nicolas beudon - apprendre et se former dans les bibliothèques

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  • 8/7/2019 Nicolas Beudon - Apprendre et se former dans les bibliothques

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    cole nationale suprieure des sciences de l'information et des bibliothques

    Diplme de conservateur de bibliothque

    Mmoire dtude / janvier 2009

    Apprendre et se former dans les

    bibliothques

    La mission ducative des bibliothques

    municipales

    Nicolas BEUDON

    Sous la direction dAnne-Marie Bertrand

    (Directrice de lEcole Nationale Suprieure des Sciences de lInformationet des Bibliothques)

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    BEUDON Nicolas | Diplme de conservateur de bibliothque | Mmoire dtude | Janvier 2009 - 3 -Droits dauteur rservs.

    Remerciements

    Nayant jamais eu loccasion de le faire, au seuil de ce mmoire, jexprime toute ma

    reconnaissance la modeste mdiathque de Sens, dans lYonne, dont les chauffeusesme fournirent, il y a quelque temps dj, une confortable et instructive bienqu'immorale et buissonnire alternative aux bancs du lyce.

    Je remercie ma directrice Madame Anne-Marie Bertrand pour son coute attentive.

    Jai beaucoup profit du travail de ma collgue Myriam Bottana sur les ples emploi-formation : un grand merci elle !

    Merci Claire, Cline et Anna pour leur relecture et leur amiti.

    Et merci Soledad pour le reste, comme dhab !

    N.B.

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    BEUDON Nicolas | Diplme de conservateur de bibliothque | Mmoire dtude | Janvier 2009 - 4 -Droits dauteur rservs.

    Rsum :

    La bibliothque nest pas lcole, quel sens spcifique donner alors sa mission

    ducative ? Au cours de leur histoire, les bibliothques publiques ont dvelopp

    plusieurs formes de discours ducatif, mettant au premier plan tour tour une

    offre choisie douvrages ducatifs, lanimation culturelle, et les outils

    dautoformation. A lheure de la socit de la connaissance et de la formation

    tout au long de la vie, alors que dans certains pays europens les bibliothques

    se muent en vritables centres de formation, les bibliothcaires franais

    prfrent se considrer comme des mdiateurs plutt que des formateurs. Ils

    proposent des services varis destination des publics apprenants. Certaines

    initiatives reposent sur une coopration troite avec les organismes de formation

    pour adultes. Les Idea Stores londoniens sont peut-tre la forme la plus

    aboutie de cette dmarche.

    Descripteurs :

    Bibliothques publiques -- HistoireBibliothques et ducation des adultes

    Autoformation

    Education permanente

    Droits dauteurs

    Droits dauteur rservs.

    Toute reproduction sans accord exprs de lauteur des fins autres que strictementpersonnelles est prohibe.

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    BEUDON Nicolas | Diplme de conservateur de bibliothque | Mmoire dtude | Janvier 2009 - 5 -Droits dauteur rservs.

    Abstract :

    Public libraries are not schools, what is the meaning then of their educative

    mission ? During their history, public libraries developed different kind of

    educative discourses, stressing successively the provision of selected educational

    books, cultural activities and self-learning tools. In the age of knowledge society,

    while

    in some european countries libraries are becoming true learning centres,

    french librarians prefer to consider themselves as mediators rather than

    formators. They are providing various services to lifelong learners. Some of the

    most innovatives initiatives are involving a close collaboration with adult

    education organisations. The londonian Idea Stores are the most

    accomplished form of this approach.

    Keywords :

    Libraries History

    Libraries and education

    Lifelong learning

    Continuing education

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    BEUDON Nicolas | Diplme de conservateur de bibliothque | Mmoire dtude | Janvier 2009 - 7 -Droits dauteur rservs.

    Table des matires

    INTRODUCTION : UNE ECOLE SANS MAITRE NI ELEVE ? ...........................111. La mission ducative des bibliothques : une ide paradoxale.....................112. Bibliothques et autodidaxie..............................................................................123. Du discours la ralit - lenjeu de la coopration...........................................13

    I. LE DISCOURS EDUCATIF DES BIBLIOTHEQUES : DE LA PRESCRIPTIONA LAUTOFORMATION...........................................................................................15

    LE(S) DISCOURS EDUCATIF(S) DES BIBLIOTHEQUES.....................................................151. LE DISCOURS DE LA PRESCRIPTION..........................................................................16

    1.1. Le modle de la bibliothque populaire ..........................................................16 La bibliothque comme prolongement de lcole ...............................................16Les bonnes lectures et lencadrement des lecteurs........................................16

    1.2. La logique de loffre et de la prescription.......................................................18Permanence du modle de la prescription dans le cadre rpublicain...................18Un contre-modle ..............................................................................................19

    2. LE DISCOURS DE LACCULTURATION.......................................................................202.1. La dialectique avec lcole .............................................................................20

    Lcole : fabrique de lecteurs ou frein au dveloppement des bibliothques ? ....20Deux approches distinctes de la lecture : lecture plaisir et lecture scolaire .........21

    2.2 Le modle de la bibliothque jeunesse.............................................................22Les bibliothques jeunesse et la dscolarisation de la lecture.............................22De lHeure Joyeuse la Joie par les Livres........................................................23Lanimation culturelle .......................................................................................24

    3. LE DISCOURS DE LAUTOFORMATION......................................................................263.1. De lautodidaxie lautoformation.................................................................26 Bibliothques et autodidaxie : limaginaire du self-made man ...........................26Lducation permanente.....................................................................................27Les prmices du modle de la mdiathque : documentation et autoformation ...28

    3.2. Des bibliothques pilotes : Larbre qui cache labsence de fort ..............30La perce de la BPI, la mdiathque de la Cit des sciences et de lindustrie .....30Un discours qui peine simposer, un propos actualiser..............................31

    CONCLUSION: UN DISCOURS A(RE)INVENTER ............................................................32II. APPRENDRE ET SE FORMER DANS LES BIBLIOTHEQUESMUNICIPALES AUJOURDHUI ..............................................................................35

    LACTION EDUCATIVE DES BIBLIOTHEQUES.................................................................351. LES BIBLIOTHEQUES DANS LA SOCIETE DE LA CONNAISSANCE..................................36

    1.1. Socit de linformation et socit de la connaissance....................................36 1.2. Les politiques pour la formation tout au long de la vie ...................................37 1.3. Et les bibliothques dans tout a ?..................................................................38

    Laction ducative des bibliothques du point de vue europen .........................38Les bibliothques oublies ? ..............................................................................39

    2. LES PUBLICS ET LEUR ACCUEIL...............................................................................402.1. Un public spcifique.......................................................................................40

    Apprenants et nouveaux publics .............................................................40Les tudiants......................................................................................................41Erudits, autodidactes, no-autodidactes ........................................................41

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    2.2. Mdiations et espaces.....................................................................................43Le besoin de mdiations, mdiateurs et formateurs ............................................43Le besoin despaces...........................................................................................44

    3. LOFFRE ET LES SERVICES EDUCATIFS DES BIBLIOTHEQUES......................................463.1. Les collections................................................................................................46

    Lopposition des documentaires et des romans ..................................................46Les fonds dorientation professionnelle .............................................................47Les dossiers pdagogiques.................................................................................47

    3.2. Les animations et laction culturelle...............................................................48Loffre en direction des scolaires et de la petite enfance....................................48Laction culturelle : expositions, ateliers, confrences .......................................49

    3.3. Les formations et lautoformation...................................................................50Les cours en bibliothques.................................................................................50Lexemple des APP (Ateliers de Pdagogie Personnalise)................................51La formation aux nouvelles technologie, les labels pour les espaces publicsnumriques ........................................................................................................51Lautoformation, le e-learning et les logiciels ducatifs.....................................524. LES PARTENARIATS ET LA MUTUALISATION.............................................................54

    4.1. Dun mtier lautre : formateurs et bibliothcaires......................................544.2. Les types de partenariats................................................................................544.3. Les limites de la coopration..........................................................................56 4.4. Vers la mutualisation dquipement ?.............................................................56

    CONCLUSION: BIBLIOTHEQUES ET FORMATION TOUT AU LONG DE LA VIE, UNERENCONTRE DIFEREE ..............................................................................................58

    III. UN CONTREPOINT ETRANGER : LES IDEA STORES LONDONIENS ......61DE LA BIBLIOTHEQUE AU MAGASIN DIDEES ..........................................................611. LE DISCOURS SUR LES BIBLIOTHEQUES ET LA FORMATION CONTINUE ENGRANDE-BRETAGNE.................................................................................................................61

    1.1. La socit de la connaissance dans lagenda politique britannique ................61La dissmination du savoir, un enjeu conomique et politique ...........................61La place des bibliothques dans ce contexte : la promotion des technologiesnumriques et de la coopration.........................................................................62

    1.2. Lvolution actuelle des bibliothques britanniques .......................................63Une institution victorienne obsolte ?................................................................63Le dbat sur la place du livre et des services......................................................64Le modle de laStreet Corner University..........................................................64

    2. LE CONCEPT DIDEASTORE....................................................................................662.1. Le contexte local : Tower Hamlets..................................................................66

    Tower Hamlets : un district sinistr ...................................................................66Limpasse des institutions ducatives la fin des annes 90 ..............................66La concurrence avec les loisirs ..........................................................................67

    2.2. La stratgie adopte : le magasin dides .................................................67 La convergence des bibliothques et des centres de formation continue.............67Une offre double, des services multiples............................................................68Le modle marchand : stratgie de marque et orientation vers la demande.........68

    3. LOFFRE DE FORMATION DANS UNIDEASTORE.......................................................703.1. La mission ducative des Idea Stores..............................................................70

    3.2. Les espaces dtude........................................................................................70Des espaces transparents et flexibles .................................................................70

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    Les interfrences entre les diffrentes pratiques.................................................713.3. Les enseignements ..........................................................................................72

    Les cours et les ateliers......................................................................................72Lenseignement distance : Learndirect ............................................................73

    3.4. Les collections : le maillon faible ? ................................................................73

    La place du livre dans les pratiques des usagers.................................................73Un investissement moindre dans les collections ? ..............................................74CONCLUSION: UN MODELE DE BIBLIOTHEQUE, PAS UNE BIBLIOTHEQUE MODELE..........75

    CONCLUSION : LA FORMATION EN BIBLIOTHEQUE A LA CROISEE DESCHEMINS...................................................................................................................77

    1. Les tensions inhrentes lide de formation en bibliothque ...........................77 2. Formation et encadrement social.......................................................................783. La piste de la formation des usagers..................................................................79

    BIBLIOGRAPHIE......................................................................................................83

    1. Bibliothques et ducation : aspects historiques................................................832. La bibliothque, lieu de formation : aspects techniques et institutionnels ..........833. Les bibliothques britanniques et les Idea Stores...............................................86 4. Autres ouvrages et articles concernant les bibliothques...................................87 5. Autodidaxie, autoformation, formation continue et socit de la connaissance..88

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    BEUDON Nicolas | Diplme de conservateur de bibliothque | Mmoire dtude | Janvier 2009 - 11 -Droits dauteur rservs.

