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Tiré à part NodusSciendi.net Volume 11 ième Décembre 2014 Mythes, création et société Volume 11 ième Décembre 2014 Numéro conduit par KONANDRI Affoué Virginie Maître de Conférences à l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan ISSN 1994-2583 ISSN 2308-7676

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Tiré à part

NodusSciendi.net Volume 11 ième Décembre 2014

Mythes, création et société

Volume 11 ième Décembre 2014

Numéro conduit par

KONANDRI Affoué Virginie

Maître de Conférences à l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan

ISSN 1994-2583 ISSN 2308-7676

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ISSN 1994-2583 Sous la direction de KONANDRI Affoué Virginie ISSN 2308-7676

Comité scientifique de Revue

BEGENAT-NEUSCHÄFER, Anne, Professeur des Universités, Université d'Aix-la-chapelle

BLÉDÉ, Logbo, Professeur des Universités, U. Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan

BOA, Thiémélé L. Ramsès, Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny

BOHUI, Djédjé Hilaire, Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny

DJIMAN, Kasimi, Maître de Conférences, Université Félix Houphouët Boigny

KONÉ, Amadou, Professeur des Universités, Georgetown University, Washington DC

MADÉBÉ, Georice Berthin, Professeur des Universités, CENAREST-IRSH/UOB

SISSAO, Alain Joseph, Professeur des Universités, INSS/CNRST, Ouagadougou

TRAORÉ, François Bruno, Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny

VION-DURY, Juliette, Professeur des Universités, Université Paris XIII

VOISIN, Patrick, Professeur de chaire supérieure en hypokhâgne et khâgne A/L ULM, Pau

WESTPHAL, Bertrand, Professeur des Universités, Université de Limoges

Organisation

Publication / DIANDUÉ Bi Kacou Parfait,

Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan

Rédaction / KONANDRI Affoué Virgine,

Maître de Conférences, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan

Production / SYLLA Abdoulaye,

Maître de Conférences, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan

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SOMMAIRE

1- AMEYAO Attien Solange Inerste, Université Félix Houphouët Boigny,

L’IDEOLOGIQUE DE L’ORALITURE DANS LA CARTE D’IDENTITE

DE JEAN-MARIE ADIAFFI

2- ABOUA KOUASSI Florence, Université Félix Houphouët Boigny, LES

NAUFRAGES DE L’INTELLIGENCE, FRESQUE D’UNE SOCIETE IVOIRIENNE

EN CRISE

3- Dr. DIALLO Adama, CNRST/INSS OUAGADOUGOU, LANGUES ET

IDENTITES CULTURELLES : UNE AFFIRMATION DES OUTILS ET

FONCTIONS DE LA LANGUE COMME REFLET DES PRATIQUES DE

L’IDENTITE CULTURELLE A TRAVERS LA SOCIETE BURKINABE

4- Guéi Paul KELANONDE, Université Félix Houphouët Boigny, BOSSONNISME

ET IDENTITE : VISION ADIAFFIENNE DE L’AFRICAIN NOUVEAU DANS LES

NAUFRAGES DE L’INTELLIGENCE DE JEAN-MARIE ADE ADIAFFI

5- KONKOBO Madeleine, INSS/CNRST OUAGADOUGOU, LA QUESTION DE

L’APPRENTISSAGE DE LA LANGUE FRANÇAISE AU BURKINA FASO

6- KOUASSI Kouamé Brice, Université Félix Houphouët Boigny, L’IDEE DE

TOLERANCE CHEZ VOLTAIRE DANS TRAITE SUR LA TOLERANCE

7- ZEBIE Yao Constant, Université Félix Houphouët-Boigny, LES NAUFRAGÉS DE

L’INTELLIGENCE DE JEAN-MARIE ADIAFFI À L’AUNE DES CONCEPTS DE

"DÉMAÎTRISE" ET DE "REMAÎTRISE" : UNE CRITIQUE INTÉGRALE DES

VALEURS AFRICAINES MODERNES

8- JOHNSON Kouassi Zamina, Université Félix Houphouët- Boigny, MAXINE

HONG KINGSTON’S THE WOMAN WARRIOR: A PROCESS OF

GLOBALIZATION OF IDENTITY BEYOND MULTICULTURALISM IN

AMERICA

9- KABORÉ Sibiri Luc, I.N.S.S, OUAGADOUGOU, LES FORTES RÉTICENCES

DE SCOLARISATION DANS LA COMMUNE DE DORI AU BURKINA FASO

10- KOUAME YAO Emmanuel, Université, Félix Houphouët-Boigny MORPHOLOGIE

DERIVATIONNELLE DU DIDA, LANGUE KRU DE COTE D’IVOIRE

11- Clément DILI PALAÏ, Université de MAROUA, LES CONTES PAILLARDS

SELON SÉVÉRIN CÉCILE ABÉGA : ESTHÉTIQUE ET ÉTHIQUE DE LA

SEXUALITÉ

12- Affoué Virginie KONANDRI, Université Félix Houphouët-Boigny, MYTHE ET

MYTHO GENÈSE DANS LE ZOUGLOU

13- Sara CISSOKO, Université Félix Houphouët-Boigny, CRÉATION ET MYTHES DE

LA VIOLENCE CHEZ JEAN-MARIE ADIAFFI

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14- YAO Yao Lévys, Université Félix Houphouët-Boigny, ESTHÉTIQUE DE LA

FRAGMENTATION DANS BLEU- BLANC- ROUGE D’ALAIN MABANCKOU

15- Léa ZAME AVEZO’O, Université Omar Bongo, REGARD SUR L’HISTOIRE ET

LES PRATIQUES CULTURELLES DU PEUPLE KOTA DU GABON DANS

HISTOIRE D’UN ENFANT TROUVÉ DE ROBERT ZOTOUMBAT

16- DJIMAN Kasimi, Félix Houphouët-Boigny University of Cocody-Abidjan,

POSTCOLONIAL DISCOURSE IN AFRICAN LITERATURE

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LES NAUFRAGES DE L’INTELLIGENCE, FRESQUE D’UNE SOCIETE IVOIRIENNE EN CRISE.

