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Non corrigé Traduction Uncorrected Translation CR 2012/13 (traduction) CR 2012/13 (translation) Vendredi 27 avril 2012 à 15 heures Friday 27 April 2012 at 3 p.m.

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Non corrigé Traduction Uncorrected Translation

CR 2012/13 (traduction)

CR 2012/13 (translation)

Vendredi 27 avril 2012 à 15 heures

Friday 27 April 2012 at 3 p.m.

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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte, et j’appelle à la barre

M. James Crawford. Monsieur Crawford, vous avez la parole.

M. CRAWFORD :

1. L’APPLICATION EN LA PRÉSENTE ESPÈCE DES PRINCIPES ET RÈGLES REGISSANT LA DÉLIMITATION MARITIME

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, mon collègue M. Bundy a

exposé le contexte géographique et retracé l’évolution de la revendication fluctuante du Nicaragua

en matière de délimitation maritime. Je présenterai quant à moi brièvement les principes et règles

applicables, puis décrirai la ligne d’équidistance provisoire entre les Parties, qui constitue la

première étape de toute délimitation. M. Bundy et moi-même examinerons ensuite les

circonstances pertinentes de la zone de délimitation et nous pencherons sur la question de savoir

dans quelle mesure celles-ci confirment ladite ligne ou exigent que des ajustements y soient

apportés.

Les principes et règles régissant la délimitation maritime

2. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la Cour, ainsi que les différents

tribunaux qui ont eu à connaître de questions de délimitation, ont mis au point une approche devant

être normalement suivie pour régler ce genre de questions. Cette approche est désormais bien

connue.

3. Tout d’abord, il convient de déterminer clairement quelle est la zone qu’il est demandé à

la Cour de délimiter. M. Bundy a d’ores et déjà examiné les côtes qui délimitent la zone

pertinente ; ce sont les côtes opposées de la Colombie, c’est-à-dire les côtes de l’archipel orientées

vers l’ouest, et la côte du Nicaragua orientée vers l’est qui constituent, respectivement, les limites

orientale et occidentale de cette zone.

4. Les juridictions se sont ensuite attachées à examiner la situation à la lumière de sa

configuration géographique particulière et d’autres circonstances. Les différences entre les affaires

étant considérables, la méthode qui a été peu à peu élaborée à cette fin n’est pas immuable, et ce

serait une erreur que de tenter d’appliquer à toute délimitation un critère fixe et rigoureux. Ce

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nonobstant, la délimitation maritime est un exercice qui revêt une forme bien établie, dont on ne

saurait s’affranchir à la légère. A cet égard, les étapes suivies par les différentes juridictions en

matière de délimitation des espaces maritimes entre des côtes se faisant face constituent une

certaine approche méthodique qui, ainsi que la Cour l’a souligné dans l’affaire Libye/Malte1, a

contribué à la prévisibilité.

11

5. Déterminer l’emplacement de la ligne médiane est, en principe, une tâche assez simple.

Bien évidemment, il convient au préalable de définir les points de base à partir desquels cette

opération doit être effectuée. Lorsque la zone en cause est délimitée par des côtes se faisant face, la

juridiction concernée doit définir des points de base pertinents sur les lignes de base de ces côtes.

Il y a donc trois étapes :

⎯ la définition des points de base ;

⎯ le tracé de la ligne médiane ou d’équidistance ;

⎯ la recherche de circonstances pertinentes qui peuvent justifier que cette ligne soit ajustée.

A cet égard, je renvoie la Cour à la déclaration de principe qu’elle a formulée en

l’affaire Cameroun/Nigéria2, déclaration à laquelle ont fait écho différents tribunaux, en particulier

ceux qui ont été constitués en application de l’annexe VII dans les

affaires Barbade/Trinité-et-Tobago3 et Guyana/Suriname4 ; les passages pertinents sont cités dans

notre duplique et je ne les répéterai donc pas5.

6. La Colombie soutient que telle est la méthode appropriée aux fins de délimiter les espaces

maritimes situés entre l’archipel et les côtes du Nicaragua.

7. Avant d’appliquer cette méthode aux faits de l’espèce, je rappellerai brièvement les

affaires qui, au cours de ces dernières décennies, ont contribué à l’établir ; c’est qu’en effet, nos

collègues de la Partie adverse ont démontré leur propension à s’en affranchir pour adopter une

approche tout à fait singulière.

1 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 46, par. 60 ; voir

également ibid., p. 39, par. 45. 2 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale

(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 441, par. 288. 3 Sentence du 11 avril 2006, par. 242. 4 Sentence du 17 septembre 2007, par. 342. 5 DC, par. 6.24, 6.30, 6.31.

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L’équidistance comme point de départ

8. Premièrement, la ligne médiane ou d’équidistance constitue toujours le point de départ. Il

est vrai que, dans les affaires du Plateau continental, la Cour a relevé l’inéquité qui pouvait en

résulter pour un Etat limitrophe au milieu d’une côte concave6 ⎯ et le même cas s’est présenté en

l’affaire Bangladesh/Myanmar ; elle a cependant jugé que, lorsque les Etats en cause ont des côtes

qui se font face, la ligne d’équidistance créait des «difficultés … moindres»7.

12

9. Dans le cadre de la délimitation maritime qu’il lui a été demandé d’effectuer entre la

Libye et Malte ⎯ deux Etats, là encore, ayant des côtes qui se font face ⎯, la Cour a précisé que le

tracé de la ligne médiane «correspond[ait] à la démarche la plus judicieuse en vue de parvenir,

finalement, à un résultat équitable» (Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt,

C.I.J. Recueil 1985, p. 47, par. 62).

10. Cette même méthode a été de nouveau appliquée dans une autre configuration de côtes se

faisant face, celle de l’affaire Jan Mayen, où la délimitation devait s’effectuer entre la côte d’une

dépendance insulaire relativement petite et éloignée qui faisait face à une longue côte continentale.

La Cour a cependant considéré que ces côtes étaient égales ; rien ne laissait supposer que

Jan Mayen fût une excroissance du plateau continental du Groenland. Elle a ainsi indiqué que «ce

serait se conformer aux précédents que de commencer par la ligne médiane à titre de ligne

provisoire, puis de rechercher si des «circonstances spéciales» obligent à ajuster ou déplacer cette

ligne» (Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark

c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 61, par. 51, citant les affaires du golfe du Maine et

Libye/Malte, et citée dans l’affaire Qatar c. Bahreïn, C.I.J. Recueil 2001, p. 110-111, par. 227).

Vous vous souviendrez que, dans cette affaire, le Danemark soutenait que la ZEE de 200 milles

était «sa» zone, étant donné que sa côte continentale était bien plus longue, tout comme le

Nicaragua le fait en la présente espèce. Or, la Cour a catégoriquement rejeté cet argument et retenu

la ligne médiane comme première étape de la délimitation entre les zones générées par les côtes se

faisant face. Ainsi qu’elle l’a alors précisé, «il est approprié … d’entamer le processus de

délimitation par une ligne médiane tracée à titre provisoire» (Délimitation maritime dans la région

6 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale

d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 38, par. 58. 7 Ibid., p. 36, par. 57.

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située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 62,

par. 53).

11. L’affaire Roumanie c. Ukraine était une affaire hybride, dans laquelle la délimitation

devait être effectuée pour partie entre des côtes adjacentes et pour partie entre des côtes se faisant

face, la jonction entre les deux segments étant contestée ; la Cour a néanmoins considéré que,

«[c]onformément à [sa] jurisprudence constante … la première étape consist[ait] à établir la ligne

d’équidistance provisoire» (Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt,

C.I.J. Recueil 2009, p. 101, par. 118).

13

12. En résumé, l’approche de la Cour a toujours consisté à commencer par établir la ligne

médiane ou d’équidistance comme ligne de délimitation présumée équitable des droits entre des

côtes se faisant face. L’étape suivante consiste à rechercher quelles sont les éventuelles

circonstances spéciales qui exigent que cette ligne soit ajustée.

La prise en compte, le cas échéant, de circonstances spéciales

13. La Cour a précisé ce qu’il faut entendre par circonstances spéciales, et ce, notamment en

l’affaire Jan Mayen :

«les circonstances spéciales apparaissent comme des circonstances susceptibles de modifier le résultat produit par une application automatique du principe d’équidistance… Cette notion [la notion de circonstances spéciales] peut être décrite comme un fait devant être pris en compte dans l’opération de délimitation.» (Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 62, par. 55.)

Dans l’affaire Qatar c. Bahreïn, la Cour a indiqué ce qui suit : «Pour la délimitation des zones

maritimes au-delà de la zone des 12 milles, elle tracera d’abord, à titre provisoire, une ligne

d’équidistance et examinera ensuite s’il existe des circonstances devant conduire à ajuster cette

ligne.» (Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),

fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 111, par. 230.) Dès 2001, il n’y avait donc plus lieu de remettre

en cause ce principe, qui avait d’ores et déjà été appliqué dans des affaires antérieures.

14. Comme je l’ai dit, la Cour l’a répété dans l’affaire Cameroun/Nigéria.

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Le rejet de l’approche constante par le Nicaragua

15. Face à l’approche que la Cour a toujours suivie et à la large adhésion que cette approche

a suscitée de la part des autres juridictions, le Nicaragua prétend toutefois dans sa réplique que le

principe de l’équidistance est tout à fait inapproprié en l’espèce et qu’il convient de l’écarter.

Invoquant une «absence de présomption en faveur de la ligne d’équidistance»8, il soutient que

l’approche consistant à commencer par établir une telle ligne «n’est pas correcte»9 et que, dans les

affaires pertinentes, «la mention de l’équidistance a été soigneusement évitée lorsque la

délimitation a porté sur des zones maritimes plus étendues»10. Si le Nicaragua entend par là que les

cours et tribunaux commencent par établir une ligne d’équidistance uniquement lorsque se pose un

problème de chevauchement des mers territoriales ou des eaux littorales ⎯ et non lorsqu’il s’agit

d’espaces plus étendus de ZEE ou de plateau continental ⎯, cela est parfaitement inexact. Comme

l’a déjà dit la Colombie, la Cour a clairement indiqué, dans des affaires portant sur des espaces plus

ou moins étendus, que les principes pertinents aux fins de la délimitation des différentes zones

maritimes étaient analogues. Dans l’affaire Qatar c. Bahreïn, elle a ainsi précisé ce qui suit :

14

«la règle de l’équidistance/circonstances spéciales, qui est applicable en particulier à la délimitation de la mer territoriale, et la règle des principes équitables/circonstances pertinentes, telle qu’elle s’est développée depuis 1958 dans la jurisprudence et la pratique des Etats quand il s’agit de délimiter le plateau continental et la zone économique exclusive, sont étroitement liées l’une à l’autre» (Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 111, par. 231).

La Cour n’a jamais nuancé ce prononcé et, en dépit de grandes différences dans la géographie

côtière, c’est toujours la ligne d’équidistance qui a servi de point de départ.

16. D’ailleurs, le Nicaragua lui-même a appliqué cette méthode11, au moins lorsqu’il a

formulé sa revendication initiale ⎯ même s’il l’a, depuis, abandonnée au profit d’un procédé de

son cru12.

8 RN, p. 176, par. 6.67. 9 Ibid., p. 177, par. 6.69. 10 Ibid., p. 176, par. 6.66. Voir également, p. 165, par. 6.49. 11 MN, p. 204-208, par. 3.37-3.42. 12 RN, par. 25-26.

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17. A ce stade, il convient de dire quelques mots du véritable rôle que jouent les

considérations d’équité lorsqu’il s’agit de délimiter la zone pertinente entre des côtes se faisant

face.

18. La délimitation maritime ne repose pas sur le principe d’égalité de répartition ; elle est

fonction de la géographie. Il n’existe pas de «doctrine du partage juste et équitable». Comme l’a

relevé la Cour, cela «semble s’écarter totalement de la règle qui constitue sans aucun doute possible

pour [elle] la plus fondamentale de toutes les règles de droit» en matière de délimitation, à savoir

que les droits d’un Etat dans ses zones maritimes existent «en vertu de la souveraineté de l’Etat sur

ce territoire et par une extension de cette souveraineté sous la forme de l’exercice de droits

souverains» (Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark)

(République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 22, par. 19. Voir

également l’affaire Jan Mayen, C.I.J. Recueil 1993, p. 67, par. 64). Certes, les considérations

d’équité jouent un rôle, comme l’a d’ailleurs précisé la Cour dans les affaires de la Mer du nord en

indiquant que «la délimitation doit s’effectuer équitablement» (C.I.J. Recueil 1969, p. 22, par. 20).

A cet égard, la Cour a considéré que des circonstances pertinentes pouvaient conduire à ajuster la

ligne médiane. La géographie étant à la base de l’analyse, elle produit parfois des résultats

injustifiés, à l’instar d’autres facteurs. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas, en l’espèce, affaire à

un archipel «extraordinaire, anormal ou déraisonnable» (ibid., p. 23, par. 24) qui constituerait une

formation d’importance secondaire pour la délimitation d’autres zones, mais à un ensemble

territorial important dont les lignes côtières constituent les côtes pertinentes du côté colombien.

15

19. Le processus ne consiste pas à rééquilibrer les circonstances ; il ne s’agit pas, en

particulier, de modifier la géographie ou d’en gommer les effets au nom d’une certaine conception

de l’égalité des droits ni, a fortiori, pour satisfaire une volonté de propriété totale. La géographie

de la zone pertinente, comme l’a dit la Cour dans l’affaire Cameroun c. Nigéria, «est une donnée» ;

ce n’est pas «un élément que la Cour pourrait modifier, mais un fait sur la base duquel elle doit

opérer la délimitation» (Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun

c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 443-445, par. 295).

Cela vaut pour un archipel essentiellement constitué de petites formations, tout autant que pour une

côte continentale.

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L’application du principe : définition des points de base pertinents

20. M. Bundy a défini les côtes pertinentes. Reste maintenant à déterminer précisément les

points de base sur les lignes de base de ces côtes.

21. Comme l’a dit la Cour dans l’affaire Qatar c. Bahreïn,

«[l]a ligne d’équidistance est la ligne dont chaque point est équidistant des points les plus proches des lignes de base à partir desquels la largeur de la mer territoriale de chacun des deux Etats est mesurée. Elle ne peut être tracée que lorsque les lignes de base sont connues.» (Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 94, par. 177.)

Reprenant ce prononcé, la Cour a appliqué la même méthode dans l’affaire Cameroun c. Nigéria.

L’article 15 de la CNUDM définit la ligne médiane comme la ligne «dont chaque point est

équidistant des points les plus proches des lignes de base à partir desquels la largeur de la mer

territoriale de chacun des deux Etats est mesurée» (Frontière terrestre et maritime entre le

Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt,

C.I.J. Recueil 2002, p. 442, par. 290).

22. La façon précise dont sera appliqué ce principe fondamental dépend, bien évidemment,

de la géographie côtière. A cet égard, on relèvera qu’aucun des deux Etats n’a adopté de système

de lignes de bases droites pour sa côte pertinente, de sorte que la question ne se pose pas.

23. L’article 6 de la convention prévoit qu’un Etat définissant ses points de base aux fins

d’une délimitation doit, lorsque lesdits points se trouvent sur la laisse de basse mer d’un récif

frangeant, se référer à la laisse de basse mer «telle qu’elle est indiquée sur les cartes marines

reconnues officiellement par [lui]». Dans la présente affaire, la Colombie a produit des cartes

hydrographiques de la zone pertinente et réalisé des études détaillées ⎯ dont j’ai déjà eu l’occasion

de vous parler ⎯ afin d’analyser précisément la géographie côtière. A partir de ces cartes et des

données plus précises fournies par ces études, la Colombie a défini les points de base de la zone

pertinente aux fins du tracé de la ligne médiane.

16

24. En ce qui concerne la partie nicaraguayenne, notre analyse est limitée en raison de

l’insuffisance des informations contenues dans les plaidoiries du Nicaragua, sur ce point comme

d’ailleurs sur d’autres. Le Nicaragua a formulé une série de revendications maritimes fluctuantes,

sans pour autant effectuer tous les travaux détaillés qui ont été jugés indispensables par différentes

juridictions dans d’autres affaires. Face à cette insuffisance flagrante de données géographiques

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précises, la Colombie a donc dû reconstituer les particularités de la façade côtière du Nicaragua

⎯ tâche qui incombe normalement à la Partie adverse ⎯ en ayant recours aux données

publiquement accessibles concernant les îles côtières du Nicaragua.

Les points de base de la Colombie

25. Mais voyons tout d’abord les points de base du côté colombien. Cette carte, qui

correspond à la figure 9.2 du contre-mémoire, est divisée en trois sections représentant les

différentes parties de l’archipel pertinent aux fins de la délimitation. La partie la plus

septentrionale, Quitasueño, est représentée dans la section de gauche ; au milieu figurent les îles de

Santa Catalina, Providencia et Low Cay ; la section de droite illustre l’île de San Andrés et les

cayes d’Alburquerque.

26. En partant du nord, la Colombie a établi quatre points de base sur Quitasueño, appelés

Q1, Q4, Q18 et Q22, à savoir une île et trois hauts-fonds découvrants ⎯ cette dernière formation

entrant dans les prévisions de l’article 6 de la convention de 1982. Les éléments contenus dans les

études géographiques que j’ai mentionnées confirment que ces points peuvent servir de points de

base.

27. M. Bundy s’est déjà penché sur ce qui semble devoir être considéré comme la réponse du

Nicaragua aux points de base proposés par la Colombie. Il s’agit d’une réponse globale consistant

à rejeter en bloc l’intégralité de la façade côtière pertinente de la Colombie. Cette réponse générale

ne contient cependant aucune analyse des points de base proprement dits. La Colombie confirme

l’exactitude des données à l’aide desquelles elle a défini les points de base, ainsi que l’application

des règles et principes à ces données.