    Introduction :Une cole sans matre ni lve ?

    1. La mission ducative des bibliothques : uneide paradoxale

    Les bibliothques publiques sont des lieux de savoir : des conservatoires des uvresde lesprit ; des institutions voues, entre autres, ltude et la recherche ; des lieuxdinformation et de transmission des connaissances. De ce constat simple dcoulepresque naturellement lide, pourtant bien moins vidente, dune mission ducative desbibliothques : du lieu de savoir au lieu o lon apprend et o lon se forme , ilny a quun pas que franchissent volontiers les figures tutlaires du monde desbibliothques, comme Dewey ou Morel, qui nhsitent pas dfinir les bibliothquescomme des coles ou des universits populaires. Ds 1794, Coup, dans sonrapport sur les bibliothques, souhaitait faire delles lcole de tous les citoyens.

    Il sagit pourtant dune mtaphore dont les limites sautent rapidement aux yeux : lesbibliothcaires ne sont en effet ni des professeurs, ni des instituteurs. Bien au contraire,la figure du bibliothcaire, professionnel de linformation, sest construite au dbut duXXe sicle en partie sur le rejet de ces fonctions : en niant la lgitimit des instituteurs

    grer les bibliothques municipales, ou en sopposant la tradition qui vouait laresponsabilit des bibliothques universitaires un savant ou un rudit. Lebibliothcaire souligne Charles Sustrac en 1907 nest pas un savant et pasdavantage un homme de lettres, pas davantage un ducateur1 De leur ct, leslecteurs, les usagers, ne sont ni des tudiants, ni des lves. Le public des bibliothquesnest pas maintenu captif dans une relation denseignement : il est libre de venir ou pas la bibliothque, de chercher se divertir plutt qu sinstruire, et sil souhaitesinstruire, de suivre tous les chemins de traverse possibles.

    Si la bibliothque est une cole, cest une cole sans matre ni lve. Quel peut tre lesens de sa mission ducative dans de telles conditions ? Le problme nest pas desavoir si lon peut apprendre des choses dans une bibliothque, cest videmment le cas,mais de dfinir laction possible des bibliothques en matire dducation, qui sembleaussi ncessaire que difficile cerner dans ses modalits concrtes.

    Ce nest pas le seul paradoxe. Le fait que les bibliothques soient un lieu o lonpuisse apprendre et se former, sapproprier des savoirs, est un lment fort de lgitimitpour ces dernires : il les justifie en tant que service public, les nimbe dune fonctiondmocratique. La plupart des textes normatifs, des chartes et des manifestesprofessionnels soulignent le rle ducatif des bibliothques. Le manifeste de lUnescosur la bibliothque publique dfinit cette dernire comme une force vivante au servicede lducation2 . La charte du conseil suprieur des bibliothques souligne que

    1 Cit par CHARTIER, A nne-Marie, HEBRARD, Jean. Discours sur la lecture. Paris, BPI- Centre Pompidou / Fayard, 20002 Manifeste de lUnesco sur la bibliothque publique , MOUREN, Raphal, PEIGNET, Dominique,Le mtier de bibliothcaire,Cerclede la librairie, 2003, p. 389

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    laccs du public [] la formation est dabord assur dans le cadre des rseaux debibliothques publiques.3 Le code de dontologie de lABF, enfin, confie auxbibliothcaires la tche de rpondre aux besoins de la communaut en matire [] deformation.4

    En mme temps, le vaste mouvement de modernisation des bibliothques publiquesqui sest enclench dans les annes 60 sest construit davantage sur lide d'unedmocratisation de la culture, voire mme des loisirs, plutt que des savoirs. Lidentitdes bibliothques publiques modernes sest labore en partie par opposition lcole,et une culture perue comme troitement scolaire, travers un largissement de leur offre qui a souvent relgu au second plan lide dune action ducative formalise.

    2. Bibliothques et autodidaxie

    Daprs le CREDOC, 33 % des franais estiment que la bibliothque est un lieuaustre qui rappelle la scolarit5. Est-il possible dattribuer aux bibliothques unefonction ducative sans faire delles une annexe rbarbative de lcole ? Est-il possiblede proposer dans les bibliothques une faon dapprendre et de se former qui soitindpendante ou distincte de lcole dans ses modalits daction, ses publics, et sondiscours ? De fait, la bibliothque publique prsente deux particularits notoires qui ladistinguent de l'cole :

    1) Elle s'adresse de plein droit aux adultes, quel que soit leur niveau de formation,quel que soit leur cursus ;2) Elle suppose de la part de ses usagers une forme dindpendance et dautonomie,elle ne leur impose aucune discipline.

    Autrement dit, la bibliothque est le lieu privilgi de cette forme dappropriation dusavoir, extrieure lcole, que lon nommera, au choix, l'autodidaxie, l'autoformation,lducation permanente, la formation continueou la formation tout au long de la vie. Ils'agit l de notions voisines mais htrognes, qui renvoient des pratiques et despublics eux-mmes divers : il y a tout un spectre qui va de l'autodidaxie savante del'rudit, au besoin d'alphabtisation des personnes exclues du systme scolaire, enpassant par la reconversion professionnelle contrainte du salari flexible .

    Cest parce que la bibliothque sadresse ce public dautodidactes qui ne frquentepas ou plus lcole mais qui prouve le besoin ou le dsir dapprendre par lui-mme, quesa mission ducative est paradoxale et ambigu : quels services en effet proposer unpublic qui se dfinit par son autonomie et son indpendance, parfois sa mfiance lgard des institutions au del dun accueil bienveillant et chaleureux ?

    Cest un sujet dautant plus brlant aujourdhui quon assiste une vritablemtamorphose de la question autodidacte. A l'heure de la socit de la connaissance etdu chmage de masse, la problmatique de la formation des adultes, au-del ou endehors de lcole, prend une coloration nouvelle : comme en tmoignent les multiplesinitiatives politiques en la matire (telle la stratgie de Lisbonne6), la question de laconnaissance, de l'ducation, de la formation et de la recherche, qui a longtemps

    3 Conseil suprieur des bibliothques Charte des bibliothques ,Ibid., p. 401-407 4 Code de dontologie ,Ibid., p. 389-390

    5 MARESCA, Bruno,Les Bibliothques municipales en France aprs le tournant Internet , Paris : Bibliothque publiquedinformation, 20056 Cf. Infra, p. 37

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    Introduction : Une cole sans maitre ni lve

    BEUDON Nicolas | Diplme de conservateur de bibliothque | Mmoire dtude | Janvier 2009 - 13 -Droits dauteur rservs.

    constitu un problme politique au sens fort du terme, est aussi devenue une questionconomique et gestionnaire.

    L'enjeu, pour les bibliothques, est de parvenir exister dans ce contexte nouveau quelon peut aussi bien considrer comme une opportunit, un champ daction ouvert, quecomme une remise en question mots couverts de leur identit et de leurs valeurstraditionnelles, incarnes notamment par lide du savoir comme instrumentdmancipation et pas seulement comme vecteur de richesse et de croissanceconomique.

    3. Du discours la ralit - lenjeu de la coopration

    Les bibliothcaires franais ne disposent pas vritablement, lheure actuelle, dunrel discours professionnel la mesure de ces enjeux. Cela ne signifie pas pour autantquil nexiste pas de discours ducatif propre aux bibliothques, mais celui-ci estlhritage htroclite des annes passes. Il se compose de strates, parfoiscontradictoires, qui sont la fois issues de contextes historiques prcis et qui dfinissentdes modles daction : le modle de loffre et de la prescription (qui apparat dans ladeuxime moiti du XIXe sicle), le modle de lanimation culturelle (qui nat dans lesbibliothques jeunesse et connaitra un dveloppement continu tout au long du XXesicle), le modle enfin de lautoformation (conu autour des annes 60 et troitementlit aux mdiathques modernes).(I)

    Au del des discours, lheure de la formation tout au long de la vie, face un publicdautodidactes htrogne et grandissant, quelles sont les initiatives possibles pour lesbibliothques ? La gamme dactions est large mais peu systmatise (fonds spcifiques,dossiers et activits pdagogiques, outils dautoformation, ateliers de formation,

    confrences, espaces labliss). Ces dernires sont souvent modestes ou limites unpetit nombre dexpriences pilotes. La question de la coopration est lun des aspects lesplus intressants de ces expriences. Si la bibliothque est une cole sans matre nilve, elle doit au moins, pour mener une action ducative, leur trouver des succdans.Dans la mesure o les bibliothques, contrairement lcole, nont pas de public captifet ne dlivrent pas delles-mmes des formations, il est essentiel pour elles dedvelopper des partenariats avec des associations culturelles, des institutionsdducation populaire ou des organismes de formation des adultes capables la fois dereprer, dorienter des publics et de fournir des prestations spcialises en matiredenseignement.(II)

    Une solution particulirement originale, et mise en uvre de faon extrmementmarginale en France, est la mutualisation dquipements, comme la Maison des savoirsdAgde qui runit sous un mme toit une mdiathque, un Greta et un Atelier dePdagogie Personnalise. Les Idea Stores londoniens, qui associent les serviceshabituels dune bibliothque et dun centre de formation pour adultes, sont sans doute laforme la plus aboutie de cette dmarche. Enracins dans une politique publique pour laformation tout au long de la vie et un discours ducatif fort diffrents de ceux aveclesquels nous sommes familiers, ils fournissent un contrepoint instructif auxbibliothques franaises qui cherchent donner un sens concret et actuel leur missionducative.(III)

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    BEUDON Nicolas | Diplme de conservateur de bibliothque | Mmoire dtude | Janvier 2009 - 15 -Droits dauteur rservs.