ABOUA KOUASSI Florence (université de Cocody – Côte d’Ivoire)

[email protected]

Introduction

Figure emblématique1 et sans conteste de la littérature ivoirienne moderne, Jean-

Marie Adiaffi, dont l’œuvre retiendra ici notre attention, ne l’est pas moins dans

l’imaginaire collectif ivoirien où les journaux l’affublaient du titre de « l’insulteur

public » dû au tranchant de son verbe. Aucun Ivoirien n’est resté indifférent devant cet

homme au verbe haut et à la tenue vestimentaire expressive : chaleureux à l’extrême,

expansif dans ses propos comme dans ses gestes amples et péremptoires, il était très

souvent habillé majestueusement d’un pagne kita et d’un long collier en or. Philosophe

très apprécié des milieux intellectuels, Adiaffi était un homme public reconnu pour son

franc parler, la virulence de ses propos et ses prises de position jusqu’au-boutistes. Par-

dessus tout, il convient toutefois de souligner que c'est surtout la littérature qui a révélé

Jean-Marie Adiaffi comme un homme de lettres accompli, l'un des écrivains ivoiriens les

plus talentueux et les plus novateurs. Son roman posthume, Les naufragés de

l’intelligence, « auquel, il tenait tant » (si l’on en croit son éditeur préfacier) constituera le

socle de notre analyse.

Les naufragés de l’intelligence, fresque d’une société ivoirienne en crise, tel est le

sujet de notre contribution à l’analyse de l’œuvre d’Adiaffi. En quoi l’ancrage référentiel

de ce roman est la Côte d’Ivoire au point qu’il en est une fresque ? Quelle vision du monde

recèle cette œuvre ? Ces deux interrogations tout en structurant notre propos révèlent

en même temps que nous postulons l’œuvre à la fois comme une réalité sociale

« historiquement située » (Gustave Lanson, 1910, 397) et renfermant des indices, des

1 1981 : Grand Prix littéraire d'Afrique noire de l'UDELF pour D'Eclairs et de foudres et La carte d'identité.

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éléments explicites et implicites exprimant une idéologie. Comme on s’en aperçoit,

l’histoire littéraire est le premier outil méthodologique qui servira de socle à notre

propos.

Mettre en évidence les relations que l’œuvre entretient avec son contexte de

production, son cadre d’émergence constitue le premier maillon du processus

d’historicisation d’une œuvre avant d’envisager, entre autres, les rapports connexes avec

d’autres œuvres, de s’inscrire dans l’histoire générale de l’humanité. En effet, pour

éclairer, l’œuvre a besoin d’être replacée dans son contexte de production : saisir le

contexte pour comprendre les événements et déceler dans quelle mesure Les Naufragés

de l’intelligence, porteur d’un savoir, témoigne d’un pan de l’histoire de la société

ivoirienne. Car « la question qui se pose à elle (l’histoire littéraire) est d’abord et avant tout

écologique. Si la littérature fait partie intégrante de son milieu, il faut que l’histoire en rende

compte et autrement que par de simples rappels historiques, des allusions à quelques

mouvements d’idées » (MOISAN, 1987, 16-17).

Conservé d’une pratique discursive, le texte littéraire s’appréhende, par ailleurs,

comme une source de décryptage parce que « tout ce qui signifie est foncièrement

idéologique. » (BRUCE, 1995, 21) D’où l’intérêt de convoquer en sus la sociocritique,

méthode voisine, dont les outils conceptuels, texte, cotexte, hors texte, sociogramme,

serviront de jonction entre le cadre social imaginé et le réel, permettant de valser entre le

texte et la société, d’effectuer « le saut épistémologique du texte au contexte » (BELLEAU,

1999, 78) et de combiner « lecture de l'historique, du social, de l'idéologique, du culturel

dans cette configuration étrange qu'est le texte. » (Bergez, 1999, 123)

Notre analyse ambitionne de procéder à « l’immersion rétroactive » (Vaillant, 2010,

23) c'est-à-dire la mise en perspective du texte avec tout ce qui le référence dans la

société d’écriture et à la mise en lumière de l’idéologie de l’auteur.

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I-Contextualisation de Les naufragés de l’intelligence ou la Côte d’ivoire comme espace

de création

Dans la perspective de l’histoire littéraire, la démarche fonctionne comme une

recherche d’indices, laissés, consciemment ou non, par l’auteur dans son récit et qui

référencent son roman à son pays d’origine. Il y a dans ce roman, des informations

historiques hétéroclites qui autorisent à affirmer que non seulement le cadre spatial de

Les naufragés de l’intelligence, est la Côte d’Ivoire mais certaines pratiques évoquées lui

sont propres. D’abord, l’ancrage toponymique et culturel.

1-Référents spatiaux

Il est évident que Mambo, a bien d’égards, ressemble à toute l’Afrique

postindépendances. Mais la toponymie de la fiction renvoie à la Côte d’Ivoire. Le

rapprochement débute avec l’hymne national : chant patriotique, choisi pour l'usage

officiel, qui représente une nation ou un pays, l’hymne est un moyen d’identification

unique à chaque pays. Et celui du pays fictif de Mambo fait penser à celui de la Côte

d’Ivoire, en sa phrase introductive « salut, ô terre d’espérance ! » (284) Symbole

rassembleur autour duquel se cristallisent le sentiment d'appartenance et l'identité

collective d’un pays, l'hymne national ainsi évoqué, même de façon réduite, marque

l’attachement de l’auteur, sa fierté et son amour pour le pays qu’il représente. Condensé

de signifiants, c’est un symbole fort, sans équivoque, de représentation de la Côte

d’Ivoire.

La Côte d’Ivoire est géographiquement présente avec des villes, des quartiers bien

identifiables dans l’espace ivoirien. L’existence des villes de Bettié (village du commissaire

Guégon, où il s’était retiré), une ville rurale située dans l’un des sept royaumes de l’ethnie

Agni, au Sud-Est de ce même pays dans la région d'Abengourou et de Tanguelan (ville de

la prophétesse) localité de l'Est de la Côte d'Ivoire dans le département d'Agnibilékrou

attestent que la côte d’Ivoire sert de cadre au récit. La ressemblance de cette dernière va

au-delà de la dénomination pour toucher à l’activité spirituelle de ce lieu.