17

28. En allant vers le sud, à partir de Quitasueño, nous arrivons aux îles de Providencia et de

Santa Catalina, dans la partie centrale de l’archipel. La côte occidentale de Providencia fournit

deux points de base situés sur les lignes de base «normales» ⎯ la laisse de basse mer du littoral,

que vous voyez sur la carte actuellement projetée à l’écran. On peut donc, à partir de ces deux

points de base situés sur Providencia, tracer le segment central de la ligne d’équidistance. A

environ huit milles marins au nord de Santa Catalina, Low Cay fournit un autre point de base.

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29. Enfin, la partie méridionale de l’archipel contient six autres points de base ⎯ quatre sur

l’île de San Andrés et deux sur les cayes d’Alburquerque. Les quatre points de base de San Andrés

sont situés sur la côte occidentale de l’île. Les deux points les plus au sud sont indiqués par les

repères A3 et A4 sur la carte qui s’affiche à l’écran.

30. Ces points de base sont ceux qui définissent la position de la ligne d’équidistance à partir

de la Colombie. J’en viens à présent aux points de base nicaraguayens, qui peuvent être définis très

brièvement.

Les points de base du Nicaragua

31. Comme nous l’avons vu, la ligne d’équidistance entre la Colombie et le Nicaragua est

entièrement définie par les points de base se trouvant sur les îles et cayes qui se rattachent à la côte

continentale du Nicaragua. Les noms des îles et cayes en question apparaissent en rouge sur la

carte actuellement projetée à l’écran. Le récif d’Edimbourg, les cayes de Miskito et les formations

voisines génèrent les points de base nicaraguayens pour le segment septentrional de la ligne

d’équidistance. Le segment méridional est déterminé par les points de base situés sur la Grande île

du Maïs et la Petite île du Maïs.

Le refus du Nicaragua de tenir compte des côtes

32. Il est important de rappeler maintenant ce que le Nicaragua a dit exactement au sujet des

côtes. Voici dans quels termes il a rejeté l’utilisation de la ligne d’équidistance comme point de

départ :

«En l’espèce, d’après le scénario suggéré par la Colombie, cet exercice est injustifiable puisqu’il n’existe pas de côte colombienne faisant face à celle du Nicaragua et, même si San Andrés et Providencia devaient être considérés comme formant ensemble une «côte» ⎯ ce que le Nicaragua conteste ⎯, la zone située entre elles et le territoire continental du Nicaragua ne représente pas plus de 50 % de la zone devant être délimitée, et les deux «côtes» ne sont nullement similaires.»13

18

33. Ce passage révèle deux choses. Premièrement, le Nicaragua rejette de manière

catégorique l’applicabilité en l’espèce du principe de l’équidistance. Selon sa théorie,

l’équidistance n’est pertinente que lorsque les côtes concernées sont «similaires». Encore ne

13 RN, p. 179, par. 6.72.

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l’admet-il qu’à contrecœur : l’équidistance «pourrait convenir comme point de départ»14. C’est un

coup très rude qu’il porte ainsi au principe de l’équidistance et des circonstances spéciales,

systématiquement appliqué dans les affaires de délimitation maritime ; le Nicaragua voudrait

établir un nouveau critère, un critère restrictif dont il n’a jamais été question dans la jurisprudence.

D’après lui, pour que l’équidistance constitue un point de départ approprié, les côtes doivent être

«similaires». Cette théorie des «côtes similaires» est une nouveauté totale, qui n’est étayée par

aucune source faisant autorité. Elle signifierait que, dès lors qu’une délimitation doit être effectuée

entre une côte continentale et un groupe d’îles situé au large de cette côte, l’équidistance n’entre

pas en jeu. Comme si la délimitation avait déjà eu lieu, le vainqueur continental remportant toute

la mise ou presque, la seule question à régler étant celle de l’indulgence (limitée) dont il convient

de faire preuve à l’égard des vaincus insulaires qui frappent aux portes du continent. Si le

Nicaragua voit juste avec sa théorie des «côtes similaires», alors les cartes des côtes du monde

entier doivent être redessinées et assorties de la mention : «Attention. Côte continentale. Les îles

doivent rester à plus de 200 milles sous peine de tout perdre !» Nous sommes bien loin de la côte

des Mosquitos ; cela ressemble plutôt à la côte des Crocodiles ⎯ des crocodiles aux dents

longues !

34. Ce n’est pas ainsi qu’une délimitation maritime s’effectue entre des côtes continentales et

des côtes insulaires, que ce soit dans la pratique diplomatique ou dans la pratique judiciaire. Les

côtes du Nigéria et de Bioko ne sont pas similaires, non plus que celles du Nigéria et de

Sao Tomé-et-Principe. Pourtant, la délimitation qui a été effectuée et les arrangements y relatifs

n’ont pas suivi la théorie des «côtes similaires». Je pourrais vous citer bien d’autres exemples et,

dans le cadre de ma seconde intervention de cet après-midi, je m’arrêterai plus longuement sur la

pratique diplomatique ⎯ ce que M. Reichler s’est bien gardé de faire. La Cour elle-même n’a pas

accordé la moindre valeur à la théorie des côtes similaires lorsqu’elle a examiné la requête

présentée par la Guinée équatoriale à fin d’intervention en l’affaire Cameroun c. Nigéria. Les

côtes de la Libye et de Malte ne sont pas similaires non plus ; pourtant, la Cour leur a accordé la

14 RN, p. 179, par. 6.72 ; les italiques sont de nous.

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même attention. Si elle avait suivi la théorie des «côtes similaires», la Libye aurait obtenu

beaucoup plus.

35. Mais le plus frappant, pour en venir à mon second point, c’est que le Nicaragua refait

complètement la géographie. Si l’on prend son argumentation au pied de la lettre, alors — je

cite — «il n’existe pas de côte colombienne faisant face à celle du Nicaragua»15. Nous avons déjà

vu que le Nicaragua cherchait à rayer Quitasueño de la carte des Caraïbes occidentales.

Maintenant, semble-t-il, il a repris sa gomme et effacé non pas uniquement la portion septentrionale

de l’archipel mais l’archipel tout entier ! Du point de vue territorial, il perd de vue les

80 000 Colombiens dont l’avenir se trouve suspendu à l’issue de sa revendication ; du point de vue

maritime, il perd de vue leurs côtes. Il devrait consulter un ophtalmologue.

19

36. Dans le cadre de sa tentative visant à exclure les côtes, le Nicaragua invoque plusieurs

situations dont aucune n’a la moindre pertinence dans le contexte géographique des Caraïbes

occidentales. Ainsi se réfère-t-il en particulier à l’affaire Roumanie c. Ukraine et au sort réservé à

l’île des Serpents dans cette affaire ; à l’affleurement rocheux de Filfla dont la Cour n’a pas tenu

compte en l’affaire Libye/Malte ; à la barre de sable de Qit’at Jaradah dans l’affaire Qatar

c. Bahreïn ; et à l’île tunisienne de Djerba en l’affaire Tunisie/Libye. Mais les formations

concernées dans les trois premières affaires que je viens de citer étaient de moindre importance, et

leur relation géographique avec les côtes continentales était sans commune mesure avec celle qui

existe entre les îles côtières nicaraguayennes et l’archipel relativement éloigné de la Colombie. En

ce qui concerne l’île tunisienne de Djerba, sa présence a moins pesé dans la balance que le

comportement des parties, qui s’en étaient tenues à une ligne de facto. Je me bornerai donc ici à

formuler trois observations générales.

37. Tout d’abord, le Nicaragua veut faire passer l’archipel pour une formation mineure ou

insignifiante, comme Filfla ou l’île des Serpents. Ensuite, il soutient que cet archipel est adjacent à

sa propre côte, et ce, alors même qu’il en est séparé par de vastes espaces maritimes16. Ces

prétentions ne tiennent pas au regard des faits. Enfin, le Nicaragua ne tient aucun compte du fait

que, hormis l’affaire Tunisie/Libye, dans laquelle la configuration des côtes des deux Etats

15 RN, p. 179, par. 6.72 ; les italiques sont de nous. 16 Ibid., p. 183, par. 6.80. Voir également ibid., p. 186, par. 6.88.

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adjacents et leur pratique abondante exigeaient une approche spéciale17, la méthode de

l’équidistance a été appliquée pour réaliser la délimitation dans chacune de ces affaires qui, à en

croire le Nicaragua, justifieraient pourtant de l’écarter. En clair, les exemples cités par le

Nicaragua n’infirment en rien l’approche systématiquement adoptée, à savoir que la ligne

d’équidistance constitue le point de départ d’une délimitation maritime ; ils ne changent rien à la

définition des côtes pertinentes, ni à celle des points de base. L’équidistance est la méthode

conforme à votre jurisprudence ; elle vaut également pour la délimitation à réaliser entre les côtes

pertinentes du Nicaragua et l’archipel ; enfin, les points de base fixés par la Colombie sont ceux

qu’il convient d’utiliser pour mesurer la ligne médiane.

20

Le tracé de la ligne médiane

38. Une fois que les points de base pertinents ont été établis, il y a lieu de tracer la ligne

médiane entre eux. C’est un simple exercice de calcul. La carte projetée à l’écran représente la

zone pertinente et la ligne médiane obtenue après application des principes juridiques à la

géographie. La ligne médiane, en rouge, part du sud en direction du nord-est. Pour vous donner un

point de référence et de comparaison, le méridien de 82° de longitude ouest a été indiqué en

orange.

39. Le segment méridional de la ligne médiane s’étend entre les cayes d’Albuquerque et l’île

de San Andrés, côté colombien, et les îles du Maïs, petite et grande, côté nicaraguayen. La flèche

dessinée à l’extrémité sud de cette ligne indique que celle-ci s’apprête à entrer dans une zone où les

intérêts d’Etats tiers sont susceptibles d’entrer en jeu.

40. Au centre de cette ligne, les points de base pertinents sont ceux qui, côté colombien, sont

situés sur les îles de San Andrés, de Providencia et de Santa Catalina, y compris Low Cay, et, côté

nicaraguayen, sur la petite île du Maïs et Roca Tyra. La ligne médiane suit une direction nord-sud

sur la plus grande partie de sa portion méridionale.

41. Plus au nord, la ligne s’infléchit vers l’est sous l’influence des points qui déterminent son

tracé. Je fais référence ici aux segments reliant Quitasueño, côté colombien, et les cayes des

17 Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 85-86, par. 121.

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Miskitos et le récif d’Edimbourg côté nicaraguayen. La ligne se poursuit jusqu’à la zone où les

intérêts d’Etats tiers sont susceptibles d’entrer en jeu, comme indiqué là encore par une flèche.

42. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, une fois la ligne médiane

établie, il convient de se demander si certaines circonstances justifient d’en ajuster le tracé. Nous

vous proposons pour cela notre traditionnel duo, M. Bundy examinant tout d’abord plusieurs

circonstances, autres que géographiques, qui confirment que la ligne médiane est la bonne. Je

reviendrai ensuite à la barre, si vous le voulez bien Monsieur le président, pour considérer les

circonstances géographiques, qui sont cruciales dans la présente affaire.

Je vous remercie, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour.

Le PRESIDENT : Merci, M. Crawford. J’appelle à la barre M. Bundy.

21

M. BUNDY : Je vous remercie, Monsieur le président.

2. LES CIRCONSTANCES PERTINENTES

1. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, comme l’a dit M. Crawford,

nous nous intéresserons dans cette partie de notre plaidoirie à la deuxième étape de la procédure de

délimitation : il s’agit d’identifier les circonstances pertinentes propres à la zone à délimiter et de

déterminer si celles-ci viennent confirmer le caractère équitable de la ligne d’équidistance

provisoire ou imposent, pour aboutir à un résultat équitable, de procéder à certains ajustements.

2. Les Parties ont manifestement deux conceptions très différentes du traitement qu’il

convient de réserver aux circonstances pertinentes, de même, du reste, qu’à la procédure de

délimitation dans son ensemble. La Colombie a pris soin de se conformer à l’approche en deux

étapes que la Cour a énoncée sous le nom de règle des «principes équitables/circonstances

pertinentes» ou de règle «équidistance-circonstances spéciales». En d’autres termes, comme nous

venons de l’entendre, la Colombie a commencé par calculer la ligne d’équidistance provisoire,

avant d’examiner les circonstances pertinentes en vue de déterminer si celles-ci devaient influer sur

le tracé de cette ligne. Comme la Colombie l’a montré, et s’emploiera de nouveau à le faire cet

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après-midi, cette analyse est venue confirmer le caractère équitable de la ligne d’équidistance

tracée entre les points de base pertinents des côtes respectives des Parties.

3. Le Nicaragua, en revanche, rejette l’approche qu’a toujours suivie la Cour en matière de

délimitation. L’équidistance n’a manifestement pas sa place dans sa nouvelle demande, qui se

fonde sur la géologie, et rien que la géologie, et ne prend pas en compte les circonstances

pertinentes propres à la zone à délimiter.

4. Cette approche, outre qu’elle est en décalage avec la pratique de la Cour, prend le

contrepied de la propre position défendue initialement par le Nicaragua quant à la méthodologie

applicable. J’ai déjà relevé aujourd’hui que, en 2007 encore ⎯ soit six années après l’introduction

de l’instance ⎯, le Nicaragua soutenait résolument dans cette même salle que la Cour voudrait

assurément procéder comme elle le faisait désormais de manière systématique : en d’autres termes,

tracer une ligne d’équidistance provisoire, avant de prendre en considération les «circonstances

spéciales» qui pourraient nécessiter d’ajuster cette ligne.

5. A l’évidence, le Nicaragua a maintenant renoncé à cette position.

22

6. Mais laissons de côté les fluctuations du Nicaragua pour nous concentrer sur les

circonstances pertinentes ; en l’espèce, elles sont essentiellement de deux ordres : les facteurs

géographiques, d’une part, et le comportement des Parties et des Etats tiers de la région, de l’autre.

Je commencerai par analyser le comportement de la Colombie et du Nicaragua, ainsi que celui des

Etats tiers à même de nous renseigner sur le tracé que devrait suivre une ligne de délimitation

équitable ; après mon exposé, M. Crawford, comme il vient de l’indiquer, se penchera sur les

circonstances géographiques.

7. Dans les deux cas, cependant, les questions fondamentales demeurent les mêmes : les

circonstances viennent-elles confirmer qu’une délimitation opérée selon la méthode de

l’équidistance entre le chapelet d’îles occidentales de la Colombie et le Nicaragua permet d’aboutir

à un résultat équitable (la réponse est oui) ? Et les prétentions du Nicaragua à des zones s’étendant

très loin à l’est sont-elles conciliables avec une bonne application des principes et règles de

délimitation maritime, compte tenu des circonstances pertinentes (la réponse est non) ?

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2. La nature et le rôle des circonstances pertinentes

8. C’est dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord que la Cour a développé

pour la première fois la notion de circonstances pertinentes. Le passage en question est bien connu,

mais mérite tout de même d’être cité une fois de plus, puisqu’il contient une importante déclaration

de principe. La Cour a dit ceci :

«En réalité il n’y a pas de limites juridiques aux considérations que les Etats peuvent examiner afin de s’assurer qu’ils vont appliquer des procédés équitables et c’est le plus souvent la balance entre toutes ces considérations qui créera l’équitable plutôt que l’adoption d’une seule considération en excluant toutes les autres. De tels problèmes d’équilibre entre diverses considérations varient naturellement selon les circonstances de l’espèce.» (Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 50, par. 93.)

9. La Cour l’a répété dans l’affaire Libye/Malte : «il n’y a … certes pas de liste limitative des

considérations auxquelles le juge peut faire appel» (Plateau continental (Jamahiriya arabe

libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 40, par. 48) ; dans l’affaire Tunisie/Libye, ces

circonstances comprenaient le comportement des Parties ⎯ en réalité le comportement de leurs

prédécesseurs coloniaux ⎯ ainsi que certains facteurs géographiques ; en l’affaire de la

Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen, elles incluaient

l’accès aux ressources halieutiques ; et dans la sentence rendue en l’affaire Guyana/Suriname, le

tribunal arbitral a affirmé que rien n’obligeait les juridictions internationales à s’en tenir à un

ensemble fini de circonstances spéciales18.

23

10. Nonobstant la nouvelle demande du Nicaragua, l’objet du présent différend demeure bien

la fixation d’une frontière maritime unique impliquant le plateau continental et la colonne d’eau.

11. L’importance que revêtent les facteurs géographiques aux fins de cet exercice ne saurait

faire de doute. La ligne d’équidistance provisoire est, après tout, le produit de la géographie ⎯ à

savoir, celui des points de base choisis sur les côtes des Parties qui en déterminent le tracé. Mais

les circonstances pertinentes, en l’espèce, comprennent également d’autres facteurs, et ce sont eux

qui retiendront à présent mon attention.

18 Sentence rendue dans l’affaire entre le Guyana et le Suriname, 17 septembre 2007, par. 302.

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3. La juridiction et la surveillance exercées par la Colombie

12. De même que dans le cas des effectivités accomplies par la Colombie relativement aux

îles, les éléments de preuve concernant les actes d’administration, de gestion et de surveillance

effectués par elle en ce qui concerne les eaux de l’archipel de San Andrés tendent tous vers une

seule et même conclusion : la Colombie a mené moult de ces activités, pas le Nicaragua.

13. Loin de moi l’intention de revenir sur l’ensemble des éléments de preuve qui ont été

présentés dans nos pièces de procédure écrite. Ils sont légion, et ils sont indiscutables. Je me

contenterai de mettre en avant certaines des principales manifestations de cette pratique ⎯ pratique

avec laquelle l’absence de tout comportement comparable du Nicaragua offre un contraste

frappant.

i) Coopération avec les Etats tiers en matière de gestion et de conservation des ressources

14. Je commencerai par la gestion et la conservation des ressources biologiques. Dans ce

domaine, la Colombie a à la fois pris part à des initiatives en coopération avec d’autres Etats de la

région et adopté ses propres mesures de conservation. En quoi ces initiatives sont-elles

importantes ?

15. La réponse est que, en droit international, un Etat côtier n’a pas seulement des droits

souverains aux fins d’exploration et d’exploitation des ressources naturelles des eaux surjacentes

aux fonds marins, ainsi que des fonds marins et de leur sous-sol ; il a aussi l’obligation d’assurer la

conservation et la gestion des ressources, biologiques et non biologiques, de la colonne d’eau.