    I. Le discours ducatif des bibliothques : de laprescription lautoformation

    LE( S ) DISCOURS EDUCATIF ( S ) DES BIBLIOTHEQUES Le discours ducatif des bibliothques est une ralit complexe. Il vaut dailleurs

    mieux parler au pluriel : depuis la cration des premires bibliothques publiques, cenest pas un mais une multitude de discours, souvent contradictoires, qui a tconvoque afin de dfinir lapport des bibliothques la formation des esprits.

    Un second lment de complexit se juxtapose ce premier point : la question delducation compte parmi nos passions nationales . Le fait pour une institution, quellequelle soit, de revendiquer une fonction ducative est un lment fort de lgitimit, unmoyen de souligner son importance aux yeux des pouvoir publics et des usagers. Anne-Marie Chartier et Jean Hbrard observent que le rle ducatif des bibliothques asouvent t invoqu lorsque la profession tentait de conqurir des positions trangres sa tradition savante et prouvait le besoin de valoriser socialement une tcheintellectuellement peu considre.7 Cette dimension ducative peut tre relle, maiselle peut galement relever de la stratgie rhtorique, elle peut tre un alibi ou unprtexte, sarrter de grandes dclarations sans aboutir des actions concrtes.

    En dpit de ces ambivalences, lide dune mission ducative des bibliothques estsystmatiquement confronte aux mmes problmes : celui de la complmentarit ou delopposition avec lcole ; celui de laction spcifique des bibliothques dans cedomaine. En suivant ces deux lignes directrices, il est possible de distinguer, de faonforcment approximative, trois grands types de discours qui sappuient sur des modlesde bibliothque privilgis, qui sinscrivent dans des priodes historiques prcises et quiconstituent en mme temps des canons, des modles daction plus ou moins faciles actualiser aujourdhui : le discours de la prescription ; le discours de lacculturation ; lediscours de lautoformation.

    7 CHARTIER, Anne-Marie, HEBRARD, Jean.Op. cit., p.182

    Type de discours Modle debibliothque Rapport aveclcole Forme dactionducative prconise

    1) Discours de laprescription

    Les bibliothquespopulaires

    Prolongement delcole

    Offre de documentsducatifs ou scolaires

    2) Discours delacculturation

    Les bibliothquesjeunesse

    Rivalit aveclcole

    Animation et actionculturelle

    3) Discours delautoformation

    Les mdiathques Alternative lcole

    Offre doutilsdautoformationmultimdia

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    I. Le discours ducatif des bibliothques : de la prescription lautoformation

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    organise des coles, on ne cherchait fournir de bonnes lectures ceux quiy reoivent linstruction.10

    Quest-ce quune bonne lecture ? Les bibliothques populaires sont le sige demouvements idologiques varis, de lEglise aux mouvements libraux ou rpublicains.

    Si les uns prtent leurs faveurs plutt aux ouvrages de morale et de pit et les autresaux manuels dinstruction civique, tous sopposent la littrature populaire qui est alorsen plein essor. Le contenu du bon livre est dune certaine manire secondaire : sesqualits se dfinissent surtout par opposition aux mauvaises lectures (presse,romans, brochures) qui, selon les dires dun instituteur du Nord, portent lacorruption jusquau fond des plus pauvres chaumires.11 La bibliothque est unerponse la floraison juge anarchique de ces nouvelles lectures populaires :

    Pour lutter contre les colporteurs et les cabinets de lecture soumis aux loisdu march, il faut des diffuseurs srs les prtres, les congrgationsmissionnaires et enseignantes, ou bien les instituteurs, les notables

    philanthropes et des officines surveilles : les bibliothques.12

    Comme le souligne Nomie Alis, les bibliothques qui auraient pu permettre aux

    adultes damliorer leur instruction et leur apporter les moyens dune formationpersonnelle, ne servent en fait qu fournir aux lecteurs potentiels des ouvrages choisispour eux avec soin. Loin de renouer avec linspiration des Lumires, les bibliothquespopulaires sinscrivent au contraire dans un horizon la fois philanthropique etpaternaliste, leur fonction de contrle social est comparable celle des cours du soir quise dveloppent au mme moment :

    Loisivet des classes populaires, et surtout ouvrires, est redoute par les

    lites de lpoque comme source de trouble de lordre public ; la Socit desSciences mdicales de Metz explique quil suffit de diriger les ouvriers danslemploi utile de leur temps libre, en leur proposant des cours du soir et cetteopinion est trs rpandue parmi les lites de lpoque, voyant en lducationun moyen de dtourner les classes populaires du cabaret et plus largement damliorer ses murs.13

    Au moins aussi forte que la volont de donner lire et de prolonger laction delcole, rgne au sein des bibliothques populaires lide que les lecteurs, mme aprsleur scolarit, doivent tre encadrs, leurs lectures contrles et choisies. Cepaternalisme, qui instrumentalise les institutions du savoir, fait aussi dans une certaine

    mesure barrage aux vritables dmarches autodidactes : on peut en effet considrer, avecA.-M. Chartier et J. Hbrard, que les dispositifs matriels de lecture proposs par lesbibliothques populaires (lecture territorialise , marginalit du prt, lourdes amendesen cas dannotation ou de griffonnage) visent en fait empcher toute appropriationconcrte, relle ou symbolique14 des livres et de leur contenu.

    10 Cit par HASSENFORDER, Jean,La bibliothque, institution ducative, Paris : Lecture et bibliothques, 1972, p. 16211 Ibid.12 Ibid. 13 ALISE, Nomie, Lducation populaire des adultes dans le dpartement de la Moselle sous le Second Empire,[en ligne] Consult le 5 novembre 200814 CHARTIER, Anne-Marie, HEBRARD, Jean.Op. cit., p. 100

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    1.2. La logique de loffre et de la prescription

    Permanence du modle de la prescription dans le cadrerpublicain

    Avec la professionnalisation du mtier de bibliothcaire au dbut du XXe sicle, dansun contexte dmocratique dascension politique et sociale des masses et de victoireprogressive des conceptions rpublicaines, le paternalisme attach aux bibliothquespopulaires, leur fonction de censure et de propagande, vont peu peu devenir indfendables. Cest pour le public que le bibliothcaire doit travailler crit CharlesSustrac en 1907 dans le bulletin de lABF, il sappliquera acheter tous les livres, et rien que les livres dont il a besoin.15

    Reste quavec la bibliothque populaire est pos un modle dtablissement durable,bien au-del du second Empire, qui mle une vise ducative forte et un procdunique : la prescription, la slection des bons livres, et lexclusion des mauvaiseslectures, destination dun public choisi, dont les besoins sont prdfinis, tablisdavance. En 1954, une circulaire ministrielle peut encore considrer la faiblefrquentation des bibliothques par les ouvriers comme une situation qui laisse tropsouvent la jeunesse livre linfluence de publications mdiocres ou malsaines.16

    Il est vrai que, dans les annes o les bibliothques populaires laissent place auxbibliothques publiques, la lecture de distraction nest plus forcment mise lcart defaon si svre, mais la fonction premire de la bibliothque reste doffrir des livresinstructifs (les ouvrages de distraction, les romans au premier rang, pouvant la limitetre lappt qui conduira ces lectures juges plus srieuses). Jusque dans les annes 30,ce modle est dominant, voire exclusif. Il se caractrise, encore et toujours, par lideque la bibliothque doit avant tout seconder lcole. La formule de Jean Mac est un

    leitmotiv que lon peut entendre claironn par le prsident de lABF jusquen 1937 :A lcole on apprend seulement apprendre, tandis que cest seulement labibliothque quon apprend : lcole est un moyen, la bibliothque une fin.17

    Le congrs dAlger en 1931 marque lapoge de cette conception de la bibliothque.Pour Henri Lemaitre, lorganisateur du congrs, la bonne lecture sera donc pour lenfantla lecture scolaire, pour les adultes la lecture professionnelle, et pour tous, celle quienseigne :

    Le premier degr de la lecture publique cest la bibliothque scolaire et

    postscolaire [] A un niveau suprieur, il faut galement complter lenseignement des lyces et permettre ceux qui en sont sortis de se tenir aucourant de ce qui scrit, au courant des progrs de la science [] Sur unautre plan, louvrier comme lartisan aime se perfectionner dans sonmtier []Il faut donc donner la classe ouvrire les ouvrages techniques sa porte pour laider dans sa besogne journalire. Le commerant, lefinancier, lindustriel demandent une documentation chaque jour pluscomplte et plus difficile se procurer pour traiter leurs affaires.