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L’auteur ne se contente pas de détails d’ordre visuel ou nominatif, l’ancrage

spatial apparaît avec une plus-value relative au contenu. En effet, dans la localité de

Tanguélan, existe une école très atypique des féticheuses qui a formé plusieurs

générations de prêtresses très influentes dans la société ivoirienne. La fondatrice de cette

école se nomme Akoua Mandoudja. Dans le Tanguelan de la fiction, la prophétesse-

fondatrice se nomme Akoua Mando Sounan. L’objectif de son école, comme le souligne

l’auteur, se résume à fournir « des nourritures culturelles qui doivent faire faire une avancée

radicale à l’homme, faire de lui un homme de qualité avec une nouvelle puissance, mais

également une nouvelle conscience, une conscience faite d’une nouvelle générosité, une

nouvelle bonté, une nouvelle compassion, une nouvelle justice… » (232) Deux Tanguelan en

apparence (réel et fictif) avec une même vision spirituelle.

Par ailleurs, la capitale de Mambo, N’guelé Ahué Manou, possède des quartiers

comme Abobo, Treichville, Yopougon, Locodjro, Eklomiabla, (126) des appellations de

quartiers réels d’Abidjan. Il y a aussi la forêt du banco (173), site écologique propre à cette

même ville et la fameuse rue princesse. C’est là que le commissaire Guégon recherche les

indices susceptibles de le mettre sur la piste des justiciers de l’enfer. Il y rencontre Motta

et un coup d’accélérateur est donné au récit.

Le rôle joué par cette rue mérite qu’on s’y attarde un peu. Située dans la commune

de Yopougon, la rue princesse constituée de boites de nuit, bars climatisés, maquis,

bistrots et autres débits de boisson, est réputée pour sa luxure, ses vices à ciel ouvert où

les scènes de viols collectifs, d’ébats en pleine rue sont quotidiennes. La description

poétique de celle de la fiction n’est point surfaite : « Pourquoi aller dans les îles lointaines,

quelquefois si banales et si décevantes, pour chercher des émotions fortes, des images, des

scènes exotiques ? Rue Princesse possède des paradis artificiels, des paysages, des nus qui

défient les peintres les plus audacieux. Ses sites insolites recèlent des merveilles que l’on ne

saurait découvrir nulle part ailleurs sur cette planète des hommes, sur cette terre des

femmes que l’ouragan de l’amour dénude à toute heure de jour et de nuit.

Rue Princesse est une île, un lac miroitant, mirobolant. Et quand le vertige de l’alcool fait

chavirer la barque de votre navigation sur le fleuve de la lumière reine, les maisons qui

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marchent sur des échasses prennent la merveilleuse silhouette, en contre-jour, surréaliste,

d’une cité lacustre. Rue Princesse est la rue vivante de toutes les mythologies et de tous les

symboles.» (85) Il n’y a pas que l’ancrage toponymique qui localise le récit de ce roman en

Côte d’Ivoire.

2-Repères socio-culturels

Deux phénomènes sociaux typiques de la Côte d’ivoire, ‘’le bôrô d'enjaillement’’

et la ‘’traversée du guerrier’’, dénominations des jeux d’une dangerosité avérée,

pratiqués par les élèves d’Abidjan dans les années 1990, sont abondamment décrits dans

le roman. Baptisés ‘’jeu de la mort" ou "jeu du danger", ils ont fait de nombreux morts

dans le milieu scolaire en Côte d’Ivoire.

Le "bôrô d'enjaillement, néologisme ivoirien, est la combinaison " d’un mot

malinké "bôrô" (qui signifie "sac") et le terme anglais francisé "enjoyment"

("amusement, plaisir") (signifiant littéralement ‘’une quantité énorme de joie, de plaisir ‘’)

se réfère à un jeu de défis dangereux motivé par la recherche de sensations extrêmes. Il

consiste, en effet, à s’adonner à des acrobaties et autres pas de danse sur le toit d’un bus

en mouvement.

Malgré les risques mortels qu’elle faisait courir aux cascadeurs, cette pratique a

connu un certain succès au milieu des années 1990 avant de disparaître. Il mettait,

nombre de fois, aux prises collégiens et lycéens qui s’affrontent, le plus souvent le

vendredi après les cours, pour défendre les couleurs de leurs établissements scolaires

respectifs. La description qu’en fait l’auteur est en tout point identique à la réalité, sans

artifice :

« Le « bôrô d’enjaillement» est un additif, un addenda du futur. Alors on risque sa vie pour

le « bôrô d’enjaillement». C’est au sommet des bus en marche que ces jeunes idéalistes

désespérés exécutent la danse de la mort, le défi de la mort. Chaque jour, des dizaines

d’entre eux meurent en sautant des bus en marche. Malgré l’intervention musclée des

parents et de la police, rien ne les arrête. On dirait que c’est la mort elle-même et le risque

absolu qui les fascinent. » (33)

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Le deuxième jeu, tout aussi dangereux que le premier, consistait à traverser les

yeux bandés les grandes artères de la ville, comme les boulevards, aux heures de grands

trafics ou alors que le feu tricolore est vert : « le héros se bande les yeux, choisit les heures

et les lieux des grandes affluences, au milieu des bolides fous lancés à grande vitesse, pour

traverser les deux rives du néant, du gouffre. Là encore, tous les jours, des cadavres jonchent

la chaussée et le trottoir. » (33)

Ces deux phénomènes ont secoué des années durant le système éducatif ivoirien.

Leur évocation, avec pour prétexte la présidence de la finale par N’da Tê s’offre pour le

narrateur comme une lucarne suffisante pour revenir sur la crise qui a secoué l’école

ivoirienne depuis 1990. L’autorité de l’école ivoirienne et sa capacité à assumer son rôle

d’éducatrice étaient pointées du doigt. L’administration publique, le ministère de

l’éducation nationale, la cellule familiale, les forces de l’ordre et la Société de Transport

Abidjanais se sont retrouvés au banc des accusés de ce phénomène. Cela parce que les

origines de ce phénomène remontent à un déficit de moyen de transport urbain. En effet,

historiquement, le bôrô d’enjaillement est né du manque de place dans les bus de la

Société de Transport Abidjanais (SOTRA) : les véhicules bondés ne stationnaient donc

plus aux arrêts prévus. Mais, le conducteur ralentissait toujours à l’approche du point de

ramassage habituel et les élèves ne voulant pas accuser de retard, montaient à bord en

s’introduisant par les fenêtres et se hissaient sur les toits quitte à jouer les acrobates.

