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MINISTERE DE LA JUSTICE École Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse Mémoire de validation professionnelle Formation Statutaire des Éducateurs Promotion 2015 - 2017 CLAVIER Zoé Émotions, sentiments et prison : incompatibles ? Ou comment parler de la vie affective et sentimentale avec des jeunes filles incarcérées Sous la guidance de Isabelle CLAIR, Docteure en sociologie, Chargée de recherche au CNRS Mai 2017

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MINISTERE DE LA JUSTICE

École Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse

Mémoire de validation professionnelle

Formation Statutaire des ÉducateursPromotion 2015 - 2017

CLAVIER Zoé

Émotions, sentiments et prison : incompatibles ?Ou comment parler de la vie affective et sentimentale

avec des jeunes filles incarcérées

Sous la guidance de Isabelle CLAIR, Docteure en sociologie, Chargée de recherche au CNRS

Mai 2017

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Remerciements

Je tiens à remercier ma famille et mes amis pour le soutien et l'écoute attentive durant

ces deux années de formation.

Un grand merci aux collègues de promotion devenu(e)s des ami(e)s pour ces deux années

riches en rebondissements.

Merci à mon service pour tous leurs conseils, le partage d'expérience et le formidable

accueil qu'ils m'ont réservé.

Merci à ma tutrice de stage pour m'avoir accompagnée dans mon cheminement

professionnel et pour la confiance accordée,

Merci à ma directrice de mémoire, Isabelle Clair, pour son aide , les pistes de travail et de

réflexions toujours actuelles,

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Table des matières

Remerciements

Introduction.................................................................................................................................................. 2

I – L'espace d'expression à la vie affective et sentimentale : une expérimentation

éducative...................................................................................................................................................... 6

A – Les activités de médiation éducative aux quartiers mineurs : l'importance des

activités dans la prise en charge PJJ................................................................................................. 7

B – Le Pôle Santé : construire des activités autour du bien-être et de la santé auprès

des filles et des garçons incarcérés..................................................................................................... 11

C – Mise en place du projet « Espace d'expression à la vie affective et sentimentale ». .15

II – Lorsque se mêle délinquance, liens affectifs et maternité en prison ou comment les

adolescentes incarcérées parlent d'elles mêmes................................................................................ 21

A – Une fille en prison : « mauvaise fille » ? ................................................................................ 21

B- S'imaginer avec des pairs : se sentir entourée malgré les barreaux................................27

C- De la mauvaise fille à la mauvaise mère : devenir mère en prison................................34

Focus sur les jeunes filles roms, serbes et bosniaques, adaptabilité des prises en charge

pour les mineures non accompagnées..................................................................................... 40

D- Être actrice de cet espace d'expression dans un cadre contraint : une parole

paradoxalement libre......................................................................................................................... 41

III – Positionnement(s) éducatif(s) et genre : l'affirmation d'une identité professionnelle . 44

A- Prise en compte du genre dans notre travail........................................................................44

B- Parier sur l'accompagnement à la vie affective et sentimentale....................................47

C- Sortir du « tout-pénal » pour une prise en charge individualisée....................................51

D- Retour sur l'expérimentation..................................................................................................... 54

Conclusion................................................................................................................................................... 57

Liste des sigles

Bibliographie

1

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Introduction

« Partager, ce n’est pas être indifférent, ce n’est pas conduire à une normalisation,

c’est donner de soi pour que l’autre, à son tour, donne de lui-même (et nous savons

bien que ce retour nous fait parfois longtemps attendre). Partager, c’est être le plus

possible soi-même dans son rapport à l’autre, ce n’est pas jouer à faire semblant,

c’est s’engager. C’est pourquoi j’ai toujours préféré parler de profession que de

métier, car dans la racine du mot « profession », il y a comme un engagement, une

promesse. Partager, c’est regarder l’autre au-delà de ce qu’il laisse apparaître pour

qu’à son tour, il sente que nous ne sommes pas drapés dans un statut d’adulte

sérieux, raisonnable, bien élevé, en le laissant au bord de son chemin. »1

C'est ainsi que je résumerais mon engagement professionnel en tant qu'éducatrice au sein de la

Protection Judiciaire de la Jeunesse2 (PJJ). L'engagement de servir une cause, la prévention et la

lutte récidive de la délinquance des mineurs et de militer avec, à un avenir commun.

Après plusieurs années d'études en Sciences Politique spécialisée en intervention sociale et

politiques publiques, je me sentais loin des préoccupations dites de terrain. Souvent est employé

l'expression « le travail avec l'humain » quant il s'agit des professionnels en action auprès des

publics pris en charge. Peut-être est ce dans cette considération de l'humain que je ne me retrouvais

plus dans la pratique des Sciences Politique. Peut être aussi que j'avais le besoin de rejoindre ce dit

terrain afin de mettre des émotions et sensations sur ceux que j'appelais l'humain. Il me semble

beaucoup plus juste de parler d'un travail entre humain. Nous travaillons ensemble, l'un avec l'autre.

Les années passées à étudier les sciences politique n'ont pas été sans conséquences ; elles ont laissé

des traces, en développant particulièrement mon goût pour les politiques publiques et l'intérêt pour

le fonctionnement des administrations d’État, dont dépend la PJJ au sein du Ministère de la Justice.

Lors de la pré-affectation était proposée des postes d'éducateurs en détention. Durant un de mes

1 Ladsous, Jacques. « Être éducateur aujourd'hui », VST - Vie sociale et traitements, vol. 106, no. 2, 2010, pp. 5-6. 2 Sigle : PJJ

2

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stages de première année, j'avais eu la chance d'accompagner des éducateurs au sein d'un Quartier

Mineur. Cela avait été une vraie découverte de cette facette de la profession et de l'Administration

Pénitentiaire3 (AP). Motivée et animée par cette mission éducative en détention, convaincue que

nous avons pleinement notre place derrière les barreaux afin de prévenir la récidive, l'envie

d'exercer à mon tour en Quartier Mineur était devenue évidente. J'ai donc choisi ce poste avec

enthousiasme couplé à une certaine appréhension : il fallait maintenant se préparer à l'idée de

rentrer tous les jours dans une prison, la plus grande d'Europe.