    15 Ibid.,p. 13116 Cit par BERTRAND, Anne-Marie, Le peuple, le bon public et le non-public : les publics des bibliothques et leur reprsentation chez les biblio thcaires , DONNAT, Olivier ; TOLILA, Paul (ed),Le(s) public(s) de la culture, Presses deSciences Po, 2003, p. 14117 Cit par CHARTIER, Anne-Marie, HEBRARD, Jean.Op. cit., p. 144

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    Autre dfaut de ce discours de la prescription : il rabat la question de lactionducative des bibliothques sur celle de la culture lgitime avec laquelle il la confondlittralement (le livre instructif est synonyme de bon livre) bien quil sagisse dans lefond de deux choses distinctes, ce qui a pour effet de limiter les initiatives dans cedomaine loffre documentaire, sans jamais envisager dautres dispositifs qui pourraient

    tre mis en uvre pour faciliter lappropriation, lassimilation ou la manipulation desconnaissances et des savoir-faire que renferment les collections des bibliothques(espaces spcifiques, confrences, animations, ateliers, partenariats). Bien peu dactionsconcrtes se rattachent en fait ce mot dordre omniprsent pendant plusieurs dcenniesde la bibliothque, institution ducative

    Une dernire consquence malheureuse dcoule de cette approche : en axantentirement la bibliothque sur lide dducation, alors quil sagit par nature duneinstitution ambivalente, flexible, irrductible une seule fonction (comme le livre), onvide en partie la notion dducation de sa substance. En effet, dans la mesure o pour tre acquis un document devra dabord stre montr, dune faon ou dune autre,

    ducatif , cette qualit deviendra souvent un simple prtexte pour introduire dans lesbibliothques de nouveaux documents ou supports. Ce fut le cas avec lavnement dessupports audiovisuels dont il fallut dabord dmontrer quils pouvaient tre instructifs avant de les proposer aux lecteurs. La faon dont les premiers promoteursde la lecture dinformation (comme Morel ou Sustrac) empruntent au vocabulaire delducation relve du mme symptme : on joue sur laffinit de lenseignement etdu renseignement , en faisant vibrer la fibre rpublicaine, on joue sur linstruction au sens de Condorcet ( instruire, duquer, enseigner ), et linstruction au sensde sinstruire dun fait, sen informer, tre au courant .

    2. L E DISCOURS DE L ACCULTURATION

    2.1. La dialectique avec lcole

    Lcole : fabrique de lecteurs ou frein au dveloppementdes bibliothques ?

    Peut-on vraiment rduire le rle des bibliothques au prolongement de lcole ? Na-t-on pas affaire plutt, de part et dautre, des dmarches et des institutions radicalementdistinctes ? Comment envisager loriginalit de la bibliothque par rapport lcole etquelle est la nature exacte de leur relation ?

    Selon un premier point de vue, on peut considrer lEducation nationale comme unecondition ncessaire au dveloppement des bibliothques. Dans la mesure o elle sesitue lavant-garde du processus dalphabtisation de la socit, lcole fournit auxbibliothques leur futur public en formant les enfants la lecture. Jean Hassenforder constate quaux Etats-Unis comme en France et au Royaume-Uni, un dveloppement notable de linstruction a prcd [] la cration des premires bibliothquespubliques [] La diffusion croissante de linstruction favorise ainsi lexpansion desbibliothques.21

    Cette influence bnfique de lcole sur les bibliothque doit toutefois trenuance : en France, lachvement du processus de scolarisation, lcole publique

    21 HASSENFORDER, Jean.Dveloppement compar des bibliothques publiques en France en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis dans la seconde moiti du XIXe sicle 1850-1914, Paris : Ed. du Cercle de la libraire, 1967, p. 125-127

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    I. Le discours ducatif des bibliothques : de la prescription lautoformation

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    laque, gratuite et obligatoire , ne sest pas accompagn dun dveloppement accrudes bibliothques. Bien au contraire : alors quaux Etats-Unis et en Grande-Bretagne lesbibliothques connaissent une priode de floraison continue, les bibliothques franaisessont au dbut du XXe sicle, en pleine crise.

    Comment expliquer cette spcificit franaise ? Hassenforder suggre mots couvertsquen France une emprise nfaste des enseignants et du modle scolaire a nui audveloppement des bibliothques. Dans une certaine mesure, il sagit l dun lieucommun : on a souvent soulign la responsabilit des ministres Rouland puis Duruydans la mdiocrit des bibliothques franaises du dbut du XXe sicle. Ces derniers sesont efforcs, partir des annes 1860, de promouvoir comme paradigme de labibliothque populaire les bibliothques scolaires dont la garde tait confie auxinstituteurs, promus au rang de vritables bibliothcaires du peuple. Cette volont asans doute constitu un frein majeur la professionnalisation du mtier et lapparitionde vritables bibliothques publiques la manire anglo-saxonne. Que peut-on attendreen effet comme bibliothcaire de linstituteur absorb par trois mtiers, dont un seul

    suffirait loccuper utilement : lcole du jour, lcole du soir et le secrtariat de lamairie ? demande en 1907 un inspecteur dacadmie cit par Hassenforder quipoursuit :

    Lchec des bibliothques scolaires peut sans doute sexpliquer en raisondun moindre intrt de lcole pour une fonction juge secondaire par rapport son but principal : linstruction des enfants.22

    Puisque lintrt de lune ne concide pas forcment avec celui de lautre, il y a bienun point de divergence, une diffrence de but entre lEducation nationale et lesbibliothques. De fait, la priode dpanouissement des bibliothques municipalesconcide peu prs avec le passage de la lecture publique du ministre de lEducation celui de la Culture en 1975, le premier stant constamment montr davantage soucieuxdu dveloppement des bibliothques universitaires : la vraie priorit de la DBLP remarque Anne-Marie Bertrand, a toujours t les bibliothques dEtat : labibliothque nationale et les bibliothques universitaires.23

    Deux approches distinctes de la lecture : lecture plaisir etlecture scolaire

    Le mtier de bibliothcaire distinct de celui denseignant, lducation des adultes par opposition lducation des enfants ds le dbut du XXe sicle, Ernest Coyecque

    souligne une autre particularit des bibliothques aux consquences importantes. PourCoyecque, labsence dusagers captifs selon lexpression consacre, la ncessitpour les bibliothques de sduire ou de captiver leurs lecteurs, implique, presquelogiquement, une approche de la lecture diffrente de lcole, accordant une placeimportante lagrable (la lecture de dlassement, la culture populaire et donc leroman), par opposition lutile (la lecture scolaire, la culture prescrite par lesmanuels et les anthologies) :

    Le lecteur ne peut tre contraint de venir la bibliothque. Si proche delcole par ses fonctions instructionnelles, la bibliothque en diffre en ce

    22 Ibid.23 BERTRAND, Anne-Marie.Les Bibliothques. Paris: d. De la Dcouverte, 2007, p. 38

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    quelle na pas affaire un public captif de lorganisation dtudier. Voilpourquoi il devient vital de tenir ensemble lutile et lagrable.24

    Progressivement, cette ide dun rapport la lecture propre aux bibliothques vadevenir la signature pour certains professionnels de la spcificit de leur mtier et le

    sige, en outre, dune critique acerbe de lcole. Loin dapprendre lire et de permettrelaccs la culture, cette dernire dcouragerait en fait les lecteurs en leur imposant deslectures rbarbatives et contraintes. Jean Baucomont, inspecteur primaire Abertville,peut ainsi dclarer au congrs dAlger :

    Qui sait mme si la lecture en tant quexercice classique nest pas considrepar lenfant uniquement comme un labeur, un devoir rituel, faisant partie deces disciplines scolaires auxquelles on se drobe volontiers lorsquelles nesont plus obligatoires. Les manuels de lecture et les mthodes de lecture enusage dans les classes ne sont pas toujours attrayants. Quelquefois, lennuiquils ont distill, aggrav par les rprimandes dont les services de lecture

    ont pu tre loccasion, ont mis leur victime en garde contre les livres.25

    Cette disjonction entre deux visions de la lecture amorce un renversement de

    perspectives : alors qu lheure des bibliothques populaires, on craignait les mfaitssur les esprits dun excs de lecture, tout au long du XXe sicle, une crainte slve,face au dveloppement des nouveaux mdias : la peur de la disparition du livre et de lalecture. Dans ce contexte indit, lide dune mission ducative des bibliothques estentirement redfinie. Il ne sagit plus de prolonger lcole, mais de contrer sespossibles mfaits ; il ne sagit plus de prescrire et dorienter la lecture mais detransmettre tout prix le plaisir de lire et dapprendre. Les bibliothques jeunesse vonttre le fer de lance de cette nouvelle approche.

    2.2 Le modle de la bibliothque jeunesse

    Les bibliothques jeunesse et la dscolarisation de lalecture

    Au congrs dAlger de 1931, tandis que simpose dans le domaine de la lecturepublique une conception troitement ducative, deux points de vue distincts saffrontentdu ct des bibliothques pour enfants. Leur problme commun est lasschement desvocations de lecteurs par lcole soulign par Baucomont. Celui-ci reste fidle dans ses

    propositions au modle de la bibliothque scolaire.Plus ambitieuse, Marguerite Gruny dfend lide de la bibliothque spcialise.LHeure Joyeuse, ltablissement dont elle est responsable, et qui a t fond en 1925avec laide duBook Commiteedu Comit Amricain pour les Rgions Dvastes, seveut novateur : les enfants sont accueillis dans un lieu pens pour eux, du mobilier auxcollections, son but nest pas dinculquer un programme scolaire, mais de dvelopper chez lenfant lamour de la lecture.26 LHeure Joyeuse trouve une partie de soninspiration dans le modle dducation bourgeoise. Elle se veut, selon sa devise, plusun foyer quune cole (more a home than a school ) :

    24 Cit par CHARTIER, Anne-Marie, HEBRARD, Jean.Op. cit., p. 13625 Ibid,p. 14826 Ibid.,p. 148

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    I. Le discours ducatif des bibliothques : de la prescription lautoformation

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    La bibliothque enfantine invente, contre les projets primaires et trsencadrs de lcole, un modle dacculturation intellectuelle[]cest bien lasensibilit, limaginaire et la personnalit de lenfant quil sagit de nourrir prcocement, comme on le fait dans les bonnes familles bourgeoises.27

    Le refus du monde scolaire se concrtise notamment dans les collections, en libreaccs, qui excluent les textes dimposition didactique, quils soient fictionnels oudocumentaires : manuels scolaires et classiques littraires sont rejets, au mme titreque tout texte tmoignant dune volont explicitement didactique. Savoir, valeursmorales, modles de vie nont pas tre imposs par la voie magistrale.28

    Autre originalit majeure de cette bibliothque pilote, des bibliothcaires spcialisesorganisent de multiples activits qui permettent une appropriation vivante du livre :expositions, lecture haute voix, cercles de posie, et bien sr, heure du conte. Cestune dmarche quasiment sans prcdent en dehors dinitiatives antrieures trsmodestes, comme la leon de bibliothque de Jean Mac, que lon pourrait qualifierde club de lecture avant la lettre.

