nietzsche les sciences sociales -...

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Nietzsche et les sciences sociales par Jacques Chamberland Département de science politique Université McGill, Montréal Une thèse soumise à la faculté des études graduées et de la recherche, en accomplissement partiel des exigences pour le diplôme de maître en Arts. Université McGilI Montréal, Québec. Février, 1989. © Jncques Chamberland, 1989.

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Nietzsche et les sciences sociales

par Jacques Chamberland

Département de science politique Université McGill, Montréal

Une thèse soumise à la faculté des études graduées et de la recherche,

en accomplissement partiel des exigences pour le diplôme de

maître en Arts.

Université McGilI Montréal, Québec.

Février, 1989.

© Jncques Chamberland, 1989.

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(.

Table des matières

Résumé ......................................................................................... 4 Abstract ........................................................................................ 5 Itel11ercierncnts ............................................................................ 6 IntnKluction ................................................................................. 7

Premier chapitre: Nietzsche et l'entreprise de la connaissance

Première partie: Les conséquences de la mort de Dieu ........................................ Il

Deuxième partie: Le perspectivisme. la vérité et la connaissance

2.1 La nature du pcrpcctivisme ............................................... 14 2.2 Vérilé et connaissance comme erreur nécessaire .................... t9 2.3 Vérité et connaissance comme Volonté de Puissance ............. 25 2.4 La philologie, la généalogie cl la connaissance ..................... 29

Troisième partie: Les problèmes inhérents à la philosophie Nietzschéenne en ce qui a trait à la connaissance

3.1 Problèmes relatifs à la généalogie ...................................... 33 3.2 Problèmes relati,"s au perspectivisme .............................. '" 36 3.3 Problème~ relatifs à la doctrine de la Volonté de Puissance ..... 38 3.4 Nietzsche ct la théorie de la vérité ..................................... 39 3.5 Nie17.sche l'tla théorie de la connaissance ............................ 41

Notes du premier chapitre ......................................................... 45

Ileuxième chapitre: Nietzsche et le positivisme

Première partie: Description du positivisme t.1 Niellsche et le positivisme ............................................... 47 1.2 Généralités à propos de la méthodologie scientifique .............. 48 1.3 Les sciences sociales positivistes ....................................... 49 1.4 Problèmes de transfert ..................................................... 51 1.5 Ce qu'il advient de la politique .......................................... 52

Deuxième purtie: L'uccusation d'Habetmas contre Nietzsche 2.1 La position d'Habermas face au positivisme ......................... 54 2.2 Ut vision d'Habermas à propos de Nietzsche ........................ 56

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Troisième partie: La place de Nietzsche dans ce discours 3.1 Le posilivismc de Nietzsche ............................................. 59 3.2 Le pOle du positivisme chez Nietzsche ................................ 60 3.3 Le Nietzsche de la maturi~ et les sciences ........................... 62 3.4 Verdict sm les dires d'Habennas à l'endroit de Nietzsche ......... 65

Notes du deuxième chapitre ...................................................... 68

Troisième chapitre: Nietzsche et l'herméneutique

Première partie: Développement de l'hennéneutique .......................................... 70

Deuxième partie: L'herméneutique moderne: Hans-Georg Gadarner ................... 76

Troisième partie: L'hennéneutique en science sociale: Charles Taylor ................. 83

Quatrième partie: Nietzsche et l'hennéneutique .................................................... 88

Notes du troisième chapitre ....................................................... 99

Conclusion ................................................................................... lOI

Bibliographie .............................................................................. I~

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Résumé

Ce travail souhaite mettre en cause deux propositions sur les sciences humaines

modernes: les prétentions au monopole formulées tour à tour par l'explication (école

positiviste) et l'interprétation (école herméneutique) et ce par rapport à la philosophie

nietzschéenne. On commence d'abord par une investigation de la philosophie

nietzschéenne par rappon aux questions ayant trait à la connaissance. On met à jour les

vues de Nietzsche par rapport à toute entreprise de la connaissance. Ayant établi cette base

nous nous tournons ensuite vers une investigation des rapports pouvant exister entre la

pensée nietzschéenne et le modèle méthodologique positiviste et ce en tenant compte des

allégations de Jürgen Habermas désignant Nietzsche comme l'un des jalons

philosophiques menant à l'hégémonie du positivisme et de la rationalité l'accompagnant.

Puis nous verrons quels sont les rapports pouvant exister entre la pensée nietzschéenne et

la méthodologie interprétative (herméneutique). Globalement cela nous permettra de

découvrir quels sont les rappons pouvant exister entre la philosophie de Nietzsche et les

deux propositions (explication vs interprétation) se disputant le monopole de la

connaissance en science sociale.

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~ .

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-Abstract

The purpose of this essay is to question two basic propositions put forth hy modem

social sciences: the daim to philosophical monopoly held, on the one hand, by tht.' school

of thought which relies on explanation (positivism), and on the other, hy thnsc who

consider 'interpretation' (henneneutics) as a more lIppropriatc mcthod of lInalysis.

Nietzsche's work will provide the framework within which the two connicting daims arc

to be assessed.

Thus, we will first have to study those tenets of Nietzsche's thought which tOllch

upon the concept of knowledge as philosophical enterprise. Once this is snlidly achicvcd,

we will explore possible (potential) connections betwecn Nietzsche and the positivist

paradigm. Our inquiry will be made on the basis of Jurgen Ilabennas's dcsigllation of

Nietzsche as a milestone in the endeavour which eventllally Icd to the hegclllony of

positivism, and consequently of instrumental rationality. fïnally, this essay will try to sec

whether Nietzsche's thOllght influenced or opposed the methodology of the

'interpretative' (hermeneutical) school.

On the whole, this intellectual qllest will al10w us 10 discover Ihe thOllghl proccsscs

existing between positivism and hermeneutics, and Nielzsche's philosophy, respectivcly.

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l

Remerciements

Je tiens à remercier messieurs James Tully et Charles Taylor qui, tout au long de ma

recherche, m'ont aidé et encouragé. Sans eux, ce travail aurait sans doute été de moindre

qualité.

Je veux aussi remercier mes parents qui, tout au long de mes études, m'ont fourni

encouragement et aide financière. Je les remercie pour leur grande bonté et leur patience

sans borne.

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Introduction

À première vue le titre même de notre étude peut sembler inusité. D'une part parce

que le sujet semble très vaste et aussi parce que les deux éléments formant le titre ne

semblent avoir rien en commun. Le nom d'un auteur célèbre et d'une discipline forment

un sujet bien vaste, trop peut-être? C'est pourquoi nous devons délimiter d'abord ce qui

semble trop étendu. Car le problème que nous abordons en est un qui concerne

l'ensemble du champ social. Notre étude, en effet, s'adresse à tout le champ social, mais

ce à travers un point de vue bien précis, soit celui des méthodes. L'ensemble de cette

étude concerne les méthodologies dont on se sen pour étudier, comprendre et analyser le

social. Et les questions méthodologiques font des questions de fond, s'adressant à tout

l'édifice d'une discipline et que l'on ne peut éviter. Les méthodes sont, somme toute, à la

base de toute recherche. Voilà pourquoi le second élément de notre titre est aussi

englobant.

En voyant ce titre on peut aussi se demander: pourquoi Nietzsche? En effet, à prime

abord, il est assez inusité d'accoler le nom de Nietzsche à un champ d'étude tel les

sciences sociales. Lorsque l'on a pour centre d'intérêt les sciences sociales on serait en

droit de s'attendre à un titre tel: «Marx et les sciences sociales», ou «Max Weber et les

sciences sociales», ou encore «Durkheim et les sciences sociales» étant donné que ces

auteurs se sont intéressés directement à ce champ du savoir. Tandis que Nietzsche Illi ne

s'est guère arrêté aux questions concernant les sciences sociales et leurs méthodes. Alors

pourquoi avoir opté pour lui? Eh bien c'est là exactement l'intérêt de notre choix. Les

auteurs que nous avons nommés ci-haut ont tous étudié le domaine social à fond et tous

ont développé des méthodes propres permettant d'apprivoiser ce qui se déroule dans ce

domaine. Il eût été peut-être plus facile mais, croyons-nous, moins intéressant de

s'attarder aux méthodologies des sciences sociales à partir de la réflexion d'un de ces

auteurs. Ce qui importe à nos yeux est de prendre un certain recul et Nietzsche permet ce

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recul (n'étant pas intimement lié au domaine des sciences sociales) et de plus il nous offre

l'opportunité d'un questionnement fondamental.

Ici certains pourraient nous objecter: «mais alors pourquoi pas Kant ou Hegel, ces

auteurs ~nnettent eux aussi le recul nécessaire et nous offrent aussi un questionnement

fondamental». Une telle objection est tout à fait légitime et il serait sans doute intéressant

de refaire une étude semblable à la nôtre, mais en ayant pour point d'appui Kant ou

Hegel. Or nous avons opté pour Nietzsche, car il se situe (historiquement et

intellectuellement) à la fin dt; cette tradition de grands philosophes métaphysiques. IlIa

clôt pour ainsi dire. Nietzsche poursuit et met fin au débat amorcé par Hume et s'étalant

jusqu'à Hegel au sujet de la connaissance. Le questionnement de Nietzsche est tout aussi

fondamental que celui des auteurs susmentionnes. Voilà les f~isons justifiant le choix du

sujet et de l'auteur à partir duquel nous nous proposons de bâtir notre étude.

La problématique globale au cours de cette étude sera celle se rattachant aux

méthodologies utilisées en science sociale. Quiconque s'intéresse au champ de la

connaissance finit par rencontrer des probl'!mes d'ordre méthodologique, car toute

connaissance systématique passe par le biais de la méthode. Elle est l'intermédiaire

menant à la connaissance. Bien peu de domaines peuvent prétendre avoir trouvé 'la

méthode' conduisant infailliblement à la connaissance. Les problèmes méthodologiques et

épistémologiques s'y rattachant refont sans cesse surface, et ce même-dans un domaine tel

la science où la connaissance se veut certaine, objective et définitive. De nombreux

ouvrages·. sur le sujet ont démontré que les assises méthodologiques des sciences ne

sont pas aussi inébranlables qu'on a bien voulu le croire. Somme toute la problématique

reliée à la méthodologie n'est pas uniquement réselvée aux sciences sociales, mais

s'adresse à toute entreprise visant la connaissance. Le questionnement à propos des

méthodes est donc un questionnement primordial et fondamental.

• Voir: Thomas S. Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions, (2e édition - 1970), Paul Fcycrabcnd, Agamst method (1975) et tout le débat qui s'ensuivit jusqu'aux répercussions dans l'oeuvre de K. Popper.

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Au sein des sciences sociales la méthodologie fut pendant longtemps quelque chose

s'apparentant à un dogme. Ce n'est que récemment* que l'on a commencé à véritablement

contester l'appareil monolithico-dogmatique des méthodes utilisées en science socIale.

Auparavant (et encore aUJourd'hui pour plusieurs) les méthodes des scienœs sociales

s'établissaient à partir de celles des sciences pures. C'est ce qu'il est convenu d'appeler le

courant positiviste t::n science sociale. On croyait qu'en empnmtant les méthodes

scientifiques on en arriverait à des résultats aussi probants et justes que ceux obtenus dans

les sciences appliquées. On prétendait qu'il suffi::lait de transférer les méthodes d'un

champ à l'autre de la connaissance pour en arriver à la rectitude et à la connaissance

objective. Selon ce point de vue les sciences sociales ne diffèrent pas en nature des

sciences appliquées. La différence entre les deux champs de connaissance n'en est qu'une

de degré de développement selon ce point de vue. D'après les tenants de cette position

l'incertitude régnant au sein des sciences sociales n'est due qu'à un manque de maturité.

Une fois leur développement achevé les sciences sociales devraient, suivant cette

doctrine, se tenir sur un pied d'égalité avec les sciences pures en ce qui a trait à la

connaissance.

Parallèlement à ce modèle méthodologique (emprunté à celui des sciences) un autre

paradigme méthodologique s'est développé, Cet autre modèle prétend que l'objet des

scien~es sociales et celui des sciences appliquées sont de 'nature' différente. Cette

position méthodologique repose sur une appréciation épistémologiqlle différente du

modèle positiviste. Selon les tenants de cette position ce qui fonne la substance de l'objet

d'étude du social diffère non pas en degré, mais en 'nature' de l'objet de la science. Ainsi

le social est constitué d'agents dont l'action est remplie de 'sens'; les agents interprètent

ce qui se déroule autour d'eux et aussi s'auto-interprètent. Les éléments formant l'objet

des sciences appliquées ne se livrent pas à une telle activité. Il convient donc selon les

tenants de cette position d'adopter une méthode qui tienne compte de cette donnée

fondamentale. C'est pourquoi il faut opter pour l'herméneutique. En effet

l'herméneutique pennet d'étudier le social en tenant compte des significations

* Même si au temps de Dilthey déjà se dessinait la dissension (voir à ce sujet notre chapItre III).

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(symboliques ou réelles) inhérentes au tissu social. De la sorte cette méthode se prétend

plus adéquate à l'étude du champ social.

Dans ce qui suit nous confronterons ces deux méthodes au corpus de la pensée

Nietzschéenne. Ainsi d'abord nous verrons ce que Nietzsche peut avoir à dire par rapport

à la méthodologie positiviste et ce en tenant compte des allégations de Jurgen Habermas

pour qui Nietzsche est l'un des jalons ayant conduit à l'hégémonie de la méthode

scientifique et GU type de rationalité lui appartenant. Puis nous verrons comment la pensée

Nietzschéenne se comporte face à l'herméneutique. À prime abord certains aspects

majeurs de la philosophie nietzschéenne, tel son perpectivisme, semblent le rapprocher

d'une telle manière de penser, mais IIOUS verrons plus précisément ce qu'il en ressort.

Mais auparavant étant donné la nature de notre sujet (se rattachant à la connaissance en

général) il convient d'abord d'exposer les vues de Nietzsche en ce qui concerne la

connaissance et son acquisition de même que tout ce qui s'y rattache (notamment la

vérité). Notre étude se déploiera donc comme suit: chapitre premier: Nietzsche et

l'entreprise de la connaissance; chapitre second: Nietzsche et le positivisme; chapitre

troisième: Nietzsche et l'herméneutique.

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-Premier chapitre:

Nietzsche et l'entreprise de la connaissance

Première partie: Les conséquences de la mort de Dieu

Hegel avait déjà annoncé la «mort de Dieu». Nietzsche a repris ce thème ct fait dire à

Zarathoustra: «Serait-ce donc possible! Ce vieux saint dans sa forêt, il ne l'a donc pas

encore appris que Dieu est mort» (1). Nietzsche ne proclame pas la mort de Dieu, mais

rappelle simplement que déjà il est mort. Ce qui préoccupe Nietzsche c'est beaucoup plus

les conséquences d'un tel avènement. Celui-ci ébranle la société dans ses fondements

même. Suite à la mort de Dieu tout s'écroule, l'édifice moral et religieux s'effondre. Les

bases soutenant les normes et les valeurs disparaissent. On assiste à une pene de «sens»;

tout devient dénué de sens.

Nietzsche ne déplore, ni n'exhulte cet avènement. Il constate <lu'il est le résultat

inévitable de la moralité chrétienne. Celte dernière, prétend Nietzsche, est lu source du

nihilisme et de la décadence qui en découle (2). À la question: qu'est-ce qui il anéanti

Dieu? Nietzsche donne cette réponse:

«C'est la moralité chrétienne elle-même, la notion de véracité comprise avec une rigueur croissante, la délicatesse de la conscience chrétienne affinée par le confessionnal, traduite et sublimée jusqu'à être transformée en conscience scientifique, en honnêteté intellectuelle à tout prix.» (3)

Ce que Nietzsche déplore c'est que l'on se maintienne dans le nihilisme, que l'on ne

remplace pas les valeurs perdues. Nietzsche accuse ses pairs de vivre dans l'ombre de

Dieu. On continue d'agir et de penser comme auparavant, mais s~,"s toutefois avoir la

même assurance. Suite à la mort de Dieu, nous l'avons vu, il n'y a plus de sens, alors

Nietzsche affirme que s'il n'y a plus de sens il faut en créer. C'est là la seule façon de

sortir du nihilisme.

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Au niveau de la connaissance la mon de Dieu enttaîne et instaure le règne du doute et

de l'incertitude. Il n'y a plus d'absolu, le scepticisme devient roi. D~jà chez certains

philosophes le doute s'était infiltré.- David Hume considère la conscience comme le

premier et le plus important récepteur d'impressions. Les sens, selon lui, servent

uniquement à filtrer et à canaliser les impression venant du monde externe, la conscience,

toujours selon Hume, est notre véritable voie d'accès à la connaissance du monde

extérieur. Et au sein de la conscience il y a d'une pan les impressions et d'autre part les

idées - elles mêmes dérivées des impressions. C'est l'imagination qui a pour rôle

d'unifier, de faire de toutes nos impressions une suite. Elle construit notre monde. Or cela

comporte un problème, car l'imagination est quelque chose de volatile, frivole, agissant

dans le d()maine de la fiction. Et une telle pré-condition ne peut guère mener à un système

solide et rationnel. Et c'est cependant en elle qu'ultimement notre foi repose. De cette

façon Hume prétend avoiT démontré la fragilité des fondations sur lesquelles repose notre

connaissance du monde, et prétend que cela implique que l'on ne peut que dépendre de

ces fondations (4).

Par la suite Kant sera d'accord avec Hume pour affirmer que l'on ne peut être au

courant de rien sauf de ce qui nous apparaît (et non des essences). Donc toute

connaissance est connaissance de ce qui nous apparaît. Or pour Kant cela ne signifie pas

que toute connaissance est automatiquement subjective et limitée à l'individu seul. Au

contraire il y a, selon lui, une connaissance absolue de ce qui est apparent. D'ailleurs,

d'après Mary Wamock, Kant croyait que:

«( ... ) the nature of reason itself is supposed to give us the clue ta what the categories are, and we know independently of experience, a priori, that these categorial rules must hold. So the formulation upon which our knowledge rests is no longer so whimsical and trivial a thing as the force of habit, or the power of fancy that we may happen to possess.» (S)

À la différence de Hume, Kant croit qu'il est toujours possible de connaître avec certitude

le monde externe (apparent), que nous ne sommes pas uniquement à la merci de nos sens

et de notre imagination. Pour lui il est toujours possible de connaître de façon absolue.

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La vision de Nietzsche quant à la connaissance peut être perçue comme un désaveu de

ce que Kant a dit à propos de deux grandes questions. D'abord il ne croit pas que les

catégories que nous appliquons pour connaître le monde externe soient les seules

possibles. Et il ne croit pas que nous appliquons nos catégories à de simples apparences

des choses et ce parce qu'il ne croit pas légitime d'établir une distinction entre ce qui

existe réellement et le monde apparent. Pour lui il n'y a qu'un monde et non deux.

Nietzsche rejette la dualité kantienne du monde apparent et du monde réel.

Pour Kant • savoir' signifie comprendre les lois qui gouvernent à la fois le

comportement présent et futur des objets. Mary Wamock affume à ce propos:

«So the point of the Copernic an Révolution is that we should realize that our knowledge does not conform to objects as they are; but rather that objects as they appear confonn to our knowledge of our reason, which is ail we could possibly have.» (6)

Or Nietzsche abolit et dépasse toute cette problématique en éliminant l'idée humienne de la

conscience. Selon lui l'idée même de la conscience en tant qu'entité interne séparée.

enfermée dans le corps, est un mythe. De la sorte: «By abolishing consciousness,

Nietzsche hoped to have abolished in one stroke both Hume's predicament and Kant's

solution to it» (7). Nietzsche fait en quelque sorte partie de cette tradition philosophique

s'étendant de Hume à Hegel, mais il clôt dans une grande mesure cette tradition; il y met

un terme.

Ainsi Nietzsche s'élève contre la pensée systématique (qui est l'un des traits

caractéristiques de la philosophie de ces penseurs), car les systèmes s'élaborent à partir de

certaines prémices et celles-ci ne sont jamais questionnées; et pour lui tout énoncé mérite

d'être questionné. De plus aucun système unique ne révèle la vérité; au mieux chacun

organise un point de vue ou une perspective. Alors qu'il faut, selon Nietzsche, considérer

plusieurs perspectives et un philosophe ne devrait pas emprisonner sa pensée dans un

système. Nietzsche désire remplacer le systématisme par l'expérimentation; il faut vivre

les problèmes.

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{

Tous ses prédécesseurs prennent pour acquis des faits bruts, or cela est une

aberration pour Nietzsche, car il n'existe rien de tel. D'après lui il n'y a que des

interprétations; il est impossible de passer par-dessus l'interprétation pour en arriver aux

faits bruts, elle est indépassable et inévitable. Et ceci, conjugué au fait que pour Nietzsche

tout soit en devenir (pas d'en-soi), lui fait dire qu'il n'y a pas de vérités absolues. Alors il

se demande pourquoi nous attachons tant d'imponance à la vérité. n s'interroge à propos

de la valeur de la vérité. Mais ne précipitons pas les choses et attardons-nous en

profondeur sur ce qu'est la pensée de Nietzsche quant à la connaissance et la vérité. Son

rejet des faits bruts l'amène à mettre de l'avant ce qu'il est convenu d'appeler le

perspectivisme.

Deuxième partie: Le perspectivisme, la vérité et la connaissance

2.1 La nature du perspectivisme

Pour Nietzsche une connaissance absolue du monde telle que supposée par la

philosophie classique (notamment chez Kant) est impossible. Car elle requerrait et

présupposerait la stabilité, que le monde soit fixe, qu'il soit un 'étant'. Or, pour

Nietzsche, le monde n'est pas figé. S'inspirant d'Héraclite, Nietzsche opte pour une

vision du monde où le flux est ce qui caractérise le monde. Le monde est en devenir.

L'ontologie nietzschéenne nous ramène à l'époque pré-socratique afin de nier toutes les

ontologies de l'être et de l'étant. À partir de Socrate, les philosophes ont fait fausse route,

aboutissant à une falsification du monde afin de le faire pénétrer dans les catégories de

l'être. Nietzsche s'oppose à toute cette tradition philosophique en signalant que tout est en

devenir. Pour lui la réalité est chaotique, c'est un flux en devenir permanent. Étant donné

sa position sur la nature du monde et de la réalité, Nietzsche repousse aussi la notion

'd'en soi'. n trouve cette notion contradictoire et insoutenable:

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«One would like to know what things-in-themselves are; but behold, there are no things-in-themselves! But even supposing there were an in­itself, an unconditioned thing, it would for that very feason he unknowable! Something uQconditioned cannot be known; otherwise it wou Id not be unconditioned! Coming to know, however, is always «placing oneself in a condition al relation to something.» (8)

Et il ajoute plus bas: «There are no 'fact-in-themselves', for a sens must always he

projected into them before there can be 'facts'» (9). Le monde est en mutation constante et

le réel est défini par notre relation au monde.

Nietzsche refuse de définir le monde selon les catégories de 'l'être' propres à la

philosophie traditionnelle. Il n'opère plus dans la sphère ontologique que cette

philosophie préconisait. Il substitue au concept d'être celui de vie afin d'indiquer que

l'être lui-même n'est qu'interprétation, car vivre c'est d'abord et avant tout évaluer·.

Jaspers fera dire à Nietzsche à ce sujet: «Du monde comme tout nous ne pouvons pas dire

ce qu'il est» (10). Et il poursuit en faisant remarquer que «Nietzsche met en garde contre

toutes les représentations du tout ... » (11). Dans La Volonté de puissance Nietzsche écrit:

«Profound aversion to reposing once and for a11 in any one total' view of the world.

Fascination of the opposing point of view: refusaI to be deprived of the stimulus of the

enigmatic» (12). Nous sommes dans le monde et son 'être' ne saurait être saisi par les

simples participants que nous sommes. Notre connaissance du monde est conditionnée

par notte présence au monde, par notre relation à lui, par notre interaction avec lui.

Qu'en résulte-t-il de notre connaissance du monde, du réel. etc.? Pour Nietzsche

notre savoir ne peut être qu'interprétation (résultat de notre interaction et présence au

monde). Donc pour lui tout savoir est interprétation et toute interprétation est perspective,

car elle découle de notre position et de notre enracinement dans le monde. Ainsi:

«Coming to know means 'to place oneself in a condition al relation to something'; to feel oneself conditioned by something and onesdf to condition it - it is therefore under aU circumstances establishing, de!loting,

• Et si vivre c'est tvaluCl, la connaissance que nous avons ou atteignons se situe dans le cadre de la vic et ainsi fait d'eUe aussi une 6valualion, ce qui fait dire à Nietzsche que la connaissance est aussi rauachée à la sph~re morale.

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and making conscious of conditions (not forthcoming entities, things, what is 'in-itself').» (13)

Notre connaissance provient toujours d'une (ou plusieurs) perspectives; il n'y a pas de

connaissance des faits en-soi, de même qu'il n'y a pas de vérité non-interprétée. La vie

humaine est nécessairement historique, sociale et biologique et c'est là le contexte

permettant l'émergence de toute connaissance. Richard Schacht dans son étude sur

Nietzsche affinne: «One of the things our knowledge cannot be, he argues, is a non­

perspectival, unconditioned apprehension of 'true being'» (14). L'être lui-même est une

partie de notre perspective plutôt que ce qui ultimement constitue la réalité. L'être est,

selon lui, une fiction ontologique propre à la tradition philosophique selon laquelle

l'existence de faits ne faisait aucun doute et contre laquelle il déploie sa doctrine du

perpectivisme. Nietzsche refuse et rejette toute entreprise fondationnelle au niveau

épistémique. Et dans ce qui passe pour être son énoncé le plus clair au sujet du

perspectivisme et que nous citons ici en entier il écrit:

«Gardons-nous en effet, Messieurs les philosophes, dorénavant contre cette vieille et d.angereuse affabulation conceptuelle qui a établi un 'sujet de la connaissance, sans volonté, sans douleur, intemporel', gardons-nous des tentacules des concepts contradictoires tels que 'raison pure', 'spiritualité absolue', 'connaissance en soi'; ce qui est toujours demandé ici, c'est de penser un oeil qui ne puisse être du tout pensé, un oeil qui ne doive être tourné dans aucune direction du tout, dans lequel les faces actives et interprétatives doivent se trouver bridées, doivent faire défaut, bien que voir ne soit voir-quelque-chose que grâce à elles uniquement, ce qui est donc toujours demandé ici c'est une inconcevable absurdité d'oeil. Il n'y a de vision que perpectiviste; et plus nous laissons de sentiments entrer en jeu, plus nous disposons d'yeux, d'yeux différents pour la même chose, plus complète aussi sera notre 'notion' de cette chose, notre 'objectivité'. Mais de principe éliminer la volonté, écarter tous les sentiments, à supposer que cela soit possible: comment? n'est-ce pas châtrer l'intellect? .. » (15)

Nietzsche de par sa doctrine du perspectivisme affmne que tout n'est que perspective

parce que tout est interprétation et que l'interprétation est le résultat de notre position dans

le monde. Donc la connaissance est essentiellement interprétative et perspectiviste:

«Knowing likewise for Nietzsche is al ways and inescapably a perspectival knowing, because it involves a process of interpreting on the part of creatures whose relations to that which they interpret affect their

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- interpretations - which relations are conditions, histories Ilnd circumstances.» (16)

Notre vision du monde, notre connaissance entière est dépendante de notre perspective,

de notre point de vue; en changeant ou modifiant notre perspective notre monde

deviendrait différent. Car l'activité même de la connaissance est, pour Niet7.sche, une

formulation du monde. Ainsi:

«Perspectivism implies that in order to engage in any <lctivity wc must nece3sarily occupy ourselves with a selection of material and exclude much from our consideration. Il does not imply that we sec or know an appeanmce of the world instead of that world Îtself. The perspective is Ilot the object seen, a self-contained thing which is independent of and incornparahle tn every other. What is seen is simply the world from that perspective.» (17)

Le perspectivisme est la tentative de Nietzsche pour remplacer l'épistémologie

traditionnelle par une compréhension de la connaissance qui ne pose pas une vision

comme étant finale et définitive. Cela nous montre non seulement que notre connaissallce

est limitée et masquée, mais aussi qu'il doit en être ainsi si l'on désire co.lI1aÎtre. Pour

Nietzsche la nature est silencieuse et notre langage lorsqu'utilisé nous condamnc à

l'erreur; or le perspectivisme est la solution à ce dilemme. On reconnaît alors, grâce au

perspectivisme, le caractère voilé du langage et de la pensée: ils masquent le réel (l R).