24

16. Par conséquent, en fixant une frontière maritime unique en l’espèce, la Cour ne

délimitera pas seulement les zones sur lesquelles les Parties peuvent exercer des droits souverains,

mais également celles dans lesquelles elles sont tenues, en droit, d’assurer la conservation et la

gestion des ressources. C’est l’un des éléments qui distinguent la zone économique exclusive du

plateau continental. En ce qui concerne la première, l’article 56 de la convention mentionne

expressément ⎯ en sus des droits ⎯ les obligations qu’a l’Etat côtier relativement à la colonne

d’eau ; s’agissant du second, le plateau continental, elle ne fait mention que de droits.

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17. Dans ces circonstances, et puisque l’objectif global de la délimitation maritime est de

parvenir à un résultat équitable, il appartient à la Cour, estime la Colombie, de se demander si le

choix d’une frontière suivant une ligne d’équidistance serait compatible, et en accord, avec la

pratique bien établie des Parties en matière de juridiction, de gestion et de conservation des

ressources naturelles dans la zone en litige, et s’il y a convergence entre cette pratique et les

prétentions de telle ou telle Partie.

18. A ce propos, une conclusion se dégage des éléments de preuve versés au dossier. C’est

la Colombie, et elle seule, qui a non seulement exercé sa juridiction sur toutes les zones situées à

l’est du 82e méridien, et notamment entre toutes les îles de l’archipel de San Andrés, mais

également assuré la conservation et la gestion des ressources de ces eaux. Et je relèverai qu’aucun

des éléments de preuve produits par la Colombie pour l’attester n’a été contesté par nos

contradicteurs.

19. En ce qui concerne les activités menées en coopération avec d’autres Etats, chacun des

accords conclus par la Colombie avec le Panama, le Costa Rica, la Jamaïque et même les

Etats-Unis ⎯ ce dernier n’étant pas un accord de délimitation ⎯ contient des dispositions

prévoyant que les parties coopéreront dans l’application de mesures concernant la préservation, la

conservation et l’exploitation des ressources des eaux couvertes par l’accord en question, et

mèneront des activités de recherche scientifique marine et de lutte contre la pollution19.

20. La Colombie a conclu des accords avec la Jamaïque qui fixent des quotas de pêche en

vue de préserver les ressources autour de Serranilla et Bajo Nuevo20 ⎯ je l’avais déjà mentionné

hier ⎯ et avec les Etats-Unis, pour assurer la conservation des espèces de conques et de langoustes

présentes dans les eaux qui bordent Quitasueño, Roncador et Serrana21. De fait, la Colombie et les

Etats-Unis sont convenus que les autorités colombiennes pourraient arraisonner des navires battant

pavillon des Etats-Unis pour s’assurer qu’ils observent bien la réglementation colombienne en la

25

19 CMC, annexes 4, 5 et 14. 20 DC, par. 8.44 et CMC, annexes 7 et 9. 21 Ibid., par. 8.38-8.41.

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matière dans les eaux de l’archipel de San Andrés22. La Colombie a par ailleurs adopté dans le

même but des mesures de réglementation interne23.

21. Ces faits sont en eux-mêmes éloquents. Mais ils le sont encore plus à la lumière des

prétentions avancées par le Nicaragua en l’espèce. Les deux demandes du Nicaragua ⎯ la

première, tendant à la fixation d’une frontière maritime unique entre deux masses continentales, et

sa nouvelle demande de plateau continental ⎯ couvrent des espaces qui s’étendent très à l’est des

îles de l’archipel. Force est d’en conclure que le Nicaragua estime à présent avoir une frontière à la

fois avec le Panama et le Costa Rica au sud et à l’est, et avec la Jamaïque au nord. Or, ni le

Nicaragua, ni, a fortiori, le Panama, le Costa Rica ou la Jamaïque ne semble avoir jamais agi en

supposant que tel était le cas, que ce soit au moment de discuter de questions de délimitation, ou de

conclure des accords relatifs à la protection du milieu marin et à la conservation des ressources

biologiques et non biologiques. Comme je l’ai noté un peu plus tôt, le Nicaragua n’a pas réagi à

l’accord conclu entre la Colombie et le Panama à l’est, le Costa Rica considérait que c’était avec la

Colombie qu’il devait convenir d’une délimitation au sud et, quant aux discussions que le

Nicaragua a tenues avec la Jamaïque, elles étaient circonscrites aux espaces entourant

Rosalind Bank, au nord de la zone qui nous intéresse.

22. Le Nicaragua n’a produit aucun élément de preuve attestant qu’il se serait d’une

quelconque façon intéressé à ces questions, ou aurait promulgué la moindre loi ou réglementation

concernant ces zones dans des domaines aussi importants que la conservation et la gestion des

ressources halieutiques, la protection du milieu marin, le contrôle de la contrebande ou la recherche

scientifique marine. Il n’a pas davantage établi qu’il aurait coopéré avec des Etats voisins sur ce

type de questions dans les zones qu’il revendique à présent.

26

ii) Réglementation de la pêche par la Colombie

23. En ce qui concerne la réglementation de la pêche, l’autorité maritime colombienne

(Direction générale des affaires maritimes et portuaires ou DIMAR) a été chargée de la surveillance

des activités maritimes dans l’ensemble des eaux de l’archipel. Les bateaux désireux de pêcher

22 DC, par. 8.53-8.56. 23 Ibid., par. 8.42.

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dans ces eaux doivent non seulement obtenir à cet effet une licence des autorités compétentes, mais

également disposer d’un permis de navigation délivré par la DIMAR. L’adoption par la Colombie

de règlements de pêche dans la région n’est pas récente, puisqu’elle remonte aux années 1920.

24. La Colombie a produit de très nombreux éléments attestant que les navires étrangers se

sont conformés à ces mesures de réglementation24 ; ceux-ci concernent des navires battant pavillon

nicaraguayen, qui ont régulièrement demandé et obtenu de tels permis, ainsi que des bateaux

battant pavillon d’autres pays ⎯ Royaume-Uni, Etats-Unis, Russie, Honduras, Jamaïque, Belize,

Venezuela, République dominicaine, Panama et îles Caïmanes, entre autres exemples.

L’appendice 5 du contre-mémoire de la Colombie répertorie 91 cas d’octroi par la Colombie de

licences de pêche à des navires étrangers dans les eaux de l’archipel25.

25. En raison des caractéristiques propres aux Caraïbes occidentales, c’est en réalité dans les

eaux situées à proximité de la côte continentale nicaraguayenne, et autour des îles du Maïs et des

cayes des Miskitos, que se trouve l’une des zones présentant le plus grand potentiel de pêche. De

fait, plus de 87 % des langoustes d’Amérique centrale exportées vers les Etats-Unis proviennent du

Nicaragua et du Honduras26. Les revendications de la Colombie en la présente espèce ne portent

nullement atteinte à la capacité du Nicaragua d’exploiter ce potentiel.

26. Pour ce qui est des zones situées à l’est du 82e méridien, les ressources halieutiques sont

concentrées entre les cayes de Roncador, Serrana, Quitasueño, Serranilla et Bajo Nuevo. Ces eaux,

comme nous l’avons montré, regorgent de langoustes, de conques, de tortues et de poissons de fond

en général. Depuis toujours, la pêche artisanale constitue pour les habitants de l’archipel une

source importante ⎯ voire absolument essentielle ⎯ de revenus27. Quant à la pêche industrielle,

elle constitue un élément structurel de l’économie de l’archipel de San Andrés, puisqu’elle est à

l’origine de la vaste majorité des exportations en provenance de celui-ci.

24 CMC, par. 3.29-3.42. 25 Voir aussi ibid., par. 3.41 qui renvoie à la liste des permis délivrés à des bateaux de pêche étrangers présentée à

l’appendice 5. 26 Ibid., par. 9.76. 27 Ibid., annexe 87.

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27

iii) Mise en œuvre de mesures de sécurité

27. J’en viens maintenant aux questions de sécurité. Dans son mémoire, le Nicaragua a

reconnu la pertinence de ce type de facteurs, écrivant ⎯ et je cite cette pièce : «Les tribunaux

internationaux ont résolument reconnu la pertinence des considérations de sécurité dans

l’évaluation du caractère équitable d’une délimitation.»28 Or, une fois de plus, c’est la Colombie,

et non le Nicaragua, qui peut se prévaloir d’activités dans ce domaine.

28. Dans une précédente plaidoirie, j’ai relevé que chacune des îles colombiennes possède

une zone contiguë, et que nombre de ces zones se chevauchent. L’exercice par la Colombie d’un

contrôle visant à assurer le respect de ses lois douanières, fiscales, sanitaires ou d’immigration ont

toutes d’importantes implications en matière de sécurité. Les prétentions du Nicaragua visent à

dénier à la Colombie la jouissance de ses droits sur ces zones.

29. Mais des questions de sécurité se posent également en ce qui concerne, plus largement,

les eaux de l’archipel. Comme la Cour l’a indiqué en l’affaire de la Délimitation maritime dans la

région située entre le Groenland et Jan Mayen, les intérêts en matière de sécurité peuvent porter

sur l’ensemble des espaces maritimes29. En outre, cette notion est aujourd’hui plus large qu’elle ne

l’était autrefois, lorsque la défense de leur territoire était sans doute la principale préoccupation des

Etats. Aujourd’hui, ces mêmes Etats ont essentiellement intérêt à pouvoir suivre et contrôler le

trafic d’armes et de stupéfiants, les activités de piraterie et l’immigration clandestine avant même

que ces activités illicites n’atteignent leur territoire.

30. L’un des aspects revêtant une pertinence particulière à cet égard pour la présente espèce

est le contrôle du narcotrafic dans cette partie des Caraïbes, connue pour avoir été une plaque

tournante de produits de contrebande en route vers le nord. La Colombie est partie à la convention

des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988, dont

l’article 17 encourage les Etats à coopérer en prenant des dispositions pour qu’un Etat puisse

arraisonner un navire battant pavillon d’un autre Etat soupçonné de se livrer au trafic illicite de

drogues. En 1997, la Colombie a conclu à cet effet un accord avec les Etats-Unis, qu’elle met en

œuvre dans la totalité des eaux de l’archipel de San Andrés, au-delà de la mer territoriale des îles

28 MN, par. 3.69. 29 Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. Norvège), arrêt,

C.I.J. Recueil 1993, p. 75, par. 81.

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composant celui-ci. L’accord de 1997 n’autorisait pas seulement la Colombie à arraisonner des

navires battant pavillon des Etats-Unis soupçonnés de trafic de drogues, il disposait également que

les parties mettraient au point et partageraient une base de données tactiques en vue de repérer les

navires suspects. On trouvera des exemples concrets de ce type de mesures à l’appendice 7 du

contre-mémoire de la Colombie. Il en ressort que ce type d’opérations ont été menées à la fois à

l’est (principalement), mais également à l’ouest des îles de San Andrés et Providencia, et au sud de

Quitasueño. Nombre d’autres exemples d’opérations menées par la marine colombienne sont

également donnés dans les écritures de la Colombie30. Précisons que ce type d’activités n’est pas

mené au seul bénéfice de la Colombie, mais de la communauté tout entière.

28

iv) Opérations de recherche et de sauvetage et recherche scientifique marine

31. Comme je l’ai dit hier, la Colombie s’est livrée à de nombreuses activités de recherche et

de sauvetage dans les eaux que revendique à présent le Nicaragua. Hier, je me suis concentré sur

celles menées dans les eaux territoriales des îles. Mais d’autres l’ont été plus loin en direction du

large, au milieu de l’archipel. Je n’ai pas l’intention de les passer ici en revue, mais prierai

respectueusement la Cour de bien vouloir se reporter à la duplique de la Colombie, où sont

répertoriés pas moins de dix-huit exemples de telles missions individuelles.

32. La Colombie a mené des levés hydrographiques et préparé des dizaines de cartes marines

de cette zone31. Une fois de plus, elle ne l’a pas fait pour son seul compte, mais au bénéfice de la

communauté internationale dans son ensemble. La Colombie a produit des éléments montrant le

type de recherches scientifiques marines et d’études hydrographiques qu’elle a réalisées dans les

eaux de l’archipel32. Le Nicaragua ne peut rien produire de tel.

v) Patrouilles navales

33. Dans l’exercice des droits et des devoirs qui sont les siens à l’égard de ces zones

maritimes, la Colombie a également mené des dizaines ⎯ et même, à vrai dire, des centaines ⎯

d’opérations navales dans les eaux situées à l’est du 82e méridien. L’appendice 7 du

30 Voir la liste, CMC, p. 300, par. 8.56. 31 CMC, appendice 11. 32 Ibid., appendices 10 et 12.

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contre-mémoire de la Colombie en répertorie pas moins de 163 exemples, qui vont de patrouilles

de routine à la surveillance des activités de pêche en passant par la saisie de marchandises illicites.

Un certain nombre de ces opérations ont été menées conjointement avec d’autre Etats.

29

34. Le Nicaragua a tenté d’expliquer son absence des zones qu’il revendique à présent en

soutenant que «la Colombie s’[était] toujours servie de ses forces armées aux effectifs largement

supérieurs pour imposer [le 82e] méridien comme limite aux bateaux nicaraguayens»33. Toutefois,

quatre observations vous convaincront de l’inanité de cet argument, et M Kohen y reviendra

lorsqu’il vous parlera de la demande du Nicaragua tendant à obtenir réparation sous la forme d’une

déclaration.

35. Premièrement, le Nicaragua semble avoir une mémoire sélective. Car dans l’affaire qui

l’opposait au Honduras, il avait répondu à des griefs analogues formulés par la partie adverse

⎯ qui justifiait son absence de la zone par la supériorité des forces nicaraguayennes ⎯ en

affirmant qu’il ne faisait que protéger la souveraineté de son pays34. Or, la Colombie ne faisait rien

d’autre.

36. Deuxièmement, la vaste majorité des navires battant pavillon nicaraguayen ou autre se

sont conformés aux lois colombiennes en demandant ⎯ et en obtenant, sous réserve de ne pas

s’adonner à la surpêche ⎯ l’autorisation de pêcher dans les eaux de l’archipel. J’y ai déjà fait

référence, et vous en trouverez maints exemples précis et détaillés dans nos écritures35.

37. Troisièmement, le Nicaragua n’a jamais manifesté la moindre velléité d’adopter des

règlements relatifs à la gestion et à la conservation des ressources maritimes, ou à la lutte contre la

pollution, activité qui, pourtant, n’était pas tributaire de sa présence physique sur place. Monsieur

le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, promulguer des lois et des réglementations

régissant la conservation des ressources, la lutte contre la pollution et les autres aspects dont j’ai

parlé est l’une des façons de manifester sa préoccupation et son intérêt à l’égard de zones

maritimes. Or, il ressort du dossier que le Nicaragua n’en a édicté aucune.

33 RN, par. 35. 34 Réplique du Nicaragua dans l’affaire Nicaragua c. Honduras, par. 7.60. 35 CMC, appendice 5, p. 64, 65, 92, 95, 96, 97 et 98.

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38. Quatrièmement, la Colombie n’est pas la seule à avoir interdit la circulation de navires.

Le Nicaragua a fait la même chose, mais ⎯ et c’est là ce qu’il importe de relever ⎯ il l’a toujours

fait à proximité du 82e méridien, en particulier lorsque des bateaux colombiens se hasardaient à

l’ouest de celui-ci36.

4. La pertinence du 82e méridien 30

39. Voilà qui m’amène au dernier point de mon exposé : l’importance du 82e méridien en

tant que circonstance pertinente. De l’avis de la Colombie, le 82e méridien constitue une

circonstance à prendre en compte pour déterminer si la ligne d’équidistance provisoire nécessite un

quelconque ajustement et où doit globalement être opérée la délimitation pour être équitable.

40. Contrairement à l’impression que nos contradicteurs ont tenté de créer, la Colombie a

pris soin, dans son analyse du rôle du 82e méridien, de garder à l’esprit ce qu’avait dit la Cour à

propos de cette ligne dans son arrêt sur les exceptions préliminaires : à savoir que les termes du

protocole de 1930 tendent davantage à étayer l’idée que les dispositions du protocole étaient

destinées à fixer au 82e méridien la limite occidentale de l’archipel de San Andrés qu’à opérer une

délimitation de la frontière maritime37.

41. C’est la raison pour laquelle la délimitation que revendique aujourd’hui la Colombie est

fondée sur les règles et principes du droit international dans leur forme actuelle ⎯ à savoir, la règle

dite «équidistance/circonstances pertinentes».

42. M. Crawford vous a montré cette carte [projection à l’écran], qui représente la ligne

d’équidistance ⎯ ou la ligne d’équidistance provisoire ⎯ et le 82e méridien. Le tracé de la ligne

d’équidistance est bien entendu déterminé par les points de base qui se trouvent sur les lignes de

base les plus proches de chaque Partie et ne suit donc pas exactement le méridien.

43. Toutefois, il n’est pas surprenant de constater que le 82e méridien passe globalement

dans la même zone que la ligne d’équidistance. Cette ligne a été retenue pour fixer la limite

occidentale de l’archipel de San Andrés et, partant, séparer celui-ci de l’archipel nicaraguayen

composé principalement des îles du Maïs et des cayes de Miskito, et il est donc naturel qu’elle

36 MN, annexes 49-50, 53, 55 et 57. 37 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,

C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 867, par. 115.

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passe entre les territoires respectifs des deux Etats ⎯ en d’autres termes, entre les deux chapelets

d’îles ou les deux archipels. Or, tel est bien sûr aussi le but recherché lorsqu’on trace une ligne

d’équidistance : délimiter des zones maritimes relevant des territoires de deux Etats. Les deux

lignes se situent donc nécessairement dans la même zone générale.

44. Après la signature de l’accord de 1928/1930, les Parties ont exercé leurs juridictions

respectives en respectant la limite marquée par le 82e méridien pendant près de quarante ans

⎯ presque quatre décennies ⎯ sans qu’aucun incident ne survienne. Le Nicaragua a passé sous

silence cet aspect important dans son premier tour de plaidoiries, se focalisant sur des faits bien

plus récents. Ce n’est qu’à la fin des années 1960 que le Nicaragua a commencé à remettre en

cause le statu quo au nord.