Progressivement, cette façon de faire s’est muée en un divertissement avant de devenir

un jeu de défis et dégénérer en compétitions.

La littérature ne peut transcender la langue car « la vie sociale entre en corrélation

avec la littérature avant tout par son aspect verbal. » (TYNIANOV, 2001, 31) Celle qui sous-

tend la production littéraire dans les pays francophones, naguère colonies, est le français,

imposé par le colonisateur. Mais Adiaffi convoque, en sus de cette langue internationale,

des langues ivoiriennes dans son récit : l’Agni, langue maternelle de l’auteur, le Malinké, le

Bété, le Yacouba.

Le corpus est parsemé de mots et d’expressions qui évoquent des réalités

étrangères à la culture française dont la langue sert de support au plan de l’écriture. Il

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s’agit généralement de mots ou expression tirés de la langue maternelle de l’auteur ou

d’autres langues ivoiriennes et intégrés dans l’écriture en vue de résoudre le problème

des limites de la langue française à exprimer, avec toute sa saveur et sa quintessence, la

pensée des Africains.

Nous citons quelques-uns de ces mots :

« Eklomiabla » « Misori éhoué »« nyansapo » « gnamien sounankro » (les naufragés de

l’intelligence) « ebrô » « bahifouê » « blezoua » « bahifouê » « misro ehoué nan mindè »

« gnamien kpli » « taloua klamen » en Agni (Akan).

« koungolo » « kpakpato, togognini » « namala, namala » « wari »en Malinké (Mandé du

nord).

« guégon » en langue Dan (Mandé du sud).

« lago » « bagnon » « bahoron » « kanégnon » « kokoré » en langue Bété (krou)

Même si certaines langues comme l’Agni et le Malinké, sont transnationales, en partage

avec d’autres pays limitrophes, il n’y a qu’en Côte d’Ivoire qu’on retrouve toutes ces

ethnies réunies. Les expressions des langues maternelles sont autant d’ancrages de

l’œuvre dans la société ivoirienne. La pluralité linguistique convoquée ici est de ce fait un

élément d’historicisation du roman. Les grands groupes qui peuplent la côte d’Ivoire sont,

par ce biais, présents : le groupe Akan, les Mandés du nord, les Mandés du sud et le

groupe Krou.

Le choix du code langagier présupposant un contenu social, ce métalangage

instaure une égalité entre les langues africaines et celle du colon. L’auteur, en

empruntant une des arcanes de la pensée traditionnelle, assume, par ailleurs, son

« africanité » et sa propension à ne pas se conformer aux usages. L’anticonformisme

d’Adiaffi trouve son expression achevée dans l’écriture « N’zassa », concept ivoirien du

décloisonnement des genres qu’il a introduit dans la littérature ivoirienne.

Adiaffi est considéré, à juste titre, comme l`une des figures de proue de la

« nouvelle écriture ivoirienne », car il opère le dépassement des catégories littéraires

établies, qui compartimentent les études en « domaines de spécialité ». A cet effet, Adiaffi

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a introduit le concept « N’zassa »2 dans la littérature avec une "écriture éclatée" : le

mélange des genres ou le "genre sans genre". On perçoit dans l’écriture d’Adiaffi, la

volonté de s’exprimer, en dehors des dogmes de lecture et des cases de placement

définitifs, une part rebelle qui défie les classements de genre ou de culture. Voici

comment Adiaffi définit lui-même son concept dans la préface de l’œuvre : « j’ai créé mon

style appelé « N’zassa » « genre sans genre » qui rompt sans regret avec la classification

classique, artificielle de genre : romans, nouvelles, épopée, théâtre, essai, poésie. En effet,

dans mes romans, on trouve tous les niveaux de langage. Selon l’émotion, je choisis « le

genre », le langage qui m’apparait exprimer avec plus de force, plus de puissance ce que je

ressens intimement dans mon rapport érotique-esthétique avec l’écriture. » (5)

Dans cette logique, des coupures de presse interviennent dans l’écriture

romanesque ; des prières, des poèmes, des correspondances et des refrains scandent le

texte. Ces passages sont mis en évidence par une graphie différente : italique, gras,

caractères d’imprimerie ….

A titre illustratif, citons quelques passages tels quels. Les prières sont mises en italique :

« Notre père Argent qui êtes au ciel

Donnez-nous notre pain quotidien sur cette terre cruelle

Sans pitié pour les pauvres

Protégez-nous de la maladie et de la misère.

Amen ! » (30)

C’est également par le biais de cette graphie que l’auteur fait intervenir des figures

des luttes libératrices africaine. Cheick Anta Diop interroge dans cet ordre d’idées la

génération actuelle en ces termes :

« Vous qui vivez aujourd’hui, héritiers de la grande foi africaine, qu’avez-vous fait de

notre épopée, l’épopée de la dignité, de la liberté africaine ? Qu’avez-vous fait de la fière

conscience souveraine d’une Afrique fière et souveraine? Qu’avez-vous fait du grand feu

2 En Côte d’Ivoire, appellation donnée aux pagnes confectionné par recollement de plusieurs morceaux d’autres pagnes de motifs et de différentes couleurs mais qui forme une nouvelle harmonie

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africain qu’ensemble nous avions allumé ? Qu’avez-vous fait de la grande foi des Africains en

eux-mêmes ? » (138)

Les songes initiatiques de la prophétesse Akoua sont mis en caractère italique

doublé du gras :

« Je suis l’envoyé de Gnamien Kpli le grand, l’unique créateur du ciel et de la

terre, Lago, Balé, Zeu, Owo, Koulo Tyolo. Leve-toi, va, monte au sommet de la montagne

sacrée afin de recevoir l’initiation, le secret, la vérité de Gnamien. Là est le sanctuaire de

la vérité absolue : on y entre les yeux fermés, on en sort les yeux ouverts. » (99)

Cette graphie revient chaque fois qu’elle évoque des songes en rapport avec sa

mission divine. Les coupures de presse, quant à elles, sont présentées en deux colonnes

comme l’atteste cet extrait :

« MAMBO’SOIR DU 11 Mars 1998

MAMBO, L’ELDORADO DES ESCROCS

L’affaire Citiword, la dernière d’une série d’escroquerie ? Peut-être est-il temps que chacun s’interroge : pourquoi est-ce précisément à Mambo que les escrocs

opèrent sans être jamais inquiétés ? Pourquoi les Mambotiens sont-ils si crédules ? Comment se laissent-ils aussi facilement berner par tous les vendeurs de rêves ? » (170)