Notre existence entière est un handicap à l'apprentissage. Dans la même veine Niet7sche

va jusqu'à dire que nous n'avons pas l'appareillage nécessaire à la connaissance tellc que

voulue par la philosophie traditonnelle (19). Cependant le perspectivisme nous efllicignc

aussi qu'il est inutile de mettre de côté l'appareillage dont nous disposons.

La doctrine du perspectivisme n'entraîne pas que la connaissance ne soit pas possihle,

elle nie seulement que la connaissance absolue* puisse être obtenue. Et il affirme à cc

sujet: «In so far as the word 'knowledge' has any meaning, the world is knowahlc; hut

countless meanings. - 'Perspcctivism'» (20). La connaissance est possihle, selon lui,

seulement si certains fondements ont été acceptés et reconnus préalahlement. Il nous est

impossible de faire justice au monde avec l'aide seule de la connaissance, ceci requcrrait

* Telle que voulue et préconisée par la philosophie mélaphysique traditionnelle.

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un contact non médiatisé et transparent avec celui-ci. Cette doctrine implique qu'aucune

perspective ne mérite un privilège épistémique vis-à-vis d'une autre. De la sorte le

perspectivisme est une alternative au dogmatisme sévissant au sein de la philosophie

traditionnelle. Et ce, conune le fait remarquer Alan Seruift:

« •.• because human beings are situated bodily at a particular point in space, time, and history, their eapacity for knowledge is inevitably limited. Being sa situated, human beings are not capable of the 'objective', 'disinterested' observation of 'reality' that the tradition al account of knowledge demands. Rather, there are only evaluations made from a particular perspective. In partieular, Nietzsche's text focuses on three basic types of perspectives, which can be grouped under the headings 'physiologieal', 'instinctual', and 'socio-historiea!', eaeh of whieh rlaees cenain inherent limits on what it is that human beings can 'know'.» (2 )

Nous sommes physiologiquement limités, nous ne pouvons nous échapper, nous séparer

de ce que 110US livrent nos sens et nos divers organes (cf. Aurore #117). Ce sont nos

besoins, nos désirs, nos affects et instincts qui déterminent dans une grande mesure ce

que l'on 'sait'. De plus nous sommes aussi situés socio-historiquement ce qui détennme

et limite l'envergure de notre connaissance, notre situation sociale et historique nous dicte

ce qui est vrai et réel. Les perspectives sont inévitables (on ne peut s'en départir),

indispensables (elles sont notre voie d'accès au monde) et fausses (elles falsifient pour

nous permettr~ de survivre) (22). Ainsi ne peut-on parler de perspectives vraies et justes,

mais seulement de perspectives prédominantes ou hégémoniques. Chaque perspective par

un cenain jeu de forces tente de s'imposer* aux auttes. Ce jeu de forces est constitué par

nos besoins, nos désirs et nos affects. Chacun d'entre eux cherche à régner, chacun a sa

perspective qu'il voudrait imposer aux autres à titre de nonne (23).

Pour Nietzsche, comme nous l'avons déjà mentionné, la pensée ou la connaissance

ne peut tout circonscrire. «Le sujet épistémologique est nécessairement situé, son champ

de connaissance est fini, et donc aucune perspective n'épuise la richesse du réel» (24).

Suivant ce raisonnement l'interprétation basée sur la perspective est l'unique résidu. Et

puisque tout est en devenir et que toute connaissance est interprétation perspectiviste,

• Les perspectives sont issues de la volont6 de puissance. voir plus bas 2.3.

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Nietzsche substitue la notion d'interprétation à celle de vérité. Donc la doctrine

perspectiviste de Nietzsche nous donne une description de ce que l'on peut savoir et non

de ce qui est; étant donné que ce qui nous est accessible ne sont que des interprétations

perspectivistes du réel.

Le rapport entre perspective et interprétation s'établit comme suit: la perspective est

quelque chose d'indéterminé, non spécifique et non organisé; l'interprétation est l'activité

organisatrice, le principe donnant forme et vie aux perspectives. En quelque sor te

l'interprétation est l'élément apollinien donnant fonne au principe dionyshtque Gue sont

les perspectives. Interpréter, selon Nietzsche c'est estimer, c'est étublir une échelle ou ulle

hiérarchie typologique des valeurs. De plus l'interprétation n'est jamais définitive, clic ne

nous livre pas la vérité absolue, d'ailleurs interprétation et vérité absolue se repoussent

mutuellement, car l'interprétation est en devenir constant et la vérité ahsolue,l1uant à elle,

nécessite que tout soit fixe, définitif et stable à jamais. Cette doctrine implique ulle

création interprétative au niveau de la connaissance et de la vérité. Connaissance ct vérité

sont le fruit de perspectives dominantes ou hégémoniques prévalant à cel instant. Ce que

l'on prend pour vrai ou connaissance sûre ne s'avère être qu'erreurs nous permettant de

nous maintenir dans le monde.

2.2. Vérité et connaissance comme erreur nécessaire

Nous venons de voir que Nietzsche élabora une vision perspectiviste de la

connaissance et ce en réaction à la tradition philosophique et métaphysique"'. Cette

démystification métaphysique qu'il effectue, consiste aussi à démontrer que la vérité n'esl

qu'une fiction nécessaire à certains vivants étant donné leur condition. Donc pour lui la

question relative à la vérité ne doit pas être de type ontologique puisqu'à ce niveau cc que

• Pour Nietzsche la philosophie métaphysique traditionnellc ,,'étclld dc Socrate JII ... qll·à Schopenhauer. Socrate est, d'après lui, celui qui fit de la raison l'instance suprême, c'cst lUi qUI cst à la ha~c de la vision (ou perspective) erronée et dualiste du monde (monde apparent/monde de .. Idéc1l). Sthop('nhaucr représente le dernier échelon de celle longue tmdition philo'iophique ct déjà Nld/o,che voit pOIndre chel lui des signes d'émancipation face à ce mode de pensée. NiclZ ... che s'efforce dOliC d'élimincr de façon définitive cette tradition et d'amorcer quelque chose de neuf, différent ct 'iupéneur.

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l'on perçoit comme de 'l'être' n'est en fait que perspective. Elle doit plutôt être adressk

de manière réaliste afin de voir l~ rôle qu'a véritablement la vérité. Et Nietzsche prétend

qü'elle n'est, tout comme la connaissance, qu'une fiction ou erreur* nécessaire.

C'est là le côté utile ou pragmatique de ces deux notions. Ainsi nos vérités et notre

connaissance ne sont pas des descriptions exactes d'une r6alité transcendantale, mais

simplement des énoncés qui fonctionnent et de la sone servent à notre survie. La vérité et

la connaissance pragmatique sont des sones d'erreurs (étant donné leur caractère

perspectiviste) sans lesquelles une cenaine espèce de creatures ne pourrait survivre. C'est

pourquoi:

«In mis regard, Nietzsche endorses scie:1ce**, as long as it does not credit itself with having done more th an it has actually achieved. For example, discovering the truth. It has not done that. For there is none to discover.» (25)

Donc au niveau pragmatique (aspect utile) la vérité joue le rôle d'une valeur. La

connaissance et la vérité sont des perspectives pratiquement indispensables, car elles

rendent le monde control able ce qui nous permet de nous préserver. La connaissance et la

vérité sont des interprétations perspectivistes selon un schème dont on ne peut se passer.

Étant des interprétations perspectivistes elles sont donc des fictions et Nietzsche constate

que certaines de ces fictions ont acquis tant de valeur qu'elles deviennent des énoncés

inquestionnés; or pour Nietzsche il appert que tout énoncé mérite d'être questionné. n demeure que, pour lui, ces interprétations perspectivistes ne sont que des créations qui

pennettent à des êtres de notre espèce de se maintenir.

Ces deux notions ont donc un caractère essentiellement anthropomorphique et social.

Ainsi dans son essai intitulé Introduction théorétique sur la vérité et le mensonge au sens

extra-moral Nietzsche se demande, ayant préalablement diagnostiqué que l'illusion et le

• La vérité et la connaissance sont des fictions. car en rait ces deux notions teUes que réclarn~ par la métaphysique traditionnelle sont inacessibles étant donné que tout est perspective. Mais ce sont des fictions ou erreurs nécessaires puisqu'eUes assurenlle maintien de l'existence .

•• Nous examinerons plus auentivemenlles rapports que Nietzsche enttetient avec la science au chapitte suivanL

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- mensonge sont ce qui compose notre réalité, d'où peut provenir l'instinct de vél ité (ou ce

qu'il appellera plus tard la volonté de vérité), et fournit la réponse suivante:

«Dans la mesure où, face aux autres individus, l'individu veut sc conserver, c'est le plus souvent seulement pour la dissimulation qu'il utili'\c l'intellect dans un état naturel des choses: mais comme l'homme à la fois par nécessité et par ennui, veut exister socialement et grégairemcnt. il a besoin dl' conclure la paix et cherche, conformément à cela, à ce qu'au moins disparaisse de son monde le plus grossier 'bellum omnium contra omncs'. Cette conclusion de paix apporte avec elle quelque chose qui ressemhle au premier pas en vue de l'obtention de cet énigmatique instinct dc vérité.» (26)

Dès lors s'établit, d'après lui, la distinction toute sociale entre mensonge ct vérité. La

vérité est à la base une affaire sociale*. D'ailleurs il dira:

«Le menteur fait usage de désignations valables, les mots pour faire que l'irréel apparai~se réel: il dit, par exemple, 'je suis riche', tandis que, pour son état, 'pauvre' serait la désignation correcte. Il mésuse des conventions fennes au moyen de substitutions volontaires ou d'inversions de noms. S'Il fait cela d'une manière intéressée et surtout préjudiciuble, la société ne lui accordra plus sa confiance et dès lors l'exclura.» (27)

Par la suite Nietzsche ajoute quelques observations psychologiques et fait fCmarquer que

les hommes ne craignent pas tant «le fuit d'être trompés que le fait de subir un dommage

par la tromperie». À ce niveau les hommes ne haissent pas l'illusion, mais plutôt <des

conséquences fâcheuses et hostiles de certaines sortes d'illusions. C'est dans un sens

aussi restreint que l'homme veut seulement la vérité) (critère d'utilité): «il convoite les

suites agréables de la vérité, celles qui conservent la vic», et non la vérité pure

transcendentale telle que mise de l'avant par la métaphysique traditionnelle (2R).

À la question: qu'est-ce donc que la vérité? Nietzsche rétorque dans cc même c'i'iai

qu'elle est:

«Une multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d'anthropomorphismes, bref, une somme de relations humaines qui ont été poétiquement et rhétoriquement haussées, transposées, ornées, Cl qui, LIJlIèc,

• Mais le fait social n'est pas la provenance originelle de la v~rllé. La "oclété tout au plu,> éveille ulle tendance morale à la vérité (parce que nou" sommes obligés de co·hahlter). Cr n'c ... ' qlle pill" l:lfIl qllc Nietzsche inclura la vérité comme sous-catégorie de la Volonté de Puis'iancc d.2.1.

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un long usage, semblent à un peuple fennes, canoniales et contraignantes: les vérités sont des illusions dont on a oublié qu'elles le sont, des métaphores qui ont été usées et qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaie qui ont perdu leur empreinte et qui entrent dès lors en considération, non plus comme pièces de monnaie, mais comme métal.» (29)

La vérité pour Nietzsche ne serait donc qu'un 'durcissement' de perspectives; des

perspectives qui se figent et qui demeurent, des perspectives devenues des dogmes dont

on n'ose plus contester la validité. Notre vérité découlant du fait social ne peut être

qu'anthropomorphique et Nietzsche fournit ceue illustration:

«Quand je donne la définition de mammifère et que je déclarl!, après avoir examiné un chameau, 'voici un mammifère', une vérité a certes été mise au jour*, mais elle est néanmoins de valeur limitée, je veux dire qu'elle est entièrement anthropomorphique et qu'elle ne contient pas un seul point qui soit 'vrai en soi', réel et valable universellement, abstraction faite de l'homme.» (30)

Ici encore Nietzsche nie l'idée de vérité telle que présentée traditionnellement:

correspondant à la chose en soi. On remarque que le jeulle Nietzsche se situe encore dans

le giron de la problématique kantienne**. mais s'inscrit en faux. face à elle. Il effectue

alors ce que certains ont appelé une réduction anthropomorphique de la révolution

copernicienne de Kant. Nietzsche constate qu'il n'y a pas de vérité absolue, mais

seulement des vérités anthropomorphiques.

Selon Nietzsche il n'y a ni esprit, ni raison, ni pensée, ni conscience, ni âme, ni

volonté, ni vérité: toutes sont des fictions inutiles sinon dans la vie grégaire. Il n'y a pas

de question d'objet et sujet, mais seulement une espèce particulière d'animaux qui peut

prospérer seulement à l'aide d'une certaine régularité de ses perceptions sans quoi elle

périrait (31). Et c'est ce qu'ont pennis jusqu'ici des concepts tels la vérité et la

connaissance, ils ont figé le réel afin de le rendre confonne à nos perceptions. Nietzsche

• On l'omllllr il'! qu'il prul y avoir des vélllés de type axiologique (axiome de type: si A>B et B>D alors A>D), c'rsl·à·lhre qu',1 peut s'mSl&\Urer une logique interne et propre au langage penneltanl une grande rl'Cllludr. Mm .. le langage ne peut toucher les choses telles qu'elles sont, car il tend à figer ce qui pourt4lnll'st en devenir. D'ailleurs il affmne que de lclles vérités sont limitées .

•• Pour Kant la l'onnmss<UlCC de la connUlssance permettra une connaissance absolue.

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- fait un procès critique de la vérité et de la connaissance teUes qu'utilisées jusqu'à lui ct

rend un verdict selon lequel elles ne sont que des instntments permettant à notre rSI~c~ de

se maintenir et d'augmenter sa puissance*. Car pour que l'homme puisse se maintcllIr ct

pour qu'il puisse progresser il lui faut ê(re en mesure de calculer, de comprendre el de

rendre constant et familier ce qui l'entoure. Ainsi, «The utility of preservation --- not

sorne abstract-theoretical need not to be deceived - stands as the motive hehind Ihe

development of the organs cf knowledge - they develop in sueh a way Ihat Iheir

observations suffice for our preservation» (32). C'est ainsi que Nietzsche incorpore la

vérité et la connaissance au sein dc l'ensemble llu'estla Volonté de Puissance (cf. 2 3. \,

Notre connaissance et nos vérités sont selon lui la consélJuence de nos conditions

d'existence: «We would not have it if wc did not need to have il, and we would not have

it as il is ifwe did not nccd to have il as it is, if we could live olherwise» (33). De la .. orle

Nietzsche réintègre la vérité et la connaissance dans l'ensemble 'métaboliquc'. La vérité ct

la connaissance sont de retour dans Ic corps. Notre pensée, notre connaifs,mcc cl nos

vérités sont un véritable lit de Procruste; on arrange nos connaissances nouvelle., alin

qu'elles puissent correspondre aux schèmes déjà existants. Notre appareillage servant à la

connaissance n'est pas orienté vers la connaissance pUle, mais vise plutôt li prendre

possession des choses. Par la connaissance on s'approprie le réel afin d'assurcr noIre

survivance (34)**. Donc la première et véritable intention inhérente à la connaissance cl à

la vérité est de nous illusionner de manière utile. Grâce à elles l'homme rédlllt la

multiplicité mouvante à un schéma figé, controlable et utile. Nietzsche conclut donc qlle

c'est par un préjugé moral que nous accordons plus de valeur à la vérité qu'au mcnsonge

ou à l'illusion.

La catégorie des vérités et de la connaissance humaine. est indissociablement liée au

domaine du discours dans lequel elles apparaissent. Elle est donc comme tout cc qui nous

• Voir plut; bas 2.3 . •• On constate ici le double aspect que recèle la connaissance scion Nietzschc; d'une pmt cn <;'appropn:tlll

le réel elle s'affinne comme Volonté de Puissance et d'autre part en a'isuranl noIre survivallcc clic tienl un rôle utilitaire, pragmatique.

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( concerne perspectiviste. Et comme le mentionne Ang~le Kremer-Marietti: «La th60rie de

la vérité humaine en général est donc pour Nietzsche le perspectivisme, la vérit6 est

perspective sur le ~l: le perspectivisme du monde, la seule vmt6 valable à l'endroit du

monde» (35). La connaissance et la v6rité ne correspondcnt pas à la réalit6, mais à notre

vision perspectiviste de la réalité. Certains ont cru à l'instar· d'Anhur Danto que la

conception de la vérité nietzschiéenne 6tait pragmatiste, c'est-à-dire que pour Nietzsche ce

qui est vrai ~uivaudrait à l'utilité. Cependant une telle conception est selon nous elTOnée,

car elle ignore certaines idées clef de sa philosophie et Nietzsche n'identifie pas ce qui est

vrai à ce qui est utile tel qu'entendu par Danto. Nietzsche tout au plus constate-t-il que

l'on prend pour vrai ce que l'on considère atte utile. Danto confond ce que Nietzsche voit

s'opérer dans la réalité avec son opinion de ce qu'est la vérité. Danto nXsinterpltte

Nietzsche et prend son analyse comme étant sa vision de la véri~. Pour lui la v6ri~

pragmatique ou vitale est toute de même une erreur. Connaissance et vérité, pour

Nietzsche, sont intiment liées, elles sont imbriquées puisque la connaissance consiste en

un 'FOr-wahr-halten' (tenir pour vrai).

Contrairement à Kant pour qui la limite de la connaissance dépendait de la défmition

de la connaissance, Nietzsche affirme que la connaissance est limitée parce que nous

sommes humains et que cette connaissance ne peut être qu'humaine et non absolue. En

fait pour Nitzsche chaque vivant·· affirme dans sa position idiosyncratique et

perspectiviste sa vérité: «Chaque espèce appelle 'vraies' ses propres perspectives et

'fausses' celles des autres parce qu'elles ne lui pennettent pas de subsister» (36).

L'analyse nietzschéenne révèle aussi que la vérité est une manifestation de la Volonté

de Puissance et peut prendre différents visages selon qu'elle est mue par une ou une autre

force. Suite à ce qui précède on constate que la vérité et la connaissance sont les fruits du

perspectivisme, de la perspective humaine, donc elles sont condamnées à être

anthropomorphiques. Et certains passages de ce que l'on retrouve ci-haut nous ont aussi

• Comme Mary Wamock. •• Pas seulement l'homme; «Pour la plante le monde est tel et tel, pour nous tel et tel - Le livre du

philosophe. Premier essai 11102. p.l09.

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permis de constater qu'en plus d'être le fruit du perspectivisme. la vc!rit6 et la

connaissance sont aussi des manifestations de la Volonté de Puissance.

2.3 Vérité et connaissance comme Volonté de Puissance:

En plus de constater que toute connaissance ou vérité est le fruit d'une ou plusieurs

perspectives. Nietzsche pn!tend que la vérit6 et la connaissance sont des volontc!s de vérit6

et de connaissance qui à leur tour ne sont rien d'autre que des manifestations de la volont6

de Puissance. À la question: comment opère ou quelle est la nature de la connaissance et

de la vérité? Nietzsche répond qu'elles sont des manifestations de la Volonté de

Puissance, qu'elles proviennent en quelque sone de la Volonté de Puissance. Dans

l'ouvrage portant ce titre il écrit: «The s~ca11ed drive for knowledge can he ttaced back to

a drive to appropriate and conquer: the senses. the memory. the instincts, etc. have

developed as a consequence of this drive» (37). Le perspectivisme est donc indépassable,

c'est ce qu'est obligatoirement toute connaissance. Mais la Volonté de Puissance est le

principe actif sous-jacent à chaque perspective.

Le perspectivisme lui-même entraine nécessairement la Volonté de Puissance selon

Nietzsche et le passage qui suit l'illustre bien:

«Perspectivism is only a complex fonn of specificity. My idea is that every specific body strives 10 become master over al1 space and to extend its force (-its will to power) and to thrust back all that resist its extension. But it continually encounters sunHar effons on the part of other bodies and ends by coming to an arrangement ('union') with those of them that are sufficently related to it: thus they then conspire together for power. And the process goes on -.» (38)

Les perspectives sont donc is~ues d'un jeu de forces. chacune ayant, recelant sa propre

Volonté de Puissance. Donc perspectivisme et Volonté de Puissance sont imbriqués l'un

dans l'autre. Le perspectivisme c!pouse les structures de la Volont6 de Puissance; il est lui

aussi Volonté de Puissance:

2S

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(~

«ft is our needs that interpret the world; our drives and their For and Against. Every drive is a kind of lust to rule; each one has ils perspective that il would Iike to compel ail the other drives to accept as a nonn." (39)

Et comme la connaissance et la vérité sont des perspectives, ils sont donc aussi des

manifestations de la Volonté de Puissance. D'ailleurs pour Nietzsche connaître c'est

s'approprier, conquérir et Conner le réel. L'appropriation, la conquête et la fonne sont des

manifestr.tions résultant du jeu de forces qui, lui, est l'expression de la Volonté de

Puissance. La connaissance provient d'un déploiement de force. Diverses forces sont en

lutte constante pour la domination et pour s'établir comme nonne. Ces forces sont en

combat lorsque l'on se prête à l'exercice, à l'acquisistion de la connaissance. Cette lutte

de forces finit par contribuer à l'établissement d'une hiérarchie à laquelle par la suite nous

obéissons. La connaissance n'est donc pas, selon Nietzsche, un pur savoir émanant de

notre activité rationnelle. Elle est le produit de la Volonté dr Puissance sous fonne de

combat entre certaines forces dont cenaines parviennent à triompher et ainsi s'assurent le

triomphe et deviennent ce que )'on appelle connaissance.

Le diagnostic de Nietzsche, voulant que la connaissance finalement se développe dans

le but d'assurer notre préservation et selon lequel elle s'avère n'être qu'une erreur

nécessaire. exprime le triomphe d'un certain jeu de force. Il dit:

« ... the measure of the desire for knowledge depends upon the measure to which the will to power grows in a species: a species grasps a certain amount of reality in order to become master of it, in oroer to press it into service.» (40)

Tel que le constate Nietzsche la connaissance est une erreur nécessaire mise de l'avant

dans ce cas particulier par notre instinct de présevation qui, lui, est une manifestation

quelconque de la Volonté de Puissance.

De façon globale, Nietzsche constate que la connaissance est quelque chose d'effréné,

sans borne, qui toujours veut élargir le 'connaître'. Il y a donc une volonté de savoir au

sein de la connaissance. Et pour Nietzsche cette volonté de savoir est elle-même une

mllnifestation de la Volonté de Puissance. C'est l'un des masques que revêt la Volonté de

Puissance. Outre cela la volonté de savoir est intimement liée à la volonté de vérité. Le

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vouloir connaître est en quelque sorte rnO et associ~ li la Volont6 de vérité, tout comme la

volont~ de vérit6 implique le 'vouloir savoir'. Tous deux fonctionnent de pair et sont des

manifestations de la Volonté de Puissance. Or Nietzsche répugne et craint le savoir à tout

prix. D'ailleurs d6jà dans le premier essai du Livre du pl.ilosopl.t il éprouve du dégo(\t

pour la connaissance sans borne: «L'instinct· de la connaissance sans discernement est

semblable à l'instinct sexuel aveugle - signe de vulgarité» (41).

Le vouloir savoir et la volonté de vérité sont des manifestations néfastes de la Volonté

de Puissance. car ils ne sont pas au service de la vie; ils sont même des éléments

négateurs de la vie, puisque d'après lui il semble que la vie soit montée en vue de

l'apparence, qu'elle vise à 6garer, à duper, à dissimuler, à éblouir. à aveugler. Donc

vouloir ne pas tromper les autres ni soi-même est alors un principe destructeur, ennemi de

la vie. Donc vouloir le vrai ce pourrait être, secrètement, vouloir la mort (42). Ce vouloir

effréné de la connaissance du vrai provient d'une croyance millénaire: la foi chrétienne,

qui fut aussi celle de Platon, pour qui le vrai s'identifie à Dieu et toute vérité est divine

(43).

Tout pour Nietzsche est Volonté de Puissance. la vie elle-même est Volonté de

Puissance. Tout ce qui existe tend à croître, à manifester sa puissance (44). Et ln

connaissance n'échappe pas à la Volonté de Puissance: «Et toi aussi, toi qui accèdes à la

connaissance, tu n'est qu'un sentier et la trace des pas de ma volonté: en vérité, ma

volonté de puissance marche aussi sur les jambes de ta volonté de vérité» (45). Toute

estimation est Volonté de Puissance et vivre c'est estimer, alors tout ce que comporte lu

vie est relié à la Volonté de Puissance. On pourrait dire avec Nehamas: «The will to truth

is not a surface manifestation of what uItimately is only will to power; it just is the will 10

power in the context of investigation» (46). Jean Granier dans sa longue et précieuse

étude sur Nietzsche affinne:

• Le jeune Nietzsche utilise des expressions rappelant la terminologie darwinienne, mais il rcjcllcra ce vocabulaire plus lard pour le remplacer par le sien; ainsi l'instinct de connaissance deviendra la Volonté de Puissance. Au-delà de celle mutation terminologique. le sentiment de Niet7.sche à l'égard de la connaissance persiste.

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«Pour Nietzsche, la connaissance est une o~ration qui relève de la Volonté de Puissance pour autant que celle-ci s'efforce de dompter le devenir et de l'enchainer dans les filets de ses catégories intellectuelles.» (47)

La connaissance vise à annexer, à s'approprier, à régenter le réel. Et étant donné que la

connaissance traduit une violence que chaque centre de Volol1té de Puissance fait à la

réalité elle-même, une interprétation cognitive est nécessairement une falsification. Car la

connaissance c'est aussi la mise en forme du devenir et de la sorte agit de manière

coercitive. Granier décrit cette facette de la Volonté de Puissance comme suit:

«II y aura, ainsi, un moment du déploiement de la Volonté de Puissance qui coincidera avec la libre production d'interprétations fixes, investies d'une fonction régulatrice, et c'est ce moment que nous appelons le 'pragmatisme vital'; il concerne l'instauration d'un monde où le critérium du vrai sera l'utilité pour la vie.» (48)

La connaissance est une oeuvre qui manifeste dans tout son éclat le génie plastique de la

Volonté de Puissance comme exigence dionysiaque d'engendrer sans cesse des formes

apolliniennes.

Cette mise en fonne du devenir qu'est la connaissance est la proie du jeu de force qui

est à la base de tout. C'est pourquoi il peut prendre différentes formes; ainsi il peut, d'une

part, prendre la forme du pragmatisme vital, c'est-à-dire «ce qui est utile à un certain type

de vivants (cf. 2.2.), et comme ce type de vivants peut dans certains cas incarner la

Décadence, alors ce qui est utile à ce type de vivants est en fait nocif à la vie, en tant que

cette vie désigne, non plus celle de cet individu-ci ou de cette espèce-ci, mais la vie

ascendante, la Volonté de Puissance affirmative',> (49) qui acquiesce à l'aspect tragique de

la vie et la rehausse. Et d'autre part peut prendre la forme d'une philologie irréprochable.

Ces deux fonnes que peut prendre la connaissance sont deux aspects d'une seule et même

chose: la volonté de savoir qui, elle, est un sous-produit de la Volonté de Puissance. Car

pour Nietzsche: «toute attribution d'un sens est symptôme de croissance ou de mort»

(50). Et bien qu'il y ait, selon lui, incompatibilité entre l'épanouissement de la vie et le

service loyal de la vérité, «cette conclusion n'invalide pas la légitimité de l'impulsion

conduisant à la connaissance, elle ne discrédite pas l'idéal de la philologie rigoureuse, elle

établit seulement que nous n'avons pas le droit d'ériger la justice et la véracité en normes

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absolues» (51). Ce qu'il faut c'est une auto-limitation de la volonté de savoir. Il faut

maîtriser l'instinct effréné de la connaissance. Car: «For Nietzsche, the dogmntic 'will to

truth' and 'desire for certainty' are harnlful and symptoms of decadence, for these

impulses rob existen~e of its 'marvelous uncertainty and rich ambiguity'» (52). Or

Nietzsche reconnaît être lui-même mO dans ses travaux par cette volonté de savoir.

Voyons donc quelle forme elle prend chez lui.

2.4 La philologie, la généalogie et la connaissance

De par sa formation académique Nietzsche est philologue et il exerce parfois sa

profession pour nous faire découvrir les différentes perspectives que projette hl Volonté

de Puissance. Pour ce faire il effectue ce qu'il baptise la généalogie des concepts. Ainsi:

«Parce que tout concept a une histoire, la philosophie nouvelle qu'instaure Nietzsche est essentiellement 'historique'. Elle révèle le 'devenir' inclus dans chaque concept, démasque derrière l'abstraction, la généralité, l'unité du terme, la mutiplicité des métaphores qu'il enfenne el leur transformation au cours du temps.» (53)

Grâce à l'étymologie et la philologie généalogique Nietzsche découvre des origines

multiples, éparses et diffuses. La deuxième dissertation de la Généalogie de la morale

établit que le châtiment n'a pas un seul, mais plusieurs sens; il prend autant de sens

différents qu'il y a de forces qui s'en emparent. Et la troisième dissertation du même

ouvrage montre que t'idéal ascétique n'a pas une essence, mais une multiplicité de sens,

variables selon qu'un artiste, un savant, un philosophe, ou un prêtre le poursuivent (54).