31

45. Dans son exposé de lundi après-midi, M. Pellet a tenté de tronquer la limite fixée au

82e méridien dans le cadre du protocole de 1930, en prétendant qu’elle ne valait que pour les îles de

San Andrés, Providencia et Santa Catalina. Voici la carte qu’il a utilisée.

46. Curieusement, et bien qu’il ait fait grand cas de la manière de les orthographier, M. Pellet

n’a pas jugé utile de figurer, sur la carte, les cayes d’Alburquerque ou de l’Est-Sud-Est, se

contentant de représenter les îles du nord de l’archipel de San Andrés ⎯ sans doute parce que le

Nicaragua avait indiqué, dans sa réplique, que le chapelet d’îles dont faisaient partie les cayes

d’Alburquerque et de l’Est-Sud-Est, «se trouv[ait] à une certaine proximité du groupe des «îles de

San Andrés» et p[ouvai]t avoir un lien avec celui-ci»38 ⎯ la Partie adverse nous a donc à tout le

moins concédé cela.

La limite constituée par le 82e méridien telle que la conçoit M. Pellet s’étend donc

suffisamment loin au sud pour couvrir les cayes d’Alburquerque et de l’Est-Sud-Est.

47. Qu’en est-il des îles situées plus au nord ?

48. Comme l’a expliqué M. Kohen hier, en 1929, la Colombie informa le Nicaragua des

termes de l’accord Olaya-Kellogg qu’elle avait conclu avec les Etats-Unis, et qui établissait un

régime spécial pour Quitasueño, Roncador et Serrana, objet d’un différend entre la Colombie et les

Etats-Unis. Elle avisa également le Nicaragua de ses prétentions sur ces trois îles, avant l’examen

38 Réplique du Nicaragua, par. 1.74.

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et l’approbation, par le Congrès nicaraguayen, du traité de 1928 et avant l’établissement du

protocole de 1930. Le Nicaragua connaissait donc les revendications de la Colombie sur les îles en

question lorsque le protocole de 1930 fut conclu mais n’émit pas la moindre objection. Et, comme

je l’ai dit, au cours des quarante ans qui suivirent, le Nicaragua ne se manifesta pas davantage,

respectant dans la pratique la limite constituée par le 82e méridien.

49. On peut donc également étendre vers le nord la limite tronquée que nous a présentée

M. Pellet, de façon à inclure Roncador, Serrana et Quitasueño, à l’est du 82e méridien, puisqu’il est

bien établi que la Colombie les a revendiqués dès 1930 sans que cela ne suscite la moindre réaction

du Nicaragua.

32

50. Comme le montre la carte, M. Pellet a également tracé des lignes parallèles en pointillé

au nord de Providencia et au sud de San Andrés afin d’y enserrer les îles colombiennes. Or, il

s’agit là de limites tout à fait fictives. Le Nicaragua a toujours su tracer des lignes suivant un

parallèle de latitude pour figurer et circonscrire les zones qui l’intéressaient, lorsque tel était son

souhait. C’est ce qu’il a fait lorsqu’il a réagi à la sentence Loubet, comme le montre la

surimposition que vous voyez maintenant à l’écran. La zone encadrée par cette ligne rouge est

celle que le Nicaragua a présentée, en réaction à la sentence Loubet, comme la zone d’intérêt. La

zone revendiquée était délimitée par un méridien, mais également par des parallèles, qui la

bornaient au nord et au sud.

51. Le protocole de 1930 ne prévoyait rien de la sorte. La limite fixée au 82e méridien suit

un axe nord-sud allant du sud d’Alburquerque au nord de Quitasueño. Elle a été respectée par les

Parties dans l’exercice de leur juridiction maritime pendant près de quarante ans sans le moindre

incident.

52. Ce comportement des Parties coïncide également avec la représentation cartographique

que l’une et l’autre ont faite de la situation. Je n’ai pas l’intention, rassurez-vous, de passer en

revue l’intégralité des cartes, mais souhaite vous en montrer deux, à titre d’exemples.

53. La carte qui apparaît à l’écran illustre comment la direction générale de la cartographie

du Nicaragua représentait officiellement le territoire nicaraguayen en 1967 ⎯ soit deux ans

seulement avant la date critique avancée par M. Remiro Brotóns. La carte, on le voit clairement, ne

va pas, vers l’est, au-delà des îles de San Andrés et Providencia ⎯ où le Nicaragua prétend

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aujourd’hui avoir des droits. En réalité, les indications figurant sur la carte montrent sans

ambiguïté que ces îles situées à l’est appartiennent à la Colombie. On imagine difficilement, à

l’examen de la carte, que le Nicaragua ait pu considérer à l’époque qu’il disposait de droits

souverains très à l’est du 82e méridien.

54. Il en va tout autrement, en ce qui concerne les représentations cartographiques de la

Colombie : celle-ci a toujours figuré l’archipel de San Andrés et les eaux qui en relèvent comme lui

appartenant.

55. La Cour connaît bien la carte qui apparaît maintenant à l’écran puisqu’elle a été produite

au stade des exceptions préliminaires avant de faire, si je ne m’abuse, une nouvelle apparition hier.

Il s’agit d’une carte officielle de la Colombie établie en 1931, soit juste après le protocole de 1930.

33

La Cour constatera que l’archipel y est intégralement représenté comme colombien. La

République du Nicaragua, quant à elle, y est figurée à l’ouest du 82e méridien, comme on peut le

voir lorsque l’on fait apparaître le méridien en surbrillance pour plus de visibilité.

56. Dans son arrêt sur les exceptions préliminaires, la Cour a indiqué que cette carte ⎯ à

l’instar d’autres établies par la Colombie ⎯ pouvait être interprétée comme représentant soit une

délimitation maritime générale entre les deux Etats soit une simple limite entre les archipels.

Compte tenu de la nature ambiguë de la ligne de partage sur la carte, la Cour n’a pu considérer que

celle-ci prouvait que les Parties estimaient toutes deux que le traité de 1928 et le protocole de 1930

avaient effectué une délimitation générale de leurs espaces maritimes39.

57. Ce que montrent néanmoins les cartes, c’est que le 82e méridien fut à tout le moins

considéré, dès le départ, comme une ligne séparant les territoires respectifs des deux Etats. C’est

ce qu’attestent non seulement les cartes que je vous ai montrées, mais également nombre d’autres

qui ont été versées au dossier.

58. Dans ce contexte, on peut également se demander s’il serait conforme aux principes

équitables et à l’objectif de résultat équitable d’accéder aux revendications nicaraguayennes de

droits souverains sur une vaste zone enserrant les îles de la Colombie et englobant toutes les eaux

39 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,

C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 868, par. 118.

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entre elles ⎯, étant donné le rôle que joue le 82e méridien comme limite entre les îles et territoires

respectifs des deux Etats à l’ouest.

59. Si ce méridien marque la limite d’un territoire et le sépare de celui de l’Etat voisin ⎯ et

il a, qui plus est, été respecté comme tel pendant des dizaines d’années ⎯, est-il réellement

équitable de se prévaloir de droits souverains sur des espaces s’étendant très à l’est de cette ligne ?

La Colombie est fermement convaincue du contraire. On ne saurait considérer comme équitable

une revendication allant à l’encontre tant des limites reconnues des territoires respectifs des Parties

que du comportement observé par ces dernières au fil des années. Comme l’a démontré la

Colombie, elle a non seulement toujours exercé de manière constante sa juridiction dans les eaux

de l’archipel de San Andrés situées à l’est du 82e méridien, mais également satisfait à ses

obligations en matière de conservation et de gestion des ressources de la région et coopéré avec

d’autres Etats dans ce domaine comme dans d’autres ⎯ de sorte que l’on se trouve en présence

d’une zone maritime paisible et bien administrée.

34

60. De plus, la Colombie considère que les aspects que je viens de développer méritent d’être

pris en considération pour déterminer en quoi consistera une solution équitable. Le Nicaragua

choisira peut-être de n’en faire aucun cas, comme il l’a fait dans son premier tour de plaidoiries,

mais il s’agit là de circonstances pertinentes qui, d’une part, viennent confirmer la nature équitable

d’une délimitation fondée sur les principes de l’équidistance et, d’autre part, mettent en évidence le

caractère inéquitable des demandes du Nicaragua.

61. Monsieur le président, voilà qui conclut mon exposé. Peut-être conviendrait-il ici de

marquer une pause et je laisse bien entendu à la Cour le soin d’en décider ⎯ mais je vous serais

reconnaissant, de bien vouloir donner la parole à M. Crawford, qui présentera la suite de nos

plaidoiries. Je remercie la Cour.

Le PRESIDENT : Merci, M. Bundy. Nous allons faire une pause d’un quart d’heure, après

quoi, j’appellerai à la barre M. Crawford. L’audience est suspendue pour 15 minutes.

L’audience est suspendue de 16 h 5 à 16 h 25.

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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience reprend, et j’appelle à la barre

M. Crawford. Vous avez la parole, Monsieur.

3. CIRCONSTANCES GÉOGRAPHIQUES PERTINENTES

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais maintenant vous parler

des circonstances géographiques qui jouent un rôle dans la délimitation, avant d’exposer les

principales conclusions de la Colombie au sujet de la frontière.

La géographie de la zone

2. La géographie est au cœur de la délimitation maritime. Vous avez affirmé le rôle clé

qu’elle joue et mis en garde contre toute approche qui tendrait à la refaçonner ou à ne pas en tenir

compte. Voici ce que vous avez déclaré dans l’affaire Cameroun c. Nigéria :

35

«La configuration géographique des espaces maritimes que la Cour est appelée à délimiter est une donnée. Elle ne constitue pas un élément que la Cour pourrait modifier, mais un fait sur la base duquel elle doit opérer la délimitation.» (Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 443-445, par. 295.)

Et dans l’affaire du Golfe du Maine, vous avez considéré que «les faits géographiques ne sont pas

le produit d’une activité humaine passible d’un jugement positif ou négatif, mais le résultat de

phénomènes naturels et ne peuvent donc qu’être constatés tels qu’ils sont» (Délimitation de la

frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt,

C.I.J. Recueil 1984, p. 271, par. 73). Telle fut la réponse de la Chambre aux demandes des parties

qui voulaient qu’il ne soit pas tenu compte d’une partie considérable de la Nouvelle-Ecosse pour

l’une, et de l’intégralité de la péninsule de Cape Cod pour l’autre. Pareille méthode serait revenue

à délimiter le golfe sur la base des côtes hypothétiques que les parties souhaitaient avoir et non des

côtes que la géographie leur avait réellement données. La géographie n’est pas un élément

facultatif sur lequel vous pouvez fermer les yeux. La Cour ou une autre juridiction ne peut choisir

d’en tenir compte ou pas selon son bon vouloir. C’est un «fait», et c’est sur la base de ce fait que la

délimitation doit s’opérer.

3. Cela m’amène à mettre en évidence une fois de plus la configuration géographique de la

zone que la Cour est appelée à délimiter.

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4. La configuration géographique de l’archipel en tant qu’entité et sa place dans la

configuration géographique plus vaste de la zone maritime à laquelle il appartient sont les facteurs

clefs. L’archipel mesure près de 300 milles du sud-ouest au nord-est40. Il est composé de diverses

formations insulaires, notamment d’atolls bordés de récifs frangeants, de longs bancs avec des

formations terrestres découvrantes, de cayes petites et grandes et de grandes îles où se trouvent des

sierras qui s’étendent du nord au sud, et s’élèvent à une hauteur allant de 100 à 360 mètres. La

carte que vous voyez à l’écran montre la configuration de l’archipel, avec sa mer territoriale et ses

zones contiguës qui sont grisées. Toutes ces formations sont nettement au large, la plus proche

étant à 97,8 milles la côte continentale, et la plus éloignée à 260,7 milles.

5. Comme nous l’avons dit, l’archipel n’est pas une de ces petites zones maritimes qui

existent dans le monde entier, connues seulement de quelques scientifiques ou visiteurs

occasionnels, politiquement en marge des Etats dont elles relèvent. Nous parlons non pas d’une

petite île mais d’une étendue de territoires insulaires et des eaux qui y sont associées, comprenant

une formation majeure des Caraïbes occidentales.

36

6. Cela m’amène à la place que l’archipel occupe dans la configuration géographique de la

région dans son ensemble. A près de 200 milles marins au sud se trouvent l’isthme

centro-américain et les côtes du Costa Rica et du Panama sur la mer des Caraïbes et, plus au nord,

les zones maritimes du Honduras et de la Jamaïque. Les limites septentrionale et méridionale de la

zone pertinente ne sont pas au centre du présent différend mais il faut en tenir compte pour établir

les frontières exactes de la délimitation qui suivra. Vous vous souviendrez que le Nicaragua n’y a

prêté aucune attention dans ses écritures. Il n’a tenu compte de l’effet des Etats tiers voisins ni

dans sa première revendication41, ni dans celle formulée dans sa réplique42.

7. M. Reichler a été plus prudent mardi et vous vous souviendrez de la carte des zones

possibles de chevauchement des droits qu’il a montrées à propos de la zone économique exclusive.

La superficie de cette zone tenait compte des accords de la Colombie avec des Etats tiers dans la

mesure où, autant que l’on puisse en juger, elle s’arrêtait aux frontières que la Colombie a

40 CMC, vol. III, p. 1, fig. 2.1 41 MN, vol. I, fig. 1. 42 RN, vol. II, fig. 6-10.

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négociées avec des Etats tiers comme le Costa Rica, le Panama et la Jamaïque. J’y reviendrai plus

tard.

8. Se pose ensuite la question de la côte continentale nicaraguayenne. Celle-ci se trouve à

une centaine de milles à l’ouest du point le plus proche sur l’archipel. Roncador et Serrana en sont

éloignés de 186 et 165 milles, respectivement. Ces distances sont considérables dans le contexte

d’une délimitation maritime. L’archipel est suffisamment loin du Nicaragua pour que ne se pose

pas entre les deux Etats la question du chevauchement potentiel de leurs mers territoriales ni,

d’ailleurs, de leurs zones contiguës.

9. La distance entre les îles le long de la côte du Nicaragua et l’archipel, certes moins

importante que celle qui le sépare de la côte continentale, reste cependant considérable. Elle va de

66 milles -- de la caye d’Alburquerque à la Petite Ile du Maïs -- à 95 milles ⎯ de Providencia à la

caye Ned Thomas ; vous pouvez voir ces distances à l’écran.

37

10. Nos collègues de la Partie adverse nous ont évidemment parlé à l’infini de la côte

continentale nicaraguayenne. Celle-ci est un élément important de la géographie de la région.

Mais il convient de noter que cette côte, qui est en quelque sorte protégée par le chapelet d’îles, ne

fournit aucun point de base jouant un rôle dans le tracé de la ligne médiane. Comme je l’ai montré,

ces points, du nord au sud, sont Edinburgh Reef, les cayes des Miskitos, Roca Tyra et les Iles du

Maïs, formations dont l’éloignement par rapport à la côte continentale nicaraguayenne va jusqu’à

30 milles marins. Un effet de l’île est de projeter la côte nicaraguayenne ⎯ et tout l’argument du

Nicaragua repose sur la longueur de cette côte ⎯ plus à l’est dans la mer des Caraïbes qu’elle ne le

serait si seul le continent faisait face à la mer dans cette zone.

Circonstances géographiques similaires et différentes dans des affaires de délimitation anciennes

11. Des circonstances géographiques assez similaires à celles de la présente espèce ont existé

et existent entre un certain nombre d’Etats. Une méthode commune de délimitation en pareil cas a

été d’adopter la ligne d’équidistance comme ligne de délimitation finale, ce qui, aux fins de

l’équidistance, donne un plein effet aux formations insulaires, aussi petites soient-elles.

12. Citons par exemple la délimitation de 1978 entre la Thaïlande et l’Inde. La zone en

question est limitée par des îles des deux côtés : les îles de Nicobar, qui appartiennent à l’Inde,

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à l’ouest, et un petit groupe d’îles le long de la côte de la Thaïlande, à l’est. Dans cette

configuration, la position de la ligne médiane est mesurée non pas à partir de la côte continentale

mais à partir des îles thaïlandaises. La ligne médiane qui en résulte représente la délimitation

finale ; la côte continentale de la Thaïlande qui en est pourtant l’arrière-plan n’a pas emporté

d’ajustement de la ligne médiane. Les îles indiennes de Nicobar ont généré un plein effet aux fins

de l’équidistance43.

13. Le principe du plein effet a également été respecté dans le cas de la délimitation, entre

l’Australie et la France, de la zone maritime proche de la Nouvelle-Calédonie. Les tronçons

méridionaux de cette délimitation font intervenir des lignes médianes, ce qui donne un plein effet

aux fins de l’équidistance à de petites formations australiennes comme Middleton Reef qui, je peux

vous en donner l’assurance, ne se réduit qu’à des hauts-fonds découvrants, et c’est en fait ainsi que

l’Australie l’a qualifié pendant très longtemps, et Norfolk Island44. Dans ce cas aussi, une masse

terrestre importante ⎯ la Nouvelle-Calédonie ⎯ fait face à des îles au milieu de l’océan mais ne

réduit pas l’effet d’équidistance.

38

14. Je passe, ou je reviens, aux Caraïbes. La célèbre île d’Aves s’est vu reconnaître

virtuellement plein effet. Il s’agit d’une petite formation insulaire relevant du Venezuela, située

bien au-delà de la limite des 200 milles marins par rapport à la masse continentale vénézuélienne.

L’île fait face à d’importants territoires insulaires des Etats-Unis, Porto Rico et les îles Vierges45.

Elle s’est également vu accorder ce plein effet dans la délimitation entre le Venezuela et les

Pays-Bas, face aux îles Saba et de Saint-Eustache46.