Lors de ma prise de poste, j'ai eu la possibilité d'intervenir à la fois au quartier mineur garçon et

au quartier mineur filles. C'est une des particularité du service ; il est basé sur une Maison d'Arrêt

Hommes4 (MAH) et Femmes5 (MAF), avec deux quartiers mineurs6 (QM) distincts. Je n'avais

jamais travaillé jusqu'à lors avec des jeunes filles ; l'occasion se présentait, de plus est en détention

ce qui reste rare dans notre profession. En intervenant chez les filles, j'avais aussi la possibilité

d'avoir des suivis à la nursery ; lieu où sont incarcérées les femmes enceintes ou les jeunes mères

accompagnées de leur nourrisson jusqu'à 18 mois. Quelques semaines après le début de ce stage de

pré-affectation, j'ai pu débuter un suivi de ce type, avec une jeune fille enceinte de 5 mois, Alice 7,

prévenue incarcérée dans le cadre d'association de malfaiteurs en vue d'un acte de terrorisme.

C'est de ce suivi que me sont venus les premiers questionnements relatifs au mémoire, largement

influencés par la délinquance des filles et la construction d'une identité genrée. Béatrice Borghino8

définit le genre comme « révélant la construction sociale, historique, sociologique et culturelle de

ce qu'est ou devrait être une ou un homme, le féminin ou le masculin ». Peu à peu mon carnet de

bord s'est vu rempli de questions sur l'accompagnement à la maternité en détention, la

représentation de ces jeunes filles à l'intérieur comme à l'extérieur et sur l'influence du genre dans

notre travail éducatif.

Si au début la sexualité était aussi présente dans ces questionnements, à savoir comment était

abordée l'éducation à la sexualité chez les filles en détention, elle s'est vite estompée au profit d'une

réflexion plus axée sur l'accompagnement à la vie affective et sentimentale. A partir de ce moment,

plusieurs questions ont émergés : faut-il et comment parler d'amour et de sentiments lorsque l'on est

3 Sigle : AP4 Sigle :MAH5 Sigle :MAF6 Sigle : QM7 Tous les prénoms ont été anonymisés8 Béatrice Borghino , http://www.genreenaction.net/IMG/pdf/Article_Cideff-_Janvier-Mars_2009.pdf , consulté le 30

Avril 2017

3

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éducateur ? Quel est l'impact de l'incarcération sur les relations que ces jeunes filles entretenaient à

l'extérieur ? De quelles relations parlons-nous ? Famille ? Amoureuses ? Amitiés ?

Les questionnements se sont affinés au fil des mesures et du contact avec les jeunes détenues

mineures. En travaillant sur des situations éducatives au passé familial et institutionnel lourds, je me

suis rendue compte que ces jeunes filles avaient de fortes carences affectives. L'arrivée en détention

marquait une fracture avec l'extérieur ; elles nous offraient alors la possibilité d'aborder avec elles

des moments de vie difficiles, souvent tues, qui revenaient à la charge, bousculée par l'enfermement

et le sentiment d'exclusion et de solitude.

A partir de la question de départ qui était comment peut-on aborder la notion de sentiment et

d'affectivité avec les adolescentes incarcérées au sein du QM, plusieurs hypothèses de recherches

ont apparu, principalement sous l'angle de la sociologie du genre. Il a d'abord était question de

s'attarder à la construction d'une identité de genre dans notre société actuelle. A l'extérieur comme

en détention, les adolescentes se construisent par le biais de représentations sociales. L'enfermement

décuple ce besoin de parler et de se retrouver dans des lieux d'expression neutres où il est possible

de mettre en mots ses ressentis, émotions et sensations. Il a donc fallut s'attarder sur les

conséquences de l'enfermement pour ces jeunes filles, et la manière dont elles arrivaient à gérer

leurs relations familiales, amicales et amoureuses à l'extérieur. Mais c'est rapidement posée la

question des relations interpersonnelles au sein même de la détention. Le dénominateur commun à

ces questions était la notion d'espace et de lieu où pouvait se retrouver ces jeunes filles pour

échanger et s'exprimer sur leurs émotions, tant externes à la détention qu'internes. Ce qui m'amène à

la problématique suivante : En quoi créer un espace d'expression à la vie affective et

sentimentale au sein du Quartier Mineure Filles, est il un outil éducatif, alliant travail sur les

émotions et construction d'un bien-être allant au-delà des barreaux ?

Le carnet de bord de stage a été un recueil de données précieux tout au long de cette année. Il a été

le réceptacle de nombreuses paroles de jeunes en entretien individuel ou lors des activités. Ces

apports du terrain ont été précisés par des lectures scientifiques, principalement en sociologie du

genre et de la prison. Des lectures en psychopathologie ont aussi permis d'éclairer la construction

identitaire à l'adolescence. A cela s'est ajoutée une formation de plusieurs jours à laquelle j'ai pu

participer avec comme thème « La mise en place d'atelier de médiation éducative sur la vie sexuelle

4

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et affective » animée par le Centre de Recherche et d'Informations sur la Prévention du Sida9.

L'expérimentation éducative a aussi été un centre de recueil de données importants. La mise en

place d'un atelier d'expression à la vie affective et sentimentale au QM Fille a pu être réalisée et ce à

plusieurs reprises. J'ai ainsi pu analyser ces éléments et avoir, lors de l'écriture de ce mémoire, un

recul nécessaire pour apporter un regard critique sur cette expérimentation.