Les concepts prennent divers visages, illustrent diverses perspectives dépendamment

qu'ils manifestent diverses Volontés de Puissance. Par la généalogie Nietzsche illustre ses

doctrines du perspectivisme et de la Volonté de Puissance.

La philologie généalogique lui fait voir aussi que les volontés faibles ne peuvent

imposer leur sens que par réaction, en renversant, défigurant, déplaçant le sens attribué

par les forts. Donc la philologie généalogique permet à Nietzsche, en plus de démontrer

que les origines sont multiples, de hiérarchiser, d'établir des distinctions entre les

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époques, les peuples et le rang des individus. Et cette hi~rarchisation s'organise autour du

seul critère valable aux yeux de Nietzsche, soit l'affirmation et le rehaussement de la vie.

La généalogie fait apparaître la perspective comme telle et reconnaît celle·ci comme

l'expression d'un rapport hiérarchique entre diverses forces où la spontanéité,

l'agressivité, la conquête et l'uswpation carac~risent la volon~ des forts et où la œaction,

le ressentiment et la soumission caractérisent celle des faibles. La philologie généalogique

permet à Nietzsche de distinguer entre les fons et les faibles en rapport avec l'affirmation

et l'acceptation de l'existence dans son entier.

Lorsque Nietzsche fait de la philologie généalogique il ne met pas de côté sa doctrine

perspectiviste. Ainsi Nietzsche refuse de prendre à la lettre ce qu'il étudie, car ce qu'il a

devant lui ce ne sont pas des faits, mais des interprétations relatives aux conditions et aux

milieux qui leur ont donné naissance (55). La philologie rigoureuse· ne vise pas à

reconstituer le sens vrai de ce qui 'est', car ce qui 'est' est déjà le résultat d'interprétations

par certains vivants pour qui la catégorie de 'l'être' est vitale (cf. 2.2). Elle n'a pas non

• Nietzsche utilise la philologie de manière particulitre et personnelle, mais la rigueur n'est pas pour autant affectée. Lorsqu'entre les mains de Nietzsche. la philologie cherche à être probe. vûace et juste. Sarah Kofman écrit à ce sujet

«EUe est probe et vérace parce qu'elle présente son interprétation comme une interprétation et que sa propre lecture est dépouillée de la perspective 'humaine. trop humaine'; elle est correcte et rigoureuse parce que derrière toute interprétation elle lit l'inteprétation initiale constitutive du texte de la nature; non parce qu'eUe prend pour mesure une 'vérité du monde' qui ne lui préexiste pas. mais parce qu'elle déchiffre généalogiquement, c'est-à-dire en lisant derrière tout texte constitué les intentions dernières de son auteur, en dernière analyse toujours morales, en déchiffrant les pMnomènes comme symptômes de santé ou de maladie de celui qui interprète. Cette interprétation est guidée par une intention dernière contraire à la précédente, l'aff"mnation de la vie.» S. Kofman. Ibid. p. 201.

Et plus bas elle ajoute:

«La philologie rigoureuse dévoile l'interprétation comme interprétation au nom d'une autte interprétation qui ne prétend pas saisir l'essence de l'être mais qui donne une lecture révélatrice d'une volonté affumative de la vie.» Ibid. p. 204.

Alors que la philosophie classique consiste à lire correctement, celle de Nietzsche en plus de lire correctement lit de façon critique, ouvene, multiple ct lente. Il faut ruminer, réfléchir et déchiffrer: «Philology. in contrasl, must keep the question of interprelation open, for 'there is no sole saving inrerpretation'». Alan Schrift, ibid, p. 102.

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plus pour but de séparer le texte de ses interprétations afin d'atteindre le texte originel de

"l'Homo Natura' - ce qui n'est guère possible. car il n'y a pas "d'Homo Natum' et parce

que l'inteprétation est aussi ce qui constitue le texte - mais vise plutôt à distinguer les

interpœtations premières qui résultent de l'évaluation spontanée des instincts, dell

interprétations secondes et secondaires qui en sont souvent le masque:

«En fait. Nietzsche n'exige pas qu'on sépare le 'texte' et les "interprétations', mais le texte, c'est-à-dire l'inteprétation originaire <lue d~gage la probité philologique, de certaines interprétations, de celles seulement qu'il qualifie de 'vaines et fumeuses', celles qui ont été 'griffon~es et barbouillées' - interprétations qui se masquent comme telles et qui masquent que le texte est le produit d'une interprétation .•• (56)

Par la généalogie Nietzsche juge les interprétations en les confrontant à la vic. De la sorte

cette méthode sert la vie de manière critique elle ne fait pas simplement justifier ce qui

'est' par leur provenance.

La philologie généalogique ne cherche pas à décrire le monde tel qu'il est- cela élant

impossible parce qu'il est en devenir constant - mais plutôt tente de délimiter la manière

par laquelle les choses sont transformées en faits:

«Nietzsche tries to bring out precisely how a particular world is put together and made a world; he shows thereby that that world has not Ilalural necessity. Indeed, for Nietzsche, no world has any justification - Ilor can il. since it must repose on human action.» (57)

Elle cherche plutôt à respecter loyalement le texte, laisser le réel se présenter à nous tel

qu'il est. sans chercher à en maquiller les aspects qui nous déplaisent ou qui nous

blessent; n'est-ce pas là agir selon la loi même de justice'! Donc tous ne sont pas aptes à

effectuer une bonne philologie, certains l'exercent de façon erronée. De plus Nietzsche

prétend, malgré la prolifération des interprétations que permet la philologie, que toutes ne

sont pas de valeur égale. ainsi «toute attribution d'un sens est, pour Nietz~che comme

nous l'avons vu précédemment (p.28), symptôme de croissance ou de mon».

Donc certaines généalogies peuvent être erronées. d'ailleurs Nietzsche désavouera

celle de Paul Rée et celles aussi des généalogistes moraux britanniques parce que

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superficielles. La généalogie - combinée à )a philologie - telle que prônée par

Nietzsche révèle diverses formes de Volont~ de Puissance et certaines sont plus

affirmatrices de l'existence que d'autres. L'interprétation du philologue est ainsi

symptômatique de la force guidant la Volonté de Puissance du philologue. La généalogie

n'est pas seulement la recherche de l'origine des valeurs, mais pose aussi une

appréciation de la valeur de l'origine. Pour Nietzsche: «II ne suffit pas de dresser la fiche

signalétique d'une certaine 'morale', il faut encore interpréter cette morale en lui

adjoignant un coefficient déterminé de valeur» (58). Globalement la philologie

généalogique permet à Nietzsche de porter un jugement évaluatif critique des diverses

interprétations du monde. Donc malgré qu'à prime abord perpectivisme et philologie

semblent se repousser on constate qu'il se sert des deux conjointement, qu'ils sont

imbriqués. C'est pourquoi il n'est pas étonnant de retrouver l'énoncé le plus clair de

Nietzsche sur le perspectivisme dans son ouvrage intitulé La Généalogie de la Morale.

Donc tout ce qui précède fonne les vues de Nietzsche quant à la connaissance et tout ce

qui s'en rapproche ou le concerne. Tout, selon lui, est perspective illustrant, exprimant

une Volonté de Puissance. Le pragmatisme vital ou la connaissance comme erreur

nécessaire est le constat auquel en arrive Nietzsche lorsqu'il édudie et analyse sa société et

la pensée dominante au sein d'elle. La philologie généalogique lui pennet d'évaluer.

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-

Troisième partie: Les problèmes inhérents à la philosophie nietzschienne en ce qui a trait à la connaissance.

3.1 Problèmes relatifs à la généalogie:

Tout ce qui précède n'est pas sans occasionner cenains problèmes de cohérence nu de

logique. Ce que Nietzsche met de l'avant n'est pas sans tensions internes sernble-t-i1.

Selon cenains auteurs"'· la généalogie mène à une prolifération des interprélaltions, or on

constate que Nietzsche met de l'avant cenaines interprétations plutôt que d'alutres. D'une

part la généalogie en accord avec le perspectivisme légitirnise la proliférntion des

interprétations, et d'autre part lorsqu'exercée à certains moments par Nietzsche elle

semble privilégier certaines interprétations. Granier relève cette tension relative à la

problématique propre à l'interprétation dans les tennes suivants:

«Tantôt le texte s'effrite en une multitude d'interprétations dont chacune peut revendiquer pour sa justification le critère de 'l'utilité' vitale (de la 'valeur'); tantôt le texte paraît récupérer une indépendance complète par rapport aux interprétations et receler en lui un sens univoque, que le bon philologue aurait pour tâche de restaurer dans sa vé.ité-originaire.» (59)

Nietzsche semble tergiverser tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. D'abord Nietzsche

met l'emphase sur la multiplicité des interprétations possibles dont aucune ne peut,

semble-t-i1, jouir d'un statut privilégié. En contrepartie l'activité même de Nietzsche

semble vouloir fournir une interprétation qui se présente comme vraie ou vérace. Celle

position paradoxale repose, selon Jean Granier, sur le fait que Nietzsche soumet la vérité

à la valeur qu'elle peut avoir pour la vie et au rait que Nietzsche poursuit l'idéal de la

vérité voulant que l'on arrive à une interprétation adéquate du réel.

• Ce qui suit consiste en un bref exposé dcs problèmes que rencontrent les thèseli nic17schécnncli par rapport à la connaissance; parfois nous nous sommes risqué à propo'ICr certaines solution'! ou nou'! avons pris parti pour l'un ou l'autTe clan à propos de certaines questions débattues, mais le plus ~()uvent nous nous sommes contenté de mettre le lecteur au courant de ces difficultés, en faIre pills nnus entraînerait dans une problématique méritant qu'on s'y auarde longuement.

•• Tels: S. Kofman, J. Derrida, M. Foucault, M. Blanchot. ..

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( Cependant cette tension est résolue ou du moins s'explique, selon Granier, par la

doctrine de la Volonté de Puissance. Ainsi à un moment la Volonté de Puissance s'incarne

comme perspective et rend possible une prolifération des interprétations et manifeste alors

l'énergie plastique du vouloir. D'autre part la Volonté de Puissance peut aussi s'incarner

comme vouloir savoir auquel Nietzsche lui-même succombe en entreprenant de faire une

philologie irréprochable. Bien que la Volonté de Puissance permette d'articuler et de

comprendre cette tension elle n'arrive cependant pas à la résoudre. La problématique

demeure donc entière et les tergiversations de Nietzsche allant tantôt dans un sens tantôt

dans l'autre se maintiennent. Nietzsche ne semble pas vouloir se prononcer pour un côté

tout en abandonnant l'autre. D'une part il affirme qu'il n'y a pas de faits, mais seulement

des interprétations dont la prolifération ne saurait s'interrompre étant donné le caractère

perspectiviste de la connaissance et d'autre part il réclame qu'on lise le texte sans imposer

d'interprétation. Cette requête est en contradiction directe avec la situation prévalant

lorsqu'il y a exercice de la connaissance selon Nietzsche. En effet le perspectivisme

interdit toute supposition d'entité à l'extérieur de la matrice interprétative. Donc:

«Thal is to say, whereas perspectival interpretation seemed to allow for an unbounded play of creative textual appropriation, philological interpretation seems to caU for methodological ri gour and meticulous attention to the text itself.» (60)

Malgré que la doctrine de la Volonté de Puissance nous permette de saisir le pourquoi de

ce paradm:e elle ne résout cependant pas celui-ci.

À cet effet Jacques Derrida suggère qu'il y a deux interprétations de l'interprétation:

l'une perspectiviste et l'autre philologique. Il prétend qu'il y a une indécidabilité entre les

deux et que Nietzsche se livre à un exercice simultané des deux. Nietzsche utilise la

philologie rigoureuse et pourtant ne renonce pas au perspectivisme (61). Le phénomène

de l'interprétation conduit à une telle impasse qu'il est impossible de la faire disparaître en

optant ou bien pour l'une ou bien pour l'autre. Et Nietzsche joue, compose avec ces deux

styles interprétatifs. Il est à la fois sérieux et badin, attentif et créatif. Et la généalogie est

l'expression de ce jeu auquel se livre Nietzsche. Donc ce paradoxe insoluble n'est pas tant

dû à Nietzsche lui-même qu'à la nature de l'activité interprétative. De la sorte:

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., .. « ... Nietzschean genealogy exemplifies the possibility of avoiding the dogmatic asscrtion

of a 'correct' interpretation while at the same lime avoiding an unmitigated relativism in

which all interpretations are regarded as having equal value» (62). Ainsi la généalogie

pennet à Nietzsche d'être en contrôle de ses perspectives et le garde des interprétations

trop enthousiastes qui feraient injustice à la réalité en sélectionnant cenains aspects toui en

ignorant d'autres, en imposant un seul sens sur la riche ambiguilé de la réalité for\'ant

ainsi la réalité à se confonner au portrait qu'on en fait. La généalogie opère d(llte à

l'intérieur de l'indécidabilité existant entre le perspectivisme et lu philologie 1 igourcllsc,

puisant au sein des deux sans toutefois opter plus pour l'un que pour l'autre:

«Instead, the activity of interpretation must play between these two limits, cach of which can function only as an end to the piIlY. Nietzschc's genealogical approach to interprctation recognizes these two alternatives as the limits between which the play of interpretation is operai ive, and for this reason it situates itself between philology and perspectivisl11, in the belwccn which links methodological rigour and creative apprehension.» (63)

En ce sens je ne crois pas que la généalogie puisse s'offrir comme argument à CCliX

qui croient que Nietzsche soit et doive être un cognitiviste (cf. John T. Wilcox, K.

Westphal, etc).'" Selon ces auteurs Nietzsche n'a pas et ne peut pas rcjeter totalemenlla

notion de correspondance à la réalité, sinon il serait confiné à l'incohérence. Ainsi sa

critique, ses jugements doivent être faits en référence au réel. Ils affimlcnt <luC puisque

l'analyse critique généalogique de Nietzsche l'amène à faire des énoncés sur le monde el

ce qui le compose alors Nietzsche fait partie des penseurs cognitivistes. Ces auleurs

croient que Nietzsche n'a pas catégoriquement rejeté la notion de représentation, de

correspondance à la réalité. Selon eux il a seulement rejeté celle qu'avaient établie ses

prédécesseurs. On note aisément que la stratégie de ces auteurs consiste en une déflalion

de certains aspects de la philosophie nietzschéenne au détriment de d'autres: ils font

basculer Nietzsche dans le rôle du philologue pour qui la philologie pennet de surpasser

• Selon ces auteurs: «unless Nielzsche can hold a cognitivist position ( ... ) Ihen thcrc w()uld he no semanûcal relation betwccn his beliefs and the world. Thus there wou Id he no rc'erents for Nicl/sthc''i criticisms, and hence he would not be crilicising anyone or anything». Kenneth R. WC'ilphal, Niet:sche's Sting and the Possibility of Good Phi/%gy in: International Sludies 10 Philu:.ouhy H lfi no. 2 p.71.

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( les falsifications interprétatives qu'occasionnent nos perspectives. Ainsi il mettent l'accent

sur un aspect de la philosophie de Nietzsche et rt;Iettent à l'écal1 certains autres. Ces

auteurs rompent l'équilibre de l'indécidabilité au profit du second versant; or rien, je

crois, ne nous autoris~ à faire une teHe catégorisation, c'est pourquoi la thèse derridienne

nous semble préférable, même si elle laisse entière et intacte la tension existante. **

3.2 Problèmes relatifs au perspectivisme:

Dans ce que nous venons tout juste de mentionner la doctrine du perspectivisme a fait

son apparition à moult reprises. Cette doctrine même recèle aussi certaines tensions, elle

est en proie à certains problèmes. La première interrogation surgissant à propos du

perspectivisme est d'ordre logique. Ainsi le perspectivisme étant une doctrine selon

laquelle tout est perspective (et interprétation) n'entraîne-t-il pas par cette déclaration qu'il

n'est lui-même rien d'autre qu'une perspective? De la sorte que la véracité de cette

doctrine entraînerait la falsification automatique de celle-ci. Car si tout est perspective

alors cet énoncé lui-même ne serait qu'une perspective; et si tel est le cas rien ne peut

l'autoriser à se donner comme doctrine universeHe. En d'autres termes l'énoncé

Nietzschéen voulant que tout ne soit que perspective est un énoncé qui s'auto-réfute. Si

tout n'est que perspective rien ne peut avoir un statut privilégié, or la doctrine

perspectiviste se présente de manière absolutiste: «tout est perspective»,

De tels problèmes de logique sont fréquents en philosophie, il suffit de songer au

problème qu'encourt le relativisme. Ce sont des problèmes où le raisonnement semble

tourner autour de lui-même pour finalement se mordre la queue. Or plus qu'un problème

de logique, je crois que c'est aussi un problème d'ordre sémantique. C'est le langage qui

nous enfemle dans de tels paradoxes. Ainsi ce qui paraît incohérent dans cet énoncé est,

croyons-nous, tributaire du langage. D'ailleurs lorsque les relativistes affirment que tout

•• D'ailleurs nous avons vu que cette tension n'était pas la propriété de Nietzsche mais bien qu'clle est inhércnlc à l'activilé intcrprélative où la Volonté de Puissance peut prendre deux visages: perspectivisme ou philologie rigoureuse.

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- est relatif on leur rétorque que si tout est relatif alors cela s'adresse aussi à cet énoncé de

base. En leur répliquant de la sorte on ne résout pas l'énigme que pose cet énoncé, on leur

renvoit tout simplement l'incohérence langagière dans laquelle gisent de tels types

d'énoncés. C'est le même phénomène qui se produit avec le perspectivisme de Nietzsche.

Même si l'énoncé s'auto-réfute à cause du carcan logico-Iinguistique, le perspectivisme

demeure une doctrine qui, bien que paradoxale, mérite notre attention.

Certains ont tenté de sortir la philosophie nietzschéenne de cette impasse. Ainsi Sarah

Kofman affirme:

« Nietzsche, en montrant qu'on ne peut s'arracher au perspectivisme, ne condamne pas pour autant sa propre philosophie, parce qu'il ne la présente pas comme une ontologie dogmatique mais comme une interprétution nouvelle. Mais parce que toutes les interprétations ne S'élluivalent pas, il peut présenter une philosophie nouvelle, sans entrer en contradiction avec ses propres présupposéii.» (64)

De plus une bonne panie du problème est résolu selon Alan Schrift si l'on ne sc méprend

pas sur la nature du perspectivisme. Ainsi le perspectivisme n'est pas unc position

ontologique. Il ne répond pas à la question: qu'est-ce qui est? Le perspectivismc, poursuit

Schrift, est plutôt une position épistémologique qui tente de fournir une description de ce

que l'on peut savoir (65).

Et il existe un autre problème relatif au perspectivisme. Celui-là cependant n'est pas

d'ordre interne, mais concerne plutôt le rapport de Nietzsche à sa propre doctrine. Ainsi le

perspectivisme implique qu'aucune perspective ou point de vue ne mérite un privilège

épistémique vis-à-vis un autre. Le perspectivisme sort Nietzsche du dogmatisme présent

chez les philosoph~s l'ayant précédé. Or malgré cela Nietzsche écrit souvent avec

l'autorité d'un dogmatiste comme si sa perspective était en fait privilégiée. C'est pourquoi

plusieurs commentateurs de Nietzsche concluent qu'il viole ses propres préceptes et cette

constatation les pousse à conclure que le perspectivisme est impraticable ct tend

constamment à être nié. Certains prétendent, et c'est le cas d'Alexander Nehulllas, que

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Nietzsche agit de la sone parce qu'il ne veut pas passer inaperçu. D'autres,* et leur avis

me semble plus probant, affinnent que Nietzsche sait que ses in~tations ne sont que

des interprétations, or cela ne l'empêche pas cependant de tenter de persuader ses lecte1D'S:

«like ail philosophers, Nietzsche suives ta persuade bis readers ta agrce with bis ideas.

He wants 'bis way' to become his l'Caders' 'way' as weil,. (66). Nietzsche 6:rit comme si

sa perspective était privilégiée parce qu'il est confiant qu'il peut persuader son lecteur de

reconnaître le mérite de ses idées sans avoir recours au dogmatisme. Son attachement au

perspectivisme ne l'empêche pas d'essayer de persuader les autres d'être en accord avec

lui. D'ailleurs la finesse et l'attention avec laquelle il rédige ses textes nous autorisent à

croire qu'il visait à persuader son audience. De plus tous les éléments de la rhétorique lui

sont familiers; il les met à sa disposition et s'en sert à sa guise.

3.3 Problèmes relatifs à la doctrine de la Volonté de Puissance:

Les problèmes inhérents à la Volonté de Puissance sont en grande partie similaires à

ceux que l'on a notés à propos du perspectivisme. Walter Kaufman remarque dans son

ouvrage sur Nietzsche que:

« Nietzsche asserts that any attempt to understand the universe is prompted by man's will to power. If so, it would seem that his own conception of the will to power must be admitted by him to he a creation of bis will to power.» (67)

Tout comme c'était le cas avec le perspectivisme, la doctrine de la Volonté de Puissance

semble en dernier essor se retourner contre Nietzsche. Pour lui elle est le principe sous­

jacent à l'univers entier, donc la connaissance, comme nous l'avons vu plus haut, est elle

aussi Volonté de Puissance. Et: «if knowledge is will-to-power, is not the knowledge

claim that knowledge is will-to-power also wil1-to-power?» (68).

• Daniel W. Conway, Willard Miuelman (dans un autre contexte cependanO, etc.

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-, i

De plus il peut paraître ~trange qu'après nous avoir mis en garde contre toutes les

repnSsentations du tout - puisque nous n'en sommes qu'une partie et qu'une partie ne

saurait comprendre le tout - Nietzsche entreprenne lui-même une nouvelle interpritation

globale du monde en affirmant que tout n'est que Volonté de Puissance. Cela semble à

tout le moins contradictoire et fait dire à Jaspers qu'avec le perspectivisme Nietzsche était

sorti du dogmatisme, mais que la Volonté de Puissance l'y rejette.

3.4 Nietzsche et la théorie de la vérité:

Comme nous avons pu le constater dans notre seconde partie la vérité pour Nietzsche

n'est autre qu'interprétation et ne s'avère être qu'une erreur dont une certaine espèce ne

peut se passer. L'analyse nietzschéenne de la vérité la ramène au niveau de la 'valeur'. Et

pounant en maints endroits Nietzsche semble vouloir maintenir la vérité telle que conçue

par la philosophie métaphysique traditionnelle. Ainsi affirme-t-il dans Par-delil Bien et

Mal que les nouveaux philosophes seront eux aussi des amis de la vérité (69). Donc il

semble que l'idée de vérité tant décriée par Nietzsche subsiste toujours chez lui. Or dans

ce même paragraphe il précise cependant qu'il ne s'agira pas d'une vérité dogmatique ou

absolue. Ce sera 'leur vérité', une vérité qu'ils 'créeront' pour eux et non une vérité

obtenue à panir d'une stricte référence au réel.

Donc l'idée que conserve Nietzsche de la vérité ne sera pas celle d'une vérité basée

sur le précepte de l'adéquation de la réalité et du sujet connaissant (adaequatio rei et

intellectus). Il s'attaque à cette vision de la vérité et à la tradition rationaliste

l'accompagnant où les catégories fondamentales de la raison sont prises comme

correspondant aux structures de la réalité. Il n'adopte pas cette théorie de la vérité où la

correspondance à la réalité est le critère privilégié: cela serait en contradiction directe avec

sa doctrine du perspectivisme. Ainsi le perspectivisme et sa vision du monde comme

devenir l'amènent à la conclusion qu'il n'y a pas de vérité absolue, alors il (IUestionne la

valeur de la vérité. La vérité telle que traditonnellement entendue présuppose un monde

d'en-soi et du même coup l'idée de correspondance entre nos vérités et le monde auquel

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elles se réfèrent*. Deux écoles s'affrontent au sujet du ttaitement de la véri~ par

Nietzsche: d'une pan il y a ceux qui croient que Nietzsche affmnait qu'aucune de nos

croyances et de nos théories puissent être vraies**; d'autre part il y aœux qui croient que

Nietzsche nie seulement l'existence de choses-en-soi et ainsi toute cOl1'espondance à la

chose-en-soi, ramenant ainsi Nietzsche dans le clan des n~-kantiens***. Quant à nous,

nous preférons la première option, car elle s'accorde mieux à son perspectivisme.

Nietzsche ne délaisse pas entièrement le concept de vérité, mais étant donné sa

doctrine du perspectivisme il le métamorphose et le rapatrie dans la sphère de la creation et

de l'inteprétation. Toute vérité est la creation ou l'interprétation d'une certaine perspec­

tive. Et la vérité n'a de valeur que si elle est creative, affmnative de l'existence et que si

elle agit comme dévoilement (aléthéia). Nietzsche dépasse donc la notion traditionnelle de

vérité. Nietzsche avait déjà établi le diagnostic voulant que la vérité ne soit qu'une création

ou interprétation et ce même en ce qui a trait à la véri~ au sens de la métaphysique

traditionnelle; mais cette notion de la véri~ au sens de la métaphysique traditonnelle avait

la pretention d'être une vérité absolue. C'est cette prétention que Nietzsche élimine pour

simplement conserver le premier aspect (vérité = creation, fiction, interprétation).

Pour lui la vérité telle que traditionnellement entendue n'est que jugement de valeur;

valeur qui a été posée, créée, autrefois, qui est devenue prépondérante et est nommée

'vérité' pour un temps. Or il se plaît à déconstruire ces vérités et de la sorte rend

impossible la vérité au sens de la métaphysique traditionnelle. Mais qu'advient-il de ce

que Nietzsche met de l'avant?

«In several places Nietzsche advances the claim that there is no truth, or that there are no facts about the world. This claim has caused problems for interpreters of Nietzsche, since Nietzsche himself makes statements about the world which are presumably meant to be true; in fact, the claim that there is no truth itself purports to be true.» (70)

• Ce n'est là selon lui qu'une interprétation. Le concept de vérité devient une sous-classe de l'interprétation .

•• À ce groupe appartiennent: A. DanlO, B. Magnus, W. Müller-Lauter, Mary Wamock, R. Grimm, J. Derrida, S. Kofman et P. de Man. -

••• À ce second groupe appaniennent: W. Kaufman, J.T. Wilcox, R. Schacht et Maudemarie Clark.

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Donc Nietzsche dit qu'il n'y a pas de vérité et pourtant il semble énoncer des vérités.

Ayant noté ceci certains commentateurs de Nietzsche· l'accusent d'être incohérent. Or

suite à ce qui précède on s'aperçoit que ce que Nietzsche met de l'avant est vnai selon le

nouveau sens qu'il attribue à ce tenne. Ses énoncés sont vrais, pour lui, ils sont d'abord

et avant tout des créations émanant de ses cogitations et il se sert de la persuasion pour

nous les faire adopter. Ainsi:

« •.• Nietzsche's ideal character are always willing, and sometimes ilble. to create new and better interpretations. ln creating them they do not see them 'merely' as interpretations; on the contrary. as Nietzsche doubtless saw his own thought, they consider them as the best views 01 f ered so rai. ~rhaps even as the best that, in the given situation. can ever he offered.» (71)

Cette discussion à propos de Nietzsche et la vérité nous permet de constater que Nietzsche

adopte divers points de vue à l'égard de la vérité. Suite à son diagnostic crititlllC la vélité

apparaît comme une erreur. Lorsqu'il en parle suivant sa doctrine de la Volonté de

Puissance il affinne qu'elle est volonté de savoir el cette volomé de savoir peut prendre un

visage afftrmatif- alors elle est au service de l'affinnation de l'existence - ou un visage

négatif - alors elle nie l'existence. Lorsqu'il poursuit son entreprise philologique elle

devient dévoilement (aléthéia). Et finalement selon sa doctrine du perspectivisme la vérité

ne peut être qu'interprétation. Voilà autant de masques que recouvre la notion de vérité

dans le corpus philosophique niezschéen. La notion de vérité est donc globalement

perspectiviste et elle prend divers aspects dans les écrits de Nietzsche. Cette discussion de

Nietzsche et la vérité nous amène en droite ligne à la dernière question qu'il faul se (X)ser

avant de mettre un tenne à ce chapitre. Nietzsche a-t-il une théorie de la connaissance?