15. Nous avons ensuite le cas des cayes de Floride, que vous voyez maintenant à l’écran47.

Vous allez comprendre que la délimitation n’est en rien régie par la côte de la Floride : la petite

formation appelée Dry Tortugas, d’une superficie totale de 0,578 km2, régit tout le tronçon

43 DC, vol. II, p. 122, fig. R-7.7. 44 Ibid., p. 121, fig. R-7.5. 45 CMC, p. 400, par. 9.50-9.51 ; DC, p. 259, par. 7.44. 46 Ibid., p. 400-401, par. 9.52. 47 Accord de délimitation maritime entre les Etats-Unis d’Amérique et la République de Cuba, signé le

16 décembre 1977, application provisoire à partir du 1er janvier 1978 (reproduit dans Limits in the Seas, vol. 110).

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occidental de la ligne jusqu’au point 27 -- les lignes de construction sont indiquées sur le

graphique. L’île de Providencia est une trentaine de fois plus vaste que celle des Dry Tortugas.

16. Ces délimitations sont particulièrement pertinentes car elles représentent les solutions

adoptées dans des circonstances géographiques très semblables à celles qui existent entre le

Nicaragua et la Colombie en l’espèce. Les Etats ont accepté dans ces circonstances que la bonne

délimitation était celle qui donnait un plein effet aux fins de l’équidistance à celles de leurs

formations insulaires qui se faisaient face. Ces formations ont généré des droits sur des zones

maritimes qui se chevauchent, et la ligne d’équidistance a apporté la solution. La présence dans

certains cas d’une côte continentale plus longue, derrière les îles pertinentes, n’a pas conduit à

l’ajustement de la ligne d’équidistance et encore moins à l’abandon de ce principe, que le

Nicaragua préconise en l’espèce.

17. En revanche, tous les cas évoqués par le Nicaragua sont centrés sur des îles côtières.

Ainsi :

⎯ Filfla (2,4 milles marins de Malte) ;

⎯ les îles Anglo-Normandes (de 8 à 23 milles marins de la côte française) ;

⎯ Saint-Pierre-et-Miquelon (de 9 à 11 milles marins de la côte canadienne) ;

⎯ l’île des Serpents (environ 9 milles de la côte ukrainienne) ;

39

⎯ île de Saint-Martin (7 milles de la côte du Bangladesh).

Les îles de l’archipel de San Andrés ne sont pas des îles côtières. Ce sont ⎯ ensemble et

séparément ⎯ des îles relativement distantes situées au milieu de l’océan dans une zone assez

restreinte.

18. Même lorsque les côtes situées de part et d’autre sont réellement différentes ⎯ comme

dans le cas d’un chapelet d’îles faisant face à une côte continentale ⎯, les îles se voient

généralement accorder plein effet, ou quasi plein effet. Permettez-moi de vous donner quelques

exemples.

19. La côte sud-ouest du sous-continent indien et, les récifs frangeants et les bancs de sable

des Maldives qui lui font face génèrent des droits sur la même zone maritime. Cette zone de

chevauchement de droits entre les 2 pays, comprise entre les points 1 et 10 de la figure 7, est

incontestablement le produit de côtes différentes. C’est néanmoins à partir d’une ligne

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d’équidistance qu’a été effectuée la délimitation, et les îles des Maldives qui font face à l’Inde se

sont vu accorder plein effet dans le cadre du calcul de l’équidistance48.

20. Les petites îles de Sao Tomé-et-Principe présentent des côtes qui font face à la masse

continentale de la Guinée équatoriale et du Gabon. Or, la délimitation entre Sao Tomé-et-Principe

et la totalité de la côte continentale africaine lui faisant face a été opérée au moyen d’une ligne

d’équidistance. Les petites îles se sont vu accorder plein effet aux fins de l’équidistance sur toute

la longueur de la ligne, laquelle n’a fait l’objet d’aucun ajustement49.

21. De la même façon, les îles du Cap-Vert partagent avec le Sénégal et la Mauritanie une

zone de chevauchement de droits. Malgré la disparité entre les côtes insulaires et les côtes

continentales, c’est une ligne d’équidistance qui a servi de point de départ. La ligne a ensuite été

ajustée, sur d’importants tronçons, au profit non pas de la côte continentale, mais de la côte

insulaire ⎯ celle du Cap-Vert50. Le principe de l’équidistance n’a donc en aucun cas été

abandonné.

22. Moins de 100 milles marins séparent les îles Turques et Caïques de la côte nord de la

République dominicaine. Les formations insulaires de cet archipel donnant sur cette zone maritime

sont minuscules. En face, Hispaniola, l’île dont la République dominicaine occupe la partie

orientale, est la deuxième des Caraïbes en superficie. Les îles Turques et Caïques se sont

néanmoins quasiment vu accorder un plein effet dans le cadre de la délimitation, la ligne retenue

s’écartant juste très légèrement de la ligne médiane au niveau des îles les plus petites51.

40

23. D’une délimitation à l’autre, la pratique suivie vient étayer l’approche défendue par la

Colombie ⎯ elle ne milite en aucun cas en faveur de l’abandon pur et simple de la ligne

d’équidistance que préconise le Nicaragua dans des circonstances semblables à celles de la présente

espèce. En aucun cas ne permet-elle de conclure que l’enclavement est une solution courante.

Dans sa réplique, le Nicaragua se borne à affirmer ⎯ une affirmation purement théorique ⎯

qu’une «délimitation effectuée par une partie tierce» ne se serait jamais fondée sur une ligne

48 DC, p. 254-255, par. 7.37-7.39. 49 Ibid., p. 261-263, par. 7.46-7.48. 50 Ibid., p. 263, par. 7.49. 51 Ibid., p. 265, par. 7.50.

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d’équidistance52 et, à l’audience, M. Reichler a laissé entendre qu’elle reposait uniquement sur des

accords politiques sans rapport avec le droit. Apparemment, le Nicaragua estime que ces accords

ont été conclus dans un vide juridique ⎯ autrement dit, que les parties n’ont fait aucun cas des

règles ou principes de délimitation. Or, les parties avaient à l’évidence à l’esprit ces règles et

principes. Ainsi, les Pays-Bas et le Venezuela ont, dans le traité qu’ils ont conclu, expressément

tenu compte des «normes du droit international en vigueur et de l’évolution du nouveau droit de la

mer»53. La France et le Venezuela «[s]e [sont] fond[és] sur les règles et les principes du droit

international applicables en la matière et [ont] pr[is] en considération les travaux de la troisième

conférence des Nations Unies sur le droit de la mer»54. La France et l’Australie ont fait de même

dans le cadre de la délimitation de la mer de Corail55. La délimitation entre le Cap-Vert et le

Sénégal fut adoptée en tenant compte de la convention des Nations Unies56 et celle entre les îles

Turques et Caïques, d’une part, et la République dominicaine, d’autre part, le fut «conformément

aux principes du droit international»57 [traduction du Greffe]. Il s’agit dans tous les cas d’une

pratique étatique qu’il convient de prendre en compte, quelles qu’aient pu être les autres raisons

ayant conduit les parties à conclure cet accord.

41

24. Quant à affirmer qu’aucune juridiction ne tiendrait compte de la pratique bilatérale de la

Colombie avec d’autres Etats, c’est faire l’impasse sur la jurisprudence de la Cour58. Bien

52 RN, p. 205 et 206, par. 6.125. 53 Traité de délimitation entre le Royaume des Pays-Bas et la République du Venezuela, signé le 31 mars 1978 et

entré en vigueur le 15 décembre 1978, préambule, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1140, p. 330. 54 Traité de délimitation entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République

du Venezuela, signé le 17 juillet 1980 et entré en vigueur le 28 janvier 1983, préambule, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1319, p. 216.

55 Convention de délimitation maritime entre le Gouvernement de l’Australie et le Gouvernement de la République française, préambule, Nations Unies, signée le 10 janvier 1982 et entrée en vigueur le 10 janvier 1983, Recueil des traités, vol. 1329, p. 111.

56 Traité sur la délimitation de la frontière maritime entre la République du Cap-Vert et la République du Sénégal, signé le 17 février 1993 et entré en vigueur le 25 mars 1994, préambule, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1776, p. 306.

57 Agreement between the Government of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland and the Government of the Dominican Republic concerning the delimitation of the Maritime Boundary between the Dominican Republic and the Turks and Caicos Islands [Accord entre le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et le Gouvernement de la République dominicaine concernant la délimitation de la frontière maritime entre les îles Turques et Caïques], signé le 2 août 1996, préambule.

58 Voir, par exemple, l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 48, par. 65 ; l’affaire de la Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 63-64, par. 58 ; l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 78-79, par. 109.

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évidemment, chaque cas de géographie côtière est unique et chaque délimitation repose sur des

considérations géographiques propres au cadre dans lequel elle est effectuée. Dans un certain

nombre de cas de délimitation entre îles et côtes continentales, la première étape a, suivant la

méthode établie, consisté à définir la ligne d’équidistance ; puis la ligne a été ajustée pour tenir

compte de la disparité entre les façades côtières et donner davantage de poids à la côte

continentale59. Or donc, il peut y avoir ajustement. Nous l’acceptons. Revenons brièvement sur

les deux principaux précédents à cet égard.

25. D’abord, l’affaire Libye/Malte : la Cour, conformément à la méthode habituelle, a tracé

la ligne médiane entre les côtes se faisant face60. Elle a ensuite examiné soigneusement les

circonstances pertinentes. La géographie globale de la région et la disparité entre les longueurs des

côtes se faisant face ont joué un rôle important61. Elles allaient dans le sens d’un infléchissement

de la ligne médiane vers le nord ⎯ ayant pour effet d’élargir la zone revenant à la Libye. D’autres

éléments, comme la présence effective d’un Etat, l’exploitation de ressources, l’existence d’accords

antérieurs, bien qu’en principe pertinents, n’ont pas été pris en compte aux fins de l’ajustement de

la ligne. La ligne médiane provisoire vous est maintenant montrée à l’écran ; la ligne ajustée

apparaît en rouge. Il s’agissait d’un ajustement relativement modeste ⎯ 18 milles marins pour

tenir compte de la longue côte continentale62.

26. L’affaire Jan Mayen ensuite ⎯ où, là encore une île plus petite fait face à une côte

continentale étendue. Jan Mayen est une petite dépendance insulaire de la Norvège, très éloignée

de la côte continentale de cet Etat. Elle génère ses propres droits maritimes. Encore une fois, vous

avez commencé par tracer point par point la ligne d’équidistance avant d’examiner les

circonstances pertinentes qui pouvaient commander de s’en écarter. Comme dans l’affaire

Libye/Malte, on se trouvait en présence, d’un côté, d’une longue côte continentale, et de l’autre

d’une côte insulaire considérablement plus courte. Mais Malte est une entité politique importante

⎯ un Etat indépendant doté de sa propre population et d’une économie développée, tandis que l’île 42

59 DC, p. 243-245, par. 7.16-7.20 ; ibid., p. 242-243, par. 7.14-7.15. 60 Affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 46 et 48,

par. 60 et 65. 61 Ibid., p. 48-51, par. 64-71. 62 DC, p. 244, par. 7.20 ; affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt,

C.I.J. Recueil 1985, p. 51-55, par. 71-75.

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de Jan Mayen est une formation aride qui ne présente apparemment d’intérêt que pour les

scientifiques. Les espaces maritimes auxquels l’île pouvait prétendre n’en ont pas pour autant été

amputés. L’ajustement apparaît sur la carte qui vous est présentée à l’écran. L’effet reconnu à

Jan Mayen aux fins de l’équidistance a été en grande partie préservé, même s’il a été réduit compte

tenu des circonstances63.

27. Que ce soit dans l’affaire Jan Mayen ou dans l’affaire Libye/Malte, la côte continentale

ne s’est pas vu accorder le privilège exclusif d’une zone économique exclusive de 200 milles

marins. La solution, en présence d’une disparité entre les côtes, a consisté à ajuster la ligne

médiane et non à refuser de prendre en compte le droit généré par le petit territoire insulaire. Dans

les deux cas, deux zones économiques exclusives se chevauchaient puisque la règle est claire : les

territoires insulaires et continentaux génèrent à part égale un droit à une zone de 200 milles

marins64 ⎯ règle dont, soit dit en passant, le Nicaragua reconnaît qu’elle s’applique aux trois îles

principales de l’archipel. Cette règle est consacrée à l’article 121 de la convention de 1982 et le

droit moderne de la délimitation ne prévoit aucun principe ni aucune excuse permettant d’y

déroger.

28. Dans les deux affaires, Libye/Malte et Jan Mayen, se posait la question de l’ampleur de

l’ajustement nécessaire. Dans les deux cas, la Cour a retenu un ajustement qui reflétait les

circonstances géographiques, notamment les différences entre les longueurs des côtes, tout en

accordant aux petites formations insulaires d’importants espaces maritimes générés à partir de leurs

lignes de base. Vous pouvez voir à présent sur la carte projetée à l’écran les délimitations retenues

en définitive dans ces deux affaires. Dans un cas comme dans l’autre, l’ajustement est fonction de

la disparité entre les côtes ⎯ j’avais cru voir la carte, ah, la revoilà. L’ajustement n’était pas très

marqué, il était relatif, reflétant les configurations des côtes qui, de part et d’autre, définissaient la

zone à délimiter.

29. La Cour n’a pas non plus procédé en tenant compte de manière mécanique des rapports

entre les façades côtières ; vous avez expressément rejeté cette approche. Dans l’affaire

63 Affaire de la Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark

c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 64-81, par. 59-93. 64 Ibid., p. 69, par. 70.

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Libye/Malte, vous avez estimé que le fait de «retenir le rapport entre ces longueurs comme

déterminant en lui-même la projection en mer et la superficie [du plateau continental]…» irait

«bien au-delà d’un recours à la proportionnalité pour vérifier l’équité du résultat» (affaire

concernant le Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985,

p. 45, par. 58). Dans l’affaire Jan Mayen, vous avez exprimé une mise en garde analogue : «[i]l ne

s’agit [pas] de déterminer le caractère équitable d’une délimitation en fonction du rapport entre les

longueurs des côtes et de celui des surfaces générées par la projection maritime des points de la

côte» (voir Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen

(Danemark c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 68, par. 68). Les longueurs des côtes et leurs

disparités sont des facteurs à prendre en compte, mais il n’est pas question d’appliquer un «rapport

arithmétique préétabli» (Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt,

C.I.J. Recueil 1985, p. 55, par. 75).

43

30. La disparité des côtes ne doit pas non plus être considérée indépendamment des

circonstances géographiques dans leur ensemble. Dans l’affaire Libye/Malte, vous avez répété ce

que vous aviez dit dans les affaires de la Mer du Nord, à savoir qu’«il n’y a[vait] certes pas de liste

limitative d[e] considérations» ⎯ savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure un ajustement est

nécessaire est une question qu’il y a lieu d’aborder compte tenu du cadre global dans lequel

s’effectue la délimitation (affaire Libye/Malte, p. 40, par. 48, citant les affaires du Plateau

continental de la mer du Nord, C.I.J. Recueil 1969, p. 50, par. 93). Ce que je voudrais souligner

ici, c’est que l’ampleur de l’ajustement de la ligne d’équidistance auquel la Cour a procédé

appliqué dans ces deux affaires est sans rapport aucun avec celui que le Nicaragua entend obtenir

en l’espèce.

31. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les affaires dont j’ai parlé

couvrent un éventail de circonstances géographiques suffisamment similaires à celles de la présente

affaire pour pouvoir vous guider en l’espèce. L’approche suivie dans ces cas a consisté à tracer une

ligne d’équidistance, soit en tant que délimitation finale, soit en tant que point de départ, cette ligne

étant appelée à subir de légers ajustements.

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32. En réponse à cet argument, le Nicaragua s’appuie principalement sur deux affaires ;

l’affaire Saint-Pierre-et-Miquelon et, encore et toujours, celle de la Délimitation du plateau

continental entre la France et la Grande-Bretagne. Il me faut donc maintenant les examiner un

peu plus en détail.

Les précédents inapplicables invoqués par le Nicaragua

33. Il y a d’abord Saint-Pierre-et-Miquelon. Les îles côtières de Saint-Pierre-et-Miquelon

ont fait une apparition relativement tardive. Elles sont apparues dans le cadre de la nouvelle

prétention formulée par le Nicaragua dans sa réplique65.

44

34. Le Nicaragua affirme que les circonstances de l’espèce sont «similaires d’un point de vue

géographique» à celles dans l’affaire Saint-Pierre-et-Miquelon66. Cette affirmation est faite pour

étayer l’argument du Nicaragua relatif à ce qu’il appelle un «mur de défense» ou effet

«d’enveloppement»67. Mais dire que les îles françaises au large de Terre-Neuve et de la

Nouvelle-Ecosse sont semblables à l’archipel de San Andrés illustre bien les dangers qu’il y a à

méconnaître la géographie.

35. A l’endroit où elles en sont le plus proches, Saint-Pierre-et-Miquelon ne sont séparées de

la péninsule canadienne de Burin que par une distance ne dépassant pas la largeur d’une seule

ceinture de mer territoriale. Le reste de leurs côtes pourraient pour la plupart faire naître des droits

à une mer territoriale, qui recouperait largement celle qui est projetée à partir des côtes

canadiennes. C’est un cas évident d’adjacence, voire d’enclavement. Cela n’a rien à voir avec la

relation existant entre l’archipel de San Andrés et le Nicaragua. Même au point où elles sont le

plus proche des côtes nicaraguayennes, la distance séparant l’archipel colombien de ces côtes

relève d’un autre ordre de grandeur puisqu’elle est plus de dix fois supérieure à celle qui sépare

Saint-Pierre-et-Miquelon du Canada68. Le tribunal arbitral a reconnu l’adjacence des zones

françaises : «la relation dominante et générale est une relation d’adjacence»69. Il s’agissait à la fois

65 RN, p. 151-155, par. 6.16-6.23 ; p. 187, par. 6.89-6.90. 66 Ibid., p. 153, par. 6.21. 67 Ibid., p. 145-156, par. 6.9-6.24 ; en particulier p. 155-156, par. 6.23-6.24. 68 DC, p. 247-248, par. 7.24. 69 Affaire de la Délimitation des espaces maritimes entre le Canada et la République française (Saint Pierre et

Miquelon), Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, 1992, p. 282, par. 35.

