mouffettes pour tous-a5book-complet-v1 › 2015 › 02 › ... · 2015-02-24 · —vous allez lui...
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méfierait quand même. Cependant… il y a un maillon faible dans son
dispositif…
— Quoi ?
—Non, qui ! Sa copine. On va les offrir à Valérie Tiergarten. »
Les yeux de la jeune fille brillaient.
« Vous rêvez ! Elle va se méfier aussi.
— Non, continua Marie. On a tout prévu !
—Vous allez lui dire : “Bonjour Valoche, voilà des mouffettes,
c’est pour le parfum ! Chanel numéro six ! Séraphin va être séduit à
jamais, et Ségolène Cardinal battue à plate couture…”
— Non Papa, on va lui dire que ce sont des chats spéciaux du
Québec. Des « chats-huards ». Très mignons. Et on va lui faire fondre son
petit cœur.
— Des chats-huards ? Vous voulez parler de chat-huant. Des
espèces de chouettes. Et les huards sont une variété locale de canards.
Mais les chats-huards, cela n’existe pas.
— Elle n’y connaît rien, Papa, insista la jeune fille. Pour elle, ça va
exister. Fais-nous confiance… En 2008, elle a fait un reportage avec son
magazine sur le quatrième centenaire de la ville de Québec. Elle a collé
une photo de Montréal pour illustrer l’article. Quand on connaît la rivalité
entre les deux villes ! C’est un peu comme si, pour illustrer un millénaire
de Lyon, on prenait une photo du Sacré-Cœur de Montmartre ou de
Notre-Dame de la Garde. Les Québécois ont bien rigolé, on m’a raconté.
Surtout quand ils ont su qu’elle allait devenir la Première Dame. On va
l’embobiner Papa. J’en suis sûre. Elle est le maillon faible de Porcinet. On
Henri Fortilly
ONLR Editions
Nouvelle France
Les Mouffettes Pour Tous
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Froidement, elle racontait son boniment ! La Manif pour Tous l’avait
vraiment transformée. Comme leur mère. Mais en bien !
Henri descendit du chalet avec deux lourdes valises et se dirigea
vers le SUV de location. Il resta bouche bée. Devant la porte du coffre, là,
dans une cage, six mouffettes étaient emprisonnées et attendaient,
résignées. Il y avait apparemment les deux parents et quatre jeunes.
Comme dans sa famille ! Il leva le nez. Assis sur la butte qui jouxtait le
chalet, bien alignés, ses quatre enfants le regardaient, quelque peu
interrogateurs.
« Qu’est-ce que c’est que ça, demanda-t-il ?
— Tu ne vois pas, Papa ? Ce sont des mouffettes, répondit Pierre
d’un air dégagé.
— J’ai vu, mais que font-elles là ?
— Elles sont à nous, annonça calmement sa fille aînée, Marie.
— A vous ? Et pourquoi faire ?
— Pour les apporter à Montréal, et les offrir à des coyotes,
continua Marie.
— A des coyotes ? Mais pas question de les livrer en pâture à des
prédateurs qui…
— A Porcinet, Papa. Et à ses sinistres ministres, précisa Victoire.
— Mais pas question de transporter ça…
— Il faut les offrir, reprit Marie. On a tout prévu. On ne peut sans
doute pas les proposer directement au Président, il est nul, mais il se
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aux abris ! Une véritable arme de guerre ! J’ai réussi à les piéger, et je vais
les reconduire dans la forêt tantôt.
— S’il vous plait, demanda alors Marie, arborant son sourire le
plus éclatant, vous pourriez nous rendre un petit service ?
— C’est correct. Je verrai si je peux.
— Et bien voilà, expliqua la jeune fille. Nous avons des amis à
Montréal, et nous aimerions leur faire une blague. Nous aimerions leur
offrir des mouffettes…
— Ce ne sont pas de bons amis alors. Vous vous êtes chicanés ?
— Ce sont de bons amis, mais nous faisons souvent des concours
de bonnes blagues. Vous les vendriez combien ?
— Je ne vais pas bargainer mes mouffettes ! Non, oubliez !
— Monsieur, ces amis sont des Français comme nous. Des
étudiants. Mais on trouve qu’ils se moquent un peu de l’accent des
Québécois. Et on aimerait bien leur faire cette blague.
— Notre accent ? Mais nous autres, nous n’en avons pas. C’est
vous les « maudits Français » qui avez un accent. Ils se moquent de nous,
vos amis ?
— Oui !
— Ils sont un peu croches. Et bien c’est correct, je vous les donne
mes sales bêtes, ils vont changer d’accent après avoir fait connaissance !
Non mais. Je vous apporte la cage. Où ça ? »
Marie expliqua, tandis que Pierre restait songeur. Sa sœur qui
avait toujours été incapable de mentir, et qui détestait le mensonge !
I
II
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— Non, mais on peut demander à Maman. Je suis sûre qu’elle
marcherait. Mais pas un mot à Papa. Trop légaliste.
— Et tu veux les donner à Porcinet, ces mouffettes ? Pauvres
bêtes…
— Oui, oui, elles peuvent être des “alliés objectifs”. Il faut les lui
donner, à ce brave homme…
— Comment faire ?
— J’ai ma petite idée, répondit Marie. Mais d’abord obtenir la
garde à vue de ces charmantes petites bêtes. »
Sur ces entrefaites, un homme sortit de la maison. Il sourit.
« Bon matin les jeunes.
— Bonjour Monsieur.
— Alors, elles vous plaisent mes bêtes puantes ?
— Elles sont mignonnes, Monsieur.
— Vous venez de France, vous… Vous n’avez jamais vu de
mouffette ?
— Rarement, mais… ne risquent-t-elles pas de vous arroser ?
— Non, la cage est basse. Elles ne peuvent pas lever la queue.
C’est mieux ainsi.
— Vous allez les vendre, Monsieur ? »
L’homme éclata de rire !
« Non, elles s’étaient installées dans le jardin, et elles ont chicané
mon chien. Le pauvre. Il pue comme pas possible, le jardin est présentement
infréquentable, et tout le voisinage a dû s’enfermer. Alerte générale ! Tous
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Les bêtes puantes
Deux jours plus tard, la famille d’Henri et Eglantine Vercors avait
rejoint son chalet, rendu les canoës au loueur, et s’apprêtait à retourner à
Montréal par la route. Puis ce serait la France, et la rentrée. Dommage !
Les trois grands, Pierre, Marie et Victoire se promenaient alors
dans le village. Un pick-up Toyota était garé devant eux sur une entrée de
garage. Soudain, Victoire s’écria : « Et vise ! Regardez ce qu’il y a dans la
cage, là, sur cette camionnette ! »
Tous les regards se braquèrent sur le plateau à l’arrière du
véhicule. Et que virent-ils ? Dans une cage plate, six petites bêtes noires,
recouvertes de deux larges rayures blanches de la tête à la queue, étaient
enfermées. Elles avaient l’air si triste…
« On pourrait leur trouver une distraction en or, suggéra alors
Marie. Vous pensez à ce que je pense ?
— Mouais, répondit Pierre. De plus, ça tomberait bien, l’avion de
Séraphin Porcinet, son Air Pork One, arrive de Toronto et se pose à
Montréal aujourd’hui avant de le ramener en France. Le Premier Ministre
Jean-Marc Héron, resté de quart à Matignon, doit commencer à
s’emmerder.
— Pauvre France, ajouta sa sœur cadette. Si on les achetait, ces
mouffettes ?
— Elles sont à vendre ?
— Sais pas. Faut essayer.
— T’as des dollars ?
III
Canoë-camping
Orignaux
IV
Raton-laveur
Je veux être Président à la place du président !
Mouffettes – Sconses - Skunks
Moi ? Président ?
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« Raison de plus pour les mouffettiser grommela son épouse en
serrant les dents. Salauds ! C’est peut-être une bonne idée, après tout, de
leur offrir des mouffettes, à Porcinet et son gang. Si elles pouvaient leur
pisser dessus !
— Mouffettes pour tous ! Et vous faites comment, demanda Pierre,
un peu sceptique ?
— Non, mais cessons de rêver, soupira Henri. Comment voulez-
vous capturer ces bêtes et les offrir au président. Ils se méfient tous de
tout. Seuls les militants porciniens peuvent le rencontrer. Quand il visite
une ville, on lui montre un vrai « village Potemkine » monté de toute pièce,
tandis que les flics encerclent et détiennent les manifestants supposés à
bonne distance. Et les caméras des télés sont très soumises. Elles ne
filment pas ce que le régime ne veut pas.
— Dites, on commence à se faire bouffer par les maringouins, fit
remarquer Victoire, tout en s’envoyant une claque sur le front, puis une
autre sur la cuisse gauche. La nuit arrive ! On bouffera du Porcinet
demain au p’tit déj!»
Toute la famille partit donc se réfugier sous les tentes. C’était vrai
que les escadrilles suceuses de sang étaient de sortie. On ferait la vaisselle
le lendemain, à la fraîche. Adieu Mouffettes et Porcinet…
Marie et Victoire, logeant sous la même tente, continuèrent
cependant à élaborer des plans de bataille pendant une partie de la nuit.
Pendant l’autre partie, elles en rêvèrent. Il fallait le faire !
On ne lâche rien ! Jamais ! Jamais ! Jamais !
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— Pauvre petite mouffette, gémit la petite Alix. Monsieur
Porcinet lui ferait du mal… Il va vouloir marier deux mouffettes sans
vérifier si elles sont capables de faire des bébés mouffettes.
— J’imagine bien une mouffette en robe de mariée et avec un
voile de dentelle, commenta Victoire.
— Surtout le mâle, précisa Pierre…
— A la guerre comme à la guerre coupa Marie. De toute façon,
ces coyotes traitent mieux les animaux que les humains. Moi, je ne vous
raconte pas comment les flics du commissariat m’ont fouillée. Pelotage et
compagnie !
— Marie ! »
Henri détestait cet épisode d’une des arrestations de sa fille, et
préférait l’oublier. Mais, elle, elle n’oubliait pas… Elle n’oubliait pas non
plus les vingt-cinq filles comme elles, enfermées pendant des heures dans
dix-huit mètres carrés, au milieu d’odeurs de vomi et d’urine. Mais elle
n’en avait été que plus convaincue de la justice de son combat. Pas de répit
pour eux, pas de repos pour nous, répétait-elle à l’instar de sa mère. Il fallait
pourtant reconnaître que tous les policiers n’avaient pas eu cette attitude,
et que certains étaient même très corrects et dignes d’une profession
indispensable et souvent si difficile lorsqu’il s’agit de protéger les citoyens
contre les malfrats. Mais il y avait quand même beaucoup d’entre eux qui
n’en étaient pas dignes, et se laissaient aller, lorsque les ordres d’en-haut
allaient dans ce sens afin de transformer la police en police politique…
Quand les gouvernants appellent à la bavure, sans entrave les flics
bavent…
Nouvelle France
Les Mouffettes Pour Tous
Henri Fortilly
© 2013
Trois Français sur quatre ne peuvent plus
« sentir » leur Président de la République. Avec
la fable politique satirique qui suit, nous lui
suggérons respectueusement une solution
écologique et durable…
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comprendre comment ce pays pouvait garder une croissance certaine,
équilibrer son budget, et maintenir une fonction publique, un système de
santé et un système éducatif de qualité sans matraquer les Canadiens
d’impôts. Une chose tout à fait incompréhensible pour nos dirigeants
porciniens. Au passage, quelques écolos allaient réclamer un nième
moratoire sur les phoques du Nunavut, l’amiante du Québec, les gaz de
schistes de l’Alberta, les O.G.M du Saskatchewan, les caribous du Yukon,
les épaulards du Pacifique, les harfangs des neiges du Labrador, les ours
blancs de la Baie d’Hudson, les morues de Terre-Neuve... Tout ce qui
rendait les relations franco-canadiennes si chaleureuses. Et le sinistre
ministre de la police, Manuel Iznogaz, dit Manu la Bavure, allait aussi,
discrètement, très discrètement, demander comment ils faisaient pour ne
pas avoir de « bousculades » et « d’incivilités » avec leurs « jeunes », et
pourquoi les quartiers nord de Montréal différaient tant des quartiers
nord de Marseille en matière de joie de vivre. Mais très discrètement, et
lorsque le Garde des Sots, Christiane Tobago tournerait le dos.
« Bon courage Porcinet, conclut Henri ! »
Après quelques courts instants de silence, Pierre décida de
poursuivre sur ce sujet et de faire le lien avec leur récente petite visite:
« Ce serait drôle si Porcinet, sa Valoche et ses sinistres ministres
tombaient sur des mouffettes pendant leur séjour à Montréal…
— Oui, appuya Marie, on se fait passer pour des admirateurs, et
on va au Consulat pour leur offrir une mouffette. Sans nos sweats, bien
sûr.
— Cela va être dur de se faire passer pour des admirateurs, fit
remarquer Victoire…
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« Hé, dit-il, ça capte. On va pouvoir envoyer notre photo au Salon
Beige ! Montrez bien vos sweats ! Victoire, aide-moi avec la banderole. Alix
va chercher les drapeaux.»
Nouveau branle-bas. Il était urgent de se préparer pour la photo.
Depuis le début de ses vacances au Québec, la famille Vercors se faisait un
point d’honneur d’envoyer régulièrement une photo hautement
subversive sur le blog d’information des Résistants de France.
Car après une année bien chargée en aventures, les Vercors
continuaient à militer photographiquement pendant leurs vacances.
Histoire de garder la forme pour pouvoir offrir une belle rentrée à
Porcinet. Henri et son fils portaient le sweat bleu marine de la fameuse
Manif pour tous, tandis qu’Eglantine et ses filles arboraient sa non moins
fameuse version rose. La banderole « On ne lâche rien, jamais », fut
déroulée. Chacun prit un drapeau rose, blanc ou bleu, représentant,
comme les sweats, la scène tout à fait obscène d’un papa, d’une maman et
de deux enfants. Une famille, quoi ! L’horreur pour le porcinien de base !
Calé sur une branche basse, mis sur retardateur, le téléphone de Pierre
accomplit son œuvre révolutionnaire, devant une famille resserrée,
souriante et faisant le V de la victoire. Tout le monde se pressa ensuite
autour de l’appareil pour contempler l’œuvre. Canoës, tentes, les six
membres de la famille, les drapeaux, et la banderole. Tout y était ! Parfait !
Deux secondes plus tard, le fichier partait en direction de la France. Même
au Canada, on ne lâche rien, jamais, jamais, jamais ! Que Porcinet se le
dise ! Cela fit disparaître ce qui restait de mauvaise humeur…
Pendant le repas autour du feu, la conversation dévia alors sur ce
qu’ils avaient appris à la radio. Séraphin Porcinet se rendait en visite
officielle au Canada avec toute une délégation de ministres. But :
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Avant-propos
Ils voulaient nous faire pleurer ? Alors ils vont nous faire rire !
Notre France ressemble à un navire fou conduit par un équipage
incompétent. Toute l’énergie de ceux qui affirment nous gouverner
semble être déployée pour faire croire qu’ils gouvernent, tout en divisant
le peuple français comme il ne l’a plus été depuis longtemps. En fait, ils
nous laissent dériver droit vers le naufrage. Les aider, par altruisme ou
par naïveté, ne sert donc qu’à rendre la catastrophe plus certaine et plus
profonde. Pas d’Union Sacrée !
Revenons sur la question de leur compétence. Au-delà de
l’incompétence des personnes actuellement au pouvoir, largement
reconnue, en France comme à l’étranger, il y a celle liée aux fonctions.
Depuis des décennies, nos dirigeants ont renoncé à exercer un véritable
pouvoir d’Etat en vue de promouvoir le Bien Commun. Ils ont préféré
livrer leurs citoyens aux aléas des idéologies mondialistes et libertaires
sans chercher à les réguler, laissant imaginer qu’un ordre meilleur pouvait
surgir du chaos, au point d’y croire eux-mêmes. Le pouvoir est désormais
ailleurs, en matière économique, financière, monétaire, diplomatique,
militaire… Hors de portée de la démocratie, comme de nos entrepreneurs,
de nos dirigeants et de nos lois. Hors de France.
Ces dirigeants, n’ont plus pour fonction que de permettre à
l’oligarchie mondiale, qu’ils représentent, de continuer à nourrir sa
cupidité. Ils ne gouvernent plus. Ils se contentent de :
- Nourrir leur administration et leur clientèle par les taxes, la
dette, et l’ingestion inexorable de la rente des Français.
- A l’abri de la cloche de plomb des médias de l’oligarchie,
anesthésier et diviser le peuple par le pouvoir des mots de la propagande
et de la désinformation.
- Enfin, astuce suprême utilisée par l’équipe actuelle : faire croire
en leur pouvoir par des transgressions sans fin des « lois non écrites » qui
sont placées au-dessus d’eux (relisez l’Antigone de Sophocle). Ils ne
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peuvent changer ce qui aurait dû relever de leur compétence régalienne,
ils changent ce qui les dépasse. Ils prétendent changer la nature et la
dignité humaine, la définition du Bien et du Mal, changer la Civilisation,
ou régir le droit sur la vie et sur la mort. Trop fort !
Mais le peuple en colère n’est pas dupe. Il se soulève. A l’avant-
garde, des jeunes gens, issus de familles habituellement soucieuses
d’ordre et de légitimité, prennent désormais tous les risques et affrontent
la répression. Gratuitement. Au contraire de leurs aïeux de 1968, ils
renouent le lien rompu entre les générations, et se remettent à la vraie
politique, celle qui construit. Ils sont la Nouvelle France, notre fierté !
Et ils sont heureusement rejoints par les victimes de plus en plus
nombreuses d’une crise économique dont on cache les origines.
Au-delà de la répression, la réaction du régime, c’est la
diabolisation, l’insulte qui fait taire et interdit tout dialogue ou réflexion.
En riposte légitime, expérimentons la bouffonnisation.
Diaboliser, c’est « Ferme ta gueule ! » L’arme du fort au faible.
Bouffonniser, c’est « Cause toujours ! » L’arme du faible au fort.
Mise en pratique dans les pages qui suivent. Faute de « rois », il
nous reste les bouffons. Il s’agit de mettre en scène des personnages
rappelant nos dirigeants inutiles, dans le cadre d’une farce burlesque,
d’une histoire de pure fiction, mêlant le réalisme et le fantastique. Nous en
avons le droit, car la caricature politique est une tradition de la
démocratie, et la ligne de partage d’avec la dictature. Il paraît qu’on peut
rire de tout et qu’il est « interdit d’interdire ». Nous rions donc de nos
dirigeants, de leurs idées destructrices, et nous leur opposons le courage
et la générosité de cette Nouvelle France qui se lève. Car il est un devoir
civique de décrédibiliser cet équipage qui nous fait rougir de honte.
Et tout ceci, en instillant des messages sérieux permettant de bien
comprendre la perversité de leur idéologie et de prendre du recul. Et de
construire un argumentaire. Jusqu’à une annexe présentant la pensée
vivifiante du philosophe Henri Hude. Dans le cadre d’une lecture que
j’espère plaisante à tous, sauf à certains… Est-il possible de réfléchir et
d’imaginer une Nouvelle France ? Pour tous !
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Eglantine s’était même fait interpeller en tant que Sentinelle (autre
nom des Veilleurs Debout), et les policiers l’avaient obligée à retirer son
sweat rose criard, phobie des CRS, et si connu des salles de garde à vue du
régime du Président Porcinet. A deux reprises. La deuxième fois, cela
avait été épique. Elle avait décidé de ne rien porter sous son sweat, et avait
écrit au feutre noir sur son buste et son ventre les numéros d’articles de
lois (C. Pénal 432-4…) punissant les arrestations arbitraires, ainsi que les
numéros de téléphone de deux avocats. Les policiers avaient été sidérés
lorsqu’ils s’étaient retrouvés en face de cette bonne catho se mettant torse
nu en leur souriant, et leur annonçant même qu’elle espérait être admise
chez les Femecs, cette secte d’activistes violentes, connues pour accomplir
leurs actions torse nu, couvertes de graffiti insultants, et si estimées par
l’oligarchie porcinienne. Du coup, ils lui avaient ordonné de remettre son
vêtement de toute urgence, puisqu’elle n’avait que ça, et l’avaient laissée
en paix. Personne n’a jamais su si c’était grâce aux articles de loi, aux
avocats, ou par pudeur. Bref, Eglantine était vraiment remontée, et Henri
préférait que ce soit Porcinet qui reçoive des coups de mouffette plutôt
que lui des coups de pagaie ! Parce que le canoë, c’était vraiment une
épreuve pour un couple…
« Hé ! Regardez, notre mouffette a disparu, clama soudain Alix,
tirant son père de ses rêveries de promeneur solitaire. »
Tout le monde se remit donc à sa tâche avec ardeur. Fin d’alerte.
Permission de bouger.
Tandis que le repas continuait à chauffer, Pierre jeta un coup
d’œil sur son cellulaire.
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sécurité publique, et en faire une police politique. Ce qui fut fait grâce à
l’action vigoureuse du ministre de toutes les Polices, le vil, infâme et
ignoble Manuel Iznogaz, le ministre qui ne rêvait que d’une chose :
devenir président à la place du président.
Alors le peuple était entré en Résistance.
Alors oui, depuis un an et le début de l’insurrection, Henri ne
reconnaissait plus sa femme. Ni ses enfants d’ailleurs. Eglantine était
toujours la première à décider de la participation aux manifs ou aux
pacifiques mais transgressives soirées des Veilleurs. Transgressives, parce
qu’on y pensait au lieu d’écouter la propagande du régime porcinien.
Depuis les gazages du printemps, elle était enragée ! On l’avait gazée, elle
et ses quatre enfants, et ses deux aînés étaient partis tous deux en garde-à-
vue. Marie en était à ce jour à sa sixième arrestation, Pierre qui courait
plus vite, à sa quatrième. Marie avait dernièrement échappé à une
septième en larguant tout le contenu d’un énorme sac de billes sur le
trottoir, juste sous les pas des deux sbires en civil munis de matraques
télescopiques, qui la coursaient de près. Les jurons qu’elle avait entendu
en semant ses poursuivants avant de s’engouffrer et de disparaître dans
une bouche de métro, ne sont évidemment pas répétables, et n’auraient
jamais dû être entendus par une jeune fille bien-élevée… Mais ni Pierre, ni
Marie n’avaient l’intention de céder. Des multirécidivistes ! Il faut dire que
les fonctionnaires de police n’avaient jamais pu les faire inculper de quoi
que ce soit. Leurs arrestations, toutes politiques, comme plus d’un millier
d’autres, étaient tout à fait illégales. Eglantine clamait qu’ils étaient
l’honneur de la famille. « On se bat pour les autres, rien pour nous ! Pas de
répit pour eux, pas de repos pour nous ! Porcinet, on ne lâchera jamais, jamais,
jamais, disait-elle fréquemment. ».
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Un peu de vocabulaire
� La mouffette, également appelée sconse, (skunks en anglais), est un
animal carnivore de taille petite à moyenne, noir, avec une double
rayure blanche sur le dos. Cette espèce fait partie des méphitidés (une
famille d'animaux proches des mustélidés) et est surtout distinguée par
son habitude à sécréter des liquides toxiques, très nocifs pour l'odorat.
Elle est généralement répandue sur tout le continent américain (à
l'exception du nord-ouest canadien). Elle doit être distinguée du putois,
mustélidé. - source Wikipedia-
� L’orignal est le plus grand et le plus lourd des cervidés. Il est appelé
« orignal » en Amérique du Nord, « élan» en Europe, « moose » en
américain –source Wikipedia-
� Séraphin Porcinet serait, paraît-il, un président de la République
française. A chacun de vérifier s’il existe vraiment, mais s’il n’existait
pas, il ne faudrait surtout pas l’inventer.- source Nervipedia-
� GAV signifie « garde à vue » - GAV-bus : panier à salade. –source
Manupedia-
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Avertissement
Ce récit est une histoire de fiction. Néanmoins, toute ressemblance avec
des personnes existant, ayant existé ou devant exister n’est ni fortuite, ni
involontaire. Elles n’en sont par contre que des caricatures. De la même manière,
l’auteur de ces lignes certifie qu’aucun animal n’a été importuné ni maltraité
pendant l’écriture de ce récit. Il n’en a pas été de même des humains…
Cette histoire est dédiée :
� A tous les Français résistant contre la société libérale-libertaire, contre
ses idéologies, et contre le régime policier qui la maintient en survie. Ils
sont la Nouvelle France !
� A tous ceux qui adorent les histoires de Porcinet ou les histoires de
mouffettes.
� A tous mes amis canadiens.
Crédits photos : planche III, 7 et 115 - l’auteur
Autres images : Google images - montages de l’auteur
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comme portant quelque chose de « sacré », même pour les personnes
éloignées de toute transcendance.
De plus, en vidant le mariage de son contenu, la procréation et la
filiation, cette politique avait pour première conséquence de priver
définitivement un certain nombre d’enfants du droit d’avoir un père et
une mère, et de trouver tout à fait normal que l’on puisse « fabriquer » et
même commercialiser des orphelins. La plus fondamentale des inégalités,
la plus grave des injustices infligées aux plus faibles ! Après celle de les
liquider, bien sûr, ce qui faisait également partie de cette politique.
Et enfin, le régime porcinien affirmait très nettement son choix de
rééduquer les enfants malgré et même contre la volonté de leurs parents.
On appelait cela « lutter contre les déterminismes familiaux» dans la langue
de bois si répandue à cette époque. En clair, confier l’éducation des
enfants à l’Etat, et non point aux familles, afin d’obtenir enfin cet « homme
nouveau », sans passé, ni identité, sans instruction, consommateur docile
et électeur soumis, tant rêvé par tous les dictateurs et toutes les utopies.
Alors, pour la première fois depuis des décennies, le peuple
français, anesthésié, décervelé, dépouillé de son identité et bercé de
promesses jamais tenues, s’était enfin insurgé. Le mouvement avait pris
d’abord l’ampleur de manifestations monstres. Ce soulèvement, le
président de la république, Séraphin Porcinet, ne l’avait ni vu venir, ni
surtout compris. Tellement peu compris, qu’il l’avait nié dans son
existence même. Cela ne pouvait pas arriver ! Et cela ne pouvait venir que
de personnes perverses, ennemies du progrès, de la démocratie, du « sens
de l’Histoire » et du genre humain. Il fallait donc nier, mentir, mépriser,
réprimer. Et passer en force. En dépit de toutes les règles de la démocratie,
et au-delà de toute légalité. Il fallait détourner la police de sa mission de
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— Sur le trottoir ? Ces pauvres CRS ne pourront alors même pas
aller se consoler chez les putes, ajouta Pierre. Ils recevraient des baffes pour
puanteur aggravée !
— Pierre ! Ton vocabulaire ! Pense à tes sœurs !
— C’est quoi un pute, demanda Alix ?
— Une fille qui n’aime pas les CRS, lui répondit Pierre.
— Alors je suis une pute affirma la petite fille.
— Alix ! Mais je rêve ! Tu vois, Pierre !
— Et c’est un outrage à agent, précisa doctement le papa.
— Oh ! Cela, on s’en fiche lâcha Eglantine, soudainement moins
soucieuse de son vocabulaire. Ils ont gazé mes enfants, ils méritent le
traitement mouffette ! Et Porcinet aussi, et son infâme ministre Manuel
Iznogaz, lui-aussi ! L’urine de mouffette, c’est tout ce qui leur faut ! »
Henri Vercors regarda son épouse avec étonnement. Il ne la
reconnaissait plus.
Car pendant l’année écoulée, ils s’étaient tous engagés dans la
quasi-insurrection des Français contre l’absurdité et l’injustice de la
politique du Président de la République Séraphin Porcinet et sa volonté
totalitaire de « changer de civilisation » en dénaturant l’institution familiale.
Cette politique constituait un nouveau spasme dans l’extension
du cancer qui rongeait la civilisation occidentale depuis des décennies : le
libertarisme-libéral hyper-individualiste et nihiliste, idéologie de la
jouissance sans entrave du pouvoir, de l’argent et du sexe au profit d’une
petite oligarchie. Mais là, ses métastases s’attaquaient au mariage, une
institution touchant de près à la nature humaine, venue du fond des âges,
et préexistant à toute société et à toute religion. Et de ce fait, considérée
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Chapitre I - Les factieux
Le bivouac
« Encore quelques coups de pagaie ! Courage ! Et essaie de
pagayer droit, s’il te plait Eglantine, pour l’amour de Dieu ! N’oublie pas
qu’à l’arrière, tu diriges, et à l’avant, je propulse. Et je n’ai pas envie de me
faire humilier devant les enfants.
— Je t’en prie Henri, c’est toi qui tire comme un bœuf sur ta
pagaie et qui déséquilibre tout. Moi, je fais tout en finesse : des sweep, des
pry, et des J-strokes. Comme dans le cours. Et comme dans ton satané
bouquin en anglais. Et puis, j’en ai assez de t’entendre hurler toute la
journée sur l’eau. Nous ne sommes pas venus au Canada pour ça ! La
prochaine fois, on fera du pédalo dans le bassin d’Arcachon devant la
maison de Maman !»
Les derniers mètres avant l’accostage furent difficiles pour le
canoë où étaient embarqués les parents avec leur petite dernière de 8 ans,
Alix. Sur la grève boueuse, Pierre, 20 ans, Marie 18 ans et Victoire 14 ans
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les attendaient, l’air goguenard. Cela faisait bien dix minutes qu’ils
avaient tiré leur canoë de kevlar sur la petite île plantée au milieu du lac,
et qu’ils observaient avec intérêt papa et maman batailler en zigzag pour
traverser le rideau de roseaux. Un peu désabusé, Pierre s’avança dans
l’eau afin d’intercepter l’étrave du canoë de ses parents, et leur éviter la
dernière des humiliations : l’accostage à cent à l’heure en entamant le
rivage. Pas bon pour le kevlar ! Ni pour le moral.
Malgré l’épuisement dû à toute une journée de canoë-camping
sur ce lac perdu au milieu des immensités canadiennes, toute la famille se
mit en branle pour décharger les esquifs, planter les tentes et préparer le
feu. Ce qui fut fait avec efficacité, expérience du scoutisme oblige.
Soudain, il y eut un léger bruit de feuilles froissées en provenance
d’un buisson proche du petit groupe bien affairé. Tout le monde se
retourna.
« Un ours noir, glapit la petite Alix…
— Non ! gémit Eglantine, saisissant une pagaie, et prête à
s’interposer devant ses enfants.
— Chic, clama Marie, sortant son reflex numérique.
— Un gros orignal, tant que vous y êtes, soupira Pierre.
— Peut-être un petit tamia1, suggéra Henri. »
Un museau fin et timide, une petite tête noire traversée d’une
rayure blanche apparut.
« Un carcajou2, tenta la maman, horrifiée ?…
— Mais non, répondit son mari, une loutre, ou un castor.
1 Petit écureuil terrestre sans queue – en anglais « chipmunk ». 2 Glouton – gros mustélidé réputé pour sa férocité.
9
— Un putois alors, proposa Marie, regardez, il est maintenant
sorti de sa cachette, c’est noir avec une double rayure blanche et une belle
queue… Comme Pépé le Putois.
— Pourquoi pas un pingouin, ricana l’aîné ? Noir et blanc, ça
correspond.
— Vous n’y êtes pas, annonça triomphalement Victoire, qui
n’avait encore rien suggéré. Il s’agit d’une mouffette. Vous savez, Fleur,
l’amie de Bambi. C’est très gentil, ça mange des petits rongeurs, des
insectes, des fruits. Mais ça vous envoie un genre d’urine dans la figure si
vous la dérangez, et alors là, ça pue comme pas possible. Il faut du jus de
tomate pour se laver. C’est le seul produit qui marche ! Il y a des
mouffettes partout, y compris dans les jardins des villes du Canada.
— Je n’ai pas de jus de tomate, annonça la maman, ne dérangez
pas cet animal ignoble! Et ne bougez plus, il ne faut pas le provoquer !
— Elle n’a pas l’air de vouloir nous asperger, continua la jeune
fille. Tant qu’elle ne soulève pas sa queue, nous ne risquons rien.
— Ouais, en fait c’est ce qu’on appelle aussi un skunks, ou un
sconse, précisa Pierre. On en voit dans les westerns, ou dans les Lucky
Luke, et c’est toujours une mauvaise rencontre.
— Les méchants se font arroser rigola Marie. Ce serait super d’en
ramener toute une tribu en France. L’arme secrète contre les robocops de
Manu le Chimique pendant les manifs. On dépose une caisse de
mouffettes devant leur rangée de boucliers. Ils nous gazent, on les gaze.
Logique ! Et en garde-à-vue, au commissariat de la rue de l’Evangile, pas
un mot sur le jus de tomate, même sous la torture. Ils se feront dire par
leurs femmes qu’ils « puent comme pas possible » et seront jetés sur le
trottoir.
50
pour Tous, proprement gazés par ses troupes sur sa demande exprès! Puis,
une affreuse odeur l’agressa brusquement. C’était épouvantable ! Manuel
se rappela alors le jour sinistre, où lors d’un camp d’adolescent, il était
tombé dans une fosse à purin. Il faut dire qu’il l’avait bien cherché, et
depuis ce jour, il avait toujours été infect…. Bref, l’odeur dégagée par ces
femmes était horrible ! Suffoquant, il hurla : « Mais vous puez comme pas
possible ! »
Face à lui Valérie Tiergarten se figea, et folle de rage, lui envoya
une énorme baffe au visage, sur la joue droite. Le ministre recula d’un pas.
« C’est comme ça que vous parlez à la Première Dame ? s’écria-t-
elle.»
Une deuxième baffe tomba sur sa joue gauche, encore plus
violente que la première. Celle-ci venait de la chef-hôtesse qui ne
manquait ni de muscle, ni de nerf…
« On ne m’a jamais parlé comme ça ! rugit Roselyne. »
Et furieuse, elle sortit une seringue de son sac à main, et la planta
dans le derrière du Ministre de l’Intérieur qui venait de tourner talon en
se tenant le visage.
« Cela vous calmera, goujat! hurla l’ancienne Ministre de la
Santé. »
Manuel hurla lui aussi, d’ailleurs, mais de douleur !
« HAAAAAAAAA ! »
« Euh ! Mais c’est vrai, avança alors le Préfet de Police avec
prudence, tout en se tenant lui-aussi le visage dans un mouchoir, et en
23
va lui fourguer les mouffettes! Et elle nous dira merci. Enfin, avant
d’ouvrir la cage !»
Sidéré, le père de famille plongea son regard dans celui de sa fille
ainée. Avec ses yeux bleus couleur de lac canadien, elle lui évoquait tant
sa femme. Et aussi la bouche serrée de quelqu’un qui ne lâche rien,
jamais, jamais, jamais. Marie était en guerre. Comme depuis plusieurs
mois. Malheur à l’ennemi, fut-il président de la République ! Mais là, il ne
voyait pas comment accepter.
« Ecoutez, c’est bien d’avoir de l’imagination et de rêver, mais là,
c’est trop compliqué. D’abord, il faut les transporter !
— Pas de problème, dit Pierre, il y a de la place dans notre gros
véhicule. Et puis arrivés à Montréal, nous avons un plan pour rencontrer
Valérie…
— A l’aéroport ?
— Non, nous avons lu qu’elle allait rencontrer des membres de la
communauté française à Montréal.
— Et, continua Marie, nous avons un contact. Une Franco-
québécoise engagée ici dans le scoutisme. Son père est Français, sa mère
Québécoise. Cela fait plusieurs mois que je corresponds avec elle sur
internet. Elle a beaucoup suivi nos actions contre la loi de Christiane
Tobago sur la dénaturation du mariage, et elle m’a dit que là, les Français
l’ont épatée. « Vous avez de l’allure, elle m’a écrit un jour ». Ses parents ont
reçu l’invitation du Consulat pour rencontrer Valérie. Ils ne sont pas
enthousiastes de s’y rendre, mais notre amie est prête à nous aider. L’idée
de gazer Manuel Iznogaz avec des mouffettes lui a plu. Elle va nous faire
entrer…
24
— Avec vos mouffettes ?
— Avec ou sans. Si c’est sans, on aura des photos, et on fera
livrer…
— Je rêve !
— Non, mon chéri. Tu ne rêves pas, intervint Eglantine son
épouse, qui les avait rejoint devant le chalet. Nous avons une occasion, il
faut en profiter. Tu sais, beaucoup de nos amis se lamentent et disent :
« Encore quatre ans à tirer avec Porcinet… Cela va être long ! » Et moi, je
réponds souvent : « Ce n’est pas comme ça que ça marche. Il n’appartient
qu’à nous que ce soit Porcinet qui se lamente tous les jours en disant
« Encore quatre ans à tirer avec ces Résistants. Cela va être long ! ». Oui, il
n’appartient qu’à nous de lui rendre la vie impossible pendant son
mandat. Il nous a méprisés, il nous a trompés, il nous a ignorés, il nous a
frappés, gazés, GAVés. Il a laissé ses sbires nous insulter, et l’action de ses
flics n’a été qu’une longue bavure. Nous sommes des sous-citoyens. Il est
donc un sous-président. Le traiter à la mouffette, c’est de son niveau. Sa
politique pue, il faut qu’il pue lui aussi. Je soutiens les enfants. On va les
lui donner nos mouffettes à la miss Tiergarten ! Je le crois aussi, qu’elle est
la porte d’entrée à notre virus puant. On ne lâche rien ! Jamais ! Jamais !
Jamais !»
Il n’y avait plus rien à dire, et Henri, avec précaution, chargea la
caisse d’armes de puanteur massive dans son véhicule.
Dans la soirée, toute la famille se réunit autour de la caisse de
mouffettes. On leur apporta à boire, on leur donna de petits insectes, et
plein d’airelles.
« Il faut leur donner un nom clama Alix !
49
Paris était en train de préparer des dossiers, et d’examiner quelles photos
il faudrait falsifier.
Deux cris horribles se firent alors entendre. Des cris marquant
surprise et horreur. Et aussi douleur.
« Vous avez entendu, dit Manuel ?
— Oui, Monsieur le Ministre. Ce sont des voix de femmes. Et elles
viennent de la chambre du président.
— Excellent mon cher Watson. C’est une bonne déduction de chef
de la police, grommela Manuel Iznogaz. Que se passe-t-il ? Allons voir. »
Terreur sur l’A-330
Manuel Iznogaz, Ministre de la Police, et le Préfet de Police de
Paris empruntèrent donc le couloir latéral dont l’extrémité conduisait au
poste de pilotage de l’Airbus A330 présidentiel, et se dirigèrent vers la
porte de la chambre, alors que d’autres cris se faisaient entendre.
Ils allaient arriver vers la porte, lorsque celle-ci s’ouvrit
violemment et livra le passage à deux femmes en larmes et couvertes d’un
liquide visqueux de la tête aux genoux. Manuel eut tout d’abord un
sourire méchant, ce qui ne le changeait guère… Cela lui rappelait les
photos de gazage des familles de la Manif pour Tous. Un excellent
souvenir. Pour lui…
Puis il reconnut la Première Dame et Roselyne Camelot. Elles
étaient méconnaissables et semblaient au bord de la crise de nerfs. En
plus, elles plongeaient toutes deux leur nez dans un mouchoir. Cela lui
rappela à nouveau les photos représentant des participants de la Manif
48
Fleur fronça les sourcils. Toute sa famille était alignée à ses côtés.
Toutes les queues étaient en position. Les cibles bien identifiées, bien en
deçà de la portée opérationnelle d’une mouffette qui peut « shooter »
jusqu’à six mètres, bien penchées vers eux et tout sourire. Et les cibles
continuaient à répéter leurs niaiseries. Parfait ! C’était comme à
l’entraînement. Elles allaient bientôt comprendre la différence entre une
mouffette et un matou. Non mais !
« Mes amis, l’heure est grave, déclara Fleur. C’est le moment.
Vous trois, cible de gauche, nous trois, cible de droite. Et vive le Québec
Libre ! »
Pssshhhhiiiitttt !Pssshhhhiiiitttt !Pssshhhhiiiitttt !
Pssshhhhiiiitttt !Pssshhhhiiiitttt !Pssshhhhiiiitttt !
Pendant que se déroulaient ces dramatiques événements, le vil,
l’infâme et ignoble ministre de toutes les Polices, Manuel Iznogaz,
tournait en rond dans la grande salle de réunion, proche de la chambre
présidentielle. Il répétait sans arrêt : « Je veux devenir Président à la place
du Président, je veux devenir Président à la place du Président. »
Son cerveau fertile et pervers imaginait mille et un plans destinés
à assouvir son insatiable ambition. Il pourrait diviser la Droite en disant
du mal de certains migrants, et en n’expulsant rien qu’une poignée d’entre
eux. Qu’il paierait pour qu’ils reviennent. Et il pourrait fabriquer des
électeurs porciniens en grande série en naturalisant les autres à la pelle.
Des gens qui voteraient pour lui en masse lorsque le Président serait trop
impopulaire, un peu grâce à lui. Oui, il pouvait faire tout ça. Déjà,
beaucoup de journalistes l’appelaient le vice-président. Pendant ce temps-
là, penché sur la grande table, son triste compère le préfet de police de
25
— Pas de problème répondit Pierre, on aura Séraphin, Valérie,
Manuel, Christiane, Vincent et Préfet de Police…
— Non, des noms sympas, pas des noms de coyote ! Comme dans
Bambi. La mouffette s’appelait Fleur. Là, le plus gros, ce doit être le papa.
Appelons le Fleur. Et donnons-leur à toutes des noms de fleurs. Qui
sentent bon.
— Ce doit être la théorie du gender pour les mouffettes, répliqua
Pierre. Appliquons les consignes de Vincent Paillard, le ministre de la
Déséducation… On ne leur donne pas des noms sexués, elles choisiront à
leur majorité, libres de « tout stéréotype de genre ».
— C’est un peu vache pour ces pauvres mouffettes, observa
Marie.
— Oui, mais nous n’avons pas le choix. Si le second adulte, un
peu moins gros, est sans doute la femelle, la maman, pour les quatre
petits, je ne me vois pas les sortir de la cage pour regarder s’ils ont un zizi
de mouffette ou pas. Cela pourrait leur donner envie de pisser…
— D’accord, dit Marie. Alors Alix, continue à leur donner des
noms « non genrés » qui ne les accablent pas d’un déterminisme de genre.
— Des quoi ?
— Des noms de fleur !
— Et bien la maman sera… Marguerite. Et les petits… Violette,
Coquelicot, Muguet et Rose.
— Parfait ! J’espère qu’ils apprécient leur cérémonie de baptême
et leur envoi en mission : gazer les coyotes ! »
La dernière soirée au chalet fut studieuse et ludique. D’abord, les
deux grands préparèrent un gros dossier de Wikipedia sur le « chat-
26
huard ». Avec plein de photos. En fait, l’article sur les mouffettes, mais en
changeant le nom. Et en jetant un voile pudique sur certaines spécificités
de défense de ces mammifères craintifs... Plus, tout un paragraphe bidon
sur les particularités de ces petits chats, une espèce indigène du Québec,
trouvée surtout dans les régions reculées d’Abitibi et de Témiscamingue,
des régions tellement reculées que les habitants n’y mangeraient que du
foie de phoque, et que cela expliquerait que le chat-huard ne soit que très
très peu connu. Cela ferait chercher Valérie… Et cela devait surtout la
convaincre de les laisser courir dans l’avion, car ils ont besoin de liberté,
les chats-huards. Un avion, c’est idéal, on ne peut pas ouvrir les fenêtres
pour respirer ou chasser les intrus. Dossier et photos seraient imprimés
chez l’amie de Marie, à Montréal. Elle allait s’instruire, la Première
Dame…
Cela fut vite expédié. Comme tout le monde était assez excité, ils
décidèrent de se lancer ensuite dans une partie
de Manuelopolis… Une variante « Manif pour
Tous » du célèbre jeu.
Les jeunes avaient travaillé dessus
pendant l’année écoulée. D’abord, modifier le
plateau: presque toutes les cases sont
remplacées par la case « Allez en prison ». Cela rend le parcours périlleux.
Les rares cases à vendre sont en fait des monuments de Paris
symboliques : Elysée, Place Beauvau, Mairie, Assemblée, Sénat, Place
Vendôme, Champs-Elysées, Concorde, Palais de Justice… Le moins cher,
c’est le Conseil Economique et Social, le fameux CESE dont personne ne
veut, parce que personne ne sait à quoi ça sert. Un vrai Mistigri. Bradé !
47
Elle regarda en détail la porte, déplaça le loquet après avoir
déverrouillé le cran de sécurité. Et elle ouvrit la prison… Cela ferait plaisir
à Christiane Tobago, pensa Valérie… Libérer des prisonniers…
« Elles débarrent, couina Coquelicot. »
La petite mouffette était la plus près de la porte. Elle se faufila à la
sortie, mais une grosse main la saisit et la souleva. Roselyne Camelot était
ravie. Elle allait pouvoir câliner ce petit chat. Prestement, elle appliqua ses
lèvres sur le sommet de la tête du petit animal, et y déposa une grosse
empreinte rouge sur la fourrure blanche. Surprise, la petite mouffette
donna un tour de rein. La chef-hôtesse lâcha prise, et l’animal tomba au
sol avec souplesse. Cela ne sentait pas bon, ce que cette femme lui avait
collé sur la tête…
Ce fut la ruée à l’extérieur de la cage. En une seconde, six
mouffettes galopaient sur le lit présidentiel king-size, ivres de liberté. Elles
se rassemblèrent et firent face aux deux femmes qui continuaient à
chantonner « Minou, minou, minou… » Et même « Miaou, miaou,
miaou… » Horresco referens !
« Tiens, vous avez vu, ils lèvent la queue, dit alors Roselyne.
— Oui, répondit, Valérie, c’est joli, ces petites queues rayées. On
m’a dit que c’était une marque de contentement quand ils dressent leur
petit panache.
— Je comprends, ces petits chats sont libres, ils doivent être
heureux. Il va falloir que je leur apporte à manger.
— Minou, minou, minou…
— Minou, minou, minou…
46
— Minou, minou, minou, mignons petits chats, chantonna
Valérie.
— Minou, minou, minou, répéta Roselyne, tout sourire cerclé de
rouge vif. »
Fleur essaya de lever le nez. Il était furieux.
« Tabarnak, elles commencent à m’les briser. Je déteste qu’on me
prenne pour un chat. Faut être niaiseux et un peu croche !
— Fleur, tais toi. Je ne veux plus entendre ce vilain mot. Tu
donnes un mauvais exemple aux enfants. Après on va nous dire que nos
grands ados ont un comportement puant ! Je ne supporte pas.
— Oui mon amour. Marguerite, je sais bien que tu as toujours
raison. Mais je veux sortir d’ici et je m’impatiente.
— C’est correct. Alors ayons l’air gentil. Elles nous débarreront la
porte. Mais tu as raison : “Minou, minou”, cela m’insupporte. »
« Minou, minou, minou, continuait Valérie Tiergarten.
— Minou, minou, minou, précisait Roselyne Camelot.
— Crétines, crétines, crétines, commentait Marguerite…
— Elles sont vraiment épaisses, compléta Fleur.
— Bon, on leur ouvre, et je leur apporte des canneberges ajouta
Roselyne. Mais vous êtes sûre que ce ne sont pas des mouffettes ?
— Non, non… »
Comme toujours, Valérie Tiergarten était très sûre d’elle. Lui
Président, elle était la Première Dame !