    La rupture est encore loin dtre totale avec le modle prescriptif et avec lcole. Larussite de lambition ducative bien relle de lHeure Joyeuse peut selon M. Gruny tremesure la proportion des romans sur les livres dits srieux ou instructifs ,tombe pour les lecteurs au dessus de 12 ans, 60 %.29 Qui plus est, les innovationsintroduites par lHeure Joyeuse feront vite leur apparition dans le monde scolaire, grceau mouvement des pdagogies nouvelles. La bibliothque jeunesse, avec ses espaces, sescollections spcifiques et les activits quelle propose, inaugure bien cependant lesprmisses dun modle nouveau daction ducative :

    La bibliothque pour enfant saffirme [] comme une nouvelle possibilit defaire entrer les enfants en lecture, non pas sur un mode collectif dimposition, mais par le choix dobjets culturels qui, par leur seuleprsence, correspondent la recherche personnelle de chacun. Il sagit doncbien dun projet ducatif concurrent de lducation familiale et delducation scolaire.30

    De lHeure Joyeuse la Joie par les Livres

    Malgr lenthousiasme quil suscite, ce modle ne va pas connatre de diffusionconcrte avant les annes 60-70, qui vont voir en mme temps sa radicalisation.Lopposition de lHeure Joyeuse et de la Joie par les Livres est emblmatique de cettevolution. Cest sans doute avec cette dernire (cre en 1963 l'initiative d'une richemcne et prise en charge dix ans plus tard par lEtat) que la rupture est dfinitivementconsomme entre les bibliothques jeunesse et le discours de la prescription. HlneWeis souligne les diffrences entre lapproche de lHeure Joyeuse et celle de la Joie parles Livres, version antiautoritaire du modle de la bibliothque pour enfant :

    Dans un cas cest le moment de la lecture sur place, dans une positionstudieuse, dans le calme qui est privilgie, mme si une large place est faite

    27 Ibid.,p. 14928 WEIS, Hlne. Les bibliothques pour enfants entre 1945 et 1975 : modles et modlisation dune culture pour l'enfance,Paris: d. du Cercle de la librairie, 2005, p. 219-22029 Cit par CHARTIER, Anne-Marie, HEBRARD, Jean.Op. cit., p. 14930 WEIS, Hlne.Op. cit., p. 220

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    lactivit responsable des enfants [] Dans le second, la salle de lecturediffrencie ses espaces en fonction des ges et des genres, mnageant progressivement pour les tout-petits des coins ludiques o dominent coussinset bacs album, et inventant pour les autres des structures imaginatives quipermettent de multiples postures de lectures.31

    Avec ses espaces penss pour le cocooning et ses animations en tous genres,lenjeu pour la Joie par les Livres nest dfinitivement plus de transmettre une culturedominante ou des comptences scolaires mais de promouvoir la lecture sous toutes sesformes, avec pour presque unique juge le plaisir qui en dcoule. Ce point de vuehdoniste, individualiste, anti-scolaire, se distingue de celui de lHeure Joyeuse qui, sil prend quelques distances avec le modle scolaire, est imprgn dune morale quinest en rien une apologie de lhdonisme par la lecture.32

    La Joie par les Livres correspond une volont militante plus radicale de dscolariser la lecture. Avec son dsir farouche de se distinguer de lcole, et son approche plusculturelle quducative, on peut considrer quelle prsente des affinits avec la modedu relativisme culturel telle que la dcrit Thierry Giappiconi :

    Il na [] pas t rare, ces dernires annes, que lon oppose la formation(quil sagisse dducation, dinstruction, ou de formation permanente) laculture. Cette opposition sexprime par la croyance en une distinction denature et de principe entre le savoir transmis par les institutions ducatives prsent comme une contrainte, voire une violence, et celui,librement choisi, offert par les institutions culturelles entendues selon unchamp trs large de pratiques culturelles [] La culture se rduirait ainsi aux usages issus des conditions dexistence ou des modes. Ltude avecce que ce terme suppose darrachement, de libert vis--vis des conditionsdexistence et de lenvironnement traditionnel et mdiatique, deviendrait unecontrainte inutile et suspecte [] La culture dmocratique relverait ainsi dune activit ludique et surtout conviviale.33

    Si lon retrouve bien dans la Joie par les Livres cette tendance hdoniste,individualiste et quelque peu relativiste, il serait faux selon nous dy voir, de faontranche, un abandon de lambition ducative des bibliothques et de croire qu partir delle, comme lcrit Martine Poulain, leffort dapprendre va durablement disparatredes modles et objectifs des bibliothques pour enfants. On la vu, le mouvement dedscolarisation progressive de la lecture qui senracine dans les bibliothques jeunesse,

    obit davantage une volont de renouveler lide dducation en bibliothque, dechercher sa spcificit par rapport lcole, et de promouvoir, tout prix, laccs lalecture.

    Lanimation culturelleT. Giappiconi a raison en revanche de souligner que la spcificit de cette

    approche rside dans la part importante quelle accorde lide danimation :

    31 WEIS, Hlne. Les bibliothques pour enfant en qute dun nouveau modle . BERTRAND, Anne-Marie, LE SAUX, Annie(ed.),Regards sur un demi-sicle, cinquantenaire du bulletin des bibliothques de France, Presses de lEnssib, 2006, p. 16332 POULAIN, Martine, Prface WEIS, Hlne,op. cit., p. 1033 GIAPPICONI, Thierry; CARBONE, Pierre.Management des bibliothques : programmer, organiser, conduire et valuer lapolitique documentaire et les services des bibliothques de service public. Paris: d. du cercle de la librairie, 1997, p. 23

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    I. Le discours ducatif des bibliothques : de la prescription lautoformation

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    Cet hdonisme de principe gnre une conception des services, desquipements et des btiments o lanimation est oppose ltude .Dans cette perspective la bibliothque a besoin de lieux danimation pour raconter des histoires [], pour des activits dexpression [], pour fairetravailler une classe toute entire [], pour prsenter une exposition [],

    pour organiser un jeu [], un dbat, une rencontre. 34

    Viviane Ezratty observe, elle aussi juste titre, que cest la mise en valeur des

    collections qui aura fait loriginalit des bibliothques pour enfants et cela dslorigine plus encore que lamnagement des locaux ou le choix des collections.35 Quelle sappuie sur lide dun lecteur actif (comme lHeure Joyeuse) ou cratif (comme la Joie par les Livres), linnovation principale des bibliothquesjeunesse est lintroduction, des fins dabord ducatives puis de distraction, dun certainnombre danimations, en relation plus ou moins directe avec les collections.

    Le mot danimation a fait lobjet de querelles entre les bibliothcaires de la Joiepar les Livres (qui lutilisaient) et ceux de lHeure Joyeuse (qui ne laimaient pas).Emprunt lducation populaire qui au mme moment quitte le domaine ducatif pourle dveloppement culturel, il dsigne lensemble des activits collectives organisesdans la bibliothque, encadres et mises en uvre par des bibliothcaires ou desprestataires extrieurs (comme des conteurs), de latelier darts plastiques lheure duconte. Cette ide danimation peut tre tendue aux adultes, cest essentiellement ce quedsigne le terme actuel d action culturelle : confrences, expositions, rencontres etdbats, ateliers dcriture, clubs de lecture, cafs philo, etc.

    Lanimation relve-t-elle vraiment du domaine ducatif ? Comme T. Giappiconi, Jean-Franois Jacques semble opposer lune et lautre :

    La mdiathque [dIssy-les-Moulineaux] organise chaque anne un grand nombre de confrences et un caf philo. Ces confrences [] correspondent moins un souci danimation ou de mise en valeur des collections, quun projet ducatif et informatif.36

    A linverse, Bruno Dartiguenave, estime que lanimation est loutil essentielpermettant aux bibliothques dintgrer les pratiques des autodidactes, sans mimer pourautant le fonctionnement des lieux de formation traditionnels :

    La bibliothque publique pourrait [] davantage intgrer ces savoirsautodidactiques [] Cela suppose que les bibliothques placent la politique

    danimation au cur de leur activit et non pas comme un simple supplment dme. Elles pourraient ainsi davantage favoriser, en lien avec leurspartenaires socioculturels et ducatifs, les ateliers dcriture (posie,thtre, nouvelle, jeux littraires, etc.), la composition chante, lcriturecinmatographique mais aussi des lieux dchange en invitant les amateurspassionns dhistoire locale ou dcologie, des collectionneurs, des peintres,

    34 Ibid.Thierry Giappiconi cite dans ce passage les propos de Jacqueline Gascuel35 EZRATTY, Viviane.Compte-rendu : Hlne Weis, Les bibliothques pour enfants entre 1945 et 1975 : modles et modlisation dune culture pour lenfance, Bulletin des Bibliothques de France, 2005, n 6 [en ligne] Consult le 5 novembre 200836 JACQUES, Jean-Franois. La Formation des adultes la mdiathque dIssy-les-Moulineaux .Bulletin des Bibliothques deFrance, 2002, n 3 [en ligne] Consult le 5 novembre 2008

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    des voyageurs, etc., tmoigner de leur parcours artistique ou de leur quteintellectuelle un peu limage des rseaux dchanges de savoirs.37

    Admettons que lanimation culturelle constitue bien une modalit part entire delaction ducative des bibliothques, quels sont les traits essentiels de ce que nous avons

    qualifi de discours de lacculturation ? Il se caractrise en premier lieu par lamfiance vis--vis de lcole ; hant par la question de la lecture des jeunes, il dfinit labibliothque comme un lieu culturel plutt quducatif (on napprend vraiment quenfrquentant intimement des uvres, des ides ou des livres, plutt quen rcitant desleons) ; il promeut enfin un type daction spcifique (lanimation ou laction culturelle)qui sadresse de faon privilgie aux enfants mais peut tre tendu aux adultes.