3.5 Nietzsche et la théorie de la connaissance

Nous voici parvenus à l'ultime question de ce chapitre. Nietzsche a-t-il, à proprement

parler, une théorie de la connaissance? Nietzsche a abordé et commenté plusieurs thèmes

• Arthur Danlo

41

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se rapportant à l'~pistémologie, or est-ce suffisant pour conclure qu'il a une th~e de la

connaissance ou encore est-il possible suite à ses écrits d'en extrapoler une?

n serait contraire à sa pen~ que d'offrir une th&rie de la connaissance. Car selon lui

il ne peut y avoir de th~e de la connaissance qui soit totale et finale. n est selon lui

impossible qu'une thOOrie de la connaissance puisse incorporer tout le matériel disponible

ou qu'elle englobe tous les points de vue possibles. Notre connaissance est

inévitablement dépendante de l'ignorance, car tout effon de connaissance est aussi

parallèlement un effon pour ne pas connaître quelque chose d'autre.

Le perspectivisme de Nietzsche se situe entre autres choses sur le terrain de

l'épistémologie. Le perspectivisme est bien sûr une position épistémologique; une

position se rappottant à la connaissance. Ainsi pour cenains Nietzsche réussit à établir

une position ~pist~mologique crédible, pour certains autres sa position est cohérente mais

incorrecte et finalement pour d'autres sa position est impossible et se révèle être une

entreprise contradictoire. Il est clair que lorsque Nietzsche parle de perspectivisme il

entend par là une doctrine englobant l'épistémologie. Mais le perspectivisme dépasse le

cadre de l'épistémologie et s'étend en tout sens; il n'est pas limité par l'épistémologie.

Parmi les commentateurs de Nietzsche les opinions sont polarisées. Pour certains

philosophes appanenant à l'école analytique comme Anhur Danto et E.R. Dodds,

Nietzsche a élaboré une épistémologie cohérente qui est non-cognitiviste. Selon eux le

perspectivisme est sa théorie de la connaissance. Et cette épistémologie ~tablit qu'il n'y a

pas de représentation du monde tel qu'il est en soi qui puisse être possible. De plus il n'y

a rien permettant à nos théories d'être vraies ou fausses étant donné que le perspectivisme

abolit la relation de correspondance. Aucune méthode de compréhension du monde ne

peut jouir d'un statut épistémique privilégié. Et toujours selon le perspectivisme les

besoins humains constituent le monde pour nous. Donc pour ces deux auteurs Nietzsche

a effectivement une théorie de la connaissance. Mais comme le fait remarquer, dans son

compte rendu du livre de Danto, Kun R. Fischer, la conclusion de Danto repose sur la

présomption que Nietzsche n'a jamais formulé son épistémologie de façon définitive

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pan:e qu'il en a ~~ incapable. De plus comme le fait remallluer Kaufmann, Danto n'établit

pas de distinction entre les textes que Nietzsche a publiés et ceux qu'il n'a pas publiés, et

de plus ses citations de Nietzsche sont souvent tronquées.

D'autre part il y a ceux qui soutiennent que Nietzsche n'a pas d'épistémologie. Parmi

ceux-ci figurent Karl Jaspers, Walter Kaufmann, Karl Schlechta et récemment Jacques

Derrida et ceux qu'il influença optent pour cette position. Jaspers écrit à ce sujet:

«Mais la thèse faisant de la connaissance une interprétation, n'est-elle pas elle-même une théorie de la connaissance? Non, elle est un essai pour d~tacher de la façon la plus extrême la conscience que nous avons de l'être du retrécissement provoqué par tout contenu dételminé qui appanient à une vérité subsistante, l'essai pour rendre illimité notre horizon, l'essai pour transcender toute fixation définitive de l'être. pour justifier l'apparence comme ~tant la vérité et la réalité.» (72)

Kaufmann quant à lui affirme qu'il est difficile de se prononcer véritablement sur la

théorie de la connaissance nietzschéenne, car les réflexions de Nietzsche à ce sujet sont

localisées majoritairement dans ses écrits posthumes et parce que ses réflexions sont

incomplètes. Et il remarque:

« Nietzsche was not at his best with problems of this kind: he never worked out an entirely satisfactory theory of knowledge, and most of the relevant material remained in his notebooks and did not find its way into a more coherent presentation in his published works.» (73)

Pour les tenants de cette position, notamment Jaspers et Schlechta, Nietzsche critique et

détruit les préjugés de son époque. Ils affirment que puisqu'il n'y a pas de véritable

connaissance pour Nietzsche il ne peut donc y avoir d'épistémologie. Nietzsche en effet

déconstruit l'épistémologie traditionnelle, il réduit à néant les éléments traditionnels

composant la connaissance telle que perçue par la métaphysi(IUe traditionnelle. Ainsi s'il

n'y a plus de vérité, plus de faits, alors le sens devient relatif et perspectiviste. de même

que la réalité.

Commentant ces deux options quant à la théorie de la connaissance de Nietzsche,

Tracy Strong affanne:

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«In any case both those pro and con epistemology seem to me to share a common flaw: they assume that epistemology means for Nietzsche 'an' epislemology. They lhus retain the Kantian view that either there is or there isn't a pure epistemology and that this antinomy exhausts the alternatives.» (74)

Strong poursuit en affirmant que Nietzsche argumente en faveur d'une prolifération

d'épistémologies. En fait, (da théorie de la connaissance de Nietzsche n'est donc ni

théorique ni systématique, c'est en cela qu'elle n'est pas à proprement parler une théorie

de la connaissance. Elle est davantage la réalisation d'une enquête radicale sur le savoir.

Elle procède par interrogation plus que par affirmation,.,» (75). Donc selon nous

Nietzsche n'a pas une épistémologie, du moins pas selon les exigences kantiennes, il

abandonne plus ou moins le projet épistémologique. D'ailleurs il réclame: «In place of

'epistemology', a perspective theory of affects (to which belongs a hierarchy of the

affects; the affects transfigured; their superior order, their 'spirituality')>> (76),

Ce qui impone pour Nietzsche c'est de créer. Ainsi pour lui le rôle du philosophe

n'est pas tant de découvrir la vérité, mais bien de créer, créer des valeurs permettant aux

hommes d'être en accord avec l'affirmation de la vie. Ainsi constatant l'impasse kantienne

il affirme: «Ce n'est pas dans la connaissance, c'est dans la création que se trouve notre

salut!» (77). Il faut, selon lui, éviter de confondre l'arbre de la vie et l'arbre de la

connaissance (78). La connaissance du nouveau philosophe sera création et sa creation

sera législation. La création quant à elle réclame un nomadisme intellectuel, il faut être

aventurier pour créer et la création est essentielle car nous sommes dans un monde en

devenir constant, donc la fixité ne peut rendre compte de notre expérience au sein du

devenir.

Maintenant que nous avons vu quelles sont les vues de Nietzsche à propos de la

connaissance, voyons comment sa pensée se comporte vis-à-vis certaines approches

méthodologiques en vogue au sein des sciences sociales. Premièrement vis-à-vis le

positivisme et ensuite vis-à-vis l'hennéneutique.

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Notes du premier chapitre

1 Friedrich Nietzsche. Ainsi parlait Zarathoustta. Prologue 2, p. 7. 2 Friedrich Nietzsche. Will 10 Power. * l, p.7. 3 Friedrich Nietzsche. Gc!n6alOlie de la morale. III ##27, p.293. 4 M~ Wamock. Nietzsche Conception of Truth dans Nietzsche: Ima,,"O' and Thoud\t.

Édit6 par Malcom Pasley. pp. 33 à 36. 5 Mary Wamock.lbid. p.38. 6 Mary Wamock.lIllil. p.39 7 Dilil. p. 40 8 Friedrich Nietzsche. Will 10 Power. #555 p. 301. 9 Dilil. #556 p.301. 10 Karl Jaspers. Nietzsche: introdution à sa philosophie. p.297. 11 Karl Jaspers. 11ilil. p.297. 12 Friedrich Nietzsche.lhkl. #470 p.262. 13 Dilil. *555 p.301. 14 Richard Schachl. Nietzsche. p.84. 15 Friedrich Nietzsche. Gc!n6alo&ie de la morale. 111-12, pp. 244-245. 16 Richard Schatcht. 11ili1. p.lOO. 17 Alexander Nehemas. Will to Know/edge, Will to Ignoraflce and Will to 1!ower ill

Beyond Good and Evi/ in: Nietzsche as an Affinnative Thinker. p.96. Edité pur Yinniyahu Y ovel.

18 Tracy Strong. Text and Pretext in: Political Them:y # 13 pp. 165-166. 19 Friedrich Nietzsche. Gai savoir. #354 pp. 305 à 309. 20 Friedrich Nietzsche. Will to Power. #481 p.267. 21 Alan Schrift. Between Perspectivi.ml and Phil%gy: Geflea/ogy a.f Hermcllcutic in:

Nietzsche Studien #16. p.93. 22lhid, pp. 93-94. 23 Friedrich Nietzsche. Will to Power. #81 p. 267. 24 Jean Granier. Le problème de la vérité dans la philosophie de Nietzsche. p.314. 25 Arthur Danto. Nietzsche's Perspectivism in: Nietzsche: A collection of critieal essays.

Edité par Robert C. Solomon. p.52. 26 Friedrich Nietzsche. Le livre du philosophe. p.175. 27lhid. pp.175 et 177. 28 lbid. p.177. 29 Ihid. pp.181-183. 30 1Iilil. p.187. 31 Friedrich Nietzsche. Will to Power. #480 p.266. 32 Friedrich Nietzsche, llllil. #480 p.266. 33 Ihkl. #498 p.273. 341hhl. #503 p.274. 35 Angèle Kremer-Marietti. L'homme et ses labyrinthes: essai sur Friedrich Nietzsche.

p.95. 36 Sarah Kofman. Nietzsche et la métaphore. p.18I. 37 Friedrich Nietzsche. Will to Power. #423 p.227. 38lJili1. #636 p.340. 39 lJiliI. #481 p.267. 40 lJiliI. #480 p.267. 41 Friedrich Nietzsche. Le livre du philosophe. Premier essai #20 p.4I. 42 Friedrich Nietzsche. Gai savoir. #344 pp.28S-9.

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43 Ihid. *344 p.289. 44 Friedrich Nietzsche. Ainsi parlait Zarathoustra. 11-12 pp.156 à 161. 45 Ihid. 11-12 pp.l59-160. 46 Alexander Nehemas. llilil. p.I04. 47 Jean Granier. lhid. p.249. 48 Jean Granier.llllil. p.465. 49 lJili1. p.493. • 50 Friedrich Nietzsche. Ed. Kroner XVI, p. 95 cité dans Jaspers Ibkl. 51 Jean Granier.lhid. p.518. 52 Alan Schrift.lIilil. p.97. 53 Sarah Kofman.Ibid. p.l27. 54lhid. pp. 124-5 55 Sarah Kofman. Ihid. p.128. 56. Sarah Kofman.llllil. p.195. 57 Tmcy Strong. Nietzsche and the Poli des of Iransfi&umtion. p.54. 58 Jean Granier.lhid. p.I64. 59 Jean Granier.IIlid. pp. 322-3. 60 Alan Schrift. lIilil. p.104. 61 Jacques Derrida. La structure, le signe et Le jeu dans le discours des sciences humaines

in: L'écriture et la différence. pp. 426-7. 62 Alan Schrift. IJlliI. p.108. 63 Alan Schrift. Ibid. p.lll 64 Sarah Kofman.lliliI. p.204. 65 Alan Schrift. J..bkI. p.92. 66 Daniel W. Conway. Perspectivism and Persuasion in Nietzsche-studien * 17 (1988) p.

560. 67 Walter Kaufmann. Nietzsche: Philosopher. Psycholo&ist. Antechrist. p.204. 68 Bernd Magnus. Nietzsche's Existential Imperative. p.197. 69 Friedrich Nietzsche. Par-delà Bien et Mal. #43 p.60. 70 Willard Mittelman. Perspectivism, Becoming, and Truth in Nietzsche in: Intemational

Studies in Philosophy #16 no. 2. p.3. 71 Alexander Nehamas.lllli1. p.l 07. 72 Karl Jaspers. 00. p.292. 73 Walter Kaufmann. !hid. pp.204-5. 74 Tmcy Strong. Nietzsche and the Politics of Transfieumtion. p.306 note #22. 75 Angèle Kremer-MariettLlbk1. p.lll. 76 Friedrich Nietzsche. Will 10 Power. #462 p. 255. 77 Friedrich Nietzsche. lA! dernier philosophe in: Le livre du philQsophe. #84 p.99. 78 Friedrich Nietzsche. Le voyaeeuret son ombre. #1 p.217.

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Deuxième chapitre: Nietzsche et le positivisme

Première partie: description du positivisme

1.1 Nietzsche et le positivisme

La tendance méthodologique dominante en sciences sociales est celle du positivisme"'.

Cette tendance monopolise la majorité du personnel agissant en sciences sociales. Il

appert donc que l'on doive jeter un coup d'oeil sur ce qu'est cette méthodologie et ses

rapports avec Nietzsche. Pour Jürgen Habermas Nietzsche représente un jalon dans le

développement du positivisme. Selon lui, Nietzsche doit être rangé dans le camp des

positivistes et ce parce qu'il reconnait une certaine aptitude à ce modèle quand on en vient

à la description et la connaissance du réel (physique) et parce que, tout comme les

positivistes, il est de ceux qui concrétisent la division entre le monde éthique et celui de la

politique. Il nous semble toutefois que cette association entre Nietzsche et le positivisme

soit à maints égards forcée. Nous désirons, plutôt, présenter un avis cOlllmire et

démontrer que Nietzsche est un opposant au modèle positiviste.

À cette fin nous procèderons d'abord à une brève exposition du positivisme pour

ainsi en découvrir la substance et la provenance. Puis nous exposerons les grandes lignes

de l'analyse faite par Habermas du positivisme, pour ensuite nous tourner vers la

perception de Nietzsche par Habennas. Une fois ces exposés préliminaires achevéll nOlis

tenterons de présenter un Nietzsche différent de celui dépeint par Habermas. Un

Nietzsche qui s'avère, en fait, être l'un des précurseurs de la critique du modèle

positiviste. Ceci nous permettra alors de rendre un verdict quant à la place de Niet7sche

• Sous cette bannière on relrouve plusieurs écoles différentes: fonctionnalisme, slJucturalio;me, structuro­fonctionnalisme: mais leurs divergences sont seulement de surrace. Fondamcnlalcrncnt toutes (lllrt.1gcnt une vision commune de la nature des sciences sociales.

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(

dans Je discours portant sur Je positivisme. Notre objectif global est donc de rendre justice

à Nietzsche en ce qui concerne sa position face au positivisme.

Ainsi nous croyons que Nietzsche, à J'encontre de J'interprétation d'Habennas, peut

se situer à l'origine du mouvement critiquant le modèle positiviste. Certaines des thèses

qu'il développa par rapport au modèle scientifique ont reçu un écho chez certains

théoriciens des sciences sociales. Notamment chez Max Weber et au sein de l'école de

Francfort. Nous croyons donc qu'au tenne de ce chapitre il nous sera possible d'affinner

que la critique du modèle dominant dans les sciences sociales est dans une certaine

mesure d'inspiration nietzschéenne.

1.2 Généralités à propos de la méthodologie scientifique:

Depuis que les sciences sociales furent institutionnalisées· elles tentent de se modeler

à partir des sciences naturelles; c'est ce qu'il est convenu d'appeler le courant positiviste

en sciences sociales. Ce courant est rapidement devenu le courant majoritaire au sein de

ces dernières. Pour vérifier cet état de fait nous devons décrire sommairement quels sont

les attributs propres du modèle scientifique (propre aux sciences naturelles).

Les sciences empiriques (ou naturelles) visent en tout premier lieu à explorer, décrire,

expliquer c:t prédire les événements se d~roulant dans le monde que nous occupons(l)*··

Donc: «Their statements ( ... ) must be checked against the facts of our experience, and

they are a(:ceptable only if the y are properly supported by empirical evidence» (2). La

vérification s'effectuera alors par l'expérimentation et l'observation systématique. Afin

d'en arrivc:r à ses buts descriptifs et explicatifs les sciences naturelles se sont donné des

règles méthodologiques. Une première étape consiste à l'identification du problème ou du

phénomène à investiguer. Ensuite on examine les diverses explications courantes et si

aucune ne parvient à expliquer le phénomène en cause il faut alors passer à l'élnboration

d'hypothèses. Une fois l'hypothèse élaborée il faut la mettre à l'épreuve. On procède

• dcvcnantunc branche de l'enseignement universitaire . •• Donc les considérations élhique.'1 ou normatives se situent hors de ce discours.

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alors à l'observation et à la collection des faits ou données ayant rapport à l'hypoth~se

mise de l'avant. Vient ensuite la classification et l'analyse des donn~s en fonction de

l'hypothèse. Une fois ces étapes préliminaires remplies on peut proc~der à des

généralisations inductivement dériv«s de la classification et de l'analyse des donnœs. Par

la suite il faut procéder à des tests plus approfondis des généralisations obtenues; une fois

cette étape franchie il devient possible de donner une théorie expliquant le ph~nom~ne

sous investigation ou le problème laissé en suspens (3). Ce que nous venons de décrire

ne reflète cependant qu'un idéal méthodologique, tout au plus peut-on tendre vers celui­

ci. Et pour plusieurs le modèle nomologique-déductif est ce qui s'y apparente le plus.

Ce paradigme explicatif distingue d'un côté 'l'explanandum' (phénomène à expliquer)

et de l'autre les 'explanans' (ce qui constitue l'explication). Les 'explanans' sont

constitués de lois et d'énoncés menant à l'explication du phénomène. De la sorte on peut

affmner que l'explication qui en résulte peut être fonnulée comme un argument déductif

dont la conclusion est l'explanandum. Les explications nomologiques-déductives révèlent

une certaine solidité en ce qui concerne la logique interne et la testabilité (vérification). Ce

modèle repose en grande partie sur des lois qui jouent un rôle explicatif permettant aussi

la déduction (des lois aux explications). «They provide the link by reason of which

particular circumstances ( ... ) can serve to explain the occurence of a given evenb> (4). Et

l'on peut affrrmer avec Hempel que le modèle nomologique-déductif «effeet a deductive

subsumption under laws of universal form» (5).

1.3 Les sciences sociales positivistes:

Pour ce courant les êtres humains sont des objets physiques gouvernés par des lois

causales au même titre que les autres objets physiques. Dès lors il s'ensuit que les

comportements et les phénomènes sociaux s'y accolant peuvent être mis sous la tutelle de

l'explication causale (6). Cette conception prétend que la causalité s'applique dans les

sciences sociales tout autant que dans les sciences exactes, mais à un degré différent. Les

êtres humains et les phénomènes sociaux étant des éléments très complexes cela rend

l'application de la causalité plus ardue.

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( Selon les tenants de cene conception les sciences sociales diffèrent en degr6 et non

pas en nature des sciences naturelles. Si les sciences sociales n'ont pas encore acquis

l'assurance et l'exactitude des sciences naturelles ce n'est pas parce qu'elles sont d'une

nature différente, mais plutôt parce qu'elles n'ont pas encore atteint le niveau de maturité

des sciences naturelles (7). Les positivistes, que ce soit Talcott Parsons, Robert K.

Merton, Ernest Nagel ou autres, croient que le développement des sciences sociales est

analogue à celui des sciences naturelles, mais n'étant pas encore parvenu à un degré égal

de maturité. Les sciences sociales se doivent alors de modifier et d'adapter les techniques

qui se sont avérées adéquates à la compréhension de la nature. Le 'telos' des sciences

sociales est donc de parvenir à la maturité scientifique, et l'avènement d'une telle chose

n'est qu'une question de temps.

Ce qui est important n'est pas tellement de connaître l'histoire du développement des

théories sociologiques, mais bien d'en arriver à l'application systématique. Et pour ce le

chercheur en science sociale doit être capable de maîtriser l'appareil méthodologique

scientifique. Ainsi doit-on enseigner à l'apprenti sociologue la manipulation des

techniques statistiques et quantitatives, de même que l'apprentissage de la construction

d'expériences, à connaître la nature de la déduction et autres prérequis à l'utilisation de

systèmes théoriques (8). On reconnaît donc seulement deux modes de connaissance

légitimes: celui des sciences empiriques ou naturelles et celui se rattachant aux disciplines

fonnelles telles la logique et les mathématiques. Tout autre mode de connaissance est

perçu avec scepticisme. On rejette alors tout ce qui relève de la méthaphysique et du

champ nonnatif étant donné qu'aucune connaissance ne peut être solidement établie à ce

propos. Le normatif et la métaphysique ne peuvent pas déboucher sur une science

véritable.

Sous-jacent à ces requêtes formelles on dénote que les positivistes assument qu'il y a

des lois sociologiques ou des propositions générales expliquent les phénomènes sociaux

et ce au même titre que les lois générales expliquant les phénomènes naturels. Donc il va

de soi que les méthodes à employer dans les sciences sociales doivent correspondre à

ceiles des sciences naturelles, puisque celles-ci se sont avérées adéquates quant à

l'explication des phénomènes naturels. Somme toute, selon les positivistes, les sciences

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'L" ", ~" ..

--

sociales sont des sciences, quoique bien jeunes, en croissance. Pour eux les sciences

sociales font partie de la famille scientifique, seulement elles ne sont pas encore anivées

au même niveau de développement.

1.4 Problèmes de transfert:

Malgré les convictions des positivistes le transfert de la méthode des sciences

naturelles aux sciences sociales ne se fait pas avec autant d'aisance qu'ils veulent le laisser

croire. Ainsi la fabrication du positivisme est fondée en grande partie sur deux tradit',ons

philosophiques: l'une prenant sa source chez Descartes (le rationalisme), l'autre

s'enracinant chez Locke et Hume (empiricisme). C'est là un héritage contradictoire; ainsi

le motif sceptique (ou critique) cartésien à la base du positivisme tente d'exclure, par une

série de démarcations, tout un réseau de connaissances (la métaphysique), tandis que sa

pulsion affmnative (empiricisme) cherche à instaurer la connaissance par dt:s règles

méthodologiques (9). Or ces règles méthodologiques reposent sur certaines positions

métaphysiques (champ que le positivisme a écarté). Il en résulte donc une tension entre

l'aspect critique et l'aspect sceptique de la doctrine positiviste et cela a pour effet de

générer une instabilité intrinsèque au niveau épistémologique à l'intérieur du positivisme.

C'est là une critique qui fut maintes fois mise de l'avant par les membres de l'École de

Franfort.

Et selon Adorno le positivisme requiert une reconstruction empathique générale des

opérations cognitives et cela n'est pas cohérent avec les sciences sociales, car ce

phénomène fait abstraction de la nécessairement fausse conscience que la société impose à

ses membres (10). Cette erreur émane de la transposition de concepts propres aux

sciences naturelles qu'on fait passer dans les sciences sociales. Cette transposition des

concepts d'un domaine à l'autre nie la nature complexe des relations sociales qui sont

souvent caractérisées par l'aliénation, la réification, etc. Ailleurs Adorno affinne: «Then,

empirical social research wrongly takes the epiphenomenon - what the world has made

of us - for the object itself» (Il). Selon lui la méthode scientifique est non transférable,

car il y a - entre autres - absence d'homogénéité au sein de la société.

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Cenains ont aussi remarqu~ que quelques aspects de la méthodologie des sciences

naturelles ne s'adaptaient pas aux sciences sociales. Par exemple il est impossible de faire

des expériences à grande échelle des ph~nom~nes sociaux, alors il est impossible de

découvrir et de tester les lois générales appanenant à ces phénonX:nes. Et étant donné le

caractère historique et culturel des phénomènes sociaux il est impossible d'élaborer des

lois générales trans-historiques et trans-culturelles. Il y a aussi l'argument selon lequel

des explications objectives des phénomènes sociaux sont irréalisables parce qu'ils sont

essentiellement subjectifs et imprégnés de valeurs. La sélection du problème peut relever

d'un choix de valeurs. d'ailleurs le chercheur, souvent. mélangera ses propres valeurs à

l'analyse qu'il fera des phénomènes sociaux. Et finalement il semble impossible de

distinguer entre valeurs et faits lors de descriptions et d'explications des actions

humaines· (12). Et bien sûr il y a toute une école pour qui les sciences sociales ont une

nature propre; d'où l'impossibilité du passage de la méthodologie des sciences naturelles

aux sciences sociales, mais nous nous attarderons plus longuement sur cette école au

cours de notre prochain chapitre.

Il appen donc que le transfert de la méthodologie scientifique aux sciences sociales ne

se fait pas aussi automatiquement que le désireraient les tenants du courant positiviste.

1.5 Ce qu'il advient de la politique:

Comme nous l'avons mentionné plus haut (cf. p. 50) le positivisme engendre la

rupture entre le nonnatif et le technique. Tout ce qui est normatif n'est, selon cette

doctrine. qu'aléatoire, car il n'y a pas de rationalité régissant les choix à la base de l'action

humaine. Le positivisme cherche à connaître à partir des faits positifs constatés

objectivement par la science, donc le discours éthique est évacué. seul demeure l'aspect

• Ernest Nagel a tenté, dans Tbe Structure or Science (Routledge, 1961), de contrecarrer ces objcctions, mais R. Bernstein nous fait voir que Na~el utilise une stratégie de déflation (montrer que les problèmes ne sont pas insolubles du seul rait que nous sommes incapables de les résoudre maintenant); or inversement les problèmes ne disparaissent pas simplement en montrant qu'ils ne sont pas nécc. .. sairement insolubles dans un temps lointain. Ces problèmes demeurent entiers. cf. Bernstein Ibid, pp. 41-42.

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technique: ce qui est faisable. La politique d~s lors n'est plus ce qui vise la réulisation de

buts ~thiques, mais s'int~resse simplement à la solution des problèmes techniques. On

assiste donc, nous dit "aOOnnas, à une coupure de la nature du politique entre d'une part

les canciens' et d'autre part les 'modernes'. Pour les premiers la politique était une

extension du domaine ~thique (recherche de la vie juste et bonne), la politique étuit reliée à

l'~ducation plutÔt qu'à la r6so1ution technique de problèmes pratiques, et elle n'était pas

une science exacte, elle ~tait plutôt guidée par la 'phronesis' (sagesse pmti(lue, liée à

l'ex~rience). Avec Hobbes, Bacon, Machiavel, la politique devient philosophie sociale

ayant un but pratico-technique (13).

Les modernes avec Hobbes en tête: 10 tentent, grâce à la philosophie sociule, d'établir

une fois pour toutes les conditions permettant l'ordre correct de l'État et de la société; 2°

font de l'application de la connaissance un problème technique; et 3° considèrent le

comportement humain comme un matériel pour la science. Globalement la politique (Iuine

le terrain nonnatif pour se situer dans le domaine technique. Ainsi la connaissance doit

être techniquement utilisable et la science rend possible le contrôle techn Î(lue sur le

processus naturel ou social. Alors les sciences sociales, orientées de celte fnçon, ne sont

plus dans une position pouvant offrir des points de vue normatifs et des conceptions en

vue d'orientations pratiques. Elles sont seulement capables de donner des

recommandations techniques visant à la réalisation de fins pré-établies, ce qui signifie

qu'elles sont seulement capables d'influencer la sélection des moyens. C'est le début du

décisionnisme, la politique devient instrumentale, elle a perdu son e!olpect téléo)ogi<lue. On

assiste à ce qu'Habennas a appelé la 'scientisation' de la politique. La réflexion qmmt aux

buts s'estompe pour laisser place à la réflexion sur les moyens. Et cela est dû au fait que

le domaine normatif ne peut pas avoir de fondations rationnelles inébranlables.

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(~

Deuxième partie: l'accusation d'Habeimas contre Nietzsche.

2.1 La position d'Habennas face aû positivisme:

L'un des aspects les plus imponants du corpus habermassien est sa polémique contre

le positivisme. Faisant suite au projet critique élabor6 par la premi~re g6n6ration de

l'École de Francfon, Habennas prend la rel~ve d'Adorno et Horkheimer. Dans la meme foulée que ces derniers, Habennas entend faire la m6tacritique du positivisme. n refuse la

notion de savoir absolu qui semble être l'apanage du positivisme. Ainsi la m6thodologie

positiviste prétend pouvoir en arriver (6ventuellement) au savoir neutre et absolu

sociologique grâce à la rigueur et l'exactitude scientifiques. Cette vision suppose que l'on

puisse regarder le monde cré6 par l'homme avec le même oeil servant à l'observation du

monde naturel: on réduit l'objet social à sa contrepartie des sciences naturelles. Habennas

doute que l'on puisse établir un tel parallélisme entte phénomènes sociaux et ph6notŒnes

naturels. Car les sciences sociales n'ont pas à leur disposition des donn6es non-qualifi6es;

au contraire les données sont structurées, selon Habennas, à travers le contexte de la

totalité sociale. On doit donc remplacer le système des 6noncés hypoth6tico-d6ductifs par

l'explication herméneutique des significations (14). Sinon on dénature l'objet social et

une telle méthode est inapte à la compréhension véritable de son objet.