27
On peut aussi acheter des places de Veilleur Debout, Assis,
Couchés ou Marcheurs, ou les louer. Très recherché : l’achat du
commissariat de la rue de l’Evangile. Les cartes Chance ou Caisse de
Communauté sont modifiées. Leur dos est au logo de la Manif pour tous,
en rose ou en bleu. Et tirer une carte peut vous faire payer des frais
d’avocat, des amendes pour port illégal de T-shirt, acheter des bidons de
sérum physiologique en vue des prochains gazages. On peut aussi gagner
des coups de matraque télescopique, ou des jours de garde à vue. Et on
peut tirer la chance de rencontrer une ou deux patrouilles de CRS, ou une
horde d’Antifas aux cervelles de moules. Ou de se faire gazer grave !
L’argent permet aussi d’organiser de nouvelles manifs. Ce soir, ce fut
Victoire qui gagna en contrôlant tous les points clés de Paris, et avec de
quoi financer au moins deux manifs, tandis que le pauvre Henri
croupissait depuis longtemps dans les geôles du régime porcinien.
Dans cette famille-là :
On ne lâche rien, jamais, jamais, jamais !
Commando sur Montréal
Le lendemain, Henri Vercors gara le SUV non loin du consulat de
France, situé au dixième étage d’un énorme building moderne. Ce fut
laborieux. Trouver une place à Montréal avec des panneaux qui indiquent
« interdit de 8 heures à midi et de midi à 22 heures », ou quelque chose comme
ça, réclame des notions assez poussées de grammaire française dans sa
version québécoise. Avec sa femme et leur fils aîné, ils regardèrent leurs
trois filles marcher sagement sur le trottoir en portant chacune une
brassée de fleurs. Elles étaient accompagnées par une autre jeune fille de
28
l’âge de Marie. Des nuées de policiers, français et québécois barraient les
accès au consulat, et elles durent présenter plusieurs fois leur invitation et
leur passeport. Puis ils les perdirent de vue.
Eglantine s’éloigna alors à son tour et s’avança vers le consulat,
tandis qu’Henri et Pierre retournaient à la voiture. Elle avait prévu une
manœuvre de diversion. Le plan convenu était le suivant : les enfants
devaient rencontrer Valérie Tiergarten après l’allocution principale. En
fait, lorsque la Première Dame quittait la salle de réception et traversait
une petite pièce annexe avant de sortir pour rejoindre l’aéroport. Ceci,
parce qu’elle et son mari s’étaient opposés à ce que leurs enfants se
retrouvent sous les caméras et les objectifs des journalistes. Il fallait donc
offrir les fleurs (et les mouffettes) hors du champ des caméras. Et donc
fixer l’intérêt des journalistes ailleurs. Par exemple, les maintenir quelques
minutes dans la grande salle.
Elle présenta donc son invitation (cédée par les parents de l’amie
québécoise de Marie), et pénétra dans le consulat. Elle se rendit alors dans
les toilettes et sortit une boîte de bière de son sac. Elle s’en aspergea sur la
tête et le chemisier. Ce qui était très méritoire car elle détestait la bière.
Mais il fallait être crédible. Et attrayante… On allait voir. Elle se rappelait
un épisode lorsqu’elle était petite fille, encore plus jeune qu’Alix. Lors
d’un déménagement, ses parents l’avaient laissée chez des amis. Et là, à la
fin du repas, tout le monde s’amusait bien, et elle avait joué à la fille
saoule. De façon extrêmement convaincante. A tel point que les amis de
ses parents s’étaient bien demandé si son père n’était pas un alcoolique
invétéré donnant le mauvais exemple à sa petite fille… Eglantine espérait,
maintenant qu’elle avait plus de quarante ans, avoir conservé les mêmes
capacités de comédie. Elle resta enfermée dans les toilettes pour y attendre
un SMS de sa fille aînée. Elle était énervée et sortit un chapelet. Dans
45
— J’ai faim Maman, pleura Coquelicot. Les petits humains nous
avaient apporté de la bouffe, mais là rien. Et j’ai peur. Il y a tant de bruit.
— Nous sommes présentement prisonniers dans une de leurs
cabanes, remarqua Fleur. Il faut absolument sortir d’ici. Tenez-vous prêts.
Dès qu’on nous ouvre, chargez et arrosez! Et pas de pitié ! »
Penchée sur les petits « chats-huards », Valérie Tiergarten essaya
d’en caresser un ou deux. Mais ils s’aplatissaient lorsque son doigt tentait
de toucher leur fourrure à travers les barreaux de la cage. Elle se dit qu’il
fallait leur ouvrir, et elle demanderait à Roselyne de leur apporter à
manger. Des fruits, on lui avait dit. Il y avait des paniers de canneberges
dans l’office. Cela irait très bien. C’était bizarre pour des chats, mais c’était
écrit comme cela dans le dossier Wikipédia que la petite fille lui avait
donné. Et elle n’avait ni insecte, ni souris. Heureusement ! Et une fois
lâchés dans la chambre, elle pourrait sans doute les apprivoiser, surtout si
elle leur donnait à manger. D’ailleurs, c’était sans doute le moment d’en
informer la chef-hôtesse. Elle sortit et fit signe à Roselyne Camelot. Les
deux femmes revinrent rapidement dans la chambre présidentielle.
« Oh, qu’ils sont mignons, clama Roselyne de sa voix chaude
d’alto. Mais on dirait des mouffettes !
— Non, ce sont des chats-huards, on m’a expliqué. C’est une
variété typique du Québec, dans la région de… Abi… je ne sais plus…
Abipourlesdingues... Quelque chose comme ça. Une région où il n’y a que
des eskimos et des phoques. Et des chats. Pour un chat sauvage, c’est très
gentil.
— Oui, mais ça ressemble quand même beaucoup aux
mouffettes, vous ne trouvez pas ?…
44
Elle ferma soigneusement la porte de la chambre, puis souleva doucement
la bâche qui coiffait la prison des mouffettes.
Devant l’invasion brutale de lumière, Fleur cligna et ouvrit les
yeux. Malgré son prénom féminin de « fleur » qui lui avait été attribué par
la petite Alix, Fleur était un mâle, le père de famille mouffette. Marguerite,
sa femelle mouffette, ouvrit les yeux à son tour. Puis, Violette, Rose,
Coquelicot et Muguet, les quatre bébés mouffettes de leur portée. Deux
mâles, deux femelles. Libérés des stéréotypes de genre…
Fleur était assez irrité. Lui et sa famille avaient été capturés
maintenant depuis deux jours, ils avaient été entassés et secoués comme
pas possible, et maintenant il avait mal au cœur. Il ne savait pas où il était,
mais ses oreilles souffraient de ce bourdonnement permanent. Il avait
vraiment envie de s’échapper. Mais comment ? Et surtout, il souffrait de
se voir ainsi sans défense. Impossible de lever la queue et de projeter son
fluide nauséabond sur l’adversaire.
« Tabarnak de tabarnak, gronda Violette, le jeune mâle.
— Violette, protesta sa mère. Ne sois pas vulgaire ! Je t’ai déjà
interdit d’employer ce vocabulaire blasphématoire. Ça n’a pas d’allure ! Si
tu recommences, je vais te chicaner.
— Ouais, mais Maman, rester dans cette cage commence à me
briser les gosses5. Il y a bien une porte, mais elle est barrée6, on ne peut pas
sortir.
— Tais-toi et choisis mieux ton vocabulaire. Regarde cette dame,
elle va peut-être débarrer la porte.
5 En argot canadien : testicules 6 Verrouillé, fermé à clé (français canadien)
29
quelques minutes, la douce mère de quatre enfants qu’elle était, pilier de
paroisse et responsable d’association de bienfaisance, allait se transformer
en traînée et en ivrogne. Ivrogne pour tous !
La réception dans le grand salon fut plutôt archi-barbante. Le
Président n’était pas là, ce qui était prévu, il avait une réunion de travail
importante avec son staff et la Municipalité de Montréal, et les journalistes
n’étaient pas trop nombreux. Marie poussa un soupir de soulagement
lorsqu’elle vit Valérie Tiergarten se préparer à quitter. Ses jeunes sœurs
avaient anticipé le mouvement et s’étaient déjà glissées dans la salle
voisine. Elle lança alors un SMS à sa mère.
« Jolie bouteille » fut le signal. Eglantine sortit de son réduit.
« Phase un, se dit elle.»
Elle s’était sérieusement ébouriffé les cheveux, son chemisier,
trempé de bière, était un peu trop déboutonné, et elle passa hardiment
dans la grande salle au moment même où la Première Dame en sortait.
Elle avait bien étudié le sujet avec un croquis du consulat fourni par
l’amie québécoise de sa fille.
Elle s’avança au beau milieu de la pièce en titubant et en
beuglant : « Porcinet ! Dégage ! Hiiiips ! Porcinet ! Poils au nez ! Séraphin !
Poils aux… seins… Hic ! Démission ! Manuel ! Hic !... Poils aux
mamelles !»
Ce fut la stupéfaction. Tous les journalistes se détachèrent de
Valérie Tiergarten et restèrent dans la salle pendant que la Première Dame
allongeait le pas et disparaissait dans la pièce voisine. Eglantine continua
son numéro en parlant de « magouilles, fripouilles et autres
carabistouilles ». Elle évita néanmoins de faire rimer avec « poil aux… ».
Toujours hoquetant et franchement saoule. Et en déboutonnant un peu
30
plus le chemisier, ce qui fascina les journalistes un cran de plus. Pas un
qui ne se crut obligé de couvrir l’événement coûte que coûte. Elle croisa
alors le regard ahuri de Marie, son aînée. Les yeux de sa fille brillaient
d’admiration. Cela la consola.
« Maman ! pensa Marie. Si on m’avait dit ça. Mais elle est super !
Quand je pense qu’elle nous donne des leçons de bonne tenue ! »
De la même façon, entre deux hoquets et deux phrases
incohérentes, Eglantine se mit à penser : « Si Monsieur le curé me
voyait… »
En fait, il y eut rapidement tout un attroupement pour s’assurer
du contrôle de cette virago.
« Madame, voyons, calmez-vous !
— Mais qui est cette folle ? »
Tout en titubant et zigzagant, Eglantine s’attacha à attirer le plus
de monde possible du côté opposé de la salle où était sortie la Première
Dame.
Elle hurlait : « Mahuzac, main dans le sac, hic… Iznogaz, guerre
des gaz… Valérie… hic ! Où est ton mari-hic ?... Hips ! »
Mais bientôt, plusieurs personnes du service d’ordre la
ceinturèrent pendant qu’elle hurlait :
« Lâchez-moi, faux-jetons, dictature porcinienne !
— Mais madame, du calme ! »
Là, cela devenait un peu dur pour Marie qui avait du mal à voir
sa mère ainsi agressée. Et surtout se comporter comme une harpie. A la
suite de Valérie Tiergarten, elle se glissa dans la pièce voisine, où pas un
43
plus, d’y ajouter les sous-titres en français ». Il éclata de rire, content de lui
et de sa trouvaille. Lui président, on n’avait pas fini de se marrer !
« Tu es méchant, lui répondit Valérie d’une voix caressante… et
amoureuse. » Au moins se dit-elle, elle ne risquait de voir une grosse
tâche de rouge vif et gras trôner au milieu du visage de son amant. Et elle
ajouta :
« Tu es un gros macho, Séraphin !
— Moi ? répondit le président. Mais jamais de la vie ! Et surtout
pas un mot à Vincent Paillard, il incriminerait mon éducation familiale et
ses déterminismes de genre. Ha ! Ha ! Ha ! »
Valérie sentit que l’appareil venait de virer légèrement sur la
droite. Elle regarda l’écran vidéo de son siège qui traçait l’itinéraire de
l’avion. Ils faisaient maintenant route au-dessus de l’état américain du
Maine, en direction du Golfe du Saint-Laurent. Le plan de vol prévoyait
de passer au-dessus du Nouveau-Brunswick, puis de la Nouvelle-Ecosse
et ensuite à quelque distance au sud de Terre-Neuve. La Première Dame
se leva alors et décida d’aller rendre visite à ses petits chats québécois. Elle
n’avait encore rien dit à Séraphin, de peur d’une grosse colère. Une
entorse à la réglementation des douanes ! Importation illégale
d’animaux… Non, il fallait la jouer finement, et le mettre devant le fait
accompli le plus tard possible. Là, il s’écraserait. Comme toujours.
Les chats-huards
Valérie Tiergarten progressa vers l’avant, et ouvrit la porte de la
chambre présidentielle. Là, posée dans la salle de bain, se trouvait la cage.
42
destinées à injecter toutes sortes de drogues utiles. Mais le jus de tomate
ne faisait pas recette, tous ces braves messieurs carburaient au whisky et
pas n’importe lequel. Elle allait avoir des surplus de jus de tomate, et
avoir des stocks excédentaires, elle n’aimait pas ça. Quant aux seringues,
elle commençait à désespérer de les utiliser, lorsque le ministre de la
Rééducation Vincent Paillard lui demanda une petite injection de son
héroïne préférée. Un peu de blanche, c’était bien la meilleure façon de
passer quelques heures d’ennui transatlantique. Et il fallait donner
l’exemple. Assis côte à côte, les écolos invités par le président n’hésitèrent
pas, eux-aussi, à demander une petite seringue. Même deux, en ce qui
concerne la Ministre du Logement, Cécile Duvent, et trois, en ce qui
concerne le député de la Gironde, Noël Maparendeux. Vincent Paillard
sourit. Il allait peut-être réussir à transformer l’Airbus présidentiel en
salle de shoot volante. Une première. Elle lui servirait dans ses
démonstrations vis-à-vis de l’opposition réactionnaire, ennemie du
progrès et du sens de l’Histoire. Et il pourrait en faire une « planche »
pour ses Frères, en Loge…
Assise sur le siège voisin de « Monsieur Vincent », la Ministre
Cobra Vella-Belcarène refusa néanmoins la seringue qu’il lui proposait
gentiment. Elle avait lu que c’était mauvais pour le teint, et elle tenait tout
particulièrement à sa bonne mine. Elle regarda les femecs avec envie. Elle
rêvait de les rejoindre un jour. Même son slogan était prêt : « Fuck
families».
Le Président Séraphin Porcinet semblait très content de
l’ambiance à bord, et Valérie lui demanda un nouveau baiser sur la
bouche. Puis, Séraphin prit son air facétieux et lui murmura à l’oreille.
« Tu as vu Camelot ? Je ne désespère pas de la voir s’inscrire chez les
Femecs. Elle aurait non seulement la place d’écrire ses slogans, mais en
31
seul journaliste n’avait pénétré. Grâce à sa mère. Elle pensa alors à ce qui
se passe souvent dans la nature : la mère éloigne les prédateurs de sa
portée en les attirant sur elle. A ses risques et périls. Il ne fallait donc pas
louper la phase deux qui devait se dérouler toute en finesse…
Ce fut la petite Alix qui s’avança en direction de la Première
Dame dès qu’elle eut posé un pied dans la petite salle. L’enfant
disparaissait quasiment sous les fleurs. Elle s’approcha de la compagne du
Président, fit une révérence, et lui tendit sa brassée odorante et colorée.
Valérie Tiergarten, sincèrement touchée, se pencha et embrassa la petite
de huit ans. Celle-ci lui rendit son baiser, et lui chuchota à l’oreille :
« Madame, j’aurais un service à vous demander, s’il vous plait… »
La Première Dame la regarda en souriant, et toujours penchée
vers elle, lui demanda : « Un service ? Que puis-je faire ? Tu es trop
mignonne…
— Madame (voix douce et timide), mes parents vont déménager en
France, et il va falloir me séparer de mes petits animaux. C’est trop dur, et
ils vont pleurer eux-aussi… »
Des petites larmes bien sincères coulaient sur les joues de la petite
Alix.
« Des animaux, demanda Valérie Tiergarten, quels petits
animaux ?
— Mes petits chats-huards, ils sont trop mignons… Ma grande
sœur va vous expliquer Madame… »
Apparemment, les sanglots de la petite fille l’empêchaient de
continuer…
32
La Première Dame leva le nez, et vit alors arriver une toute jeune
fille, d’environ 14 ans, tout aussi adorable. Victoire fit une révérence, puis
embrassa elle-aussi la Première Dame. Un vrai baiser de Judas…
« Alors, quel est votre problème avec vos petits chats ?
— Ce sont des chats-huards, madame, une espèce autochtone
mais facile à domestiquer.
— Je n’en ai jamais entendu parler… Des huards ? Ne sont-ce
point des canards canadiens ?
— Si Madame. Mais le chat-huard, c’est autre chose. On les
appelle « huard » en raison de la forme allongée de leur museau.
Regardez les photos. Et là, j’ai tout un dossier sur cette variété rare…»
Victoire montra plusieurs photos d’Alix et elle, posant devant la
caisse de mouffettes. Ainsi que de belles impressions couleur du dossier
Wikipedia sur le chat-huard qu’elle lui donna.
« Ce sont nos chats-huards. Ils sont très sensibles, et meurent s’ils
sont séparés longtemps de leurs maîtres. Et les douanes ne veulent rien
entendre. Vous êtes notre dernière chance. Vous pouvez passer ces
animaux dans vos bagages présidentiels. Vous, et vous seule pouvez !
Vous êtes la Première Dame de France. Vous avez le pouvoir…
— Je peux sans doute. Il faut que j’en parle à Séraphin…
— Non, éclata alors Alix, en larmes, il ne voudra jamais. Il n’a que
faire de quelques petits chats et de petites filles. Il est trop occupé…
— Mais non… Mais vous avez raison, je n’ai pas besoin de lui
demander. Où sont-ils, ces petits chats-huards ?
— Dehors ! Sur le trottoir. Les policiers n’ont pas voulu les laisser
passer. Ils sont pourtant si mignons…
41
le nouveau timbre-poste standard, un portrait de Marianne qui s’inspirait
directement de l’Ukrainienne qui avait fondé cette secte activiste et
« féministe ». Sans doute en reconnaissance du type de féminité délicate
que les femecs semblaient promouvoir, et du respect pour tous les
Français, dans leur diversité, qu’elles manifestaient. Lui Président, il serait
le président du consensus. Et il le montrait bien.
Une toute jeune femme blonde remplissait donc les verres à
profusion et balançait des glaçons à la pelle dans les verres en cristal, tout
en lâchant quelques commentaires en un français maladroit prononcé
avec un net accent slave. Elle arborait, comme leur chef-hôtesse, un
pantalon moulant bleu ciel et un élégant foulard de soie bleu ciel
négligemment noué autour de son cou délicat. Mais à la différence de
Madame Camelot, entre les deux, entre le foulard et le pantalon, rien ! Elle
était torse nu, seins nus. Comme toute femec respectable et respectée par le
gouvernement porcinien français. Et comme toute femec, son torse
découvert et ses petits seins étaient garnis de slogans délicats inscrits au
feutre noir et épais : « Fuck church, fuck pope, piss christ » était-il écrit…
Tout un programme. Ouvert, tolérant et du meilleur goût. Sa copine, une
brunette occupée à servir un jus d’orange à la Garde des Sots, Christiane
Tobago, plus à l’arrière de la cabine, portait sur sa poitrine également
dévoilée une autre inscription tout aussi sympa : « Fuck France, Fuck the
French ». Net, clair et précis. Oui, Séraphin était admirable d’avoir choisi
ces deux ravissantes hôtesses, pensa Valérie. C’était moderne et si
sociétalement avancé. La cause des femmes était enfin en marche.
En tout cas, la chef-hôtesse Roselyne Camelot avait quelque souci
pour écouler ses stocks de jus de tomate. En personne consciente de la
santé de tous, elle n’aimait pas proposer de boissons alcoolisées. Et elle
avait même, sur son plateau, une bonne cinquantaine de seringues
40
belle casquette préfectorale. C’est dire que c’était drôle. Et même Pierre
Lebon-Berger, grand homme d’affaires, spécialiste financier de la
délégation, humaniste officiel, magnat de la presse, chargé de la
Surveillance du quotidien Le Monstre, et donateur majeur de la
campagne électorale de Séraphin Porcinet, même lui, esquissa une amorce
de début de semblant de sourire… Il ne trouva pas la blague homophobe.
Peut-être un peu castorophobe, mais ce n’était pas vraiment son problème.
Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine,
quelle différence ? avait-il dit un jour. Alors pourquoi ne pas sucer la queue
des castors ? C’est ça le relativisme bien-pensant et moderne de
l’oligarchie libérale-libertaire.
Un autre éclat de rire d’une voix grave et chaude fit retourner la
Première Dame : elle leva la tête et reconnut Roselyne Camelot, ex-
ministre de la Santé du prédécesseur et adversaire honni de Séraphin
Porcinet. Le président l’avait recrutée comme chef hôtesse de l’air, dans
un esprit d’ouverture politique au Centre, et dans le but de la remercier
pour les innombrables services qu’elle avait rendu depuis longtemps à la
Gauche porcinienne. Roselyne arborait son éternel sourire largement cerclé
de rouge à lèvres vif et gras. Le premier à qui elle faisait un bisou ne
pouvait guère le cacher longtemps, et c’était durable...
Suivie par une autre hôtesse, elle poussait un chariot de boissons
comme si elle avait fait ça toute sa vie. Valérie Tiergarten sourit
franchement. Encore une idée de Séraphin. Quel homme intelligent ! Et de
bon goût !
Pour aider Roselyne dans son rôle d’hôtesse, il avait recruté deux
ravissantes femecs. Car Séraphin, c’était incontestable, aimait beaucoup les
femecs, et il avait raison. Il venait même de choisir, comme graphisme pour
33
— Ils n’ont pas de cœur, ces policiers. Et bien je vais les faire
chercher, vos petits minous. Et ils iront direct dans notre gros avion
présidentiel. Je vais bien m’en occuper jusqu’à Paris.
— O Merci Madame, reprit Victoire, en sautant au cou de Valérie.
Et surtout, cachez les bien. Mais une fois en vol, laissez les sortir. C’est très
propre, et ils doivent vraiment souffrir de leur enfermement. Vous pouvez
les faire courir partout, et les présenter au Président, aux ministres… A
tous les gens importants. Ils trouveront ça mignon et ils voudront les
caresser. Ils ne seront pas déçus.
— D’accord, et à Paris, vous viendrez me contacter à l’Elysée
pour les récupérer.
— Vous pouvez compter sur nous, madame, affirma Victoire.
— Et encore merci madame, s’exclamèrent en cœur Victoire et
Alix.
— Et puis, ajouta Victoire, vous savez, ce qui est mignon avec ces
petits chats, c’est lorsqu’ils lèvent la queue. Cela signifie qu’ils sont
contents. Il ne faut surtout pas bouger, et même se pencher un peu vers
eux. Vous verrez, c’est adorable.
— Je vais envoyer un de mes majordomes chercher ces petites
bêtes tout de suite. Elles iront tout droit dans la chambre présidentielle à
l’avant de l’avion. »
En arrière, Marie approuva. Les petites avaient été géniales et
avaient parfaitement récité le texte qu’elle avait préparé et qu’elle leur
avaient fait apprendre. Elles n’avaient même pas utilisé le plan B, à savoir
appeler leur grande sœur à la rescousse pour les explications scientifiques.
34
Elle stoppa l’enregistrement vidéo de la scène sur son cellulaire et envoya
un bref SMS à son frère.
«Parfum de femme. C’est le signal, clama Pierre. Phase trois !»
Aussitôt, Henri et son fils quittèrent leur stationnement,
tournèrent à l’angle de l’avenue McGill College, arrêtèrent leur voiture à
deux pas du consulat, enfilèrent des gants afin de ne pas laisser
d’empreintes sur la cage, et la déchargèrent sur le trottoir recouverte
d’une couverture légère.
Puis Henri continua sa marche, l’air de rien, tandis que Pierre
redémarrait et faisait le tour du quartier.
Henri Vercors vit bientôt arriver deux fonctionnaires conduits par
Victoire et Alix qui s’éclipsèrent rapidement. Les hommes se penchèrent,
attrapèrent la cage et l’emportèrent vers le consulat tandis qu’Henri les
filmait discrètement. Marie qui sortait à son tour les entendit dire : « Il
paraît que ce sont des chats. Des chats spéciaux. Mais ça ressemble quand
même à des mouffettes… Mais les ordres sont les ordres. Faut ranger ça
dans la chambre présidentielle de l’A330. Je ne sais pas si Pépère va
apprécier…»
Un sourire de triomphe parcourut le visage de Marie. Elle vit
alors sa mère sortir menottée et encadrée par deux policiers. Elle
continuait à tituber comme une authentique ivrogne. Elle se rappela la
scène de Saint Pierre rencontrant le Christ conduit au tribunal. Pauvre
Maman ! Et il fallait qu’elle l’ignore ! Qu’elle la renie ! Elle eut le cœur
chaviré.
Mais pas autant qu’Henri, lorsqu’il aperçut sa femme ainsi forcée
d’embarquer dans une voiture bicolore de la police. On lui appuya même
sur la tête ! Comme dans les films ! Il regretta de ne pas s’être dévoué à sa
39
Le Chef de l’Etat semblait même être d’humeur grivoise.
« Devinez pourquoi les castors ont la queue plate, lança-t-il à la
cantonade ?
— Je ne sais pas trop… Peut-être pour mieux s’appuyer lorsqu’ils
travaillent le bois, suggéra Valérie…
— Pour battre leur femme, avança Vincent Paillard, ministre de
l’Education et grand spécialiste du Gender… (il reçut un coup de coude
de sa voisine, Cobra Vella-Belcarène, porte-parole du gouvernement et
ministre du conditionnement des femmes).
— Pour servir d’éoliennes, proposèrent avec un bel ensemble,
Cécile Duvent et Noël Maparendeux, les deux écolos de service.
— Pour matraquer les voisins, suggéra alors Manuel Iznogaz, le
bien-aimé ministre de toutes les Polices.
— Vous n’y êtes pas, reprit Séraphin Porcinet, content de son
effet, ils ont la queue plate parce que ce sont les canards qui leur sucent la queue !
Elle est drôle, n’est-ce pas, mon bon Manuel ?
— Oui, Monsieur le Président normal de tous les Français, c’est
une blague normalement drôle », répondit le vil, l’infâme et ignoble
ministre de toutes les Polices, tout en serrant les dents de jalousie et de
rancœur. En fait, Manuel Iznogaz pensait que la blague était franchement
nulle, car il l’avait déjà entendue dix fois. Et que lorsqu’il serait président
à la place du président, lui président, il ferait des blagues bien meilleures.
Un jour, il serait président à la place du président.
N’empêche qu’un gros éclat de rire parcourut les sièges
avoisinants. Même le Préfet de Police de Paris, assis aux côtés de son
ministre de tutelle, se mit à glousser discrètement tout en caressant sa
38
dessus de l’autoroute Côte de Liesse, puis s’inclina, effectua un virage sur
la droite, se stabilisa, et prit un cap est-nord-est. Longeant la rive sud du
Saint-Laurent, il offrit à ses passagers une vision panoramique sur la ville.
D’abord le centre des affaires et ses élégants buildings modernes, puis le
verdoyant Mont Royal, le dôme de l’Oratoire Saint-Joseph… Et les
immenses quartiers périphériques avec leurs petites maisons et leurs
nombreuses piscines. Prenant de l’altitude, l’A330 traversa une mince
couche nuageuse, puis le cours argenté du Saint-Laurent réapparut au
soleil éclatant de ce début d’après-midi. Car bien que la plupart des vols
transatlantiques vers l’Europe fussent des vols de nuit, il avait été décidé à
la dernière minute que le vol présidentiel serait avancé de plusieurs
heures. Il était en effet venu aux « grandes oreilles » de la DCRI4, qu’un
« comité d’accueil » de manifestants était prévu à Orly, au petit matin, à
l’heure officielle d’arrivée du Président. Ceci afin d’éviter à celui-ci le
traumatisant spectacle de manifestants réclamant qu’il « dégage », tout en
agitant les célèbres et fascisants petits drapeaux roses représentant un
papa, une maman, et deux enfants se donnant la main, et afin qu’il
continuât à être persuadé que tous les Français l’appelaient « Séraphin le
Bien-aimé ».
A bord régnait une ambiance plutôt détendue. La mission
d’étude était terminée, et tous étaient à peu près convaincus que la
politique appliquée au Canada ne devait surtout pas être appliquée en
France. Notre pays est tout de même un pays bien plus complexe… « On
ne va pas copier ce qui s’applique dans le Grand Nord, avait affirmé
péremptoirement le Président. Nous ne sommes pas des pingouins !»
(Éclat de rire, partagé par la plupart des ministres…)
4 Ex « Renseignements Généraux »
35
place, même s’il était sûr qu’il aurait été moins convainquant et surtout
moins attractif. Eglantine lui lança alors un clin d’œil, et cela le rassura.
Une fois la voiture de police partie, il demanda à un factionnaire :
« Qu’est-ce qu’elle a fait, cette… femme ?
— Un peu trop de breuvage… Et un peu trop de cirque au
consulat de France. Une vraie charrue3 qui a pris une bonne brosse. Elle va se
déniaiser au poste, puis on la relâchera. Son mari devrait un peu mieux la
surveiller… J’espère qu’elle n’a pas d’enfants ! Quel exemple !»
Le pauvre Henri en avait les larmes aux yeux.
Une fois tout le monde dans la voiture, les trois filles se jetèrent
dans les bras de leur père et de leur frère.
Un peu plus tard, dans la soirée, ils virent arriver Eglantine, tout
sourire. Elle fut couverte de baisers.
« Alors, clamèrent-ils tous ?
— Même pas une amende, dit-elle doucement. Pour cette fois
bien sûr. Ne recommencez pas ! Une bonne leçon de morale destinée à une
honorable mère de quatre enfants, un peu dévoyée et imbibée.
Vérification d’identité. Et plutôt un grand respect du… client. J’ai bien
mieux été traitée chez la Gendarmerie Royale du Canada, en fait, la
fameuse « Police Montée », que ma fille et mon fils dans les culs de basse-
fosse de Manuel Iznogaz et de ses flics à bavure. Pourtant, moi, je suis
vraiment coupable de quelque chose. Le plus dur a été de faire semblant
de dessaouler. Trop rapidement eut été louche. Et puis, il faut le dire, un
esclandre contre le président français est plutôt distrayant pour les
Québécois. Il y a une certaine arrogance bien « maudits français » qu’ils ne
3 En argot canadien : femme de mauvaise vie
36
supportent pas. Et notre président n’est pas vraiment aimé dans ce pays.
Son incompétence est dure à cacher… La presse joue son rôle, ici. Les
Québécois aimeraient bien que la France puisse se redresser. Et ils ont
bien compris que c’est mal parti avec l’équipe actuelle au pouvoir.
En tout cas, poursuivit Eglantine, j’ai bénéficié de toutes les
attentions des journalistes. J’espère que ma mère ne regardera pas le
Journal télévisé ce soir.
— Pas de souci affirma Henri. En France, les JT ne diffusent
jamais les images qui peuvent laisser supposer que Séraphin Porcinet ne
soit pas le Bien-Aimé des Français. Tous des faux-jetons ! Tes images
seront censurées. Mais il n’y en a pas eu des enfants, et c’est bien.
— Mais racontez-moi les phases deux et trois, reprit alors son
épouse ! Valérie a pris nos bébés ? Racontez vite, car je voudrais vraiment
aller me changer et prendre une douche. Je ne supporte plus cette odeur
de bière.»
Les enfants lui firent donc un compte rendu détaillé et
circonstancié.
« Vous avez été extraordinaires, conclut Eglantine. Je suis fière de
vous.
— Pourvu que ça marche, émit Henri…
— Cela marchera, répondit Marie. A la famille Fleur de jouer !
— Ce qui est horrible, c’est ne pas savoir ce qui va se passer, se
plaignit Victoire.
— On le saura, affirma Marie, avec un air énigmatique. Je ne peux
rien vous dire pour le moment. Mais on le saura. Promis !»
Et tous les membres de la famille Vercors se levèrent d’un coup,
se serrèrent la main et s’écrièrent comme des mousquetaires :
« On ne lâche rien ! Jamais, Jamais, Jamais ! »
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Chapitre II - Les bouffons
Un vol « normal »
« Pierre Eliott Trudeau à COTAM triple-zéro-un, autorisation de décoller… »
L’A330-200 présidentiel F-FARF commença à prendre son élan sur le
tarmac de l’Aéroport International P.E. Trudeau de Montréal. Le gros
fuseau aux grandes ailes souples de soixante mètres d’envergure souleva
bientôt son nez, puis presque avec élégance, s’arracha du sol canadien à
pleine puissance de ses deux gros moteurs General Electric.
Confortablement assise à côté de son présidentiel compagnon lui ayant
galamment cédé la place près du hublot, Valérie Tiergarten contemplait
distraitement le paysage avoisinant, tout en se demandant comment ses
petits chats-huards enfermés dans leur cage supporteraient le décollage. Un
léger choc marqua la rentrée des trains d’atterrissage. L’appareil passa au-
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Le commandant les rejoignit et se présenta devant le président de
la République. Il avait déjà constaté les dégâts et organisé la chasse aux
mouffettes afin de les isoler quelque part. Un certain nombre de gardes du
corps étaient en pleine activité, non sans difficulté d’ailleurs, car les
mouffettes ne semblaient pas enclines à baisser la queue… Mais il assura à
Cécile Duvent que l’intégrité corporelle des mouffettes ne serait pas
menacée.
« Commandant, dit alors le Président de la République, nous ne
pouvons rester dans cette ambiance infecte. Et nous n’avons plus de jus de
tomate. Retournons à Montréal.
— Nous sommes déjà loin, Monsieur le Président. Je vous
proposerais de prendre les masques à oxygène et cela vous permettra
d’attendre dans de meilleures conditions. Et vous pourrez vous nettoyer à
l’arrivée à Orly.
— Je ne le souhaite pas. Les journalistes nous attendent. Il faut
nous nettoyer avant. Retournons à Montréal. Moi président, je ne peux
pas arriver en France dans cet état. Sans parler de l’odeur insupportable.
Nous puons comme pas possible.
— J’ai peut-être une meilleure solution, proposa alors le
commandant. Nous passons actuellement au Sud de Terre-Neuve. Il est
possible d’arriver en une demi-heure à l’aéroport international de Gander.
Il n’y aura aucun problème pour poser un A330. Et c’est un endroit
discret, loin de tout. La dernière fois qu’on a parlé de cet aéroport, c’était
le 11 septembre 2001. Il servait d’escale d’urgence et de « quarantaine »
pour tous les avions encore en vol après l’interdiction de l’espace aérien
américain. Vous n’y rencontrerez personne.
51
gardant ses fesses le loin plus possible des dames… Vous ne sentez pas
bien bon…
— Vous en voulez, vous aussi ? Des mouffettes, ce sont des
mouffettes ! »
Et la malheureuse Roselyne se pencha alors pour vomir dans un
coin du couloir. Ce qui est très inhabituel pour une chef-hôtesse.
Manuel Iznogaz fit alors volte-face, toujours avec la seringue
plantée dans son pantalon.
« Préfet, il doit y avoir des terroristes dans cette chambre. Il faut
intervenir. Intervenez !
— Euh ! Monsieur le Ministre. Peut-être pourrions-nous appeler
un agent de sécurité ?
— Tout de suite !
— Oui, Monsieur le Ministre. »
La mort dans l’âme, et mu par un inexpiable sens du devoir, le
Préfet de Police de Paris ouvrit la porte de la chambre et entra. Devant lui,
six petites bêtes restaient alignées sur le grand lit présidentiel.
Il se retourna vers Manuel Iznogaz qui venait de retirer sa
seringue, et lui dit : « Il doit y avoir deux animaux… »
Manuel Iznogaz posa la seringue sur un guéridon, s’approcha et
entra à son tour. Il compta six animaux.
« Dites, Préfet, votre habitude de diviser les chiffres au moins par
trois, sinon plus, épargnez-moi ça, je vous prie. Pas à moi. Un peu de
discernement…
52
— Je vous prie de m’excuser, Monsieur le Ministre. Je respecte
soigneusement vos consignes, et l’arrondi vers le bas, c’est devenu une
habitude.
— D’accord, donc, nous voilà face à quoi… ?
— Des mouffettes, Monsieur le Ministre. Ce doit être des
mouffettes.
— Et qu’est-ce qu’elles font là, ces mouffettes ?
— Je ne sais pas !
— Sont-elles de Droite ou de Gauche ?
— Je ne sais pas non plus !
— Alors que font vos services de Renseignement ? Pourquoi on
les paie ? Et pourquoi je vous paie ? Et ce sont des mouffettes qui font
trembler la République ? Bien alignées comme ça, elles me font d’ailleurs
penser à un barrage de vos CRS, Monsieur le Préfet. Mais ce ne sont pas
des CRS, donc vous m’en débarrassez tout de suite. Compris ?»
Fleur et sa famille restaient sur le pied de guerre. Les deux
femmes étaient parties en pleurant. Et voilà qu’apparaissaient deux
hommes qui n’avaient vraiment pas la mine sympathique, surtout le petit
maigrelet fort en gueule et aux gros sourcils bien noirs.
« Queues en l’air, siffla le chef de famille mouffette. Trois pour
un. Comme les autres. Même gisement, même hausse, même
portée. Charge maximum. En joue !»
Pssshhhhiiiitttt!Pssshhhhiiiitttt ! Pssshhhhiiiitttt !
Pssshhhhiiiitttt !Pssshhhhiiiitttt !Pssshhhhiiiitttt !
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C’est alors que Séraphin Porcinet demanda à la chef-hôtesse de
venir le voir.
« J’ai pris ma décision, dit-il…
— A la bonne heure, répondit Roselyne.
— Appelez-moi le Commandant de bord… »
Détournement
Roselyne Camelot appela le poste de pilotage par l’intercom et fit
part au Commandant de bord que le Président de la République
souhaitait le voir. Cependant, avant même que le commandant François
Léger ne puisse se présenter au président, quelqu’un frappa à la porte de
la chambre de celui-ci.
« Entrez, dit le président tout en faisant l’effort de se mettre
debout. » Question de dignité…
C’était la ministre écologiste Cécile Duvent. Elle affichait un air
scandalisée, enfin dans la mesure où il était possible de voir son air,
puisqu’elle gardait en permanence un mouchoir sur le nez.
« Monsieur le Président, dit la Ministre, je suis scandalisée par la
manière dont les hommes de votre service de sécurité traquent les
mouffettes. Les pauvres bêtes vont être stressées. Ce n’est pas bien.
— Ecoutez, Madame Duvent, on fait ce qu’on peut, les
mouffettes, elles commencent à m’ les briser menues, et j’ai plus important à
faire … »
76
pas qui avait introduit les mouffettes dans l’Airbus présidentiel, mais
c’était vraiment une riche idée qu’elle se reprochait même de ne pas avoir
eue. Une récolte en or, ces vidéos ! Il fallait bien faire attention de ne rien
perdre. Les blogs qui se chargeraient de leur diffusion allaient tripler leur
audience. Elle remit la caméra en service, ajusta collier, enregistreur et
foulard, et sortit dans la cabine avec sa boîte de seringues. Toujours en
larmes…
Elle jeta encore un dernier regard sur les corps endormis de
Manuel Iznogaz et du Préfet de Police de Paris. Incroyable ! Ces types qui
s’étaient toujours ridiculisés en envoyant des centaines de CRS contre les
inoffensifs Veilleurs, alors que les banlieues étaient à feu et à sang, des
types qu’elle jugeait hystériques, elle les voyait là, calmés… Bien sages. Et
l’air bien bête, avec leurs seringues plantées comme des bougies
d’anniversaire dans le popotin. Non, c’était trop drôle.
Une fois son fou rire calmé, enfin presque, elle retourna près de
Roselyne prendre les ordres. Celle-ci lui demanda très sérieusement de
bien vouloir ôter les seringues des derrières du Ministère de l’Intérieur.
Jamais Caroline n’aurait imaginé se trouver un jour dans cette
position : poitrine dénudée, à genoux devant les fesses du Préfet de Police
de Paris et du Ministre de l’Intérieur, occupée à cueillir des seringues
comme l’on cueille des marguerites sur une plate-bande. Avec délicatesse.
Tout en retirant les aiguilles du premier, elle fredonna l’air de Maxime Le
Forestier : «Ce soir à la brune, Nous irons ma brune, Cueillir des serments… ».
Puis, elle passa à la Berceuse Cosaque pour le second…
Doucement s'endort la terre, Dans le soir tombant
Ferme vite tes paupières, Dors petit ministre…
53
L’épouvantable jet d’urine nauséabonde surprit les deux
hommes. Après quelques instants de stupeur humide, ils tournèrent les
talons et partirent en courant dans le couloir.
« Mais vous puez comme pas possible, Monsieur le Ministre !
— Je vous en prie, Préfet ! Il nous faut du renfort. »
« C’est le moment siffla Fleur la mouffette ! Ennemi en déroute !
On fonce et on quitte cette tabarnak de prison.
— Fleur, votre langage !
— Oui mon amour ! »
Et les six petits animaux noirs et blancs se ruèrent vers la sortie,
filèrent entre les jambes des deux hommes, puis entre celles des deux
femmes. Dans le couloir, ils tombèrent face à un autre homme. Il s’agissait
de Harem Plaisir, le sémillant Premier Secrétaire du Parti porcinien. Vous
savez, le brave homme qui affirme sans rire qu’il faut toujours écouter le
peuple. Plus précisément, ce que dit la moitié du peuple. L’autre moitié
est un sous-peuple, qu’il est indécent d’écouter. Ce grand négociateur n’eut
pas le temps de négocier, et il reçut au moins deux jets d’urine en pleine
poire. Il tourna casaque et entra en hurlant dans la cabine principale :
« Des nervis, des nervis, nous sommes attaqués par des nervis,
des fascistes, des racistes, des antisémites, des populistes, des
islamophobes et des homophobes. L’extrême-droite est parmi nous. Et ça
pue, ce sont donc aussi des catholiques !!!»
Il avait sans doute entendu parler que certains catholiques sont
dits « mourir en odeur de sainteté ». Ce qui explique sans doute cette
remarque venant d’une personne qui n’y connaît pas grand-chose…
54
Il faillit trébucher et s’écrouler par terre, tandis que les six
mouffettes catholiques le dépassaient en bondissant. Celles-ci grimpèrent
sur les sièges et se mirent à sauter par-dessus les dossiers. Ce fut un
désordre indescriptible et un joli ballet de queues noires à rayures
blanches. Des catholiques en pleine forme, sans doute arrivés tout droit
des JMJ (Journées des Mouffettes Joueuses).
Le petit Rose atterrit tout droit sur le chariot des boissons en
renversant les bouteilles. La femec qui le poussait lâcha son verre en
émettant un cri de surprise. Cela fit peur à la petite mouffette qui souleva
la queue et vida son chargeur.
Pssssshhhhhiiiiiitttttt !
Hurlement de la malheureuse jeune femme. D’habitude, c’était
elle, Iouliana, qui aspergeait courageusement l’ennemi, en général les
catholiques, les orthodoxes, les poussettes, les landaus... Mais là, ça puait,
et elle en avait partout, et ça dégoulinait sur sa poitrine dépoitraillée…
« Mais vous puez comme pas possible, gémit Vincent Paillard, un peu
groggy… » Il avait du mal à émerger de l’univers narcotique de son
prototype de salle de shoot volante.
La bordée d’injures en ukrainien qu’il reçut est proprement
intraduisible… Même par un Ministre de la Rééducation Nationale fort
cultivé. Mais cela le réveilla.
L’eût-il voulu, il n’aurait d’ailleurs pas eu le temps de traduire.
Muguet venait d’arriver sur le sommet du dossier précédant son siège. Le
Ministre écarta les yeux à la vue de cette petite boule de fourrure noire et
blanche dont les petits yeux malicieux le fixaient à quelques centimètres
de son visage.
75
le dos. Ou plus précisément, sur les fesses, là où il appuya fermement sur
les pistons des seringues.
« HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! »
Cri de douleur du pauvre Préfet de Police de Paris, qui s’effondra
à son tour dans l’allée. Sa belle casquette aux liserés dorés roula sur vingt
centimètres. Pauvre République !
« Nous voilà bien ! constata Roselyne Camelot. Un ministre qui
administre une piqûre. Plus de Ministre de la Police, et plus de Préfet de
Police. Quel désordre ! Qu’allons-nous devenir ?
Bon, ils se réveilleront, continua l’indéfectible boute-en-train de
sa voix à la fois chaude et un peu perchée. Allez ! Qui prend la suite ? J’ai
encore des piqûres à l’infirmerie. Beaucoup de piqûres. Pas de jus de
tomate, mais des piqûres. Allez Caroline, pouvez-vous me trouver une
autre caisse ?»
La jeune femec ne se fit pas prier. Elle se sauva à l’infirmerie.
C’était trop dur de se retenir. Elle se mit à rire aux larmes. C’était
vraiment trop drôle ! Penser que les deux pitres qui avaient tant fait les
durs contre toute une partie du peuple français, étaient maintenant devant
ses yeux, allongés dans l’allée centrale de l’Airbus avec tout un bouquet
de seringues leur sortant des fesses. Surréaliste ! Sans parler des malheurs
du pauvre Porcinet. Elle ôta délicatement la micro-caméra logée dans son
gros collier fantaisie, débrancha l’enregistreur caché dans son foulard de
soie. Elle sortit son cellulaire, brancha un câble, et visionna rapidement
quelques vidéos. Super ! Cela lui arracha une nouvelle crise de fou rire.
Les rasades des mouffettes, les piqûres de Roselyne, tout y était. Les
hommes les plus puissants et les plus nuls de France étaient filmés dans le
ridicule le plus absolu. Ce qui ne les changeait pas tellement. Elle ne savait
74
sur l’autre, la boîte de carton s’aplatit complètement. Les pistons
s’enfoncèrent donc également avec un bel ensemble.
« HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! »
Le hurlement du malheureux ministre de l’Intérieur s’entendit
jusqu’à la chambre présidentielle pourtant située tout à l’avant, où
Séraphin Porcinet comprit qu’il n’aurait sans doute pas à rester seul bien
longtemps en son lit de douleur.
Mais ce n’était pas fini. En s’écroulant, Manuel Iznogaz avait
essayé de se retenir à une main secourable tendue par le Préfet de Police,
toujours prêt à rendre service, car c’est dans sa nature, mais qu’il entraîna
fortuitement dans sa chute. Le malheureux Préfet de Police ne put donc
s’empêcher de s’effondrer lui-aussi sur le siège suivant. Là où Caroline
avait malencontreusement déposé l’autre carton de seringues. Aiguilles en
l’air. Hélas !
« HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! »
Lui-aussi se retrouva donc avec toutes les aiguilles plantées dans
le derrière. Mais il fut chanceux, car les pistons ne s’enfoncèrent pas, le
double fond de la boîte ayant résisté. Il hurla néanmoins, et se releva. Il
s’engagea en titubant dans l’allée pour rejoindre l’infirmerie.
Hélas ! Trois fois hélas ! La chance préfectorale ne dura pas
longtemps. Roselyne, toujours active, telle une jeannette, s’était relevée et
tentait de remettre Manuel debout. Mais une fois à peu près à la verticale
et oscillant au milieu de l’allée, le Ministre de l’Intérieur perdit
complètement connaissance, tomba à genoux, et s’effondra juste sur le
chariot des hôtesses. Ce mouvement imprima une brusque impulsion à
l’engin qui roula sur un mètre cinquante et heurta le Préfet de Police dans
55
Pssssshhhhhiiiiiitttttt !
Là, « Monsieur Vincent » fut complètement réveillé. Il en aura à
raconter à ses « Frères » de Loge !… Après un bon bain de jus de tomate…
Encore une bonne « planche » en perspective.
Pssssshhhhhiiiiiitttttt !