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d’une observation factuelle et d’une évaluation juridique. Les îles sont proches du Canada et leur

proximité relève d’«une relation dominante et générale». Il convient de faire observer que les îles

françaises étaient considérées comme faisant partie de la façade méridionale de Terre-Neuve

elle-même.

36. Le Nicaragua voudrait faire croire à la Cour que la configuration géographique générale

est la même en l’espèce. Dans sa réplique, il indique que «dans le présent contexte» ⎯ c’est-à-dire

dans le contexte de la présente instance ⎯

«où les côtes continentales de la Colombie (comme celles de la France dans l’arbitrage avec le Canada) ne jouent pas de rôle et où, au-delà des petites îles de la Colombie (à l’instar de Saint Pierre et Miquelon), il ne se trouverait rien sauf l’étendue de la mer des Caraïbes jusqu’à la limite extérieure des zones maritimes du Nicaragua»70.

Manifestement, on confond ici deux contextes géographiques complètement différents. «[A]u-delà

des petites îles de [Saint Pierre et Miquelon]», le tribunal arbitral ne pouvait trouver aucune

«étendue de mer». Il a dû faire le tour complet des îles avant de trouver une petite «ouverture

côtière» vers le sud71. Depuis les côtes de l’archipel de San Andrés, il se trouve des étendues d’eau

dans chaque direction. Vers l’est, une des deux façades côtières de l’archipel, la mer est ouverte

jusqu’à la côte colombienne, qui se trouve dans un rayon de 400 milles de toutes les parties de

l’archipel mais au-delà de la limite des 400 milles de toutes les côtes nicaraguayennes. Au nord et

au sud, aucune obstruction, et ce jusqu’à atteindre les côtes d’un Etat tiers. Et, même à l’ouest, la

direction dans laquelle l’archipel fait face au Nicaragua, il existe une étendue d’eau considérable.

Le cas des îles françaises pourrait difficilement être plus dissemblable. Elles ne font pas face à la

mer sur trois côtés, mais sont entourées de côtes continentales sur pratiquement tout leur pourtour.

Leur côte qui fait face à la mer est leur côté le plus court. Il s’agit d’un petit ensemble de

formations insulaires, pratiquement lové dans la concavité formée par le seul littoral de l’Etat lui

faisant face.

45

37. Le tribunal arbitral a expressément reconnu cet aspect de la géographie, indiquant :

«Mais les lignes de côte que la France désire exclure forment la concavité des approches du golfe

70 RN, p. 152 , par. 6.17 (les italiques sont de nous). 71 Affaire de la Délimitation des espaces maritimes entre le Canada et la République française (Saint Pierre et

Miquelon), Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, 1992, p. 290, par. 70.

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et elles font toutes face à la région où doit se faire la délimitation engendrant des projections qui se

rencontrent et se chevauchent, soit latéralement, soit face à face.»72

Au cas où subsisterait le moindre doute sur ce que le tribunal arbitral voulait dire, il suffirait

de remonter un peu dans le texte de la sentence. Selon le tribunal, «les îles françaises de

Saint-Pierre-et-Miquelon se trouvent dans la concavité bordée par le seul littoral canadien»73. Les

espaces maritimes potentiels de Saint-Pierre-et-Miquelon n’empiétaient pas sur les titres canadiens

dans une seule direction ou dans deux, mais dans trois directions. Si la façade maritime de

Saint-Pierre-et-Miquelon est considérée comme un tout, 80 % de celle-ci fait face aux côtes

canadiennes. Le contraste avec l’archipel de San Andrés, dont moins de la moitié des côtes font

face au Nicaragua et qui se trouve à une distance bien plus grande, est flagrant. Il est simplement

impossible d’établir un parallélisme entre, d’une part, Saint-Pierre-et-Miquelon et, d’autre part,

l’archipel. La solution inhabituelle que le tribunal arbitral a adoptée pour l’antichambre du golfe ne

saurait s’appliquer dans les circonstances géographiques de l’espèce.

46

38. Cela nous amène à l’affaire de la Délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni

de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord et République française où, une fois encore, une solution

inhabituelle a été trouvée, mais dans des circonstances qui ne ressemblaient en rien à celles de

l’espèce. Dans sa plaidoirie, le Nicaragua a accordé une place de choix dans sa plaidoirie à

l’affaire du Plateau continental entre le Royaume-Uni et la France74. Il y voit l’exemple classique

du type de délimitation qu’il voudrait voir la Cour adopter75.

39. Le plus frappant, c’est de voir à quel point les cas des îles Anglo-Normandes et de

l’archipel de San Andrés sont géographiquement dissemblables. Les îles Anglo-Normandes sont

proches des côtes françaises, si proches que les côtes opposées font naître des mers territoriales qui

se chevauchent. Elles sont lovées dans une concavité du littoral français, situation enviable

pourait-on dire, puisque, dans pratiquement chaque direction, elles font face aux côtes françaises,

72 Affaire de la Délimitation des espaces maritimes entre le Canada et la République française (Saint-Pierre et

Miquelon), Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, p. 281, par. 29, cité dans la réplique du Nicaragua, p. 153, par. 6.20.

73 Ibid., p. 280, par. 26. 74 MN, p. 190, par. 3.11 ; p. 196, par. 3.23 ; p. 208, par. 3.43 ; p. 240-243, par. 3.103-3.105 ; RN, p. 128, par. 5.9 ;

p. 132-135, par. 5.18-5.25 ; p. 149-151, par. 6.14 et 6.15 ; p. 155, par. 6.23 ; p. 180, par. 6.74 ; p. 182, par. 6.79 ; p. 187-191, par. 6.91-6.99.

75 RN, p. 132, par. 5.18.

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avec un accès direct au fromage et aux baguettes. Les îles Anglo-Normandes se situent dans un

détroit, qui n’est large que de 100 milles marins en son point le plus large et de 18 milles en son

point le plus étroit76. Elles ne présentent aucune ressemblance avec l’archipel de San Andrés, qui

est on ne peut plus dissemblable du point de vue géographique.

40. La proximité des îles Anglo-Normandes par rapport aux côtes françaises et britanniques

appelle quelques commentaires supplémentaires. Premièrement, il existe un lien géographique

entre l’archipel de San Andrés et la Colombie. Le Nicaragua dit que l’archipel de San Andrés est

«totalement détaché géographiquement de la Colombie»77, ce qui est correct si par «Colombie» on

entend Colombie continentale. Mais, bien entendu, la Colombie comprend l’archipel qui fait partie

intégrante d’elle. C’est une illustration de plus de la propension du Nicaragua à faire valoir sa

cause en termes complètement tautologiques et circulaires.

41. L’archipel est un exemple parfait de ce que le tribunal arbitral a appelé «[un] cas où de

nombreuses îles s’étendent l’une à la suite de l’autre, à de grandes distances du continent»78,

auquel le tribunal arbitral a expressément opposé la situation des îles Anglo-Normandes, qui ne

sont pas «de nombreuses îles [qui] s’étendent … du continent». Il s’agit au contraire d’un petit

groupe d’îles nichées dans une concavité du littoral français, qui ne se trouvent pas très loin de la

côte britannique leur faisant face. L’archipel est dans une situation tout à fait différente.

47

42. Le problème du Nicaragua est que, pour que son argument fonctionne, l’archipel devrait

être très proche de l’une des côtes continentales qui se font face, et de préférence des deux. Le

Nicaragua ne peut rien en dire parce qu’il n’y a pas de côtes continentales qui se font face en

l’espèce. Pourtant, il est important pour sa thèse que l’archipel de San Andrés soit considéré

comme semblable aux îles Anglo-Normandes, et le Nicaragua ne cesse de répéter l’argument79.

Mais répéter un fait ne le rend pas plus réel. Les îles du Nicaragua se trouvent à une certaine

distance de la côte nicaraguayenne, mais, à l’est, de vastes étendues maritimes les séparent de

76 Délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord et

République française, 30 juin 1977, 18 Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, p. 18, par. 3. 77 MN, p. 243, par. 3.105. 78 Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, p. 230, par. 199. 79 Voir, par exemple, MN, p. 15 (titre du chapitre I : «La côte des Mosquitos et les îles adjacentes…») ; ibid.,

p. 176, par. 2.251 ; RN, p. 24, par. 1.6 ; p. 40, par. 1.51 ; p. 167, par. 6.52 ; p. 170, par. 6.58 ; p. 178, par. 6.69 ; p. 183, par. 6.80 ; p. 203, par. 6.118.

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l’archipel. Il est inexplicable que la situation soit décrite comme n’ouvrant de titres que sur une

«façade du littoral»80. On ne saurait dire que l’archipel colombien est «adjacent» à la masse

continentale nicaraguayenne. Il n’est pas non plus adjacent aux îles côtières nicaraguayennes. La

différence avec le cas des îles Anglo-Normandes est donc énorme.

43. Enfin, il y a la ligne médiane. Comme je l’ai fait observer il y a un moment, la distance

importante qui sépare les deux côtes continentales signifie qu’il n’y a tout simplement pas de ligne

médiane, si ce n’est entre l’archipel et le Nicaragua. Cette ligne médiane-là est importante. C’est

le premier pas vers une délimitation. Ce n’est pas le type de ligne médiane à laquelle se référait le

tribunal arbitral dans l’affaire des Iles anglo-normandes, à savoir une ligne médiane entre deux

masses continentales dans un espace relativement confiné. La ligne séparant les masses

continentales était au cœur du raisonnement du tribunal arbitral : les îles étaient du «mauvais côté»

de la ligne médiane. Dire que des îles «sont du mauvais côté» d’une ligne médiane dans une

affaire où il n’y a pas de ligne médiane est tout simplement incompréhensible. L’absence de ligne

médiane séparant deux masses continentales en l’espèce est un facteur qui rend la sentence arbitrale

dans l’affaire des Iles anglo-normandes complètement dépourvue de pertinence.

44. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ce fait, l’absence de ligne

médiane séparant deux masses continentales, a déjà été traité dans le cadre de la présente

procédure, on pourrait même dire qu’il l’a été ad nauseam. Mais le Nicaragua revient à son

argument ancien, qu’il a expressément abandonné au début de sa réplique81, celui d’une ligne

médiane entre les côtes continentales de la Colombie et du Nicaragua : vous aurez remarqué qu’un

des graphiques que M. Reichler vous a montré en dernier lieu faisait apparaître cette ligne sans

nom et sans statut. Le Nicaragua prétend qu’il existe une ligne médiane entre les deux côtes

continentales dont «la Colombie essaie de faire abstraction» ; «l’archipel «n’est pas seulement du

mauvais côté» de la ligne médiane mais totalement détaché de la Colombie»82. C’est absolument

insoutenable. Dans la présente procédure, le Nicaragua a présenté une revendication portant sur

une ligne médiane, l’a retirée, a essayé de la remplacer par une nouvelle prétention maritime qui

48

80 RN, p. 135, par. 5.24. 81 Ibid., p. 12, par. 25 et 26. 82 Ibid., p. 133, par. 5.21, citant MN, p. 242 et 243, par. 3.105.

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contredisait la première, puis a produit une revendication composite portant à la fois sur la zone

économique exclusive et le plateau continental étendu, les deux, comme disait Winnie l’ourson. Il

s’agit d’une plaidoirie trampoline, complètement insaisissable. Nous sommes maintenant aux

prises avec une revendication que l’on nous sert pour la première fois cette semaine. Une ligne

médiane entre côtes continentales, «comme indiqué dans le mémoire du Nicaragua» n’a jamais été

pertinente en l’espèce. Le Nicaragua l’a abandonnée. Il n’y a aucune raison que la Colombie la

reprenne, même si M. Reichler l’a montrée dans un de ses derniers graphiques. Pour reprendre ce

que j’ai dit, la seule ligne médiane qui importe en l’espèce est celle qui sépare l’archipel du

Nicaragua. Dire que l’archipel est «du mauvais côté» de la ligne médiane, en faire en quelque sorte

une faute de la part de l’archipel, c’est transformer la géographie au point de la rendre totalement

méconnaissable.

Petites formations s’étendant de part et d’autre d’une ligne

45. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Nicaragua invoque un

certain nombre de cas dans lesquels il n’a été tenu aucun compte de petites formations lorsqu’il

s’est agi de tracer une ligne médiane dans la zone à délimiter, et prétend que ces cas, eux aussi, sont

déterminants.

46. Ces cas sont ceux de petites formations s’étendant de part et d’autre de la ligne. Or, la

comparaison entre ces formations et l’archipel présente une première lacune, que l’on peut résumer

ainsi : l’archipel n’est pas petit et il n’est pas situé de part et d’autre de la ligne.

47. Abou Moussa est le principal exemple de formation de ce type invoqué par le Nicaragua

à l’appui de l’argument selon lequel l’archipel ne générerait pas tous les espaces maritimes

auxquels il devrait avoir droit. Abou Moussa est une petite île située dans le golfe Persique près de

Dubaï et de Sharjah ⎯ les deux émirats parties à l’arbitrage. Elle est également proche de l’Iran,

Etat tiers qui revendique l’île, et la situation de l’Iran était de toute évidence hautement pertinente

dans cette affaire. Abou Moussa est située à peu près à mi-chemin entre les côtes de Sharjah et de

l’Iran ⎯ il s’agit de côtes qui se font face ⎯ et, dans cette zone, les distances sont modestes ; elle

n’est qu’à 35 milles de Sharjah83. Elle n’était pas non plus éloignée de la ligne d’équidistance

49

83 ILR, vol. 91, p. 663.

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provisoire, qui a été tracée latéralement à partir des côtes des deux émirats. Là encore, les

circonstances géographiques de cette affaire ressemblent peu à celles de la présente instance.

48. Le tribunal arbitral a conclu que l’île d’Abou Moussa ne devait pas avoir d’influence sur

la ligne d’équidistance et il a dit ce qui suit :

«Certaines îles peuvent manifestement constituer des «circonstances spéciales» et, partant, justifier l’application de considérations d’équité dès lors que leur présence produirait une distorsion de la ligne d’équidistance ou un effet exagéré qui serait inéquitable. Il pourrait donc être nécessaire, en traçant la frontière, de limiter l’effet d’une île qui constitue une particularité non essentielle.»84 [Traduction du Greffe.]

Dans les circonstances de cette affaire, le tribunal arbitral a conclu qu’il était effectivement

nécessaire de «limiter l’effet» d’Abou Moussa, qui constituait une particularité non essentielle.

Mais une formation perçue comme une «particularité» par telle juridiction peut être considérée

comme totalement ordinaire par telle autre. En revanche, la suite de l’expression a un sens précis :

elle connote à la fois un rapport de rattachement et de subordination. Une formation sera

«essentielle» ou non par rapport à quelque chose. Dans l’affaire Sharjah/Dubaï, tel était le cas de

la petite île d’Abou Moussa : elle était accessoire (non essentielle) par rapport à la côte continentale

ou à la ligne d’équidistance provisoire générée par cette côte. On ne peut en dire autant de

l’archipel de San Andrés, pour la simple raison qu’il ne se rattache à rien de cette façon. La seule

ligne d’équidistance présente ici est la ligne générée par l’archipel lui-même. Ce n’est pas une

ligne par rapport à laquelle l’archipel ne serait qu’une particularité «non essentielle», c’est une

ligne qui résulte de la projection des espaces maritimes générés par l’archipel lui-même, ou à tout

le moins par les trois îles principales auxquels le Nicaragua reconnaît la faculté d’en générer. Il n’y

a aucune côte continentale à l’aune de laquelle mesurer le caractère «essentiel» ou non de

l’archipel : celle de la Colombie se trouve à des centaines de milles marins de là. Même si elle

chevauche, vers l’est, la juridiction maritime générée par la côte continentale de la Colombie, celle

que génère l’archipel n’est nullement accessoire par rapport à cette côte continentale dans la zone

pertinente.

50

84 ILR, vol. 91, p. 663 (les italiques sont de nous).

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49. En résumé, l’archipel de San Andrés est une formation territoriale importante, qui génère

en propre des droits maritimes. Il ne saurait en être fait abstraction, aux fins de la délimitation,

comme on le ferait d’une petite formation côtière inhabitée. Il doit se voir reconnaître plein effet

aux fins du tracé de la ligne d’équidistance ⎯ ou tel est du moins l’effet qui doit être reconnu aux

trois îles principales.

50. L’île des Serpents, en mer Noire, est une autre petite formation dont la Cour n’a pas tenu

compte lorsqu’elle a envisagé d’éventuels ajustements de la ligne de délimitation. Il s’agit d’une

formation aride et de petite taille, appartenant à l’Ukraine et située à environ 20 milles marins de la

côte continentale de la Roumanie et plus près encore de la côte ukrainienne. C’est une formation

isolée qui n’est pas directement adjacente à la côte ⎯ et non un amas d’îles comme celui qui a bel

et bien été pris en compte en l’affaire Erythrée/Yémen85. Vous avez exclu l’île des Serpents de la

configuration côtière aux fins du choix des points de base86, et vous ne l’avez pas considérée

comme une circonstance pertinente qui aurait justifié un ajustement de la ligne d’équidistance

provisoire87. Tout droit qu’aurait pu générer l’île des Serpents aurait été compris dans les

projections côtières de la côte continentale ukrainienne88. Ici encore, la différence avec l’archipel

de San Andrés est manifeste et se passe de commentaires.

51. Dans l’affaire Jamahiriya arabe libyenne/Malte, le rocher de Filfla, situé à moins de

3 milles de la côte principale maltaise, n’a pas été pris en compte aux fins du tracé de la ligne

d’équidistance entre la principale côte maltaise et le continent libyen89. On perçoit mal en quoi cet

exemple pourrait éclairer la Cour sur le traitement qu’il lui faudrait réserver à l’archipel. Un rocher

aride n’a rien à voir avec un archipel de 80 000 habitants, visité chaque année par des millions de

personnes et pourvu d’une économie autonome d’importance régionale.