    Lun des aspects remarquables de ce discours est son caractre dun bout lautreparadoxal : sil aboutit au final ce que certains peroivent comme un abandon relatif de lide dducation, cest au nom dune ambition premire oppose ; sil reprsente unrepli (lui aussi relatif) de laction ducative des bibliothque sur la jeunesse, chassegarde de lEducation nationale, cest en consquence dune volont contraire de sedistinguer de lcole. Dautres discours existent nanmoins, qui font une place relle lide dune autoformation des adultes en bibliothque, ils mergent eux aussi auxenvirons des annes 60

    3. L E DISCOURS DE L AUTOFORMATION

    3.1. De lautodidaxie lautoformation

    Bibliothques et autodidaxie : limaginaire du self-made man

    On a vu que lcole tait lune des conditions pouvant favoriser, mais aussi entraver ledveloppement des bibliothques. Par l sexplique en partie le contraste entre laFrance, lAngleterre et les Etats-Unis. Chez ces derniers en effet lide dune Educationnationale n'a jamais revtu un aspect aussi dcisif que chez nous. Un autre lmentsymtrique de celui-ci distingue les pays anglo-saxons de la France : lexistence dunevritable culture de lautodidaxie et de la self-education. On imagine mal en France,dans les annes 1850, un quivalent du discours prononc par William Ewart devant lachambre des communes :

    Il y a deux sortes dducation : celle qui est donne dans les coles et cellequi est acquise par les individus eux-mmes [] Lducation quun homme

    se donne lui-mme est bien plus importante que celle quil peut recevoir dunprofesseur. Dans les bibliothques publiques, la possibilit dun autoenseignement serait offerte aux classes laborieuses.38

    Cest Ewart qui imposa au parlement britannique le dcret tablissant le droit dechaque ville avoir sa bibliothque publique. Lide de lautodidaxie, limaginairelibral du self-made man sont dans la culture anglo-saxonne troitement lis aumonde des bibliothques. Cest par exemple en souvenir de son pass modestedimmigrant cossais que le mcne et richissime homme daffaire Andrew Carnegie a

    37 DARTIGUENAVE, Bruno, art. cit.38 HASSENFORDER, Jean.Dveloppement compar des bibliothques publiques en France en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis dans la seconde moiti du XIXe sicle 1850-1914, op. cit., p. 135

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    I. Le discours ducatif des bibliothques : de la prescription lautoformation

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    fond plus de 2.500 de ses clbres bibliothques dans une douzaine de paysanglophones.

    En France, dans les mmes annes, loin de relever dune forme alternativedducation, on a vu que les bibliothques taient assimiles une annexe de lcole. LaFrance nest certes pas trangre aux mouvements en faveur de lautodidaxie quifleurissent la fin du XIXe sicle : les universits populaires, les cours du soir sontmme souvent donns proximit ou au sein dune bibliothque, mais ces institutionsmiment dans leur fonctionnement le modle de lducation orthodoxe, centre sur lescours magistraux, ils font peu de cas du travail personnel. Dans ces conditions, lesretombes concrtes pour les bibliothques sont quasiment nulles. A linverse, lesinstitutions amricaines et britanniques (comme les Mechanics Institutes, ou les collgespopulaires) accordent une large place aux lectures, aux recherches et aux entreprisesindividuelles, comme le font dailleurs les universits. Dewey peut crire en 1880 que lducation nouvelle se caractrise par la substitution de la bibliothque au manuel et la confrence ex cathedra :

    Dans les meilleurs collges, des sminaires surgissent dans tous lesdpartements. Le but principal des cours est dapprendre aux tudiants travailler en bibliothque et lorsque quelquun est capable dutiliser intelligemment une vaste documentation bibliographique et sait trouver rapidement et avec prcision dans une bibliothque ce quil recherche, il peut se vanter davoir une bonne ducation.39

    Contrairement Morel, Dewey ne semble pas mettre un vu pieux lorsquil dclareque la bibliothque est une institution qui mrite le nom duniversit du peuple.40 Aux Etats-Unis, Robert Nardin a soulign qu la charnire du XIXe et du XXe sicle, lamtaphore de la bibliothque comme universit tait mme devenue un vritable lieucommun du discours professionnel.41

    Lducation permanenteEn France, lide de la bibliothque comme lieu de prdilection des autodidactes a un

    long pass mais une courte histoire. Cest avec la notion dducation permanente, quimerge au milieu des annes 50, que lide de formation ou dautoformation enbibliothque commence rompre avec le discours de la prescription et le modle delducation post-scolaire. En 1957, Paul Poindron, conservateur en chef laBN, dclare aux journes dtude des bibliothques de France :

    On est en droit daffirmer quaucune ducation permanente valable nepourra tre assure sans les bibliothques. Encore faut-il que lesbibliothques sadaptent et, cela va sans dire, reoivent les moyens matrielsde sadapter aux besoins actuels.42

    Quest-ce que lducation permanente ? Cest une notion composite aux contoursflous que les associations de dveloppement culturel et dducation des adultes delaprs-guerre vont progressivement prendre pour tendard. La Ligue de lenseignement

    39 Cit par HASSENFORDER, Jean,La bibliothque, institution ducative, Paris : Lecture et bibliothques, 1972, p. 16440 Cit par HASSENFORDER, Jean.Dveloppement compar des bibliothques publiques en France en Grande-Bretagne et auxEtats-Unis dans la seconde moiti du XIXe sicle 1850-1914, op. cit., p. 14341 NARDIN, Robert, A Search for Meaning: American Library Metaphors, 1876-1926 ,Library Quarterly, 71-2, 200142 Journes d'tude des bibliothques de France ,Bulletin des Bibliothques de France, 1957, n 12 [en ligne] Consult le 5 novembre 2008

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    fonde par Jean Mac adjoint ce terme son nom en 1966 pour devenir la Ligue delenseignement et de lducation permanente. Lexpression en tant que telle fait sapremire apparition en 1955 dans un avant-projet de loi sur lEducation nationale. Ellese substitue alors aux notions d ducation post-scolaire et d ducation populaire dont elle largit le champ.

    Lducation permanente, selon A.-M. Chartier et J. Hbrard, nest pas encore laformation professionnelle, mais elle nest dj plus la diffusion de la culture scolairetraditionnelle des groupes sociaux qui en auraient t privs.43 Pour Franoise Laot,trois composantes contribuent la dfinir : elle est omnitemporelle (elle intervient tous les ges de la vie) ; omnidimensionnelle (elle touche toutes les dimensions delexistence) ; et organise en systme (chacune des parties dpend de toutes lesautres).44

    La socit des annes 50 correspond une priode de mutation qui se caractrise ple-mle par une envole de lconomie, un renouvellement acclr des connaissances, unelibration croissante du temps libre, le dveloppement desmass-media, le dpassementprogressif de lopposition du peuple et des lites, et enfin, par lincapacit de lcole emboter le pas lensemble de ces transformations. Dans ce cadre, lducationpermanente renvoie lidal dun systme ducatif renouvel bien au-del de lcole, la fois dmocratique, global et flexible, mlant ensemble culture gnrale, information,mise jour des acquis professionnels et vulgarisation scientifique et technique au seindune seule culture vivante , comme le dit Hassenforder, cest dire une cultureproche des proccupations quotidiennes des usagers, une culture les aidant se situer dans le monde daujourdhui, mieux comprendre les agitations et les problmes denotre temps.45

    Les prmices du modle de la mdiathque : documentationet autoformation

    Jean Hassenforder compte parmi les passeurs qui vont sefforcer de trouver unetraduction dans le monde des bibliothques du modle de lautodidaxie langlo-saxonne et des slogans de lducation permanente. Avec ses amis de la section despetites et moyennes bibliothques vocation ducative, qui bouscule lABF sacration en 1959, il ambitionne de dfinir un nouveau modle de bibliothque, qui neporte pas encore le nom de mdiathque. Sa vocation ducative , inspire par lidede culture gnrale porte par la formation permanente, implique de rompre en partieavec une culture traditionnelle dominante littraire, artistique, historique.46

    Pour Hassenforder en effet la bibliothque moderne devient un centredocumentaire.47 Le document peut tre dfini comme toute base de connaissancefixe matriellement et susceptible dtre utilise pour consultation, tude ou preuve.48 Autrement dit, lide de bibliothque-centre documentaire conduit naturellement au-delde limprim le livre est une espce de document mais tout document nest pas crit :

    43 CHARTIER, Anne-Marie ; HEBRARD, Jean,op. cit., p. 18344 LAOT, Franoise, Education permanente : trois clairages sur lhistoire dune ide ,Actualit de la formation permanente, n180, septembre - octobre 200245 Cit par CHARTIER, Anne-Marie ; HEBRARD, Jean,op. cit., p. 18346 Ibid.47 HASSENFORDER, Jean,La bibliothque, institution ducative, op. cit., p. 13148 Ibid., p. 169, Hassenforder cite une dfinition propose par Suzanne Briet