Pour en finir avec les illustrations, relevons cette typographie spéciale, dégradée,

qui est récurrente dans le roman :

« Tel est le but

Le but c’est la science pour tous,

Les savoirs pour tous,

La lumière pour tous,

L’éducation pour tous… » (238)

Le secteur de l’information n’est pas exempt de référents. Les coupures de presse

de journaux « Mambo’soir » et « Mambo info » se rapprochent par homophonie de

Ivoir’soir et Soir info des journaux ivoiriens. Le premier, Ivoir'Soir, est quotidien ivoirien

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créé en 1987, appendice du quotidien gouvernemental Fraternité Matin, consacré aux

variétés, aux faits de société et au sport. Le second tabloïd, soir info, fut fondé en mai

1994 et accorde lui-aussi une large place aux sujets de société et aux faits divers à l’instar

de « Mambo’soir » et « Mambo info ».

D’autres aspects de manifestations culturelles ivoiriennes abondent également

dans l’œuvre : les masques yacouba « guégon » et Gouro « Zaouli » et les danses

traditionnelles l’Abodan, le mapouka, le zouglou, le boloye, le zagrobi et surtout le

mapouka serré corroborent l’idée que la société ivoirienne sert d’ancrage à cette fiction.

Pour finir avec la recherche d’indices, la Côte d’Ivoire transparait aussi avec l’évocation

des mets comme l’attiéké, le placali et la bière Bock, marque de la société Solibra et le

koutoukou, un breuvage alcoolisé de fabrication traditionnelle.

Il ressort, de la mise en exergue des référents textuels, que la Côte d’Ivoire est

l’espace de création de Les naufragés de l’intelligence. Les éléments divers remis au goût

du jour possèdent la caractéristique commune d’être crisogènes.

La puanteur physique et morale de la capitale de Mambo associée au symbole de

la rue princesse sont les symptômes d’une société ivoirienne en décrépitude morale. La

société ivoirienne des années 1990, représentée ici, était en crise sociale caractérisée par

des contradictions ou des incertitudes, ayant débouché sur des explosions de violence

plus ou moins contenue. Une crise multiforme qui explique les disfonctionnements de la

société dans son entièreté, même la religion est en crise, « Et s’il y a tant de religions, des

sectes-business financières et de religieux véreux, c’est que c’est un commerce qui rapporte

gros. Combien de pasteurs, d’hommes de Dieu adultérins, foutent la merde, la discorde dans

les foyers ? ces pasteurs, dont on se demande s’ils travaillent pour Dieu ou pour Satan, font

mainmise sur les cerveaux et les corps de nos femmes. L’esprit pour Dieu et, pour eux, main

basse sur le cul ! Encore une histoire comme les autres de gros sous et de gros culs ! » (55-56)

Crise culturelle avec la déviation connue du mapouka avant de redorer son blason

pour devenir aujourd’hui le « mapouka originel », un mapouka réhabilité. La danse du

mapouka trouve ses racines en Côte d'Ivoire chez les peuples lagunaires précisément du

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petit village Ahizi de Nigui Saff. Ce style musical s'apparente aux rythmes populaires des

animations des villages qui ont lieu au clair de lune après les travaux.

Dans les années 1990, l’espace musical ivoirien connait de nouvelles tendances : le

zouglou inventé par les étudiants, ‘’parents’’ du campus et l’irruption dans le showbiz du

mapouka. Cette danse exécutée par un trémoussement plus ou moins rapide du fessier

met en valeur le postérieur des femmes. Mais la danse traditionnelle est pervertie ; on se

souvient du scandale du « mapouka dedja », des tristement célèbres « tueuses du

mapouka », son intervention dans des clips pornographiques ayant défrayé la chronique.

Ce sont ces différentes versions qui ont suscité l’ire gouvernementale engendrant sa

censure en Côte d’Ivoire jusqu’en décembre 1999.

Crise de la jeunesse qui, en mal de sensations, s’adonne à la mort par jeux et

concurrents interposés. C’est certainement la manifestation publique du mal-être d’une

jeunesse frustrée, marginalisée, déboussolée, gagnée par une folie collective et suicidaire

car comment comprendre que malgré les chutes presque toujours mortelles, des têtes

fracassées, des membres broyés, il y ait toujours de nouveaux et nombreux candidats,

adeptes de ces jeux de la mort. L’exhibition qui caractérise ses voltigeurs peut être

aisément mise en parallèle avec l’ostentatoire scène de beuverie de jeunes attablés dans

les maquis de la rue princesse. Cette défiance de la mort n’est-elle pas le signe de rêves

brisés, de valeurs dégradées, d’un abyssal désespoir en l’avenir ? Ces pratiques mettent

ainsi à nu, de façon spectaculaire, l’échec de l’école sensée orienter et encadrer la

jeunesse. En désespoir de cause, elle prend les rênes de son destin, s’engage dans un

périlleux ‘’combat’’ de libération d’un avenir incertain quitte à y trouver la mort.

A travers ces éléments d’historicisation, Adiaffi peint la toile d’une Côte d’Ivoire en

crise multiforme et situe son récit dans la décennie 1990-2000. C’est en cela qu’elle en

constitue une fresque. Ces éléments sont évoqués de façon impromptue, comme jetés au

détour d’une idée, d’une situation quelconque. Ils confirment cependant que « les réalités

(que rapporte le roman) qu’elles soient paroles, gestes, objets, lieux, événements,

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personnages, sont des réalités crédibles, en ce sens qu’elles ont un référent dans la réalité

extra-linguistique ». (Claude Duchet, 1973, 450)

En somme, Adiaffi s’est fortement inspiré de la société ivoirienne et la société

ivoirienne y transparait. Divers éléments y apparaissent pour en faire une mosaïque

d’éléments dilués pêle-mêle dans la narration. Le tableau qu’il dresse avec en toile de

fond la violence renvoie à des crises nationales de l’époque post-multipartisme 1990-

2000. Cette violence du texte est liée aux années 1990 où les Ivoiriens ont assisté à des

processus de défoulement et de refoulement divers et le plus souvent spectaculaires. La

fin de l’étouffant système du parti unique n’est sans doute pas étrangère à cette

débauche d’énergie. L’avènement du pluralisme a certainement créé une rupture

d'équilibre, provoqué des manifestations personnelles ou collectives, des grèves, des

mouvements sociaux, des émeutes. L’inscription de la violence au cœur de l’œuvre

s’explique de cette façon et induit l'idéologie qui s’y inscrit et qui se reflète dans les prises

de position de l’auteur.