85 Sentence du Tribunal arbitral rendue au terme de la seconde étape de la procédure entre l'Erythrée et la

République du Yémen (Délimitation maritime), 17 décembre 1999, RSA, vol. XXII, p. 367-368, par. 139-146. 86 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 109, par. 149. 87 Ibid., p. 122, par. 187. 88 Duplique de la Colombie, p. 223-225, par. 6.52-6.56. 89 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 20, par. 15 et p. 48,

par. 64.

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51

52. Le Nicaragua invoque également Qit’at Jaradah90, banc de sable proche des côtes se

faisant face du Bahreïn et du Qatar, dans un espace maritime très restreint. La Cour ne l’a pas

utilisé comme point de base pour tracer la ligne d’équidistance91. Mais ce léger saillant de la côte

n’est d’aucune utilité pour la délimitation qui nous occupe en l’espèce92. Vous avez qualifié Qit’at

Jaradah d’«île très petite, inhabitée et totalement dépourvue de végétation»93. Qit’at Jaradah est

effectivement plus ou moins à cheval sur la ligne d’équidistance entre les côtes principales

concernées : tout effet qui lui aurait été reconnu dans le tracé de cette ligne aurait été

manifestement disproportionné94.

53. La comparaison que cherche à faire le Nicaragua entre l’archipel de San Andrés et ces

diverses petites formations ⎯ saillants de côte, îles côtières et autres ⎯ traversées par une ligne ne

tient pas, essentiellement pour une raison qui peut se résumer ainsi : aucun des cas particuliers sur

lesquels s’appuie le Nicaragua ne concerne une configuration géographique présentant une

ressemblance quelconque avec le secteur des Caraïbes occidentales. En outre, aucun principe

pertinent pour la présente affaire ne se dégage des divers exemples invoqués. Le Nicaragua

sélectionne des bribes de divers arrêts et sentences mettant en jeu des circonstances géographiques

qui, individuellement, sont sans rapport aucun avec la présente instance ; et qui, ensemble,

n’étayent aucune argumentation cohérente.

Les conclusions de la Colombie au sujet de la délimitation

54. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, cela m’amène aux

conclusions de la Colombie au sujet de la délimitation entre l’archipel de San Andrés et le

Nicaragua.

55. Votre examen de la présente affaire quant au fond a été considérablement compliqué par

la manière dont le Nicaragua a plaidé sa thèse ⎯ que j’ai qualifiée de trampoline nicaraguayen.

90 Réplique du Nicaragua, p. 180-181, par. 6.75-76. 91 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), arrêt, C.I.J. Recueil

2001, p. 104, par. 219. 92 Duplique de la Colombie, p. 226-227, par. 6.60. 93 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), arrêt, C.I.J. Recueil

2001, p. 104, par. 219. 94 Ibid.

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J’ai analysé ces tergiversations hier et ne me répèterai pas, sauf pour dire que ce comportement

nous met dans une position difficile pour répondre puisque nous ne savons toujours pas

précisément ce que le Nicaragua revendique ni comment cette revendication s’articule. Mes

observations auront donc nécessairement un caractère préliminaire et nous nous réservons le droit

d’en formuler à nouveau la semaine prochaine à la lumière des éclaircissements que nous pourrions

obtenir sur la position du Nicaragua mardi ou, oserais-je le dire, de nouveaux changements.

52

56. Je ne reviendrai pas non plus sur ce qu’a dit M. Bundy au sujet du caractère

fondamentalement irrecevable de la prétention du Nicaragua à un plateau continental dans une zone

située à moins de 200 milles de la côte colombienne, si ce n’est pour faire deux observations. La

première est que la revendication du Nicaragua dépend non seulement du principe de l’existence du

plateau continental nicaraguayen dans une telle zone, mais aussi de son emplacement précis. Cette

question relève cependant de la Commission prévue à l’annexe II. Ma seconde observation porte

sur l’affaire Bangladesh/Myanmar qui est à mon avis très différente ; le tribunal n’a eu qu’à tracer

une ligne latérale dans la zone où le plateau continental n’est pas contesté. Dans la présente

espèce, la situation me paraît très différente et exacerbée par le fait que le Nicaragua est loin

d’avoir fourni à la Cour les données nécessaires pour examiner la question d’un plateau continental

étendu.

57. Mais outre son irrecevabilité, la revendication du Nicaragua telle qu’elle est maintenant

présentée reste obscure et incertaine à bien des égards. J’en mentionnerai un ou deux et

commencerai par la question de la ZEE puisque M. Reichler, en dépit de toutes les proportions

extravagantes qu’il a établies, a au moins tenté de s’attaquer aux problèmes. M. Lowe, en

revanche, nous a fait un discours dont la longueur n’avait rien de naturelle au sujet de la

prolongation naturelle et qui, s’il abondait en ab initio, nullum temporis, ex lege, était

remarquablement pauvre en détails.

58. Le graphique à l’écran vient de l’exposé présenté par M. Reichler cette semaine. Il

illustre apparemment la ZEE revendiquée par le Nicaragua, mais appelle beaucoup plus de

questions que de réponses. Par exemple, sur quelle base le Nicaragua prétend-il exclure la

Colombie de ce que j’appellerai la zone extérieure, la zone en rose de quelque 35 000 kilomètres

carrés qui se trouve à moins de 200 milles marins des côtes colombiennes mais à plus de 200 milles

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marins du Nicaragua ? A quel titre le Nicaragua veut-il obtenir que des eaux sur lesquelles il n’a

aucun droit, aucun droit concevable, soient reconnues comme constituant la haute mer et non la

zone économique exclusive colombienne, ce qu’elles seraient normalement ? Et surtout, comment

une attribution infinitésimale de droits maritimes à l’archipel colombien peut-elle être cohérente

avec les principes juridiques que j’ai exposés.

59. On pourrait poser bien d’autres questions encore au sujet de la revendication intrusive

que nous a dévoilée M. Lowe cette semaine à propos du plateau continental. Comment peut-on la

considérer comme proportionnée ⎯ à moins que ce principe ne s’applique pas, au-delà de

200 milles marins, aux revendications relatives au plateau continental fondées sur la

géomorphologie ? Et s’il ne s’applique pas, comment cela peut-il être compatible avec le prétendu

caractère unitaire du plateau continental, sur lequel M. Lowe a tant insisté ? Après tout, le principe

de proportionnalité a été appliqué au fond marin dans des revendications qui s’inscrivaient dans la

limite des 200 milles marins. Quelles sont les limites latérales de la revendication relative au

plateau continental et comment se concilient-elles avec les droits à une ZEE de la Colombie et des

Etats tiers ? Quelles seraient les conséquences, au regard de l’article 61 du Statut de la Cour, du

scénario éminemment probable dans lequel la Commission des limites du plateau continental

rejetterait ou modifierait la revendication nicaraguayenne sur la base de laquelle la Cour aurait

statué de façon hypothétique ? Or, il pourrait s’écouler encore plus de dix ans avant que la

Commission ne rende sa décision. Tout bien considéré, la revendication du Nicaragua revient à

jeter un très gros rocher dans une piscine tranquille, bien ordonnée et régie par les traités ⎯ bien

que le Nicaragua dirait sans doute qu’il ne s’agit pas d’un rocher, mais d’un morceau de corail !

53

60. Même si le Nicaragua devait déposer une demande en bonne et due forme auprès de la

Commission des limites du plateau continental, et s’il insistait pour obtenir le même résultat, cela

serait, à notre connaissance, un résultat sans précédent. Le plateau continental étendu du Nicaragua

priverait la Colombie d’importantes parties de la zone de 200 milles marins à laquelle elle a

automatiquement droit. C’est une intrusion que presque tous les Etats se sont gardés de commettre

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en formulant leurs revendications relatives à un plateau continental. Mon collègue, M. Bundy, a

évoqué la pratique en la matière : elle est abondante et pratiquement uniforme95.

61. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, vous vous souviendrez sans

doute de la manière dont Oscar Wilde décrivait un gentleman anglais chassant le

renard ⎯ «l’innommable à la poursuite de l’immangeable». De la même façon, on pourrait dire de

la nouvelle revendication du Nicaragua relative à un plateau continental étendu ⎯ qui se substitue

à sa revendication antérieure relative à une frontière maritime unique dont il a été démontré qu’elle

était mathématiquement fausse ⎯ qu’elle est, dans l’une et l’autre de ses manifestations,

l’irrecevable à la poursuite de l’intenable.

62. Trop occupé, tout d’abord par une revendication qui, de son propre aveu, était dépourvue

de tout fondement, puis par deux versions différentes d’une nouvelle revendication tout à la fois

dépourvue de tout fondement et irrecevable, le Nicaragua a très peu cherché à traiter, dans ses

écritures, les arguments relatifs à la délimitation avancés par la Colombie. Pour celle-ci, la

présente affaire est régie par les principes que vous avez sans cesse appliqués. La Colombie

commence par décrire les côtes pertinentes, qu’elle définit dans la zone maritime pertinente. Elle

localise les points de base sur cette côte. Elle trace une ligne d’équidistance ou ligne médiane, puis

prend en compte l’ensemble des circonstances géographiques ou autres qui pourraient affecter le

tracé final de la ligne. Parvenue à la conclusion que les circonstances dans la zone pertinente

confirment que la ligne médiane est celle qui est équitable entre les Parties, la Colombie affirme

que la délimitation finale avec le Nicaragua devrait s’opérer selon cette ligne.

54

63. C’est par l’abandon de tout principe que l’on répond à ces arguments. La revendication

de la Colombie se fonde sur les quatre propositions suivantes :

1) L’archipel de San Andrés est une importante unité historique, politique et géographique. Nous

avons déjà expliqué cela en détail.

2) Nous n’avons pas trouvé un seul cas dans la jurisprudence ou dans la pratique des Etats où des

îles situées au large ⎯ c’est-à-dire à une distance d’au moins à 100 mille marins des côtes ⎯

ont été enclavées ou encerclées.

95 DC, par. 4.60-4.69.

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3) L’argument du Nicaragua selon lequel on pourrait ignorer les différences entre les côtes aux

fins du principe de l’équidistance n’a aucun fondement en droit de la délimitation maritime.

4) A supposer même ⎯ pour le plaisir du débat ⎯ que la longueur de la côte continentale du

Nicaragua impose un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire, un tel ajustement serait

modeste, comme cela a été le cas dans les affaires Libye/Malte et Jan Mayen ; il ne consisterait

pas à abandonner le principe d’équidistance comme le Nicaragua l’a proposé.

64. Vous apercevez maintenant à l’écran la ligne revendiquée par la Colombie, et qui

découle de ces considérations. Le résultat n’est pas inéquitable, notamment pour les raisons

suivantes :

i) Tout d’abord, cette ligne ne déforme pas une éventuelle autre ligne médiane, comme il

pourrait en exister en présence de côtes continentales proches, pas plus qu’elle ne fait fi

d’une telle ligne, puisque, en l’espèce, il n’y a pas d’autre ligne possible.

ii) Ensuite, il est admis que, en vertu du principe d’équité qui est au cœur de la délimitation

maritime, lorsque deux Etats génèrent potentiellement des droits maritimes qui se

chevauchent, aucun d’entre eux ne peut obtenir la totalité de la ZEE de 200 milles marins à

laquelle il aurait normalement droit ; par sa revendication, la Colombie propose une

division équitable des droits potentiels, par laquelle les deux Etats obtiennent une partie,

mais pas la totalité, de leurs droits ⎯ et je vous rappelle que, comme je vous l’ai démontré

hier, avec la ZEE qu’il propose, le Nicaragua s’octroie 100 % de ses droits potentiels et

n’accorde à la Colombie aucun des siens.

iii) Des Etats tiers ont, dans plusieurs délimitations opérées dans la même région, adopté une

approche identique à celle de la Colombie avec la ligne qu’elle revendique, ce qui

démontre ce que les autres ont jugé être une solution équitable.

55

iv) Le Nicaragua n’a pas adopté une position cohérente dans le traitement de ses propres îles

frangeantes, tantôt les ignorant, tantôt y prêtant attention, alors que, avec la ligne qu’elle

revendique, la Colombie reconnaît que ces îles ont un effet sur le calcul de l’équidistance.

v) L’attitude du Nicaragua en ce qui concerne les espaces maritimes situés à l’est de la ligne

revendiquée a été, au mieux, équivoque, et cela n’est pas de nature à prouver qu’il a des

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droits sur ces espaces. Je sais que la Cour s’est montrée réticente à tenir compte de

l’attitude des Etats dans les affaires de délimitation maritime, mais il y a des limites.

vi) En ce qui concerne les navires de pêche nicaraguayens qui ont exercé leurs activités dans

les eaux situées à l’est de la ligne revendiquée, ils l’ont fait en application de l’autorisation

accordée par la réglementation colombienne aux titulaires de permis de pêche colombiens,

qui ont été délivrés de façon très libérale et sans intérêt ; la ligne revendiquée n’aurait

aucun effet inéquitable, et encore moins désastreux, pour le secteur nicaraguayen de la

pêche.

vii) Le Nicaragua n’avait jamais, pour sa part, revendiqué avant la phase initiale de la présente

procédure une ligne située à l’est du 82e méridien de longitude ouest, qui a constitué la

limite occidentale de l’archipel de San Andrés pendant plus de 70 ans.

viii) La ligne revendiquée par la Colombie est la ligne médiane établie sur la base de la

géographie des deux côtes pertinentes, compte tenu des circonstances pertinentes,

géographiques et autres.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, il ne fait aucun doute que bien

d’autres commentaires encore pourraient être faits à propos de l’ajustement de la ligne, et nous

sommes impatients d’entendre ce que nos collègues auront effectivement à en dire, puisque, sur

cette question, ils s’exprimeront pour la première fois. Mais les entendre dire des choses pour la

première fois à chaque tour de plaidoiries est devenu pour nous une habitude. Monsieur le

président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie pour votre attention. Je vous

saurais gré de bien vouloir maintenant appeler à la barre mon collègue, M. Kohen, qui conclura le

premier tour de plaidoiries de la Colombie en se penchant sur la demande de déclaration faite à la

Cour par le Nicaragua. Merci, Monsieur le président.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, M. Crawford. And I give the floor to Professor

Marcelo Kohen, the last of Colombia’s speakers this afternoon. You have the floor, Sir.

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56

Mr. KOHEN:

4. NICARAGUA’S REQUEST FOR A DECLARATION OF REPARATION MUST BE REJECTED

1. Mr. President, Members of the Court, it is my task to examine Nicaragua’s request for a

declaration concerning the internationally wrongful acts allegedly committed by Colombia. I will

place this request back in its true context, that is to say, that of the Parties’ general conduct in

relation to the dispute before the Court, in order to demonstrate to you that, if there is a Party

failing to comply with its international obligations, that Party is Nicaragua.

2. I will show that, on the one hand, the Applicant has not only repudiated a territorial

settlement treaty, which had been peacefully applied for over half a century, but continues to

disregard Colombia’s sovereignty over San Andrés, Providencia and Santa Catalina, even after the

Court’s Judgment of 13 December 2007. I will then show that, on the other hand, Colombia has

continually acted in accordance with international law, limiting the exercise of its jurisdiction to

those areas in which it has always exercised jurisdiction, pending the Court’s Judgment on the

merits.

3. Colombia regarded the 82nd meridian as constituting the boundary of the respective

jurisdictions. It is within that boundary that its fishermen operated — even though, historically,

they used to travel west of that meridian96 — and that fishing permits and hydrocarbon exploration

concessions were granted. Traditionally, Nicaraguan fishermen did not venture east of the

82nd meridian, until their government encouraged them to do so in the context of this dispute97.

Colombia has always respected the 1928-1930 Treaty and has simply maintained the existing

status quo.

A. If there is a Party failing to comply with its international obligations, it is Nicaragua

4. Mr. President, it is surprising to say the least to hear Nicaragua raise questions of

responsibility in this case. It was Nicaragua which declared the territorial settlement treaty invalid

96CMC, p. 371, para. 8.79. 97Letter from the Colombian Minister for Foreign Affairs to the United Nations Secretary-General dated

25 February 2008, UN Doc. A/62/733 (Annex); RN, Vol. II, Ann. 6, p. 16.

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after it had been in operation for half a century . This refusal to recognize Colombia’s sovereignty

constitutes a material breach of the treaty in question and a violation of the principle of stability of

territorial treaties98. What we have here is a clear repudiation of a treaty, the first of the material

breaches mentioned in Article 60, paragraph 3, of the Vienna Convention on the Law of Treaties99.

5. This repudiation continued even after the confirmation of the treaty’s validity by the

Court’s Judgment of 13 December 2007100, notwithstanding the assertions of its Agent on

Monday101. Nicaragua still refuses to acknowledge Colombia’s sovereignty over San Andrés,

Providencia and Santa Catalina. I cite an extract from a letter from President Daniel Ortega to the

United Nations Secretary-General, dated 11 February 2008:

“With regard to those three islands, the Judgment states only that the Court does not have jurisdiction to hear that part of the claim and will not therefore rule on that question. Nicaragua wishes to point out that it maintains its claim to sovereignty over those three islands, as it has done throughout its history.”102

6. In its Reply, the Applicant persisted in its view that the 1928 Treaty “lacks any legal or

moral authority”103. Mr. President, official Nicaraguan cartography published subsequent to the

Court’s Judgment on the Preliminary Objections considers — as it has since 1980 — the entire San

Andrés Archipelago, including San Andrés, Providencia and Santa Catalina, as falling under

Nicaraguan sovereignty. The most recent official map, dating from 2011, which you have on your

screen, clearly demonstrates this104. Colombia duly protested against the publication of this map.

Such behaviour is unacceptable and manifests a lack of respect on the part of Nicaragua not only

for the treaties and for Colombia’s sovereignty, but also for a decision of this Court.

58

98CMC, pp. 295-297, paras. 6.28-6.32; Territorial Dispute (Libyan Arab Jamahiriya/Chad), Judgment, I.C.J. Reports 1994, p. 37, paras. 72-73 ; Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 861, para. 89.

