentsendroitsdupaysànouscontacterpour nousprévenir s’ils voyaient quoi que ce soit de suspect oud’intéressant,maisbeaucoupsemontrenttrèsréticents,contrairementauxBritanniques .»AupaysdeSaMajesté,eneffet,onnenourritpasdetellespudeurs:toujoursprêtàrendre service aux services !«Right orwrong,my country ! »Demême, lesdiplomates de la Couronne peuvent sans sourciller émarger simultanément auForeignOfficeetauMI6,leserviceextérieurduRoyaume-Uni.Outre-Manche,lerenseignementestunartnoble,magnifiéparJohnLeCarré.

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PasenFrance.Dumoinspasencore.Mêmesi lespremiersde laclassedesgrandesécolesdelaRépubliquen’hésitentplusàseglisser,avecplusoumoinsd’aisance,danscemondedel’ombre.Les«X-Mines»rejoignent laDirectiontechnique, pour manier et améliorer les performances de l’excellent outiltechnologique dont dispose la DGSE pour intercepter les communicationsinternationales, ou entre l’Hexagone et l’extérieur. Un outil qui lui permet dedemeurerdanslepelotondetêtedesmeilleursservicesderenseignementdelaplanète.Lesdiplomates,eux,sontaiguillésversladirectiondelaStratégie.Et,parfois,

dans l’un des secteurs les plus sensibles de la «Boîte », au cœur du réacteurnucléaire : la direction du Renseignement. C’est le cas de Franck Paris, uncondisciple d’Emmanuel Macron à l’ENA, devenu le Monsieur Afrique duPrésident en mai 2017. « Les carrières au sein d’une seule et mêmeadministration, c’est caduc », approuve un diplomate passé par le boulevardMortier.Lanouvellegénérationn’hésiteplusàallerquidansleprivé,quidanslasphèredudéveloppement,quidanslerenseignement.«Avantderevenirverslamaisonmèreaveccenouveaubagage.»Toutbénéfice,àl’entendre!C’estcemêmeFranckParisquiréunit,unefoisparmoisenviron,leConseil

présidentiel pour l’Afrique, composé de personnalités franco-africaines bienintroduites dans les diasporas installées dans l’Hexagone. Une autre façon defaireremonterdel’information,pournepasdiredurenseignement,afinderesterencontactavecuncontinentenpleinbouleversement…Silesservicesofficielsseplaignentdenepaspouvoircomptersurlesoutien

de leurs compatriotes en Afrique, c’est aussi qu’ils ont toujours craint d’êtreinfiltrés par des réseaux d’intérêt privés difficiles à contrôler. Sans doute demauvaissouvenirsremontantàlapériodedel’affaireElf,oùl’onnesavaitplustrès bien qui était qui, et qui faisait quoi. Pour certains, les services secretsfrançaisdanslarégionauraientalorsététotalementsousl’influenceduprésidentgabonaisOmarBongo!C’estdire…Lesofficielssesontainsibunkérisésentenantsouventàboutdegaffe leurs

anciens camarades du renseignement. En particulier ceux qui ontmonté leurspropres sociétés d’intelligence économique, ou sont devenus les responsablessécurité desgrandsgroupes français qui opèrent enAfrique.Depuis2011, desrencontres se sont cependant officialisées, au sein duCentre de crise duQuaid’Orsay,entrecesdeuxmondespublic-privé,dontlesacteurssonttousissusdela même grande famille du renseignement français. Et, contrairement aux

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déclarations officielles, la DGSE n’est pas mécontente que des anciens de la«Boîte»soientprochesdechefsd’ÉtatafricainstombésendisgrâceàParis.Dumomentquel’inforemonte…Dans les années qui viennent, l’Afrique restera l’un des terrains d’action

privilégiésdesagentsdelaDGSE.Àconditionquelesecteur«N»nesoitpashappé par la lutte antiterroriste. Dans le Sahel, la bataille contre la menacedjihadiste ne fait que commencer. Et malgré la montée du péril terroriste, cecontinent,quiconnaîtuneformidablecroissancedémographiqueetquiregorgederessourcesminièresetdeterresarablesencoreinexploitées,apparaîtcommeun lieu riche de promesses de croissance, de profits et de parts de marché àconquérir pour les investisseurs. Sous réserve que ces derniers ne soient pasrebutésparunegouvernancequelquepeuchaotiqueetpar l’opacitédes règlesmouvantes qui régissent trop souvent le business local. De quoi nourrir uneconcurrenceexacerbéeentre investisseurs…etentreservicesderenseignementchargésdeparerlescoupsfourrésdespuissancesrivales.Moinsprésentsdans les secteurs stratégiquesdupétroleetdesmines,«nos

