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Les Cahiers de la Franc-maçonnerie N O 26 : FRANC-MAÇONNERIE ET INITIATION Par le « Collectif des cahiers »

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Les Cahiers de la Franc-maçonnerie

NO 26 : FRANC-MAÇONNERIE ET INITIATION

Par le « Collectif des cahiers »

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« Le philosophe Antisthène, comme on l’initiait aux mystères d’Orpheus, le prêtre lui disant que ceux qui se vouaient à cette religion avaient à recevoir après leur mort des biens éternels et parfaits : “Pourquoi ne meurs-tu donc toi-même ?” lui fit-il. » (Montaigne, Essais, II, XII)

Introduction •

l Initiation, « initié à » et « initié »

U Initié à

« S’initier à », « être initié à » sont des expressions fort courantes. On s’initie à un nouveau sport, aux mathématiques. On s’initie aux langues étrangères, à la logique, à la musique, à la cuisine indienne, à la boxe, à la danse. Bref, on s’initie à tout.

Dans ce premier sens, le plus courant, « s’initier à » ou « être initié à » signifie tout simplement que l’on ouvre ou que l’on vous ouvre une porte sur un nouveau domaine.

On est mis dans le chemin de ce nouveau domaine. On commence à l’explorer, à l’étudier.

C’est le sens même du mot « initié ». Il vient du latin initium qui lui-même vient de in, « dans », iter, « chemin », soit « dans le chemin », sous-entendu « mis ». L’initié est celui qui est mis dans ou sur le chemin, chemin menant à un but, en général une connaissance ou un savoir-faire.

L’initiation peut donc être intellectuelle, artisanale, artistique, sportive ou encore sociale et professionnelle, comme autrefois les initiations des forgerons.

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En fait, le domaine auquel on est initié devient accessible. On n’en est qu’au début, mais on commence à en avoir une idée, à comprendre qu’on pourrait aller plus loin, voire que l’on pourrait un jour le maîtriser.

Toutefois, ces initiations ne sont pas pour autant accessibles à tous, car il faut en avoir les capacités. Suivant les cas, ces capacités seront d’ordre intellectuel, intuitif, sensitif ou physique.

On ne pourra initier un aveugle à la peinture, un paralysé à la danse, quelqu’un qui manque de logique aux mathématiques, au violon quelqu’un qui manque d’oreille.

On tiendra compte également dans certains cas des capacités d’ordre moral. Par exemple, on évitera d’initier un criminel aux secrets de la fabrication d’armes atomiques. On évitera d’initier à des secrets d’État quelqu’un qui serait incapable de garder un secret ou qui se servirait de cette connaissance pour son propre profit au détriment des autres.

• Le délit d’initiéOn arrive alors à ce que l’on nomme « délit d’initié » :

la divulgation de certaines informations à qui n’a pas à les connaître.

L’initié est donc dans ce cas quelqu’un qui dispose d’informations privilégiées dans le cadre de l’exercice de sa profession ou de sa fonction.

Elles sont privilégiées car l’initié en a connaissance avant les autres ou fait partie d’un petit groupe qui seul en a connaissance.

Ce terme aujourd’hui s’applique surtout dans le domaine financier, dans les réalisations boursières.

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• L’initiateurOn peut être initié à quelque chose directement par un

individu, par ses parents, par un groupe (une école, une université) ou indirectement par l’intermédiaire de l’écrit ou du Net.

L’initiation, quelle qu’elle soit, dévoile donc comme un paysage quelque chose de nouveau.

Elle éclaire un domaine qui jusque-là était tout à fait inconnu, incompréhensible. Il en sera de même en ce qui concerne l’initiation en Franc-maçonnerie.

l De « initié à » à « Initié »

Quand on entre en Franc-maçonnerie, on est « initié », « initié » sans la préposition « à », et l’on accède à des secrets que l’on ne doit pas révéler.

En fait, nous entrons là dans un autre domaine initiatique, celui qui appartient à ce que l’on nomme en général les sociétés initiatiques.

Il s’agit cette fois d’Initiation avec un grand I par rapport aux initiations profanes, même si le mot peut être remplacé par « Introduction » ou « Réception ».

Cette initiation se rapporte aux questions fondamentales que l’homme se pose depuis la plus haute antiquité. Quelle est sa place dans l’univers ? Quel est son devenir, d’où vient-il et quel est son avenir post mortem s’il en a un ? Certains « grands initiés » dans ce domaine ont ouvert la route aux chercheurs de vérité par l’intermédiaire de ce que l’Inde nomme guru (ce qui écarte les ténèbres de l’ignorance). Et si aujourd’hui le guru désigne quelqu’un qui ouvre la voie à un disciple, pour ceux qui furent reconnus comme étant

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de grands initiés, le guru n’est pas forcément un humain. Le guru est tout ce qui initie : ce peut être la Terre, le Ciel, le Soleil. Ou même un animal. Un animal ne peut-il vous initier à l’amour ? Mais c’est là le fait de grands esprits…

Outre les grandes questions de la naissance et de la mort, se trouvent les changements qui accompagnent les grandes étapes de la vie humaine, en particulier le passage à l’état adulte et à la sexualité, la grossesse, l’accouchement, la maladie, la vieillesse. On comprend sans peine qu’autrefois, les initiations à l’âge adulte, avec leurs rites divers liés à la puberté (appelés « rites de passage »), étaient parmi les plus importantes et les plus universelles. Certes, il n’y a pas besoin d’être à proprement parler « initié » pour devenir adulte. Pourtant, on parle d’initiation à propos des rites accompagnant cette transformation à la fois physique, psychologique, et sociale.