99Art. 60, para. 3, subpara. (a), of the Vienna Convention on the Law of Treaties, United Nations, Treaty Series, Vol. 1155, pp. 331 et seq.; see Legal Consequences for States of the Continued Presence of South Africa in Namibia (South West Africa) notwithstanding Security Council Resolution 276 (1970), Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1971, pp. 46-47, paras. 94-95.

100Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), pp. 858-859, paras. 78-81.

101CR 2012/8, p. 18, para. 21 (Argüello). 102Letter from the President of Nicaragua to the United Nations Secretary-General dated 11 February 2008,

UN Doc. A/62/697 (Annex); RN, Vol. II, Ann. 5, p. 12. 103RN, paras. 9-10. 104Gobierno de la República de Nicaragua, Instituto Nicaragüense de Estudios Territoriales, República de

Nicaragua, Mapa de la división política administrativa (Mapa Escolar), 2011. Available at: http://www.ineter.gob.ni/.

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B. Nicaragua’s claim for compensation, like all its claims, is constantly changing

7. In its Application instituting proceedings Nicaragua reserved “the right to claim

compensation for elements of unjust enrichment consequent upon Colombian possession of the

Islands of San Andres and Providencia as well as the keys and maritime spaces up to the

82 meridian, in the absence of lawful title”, and for “interference with fishing vessels of

Nicaraguan nationality or vessels licensed by Nicaragua”105. The Applicant formalized that request

at the Reply stage, reserving the amount of compensation for a subsequent phase of the

proceedings106. On Monday it backtracked; Nicaragua is now seeking satisfaction and no longer

monetary compensation107. Even in respect of reparation, Mr. President, Nicaragua’s position is

reminiscent of the weather in The Hague: unsettled and unpredictable.

8. In its Reply, Nicaragua relinquished its claim for compensation in respect of the islands of

San Andrés and Providencia. This is understandable in the light of your Judgment of

13 December 2007108. However, it is nothing short of remarkable that Nicaragua no longer seeks

compensation in respect of the cays, despite formally maintaining its claim to them. Could this be

a subconscious admission of the wholly baseless nature of that claim? As for the compensation

claim in respect of the maritime areas, we shall see that that too is groundless.

C. Nicaragua’s request for a declaration is unfounded

9. I will now consider Nicaragua’s request for satisfaction, as it was described by the Agent

on Monday, thereby establishing that Nicaragua has abandoned its claim for pecuniary

compensation109. Nicaragua’s Agent also contended that Colombia has been using force since

1969, in order to “keep Nicaragua locked” inside the 82nd meridian110.

59

10. I will pause for a moment on that accusation, which is as irresponsible as it is offensive,

and which was firmly refuted by the Agent of Colombia yesterday111. Nicaragua’s own conduct

105Application, para. 9. 106RN, pp. 235-238 and p. 240, submissions II. 107CR 2012/8, p. 23, para. 40 (i) (Argüello). 108Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment,

I.C.J. Reports 2007 (II), pp. 860-861, paras. 86-90. 109CR 2012/8, p. 23, para. 40 (i) (Argüello). 110Ibid., p. 23, para. 40 (ii) (Argüello). 111CR 2012/11, p. 15, para. 30 (Londoño).

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reveals that accusation to be unfounded. If Colombia had in fact been using force against

Nicaragua since 1969, it may be asked why such a serious breach of a fundamentally important

obligation was not brought to the attention of the Security Council or to that of the competent

regional organs of both the OAS and the Inter-American Treaty of Reciprocal Assistance. It is

apparent from the terms of the Court’s Judgment in the case concerning Nicaragua v. United States

of America112 — of which the Applicant is assuredly aware — that the fact that Nicaragua failed

under such circumstances to have recourse to the relevant organizations, pursuant to Chapters VII

and VIII of the United Nations Charter, attests to that State’s belief that it was not a victim of the

use of force.

11. Members of the Court, it is not the first time that serious accusations have been

gratuitously bandied about by Nicaragua. In its Memorial it claimed that, if the 1928-1930 Treaty

was valid, as the Court declared it to be, there had been a “material breach” of it by Colombia,

which entitled Nicaragua to invoke its termination or denunciation113. Nicaragua has abandoned

that claim.

12. Mr. President, Nicaragua complains of the material damage which it claims has been

caused by Colombia through the exploitation of resources to the east of the 82nd meridian, while at

the same time asserting that it is not seeking pecuniary compensation. Nicaragua’s renunciation on

Monday of what would be the usual form of reparation if such damage had indeed been incurred114

is yet another indication of the frailty of its claim. The reality is that Nicaragua has not suffered

any damage as a result of Colombia’s conduct. To date, the Applicant has been unable to provide

even the smallest particular of the damage it claims to have suffered, let alone prove its existence.

Amply sufficient reason to reject Nicaragua’s claim for a declaration115. There are other grounds

60

112Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America),

Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986, pp. 120-122, paras. 233-235. 113MN, pp. 178-181, paras. 2.254-2.263 and p. 266, submission (5); CMC, pp. 273-277, paras. 5.62-5.70. See

Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 934 (declaration of Judge ad hoc Gaja).

114Factory at Chorzów, Merits, Judgment No. 13, 1928, P.C.I.J., Series A, No. 17, pp. 27-28 and 47-48; Gabčíkovo-Nagymaros Project (Hungary/Slovakia), Judgment, I.C.J. Reports 1997, p. 81, para. 152; Avena and Other Mexican Nationals (Mexico v. United States of America), Judgment, I.C.J. Reports 2004 (I), p. 59, para. 119; Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro, Judgment, I.C.J. Reports 2007 (I), pp. 232-233, para. 460.

115Fisheries Jurisdiction (Federal Republic of Germany v. Iceland), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1974, pp. 204-205, para. 76; Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria: Equatorial Guinea intervening), Judgment, I.C.J. Reports 2002, p. 453, paras. 323-324.

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for rejecting that claim, too. The first is the nature of the dispute in question. The second derives

from the Parties’ conduct. The third is the fact that it does not follow from the 2007 Judgment on

the Preliminary Objections that Colombia should have altered its conduct on the ground.

D. The nature of the dispute precludes Nicaragua’s request for a declaration

13. Mr. President, Members of the Court, Nicaragua’s claim must be considered in the light

of the nature of this dispute. It is still essentially a classic maritime delimitation dispute today. The

general rule with this type of dispute is that the parties do not claim reparation if the judgment finds

that areas over which one party has been exercising its jurisdiction actually fall under the

jurisdiction of the other.

14. The jurisprudence of this Court shows that even classic territorial disputes are settled by

a declaratory judgment, and not by a judgment relating to responsibility. The case concerning the

Temple of Preah Vihear (Cambodia v. Thailand) and the Cameroon v. Nigeria case are instances in

which a boundary dispute led to a Judgment declaring that the State which was exercising

jurisdiction over a given area was not its sovereign. In its Judgment of 10 October 2002, the Court

found that “by the very fact of the present Judgment and of the evacuation of the Cameroonian

territory occupied by Nigeria, the injury suffered by Cameroon by reason of the occupation of its

territory will in all events have been sufficiently addressed” (Land and Maritime Boundary

between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria: Equatorial Guinea intervening),

Judgment, I.C.J. Reports 2002, p. 452, para. 319)116. What is true for land boundaries is also true

for maritime delimitations.

61

15. What is more, Members of the Court, we are not dealing with a situation in which

Colombia has — by force or otherwise — ousted the Nicaraguan authorities from the exercise of

their jurisdictional functions in the maritime areas at issue. We are certainly not dealing with

military or colonial occupation and the wrongful exploitation of natural resources resulting from

such occupation. Such things are a far cry from our case.

16. Whether it be in 1969, when Nicaragua first asserted a claim over the area surrounding

Quitasueño, or when it claimed sovereignty over Roncador, Quitasueño and Serrana in 1972, or

116See also Temple of Preah Vihear (Cambodia v. Thailand), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1962, p. 37.

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over the entire archipelago and its maritime areas in 1980, Colombia was exercising its sovereignty

and its jurisdiction throughout all the periods under consideration; and this situation did not change

either before or after the Application instituting proceedings. Colombia has therefore merely

maintained the existing situation, in accordance with the 1928-1930 Treaty and general

international law, and acted in good faith, as would any State defending its sovereignty and its

jurisdiction.

17. Nicaragua denies the existence of a status quo in relation to the maritime areas117. This

is simply begging the question. Status quo literally means “the existing state of affairs”.

Moreover, it is strange to deny that a status quo exists today while, even after its all-encompassing

claim of 1980, Nicaragua did not react when, for example, Colombia established fishing zones

around Quitasueño, Roncador and Serrana, where the activities of vessels sailing under the

American flag were authorized, under certain conditions, by virtue of an agreement concluded with

the United States118. You can see those fishing zones on your screen119. Not once did Nicaragua

protest against this tangible exercise of jurisdiction, in spite of the fact that that agreement was

published in the United Nations Treaty Series and in that of the United States120, and despite the

fact that more than 700 licences were actually granted121. Colombia simply exercised its

sovereignty and its jurisdiction up to the western limit of the archipelago, as it was defined by the

1930 Protocol. Nicaragua did the same to the west of the 82nd meridian. Such was the status quo

during all the periods under consideration.

62

18. Colombia has acted consistently with the position it has always upheld, as would any

State which does not want its conduct to be interpreted as acquiescing in the other’s position122. It

would have been unthinkable for Colombia, faced with the total repudiation of the

117Letter from the Agent of Nicaragua at the Court dated 20 March 2012. 118Agreement between Colombia and the United States of America on certain fishing rights in implementation of

the Treaty concerning the status of Quitasueño, Roncador and Serrana, 6 December 1983, United Nations, Treaty Series, Vol. 2015; 35 UST 3105; TIAS 10842.

119CMC, p. 183, Fig. 4.1. 120RC, pp. 181-183, paras. 4.62-4.66. 121CMC, Vol. I, p. 184, para. 4.67. 122Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of Maine Area (Canada/United States of America),

Judgment, I.C.J. Reports 1984, p. 305, para. 130; Land, Island and Maritime Frontier Dispute (El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening), Judgment, I.C.J. Reports 1992, p. 408, para. 80; p. 563, para. 341; p. 577, para. 364.

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1928-1930 Treaty, to sit back and watch Nicaragua exploit the resources of areas which Colombia

claims for itself.

E. Nicaragua has also intercepted Colombian vessels

19. Let us now turn, Mr. President, to the actions that Nicaragua believes entitle it to seek

satisfaction, namely Colombia’s alleged interception of fishing vessels flying the Nicaraguan flag

to the east of the 82nd meridian123.

20. The first point to make is that Colombia has issued fishing permits to vessels flying the

Nicaraguan flag. When Nicaraguan vessels have carried out their activities without being in

possession of the appropriate permits they have been intercepted and fined124. We also struggle to

understand what the Applicant is complaining about in view of the fact that Nicaragua has also,

from time to time, intercepted fishing vessels flying the Colombian flag on or to the east of the

82nd meridian, as you can see on the screen125. Colombia has protested against these actions126.

Moreover, Nicaragua mentioned these incidents in its Memorial, and the Court also took note of

them in its Judgment on the Preliminary Objections127.

63

21. Mr. President, allow me to recall that Nicaragua has itself rejected before this Court the

very argument that it is now using against Colombia. In an ironic comment on the Honduran

position on the seizure of vessels by the two Parties, Nicaragua asserted:

“When the coastguard is Honduran and the fishermen are Nicaraguan this is called an effective control of islands and maritime areas; however, if the fishermen are Honduran and the coastguard Nicaraguan, this is considered harassment, aggression and incursion.”128

123RN, p. 237, para. 8, p. 240, Submissions II. 124CMC, p. 98, para. 3.41; RC, p. 288, para. 8.32. 125RC, p. 289, fig. R-8.2. 126Ibid., p. 287, para. 8.30. 127MN, Vol. II, Anns 49, 50, 53, 55 and 57; Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia),

Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 846, para. 31. 128Territorial and Maritime Dispute between Nicaragua and Honduras in the Caribbean Sea (Nicaragua v.

Honduras), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II); RN, p. 154, para. 7.38.

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It concluded as follows: “It cannot be considered ‘harassment’ or ‘provocation’ or ‘aggressive

incursions’ when the Naval Force [of Nicaragua] demands respect for the sovereignty and

jurisdiction of the Republic.”129

22. Neither can Colombia be criticized for exploring and exploiting natural resources to the

east of the 82nd meridian. Very recently Nicaragua announced on its President’s website that it

was embarking on a major programme to explore natural resources in areas lying to the east of the

82nd meridian130. In a letter to the Court dated 20 March 2012, Nicaragua recognizes that these

activities are being carried out in areas that are the subject of the present dispute131. Contrary to

what the Agent said on Monday, neither the President’s website nor Nicaragua’s letter to the Court

refer to an in situ verification of the scientific reports on Quitasueño132. As my colleague

James Crawford mentioned this morning, this is simply a last-minute smokescreen, created in a bid

to justify the fact that Nicaragua has not provided a shred of evidence to counter the scientific

reports proving the existence of insular features at Quitasueño. Neither is there any evidence

whatsoever to show that the vessel in question has been threatened or intercepted in any location.

64

F. The Judgment of 13 December 2007 has done nothing to alter the obligation to respect the status quo

23. I am now going to deal with the situation following the Court’s Judgment on the

Preliminary Objections. Nicaragua maintains that, in its Judgment of 13 December 2007, the Court

“considered that the 82nd meridian is not a line of delimitation of the Parties’ respective maritime

spaces”133. This is not an accurate representation of what the Court decided: according to the

Judgment, “the 1928 Treaty and 1930 Protocol did not effect a general delimitation of the maritime

boundary between Colombia and Nicaragua”134. Members of the Court, it is for you to determine

129RN, p. 160, para. 7.60. 130“Gobierno Sandinista realiza investigaciones pesqueras en plataforma continental Caribe”, El 19,

24 February 2012. Available at http://www.elpueblopresidente.com/EL-19/8559.html and at http://el19digital.com/ index.php?option=com_content&view=article&id=35870:gobierno-sandinista-realiza-investigaciones-pesqueras-en-plataforma-continental-caribe&catid=23 :nacionales&Itemid=12.

131Letter from the Agent of Nicaragua to the Registry of the Court, 20 March 2012. 132CR 2012/8, pp. 19-20, paras. 24-27 (Argüello). 133RN, p. 236, para. 3. 134Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports

2007 (II), p. 869, para. 120.

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the delimitation of the single maritime boundary between the two States. You can draw the

boundary within the relevant geographic area, in the place that you consider appropriate, in

accordance with international law. There is nothing to prevent you from using the 82nd meridian,

even though, further to the Court’s 2007 Judgment, Colombia has considered it appropriate to refer

to the equidistance line. Your decision has thus not yet been taken, and we cannot prejudge the

outcome of the dispute.

24. Since the Court’s Judgment of 13 December 2007, Colombia has continued to respect the

status quo, in particular by refraining from exercising its jurisdiction to the west of the

82nd meridian. It is clear that it would not be possible to create either a vast no man’s land or a

kind of common area pending the judgment on the merits, for the simple reason that Nicaragua has

made a claim that is, let us remember, entirely disproportionate and completely unfounded. In the

absence of any interim agreement and pending your decision, the Parties are bound to respect the

status quo. This is precisely the course of action that Colombia has adopted since the beginning of

these proceedings and it expects the same from Nicaragua.

G. Conclusion

25. As I draw my conclusions, Mr. President, I wonder about the real reasons for this claim

for reparation. Perhaps the Applicant thought that it would make its territorial and maritime claims

more credible. Perhaps it thought that, if it sought reparation or satisfaction for imaginary

wrongful acts committed by Colombia, its own actions might be more likely to escape notice.

65

26. Members of the Court, Nicaragua’s request for a declaration is not consistent with the

law that applies to disputes of this kind, or with the conduct that might be expected from the Parties

under such circumstances.

27. With your permission, Mr. President, I will make one final comment. In a different court

there is no doubt that these changing claims, which clearly have no legal foundation, would have

resulted in the Applicant being ordered to pay the costs of the proceedings135. Colombia is not

135See for example Generation Ukraine, Inc. v. Ukraine, ICSID case No. ARB/00/9, Arbitral Award,

16 September 2003, 44 ILM 404 (2005), paras. 24.1-24.8 and 25; Telenor Mobile Communications A.S. v. Hungary, ICSID case No. ARB/04/15, Arbitral Award, 13 September 2006, 21 ICSID Rev. ⎯ FILJ 603 (2006), paras. 104-108; Desert Line Projects LLC v. Yemen, ICSID case No. ARB/05/17, Arbitral Award, 6 February 2008, 48 ILM 79 (2009), para. 304.

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going to go so far as to request this. Nevertheless, it vigorously opposes the Applicant’s

disproportionate and unfounded claims, as well as its gratuitous accusations.

28. Mr. President, Members of the Court, this concludes the first round of oral argument of

the Republic of Colombia. On behalf of the entire delegation, I should like to thank you for your

kind attention over these two days and wish you a pleasant weekend.

The PRESIDENT: Thank you, Mr. Kohen. Before closing the sitting, I should like to give

the floor to Judge Mohamed Bennouna, who has a question for both Parties. Judge Bennouna, you

have the floor.

Judge BENNOUNA: Thank you, Mr. President. As you have just said, my question is

addressed to both Parties. I am going to ask it in each of the Court’s two working languages. My

question is as follows:

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“Is the legal régime of the continental shelf for the portion located within the 200-nautical-mile limit different from that for the portion located beyond this limit?”

Cette question est la suivante:

“Le régime juridique du plateau continental est-il différent pour la portion de celui-ci qui se situe en deçà de la limite des 200 milles marins et pour la portion située au-delà de cette limite ?”

Thank you, Mr. President.

The PRESIDENT: Thank you, Judge Bennouna. I would ask the Parties to answer the

question orally during the second round of oral argument. The written version of the question will

be transmitted by the Registrar as soon as possible. The Court will meet again next Tuesday 1 May

at 10 a.m. The sitting is closed.

The Court rose at 5.50 p.m.

___________