Sa complice Cobra Vella-Belcarène en reçut autant. Une longue
rasade bien appuyée qui coupa la parole à la porte-parole du
gouvernement. Mais là, c’était Marguerite en personne qui était l’auteur
du délit. C’était comme si la maman mouffette avait compris que si cette
femme représentait le Beau, elle ne représentait certainement pas le Bien,
ni le Bon. Surtout pas pour les familles. Or, selon la Loi Naturelle, Bon,
Beau et Bien doivent aller de pair. Et sa famille mouffette, Marguerite y
tenait plus que tout. Donc, pas de pitié pour cette humaine si peu
naturelle ! Pssssshhhhhiiiiiitttttt !
Ce que c’est, que l’intuition féminine ! Même chez les mouffettes.
Les deux écolos, Cécile Duvent et Noël Maparendeux levèrent le
nez afin de voir ce qui se passait. Grand mal leur en prit. Eux-aussi
avaient quelque difficulté à sortir de leurs brumes, et ils furent assez
surpris de se retrouver avec Coquelicot atterrissant sur leurs genoux…
Une Coquelicot qui n’avait rien de transgénique. A part peut-être le cercle
rouge sur le sommet de la tête.
Cécile émit un cri strident, tandis que Noël poussa un juron tout à
fait grossier, bien dans son genre. Il en poussa un autre lorsqu’il sentit le
jet d’urine corrosif lui inonder les moustaches.
Pssssshhhhhiiiiiitttttt !
Pssssshhhhhiiiiiitttttt !
56
A son tour, Cécile en reçut une giclée en plein dans son célèbre
décolleté. Elle hurla et se précipita vers l’issue de secours.
« De l’air frais, de l’air frais ! Il faut de l’air frais ! Vite, les
fenêtres ! »
Elle était un peu à côté de la plaque. Elle se précipita vers une
issue de secours. Il fallut les efforts titubants de Noël Maparendeux, ainsi
que l’intervention énergique de Roselyne Camelot pour la dissuader
d’aérer l’Airbus en grand. Puis, elle alla se rasseoir, en pleurant et en
essayant de s’essuyer.
L’odeur était épouvantable et commençait à se répandre par
vagues dans la cabine de l’A330 COTAM triple-zéro-un présidentiel qui
survolait le Nouveau-Brunswick à 11000 mètres d’altitude.
Pendant ce temps-là, le Président de la République, Séraphin
Porcinet, dormait paisiblement. Le tintamarre réveilla cependant son
Excellence. A moins que ce ne soient les premiers effluves de parfum. A ce
moment-là, il sentit un frôlement et un petit choc sur les genoux.
Outrage
Le Président de la République Séraphin Porcinet ouvrit les yeux
et regarda avec étonnement le petit animal à la fourrure soyeuse noire et
blanche et à la belle queue en panache.
« Tiens, une mouffette, dit-il. Oui, ce doit être une mouffette7.
Qu’est-ce qu’elle fait là ? Dans mon avion ?» Puis, il réalisa… Une
7 C’est un homme cultivé, il connaît les mouffettes.
73
« Madame, je compte bien désinfecter un maximum d’entre nous,
mais vous êtes maintenant prioritaire. »
Christiane se laissa faire, tout en frémissant à la vue de l’énorme
seringue que brandissait l’ex-ministre de la Santé. « Vous y mettez la dose,
remarqua-t-elle en considérant la taille de la seringue, et en tremblant…
— Oui, oui, oui, répondit Roselyne sans se départir de son ton
enjoué et de sa voix chaleureuse. Toujours. Je fais le contraire de votre
Préfet de Police. Je multiplie tout par cinq, voire dix. Principe de
précaution. La santé vaut toutes les souffrances. »
Debout, appuyée des deux mains contre le hublot, résignée,
Christiane se mit en position, offrant son auguste postérieur ministériel
aux bienfaits de la médecine. Comment la Chancellerie allait-elle réagir?
Lorsque l’aiguille de dix centimètres lui pénétra la peau, et que le
quart-de-litre de solution envahit brusquement ses tissus, la pauvre
Christiane hurla de douleur, et donna un coup de pied désespéré en
arrière. Touchée au bassin par la ruade imprévue de la Garde des Sots,
Roselyne fut alors déséquilibrée et bascula vers l’allée.
L’ennui, c’est qu’après s’être faufilé entre le chariot et les sièges,
Manuel Iznogaz passait à ce moment précis juste derrière elle, suivi de
près par le Préfet de Police de Paris. Il se dépêchait, en effet, d’aller
prendre les ordres du Président de la République. Même s’il détestait.
Roselyne Camelot lui tomba dessus à la renverse et de tout son poids. Le
pauvre Manuel, bien plus frêle, bascula à son tour en arrière, et il s’écrasa
sur la boîte de seringues prêtes à l’emploi et aiguilles en l’air, que Caroline
avait déposée sur le siège en vis-à-vis, de l’autre côté de l’allée.
Les aiguilles de dix centimètres lui pénétrèrent dans les deux
fesses d’un seul coup. Et sous le poids des deux personnes affalées l’une
72
« Monsieur le Président nous n’avons plus de jus de tomate,
annonça Roselyne d’un ton lugubre. Et tout le monde m’en réclame. Pour
une fois. Il va nous falloir attendre d’arriver à Paris pour pouvoir nous
nettoyer.
— Pas question, c’est trop pénible. De plus, ajouta le président,
avec vos satanées piqûres, je suis dans l’incapacité de m’asseoir. J’ai les
fesses en feu. Et il nous faut nous débarrasser d’urgence de cette puanteur.
— Oui, mais… la plus belle fille du monde, même moi, je ne peux
pas le pondre, le jus de tomate. Si ça ne vous ennuie pas, je dois m’occuper
de tous vos passagers.
— Bon, je vais réfléchir.
— C’est ça… Réfléchissez…»
Roselyne Camelot lui conseilla cependant d’aller s’installer à plat
ventre sur le grand lit de sa chambre présidentielle, puis continua à
prendre les choses en main à bord de l’Airbus.
« Bon, dit-elle d’un air enjoué aux différents passagers. Nous
n’avons plus de jus de tomate, mais j’ai de quoi vous prémunir contre tous
les mauvais virus et infections possibles. J’ai tout là-dedans : coqueluche,
grippes aviaires et porcines, hépatites A, B, C, D, E, F, variole, syphilis,
grippe normale, tuberculose, oreillons, rougeole, varicelle, tétanos, fièvre
jaune, j’en passe et des meilleures. Et bien entendu, les antibiotiques les
plus puissants du monde. Allez, allez, tout le monde à la queue leu leu.
Mamie Roselyne va s’occuper de vous. »
Devant le peu d’enthousiasme des passagers, elle s’adressa alors
au Garde des Sots, Christiane Tobago pour lui faire remarquer qu’il était
urgent de soigner sa petite morsure de mouffette à l’oreille.
57
mouffette ? Mais, mais… Ce n’est pas normal, ça. C’est dangereux, ça. Je
n’aime que ce qui est normal. Alors il hurla : « A moi la Gaaarde! »
Un des gardes du corps qui s’était déjà levé de son siège, et s’était
avancé en raison des hurlements, se trouva face à une autre mouffette
surgie dans l’allée centrale. Violette n’attendit pas et projeta son fluide
puant sur le factionnaire à cinq mètres de distance. Pssssshhhhiiiiiiitttt !
Quant à Fleur, qui se trouvait encore sur les genoux du président,
il sauta sur le dossier du siège et leva la queue.
« Non, supplia Séraphin Porcinet, qui avait compris ce qui allait
se passer. Non ! Moi, président, pas ça ! Non ! Gentille mouffette… Non !
Non ! Gentille ! Pas ça ! Non ! NON ! NOOOOOON !
HAAAAAAA ! »
Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !
Fleur ne manquait jamais sa cible, mais là, il se surpassa. Dans un
vaste mouvement de balayage de haut en bas, il aspergea le président des
yeux aux genoux, jusque dans la bouche. Copieusement. Le plus absolu
des outrages à Président. Celui-ci crut défaillir sous l’odeur épouvantable
et se mit aussitôt à vomir dans le petit sac « en cas de … ». Il hurla, tant
l’odeur le prenait à la gorge. Il s’interdisait de respirer. C’était affreux. Il
se leva en glapissant et marcha sur la queue de Marguerite. Erreur fatale !
La mouffette ne le loupa pas, et le Premier Magistrat de France reçut une
nouvelle rasade de liquide puant.
Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !
Après celle du papa, celle de la maman. Ce n’était que justice. Il
ne manquait plus que les enfants ! Sur fond de drapeau rose.
58
Il avança en titubant dans la coursive. Il fallait trouver un moyen
de respirer… C’était trop horrible ! Même quand il n’était pas en France, il
ne lui arrivait que des tuiles… Le lendemain de son élection, son avion
avait été frappé par la foudre. Et maintenant, envahi par des mouffettes.
Mais qu’est qu’il avait fait au bon Dieu ?
Dire qu’il en était encore à se poser la question…
Valérie Tiergarten s’approcha de lui. Elle se tenait le nez dans un
mouchoir et n’avait pas l’air bien. Elle huma un peu l’arôme de son
compagnon, et lui dit doucement : « Séraphin, vous puez comme pas
possible…
— Vous aussi mon amie… »
Sur cet échange d’amabilités, il chercha à en savoir un peu plus
sur ce qui se passait.
Plusieurs rangées vers l’arrière, la seconde femec-hôtesse de l’air
contemplait la scène avec beaucoup d’attention et de calme. Non sans
commencer à se pincer le nez…
« Que se passe-t-il, lui demanda alors la ministre Christiane
Tobago alors qu’elle repassait devant son siège avec son chariot…
— Et bien… Je crois que je vais rapidement écouler mon jus de
tomate. Nous sommes envahis par des mouffettes.
— Des quoi ?
— Des mouffettes… Vous savez, des sconses. Ils vous envoient
un truc qui pue comme pas possible.
— Des mouffettes ? Mais pourquoi des mouffettes ? Que font des
mouffettes dans notre avion ?
71
Lui aussi, était passé par la case mouffette et enfouissait son nez
dans un grand mouchoir. Même sa valise puait.
« Dans un quart d’heure, estima la chef-hôtesse. Au pire une
demi-heure.
— C’est trop, dit l’attaché. Il faut disponibilité permanente.
N’importe qui peut menacer la France et à tout moment…
— Preuve qu’il faut sortir du nucléaire, commenta Cécile Duvent.
— Alors je vais le réveiller de suite, répondit Roselyne. Nous
avons des moyens… »
Et Roselyne, après avoir délicatement retiré les dix-huit seringues
du derrière présidentiel, prépara une nouvelle piqûre de sa composition.
Ce ne fut pas sans un nouveau grand hurlement de douleur, mais
le président fut effectivement réveillé sur le champ. Ce devait être un
remède de cheval que lui injecta Roselyne.
C’est à ce moment-là que l’humaniste Pierre Lebon-Berger sortit
de l’infirmerie. Son costume était toujours impeccable, son visage
impassible, et le parfum qui caractérisait tant les passagers de l’Airbus
présidentiel semblait s’être un peu dissipé. Il n’avait pas l’air, non plus,
d’avoir été incommodé par les turbulences. Il partit se rasseoir de son pas
minutieux. Il ne dit pas un mot, ne regarda personne. Au moins ne
réclama-t-il pas de nouvelles têtes, celle du pilote, par exemple. Ouf !
Caroline fila dans l’infirmerie et constata que toutes les boîtes de
jus de tomate prélevées dans le chariot et dans l’office avaient été utilisées.
Elle fit son rapport à Roselyne qui lui demanda alors de retourner
chercher deux autres boîtes de seringues.
Celle-ci s’adressa alors au président.
70
— Pardon Monsieur le Président, pardon, répétait Roselyne qui
s’empressa de retirer le carton du siège. »
Troisième turbulence. Plus violente que les autres. Séraphin
Porcinet fut à nouveau projeté assis sur son siège. Les pistons des dix-huit
seringues intramusculaires s’enfoncèrent inexorablement, injectant une
quantité importante de liquide dans son présidentiel derrière.
« HAAAAAAAAAAAAAAAAA ! » Cela semblait douloureux…
Le cri de frayeur de Roselyne suivit le cri du président.
Séraphin Porcinet tourna alors de l’œil et glissa entre les sièges,
au grand dam de Valérie qui tenta de le retenir…
Heureusement, les turbulences cessèrent bientôt et le pilote
annonça la fin de l’alerte.
Mais tout le monde s’inquiéta quelque peu pour la santé du
président.
Valérie Tiergarten tapait frénétiquement sur les mains de son
ami. « Séraphinou, Séraphinou, réveille-toi, réveille-toi… »
Puis elle regarda Roselyne Camelot et lança :
« Vous l’avez tué, vous avez tué Séraphin…
— Normal, commenta intelligemment Noël Maparendeux, c’est
une femme de Droite…
— Mais non, répondit Roselyne toujours de sa voix chaude et
rassurante, et sans relever la remarque subtile de l’autre, ce n’est pas
grave. Il sera bien désinfecté et se réveillera vite.
— Vous êtes sûre ? », demanda alors l’attaché militaire chargé des
codes nucléaires.
59
— Je ne sais pas pourquoi, mais je sais ce qu’elles font. Elles
vaporisent, et elles parfument. Nous devrions faire attention et ne pas les
déranger. Le mieux serait peut-être de nous replier vers l’arrière. Ou aller
dans l’infirmerie. Filons vite.
— Dites, vous parlez le français sans accent pour une
Ukrainienne, remarqua Christiane en se levant.
— Je suis française. Je m’appelle Caroline. Attention, ne bougez
plus, en voilà une… »
Un petit animal arriva en sautillant. Il passa sous le chariot et se
trouva face à la ministre. Il leva la queue. Vivement, Caroline s’interposa
courageusement en se tournant, et reçut le jet à la place de Christiane
Tobago. Elle poussa un cri de dégoût. Puis la mouffette renifla un peu
autour d’elle, et s’élança dans un des cabinets de toilette, celui des
femmes. Sans doute quelque besoin urgent. Caroline bondit, et claqua la
porte.
« Une de moins, lança-t-elle. »
Puis elle chercha un mouchoir dans son sac. L’odeur avait
vraiment de quoi faire défaillir.
« Pourquoi avez-vous fait ça, demanda alors Christiane Tobago ?
— Enfermer la mouffette ?
— Non, prendre son jet à ma place… »
Caroline, de derrière son mouchoir, lui lança un regard appuyé.
« J’ai beau avoir les seins à l’air, j’ai des principes. Je respecte une
dame plus âgée que moi. Même si je n’approuve pas ce qu’elle fait… Je
vous dirai pourquoi. Mais vraiment, c’est horrible, ça pue…»
60
Arriva sur ces entrefaites, le vil, l’ignoble, l’infâme Manuel
Iznogaz, plus furieux que jamais. Il était livide et dégageait une odeur à
disperser une manifestation d’un million de factieux. Il tomba en arrêt
devant Christiane Tobago qui se pinça le nez.
« Dites, vous êtes bien la seule à ne pas puer ici, lui dit-il sans
aménité. Vous ne seriez pas un peu de mèche avec les terroristes qui ont
introduit ces sconses dans cet avion ?
— Mais je vous en prie, ce n’est pas parce que vous puez comme pas
possible, qu’il faut me parler comme ça. Et je ne vous permets pas de tels
soupçons !
— Mouais… On connaît votre bienveillance avec les délinquants.
Avouez que vous ne m’aimez pas.
— Mais allez donc vous nettoyer, vous êtes inapprochable,
Monsieur Iznogaz. »
Ils n’ont pas l’air de s’aimer ces deux-là, pensa Caroline. L’un qui fait
semblant d’arrêter les malfrats, et l’autre qui fait semblant de les
condamner. Manuel Iznogaz lui paraissait de plus en plus antipathique,
d’autant qu’il continuait à matraquer tout le monde de propos
désagréables. Haussant les épaules, elle prit un peu de jus de tomate et
commença à se nettoyer avec. Elle tendit également un jus de tomate au
Ministre de l’Intérieur qui se dirigea vers les toilettes des hommes. Là, une
idée espiègle jaillit soudain dans le cerveau de la jeune femec.
« Monsieur le Ministre, cria-t-elle. Nous avons un problème
technique dans les toilettes hommes. Prenez donc celles des femmes… »
Christiane Tobago lui lança un regard incrédule, mais elle ne dit
rien…
69
Comme ils sentaient aussi mauvais l’un que l’autre, ils ne se gênaient pas
vraiment.
« Monsieur le Président, je commence par vous, annonça
Roselyne. Il faut vous désinfecter. Levez-vous je vous prie. »
Séraphin Porcinet se leva docilement. On ne refuse rien au corps
médical, surtout lorsque celui-ci est représenté par une hôtesse de l’air…
C’est à ce moment-là que le haut-parleur de la cabine se fit
entendre. Le pilote annonçait : « Attention, turbulences, tout le monde à vos
sièges. Attachez vos ceintures.»
Turbulences
Les témoins lumineux de ceintures de la cabine de l’Airbus A330
s’allumèrent. Aussitôt, il y eut un premier mouvement violent de
l’appareil. Déséquilibrée, Roselyne Camelot n’eut pas d’autre choix que de
poser son carton de piqûres prêtes à l’action, aiguilles en l’air, sur l’assise
du premier siège venu. Mais c’était précisément celui du Président de la
République… Elle se cramponna à un dossier, puis voulut reprendre la
boîte. Avant même que Séraphin Porcinet n’eut le temps de se glisser dans
l’allée, une autre turbulence de grande violence se fit sentir. Le président
retomba lourdement assis… sur les dix-huit aiguilles dressées en l’air.
« HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! » Il hurla et se
releva d’un coup. Les seringues restaient plantées dans son pantalon, et
pas seulement dans le pantalon…
« HAAAAAAAAA ! » Il avait l’air de souffrir quelque peu.
« Mais enlevez-moi ça, hurla-t-il.
68
pour lui. Pendant toute une neuvaine pour commencer. Discrètement,
parce que s’il savait, il en aurait une attaque, et ce n’était pas le but. Il faut
lui donner le temps… Il aura sans doute besoin de pas mal de neuvaines.
Et en outre, il pourrait porter plainte ! Prier pour quelqu’un sans son
consentement, c’est grave ! Si ça marchait, on ne sait jamais…
On entendit alors des coups violents, suivis d’un cri bref. Puis
plus rien. Le milliardaire humaniste sortit bientôt de la cuisine en portant
tout un carton de boîtes, et se dirigea vers l’infirmerie. C’était évident qu’il
avait encore reçu une bonne giclée de mouffette, et c’est non sans dégager
certains effluves qu’il passa devant le groupe. Il n’avait pourtant pas l’air
incommodé. Il s’enferma dans l’infirmerie.
« Il a encore de l’odorat demanda timidement Caroline ?
— Bien sûr répondit Roselyne. Il fallait voir comme il humait mes
boissons tout à l’heure… »
Tout le monde resta silencieux.
Ce fut Roselyne Camelot, très boute-en-train, qui à nouveau,
rompit la glace, si on peut s’exprimer ainsi.
« Bon, les amis, il ne faut pas se laisser abattre. C’est bizarre,
maintenant tout le monde en veut de mon jus de tomate. Mais nous n’en
avons plus. Heureusement, j’ai mes piqûres. Il faut se désinfecter et se
prémunir contre toutes les misères qu’ont pu vous donner ces petites
bêtes. »
Suivie du petit groupe, elle remonta l’allée en portant un carton
de seringues toutes prêtes, aiguilles en l’air, et arriva vers le président
Séraphin Porcinet. Il était assis à côté de Valérie, en train de la consoler.
61
Manuel Iznogaz entra alors vivement dans la cabine qu’elle lui
désignait, tira la porte et ferma le verrou. Dans les avions, on est toujours
assez sensible aux « problèmes techniques », et on ne se pose pas de
question.
On entendit bientôt un bruit de verrou manœuvré en mode
panique, puis une voix étouffée : « Non, non, non, NON !
HAAAAAAAA ! Salope !»
Manuel Iznogaz sortit furieux. Il dégoulinait d’urine de
mouffette, mais bras tendus, il tenait son agresseur par le cou en prenant
bien soin de braquer le ventre de l’animal loin de lui.
Christiane Tobago ne put s’empêcher d’éclater de rire devant la
mine déconfite de son rival. Lourde erreur. On ne se moque impunément
du ministre de toutes les Polices, surtout lorsqu’il s’agit du vil, infâme et
ignoble Manuel Iznogaz.
Furieux, celui-ci lança donc la mouffette dans les bras de
Christiane Tobago. L’animal, affolé, s’agrippa au chemisier de la ministre,
lui mordit l’oreille droite, puis sauta sur le dossier du siège. Une longue
rasade transforma Christiane Tobago en cascade de jus de mouffette.
Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !
« Non, mais ça ne va pas, cria Caroline ? Vous n’allez pas vous
battre en duel à coup de mouffettes ?
— Oh ! Vous, la poule à poil, ne vous mêlez pas de ça, hurla
Manuel Iznogaz. »
Il recula sous le choc de la gifle que lui envoya Caroline.
62
Mais le ministre en avait assez de se faire baffer par les femmes,
et hurla en pointant un doigt vengeur vers la jeune fille.
« Préfet ! Mettez cette femme en garde à vue. Tout de suite ! Je la
soupçonne d’avoir introduit les mouffettes dans notre avion. C’est une
terroriste.
— Mais pas question, intervint Christiane. C’est vous qui êtes un
malotru…
— Allons, allons, du calme, du calme… La situation est tendue,
chacun est un peu à cran, je vais vous arranger ça.»
C’était Roselyne Camelot qui arrivait et qui essayait de mettre un
peu d’ordre de sa voix chaude et grave. Non sans ruisseler d’une certaine
substance, ni dégager une certaine odeur…
« Vous avez été mordue par cet animal, dit-elle à Christiane. Une
petite piqûre, et tout ira mieux. Il faut éviter les infections. Et on se calme,
j’apporte du jus de tomate. Caroline, allez chercher les stocks dans l’office.
— Mais pas du tout, s’interposa Manuel Iznogaz. Je veux faire
arrêter cette… cette… cette militante d’extrême-droite. »
Un peu excédée, Roselyne saisit une seringue et la planta dans le
derrière du ministre de l’Intérieur. La fesse qui n’avait pas déjà été piquée.
Il poussa un cri atroce.
« Ça vous calmera, et vous avez touché un animal. Vous risquez
l’infection. »
« Attention, une autre mouffette », avertit alors le Préfet de
Police, qui s’essuyait le visage, on se demande pourquoi.
67
volonté de défendre l’humain contre l’idéologie. Plus rien ne serait
comme avant, et les petites insultes venues de l’adversaire, et destinées à
les diviser et les affaiblir, ne les touchaient plus. Cela Rigide Fardot, pas
plus que Manuel Iznogaz ne semblait l’avoir compris. Pour l’une, c’était
dommage, pour l’autre, c’était tant mieux.
La voix glacée du milliardaire ramena brusquement Caroline à la
réalité immédiate.
« Abattez-les, et arrêtez-la ! », répéta Lebon-Berger à plusieurs
reprises.
Il se tourna vers Roselyne et lui demanda tout en montrant ses
boîtes de jus de tomate :
« Y en a -t-il encore ?
— Oui, Monsieur Lebon-Berger. A l’office, mais il en faudrait
pour tout le monde…
— Pour un beau costume, il faut beaucoup de jus », répondit-il
dans un souffle.
Il se tut. Puis, toujours imperturbable, le vieil homme partit vers
l’office. Personne ne l’avertit…
Celui-là, pensa Caroline, s’il tombait dans la baie du Saint-
Laurent, ce n’est pas lui qui ferait fondre les icebergs… Et ce n’est pas moi
qui pleurerais, pour paraphraser ses propres tweets et retweets… Ils ne
doivent pas rigoler tous les jours, les pauvres journalistes du quotidien Le
Monstre… Ils sont bien surveillés…
Ensuite, elle regretta un peu sa pensée. Elle se dit qu’il faudrait
qu’elle prie pour cet homme, pour sa conversion. Elle réciterait le chapelet
66
Et c’est alors, que pendant que l’on gazait ces personnes, Rigide
Fardot n’avait rien trouvé de mieux que de condamner au micro les
« débordements et la radicalisation » de certains. Elle avait même lâché
des compagnons et compagnes de la première heure. Prête à les livrer aux
hommes de Manuel Iznogaz.
Erreur fatale ! Peut-on suivre un général qui abandonne ses
troupes en rase campagne ? Dès cette heure, Caroline, à l’instar de
centaines de milliers de Français, n’avait plus écouté Rigide. Ce qui
n’empêchait pas qu’elle condamnait les attaques injustes dont elle pouvait
encore faire l’objet, car il y avait des rancunes tenaces contre celle qui avait
eu tant de bonnes idées pour contrarier les projets du président Porcinet.
Du coup, comprenant qu’elle ne pouvait plus diriger la Manif
pour Tous, Rigide Fardot s’en était éloignée. Mais contrairement à ce
qu’affirmait Iznogaz, elle continuait à faire partie des composantes qui
luttaient contre le régime porcinien.
Par contre, issue du monde du show-biz et des médias, elle restait
toujours archi-sensible aux méthodes éculées de diabolisation utilisées par
tous ceux qui ne savaient pas opposer de vrais arguments.
Or, si la Manif pour Tous avait changé quelque chose, c’était bien
ça. Les manifestants de toutes origines et de toutes opinions s’y étaient
enfin côtoyés pour se battre sur l’essentiel. Et ils avaient jeté aux orties
toute espèce d’étiquettes. Ce qui comptait, c’était l’union des cœurs et
l’objectif commun. Pris dans les nuées de gaz, sous les coups de
matraques, dans les mêmes paniers à salade, le GAV-bus, et dans les
mêmes salles de garde-à-vue, ils avaient appris à se connaître. Ils avaient
tous en commun le refus de casser, de porter atteinte aux biens et aux
personnes, mais aussi la même colère d’être méprisés et ignorés, et la
63
Il venait de recevoir une nouvelle rasade dans la tronche et
rajustait dignement sa casquette.
Assez contente d’elle, Marguerite passa en trombe et continua sa
course, dépassant le groupe d’humains. Elle sentit alors une odeur de
fruits, venant de l’office.
« Chic, se dit-elle, nous allons pouvoir magasiner un peu… Des
canneberges. » Elle dépassa également Caroline et fila droit vers le local en
question. Caroline jugea prudent de se contenter de distribuer les stocks
de son chariot, sans se rendre à l’office...
Souvenir qui passe
Arriva alors l’humaniste Pierre Lebon-Berger. Lui-aussi avait l’air
d’avoir reçu une bonne giclée, mais marchait avec raideur dans son
costume impeccable, comme si de rien n’était. Le visage totalement
inexpressif du vieux milliardaire ne permettait pas de savoir s’il était
incommodé ou non par l’odeur. Et pourtant, il dégageait le même parfum
subtil que les autres. Sans dire un mot et sans ménagement, il écarta
Caroline, se baissa devant le chariot et ramassa la totalité du stock de jus
de tomate. Il se releva, puis se dirigea vers Manuel Iznogaz. D’une voix
faible mais terriblement ferme, il lui lança :
« Abattez ces animaux !
— Mais dit Manuel, nous ne pouvons tirer dans cet avion.
— Abattez-les, c’est un ordre.
— C’est dangereux, on ne peut…
64
— Ils m’ont visé. Un sconse, une balle. Une famille de sconses, une
rafale.
— Monsieur…
— ABATTEZ-LES ! Et une fois à Paris, faites arrêter Rigide
Fardot. C’est elle, la cause de tout ça. Arrêtez Rigide Fardot.»
Caroline frémit devant le regard de l’homme. Même Manuel
Iznogaz semblait décontenancé par cette haine persistante vis-à-vis de
l’ancienne porte-parole de la Manif pour Tous.
Puis il se reprit et ajouta :
« Mais, Monsieur Lebon-Berger, sachez que j’ai maintenant
d’assez bonnes relations avec cette personne, et… il n’est pas question de
l’arrêter. Elle a certes été notre adversaire, mais aujourd’hui, je l’ai bien
piégée, et malgré elle, elle est un allié objectif dans notre stratégie de
diabolisation et de fragmentation de l’ennemi. Je ne la ferai pas arrêter.»
Caroline secoua discrètement la tête. Le ministre de la Police se
vantait, c’était évident, mais ce n’était pas complètement faux. Elle avait
souvent noté combien Rigide Fardot, malgré son rôle important dans le
lancement du mouvement anti loi Tobago, et malgré son indéniable
courage personnel, semblait désormais surtout obnubilée par une
prétendue infiltration par « l’extrême-droite », ou par « l’homophobie » ou
par des « éléments violents », dès lors qu’il s’agissait de groupes qu’elle
ne contrôlait pas elle-même… Répétant en cela les incantations des amis
de Manuel Iznogaz. Cela faisait de la peine à Caroline, car Rigide s’était
vraiment engagée, et avait eu de très bonnes intuitions… Au début, elle
avait fort bien su brouiller les pistes et perturber les journalistes, en
mettant en avant ses allures fantasques et déjantées ainsi que ses amis
homos et gauchos. Les journalistes, habitués aux stéréotypes et dépourvus
65
d’imagination, n’avaient pas su comment la diaboliser avant que son
mouvement ne prenne de l’importance. Puis, elle s’était « pris les pieds
dans le tapis » de ses propres embrouilles, en jouant plus ou moins
consciemment le jeu de Manuel Iznogaz, qui n’était pas vil, ignoble et
infâme pour rien.
Par exemple, lors d’une des manifs du printemps, les Champs
Elysées avaient été interdits par la Préfecture de Police. Et le dispositif
policier prévu pour cent mille personnes. Le million de manifestants fut
largement dépassé. La foule ne savait où se mettre. Paniquées,
volontairement mal commandées, certaines unités de police avaient
commencé à gazer les têtes de cortèges dès le début de l’après-midi. Puis,
la manifestation s’approchant de son terme, coup monté ou pas, les
barrages s’étaient ouverts, et plusieurs milliers de personnes s’étaient
aventurées sur les Champs. C’étaient des familles qui ne cherchaient
qu’une issue pour quitter les lieux, ou alors des jeunes, indignés par tant
de mépris de la part du régime, et ravis de pouvoir rejoindre cette avenue
emblématique. Tous s’étaient retrouvés face aux robocops d’Iznogaz. Et la
nasse se referma. Ce fut le gazage général. Les jeunes, les vieux, les
enfants. Ceux qui criaient, et ceux qui ne criaient pas. Pas de détail.
Caroline y était. Elle avait pris plein les yeux et les bronches d’une sorte
de gel irritant qui colle aux muqueuses. Bien pire qu’un simple gaz
lacrymogène, un produit incapacitant dérivé des gaz de combats. Puis,
l’ignoble, vil et infâme ministre de l’Intérieur, Manuel Iznogaz, surnommé
depuis Manu le Chimique, Chemical Manu, ou tout simplement Manuel Gaz,
avait parlé de « débordements », de « violences » et « d’extrémistes ».
Relayé par les médias collaborationnistes du régime. C'est-à-dire presque
tous. C’était son jeu. Justifier la répression par le fantasme de « l’Extrême
Droite » qui menacerait les institutions.
106
« Il faut remonter, de suite, vite, vite, vite !
— Pleins gaz ! »
Les deux hommes, tout en s’essuyant le visage se penchèrent vers
leurs commandes. Le pilote tira doucement le manche, tandis que le
commandant poussa à fond les manettes de puissance des deux moteurs.
Se redressant instantanément, après s’être approché à cinquante pieds
d’altitude du bout de piste, le gros appareil reprit un peu de vitesse à cent
quatre-vingt nœuds, puis accéléra et passa à deux cent dix nœuds dans le
grondement de ses moteurs crachant des tonnes de gaz de combustion.
« On refait un tour, dit le Commandant Léger à son compagnon.
Repère cette putain de bestiole et appelle un type du service de sécurité.
Elle était avec nous la sixième mouffette ! Je vais l’étrangler !
— Je m’en occupe. Tiens, je la vois, elle se cache sous la console
radar arrière. Garce ! Et ça pue comme pas possible ! »
« COTAM triple-zéro-un, nous avons eu un incident à bord. Nous
devons refaire une présentation pour atterrir.
— Stanfield Control. Compris. Attention aux bernaches. Vous volez
dans leur direction. Virez vers la gauche !
— Reçu Stanfield. »
Le pilote s’essuya le visage de la manche. Soudain, un bip répété
se fit entendre. Le radar de balayage. Déclenchement de l’anticollision !!!
« Merde les oies… »
Une formation serrée de ces gros oiseaux apparaissait maintenant
sur le radar et… là ! Devant le pare-brise !
79
— Terre-Neuve ? demanda le président Séraphin Porcinet. N’est-
ce pas un territoire d’Outre-Mer français ? »
Le commandant tiqua. Il savait que Séraphin Porcinet ne se
distinguait pas particulièrement par une aisance reconnue en
géographie… A la télévision, il avait déjà confondu Chine et Japon,
Tunisie et Egypte et avait parlé de la « Macédonie ». Il resta néanmoins poli
et professionnel.
« Non Monsieur le Président. Il y a tout juste les petites îles de
Saint-Pierre et de Miquelon qui sont un département d’Outre-mer. Mais
Terre-Neuve s’appelle Newfoundland, c’est une province canadienne
anglophone faiblement peuplée. Discrétion assurée.
— Bien, bien. Posons-nous donc à… Gender…
— Gander, monsieur le Président, Gander, répondit le
commandant. Je vais demander un atterrissage en urgence.
— En urgence ? Surtout ne prenez pas de risque…
— Non, Monsieur le Président. »
C’est alors qu’ils furent interrompus par Cécile Duvent qui était
restée dans un coin de la pièce.
« Monsieur le Président, vous ne pouvez pas faire ça, c’est trop
grave.
— Qu’est ce qui est grave ?
— Les mouffettes.
— Encore les mouffettes ? Vous commencez à me courir avec ces
mouffettes. On dirait que ce sont les mouffettes qui tiennent l’agenda de la
Présidence de la République.
80
— Je sais Monsieur le Président. Mais vous ne pouvez faire cela,
car vous allez tout droit à un désastre écologique. Il n’y a pas de mouffette
à Terre-Neuve. Imaginez que l’une d’elle ne s’échappe !
— Et cela fera une mouffette à Terre-Neuve. Elle n’ira pas plus
loin !
— Mais c’est horrible ce que vous dites ! Vous allez avoir des
ennuis avec le gouvernement canadien. Apporter des mouffettes à Terre-
Neuve ! Vous n’y pensez-pas.
— Elles ne se sauveront pas. C’est une promesse de Président…
— Qu’en savez-vous ? Vous ne devez pas vous poser à Terre-
Neuve.
— Bon, bon, dit le président, qui n’avait qu’une envie, se
débarrasser de l’encombrante écologiste qu’il aurait bien volontiers
débarquée à Terre-Neuve au risque d’un désastre écologique sans
précédent. Après celle de se débarrasser des mouffettes, bien sûr. Vous
avez une idée Commandant ?
— Et bien, oui. Nous pouvons rebrousser partiellement chemin,
et nous poser à Halifax, la capitale de Nova-Scotia, la Nouvelle-Ecosse. Il y
a des mouffettes, et la province est anglophone. Discrétion assurée
également. C’est une possibilité.
— Et bien va pour la Nouvelle-Ecosse. Je viens au moins
d’apprendre qu’il y a une Nouvelle-Ecosse en plus de l’ancienne, et
qu’elle admet les mouffettes.»
On frappa alors à la porte. Des hommes du service de sécurité,
accompagnée d’une hôtesse, Caroline, transportaient le Ministre de
l’Intérieur et le Préfet de Police de Paris, toujours endormis. Ils les
105
— Merde ! », cria le commandant de bord.
La bête donna un coup de rein et bondit sur la console centrale.
« Quoi ? » éructa l’homme en tournant la tête.
La petite mouffette le fixait avec impertinence. Elle portait une
marque rouge de lèvres sur le sommet blanc de son crâne.
Coquelicot avait peur. Elle s’était fait tirer par la queue, et cela lui
était désagréable. Elle était repérée. Il fallait agir. Vite !
Cent pieds, afficha l’altimètre. La mouffette leva la queue et
envoya un jet sur le commandant de bord.
Psssssshhhhhiiiiiitttt !
« Salope ! »
Le Commandant Léger mit la main sur les yeux.
Le pilote tourna alors la tête. Juste pour recevoir, lui-aussi une
rasade en plein visage.
Psssssshhhhhiiiiiitttt !
« HAAAAAAAA ! Sale bête de sale bête ! »
Les deux pilotes étaient maintenant aveuglés. La mouffette sauta
vers l’arrière du poste de pilotage.
Soixante-dix pieds.
L’Airbus continuait à descendre vers la piste, mais sans relever
son nez.
Incapable de voir, le pilote comprit qu’ils ne pourraient pas se
poser. Et c’était trop tard pour actionner un quelconque système
automatique.
104
« Stanfield à COTAM triple-zéro-un. Atterrissage autorisé. Vents dans
l’axe pour 8 nœuds. Attention, on signale quelques vols de bernaches se
rassemblant sur les lacs. Ils peuvent gêner votre approche. »
« Des bernaches ! Les oies sauvages du Canada. Après les
mouffettes, il ne manquait plus que ça, grommela le pilote.
— Je garde l’œil sur le radar météo, répondit le commandant de
bord, flegmatique. »
Les trains furent sortis. Le nez de l’Airbus piquait légèrement en
direction de la piste apparaissant loin devant le pare-brise, vers le nord-
nord-est. Bien que non prévu au programme, cet atterrissage était
complètement routinier. Les deux hommes s’affairaient en surveillant les
différents paramètres. Un vol de bernaches fut signalé venant de l’ouest,
mais il devait passer plus au nord que la piste. Le commandant de bord
nota néanmoins que l’écho laissait penser à un vol assez dense de ces
oiseaux.
La piste approchait. Le niveau des mille pieds fut franchi. La
vitesse passa en dessous des deux cents nœuds. Tout allait bien.
Le pilote déconnecta le pilote automatique et prit la main sur les
commandes. Le commandant de bord, tout à la surveillance de ses
instruments, se détendit et laissa pendre sa main gauche le long du siège.
Il sentit alors quelque chose de doux, et soyeux, et un peu chaud. Tout en
gardant le regard posé sur l’indicateur d’assiette de l’appareil, et un peu
distraitement, il referma ses doigts sur… Cela lui rappela son chat… Il
tira. Puis regarda. Il tenait dans sa main une queue. Une queue noire avec
deux rayures blanches.
« Trois cents pieds, dit le pilote. On y va…
81
déposèrent, à plat ventre, côte à côte, en travers du lit présidentiel.
Séraphin Porcinet n’eut pas l’air très content, d’autant que Manuel
Iznogaz ronflait comme deux turboréacteurs General Electric, et le Préfet
de Police tout autant. A eux deux, ils pouvaient motoriser un Airbus
A340 quadriréacteur! Néanmoins, il s’allongea lui-aussi dans la même
position. Entre gens qui puent, on se comprend…
Caroline apprécia : « Une belle brochette », se dit-elle.
« Dommage que la caméra cachée ne puisse capturer aussi les odeurs. »
Cécile Duvent, toujours le nez dans son mouchoir, sortit alors,
satisfaite des promesses présidentielles qui, comme chacun sait, sont
toujours tenues.
Le commandant de bord emprunta la coursive latérale et s’en
retourna dans le poste de pilotage.
Il appela aussitôt :
« Halifax Stanfield Control, Halifax Stanfield Control, de COTAM
triple-zéro-un. Mayday, Mayday, Mayday. Demandons autorisation
d’atterrissage en urgence.
— COTAM triple-zéro-un, de Halifax Stanfield Control, nous vous
écoutons.
— Halifax Stanfield Control, we’ve got a problem. We need
emergency landing at Halifax Stanfield Airport
— COTAM triple-zero-one, what’s your problem?
— Halifax Stanfield Control, terrorists on board. Skunks.
— COTAM triple- zero-one, skunks? You’re kidding?
82
— No kidding Halifax Stanfield Control, our President needs
emergency landing. Many members of our government attacked by
skunks and are sick.
— COTAM triple-zéro-un, de Halifax Stanfield Control, Roger. Vous
êtes numéro 1 à l’atterrissage. Piste 05. Venez niveau 290. »
L’Airbus A330 s’inclina largement sur la droite et vira sud-ouest
en direction de la Nouvelle-Ecosse. Après quelques minutes, il piqua
doucement pour atteindre le niveau de vol demandé par Halifax Stanfield
Control.
« Ici le commandant. Veuillez prendre place dans vos sièges. Nous nous
rendons à l’aéroport d’Halifax en Nouvelle-Ecosse. Nous y serons dans trente-
cinq minutes. On vient de m’informer que cinq des mouffettes ont pu être
repoussées victorieusement par nos troupes, et enfermées dans la grande salle de
réunion. N’y allez surtout pas. Mais il en manque encore une qui reste
introuvable. Si vous la repérez, signalez-le immédiatement à l’équipage ou aux
hommes de sécurité.»
Hormis le ronronnement des moteurs, bien assourdi, et celui du
Ministère de l’Intérieur dans la pièce voisine, le silence régnait dans la
grande salle de réunion située juste à l’arrière de la chambre
présidentielle. Blottis sous la table, cinq petits animaux noirs et blancs
restaient serrés les uns contre les autres.
« Tabarnak de tabarnak, impossible de sortir de cette maudite
cabane. Pas de porte, pas de fenêtre…
— Fleur, votre langage !
— Oui mon amour. Mais reconnaissez, Marguerite, que je ne sais
plus quoi faire. Enfin, je suis content de vous tous. Vous vous êtes battus
comme des carcajous.
103
nous ne sommes pas si loin que ça, l’une de l’autre. Peut-être pourrions-
nous un jour travailler ensemble pour le Bien Commun. J’ai le droit de
faire un rêve ? Et si vous m’accompagniez un jour dans une soirée de
Veilleurs ? Incognito. Nous y préparons l’avenir. »
Tout en tirant une mine de trois kilomètres, la bouche crispée,
perturbée par l’audace de la jeune fille, mais aussi sa cohérence, la
ministre commença néanmoins la lecture du texte que venait de lui tendre
Caroline. Peu à peu, elle parut intéressée…
(Annexe : Et maintenant ? Dans le sillage de la grande
manifestation.).
A-330 en péril
« Ici le commandant. Nous approchons d’Halifax. Atterrissage dans
cinq minutes. Attachez vos ceintures. »
Les trois hôtesses firent un tour rapide afin de vérifier que tout
allait bien. Caroline ferma un ou deux placards, tandis que Roselyne se
rendit dans la chambre présidentielle pour y sangler ses « patients ».
La côte est de la Nouvelle-Ecosse, rocheuse et découpée apparut.
Puis le fjord profond le long duquel la ville portuaire d’Halifax était bâtie.
Par le hublot, Caroline aperçut la citadelle qui dominait la cité. L’avion
s’inclina doucement et vira vers la droite. Au-delà des zones d’habitation,
lacs et forêts se succédaient dans l’éclat du soleil de cette fin d’après-midi.
L’A330 présidentiel poursuivit sa descente dans l’axe de la piste
05 de Stanfield Airport. Les volets furent déployés.
102
— La preuve que le système libéral-libertaire s’effondre, c’est que
vous êtes obligés de vous radicaliser et de pervertir la démocratie pour
tenter de le sauver. Vous ne le sauverez pas. On se charge de faire sauter
vos rustines.
— Et pourquoi dites-vous que c’est notre système ?
— Parce que le fond du problème n’est pas lié aux mœurs, mais à
l’économie, source de la richesse et du pouvoir. Je vous l’ai déjà dit. C’est
votre oligarchie qui a organisé ce système économique, dont vous, les
politiques, êtes les garants. Les mœurs ne sont que le lot de consolation
que vous jetez aux peuples opprimés pour les anesthésier.
— Je vous mets au défi de définir ce système, que vous appelez
libéral-libertaire.
— Joker ! Madame, plutôt que vous faire un long discours, je vais
vous faire lire un article du philosophe Henri Hude. Un article limpide
écrit après l’une des grandes manifestations du printemps. Indispensable
pour comprendre ce qui se passe, ce qu’est la société libérale-libertaire,
comment elle opprime, et pourquoi elle s’effondre. Tout y est. Lisez ! Et
notez bien que lorsqu’il parle d’un ancien régime, c’est le vôtre !»
Caroline, se leva et alla chercher une sacoche dans un des
placards. Elle en tira un mince document et le tendit à la ministre.
Celle-ci, le prit avec quelque réticence.
« Lisez Christiane. On n’en meure pas, et vous avez du temps à
tuer dans cet avion. Autant qu’il soit utile. Et moi, j’ai du boulot avant
l’atterrissage. Nourrissez votre intelligence, plutôt que votre idéologie ! Et
faites-moi confiance, il y a bien des chances que vous ne puissiez pas
désapprouver ce texte. Peut-être arriverez-vous, grâce à lui, à trouver que
83
— Tu as vu ce qu’on leur a mis, Papa, lança Rose.
— J’ai vu. Mais il nous faut reprendre nos forces, reconstituer nos
réserves de munitions, car il nous faut encore trouver un moyen de sortir
d’ici.
— On ne partira pas sans Coquelicot, interrompit Marguerite,
visiblement inquiète.
—Oui, mon amour. Mais rassurez-vous, elle n’est pas loin, je suis
certain de l’avoir vue se glisser dans une pièce tout à l’avant de la cabane,
là où brillent des tas de petites lumières de toutes les couleurs, et où deux
humains sont assis côte à côte sans regarder derrière eux. On ne l’oubliera
pas.
— J’ai faim, gémit Violette…
— Je sais mon chéri. Mais j’étais en train de magasiner des
canneberges à l’arrière, lorsque j’ai été agressée par un excité
mouffettophobe qui a cherché à me tuer avec un couteau de cuisine, lui
répondit Marguerite. J’ai dû procéder à une frappe… Mais je suis restée
cachée un moment avant de pouvoir revenir vers vous. Je suis désolée.
— En tout cas, tenez le coup et tenez-vous prêts, répéta Fleur.
On ne lâche rien, jamais, jamais, jamais !»
L’infiltrée
De retour dans la cabine principale, Caroline se dirigea vers
l’office, mouchoir sur le nez, comme tout le monde. Elle se sentait très
lasse, et n’avait pu se nettoyer que très partiellement. La puanteur
84
environnante, comme la sienne, devenait pesante. De plus, elle en avait
plutôt assez de se promener poitrine à l’air à la mode Femec, et elle alla
donc chercher un sweat dans son petit placard personnel. Une fois
décente, elle se sentit mieux. Et le vêtement ne sentait pas, lui. Pour le
moment. Alors qu’elle passait devant le siège de la Garde des Sots
Christiane Tobago, elle vit que celle-ci était assise toute de travers…
« Vous avez un problème ? lui demanda-t-elle. »
Christiane Tobago fit une grimace, puis lâcha :
« Disons qu’après une piqûre comme celle que j’ai reçue, il n’est
pas très confortable de s’asseoir…
— C’est bien pour cela que le président, Manuel Iznogaz et le
Préfet de Police sont bien alignés à l’avant, à plat ventre sur le lit
présidentiel. Si vous pouviez voir ces trois popotins comme à la parade !
Heureusement, pour le moment, le président est le seul à souffrir, les deux
autres dorment encore… Et ils ronflent. On se croirait au Salon du
Bourget.»
Christiane Tobago lui fit une grimace peu amène.
« Voulez-vous un coussin, demanda alors Caroline ?