Dans un premier temps, je présenterai le cadre institutionnel dans lequel les éducateurs exercent

leurs missions principales en détention. Les activités de médiation éducative faisant partie

intégrante de l'intervention en détention, j'expliquerai donc le fonctionnement, les objectifs et le

déroulement de l'atelier d'expression à la vie affective et sentimentale que j'ai pu mettre en place

durant cette année.

En m'appuyant sur des situations observées, j'analyserai dans une seconde partie le sens que prend

pour les jeunes filles incarcérées cet espace d'expression au travers des échanges et comportements

qui ont nourris les ateliers. Je tenterais ici de mettre en mots ce qui a pu se jouer lors de ces ateliers

et l'intérêt éducatif que cela a pu générer.

Enfin, la troisième partie sera consacrée à une analyse du travail éducatif lorsque celui se déroule

dans une institution différente de la PJJ, à savoir l'Administration Pénitentiaire. Mais aussi,

comment les éducateurs peuvent être porteur de projets liant émotions et éducations dans des lieux

fermés et contraints et défendre par cela, la primauté de l'affirmation d'identité.

9 Sigle : CRIPS

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I – L'espace d'expression à la vie affective et sentimentale : une expérimentation éducative

La fonction des éducateurs de la PJJ en détention est définie dans la Circulaire du 24 Mai 2013

relative au régime de détention des mineurs10.

Les modalités d'action y sont décrites et détaillées. Un suivi individualisé est préconisé, en lien avec

le Milieu Ouvert lorsqu'il est nommé afin de proposer des alternatives à l'incarcération et de

travailler un accompagnement éducatif le plus adapté possible au jeune, à sa famille et vis à vis des

faits commis.

L'autre versant de l’action éducative en détention, est l'accent mis sur les activités de médiation

éducatives. Ces activités mettent en avant l'importance d'ateliers en collectif. La détention est en

effet un lieu particulièrement isolant alors même qu'il devrait être un lieu aidant à une (ré)insertion

au sein de la société et donc d'une vie en collectivité.

Cette première partie du mémoire a pour but de revenir sur la mise en place des activités de

médiations éducatives en détention et en particulier les activités autour de la santé, mise en place

dans les deux quartiers mineurs.

Cette partie sera aussi le lieu où je décrirai et expliquerai l'expérimentation éducative. La mise en

place d'un atelier d'expression à la vie affective et sentimentale au quartier mineur de la Maison

d'Arrêt des Femmes s'inscrit dans un ensemble éducatif que j'aborderai ici.

10 Ministère de la Justice, http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSK1340024C.pdf, consulté le 30 Avril 2017

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A – Les activités de médiation éducative aux quartiers mineurs :

l'importance des activités dans la prise en charge PJJ

Pendant longtemps, la PJJ a été écartée des lieux de détention. En 2008, les Établissements

Pénitentiaires pour Mineurs11 (EPM) voient le jour. Puis en 2012, c’est le Service Éducatif du

Centre de Jeunes Détenus12 (SECJD) présent sur les deux quartiers mineurs où je suis pré-affectée

qui est crée. En réintégrant la PJJ au milieu carcéral, la primauté de l'éducatif sur la répression

revient sur le devant du tableau. Oui, la détention est aussi un lieu où il est possible de faire de

l'éducatif et où la PJJ doit pouvoir exercer ses missions. Pourtant, il arrive parfois que cette mission

en détention soit décriée, car considérée comme antinomique avec l'éducatif. Cette position est aussi

influencée par le contexte politique dans lequel le SECJD a été crée : une période où la sécurité

nationale était (et est toujours) au devant de la scène, marquée par les émeutes passées en banlieues

et un discours voulant éradiquer13 la délinquance. En effet, de par son Ministère régalien, la PJJ est

intrinsèquement liée aux décisions et influences politiques gouvernementales. Mais si la PJJ ne

peut pas être présente derrière les barreaux à défendre ses missions éducatives (et non répressives),

là où peut-être les situations sont les plus engluées, délicates et sensibles, où peut-elle être pour ces

jeunes ?

La Circulaire de 2013 sur le régime de détention des mineurs détaille les missions et les modalités

d'action. La PJJ intervient en équipe pluridisciplinaire, ce qui a pour objectif de travailler la prise en

charge sous plusieurs axes et d'élaborer un projet individuel pour chaque mineur. Si les éducateurs

travaillent à l'intérieur de la prison, ils tentent « d'aborder les jeunes détenus par-delà les murs »14.

A mon sens, les éducateurs sont le lien entre l'extérieur et l'intérieur, aussi bien pour les différents

professionnels de la PJJ, que les avocats et magistrats avec qui ils sont en contact. Ils représentent

aussi pour la famille ce lien entre eux et leur enfant, justifié par cette présence quotidienne auprès

des détenus.

11 Sigle : EPM12 Sigle : SECJD13 En référence au discours politique de Nicolas Sarkozy, à Grenoble, le 30 Juillet 201014 Gilles Chantraine, Nicolas Sallée, « Éduquer et punir. Travail éducatif, sécurité et discipline en établissement

pénitentiaire pour mineurs[1] », Revue française de sociologie 2013/3 (Vol. 54), p. 437-464.

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Cette présence quotidienne en détention et donc une prise en charge au quotidien a bouleversé

l'organisation carcérale habituelle. Au sein des deux quartiers mineurs où le SECJD intervient, sont

élaborés des emplois du temps individualisés pour les jeunes détenus, sur le même modèle des

emplois du temps des Établissements de Placement Éducatif15.

L'élaboration d'un « quotidien en prison » pour reprendre la Circulaire de 2013 retient toute mon

attention. Du point de vue éducatif, il me semble primordial de créer et de proposer des projets et

activités en lien avec la vie sur l'extérieur, permettant aux jeunes de se saisir de ces moments et de

donner du sens à l'incarcération autre qu'une unique privation de liberté. Ces espaces et temps

d'activités mis en place par le SECJD sont aussi des espaces de socialisation qui sont très délimités

en prison.