II –Idéologie sous-jacente de l’œuvre

Un auteur peut parler directement ou faire usage de subtilités langagières pour

faire émerger une idéologie. A ce sujet, P.S. Thizier nous fait observer que : « L’idéologie

est un système d’idées, de valeurs et d’attitudes, implicitement diffusées dans la société par

un groupe, ou une classe sociale, en vue de propager une certaine vision du monde, imposer

un mode de vie, et offrir une justification et un guide à l’action d’une manière qui est

conforme à l’intérêt de ce groupe. » (Thizier, 1982, 26-27) Ainsi l’idéologie constitue une

véritable énergie qui influence intensément la création artistique. Dans cette optique, la

violence dans Les naufragés de l’intelligence fonctionne comme un sociogramme.

1-Le sociogramme de la violence

La violence demeure la préoccupation anthropologique pour tout Etat qu’il soit en

temps de paix comme en temps de guerre. La violence, forme de sauvagerie

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inimaginable, gouverne le récit d’Adiaffi et le traverse de part en part. Dès l’entame de

l’œuvre, le lecteur est choqué par le double assassinat dont se rend coupable N’da Tê, qui

vient d’être intronisé. D’abord, il se livre à un matricide que les habitants de la N’guelé

Ahué Manou ne sont pas prêts d’oublier suivi du meurtre de sang-froid du curé, l’Abbé

Yako. Le double assassinat de ces personnages symboles, la génitrice et le spirituel,

rompt définitivement le cordon ombilical physique et spirituel de N’da Tê. Il venait d’ôter

en lui tout ce qui le rattachait à l’humaine espèce. Toute sensibilité envolée avec ce geste,

N’da Tê se déchaîne contre la société entière. Ses actes seront inqualifiables, rivalisant

tous d’horreur et d’abjection.

De façon crescendo, on assistera aux excès de violences meurtrières et

inhumaines qui révulsent le lecteur: les vols, la barbarie, le sang, les sentences

exécutoires inondent alors l’œuvre. Des crimes horribles qui témoignent d’une violence

inouïe et défrayant la chronique car ils alimentent toutes les discussions rendant leurs

auteurs cyniquement célèbres.

La violence endémique et quotidienne de Mambo fonctionne comme un

sociogramme c’est à dire « constitutif de la formation de l’imaginaire social » (Robin, 1992,

101) au sens où il sert à designer toutes les réalités sociales considérées non comme

phénoménales mais comme des faits de représentation ; légitimée par le personnage

principal, brandie comme arme de combat contre la société incapable d’assurer son

épanouissement. Avec N’da Tê, la violence se mue en stratégie de défense contre la

société. En effet, N’da Tê, face aux questions existentielles qu’il se pose et qui demeurent

sans réponses, aux difficultés et injustices de la vie et l’impuissance de l’homme à les

comprendre pour les solutionner, se révolte contre la société et choisit le camp du mal au

détriment de celui du bien dont fait partie son frère jumeau N’Da kpa.

Ses partisans refusent la victimologie pour devenir les maitres du jeu, exécutant

une sorte de vendetta sur la société. Le désespoir de la bande sert de terreau fertile à

cette violence. Peu importe de mourir si l'on vit sans dignité. Et peu importe aussi la loi si

elle encadre le désespoir. En fait, ces jeunes qui sombrent dans la violence interrogent la

légitimité de la légalité. Tous les personnages, sans exclusif, sont qualifiés et agissent en

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fonction de leur rapport physique, psychologique, moral, spirituel à la violence. Le fond

du problème que soulève l’œuvre est donc celui de la violence et de la non-violence. Ce

duo contrasté hiérarchise les personnages et leur participation à l’intrigue. Il se dégage

des groupes oppositionnels sur lesquels est construite l’intrigue. Les connexions à

l’intérieur de chaque groupe s’opèrent consubstantiellement.

Avec la complicité du Libanais Kalifa, corrompu et corrupteur invétéré, N’Da Tê

crée Sathanasse City où tout est à la gloire de Satan, du mal. Il est aussi le maître à penser

d’un gang dénommé «les justiciers de l’enfer». N’da Tê, Kalifa et le gang sèment la terreur

à Mambo : vols, hold-up, agressions sauvages de tous ordres, crimes crapuleux ; ils

déciment. Ces malfaiteurs de grand chemin restent cependant sereins, sans aucune

crainte parce qu’ils ont acheté la conscience des autorités politiques et administratives

qui ferment les yeux sur leurs agissements et en font disparaître les preuves.

Dans le camp opposé, Guégon, honnête et intègre commissaire, chargé de

l’enquête sur les justiciers de l’enfer refusent de se laisser corrompre. Il est alors

déchargé de l’affaire au grand bonheur de ce groupe de malfrats. Mais, Guégon continue

malgré tout à recueillir les informations. La bande à N’Da Tê pousse le bouchon un peu

trop loin et la réaction du gouvernement ne se fait pas attendre : les commissaires ripoux

sont révoqués ; Guégon est réhabilité et nommé ministre. Il forme dès lors une équipe à

son image et réussit à freiner l’ardeur des gangsters.

De son côté, une prophétesse, partisane du bien, envoyée de Dieu, récupère les

anciens bandits, délinquants, marginalisés qui deviennent très ingénieux et participent au

développement et à l’épanouissement de la communauté.

Du symbole de la gémellité se dégage l’envers et le revers d’une société, les deux

facettes de l’homme capable du pire comme du meilleur, susceptible de générer des

exploits antinomiques. La conversion ou reconversion des anciens drogués, prostitués en

citoyens modernes et exemplaires à Tanguelan ouvre une possible espérance.