— Ça ira, mais je ne voudrais pas être de ces trois malheureux…
Dix-huit piqûres dans les fesses !
— Monsieur Iznogaz en avait aussi reçu préalablement deux
autres… Egalement dans les fesses. Il doit être très bien désinfecté.
— Ils en ont au moins pour quinze jours à ne pouvoir s’asseoir,
ajouta la ministre.
— Chic, nous aurons donc même deux Sentinelles au conseil des
Ministres, répondit Caroline, sans chercher à cacher son enthousiasme. Et
101
souvent des jeunes ayant fréquenté les Journées Mondiales de la Jeunesse,
ont été formés par les enseignements des papes, Jean-Paul II, Benoît XVI,
et François. Et de leurs prédécesseurs. Enseignements parfaitement
complémentaires. Et maintenant nous appliquons. A la prière, nous
ajoutons l’action. Nous défendons la Civilisation, et contestons votre
société consumériste et nihiliste héritée de mai 68. Vous voulez changer la
Civilisation, et empêcher la société libertaire de s’écrouler, nous voulons
sauver la Civilisation et reconstruire la société une fois que la vôtre se sera
effondrée sous ses contradictions.
— Donc, ce sont bien des cathos qui s’opposent à la majorité !
— Faux ! Car les derniers sondages, surtout ceux qui concernent
les conséquences de votre loi sur les enfants, montrent bien que nous
sommes une majorité, en dépit de votre propagande écrasante. Car à ces
pratiquants militants, les cathos, comme vous dites avec mépris, mais moi,
j’en suis fière, s’y sont adjoint un très grand nombre de chrétiens non
pratiquants qui, eux-aussi, sont descendus dans la rue. Je vous rappelle
qu’il y a au moins cinquante pour cent de baptisés dans notre pays. La foi,
c’est comme une boussole qui nous aide tous à y voir clair, à aimer la
Vérité plutôt qu’une fausse liberté qui oppresse les faibles. Avec votre loi
sur la dénaturation du mariage, vous avez touché à vif l’Intelligence et la
Vérité. Et nous avons enfin été rejoints par tous ceux qui vivent des
valeurs du bon sens. Ils n’avaient pas besoin d’être chrétiens pour
comprendre. Le peuple des familles s’est levé, car tous ont compris qu’on
touchait à l’humanité, et à la nature. Notre révolte, c’est la révolte du
Peuple Réel contre l’Utopie nihiliste d’une bande de bobos friqués. Une
révolte contre votre système qui est en train de s’effondrer.
— Mais bon sang, pourquoi prétendez-vous qu’il s’effondre ?
100
le Réel. Lorsque l’Homme se prend pour un dieu, il devient le pire ennemi
de l’Homme.
— Vous pouvez raconter ce que vous voulez, nous ne voulons
pas qu’une religion nous impose des déterminismes de genre.
— Le problème n’est pas religieux, il tient à la nature humaine.
Avec l’idéologie du Gender, vous essayez de faire croire qu’on peut naître
avec un sexe, puis qu’on peut devenir homme ou femme par choix. Ce
peut être l’objet d’un débat universitaire ou d’une controverse
scientifique. Pas d’un enseignement que l’on ne peut contester. C’est vrai
que dans un homme ou une femme, il y a une donnée de base biologique,
puis des données sociales et éducatives. On naît homme ou femme, et
après, par l’éducation, on s’accomplit homme ou femme. Mais vous
pervertissez ces faits pour en faire une construction idéologique du
pouvoir de la Volonté. Et vous allez violer les cerveaux de jeunes enfants
en leur implantant votre idéologie.
— Ne niez pas que pour vous c’est un problème religieux ! Nous
refusons la loi des catholiques traditionnalistes ultra minoritaires. Nous
refusons votre religion…
— Qui a été la matrice de notre civilisation. Vous voulez imposer
une autre religion et une autre civilisation. Dont les dieux sont l’argent, le
pouvoir et le sexe. C’est votre trinité sainte. Alors, c’est vrai, le noyau
central des résistants est effectivement catholique. Des pratiquants.
Minoritaires certes. Comme est le sel dans la cuisine pour y donner du
goût. Le traditionalisme est parfaitement honorable, mais il n’a rien à voir
là-dedans. Je sais que pour vous, un chrétien qui croit en Dieu, c’est déjà
un traditionnaliste, et s’il prie, c’est un intégriste. S’il croit en la
Résurrection, c’est un fou. Je suis donc les trois à la fois ! Ces pratiquants,
85
pas des moindres. » Nouvelle grimace et regard glacé de Christiane
Tobago en direction de l’impertinente.
Puis, la ministre ajouta :
« Cette Roselyne Camelot, c’est une folle avec ses piqûres ! Une
vrai fétichiste de la seringue ! »
Sourire de Caroline. Mais malgré ses insolences, la ministre lui fit
signe de s’asseoir, et l’invita à prendre place à ses côtés. Caroline hésita,
puis accepta. Elle pourrait se reposer un peu. De toute façon, elle n’avait
plus du tout envie de s’occuper du bien-être de qui que ce soit à bord de
cet avion de fous, ni de faire ses preuves comme garce officielle. Plus à
l’avant, Roselyne Camelot continuait à s’agiter, avec au moins la vertu de
remonter le moral des troupes. Même si c’était à l’aide de seringues
longues comme le bras… Caroline trouvait l’action politique de cette
personne fondamentalement négative, mais appréciait le tonus positif et
inoxydable dont elle faisait preuve en toute circonstance. Encore une
femme bien dévoyée par l’idéologie ! Dommage !
Il n’y avait plus qu’une demi-heure de vol avant l’atterrissage à
Halifax Stanfield Airport. Néanmoins, elle se demandait bien ce que la
Garde des Sots avait à lui dire, d’autant qu’elle n’éprouvait pas de
sympathie particulière pour cette personne ambitieuse et sans scrupule…
Mais elle aussi, ne devait pas être si mauvaise que ça… Encore faudrait-il
pouvoir la désincarcérer de sa prison idéologique. Tout un programme !
La discussion risquait d’être chaude…
« Pourquoi cachez-vous vos slogans ? demanda Christiane
Tobago, en jetant un regard sur le sweat de la femec repentie.
— J’en ai assez…
86
— Ils vous gênent ?
— Ce qui me gêne, c’est que ça n’a gêné personne chez les
personnes sensées diriger notre pays : « Fuck France ! Fuck the French !»
Personne ici n’a été non plus perturbé par les slogans antichrétiens de ma
copine.
Moi président, je serai le président de tous les Français ! Qu’il disait.
— Alors que faites-vous là, chez les Femecs ?
— Infiltration, mon Général. Agent spécial Caro Double Zéro
Sept. Une autre jeune fille, une Antigone, a déjà infiltré les Femecs, il y a
quelques mois, pour essayer de comprendre ce qu’elles voulaient, et
comment elles fonctionnaient. Elle a réussi à mettre à nu, c’est le cas de le
dire, leur conception dévoyée du féminisme. Moi, j’ai voulu aller plus
loin, et les combattre. Afin de dénoncer, et éventuellement, faire échouer
leurs actions.
— Et pourquoi êtes-vous là, dans cet avion ? Les Femecs n’y sont
que du décor…
— Je sais. Nous sommes les pots de fleurs du président. Mais
notre organisation a accepté en raison des excellentes relations qu’elle a
tissé avec lui et le gouvernement. Ce que je trouve honteux. Les slogans et
les méthodes des Femecs sont de la pure violence verbale et physique. Et
de la provocation pour beaucoup de citoyens. C’est inacceptable.
Et les Femecs ne sont pas les seules dans ce cas. Je pense aux
« Antifas ». Ils cassent tout, ils sont plus violents que les Femecs, et surtout,
ils ont l’intelligence moyenne d’un balai de chiottes. Mais vous les aimez
bien ! Pour vous ce sont les anticorps de la société. Ils attaquent vos
opposants, surtout s’ils sont non-violents, car c’est plus facile, par exemple
99
donc à l’altérité des sexes. Pour moi, il est clair qu’en transformant le
mariage en parodie de mariage, vous voulez affaiblir un peu plus cette
institution en la vidant de son contenu. Tout le monde va en être victime.
Les revendications homos ne sont qu’un prétexte. Vous instrumentalisez
ces gens dans votre projet de faire disparaître les corps intermédiaires.
Votre but, c’est de laisser l’individu seul face à l’Etat totalitaire. Pour en
faire ce que vous voulez. Car avec vous, tout est parodie : la démocratie,
l’Etat, la nation française, l’économie, la liberté, l’indépendance de la
Presse, le Conseil Constitutionnel, l’Ecole, la culture. Et pour couronner le
tout et faire paraître les autres parodies comme normales et sérieuses, la
parodie de mariage ! Bravo !
— Notre but est de libérer l’individu des déterminismes
familiaux, et religieux.
— On avait compris. Pour le mettre sous votre coupe. Alors que
dans sa famille, et dans sa foi, il reste libre. Votre idéologie refuse la
démarche traditionnelle de l’humanisme et de la Foi. Nous nous
appuyons sur l’Intelligence pour chercher la Vérité. C’est une démarche
qui accepte une Vérité, et que l’Homme ait des limites. Il se trouve
rassuré, précisément parce qu’il rencontre des bornes. Notre liberté vient
de ce que nous ne nous prenons pas pour des dieux. Lorsque l’on croit
qu’il existe quelqu’un ou quelque chose de supérieur, on a moins
tendance à se prendre pour Jupiter et à écraser ses semblables.
Vous, votre idéologie est devenue folle. Elle ne croit qu’à la
recherche de la Liberté absolue par le pur pouvoir de la Volonté. Et toutes
les bornes vous sont intolérables et doivent sauter. D’où votre recherche
sans limite de la jouissance maximum du pouvoir, de l’argent et du sexe.
Sans entrave. Et à chacun sa vérité, ce qui conduit au chaos. Vous refusez
98
reprocher ce désir et cette générosité. Et nous ne contestons pas qu’ils
puissent apporter, comme parents, tout le meilleur d’eux-mêmes auprès
des enfants. Le problème vient d’une chose qu’ils ne peuvent pas
apporter à ces enfants: la complémentarité sexuelle, qui est la seule vraie
différence existant dans l’humanité.
— Les sexes ne seraient donc pas égaux ?
— Ils sont égaux en droits et en dignité, mais pas identiques. Ils
sont différents, et c’est cette différence qui enrichit l’humanité. Ces enfants
seront privés de cette richesse. Délibérément ! Par vous et par votre loi
inique !
— Il y a déjà des familles de parents du même sexe.
— Ce sont des accidents de la vie. Comme les familles
monoparentales. Ces gens font au mieux pour compenser. Car ils se
savent des limites. C’est toute la différence. Ils savent qu’ils sont hors des
clous. C’est bien de les aider, et de les encourager. C’est mal d’en faire une
norme. Un accident reste un accident.
— Et en quoi cela vous gêne-t-il de leur permettre de se marier ?
— Ce qui me gêne, c’est que depuis cinquante ans et plus, tous
vos copains passent leur temps à dire que le mariage est une institution
bourgeoise réactionnaire qui doit disparaître. Que l’essentiel, c’est de
s’aimer. Certains disent aussi que le mariage est nuisible, car il fonde la
famille, et que la famille gêne l’Etat dans sa relation directe Etat-Individu.
Depuis des décennies, tout a été fait pour affaiblir l’institution du mariage
et détruire les familles. Et brusquement, il faudrait l’offrir à tous ce
mariage ? Et en particulier à ceux qui par choix ou par contrainte, je ne
sais, ne peuvent engendrer des enfants. Alors que cette institution n’a de
sens que parce qu’elle est liée intimement à la procréation, à la filiation, et
87
les Veilleurs. Et ils vous dispensent donc d’utiliser la violence vous-
mêmes. Manuel Iznogaz fait des économies de gaz. Il sous-traite. Et vous
gardez les mains propres. L’ennui, c’est que cette notion d’anticorps de la
société, c’est exactement celle qu’utilisaient les dictatures fascistes des
années 60-70 pour se débarrasser des communistes. Regardez les films de
Costa-Gavras. On commence à y reconnaître le régime porcinien. Je
comprends pourquoi on n’enseigne plus l’Histoire…
Quant à ma présence dans cet avion, Madame, c’est tout
simplement le hasard. Comme ma collègue ukrainienne, j’ai déjà effectué
un stage de personnel de cabine sur une compagnie aérienne, pendant les
vacances d’été. Je n’ai pas eu le choix. Pour se faire admettre, il vaut
mieux obéir. De plus, être témoin de ce que j’ai vu, n’est pas inintéressant.
— Vous êtes donc une espionne. Je pourrais vous faire arrêter.
— J’espionne les Femecs. Vos secrets d’Etat ne m’intéressent pas.
Je ne travaille pas contre mon pays. Je n’ai pas réclamé cette mission. J’en
ai reçu l’ordre. Les Femecs sont très hiérarchisées.
— Etes-vous pour quelque chose dans l’introduction des
mouffettes à bord ?
— Absolument pas. J’ai été aussi surprise que vous. Vous pouvez
donc me faire arrêter, puisque vous faites de la place dans les prisons…
Une fois les pédophiles, les violeurs et les assassins dehors, elles vont
devenir très fréquentables. Presque bon chic bon genre. Et beaucoup plus
sûres que l’extérieur. Mais vous n’aurez aucun chef d’accusation contre
moi.
— On en trouvera. On fera du sur-mesure…
88
— Vous devriez lire l’Archipel du Goulag : c’est le propre de
toute dictature d’être tolérante avec les vrais délinquants, les droits-
communs, et impitoyable avec les opposants politiques, traités comme des
délinquants. Le stade suivant, et ça commence, c’est d’utiliser les
délinquants contre les opposants politiques… Pour les utiliser comme
agents provocateurs, par exemple… Demandez au Préfet de Police, je suis
sûre qu’il est au courant.
— Vous êtes insultante et ridicule. Comparez aux vraies
dictatures !
— C’est comme ça qu’elles commencent, je vous l’ai dit. C’est un
bon début, vous me direz. Quand des policiers arrêtent illégalement des
Veilleurs, les conduisent au commissariat et les relâchent parce qu’on n’a
aucune charge contre eux, c’est quoi ? Lorsque des commissariats refusent
d’enregistrer les plaintes que les personnes arrêtées illégalement veulent
déposer, c’est quoi ?
Quand un bateau coule, on n’aurait pas le droit de dire « on
coule » parce qu’il n’est pas déjà par trois mille mètres de fond ? On est
pourtant bien sur le Titanic. Et pourtant il coule !
— Ces gens manifestent illégalement !
— Tellement illégalement qu’on ne peut pas les inculper. Vous
savez bien que participer à une manifestation non déclarée n’est pas
illégal. Seuls peuvent être poursuivis les organisateurs. Mais quid, lorsque
c’est spontané ? Vous les relâchez donc presque tous, parce que vous
n’avez aucune charge contre eux, et vous inculpez la poignée de ceux dont
les nerfs ont un peu craqué, et qui ont tiré la langue aux flics. Pauvre
choux ! Eux qui supportent les balles de kalachnikov dans les banlieues,
ils se plaignent de « rébellion ». Chochottes ! C’est ça que vous faites : de
97
que séparée radicalement de la pro-Création. Et à ce titre elle dit que c’est
un péché. Comme bien des actes que l’on accomplit dans notre société.
Comme bien des actes que j’accomplis moi-même chaque jour. Par
exemple, la relation à l’argent de beaucoup de personnes est aussi un
péché. Tout comme le sont mes colères…
— Vous voyez, c’est un péché, vous condamnez.
— Pour qui ne croit pas en Dieu, je ne vois pas où est le problème
d’offenser Quelqu’un qui est sensé ne pas exister. Pour qui ne sait pas que
c’est un péché, ce n’en est même pas un. Pour qu’il y ait péché, il faut être
conscient que l’on offense Dieu.
— Oui, mais ces gens sont exposés à votre regard. Qui les
condamne.
— C’est vous qui le dites et vous n’en savez rien. Le Christ nous a
montré qu’il aimait les pécheurs. Au point de leur sauver la vie. Ce n’est
qu’ensuite qu’il les encourageait à ne plus pécher. Lisez l’épisode de la
Femme Adultère8. Un chrétien cohérent avec sa foi ne condamne pas. Il
vient au secours.
— Alors que vous continuez à les discriminer.
— Les mots ont un sens. Discriminer signifie distinguer ce qui est
différent. On peut discriminer de façon juste ou de façon injuste.
La plupart d’entre nous pensons qu’il ne faut pas faire de
discrimination injuste à l’égard de ces personnes. Nous ne contestons pas
qu’ils puissent s’aimer sincèrement. Nous ne contestons pas que le désir
d’enfant de certains ne soit un désir sincère. A une époque où le désir
d’enfant est particulièrement atrophié, il serait de mauvais goût de leur
8 Evangile, Jean 8, 1-11
96
— Le responsable de votre projet au Sénat a trouvé que ce n’était
pas utile. Circulez, rien à voir ! Suivi d’un vote à main levée ! Laissez-moi
rire !
Quant à l’audition des « responsables des religions » à
l’Assemblée, elle a été tout à fait emblématique. Le type chargé de votre
projet les a insultés pendant trois quarts d’heure. En fait il n’attaquait que
les catholiques, en épargnant soigneusement les autres… Un discours nul,
mal composé, idéologique, et prouvant qu’il ignorait tout de l’Histoire de
notre pays et de l’Eglise. Bourré d’anachronismes. Moi, lorsque j’ai lu ce
discours, je me suis rappelé que nos parents se plaignaient que lorsque la
Gauche était au Parlement dans les années quatre-vingt, presque tous ses
députés étaient des enseignants. Je me suis dit alors qu’ils avaient bien de
la chance. Nous restons toujours dans le contexte de l’école, mais là, ce ne
sont plus les enseignants qui remplissent les bancs de l’Assemblée, mais
les cancres ! Et les plus crasses ! Le pire, c’est que ce type affirme qu’il est
catholique ! Je l’invite respectueusement à bien vérifier s’il ne serait pas
aussi catholique que moi Femec ! On ne sait jamais !
En face de cela, l’Archevêque de Paris n’a eu que quatre minutes
pour sa défense. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait été écouté, il a
répondu : « Oh ! La sono était bonne… » Alors, s’il vous plait, ne parlez pas
d’insulte !
— Mais bon sang, Caroline, vous ne pouvez nier que l’Eglise
condamne les homosexuels ! Depuis toujours !
— Elle ne condamne pas les personnes, Christiane, tout comme
elle ne condamne pas les pécheurs. Elle ne condamne pas la personne qui
subit une tendance homosexuelle. Elle dit que l’homosexualité mise en
pratique est un désordre qui n’est pas conforme au plan de Dieu. Parce
89
l’intimidation. Et plus vous cherchez à intimidez, plus nombreux nous
sommes !
Quant aux insultes, parlons-en, j’ai déjà essuyé bien des insultes
de la part de votre camp. Et la plus grosse des insultes n’est-elle pas
lorsqu’on compare la répression dont nous faisons l’objet, à votre
mansuétude vis-à-vis d’authentiques délinquants coupables de
destructions, de violences et de vol. Cela est insultant.
— Les délinquants ont une raison pour leurs vols ou leur
violence. Ils ont besoin d’argent et sont révoltés par une société qui ne leur
donne pas de travail. Vous, vous êtes des jeunes des beaux quartiers. Vous
n’avez besoin de rien pour vivre agréablement. Vous n’avez pas le droit
de vous plaindre, pas le droit de faire ce que vous faites…
— En fait, vous insultez les pauvres qui restent honnêtes. Et vous
méprisez le don de soi et la gratuité. Avec des raisonnements comme ça,
Madame, vous justifiez ceux qui, pendant les heures les plus noires de notre
Histoire, faisaient du marché noir, ou vendaient leurs voisins. Pour vivre.
Tandis que ceux qui, par idéal, par amour de la Patrie, se soulevaient
contre l’ennemi sans avoir un besoin matériel de le faire, ne seraient,
d’après votre théorie, que de jeunes bourgeois qui auraient mieux fait de
rester chez eux, et méritaient bien leurs douze balles dans la peau ?
— Je ne vous permets pas !
— Si j’attendais les permissions, je ne dirais pas grand-chose. Ne
voyez-vous pas, Madame, que c’est précisément ce qui divise notre
société : d’un côté ceux qui ne reconnaissent que l’acte intéressé et
économiquement utile, de l’autre côté ceux qui estiment que l’acte
désintéressé est supérieur à l’acte intéressé ? Vous êtes pour la société
individualiste, ou chacun n’est qu’un consommateur-producteur. Cette
90
société-là écrase les plus faibles, les enfants, les vieux, et finit en dictature
si on la conteste. Je milite pour une société solidaire ou chacun peut
aspirer à un idéal et se sacrifier pour les autres, surtout s’ils sont plus
faibles. Pour les plus faibles, je suis prête à renoncer au bonheur matériel.
C’est une bonne raison pour m’arrêter.
— Ce n’est pas l’envie qui m’en manque. Vous êtes d’un orgueil !
— J’aime votre genre d’humilité qui consiste à vouloir changer
l’homme et la civilisation. Mais je suppose que vous ne m’avez pas
demandé de m’asseoir ici pour en venir aux mains ou m’y mettre les
menottes… Que me voulez-vous ?
— J’ai bien compris que j’étais votre ennemie. Alors pourquoi
avez-vous essayé de me protéger du jet de la mouffette ?
— Une adversaire, pas une ennemie. Madame Tobago, vous ne
comprenez vraiment pas ! Tout le monde parle de pensée unique, or je
pense que c’est inexact. Ce qui règne, c’est la pensée binaire : ce qui n’est
pas noir serait forcément blanc et inversement. Je me bats contre votre
idéologie, et pour vous, je serais donc forcément homophobe et fasciste.
Donc, je n’aurais jamais dû vous protéger. Cela vous gêne presque. Je
respecte les gens, et cherche ce qu’il y a de bon en eux, parce que ce sont
des personnes. Voilà pourquoi, j’ai voulu vous protéger, parce que vous
êtes une personne et que j’étais là.
— Mais quand allez-vous cesser cette opposition délirante?
Combien de temps, les Manifs pour Tous, les Veilleurs, les Veilleurs
Debout ? Et le Printemps Français, et les Hommens, et les Antigones, et les
Salopardes, et tous les autres ?
— Vous êtes bien renseignée. C’est Manu qui vous tuyaute ?…
95
— Je ne dévie rien. Le libéralisme libertaire est au cœur du
problème. Parce que si on s’arroge le droit de fabriquer un orphelin parce
qu’on en a envie, a fortiori, si on a envie de gagner plus d’argent, on a le
droit de fabriquer un chômeur.
Mais pour revenir aux homos, ces gens ont bien évidemment la
même dignité que les autres. Parce que l’attirance sexuelle n’est pas un
critère de segmentation de l’humanité. C’est une donnée personnelle. Je
me refuse de savoir si quelqu’un est homo ou hétéro. La seule segmentation
anthropologique, c’est homme ou femme. Et pour moi, c’est un frère ou
une sœur. Aimés de Dieu de toute éternité.
—Mais ne voyez-vous pas qu’ils se sentent insultés par votre
opposition si passionnée à ce à quoi ils travaillent depuis tant d’années ?
Insultés par ces manifestations monstrueuses.
— Ils se sentent insultés, alors que moi, je suis insultée
lorsqu’on me traite d’homophobe et de fasciste. On passe de la sensation à
la réalité objective. Du virtuel et affectif au réel. Cela résume d’ailleurs
tout ce qui nous sépare. L’ennui, c’est que ces gens qui se « sentent »
insultés n’ont qu’une obsession, nous faire taire. On ne peut donc même
pas discuter et leur expliquer que non, on ne les insulte pas.
— Faire taire les insultes, n’est-ce pas normal ?
— Dire que l’on n’est pas d’accord n’est pas une insulte. Vous
savez, on gagnerait beaucoup à faire en sorte que les gens s’écoutent un
peu. Mais ce n’est pas ce que vous avez choisi. Les manifestations en
masses ne sont que la conséquence de votre refus de nous écouter.
Lorsqu’on n’est plus écouté, on saisit un porte-voix.
— Nous vous avons auditionnés.
94
— Ils essaient de faire ce qu’ils peuvent au milieu de cette crise
économique.
— Dont ils sont coresponsables. Vous faites tous partie de
l’oligarchie mondiale qui a organisé le système politique et économique
libéral-libertaire.
— Je ne suis pas libérale. Je suis de Gauche, et je me bats pour
l’égalité.
—Vouloir que des choses différentes soient égales, c’est la pire des
injustices. Et comme on fait de la prose sans le savoir, on fait de
l’ultralibéralisme et du libertarisme sans le savoir aussi.
— Je ne vous savais pas si peu libérale… On peut être de Gauche
sans le savoir, apparemment…
— Je pense que le capitalisme industriel classique, avec la liberté
d’entreprendre et la place donnée à l’imagination, au risque et à l’épargne,
est un système économique excellent et parfaitement naturel. Il reste à la
puissance publique d’en éviter les abus. L’homme restant l’homme. Mais
je suis contre la perversion, à la fois du capitalisme et de l’Etat par l’esprit
libertaire. Cela a donné les abus de la mondialisation et de l’économie
financière à outrance. Contre lesquels vous ne faites rien. Parce que vous
n’avez plus aucun pouvoir. Il n’y a plus d’Etat indépendant pour veiller
au Bien commun.
— Ne déviez pas le problème sur le libéralisme et l’économie. Ma
question est pourquoi une telle opposition à l’égalité pour les
homosexuels ? Ces gens ne sont pas dignes ? Ils sont inférieurs aux
autres ?
91
— Combien de temps allez-vous vous opposer à une loi votée
démocratiquement ? Combien de temps allez-vous refuser le sens de
l’Histoire ?
— Cela vous travaille, hein ? Vous n’avez rien compris. Pour
vous, tout était déjà réglé. Mais l’Histoire n’a pas de sens, et avec des gens
comme vous, elle devient même insensée ! Dans les années Trente, le sens
de l’Histoire, c’était le fascisme. Dans les années Cinquante le
communisme. Puis vint le Libertarisme après mai 68, et l’ultra-libéralisme,
son comparse, après la chute de l’URSS. Maintenant vous avez failli
réussir à nous inoculer en douce l’idéologie du Gender. Prise la main dans
le sac ! L’Histoire s’écrit au rythme de ceux qui la font. Dès la première
Manif pour Tous, j’ai su que désormais c’étaient nous qui avions la plume.
Notre opposition va durer un certain temps. Nous sommes au
début de… disons… la Guerre de Cent Ans. Et ceux qui tiennent le rôle
des Anglais, c’est vous ! Vous et vos porciniens, vous allez être boutés,
soyez en sûre. D’autant que vous refusez de vous reproduire, alors que
nous, nous nous reproduisons.
— Vous êtes une minorité de cathos attardés et vous le resterez.
— Une minorité qui dépasse le million quand elle descend dans
la rue. A trois reprises ! Mais votre copain Vincent Paillard devrait vous
apprendre les mathématiques, au lieu d’enseigner le mode d’emploi du
zizi dès la maternelle, ou d’expliquer aux petits que les papas peuvent
désormais se mettre en robe. Les maths, c’est imparable. Si vous avez dix
pour cent de la population qui font quatre enfants, et quatre-vingt-dix
pour cent qui en font un seul, en quatre générations les proportions sont
inversées. Comme les seuls à faire des bébés sont les cathos et les
musulmans, dans moins d’un siècle, il n’y aura que des gens religieux
92
dans notre pays. Point final ! La première loi du monde, c’est la
démographie. Ne le dites pas à Vincent Paillard ou au bon Monsieur
Lebon… Ils en feraient une maladie. Il faut leur faire la surprise.
Mais on ne lâchera rien, jamais, jamais, jamais ! »
Civilisation en péril
« Vous êtes terrifiante ! », répondit Christiane Tobago, pensive.
« Car vous refusez la loi de la majorité actuelle. Vous n’êtes pas
démocrate. »
— La démocratie se fonde sur la loi de la majorité, reprit aussitôt
Caroline. Et elle fait des lois pour que les minorités soient respectées par la
majorité. C’est un bon système pour établir une règle du jeu pacifique
entre citoyens. Cela ne signifie pas qu’une chose soit vraie et bonne
simplement parce que la majorité en a décidé ainsi. Mais c’est une règle
du jeu. Quand il s’agit de définir un budget et les grandes lois qui règlent
la vie en commun, on passe par le Parlement. Quand il s’agit de changer
les grandes règles du jeu contenues dans la Constitution, il faut un
référendum ou un vote du Congrès. A votre avis, pour un « changement
de civilisation », il faut quoi ? Au grand minimum, il faudrait le traiter
comme une modification de la Constitution. Avec une majorité des deux-
tiers. Et encore !
Mais pour vous, Madame Tobago, lorsqu’il s’agit de « changer la
civilisation », le sens de ce qu’est l’Homme ou la signification des mots,
vous pratiquez le vote à main levée, et vous levez main et matraque sur
les citoyens qui affirment que toute modification de tout cela n’est plus du
ressort du simple jeu de la majorité. Vous vous asseyez sur de grands
93
mouvements populaires de plus d’un million de citoyens, et sur des
pétitions d’ampleur historique. Et vous utilisez la propagande minable et
inculte de vos médias qui vous lèchent les bottes, pour effacer l’existence
de cette opposition. Vous truquez les chiffres, les films, et les photos. Vous
faites comme les staliniens, qui d’année en année, effaçaient des
photographies ceux qui étaient tombés en disgrâce. Et vous refusez le
droit à l’objection de conscience avec l’aide d’un Conseil Constitutionnel
qui n’est plus qu’une bande de caniches vous léchant les mains. J’appelle
ça une dictature et je ne reçois pas de leçon de démocratie des dictateurs.
Donc c’est la guerre ! De libération ! Nous irons jusqu’au bout.
— Donc vous finirez en prison.
— Comme prisonnière politique, j’y suis prête madame !
— Comme homophobe qui refuse l’égalité pour tous.
— Comme Résistante qui se bat pour les droits de tout enfant à
avoir un père et une mère. Et à ne pas être fabriqué comme orphelin
destiné à être commercialisé. Je n’ai pas de haine pour qui que ce soit,
mais je n’admets pas que certains groupes ultra-minoritaires imposent les
« changements de civilisation» au mépris des plus faibles.
— Vous voulez vraiment me faire regretter d’avoir utilisé cette
expression devant le Parlement ?
— Je voudrais surtout vous faire regretter de travailler pour le
Mal pour tous, alors que vous avez la capacité, l’énergie et l’intelligence
de travailler pour le Bien Commun. Je ne vous hais point ! Ouvrez les
yeux, Christiane ! Vous n’êtes pas à votre place au milieu de cette équipe
de sous-nullards porciniens ! Ils sont pathétiques !
134
Le garde tira en l’air, dans l’espoir de faire dévier, soit le
président, soit l’orignal, soit l’attaché militaire. Cela ne changea rien. Puis
furieux, il courut en direction du lac, pour prendre un peu de champ et
pouvoir aligner la bête sans toucher personne. C’est alors que l’ineffable
Cécile Duvent, ministre écolo, lui tomba sur le paletot :
Non, il ne fallait pas tirer sur cet animal. Oui, les orignaux se
reproduisent plus difficilement que les présidents de la République. Non, le
DALO, ne veut pas dire “droit au logement des orignaux”. Oui, l’empreinte
carbone d’un président de la République est bien plus importante que celle d’un
orignal.
Bref, impossible d’ouvrir le feu.
Séraphin Porcinet était en train de revoir sa vie, car il était sûr de
mourir dans la minute. C’était une belle vie. Normale. Il était satisfait de
tout. Absolument tout. Surtout des moments les plus médiocres. Mais il
avait la trouille de recevoir l’orignal dans ses fesses. A l’extrême droite. La
plus douloureuse. Il sentait la bête s’approcher, là, juste derrière.
L’orignal le talonnait. Lui, le Grand Orignal allait rattraper le
mâle dominant des humains. Ce type fuyait, il ne faisait pas face. Ce
n’était pas un mâle digne de se reproduire. Il allait l’éliminer
définitivement pour le bien-être des biches et leur filiation.
Séraphin Porcinet sentit dans son dos le souffle du grand cervidé,
puis le frôlement de ses bois. Il était perdu.
107
Un choc violent se fit sentir sur la verrière. Une flaque rouge. Un
autre choc, plus léger, sur la droite. Un témoin s’alluma et une sirène se
mit à hurler.
« Oh ! On vient de … Mais c’est pas vrai…
Un autre choc, vers la gauche. Nouveau témoin, nouvelle sirène.
« Quoi ?
— C’est le moteur droit et… et merde ! Le gauche aussi. Extinction
moteurs ! »
En pleine phase d’ascension, l’Airbus A330 semblait comme
indécis…
L’indicateur de décrochage se mit à hurler. Nouvelle sirène.
« On rallume à gauche », cria le commandant.
D’inquiétantes vibrations venaient du gauche. Brusquement,
après un redémarrage poussif, il cessa tout fonctionnement.
« Hé ! Nous avons heurté les oies. Il faut revenir à la piste !
— Pas possible, répondit froidement le commandant. Trop bas et
trop lents pour revenir à la piste après virage. Il faut… il faut se poser où
on peut.
— Merde, merde, merde ! »
« MAYDAY, MAYDAY, COTAM Triple Zero Un, moteurs
stoppés, collision bernaches. Nous cherchons à nous poser droit
devant. Retour à la piste pas possible.
— Stanfield Control à COTAM Triple Zéro Un. Plusieurs lacs devant
vous. Il y en a un au cap 025 à 6 nautiques qui présente bonne longueur et
108
profondeur suffisante sauf à l’extrémité. Le Bullshit Lake. Préparons secours.
Bonne chance. »
Rapidement, le Commandant évalua la situation : « Bon, six
nautiques, tous les éléments sortis, nous devrions tenir. Je rentre les
trains.
— Nous sommes passés sur la puissance électrique de secours,
répondit le pilote. »
Puis le commandant appela la cabine :
« Ici le commandant, nous avons heurté des oiseaux en vol. Nous
avons des problèmes avec les moteurs. Nous ne pouvons revenir nous
poser sur la piste. Nous allons donc nous poser sur un lac. Sur l’eau. Dans
deux minutes environ. Prenez tout de suite les gilets sous votre siège,
attachez-vous bien, et au moment de l’atterrissage, baissez-vous et
poussez avec vos bras sur le dossier qui vous précède. Le freinage va être
un peu brutal. Mais ne craignez rien, nous savons faire. On va s’en tirer. »
Les deux hommes surveillèrent le radar avant. Rapidement, ils
repérèrent une longue étendue d’eau. La carte électronique du Bullshit
Lake fit apparaître le profil. Suffisamment profond au début, puis
finissant dans la vase. Assez long. Un peu de relief sur la rive est, mais en
approche sud-ouest, tout était OK. Le tout était de ne pas heurter les
arbres en limite de lac. Mais aussi de bien profiter de toute la longueur du
plan d’eau. La forêt était omniprésente.
« Il faut larguer nos leurres, dit le commandant. Je ne me vois pas
aller au tapis avec ces trucs pyros. »
Et il actionna une commande.
133
droite. Alors Séraphin courait. Il courait avec un but unique : atteindre
l’arbre, là-bas. Loin, trop loin. Jamais il n’avait autant désiré un arbre.
L’Arbre de Vie. Ce n’était plus la course à la présidence, mais pour la vie.
Sa vie !
Le second garde arriva avec une carabine un peu plus musclée.
Mais ils se figèrent lorsqu’ils virent un type en uniforme militaire courir
devant eux en direction du président tout en portant un attaché-case.
L’attaché militaire chargé des codes nucléaires !
Celui-ci courait en hurlant : « Monsieur le Président, monsieur le
Président, attendez-moi, la sécurité de la France avant tout !
— L’imbécile, gronda le garde. On ne peut quand même pas
risquer de toucher la Force de Frappe. »
Et il hurla à l’adresse du militaire : « Mais dégagez de là, nous
allons tirer ! Vous nous gênez. »
En vain. N’écoutant que son devoir, l’attaché militaire du
président Porcinet, choisi par ce dernier pour sa fidélité et son intelligence,
le détail est important, continua à courir derrière l’orignal et son
président.
Pendant ce temps, installée à la lisière du bois, un genou à terre,
Jaimie Olson, la journaliste canadienne filmait et photographiait en rafale.
Elle ne comprenait pas trop la stratégie de fuite du président français. Il
devait sans doute y avoir une raison pleine de finesse 10. Les descendants
de Napoléon ne peuvent être que surprenants. Elle fut rapidement rejointe
par les trois fugitifs qui soufflaient comme des phoques de Gaspésie.
10 en français dans la pensée de Jaimie
132
Le grand orignal chargeait en défonçant le sol herbeux de ses
longs sabots. Il lançait ses antérieurs le plus loin possible et poussait au
maximum sur ses postérieurs car il avait compris que le gros mâle
humain, sa biche, le petit mâle excité et teigneux, le petit mâle au genre
non défini, et le mâle soumis à casquette, voulaient se réfugier dans le
sous-bois. Soudain, il constata que le gros mâle humain adverse avait
changé de direction, et partait maintenant à découvert. Sans doute pour
faire face, et le charger à la loyale. Lui aussi changea de direction. C’est le
gros mâle qu’il allait embrocher !
Le garde leva son arme et tira au jugé. Trois fois. Le grand orignal
sentit une seule douleur dans sa cuisse arrière gauche. Mais ce fut tout. Le
pistolet n’était pas du calibre à inquiéter une bête de six cents kilos lancée
à pleine course. Et c’était déjà un peu hors de portée. Mais cela augmenta
la fureur de l’animal qui accéléra encore. Car ce n’était pas loyal ! Depuis
le début, ces gens n’étaient pas loyaux.
Séraphin Porcinet courait toujours. Lui aussi n’avait jamais autant
couru et si vite. Il allait perdre tous les kilos que Valérie lui reprochait
matin, midi et soir. Et même au milieu de la nuit. C’était toujours ça de
gagné, mais on lui avait toujours affirmé que les cures d’amaigrissement
pouvaient être dangereuses. En homme perspicace et près du terrain, il
savait avec certitude que la situation présente était vraiment dangereuse.
Il avait eu quelque espoir en entendant les coups de feu, mais
apparemment ça n’avait pas marché. L’ennui, c’est qu’il s’était retourné,
juste pour constater que l’orignal était vraiment très près, et qu’il avait
vraiment une sale gueule, un regard méchant, et surtout des bois
immenses, lourds, larges et positionnés bien bas. Ils allaient le toucher au
derrière, là où il avait encore mal. C’était un orignal proche de l’extrême-
droite, pour sûr. Plus précisément de plus en plus proche de sa fesse
109
Aussitôt, une gerbe de paillettes métalliques et de mini-torches
incandescentes se dispersa sous le fuselage de l’appareil. L’Airbus
présidentiel était en effet équipé d’un dispositif d’autoprotection à l’aide
de leurres anti-missiles. Il valait certainement mieux ne pas les conserver
en prévision du choc de l’atterrissage de fortune.
Dans la cabine plongée dans l’obscurité régnait un certain
désarroi. Les trois hôtesses galopaient dans tout l’avion afin d’aider à
passer les gilets de sauvetage et apaiser la détresse de certains. Caroline
dut élever la voix pour calmer Noël Maparendeux qui exigeait un
parachute. Valérie Tiergarten l’étonna un peu : elle vint soutenir Caroline
pour obliger l’énergumène à s’asseoir. Puis, elle alla prendre sa place à
son tour. Elle émit un bref sourire à l’adresse de Caroline.
Titubant, le Préfet de Police, apparemment réveillé mais pas très
vaillant, sortit de la coursive avant, et vint s’installer sur son siège. Avec
un gros coussin sous le derrière. Pour abandonner ainsi son patron, il
fallait qu’il soit très perturbé… Elle lui fit enfiler son gilet. Et elle rangea
soigneusement sa casquette dans un placard. Elle lui fit un petit sourire,
qu’il lui rendit. Le premier sourire du voyage !
La peur pouvait se lire dans tous les regards. Il y avait ceux qui
paniquaient, et ceux qui restaient calmes. Elle se dit que les êtres humains,
quels qu’ils soient, avaient des réactions bien différentes lorsqu’ils se
trouvent face à l’heure de vérité… Même s’ils ont refusé la vérité pendant
toute leur vie…
Constatant que Roselyne Camelot et Iouliana, l’autre hôtesse,
s’étaient déjà assises, Caroline fila vers son siège de personnel de cabine,
placé dos à la marche, donc mieux adapté pour gérer les chocs et les
freinages d’urgence. Elle passa devant le siège de sa meilleure ennemie,
110
Christiane Tobago. Celle-ci n’avait plus vraiment l’allure d’un Garde des
Sots, ni manifestement l’envie de la mettre au trou. La ministre était livide
et de fines gouttelettes de transpiration lui descendaient le long des
tempes.
Caroline l’aida avec le gilet de sauvetage, puis, prise de pitié,
décida de s’asseoir à ses côtés. Elle lut un peu de reconnaissance dans le
regard de la ministre.
« Vous croyez qu’on va s’en sortir, souffla Christiane ?
— Je n’en sais strictement rien madame… Nos pilotes sont sans
doute parmi les meilleurs qui soient. Ils feront de leur mieux.
— Vous… vous avez peur de la mort ?
— Comme tout le monde. Mais je n’ai pas peur de ce qu’il y a
après. Je n’ai jamais vécu comme si la mort n’existait pas, ni comme si elle
n’était qu’un mur sans espérance dans lequel on se fracasse un jour.
J’espère bien rencontrer un jour la Lumière, l’Amour et la Vie. Si c’est
bientôt, j’accepte, et j’attends d’entrer dans la Vie.
— Vous croyez à tout ça ? Il n’y a plus rien…
— Nous serons peut-être bientôt fixées, madame. J’ai un avantage
sur vous. Si j’ai raison, je le saurai, car ce ne sera qu’un commencement, si
vous avez raison, vous n’en saurez rien, car tout sera fini. Si vous voulez
bien, je peux prier pour vous. »
La ministre garda le silence. Caroline se pencha légèrement pour
regarder à l’extérieur… On voyait très bien le sommet des arbres de la
forêt. Et ils étaient bien trop près… A l’ouest, le soleil commençait à
s’incliner et à allonger les ombres.
131
constituera une cible… ouf… plus… ouf… facile à abattre si c’est vous…
ouf… qu’elle suit. On se débrouillera… ouf… Vous voyez cet arbre…
ouf… isolé près de l’eau. Vous pourrez… ouf… ouf… y grimper.
— Tu as toujours raison… ouf… ouf… ouf…mon bon
Manuel. Merci de te sacrifier… ouf… pour moi… ouf… et ma
sécurité...ouf…»
Le président Porcinet fit un crochet vers la gauche, et se lança en
direction de l’ouest dans l’espace dégagé qui séparait le lac de la lisière de
la forêt, tandis que Manuel Iznogaz continua sa course de dératé en
direction des taillis, suivi de près par le Préfet de Police qui courait en
tenant sa belle casquette préfectorale, et le pauvre Vincent Paillard qui
n’avait jamais couru aussi vite de toute sa vie et qui était déjà tout rouge.
Car le malheureux ministre de la Déséducation Nationale n’aurait
jamais imaginé être talonné par un animal aussi gros, aussi lourd, et aussi
rapide pendant un voyage officiel. Et il était en train de constater sur le
terrain qu’il y a encore une grosse différence entre les genres, par
exemple, par la taille des bois, la longueur des pattes, et la masse
musculaire. Et encore, il était fort mal placé pour voir ce qui avait tant
attiré l’attention des biches, quelques dix minutes auparavant. Il en aurait
à raconter dans sa Loge, toute une « planche » sur l’application des
Gender Studies aux orignaux. Avec autant de planches aussi
passionnantes, il pourrait peut-être un jour devenir Grand-Maitre à la
place du Grand-Maitre. S’il survivait… En attendant, il courait comme un
malade! Ouf… ouf !
L’un des gardes avait sorti un pistolet, mais il hésitait. Il risquait
de toucher aussi le président, ses ministres, le préfet et la journaliste. C’est
alors qu’il vit le président partir sur la gauche.
130
de surgir tout près d’eux et qui ne leur montrait que sa croupe, et
s’élancèrent à sa suite, dans la direction de l’appel du président.
Jaimie détala aussitôt en courant vers la forêt toute proche. Ses
baskets roses ne touchaient presque plus terre, et sa queue de cheval
battait l’air au rythme de ses longues et souples foulées. Elle ne regrettait
pas son jogging quotidien à six heures du matin. L’animal pourrait certes
s’engager au milieu des grands arbres, mais devrait ralentir, et ne pourrait
l’y poursuivre ni l’encorner au milieu des troncs serrés les uns contre les
autres.
Le président se lança derrière, immédiatement suivi par les deux
ministres, mais c’est alors qu’une abominable idée jaillit dans le cerveau
du vil, de l’ignoble, de l’infâme ministre de toutes les Polices, Manuel
Iznogaz. Ses yeux brillèrent, et un grand sourire gourmand apparut sur
son visage émacié, malgré l’urgence de la situation et la folle poursuite
dans laquelle il était engagé. Peut-être avait-il là une occasion de devenir
enfin président à la place du président. Tout en courant à ses côtés, il lui
cria :
« Monsieur le Président de tous les Français… Je crois que votre
sécurité serait mieux assurée… ouf… si nous nous dispersions… ouf... La
bête hésitera… ouf… les gardes auront le temps de l’abattre… ouf…
— Tu as raison… ouf… mon bon Manuel… dispersons
nous…ouf… Vous courez… sur la grève… ouf… et je continue…
ouf…ouf… vers le bois…
— Non, Monsieur le Président… ouf…, reprit le vil ministre, en
continuant ainsi vous êtes dans la ligne de tir… de… ouf… vos gardes. Ce
sont eux… ouf… qui hésiteront… ouf… à tirer. Partez vers le lac… ouf…
et courez sur la grève… ouf… vous irez plus vite, et la bête… ouf…
111
A part quelques sanglots, tout était silencieux dans la cabine. Il y
avait quelque chose de sinistre à ne plus entendre le bourdonnement des
moteurs, seulement le sifflement de l’air le long du fuselage.
Caroline dit alors à voix basse : « Mon Dieu ayez pitié de tous ces
gens : ils ne savent pas ce qu’ils font. Et pardonnez ce que j’ai fait de
mal… Mon Dieu, je vous aime. »
Elle sentit que Christiane Tobago venait de lui saisir le bras. Elle
serrait. Fort, très fort.
Dans le poste de pilotage, les pilotes n’avaient guère le loisir de
philosopher. Le lac se présentait bien devant eux. L’Airbus allait-il
l’atteindre ? Le commandant Léger transpirait fortement. Il y avait un
moment précis où il lui faudrait rentrer les volets et arrondir son vol. Trop
tôt et l’avion décrocherait et s’abîmerait au milieu des arbres, sans
rémission aucune. Trop tard, et il arriverait bien trop vite à l’autre
extrémité du lac…
500 pieds, afficha l’altimètre.
« On y va…, dit-il. Je prends les commandes. Surveille l’assiette
en roulis. Reste à zéro. Je m’occupe de l’arrondi… »
Dans la cabine, on entendit alors la voix claire de Caroline qui se
mit à chanter la prière entraînante qui avait si souvent rythmé ses pas lors
de son pèlerinage favori sur les chemins boueux de la Beauce :
— Je vous salue-Marie comblée de grâce, le Seigneur est a-avec vous,
400 pieds.
Le commandant actionna la rentrée de tous les volets.