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    I. Le discours ducatif des bibliothques : de la prescription lautoformation

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    Le monopole de limprim est en voie de disparition. Certaines bibliothquessuivent cette volution inluctable avec retard [] La bibliothquedautrefois tait centre sur limprim [] Aujourdhui, la redfinition de labibliothque comme centre documentaire tend le champ des documentstraits par linstitution.49

    De quelle faon cette vision des choses renouvelle-t-elle lide dune missionducative des bibliothques ? Le recours la documentation est prcisment un aspectimportant de la pdagogie de lautodidaxie dveloppe la mme poque par CarlRogers. Pour Rogers, lenseignant ne doit pas tre considr comme un matre maiscomme une source de rfrence :

    Quelque information que puisse demander un individu ou un groupe tout entier pour consolider ses connaissances, lenseignant se montrera dispos en rechercher les possibilits dobtention [] Ainsi, quels que soient lesmoyens quil propose : livre, lieu de travail, nouvel outil, occasion

    dobserver un procd industriel, expos fond sur ses propres travaux,image, graphique ou carte, voire ses propres ractions motives il aura lesentiment quils sont offerts la libre disposition de ltudiant si celui-ci lejuge utile, et il souhaitera quils soient perus comme tels. Il ne voudra pasen faire des guides ou des choses attendues, ordonnes, imposes ouexiges.50

    Comment ne pas reconnatre dans ce portrait de lenseignant idal par Rogers la figuredu bibliothcaire-documentaliste prne par Hassenforder ? Apprendre, pour lesnouveaux pdagogues de lautoformation, cest se documenter tout en tant guid,orient dans ses recherches. Pour le sociologue Joffre Dumazedier, fidle cettepdagogie de lautodidaxie, il ny a donc entre formation et information quune simplediffrence de degr : lducation se distingue desmass-mediapar le caractre plussystmatique, plus mthodique de la premire, et [par] limportance cet gard de larptition et de la continuit.51 A lheure de la socit des loisirs thorise par Dumazedier, lducation permanente et le plein emploi des loisirs (reprsents enpremier lieu par les nouveaux mdias : cinma, tlvision, radio) sont les deux facesdune mme mdaille.

    Pour les lecteurs convaincus par les arguments de Dumazedier ou de Rogers, lesbibliothques ont tous les moyens dtre lavant-garde dune ducation nouvelle parles mdia. Les nouveaux documents voqus par Hassenforder ( imprims, mais

    aussi disques, bandes magntiques, et bientt une vaste chelle, cassettes produisant des films sur le petit cran52 ) renouvelleront laction ducative des bibliothques grce des cours par tlvision ou enregistrs sur film , lenseignement programm et demain le recours lordinateur. Autant de techniques nouvelles que prfigure lapdagogie amricaine de lauto-tutorial :

    Le cours du professeur est enregistr sur magntophone et prsente llveun guide des activits qui lui sont proposes au choix ou obligatoirement dans le cadre du centre documentaire ou du laboratoire : lire un ouvrage,

    49 Ibid , p. 17050 ROGERS, Carl,Le dveloppement de la personne,Paris : Dunod, 1996, p. 209-21051 Cit par HASSENFORDER, Jean,La bibliothque, institution ducative, op. cit., p. 16252 Ibid,p. 176

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    regarder un film, amasser des donnes partir dun matriel dedmonstration, observer au microscope, tracer un diagramme, faire unexercice, etc. Ces activits peuvent tre effectues par llve nimportequel moment de la journe dans le cadre de la priode prvue.53

    Dans ces nouveaux outils de formation, on peut voir la ralisation du vieux rve decertains pdagogues : linstitutionnalisation et la gnralisation de lautodidaxie, ladisparition du professeur, de lenseignant, du matre. Thorndike imaginait dj en1912 un livre fabriqu de telle manire que seul celui qui a suivi les instructions de lapage 1 puisse accder la page 2. Si un tel miracle dingniosit mcanique taitpossible ajoute-t-il, beaucoup de ce qui requiert actuellement lintervention delhomme dans lenseignement pourrait tre ralis par limprim.54 Sige traditionneldes pratiques autodidactes, la bibliothque est maintenant mre pour l'autoformation.

    3.2. Des bibliothques pilotes : Larbre qui cache

    labsence de fort La perce de la BPI, la mdiathque de la Cit des scienceset de lindustrie

    Lorsquil crit la fin des annes 60 et au dbut des annes 70, les proposdHassenforder relvent encore, comme ceux de Thorndike au dbut du sicle, de lascience-fiction. Si la documentation va rapidement simposer dans les CDI et lesbibliothques dentreprises, dans lunivers de la lecture publique en revanche, ces idespeinent sinstaller. En 1966, dix ans aprs les premiers balbutiements de lidedducation permanente et les dclarations de Paul Poindron, le congrs Bibliothques

    publiques et ducation permanente voque encore lide dune auto-ducation par lesmdias comme une piste thorique approfondir :

    Estimant que les bibliothques publiques ont jouer un rle important dansle domaine de l'ducation permanente et de l'utilisation intelligente desloisirs, contribuant ainsi l'panouissement et au bonheur de l'individu,pour le plus grand bien de la collectivit, le Colloque considre que lesbibliothques publiques ne peuvent jouer ce rle que si elles possdent unquipement adquat [] La bibliothque publique doit comporter, outre leslivres, des documents audio-visuels. Elle doit tre mme de permettrel'exercice d'autres activits ducatives culturelles. [] Considrant que lesbibliothques publiques sont un moyen de communication de masse,comparable la presse, la radio, le cinma, la tlvision, etc., le Colloqueestime qu'une coopration doit tre cre entre les bibliothques publiques et ceux-ci. Les bibliothcaires doivent prendre l'initiative d'tablir des contactsavec eux et s'efforcer d'influencer leurs activits.55

    Lautoformation, troitement lie au modle de la mdiathque en train de slaborer,ne connaitra en fait gure de ralisations concrtes avant lapparition de ltablissementphare qui imposera ce concept en 1977 : la BPI.

    53 Ibid.54 Ibid., p. 17355 Conclusions du colloque Bibliothques publiques et ducation permanente : Colloque de Namur. 24-29 octobre 1966 ,Bulletin des Bibliothques de France, 1967, n 1 12 [en ligne] Consult le 5 novembre 2008

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    I. Le discours ducatif des bibliothques : de la prescription lautoformation

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    Ds son ouverture, la Bibliothque Publique dInformation met en place une mdiathque des langues proximit de ses fonds de langue et de littrature. Il sagitdun espace runissant quarante postes qui permettent dtudier laide de mthodesaudiovisuelles. Loffre est dabord limite aux langues. Le service, qui remporte unfranc succs auprs des usagers, se voit dot de 20 places supplmentaires en 1988. Plus

    de 130 langues et 530 mthodes sont alors proposes. Paralllement, la mme anne estouverte une logithque qui propose des didacticiels de bureautique, mais aussi desremise niveau scolaire ou lapprentissage du code de la route. Les deux espacesfusionnent en 2000 aprs la fermeture de la BPI pour travaux en 1997, ce nest qucette date quun vritable espace dautoformation voit le jour, spar du reste de labibliothque par une cloison de verre. Depuis ses premiers pas jusqu aujourdhui,loffre dautoformation a connu une nette volution : on ne vient plus la BPI pour prparer ses vacances ltranger mais dans la perspective dun concours ou pour mettre jour ses connaissances professionnelles.

    La Mdiathque de la Cit des Sciences marque un autre jalon important dans

    linstitutionnalisation de lautoformation. A son ouverture en 1986, ltablissementintgre une didacthque, une collection de logiciels ducatifs dabord destine auxenfants et sinscrivant dans sa mission de vulgarisation scientifique. Elle seraprogressivement ouverte aux adultes puis aux professionnels de lducation. Lensemblede ces services fusionnent en 2005 au sein de lespace autoform@tion qui appartient auCarrefour Numrique, le ple de la mdiathque qui vise favoriser laccs auxnouvelles technologies et rduire la fracture numrique.

    Un discours qui peine simposer, un propos actualiser

    Avec un lger dcalage dans le temps, la Cit des Sciences et la BPI suivent un

    cheminement semblable. Le plus frappant dans ces entreprises cest le temps quil aurafallu lide dautoformation pour simposer : thorise ds les annes 1950, elle nevoit ses premires ralisations concrtes qu la toute fin des annes 70. Une offredautoformation dabord fragmente et parcellaire est labore dans les annes 80 et vatre progressivement consolide et unifie lapproche de lan 2000. La notiondautoformation prend alors sa forme dfinitive, dsignant un ensemble doutils etdespaces sadressant tous, permettant dapprendre, de se former, de mettre jour sesconnaissances et de sauto-valuer dans les domaines la fois scolaires, thoriques,professionnels, pratiques et techniques, par le biais de documents multimdia, par lintermdiaire dune machine et ventuellement dun tuteur.

    Comment expliquer cette lenteur ? La premire priode, des annes 1950 1970correspond la phase de modernisation des bibliothques municipales. Il aura falluvaincre dans un premier temps les rticences des bibliothcaires saventurer au-del dulivre et du patrimoine. La bibliothque municipale na pas jouer le rle de centre dedocumentation56 proteste par exemple No Richter en 1965.