La bande, désabusée, se révolte contre la tête de file, N’Da Tê, qu’elle traite de

dictateur. En effet, après un hold-up important, ils se voyaient tous milliardaires, mais

N’Da Tê a gardé par devers lui le butin. Cette trahison suscite la colère de ses amis qui,

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sous la menace de leurs armes, le dépossèdent de tous ses biens qu’ils se partagent

équitablement. Puis, ils le détrônent officiellement comme chef de leur gang et le

ligotent. Ses dissidents rejoindront plus tard la prophétesse.

Quant à N’DA Tê, désormais livré à lui-même et réduit à sa plus simple

expression, il tente de brûler Sathanasse-city, pour en faire endosser la responsabilité à

son professeur de philosophie. Mais il ne put lui-même échapper aux flammes

dévastatrices de son incendie. Quelle vision du monde sous-tend cette violence

scripturale ?

2-La vision du monde d’Adiaffi

Comme nous l’avons mentionné, la violence constitue le réseau thématique de Les

naufragés de l’intelligence. Ainsi, si l’œuvre focalise sa thématique sur la violence c’est

pour créer, sans doute, un électrochoc en vue de la conjurer et voir naitre une société

pacifiée comme celle qui se construit progressivement à la fin de l’œuvre. La défaite

infligée par les siens à N’da Tê, chef de file des justiciers de l’enfer, puis sa mort tragique

apparaissent comme une invitation à lutter contre toute forme de violence, à abandonner

toute forme de violence. Mais une idéologie révolutionnaire couve sous cette mise en

évidence de la violence.

Pour cet homme politique qui n’a jamais caché son aversion pour toute privation

de liberté, opposant irréductible sous Houphouët-Boigny, se présentant comme un

homme de la gauche révolutionnaire, il parait étonnant que la lutte révolutionnaire ne

s’opère pas ici dans le champ politique où on sait Adiaffi sans complaisance avec les

dictateurs. Il opte plutôt pour une approche socio-éducative. En présentant de façon

choquante les maux de la société, comme conséquence d’une mal gestion politique,

l’auteur intervient dans un champ autre que la politique pour fédérer toutes les forces

vives de la nation. Un désir d’unir tout le monde dans une sorte de communauté de lutte

qui transcenderait tous les particularismes idéologiques.

Cette œuvre posthume présente un discours, loin des projecteurs partisans de la

politique, et revendique par ricochet une objectivité dans ses préconisations face aux

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maux qui entravent le développement des pays africains. La révolution ici est marquée

au niveau littéraire par le concept de l’écriture ‘’n’zassa’’ et la prise de position sans

équivoque de l’auteur contre la corruption et le système moderne de formation instauré

par le colon, toutes choses qui ont engendré un peuple de mécontents sans repères.

L’écrivain qu’est Adiaffi, en penseur, face à la servitude imposée propose un début

de solution. Le décloisonnement générique et le multilinguisme dont se sert l’auteur

contredisent les dispositions officielles inclinant à qualifier de subversive l’écriture de

Jean Marie Adiaffi. Les dispositions scripturales, topographiques (texte gras, en italique,

avec divers polices, en diagonal, en deux colonnes…) langagières que l’auteur se permet

tout le long de son récit à l’égard de l’ordre discursif établi sont autant de libertés qu’il se

permet pour affirmer son anticonformisme à l’égard des canons préétablis par le colon.

En efffet, « la langue étrangère utilisée par l’écrivain et le critique est un legs colonial qui

charrie en son sein des stratifications littéraires appelées genres ; ces stratifications ne se

veulent pas circonscrites à l’aire linguistique et culturelle de la langue étrangère choisie-

imposée ; elles ont des prétentions universalisantes ; elles se veulent formes littéraires a

priori dans lesquelles devrait se couler nécessairement toute expérience humaine. Par

conséquent, quand l’écrivain africain se met à produire, consciemment ou non, il est déjà

sommé d’identifier sa pensée dans les formes idéologiques appelées roman, poésie, théâtre,

etc. Peu importe, semble-t-il, que sa culture ait connu ce genre de différenciations littéraires

ou non. » (Tidjani Serpos, 1987, 7) Etouffé par une langue d’emprunt, il cherche à la

transcender pour extérioriser son moi africain. Il exprime la profondeur de sa pensée

mais dans la foulée récuse les genres qui constituent d’autres barreaux à sa prison.

Au niveau social, la corruption est indexée, clouée au pilori. Carrefour d’importants

échanges commerciaux et culturels, la Côte d’Ivoire souffre depuis belle lurette de ce

phénomène qu’est la corruption, qu’il associe ici à la violence pour mieux en faire

percevoir les dégâts. En effet, présentée comme le catalyseur de la violence, Adiaffi

s’insurge contre la corruption endémique qui gangrène la société ivoirienne. Nul besoin

de rappeler que la corruption réduit à néant tous les efforts de développement en minant

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l’efficacité des services. Par conséquent, le processus de croissance économique et social

ne peut faire l’impasse sur sa lutte. Maints scandales lui sont imputables.

En Côte d’Ivoire, le spectre de la corruption hante toutes les bonnes résolutions et

les professions de foi. Tous les corps de métiers sont indexées même si les corps habillés

notamment la gendarmerie, la police, la douane sont plus exposés à la vue du public. Ils

ne représentent que la partie visible de l’iceberg. Ce phénomène dit de racket en Côte

d’Ivoire a été, de tout temps, à l’origine de la cherté de la ville. D’où la suppression des

nombreux barrages anarchiques érigés dans ce seul but de spolier la population et

l’apparition des panneaux publicitaires, spots radio et télévision supports des campagnes

de sensibilisation en Côte d’ivoire pour lutter contre le fléau de la corruption. Tout ceci

n’a en rien entamé les habitudes qui ont la peau dures.

Il parait, pour Adiaffi aussi, impensable de concevoir et voir se réaliser une action

de développement durable en Côte d’Ivoire, sans extirper la corruption de la société. Ses

conséquences telles que présentées par Adiaffi dans Les naufragés de l’intelligence

cadrent avec le constat sans appel de l’ONU : « La corruption est un mal insidieux dont les

effets sont aussi multiples que délétères. Elle sape la démocratie et l’état de droit, entraîne

des violations des droits de l’homme, fausse le jeu des marchés, nuit à la qualité de la vie et

crée un terrain propice à la criminalité organisée, au terrorisme et à d’autres phénomènes

qui menacent l’humanité. » (ONU :III)

Ainsi, comme le viol, le vol, le crime, la corruption constitue une infraction pénale mais

l’endiguer s’avère très difficile voire illusoire car elle implique tout le monde d’où l’intérêt

d’une révolution.