Christiane serrait le bras de Caroline encore plus fort.
112
— Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus - votre enfant est béni,
300 pieds.
« Faites la taire! » brailla une voix masculine vers l’avant.
« Prends ce pauvre homme en pitié », pensa Caroline.
Et elle chanta un peu plus fort.
— Sainte Marie, Mè-re de Dieu, priez pour nous, pauvres pêcheurs,
200 pieds.
Cela commençait vraiment à lui faire mal au bras.
— Maintenant et - à l’heure de notre mort, amen, amen, alleluia.
100 pieds.
« Ici le Commandant, on se pose sur l’eau. Tenez-vous bien. »
« Et à la grâce de Dieu », ajouta-il à l’adresse de son compagnon.
Tirant doucement le manche, il cabra légèrement l’Airbus afin de
ne pas trop enfourner les réacteurs dans l’eau. S’ils pouvaient ne pas
s’arracher…La lisière de la forêt était là. Le plan d’eau parfaitement calme.
L’indicateur de décrochage se mit à hurler.
50 pieds.
— Je vous salue - Marie comblée de grâce…
Un léger choc. Sans doute la pointe d’un arbre touchée par la
queue de l’appareil.
Le Commandant retint sa respiration.
— Le Seigneur est a-avec…
Rigoureusement maintenu à la bonne assiette, l’appareil venait de
s’aplatir dans l’eau. Les moteurs d’abord. Puis le fuselage et les ailes.
129
La charge
« Tiens un brame, fit remarquer le Préfet de Police de Paris en
levant le nez.
— Quel flair de détective, Préfet, il y a plus de chance d’en
entendre ici que sur les Champs-Elysées, rétorqua avec hauteur le vil,
l’infâme, l’ignoble Manuel Iznogaz, le ministre de toutes les polices.
— Et oui, mon bon Manuel, répondit le président Porcinet, nous
sommes dans la nature. Il nous faut apprécier. On pourrait peut-être aller
voir la brave biche qui vient d’émettre ce son mélodieux. »
Jaimie Olson, la journaliste canadienne, sentit alors des vibrations
sur le sol, puis entendit comme un bruit de sabot étouffé par l’herbe. Elle
tourna vivement la tête et aperçut l’orignal qui chargeait. Il venait de
passer en trombe à quelques mètres du groupe des naufragés, et ceux-ci
semblaient tout à fait médusés.
« O my God ! A moose9! A huge bull! Sirs ! Vite, écartons-nous, il a
l’air de charger. »
Séraphin Porcinet se tourna à son tour et aperçut l’animal furieux
dont les énormes bois grossissaient à vue d’œil. Son visage éternellement
réjoui se décomposa alors.
« A moi la gaaaaaaaaaaaaaaaarde ! », hurla-t-il, brusquement habité
par la terreur.
Les deux gardes, qui conservaient toujours bêtement un œil
attentif sur Caroline, tournèrent la tête, virent l’énorme orignal qui venait
9 Orignal en anglais d’Amérique.
128
Il considéra alors longuement les divers groupes en présence.
Tous avaient un comportement pas très dominant. Ils avaient l’air gelés et
tourmentés par les maringoins. Tous sauf un groupe. Bien en évidence sur
une petite butte, un peu plus loin sur sa droite. Il y avait là sans doute le
mâle dominant, celui qu’il faudrait affronter.
Il regarda longuement. Cela ne pouvait pas être le gringalet
excité. Pas assez gros. Sans doute un jeune mâle rêvant de devenir le chef
de harde à la place du chef de harde. Ni le petit timide. Trop effacé. Et on
ne pouvait savoir s’il s’agissait d’un mâle ou d’une femelle. Quelle
confusion de genre ! Ce ne pouvait pas non plus être la personne à la voix
plus aiguë et au comportement de biche. Clairement, une femelle. Il y
avait bien l’humain qui restait derrière le petit excité et qui avait une
casquette. Sans doute quelque chose qui tient lieu de bois chez les
humains. Mais il paraissait aussi trop docile et effacé. Non, le mâle
dominant, c’était certainement le petit gros jouisseur qui avait l’air très
intéressé par la femelle et qui bramait tout le temps. Et qui sentait plus
mauvais que les autres. Et qui semblait jouir de la considération de tous.
C’était lui le gros mâle qu’il faudrait combattre. C’était lui qu’il faudrait
charger. Un duel à mort, bois contre bois, crâne contre crâne. Et comme le
grand orignal se trouvait désormais à la limite de la forêt, entre le groupe
principal des humains et son rival, il pourrait ainsi l’isoler du groupe.
C’était mieux ainsi. On ne sait jamais, avec les humains… Le duel pouvait
commencer.
Le grand orignal fit deux pas en avant, sortit du taillis, gratta le
sol avec ses énormes sabots de vingt centimètres, inclina la tête, brama,
puis s’élança, bois largement déployés en avant. A mort !
113
La carlingue vibra de toutes ses membrures dans un bruit
épouvantable. Caroline se sentit projetée en avant. Yeux fermés, elle était
certaine que l’avion venait de se disloquer, les ailes de se déchirer. Bien
qu’arc-boutée et penchée en avant, elle poussât de toutes ses forces sur ses
bras, elle sentit la ceinture lui pénétrer le ventre et l’étouffer. Cela lui
arracha un cri de douleur. Elle suffoqua. Elle allait mourir. « Jésus, gémit-
elle… »
127
— Oui mon amour ! Il suffit de se laisser glisser comme des
loutres et de nager jusqu’à la rive. Facile ! Cette nuit, la Liberté !»
Donnant l’exemple, il franchit le seuil du hublot, et hop, en une
longue glissade museau en premier, il plongea dans l’eau. Sa petite tête
blanche et noire apparut bien vite à la surface, et les enfants-mouffettes
suivirent. La mère plongea en dernier.
Moins d’une minute plus tard, les six petits animaux grimpaient
sur la berge et filèrent en direction de la forêt en s’éloignant des naufragés.
A quelques centaines de mètres de là, à la lisière du bois, le grand
orignal contemplait les humains. Après sa fuite folle, ruminant sa
revanche, le gros mâle était revenu vers le lac, non sans avoir pris la
précaution d’effectuer un grand crochet par la rive ouest, afin de
s’approcher complètement sous le vent. Vieux réflexe d’orignal. Et ces
humains, on les sentait de loin ! Ils étaient vraiment des spécimens
exceptionnels. Ils puaient comme pas possible. C’était évident qu’ils avaient
été en contact avec des mouffettes.
Donc, ce monstre qui l’avait humilié devant ses biches et
interrompu pendant qu’il assurait sa descendance, ce monstre appartenait
aux humains. Une harde d’humains qui voulaient sans doute lui prendre
sa harde à lui. Il y avait sans doute là un mâle dominant. Lui, le Grand
Orignal ne pouvait supporter cela. Le duel était inévitable.
C’est à ce moment-là qu’il sentit le vent tourner. Il huma. La brise
de lac se levait et soufflait désormais vers le groupe d’humains. Mu par
l’instinct, le grand orignal s’enfonça dans la forêt et continua alors à
remonter en sous-bois vers la pointe nord-est du Bullshit Lake. Bientôt,
bien caché dans les broussailles, il se trouva tout près des naufragés.
L’odeur de mouffette était vraiment désagréable.
126
Séraphin Porcinet, accompagné de deux ministres, Manuel
Iznogaz et Vincent Paillard, ainsi que du Préfet de Police qui ne se
séparait jamais de son patron, s’écarta sensiblement du groupe des
naufragés afin de répondre aux questions de la jeune journaliste.
Oui l’escale à Halifax était bien prévue. Non ce n’était pas un
atterrissage d’urgence. Oui l’avion redécollerait bientôt. Non les moustiques ne
les importunaient pas. Oui, il était très populaire en France. Non, il n’y avait pas
eu de manifestations en France pendant l’année. Oui, la courbe du chômage allait
s’inverser très vite. Non, il n’était pas le fou du roi d’Obama. Oui, le temps avait
été très agréable en France depuis son élection. Non, il ne sentait pas mauvais
comme pas possible…
Duel
La mouffette mâle Fleur pointa son museau au niveau du hublot
grand ouvert. Il huma l’air de la forêt. Des tas d’odeurs bien connues.
Sous son regard s’étalait le toboggan d’évacuation. Il s’était remis du
terrible choc de l’atterrissage sans trop comprendre ce qui arrivait, et la
seule chose qu’il comprenait, c’était que les portes s’étaient ouvertes à ce
moment, que la « cabane » était désormais vide, et que ce toboggan leur
permettrait de s’évader. Sa femelle Marguerite était ravie de retrouver
Coquelicot. La pauvre petite mouffette était un peu traumatisée, mais bien
calée sous la console électronique du poste de pilotage, elle n’avait pas été
blessée. Elle portait toujours la grosse trace de rouge à lèvre de Roselyne
Camelot sur le sommet du crâne.
« Tabarnak ! Quelle histoire !
— Fleur, votre langage, surtout devant les enfants !
115
Chapitre III - Un élan
patriotique
Bullshit Lake
Ciel et forêt se trouvaient réunis dans le miroir crépusculaire du
lac. Poètes à leur heure, les canards déclamaient leur prière du soir. Et du
côté de la pointe nord du plan d’eau, à quelques pas de l’onde calme, se
déroulait alors le plus antique des cérémoniaux de Dame Nature.
— Acharne-toi, acharne-toi ! brama la biche ployant sous l’assaut
des six cents kilos du grand orignal en rut qui venait de planter ses lourds
antérieurs sur le dos de sa femelle.
116
— Mais j’m’acharne, brama à son tour l’énorme cervidé en
secouant de droite et de gauche ses superbes bois aplatis, larges comme
des battoirs. Et dans un nouveau bramement formidable, poussant sur ses
postérieurs plantés dans la boue, il obligea la femelle à se diriger vers
l’eau.
A quelques mètres de là, quatre autres biches au long museau
disgracieux admiraient le spectacle. Ce serait bientôt leur tour, et leur
descendance serait assurée. Il en était ainsi depuis des millénaires.
— L’an dernier, il m’a poussée au milieu du lac, dit l’une d’elle en son
patois…
— Moi, j’ai dû plonger dans les taillis pour m’en défaire. Ce qu’il est lourd, ce
type. Mais c’est un vrai mâle, notre grand orignal. Avec lui, nous avons de bien
beaux enfants…
—Et tu as vu ses bois ? Plus larges et plats que des queues de castor. J’en bave
d’envie. Moi-aussi je veux qu’il s’acharne…
— Jouisseuse !
— J’assume.
— Attends d’assumer ses kilos.
— Et ses énormes sabots. La dernière fois, mon dos était en sang.
— On ne peut lui demander d’être un beau mâle et d’être délicat.
— En tout cas c’est le plus fort. Il n’a jamais supporté d’autre mâle.
— Nous, nous le supportons…
— C’est le cas d’le dire.
— Il paraît qu’il y a des humains qui prétendent que les différences entre mâle et
biche, c’est culturel…
125
« On ne reste pas près de l’avion », ordonna le commandant,
obligeant tout le monde à grimper sur le rivage, un peu plus loin de la
carlingue. Les gardes saisirent la jeune fille par les bras, et l’entraînèrent
avec les autres.
C’est alors que l’hélicoptère qui tournoyait au-dessus d’eux
depuis une minute se posa à quelque distance. Jaimie Olson en sortit,
munie de son appareil à photos et de sa sacoche. Aussitôt, le Préfet de
Police, sur un coup d’œil de Manuel Iznogaz, donna l’ordre de relâcher
Caroline. Cela ferait mauvais effet… Christiane la rejoignit rapidement et
l’écarta du groupe.
Vincent Paillard secoua la tête avec tristesse : la jeune journaliste
portait des baskets roses, ce qui prouvait qu’elle avait été livrée beaucoup
trop longtemps à la mauvaise influence des déterminismes familiaux et
des stéréotypes de genre, lequel elle n’avait pas été libre de choisir.
Heureusement qu’il allait régler ça en France avec les petits enfants ! Il
faut s’y prendre très tôt !
Jaimie était bien sûr anglophone, mais avait effectué plusieurs
stages d’immersion en langue française à Québec et à Trois-Rivières. Elle
se dirigea donc vers celui qu’elle reconnut aussitôt comme le président, et
sans se laisser impressionner, elle l’aborda en français pour lui demander
de ses nouvelles. Elle tiqua à la vue d’Iouliana, seins nus. Dans cette
province un peu conservatrice de Nova-Scotia, les Français n’ont pas une
réputation d’être très puritains, mais à ce point ! Retrouver le Moulin-
Rouge au cœur de la forêt de Nouvelle-Ecosse ! Mais surtout, ce fut
l’odeur pestilentielle qui imprégnait tout le monde qui la choqua. On
aurait bien dit une odeur de mouffette…
124
« Et arrêtez cette terroriste, reprit le vil et infâme Iznogaz,
pointant Caroline du doigt !
— Allons, mon bon Manuel, il ne faut pas le prendre comme ça,
intervint Séraphin Porcinet. Elle a sans doute raison, cette petite, car le
pilote a fait de son mieux. Mais Mademoiselle, pourriez-vous me faire un
petit plaisir ? J’ai recruté des femecs, pas des hôtesses normales, même si je
suis un président normal. Vous êtes bien davantage que du personnel de
cabine, mais du personnel de poitrine. Il faut vous remettre en tenue, et
m’ôter ce gilet disgracieux et ce sweat non réglementaire. Regardez votre
copine ukrainienne, elle s’est remise en uniforme de Femec. Allons, allons,
soyez gentille !»
De fait, Iouliana, l’autre hôtesse Femec, plus disciplinée, s’était de
nouveau dépoitraillée, mais elle n’arrêtait pas de chasser frénétiquement
les moustiques avec son gilet.
Caroline était sidérée. Mais pas question ! Elle secoua la tête. Ce
qu’elle pensa alors ne sera pas répété… Jamais, jamais, jamais !
Alors le visage du président s’assombrit, et il reprit :
« Bien, mon bon Manuel, vous aviez sans doute raison, il nous
faut savoir qui a laissé entrer ces terribles animaux dans notre avion. C’est
une très grosse responsabilité. Peut-être devriez-vous vous assurer de
cette personne, dit-il en désignant Caroline. »
Le vil, infâme et ignoble ministre de toutes les polices, Manuel
Iznogaz donna alors l’ordre au Préfet de Police d’arrêter Caroline.
Christiane Tobago protesta, mais en vain. Deux gardes s’approchèrent sur
les ordres du Préfet de Police.
117
— Ils devraient venir chez nous. Notre grand orignal les cultiverait.
— Ils assumeraient.
— Tu as vu ses beaux testicules ?
— Plus couillu que lui, tu meurs. Bon, mais là je trouve qu’il pousse un peu.
— C’est le cas d’le dire.
— Il va finir par lui faire mal à la copine.
— Il s’acharne. C’est ce qu’elle voulait.
— Elle a pris son élan…
— C’est le cas d’le dire.
— Ouf ! Mais qu’est-ce qu’il lui met ! Tu crois qu’elle va pou…
Un incroyable fracas se fit alors entendre à l’autre extrémité du
lac. Les biches se figèrent de terreur. Un monstre gigantesque venait de
s’abattre sur le plan d’eau. Un monstre semblable aux aigles à tête blanche
qu’elles connaissaient bien, mais grand comme une forêt entière, et qui
repoussait les flots en se précipitant vers elles pour les dévorer.
Les femelles n’attendirent pas une seconde de plus, et paniquant,
se livrèrent au plus élémentaire réflexe de fuite éperdue. En quelques
bonds, elles disparurent dans les fourrés.
Le grand orignal et sa biche s’étaient également figés. Le monstre
se ruait dans leur direction. Dans un tour de reins désespéré, la biche se
libéra, plaquant son mâle dans la vase de la berge, et elle détala dans une
folle échappée pour la survie. La monstrueuse vague d’eau, de boue et de
métal arrivait sur le grand orignal. A son tour, encore tout en érection, il
vainquit sa paralysie, bondit et fonça vers la forêt. Mais il ne put empêcher
les projections d’atteindre ses puissants postérieurs.
118
L’Airbus A330 acheva sa folle glissade dans les eaux du lac dans
un grand craquement, et s’immobilisa brusquement en défonçant le rivage
boueux. Une puissante vague décapita trois huttes de castors disposées
non loin de là. Il y eut un grand silence. Les canards s’étaient tus. Un
héron bleuté filait au raz de la surface.
Fou de terreur et d’humiliation, l’orignal s’engouffra dans le
sous-bois dans une explosion de branches brisées. Il haletait et transpirait.
Et son orgueil blessé de mâle humilié devant ses femelles commença à le
dévorer. Après avoir galopé quelques minutes, cœur battant à rompre, il
s’arrêta, huma l’air et fit lentement demi-tour. Qui donc avait osé le défier
ainsi ?
Reportage
« Il paraît que l’avion du président français a eu des problèmes à
l’atterrissage, grésilla la voix du pilote de l’hélicoptère à travers
l’intercom. »
Assise à ses côtés, Jaimie Olson posa ses deux mains sur les
écouteurs. Le bruit du rotor était infernal et tout vibrait dans cette
carlingue. Elle hurla dans le micro :
« Des problèmes, quels problèmes ?
— Panne des moteurs.
— Quoi ?! Des moteurs ? Les deux ?
— Oui.
— Et alors ? »
123
barbotait encore, à moitié allongé dans l’eau. Le castor s’approcha de lui,
puis plongea brusquement, lui envoyant sa large queue dans la figure. Le
président cria sous l’effet inattendu de la claque. Un canard, lui-aussi
attiré par le remue-ménage, se mit à éclater de rire : « Coin ! Coin-coin-coin,
coin-coin, coin-coin, coin ! » C’était clair, il se payait la tête du malchanceux
président. Moi, président, je ne me ferai pas baffer par les castors et moquer par
les canards !
Pas volé, pensa Caroline. Cela lui apprendra à raconter des
blagues stupides. Un garde du corps s’approcha et redressa son président,
qui atteignit bientôt le rivage.
L’eau n’était pas très froide en cette période estivale, mais il y
avait des nuées de moustiques affamés.
Elle entendit alors la voix furieuse du vil, infâme et ignoble
ministre de la Police Manuel Iznogaz.
« Tiens, il est réveillé, celui-là, se dit-elle ! Rien de tel qu’un bon
crash suivi d’un bon bain… »
Le Préfet de Police de Paris le suivait en titubant dans la boue, et
en chassant les maringoins avec sa casquette préfectorale qu’il avait réussi
à sauver de la catastrophe.
« Mettez-moi le pilote en garde à vue, hurlait Manuel.
— Vous devriez penser qu’il vous a sauvé la vie, lui répondit
Caroline en colère.
— Vous êtes toujours aussi con, lâcha alors Christiane Tobago à
son rival. »
C’était son premier mot depuis le crash.
122
la rive ouest, au contraire, il n’y avait pratiquement pas de grève, la forêt
tombant directement dans le lac. Du côté de l’avion, la pointe nord était
bordée par une longue plage de cinquante à deux cents mètres de
profondeur, séparant la forêt du bord de l’eau. Il y avait donc la place de
poser sans problème un ou plusieurs hélicoptères. Il y avait aussi une
route forestière venant du nord. L’accès serait aisé pour les sauveteurs.
Jaimie Olson se mit à filmer. Il ne semblait pas y avoir de victime
apparente. Elle pourrait peut-être avoir son interview.
Les naufragés
Caroline fit encore quelques pas dans la vase. Elle
n’avait maintenant de l’eau qu’à la taille. Tout en gémissant
et soufflant, elle soutenait Christiane Tobago un peu
groggy, et l’entraînait vers la rive. Son gilet gonflé la gênait,
mais surtout elle souffrait de son estomac écrasé au
moment du crash.
Elle se retourna et aperçut le président Porcinet glisser sur son
toboggan. Il avait l’air tout content. Il toucha la surface de l’eau, mais ne
s’enfonça pas. Il n’avait pas mis de gilet, mais il flottait. Sans doute dû à sa
constitution présidentielle. En toute circonstance, Séraphin Porcinet
flotte…
Soudain, il y eut comme un mouvement près de lui. Un animal
s’approchait au raz de l’eau. Caroline comprit vite qu’il s’agissait d’un
castor, sans doute l’une des pauvres bêtes dont les huttes avaient
manifestement fait les frais de l’atterrissage de fortune. Séraphin Porcinet
119
Il y eut un instant d’attente. Le pilote devait être en train de
demander des précisions à la tour de Stanfield.
Jaimie Olson balaya rapidement les tous derniers événements
dans sa tête. Jeune journaliste au Chronicle Herald de Halifax, un des
principaux journaux de Nova-Scotia, elle avait été prévenue par un ami
travaillant à la tour de contrôle de Stanfield Airport, que l’avion du
président français allait se poser à Halifax, ce qui n’était pas du tout
prévu. Elle en était alors à cavaler au volant de sa Honda Civic dans les
rues de la vieille ville, afin de rejoindre au plus vite son domicile de la côte
ouest du fjord, et s’occuper de son petit garçon de trois ans, Arthur,
qu’elle élevait seule.
Cette information, encore confidentielle, était pour elle une
occasion en or de réaliser un scoop la mettant en valeur. Elle avait repris
son cellulaire et appelé un autre copain – car Jaimie était une fille
séduisante, et ne manquait pas de ressources… Celui-ci était pilote
d’hélicoptère et travaillait pour Park Canada, l’administration fédérale des
parcs nationaux. Il effectuait de fréquentes navettes avec le Parc national
de Kejimkujik au sud-ouest de la province. Elle le persuada de l’emmener
en urgence à l’aéroport. Avec un peu de chance, elle pourrait avoir un
entretien avec le président Porcinet. Elle lui demanderait pourquoi son
voyage au Canada avait été jalonné de plusieurs escales, mais aucune
dans les Provinces Maritimes. Le pilote avait accepté. Rendez-vous sur la
plateforme près des quais du Bedford Basin. Elle avait alors appelé la
gardienne d’Arthur. La jeune Jamaïcaine avait l’habitude des horaires
fantaisistes de la maman journaliste. Jaimie s’était frotté les mains. Elle
était certaine d’arriver avant les équipes de Radio-Canada. Elle pourrait
même publier une vidéo et des photos sur le site du Chronicle. Très bon
dans le cadre de la bataille d’audience sur le Wordwide Web !
120
« Ils vont essayer de se poser sur un lac ! annonça le copain pilote.
— Un crash? O my God! Peut-on aller sur les lieux ?
— On peut. Nous serons les premiers. »
Jaimie était impressionnée. Elle n’avait jamais vu de crash. Elle
espérait que le pilote arriverait à se poser sans trop de casse.
L’hélico passa donc en trombe au-dessus de l’aéroport et continua
vers le nord-est en suivant le cap donné par la tour.
« O my God ! », s’exclama alors le pilote. Il pointa son doigt droit
devant.
La jeune femme en eut le souffle coupé. Là-bas, sur l’horizon, une
multitude de petits éclats lumineux semblaient flotter au-dessus de la
forêt.
« Sont-ils… écrasés ? O my God ! Une explosion ?
— Je ne sais pas, répondit le pilote. On ne dirait pas. C’est étrange…
— Un début d’aurore boréale ? Ici ? Ce n’est pas possible…
— Non, répondit son voisin, cela semble… artificiel. On verra bien. »
Tous deux continuèrent à contempler les étranges lueurs qui ne
tardèrent pas à s’évanouir.
Jaimie prépara son appareil, un reflex numérique Canon 5D mk3
et monta un objectif à grande luminosité. Et elle passa la sensibilité sur
12800 ISO. Cela pourrait servir dans la pénombre. Avec ça, elle pourrait
aussi bien prendre des vues que des vidéos.
« La tour vient de me donner la clé de l’énigme, dit alors le pilote. Ce
sont des leurres anti-missiles dont l’appareil est équipé. Il les a largués par
sécurité.
121
— Ouf ! Je préfère. »
Le Bullshit Lake fut bientôt visible. De loin, malgré l’ombre
s’étendant sur la forêt tout paraissait normal. Pas de fumée, pas
d’incendie.
Ils dépassèrent les dernières cimes de feuillus et survolèrent le
lac. Là, près de l’extrémité nord-nord-est, l’Airbus !
L’appareil était enfoncé dans l’eau à mi-carlingue. L’empennage
bleu-blanc-rouge était bien visible. Ainsi que l’inscription « République
Française » sur le flanc. C’était bien l’avion du président français. Jaimie
avait de la peine à croire que ce fut réel. Une des ailes était au ras de l’eau,
l’autre dépassait nettement. On pouvait apercevoir le haut du moteur de
celle-ci. Difficile de dire si l’autre moteur s’était détaché de l’aile ou non. Il
ne semblait pas y avoir de dégâts apparents, à part un long panneau
métallique qui dérivait au milieu du lac. Sans doute un des volets. Pas de
trace de fuite d’hydrocarbure non plus. L’avant de l’appareil semblait
planté dans les hauts fonds du bord du lac.
« Ils ont sorti les toboggans, cria la jeune femme. »
L’hélico s’inclina et effectua un virage à basse altitude. On
pouvait voir des passagers courir sur l’aile ou patauger dans l’eau.
Certains avaient déjà rejoint la rive.
Le pilote reporta ces premières constatations à Stanfield Control,
et effectua encore un grand tour. Comme la plupart des lacs de la région,
le Bullshit Lake était formé d’une longue étendue d’eau orientée sud-
ouest, nord-est, et allongée entre deux chaînons de collines recouvertes de
forêt. A l’est, la grève laissait rapidement la place à un terrain vallonné et
dénudé, parsemé d’un chaos de souches, branchages et buissons. Il fallait
bien s’éloigner du lac d’au moins un kilomètre pour retrouver la forêt. Sur
162
de type à qui je ne confierais pas mes enfants. Lorsque j’aurai rencontré la
ratonne de ma vie, bien sûr. Ce doit être un Frère Prêcheur chargé de tous
nous convertir au papisme ou de nous envoyer au bûcher. Au service de
l’Antéchrist. Quelle misère !
Je suis donc inquiet pour l’orignal, Brigadier. Les papistes vont
peut-être le convaincre de rentrer dans les ordres. Ou d’intégrer l’Opus
Dei ! Lui qui s’enfilait les poulettes en série. Quelle conversion ! Pauvres
petites bibiches ! Et pauvre orignal !»
Le Brigadier-General Pincushion eut très rapidement l’air de
vouloir reprendre les choses en main. Sa décision était arrêtée.
Intervention militaire immédiate. Il fallait rejeter les papistes à la mer.
« Major, faites venir les chefs d’unité du 22nd Battalion.
— Yessir ! »
Le Major aboya les ordres. Très rapidement, les capitaines se
présentèrent au rapport. Chacun salua queue dressée en l’air, selon le
cérémonial militaire des skunks.
« Captain Daisy, C squadron, à vos ordres.
— Captain Dogwood, E squadron, à vos ordres.
— Captain Anemone, M squadron, à vos ordres. »
L’agent spécial Raton Laveur Doublezézette se tenait dans un
coin du poste de commandement. L’air le plus négligé et désinvolte
possible. Et il s’enfilait des cranberries à pleines pattes. Le Major Lavender
lui lança un regard peu amène. Les trois capitaines n’avaient d’yeux que
pour le Brigadier-General Pincushion.
Celui-ci reprit : « Sirs, l’heure est grave. Un commando de
papistes d’outre-océan, des Froggies, alliés à l’Inquisition Espagnole, après
135
Le culbuto
Rattrapé par l’orignal, le président Séraphin Porcinet n’avait plus
que pour seul espoir le bel arbre qui lui tendait ses branches. Jamais,
jamais, il ne pourrait l’atteindre. Déjà il se sentait poussé par les énormes
bois de l’animal. Et jamais, il n’aurait le temps de grimper. Il allait se faire
écharper en une seconde. Il remarqua alors devant lui une longue branche
qui s’étalait à peu près à une hauteur de deux mètres cinquante. Mais
c’était beaucoup trop haut. Soudain, l’orignal souleva furieusement la tête,
happa le pauvre homme de ses larges bois et le souleva comme un fétu de
paille. Séraphin Porcinet hurla de terreur. Il allait se faire lancer en l’air,
projeter en avant et piétiner par cette masse énorme et ses sabots de vingt
centimètres. Il vit alors la grosse branche arriver vers lui. En un réflexe
désespéré, il lança ses bras en hauteur. Ses deux paumes heurtèrent
violemment la branche rugueuse, et bloquèrent une fraction de seconde
son vol plané. Il pivota sur sa lancée dans un grand balancement, puis
l’orignal passa juste au-dessous de lui non sans heurter ses mollets. Le
président lâcha aussitôt prise et retomba lourdement assis sur la croupe
de la bête. Emporté sur son dos, il hurla de douleur. Il voulut se mettre en
avant pour soulager ses fesses, mais cela lui fit encore plus mal dans le
bas-ventre. A plat ventre, jambes pendantes à droite comme à gauche de
l’animal, il rampa tant bien que mal pour se cramponner au crin rugueux
du garrot. Il chevauchait un orignal ! Si Valérie le voyait… Ne parlons pas
de Ségolène Cardinal !
Le Grand Orignal se trouva un peu désorienté… Son concurrent
sur son dos ! Ce n’était pas normal. Il pensa un instant se rouler sur le sol
pour faire tomber cet importun, d’autant qu’il puait la mouffette comme pas
possible. Mais, ce n’était pas admissible. Il n’allait quand même pas se
136
coucher devant un autre mâle. Surtout son rival. Jamais ! Jamais ! Jamais !
Non, il fallait trouver un moyen de le faire tomber.
L’eau. On allait essayer ça. L’orignal tourna les sabots, puis se
précipita dans le lac. Les orignaux sont excellents nageurs. Les présidents
de la République beaucoup moins, même s’ils flottent. Séraphin Porcinet
se cramponna de son mieux. Entre deux apnées, il respira comme il put.
Et il but. Mais c’est un garçon accrocheur, c’est peut-être sa seule qualité,
si ce n’est qu’à un certain niveau d’incompétence, cela devient un
défaut… Mais il résista.
Après une petite croisière sur le lac, l’orignal remonta sur le
rivage. Passons à la phase deux, se dit-il en son langage de cervidé. Et il se
lança dans une série de cabrioles, ruades, cabrés, bonds, pirouettes,
piaffes, croupades, une sorte de synthèse sauvage entre le rodéo sur
taureau et la haute école de dressage équestre.
Jaimie Olson qui filmait toujours, n’en croyait pas ses yeux. Mais
il est vraiment excellent, ce Porcinet, pensa la jeune femme. Elle se dit
même qu’il pourrait gagner beaucoup de dollars dans les épreuves de
rodéo chez son oncle, dans l’Alberta.
Il y a certainement un ange-gardien spécialement dédié aux
hommes tels que Séraphin Porcinet. Ils en ont tant besoin ! Dommage
qu’ils ne l’écoutent pas souvent. En tout cas, ballotté comme un sac de riz
et soufflant comme une baleine à bosse du Saguenay, souffrant le martyre
dans tous ses membres, il tint bon.
A bonne distance de la scène, Caroline admirait aussi. Elle se dit
même qu’un de ses oncles, officier au Cadre Noir de Saumur accepterait
sans épreuve préalable un tel président de la République capable de tenir
ainsi sur le dos d’un orignal en rut. De la Haute Ecole !
161
chef. Ce doit être un archevêque. A Paris, les papistes ont un Monseigneur
Vingt-Trois ou Vingt-Quatre, je n’sais plus où en est le décompte. Le
rondouillard, c’est peut-être Monseigneur Six Cent Soixante Six,
l’Antéchrist !
Ensuite, sous une des cornes de la Bête, il y a un papiste
maigrelet, émacié, excité et au regard méchant. C’est sûrement un Grand
Inquisiteur. Au service de l’Antéchrist.
— Un Grand Inquisiteur ? Etes-vous sûr Agent Doublezézette ?
— Sûr et certain. D’autant que je suis très physionomiste, et je lui
trouve une tête d’Espagnol à ce papiste émacié aux sourcils épais et noirs.
— Comment connaissez-vous les Espagnols ?
— J’ai travaillé pendant quelques temps avec un type du service
action. Un renard de Californie. On faisait équipe. Il s’est inspiré de moi
pour ce qui est du masque. C’était un descendant d’Espagnols. Il n’avait
pas son pareil pour sauter sur un cheval depuis un balcon. Moi, j’ai essayé
un jour sur un caribou depuis un bouleau, je me suis cassé la gueule, et je
me suis retrouvé avec le museau dans une bouse. Donc, je m’y connais, ce
Grand Inquisiteur est certainement un Espagnol. Il n’y a d’ailleurs qu’à
voir son aisance devant les bêtes à cornes.
Maintenant, réfléchissez, un Espagnol et un Grand Inquisiteur.
Cela ne vous dit rien ?
— Le Retour de l’Inquisition Espagnole ! Alliée avec les Froggies !
O my God ! Que Dieu sauve la Reine et le Canada !
— Et enfin, continua l’agent Raton Laveur Doublezézette, sous
l’autre corne de la Bête, il y a un papiste tristounet, sans genre bien
déterminé. Ou alors, s’il a un genre, c’est un bien mauvais genre. Le genre
160
— Oui, oui, un chapelet, le truc de Lourdes, et avec toutes les
billes qu’il faut faire circuler entre les orteils. J’ai essayé un jour, pour voir
bien sûr, j’n’ai réussi qu’à m’l’enrouler autour de la queue. J’ai dû vouloir
aller trop vite. Chuis pas papiste, me v’la rassuré.
Donc, pour revenir à mon rapport, j’en ai déduit qu’il s’agissait
d’une bonne sœur, c’est courant chez les papistes, sans doute une novice,
et que les deux types étaient chargés de la cloîtrer au plus profond d’un
couvent. Derrière des grilles, comme au zoo. Sauf qu’on ne lance pas des
cacahouètes aux bonnes sœurs. Mais des chapelets. C’est dommage, elle
est super bien roulée elle-aussi. Elle aurait pu faire des heureux. Je me
suis à nouveau fait mal à la queue quand je l’ai vue. Faut pas siffler les
bonnes sœurs papistes, même novices. J’avais plein de poils sur la langue
à force de mordre. Très ennuyeux. L’agent Doublezézette qui se mettrait à
zozoter ! Pas convenable ! Donc… Conclusion tout à fait incontestable,
nous sommes en présence de papistes, et de la pire espèce. Tous les
Froggies sont des papistes, mais ceux-là sont des durs entre les papistes. Ils
récitent le chapelet, et mettent leurs filles au couvent !
— Des papistes, hurla alors le Major Lavender en levant les pattes
avant ! Des papistes ! Envahis par des papistes ! Il faut les arrêter de suite !
— Du calme, du calme, Major, coupa le Brigadier-General. Ce
sont donc bien des Froggies, et en plus des papistes. Et les cavaliers ? Et
l’orignal qui nous a trahis avec des papistes ?
— Brigadier, répondit Raton Laveur, comment pouvez-vous
soupçonner ce pauvre orignal d’être papiste ? Polygame comme on n’en
fait plus ! En rut un jour sur deux ! En fait, il a été capturé par les trois
ignobles papistes. C’est pour cela qu’ils ne le lâchent pas. J’ai été les voir
de près. Sur le dos de l’orignal, il y a un petit papiste rondouillard. Leur
137
« Un journaliste l’a surnommé Culbuto, il y a quelques années »,
lui glissa alors Christiane Tobago avec un sourire de côté.
« Même dans les pires conditions, il se relève toujours », ajouta-t-
elle.
« Nous non plus, nous ne lâchons rien, jamais, jamais, jamais »,
répondit Caroline sur un ton léger.
La Garde des Sots lui lança alors un noir regard…
Quant aux gardes, même après avoir écarté l’importune Cécile
Duvent, ils rageaient de ne plus pouvoir tirer. Avec le président sur le dos,
inconcevable !
L’attaché militaire continuait à courir tout en trimbalant sa valise
de codes en direction du grand cervidé. Quel homme de devoir !
Phase trois, décida alors l’orignal. Cela lui éviterait d’avoir à
charger ce petit homme vociférant et puant qui arrivait vers lui.
Et il se précipita en direction de la forêt. Opération friction et
grattage !
C’est dans un grand hurlement, suivi d’un grand craquement de
branches basses que Séraphin Porcinet, président de la République
Française, accroché au pelage de son orignal, pénétra à grande vitesse
dans le sous-bois de la forêt canadienne. Et disparut aux yeux de tous !
L’attaché militaire semblait tout désorienté. Et courageusement, il
décida de partir derrière. Sans lâcher sa précieuse mallette. Il pénétra à
son tour dans la forêt, guidé par les cris et les craquements.
« C’est le moment dit alors Jaimie aux deux ministres et au Préfet
de Police. Rentrons vite vers les autres avant que cette bête ne revienne.
De toute façon les secours vont bientôt arriver de Stanfield. Je vais
138
reprendre l’hélico et essayer de repérer l’orignal et voir si votre président
y est toujours. Vite, courons. »
Tout en longeant la lisière du bois, le petit groupe repartit au pas
de course en direction de l’avion et des passagers. Mais ils n’avaient pas
parcouru cent mètres que dans un grand fracas de branches brisées,
l’orignal réapparut, mais là, c’était entre eux et l’avion. Retraite coupée !
Séraphin Porcinet était toujours accroché sur son dos, mais son costume
semblait un peu en désordre. Il semblait même y avoir quelques accrocs.
Et sa cravate n’était pas d’aplomb. Ce qui ne le changeait pas vraiment. Et
il n’avait pas l’air d’en mener bien large. La preuve, il ne dit rien et
n’appela même pas au secours.
L’orignal aperçut les quatre fugitifs, pivota sur lui-même et fonça
vers eux. Ils n’eurent aucun besoin de se consulter et plongèrent dans la
forêt avec un bel ensemble. Nouveau craquement, nouvel hurlement
présidentiel, le cervidé venait à nouveau d’entrer sous les arbres. Blottis
contre un tronc ils virent passer en trombe animal et « cavalier » à deux
mètres d’eux, avant qu’ils ne disparaissent dans l’obscurité dans un
terrifiant roulement de sabots.
« Bon, expliqua Jaimie, nous n’allons pas jouer à ce petit jeu à
chaque passage. Rentrons à l’abri et retournons à l’avion à couvert.
— Cela va prendre beaucoup trop de temps de progresser dans ce
sous-bois, fit remarquer le préfet.
— Avant l’atterrissage de l’hélicoptère, j’ai repéré la configuration
des lieux, répondit la journaliste. Cette bande forestière au nord du lac
n’est pas très profonde. En la traversant, on aboutit à une large coupe
dans la forêt. Très dégagée. J’y ai même aperçu trois ou quatre biches
d’orignal. Traversons, puis tournons à droite et longeons la lisière. Au
159
— Un beau et bien roulé. J’ai dû mordre le bout de ma queue
jusqu’au sang, pour me retenir de ne pas siffler quand j’l’ai vue. Les
Froggies avaient une poulette avec les mamelles à l’air. Malgré les mosquitos.
Une endurcie ! Une adepte du plein vent ! Lido, Crazy Horse, ou Moulin
Rouge, j’sais pas où y zont été pêcher cette gueuse, mais ça n’peut être que
des Froggies qui viennent nous envahir avec ça. Ça va paralyser nos
troupes ! Elles vont viser puis siffler au lieu de tirer.
— Vous êtes dispensés de vos commentaires, Mr. Raton Laveur.
Avez-vous d’autres indices ?
— Oui mon Général ! Le pire ! Une autre fille !
— Encore ? Vous me poussez à bout, Agent Doublezézette! »
De fait, le Brigadier-General Pincushion semblait à bout de force.
Il tournait en rond et dressait la queue. Il était prêt à vaporiser l’insolent
agent du Military Raccoon. Car l’odeur du Brigadier-General Pincushion
était grandement redoutée. Quant au Major Lavender, on sentait qu’il
avait envie de creuser un trou pour s’y cacher.
« Mais non, écoutez-moi, Brigadier. L’autre fille, elle était dans un
coin, et il y avait deux types qui avaient l’air de la surveiller. Et elle n’avait
rien d’autre à faire. Et vous savez ce qu’elle faisait ?
— Vous allez me le dire agent Doublezézette.
—Je vous l’donne en mille. Vous ne me croirez pas !
—Dites vite Doublezézette. La patience n’est pas ma qualité
première.
— Vous l’aurez voulu. Figurez-vous qu’elle tuait le temps à
réciter… un chapelet.
— Un chapelet ? Un chapelet de papiste ? O my God !
158
sont bien de chez nous. Y causent le francophone normal. Ils sont bien
canadiens. Mais les humains sont spéciaux.
— D’où viennent-ils, agent Raton Laveur Doublezézette ?
— C’est compliqué. J’sais pas si j’peux dire…
— C’est votre job. Parlez, please. »
— Leur machine est bien venue du Bas-Canada, mais en fait, ils
sont originaires d’une nation de l’autre côté du Grand Océan de l’Est. Une
nation où on cause le francophone avec un accent très fort, où on mange
du fromage moisi et puant dix fois plus qu’une patrouille de skunks, et où
on mange aussi des grenouilles à la pelle. Par contre, et pour relever le
tableau, une nation où les poulettes sont super bien roulées et plutôt faciles.
— Quoi ? Des Froggies ? Que font-ils là ? C’est vraiment une
invasion ! Mais comment êtes-vous sûr qu’il s’agit de Froggies ?
— Très simple. D’abord, ils puent comme pas possible !
— C’est bien normal, Special Agent Doublezézette. C’est une
bonne odeur bien de chez nous. Ils ont été copieusement traités par les
skunks du Bas-Canada.
— Oui, mais ne me faites pas l’insulte de ne pas savoir distinguer
les odeurs. J’ai du discernement. Car les Froggies ne se lavent jamais, et ils
donnent des leçons d’hygiène et de morale au monde entier. C’est connu.
Donc, sous-jacent à leur délicieuse odeur de mouffette qui ne leur est pas
propre, ils ont leur odeur propre de Froggies sales. Compris le Brigadier
des Qui-Puent ?
— Hum ! Hum ! Et avez-vous d’autres indices Special Agent
Doublezézette?
139
bout, nous trouverons une route forestière qui conduit vers l’extrémité du
lac. Là, nous rejoindrons les autres. Cela vaut mieux que faire ce cirque.
Ecoutez, on entend le passage de l’orignal dans la forêt. Il doit refaire un
tour. Allez, allons-y. »
Personne ne contesta. Jaimie sortit son cellulaire, et passa un
message au pilote de l’hélico. Puis, elle courut derrière les trois hommes.
Néanmoins, très vite, ce fut l’obscurité quasi-totale, et il devenait
impossible d’avancer sans se planter dans un tronc ou une branche. La
jeune femme chercha dans sa sacoche et sortit une petite torche. Le groupe
reprit sa progression dans l’étroit faisceau lumineux.
Ce n’était pas si facile. Même si les troncs étaient assez espacés, il
y avait beaucoup de branches basses, des ronces, et surtout le sol était
jonché de branches cassées qu’il fallait enjamber. Et par-dessus tout,
l’ambiance était particulièrement sinistre.
« Ne risque-t-on pas de faire de mauvaises rencontres demanda
Vincent Paillard, ministre de la Rééducation Nationale ?
— Pour sûr, c’est certain, répondit méchamment le ministre de la
Police, le vil, ignoble et infâme Manuel Iznogaz. Il y a des mouffettes, des
carcajous capables d’égorger un cerf, des loups affamés, des coyotes, des
lynx cruels, des ours noirs, et même des Peaux-Rouges qui vous
demanderont votre genre pour savoir s’ils vous font rôtir à petit feu ou
s’ils vous violent avant de vous scalper. Si vous hésitez, ils font les deux à
la fois. Ce sont des gens qui ont beaucoup étudié vos Gender Studies mon
cher Vincent.
— Mais ce n’est pas vrai, protesta Jaimie. Les autochtones sont très
gentils. Ce sont des Micmacs, c’est honteux de dire des choses pareilles… »
140
Elle se dit que ce Manuel était vraiment désagréable. Cela lui fut
confirmé très vite…
Comme il trouvait qu’on n’allait pas assez vite, et que la torche
n’éclairait pas suffisamment devant ses pas à lui, le Ministre de la Police, il
s’avança, poussa la journaliste d’un coup d’épaule, lui arracha la torche
des mains, et partit en tête.
Soudain, ils entendirent un bruit. Cela approchait très
rapidement, et vers eux. Prudents, ils se rassemblèrent entre quatre troncs
rapprochés. Les cœurs battaient. Jaimie Olson conseilla d’éteindre la
lampe, mais Manuel Iznogaz refusa. Cela arrivait vraiment sur eux.
« Préfet, prenez un bâton, et faites écran de protection, glapit le
Ministre de la Police.
— Mais monsieur le Ministre, nous ne savons pas ce que c’est…
— Raison de plus mon cher Préfet. Le Préfet est celui qui va
devant.
— Mais Monsieur le Ministre…
— Préfet, votre boulot n’est-il pas de nous faire protéger par vos
CRS ?
— Oui, Monsieur le Ministre.
— Où sont vos CRS, Préfet ?
— Ils ne sont pas là, Monsieur le Ministre…
— Alors Préfet… Faites le robocop ! C’est compris ?
— Oui, Monsieur le Ministre. »
N’écoutant que son courage naturel, le Préfet de Police, après
avoir remis sa casquette préfectorale sur son crâne, saisit un bâton et se
157
excellent espion. Mais avec sa dégaine de Yankee, il avait tout pour
déplaire à l’officier supérieur des skunks canadiens.
« Salut les Stinkies, z’allez bien Brigadier ? Z’appréciez notre bled
paumé ? Voir les “Maritimes” et s’emmerder à mort ! Heureusement que les
Frenchies nous apportent leurs poulettes par aéroplane !»
Silence glacé du Brigadier-General Pincushion, tandis que le
visage du Major Lavender commençait à se décomposer…
« Vous ne me connaissez pas, continua l’agent ? Je me
présente ! »
Il tendit la patte au Brigadier-Général et annonça d’un air
satisfait :
« Laveur, Raton Laveur… Pour vous servir Brigadier…
— Good evening Mr. Laveur. Vous êtes l’agent Raton Laveur
Doublezézette, je crois, répondit le Brigadier-General Pincushion. Un as
du Military Raccoon. Avez-vous un rapport à me faire ?
— Pour un rapport, c’est un rapport. Ce n’est pas souvent qu’on a
un bazar pareil dans le secteur. Figurez-vous que tous ces mecs y
rappliquent du Bas-Canada et qu’y causent le francophone.
— Je le savais Doublezézette. Je n’ai pas eu besoin du MRI pour
ça.
— Bon, bon, faut pas l’prendre comme ça. Les Stinkies sont
toujours un peu délicats et susceptibles…
J’ai dit qu’y rappliquaient, mais j’ai pas dit qu’y zétaient des
Frenchies de chez nous, au Canada. Y causent le francophone, mais y zont
un accent très prononcé. Pour ce qui est des humains. Les skunks Frenchies
156
Mais où étaient donc les F-18 Hornet de la Royal Canadian Air
Force, dont un wing, présentement détaché de leur base principale de
Bagotville, était déployé à Goose Bay au Labrador ?
Il était encore plongé dans ses pensées, que le Major Lavender
arriva tout excité :
« Brigadier-General, j’ai le plaisir de vous annoncer l’arrivée de
notre masqué special agent du MRI. However, je dois vous aviser que cet
agent n’est pas vraiment un gentleman… Actually not !»