    La seconde priode, des annes 1980 aujourdhui correspond au dveloppementdune vritable offre, avec laide et lappui de nos bibliothques pilotes. En labsence demthode pour les langues rares (le peul, le tahitien, le grec moderne), la BPI a d elle-mme en dvelopper en collaboration avec lINALCO. Quant la Cit des Sciences, ellea dabord d se limiter aux logiciels ducatifs de lEducation nationale. Les logicielspour adultes ont t crs progressivement, en prospectant auprs des grandes

    56 Cit par CHARTIER, Anne-Marie. ; HEBRARD, Jean,op. cit., p. 189

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    entreprises comme Renault, EDF, Air France qui avaient commenc dvelopper leurspropres outils. Aujourdhui, la BPI et la Cit des sciences continuent de militer enfaveur de lautoformation en ditant certains logiciels ou certaines mthodes et enorganisant des journes de formation en direction des professionnels, en partenariat aveclADDNB (lAssociation pour le Dveloppement des Documents Numriques en

    Bibliothque).Ces multiples atermoiements ont peut-tre affect lunit du discours sous-jacent aux

    services dautoformation. On a vu en effet quils avaient t thoriss, justifis,modliss, pendant les Trente Glorieuses, une poque o la question principale taitcelle du plein emploi des loisirs, une poque qui ignorait le chmage de masse, lestechnologies numriques, et les enjeux nouveaux de la socit de la connaissance.Depuis, la notion-clef dducation permanente sest progressivement disloque.Franoise Laot observe que ladjectif permanente aprs formation ou ducation acompltement disparu des titres des thses depuis 1993 [] Les pressions de la part desmouvements pour faire ajouter les termes dans le cadre de lducation permanente

    au titre de la loi sur la formation professionnelle de 1971 ont fait long feu.57

    Lducation permanente a progressivement laiss sa place la formation continue puis la formation tout au long de la vie , des notions qui ne sont gure plus prcisesmais qui laissent sans doute moins de place lide dune formation totale des individuspour se recentrer sur des enjeux conomiques plus terre terre : linsertionprofessionnelle, la croissance conomique. Lautoformation a peut-tre perdu en cheminune partie de sa lgitimit ou en tout cas de son caractre mobilisateur. Comme lesouligne Jol Carr , 30 ans aprs la naissance du laboratoire de langue de la BPI, 20 ansaprs la logithque de la Villette, lautoformation reste un service dexception.58

    Si la BPI et la Cit des sciences continuent de militer pour lautoformation et sefforcent de

    construire un discours pertinent dans le contexte actuel, on serait bien en peine de trouver unevritable rflexion professionnelle sur la question : il nexiste pas de manuel ou de guide sur lautoformation en bibliothque, pas de catalogue des offres, pas de rseaux professionnels. Amaints gards, la BPI, la CSI, sont ces arbres qui cachent labsence de fort voqus par Jean Hbrard et Anne-Marie Chartier :

    En matire de lecture publique [] la France reste [durant le XXe sicle]loin derrire ce qui se fait en Angleterre, aux Etats-Unis ou aux Pays-Bas[] On ne cesse de mettre en avant des expriences pilotes ou de dcrire desralisations ponctuelles remarquables, dautant

    plus exemplaires quelles

    sont uniques et sont comme larbre qui cache labsence de la fort.59

    CONCLUSION : U N DISCOURS A ( RE ) INVENTER Les trois discours que nous avons distingus reprsentent la fois des types idaux et

    des jalons dans lhistoire des bibliothques. En lespace dun sicle et demi, des annes1860 2000, lide dune mission ducative des bibliothques a t compltementtransforme, jusqu devenir parfois mconnaissable, indiscernable dans certains cas dela notion plus gnrale daction culturelle, ou rduite un service (lautoformation)parmi dautres.

    57 LAOT, Franoise, art. cit.58 CARRE, Jol,Construire une offre dautoformation en bibliothque publique, Mmoire dtude, Mars 2008, diplme deconservateur de bibliothque59 CHARTIER, Anne-Marie ; HEBRARD, Jean,op. cit., p. 95

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    I. Le discours ducatif des bibliothques : de la prescription lautoformation

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    On peut discerner dans cette volution un double mouvement : une sparation delcole et du systme scolaire dune part, qui apparaissent comme un repoussoir ds lorsque les bibliothcaires sefforcent de dfinir une identit qui leur est propre ; une miseentre parenthses progressive ou un refoulement du rle ducatif des bibliothquesdautre part. Ces deux mouvements sont bien sr lis, mme si lun nimplique

    nullement lautre : on a vu que pour les pionniers de lautoformation, commeHassenforder, lducation des adultes, lautodidaxie, reprsentaient au contraire laquintessence de ce qui dfinit en propre les bibliothques.

    Il serait faux videmment daffirmer, comme on lentend parfois60, que lesbibliothques publiques ont sombr dans le plus parfait relativisme aprs avoir progressivement dlaiss toute ambition ducative, mais celle-ci, du premier planquelle a longtemps occup exclusivement et de faon despotique, sest disperse, estdevenue une mission parmi dautres, parfois difficilement conciliables entre elles(comme la diffusion de linformation, la dmocratisation des loisirs ou de la culture, lapromotion du lien social).

    Les actions ducatives menes par les bibliothques, nous le verrons bientt, se sontelles-mmes la fois multiplies et parpilles. On serait bien en peine de dfinir le discours ducatif qui leur est sous-jacent aujourdhui. Comme le disent Anne-MarieChartier et Jean Hbrard, la lecture publique du XXIe sicle prtend assumer toutesles traditions, toutes les innovations.61 Plutt que dopter pour lune ou lautre desgrandes options que nous avons distingues (la prescription, lanimation,lautoformation), les bibliothques contemporaines sefforcent quand elles le peuvent defaire feu de tout bois.

    Cet clectisme peut tre considr comme une richesse, mais il prsente nanmoins uninconvnient : depuis les annes 50, la place des bibliothques dans la nbuleuse de

    lducation et de la formation (formation initiale et formation continue) na gure tactualise. A lheure de la socit de la connaissance, alors quune pression indite estimpose lensemble des citoyens pour renouveler en permanence leurs connaissanceset leurs savoir-faire, la contribution des bibliothques cette problmatique estrelativement indtermine et un discours nouveau reste inventer.

    60 Cf par exemple les propos dAlain Finkelkraut, cits par Dominique Lahary sur la liste de diffusion biblio-fr : [Richard Hoggart est] un sociologue qui exprime sa gratitude envers ce quil ne craint pas de dfinir comme la haute culture et il voit sivous voulez les choses se dgrader cest--dire il a connu des bibliothcaires qui lui indiquaient les bons livres. Voil, ils necraignaient pas de dire les bon livres. Et il disait : maintenant les bibliothcaires c est plus du tout a. Ce sont des dmocratesqui contestent aux bibliothcaires eux-mmes le droit de choisir les livres en fonction de leur propre chelle de valeur [], depromouvoir certains livres parce quils pensent qu ils sont meilleurs que d autres, quils font partie de la grande tradition. Il nya pas de grande tradition, et cest intressant parce que a se rfre un certain usage vulgarisateur de la sociologie mais aussiau mouvement de nos socits. [] Les hirarchies sont trs mal supportes. Tout ce qui relve de l quivalence est en quelquesorte absorb avec bonheur. Il y a quivalence, il y a relativisme [En ligne] 61 CHARTIER, Anne-Marie ; HEBRARD, Jean,op. cit., p. 207

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    1. L ES BIBLIOTHEQUES DANS LA SOCIETE DE LACONNAISSANCE

    1.1. Socit de linformation et socit de la

    connaissanceQuentend-on par socit de la connaissance ? Les pays occidentaux sont passs,

    dans le dernier tiers du XXe sicle dune conomie industrielle base sur la productionde biens manufacturs une conomie de linformation, postindustrielle ou postfordiste , base sur la production de services et de biens immatriels, qui prendsa source dans le dveloppement fulgurant des technologies informatiques et des rseauxde communication.

    La circulation de linformation dans les rseaux nest pas encore la connaissance,cette dernire pourrait tre dfinie comme la capacit manipuler, organiser, grer

    des informations. Lide dune socit de la connaissance est plus vaste que celle dunesocit de linformation, elle englobe les consquences sociales et politiques issues desmutations de linfrastructure conomique. Elle prend acte du fait que la cration derichesse repose de plus en plus sur les services, linnovation, les phases de conception,de recherche et de dveloppement. Le Commissaire au plan Jean-Michel Charpinconstate que pour la France, comme pour les pays comparables, la principale sourcede richesse rside dsormais dans les savoirs et les comptences, davantage que dansles ressources matrielles. Mettre laccent sur le savoir plutt que sur linformation,poursuit-il, signifie que le problme central concerne moins laccs linformationque la facult de sen servir et, plus gnralement, la capacit dapprentissage de lapart des diffrents acteurs concerns.65

    Une socit de la connaissance est donc en mme temps une socit apprenante ,ou une socit ducative selon lexpression de Jacques Delors, o lintrt pour lesavoir ne concerne plus seulement les prescripteurs, chargs de le transmettre ou delenseigner, mais les apprenants en tant que tels, ces travailleurs du savoir dont lactivit est principalement centre sur la production et la vente de prestations caractre intellectuel et immatriel 66 et qui ont donc un intrt direct se former enpermanence par eux-mmes afin dactualiser leurs comptences et de conserver leur employabilit sur le march du travail. Le travailleur du savoir ,observe PhilippeCarr, est appel tre non seulement un apprenant permanent mais grer par lui-mme le dveloppement de ses comptences [] il sagira pour lui ou elle de savoir apprendre [] mais plus encore [] il lui faudra prendre linitiative de sa propreformation, savoir entreprendre dapprendre selon les termes [dHenri]Desroches.67

    Autrement dit, lheure actuelle, la question de lautodidaxie, de la formation desadultes et plus gnralement de la diffusion du savoir, qui tenait lieu depuis lesLumires didal politique et social, dhorizon dmancipation, est galement devenueune injonction conomique, une ncessit de fait.

    65 CHARPIN, Jean-Michel, Avant-propos , COMMISSARIAT GENERAL DU PLAN,La France dans lconomie du savoir ,Paris : La documentation franaise, 2002, p. 166 CARRE, Philippe,LApprenance : vers un nouveau rapport au savoir . Paris : Dunod, 2005, p.67 Ibid., p. 38

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    II. Apprendre et se former dans les bibliothques municipales aujourdhui

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