Le modèle positiviste ne tolère, au niveau expérimental, que l'observation contrôl6e

des componements physiques qui. examinés dans un champ isolé sous des conditions

reproduisables par des sujets interchangeables à volonté, permet ainsi, semble-t-il, des

jugements de perceprions intersubjectivement valides. Habermas oppose à cela la théorie

dialectique qui, elle, tient compte de la 'Lebenswelt' et cette th60rie de ta société affinne la

dépendance des phénomènes individuels avec la totalité sociale (15). n affmne à ce

propos:

«They do not refer to anthropologically enduring structures, to historical constants, but rather to a particular concrete area of application, defined in terms of a process of development bath unique in toto and irreversible in its stages.» (16)

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Et de la sorte la méthode dialectique dépasse et sumlonte la séparation de l'histoÏle el de la

théorie.

Selon Habennas le positivisme veut projeter une conception de théorie pure et

objective, mais ce n'est l~ qu'illusion: «Ali the answers which the empirical sciences (:an

supply are ~lative to the methodical significance of the question raise and nothing more»

(17). Pour Habennas le positivisme c'est la science qui a foi en elle-même, la science

s'identifiant à la connaissance, rejetant la métaphysique dans le camp de l'extravagance et

de la fantaisie. Le positivisme signe la fin de la théorie de la connllissance; suivnnt ses

principes dogmatiques la connaissance équivaut simplement aux accomplissements

scientifiques: «Hence transcendent al inquiry into the conditions of possible knowledge

can he meaningfully pursued only in the form of methodological inquiry into the mIes for

the construction and corroboration of scientific dlOeries (18). La rationalité scientifique se

considère comme étant la seule possible. Or une telle assurance n'est qu'une illusion et

cette illusion objectiviste, sous les conditions de production du capitalisme moderne,

devient dangereuse lorsqu'étendue à tous les aspects dcs diverses sciences: c'est là une

fiction inavouée. En science sociale ceci conduit à de mauvaises interprétations de l'objet

d'étude et au conformisme d~c: analystes (19). Et la rationalisation positiviste amène donc

une fonctionnalisation unilatérale de la connaissance scientifique dans la société

industrielle. Elle reproduit au niveau conceptuel la structure et les présuppostions de

l'ordre socio-politique établi (20).

Les conséquences fallacieuses de la méthode positiviste proviennent en majeure punie

de l'absence de réflexion sur les conditions pemleltant à la connaissance de connaÎlre

(réflexion sur la réflexion). Or la réflexion sur les conditions permettant la connaissance

est nécessaire si l'on désire faire de la connaissanc(: une chose possible et adéqunle --­

c'est là la source de désaccurd entre Habermas et l'école positivisle. Et ce prérc(IUis

qu'Habermas désire imposer à la fabrication de méthodes de connaissance est dû à

l'influence de la métacritique hégélienne dans sa pensée. Ainsi sa théorie critique oppose

le paradigme hégélien de la métacritique* (portant toutefois la marque de l'intervention de

.~ mélacriûque s'adresse aux présuppositions nc5ccssaircs à la connais'Ulncc.

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Marx.) aux ~pis~mologies scientistes-positivistes, qui elles ne questionnent jamais les

conditions de leur rœthode cognitive. Garbis Kortian dira à ce sujet:

«Critical theory tums the Hegelian paradigm against the rationalist understanding and its empiricist counterpart as inherited by the various forms of contemporary positivist epistemology. At the same time, however, Cridcal theory introduces social nature into the Hegelian phenomenal knowledge through reference to Marx.,. (21)

Le rationalisme et l'empiricisme (qui sont à la base du positivisme) ne sont capables que

d'une réflexion critique abstraite. Et celle-ci ne met pas en lumière ses propres

présuppositions et est incapable d'élucider ses prédéterminations.

C'est là l'incohérence ~pistémologique de la méthodologie positiviste. Et de plus cette

méthodologie comme nous l'avons vu (cf. ci-haut p.SS) mène au conformisme. Or

Habennas se dresse contre la société qu'il a devant lui et désire la modifier. n veut amener

une réorientation au niveau des résolutions des problèmes sociétaux: du technique vers le

normatif. Et pour ce il cherche une justification objective dérivée du sens de l'histoire

permettant l'action pratique. Et cette justification objective lui sera fournie, croit-il, par la

seule interprétation historique valable: celle se rapportant à la totalité sociale, car elle seule

révèle le sens véritable des év~nements et cela ne peut être achevé, .selon lui, que par la

dialectique.

2.2 La vision d'Habennas à propos de Nietzsche:

Selon Habennas Nietzsche a constaté le lien entre la connaissance et l'in~rêt, mais l'a

psychologisé** pour en faire la base d'une dissolution métacritique de la connaissance en

soi (22). Il mena, d'après Habermas, à son terme l'auto-abolition de l'épistémologie

inaugurée par Hegel, continuée par Marx pour aboutir à l'auto-négation de la

connaissance métaphysique. Et, ajoute-t-il, ses réflexions sur la théorie de la

connaissance contiennent, tacitement, deux suppositions positivistes. D'abord Nietzsche

• Man la refonnule comme critique sociale. ilia replace dans le social. ··La connaissance est conditionnée par des intérêts divers: crainte. preservation. insécurité .•.

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est convaincu que la critique traditionnelle de la connaissance préconisait une tâche

impossible, soit la réflexion du sujet connaissant sur lui-même. Et deuxièmement

Nietzsche partage, toujours selon Habennas, la conception positiviste des sciences. Tout

comme Auguste Comte, Nietzsche conçoit la conséquence du progrès scicntifique­

technique comme un dépassement de la métaphysique et pratiquement cela Il pour

conséquence d'amener une processus de rationalisation des actions et une subjectivisation

du système des croyances en tant qu'action orientée (23).

Ce sont là les deux charges d'Habennas à l'endroit de Nietzsche, mais il recomUlÎt

toutefois que Nietzsche n'est pas entièrement soumis au positivisme:

«At first Nietzsche follows the immanent constraint of the positivist enlightenment. But what separates him from positivism is the consciousness of the abandoned intention that used to be connected with knowlcdge.» (24)

Cependant, il prétend que Nietzsche abonde dans le sens des positivistes lorsqu'il afflnne

que seule la connaissance empirique peut se revêtir de l'attribut de 'connaissance'. Pour

Nietzsche l'auto réflexion sur la connaissance est une entreprise impossible parce qu'elle

présuppose que nous savons ce qui est cenain, ce qu'est la connaissance et que l'on

possède l'appareillage propre à la connaissance cenaine; or cela n'est guère possible étant

donné qu'il faudrait que l'instrument de la connaissance soit capable de se critiquer lui­

même et ce sans qu'il ait été capable de se définir. Il faut donc, selon Nietzsche,

abandonner un tel projet et cet abandon le rapproche des positivistes qui eux refusent

toute entreprise métaphysique.

Outre ceci, Habennas affirme:

«Unlike his positivistically disposed contemporaries, however, with Nietzsche this denial of reflection does not resuh from the enchantment of the scientist by the objectivist illusion of science, which must he pursued 'intentione recta'. Nietzsche - and this puts him above ail nthers - denies the critical power of reflexion with and only with the means of reflection itself.» (25)

Mais Habennas poursuit plus loin dans le même paragraphe: «Yet Nietzsche is so motcd

in basic positivist beliefs that he cannot systematically take cognizance of the cognitive

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function of self-reflection from which he lives as a philosophical writer» (26). Nietzsche

a aussi montré que l'épistémologie et avec elle la théorie de la connaissance se

développant de façon immanente dans la logique des sciences naturelles et culturelles

peuvent être abandonnées à la psychologie de la recherche. Et là-dessus le positivisme

moderne s'est érigé en tant que pure méthodologie et en ce sens Nietzsche a écrit, selon

Habermas, le dernier chapitre du positivisme classique préparant la voie au remplacement

de l'épistémologie par la méthodologie.

De plus Nietzsche, tout comme les positivistes, dissocie éthique et politique.

L'éthique n'a pas sa place dans la politique: attitude que les positivistes ont faite leur.

Avec lui l'activité pratique tombe dans le décisionnisme le plus pur. II n'y a plus d'échelle

régissant l'action, et c'est là aussi l'avis des positivistes qui avaient mis au rancan toutes

considérations métaphysiques étant donné qu'aucune certitude ne pouvait être obtenue

dans ce domaine. Il abolit la rationalité des choix, il n'y a plus de lois universelles

régissant l'action humaine; le décisionnisme s'instaure comme maître du domaine éthique.

Donc Nietzsche et les positivistes partagent ce point de vue. Pour ceux-ci la métaphysique

ne peut pas conduire à la certitude, seule la science et sa méthode pennettent d'offrir des

certitudes. Tels sont les éléments permettant à Habennas de faire passer Nietzsche dans le

camp positiviste.

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Troisième partie: la place de Nietzsche dans ce discours.

3.1 Le positivisme de Nietzsche:

Selon Habennas Nietzsche fait panie de la famille positiviste et ce pour les raisons

que nous venons d'exposer. Et consultanll'oeuvre de Nietzsche il est en efTet possible de

trouver des éléments qui portent à croire que la pensée nietzschéenne recèle certuincs

affinités avec le courant positiviste. Ainsi il est vrai que Nietzsche IIccorde une ccrtninc

supériorité à ce qu'il est convenu d'appeler maintenant la mison instnllnentalc, du moins

pour la connaissance du réel. Il reconnaît que la raison passe par les sens, partageant "insi

avec les positivistes une définilion similaire de ]a raison prali(lue. El lout comme eux il

rejette la métaphysique; et se sert de la raison pour la rejeter. À la science il acc()le le mode

de penser instrumental, ce que les positivistes avaient déjà décrété.

Lorsque l'on examine l'évolution de son oeuvre on note qu'à compter de IlI.ml(lill,

trop humain s'amorce une nouvelle période dans la pensée de Nietzsche - ct qui se

perpétue dans une certaine mesure avec Aurore et le Gai savoir. On assiste à un

retournement total: la science, la réflexion critique, la méfiance méth<xlique prennent le

pas; métaphysique, religion et art succombent sous les amIes de la méthode scicntifi(lue.

Ces derniers ne sont plus les modes fondamentaux de la vérité, mais l'illusion tlu'i1 s',tgit

de dissiper (27). Eugène Fink fait remarquer:

«À travers presque tous les thèmes, la deuxième période de Nietzsche semble le retournement de la première. Tandis que naguère l'attitude théorique de la science était considt'rée sous l'optique de l'art, maintenant c'est l'art qui est vu sous l'optique (le la science.» (28)

Durant cette période et spécialement au sein de lIumain, trop humai", Nietzsche s'affaire

à critiquer la philosophie idéaliste, la morale et la religion. À la manière des p()sitivi~tcs il

oriente sa pensée sur les observations psychologiques et l'analyse scientifique des

origines de sentiments moraux.

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Cette époque coïncide avec: la rencontre de Nietzsche avec Paul Rée, un positiviste,

qui était un de ceux qui rep~sentait la nouvelle destruction rationnelle des mythologies

~taphysiques (29). Et dans Humain, trop humain Nietzsche reprit certains de ces points

de vue. Ainsi lorsqu'il 6:rivit cet ouvrage il s'accordait avec Rée et d'autres positivistes

pour dire que l'origine des sentiments moraux dépendent en grande partie de

considérations utilitaires égoïstes inavouées (30). Lorsqu'il dit: «Jamais un homme n'a

fait quoi que ce soit qui fût fait exclusivement pour d'autres et sans aucun mobile

personnel ... » (31), il exprime alors un point de vue propre aux positivistes et son analyse

même reflète des positions analytiques positivistes. Ainsi au paragraphe #139 de Humain,

trop humain il affmne que le componement de l'ascète n'est pas motivé par un idéal, mais

répond à une loi, Nietzsche se ser: d'une grille d'analyse qui est aussi celle des

positivistes de l'époque. Selon eux les sentiments moraux reposent invariablement sur

l'égoïsme ou l'obéissance aux lois, coutumes et traditions. Cette approche est motivée

aussi par l'influence que Nietzsche avait subie après qu'il eut cotoyé les ouvrages des

réalistes français tel La Rochefoucauld.

Et de plus Nietzsche opta, en matière d'éthique, pour une position décisionniste. n soutient à cette époque que la science et l'éthique s'opposent. La première étant

indépendante des jugements de valeur. L'éthique Oll les évaluations morales ne

proviennent pas de connaissances fondées rationnellement ou elJlpiriquement et ne

reposent en fait que sur des décisions; il n'y a pas de rationalité des choix qui puisse être

apodictique (32). Et c'est là une position chère aux positivistes.

3.2 Le rôle du positivisme chez Nietzsche:

À la suite de ce qui précède on ~urrait croire que la catégorisation habermassienne à

propos de Nietzsche est bien fondée. Certes il y a de nombreux éléments chez Nietzsche

pouvant encourager une telle classification. Or ce positivisme de Nietzsche ne reflète

qu'une époque de l'oeuvre du philosophe et elle joue un rôle bien particulier dans

l'évolution de la pensée nietzschéenne et c'est là le véritable sens du positivisme de

Nietzsche. Ainsi nous no,!s refusons à ranger Nietzsche dans le camp positiviste, malgré

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l'exposé antérieur, car nous croyons que ce positivisme ne fut qu'un jalon dans le

développement de la philosophie nietzschéenne.

D'ailleurs à l'aide de concepts analytiques s'apparentant au positivisme Nietzsche

devient 'démystificateur'. Il se sen du positivisme pour rejeter le monde intelligible, le

monde de l'en-soi gisant supposément derrière les phénomènes. De la sorte il exprime

son dégoQt pour le dédoublement idéaliste du monde (monde apparent/monde réel: cf.

Platon et Kant). Il proclame la préséance de la science afin d'examiner la religion, la

métaphysique, l'art, la morale et la culture et pour dissiper ce qu'il perçoit comme

illusion. Pour ce Nietzsche ne se réfère pas aux méthodes spécifiques de telle ou telle

science particulière, mais à l'analyse et à l'histoire dans un sens très large. Il exige une

recherche philosophique historique qui, ne croyant pas si facilement à des faits éternels et

à des vérités absolues, comprend l'homme comme résultat d'un processus histol ilJue. On

constate donc qu'il n'emploie pas la science comme une science positive. mais plutôt

essentiellement comme une critique (critique de la philosophie idéaliste, de la religion, de

la morale et de l'art). Nietzsche s'en sert pour libérer l'esprit, pour instaurer l'esprit libre

(thème central de Humain, trop hwnaill) (33).

Nietzsche, à cette époque, fait l'analyse psychologisantc de la métaphysique et la juge

comme étant une fiction que l'homme fabrique dont il se sen pour dépasser sa nature

périssable et pour donner à son existence une signification infinie. Au cours de cette

période, il adopte un scepticisme intransigeant afin de répudier la métaphysique idéaliste

qu'il croit mensongère. Le positivisme de Nietzsche n'est en fait qu'un levier lui

permettant de faire basculer la métaphysique idéaliste. C'est l'outil logique (lui lui li

permis de mettre au rancart cette métaphysique qu'il jugeait erronée. En ce sens le

positivisme de Nietzsche n'en est pas un véritable, tout au plus est-il un outil servant à

démolir un édifice philosophique qu'il trouve désuet. Tout au plus peut-on parler d'un

positivisme passager dans la pensée de Nietzsche. Et celui-ci a pour rôle de le libérer de la

métaphysique idéaliste (34). C'est d'ailleurs là la signification qu'il donne lui-même au

positivisme dans le Crépuscule des idoles; le positivisme n'est que l'aube grise (instant de

rupture, mais encore encombré de croyances) (35).

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Et malgré les similitudes présentes entre Nietzsche et les positivistes cenains passages

de lIumain, trop humain (cf. #45) laissent présager la future distinction entre la morale

des maîtres et celle des esclaves, de la sone signifiant que Nietzsche déjà surpassait la

tendance positiviste:

« Nietzsche was beginning to overcome a general positivist tendency with a vision of qualitative differences in moral attitudes which is intimately connected with his nascent sense of the will to power.» (36)

Et même s'il subit l'influence de Rée (positiviste), Nietzsche repoussa ses thèses par

la suite. Ce qui motiva probablement Nietzsche à s'allier au positivisme est dû à la

polémique sévissant autour de la science versus la religion. Nietzsche, en ennemi qu'il

était de la religion, plaida en faveur des sciences ce qui a eu pour effet de le rapprocher

des positivistes. Mais cette parenté de vues quant à la religion ne fait pas pour autant

culbuter Nietzsche dans le camp positiviste. D'ailleurs, plus tard, il n'épargnera pas les

sciem;es et s'avèrera être très critique à leur égard.

3.3 Le Nietzsche de la maturité et les sciences:

Avec Zarathoustra débute ce qu'il est convenu d'appeler la période de la maturité.

Alors s'organise une nouvelle attitude face aux sciences. Après avoir critiqué la morale, la

religion et autres à l'aide de la science, Nietzsche s'en prend maintenant à la science

même. Il ne considère plus la science comme étant indépendante des jugements de valeur;

elle est, au même titre que l'éthique, dépendante des jugements de valeur préalables et

ceux-ci dépendent eux-mêmes d'une décision, d'une 'perspective'.

D'ailleurs dans la troisième dissertation formant la Généalogie de la morale, traitant de

l'idéal ascétique et de son prétendu antagoniste naturel: la science, Nietzsche affinne:

.<Lu science est loin d'être assez autonome pour ce rôl'!, elle a besoin, en tout état de cause, d'un idéal de la valeur, d'une puiss:mce créatrice de la valeur, au service de laquelle elle puisse croire en elle-même - elle n'est jamais elle-même créatrice de valeur. Son rapport à l'idéal ascétique n'est en soi nullement antagoniste; elle replésenternit même ~Iutôt en principe la force de progrès inhérente à l'élaboratioll de cet idéal.» (3 )

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La science repose donc elle aussi sur des croyances et celles-ci reposent sur dcs valeurs.

On assiste en science à une surestimation de la vérité: inestimable et incriticuble. 0" doutc

de tout sauf de la valeur de la vérité. En ce sens les idéaux ascétiqucs (nihilist~:

asservissant la vie) et la science sont des alliés inavoués, non reconnus, ( ... ) de sorle que

s'ils doivent être combattus, ils ne peuvent l'être qu'ensemble, être mis cn qucstion

ensemble» (38). L'an demeure la seule véritable opposition à l'idéal ascélil)\Ic et le seul

élément qui n'asservit pas l'existence terrestre. Et déjà dans le Ga; ,Wlvo;r N iCllsche

mentionne que la science repose sur une conviction primordiale: «ne pas sc luisscr

tromper et ne pas se tromper sur soi-même». La science est aussi une affaire de foi, de

convictions et de croyances (39).

Nietzsche, dans la même veine, se dresse contre la prétendue nelltralité et ohjcctivité

des sciences:

«Sa prétention la plus noble, c'est aujourd'hui d'être un miroir; clic rejette toute téléologie; elle ne veut plus rien 'prouver'; elle répugne à jouer le rôle de juge, et c'est en cela qu'elle place son bon goût - elle affirme aussi peu qu'elle nie, elle constate, elle 'décrit' ... » (40)*

C'est là une manifestation du nihilisme (lue Nietzsche a toujours voulu combattre. Car

une telle attitude vient nier la vie. La regard contemplatif de la science est L1nc forme

aiguisée de nihilisme; c'est le regard froid du spectateur non engagé. La ~cicncc cst alors

• Nietzsche diagnostique la neulralité des sciences comme quelque chose de prétcndu ct non pao; comme une certitude; et la 'théorie critique' (École de Francfort) confirme et en~rine ce dUIglIlJ~lic. Cc (Ille Nietzsche exprime se retrouve dans la critIque que rait Ilabermas de la raison lIl'ilrUlllcntale. Et lorsqu'Adorno affume:

«The prelence is made to examine an object by means or an Instrument of research, whidl through its own formulation decides whatthe obJect is; ln other words, we arc faccd w,lh a '''llIllle circle. The gesture of scientific honesty, which refuses 10 work with concepts that are not cll'ar and unambiguous, becomes the excuse for supcnm(lOsing the self-sali~lïcd reo;can:h cnlcrpri'ie OVl'r what is investigalcd. Wilh the arrogance of lhe umnSlruClcd, the objCClion" of the grcat pllllo\nphll:lli tradition to the practice of the definitioll arc rorgotten. What titis traditioll n'Jcclcd a .. a 'i<.'hola\IIC residue is dragged aJong in an unrenectcd manner by individual disciplines m the mune ni "lIt'nl,lte exactitude.» cf. Th. W. Adorno, Sociology and Empi"cal Re.\farch ut· 'lite Po:)illVI!.lIJI~1.JUtt:J1l Gennan SocioloKY. P. 73.

Cela n'est pas sans nous rappeler ce que Nietzsche affirme ci·haul (nole 40). k, NlclI"Lhe .. cri d'élément à la critique d'Adorno contre le modèle positiviste des sciences. Il sc refère au Nieul,/. he de la maturité, celui qui critique la science, celui qui a dit que son siècle était celui qUI a .. alué la uvltloire de la méthode scientifique sur les sciences».

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pire que l'idéal ascétique, parce qu'elle n'est pas sincère envers elle-même; en prétendant

s'opposer aux idéaux ascétiques la science joue la 'com~e'. 'L'6thos' scientifique n'est

que le raffmement de la moralité chrétienne:

«C'est la moralité chrétienne eUe-même, la notion de véracité comprise avec une rigueur croissante, la délicatesse de la conscience chrétienne affinée par le confessionnal, traduite et sublimée jusqu'à être transformée en conscience scientifique, en honnêteté intellectuelle à tout prix.» (41)

Déjà dans Par-delà Bien et Mal Nietzsche avait accusé l'esprit objectif de n'être qu'un

miroir (#207) où l'on ne sait plus nier, où l'on ne sait plus affirmer. Et nos organes de

connaissance ne sont pas adéquats à l'obtention de la connaissance exacte, dira-t-il à

moult reprises.

Même dans le Gai savoir on retrouve des réquisitoires contre la science et sa belle

assurance. Ainsi au paragraphe #112 où il traite des notions de cause et effet il dit:

«Nous employons le mot 'explication'; c'est 'description' qu'il faudrait dire, pour désigner ce qui nous distingue des degrés antérieurs de connaissance et de science. Nou:; savons mieux décrire que nos prédécesseurs, nous expliquons aussi peu qu'eux.» (42)

La science consiste, selon lui, en une humanisation des choses. * Tenter d'expliquer c'est

vouloir dominer et dominer parce que cela rassure, soulage, satisfait (43). Or, s,!lon

Nietzsche, il faut se garder de prêter des lois expliquant l'univers ou la nature. n est

ridicule de tenter de mettre le monde à la portée de la raison. Le monde est beaucoup plus

que calculer, compter, peser, voir et toucher. Ainsi, à titre de comparaison, il dit: «Si l'on

mesurait la 'valeur' d'une musique à ce qu'on en peut calculer et compter, à ce qu'on en

peut traduire en chiffres,... de quelle absurdité ne serait pas cette évaluation

'scientifique'!» (44) De la sone on passe à côté de la valeur véritable du monde.

Nietzsche est un critique radical de la science, au même titre qu'Ul'est pour la religion, la

métaphysique idéaliste, etc. Le caractère énigmatique de la réalité ne se laisse jamais

formuler dans un système, la vie est toujours plus labyrinthique, plus ambiguë, plus

• Ici Nietzsche critique l'objectif premier des sciences empiriques: expliquer cf. bas de la page 48 ci-hauL

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- mystérieuse que l'entendement humain n'anivl~rait à le concevoir. C'est là une vision du

monde qui éloigne Nietzsche de toutes fonnes de positivismes possibles. La parenté de

Nietzsche avec les positivistes n'en est qu'une de surface. II arrive qu'ils purt,,~cnt des

opinions similaires, mais les raisons les y ayant poussé sont grandemcnt diffélcntcs ct

divergentes. Voilà les faits qui contribuent à dissocier Nietzsche du positivisme.

3.4 Verdict sur les dires d'Habermas à l'endroit de Nietzsche:

Habermas dans Knowledge and Human illterest semble incriminer Nietzsche pour ses

allégeances positivistes. Or ce n'est qu'en se référant qu'à une seule époque de l'activité

philosophique de Nietzsche qu'il lui est pemlis de proférer une telle accusation. D'ailleurs

il semble qu'Habermas commette certaines erreurs méthodologiques. Walter K"ufmann

dans une annexe à son ouvrage sur Nietzsche (1964) parle des problèmes reliés li l'édition

de l'oeuvre de Nietzsche et s'en prend à la manipulation habennassienne: « ... Jlirgen

Habermas, in Germany, has used it 'l'édition Schlechta' in il way that COVCIS up a

scandalously inadequate method» (45). Ainsi les vingt et une notes cn bas de page

mentionnent le volume et la page de référence dans l'édition de Schlechta sans tOllfcfois

donner d'indices sur la nature du matériel cité.* Et si l'on vérifie, on constate que treize

de ces citations proviennent de The Will to Power (46) et il ne se sert pas dcs autres

ouvrages où Nietzsche traite des mêmes questions et qui apportent plus de rclicf à sa

pensée. 11 n'utilise pas la Généalogie de la morale qui renferme à la fin des thèses

nietzschéennes capitales sur ce sujet (cf., ci-haut p. 62) et qui semblent être les opinions

définitives de l'auteur. De plus il n'utilise pas Ainsi parlait Zarathoustra, Par-ddà Binl et

Mal. et autres ouvrages contenant des passages importants sur le sujet traité par

Habermas: «Ali of the books in which the mature Nietzsche deuil with the prohlcm'\

discussed by Habermas are simpJy ignored without exception» (47).

Si l'on porte un jugement sur l'ensemble de la pensée nietzschéenne -- ce

qu'Habennas n'a pas su faire - on conclura plutôt qu'il est un critique radical ct féroce

• D'ailleurs W. Kaufmann souligne certaines anomalies dans l'élhlion de SchlcchUi.

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de la science. Donc l'accusation habennassieMe à l'endroit de Nietzsche est boiteuse

puisqu'elle ne s'adresse qu'à une parcelle de la philosophie de Nietzsche. En fouillant

plus loin, Habennas aurait découven que Nietzsche est à de nombreux ~gards son allié

plutôt que son adversaire. n aurait ~ouven que la grandeur de l'existence reste le th~me

fondamental et exclusif de la philosophie nietzschéenne. n aurait aussi constaté que le

conflit entre la science et la vie est une chose que Nietzsche a toujours reconnue -

s'alignant constamment du côté de la vie. Ce dernier aspect nous révèle en fait que

Nietzsche est dans une cenaine mesure un précurseur de l'~cole critique. Ainsi Adorno,

Horkeimer et leurs successeur.; (1. Habennas) reconnaissent tous que la science est une

menace à la vie; à la différence toutefois qu'ils attribuent la responsabilité de cette carence

non pas à la science en tant que telle, mais à la rationalité la dominant; soit la raison

instrumentale. Malheureusement Nietzsche n'a pas su discerner entre la science et la

rationalité la dominant, mais peut-être est-ce dû à la précocité de sa critique. Il n'avait pas

en::ore en main les éléments lui pennettant de faire une telle distinction.

Somme toute on peut accuser Habennas d'avoir opéré une réduction de la pensée

nietzschéenne lui permettant de le faire rentrer dans sa catégorisation des positivistes.

Mais en faisant cela, il met le Nietzsche de la maturité de côté et pourtant celui-ci traite de

questions se rapportant à sa polémique contre le posithisme. Car bien que Nietzsche

reconnaisse, à ses débuts, une certaine acuité pratique au mode de pensée scientifique,

celui-ci s'avère être une faillite lorsque ses prétentions veulent s'étendre à tout le réseau de

la connaissance. Aihsi Nietzsche ne s'éloigne-t-il pas du mode de pensée scientifique'

lorsqu'il en vient à des préoccupations de fond qui n'ont rien à voir avec la survie, mais

qui plutôt s'adressent à des notions ontologiques. n semble donc que le parallélisme entre

le positivisme et Nietzsche n'aille guère plus loin qu'un accord - relevant beauc.oup plus

de circonstances que d'un accord fonnel- quant au rejet de la métaphysique id~a1iste et

le fait d'opter pour le décisionnisme en éthique. Sur ce dernier aspect, il est impottant de

le souligner, c'est pour des raisons différentes qu'il opta pour le décisionnisme.