En effet, le collectif pour des raisons de sécurité est très restreint en prison, particulièrement en

Maison d'Arrêt. Hormis les matinées passées sur le pôle de l’Éducation Nationale, la cour de

promenade et pour les volontaires l'activité musculation ou bibliothèque proposées par les

surveillants, les jeunes ne partagent que peu de moment. C'est aussi dans cette optique de partage

que les activités prennent tout leur sens en prison, alors même que cela pourrait apparaître comme

un paradoxe à l'Administration Pénitentiaire, primant la sécurité et le risque zéro.

En plus de ce risque zéro, l'intégration d'un quartier mineur au sein d'une maison d'Arrêt se

calque sur la politique pénitentiaire des majeurs, tant en matière de sécurité qu'en matière

d'adaptabilité des agents de surveillances vis à vis des détenus. La mise en place d'activités

régulières au sein des deux quartiers mineurs a été possible par une coopération de la PJJ et l'AP en

faisant prévaloir les missions éducatives en détention. Il n’est pas possible comme dans un EPM,

mettre en place des emplois du temps où le retour en cellule en journée est quasi-inexistant.

Effectivement le quartier mineur a un nombre élevé de détenus environ 90 chez les garçons et une

quinzaine chez les filles. L’objectif est alors de toucher le maximum de jeunes sur des activités dans

la semaine. De fait, l'emploi de l'expression « un quotidien en prison » est toute relative à ces

possibilités d'action. Pourtant, le service s’efforce de mettre le maximum d'activités de médiation

éducative en place afin de rythmer la détention sur un modèle qui pourrait être celui de l'extérieur et

de travailler ainsi le projet de sortie et d'insertion.

15 Sigle : EPE

8

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Dans le projet de service du SECJD et dans son fonctionnement, les activités sont un pôle de travail

et d'action central. Les activités de médiation éducatives sont reparties en plusieurs pôles :

• pôle culturel

• pôle sportif

• pôle remobilisation personnelle

• pôle insertion

• pôle santé

Chaque professionnels de l'équipe pluridisciplinaire, éducateurs, psychologues, professeurs

techniques et art-thérapeute font partie d'un pôle, en fonction des appétences de chacun. Une

activité au minimum par pôle est proposée chaque semaine sur les deux quartiers mineurs. Comme

en dispose la Circulaire de 2013, ce sont des référents de la PJJ qui organisent en détention ces

activités et ce même si l'animation est proposée par un intervenant extérieur. A la différence des

EPM, il n’y a pas de travail en binôme avec un agent de l'Administration Pénitentiaire. Lors d'une

activité l’éducateur est donc seul avec le groupe de jeunes détenus choisi par les référents éducatifs

des jeunes et de l’éducateur animant la séance.

Le SECJD pris le parti pour certaines activités, de disposer la salle et d'introduire l'atelier lorsqu'il

y a un intervenant extérieur mais de ne pas y assister. Je prends l'exemple du slam, activité du pôle

culture ; l'intervenant ne souhaite pas que les éducateurs soient présents. Les jeunes se sentent

parfois plus libres, et le terme est fort en milieu carcéral, lorsqu'il n'y a aucun acteur de leur

parcours judiciaire présent, pouvant alors chanter sans peur d'y voir une conséquence leur mal-être

ou leur colère.

Il est aussi important de noter une différence de fonctionnement entre le quartier mineur des

garçons détenus et le quartier mineur des filles. Chez les garçons, les activités sont limitées à un

nombre de 6 participants alors que chez les filles, il peut y avoir jusqu'à 8 filles présentes sur une

activité. Cette différence est notamment liée à l'activité du grand quartier des hommes, toujours en

ébullition, avec des mouvements permanents. A la Maison d'Arrêt des Femmes, le nombre de

détenues est moindre, l'ambiance y est de fait plus apaisée, ce qui permet une marge de manœuvre

plus large avec l'Administration Pénitentiaire.

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Les activités proposées par la PJJ ne sont pas obligatoires ; les jeunes peuvent refuser d'y assister. Il

est donc important de mobiliser les jeunes en amont de leur inscription par l'éducateur référent sur

une activité afin que le jour J, l'atelier se déroule avec le maximum de participants. Il arrive parfois

que des activités n'aient pas lieu par manque de participants ou des fois au contraire, les listes sont

trop longues et l'Administration Pénitentiaire contraint à faire des choix.

Je ne parlerai pas de difficulté de travail avec l'Administration Pénitentiaire mais de cultures,

valeurs et orientations différentes. L'un prônant l'éducatif, l'autre le répressif. Cependant, en

travaillant ensemble, je vois qu’il est possible de composer ensemble. Des entraînements de rugby

et de football avec des clubs extérieurs ont lieu. Il a été convenu avec l'Administration Pénitentiaire

que 14 détenus puissent y participer en même temps, soit presque le triple que sur une activité

classique. Si cette mesure reste exceptionnelle, cela démontre bien que la mission éducative est

comprise par l'Administration Pénitentiaire. Même si les surveillants ne participent pas aux

activités, il me semble que plus les éducateurs en proposent aux mineurs plus cela suscite de

l'intérêt et de curiosité de la part des surveillants.

Afin que cette mission éducative, en grande partie apportée par la mise en place d'activité de

médiation éducative ait de la résonance, il faut mobiliser les professionnels de l'Administration

Pénitentiaire à ces actions éducatives en les informant et en les rassurant quant aux modalités

d'actions.