Le major avait l’air bien embêté… Le Brigadier-General secoua la
tête. Il connaissait bien les agents du Military Raccoon Intelligence. Ils
n’étaient pas spécialement recrutés pour fréquenter les salons d’Ottawa,
mais pour savoir s’infiltrer et grimper partout, faire les poubelles pour
récolter du renseignement, creuser dans les jardins pour espionner, et
percer les toitures pour installer leurs tables d’écoutes dans les greniers.
C’étaient d’excellents agents de renseignements, et de piètres gentlemen.
« Faites venir, Major, faites venir, je suis impatient. »
Au service secret de sa Majesté
C’est alors qu’apparut l’agent très spécial
du Military Raccoon. Les yeux cerclés d’un masque
noir, il pénétra en trombe dans la clairière faisant
office de poste de commandement, tout en laissant traîner sa large et
longue queue fourrée rayée d’anneaux noirs. Avec ses petites oreilles
mobiles, ses yeux moqueurs et son air futé, il avait tout pour être un
141
planta devant les autres. Caché derrière lui, Manuel Iznogaz braquait la
lampe en direction du bruit de galopade et de branches brisées. Une
silhouette se dégagea peu à peu de l’obscurité.
« Un Micmac ! » émit Vincent Paillard, d’une voix faible…
« Cognez, Préfet ! », rugit Manuel Iznogaz.
La cavalcade
Le Préfet de Police de Paris, même perdu au cœur de la forêt de
Nouvelle-Ecosse, fut fidèle à lui-même. Comme sur les Champs-Elysées, il
ne tergiversa pas et frappa. C’est un homme énergique, qui ne laisse rien
au hasard. L’habitude de la matraque ! Son bâton décrivit une vigoureuse
trajectoire semi-circulaire et vint s’abattre sur le visage de l’intrus. Celui-ci
poussa un cri guttural incompréhensible, ce qui était un indice de plus
qu’il pouvait bien s’agir d’un autochtone sur le Sentier de la Guerre, puis
il s’effondra.
Le mince faisceau de la torche découvrit le visage rouge et
maintenant tuméfié de l’attaché militaire chargé des codes nucléaires. Puis
l’individu en entier. Toujours avec sa valise, bien sûr, qu’il tenait d’une
main ferme.
« Alors, c’est quoi ce micmac ? » grinça la voix rageuse du
ministre de toutes les Polices, Manuel Iznogaz.
Puis, il ajouta à l’adresse du préfet : « Quoi ? Vous vous
permettez de frapper la Force de Frappe ? Préfet !
— Mais Monsieur le Ministre…
142
— Ouf !... Où fuis-ve ? », dit alors l’attaché militaire, en ouvrant
les yeux.
Il se redressa à moitié, puis porta sa main à la bouche, et cracha
du sang. Et il avait l’air vraiment essoufflé.
« Ve crois que… ouf… v’ai perdu deux dents…, dit-il d’un air
désolé.
— Vous avez une assurance, demanda Manuel Iznogaz ?
— Voui… V’ai une affuranfe.
— Alors pas de souci !
— Pas de foufi !
« Vous n’avez… ouf… pas vu le… ouf… prévident ?
— Par ici, montra Manuel Iznogaz. »
Il pointa du doigt la partie la plus profonde de la forêt.
« Par ifi ? Merfi !
— Pas de souci.
— Pas de foufi ! »
L’attaché se releva alors, et s’enfonça sans hésiter.
« Il nous aurait retardé ! » dit l’horrible ministre.
Le groupe reprit sa course.
« Je crois que nous arrivons bientôt à la clairière, annonça Jaimie,
après avoir jeté un coup d’œil au GPS de son cellulaire. »
Ils accélérèrent.
Soudain, Manuel Iznogaz poussa un cri et s’arrêta brusquement.
Les autres le rejoignirent.
155
— No, Sir, sorry, Sir.
— Vous pouvez disposer, Warrant-Officer Sunflower. »
Assez insatisfait, le Brigadier-General Pincushion s’avança sur le
bord du petit promontoire, où il avait dressé son poste de
commandement. De là, son regard teigneux pouvait englober la totalité
du Bullshit Lake. Sur sa droite, il y avait l’horrible machine de
débarquement à moitié submergée, et les soldats de la tête de pont
fraîchement débarqués. Certains avaient même tiré des coups de feu, ce
qui en disait long sur leurs intentions belliqueuses.
Mais ce qui l’intriguait le plus, c’était cette nouvelle tactique de
combat. Trois cavaliers disposés sur un seul orignal, dont deux suspendus
à chacune des cornes. Une technique redoutable et très tout-terrain,
capable d’aller dans l’eau, de traverser les bois, et de charger furieusement
en terrain ouvert. Très inquiétant, d’autant que les cavaliers avaient l’air
particulièrement contents d’être là : ils criaient tout le temps. Et ils
faisaient vraiment corps avec leur monture. L’orignal fonçait dans les
ronces, faisait moult cabrioles, ruades et cabrés, plongeait dans le lac, et ils
restaient toujours accrochés. Excellent ! Des cavaliers d’élite ! S’ils étaient
canadiens, ils auraient pu être recrutés par la R.C.M.P., la Royal Canadian
Mounted Police 17. Par contre, leur plan d’attaque était encore imprécis, car
l’orignal changeait souvent de direction. Ne pas deviner les intentions de
l’ennemi était ce qui l’inquiétait le plus. D’autant qu’ils disposaient d’une
incontestable couverture aérienne avec leur petite machine volante qui ne
cessait de bourdonner là-haut, et contre laquelle son artillerie puante ne
pouvait pas grand-chose.
17 Police montée, RCMP en anglais, GRC en français.
154
— Très difficilement Sir. Ils ne se nomment même pas skunks,
mais quelque chose comme « moofait ». Ce doit être du francophone.
— Mouffette, Warrant-Officer ! Mouffette. And then ?
— Nous avons dû passer par les jeunes skunks qui avaient reçu
quelques cours d’anglais. Thanks God ! Leurs parents sont des endurcis
francophones. Nous avons donc réussi à savoir a little bit de leur histoire.
Ils sont venus du Bas-Canada dans la volante machine. Mais c’est une
étrangère machine, et ils ont dû se battre comme des wolverines14 contre
l’équipage qui les retenait prisonniers. Ils n’ont pu m’en dire plus, ils
avaient l’air affamés, et je les ai confiés au Sergeant Daffodil afin de leur
donner quelques cranberries. Mais ils restent très indépendants, et ne
veulent pas s’enrôler dans notre glorieux bataillon.
— A mon avis, intervint le Major Lavender, il est probable que
ces Frenchies soient des militants indépendantistes encartés au P.S., le Parti
Sconse. Je serais bien étonné qu’ils soient des membres de l’U.M.P., l’Union
des Mouffettes Puantes, un parti fédéraliste allié aux Libéraux à la Chambre
des Communes d’Ottawa.
— De plus, Sir, reprit le Warrant-Officer Sunflower, un des jeunes
skunks portait une grosse trace de rouge à lèvres sur le sommet du crâne.
Un baiser. A son âge ! Shocking !
— Ce sont des Frenchies skunks, Warrant-Officer, répondit le
Brigadier-General, sur un ton quelque peu fataliste. Il faut faire avec. Et ce
n’est pas pour rien que le nick-name 15 de Montréal, c’est « Sin City 16». Pas
d’autre morceau d’information ?
14 Gloutons, carcajous 15 Surnom 16 « Ville du péché »
143
« Ce sont les… les … ne me dites pas pourquoi ni comment, mais
ce sont les mouffettes ! Nos mouffettes !»
De fait, il y avait bien six mouffettes en travers du chemin. Deux
plus grosses, et quatre plus petites. Et dans le faisceau de la lampe, on
distinguait bien une grosse marque rouge de bisou sur le sommet du
crâne d’un des jeunes. Et elles leur barraient la route.
« Ah ! Non, ça ne va pas recommencer, hurla Manuel Iznogaz ! »
Affolés par les cris, les animaux levèrent la queue.
C’est alors que Manuel Iznogaz attrapa le Préfet de Police par les
épaules, et d’une propulsion vigoureuse, il le jeta en avant en direction
des mouffettes. Instinctivement, celles-ci firent jaillir leur sécrétion avec
un bel ensemble sur le malheureux fonctionnaire qui fit réellement écran.
Psssssshhhhhhhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttt !
Le Préfet, c’est celui qui va devant ! Manuel donna à nouveau un
violent coup d’épaule à la jeune journaliste, puis passa à toute vitesse, et
s’éloigna, suivi de près par Vincent Paillard. La jeune femme perdit
l’équilibre et tomba sur le sol feuillu.
« Asshole ! », cria Jaimie à l’adresse du vil ministre. Mais elle fit
peur à une des petites mouffettes qui se trouvait à deux mètres de son
visage. Muguet envoya une petite giclée, puis se sauva avec toute sa
famille.
Pssshhhhiiiiitttt !
« Fleur, dit Marguerite, la maman mouffette, pourriez-vous nous
trouver présentement un endroit tranquille où on ne rencontre pas ces
affreux personnages. Je commence à en avoir assez. Cette forêt est
vraiment mal habitée…
144
— Oui mon amour… Cependant la nouvelle dame avait l’air plus
sympathique.
— Muguet l’a aspergée avec beaucoup de retenue. Juste pour
qu’elle ne se sente pas oubliée. Pour la mettre au parfum. N’est-ce pas ma
chérie ?
— Oui Maman.
— Alors c’est correct.»
Le préfet de Police de Paris se releva, ramassa sa casquette avec
une certaine dignité et se boucha le nez. Puis sans attendre la jeune
femme, il partit au pas de course dans le sillage des deux ministres. Dans
l’obscurité totale.
« Attendez-moi, Patron, attendez-moi, Patron », criait-il.
Cette familiarité de langage était une preuve évidente qu’il était
bouleversé. Il eut aussi quelques craquements, quelques chocs, quelques
jurons, ce qui était une preuve évidente que dans le noir, il se payait tous
les obstacles.
Jaimie se leva aussi et pleura un peu. C’était trop horrible ! Et elle
ne savait pas ce qu’elle détestait le plus : l’odeur des mouffettes, ou le
ministre français Manuel Iznogaz. Qui lui aussi puait la mouffette de toute
façon. Elle se sentait si humiliée ! Au moins avec les mouffettes, on avait
l’odeur, mais pas le ministre.
Pendant ce temps, les deux goujats galopaient de toutes leurs
jambes, talonnés finalement d’assez près par le Préfet de Police.
« Vous avez vu, mon cher Vincent, dans la vie, il faut savoir
prendre des initiatives. C’est comme cela que l’on progresse dans la
153
« Warrant-officer Sunflower au rapport ! »
C’était la première fois qu’il rencontrait le Brigadier-General
Pincushion, et il était très impressionné par ses larges moustaches, son
long museau et sa grande queue à double bande blanche qui balayait les
broussailles lorsqu’il se retournait. Le Brigadier-General était très redouté
par tous, mais en même temps très estimé pour ses jugements et ses
stratégies.
Le Brigadier-General Pincushion leva le menton, lui intimant
l’ordre de parler.
« Sir, ma patrouille est entrée en contact avec une bande de
skunks étrangers au secteur.
— Que vous ont-ils appris, warrant-officer ?
— Nous avons eu quelques difficultés de compréhension, Sir…
Ce sont… ce sont des skunks du Bas-Canada.
— Quoi ? Des Frenchies ?
— Yessir, sorry sir ! »
Le Brigadier-General soupira. Il ne portait pas vraiment les
Frenchies dans son cœur, tradition familiale oblige, mais il comprenait que
le Canada était une grande confédération, et que tous les skunks devaient
apprendre à vivre ensemble et aimer leur patrie. Pour que tout le monde
puisse s’y sentir bien. Le Bien Commun. Mais que faisaient ces skunks du
Bas-Canada en Nova-Scotia ?
« Avez-vous pu les faire parler, Warrant-Officer ?
13 adjudant
152
Canada12 ? Sont-ce des troupes d’une autre origine, par exemple venant
des nations d’au-delà du Grand Océan de l’Est?
— I’m so sorry Sir. J’attends le rapport de notre masqué special
agent du MRI aussi. Son retour de mission m’a été signalé par le sergeant
Daffodil.
— Qu’il se hâte, Major Lavender, qu’il se hâte. N’oubliez pas que
je dois me rendre au Headquarter de notre régiment à Ottawa. Il faut que
cette affaire soit réglée avant mon départ.
— Yessir ! »
Depuis le crash de l’A330, le Brigadier-General Pincushion ne
décolérait plus. En charge du Royal Canadian Skunks Infantry Regiment, il
était en visite d’inspection auprès du célèbre 22nd Royal Canadian Skunks
Battalion of Nova-Scotia, unité appelée familièrement « le Royal Skunks »
dans les milieux militaires, et très réputée pour son caractère offensif, son
dévouement sans borne à la Couronne, et ses traditions très highlanders.
Déployé en Nouvelle-Ecosse sur sa base du Bullshit Lake pour la
protection des Marges Atlantiques, le bataillon se trouvait là devant une
intrusion tout à fait inédite. Une attaque aéroportée et amphibie, avec
combinaison de l’aviation légère, de la cavalerie lourde et de l’infanterie.
Le passage à l’ennemi du Grand Orignal l’intriguait également. Qui
étaient donc ces intrus capables de susciter une telle trahison ? Que Dieu
sauve la Reine et le Canada !
C’est alors que le warrant-officer13 Sunflower se présenta devant le
Brigadier-General. Il salua et prit la position réglementaire, queue dressée
à la verticale. Garde à vous !
12 Colonie anglaise (1791-1841). Sud et Est de l’actuelle province
du Québec et du Labrador.
145
hiérarchie. La force va aux forts ! Et un préfet, c’est fort, mais c’est fait
pour servir les forts et écraser les faibles.
— Vous avez bien raison, mon cher Manuel, mais n’était-ce pas
un peu inélégant avec Ms Olson ?
— Allons, allons ! Vous êtes encore victime de stéréotypes de
genre d’un autre genre, mon cher Vincent. Ce n’est pas un spécialiste de
l’égalité entre hommes et femmes qui va me donner des leçons. La fille a
eu le même sort que le préfet. Il y en a pour tous les genres. Tous pareils !
Et nous, nous n’avons rien reçu dans la tronche, c’est ça qui compte. »
Ils débouchèrent enfin dans la clairière. Le soleil couchant
éclairait un chaos fantomatique de troncs renversés, de souches, de taillis,
de branches mortes et d’herbes folles.
Soudain, un grand craquement les fit se retourner. Deux énormes
bois d’orignal se précipitaient sur eux.
Ils poussèrent un cri de terreur, mais n’eurent pas le temps de
bouger.
— HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! dit l’un.
— HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! dit l’autre.
Le long museau busqué de l’orignal était sur eux. Dans un ultime
réflexe de survie, ils levèrent les mains et saisirent les bois à la volée afin
de ne pas être écrasés par les terribles sabots. La bête donna un vigoureux
coup de collier vers le haut et ils furent tout deux soulevés avec un bel
ensemble, suspendus par les bras aux cornes monstrueuses de l’animal,
l’un à droite, l’autre à gauche.
Le Préfet de Police déboula de la forêt environ cinq mètres en
avant de l’orignal. Juste sur sa route. Il n’eut aucun loisir pour réagir. Il
reçut d’abord les jambes de son patron en pleine tronche, puis, bousculé
146
par le puissant poitrail de l’orignal, il tomba en arrière. Sa casquette
voltigea, et atterrit juste sous un des énormes sabots du cervidé. En une
fraction de seconde, tout le prestige préfectoral d’une longue et vénérable
carrière au service de la République contenu par l’objet en question fut
écrasé, déchiré, aplati comme la plus lamentable des crêpes.
Ce fut un homme brisé qui se releva.
« Ma casquette, gémit-il, ma casquette ! »
Le coup violent de la godasse du ministre, l’humiliation d’avoir
été projeté par son vénéré patron sur les mouffettes, leur odeur
insupportable, tout cela ne comptait pas. Il avait perdu sa casquette, sa
dignité, son pouvoir.
Pendant ce temps, emporté dans la course furieuse de l’orignal,
Manuel Iznogaz, après quelques frétillements infructueux, réussit à lancer
vigoureusement ses jambes en l’air et coincer ses chevilles autour des
énormes plaques osseuses solidement ancrées dans le crâne massif du
cervidé. Vincent Paillard, gigota un peu plus longtemps, et il dut se dire
qu’il faudrait augmenter les heures de gymnastique à l’école, y compris
pour les ministres. Encore une réforme des rythmes scolaires en
perspective. Ecole le dimanche, par exemple. Puis, lui aussi, réussit à
accrocher ses chevilles aux bois de l’orignal. Manuel pendait au bois droit,
Vincent au bois gauche.
« F’est ventil mon bon Manuel d’avoir tenu à me revoindre. Fi tu
favais fe qui m’est arrivé. Mais comme tu vois, on f’habitue à tout. »
Manuel Iznogaz leva le nez, et aperçut le président Séraphin
Porcinet penché sur l’encolure de l’animal. Il était assez difficile à
reconnaître. Son costume était entièrement déchiré, son visage avait
manifestement reçu des coups, sa bouche saignait, et vraisemblablement,
151
Chapitre IV - La revanche des
sconses
Les Loyalistes
« By Jove, ceci est une shocking invasion, je dis…
— My goodness ! Une volante machine amphibie et tous ces
hystériques personnages. Et le disaster chez les castors. Très inconvenant
Sir, j’en frémis. Du jamais vu sur notre lake.
— Je sais, Major, je sais. Mais je vous serais très obligé de me dire
ce que je ne sais pas. Très. Je veux connaître l’origine de ces inconvenants
invaders avant de lancer l’offensive de nos loyalist troops. Sont-ce des
Insurgents de notre Grand Voisin du Sud11, sont-ce des Patriotes du Bas-
11 Etats-Unis d’Amérique
150
plus difficile de voler à sa guise. Pour le moment, ils pouvaient suivre la
bête. La galopade continuait tout le long du lac à la lumière d’un soleil
finissant. Jaimie était plutôt satisfaite de sa position d’observation
d’événements aussi exceptionnels. D’autant que les équipes de Radio-
Canada n’étaient toujours pas arrivées.
Mais ce qu’elle ne savait pas, c’est que depuis une petite colline
plantée sur la rive est, d’autres observateurs, et des plus inquiétants,
considéraient la scène avec un intérêt fort différent…
147
le président était couvert d’égratignures. Mais il avait tenu bon. Ce qui ne
faisait pas vraiment l’affaire du vil, infâme et ignoble Manuel Iznogaz,
ministre de toutes les polices qui ne rêvait que d’une chose : devenir
président à la place du président.
Jaimie surgit à son tour dans la clairière. Au loin, sur sa gauche, la
silhouette de l’orignal au grand galop. Devant elle, le préfet, tête nue et
l’air triste. Il tenait entre les mains une sorte de disque informe. Il puait
comme pas possible, bien plus qu’elle. Elle eut envie de le consoler, mais se
garda bien de s’approcher. Il y a des degrés dans l’horreur des odeurs.
« Où sont les deux autres ? » demanda-t-elle.
— Ma casquette. Il a écrasé ma casquette…
— OK, mais où sont les deux autres butors ?
— Ils ont rejoint le président. Sur l’orignal… Sans moi.
— What ?
— Et il a écrasé ma casquette. »
La jeune femme ne répondit pas. Le pauvre homme avait l’air très
choqué. Il avait également l’air d’avoir très mal au visage et à un bras.
Mais c’était vraiment la destruction de sa casquette qui lui était la plus
douloureuse.
Un bruit d’hélicoptère se fit alors entendre.
« Chic, mon pilote est au rendez-vous, jubila Jaimie. »
Deux minutes plus tard, embarqués tous deux dans l’hélicoptère,
ils survolaient la clairière juste au-dessus de l’incroyable équipage formé
par l’orignal et ses passagers. Jaimie photographiait et filmait autant
qu’elle pouvait. Un Président de la République française à califourchon
148
sur le dos d’un orignal, et deux ministres suspendus à ses cornes, ce
n’était pas banal. Le site du journal allait monter en fréquentation.
Certainly !
« Ils ne vont pas traverser tout le Canada comme ça jusqu’à
Vancouver, cria Jaimie au pilote dans l’intercom. Il faut les rabattre vers
l’avion. »
L’hélicoptère vira et approcha face à l’orignal à basse altitude.
Affolé, celui-ci décrivit un large demi-cercle, puis se précipita à
grandes foulées dans la forêt. Le bruit infernal de l’hélicoptère ne permit
pas à Jaimie de savoir si les deux nouveaux passagers de l’animal
poussaient des cris ou non.
L’hélicoptère poursuivit son vol plein sud, au-dessus de la bande
forestière.
Bientôt, ce fut l’attaché militaire, toujours portant sa valise, qui
surgit de la forêt de l’autre côté, près du lac. Il avait l’air pressé et tentait
d’atteindre le grand arbre aux branches hospitalières qui poussait près de
l’eau…
Dans une grande explosion de branches basses, l’orignal jaillit à
son tour du sous-bois. Le président et ses deux ministres y étaient toujours
accrochés. Il n’était guère possible de voir dans quel état. L’animal
allongea ses puissantes foulées, et gagnait inexorablement sur l’attaché
militaire. Pour une fois, ce n’était pas celui-ci qui suivait le président, mais
le président qui suivait l’attaché militaire. Et à quelle vitesse !
Jaimie fut néanmoins contente pour lui. Il avait trouvé le
président. Elle admira aussi la dextérité avec laquelle l’attaché militaire
réussit à escalader l’arbre en urgence, d’une seule main, sans lâcher sa
149
valise, avant que l’animal ne puisse l’encorner ou le piétiner. L’homme
n’aurait désormais pas à rougir devant des gibbons ou des bonobos.
Vraiment habile !
Sans freiner en aucune façon, après être passé sous l’arbre,
l’orignal se tourna alors vers l’est, et chargea les gardes et policiers qui
s’étaient avancés. Ce fut une belle débandade. Mais personne n’osa tirer
en raison des nombreux otages d’importance qu’il détenait. Puis il
continua à galoper en direction du groupe des passagers rassemblés vers
la pointe nord, non loin de l’épave de l’avion. Tout en provoquant une
belle panique. Il passa au milieu d’eux, puis, obliquant à droite en
direction du sud, il poursuivit sa course le long de la rive est du Bullshit
Lake.
Caroline, qui s’était réfugiée avec les autres en lisière de forêt,
apprécia le spectacle. Dans cette aventure, elle aurait vraiment tout vu.
Elle ne put s’empêcher de s’exclamer bien fort :
« Mais ils sont emportés par un véritable élan patriotique ! »
Il y eut un grand silence. Puis un énorme éclat de rire. Roselyne
Camelot riait, mais riait… « Un élan patriotique ! », répétait-elle sans cesse.
Quant à Christiane Tobago, elle faisait très nettement la gueule. Il y eut de
très nombreux commentaires. Harem Plaisir parla de nervis… Les
orignaux sont identitaires, pour sûr. L’humaniste Pierre Lebon-Berger
resta de marbre, ce qui est bon signe. Quant à Cécile Duvent, elle sembla
vraiment contente que l’orignal se portât comme un charme. Comme à
son habitude, Noël Maparendeux grommela n’importe quoi dans ses
moustaches défraichies.
En altitude, Jaimie Olson continuait à filmer. Elle en profitait, car
les hélicos de secours allaient bien évidemment arriver, et il serait bientôt
190
spécial pour sentir l’odeur de Caroline au milieu de cette puanteur
absolue à donner la nausée.
La journaliste, intriguée, se saisit de l’animal. Celui-ci se mordit
violemment la queue, et se blottit dans les bras de Jaimie.
Les gardes passèrent les menottes à Caroline, et l’emmenèrent
dans un coin.
« Ces animaux ne sont pas propres », déclara alors Roselyne
Camelot, s’approchant. Il faudra se désinfecter au plus vite. Mais toutes
les piqûres sont dans l’avion. Je suis désolée. Puis, regardant la bonne
bouille du raton, elle s’écria : « Mais il est quand même mignon. Tu veux
un bisou, mon gros ?»
Les yeux du raton-laveur s’emplirent alors de terreur, il poussa
un cri strident, sauta des bras de Jaimie Olson, puis, tous poils hérissés,
surtout la queue qui avait doublé de volume, il se précipita dans un
fourré. Manifestement, il n’avait pas vraiment envie des bisous de
Roselyne. Peut-être craignait-il les piqûres.
Dès que celle-ci eut tourné le dos, le raton-laveur sortit
prudemment de son refuge, et revint se frotter contre Jaimie. Toujours en
se mordant le bout de la queue. La jeune femme se baissa, et détacha le
foulard de soie bleue. Elle sentit des choses dures, enveloppées dedans.
Discrètement, elle défit le tout, et découvrit une micro-caméra cachée dans
un collier, ainsi qu’un minuscule enregistreur.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? »
Elle fourra les deux appareils dans son sac de photographe. Puis
elle passa non loin de Caroline, coincée avec ses gardes. Les deux femmes
163
avoir capturé des skunks canadiens, Frenchies certes, mais canadiens, est
venu lancer une tête de pont sur notre lac. Ils ont pris le contrôle d’un
orignal de Nova-Scotia. Nous nous attendons à une invasion en masse. Il
est probable que les Froggies veuillent prendre leur revanche de la
Conquête18, et des Plaines d’Abraham19, et enlever le Canada à la Couronne
afin de nous convertir tous au papisme. Que Dieu sauve la Reine et le
Canada ! Les skunks Frenchies ont déjà accompli leur devoir envers la
Patrie. C’est maintenant l’honneur du 22nd Royal Canadian Skunks Battalion
of Nova-Scotia d’avoir à les rejeter à la mer.
“Canada expects that every skunk
will do his duty”
Mon plan est simple :
Premièrement l’offensive.
Secondement l’offensive.
Troisièmement l’offensive.
Le C squadron attaquera l’orignal sur la rive est, gazera ses
cavaliers et délivrera le Grand Orignal. Il faut faire des exemples. Ces trois
papistes doivent puer jusqu’à Vancouver !
Le E squadron encerclera et surprendra le gros des forces papistes
au nord du lac. Gazage général. Pas de quartier.
Le M squadron bloquera toute retraite au niveau de la route
forestière, à un demi-mile au nord et gazera les fuyards.
18 Conquête de la Nouvelle-France par l’Angleterre (1760) 19 Bataille décisive de Québec, l’armée française fut défaite par
l’armée anglaise (1759)
164
Puis les trois squadrons convergent et refoulent l’ennemi à la
mer, ou les noient dans le lac. Compris ?
— Aye aye Sir ! », clamèrent les trois capitaines skunks.
— Rompez ! Major ! Rassemblement sur la place d’armes de tout
le 22nd.
— Yessir ! Aye aye Sir ! »
Avant que les officiers n’aient pu se séparer, l’horrible agent
spécial Raton Laveur Doublezézette intervint :
« Dites les Sirs, vous me laisserez quand même la Bonne Sir, euh,
Bonne Sœur, pas trop recouverte de votre délicieux parfum. Qu’elle soit
un peu attractive pour mes délicates narines. Cette belle espionne papiste,
elle est pour moi ! Elle m’a tapé dans l’œil, car elle m’a l’air plus classe que
l’autre poule blondasse toutes mamelles dehors. Une lady, c’est ce qu’il
faut à un gentleman comme moi. Elle m’apprendra les bonnes manières,
et à boire le thé sans laisser traîner ma queue dans la tasse. Mais faut
qu’elle soit approchable sans s’pincer la truffe. Grâce à moi, elle pourra
aussi échapper au couvent. Elle deviendra ma Raton Laveur’s girl, c’est
quand même mieux qu’une bonne sœur avec voile, coiffe, chapelet et tout
le gréement papiste!»
Regard noir du Major Lavender. Il avait une sacré envie
d’asperger ce raccoon insolent.
Les cent soixante mouffettes du 22nd Royal Skunks de Nova Scotia
furent rapidement disposées en un U impeccable autour de la Place
d’Armes de la base du Bullshit Lake. Toutes les queues à double bande
blanche étaient rigoureusement verticales. Une vigoureuse et haute
189
— Pas du tout. Je dis la vérité…
— Gardes ! Arrêtez-là. Menottes, et vous répondrez d’elle fi elle
f’éffappe.
— Ecoutez s’interposa Jaimie Olson, vous exagérez. Vous êtes sur
le sol canadien, vous n’avez pas le droit d’arrêter qui que ce soit. Vous
n’avez aucune preuve. Attendez l’arrivée de notre police.
Il y eut une courte dispute entre Jaimie et Manuel Iznogaz. Jaimie
avait beaucoup de mal à comprendre la prononfiafion du ministre édenté.
Christiane Tobago vint également tenter d’aider Caroline. Il n’y avait pas
de preuve.
Pendant ce temps, Caroline se baissa et attacha son foulard bleu-
ciel d’hôtesse au cou du raton-laveur.
« Vous me laissez dire au revoir à cet animal », demanda-t-elle,
alors que des gardes s’approchaient…
Puis, elle se releva, et le prit dans ses bras. Le raton-laveur
semblait très content.
« Il est très gentil dit-elle à la journaliste canadienne. Pouvez-vous
vous en occuper ?
— Un raton-laveur ? Ce sont des animaux familiers, mais
nuisibles. De vraies pestes…
— Celui-ci est particulier répondit Caroline. Il me semble très
attaché à moi. Je lui ai même laissé mon foulard, pour qu’il y ait mon
odeur. Ce serait gentil de me le rapporter quand ils auront compris que je
suis innocente. »
Elle fit un petit clin d’œil discret à Jaimie qui se dit qu’il se passait
quelque chose de bizarre. D’autant qu’en matière d’odeur, il fallait un flair
188
« La terrorifte, la fauffe femec, l’infiltrée, où est-elle ? Le fauve f’est
fauvé. Vous deviez la garder. Elle est en fuite. Retrouvez là tout de
fuite ! »
Plusieurs gardes et policiers se mirent alors à courir dans tous les
sens.
Soudain une voix retentit : « C’est moi que vous cherchez ? Je suis
là. Je veux bien descendre. »
Jaimie leva le nez. Caroline était là, assise sur la branche d’un
gros érable et arborant un sourire moqueur. Et sur ses épaules, scène
incroyable : un raton-laveur !
Elle descendit souplement le long du tronc, et l’animal la suivit. A
peine à terre, il lui sauta dans les bras.
« Que faites-vous avec fette bête, hurla le ministre Manuel
Iznogaz ?
— Je n’en sais rien Monsieur le Ministre, au moment de l’attaque
des mouffettes, il s’est précipité vers moi, il s’est violemment mordu la
queue, puis il m’a attirée vers cet arbre tandis qu’il s’interposait face à
trois mouffettes. Puis il m’a poussée à grimper. Et il m’a rejoint. Il m’a
sauvée…
— Et vous voulez me faire croire fes fornettes, efpèfe de garfe… »
Le raton-laveur montra ses crocs, et le ministre dût reculer.
« Je vous jure que c’est vrai.
— Et comme par havard, vous vêtes la feule à ne pas vavoir été
vaporivée par les fconfes. Vous ne fentez pas mauvais. Prefque pas ! Et
f’est un raton-laveur qui vous vaurait protévé ? Vous vous foutez de ma
gueule ?
165
pousse d’érable occupait le centre de l’espace libre. Au sommet de la
pousse : une superbe mais unique feuille d’érable.
Tout d’abord, le Brigadier-General résuma les objectifs et son
plan à tous les skunks. Une fois la harangue achevée, il ordonna :
« Musique ! »
Alors une douzaine de skunks s’approchèrent en ordre serré, et
se disposèrent en cercle autour de la pousse d’érable.
« Ce n’est pas vrai, gémit Raton Laveur Doublezézette. Ils vont
encore faire jouer le Royal Canadian Fartpipe Skunks Band ! Après les
cornemuses, c’est ce qu’il y a d’pire. Faut que j’me tire, chuis pas
mélomane. J’ai pas d’oreille, mais j’ai du nez !»
Le Royal Canadian Fartpipe Skunks Band est un ensemble de
musique militaire traditionnelle extrêmement réputé de la Nouvelle-
Ecosse, recrutant les mouffettes les plus douées pour moduler
harmonieusement leurs flatulences. Leur répertoire est extrêmement
varié, mais surtout traditionnel, ce qui est très apprécié en cette province.
Très highlander style, comme le 22nd Battalion. Ces musiciens hors pair ne
se nourrissent que d’airelles, afin d’obtenir les tonalités les plus délicates.
On prétend même qu’ils ont l’anus absolu.
Ils ont même tenté de participer au festival de musique celtique
Festnoz de Douarnenez, en France, mais les écologistes de la région s’y
sont opposés en raison de l’impact répété des pets sur le réchauffement
climatique. Certains mauvais esprits ont même précisé que la ville
s’appelant Douarne-nez, et non pas Douarne-nezbouché… elle n’était pas
l’endroit le plus indiqué pour les recevoir. Par contre, les responsables du
Hell Fest les ont invités, espérant ainsi ajouter une composante tonifiante à
l’odeur douceâtre de cannabis qui imprègne l’atmosphère de ce
166
rassemblement si prisé par l’intelligentsia porcinienne. Mais le Major
Lavender s’y était heureusement opposé. On a beau être des skunks, on a
sa moralité !
En opération, le Fartpipe Skunks Band accompagne les troupes
au combat. Il a été prouvé que cela encourage l’ardeur des soldats, et
perturbe sérieusement l’ennemi.
Ce soir-là, le Fartpipe Skunks Band accompagna l’hymne du
bataillon dont la traduction approximative de l’anglais est la suivante :
Souvenir qui pue,
Ma vieille clairière oubliée
Au camp, on nous conspue,
Nous les mouffettes aux queues rayées
Dans la forêt grise,
La mouffette vous arrose.
Oui, oui, oui…
La mouffette vous arrose.
— Prrrooot-proot-prooooot-proooot-prrrrroot-prrrrrrrrooooot !
—Prrrrooooot-proot-prooooooot-proooot-prrrrroot-prrroooot !
« Sauve qui pue, se dit l’agent Doublezézette. Les mouffettes
péteuses, très pue pour moi !»
Le Fartpipe Skunks Band exécuta ensuite Amazing Gaz.
— Proooooooot-proot-prooooooot-prooooooot-proot-prrrrrrrrooooot !
« Vous n’aimez pas, Mr. Laveur, do you ? » lui demanda alors le
Brigadier-General Pincushion, avec un petit sourire figé en coin?
187
— Nous n’en avons pas, répondit sèchement le ministre.
— Mon costume n’est plus impeccable. Il faut qu’il soit
impeccable. Et cette attaque est forcément commanditée par la Manif pour
Tous. Et par les catholiques. Il faut leur faire payer. Je suis pour la
suppression intégrale de toutes les fêtes chrétiennes, et c’est l’occasion de le
faire. Compris ?»
Manuel Iznogaz haussa les épaules et continua à inspecter le
camp. Il avait d’autres « foufis » que passer au Calendrier
Révolutionnaire ! Jaimie fut sidérée par la scène. Malgré toute l’antipathie
qu’elle avait pour le ministre de la police français, il était certainement le
dernier à qui parler de costume. Vu l’état de ses guenilles… Quant aux
catholiques, elle ne voyait pas le rapport avec les mouffettes. Ils sont fous,
ces Français, pensa-t-elle.
Puis, elle leva la tête, et aperçut Roselyne Camelot, à cheval sur
une branche basse. La branche ployait. Au moment où Harem Plaisir
passait dessous, la branche céda et Harem Plaisir se fit un plaisir d’amortir
le choc pour Roselyne qui ne se fit pas mal. Les deux se relevèrent
néanmoins péniblement, surtout Harem.
« Mais vous puez comme pas possible, dit-il. »
Il se prit une baffe, presque un coup de poing. Il laissa alors
échapper une dent. « Encore une mauraffienne, gémit-il. Ils font partout,
partout, partout. »
Pas de chance !
Soudain, le vil, ignoble et infâme ministre de toutes les Polices
hurla :
186
— Pas une groffe perte, gronda Manuel Iznogaz. Ve n’ai vamais
compris pourquoi les vadminiftrés d’une obfcure petite ville du fud-oueft,
que personne ne fait fituer fur la carte, l’avaient élu comme maire. Fans
doute parfe qu’ils vétaient bourrés comme des tonneaux avec leurs grands
crus de Bordeaux. Et puis, ils l’ont envoyé à l’Affemblée Nafionale pour
f’en débarraffer. Depuis, il est touvours à Paris pour nous vemmerder
comme pas poffible ! »
Ils aperçurent alors Harem Plaisir. Il marchait de long en large.
Manifestement, lui-aussi n’avait plus toute sa conscience. Il ne cessait de
dire :
« Ce sont des maurassiens, il y avait des maurassiens, des
nervis… »
Au moins il avait toutes ses dents.
Peu à peu tous les passagers de l’avion firent leur apparition.
Valérie Tiergarten pleurait et réclamait son Séraphinou chéri. Le
commandant et le pilote s’étaient réfugiés dans l’avion. Ils revenaient à
terre tout en marchant sur l’aile et se bouchant les narines.
Christiane Tobago sortit d’un buisson. Elle dégoulinait de toute
part. La femec Iouliana émergea du lac. Elle grelottait. En fait, comme
plusieurs d’entre eux, elle s’était réfugiée dans l’eau. Là, ils avaient reçu
des coups de queue de castor. Après avoir été vaporisés par les
mouffettes.
Le magnat de la presse et humaniste, Pierre Lebon-Berger,
s’avança alors vers Manuel Iznogaz. Son costume paraissait un peu froissé
et surtout n’avait pas été épargné par les mouffettes. « Mon costume n’est
plus impeccable, annonça-t-il avec une extrême froideur. Il me faut du jus
de tomate tout de suite.
167
— Pas vraiment Sir. Je n’aime que la vraie musique.
— Mr. Laveur, sachez que ma définition du musicien, c’est le
sconse qui sait jouer du fartpipe.
— Brigadier, ma définition du gentleman, c’est le musicien qui
s’abstient d’en jouer… Sorry. Je ne supporte plus. J’me tire. Salut la
compagnie ! »
Et Raton Laveur disparut dans les bruyères.
« Brigadier-General, cet horrible Special Agent Raton Laveur
Doublezézette ne serait-il pas passible de Cour Martiale pour sa éhontée
conduite, demanda alors le Major Lavender ?
— Sure Major, sure, mais nous ne pouvons pas grand-chose. Il est
bien vu à l’état-major d’Ottawa, et il est protégé par M. Et il a du flair. La
preuve !»
— Prrrrooot-proooooooooooooot-prrrrooooooooooot-proot !
Puis, il ajouta d’une voix forte, une fois la dernière flatulence
émise et modulée au demi-ton près :
« Et maintenant ! A l’attaque ! March !»
L’embuscade
Une fois de plus, le grand orignal sortit de l’eau après avoir fait
un petit tour dans le lac, espérant se débarrasser de ses trois hôtes. Une
vraie misère ! Collants comme des tiques ! Pourtant, il ne les avait pas
ménagés, veillant à ce qu’ils se cognent souvent à des branches basses ou
à des troncs. Mais toujours, il se refusait à se rouler dans l’herbe afin de les
168
écraser. On ne se couche pas devant l’adversaire ! Bon, on allait galoper
un peu, histoire de les secouer, puis, une fois de plus, opération râpe à
fromage dans le sous-bois. Dans les buissons, dans les ronces, au milieu
des troncs de résineux. Ils finiraient bien par céder ! Et puis, sous les
arbres, cela le débarrasserait enfin de cette épouvantable machine
bruyante qui ne cessait de le harceler comme un taon, là, au-dessus de sa
tête. Alors, il se lança à nouveau dans une grande galopade sur la côte est,
en direction du sud. Opération essoreuse !
Quelques dizaines de mètres au-dessus, l’hélicoptère ne lâchait
pas le joyeux quatuor d’une semelle, enfin… d’un sabot.
«Continuez à les suivre, cria la journaliste Jaimie Olson au pilote
de l’hélicoptère. Ils trouveront bien un moyen de descendre de l’orignal,
et nous ferons peur à l’animal, afin qu’il ne les encorne pas. Continuons.
— Vous croyez qu’ils survivront, hurla le Préfet de Police, blotti
au fond de l’hélico et visiblement inquiet pour ses patrons.
— Les mauvaises plantes sont les plus vivaces, répondit la jeune
femme en se penchant vers l’oreille du malheureux fonctionnaire. Par
contre, je ne pense pas que votre président ne puisse s’asseoir d’ici la fin
de son mandat… Je crois savoir que son arrière-train a été malmené
jusqu’à la toute dernière extrémité.»
C’était exactement ce que pensait le pauvre Séraphin Porcinet
ballotté comme un ballot sur le garrot du grand cervidé. Lui, président, il
ne pourra jamais plus poser son derrière sur un siège. Comment allait-il
présider le Conseil des Ministres ? Et comment allait-il faire ses discours
que tous les Français attendaient avec impatience, alors qu’il avait bien
l’impression d’avoir déjà craché toutes les dents de sa bouche tuméfiée.
185
Elle se pencha pour reprendre le bouche à bouche.
« Fe n’est pas la bonne méthode, rugit Manuel Iznogaz qui
passait par là. »
Il se pencha sur le vieil écolo et lui envoya plusieurs paires de
claques. Noel Maparendeux frémit.
« Il est vivant, s’écria Cécile !
—Pas de foufi ! »
Le député ouvrit alors les yeux, reconnut Cécile, fit une grimace
de déception, et divagua quelque peu :
« Vous ne pouviez pas me laiffer mourir dans la dignité ?
— Noël, ne dites pas des choses comme ça !
— Mais vous puez comme pas poffible ! ajouta-t-il.»
Là, c’était trop ! Alors elle-aussi lui envoya une bonne claque.
Cela réveilla franchement l’ami Noël qui s’écria :
« Le Prévident ! Où est le Prévident ! Il lui faut fes codes
nucléaires. Ve vais les lui apporter.
— Noël, s’écria Cécile, mais vous divaguez. Vous n’êtes pas…
— Fi, fi Féfile, ve fuis l’attaffé militaire du Prévident. Il lui faut fes
codes nucléaires. Pour la fécurité de la Franfe.
— Noël, vous êtes malade ? Et vous avez les dents cassées !
— M’en fous, fuis affuré ! »
Et il se leva d’un bond, et partit en courant en direction de la rive
est du lac.
« Il est fou, pleura Cécile Duvent. Il est devenu pro-nucléaire !
184
Après avoir survolé et dépassé l’orignal, ainsi que l’attaché
militaire qui courait toujours à la poursuite de son président, l’hélicoptère
continua sa route en direction de l’avion et du groupe des passagers, puis
perdit de l’altitude et se posa.
Jaimie descendit la première. Le camp des naufragés semblait
désert. Une odeur de mouffette imprégnait jusqu’aux herbes. Où étaient
les gens ?
Les deux ministres mirent également pied à terre, puis
l’hélicoptère reprit son vol, histoire d’aller récupérer le Préfet et peut-être,
s’il voulait bien, l’attaché militaire. Et bien sûr de repérer où l’orignal
présidentiel pouvait bien se diriger.
Tous trois se mirent à la recherche des autres. Il était manifeste
qu’il y avait eu une attaque massive de mouffettes. Les deux premières
personnes qu’ils virent furent Cécile Duvent et Noel Maparendeux. Le
député écolo était allongé sur le dos, manifestement inconscient. A
genoux, à ses côtés, Cécile était en train de lui faire le bouche à bouche. La
moustache sale la gênait manifestement. Elle leva les yeux à l’arrivée de
Jaimie Olson. Et elle cracha deux dents.
« Vous vous êtes cassé des dents, demanda la jeune journaliste ?
— Non, ce sont les siennes, répondit Cécile. J’ai dû les aspirer. Il
est monté dans un arbre, il a eu une syncope à cause de l’odeur, et il est
tombé sur la tête, dit-elle en désignant l’homme qu’elle tentait de
réanimer. »
Elle était en larmes.
« Les mouffettes, dit-elle. Il y avait des mouffettes partout. Et elles
faisaient psshitt partout…»
169
Pour être honnête, il n’en pouvait plus, et était prêt à se laisser
tomber du dos de l’animal. Mais il craignait de se faire encore plus mal.
C’est haut un orignal. Et cela court vite. Il y avait dans la situation
présente beaucoup de choses comparables avec sa situation de président
de la République dans laquelle il s’était trouvé piégé. Il aurait bien voulu
démissionner, « dégager » comme tant de Français l’exigeaient. Mais là-
aussi, il n’osait pas. Il avait peur de se faire encore plus mal que de rester à
l’Elysée.
Et en plus, il ne voulait pas abandonner son bon Manuel, qui était
si fidèle et qui lui voulait toujours du bien, et qui le protégeait. Lui, qui
déployait des centaines de CRS ou gendarmes mobiles avec casques,
boucliers, gazeuses et tout et tout, dès qu’il y avait le risque qu’un seul
Veilleur ne puisse atteindre le trottoir en face de l’Elysée, portant un
recueil de poèmes de Prévert sous le bras. Trois jeunes filles en T-shirt
rose sur la rive gauche de la Seine, et c’était la mobilisation générale. Tous
les ponts de Paris étaient aussitôt bloqués par des barrages métalliques
opaques, des camions de gendarmes mobiles serrés à vingt centimètres les
uns des autres, et des centaines de robocops en grande armure et surarmés
derrière. Pour ces trois T-shirts roses, tous les policiers des « quartiers de
la joie-de-vivre », les banlieues, étaient rameutés au centre de Paris. Tant
pis pour le petit peuple abandonné aux « bousculades », aux
« échauffourées », aux « incidents », aux « jeunes », aux trafiquants, et aux
extrémistes barbus. Tout ça, Manuel le faisait pour lui. Pour le protéger.
Pour qu’il puisse rester tranquille à l’Elysée avec Valérie. Manuel le
protégeait du peuple. Toujours. Car Séraphin avait surtout peur du
peuple. Trois petits ballons du Printemps Français survolaient Paris
gaiement, et les quelques Rafales dont les commandes n’avaient pas été
annulées prenaient l’air avec toute la puissance de leur post-combustion.
170
Et tout ça… tout ça… c’était son bon Manuel qui faisait ça pour lui. Lui
Président, il ne pouvait pas l’abandonner, maintenant que c’était lui dont
le sort était suspendu… à une corne d’orignal.
Suspendu très inconfortablement sous la corne de droite, le vil,
l’infâme et ignoble ministre de toutes les polices, Manuel Iznogaz ne tenait
bon qu’en se concentrant sur une seule et même pensée : « Je veux
devenir président à la place du président.» C’était ce qui le faisait vivre.
Il voulait tenir bon pour être bien sûr que le président finisse par lâcher
prise, se brise au sol, soit piétiné par le monstre, encorné, aplati. Et il
pourrait enfin devenir président à la place du président.
Suspendu très inconfortablement sous la corne de gauche,
Vincent Paillard, le pauvre ministre de la Déséducation Nationale se
demandait bien quand cet épouvantable calvaire allait enfin s’achever.
Pour être précis, il n’utilisait pas le mot « calvaire » car ce n’est pas un mot
suffisamment laïc. Surtout dans la bouche d’un brave homme qui a
exprimé un jour sa volonté « d’éradiquer le christianisme ». Oui, oui, oui !
Rien que ça ! Car c’est un réaliste, Vincent Paillard. Et c’est ce réalisme qui
faisait que sa préoccupation immédiate et permanente était surtout de ne
pas se faire éradiquer par le propriétaire des belles cornes sous lesquelles
il passait des moments inoubliables. Car rester aussi longtemps suspendu
aux bois d’un orignal était vraiment une expérience extraordinaire.