Nietzsche, auparavant, a déjà démoli ..- grâce à une serie d'arguments polémiques - tout

le champ éthique. il est alors nonnal pour lui que l'~thique n'ait plus droit de cité et

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qu'elle soit I!vacuée du domaine politique. La politique est le terrain de l'action ct l'action

a ses œgles qui ne répondent de rien, pas même devant le tribunal rdtionaliste.

Ce qu'Habennas pourrait reprocher à Nietzsche c'est qu'il n'ait pus su distinguer ln

science de son mode de pensée hégémonique (raison instrumentale). En fuit Nietzsche

concède à la science ce mode de penser. Mais en critiquant la science c'e~t uussi à cdui-ci

qu'il s'attaque sans le savoir. Habennas pourrait donc lui reprocher de ne pas s'être

attaqu6 à la bonne cible (raison instrumentale plutôt que science en généml). Une fois les

param~tres corrigés, la parenté entre Nietzsche etllaben1l3s ne serait que plus évidente ct

celle entre Nietzsche et les positivistes s'évanouirait d'elle-même. Mais il ne faur pus

oublier que Nietzsche critique la science à partir d'une philosophie de l'existence

(affirmation de la vie, science=nihilisme) ce qui n'est pas le cas d'Habermas (lui la

critique à partir de la raison critique, ou de la théorie critique (la science. en évitant le

questionnement des fins, peut mener à la destruction. du moins rien ne l'empêche de nOlis

amener à la démence).

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1 !

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Notes du deuxième chapitre

Carl G. Hempel. PhilosQphy of Natuml Science. p.l. 2 J.1iliI. p. 1. 3 llllil. pp. II à 14. 4 l.!ilil. p.54. 5 llllil. p.68. 6 Alan Ryan. The PhilosQphy of the Social Sciences. p.104. 7 Richard Bernstein. The Restructurine of PQlhical and Social TheOlY. p.S. 8 Richard Bernstein.llllil. p.15. 9 David Frisby. Introduction, in: The Positivist Dispute in Gennan Sociolola'. p.xii. 10 Theodor W. Adorno. Introduction, in: .!hid. pp. 1 à 67. Il Theodor W. Adorno. Soc;ology ami Empirical Research, in:.lIilil. p.74. 12 Richard Bernstein.llllil. pp. 34 à 40.

~~--~-~-

13 Jürgen Habennas. The Cla,çsicallJoctrine of PoUlics in Relation to Social PIlilosophy, in: Theory and Practice. pp. 41-42.

14 Jürgen Habennas. The Annlyt;call'heory ofScietu:e and Dialeeties, in: The Positivist Dispute in Gennan SociQlogy. p.133.

15 Jürgen Habermas. !!lli.l. pp. 136-7 . 16lllli1. p.138. 17 Jiirgen Habermas, A Pos;,;v;stically B;sected Rationalism, in: .!!lliI. p.209. 18 Jiirgen Hllbennas, Knowledee and 'fuman Interests. p.67. 19 Albrecht Wellmer. Critical Theo!] of Society. pp. 13-14. 20 Garbis Konian. Metacritigue. p.70. 21 Garbis Kortian, !.!ili! . .,.42. 23lllli!. p.292. 24llllil. p.292. 25llllil. p.299. 26lllli!. p.299. 27 Eugène Fink. La philosophie de Nietzsche. pp. 53 à 56. 28 !.tilil. p.62. 29 Brendan Donnellan. Friedrich Nietzsche and Paul Rée: CooperatiOfl and Conflict, in:

Journal of the Hislory of Ideas, #43. p.596. 30 llili!. p.602. 31 Friedrich Nietzsche. Humain. trop humain. #133 p.132. 32 Walter GUlz cité in: (!"V Hallfsher, Peut-on dépaçser le décisionnisme en matière

morale? in: Loeiqur _tnlllytiQue bel~e. #92, pp. 440-1. 33 Eugène Fink, Ibid. p.57. 34 Brendan Donnell1l1l, Ibid. pp. 596 à 599. 35 Friedric.h Nietzsche. Comme",. pOlir finir, le 'mmule vrai' devint unefable, in:

Crépuscule des idoles. pp.4I.2. 36 Brendan Donnellan, .!.QiQ. p.60S. 37 Friedrich Nietzsche, Que .'iig"ifient les idéaux ascétiques? in: GénéalQeie de la morale.

p.284. 38 Friedrich Nietzsche. Généabeie de ln morale. Troisième disseration XXV p.285. 39 Friedrich Nietzsche. Gai savoir. #344 pp. 288 à 290. 40 Friedrich Nietzsche. Que .'1ig"ifient les idéaux a'icétiques? in: Généaloeie de la morale.

p.288. 41 Friedrich Nietzsche, Ibid. p.293. 42 Friedrich Nietzsche. Gai savoir. #112, p.159.

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43 Friedrich Nietzsche. Les quatre gralldes erreur.s #5 in: Crépuscule des idoles. pp. 58-59.

44 Friedrich Nietzsche, Gaj savoir. #373, p.349. 45 Walter W. Kaufmann. Nitezsche's 'suppressed' Melnu.fcript.f in: Njclzschc. ".452. 46lbkl. pp.452-3. 47 lbkl. p.453,

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Troisième chapUre: Nietzsche et l'herméneutique

Première partie: Développement de l'hennéneutique

L'herméneutique ou l'art de l'interprétation connaît depuis peu un essor sans

précédent. On la retrouve dans de nombreuses disciplines et elle s'acquiert sans cesse de

nouveaux adeptes. Cet engouement n'est pas dû à sa nouveauté; loin de là,

l'hemléneulique a vu le jour avec les origines de la pensée occidentale. Déjà dans la Grèce

antique on pmtiquait cet art pour parvenir à la compréhension des textes homériques (1).

Pour les Grecs de l'antiquité cet art avait pour but de transfonner ce qui semblait obscur et

éloigné en quelque chose de proche et d'intelligible (2). C'est encore ce but que se

donnent aujourd'hui les adeptes de cet art. Or, avec la disparition de la Grèce antique

s'éclipsera pour un long moment cet art.

Ce n'est qu'avec la Renaissance qu'il réapparaîtra. La découverte de l'héritage

classique créa les conditions propices à l'émergence d'un art spécifiquement destiné à

l'interprétution. On reconnaît alors au passé une spécificité propre. Naît, pour ainsi dire,

la conscience historique et avec elle l'altérité du passé. Il faut donc interpréter le passé et

ses oeuvres pour les comprendre, car elles nous sont étrangères de par leur origine (3).

L'hennéneutique sera tout d'abOld utilisée pour pennettre la compréhension des

tcxtes bibliques. Il faudra attendre la venue de Wilhelm Dilthey* pour que

l'hennéncutique élargisse son champ d'action. Suivant la différence fondamentale qu'il

• Bien sûr lIuparavllnl plusieurs ont pavé la voie à Dilthey. Notamment Windclband et Rickcrt 'lui Instaurèrent une di~lincuon aig~ enlre sciences naturelles et cullurelles. Droysen compara l'histoire à un texle El Schlcienllacher fuI le premier à sortir de l'herméneulJque formelle pour pa'!scr à l'analyse de la compréhension, instaurant ainsi Ics IImiles et les règles permettant l'intcrprélallon valide. Ainsi pour Schh.·icrnml'hcr "effort de compréhension st' retrouve partout où Il n'y a pao; de compréhcnc;ion IInml<dilile et lorsque la poSSibilité d'une mésintcrprélation risque de surgir (pour plus de détails voir H. G. Gudmllcr. TruUI and Method pp. 153 à 214).

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perçoit entre la nature et l'histoire,· Dilthey prétend que l'histoire doit être comprise

selon les valeurs et les intérêts humains. plutôt qu'à travers une 'Ipplication non-critique

de la méthode des sciences naturelles. Il promulgue une méthode qui tient l'ollll"e des

particularités des objets culturels et qui. néanmoins. soit capable de rivaliser avec les

procédures respectables de la méthode des sciences naturelles (4). Donc la typologie qu'il

élabore à propos du savoir humain et du savoir scientifique l'nmène à ndopter une

méthodologie propre aux sciences humaines. Étant donné que l'objet des sciences

humaines est la connaissance du vécu en général il est nécessaire d'ildopter une l1léth(xle

appropriée à cette fin.

Puisque l'objet des sciences humallles est ce qui résulte de l'activité de l'esprit et du

'vécu' et que ce résultat est chargé de sens. il appert qu'il faille une métluxlologic 'lui soit

apte à la compréhension ('verstehen') et à l'interprétation. Contrairement à l'Ohjl'' des

sciences naturelles. le vécu et l'activité de l'esprit ne sont pas des choses 'IIlxquclles on

assiste et que l'on observe. mais bien des choses auxquelles on participe cn tant

qu'acteur. À la manière de G. Vico. Dithey croit que l'on peut comprendre ce (llIC l'esprit

a créé. Or l'esprit se manifeste selon une multiplicité d'expressions complexes nécessitant

l'interprétation si l'on veut bien les saisir:

«Thus the range of the human studies is detennined by the objectificatioll of lire in the external world. Mind can only understand what il has creatcd. Nature. the subject-maller of the physical sciences. embmces the real ily which has arisen independently of Ihe activity of mind. Everything on which man has actively impressed his stamp rOmlS the subject-muller of the hUI11:111 studies.» (5)

Dilthey fait donc déborder l'hennéneutique de son cadre théologique pour cn faire une

méthode d'interprétation s'adaptant à toute fomlC de textes et J'élargira suffisam/l1cnt pour

l'appliquer à l'analyse grammaticale, stylistique aussi bien que psychologiquc ou

historique de même que pour les sciences humaines en général (6).

'" C'eSl autour de Dilthey, tout particulièrcmenr, que s'élabont la célèbre di .. tlflclJon cntre 'Nalurwissenschafaen' (s'adresse à la nature, au monde physique) Cl 'GcislcswisloClI\Chaftcn' (·;adrcv,c.! aux pouvoirs inaellectucls et à leurs produits).

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De la sorte Dilthey voulut donner aux ~tudes historiques et sociales les fondations

philosophiques leur faisant d~faut·. Il met de l'avant une doctrine de l'empathie

pennettant d'arriver à une meilleure c:omp~hension du v~u. D faut re-vivre, re-cœer et

ré-expérimenter pour comprendre et ceci lui fera dire:

«Understanding is a rediscovery of the '1' in the 'Thou': the mind rediscovers itself at ever higher levels of complex involment: this identity of the mind in the 'l'and the 'thou', in every subject of a community, in every system of a culture and finally, in the totality of mind and universal history, makes a successful co-operation between different processes in the human studies possible. The knowing subject is, here, one with its object, which is the same at all stages of its objectification.» (7)

Ce à quoi visent les sciences historiques (ou humaines) est la connaissance du v~cu

humain (résultant de l'activité de l'esprit) et cela implique des cat~gories telles: la

signification, la valeur, la fmalité, le développement, les idéaux qui n'ont rien à voir avec

la nature, et c'est pourquoi il est nécessaire de développer une méthode propre aux

sciences historiques. Cette méthodologie doit tenir compte du fait que la comp~hension

de l'homme et de la société ressemble plus à l'interprétation d'un texte qu'l la

connaissance physique du monde. C'est pour cela qu'il croit que l'herméneutique (l'an

propre au critique littéraire, au juriste, au philologue et à l'exégèse biblique) doit être

systématisée et transformée en méthodologie propre aux sciences historiques (ou

humaines).

Les sciences humaines s'adressent non pas, comme les sciences naturelles, à la réalité

externe mais à la réalité interne, et comme c'est surtout dans le langage que cette intériorité

trouve son expression la plus exhaustive la littérature devient alors très significative pour

notre compréhension de la vie intellectuelle et de l'histoire; c'est eUe qui témoigne de

l'existence humaine. Selon Dilthey l'homme est confronté à la face énigmatique de la vie;

il se retrouve dans des situations qu'il ne comprend pas. Alors il se demande ce qu'est la

vie. il se questionne à son sujet. Il doit interpréter sa vie et son vécu afm de résoudrt le

• Son projet ressemble à ce niveau à l'encreprise kantienne en philosophie. n donne en quelque sone suite au projet kantien dans le domaine historique. (voir à ce sujec Drafls/or a crilique of Hislorical Reasofl in: Ihid.)

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caractère énigmatique qu'a la vie. De plus la vie a un caract~re de continuité où le pas~ a

formé le présent, dont le présent deviendra du passé et où le futur sem éventuellement un

présènt puis un passé (8). Cette continuité de la vie est semblable à cene d'un texte dont la

compréhension est déterminée par la relation du tout et des parties. Otaque partie exprime

quelque chose de l'ensemble de la \fie, tout comme sa signification est détenninée par le

toul Et il opère un transfert de la continuité de la vie il la continuité historique, instaurant

ainsi la base épistémologique pour les études se rattachant à l'existence humaine. La vie

elle-même, tout comme l'histoire, a une structure herméneutique, propre à

l'interprétation. À panir de ses vues sur l'existence humaine, Dilthey conclut que

l'herméneutique est l'outil le plus apte à la connaissance du monde vécu. Car c'est

seulement grâce il l'herméneutique que l'histoire peut maintenir sa cohérence significative.

Étant donné la panicularité de l'objet des sciences historiques il convient. d'après

Dilthey, d'adopter l'herméneutique comme instrument méthodologique. Mais malgré cette

distinction technique entre les sciences naturelles et les sciences historiques (ou humaines)

Dilthey refuse de véritablement divorcer les sciences humaines des sciences naturelles.

Outre cette distinction méthodologique les sciences naturelles et les sciences humaines ont

beaucoup en commun (9). Bien que les sciences humaines requièrent une méthode

particulière, Dilthey rejette toute dichotomie rigide entre 'Naturwissenschaften' et

'Geisteswissenschaften'. Ces deux versants de la connaissance sont interdépendants

selon lui, d'ailleurs il a dit à ce sujet:

«At the two points of transition between the study of nature and that of the mind - where nature affects the development of mind and where il is affected by mind or forms the bridge for affecting other mincis - knowledge of both the sciences and the human studies mingle.» (10)

Ainsi pour Dilthey, suite à la Critique de la raison pure, le problème de la théorie de la

connaissance acquiert une nouvelle urgence à cause des études historiques. Il s'interroge

il savoir comment les expériences historiques peuvent devenir scientifiques. Donc il s'est

donné pour tâche de fonder épistémologiquement les sciences' historiques ce qui

éventuellement allait l'amener à élaborer une méthodologie propre aux sciences

historiques. Et il n'abandonna jamais ce projet de donner des fondements solides aux

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sciences historiques. D'aiJleurs selon lui l'herméneutique a pour but de pennettre aux

sciences historiques d'avancer vers un statut ~quivalent à celui des sciences naturelles.

Ainsi il dira à propos de l'hennéneutique:

«But it seems to me that it has, beyond its use in the business of interpretation, a second task whic.:h is indeed its main one: it is to counleract the constant irruption of romalllic whim and sceptical subjectivity into the realm of history by laying the historical foundations of valid interpretation on which ail certainty in history rests. Absorbed into the context of epistemology, logic and methodology of the human studies the theory of interpretation becomes a vital link between philosphy and the historie al dsciplines, an essential part of the foundations of the studies of man.» ( Il)

On constate donc que malgré qu'il ait apporté une distinction majeure au niveau

rnéthexfologique, Dilthey demeure fidèle à l'entreprise épistémologique telle que fonnulée

pur Kant·.

Même si l'on est redevable (dans une large mesure) à Dilthey pour la revitalisation de

l'hernléneutique, Martin Heidegger en est un autre dont on ne pourrait minimiser l'appon.

Dans Se;1I und le;' Heidegger tente de renouveler l'ontologie de l'être et pour ce il

entreprend une description phénoménologique de la question de l'être. Or Heidegger

transforme la phénoménologie en phénoménologie-hennéneutique. car la «signification

méthcxJologique de la description phénoménologique est l'interprétation» (12). Pour

Heidegger, contrairement à Husserl, la phénoménologie n'a pas à partir de l'intention,

mais de lu compréhension (13). Il ramène l'existence au niveau de la facticité et cette

existence fucticielle est 'vie' dans le monde; elle est en dernière instance historique et se

comprend historiquement (14). « Heidegger fonde la phénoménologie dans la

'compréhension' de l'existence fucticielle, dans 'l'hennéneutique de la facticité'. La

phénoménologie deviel1l ainsi 'phénoménologie hennéneutique' (15). En associant ces

deux temles Ileidegger donne un nouveau sens à l'henné ne utique; ainsi elle n'est plus

seulement une méthodologie de l'interprétation, mais devient cette interprétation même. Il

• Le IlfOJCI fondamental de Kanl sc veut une philosophie définiûve fondée sur la raison el qui, pour le resle des lelnp<;.pourra être regardée con1lm,' une scieoce. Ce projel fondamental de Kant rut moûvé par t'erret néfaste de l'historicité de la pensée phIlosophique; afin de mettre un terme au relativisme et au scepticismc llyanl marqué le chcminernClllllIstonque dc la philosphie.

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- questionne l'interpn!tation elle-même, il tente de la penser, il vise à ~tenniner la nature de

l'interpr6tation même (16).

Ainsi la ph~nom!nologie-henn~ncutique est une description de l'~tant (dasein) qui est

une interprétation de l'étant comme ~tant essentiellement auto-interprétant (17). Étant d~jà

inscrit dans les pratiques du quotidien que l'on doit interp~ter et que ces pratiques

impliquent n~cessairement une interpr6tation on ne peut qu'être guid~ par notre

compréhension. Et puisqu'il faut commencer l'analyse de l'int~rieur de ces pratiques que

l'on interprète, notre choix de ph~nomènes à interpréter est déjà prescrit par notre

compr~hension habituelle de l'être qui a fait ce que l'on est. Heidegger souligne

cependant que cette compréhension n'est peut-être qu'une distorsion ou une chimère, il

appert donc que l'on ne puisse pas accepter tout bonnement notre première interprétation

- et ce malgré qu'elle soit inévitable. Alors il faut être prêt à réviser radicalement la

première interprétation à partir de ce qu'elle a révélé. L'interprétation s'enfonce ainsi

toujours plus profondément. La phénoménologie-hennéneutique fonctionne donc de

manière circulaire, mais elle n'est pas un cercle vicieux, car à panir de la surface elle vise

à s'enfoncer de plus en plus dans l'être pour en découvrir la vérité cachée el c'est ce à

quoi s'affaire la deuxième partie de Sein und Zeit (démasquer la vérité enfouie).

Heidegger découvrira grâce au cercle hennéneutique-phénoménologique que le 'dasein'

est essentiellement sans racine et jamais chez lui, c'est la pratique du quotidien qui remplit

le 'dasein', permettant ainsi à l'être de s'enraciner (de se sentir chez lui). Heidegger fut

incapable de trouver un refuge ontologique à l'être, car toute interprétation en appelle une

autre et toute interprétation fait ressortir des facettes de l'autre, mais en laisse d'autres de

côté (18).

Heidegger désire comprendre l'être et pour ce il analyse les pratiques quotidiennes de

l'être-dans-le-monde. Dans la vie de tous les jours nous sommes plongés dans un

exercice constant de compréhension, note-t-il; donc la description de la quotidienneté lui

fait dire que l'être-dans-le-monde a une structure hennéneutique. Ainsi il nous indique

que la relation de l'homme avec la signification de ses pratiques quotidiennes en est une

qui est herméneutique. Le vécu quotidien de l'être implique une 'compréhension

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primordiale' de la pan de l'être. Donc être c'est interpréter. L'interprétation devient chez

Heidegger un mode d'être - être c'est interpréter.

Contrairement à Dilthey pour qui l'hennéneutique n'est qu'une méthode, Heidegger

perçoit l'herméneutique comme une 'attitude originelle':

«'Henneneutics' herc is not a methodological technique or 'Kunstlchre' for discovering the meanings embodied in the expressions of a 'thou', as it was for Dilthey. In fact, hemleneulics is not a technique or a device at all in lIeidegger's philosophy. Insofar as the Being of Dasein is seen as understanding, 'hermeneutics' Icfers to the very constitution of beillg humam> (19).

Ilcidegger déplace l'hcnlléncutique de l'épistémologie vers l'ontologie; la compréhension

n'cst désormais plus une affaire de cOflnaissance, mais une affaire de 'mode d'être'. On

remarque aussi que chez lui l'analyse de la compréhension se dissocie intégralement du

problème de la communication avec autrui· pour être déportée au profit de la

connaissance du monde. Heidegger ainsi dé-psychologise la question de la

compréhension. Et, remarque-t-il, l'accès de l'être au monde est toujours médiatisé par la

compréhension, il n'y a pas d'accès immédiat non-interprété. Et dans Sein u/ld Zeil il

entreprendra de faire l'ontologie de cet état de fait afin d'en arriver à une véritable

ontologie de l'être de l'étant*·.

Deuxième partie: L'hemléncutique moderne: Hans-Georg Gadamer.

Les travaux de Il-G. Gadamer font de lui le leader de la scène hennéneutique

moderne. Cet étudiant chevronné de Heidegger publia au début des années '60 un

ollvmge (lui eut l'effet d'une bombe. Dans bien des domaines cet auteur poursuit l'oeuvre

de son prédécesseur; notamment en ce (lui concerne l'hemléneutique. Pour Gadamer, tout

comme c'était le cas pour Heidegger, l'herméneutique ne se limite pas au plOblème

méthodologitlue des 'Geistcswissenschaften', elle occupe le centre même de la scène

• C'olllmirCI1\l'1I1 à Hu",scrl .. Projet qUI s'ilvèrcra Irrr.t1isablc. parce qu'machcvable ct inépuisable.

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philosophique et prend chez lui aussi une tournure ontologique, La compréhension est

selon ces deux philosophes un 'mode primordial' de notre être-dans-Ie-mondc - vivre

c'est comprendre (ou être dans un processus continuel de compréhension), G.u.lamer, à la

manière de Heidegger, argumente que nous sommes toujours en tmin d'mtcrprétcr

(provoquant une compréhension): «We are interpreting in seeing, hcaring, rccciving»

(20). D'où la primauté et le statut ontologique de l'interprétation, De même scion eux la

raison est 'située'. il lui est impossible de se libérer de son contexte histOl ilJlIl'. Cc n'est

cependant pas une limite ou une déficicllce pour elle, cela appartient plutôt à son CS'il'I1Cl',

à sa nature: la raison est enracinée dans la finitude humaine (21), Et de plus

l'herméneutique a une valeur universelle selon eux (ét'lIlt donné SOli caractère

ontologique ).

Suivant Heidegger encore une fois, Gadamer prétend que la compréhension (' mode

d'être ') et l'interprétation sont intimement imbriquées, il n'y il pas de dirtérences

essentielles entre les deux. Il ajoule cepcndant qu'élant donné que la mison est cnraclIlée

dans l'histoire elle ne peut éviter le préjugé, donc l'interprétation ne peut pm. sc vouloir

objective. Elle est toujours nourrie de préjugés, toutp connaissance implique cn-soi le

préjugé. Et il fait remarquer dans sa réhabilitation de cette notion de préjugé que

l'historicisme, malgré sa critique du rationalisme et de la philosophie de la loi naturelle,

demeure emprisonné dans le projet des Lumières et sans le savoir partage Ic même

préjugé, à savoir le préjugé fondamantal contre le préjugé lui-mêmc, AlII'ii avec les

Lumières la notion de préjugé avait acquis une connotation négative (préjugé=jugclllcnt

non fondé). Il affirme: «lt is the gencral tendency to the Enlightenrnent not to accept ally

authority and to decide everything bcfore the judgement scat of rcasol1» (22), A vcc /c'i

Lumières ce n'est plus la tradition, mais la raison qui constitue l'ultime source d'autorité.

Donc pour 'es Lumières l'autorité ùc la raison a préséance sur celle de la tradllJOIl Or

Gadamer signale que cette primauté qu'accordent les Lumières à la raJ'iOn cst clle-mêmc

un préjugé. Il réhabilite l'autorité de la tradition et du préjugé, car ils sont indépa'i\ahk<; ct

incontournables. Les Lumières en rcfoulant l'autorité de la tradition ct du préjugé ne fOllt

que les empêcher de parler. D'ailleurs Gadamer dira: «(Reason cxiw; for u<; ollly in

concrete, historieal tenns, ie it is not ilS own master, but remain~ conslantly dcpcndcnl on

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,

"

(

the given circumstances in which it opcrates» (23). Le préjugé ne peut être évité, car nous

appartenons à la tradition et à l'histoire et ceux-ci façonnent notre connaissance.

Gadamer renouvelle la définition du préjugé, il lui retire sa connotation négative pour

la rétablir dans une fonction positive. Le préjugé devient un outil dont la compréhension

ne peut se passer; il est la première éUlpe de notre ouverture au monde. Cette ouverture au

monde ne peut se faire objectivement (libre de tout préjugé) étant donné que la raison est

enracinée de façon historique (socialement pourrait-on aussi ajouter), notre ouverture au

monde ne peut passer outre le préjugé (24).

Gadamer n'entend pas occuper une position fondamentalement différente de celle de

Ileidegger, une fois que celui-ci a opéré une transition de l'épistémologie à l'ontologie.

Une fois cela effectué, Gadamer constate qu'étant donné notre enracinement historique il

est impossible d'avoir un point de dép.ut objectif d'où pourrait s'amorcer la description

phénoménologico-hemléneutique, car nous sommes déjà engagés dans le processus de la

connaissance de par le caractère ontologique interprétatif de l'être. Or malgré que nous

soyons toujours en train d'interpréter, on ne peut négliger le fait que l'histoire nous

précède et celle-ci recèle plus de sens que l'on peut lui en attribuer:

«No one will assume that the subjective consciousness of the agent, or of the participant in events, is COlllll1ensurate with the historical significance of his actions. ft is obvious tu us that understanding the historieal significance of an action presupposes that we do not restrict ourselves to the subjective plans, intentions, and dispositions of the agents» (25).

L'histoire ne nous appartient pas, c'est plutôt l'inverse: nous lui appartenons. Nous

partageons un monde commun de traditions (impliquant le préjugé) et d'expériences

humaines interprétées.

Malgré que nous partagions une tradition, celle-ci n'en demeure pas moins étrangère à

plusieurs égards:

«For him understanding is Ilot a matter of trained, methodieal, unprejudiced technique, but an encounter in the existentialist sense, a confrolllation with sOll1ething radically different from ourselves.» (26)

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Gadamer se servira de l'herméneutique en tant qu'instrument pennettant la lIlédiilliOI1

entre le passé (ou la tradition) et notre situation. Donc elle doit être une méditatioll cnlle le

passé et la vie contemporaine. Plutôt que de faire comme l'hemléneutique romantiquc Oll

l'on tentait de reconstituer le sens perdu, Gadamer recommande d'effectucr cc qu'il

appelle une 'fusion des horizons'· car la reconstitution telle que promulguée par les

romantiques est vouée à l'échec; tout ce à quoi elle peut parvenir est la récupération de

significations mortes. Le processus herméneutique ne doit donc pas remplacer l'horizon

de l'interprète par celui de l'objet d'étude, mais être un plocessus dialogique dan.; lequcl

les deux horizons se fusionnent pour donner le jour à une nouvelle compréhcll!'>lon (27).

Car il ne peut y avoir de séparation entre la tradition naturelle en cours ct son

appropriation réflexive. Ici Gadamer préfère Hegel aux historicistes allemands; plutôt

qu'une restauration du sens, Hegel propose une médiation réfléchie et soignée enlie le

passé et le présent (28).

Depuis toujours l'herméneutique s'intéressait aux choses dont Ic sens ou la

signification nous sont devenus étrangers. Mais Gadamer prétend que ses prédécesseurs

ne se sont intéressés qu'à la récupération du sens perdu; or cela est inutile scion lui.

L'horizon du présent est formé par celui du passé et la compréhension est toujours la

fusion de ces horizons:

«The projecting of the historieal horizon, then, is only a phase in the process of understanding, and does not become solidified into the self­alienation of a past consciousness, but is overtaken by our own prescnt horizon of understanding. In the process of ullderstanding there takes place a real fusing of horizons, which means that as the historie,,) horizon is projected, il is simultaneously removed.» (29)

Ceci résulte en ce que Gadamer nomme la 'Wirkungsgeschichte'. Cela fait de

l'herméneutique une 'praxis', car l'herméneutique de par son rôlc médiateur entre

aujourd'hui et hier devient application. Donc pour lui elle est application ('praxis ') au

même titre qu'elle est compréhension ct interprétation.

• horbon: point de vue à partir duquel l'être entre dans le monde, à partir duquel il perçoit.