Si la PJJ tient aussi fermement à la mise en place d'activités en prison, c'est qu’elle a fait le pari du

collectif pour travailler l'individualisation des prises en charge. Le collectif crée une effervescence

chez les jeunes par laquelle les intervenants éducatifs parviennent à travailler sur des points propres

à chaque prise en charge. Ainsi, un jeune que l'on peut trouver très introverti en entretien individuel

peut se transformer sur une activité comme le slam : on peut alors se demander qu'est ce qui le

bloque dans la relation duelle avec l'adulte ? De même, un jeune qui peut avoir des idées très

arrêtées sur la place de la femme peut être amené à entendre des avis divergents de siens, émis par

des jeunes de son âge dans une activité ciné-débat avec comme thème « la condition féminine au

XXème ».

C'est dans cet optique que la PJJ mise sur les activités en détention, à travers le développement d’un

esprit critique. C'est aussi en ce sens que l'éducateur en détention cherche à voir les jeunes tels qu'ils

le sont dehors ; en travaillant sur les comportements qu'ils ont à l'extérieur car la détention n'est

qu'un passage, un épisode de leur vie. La mise en place d'activité de médiation éducative a aussi

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pour but, par pôle respectif, de créer des espaces autres que l'entretien duel, où les jeunes peuvent

s'exprimer, échanger, en soi des espaces de socialisation tels que les adolescents rencontrent à

l'extérieur.

En somme, le collectif est un moyen d'accéder et de créer cet espace de socialisation mais n'est

pas l'aboutissement recherché. Il me semble de par mes expériences précédentes qu'on ne peut

légitimer en matière éducative le collectif sans but final. L'idée de le voir comme un moyen d'action

me semble plus juste et adapté à nos prises en charge car effectivement, le collectif ne peut pas être

en opposition à la relation duelle du jeune avec l'éducateur, mais bien en soutien et en relais. Ainsi,

si l'on devait résumer l'importance des activités de médiation éducative misent en place par la PJJ

en détention, je dirai qu'elles sont essentielles par deux points : elles complètent et aident au suivi

éducatif individualisé en pointant des axes de travail et elles sont un lieu de rencontre donc, de

socialisation, encadré par des référents éducatifs tels qu'ils pourraient connaître à l'extérieur.

B – Le Pôle Santé : construire des activités autour du bien-être et de la

santé auprès des filles et des garçons incarcérés

Le pôle Santé est animé par cinq éducateurs du service. Le pôle est parti de la définition de la

Santé de l'Organisation Mondiale de la Santé, « La santé est un état de complet bien-être physique,

mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » pour

définir son champ d'action. Le bien-être est rapidement apparu comme central aux actions en santé,

particulièrement mis à mal en détention. Le bien-être est une préoccupation primordiale de la PJJ en

détention, commune avec l'Administration Pénitentiaire.

L'une des premières questions posée lors de l'entretien arrivant, entretien obligatoire fait dans les

24h de l'arrivée d'un jeune en détention par un éducateur, est de savoir si le nouveau détenu à des

idées suicidaires ou des tendances à l'auto-agressivité. Les entretiens d'accueil effectués par les

Officiers et le Premier Surveillant lors des arrivées comportent aussi ces questions sur l'état

psychique du détenu.

Cette attention restera vive pendant toute la période d'incarcération. Des signalements de personnes

potentiellement suicidaires tant de la part des services médicaux, de l’Éducation Nationale ou du

SECJD renforce la vigilance du personnel surveillant, avec des passages effectués aux œilletons

11

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toutes les heures chez les détenus à risque. La situation de ces personnes à risque est examinée

chaque mois en Commission pluridisciplinaire avec les différents service présents en détention,

preuve d'une attention toute particulière au bien-être en prison. A contrario, si cette question du

bien-être est souvent interrogée par le biais du risque de suicide, les conditions de vie et d'hygiène,

elles aussi relatives au bien-être de chacun sont parfois mises à mal par le fonctionnement de la

détention. Mais cela relève plus d'une mission de Santé Publique, qui n'entre pas dans les

compétences du service éducatif en détention, même s’il garde une vigilance certaine à ce que la

santé individuelle de chaque détenu soit respectée16.

Concernant les actions éducatives proposées sur le pôle santé, la sexualité était au cœur de

plusieurs ateliers. Cette approche était justifiée par les chamboulements de la puberté et du

pubertaire chez les adolescents et leur manque d'informations sur ce sujet. Cette action d'éducation à

la sexualité se compose de deux interventions bien distinctes, une animée par le CRIPS chez les

garçons et l'autre par le Planning Familial local chez les filles.

Ces ateliers animés par des professionnels du champ médical et de la prévention, s'inscrivent dans

une dynamique de prévention et de sensibilisation. Ils seront présentés sous forme d'encarts à la

page suivante. En plus de ces activités autour de la vie sexuelle, le SECJD fait intervenir

l'Association Chabronne qui travaille sur le sommeil et la relaxation. Beaucoup des jeunes

incarcérés souffrent de problèmes de sommeil et de difficulté à s'endormir liées à l'enfermement et

au stress engendré. Cette difficulté est aussi accrue par un rythme de vie à l'extérieur souvent

décalé, avec une vie la nuit et un sommeil peu réparateur la journée.

16 Dans le cadre des missions éducatives, la santé est largement mise en avant par la PJJ par le projet « PJJ Promotricede Santé » lancé en 2013 par le Ministère de la Justice. Cette orientation de la PJJ appuie sur l'importance de la santépour la construction et le développement des adolescents dont elle assure le suivi éducatif. La santé est un axe dutravail éducatif qui se retrouve effectivement dans de nombreux suivis. Elle peut s'inscrire dans une aide auxdémarches de soin, je pense notamment à l'accès à la Couverture Maladie Universelle ou à des sensibilisations auxaddictions. La santé a pris une place importante dans les suivis et dans les modalités de prise en charge. Avec ladiffusion et l'utilisation assez généralisée du Recueil d'Informations Santé permettant aux professionnels d'avoir unétat des lieux de la santé du jeune et des services de soins contactés par la famille, la santé est devenue un axe detravail, relevant bien souvent des problématiques de délinquances liées à la condition socio-économique des usagers.