Surtout pour un Ministre. Il en aurait à raconter à ses Frères de Loge !
Quelle belle planche sur le G.O. il pourrait faire au G.O., en clair, discourir
du Grand Orignal devant l’assemblée du Grand Orient ! Mais il se
demandait aussi s’il aurait encore la force de faire des planches. Car il ne
se sentait même plus d’attaque pour essayer de devenir Grand-Maître à la
place du Grand-Maître.
183
polaires descendaient aussi au sud, c’était bien la preuve des méfaits du
réchauffement climatique. Cécile Duvent profita du drame pour réclamer en
conséquence un triplement des taxes « carbone-transition énergétique ». Le
gouvernement approuva chaudement.
Cependant, bien des années après cette extraordinaire aventure, un
groupe de chasseurs venus d’Halifax fut reçu dans une des rares tribus
d’autochtones Micmacs non encore sédentarisés dans un village. Ils furent
intrigués par un vieil Indien enveloppé d’une couverture grisâtre, et qui portait
une plume de dindon plantée dans ce qui paraissait être la base d’une casquette.
Cet Indien ne leur parla pas, mais des papooses leur expliquèrent que lorsqu’il
allait chasser, et qu’il tuait six lapins, il déclarait toujours qu’il n’en avait tué que
deux. Au début, cela passa pour de la modestie, puis cela devint franchement
désagréable, car tout le monde pensait que c’était pour pouvoir manger les quatre
autres tout seul. Une seule chose était sûre, il avait l’air heureux.
Le champ de bataille
A peine en vol, Manuel Iznogaz demanda avec véhémence au
pilote ce que faisaient les secours. Celui-ci, après avoir fait répéter trois
fois la question, lui répondit qu’il venait juste d’avoir un contact radio
avec Stanfield. Un wagon citerne avait pris feu dans la gare d’Halifax. Pas
de victimes de l’incendie, mais il fallait intervenir rapidement pour qu’il
n’y en ait pas. Tous les hélicos et les pompiers étaient mobilisés là-bas,
sachant que le crash n’avait pas fait de victime. Le sien était le seul
disponible. Les secours étaient de toute façon en route par voie terrestre.
Ils ne sauraient tarder. Et les hélicoptères arriveraient dès que possible.
182
l’entourait. Et surtout, il ne voulait plus être persécuté par le vil, infâme et
ignoble ministre de l’Intérieur. Il voulait mourir. Il pensa alors à cette
petite jeune fille qui avait chanté dans l’avion un peu avant le crash. Une
fille idéaliste, prête à prendre tous les risques pour ce à quoi elle croyait.
Une fille du genre de celles qu’il avait ordonné d’envoyer en garde à vue.
Qu’est-ce qu’elle pouvait bien chanter ? Il avait déjà les jambes dans l’eau
à mi-cuisses, et tenait bien ferme sa décision d’en finir. Il continua à
avancer. Il pensa à nouveau à Caroline et à sa prière. Elle n’aurait pas
voulu qu’il meure. Quelque chose lui disait qu’elle n’aurait pas voulu.
Qu’elle l’aurait sauvé. Qu’il avait encore quelque valeur. Elle se battait
pour l’humain. Lui aussi était un homme…
Il entendit alors comme une musique… Une musique céleste ?
Non, une musique… avec une odeur… Les mouffettes. Elles revenaient.
« Pardon mon Dieu !»
Jamais personne ne revit le Préfet de Police de Paris. Dans les jours qui
ont suivi ces événements tragiques, des pompiers et plongeurs sondèrent le
Bullshit Lake. Des rangers patrouillèrent dans les bois avec des chiens. Rien. Puis
le terrible hiver canadien survint. Personne ne peut survivre dans la nature dans
ces conditions hivernales, surtout un Préfet de Police. On abandonna alors les
recherches. A Paris, il fut décoré de la Légion d’Honneur à titre posthume par le
plus hypocrite des ministres de l’Intérieur. Le Ministère se fendit même d’un
communiqué, comme quoi le Préfet aurait été dévoré par un ours polaire
préfetophobe lors de son escale à Halifax. Casquette comprise. Car on n’avait
jamais retrouvé la casquette non plus. Et tous les journaux répétèrent le
communiqué pendant plusieurs jours sans en changer une virgule, et surtout
sans se poser de question. Le quotidien du soir, Le Monstre émit même
l’hypothèse que l’ours en question fût un « proche de la Manif pour Tous » ou de
Rigide Fardot. Un autre chroniqueur du même journal affirma que si les ours
171
De leur poste de commandement sur la colline, le Brigadier-
General Pincushion et le Major Lavender admiraient le déploiement des
troupes du 22nd Royal Canadian Skunks Battalion of Nova-Scotia.
Musique des Fartpipes en tête, le C squadron avait progressé sur
trois colonnes, et atteint le bord du lac.
Prooooooooooooooot-proot-prooooooot.
Au loin, l’orignal arrivait au grand galop. Les skunks s’étaient
alors disposés en ligne de file sur trois rangs. Queues enroulées,
disciplinés comme savent l’être les skunks anglophones, ils attendaient les
ordres.
Egalement musique des Fartpipes en tête, le E squadron
s’avançait encore en direction du camp de base de l’ennemi, non loin de la
machine de débarquement.
Proot-proot-proot-proot-proooooooooooooooooot.
Toujours musique des Fartpipes en tête, le M squadron marchait
encore à la lisière du bois en vue de contourner l’ennemi par la droite et
de prendre position sur la route nord.
Proooo-prooooooooooot-proot-prrrooooot.
Une manœuvre en tenaille.
L’orignal se rapprochait encore. Beaucoup plus loin, le long du
lac, un petit homme courait derrière. Il portait une valise. Sans doute un
sacristain de l’Antéchrist. Portant un autel de campagne. On réglerait son
compte plus tard.
L’orignal parvint à une centaine de mètres du Captain Daisy, en
charge du C squadron.
172
« Music ! » Les Fart-pipes jouèrent le Princess Charlotte Battle
Hymn !
Proooooot-proot-prooooooooooooooooot-proot-proot.
Le grand orignal huma l’air et sentit que quelque chose
d’anormal venait de se produire. Ses grandes oreilles s’agitèrent. Oui, il y
avait là un air connu… Mauvais signe. Cela sentait mauvais. Il
s’immobilisa brusquement. Il ne voyait encore rien. Mais pas plus que son
ouïe, son odorat ne pouvait le tromper. Skunks ! Skunks partout ! Il fallait
fuir, mais où ?
De son poste d’observation en hélicoptère, Jaimie Olson nota
immédiatement l’arrêt soudain de l’orignal. Elle suggéra au pilote de faire
demi-tour, mais de ne pas trop se rapprocher. Il fallait voir ce que l’orignal
voulait. Et elle espérait que les trois bouffons profitassent de l’occasion
pour se sauver. Elle n’arrivait pas à comprendre ce qui se passait.
L’orignal ne bougeait plus. Toujours en éveil, il tentait de deviner
où étaient les innombrables bêtes puantes dont il décelait la présence. Il
tenait à fuir, mais pas n’importe où… A sa droite, le lac. A sa gauche la
colline, et sans doute l’ennemi.
Les passagers de l’orignal en étaient aussi à se poser des
questions. Des questions vitales. Si nous descendions ?
Le premier à réagir fut le ministre Vincent Paillard. S’il mettait
pied à terre, il pourrait sans doute grimper sur un des arbres qui
poussaient par là. Et puis l’orignal semblait indécis. Peut-être qu’il ne les
chargerait pas. Et puis, cela commençait à sentir mauvais.
Pendu sous la corne de droite, le vil, infâme et ignoble ministre
de toutes les Polices, Manuel Iznogaz était par contre extrêmement
181
jamais ce qu’on peut vivre lorsqu’on devient ministre de Séraphin
Porcinet. A moins… à moins, qu’il n’amène une mouffette dans sa Loge.
Ce serait une « planche » parfumée et ses Frères apprécieraient. Après,
tout, les odeurs, c’est comme les idées, tout se vaut…
Pendant que l’hélico quittait le sol, Jaimie observa le malheureux
Préfet qu’ils abandonnaient au sol, et à son sort. Celui-ci avait l’air
complètement chaviré et de vraies larmes coulaient des yeux de cet
homme qui semblait brisé. Plus de casquette, plus de ministre, plein de
mouffettes et pas un seul gendarme mobile, ni CRS...
Il levait tristement le nez en regardant l’appareil l’abandonner. Il
se mit alors à marcher lentement en direction du nord. Il savait bien qu’il
n’y avait pas qu’une poignée de mouffettes. Il avait peur. Il était
abandonné de tous. Toute une carrière d’honneur pour se retrouver dans
ce pays de sauvages au milieu d’animaux cruels. Pourrait-il survivre ? Il
se laissa aller à un examen de sa conscience…
Alors il pleura. Lui, Préfet de Police de Paris, avait obéit aux
ordres jusqu’à la dernière turpitude. Il avait été tendre avec les vrais
voyous, pour ne pas « désespérer les quartiers… ». Il avait été dur avec ces
familles de la Manif pour Tous, ces jeunes gens honnêtes et pleins d’idéal
qui se battaient pour les plus faibles. Il les avait gazés, matraqués,
emprisonnés. Et il avait menti mille fois sur le nombre des manifestants. Il
avait truqué les vidéos qui auraient dû servir de preuves, au point d’avoir
effacé la foule sur une avenue, puis remis un passage piéton là où il était
quelques années avant, mais pas au moment de la prise de vue. Erreur
révélatrice. Il avait été malhonnête et menteur. Pour être aux ordres.
Désespéré, il se dirigea vers le bord du lac. Il ne voulait plus
revenir à Paris, et affronter le regard de cette société pourrie qui
180
— Monsieur le Ministre. Peut-être pas des centaines. Mais au
moins des dizaines de mouffettes.
— Préfet, ne me défevez pas. Comptez mieux.
— Monsieur le Ministre, peut-être une poignée de mouffettes
seulement. Pas plus…
— Et bien voilà, Préfet ! Une poignée de mouffettes. Et vous
vallez m’empêffer de monter dans fet hélico pour une poignée de
mouffettes ? Moi ? Votre miniftre de tutelle. Felui qui vère votre carrière et
qui vous tient dans fa main. Deffendez tout de fuite !
— Oui, Monsieur le Ministre, bien Monsieur le Ministre, je
descends Monsieur le Ministre.
— Et qu’avez-vous fait de votre cafquette, Préfet !
— Elle a été écrasée par l’orignal, Monsieur le Ministre.
— Et en pluf, vous vêtes néglivent. Fortez donc et rentrez à pied !
Fela vous fera du bien ! »
Indépendamment de l’odeur, Jaimie était complètement écœurée.
Manuel Iznogaz tira le haut fonctionnaire par la chemise, et le jeta
littéralement hors de l’appareil. Puis il monta d’un bond, et s’assit
carrément sur les genoux du ministre de la Déséducation.
Jaimie claqua la porte du cockpit. L’odeur à l’intérieur était
épouvantable. Elle prit elle-aussi un masque à oxygène. Il n’y en avait que
deux à bord. Manuel essaya de le lui arracher, et il fallut le menacer à
nouveau avec la bombe à ours pour qu’il accepte de s’asseoir et de se
boucher le nez avec le chiffon de graisse.
Vincent Paillard se dit qu’il ne pourrait jamais traduire une telle
odeur dans ses planches, en Loge. Dommage, ses Frères n’imagineraient
173
hésitant. Comme à son collègue de la corne de gauche, les effluves
désagréables lui parvenaient également à son nez. Par contre, il était assez
charmé par la musique qui émanait si délicatement des petits anus des
mouffettes musiciennes. Précisons qu’il n’imaginait pas encore comment
cette musique était ainsi modulée. Car Manuel Iznogaz était très musicien.
On disait même qu’il avait « l’oreille absolue ». Ce qui explique ses
réactions violentes à l’audition des sifflets de la Manif pour Tous. La
musique était, en effet, la seule chose qui le rendait un peu moins vil,
ignoble et infâme. Ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était le violon. Il avait
une obsession, mettre tout le monde « au violon ». Il avait même
commencé par sa femme, devenue ainsi une violoniste talentueuse.
Lorsqu’on imagine que Manuel Iznogaz puisse avoir une épouse, tout le
monde doit penser qu’il doit s’agir d’une sainte femme gagnant haut la
main son purgatoire sur Terre. Et sans doute, le violon était la seule chose
qui lui permettait de rendre son vil, infâme et ignoble mari un peu
vivable. Donc Manuel aimait le violon, et bien que cela puisse être
surprenant, il semblait apprécier le timbre des mouffettes péteuses. Et il
n’osait bouger, de peur d’interrompre le concert.
Au sommet de son orignal, le président Séraphin Porcinet hésitait
aussi. Cela sentait mauvais, il aurait bien aimé descendre, mais sans doute
pourrait-il se faire aider par son bon Manuel. Il se pencha donc, et suggéra
la chose à l’étage du dessous.
Voyant cela, Vincent Paillard appuya la suggestion. « Fi nous
deffendions, Manuel ? La bête femble calmée, fa ne fent pas très bon, et fi
elle veut nous farver, on fe féparera. Il y a des varbres et le lac. F’est
l’occavion ou vamais. Ve me fens un peu fatigué… »
174
Le vil, ignoble et infâme ministre de toutes les Polices, Manuel
Iznogaz y vit alors l’occasion de mettre en branle son plan : laisser le
président se faire emporter à jamais par l’orignal.
Aussitôt dit, aussitôt fait, les deux compères descendirent de
leurs cornes. L’orignal semblait indifférent. Ouf ! En fait, il était très
préoccupé par la présence des skunks et restait sur le qui-vive.
« Tu viens m’aider à deffendre, mon bon Manuel ?
— Nous vallons d’abord vérifier f’il n’y a pas de danver autour,
Monfieur le Prévident.
— Très bien mon bon Manuel. Mais tu n’entends pas ? On dirait
qu’il y a une volie muvique qui vient de quelque part. Par contre, fela fent
bien mauvais… »
Le président demeura à califourchon sur le garrot du grand
animal, tandis que les deux ministres s’avançaient tout en titubant en
direction des broussailles qui bordaient le chemin.
Depuis l’hélicoptère, Jaimie poussa un cri : « Regardez, il y a des
mouffettes partout, là, là, et là. Ils vont se faire asperger ! Faisons un tour
et revenons à plus basse altitude, il faudrait les disperser.
— Cela va aussi faire partir l’orignal, objecta le Préfet de Police.
— Peut-être, mais j’espère que votre président aura la présence
d’esprit de descendre. »
L’hélicoptère amorça un autre demi-tour au-dessus du lac.
Après quelques pas, Manuel Iznogaz et Vincent Paillard
s’immobilisèrent. Devant leurs regards éberlués, s’étalaient des
179
« Hé ! Je n’ai pas de place pour tout le monde. Il faut qu’une
personne se dévoue et reste dehors. On reviendra la prendre ensuite.
— Fela tombe bien répondit Manuel avec vivacité. La fille est
deffendue.
— Non, mais, ça ne va pas comme ça, reprit le pilote. Jaimie est
avec moi. Un de vous trois descend, de toute façon, vous n’avez plus rien
à perdre en matière de puanteur. »
Furieux Manuel, lui ordonna de décoller. Jaimie tenta de
remonter dans l’appareil, et de faire descendre le ministre, mais il lui
envoya un coup de pied dans les cuisses. Le pilote saisit alors une bombe
à poivre anti-ours qu’il avait toujours dans un appareil destiné à desservir
le Parc National, et bien calmement, méthodiquement, il en aspergea le
vil, ignoble et infâme personnage. Puis, d’une pression du pied, il l’éjecta
à son tour de l’appareil.
« Bien fait, se dit Jaimie, c’est sans doute ce qu’il doit faire subir
aux manifestants. » Elle se précipita sur le siège.
Mais Manuel Iznogaz, toussant, suffoquant, pleurant et crachant,
ne s’avouait pas vaincu.
« Préfet, ordonna-t-il. Laiffez-moi votre plafe. Tout de fuite !
— Mais, Monsieur le Ministre, il y a des mouffettes.
— Vustement, vous virez les compter !
— Il y a des centaines de mouffettes, répondit le malheureux
Préfet, au bord des larmes.
— Comptez bien Préfet. Des fentaines ? Vous êtes fûr ?
178
pour son compagnon Vincent Paillard. Les deux hommes n’étaient plus
que l’ombre des ministres qu’ils avaient été. Leurs vêtements n’étaient
plus que charpie, lambeaux de tissu déchirés par les ronces, et par les
passages successifs dans les fourrés et au milieu des branches basses.
Leurs corps étaient couverts de bleus et d’égratignures. Leurs bouches
semblaient avoir durement souffert de chocs répétés. Ils avaient perdu
leurs chaussures. Et en plus, ils étaient trempés, à la fois d’eau et d’urine
de mouffette. L’odeur était humainement insupportable. Le tir des
dizaines de mouffettes s’était concentré sur les deux malheureux. Elle
porta d’abord devant son nez un chiffon couvert de graisse trouvé dans la
caisse à outils de l’appareil. Cela valait mieux que respirer cette infection.
Les deux victimes toussaient et crachaient sans cesse. Entre autres leurs
dents. Malgré sa répulsion, elle descendit du cockpit pour les aider.
Mais la méchanceté naturelle du vil, infâme et ignoble Manuel
Iznogaz prit vite le dessus. C’était sa force vitale. Il hurla :
« Il nous faut revenir de fuite à l’avion. Où font les fecours ? Il
faut exfterminer fes fauves ! »
Ils puaient tellement que le pilote décida de porter un masque à
oxygène.
Jaimie aida Vincent Paillard à monter. Il se coinça à l’arrière du
cockpit, tout contre le Préfet de Police qui fut à deux doigts de tourner de
l’œil. Pourtant, lui-même ne sentait pas bien bon…
Puis, la jeune femme voulut reprendre sa place, mais Manuel lui
agrippa la veste, tira dessus, et propulsa la jeune femme à l’extérieur du
cockpit, puis il bondit sur le siège à côté du pilote.
Celui-ci protesta :
175
mouffettes, des dizaines et des dizaines de mouffettes alignées en ordre
impeccable sur trois rangées. Ils n’avaient jamais autant vu de mouffettes.
Un cauchemar éveillé !
Le Captain Daisy, qui observait les papistes depuis un moment
s’écria :
« Le papiste Grand Inquisiteur, cible un.
Le papiste Frère prêcheur, cible deux.
Le papiste trônant sur l’orignal, l’Antéchrist, cible trois. «
Comme les deux papistes qui avaient mis pied à terre
s’avançaient encore, il ordonna :
— Target one, ten o’clock, range fifteen feet, elevation one third.
— Target two, eleven o’clock, range twelve feet, elevation one third.
—Target three, one o’clock, range eighteen feet, elevation two thirds.
—Prepare ! »
Toutes les mouffettes levèrent la queue.
Les deux hommes à terre comprirent alors ce qui allait leur
arriver. Le président, lui, n’avait comme d’habitude encore rien remarqué.
« Non ! Non ! NOOOOOOOOOOOOOOOOOON ! »
— First line ! Shoot !
Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !
Les trois cibles furent arrosées en même temps par une vingtaine
de mouffettes.
— First line ! One step right ! March!
Les mouffettes de la première ligne firent un pas de côté.
176
— Second line ! One step march ! Shoot !
Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !
Les mouffettes de la seconde ligne s’étaient avancées et lancèrent
leur fluide.
— Second line ! One step right ! March!
Les mouffettes de la seconde ligne firent à leur tour un pas de
côté, laissant la place à la troisième ligne.
— Third line ! One step march ! Shoot !
Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !
L’orignal n’attendit pas la troisième ligne. A la différence de son
illustre cavalier, il n’est pas du genre à tergiverser. Dès la seconde giclée, il
avait effectué un bond en arrière et une brusque volte, manquant de
désarçonner le papiste-archevêque-antéchrist. Puis se propulsant sur ses
puissants postérieurs, il détala en direction du nord, accompagné par les
hurlements du président Porcinet.
Les deux autres papistes suffoquaient et dégoulinaient de fluide
parfumé… Ils se retrouvèrent à genoux pour vomir.
Le Captain Daisy fit avancer ses skunks de trois pas. Il fallait
rejeter les papistes au lac. Et donc lancer une nouvelle salve de parfum.
Prepare !
Les deux hommes ne réalisaient même pas ce qui leur arrivait. Ils
se voyaient face à la mort. Pétrifiés.
177
C’est alors que l’hélicoptère plongea en rase motte vers le petit
groupe. Terrorisées, les mouffettes se dispersèrent dans toutes les
directions, malgré les appels furieux du Captain Daisy.
De son poste de commandement, le Brigadier-General Pincushion
hurlait de rage. Sa queue battait furieusement à droite et à gauche. Elle
heurta le Major Lavender. Instinctivement, et pour se défouler, le
Brigadier-General lui envoya une rasade de fluide. Le Major resta stoïque
devant son supérieur, tandis que celui-ci beuglait :
« Mais que pouvons-nous faire, si l’ennemi papiste dispose
toujours d’une capacité de frappe aérienne ? Que font les F-18 de Goose
Bay ? C’est comme la cavalerie chez les Grands Voisins du Sud. Elle arrive
toujours en retard !»
Effectuant des cercles serrés autour des deux malheureux
ministres, l’hélicoptère se posa enfin, laissant toujours tourner ses rotors.
Les mouffettes se tenaient à distance, mais se regroupèrent. Les Fartpipes
jouèrent la sonnerie de la retraite. En bon ordre, le C Squadron se replia.
Ils n’avaient quand même pas démérité, l’ennemi avait été mis en déroute
et était manifestement en train d’évacuer. Et on devait déjà en sentir
l’odeur à Vancouver ! Sur son promontoire, le Brigadier-General se calma
un peu, tandis que le Major lui demanda respectueusement la permission
de rompre pour aller se nettoyer.
Disparition
Malgré sa profonde antipathie pour Manuel Iznogaz, Jaimie
Olson ne put s’empêcher d’éprouver une vive pitié pour l’homme, comme
218
— Je préférerais trois pèlerinages de Chartres, en tongs, et sous la
pluie…
— Dans ce cas, si vous ne pouvez pas, vous pourriez offrir de
petits sacrifices. Comme laisser votre téléphone portable éteint, le
vendredi…
— Mais c’est inhumain, s’écria Marie, horrifiée ! Bon d’accord, je
prends Manuel. Qu’est-ce qu’il faut lui faire, à part lui coller une paire de
claques et une mouffette sur les genoux ?
— Rien, vous priez, et c’est pour lui… Un peu de temps pour sa
conversion. Et pour votre propre conversion. Cela vous aidera à choisir
des actes justes. J’y pense, prenez donc aussi Vincent Paillard. C’est
comme sur l’orignal, il fera pendant. »
Marie soupira et se renfrogna. Sa fureur était évidente.
« Et pouvez-vous également me rendre un petit service, Marie ?
— Humm ? Quel genre ?
— Pouvez-vous transmettre à votre mère mon désir de la
rencontrer ?
— Vous ne pouvez pas lui faire la commission vous-même, non ?
Le téléphone est arrivé au presbytère, me semble-t-il… Internet aussi,
peut-être… Bas-débit ?
— Elle se sentirait convoquée. J’aimerais bien qu’elle se sente
invitée.
— C’est pour lui dire quoi ?
— Je ne suis certainement pas obligé de vous le dire, ma chère
Marie. Mais comme cela vous concerne aussi, je vais le faire. Disons que
191
se regardèrent. Jaimie hocha doucement du chef, et Caroline sourit. Puis
Jaimie s’écarta, toujours avec le raton dans les jambes.
C’est à ce moment-là, qu’ils entendirent un bruit de sabot bien
connu. L’orignal. Et le président.
Le grand cervidé passa en trombe et s’engagea sur la route nord
semant de nouveaux effluves de puanteur. Le président poussait des
petits cris incohérents tout en se faisant secouer. Il se cramponnait comme
il pouvait. Plus de trois cents mètres en arrière, l’attaché militaire
continuait à courir. Il avait toujours sa valise.
« Il faut retrouver mon Séraphinou », pleurnicha Valérie
Tiergarten tout en gardant le nez soigneusement plongé dans son
mouchoir.
— Oui, appuya Christiane Tobago, il faut absolument retrouver le
président. »
L’hélicoptère arriva sur ces entrefaites et se posa.
« Le Préfet de Police a disparu, annonça le pilote, en sautant à
terre ! J’ai fait plusieurs tours, et je ne l’ai pas vu. Il y avait encore plein de
mouffettes, mais je n’ai pas vu votre Préfet de Police. Sorry ! Ah ! Mais ça
pue comme pas possible !
— Un de perdu, dif de retrouvés, gueula Manuel Iznogaz. Ils font
interffangeables. D’ailleurs ils n’ont pas de nom. On les vappelle « Préfet
de Polife. »
— Il faut demander des recherches tout de suite, intervint le
commandant de bord. On ne peut pas se permettre de perdre un Préfet de
Police.
192
— Par contre, reprit le pilote de l’hélico, j’ai fait une trouvaille.
Lors d’un échange radio avec ma base, ils m’ont dit que les gardes du Parc
national de Kejimkujik laissent toujours un fusil à flèches hypodermiques
dans le coffre d’outillage de l’appareil pour endormir de grands animaux.
Comme les ours. Afin de les changer de territoire. On pourrait peut-être
essayer d’arrêter l’orignal.
— Et vous ne pouviez pas le dire plus tôt, hurla Manuel Iznogaz ?
— Ce matériel ne m’appartient pas, répondit le pilote,
froidement, il est à Park Canada. Ce n’est pas mon business.
— F’est le vôtre maintenant. Montrez ! »
Il ouvrit alors le coffre et examina le fusil.
« Bon, air comprimé. OK. Et là… une belle flèffe avec un flacon de
produit. »
Roselyne Camelot s’approcha, visiblement intéressée… Une
sacrée seringue !
Un garde du corps du président se présenta, et se déclara
volontaire pour tirer la flèche hypodermique. Il était tireur d’élite.
C’est alors qu’une nouvelle idée traversa le cerveau du vil, infâme
et ignoble ministre de toutes les Polices, Manuel Iznogaz. Il avait encore
une occasion de devenir président à la place du président.
L’étoffe des héros
Manuel Iznogaz, le vil, infâme et ignoble ministre de toutes les
Polices soupesa le fusil à air comprimé, puis la flèche et déclara :
217
rapporteur de la loi Tobago au Sénat, ce peut être drôle. Et même utile, je
veux bien. Mais dans votre avion, elles ont provoqué une quasi-
catastrophe, je le répète.
— Vous nous désavouez, dit Caroline ?
— Que je sache, ce n’est pas vous qui avez introduit les
mouffettes dans l’avion, Caroline.
—Donc, pour vous, je suis coupable, conclut Marie d’un air
sombre.
— Ce n’est pas un problème de culpabilité, continua l’abbé. Je
veux que vous soyez des Résistantes dont la première vertu que l’on
puisse reconnaître, c’est l’amour du prochain, et en particulier l’amour de
vos adversaires. C’est cet amour qui vous donnera le discernement sur
vos actions. Eviter la vengeance, ne pas s’attaquer aux personnes,
seulement aux fonctions qu’elles tiennent. C’est cet amour qui attirera vos
amis et désarmera les autres. Et pour nourrir cet amour, il vous faut prier.
Cela permettra de vous conforter dans l’intuition que vous avez déjà, à
savoir qu’à côté d’actions spectaculaires de harcèlement, comme celles
que vous conduisez, il vous faut donner toute sa place au travail à long
terme, du type Veilleurs. Pour que vos actes soient justes, je veux que
vous soyez capables de prier pour vos adversaires. Soyez des saintes !
Tout simplement !
— Je prie déjà pour plusieurs cas désespérés fit remarquer
Caroline. C’est d’ailleurs assez inhumain !
— Marie, reprit le Père Joseph, vous pourriez alors prendre en
charge Manuel Iznogaz, pour commencer. En priant pour lui, vous
apprendriez ainsi à l’aimer.
216
— C’est juste ! Ils nous ont gazés, on les gaze, jeta Marie.
— J’appelle cela de la vengeance, Marie. Pas de la justice. Et
j’espère que vous êtes consciente que l’avion a échappé de peu à une vraie
catastrophe qui aurait pu coûter la vie de beaucoup de monde… Y
compris celle de votre cousine. Sans parler des suites du crash. Plusieurs
personnes ont été blessées par l’orignal.
— Porcinet, Manu le Chimique et Vincent Paillard, l’apôtre du
Gender, ce n’est pas une grosse perte…
— D’autres sont devenues foldingues, et un homme a même
disparu sans que cela ne dérange trop de monde…
— Le préfet de police, intervint Caroline ? Cela fait six semaines
que les rangers canadiens le recherchent. Je suis sûre qu’il est vivant et
qu’il s’est barré. Il n’en pouvait plus d’être persécuté par Manu la
Tendresse. A l’heure qu’il est, il doit être à Vancouver !
— Nous n’avions pas prévu, ni le crash, ni l’orignal, ni les
concentrations de mouffettes, mon Père, enchaîna Marie, un peu piquée.
C’était hautement improbable. De toute façon, cette action nous permet de
ridiculiser l’ennemi. Les films de Caro et de Jaimie Olson sont là pour cela.
Ce sont ces prises de vues qui nous font passer de la simple vengeance à
l’acte d’érosion politique. Et qui donnent du retentissement à des blogs
d’information résistante qui ne font que progresser pendant que les gros
médias régressent. C’est bien une guerre de communication, et elle n’est
pas violente. Des mouffettes, ce ne sont quand même pas des bombes !
— D’abord, vous êtes chrétiennes, corrigea le prêtre. Vous avez
donc des adversaires, pas des ennemis. Même si eux, vous considèrent
comme leurs ennemis. Ensuite, lâcher des mouffettes à l’Elysée, à
l’Assemblée, devant des gendarmes mobiles, ou dans le bureau du
193
« Ve crois que confier à un garde du corps ou un polifier le foin
d’endormir l’orignal, fe n’est pas une bonne idée. On peut être bon tireur,
bon ffaffeur, mais pas bon anefthéfifte. Il faut être dans le métier de la
fanté. F’est très différent. »
Et il regarda Roselyne Camelot avec intensité. Celle-ci recula,
d’autant que la vue du ministre vêtu de haillons et couvert d’écorchures
n’était pas une vue très réjouissante, et contribuait à le rendre encore plus
inquiétant que d’habitude.
« Que voulez-vous dire, demanda-t-elle ?
— Ve veux dire, répliqua Manuel, que vous vêtes une
profeffionnelle de la feringue, et que vous favez bien où planter votre
aiguille. N’est-fe-pas ? Et vous favez été miniftre de la Fanté, ve crois.
— De Droite…
—Perfonne n’est parfait. Mais pas de foufi !
— Je ne suis pas chasseur…
— Pas ffaffeur du tout ?
— Un peu de ball-trap entre amis… De Droite…
—F’est fuffivant, clama Manuel en frappant dans ses mains. Vous
vêtes la perfonne qui va fauver notre prévident. Puifque les fecours ne
viennent pas. Pilote, quelles font les doves ?
— Et bien, là, il y a la dose pour une biche, et là, pour un ours
noir. Et celle-ci, la grosse, c’est pour un orignal.
— Un peu vufte comme dovave, remarqua Manuel. Vous n’avez
pas plus mufclé ?
194
— Vous savez, répondit le pilote, visiblement agacé, nous avons
eu des T-Rex au Canada, mais il y a quelques millions d’années. Le
produit a eu le temps de se dénaturer…
— Non, mais vous vavez des baleines, bleues, à boffe, franffes,
des vépaulards, des bélougas…
— Ce n’est pas la même méthode. Plus proche du harpon. Non,
c’est cette dose qui convient à un orignal. Six cents kilos, cela devrait faire,
croyez-moi ! Après quelques foulées, il titubera et se couchera.
— Bon, tant pis. Fix fents kilos, pas de foufi ! Au travail. Rovelyne
on monte dans l’hélico. Pilote, départ immédiat, on va récupérer le
prévident.
— Désolée, dit Jaimie, pas de truc comme ça sans moi. Je suis la
journaliste, et j’ai des photos à prendre. »
Elle sauta dans l’hélico, et le pilote prit place à son tour. Le raton-
laveur bondit alors sur les genoux de la journaliste.
« Ah ! Non, pas cette bête ici, protesta le pilote. »
Ils tentèrent de le chasser, mais le raton-laveur se blottit à l’arrière
entre les sièges, et refusa de bouger tout en montrant les crocs et les griffes
des pattes avant.
Alors Roselyne monta à bord. Cri strident, et le raton-laveur jaillit
hors du cockpit, hérissé comme un oursin, l’air complètement affolé. Et
fila dans les broussailles.
Le vil, ignoble et infâme Manuel Iznogaz monta en dernier. Il
voulait être sûr que son plan diabolique fonctionnât bien.
215
— Les actes de résistance, continua le Père, peuvent relever d’une
autre logique : s’opposer au pouvoir légal au nom du devoir d’assistance
aux personnes en danger. Et puis, lorsqu’on entend « guerre », on entend
violence et même mort d’homme. Vous êtes effectivement dans l’acte
politique de résistance. Mais pas dans la violence, enfin j’espère.
Vous vous opposez à l’intrusion en catimini de cette idéologie
mondiale du Gender, qui est un élément de subversion de la société et de
la vision que l’on a de la personne humaine. Et qui est une des
composantes parmi les plus dangereuses de l’idéologie hyper-
individualiste et consumériste qui ne peut qu’écraser les plus faibles. Par
ailleurs, vous ne vous limitez pas à la lutte contre le Gender, mais vous
avez bien compris que le combat porte aussi sur les conséquences
économiques, politiques et sociales de cette idéologie.
Et enfin, je sais que si vous combattez les personnes politiques,
vous respectez celles qui sont utilisées comme prétexte à cette subversion
en jouant sur la compassion. Je pense aux personnes homosexuelles.
De plus, si je prends les critères communément utilisés par
Augustin, l’agression entreprise par les tenants de cette idéologie est
certaine, durable, grave et aucune négociation n’a été possible.
Votre objectif me paraît donc juste. Votre résistance vise à
protéger des personnes et une société en danger. Vous êtes généreuses,
courageuses, vous prenez des risques. Je sais bien que ce n’est pas drôle
de se faire courser par les policiers et d’aller en prison. Ceux qui disent
que vous prenez cela pour un grand-jeu ont bien tort. Vous-mêmes, vous
êtes donc justes.
Mais ce qu’il faut considérer, ce sont les moyens. Sont-ils justes ?
Enfermer des mouffettes dans un avion…
214
— Vous êtes redoutables, mesdemoiselles, dit le Père Joseph.
Vous allez sans doute rejoindre le club très apprécié des « femmes les plus
dangereuses de France », qui donnent des cauchemars au ministre de
l’Intérieur… Je suis soulagé de ne pas être du nombre de vos adversaires.
Et même, je suis bien content de vous voir toutes les deux. »
Il y eut un bref moment de silence. Puis, le Père Joseph reprit :
« J’ai simplement quelques remarques à vous faire,
mesdemoiselles. Je comprends tout à fait que le combat que vous livrez se
déroule sur le plan de la communication. A la censure bornée des médias,
vous opposez des actions répétées d’érosion de la crédibilité des
personnes qui ont le pouvoir. Sur le long terme cette érosion peut être
efficace. Surtout, si ces personnes sont elles-mêmes assises sur un système
qui vacille. Et surtout si elles sont peu compétentes. Ce n’est pas à moi,
prêtre, de juger de l’efficacité de ces actions.
Je voudrais, par contre, vous donner un éclairage sur votre
combat et sur vos actions. Sont-ils justes ?
— Parce que vous pensez que notre guerre pourrait ne pas être
juste, s’inquiéta Marie ?
— La guerre juste est une intéressante question de théologie.
Nous n’allons pas plonger ce soir dans Saint Augustin, ni Saint Thomas
d’Aquin. Pour qu’une guerre soit juste, il faut que l’objectif soit juste, et
que les moyens soient adaptés, proportionnés, que l’on ne soit pas
l’agresseur, et… qu’il s’agisse d’une guerre décidée par le pouvoir légal
pour prévenir un mal plus grand. Pas une guerre conduite par des
particuliers… Pas une guerre civile.
—Le mot guerre est donc abusif, fit remarquer Caroline. Il s’agit
d’une résistance.
195
Ils claquèrent les portes de l’appareil, le pilote lança le rotor.
L’hélicoptère frémit, et commença à se soulever, puis retomba. Le pilote
tenta un second décollage. Echec.
« Nous sommes trop chargés, constata-t-il.
— Et pourquoi ? Nous fommes quatre, il y a quatre plafes, rugit le
ministre.
— Oui, mais cette fois-ci, nous dépassons le devis de poids,
répondit le pilote tout en regardant Roselyne d’un air gêné.
— Je peux descendre, suggère-t-elle d’une voix douce…
— Pas queftion, répondit Manuel, vous vêtes notre fpéfialifte. La
vournalifte deffend, nous n’avons pas bevoin d’elle.
— Non mais quel culot, protesta Jaimie ! J’ai réservé cet appareil
pour MON reportage. Je reste.
— Vous deffendez !
— Elle reste, dit alors le pilote, calmement, en tapotant la bombe à
ours avec ses doigts.
— Ve m’en fouviendrai de la bombe à ourf !»
C’est en hurlant de rage et en accablant le pilote de menaces, que
Manuel Iznogaz descendit alors de l’hélicoptère. Il ne serait même pas là
pour vérifier que son plan fonctionne comme prévu ! Mais il en était sûr,
avec une maladroite comme Roselyne, et deux malchanceux comme la
même Roselyne et le président, il allait se dérouler pour le mieux ! Une
dose pour six cents kilos d’orignal !
Une fois en vol, le pilote, Roselyne et Jaimie repérèrent
rapidement le président et sa monture. Ils avaient quitté la route nord, et
196
fonçaient dans la coupe à découvert de la forêt. On pouvait d’ailleurs
apercevoir quelques biches qui fuyaient la bruyante machine.
L’hélicoptère se lança à leur poursuite.
L’endroit déboisé convenait bien, car il y avait bien plus de place
pour voler bas que le long de la route bordée d’arbres. Plus on se
rapprocherait de l’animal, plus le tir pourrait être précis. L’hélicoptère
perdit de l’altitude. Plus près, toujours plus près.
La croupe de l’orignal grossissait à vue d’œil dans la verrière de
l’appareil. Jaimie fit descendre la vitre latérale, et prit de nouvelles photos.
Puis elle se retourna et fit signe à Roselyne. Elle pouvait caler le canon de
son fusil sur le rebord.
Roselyne était un peu angoissée. Elle engagea l’énorme flèche-
seringue dans le canon du fusil, et referma l’arme. Puis, elle actionna le
système de pompe à air comprimé. Le fusil était prêt.
L’hélico glissa légèrement sur la gauche de l’orignal tout en
descendant encore d’un mètre. Roselyne se pencha et appuya son canon
sur le rebord. Trop de vibrations. Elle plaça un vieux sweat sur le bord de
la fenêtre, et reposa son arme sur cet amortisseur improvisé. Cela allait. Le
grand cervidé continuait à détaler, et le président Porcinet à se faire
secouer. Roselyne se dit que ce n’était pas difficile, et que ce serait sa plus
grosse piqûre. Elle déverrouilla le cran de sécurité de l’arme, puis visa
soigneusement la croupe de l’orignal. Le président Porcinet était assis bien
sur l’avant, cramponné aux poils du cou.
Deux cents mètres au-delà de l’orignal, juste sur sa route, le
Captain Anemone attendait avec son M Squadron du Royal Canadian
Skunks Battalion of Nova Scotia.
213
Vendémiaire de l’an IV. Je ne crois pas aux propos innocents. C’est pour
cela qu’il ne faut pas chercher à renverser le régime, mais lui mettre la
pression, ce n’est pas la même chose. Le vrai changement, il est culturel et
dans les cœurs. Cela prend forcément du temps. On ne sème rien sur le
sang.
—C’est pour cela que notre guerre est d’abord culturelle précisa
Marie. Les Veilleurs nous offrent une piste. Culture, intelligence, non-
violence. Et il y a les élections. Les partis politiques sont mourants, ils sont
en train d’éclater, mais on peut regrouper tous les gens qui ont la même
idée de l’Homme. Il y en a dans tous les partis, de Droite, comme de
Gauche. Car on ne peut gagner les élections sans gagner la guerre
culturelle. Il ne faut pas que les électeurs votent « contre » quelque chose,
mais « pour » autre chose. On s’en charge !
— En fait, reprit Caroline, le régime s’effondre, victime de ses
contradictions et de l’incompétence qui a l’air d’être le processus de
sélection de ses élites. Mais il ne faut pas qu’il s’effondre n’importe
comment, trop vite, ou trop tard. Il ne faut pas qu’il écrase tout le monde
en tombant. Il faut donc impitoyablement éroder le pouvoir de ses
dirigeants, et accélérer leur chute en les décrédibilisant, et en les
ridiculisant. Et il nous faut contrôler cette chute. C’est comme pour abattre
un arbre pourri. Il ne faut pas qu’il tombe sur la maison d’habitation.
Alors on coupe ce qui doit être coupé, on élague, et en pratiquant les
bonnes entailles là où il le faut, le tronc tombe pile là où on le souhaite. J’ai
vu des bûcherons le faire, lors de notre visite au Canada. De vrais artistes.
J’ai immédiatement fait la transposition. Il nous faut être les bûcherons du
régime porcinien. Massacre à la tronçonneuse !
212
— Et c’est pour cela, expliqua Marie, qu’il faut augmenter la
pression avant que cela ne soit trop tard. Il faut qu’au million de
manifestants des familles s’ajoute deux millions de travailleurs victimes
de la mondialisation et du capitalisme fou devenu uniquement financier.
Et qu’il y ait aussi un million de petits et moyens patrons, de cadres,
d’ingénieurs. Tous ceux qui bossent et font encore tourner l’économie
capitaliste, celle du réel, et se font exploiter par une Administration qui ne
pense qu’à plumer du pigeon, et par des grands groupes qui confondent
l’économie avec un casino. Ces grands groupes qui déménagent leurs
usines à tour de bras dans un sens, tout en déportant des populations de
malheureux dans l’autre, afin de faire crouler les salaires et exploser les
systèmes de protection sociale qu’ils en ont marre de financer. Avec la
complicité des gauchistes ravis de détruire la civilisation chrétienne qui
les a fait naître. Leur civilisation. C’est le meurtre du père. Une sorte de
complexe d’Œdipe à l’échelle d’une société. Et bien sûr, tous se fichent pas
mal des conditions d’accueil et d’assimilation de ces populations. C’est
alors que toutes ces manifs convergeront sur l’Elysée. Pour demander des
comptes à Séraphin le Bienheureux ! Et lui expliquer que le bien commun,
c’est le rôle de l’Etat.»
— Vous êtes révolutionnaire, Marie !
— Oui mon Père, répondit-elle.
— Moi-aussi, dit Caroline.
— Vous ne craignez pas la violence ?
— Si, reconnut Caroline. Je pense qu’au ministère de l’Intérieur, il
y a des gens tout à fait capables de faire tirer sur la foule s’ils estiment que
c’est nécessaire. Déjà, plusieurs hommes politiques porciniens de second
rang ont évoqué le fait que le général Bonaparte avait su le faire le 13
197
Les papistes fonçaient sur eux, et malgré leur appui tactique
aérien, il accomplirait sa mission. Tous ses skunks étaient parfaitement
placés en embuscade dans une zone couverte de buissons. Il n’y aurait
pas de prisonnier chez les papistes.
« Music, ordonna-t-il ! »
Les trois skunks musiciens modulèrent aussitôt l’air Nut Brown
Maiden.
Roselyne aligna la cuisse arrière gauche de l’orignal dans son
viseur. L’animal bondissait par-dessus les buissons. Un peu plus loin,
après trois ou quatre buissons, il y avait un espace dégagé, elle aurait alors
quelques secondes avant qu’une autre zone de buissons ne puisse la
gêner. La bête allait sans doute cesser de bondir dans cet espace libre. Elle
patienta un peu.
Le Captain Anemone attendit que l’orignal effectue son dernier
bond.
Prepare. Target twelve o’clock. Elevation one third. Range fifteen !
L’orignal ne pouvait entendre la musique des mouffettes
péteuses en raison de la présence assourdissante de l’hélicoptère. Mais
il sentit quelque chose…
Roselyne visa soigneusement. Jaimie filmait l’orignal et le
président qui se demandait bien ce que mijotait l’hélicoptère à voler si
près.
Skunks ! C’étaient des skunks ! L’orignal planta brusquement
ses quatre sabots dans le sol sablonneux et freina désespérément tout
en faisant un écart brutal sur la droite.
198
Roselyne, après avoir avalé un peu de salive, venait d’appuyer
sur la détente. Un claquement sourd se fit entendre. La flèche jaillit du
canon à deux cents kilomètres heure en direction de la croupe de
l’orignal.
Séraphin Porcinet perçut le mouvement de freinage brutal de
sa monture. Pour éviter la chute, il poussa sur ses bras. En vain. Car
après avoir effectivement résisté une fraction de seconde, il se sentit
décoller du dos de l’animal. La flèche poursuivit sa course. Le
président partit alors tout droit en vol plané par-dessus le garrot du
grand cervidé au moment précis où celui-ci pivotait. Il fut satisfait de
ne pas heurter les bois. C’était toujours ça.
La flèche manqua l’orignal, continua sa course, passa à gauche.
Le président poussa un cri de frayeur. Il allait tomber, là, sur
les buissons. Et là, derrière les buissons, des dizaines et des dizaines
de mouffettes, queues dressées. Des mouffettes qui l’attendaient ! Lui,
Président, il n’avait vraiment pas de chance !
NOOOOOOOONNNNN !
AIE !
La flèche venait de se figer avec une grande violence dans la
fesse gauche du président de la République en pleine trajectoire
parabolique. Sous l’effet de l’inertie, le piston s’enfonça, injectant le
liquide dans la masse musculaire des fesses présidentielles.
Cri de douleur. Vraiment pas de chance, pensa-t-il en un
éclair. Dès qu’il s’envole, il a des ennuis : la foudre, les mouffettes, et
maintenant un missile !
211
— Les prises de vue de Jaimie Olson ont eu beaucoup de succès,
répondit Marie. A l’étranger. En France, censure complète. Silence de
plomb. Partout. Une presse et des médias totalement à la botte. C’est
effrayant ! Mais, comme les vidéos tournaient en boucle sur le web, il y a
eu les contre-mesures. Le quotidien du soir, le Monstre, a fait tout un
article pour expliquer que c’étaient des faux. Un technicien en infographie
a été interrogé à la télé pour montrer tout ce qu’on pouvait faire comme
trucage. Dommage qu’ils ne l’aient pas fait venir pour les photos truquées
de nos manifs. Et ils ont déniché un zoologiste, spécialiste des méphitidés,
pour expliquer que les mouffettes ne peuvent pas vivre en bande. Que
c’était impossible.
Quant au présentateur de télé bien connu, David Pataugas, il a
été jusqu’à interroger Monseigneur Donaldson, vous savez, l’évêque
controversé qui s’était distingué par des propos négationnistes, pour lui
faire dire qu’un tel comportement coordonné de mouffettes était tout à fait
plausible. La compétence d’un évêque au sujet de la vie sociale des
mouffettes est une chose évidente, vous êtes bien d’accord ? Et notre cher
présentateur, avec son regard habituel plein de franchise, en a conclu que
tous ceux qui pensaient que ces vidéos étaient vraies, étaient des « proches
des milieux intégristes» et peut-être même « négationnistes »…
— A mon avis, continua Caroline, les porciniens se préparent au
régime chinois : prisons remplies de prisonniers politiques, censure totale
du web transformé en intranet d’Etat, presse muselée. Sans oublier une
politique de l’enfant unique, réservée aux chrétiens bien sûr ! Tout ça avec
d’excellentes raisons humanistes, on peut compter sur les explications
enthousiastes de la porte-parole Cobra Vella-Belcarène. C’est leur seule
issue pour que le régime survive.