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(

Gadamer constelte que nous sommes dans notre présence au monde dans un état

interprétatif constant duquel on ne peut s'évader. Il faut donc tenir compte de notre

présence au monde en tant qu'interprétation, une fob. cela accompli on s'aperçoit que l'on

ne peut pas se situer hors de la tradition et chercher des fondements absolus"'; tout au

plus ne sommes-nous que des participants à l'intérieur de la tradition. Donc la philosophie

doit nous éclairer en tenant compte de cela. Il dit à propos de l'hennéneutique:

«The best definition for henneneutics is: to let what is alienated by the character of the written word or by the character of being distantiated by cultural or historical distances Spl.:ak again. But in ail the effort to bring the far near that we make by methodical investigation, in ail that we learn and do in the humanities, we should never forget that the uItimate justification or end is to bring it near so that il spcaks in a new voice.» (30)

La tâche de l'hemléneutique est précisément de transformer l'attitude historique de la

représentation en une attitude pensante à l'égard du passé (31). Il appert donc que la

compréhenc;ion selon l'herméneutique gadamt'rieflile présuppose la non-familiarité de ce

qu'il faut comprendre.

Pour Gadamer, tout comme pour Heidegger, l'hennéneutique est universelle non

seulement à cause de l'historicité de la raison, mais aussi à cause de la linguisticalité de

l'être. Selon ces deux auteurs l'être qui peut être compris est le langage (32), puisque tout

ce qui a un sens a un fondement linguistique. Et comme l'hennéneutique s'intéresse à la

compréhension elle doit nécessairement tenir compte de la Iinguisticalité de l'être. Car le

langagf; est la manifestation par excellence de la nature humaine, il médiatise la relation

entre le sujet et l'objet. Le langage représente une vision du monde, et même plus, le

monde lui-même se dévoile grâce à lui. Il amène notre être au monde, c'est par lui que le

monde devient ce qu'il est; le langage nous pennet de s'exprimer et «d'être parlé». Il est

notre voie d'accès au monde (33). Gadamer croit que la relation de l'homme au monde est

absolument et fondamentalement linguistique, et grâce à cela elle est intelligible. Il

s'ensuit donc que l'herméneutique est un aspect universel de )a philosophie et non

seulement une méthode.

• ('0111111(' l'avail précédcmmCnllenté Descartes.

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En ~tudiant l'oeuvre de Gadamer on constate que son hennéneutilJue déll10lllre que

toute connaissance méthodologique est secondaire et dérivée - étan' donné Ilotre statut

ontologique interprétatif. L'hennéneutique qu'il développe à tmvers ion oeuvre n'est pus

une iMthodologie des sciences humaines. D'ailleurs dans son av~mt-pmpos à ln lleuxième

édition de Truth and Method il mentionne qu'il refuse de contrnster la méthode

scientifique à celle des sciences humaines, car ce ne sont pas les méthodcs llui doivcllt

diverger, mais les buts de la connaissance. Or la notion dc métl\(xle telle qu'cntendue par

les sciences modernes ne convient pas aux humanités, car celles-ci doivent tcuil compte

du particulier, du spécifique et des circonstances, d'où l'importance qu'il accOIdc aux

notions aristotéliciennes de 'phroenesis'· et de 'praktike episteme' .

Gadamer affirme que lors de notre quête de la méthode appropriée à l'étude du sOI'ial

il faut tenir compte de la grande richesse et de l'étendue des humanités; c'est pourquoi il

faut revitaliser le concept aristotélicicn de la 'pr aktikc episteme' qui corrcspond plus

adéquatement au champ plus vaste (que celui des sciences) des humanités ( 4), POUf

Aristote la 'praktike episteme' ne partage pas les mêmes prétentions que l'idéal

scientifique - qui, lui, tend à élimincr les facteurs incontrôlables et inobjectivahlcs. La

'praktike episteme' d'Aristote tient compte du fait que:

« ... that members of society are the only possible students of the rules and the constitutional elements of social and political life. In the critical paragraphs of the Nicomachean Ethics, Aristotlc rejects tht: ideal of li unificd (or molar) method by insisting on the special preconditions for thcorizing (lB

practical and political matlers.» (35)

La philosophie pratique présuppose, selon Gadamer, la 'Bildung' (éducation, formation)

et la maturité. Et il croit que l'herméneutique est l'héritière de la philosophic pratiquc

arstotélicienne, car l'un de ses buts est de défendre la raison pratique et politique contre la

domination de la technologie (application de la science et de sa méthode) (6). Bien que

Gadamer ne se soit pas grandement attardé sur la problématique de la méthoùologie des

• Phroenesis: sagesse pratique, savoir quoi faire el quoi ne pas faire; clle cM reliée au champ ~lhj<illc.

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sciences sociales"', il prétend que celles-ci doivent tâcher de se détacher du modèle des

sciences appliquées, car les bUIs de ces deux volets de la connaisc;ance divergent.

Ce qui intéresse Gadamer au niveau des sciences humaines c'esl de drcouvrir la vérité

des sciences humaines et cela par-delà tout conflit méthodologique; et de découvrir ce qui

les rattache au resle de notre expérience du monde. Il reconnaît toutefois à ces dernières

un caractère particulier étant donné la nature de leur objet d'étude - soit la connaissance

se rattachant à l'histoire. De plus ces sciences doivent tenir compte du champ éthique

(c'est pourquoi il croit important de revitaliser les notions aristotéliciennes de 'phroenesis'

cl de 'praktike epistcme'), les sciences humaines doivent composer avec l'éthique. Il

cOllcède:

«Rather, the important thing, in my view, is to correct the philosophical interpretation of the modern human sciences, which even Dilthey proves to he too dominated by the onesilled methodological thinking of the ex.act natural sciences.>} (37)

Bien que les sciences humaines doivent avoir une méthode particulière, Gadamer affirme

(Iu'clles pcuvent (Iuand même aspirer à la vérité, car la science et sa méthode n'ont pas le

monopole de la vérilé; ainsi il affimlC:

«It has emerged througholll our investigation that the certainty Ihat is imparted by the use of scientific methods does not suffice 10 garantee truth. This is so especially of the human sciences, but this docs not mean a diminution of Iheir sdentifie quality, but, on the conttary, the justification of the cluim to special humane significance th al they have always made. The fact that in Ihe knowing involved in them the knower's own being is involved marks, certainly, the limitation of 'method', but not that of science. Rather, what the too1 of methodc does not achieve must - and effectively can - be achieved by a discipline of queslioning and research, a discipline ùlal garantees trulh.~) (38)

DOliC les sCiences humaines n'ont pas, selon lui, à suivre le modèle méthodologique des

sciences naturelles pour accomplir ce qu'elles doivent. Pour Gadamer la 'preuve' n'est

... N'ouhlions !las ljUC pour lui toutc m~thodc cst secondaire ct dérivée (cf. ci-haut. p.17), cc qui csl premier c'est noire é1411 inlerprél<llif lors de notre ouverture au monde.

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- pas notre seul moyen d'accès à la v6rit~·. Le vrai auquel parviennent les sciences

humaines n'est pas dQ à leur m~thodologie. Gadamer conteste le fait que la m~thode

remplisse à elle seule toute la sphère de 1a v~rité~ il y a de la v~rit~ hors de la méthode.

Globalement on peut dire que l'hennéneutique gadamérienne en .est une tournée vers

le passé. C'est une herm~neutique du respect. Ce à quoi est voué l'herméneutique

gadam~rienne est la récollection de significations, la récupération du meilleur dans le

passé. Ainsi pour Gadamer la tradition est le résevoir inexhaustible de significations

possibles. Toute l'entreprise gadamérienne est tournée vers le passé, il ne vise pas à

transConner; d'ailleurs iransfonner semble impos:,ible pour Gadamer, car on ne peut se

projeter hors de la tradition. Son herméneutique vise à préserver. On assiste en quelque

sorte à une reproduction du 'même' sous un nouvel aspect.

Troisième partie: L'hennéneutique en science sociale: Charles Taylor.

Gadamer n'est guère préoccupé par le débat entourant la méthodologie des sciences

sociales, car, selon lui, la méthode limite le potentiel de la vérité. Celte dernière peut se

situer en dehors de la méthode. C'est sur Charles Taylor qu'il faut porter notre attention si

l'on veut constater l'importance véritable de l'herméneutique pour les sciences sociales.

C'est en effet à lui que l'on est redevable pour l'introduction de l'herméneutique dans le

domaine social.

C'est avec la parution de son article intitulé Inte,pretation and the Sciences of Man

que Taylor introduisit l'herméneutique dans les sciences sociales. Dans les premières

lignes de son essai Taylor se demande: «Is there a sense in which interpretation is

essential to explanation in the sciences of man?» (39). D'après lui elle est nécessaire aux

sciences humaines, car leur objet d'étude est semblable en grande partie à un texte ('text­

analogue') qui sous plusieurs aspects est confus, incomplet, et pas très clair.

• C'est là ce que veut démontrer l'ouvrage de Gadamer. Trulh and Method.

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{

(

L'interprétation dès lors vise à faire la lumière sur ce qui semblait incohérent, mystérieux,

troublant ou étranger (40).

L'interprétation est nécessaire puisque, comme c'est le cas avec tous les domaines où

l'interprétation est requise, l'objet des sciences sociales peut être ~t en terme de sens,

non-sens, cohérence, absence de cohérence. et admet une distinction entre sens et

expression (41). De plus la société est composée de sujets pour qui le sens des choses a

une grande importance. C'est là une dimension primordiale de la vision taylorienne de la

société. Le modèle empiriste (ou positiviste) qui a prévalu en sciences,sociales met de côté

cette dimension de la société. Ce modèle ne tient pas compte des signifIcations inter­

subjectives qui dans une large mesure bâtissent et forment le tissu social et la société dans

son ensemble. Taylor s'insurge contre le modèle astreignant des empiristes en disant:

«Inter-subjectives meanings, ways of experiencing action in society which are expressed in the language and descriptions constitutive of institutions and practices, do not fit into the categorial grid of main stream political science.,> (42)

En rejetant tout aspect relié à la subjectivité des individus, le modèle empiriste ampute

l'étude du social d'une de ses composantes essentielles. Car les significations

('meanings') ne sont pas seulement, comme a tenté de le faire croire la sociologie post­

weberienne*, des valeurs ou des croyances subjectives, elles sont aussi - et peut-être

avant toute chose pour Taylor - ce qui constitue la réalité sociale (43). Et pour faire une

analyse sociale qui soit adaptée à son objet, les analystes des sciences sociales doivent

tenir compte de ces significations. car la réalité sociale n'est pas seulement faite de

données brutes (44). C'est pourquoi il affrrme:

«We have to admit that inter-subjective social reality has to he partly defined in tenus of meanings; that meanings as subjective are not just in causal interaction with social reality made up of brute data, but tbat as inter­subjective they are constitutive of this reality.» (45)

• notamment le courant fonctionnaliste américain avec Talcott Parsons en tête.

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Et ce qui ~Me n:pose en grande panie sur le fait que pour Taylor les hommes sont

des agents sociaux s'auto-interp~tant. Nous sommes selon ses din:s 'beings ta whom

things matter~ (46). Ainsi avec la d~ouvene de l'univers du discours et de la sensibilité

qui émerge de plus en plus, il faut tenir compte du fait que les humains sont des êtres

s'auto-interprétant et que ces interp~tations sont constitutives de ce que nous sommes en

tant qu1êtres humains vivant en société. Étant donné cet aspect auto-interprétant de notre

être une approche hennéneutique s'avère tout indiquée afin de bien cornpren~ la réalité

sociale.

Taylor prétend que ce que l'agent expérimente a de l'imponance pour ce dernier.

Vagent n'est pas indifférent à ce qui lui arrive et à ce qu'il vit (47.). Il mentionne que

maintes sensations que nous vivons \faylor mentionne la honte entre autres) se réfèrent à

nous et s'adressent à notre dignité, à nos valeurs et ne peuvent être analysées de manière

objectiviste (ou behavioriste) comme étant quelque chose 'out there'. Ces sensations se

réfèrent à nous et nous concernent 'qua' sujet (48). C'est pourquoi il affinne: « ... our

subject-referring feelings incorporate a sense of what is to be human, that is, of what

matters to us as human subjects» (49). Et cela s'avère être crucial pour notre

compréhension de ce qu'est être 'humain' selon Taylor.

TI appen donc pour lui qu'il est impossible d'appliquer la prédiction au domaine social

parce que l'homme change aussi de l'intérieur, il n'est pas un simple être-en-soi qui

simplement attend d'être prédit, décrit et expliqué dans un meilleur vocabulaire. Taylor

opte pour un modèle où la prédiction n'est pas le but de la méthode utilisée, plutôt il opte

pour un modèle où l'on tient compte du fait que les agents s'auto-interprètent. Et ce non

pas pour montrer que leur agir est sensé - car souvent il ne l'est pas - mais pour

comprendre cet agir en y identifiant les contradictions, les confusions, etc. (50). Alors la

sociologie interprétative ne correspond pas à l'empathie - telle que mise de l'avant par

Dilthey - ni à l'adoption du point de vue du sujet, elle est plutôt une compréhension

discursive (ou dialogue). Si l'on adc,pte l'empathie il devient alors impossible de se

prononcer sur la valeur des conceptior~s des agents. Ce qui anime l'entreprise taylorienne

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(

c'est la compréhension ad~quate (~tant donn~ l'objet d'étude), qui. elle, permettra

d'établir des contrastes:

«The interpretive view, 1 want to argue, avoids the two equal and opposite mistakes: on one band, of ignoring self-descriptions altogether, and attempting to operate in sorne neutral 6 scientific' langage; on the other band, of taking these descritpions with ultimate seriousness, 50 that they become incorrigible.» (51)

Taylor plaide pour un 'langage of perspicuous contrast' qui permet de comprendre des

pratiques différentes (étrangères ou non-familières) des nôtres en reiation avec les nôtres

(52). Taylor s'oppose donc à la conception positiviste des sciences sociales et à leur

vision atomiste de l'homme·. Pour Taylor, suivant la tradition aristotélicienne, l'homme

est un animal politique (ou social) pour qui les événements survenant ont une importance

et qui s'auto-interprète. Suite à ces quelques énoncés de base Taylor met de l'avant une

analyse qui en tient compte.

De plus il note qu'étant donné l'imponance des significations il faut tenir compte de la

nature linguistique·· de l'homme et donc opter pour une méthode interprétative. Ce qui,

cependant, mobilise l'attention de Taylor à propos du langage c'est la notion de

signification ('meaning'). Ainsi dit-il: «What emerges from this, 1 believe, is that the

twentieth century concem for language is a concem about meaning» (53). Car ce qui

importe pour Taylor ce n'est pas le langage 'qua' langage, mais le langage 'qua'

phénomène distinctif de l'homme et sa portée pour ce dernier. D'où l'importance qu'il

attache à la signification. Celle-ci, selon Taylor, et ce, même si le langage est son lieu

privilégié, dépasse··· le domaine linguistique et acquiert une importance très grande pour

l'homme.

• voir à ce sujet son article intitulé Atomism (1979) in: lbiIl. vol. n pp. 187 à 210 . •• C'est là un autre point de vue que Taylor et Gadamer panagent et qui se rattache à la tradition

aristotélicienne. Pour Arisroce ce qui distingue l'homme des autres animaux c'est le langage . ••• La signification JX:ut êtte reliée au domaine des ans, de la musique, des gestes, etc.

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- Et, ajoute Taylor, le langage, en plus d'avoir une dimension descriptive. a aussi une

dimension expressive.. C'est ce qui fait que:

«Thus there are three things that get done in language: making articulation, and hence bringing about explicit awareness; puuing things in public space, thereby constituting public space; and making the discriminations which are foundational ta human concerns, and hence opening us to these concems» (54).

Ainsi pour lui le langage est le 'locus' de différentes sones d'ouvenures au monde. Il

nous fait prendre conscience de la dimension expressive du langage et de son imponance.

Par-dessus tout, ce que nous pennet de constater le langage c'est de voir sa dimension

constitutive. Ainsi le langage n'est pas tout simplement représentatif, il est aussi 'à

propos' de quelque chose, il a une dimension expressive.

Taylor met donc de l'avant une approche hennéneutique en science sociale. Il est

d'accord, croyons-nous, avec Heidegger et Gadamer pour dire que l'herméneutique est

une attitude primordiale, mais cela ne l'empêche pas de la réintégrer dans le débat

méthodologique hantant les sciences sociales. Pour Taylor il y a une différence

fondamentale existant entre les sciences naturelles et les sciences humaines. Depuis

Descartes et Galilée la pensée occidentale, selon Taylor, est dominée par un point de vue

épistémologique. TI affmne qu'il faut dépasser l'épistémologie, et ce non seulement parce

que l'on doit abandoMer les ambitions de fondement de ce mode de penser, mais aussi

pour développer une conception plus approfondie et adéquate des agents humains (55).

La distinction entre 'Naturwissenschaften' et 'Geisteswissenschaften' demeure pour

lui une différence fondamentale et essentielle. Il ne s'efforce pas de la réfuter, au contraire

il prétend que les types de compréhension propres à chacune sont différents l'un de

l'autre. fi croit que les sciences naturelles visent à donner un compte rendu absolu·· du

monde tout en évitant ce qui est relié à la subjectivité (56); et les sciences humaines,

poursuit-il, doivent s'affairer à ce que l'on pourrait appeler des phénomènes où la

... inspiré de Herder et Humboldt cf. Taylor, Lan8uag~ and Human Nature in: Ibid. vol. 1 pp. 215 à 247 . • - selon 1'utilisation que fait de ce lerme Bernard Williams dans son étude sur Descanes, bent à spécifier

Taylor.

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(

( '.

compréhension est indispensable: ( ... understanding what makes someone tick, or how

he feels or acts as a human being» (57). Donc les sciences humaines doivent tenir compte

de ce qui a trait à la subjectivité, d'où le besoin d'une approche hennéneutique. Les

sciences naturelles s'adressent au discours commensurable (répondant ou correspondant à

des règles) se rattachant à la nature et visant globalement à expliquer. Les sciences

humaines, quant à elles, ponent sur le discours incommensurable (qui ne peut être ramené

ou rattaché à des règles) s'adressant plus spécifiquement à l'homme et visant à la

compréhension des significations. Il s'en tient donc à la division classique entre

'Naturwissenschaften' (explication) et 'Geisteswissenschaflen' (compréhension).

Quatrième partie: Nietzsche et l'hennéneutique.

Malgré les divergences existant entre les divers protagonistes de l'hemléneutique

présentés dans ce qui précède, il y a beaucoup d'aspects convergents. Pour Dilthey,

Heidegger, Gadamer et Taylor, l'herméneutique est l'art interprétatif visant à rendre

familier ce qui ne l'est pas, à faire de l'étranger quelque chose d'intelJigible, à rendre ce

<lui est incohérent cohérent. à éclairer ce qui est obscur, à rapprocher ce qui est éloigné et

à rendre connu ce (lui ne l'est pas; en somme J'herméneutique se soucie de )a

compréhension, de l'interprétation et se veut une application (cf. Gadamer). Elle décrit

comment III compréhension est pos~ible. Elle sert à la connaissance, car toute

connaissance est dépendante de la compréhension qui, elle, est toujours interplétative.

D'ailleurs Heidegger, Gadmner et THylor reconnaissent que l'herméneutique est mode

d'être et mettent l'accent sur la linguisticalité de l'être. Et ces trois auteurs rejettent

l'entreprise fOlldationnelle telle {lue mise de l'avant par Kant.

L'herméneutique est préoccupée par l'histoire, c'est là son champ, elle doit tenir

compte du fait que la compréhension est change~\Ote - étant donné qu'elle dépend de

l'interprétation et que celle-ci est enracinée historiquement. L'interprétation est toujours

historique. Les henlléneutes s'intéressent à l'histoire: on ne peut se projeter hors de celle­

ci. puisque. selon eux, l'être est un être-créé, l'être est un produit historique, il appartient

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- à l'histoire et à la tradition et ce, ~tant donn~ que l'être est un produit historique

appanenant à une tradition et ne pouvant se projeter hors de cette historicit~.

L'henn~neutique se veut un outil de m~diation avec le-passé et tout ce qui peut être

interprété. Ainsi la tâche de l'henné ne utique est de transfonner l'attitude historique en

attitude pensante à l'~gard du passé. Les herméneutes visent à conserver, à retrouver le

passé pour le garder, pour le comprendre et nous comprendre. Il y a donc une forme de

'pietas' herméneutique qui se retourne avec gratitude vers l'origine. Ainsi

l'herméneutique jette un regard derrière afin de retracer ou retrouver l'origine. Voilà

quelques-uns des éléments unissant les membres de l'école hennéneutique.

Au premier abord l'entreprise nietzschéenne ressemble au projet herméneutique. De

par sa formation professionnelle Nietzsche est un philologue, ce qui l'incite à faire

quelque chose s'apparentant à l'herméneutique: étude du passé, recherche des origines,

formation du langage et des significations, interprétation de textes et de la tradition.

Gadamer, lui-même, fait remarquer qu'avec Nietzsche le concept d'interprétation adopte

une nouvelle bannière, il devient plus radical et plus profond. Ainsi dans Hwna;n, trop

humain Nietzsche dira qu'il n'y a pas de: phénomènes moraux, mais seulement des

interprétations morales des phénomènes. Paul Ricoeur affirme dans Freud el la

philosophie qu'il y a deux formes d'herméneutique: l'une de respect (option pratiquée par

Gadamer) et l'autre de suspicion (inaugurée par Nietzsche). La première vouée à la

recollection de sens, l'autre vouée à démasquer, démystifier, débusquer l'illusion. Or

certains autres (Michel Foucault), contrairement à ce que prétend Ricoeur, affirment que

Nietzsche ne pratique pas l'herméneutique, car Nietzsche ne tente pas de faire surgir de

vérités profondes enfouies dans le passé (ou même dans l'être). Foucault signale que le

cours de l'histoire du passé au présent est pour Nietzsche une illusion; le passé est

quelque chose que l'on crée, c'est une fiction établie à partir d'une perspective. Et pour

Nietzsche, à l'encontre des herméneutes, de type Gadamer ou Taylor, il n'y a pas de

constante dans l'histoire; rien n'est suffisammen' :;table chez l'homme pour servir de base

pour l'auto-reconnaissance et pour la compréhension des auttes hommes ou du passé.

Pour Nietzsche le d~veloppement de l'humanité n'est qu'une série d'interprétations sans

fondement et c'est pourquoi il opte plutôt pour la généalogie et laisse de côté

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{

l'henné ne utique recherchant l'origine. Il préfère enregistrer l'histoire r6cente de ces

interprétations.

La généalogie, telle que la pratique Nietzsche, des diff&!rentes traditions morales,

religieuses et épistémologiques ressemble par certains aspects à l'herméneutique. Toutes

deux s'adressent à la tradition, à la sédimentation historique des us et coutumes, mais la

généalogie nietzschéenne pointe dans une autre direction. Tandis que l'hennéneutique,

telle que pmtiquée par Gadamer et Taylor, semble faire de la tradition un 'indépassable'·;

au contraire la généalogie nietzschéenne dévoile pour mieux dénoncer, pour abolir. Ainsi

Nietzsche ne fait pas de la généalogie pour remonter aux origines. D'ailleurs Foucault

nous rappelle que le diagnostic de Nietzsche à propos de la foi dans la pureté de l'origine

n'est rien d'autre qu'une extension métaphysique de la croyance selon laquelle les choses

sont plus pures, plus précieuses et plus essentielles au moment de le~ origine (58).

Grâce à la gén~alogie Nietzsche questionne nos intr.rprétations culturelles, car le

développement de l'humanité pour lui n'est qu'une série d'interprétations et la généalogie

ne vise pas à en retracer les origines, mais plutôt tente d'en enregistrer le cours pour en

faire ressortir l'aspect aléatoire, arbitraire et ainsi démystifier nos pratiques et croyances.

Donc la généalogie s'oppose à le recherche de 'l'origine' (Ursprung), tandis que les

hennéneutes panagent avec les platoniciens, les kantiens (et les positivistes?) l'idée que

l'homme a une essence, soit de découvrir les essences. Or Foucault nous fait constater

que:

« ... si le généalogiste prend soin d'écouter l'histoire plutôt que d'ajouter foi à la métaphysique, qu'apprend-il? Que derrière les choses il y a 'tout autre chose': non point leur secret essentiel et sans date, mais le secret qu'elles sont sans essence, ou que leur essence fut construite pièce à pièce à partir de figures qui lui étaient étrangères.» (59)

Ce que l'on retrouve à l'origine ce n'est pas l'identité ou l'essence, mais le disparate.

Nietzsche, en tant que généalogiste, se sen de l'histoire pour conjurer la chimère de

• Comme nous l'avons vu plus haut Gadamer a rétabli la notion de préjugé (Vorurteil) , lui donnant un caractère ontologique fondamental dont il est impossible de sortir et ce faisant il bannit toute possiblil6 de changements sociaux radicaux. De la sone tout esprit transfonnateur doit tenir compte de la tradition.

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?; : - l'origine. Et Foucault fait remarquer que les tennes tels 'Entstehung' (émergence) ou

'herkunft' (provenance, souche) marquent mieux que 'ursprung' (origine) l'objet propre

de la généalogie (60). Et par la recherche de la provenance ('herkunft') Nietzsche ne

fonde pas, tout au contraire il inquiète, il fragmente et montre l'hétérogénéité de ce qu'on

imaginait confonne. Par le concept d'émergence ('enstehung') Nietzsche fait remarquer le

jeu des forces luttant les unes contre les autres. Foucault, poursuivant l'entreprise

généalogique nietzschéenne. affmne que:

«Nous croyons que notre présent prend appui sur des intentions profondes, des nécessités stables; nous demandons aux historiens de nous en convaincre. Mais le vrai sens historique reconnaît que nous vivons, sans repères ni coordonnées originaires, dans des myriades d'événements perdus.» (61)

De plus l'histoire sous le coup d'oeil généalogique est perspectiviste, (cf. chapitre

premier) elle n'efface pas le lieu d'où elle regarde, le moment où elle est, le parti qu'elle

prend, l'incontournable de sa passion. Donc le point de vue généalogique refuse de

regarder en arrière pour retrouver des origines, car Nietzsche ne croit pas à la notion

d'origine ou d'essence perdues dans le passé; sa généalogie nie une telle croyance en

nous montrant comment l'histoire est discontinue, pleine de ruptures et qu'à l'origine il

n'y a que le disparate. D'ailleurs, Nietzsche affinne dans Le Voyageur et son ombre à

propos de la notion d'origine:

«Magnifier la Génèse, voilà la surpousse métaphysique qui se remet à bourgeonner lorsque l'on considère l'Histoire, et qui porte à penser vraiment qu'au commencement de toutes choses se trouvent les plus précieuses et les plus essentielles.» (62)

Donc la généalogie n'est pas un outil au service de la redécouverte des origines et des

essences, plutôt elle sert à montrer que l'origine n'a rien en soi de précieux. La généalogie

ne fait que constater qu'il n'y a pas de continuité, il y a seulement une diversité sans unité

réelle. Pour Nietzsche le passé a un caractère agonis tique, il est donc impossible que l'on

assiste à une fusion des horizons véritables, car notre médiation avec le passé est une

tâche infinie et a pour résultat une fabrication dû notre perspective.

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(

( '1

Plutôt que d'entrer en médiation avec le passé pour mieux nous comprendre -

comme Je désire l'herméneutique - Nietzsche veut se servir du passé pour que l'homme

puisse se dépasser, pour qu'il crée. Car n'oublions pas, Nietzsche souhaite créer un

homme nouveau sur qui la tradition (morale, religieuse, épistémologique, etc.) n'aura pas

de prise. C'est là son projet fondamental et c'est à cette fin qu'il revitalise la notion

d'oubli et qu'il s'attaque aux entreplises mnémotechniques·. Il dira de la capncité (car

clle en est une selon lui) d'oubli:

«La capacité d'oubli n'est pa.; une simple 'vis inertire' comme le croient les esprits superficiels, elle est plutôt une capacité d'inhibition active, positive au sens le plus strict du ICIIllC, à laquclIe il faut attribuer que tout ce que nom. vivons, expérimentons, absorbons, dans l'état de digestion ( ... ) apparaît aussi peu dans le champ de la conscience que le processus multiple en fonction au cours de notre lIullilion physique au moment où s'opèle cc qu'on appelle 'l'assimilation'.» (63)

La capacité d'oubli li un rôle actif, elle est chargée du contrôle des entrées, elle est

gardiennc dc l'ordre psychique, sans clic il ne saurait exister aucun bonheur, aucune

sérénité, aucun espoir, aucune fierté Cl aucun présent. Il faut apprendre à oublier selon

Nietzsche, afin de ne pas rester accroché au passé (64), Tout acte exige l'amnésie. Nous

i1vpns besoin de ne pas savoir pour vivre, Sinon l'histoire nous paralyse, nous

uccumulons une somme de connaissances qui tend vers l'infini et qui nous handicape de

plus en plus. En ce sens nous pouvons affirmer que Nietzsche s'inscrit en faux face à

l'hennélleulique qui elle vise la ré-expél icnce ('nacherleben ') de J'histoire, la conservation

de la tradition. L'oubli sert à nous libélcr de notre captivité historique, il nous aide à nous

libérer de la tradition. Nietzsche refusc que l'on ne fasse que col1ectionner le passé, que

l'on tenle dt' le conserver Je plus intact possible et ce, mêmc médiatisé.