chersespions»sontenrevanchetoujoursàlamanœuvrepouridentifieretciblerles chefs djihadistes qui relèvent la tête dans le Sahel et, surtout, pour leurconnaissancedelagalaxiedespouvoirsenAfrique.Àcetégard,lesarchivesdela«Boîte»sontmoinssollicitéesquelesvieillesamitiésdesjeunesretraitésdurenseignement.Dansl’Afriquedel’oralité,cesonteuxlesplusrecherchés,tantparlesnouvellespuissancesmontantes–Chine,Japon,Arabiesaoudite,Qatar–que par les anciennes sur lesmarchés francophones – États-Unis, Allemagne,Italie,Espagne.Après leLevant, l’Iranet laRussie, c’est sansnuldouteenAfriqueque les

scénaristes projetteront demain leurs agents lors des prochaines saisons dessériestélé.Lagos,DjiboutiouAbidjan,nidsd’espions?Cen’estdéjàplusdelafiction.La nouvelle guerre froide sur lesmarchés africains et la voix de leursdirigeantsauxNationsuniesvontfaireémergerunenouvellegénérationauseindel’inoxydablesecteur«N»duBoulevardMortier.

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Notes1. Entretien«AucœurdelaDGSE»parudanslarevuePolitiqueinternationale,automne2016.2. Entretienavecl’auteur,14décembre2017.

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Carte©PhilippeParaireCréationgraphiqueetillustrationdecouverture:unchatau

plafond

Dépôtlégal:septembre2018©LibrairieArthèmeFayard,2018

ISBN:978-2-213-70696-2

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Tabledesmatières

Couverture

Pagedetitre

desmêmesauteurs

INTRODUCTION

CHAPITREPREMIER. Nosprésidentschouchous

Coupd'ÉtatàBangui,silencioàParis

Soutienindéfectibleau«frèred'armes»deBrazzaville

Omarl'intouchable,Alilemal-aimé

Retoursouhaitédes«grandesoreilles»françaisesàAbidjan

CHAPITRE2. NoscousinsdesDGSEafricaines

«Onatoujoursbesoind'unpluspetitquesoi»

Partiedepokermenteurentreamis

L'axeParis-Ouagadougou-Abidjan

Paris,aiguillondelacoopérationSud-Sud

CHAPITRE3. Nosamislesrebellestouareg

Parisetlevieuxrêved'indépendancedesTouareg

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Feuorangepourlesséparatistestouareg

SchizophrénieàlafrançaiseauMali

Guerredel'ombre

CHAPITRE4. Nos«honorablescorrespondants»corses

UndrapeaudelaDGSIflottesurLibreville

Elfen«Corsafrique»àtouslesétages

DesPMUafricainsauxcasaquesd'or

Affairesdomestiquesetprésidentielles

LeClubdes«grandsflics»del'AltaRoccacorse

CHAPITRE5. Nosagentsdormantsdansleprivé

DesspeeddatingauQuaid'Orsayentreprofessionnels

Latraverséedumiroirpublic-privé

LesP-DGetleurshommesdel'ombre

CHAPITRE6. Nosfaux-frèresisraéliensaux«grandesoreilles»high-tech

«Lesprésidentsveulentjustesavoirquicoucheavecqui!»

LeMossadauxpaysdesdiamantaires

LaDGSEnelabellise

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quelatechnologietricolore

AuSénégal,onécoutelessous-marins

CHAPITRE7. Nosmaîtresespionsdiplomates

ÀDakar,toutprèsduchaudronsahélien

La«DS»,fiefdesdiplomatesduBoulevardMortier

LefantômedeDenisAllex

L'AfriqueàlaDGSE,couleurkaki

Unaccélérateurdecarrière

CHAPITRE8. NospatronsenguérillaàParis

FroidpolaireentrelaDéfenseetlaDGSE

LeserviceActiondansleviseurdesforcesspéciales

DansleSahel,péchéd'orgueiletcomplexedesupériorité

LaDGSEn'estpasprêteuse

GuerredesservicesàBrazzaville

CHAPITRE9. Nosotagesetnosréseauxrivaux

JMG,l'espiontémérairequigênait

Lafilièrenigérienneentreenaction

LesupplicedePAL

CHAPITRE10. Nosdossiers

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«ConfidentielDéfense»

GhislaineDupontetClaudeVerlon,l'enquêteinachevée

LedossierSankaravraimentàlivreouvert?

LedossierdujugeBernardBorrel,millefoisenterré

LestirailleursdeThiaroye,«mortspourlaFrance»?

DulcieSeptember,déclassification…enAfriqueduSud!

Rwanda,lavéritédanslesarchivesduFondsMitterrand?

ÉPILOGUE

Pagedecopyright