210
« Par contre, demanda le prêtre, je n’ai pas trop compris si vous
étiez complices dans l’affaire des mouffettes, toutes les deux…
— Non, mon Père, répondit Marie. Moi, je savais que Caro était
chez les Femecs, et qu’elle volait sur l’avion présidentiel. Elle m’avait
envoyé un texto. Je savais donc qu’il y aurait un témoin de l’action des
mouffettes. Mais l’inverse n’était pas vrai. J’avais trouvé plus prudent de
ne rien lui dire par voie électronique. Trop risqué. Et il n’a pas été possible
de se rencontrer à Montréal.
— Donc, dit le Père Joseph, vous avez livré votre cousine aux
monstres puants.
— Collateral damage…
— Merci Marie ! Elles sont sympa les cousines, commenta
Caroline ! Mais je pense aussi qu’elle n’avait pas le temps de me prévenir
de façon sûre. Je me suis débrouillée au mieux. En fait, les mouffettes ont
surtout du bon sens. Elles n’attaquent que les méchants. Mais je regrette le
raton-laveur, il était trop sympa !
— La journaliste canadienne l’a-t-elle gardé, demanda Marie ?
— Oui, Jaimie me l’a dit. Elle a un raton-laveur superclasse. Il
adore le thé, et il est très bien élevé. Son petit garçon Arthur en est fou.
Rigolo, hein ? Et en plus, il paraît qu’il s’est trouvé une ratonne dans le
jardin, près des poubelles. Ils vont convoler en justes noces… Là, Jaimie
fait la grimace. Because les bébés ratons !
— Et, reprit le Père, les photos et les vidéos de cette journaliste ?
Avec l’incroyable cavalcade dont vous m’avez parlé… Sur un orignal. Et
les centaines de mouffettes.
199
— First line ! Shoot !
Le captain Anemone venait de donner l’ordre de tir à la
première ligne.
Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !
Séraphin Porcinet hurla de dégoût sous la puissance et
l’abondance de ce qu’il reçut sur tout le corps avant même de toucher
terre.
Il s’abattit alors dans les bruyères, ce qui amortit l’atterrissage.
« Allons bon, nous voilà bien, je n’ai pas piqué la bonne
personne, gémit Roselyne, constatant son erreur.
— OOOPS ! », commenta Jaimie. »
L’orignal filait vers la droite, enfin libéré de son présidentiel
fardeau. L’hélicoptère continua tout droit, puis s’inclina et amorça un
virage à gauche.
Jaimie se retourna et aperçut les mouffettes en ordre de
bataille.
Séraphin Porcinet reposait sur le ventre, flèche plantée dans
son derrière. Le liquide se répandait maintenant en grande quantité
dans son organisme. Un dosage prévu pour une brute de six cents
kilos. Un froid intense commençait à envahir ses membres postérieurs.
Les yeux hagards, il fixait les rangées de mouffettes. Sa vue se troubla.
Il murmura : « Moi, prévident… »
Puis ce fut la seconde ligne de tir.
— Second line ! Elevation zero! Shoot !
200
Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !
Suffocation et paralysie du malheureux.
Puis la troisième.
— Third line ! Shoot !
Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !
Mais là, après un râle final, le président de la République était
déjà emporté dans un profond et miséricordieux sommeil de mort.
L’hélico revint en volant au ras des buissons, ce qui dispersa les
mouffettes. Puis, après un nouveau virage, il se posa dans l’espace libre à
quelques mètres du président immobile.
Jaimie n’arrêtait pas de filmer tout en portant un foulard sur le
nez.
« Mais ça pue comme pas possible ! »
C’est alors qu’elle aperçut les phares des véhicules de secours
arrivant sur la route du nord.
Non loin de là, le Brigadier-General Pincushion s’était déplacé sur
une petite élévation située nettement plus au nord que la base du
bataillon. Il avait rejoint le captain Dogwood et ses skunks de la E
squadron.
« Victoire totale, s’exclama-t-il. Nous avons eu l’Antéchrist. Et le
grand orignal est délivré. Ses biches seront heureuses. Quant à la tête de
pont, ils sont en bien mauvais état. Les papistes Froggies sont défaits.
C’est un grand jour pour le Canada et pour la Reine ! »
209
— Là, ma chère Caroline, cela fait beaucoup d’intentions de
prière, nota le prêtre. Il va vous falloir envisager sérieusement le Carmel.
— Pourquoi pas, mon Père ? J’ai bien commencé par Fleury-
Mérogis !
— Justement, et s’ils vous arrêtent à nouveau ?
— Ils m’arrêteront. Pas d’arme, pas de mouffette, pas d’orignal.
Ils peuvent venir me prendre. J’ai des copines à Fleury… Mais ce faisant,
ils lanceront une publicité gratuite comme pas possible à mes vidéos. Je
pense aussi qu’ils sont coincés. Ils ne peuvent que me faire des coups en
dessous de la ceinture. Ma chambre de bonne a été « visitée » et mise sens
dessus-dessous il y a deux jours. Ils avaient fait pareil avec Nicolas20. Mais
je suis libre, je n’ai pas d’argent, pas de situation, je n’ai rien à perdre.
Même ma liberté, je peux l’offrir. Il y a des choses à faire en prison.
D’autres chorales, par exemple ! »
Le Père Joseph sourit. De loin, Caroline avait été la plus casse-cou
de toute sa compagnie, chez les Guides. Elle n’avait pas changé…
Mais Marie ne demandait pas son reste. C’était la plus inventive.
Récemment, elle lui avait montré son fameux système d’autodéfense
« Stop-GAV». Un petit sac à dos rose Manif pour Tous contenant une grosse
bouteille en plastique sans fond remplie de billes, avec un gros trou percé
au fond du sac et fermé par un velcro. Tout en courant, on tire fort sur une
ficelle, le velcro s’arrache, toutes les billes s’échappent de la bouteille et
tombent d’un coup sous les pas des poursuivants... La Préfecture de Police
allait sûrement interdire la vente de billes !
20 Premier prisonnier politique du régime porcinien
208
mouffettes. Pas de traces, pas d’empreintes. Et puis, ils sont super-
ennuyés. Comment avouer que c'est la compagne du Président qui a fait
entrer les mouffettes à bord de l'avion ? Ils sont coincés. J'ai un film qui le
prouve. Avec mes sœurs uniquement filmées de dos. J’ai viré les
séquences où on peut les reconnaître. Et papa a filmé les types qui
ramassaient la cage. Ces gens sont très identifiables. Donc, s’ils nous
ennuient, on lâche ça dans la nature. L’effet en sera pire que des
mouffettes.
— Bon, répondit Caroline, moi, je vais être embêtée. J'en suis
sûre, mais j'assume. Il ne peut y avoir de doute sur le fait que les vidéos
prises à bord de l'avion sont de moi. Ils vont enfin trouver des charges.
J'ai écrit à Christiane Tobago. J'aimerais bien qu'elle évolue. Je l'ai
à nouveau invitée à m’accompagner à une soirée de Veilleurs. Je lui ai
même suggéré de faire une intervention. Je lui ai promis qu’elle ne serait
pas lynchée par les nervis que nous sommes. Mais peut-être par les Antifas
aux neurones d’huîtres qui nous agressent parfois. En attendant, je lui ai
aussi promis que je ne diffuserai pas les vidéos la concernant. Surtout celle
où elle se fait piquer le derrière par Roselyne... Même si on m’arrête. Sauf,
si d’autres personnes que moi sont ennuyées. Par exemple, Marie et sa
famille. Je ne veux pas faire un chantage qui puisse me profiter, à moi. Et
j’ai décidé de « sauver » Christiane. Je prie pour elle, et j’essaie de la
délivrer de son idéologie.
— Bon courage !
— Je n’en manque pas ! Je l’ai rajoutée à mon « carnet de
commande », à la suite des neuvaines pour le cher Monsieur Lebon-
Berger, et Séraphin Porcinet.
201
Un assourdissant déchirement de l’atmosphère se fit alors
entendre. Dans le grondement strident de leurs réacteurs, deux F18-
Hornet plongèrent sur le Bullshit Lake, remontèrent en altitude puis
partirent en virage. Mission : assurer la sécurité de la zone, et par là, celle
d’un chef d’état en visite. La grosse feuille d’érable rouge qui frappait leur
empennage, brillait dans les tout derniers rayons du soleil couchant.
« Les F-18 de Goose Bay ! », jubila le Brigadier General
Pincushion.
« Ce n’est pas trop tôt ! Toujours en retard ! », ajouta-t-il, à
l’adresse des chasseurs-bombardiers.
Alors tous les skunks présents entonnèrent l’hymne national du
Canada, délicatement accompagnés par les fartpipes du Royal Skunks
Band.
O Canada! Our home and native land!
True patriot love in all thy sons command. With glowing hearts we see thee rise,
The True North strong and free! From far and wide,
O Canada, we stand on guard for thee. God keep our land glorious and free!
O Canada, we stand on guard for thee. O Canada, we stand on guard for thee.
A quelque distance de là, six petites mouffettes observaient
également la scène. Assis tout près d’eux, le Sergeant Daffodil sourit en
ses moustaches de sconse, et leur dit dans un français tout à fait
approximatif, mais méritoire :
« Vous aussi, Canadian Moofaits, vous avez contributed à la victory.
Welcome in New-Ecosse… »
202
Une petite larme perla de l’œil de Marguerite. Elle s’appuya
contre le plus proche de ses enfants… Coquelicot avait enfin réussi à
nettoyer sa marque de bisou du sommet blanc de son petit crâne.
« Tabarnak, c’est émouvant, dit Fleur…
— Fleur, votre langage !
— Oui, mon amour. Vous voyez, mes amis, malgré nos
différences avec ces mouffettes anglophones, nous appartenons à la même
nation. Dont nous sommes fiers. Nous pouvons chanter le même
hymne. »
Alors Fleur, suivi par toute sa famille, se joignit au chant :
Ô Canada! Terre de nos aïeux,
Ton front est ceint de fleurons glorieux! Car ton bras sait porter l'épée,
Il sait porter la croix! Ton histoire est une épopée Des plus brillants exploits. Et ta valeur, de foi trempée,
Protégera nos foyers et nos droits. Protégera nos foyers et nos droits.
Un peu plus loin, au beau milieu d’une anse du lac, le grand
orignal trempait. Assis dans l’eau jusqu’au cou, il tentait de se laver de
l’horrible odeur de mouffette dont il était recouvert. Il savait qu’il y en
aurait pour un moment ! Et le pire, c’est qu’il n’avait aucune chance de
pouvoir approcher ses biches tant qu’il dégagerait cette odeur infecte.
Condamné à la chasteté parfumée ! Lui, le Grand Orignal ! Alors il faisait
encore plus la gueule que d’habitude ! Il n’était vraiment pas d’humeur à
bramer O Canada !
207
prêtre avait été leur aumônier lorsqu’elles étaient chez les Guides. Elles lui
en avaient fait voir, des vertes et des pas mûres ! Mais il savait bien que
c'étaient ces tempéraments trempés qui pouvaient un jour prendre à bras
le corps les problèmes de la société. Il avait suffi de bien les former
humainement, et chrétiennement. Il n'avait pas été déçu.
Le soleil incliné d’automne inondait la cuisine de son presbytère.
Quelques rayons frappaient le visage de Marie, qui sembla soudain un
peu gênée. Il se leva, tira un rideau et revint s’asseoir.
« Vous ne parlez pas trop de votre incarcération, Caroline, dit-il...
— Vous savez, mon Père, je n'en ai pas trop à dire... Ils n'avaient
rien contre moi. Un dossier parfaitement vide. Ils m'ont gardée un mois
dans le quartier des femmes à Fleury-Mérogis. Pour rien. Dont quinze
jours en isolement. Après, cela s’est beaucoup mieux passé. J'en ai profité
pour lancer une chorale de chant grégorien et de polyphonie sacrée avec
les détenues. On va leur pourrir la vie à ces porciniens! Mais ils ont été
obligés de me relâcher. Ils n'avaient aucune charge !
Il faut l'avouer, mon avocat, Maître Gagnant, est un bon. Je pense
que je vais surtout en avoir besoin maintenant. La semaine dernière, j’ai
mis en ligne mes vidéos prises à bord de l'avion présidentiel. Sur un site
russe. Cela évite la censure. Mais nos blogs préférés les relaient toutes.
Même chose pour les films pris par Jaimie Olson, la journaliste
canadienne. La bouffonnerie de nos dirigeants y est vraiment excellente.
— Mais n'avez-vous pas été embêtées, demanda le prêtre ?
— Si, ça commence, dit Marie. Il y a eu plainte contre X. Maman a
été interrogée. Sa ligne de défense est claire. Elle se saoule régulièrement
pour oublier que Porcinet est président de la République. Imparable ! Tout le
monde comprend. Et surtout, les flics n'arrivent pas à faire le lien avec les
206
— Moi, j’ai bien aimé la discrétion sur les séjours chez le dentiste
de plusieurs personnalités. Ils ont même raconté qu’ils avaient mangé trop
de confiseries pendant le voyage au Canada. Et c’est répété par tous les
journaux. Mot à mot !
— Et Cécile Duvent a expliqué que les confiseries étaient un
fléau, et qu’il fallait les taxer.
— Cela a été applaudi au dernier des Conseil des Ministres.
Debout !
—De toute façon, quand on prend l’habitude de mentir, on ne
peut plus s’en passer.
— Chez, les porciniens, c’est congénital.
— Moi, je plains le pauvre Noël Maparendeux. Ils ont dû
l’interner. On l’a surnommé Docteur Folamour. Il veut la guerre
thermonucléaire totale. L’Armageddon ! Même si ça doit faire fondre la
banquise du Canada. Et noyer les ours, au grand dam de son amie Cécile !
— Le pire, c’est que malgré tout, il a l’air plus sensé qu’avant…
— Je plains aussi le pauvre Harem Plaisir. Il a ouvert un cabinet
de voyance. Il voit des fascistes partout. Ils ont dû le renvoyer de la tête
du Parti Porcinien. Il les traitait tous de maurrassiens !
— Il devrait faire un deal avec Docteur Folamour. Pour prédire la
fin du monde. Ou l’inversion de la courbe du chômage !»
Le Père Joseph restait bien calé dans sa chaise, et tout en sirotant
son café, il observait avec amusement les deux cousines empiler leurs
griefs les uns par-dessus les autres avec de plus en plus d’excitation. Il y
avait la blonde, Marie, et la brune, Caroline, de trois ans son aînée. Ces
cousines Vercors, cela faisait longtemps qu’il les connaissait. Le jeune
203
Autour de l’épave de l’Airbus présidentiel, c’était maintenant le
ballet sans fin des ambulances, bientôt rejointes par des hélicoptères.
Tous les pompiers étaient équipés de masques respiratoires. Le Président
Séraphin Porcinet reçut une injection massive de stimulants administrée
sur le lieu même de son vol plané moins de deux minutes après l’accident.
Ce qui lui sauva la vie. Puis, il fut évacué en urgence sur Halifax.
Le vil, infâme et ignoble Manuel Iznogaz continuait à hurler, ou
plus exactement siffler de colère, et sans doute de déception. D’autant
qu’il n’avait plus le Préfet de Police pour passer ses nerfs. Mais il avait
Caroline !
La malheureuse, poussée par ses deux gardes, et malgré les
protestations d’un capitaine de pompiers canadien, fut conduite menottée
en direction d’une camionnette. Elle persistait à clamer son innocence. Elle
n’avait rien à voir avec les mouffettes !
A ses côtés, Roselyne Camelot, menottée elle-aussi, et soupçonnée
d’outrage à président de la république et d’usage d’arme par destination,
fut elle-aussi conduite vers la détention. La malheureuse avait l’air
vraiment choquée par ce qui lui arrivait.
A quelques mètres de là, deux pompiers poussaient avec
délicatesse Noël Maparendeux revêtu d’une camisole de force. Le
malheureux politicien du sud-ouest n’avait manifestement pas toute sa
conscience, ce qui n’est pas un scoop, car il hurlait :
« Lâffez-moi, ve veux voir le prévident, la Franfe n’est plus ven
fécurité, il faut lanfer les miffiles atomiques des fous-marins fur le
Canada ! »
A ses côtés, la pauvre Cécile Duvent se lamentait :
204
« Noël, ne dites pas des choses comme ça ! Pensez aux ours! »
A quelques mètres de là, deux autres pompiers portaient le vrai
attaché militaire allongé sur une civière et muni d’un masque à oxygène. Il
avait manifestement succombé à une overdose de parfum de mouffettes.
Mais aucun pronostic vital n’était engagé. La valise des codes nucléaires
était entre les mains d’un troisième pompier… canadien. Quelle
négligence !
C’est alors que Caroline, tout en continuant à se débattre de toute
son énergie, décida de chanter la Marseillaise à tue-tête :
Allons enfants de la Patrie Le jour de gloire est arrivé ! Contre nous de la tyrannie
L'étendard sanglant est levé L'étendard sanglant est levé
Entendez-vous dans nos campagnes Mugir ces féroces soldats?
Ils viennent jusque dans vos bras. Égorger vos fils, vos compagnes!
Aux armes, citoyens…
Un claquement sourd. La portière du véhicule fut refermée sur la
jeune fille. La suite du chant fut étouffée, et la camionnette l’emporta sans
attendre.
Jaimie Olson, un genou posé à terre, avait soigneusement filmé
toutes ces scènes et pris de nombreuses vues. Elle arrêta son appareil,
satisfaite de sa moisson d’images. Puis, tout en caressant le raton-laveur,
plus collant que jamais, elle pensa qu’il devait se passer de bien drôles de
choses en France, côté démocratie… On étouffe même la Marseillaise…
205
Epilogue - Confessions
« Mais vous vous rendez compte, dit la blonde ? L’Elysée a osé se
fendre d’un communiqué expliquant qu’ils avaient fait une escale
technique à Halifax. Et ils ont publié une photo montrant l’avion
présidentiel devant l’aérogare ! Ils ont réussi à annuler l’existence d’un
crash. Inouï !
— Ouais, enchaîna la brune, ils ont changé de Préfet de Police,
mais ils ont gardé le technicien chargé de faire des faux.
— Et ils ont ensuite raconté qu’ils avaient vendu l’avion au
Canada par souci d’économie et pour diminuer l’empreinte carbone du
président, poursuivit la blonde.
— Et ils ont expliqué, renchérit la brune, que le président avait été
hospitalisé des suites d’une tentative d'empoisonnement par Roselyne
Camelot ! La pauvre !
— Et presque tous les journaux, continua la blonde, ont répété ça
en boucle sans la moindre contre-enquête. Vous vous rendez-compte ?
— Le plus drôle, reprit la brune, c’est que pour cacher le fait que
deux ministres et le président ne puissent s’asseoir, ils ont décrété que le
Conseil des Ministres, dans un but d’efficacité, se tiendrait dorénavant
debout ! Il fallait voir la porte-parole du gouvernement Cobra Machin-
Chose nous raconter ses salades avec un grand sourire et son air de biche
perverse. Elle souriait moins lorsqu’elle était enduite de jus de mouffette !
— En tout cas, cela fait beaucoup de Sentinelles-Veilleurs Debout.
Même au Conseil des Ministres.
Nouvelle France
Les Mouffettes Pour Tous
En vacances au Canada, une famille de Résistants contre le régime totalitaire du Président de la République française, Séraphin Porcinet, trouve le moyen d’introduire de terrifiants passagers clandestins dans « Air Pork One », l’Airbus présidentiel.
Le Président et ses comparses vont alors être emportés par une cascade impitoyable d’événements de plus en plus catastrophiques et improbables, illustrant assez bien la fameuse théorie du chaos.
Une histoire mêlant la farce, la tendresse et le choc des opinions.
Une histoire pour rendre hommage à ces nombreux jeunes et moins jeunes qui, pour défendre les plus faibles ainsi qu’une certaine idée de la Civilisation, affrontent une répression brutale, hystérique et stupide. Ils sont la Nouvelle France.
Une histoire fantastique, où même le règne animal prend la parole.
Une histoire de combat et de passion, avec des Résistants et des Puissants, mais aussi une histoire qui sait, comme les Veilleurs et les Sentinelles, nous parler de l’Espérance.
Une histoire impertinente et époustouflante destinée enfin à souligner la seule compétence reconnue des bouffons qui veulent faire croire qu’ils dirigent, mais qui surtout oppriment notre malheureuse patrie : la bouffonnerie.
219
c’est pour lui expliquer que ne rien lâcher, jamais, jamais, jamais,
n’implique pas de ne jamais desserrer les dents. Au contraire, cela
permettrait de faire revenir le sourire sur vos visages lumineux, à toutes
les deux… »
Silence boudeur de Marie, qui continua néanmoins à soutenir
avec aplomb le regard tranquille et un peu moqueur du prêtre…
« Bon, mesdemoiselles, poursuivit le Père, j’ai des confessions,
maintenant… Je dois à regret prendre congé de vous. Vous vois-je à la
messe demain ?
— Oui mon Père », répondirent en chœur les deux jeunes filles,
en lui lançant un sourire tout à fait angélique. Même Marie.
Après avoir rangé les tasses, elles s’éclipsèrent de la cuisine du
presbytère en papotant comme des guidouilles. Le jeune prêtre passa une
minute ou deux dans son bureau, prit son étole, descendit les escaliers, et
sortit dans la rue. Puis il traversa et entra dans son église par une porte de
derrière.
Il coupa devant le chœur, fit une génuflexion, et descendit le long
d’une allée latérale en zigzagant entre les flaques d’eau. Cela faisait des
mois qu’il demandait la réparation de la toiture à la mairie, propriétaire
des lieux.
« A moi, Père, deux mots ! »
Il se retourna. Caroline l’avait suivi. Elle gardait un petit air
énigmatique.
« Oui Caroline, mais rapidement…
— Mon Père, pourquoi votre allusion au Carmel tout à l’heure ?
220
— Parce que, Caroline, du Carmel, vous m’en avez parlé il y a six
ans, lors d’un camp guide. Puis, il y a quatre ans. Et encore il y a deux ans.
Et vous m’aviez dit vous en être ouverte à votre cousine. Devant votre
zèle à prier pour les cas désespérés, je me suis donc permis cette petite
pointe. J’espère que je ne vous ai pas blessée.
Caroline sourit largement, et secoua la tête.
« Non, mon Père. J’étais heureuse de vous entendre. Mais, je me
demandais si vous me faisiez un signe… Car elle est bien toujours
présente, cette chère blessure au cœur, qui un jour, me poussera
certainement à dire : Je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon Sa
Parole21.
— Et pour vous, quelle est-elle donc, cette Parole ?
— Ce temps de guerre n’est pas toujours propice à ce type
d’écoute, mon Père. Surtout lorsque je jouais la flying bimbo de l’avion
présidentiel… Cependant, mes deux semaines de détention en isolement
ont pu faire un peu bouger les lignes. J’étais désœuvrée. J’ai eu le temps
de me retrouver face à moi-même. Et je suis remontée aux sources… Vous
souvenez-vous, mon Père, comment cette intuition du Carmel m’était
venue la première fois ?
— Très bien. Vous m’aviez confié que vous aviez été touchée par
le film « Dialogue des Carmélites22 »… Je vous avais même conseillé de faire
attention à vos emballements d’adolescente. A vos émotions. Une
vocation n’a rien à voir avec les émotions.
21 Réponse de la Vierge à l’ange lors de l’Annonciation. 22 Film de Pierre Cardinal, dialogues de Bernanos. 1984 La version du RP. Bruckberger (1960) est la plus connue.
236
LA CHARGE .................................................................................. 129
LE CULBUTO ................................................................................. 135
LA CAVALCADE ............................................................................ 141
CHAPITRE IV - LA REVANCHE DES SCONSES ....................151
LES LOYALISTES ........................................................................... 151
AU SERVICE SECRET DE SA MAJESTE............................................. 156
L’EMBUSCADE .............................................................................. 167
DISPARITION ................................................................................ 177
LE CHAMP DE BATAILLE ............................................................... 183
L’ETOFFE DES HEROS .................................................................... 192
EPILOGUE - CONFESSIONS .......................................................205
ANNEXE : DANS LE SILLAGE DE LA TRES GRANDE
MANIFESTATION ........................................................................................227
221
— Tout à fait. Mais c’est comme dans tout amour humain. Il faut
une première fois. Un coup de foudre. Dans cette histoire de l’exécution
des Carmélites de Compiègne pendant la Révolution, j’avais tellement de
compassion pour la pauvre Blanche de la Force, ravagée par la peur et
prête à se mépriser ! Je me sentais si proche de la petite sœur Constance,
sa joie, sa fantaisie ! Son égalité d’humeur face à la vie comme à la mort !
Et j’avais été si bouleversée par le spectacle poignant de toutes ces
religieuses qui montaient à l’échafaud en chantant le Veni Creator !
Il n’y avait plus que le chant, les femmes filmées de dos, l’une
après l’autre gravissant dignement les marches, s’allongeant sur la
planche mortelle, puis le cognement sourd et rythmé de la lame sanglante
qui s’abattait sur chacune d’elle. A chaque coup, je sursautais et je
m’étranglais. Je ne respirais plus. Le chant s’éteignit avec la dernière. Et
moi, j’avais retenu mon souffle pendant toute l’exécution. Mais voilà le
Veni Creator qui ressuscite. Blanche bouscule le barrage de soldats, et tout
en tenant sa jupe de ses mains libres, c’est en chantant à son tour qu’elle
monte toute seule à l’échafaud pour y rejoindre les sœurs qu’elle avait
abandonnées. Pour la première fois, elle resplendissait. Elle mourait
comme elle n’avait jamais vécu. La caméra montrait son visage de face.
Elle levait les yeux, vers le Ciel et vers la lame. Sa voix resta ferme
jusqu’au bout. Son chant ne s’éteignit qu’avec le choc sourd du couteau.
Mais le Veni Creator Spiritu reprit ensuite. Là, c’était moi…
— C’est effectivement une histoire très forte, mais on ne devient
pas forcément carmélite après l’avoir regardée, ni lu le texte de Bernanos.
Cela se saurait…
— Mon Père. Ces femmes ont subi le martyre pour féconder la
France. Et ce martyre qui me parlait, adolescente, m’a une nouvelle fois
222
interpellée. J’ai beaucoup réfléchi en prison. Je voyais des similitudes, ou
plutôt des homothéties. J’étais injustement emprisonnée par un régime
qui se veut héritier de ces Jacobins qui ont commis l’erreur tragique de
fonder la République sur un bain de sang, un régicide, la persécution
religieuse, et un génocide oublié, celui de la Vendée. C’est lourd comme
héritage. Et depuis, la France n’a jamais cessé de décliner lentement dans
tous les domaines essentiels. Elle s’est offert les millions de morts des
guerres nationalistes comme celles de l’Empire, et la Grande Guerre. Et la
honte de l’Occupation. Et la décomposition présente. Et pouvez-vous jurer
que nous ne connaîtrons pas une guerre civile, une vraie, avec du sang,
d’ici dix ou vingt ans ? Or, Vincent Paillard, ministre de nos écoles,
comme beaucoup de ses collègues porciniens, a la prétention d’achever ce
que ces glorieux ancêtres jacobins n’avaient pu accomplir. Il le dit très
explicitement. Nous n’en sommes pas encore aux échafauds, mais les
injustices policières de cette année sont tout à fait révélatrices de ce qui est
possible, en germe. Révélatrices de la perversité des hommes d’Etat, mais
aussi de la violence et de la haine contenue dans nos sociétés. Et même
dans notre police. Il suffit de lire le compte-rendu des conditions
d’arrestation et de détention de plus d’un millier de personnes qui
n’avaient commis aucun délit ni crime. Alors, dans mon cachot, je me
disais que nous n’étions pas sûrs du tout que nos actions politiques,
qu’elles soient spectaculaires ou de type Veilleurs, soient suffisantes. Elles
sont indispensables. Mais il faut quelque chose de plus. Certes, le régime
porcinien s’effondre en même temps que la société libérale-libertaire sur
laquelle il s’accroche, mais je pense qu’une dictature pourrait
malheureusement sauver l’un et l’autre. Parce que son régime s’effondre,
cette oligarchie devient méchante et bête. L’arbre pourri, ils peuvent le
fossiliser. Il y a des tas de formes possibles pour les dictatures.
235
Table des matières
AVANT-PROPOS ............................................................................... 3
CHAPITRE I - LES FACTIEUX ......................................................... 7
LE BIVOUAC ...................................................................................... 7
LES BETES PUANTES ......................................................................... 18
COMMANDO SUR MONTREAL ........................................................ 27
CHAPITRE II - LES BOUFFONS ................................................... 37
UN VOL « NORMAL » ...................................................................... 37
LES CHATS-HUARDS ........................................................................ 43
TERREUR SUR L’A-330 .................................................................... 49
OUTRAGE ........................................................................................ 56
SOUVENIR QUI PASSE ...................................................................... 63
TURBULENCES ................................................................................. 69
DETOURNEMENT ............................................................................ 77
L’INFILTREE..................................................................................... 83
CIVILISATION EN PERIL ................................................................... 92
A-330 EN PERIL ............................................................................. 103
CHAPITRE III - UN ELAN PATRIOTIQUE .............................. 115
BULLSHIT LAKE............................................................................. 115
REPORTAGE ................................................................................... 118
LES NAUFRAGES ............................................................................ 122
DUEL ............................................................................................. 126
223
Je me disais alors qu’il fallait une âme à cette France qui l’a tant
perdue. Il faut que notre peuple se convertisse enfin. Et pour cela, il faut
des martyrs. Cela a toujours marché comme ça, depuis deux mille ans. Le
Carmel, comme tous les contemplatifs, c’est un peu un martyre de temps
de paix. Mais prolongé pendant toute une vie. Je risque cette comparaison
iconoclaste et pas vraiment poétique : une carmélite, c’est comme une
barre d’uranium. Tranchez lui la tête, c’est une bombe A. Une bombe
d’amour bien sûr, et une pluie de grâces du Seigneur. Laissez la vivre,
c’est la même barre d’uranium dégageant sa chaleur dans un réacteur.
Pendant toute une vie d’amour et de prière. Dans les deux cas, ça chauffe !
Je pense que la France a besoin de davantage de personnes acceptant de
vivre d’un amour intense et exclusif dans une vie de prière. Et il y a un
moment, où il n’est plus possible de se retourner pour voir si quelqu’un
d’autre y va. Il y a un moment, où il faut se dire : pourquoi pas moi ? Alors
oui, même si je ne suis pas au bout de mon cheminement, quelque chose a
changé. »
Il y eut un silence, puis le Père répondit en hochant lentement la
tête:
« Les lignes ont sans doute bougé. Je ne puis que prier pour vous
afin que la Parole soit vraiment audible. Mais mon rôle est aussi de vous
aider dans le discernement. N’oubliez pas, Caroline, que prier, même
souvent, et aussi se sacrifier pour les autres, c’est proposé à tout chrétien.
Quel que soit son état de vie. A une mère de famille nombreuse, comme à
une carmélite. Ce qui compte, c’est l’union intime avec celui qu’on a
choisi… Et qui vous a choisie. Et ne comptez pas trop sur les signes. Il
arrive un jour, où il faut prendre une décision. Ceci est vrai dans le
mariage, comme dans les vocations.
224
— Je sais. C’est pourquoi je me sens toujours libre comme le vent.
Même lorsque je suis en prison. Peut-être qu’accompagner les Veilleurs
m’aidera. J’ai besoin de silence. De paix. On verra. J’ai le temps.
— Et moi, il faut vraiment que je vous laisse Caroline. J’ai mes
« clients » qui attendent… Mais on se revoit bien vite.
— Au revoir mon Père. Je vais à mon « Conseil » : passer une
heure devant l’autel du Saint-Sacrement… Une heure sans penser à
Séraphin Porcinet et à ses Jacobins ! Quel luxe !»
Après avoir salué Caroline, c’est en souriant que le Père Joseph se
dirigea vers le confessionnal. Il avait remis « l’instrument de torture » en
service. Il avait noté que beaucoup de nouveaux pénitents en appréciaient
l’anonymat. Et même des anciens. Quant aux familiers, il les recevait dans
son bureau. Au choix. Pêche au coup, ou au lancer sur rendez-vous. Et
depuis quelques temps, il prenait de plus en plus de poissons. Et pas du
menu fretin…
Il s’installa, passa son étole autour de son cou, et aperçut la
silhouette d’un homme de taille moyenne et un peu replet qui
s’approchait.
Le Père Joseph pria quelques instants, puis se pencha vers la
cloison. Derrière la grille, il devina le visage d’un homme d’âge mûr qui
venait de s’agenouiller. Il lui sembla l’avoir déjà vu, mais où ? En tout cas,
ce n’était pas un paroissien. Il le salua.
« Bonjour monsieur. Soyez le bienvenu.
— Mon Père… (L’homme resta alors silencieux)
— Oui ? Vous pouvez parler. Avez-vous l’habitude de vous
confesser ?
233
métier de faire quelque chose de sérieux, ou de savoir sérieusement quelque
chose, toute celle dont ce n’est pas le métier que de se faire plaisir en
racontant n’importe quoi dans des meetings politiques ou de vendre des
images à la télévision. Les libertaires révoltent et indignent tous ceux qui ne
se sont pas laissé arracher par son nihilisme tout sentiment, intuition et
mémoire de ce que sont science et vérité, art et beauté, dignité, liberté et
devoir civique, moralité, diversité des religions. Et tous s’écrient d’une seule
voix : le nihilisme totalitaire ne passera pas.
Premier pas dans la constitution d’un nouveau régime
Telle est sa démesure fatale, à l’origine du mouvement qui va causer
sa perte. Par ses excès choquants, l’oligarchie rompt avec l’élite non libertaire,
de même qu’elle a depuis longtemps rompu avec le peuple. A terme, c’est
l’alliance entre le peuple et les élites, tant entrepreneuriales, que non
libertaires, qui remplacera l’ancien régime. Ce à quoi nous assistons
aujourd’hui, c’est le passage de l’élite non libertaire dans l’opposition résolue
à l’ancien régime. Elle s’y retrouve avec les classes populaires et elle y attend
l’élite capitaliste entrepreneuriale. On voit déjà se structurer l’univers
politique du nouveau régime. »
232
aujourd’hui obèses, inefficaces et archaïques. Elle meurt aussi d’hémorragie
par la gestion financière des grands groupes, uniquement orientée vers la
rentabilité financière à court terme, et qui regardent bien au-delà des régions
et des travailleurs français pour trouver des sources de profit.
La démesure idéologique
Dans l’ordre culturel, l’oligarchie libérale-libertaire n’offre d’autre
sens et d’autre but que l’exercice d’une liberté arbitraire dans le néant, par
l’amnésie et la transgression. Elle prétend faire de cette vacuité le seul
contenu de la culture du peuple. Elle prétend la lui rendre obligatoire et ne
pas tolérer qu’il puisse penser, parler, éduquer ou vivre selon d’autre règle
que celle de son nihilisme d’État. Au nom de ce nihilisme, elle prétend
détruire la famille, endoctriner la jeunesse, fabriquer des orphelins,
monopoliser et industrialiser la reproduction, comme si rien n’existait en
dehors de sa volonté arbitraire, mégalomane et totalitaire.
Une minorité de minorité de transgressifs nihilistes se radicalise et
prétend imposer une orthodoxie libertaire. Elle espère secrètement que le
peuple se trouvera déstructuré et désarmé à jamais devant le libertarisme de
la finance, à partir du moment où ils auront pu lui inoculer le libertarisme du
plaisir et de l’opinion arbitraire.
L’oligarchie se jette ainsi dans des absurdités dignes de celle des
terroristes de 1793. Le parlement vote des anthropologies absurdes et prévoit
de persécuter ceux qui n’y croient pas, c’est-à-dire à peu près tout le monde
sauf une secte d’idéologues, et ce au nom de la non-discrimination.
Par la démesure de son nihilisme, par sa dérive totalitaire, par le
ridicule, l’odieux et l’absurdité de ses ukases doctrinaux, le libertarisme
révolte la partie de l’élite qui n’est pas libertaire – toute celle dont c’est le
225
— Non !
— Cela fait longtemps ?
— De nombreuves defennies… Depuis mon enfanfe.
— Etes-vous croyant ?
— Pendant longtemps, v’ai penfé que l’idée de Dieu ne m’était
pas néfeffaire, puis, qu’elle m’était nuivible.
— Et maintenant ?
— Ve ne fais pas. Mais ve fuis ifi…
— Voulez-vous que je vous aide ? Vous verrez, ce n’est pas si
difficile.
— Fi, f’est diffifile ! Et en pluf, ve voudrais vous demander le
mariave.
— Le mariage ? Ce n’est pas le même sacrement. Ici, c’est la
Réconciliation. Afin de retrouver l’amour du Seigneur. Et son pardon. Et
remonter la pente lorsqu’on est tombé un peu trop bas.
— La réconfiliafion ?
— Oui, la confession, si vous voulez.
— La confeffion… Mais ve voudrais auffi me marier. On ne fe
confeffe pas quand on fe marie ?
— Si, mais ce n’est pas la même démarche. Disons que cela va
bien ensemble. C’est complémentaire. Si vous le voulez bien, vous
confessez vos péchés, je vais vous aider, puis je vous donne le pardon de
Dieu, puis nous prendrons rendez-vous pour parler de votre mariage.
Avec votre fiancée, bien sûr.
226
— D’accord, furtout que v’ai ma fianfée ifi. Elle pourra fe
confeffer auffi?
— Votre fiancée ? Ce sera une joie pour moi. On commence ?
— Oui, mais n’êtes-vous pas vêné par ma prononfiafion ?
— Je vous comprends quand même. Ne vous en faites pas.
— V’ai trop manvé de confiveries. Mais v’aurai bientôt une
dentifion toute neuve.
— Péché de gourmandise. En voilà déjà un. Et un gros,
apparemment !
— F’est vrai. Ve manve trop. Parfe que ve ftreffe.
— On continue avec les sujets plus… compliqués ? Je suis sûr que
cela va vous aider à moins stresser.»
Une demi-heure après, l’homme sortit du confessionnal. Il avait
l’air épuisé, mais assez content. Il s’approcha d’une femme, également
d’âge mûr qui attendait, et qui n’en menait pas large sur sa chaise. Elle
leva ses grands yeux inquiets, et l’interrogea du regard. Du style « C’était
un peu long… ça s’est bien passé ? »
« Fa f’est bien paffé, lui dit-il avec un grand sourire. La confeffion,
fe n’est pas fi diffifile. Tu peux y aller. Pas de foufi. Perfonne ne nous
connaît ifi. V’ai bien fait de choivir fette paroiffe diftante. En t’attendant,
ve vais paffer un moment devant l’autel du Faint-Facrement. Allez
Fégolène ! Un peu de bravitude !»
FIN
Le 3 novembre 2013
231
sont les seuls à pouvoir s’y exercer effectivement. Elle a ainsi livré à ses
bureaucraties et à ses cartels l’émission de la monnaie, les taux d’intérêt, la
politique de change, la politique concurrentielle, la politique douanière, la
politique agricole, les normes dans tous les domaines, ainsi que l’imposition
des politiques de régression économique des peuples, qu’on appelle "austérité".
Ces politiques n’ont certainement pas pour but de rétablir la rentabilité des
économies, pour permettre le retour de la croissance, mais elles visent à
perpétuer les abus oligarchiques en faisant payer par la force aux peuples les
pertes de ce système.
Au piège démocratique, elle ajoute le « piège juridique ». Tout
pouvoir démocratique est a priori mis sous la tutelle d’un Droit et de Traités
qui garantissent à l’oligarchie la perpétuité de sa domination. Non seulement
le pouvoir démocratique est vidé de sa substance et manipulé, mais quand
bien même il prendrait les bonnes décisions, celles-ci seraient annulées par
l’action d’institutions internationales.
Heureusement tout cela est réversible : l’Union soviétique s’est
effondrée le jour où la république de Russie a déclaré que ses lois étaient
souveraines par rapport à celles de l’Union soviétique. Ainsi en sera-t-il de
cette domination oligarchique, qui est le dévoiement complet de toute espèce
de projet européen.
La démocratie est détruite également via la destruction du
capitalisme entrepreneurial, dont il a déjà été question plus haut. Ce dernier
est en effet l’une des assises les plus indispensables de la démocratie : sans la
prospérité, sans les classes moyennes et l’élite économique intermédiaire, on
oscille toujours entre la dictature socialiste de l’État et l’oligarchie libérale. Ce
sont là les deux maux qui sont en train de tuer l’économie française. Elle
meurt d’étouffement, sous le poids des taxes, des normes et de
l’Administration, d’un État et d’un système de solidarité sociale qui sont
230
puisqu’elle refuse toute évolution à des peuples libres, qui veulent des
changements massifs dans la structure de leur élite et dans la gouvernance
économique.
Les libertaires sont donc forcés de manipuler la démocratie, de
subvertir l’ordre juridique, et d’affaiblir le peuple en le divisant.
Pour sauver son système en faillite, l’oligarchie libérale-libertaire se
retrouve forcée d’annuler le fonctionnement de la démocratie par ce que nous
appelons un «piège démocratique». En quoi consiste-t-il ?
Deux partis oligarchiques libéraux-libertaires, l’un un peu plus
libéral, l’autre un peu plus libertaire, vont donner l’illusion d’une alternance
démocratique tout en trahissant l’un après l’autre la volonté générale. Tous
ceux qui rejettent cette alternance trompeuse sont ainsi renvoyés vers des
partis extrémistes largement préfabriqués, qui font eux-mêmes partie du
système. C’est ainsi que rien ne peut changer et que l’intégralité du pouvoir
soi-disant démocratique se retrouve concentrée entre les mains d’une infime
minorité non représentative et profondément illégitime. Le tout sous la
domination du Léviathan médiatique.
En disant cela, nous ne nous sommes pas seuls contre tous, mais
avec l’immense majorité contre l’oligarchie. Il y a en effet une foule immense
de citoyens dignes et de gens de bonne volonté dans tous ces partis. Ils vont
comprendre petit à petit que leur action est vaine, qu’ils jouent en réalité le
jeu de l’oligarchie libertaire. Le piège cessera de fonctionner quand ils se
retrouveront ensemble dans le grand mouvement historique en train de naître.
Celui-ci transcende complètement les sophistications partisanes de « l’ancien
régime ».
Cette oligarchie libertaire, déjà démocratiquement illégitime au
niveau national, transfère pour plus de sécurité le maximum de pouvoir à des
niveaux si élevés qu’aucun peuple n’y a accès et que les lobbies et les cartels
227
Annexe : Dans le sillage de la
très grande manifestation
article de Henri Hude - 2013
http://www.henrihude.fr/
« Les Français ont l’intuition et le sentiment qu’un monde ancien
est en train de s’écrouler, et qu’un monde nouveau est en train de naître. Les
Français, comme de nombreux autres peuples européens, rentrent à nouveau
dans le temps de l’Histoire.
Ce qui vient de commencer est un mouvement historique de
contestation d’un système politico-économique libéral-libertaire. Celui-ci est
une version dégradée du grand libéralisme issu de la philosophie des Lumières,
qui n’existe plus aujourd’hui.
Ce système est en faillite démocratique, économique et spirituelle. La
légitimité de son élite est en train de s’effondrer. Le mouvement historique qui
commence aujourd’hui peut durer dix ou quinze ans. Il s’achèvera par le
remplacement de ce système, et de son élite, par quelque chose de nouveau,
qui n’est pas encore défini.
Le système qui s’effondre
La preuve que ce régime est en train de s’écrouler, c’est qu’il se
radicalise. Les deux premières victimes sont 1° la démocratie et la culture de
liberté ; 2° le bien commun économique de tous - ceci est essentiel et va être
expliqué.
228
En même temps que le monde libéral-libertaire devient un chaos, il
tente de se sauver par une manipulation des institutions démocratiques et de
l’ordre juridique, qui prend de plus en plus l'aspect d’une dérive totalitaire.
Le principe fondamental de ce que nous pouvons commencer à
appeler «l’ancien régime», c’est la liberté arbitraire et libertaire dans la
gestion financière et économique du monde. Là est le cœur du problème. Là
est l’enjeu du pouvoir. Là est la base de l’oligarchie.
La philosophie libertaire n’a d’autre objet que de justifier cet égoïsme
de classe. Et les lois libertaires qui déstructurent le mariage et la famille, ainsi
que la culture et l’éducation, ont pour objet principal de tenter de solidariser
le peuple avec cette philosophie qui le ruine. A partir du moment où l’on peut
décider arbitrairement n’importe quoi en matière familiale, et qu’on peut
même fabriquer des orphelins pour son plaisir, comment n’aurait-on pas le
droit, à bien plus forte raison, de faire n’importe quoi de son argent dans la
seule vue de son intérêt égoïste à court terme et même de fabriquer des
chômeurs si on peut en tirer profit ?
L’économie oligarchique libertaire
En matière économique, l’individualisme libéral-libertaire brise le
cercle vertueux du capitalisme. Le capitalisme traditionnel, le seul qui ait une
valeur, c’est celui des ingénieurs et des entrepreneurs. Il devrait n’avoir rien
à voir avec le libéralisme économique libertaire et financier. Le capitalisme
traditionnel, par la liberté d’entreprise, par les investissements à long terme
dans l’éducation et la santé, les infrastructures, le capital des entreprises, la
science et l’innovation, produit du développement économique et du progrès
social dans le pays. La dernière fois qu’on a appliqué ce modèle en France, on
a appelé cela les « Trente Glorieuses».
229
Dans les pays d’Europe en crise, ce modèle a été abandonné depuis
trente ans (Thatcher, Mitterrand, etc.). Tout le bien qu’on dit du modèle
allemand, aujourd’hui, revient à observer que les Allemands ont moins
abandonné le capitalisme que nous. Ils continuent à investir dans le but de
développer leur économie et de donner du travail aux gens. Et, même s’ils ont
dû adopter des réformes de l’économie en grande partie libertaires, leur masse
de PME et de puissance économique intermédiaire leur permet de continuer à
avoir une vraie politique capitaliste. En revanche, chez nous, le capitalisme
entrepreneurial est écrasé par la coalition des grands groupes libéraux et
d’une Administration qui a gardé des réflexes archaïquement socialistes.
Cette Administration, impuissante à orienter les grands groupes vers le
développement économique du pays, persécute le tissu capitaliste. De là la fin
du développement et du progrès social. Le bien commun économique a été
abandonné au profit des intérêts financiers à court terme d’une minorité
infime.
La conséquence en est tout simplement la mort économique des
peuples. De là, face à cet égoïsme véritablement monstrueux, et à la complicité
de la classe politique dans son ensemble, une révolte populaire. Celle-ci est en
train de devenir une révolution, à mesure que le peuple désespéré, privé de
son système démocratique, et que les libertaires croyaient avoir réduit à
d’impuissantes jacqueries, n’est plus seul. Il se voit peu à peu rejoint et
encadré par des élites, en partie capitalistes et en partie non libertaires, qui
sont la classe dirigeante de demain.
Le « piège démocratique »
En matière politique, la classe dirigeante libertaire ne peut plus se
permettre de laisser fonctionner une démocratie effective digne. C’est évident,