Il plaide Jlour l'oubli, car cette capacité il aussi - d'abord cl avant tout - une

fonction positive. Nietzsche se veut le philosophe pour {lui il importe entre toute chose de

.. Gadalllcr mlllll'l, cependant, a\ cc NlctJ'sdle qUl' l'oubli est une faculté active appartenant au contexte du souvenir ct du rappel ou de la mémOire. Et il lldmet, cn accOId avec Nietzsche, que l'oubli n'cst pas une hll'unl'. mais hicll une COIulitlO1l dc vic dc l'esprit. Sculement grâce à l'oubli l'esprit peUl-il espérer se I\'nouvdcr cl vOIr aVl'C (ks YCU"(. nouveaux'!

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créer, il réclame la création (de valeurs, d'idées, d'actes ... ) et pour ce il fHut savoir

transgresser (la tradition*). L'oubli est pour lui une facuIté qu'il faul cultiver.

En ce sens on pourrait affimler que ce qu'il met de l'avant peut être pcrçu ---- non pas

comme un contre-argument à l'hemléneutique, puisquc Nietzsche n'en li jalll~tis parlé

ouvertement - mais bien comme un contre-mouvement, cOlllme unc altclllative à

l'herméneutique. Au lieu de plaider pour la conservalion, il plaide pour la cléalion ct

l'abolition dans la création. La généalogie nietzschéenne se préscnte donc cOllime unc

alternative à l'hennéneutique. Ces dcux approches bien qu'ayanllc mêmc objet: l'hisloirc

et son contenu, divergent au niveau du 'telos·. Toutes deux poursuivent des voies

opposées s'adressant toutefois à la même chose. L'une de ces dcux options semble

habitée par une tendance conservullice; l'autre, au contraire, scmhle versci dans le

laxisme.

Or le conservatisme (inhérent) au sein de l'hell11éneUlillllc repo1'oc sur des just ificatiolls

ontologiques (la tradition et le préjugé ne pouvant être dépassés) cl en ce sens f1'cst ni un

conservatisme gratuit (il est plutôt bieu armé d'arguments ontologiques: lillglli~licalilé ct

tradition), ni idéologique, il n'est pas - de façon avouéc - voué à la promotion de fins

quelconques, situant plutôt son attention et ses agissements sur le terrain philosophique.

M"is on ne peut s'empêcher de presumer qu'il peut servir le consclvalismc cn général. Le

laxisme auquel semble encourager la vision nietzschéenne s'engage dans une autre voie,

une voie pennettant à l'homme - à ln ligueur aux hommes - de falle fi de la Il adilion ct

de créer à neuf. L'herméneutique n'a cepcndanl pas d'orientation finaliste Cil soi. P~lr

contre la généalogie nietzschéenne se fait promoteur de la créativité ct de la spolltanéité;

eUe répond à une requête philosophique: Nietzsche réclame l'abandon de la véné. aiiOlI du

passé et de la tradition et exige la création à neuf pOUf le présent aflll d'assurel le dcvenir.

Nietzsche érige cette requête philosophique en principe el ce de manière sous ullcnduc

lorsqu'il dénonce le passé et la tradition. Il refuse que l'on fige et qlle J'on se lai .... ~c figer;

cette façon de faire ne serait que J'un ùes nombreux visages du nihilismc (figcr k<; chose~

... voir à cc sujel L'antéchrist où Nicllsche réclame une tranwaluatloll de t()utc~ les valcur~, a/Ill dc cr~cr l'homme nouveau. Et c'est là un thèmc récurrent dans SOli oeuvrc.

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= nier la vie qui en fait eSl dynamique), il importe selon lui d'être en accord avec la vie et

avec la morale qui sont dynamiques (en devenir).

C'est pour cela que la généalogie nietzschéenne sert une finalité apparemment laxiste.

Une fois rattachée à la philosophie de Nietzsche (affirmation de la vie) cette finalité pero

ses apparences laxistes, révélant ainsi la cohérence et J'unité de la pensée nietzschéenne.

Nietzsche pointe dans une direction opposée à l'herméneutique et ce non pas par laxisme.

mais parce que cela répond à son projet philosphiquc primordial. Donc plutôt que de

regarder vers l'arrière et d'en respecter la tradition, Nietzsche nous incite à délruire les

valeurs, à abolir ou transgresser cette tradition, afin d'être des créateurs, d'être Cil accord

avec la vie et pour contrecarrer le nihilisme inhérent au respect dr la trudition. Ainsi

sachant lui aussi que J'être est un être-crée (produit historique, enfermé dans une

tradition), Nietzsche refuse d'adopter cette définition et opte plutôt pour l'être créateur;

c'est là ce qu'il met de l'avant, il ne se résigne pas devant la nature historique de l'être.

Donc à partir du fait que l'homme soit un produit historique (être-crée), il exige qu'on

se libère de l'homme lui-même, il veut un 'übermensch' qui pourra dépasser cette donnée

de départ et qui passera d'être-crée à être-créate-ur. Il veut que l'homme créé, l'homme

emprisonné dans la tradition serve de tremplin - sans plus - à l'homme nouveau"'.

Nietzsche proclame la fin de cet homme-créé (qui est indépassable d'après

l'herméneutique) afin de permettre à l'homme nouveau de naître. On constate donc que

pour Nietzsche la tradition est la prison de l'homme, une prison dont il faut ~'évader.

C'est là, croyons-nous, la signification globale de l'oeuvre de Nietzsche. Ce qui est

insurpassable pour les herméneutes doit être nié, afin de s'en débarrasser.

Ce que nous révèle ce qui précède n'est pas une contre-argumentation théorique

s'attaquant point par point à l'hennéneutique. Plutôt Nietzsche nous offre une alternative

à l'hennéneutique, il nous présente un contre-mouvment pouvant faire front contre

l'hennéneutique. Car Nietzsche réclame un homme créateur, il ne veut pas qu'on se limite

• Voir à cel effet Les trois métamorphoses dans Ainsi parlait Zarathoustra.

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~.

à sa nature d'êtte-créé. L'histoire doit nous inciter à créer, ainsi pour vivre il faut briser le

carcan du passé, il faut le juger définitivement, et ce non pas devant le tribunal de la

raison, mais devant celui de la vie, au nom de la vie et de la ~ation. Selon lui tout passé

est digne d'être condamné. La véritable étude de l'histoire, d'ap~s lui, devrait servir à

nous montrer qu'il faut créer pour ainsi être en accord avec la vie (affirmation de la vie·).

Par son enseignement le passé devrait nous apprendre que les grands hommes sont

possibles et inspirer les hommes du présent à devenir de grands hommes. D'ailleurs

Nietzsche décrit l'utilité de l'étude historique de la manière suivante:

«Voilà les services que les études historiques peuvent rendre à la vie. Chaque homme, chaque peuple, selon ses fins, ses forces et ses nécessités, a besoin d'une certaine connaissance du passé, tantôt sous forme d'histoire monumentale, tantôt sous forme d'une histoire antiquaire, tantôt sous forme d'histoire critique, mais non point comme en aurait besoin une troupe de purs penseurs qui ne fait que regarder la vie, non comme des individus avides de savoirs et que seul le savoir peut satisfaire, pour qui l'augmentation de la connaissance est le but même de tous les effons, mais toujours en vue de la vie, par conséquent aussi sous la domination, sous la conduite suprême de cette vie même.» (65)

La connaissance du passé doit être au service du présent. Donc Nietzsche ne s'en prend

pas comme tel à l'herméneutique, mais au type d'histoire dans laquelle elle verse. n ne

veut pas d'une histoire objective, il requiert une étude de Ibistoire qui juge. n ne veut pas

des interprètes qui jugent en aspirant à la vérité, mais des interprètes qui jugent pour

s'élever et élever leur époque (au nom de la vie). TI veut des interpètes qui jugent en

inventant. Or l'herméneutique interprète par raffinement constant et ce afin d'en arriver à

la vérité - ou du moins pour s'en approcher. L'étude historique lorsque pratiquée de

cette façon contribue au vieillissement de l'humanité, c'est une occupation de vieillard

regardant en arrière, passant en revue, dressant un bilan et qui cherche une consolation

dans les événements d'autrefois. Nietzsche s'oppose à une telle activité et affunle: «Non,

le 'but de l'humanité' ne peut pas être au bout de ses destinées, il ne peut s'atteindre que

'dans les types les plus élevés' (66).

• Voir De l'Ulilité et tks l'inconvénilnt des études historiques pour la vk in: Considérations inactuelles.

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De plus on peut adresser à l'endroit de l'hemléneutique une critique semblable i\ celle

que Nietzsche adresse à l'endroit de la science:

«Sa prétention la plus noble, c'est aujourd'hui d'être un miroir; elle rejette toute téléologie; elle ne veut plus rien 'prouver'; elle répugne à jouer le rôle de juge et c'est en cela qu'elle place son bon goût, - elle affimlc uussi peu qu'elle nie, elle constate, elle 'décrit' ... » (67)

Bien qu'il s'adresse ici à la science il est possible de transférer cette criti(lur. à

l'hennéneutique, car Nietzsche s'en prend à tout le règne contemplatif au cours de cette

Ille dissertation et l'hennéneutique ne fait-elle pas elle aussi partie de ce règne. Elle aussi

refuse toute téléologie, elle aussi ne cherche pas à prouver, elle uussi répugne ~, jouer le

rôle de juge, elle aussi affinne aussi peut qu'elle nie, elle uussi constatc et déclil.

L'hennéneutique est aussi une 'volonté de vérité'; en fait ne serait-ellc pus un

raffinement de cette 'volonté'? En effet l'herméneutique n'est pcut-être pas aussi

intransigeante que la science dans sa recherche de la vérité, mats il n'en demeure pas

moins qu'elle vise à constanunent à s'en 1 approcher. Elle est au mêmc titre que la science

un 'vouloir savoir' (une 'volonté de vérité'). Ainsi elle tente de rClldre fmnilicr le non­

familier (éclairer l'obscur, rendre l'incohérent cohérent, rendre intelligible l'étrange,

effectuer une médiation entre le passé et le présent). Et c'est iustement ce qui cal actérise

l'entreprise de la connaissance dans son ensemble selon Nietzsche. Que signifie

connaître? «Rien que ceci: ramener quelque chose d'étranger à quelque chose de connu))

(68). Plus loin il poursuit: «Eh quoi? notre besoin de connaître n'est-il pas justcment

notre besoin de familier? le désir de trouver, parmi tout ce qui nous est étranger,

inhabituel, énigmatique, quelque chose qui ne nous inquiète plus'!» (69). Dc par son désir

de rendre le non-familier familier l'herméneutique tombe elle aussi sous les coups de la

critique nitezschéenne de la 'volonté de vérité'. Et Nietzsche se demande à lJuoi sert une

telle entreprise, sinon encore une fois à nier la puissance affirmative ùe l'exislenœ. Il écrit

dans Le crépuscule des idoles à propos de la 'volonté de vérité':

«Ramener quelque chose d'inconnu à quelque chose de connu, cela soulage, rassure, satisfait, et prouve en outre un sentiment de puissance. Avec l'inconnu c'est le danger, l'illquiétude. le souci qui apparaissent - le premier mouvement instinctif vise à éliminer ces pénibles dispositions.

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(

Premier principe: n'importe quelle explication vaut mieux que pas d'explication du tout.» (70)

Or la vie doit dominer la connaissance ct la science, sinon la connaissance contribue à nier

l'existence:

«Dès lors la connaissance a besoin d'une instance et d'une surveillance supérieure; une thérapeutique de la vie devrait se plaœr immédiatement à côté de la science, et l'une des règles de cette thérapeutique devrait enseigner précisément: l'anti-historique et le supra-historique sont les antidotes naturels contre l'envahissement de la vie par l'histoire, contre la maladie historique.» (71)

Nietzsche craint l'envahissement de la vie par le passé et ce au détriment de celle-ci. Il

craint que notre regard se tourne trop longtemps vers le passé et qu'il soit hypnotisé par

celui-ci. Or il faut tout au plus mettre le passé au service de la vie.

On remarque, grâce à tout ce qui précède, que malgré que Nietzsche n'ait pas

combattu ouvertement l'hennéneutiquc, elle fait tout de même partie de catégories qu'il a

vertement critiquées ('volonté de vérité' ou 'volonté de savoir')* et que de la sorte sa

philosphie nous pennet d'effectuer une étude critique de l'herméneutique. De plus il nous

offre une alternative à l'hennéneutique soit la généalogie (qui se veut l'outil servant à la

dénonciation des tendances nihilistes). La grande préoccupation de l'activité philosphique

nietzschéenne c'est d'être en accord avec la vie. Plutôt qu'un être-créé (Heidegger -

Gadumer - Taylor) Nietzsche réclame un être créateur - se servant de l'être-créé

comme simple point d'appui. Autant cefuse-t-il l'explication'''*, autant refuse-t-il la

compréhension (herméneutique), car aucune de ces deux options n'offrent de guide

valable pour la vie. Tout au plus tolère-t-i1I'interprétation à condition qu'elle soit au

service de la vie - ce que l'hemlénculÏque ne fait pas avec son interprétation. Nietzsche

met de l'avant une esthétique de l'existence; le soi devient une oeuvre d'art. Toute

aspinuion à la vérité est inutile à l'existence.

* voir chapitre premier ** Voir notre chapitre précédent.

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Plutôt que d'avoir une attitude médiatrice envers le passé, Nietzsche a une attitude

subversive, il questionne à savoir 'qui parle?', à partir de quel lieu et avec quel point de

vue (perspective). Il permet de rompre avec l'herméneutique en proposant un autre

concept d'inteprétation, c'est-à-dire l'interpétation en tant qu'activité transfonnatrice -

dissociée de la valeur de la vérité et de la question de l'être. Une telle transformation

pennettra à des auteurs comme Jacques Derrida d'effectuer la décons~ction"'. Nietzsche

remplace la médiation par la transgression. D'ailleurs Derrida lui-même caratérisa ce qui

distingue Nietzsche de l'herméneutique telle que pratiquée par Gadamer et Taylor comme

suit:

«Il y a donc deux interprétations de l'interprétation de la structure, du signe et du jeu. L'une cherche à déchiffrer, rêve de déchiffrer une vérité ou une origine échappant au jeu et à l'ordre du signe, et vit comme un exil la nécessité de l'interprétation. L'autre qui n'est plus tournée vers l'origine, affmne le jeu et tente de passer au delà de l'homme et de l'humaniste, le nom de l'homme étant le nom de cet être qui, à travers l'histoire de la métaphysique ou de l'onto-théologie, c'est-à-dire du tout de son histoire, a rêvé la présence pleine, le fondement rassurant, l'origine et la fin du jeu. Cette deuxième interprétation de l'interprétation, dont Nietzsche nous a indiqué la voie, ne cherche pas dans l'ethnographie, comme le voulait Lévi­Strauss, dont je cite ici encore l'Introduction à l'oeuvre de Mauss, 'l'inspiratrice d'un nouvel humanisme'.» (12)

L'interprétation, telle que pratiquée par l'herméneutique, selon Nietzsche, contribue plus

à voiler qu'à dévoiler. Et finalement on pourrait ajouter que l'herméneutique est

virtuellement silencieuse sur le question complexe de la domination et du pouvoir. El

comme l'ont enseigné Nietzsche, Marx, Freud, Weber, l'École de Francfon et Foucault

aucune orientation intellectuelle cherchant à éclaircir la 'praxis' concrète dans Je monde

contemportain ne peut être jugée adéquate si elle ne s'attarde pas aux questions concernant

le caractère, la dynamique et les tactiques du pouvoir et de la dominat!on. Nietzsche lui

aussi - comme Marx, mais d'une manière différente - souhaite la transformation du

monde; ce qu'il faut ce n'est pas de l'interprétation, mais de la transformation à travers la

transgression et la transvaluation.

* Oubli actif: transgression et déplacement des questions.

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(

Notes du troisième chapitre

Wilhelm Dilthey. The development of lIermeneulic in: W. Dilthey Selected Writin&s. éd. par II.P. Rickman. p.250.

2 Guy Laforest. Les sciences humaines qlodemes: diversité épistémolo&igue et complémentarité politique. (thèse dt; doctorat) 1'.47.

3 lhid.. p.4S. 4 Rüdiger Bubner, Modem German Philosophy. p.28. 5 Wilhelm Dilthey, The Structure of lIumall SIl«iies in: Ibid, p. 192. 6 Il. P. Rickman. Wilhelm Dihhey: Pioneer of the Human Studies. p.147. 7 Wilhelm Dilthey, Drafts for a Critique of /1 ;storical Reason in: !..b.id. p.20S. SIl. P. Rickman. Ibid. pp. 135-6. 9 Rudolf A. Makkreel, Dithey: Philosopher orthe Human Studies. pp. 336-7 10 Wilhelm Dilthey. W. Dihhey Selected Writings éd: H.P. Rickman, p.166. II Wilhelm DiIthey. The Developmelll of lIermellcut;cs in: W. DiIthcy Selected WI itings.

éd.: H. P. Rickman, p. 260. 12 Manin Heidegger. Being and Time. p.6I. 13 Otto Poggeler. La pensée de Martinlleidegger. p.94. 14 Ibid. p.95. 15llllil. p.96. 16 Hubert L. Dreyfus. Being-in-the-World: a Commentary on Heidegger's Being and

Time. (1938) texte non-publié, p.9 chapitre 4. 17 .J.lllil. 18 Hubert L. Dreyfus, Ibid. P.15 chapitre 4. 19 Charles 8. Guignon. Hiedegger and the Problem of Knowledge. p.7I. 20 H.-G. Gadamer. The lIermelieUli.'i(' o(Suspicioll in: Hermeneutics Questions and

Prospects. éd. par: G Shapiro et A. Sica, p.59. 21 Richard J. Bernstein, Beyond Objectivisme and Relativism. p.37. 22 H.-G. Gadamer. Truth and Method. p.241. 23 fuid. p.245. 24 H.-G. Gadamer. Truth and Method pp.235 à 267. 2511.-G. Gadamer. The Philosophical Foundat;olls of Twentieth Cenlury (1962), in:

Pililosophicai Hernleneutics. éd. pal: D. Lynge, p.122. 26 William Outhwaite. /-lans-Georg GadlUller (1985), in: The Return of Grand Thcory in

the Human Sciences. éd. par: Quenlln Skinner. p.24. 27 Il.-G. Gadamcr. Tmtll and Method. pp. 267 à 274. 28 Ibid. pp. 147-8. 29 Il -G. Gadamer. Ihid. p.173. 30 Il.-G. Gadamer. Practical Philosophy as a Model of the /-Iwnan Sciences (1980) in:

Research in Phenomenology #9 p.S3. 31 Jean Greisch. Hernléneutique et grarnmatologie. pp. 156-7. 32 Il.-G. Gadamer. Truth and Method. p.450. 33 H.-G. Gadamer. To Whar Extent Does Language Preform Tlwught? in: Trutll and

Method. supplément Il. pp. 491 à 498. 34 H.-G. Gadamer. Hermenew;cs and Social Science in: Cultural Henneneutics vol.2

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99

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39 Charles Taylor. Interpretation alulthc Sciences of !t1all (1971), in: Philosol,hical Papers vol II p.15.

40 Charles Taylor.llllii. p.15. 41 Thid.. p.16. 42llllil. p.38. 43llilil. 44.l!ili1. 45 lhid. 46 Charles Taylor, introductim, in: Phi10sQphicai Papers. vol. 1 p.2. 47 Charles Taylor. Self-interpreting A"imals in: Ibid vol 1 p.49. 48 llllil. p.54. 49 Thid.. p.60. 50 Charles Taylor. Understanding allli EllrnoCelltricit)' (1981) in: Ibid. vol. Il p.1 17. 51llllil. pp. 123-4. 521lllil. p.129. 53 Charles Taylot'. Language and J ["man Nature (1978) in: lhld. vol. 1 p.216. 54 Charles Taylor. Theories ojMeaning (1980) in: Ibid. vol. 1. p.261. 55 Kenneth Bames.lntroduction 10 Overcomin8 E/Jütemology de Cllarles Tayhll, in:

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p.148. 60 Ibid. p.151. 61 llllit. p.162. 62 Friedrich Nietzsche. Le Voyageur et son ombre in: Humain, trop humain, vol. III

p.218 #3. 63 Freidrich Nietzsche. La 'l'aute', la 'mauvaise comcience' el ce qll/ leur ressemble in:

Généalogie de la morale. p.165 # 1. 64 Friedrich Nietzsche. De l'utilité et de l'inconvément des études ",.\toriques in:

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p.288 #26. 68 Friedrich Nietzsche. Gai savoir. p.309 #355. 69 Ibid. p.310 #355. 70 Friedrich Nietzsche. Les quatre gralldes erreurs in: Crépuscule lI.es idoles. p.5X #5. 71 Friedrich Nietzsche. De l'utilité el de n'U'OIlvément de.\· études I".\toriques pOlir la Vil!

in: Considérations inactuelles. p.175 # 1 O. 72 Jacques Derrida. La structure, le signe et le jeu in: L'écriture ct la ùifTércnce. pA27.

HX)

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(

{

Conclusion

Ce qui précède nous a permis de constater quelle est la vision de Nietzsche par

rapport à l'entreprise de la connaissance. La présente dissertation nous a aussi permis de

faire le point sur les rapports pouvant exister entre la pensée Nietzschéenne et les deux

méthodologies que nous avons choisi d'analyser.

Rappelons aussi que la confrontation de Nietzsche avec les sciences sociules n'a

jamais véritablement été investiguée et analysée, et que notre travail se veut un pas dans

cette direction. Bien sûr un tel exercice aurait pu être exécuté de d'autres manières. Nous

avons choisi une analyse qui se situe au niveau de la théorie de la connaissance, car le

rapport des sciences SOCIales avec leurs fondements dans une théorie de la connaissance

est encore très indéterminé. Et les deux écoles étudiées (positivisme: explication, et

herméneutique: interprétation) témoignent de deux types de rapports entre les sciences

sociales et leurs fondements théoriques. Ces deux écoles entrevoient les sciences sociales

de façon radicalement différente. Toutes deux définissent les sciences sociales de manière

diamétralement opposée. La confrontation de ces deux écoles avec Nietzsche ne nous aura

pas permis de nous pronconcer ou de trancher véritablement quant au statut réel des

sciences sociales, mais nous aura toutefois permis de situer Nietzsche face à ces deux

écoles et du même coup nous aura pemlis de nous prononcer sur la 'valeur' de ces deux

écoles, de les voir telles qu'elles sont et de les criti4uer à travers une perspective

nietzschéenne. L'étude de l'oeuvre de Nietzsche nous aura permis de le situer par rapport

à ces deux écoles et de les critiquer à l'aide des thèses qui en ressortent.

Bien que n'ayant pas la prétention de couvrir tout le champ des questions se

rapportant à la rencontre (ou confrontation) de Nietzsche avec les sciences sociales, notre

étude s'avère être l'une des avenues possibles; une avenue qui nous a pemlis de le mettre

l'n relation avec le débat entourant la question du statut des sciences sociales. Nous

aurions pu, peut-être, adresser le débat de plein front et mettre Nietzsche de côté, mais

cela a déjà été fait à maintes reprises. En incorporant Nietzsche cela nous a pennis

d'apporter du sang neuf au sein du débat ct aussi de l'élargir pour l'amener là où il doit

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- véritablement se situer, à savoir sur le terrain de la 'validité de tOlile connaiSSillIl'C'. Car

c'est bien de la connaissance en général qu'il s'agit. Les sciences sociales n'élaltt que l'un

des volets de la connaissance, il faut inévitablement ramener le déhat COnCl'lltilllt km

statut à celui de la connaissance.

Somme toute Nietzsche dévoile la nature dc la connaissance ('volollté dc vl;"té'), sc

moque de toute entreprise de connaissance ct nou" indique qu'elle l'st louJour"

perspectiviste. Et cela s'adresse aussi au savOIr social. Étant pallic IIltéglalHl' de la

connaissance, les sciences sociales n'écllilppcnr pas fi la CI itique IIlll.1sdléclI/U.'. Elles sont

au même titre que toute connaissance l'expression d'unc volonté de vélllé ct s01l1 loujolll s

perspectivistes. Les sciences sociales, pas plus que les autres modes de cnnll:lIs~altœ. ne

contribuent à 'créer'. Les sciences sociales académiques tendent à figel. clics so1l1 donc.

comme tout ce qui tend à figer selon Nietzsche, nihilistes· elles figent plutôt <JUl' dl' l:rl(l'r

et affirmer.

La donnée fondamentale de l'oeuvre de Nietzsche est la vie, Il faut affinllcr la Vll~

selon lui, toute son oeuvre découle de cet énoncé. Les CI itiques qu'il émct à l'endlOlt de la

religion, de la morale, de la science et de la connaissance en génél al sont cOllllilionnées

par cette donnée de base. D'après lui la connaissance, tout comme la Idigioll. la 1lJ00aie ct

la science, est nihiliste, car elle ne conlribuc pas à aflirmcr la vic. Le" "cienœs \ocialcs

n'échappent pas à ce jugement. Elles sCiaient elles aussi nihiliste"i étant donné qll'clle., ne

sont qu'une sous catégorie du domainc de la connaissancc. Le vc/(jict dc NICI,.,chc ü

propos de la connaissance s'adresse donc lui aussi aux sciences sociales. Cc qll'JI fall\

selon Nietzsche c'est de dépasser, créer, oublier pour créer, affirnicl cl non analy"er ct

soumettre à l'oeil scrutateur de la connaissance. Scion lui la cOJlnaissancc dCllt êlJe

soumise à une thérapeutique de la vie, car la connaIssance est telle ulle maladlc alcahlant

la vie,

Ses vues philosophiques nous ont tout de même permis de CI itiqucr les tcnuancc"i

méthodologiques présentes en sciences sociales. C'est cc que !lOU" OlJt permis le., dcux

derniers chapitres de cette dissertation. Ainsi nous avons pu cO/1.,talcr que NiclI\chc.

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contrairement aux allégations d'Habermas, se veut un critique acerbe du positivisme

(modèle explicatif). Malgré que Nietzsche ait pour un moment adopté une vision

similaire, proche du positivisme, nous avons été en mesure de constater quë cela fut fait

dans l'unique but de miner la crédibilité de la religion. n adopta ce point de vue seulement

pour le mettre à profit dans sa lutte contre la religion. Une fois cette tâche accomplie, il

critique sévèrement le modèle scientifique et le rejette, car son utilité ne se limite qu'à sa

capacité de décrire et de contrer la religion, sa prétention à la vérité est elle aussi erronée.

Ainsi son analyse de la science et de son mode de penser devient chez Nietzsche plus

subtile que ne le prétend Habermas. Il accuse la science de n'être elle aussi qu'une autre

forme, une nouvelle mutation de la 'volonté de vérité'. En confrontant Nletzscht; à

l'hennéneutlque il nous a été possible de le situer par rapport à ce mode de penser qui

sans cesse voit son importance grandir en ce qui a trait au domaine de la connaissance.

Cette confrontatlon nous aura donc permis aussi de critiquer l'herméneutique à partir des

réflexions nietzschéennes.

Nous pourrions aussI ajouter pour terminer que Nietzsche a une progéniture en

sCience sociale. Ainsi la généalogie telle que pratiquée par Nietzsche a trouvé son chemin

pour nous parvenir et s'est trouvé un successeur en la personne de Michel Foucault.

Nous n'avons pas tenté d'investiguer les rapports entre Nietzsche et Foucault, car cela en

soi mérite beaucoup d'espace et étant donné le cadre de notre recherche il ne nous est pas

permis de nous lancer dans tous les azimuts. Mais l'influence de Nietzsche sur Foucault

est indéniable et fut même reconnue par ce dernier. Foucault nous offre donc en quelque

sorte une illustration de la pensée nietzschéenne lorsque mise en application et ce plus

particulièrement dans le domaine des sciences sociales. D'autres illustrations sont-elles

possibles. cela vaudrait peut-être la peine d'être tenté.

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