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Atelier CRIPS

Centre régional d'information et de prévention du SIDA

L'intervention du CRIPS est animé par un infirmier. Il est programmé entre une et deux

séances par mois, avec un effectif de 6 jeunes uniquement au quartier mineur garçon.

L'intervention dure 1 heure 30. L'infirmier, qui a longtemps fait de la prévention, utilise

beaucoup d'objets (préservatifs, appareils génitales en plastique...) afin de sensibiliser et

d'apprendre aux jeunes le fonctionnement du corps féminin et masculin. Cet atelier est

principalement une action de prévention des risques de transmission d'infections

sexuellement transmissibles et de déconstruction des préjugés. La profession de

l'intervenant dirige cependant largement l'atelier dans une dimension « éducation à la vie

sexuelle ».

Atelier Planning Familial

Cette activité est proposée sous forme de session trimestrielle de 4 à 5

séances à destinations des mineures incarcérées. Ces sessions sont animées

par des intervenants du Planning Familial, souvent une infirmière et une

assistante sociale. Les ateliers sont un lieu d'échanges et d'informations sur

les méthodes de contraception, le droit à l'IVG et l'accompagnement dont

ces jeunes filles, souvent dans des situations très précaires peuvent

bénéficier. L'intervention du Planning Familial permet aussi de faire

connaître l'association auprès des jeunes filles, et être sollicité en cas de

besoin à la sortie de détention. A la différence de l'intervention du CRIPS, le

Planning Familial apparaît comme un lieu ressource à l'extérieur pour ses

jeunes filles, dont beaucoup sont malheureusement victimes dans les

relations qu'elles entretiennent avec des hommes ( prostitution, mariage

forcé..)

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Les activités présentées précédemment, y compris l'activité Sommeil et Relaxation sont donc

proposées par des intervenants extérieurs. C'est une difficulté à laquelle les éducateurs sont

confrontés sur le Pôle Santé : ils ne sont pas spécialistes de la santé et s’auto-forment avec leurs

appétences sur ces sujets. Ces thèmes sont incontournables dans les prises en charge et font partie

intégrante de l'éducatif. Pour autant, le Pôle Santé a crée des ateliers moins informatifs mais plus

ludique autour de la santé en partant des connaissances personnelles et des connaissances des

jeunes. Pour cela, le SECJD a fait l’achat de plusieurs jeux de société proposés par l'INJEP17. Si les

actions animées par des professionnels extérieurs sont principalement autour de la thématique de la

sexualité, le SECJD a acheté des jeux aussi bien sur la sexualité et la vie affective, que sur les

addictions. Il a aussi fait l'acquisition de plusieurs DVD de prévention et de petites scénettes afin de

créer des espaces de discussions à partir d'un média.

Ainsi, en plus des animations d'informations, il est proposé sur les deux quartiers mineurs des

séances de jeux sur les thèmes cités précédemment. Elles sont animées à deux éducateurs, toujours

avec un groupe de 5 à 8 jeunes en fonction du QM. Ces séances sont proposées deux fois par mois

sur les deux quartiers mineurs, avec il est vrai, une facilité à parler des addictions avec les garçons

et de la vie affective et sentimentale chez les filles.

Cette différence du choix des activités en fonction du genre de jeunes détenus se retrouve

particulièrement en détention. En effet, il n'y a pas de mixité. Plus encore, il y a une forme de

concentration de personnes d'un même sexe, dans un même lieu, que ce soit au sein du QM garçon

qu'au QM fille. De fait, ces animations sont impactées par cette non-mixité, qui se retrouve aussi

chez les animateurs puisque les deux ateliers CRIPS et Planning Familial n'intègre pas de personnes

du sexe opposé. Proposer principalement aux garçons des jeux autour des addictions vient du fait

que beaucoup des jeunes sont incarcérés pour des affaires de stupéfiants. Ce que l'on ne retrouve

qu'à minima chez les filles. De même, si la prévention VIH SIDA revient très souvent chez les

garçons, chez les filles les ateliers s'attardent plus sur la contraception et le droit à l'IVG18, face aux

nombreuses jeunes filles qui sont incarcérées enceintes, ou parfois avec des enfants à l'extérieur.

Les problématiques éducatives sont parfois genrées ; nous ne retrouvons pas les mêmes parcours de

vie, ni les mêmes passages à l'acte. Si la qualification juridique des faits est la même chez les filles

que chez les garçons, la forme, l'avant et l'après diffère des garçons, et inversement.Il fallait donc

que les ateliers de médiations éducatives soient en accord avec cette dichotomie genrée.

17 Institut National pour la Jeunesse et l’Éducation Populaire18 Interruption volontaire de grossesse

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C – Mise en place du projet « Espace d'expression à la vie affective et

sentimentale »

Dès mon arrivée sur le Service Éducatif, mes responsables hiérarchiques m'ont proposés

d'intervenir au QM filles en plus du QM garçons. Cette proposition m'a de suite séduite de par la

singularité de ces prises en charge et de la diversité de travail que cela allait m'apporter.

Le QM filles baigne dans une ambiance totalement différente du grand quartier. L’espace est moins

imprégné de l’ambiance sécuritaire. Les détenues peuvent se déplacer plus librement. Il y a aussi

moins d'anonymat, tant pour les détenues que pour les professionnels, ce qui participe à faire de ce

quartier, un lieu de détention où la politique sécuritaire est moins présente sous couvert d'une forme

de convivialité qui ne se retrouve pas chez les hommes.

En intervenant au QM filles, je me proposais aussi pour intervenir à la nursery. Dans cette petite

partie de la Maison d'Arrêt des Femmes sont accueillies les femmes enceintes de plus de 6 mois et

les mères accompagnées de leur nourrisson, jusqu'à 18 mois. A la nursery, majeures et mineures ne

sont pas séparées. Les mineures étant incarcérées à la nursery étant en faible nombre elles

cohabitent donc avec des majeures. Dans le cadre du suivi éducatif en détention, elles participent au

même titre que les mineures en quartier classique aux activités proposées et à la scolarisation.