C’est dans cette perspective que le premier geste du commissaire Guégon,

réhabilité, puis élevé au rang de ministre, avec les pleins pouvoirs, put joindre l’acte à la

parole et honorer « son double nom d’incorruptible et de « Guégon », le masque yacouba

chasseur, traqueur de sorcier. » (…) Aguerri aux enquêtes délicates et dangereuses, il a

réussi à forger une élite, un redoutable fer de lance d’incorruptibles dont les résultats ne

se firent pas attendre. « Après sa réorganisation, son efficacité accrue se fit tout de suite

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ressentir par une baisse record de la criminalité, des braquages et des viols en particulier … »

(314)

En tant que homme de gauche, Adiaffi projette une Côte d’Ivoire extirpée de ses

démons, toute la bande « des justiciers de l’enfer » et voir « Redignifier l’homme.

Reconstruire l’homme. Libérer l’homme. Organiser des états généraux de la renaissance

africaine … Ici commence…la vie d’un peuple libéré de gangstérisme et de la corruption,

des corrompus et des corrupteurs.» (317 ; 325)

Mais pour éviter que cette révolution ne soit parcellaire et superficielle, il préconise la

formation qui bien qu’individuel comme acte est « le moyen par lequel la société renouvelle

perpétuellement les conditions de sa propre existence. » (Durkein, 1989, 101) Il opte dans ce

domaine pour le retour aux sources, aux valeurs traditionnelles ou tout au moins leur

prise en compte. Ce choix sauvera le jeune africain d’une « situation anomique, une

absence d’éducation formelle et systématisée, le système proprement africain étant en

désorganisation continue et les valeurs du système occidental n’étant pas encore

entièrement intériorisées. » (Touré, 1979, 32) Sa préconisation est en faveur du

« Programme d’Ajustement Religieux, spirituel et scientifique de Tanguelan. Une véritable

sommation morale et éthique est lancée avec une urgence menaçante, à notre pays et à tout

le continent. Un sursaut national panafricain éthique, un sursaut de conscience africaine, un

réveil moral, un réveil de la conscience est une nécessité. » (317). Une éducation centrée sur

les valeurs propres à l’Afrique permettra aux jeunes d’être actifs dans le processus de leur

formation et par ricochet celui de la société. Un canal de préparation qui projette dans

l’avenir avec une claire conscience de ses responsabilités, avec pour précepte fondateur

le travail « Ici, c’est le culte, la glorification du travail comme valeur fondatrice de toute

création transformatrice du monde. Le travail est le berceau fécond des autres valeurs. Aussi

chacun apporte-t-il symboliquement sa nourriture pour la partager avec les autres à la table

commune. » (212)

Le statut de disciple-éducateur de N’da kpa (le bon jumeau) entre dans cette

perspective. Conjugué avec le dialogue entre N’da Tê et son professeur de philosophie

accusé de lui avoir enseigné des mirages met en évidence de l’échec du système scolaire

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moderne, basé uniquement sur les réalités venues d’ailleurs. La volonté d’un retour à

l’Afrique pure, traditionnelle pour la formation de la jeunesse, soubassement spirituel,

moral comme rempart aux avatars de l’éducation et de la vie moderne se profile à

l’horizon, présupposant une condamnation du « choc colonial ». Diffuser des réflexions

théoriques et essayer de les concrétiser avec Tanguelan, lieu expérimentation des

pratiques, pour explorer nos imaginaires, apprendre à nous organiser collectivement

parce qu’ « après la mise au monde, il reste l’éducation. Vivre c’est persévérer dans son être.

Et pour une société donnée, c’est par l’éducation qu’elle se perpétue dans son être physique

et social. Il s’agit d’un accouchement collectif qui prolonge l’enfantement biologique

individuel. » (Ki-Zerbo, 1990, 15)

C’est sans doute le dessein de l’ouverture de l’œuvre sur une scène de violence

choquante d’un individu malfamé et sa clôture sur l’espoir d’une société pacifiée en train

de prendre forme, de se construire de concert, signe d’espoir pour des lendemains

meilleurs.

Conclusion

Au terme de cette contribution, retenons que l’utilisation des textes littéraires comme

source pour l’histoire des idées d’une société se vérifie avec cette œuvre de Jean-Marie

Adiaffi. Sans être bâtie sur une histoire chronologique et précise de la Côte d’Ivoire, elle

en présente des éléments pour en faire une mosaïque de la décennie 90. Elle en restitue

dans la fiction les faits, les gestes, les repères spatiaux, les mœurs, les agissements, les

déviations. La diversité des indices ressemble à de mini représentations de l’histoire de la

société ivoirienne jetées pêle-mêle tel sur une toile.

Il en présente une société en proie à un profond malaise existentiel qui participe d’une

crise systémique. Pour la solutionner, une révolution s’avère indispensable pour enrayer

la gangrène de la corruption d’une part et activer le retour aux sources africaines comme

soubassement au modernisme d’une autre part.

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La phrase suivante résume à la fois la vie du citoyen et de l’auteur : une écriture

puissante au service d`un engagement sans borne pour la liberté et la libération des

peuples opprimés. Le portrait que dresse André Djiffack de Mongo Beti (que l'on appela

parfois "le pape des opposants") vaut également pour Adiaffi : "Chez cet écrivain

contestataire par excellence, la charge subversive des écrits et le tranchant des prises de

position s'allient généreusement au charme de son lyrisme. Il y a en lui comme un mélange

de Socrate par l'élévation de l'esprit, de Voltaire par l'effronterie à l'égard des pouvoirs

institués, de Sartre par le militantisme impertinent, et de Césaire par la lutte anticoloniale en

vue de l'émancipation du monde noir".

Bibliographie

ADIAFFI Jean Marie, Les naufragés de l’intelligence, Abidjan, CEDA, 2000, 325p.

BELLEAU André, Le Romancier fictif : essai sur la représentation de l'écrivain dans le

roman québécois (Québec, Nota Bene, coll. « Visées critiques », 1999

[1980]), 155p.

BERGEZ, D et alii, Introduction aux méthodes critiques pour l’analyse littéraire, Paris,

Bordas, 1990

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