La compréhension de ces rites pourrait permettre d’appréhender l’utilité des rites pratiqués dans les sociétés initiatiques, car la transformation induite dans la conscience de l’Initié peut être aussi importante que celle du passage de l’état d’enfance à l’état adulte, bien que vécue sur d’autres plans. Les rites de puberté peuvent donc servir d’exemple pour mieux comprendre la transformation intérieure de l’Initié.

Les initiations maçonniques, comme toutes celles qui sont données dans les sociétés initiatiques qui procèdent à des initiations de type spirituel, produisent une transformation intérieure.

Les rituels qui s’y pratiquent sont des guides permettant à ceux qui en ont le potentiel de découvrir en eux ce que les maçons nomment la Parole perdue.

Que l’initié l’explique à l’initié ; celui qui n’est pas initié ne doit pas les connaître, ce serait une abomination pour Anu, Enlil et Éa, les grands dieux. » (Tablette mésopotamienne)

Sens du mot « initiation » dans les sociétés traditionnelles

En général, les sociétés initiatiques sont également nommées « sociétés secrètes ». On en trouve partout dans le monde et elles ont de nombreux points communs.

On les appelle « secrètes » parce que ce qu’elles font découvrir à l’initié est impossible à exprimer par des paroles.

C’est pourquoi aussi, lorsque l’on parle de sociétés initiatiques, on relie les initiations aux « Mystères » antiques, le mot mystère se reliant à cette « inexprimabilité ». Le mystère étant ce qu’on reçoit en silence, ce qu’on ne peut que contempler en silence.

C’est de ce mystère que le Tao Te King dit : « Tout ce qui peut être dit ne mérite pas d’être appris. »

Le mystère ne s’apprend pas, il se transmet par un moyen qui lui est propre, le symbole.

Quel que soit le lieu – ou l’époque – de ces initiations traditionnelles, on distingue les mêmes séquences.

Mort et renaissance, instruction par l’intermédiaire de rites, de symboles et de mythes. C’est pourquoi, dans ce cas,

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on peut parler d’Initiation avec un I majuscule par opposition aux initiations profanes qui jalonnent la vie de chacun au fur et à mesure de ses découvertes intellectuelles ou morales.

Il s’agit avant tout de transformation intérieure et d’accès au divin. Il s’agit de transcendance, le but ultime étant la Connaissance.

Pour bien comprendre la différence entre la formule « initié à » utilisée aujourd’hui à tout bout de champ et l’Initiation des grandes traditions initiatiques, commençons par examiner les mots qui la désignaient dans les langues des différentes traditions. Nous y trouverons, n’en doutons pas, des éclaircissements, des suggestions.

l En français

U Initiation : le fait de « mettre dans le chemin »

Ce mot, on l’a vu, vient du latin in iter, « dans le chemin », sous-entendu « mettre, placer », et ne sous-entend pas grand-chose d’autre. L’initié au sens étymologique du terme en français est quelqu’un qui est mis dans le chemin d’une connaissance quelconque.

U Réception

En Franc-maçonnerie, on dit aussi, à la place d’initiation, « réception », l’initié étant celui qui est reçu. Ce qui laisse entendre que l’initié est reçu dans un groupe, qu’on l’y intègre.

« Réception » est aussi le terme utilisé par les kabbalistes.Le kabbaliste est un initié et le mot hébreu qui le désigne est meqoubal, mot qui signifie « celui qui est reçu », car

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la kabbale se pratique au sein d’un groupe d’initiés. Le kabbaliste est donc celui qui est reçu, accepté, à l’intérieur d’un groupe.

Mais il est vrai que l’on peut être « reçu » membre du Lions ou de toute autre organisation profane.

Le français, comme l’hébreu, on le voit, reste vague. Tournons-nous donc vers les civilisations qui nous ont précédés et dans lesquelles nous avons puisé.

En général, l’Occident se réfère, pour commencer, à la Grèce antique.

l Dans la Grèce antique

Comme dans beaucoup de cultures traditionnelles, on y trouve plusieurs mots pour désigner la même chose ou des mots ayant plusieurs sens.

U Initiation, mystères, secrets

• Muèsis (muhsiς)Muèsis se traduit par « initiation », sous-entendu aux

mystères, et mustes (musthς), le myste, se traduit par « initié aux mystères » lequel se dit aussi memuemenos memuhmenoς.

Le mot « mystères » vient du grec musterion mustérion, « mystères », « choses secrètes » de muein muein, « se fermer » ou « fermer » – en particulier les yeux, la bouche, ce qui indique la notion de secret et d’intériorisation puisque les yeux et la bouche sont fermés sur l’extérieur.

Le verbe mueein (avec deux epsilons) mueein, « initier aux mystères », vient donc de cette idée de fermeture sur l’extérieur, cette idée de secret et d’ouverture vers une vie intérieure.