Rapidement, j'ai eu la référence de 3 jeunes filles incarcérées, dont une enceinte de 5 mois.

Sensibilisée par les questions autour de la vie sexuelle chez l'adolescent, j'ai été saisie en détention

par la présence quotidienne de l'extérieur, notamment chez les filles. Cette présence est marquée par

les rituels de l'appel téléphoniques, des photos de famille et des amis ornant la cellule ou par

l'intérêt porté à l'actualité par exemple. Aussi est apparue la facilité à parler des relations amicales,

familiales et amoureuses que je ne retrouvais pas si rapidement chez les garçons. Des liens amicaux

en détention semblaient aussi se créer plus rapidement chez les filles à l'instar de liens plus froids et

faisant référence à une place hiérarchique comme le décrit Léonore Le Caisne19 au sein du QM

garçons. Il n'est pas commun à la PJJ d'avoir comme public des jeunes filles, d'autant plus en

détention. Ici s'ajoute la particularité d'avoir des jeunes filles qui sont pour certaines d'entre elles, en

19 Le Caisne Léonore, Avoir seize ans à Fleury . Ethnographie d'un centre de jeunes détenus, Broché – 17 janvier 2008

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train de créer une famille par la grossesse ou ayant une vie de famille déjà établit.

En plus du travail pénal et d'un suivi éducatif, se rajoutait un aspect d'accompagnement à la

maternité pour certaines et plus largement un besoin d'étayage à la vie affective et sentimentale.

Au cours de mes suivis, la vie affective

et sentimentale est régulièrement venue

s'introduire dans les entretiens et dans les

angoisses des jeunes filles, qu'elles soient

enceintes, mères ou non. Positionnée sur

le Pôle santé, j'avais pu mettre en place

avec l'éducatrice en charge de cette

activité, les sessions du Planning

Familial. Nous animions aussi des

ateliers avec le jeu « Câlin-Malin, le jeu

de l'amour et du hasard20 », décrit dans

l'encadré ci contre.

En co-animant plusieurs séances avec le jeu « Câlin-Malin », je me suis rendue compte des limites

de l'atelier.

Principalement, le temps d'intervention entre 1h et 1heures 30 était très court. Nous21 n'arrivions pas

à terminer le jeu, et souvent nous devions aménager l’arrêt du jeu qui laissait sur la fin, les jeunes et

nous mêmes. Les questions amenaient souvent au débat et aux échanges. Bien souvent, il était alors

question de la vie sentimentale et affective des jeunes filles : « Mais comment savoir si je suis prête

à avoir un rapport sexuel ? Comment savoir si je suis amoureuse ? Comment faire pour dire je

t'aime à mes parents ou à mes amies ici ?... » Tant de questions qui se rapportaient à la vie sexuelle,

mais qui laissait apparaître un besoin fort d'occuper un espace d'expression libre, afin de parler de

ses sentiments d'adolescente mais aussi de ses sentiments en tant qu'adolescente incarcérée.

Il m’est alors venue l’idée de créer avec les jeunes filles cet espace de discussion et d'échanges

autour de la vie affective et sentimentale. Volontairement, le terme vie sexuelle n'apparaît pas. Il me

tenait à cœur de leur offrir un espace où n'importe quel sentiment, c'est à dire amoureux, amical et

20 Pour revenir à la représentation du pénis, le jeu reste cependant dans une culture hétérosexuelle symbolisée par lesexe masculin.

21 Les éducatrices en charge de l’atelier.

16

Câlin-Malin, le jeu de l'amour et du hasard

C'est un jeu qui se joue comme un jeu de l'oie.

Plusieurs thèmes de questions y sont représentés ;

la contraception, les droits de la femme, les

situations à risque... le but étant de répondre au

maximum de questions correctement pour gagner.

C'est un jeu avec un grand plateau, très artistique

qui représente un pénis dans lequel on y retrouve le

forme enchevêtré d'un homme et d'une femme.

C'est un jeu très ludique et accessible.

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familial pouvait être discuté. Si dans certains cas la sexualité peut être en lien avec les

questionnements des jeunes filles, offrir un espace où d'autres sentiments peuvent être évoqués

élargit le champ de discussion et donc des interrogations.

Je trouvais que le support du jeu « Câlin-Malin » était très intéressant, notamment les questions

proposées. Certes le jeu était principalement axé sur les relations amoureuses, mais en détournant

les questions du jeu, je me rendais compte que l'on pouvait facilement l'adapter à mon objectif.

Je souhaitais donc partir de ce support qui permettait de lancer la discussion, rassurant les filles

quant à l'angoisse d'un espace de débat où il n'y a pas d'outil aidant à s'exprimer et à lancer la

discussion.

Cependant, il m'était arrivé plusieurs fois après des animations classiques du jeu « Câlin-malin »,

d'avoir en entretien individuel, des questions de la part des jeunes filles sur des choses dont elles

auraient voulu parler plus longuement, avoir plus de renseignements...Ces questions émanaient de

jeunes filles dont j'avais le suivi et qui avaient participé à l'activité que j'animais. Mais qu'en était

des jeunes filles dont je n'avais pas le suivi éducatif ? Restaient elles avec leur questions ? Le

service avait pris le parti de délier totalement les activités du suivi éducatif : une inscription dans un

atelier n'était pas forcément en rapport avec la problématique du jeune, et les éducateurs qui

animent n'étaient pas tenus, voire pas conviés à faire des retours sur le fond aux éducateurs

référents.

Il me paraissait donc intéressant de permettre à toutes les jeunes filles d'avoir, après ce temps

d'échange, la possibilité de me solliciter pour un entretien individuel, lui aussi en dehors du suivi

éducatif classique. Cet entretien se déroule avec l'accord de l'éducateur référent.

Le SECJD a la particularité de bénéficier de la présence d’une art-thérapeute. Elle est sollicitée

sur des situations compliquées, où l’éducateur a besoin d'un tiers dans la relation éducative pour

aider à l'enclenchement du suivi. Les émotions sont au cœur de son travail. Elles sont aussi au cœur

de mon expérimentation ; un espace d'échange sur la vie affective et sentimentale est de fait un lieu

où naîtra de l'émotion. Dans la même logique du passage d'une activité collective à un temps

individuel, l'idée du travail en parallèle de l’atelier par l'art-thérapie me semblait intéressante. Cela

permettrait d'aider à l'expression des sentiments et aussi pour certaines, d'avoir un temps individuel

pour revenir sur ce que la discussion avait pu faire émerger en elles. L'art étant un moyen

d'expression parfois plus accessible que la parole, il peut aussi s'inscrire dans un avant et un après.

17

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Ainsi je définirai les objectifs de cet atelier comme suit :

• offrir un espace d'échange sur la vie affective et sentimentale dans un lieu de privation de

liberté : permettre aux jeunes filles de parler d'elles et de leurs émotions malgré

l'incarcération.

• parler de ce qui est important pour elles : la famille, les amis, les amours. C'est aussi ce qui

les relient à l'extérieur. Ce lieu d'échange est donc aussi un lien avec l'extérieur par la

pensée.

• faire émerger les émotions ressenties pendant la détention, vis à vis de l'extérieur mais aussi

des liens crées à l'intérieur avec les co-détenues. A première vue, cet atelier pourrait

s'apparenter à un groupe de parole. Je ne le conçois pas exactement ainsi, puisqu'il dépend

surtout de l'humeur des filles et de ce qu'il a pu se passer dans leurs vies de la détention et

qu'elles mènent en dehors des barreaux au travers des parloirs, des appels téléphoniques, des

courriers...

18

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19

Organisation de l'atelier « espace d'expression à la vie sentimentale et affective » :

• séance animée par une éducatrice en détournant le jeu calin malin (utilisation des

questions les plus larges sur l'amour, la relation à l'autre... et non pas les questions

se rapportant à une dynamique de prévention). Le but étant de permettre un

espace d'échanges autour de la vie affective et sentimentale amicale, familiale et

amoureuse.

• possibilité d'entretien individuel avec l'éducatrice animatrice, pour permettre un

échange plus confidentiel.

• possibilité de temps d'art-thérapie afin d'exprimer ses émotions suite aux échanges

d'une manière moins duelle que l'entretien.

Sur les animateurs :

• Une éducatrice, pour le moment la même à chaque fois mais il peut être pensé des

sessions d'ateliers où des éducatrices différentes selon la session animerait. Il faut

cependant être suffisamment repéré par les jeunes filles pour que la discussion ait

lieu.

Sur le nombre de participantes :

• Maximum 8 détenues du quartier mineur et de la nursery comme nous l'impose

l'Administration Pénitentiaire

Sur le lieu occupé :

• Nous occupons la salle d'activité commune, qui est assez grande pour accueillir

tout le monde, à l'abri des regards. Dans l'idéal, il faudrait avoir une salle aménagée

plus confortablement autre qu'avec du matériel scolaire.

Sur le matériel utilisé :

• Cartes du jeu calin malin

Organisation de l'atelier « espace d'expression à la vie sentimentale et affective » :

• séance animée par un éducateur(trice) en détournant le jeu câlin-malin (utilisation

des questions les plus larges sur l'amour, la relation à l'autre... et non pas les

questions se rapportant à une dynamique de prévention). Le but étant de permettre

un espace d'échanges autour de la vie affective et sentimentale amicale, familiale

et amoureuse.

• possibilité d'entretien individuel avec l'éducateur animateur, pour permettre un

échange plus confidentiel.

• possibilité de temps d'art-thérapie afin d'exprimer ses émotions suite aux échanges

d'une manière moins duelle que l'entretien.

Sur les animateurs :

• Un éducateur, pour le moment la même à chaque fois mais il peut être pensé des

sessions d'ateliers où des éducateurs différents selon la session animeraient. Il faut

cependant être suffisamment repéré par les jeunes filles pour que la discussion ait

lieu.

Sur le nombre de participantes :

• Maximum 8 détenues du QM filles et de la nursery comme l'impose

l'Administration Pénitentiaire

Sur le lieu occupé :

• Il s’agit la salle d'activité commune, qui est assez grande pour accueillir tout le

monde, à l'abri des regards. Dans l'idéal, il faudrait avoir une salle aménagée plus

confortablement autre qu'avec du matériel scolaire.

Sur le matériel utilisé :

• Cartes du jeu « câlin-malin »

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Le but de l'atelier n'est pas de répondre à toutes les cartes du jeu «Câlin-malin » sélectionnées : elles

sont là pour aider à la discussion et trouver un point de départ. Parfois, elles ne seront pas du tout

utilisées. Mais cela offre un cadre rassurant aux jeunes filles ; il n'est pas simple de se confier et de

parler de soi, de ses ressentis, émotions et sentiments en se présentant à une activité basée sur la

discussion. En partant des cartes, je leur propose de parler de comportements et de sensations

humaines ; libres à elles de parler d'elles mêmes au sein du collectif. Le cadre de la confidentialité

est bien-sur posé dès le début de séance. Mais parfois, il est difficile de dire « je », les discours des

jeunes filles partent d'un « on » généralisé puis s'affine et devient « je » dans une relation duelle,

notamment dans l'entretien. L'art-thérapie permet d'aider à extérioriser des émotions, parfois

prématurées pour être mises en mots.

C'est en ce sens qu'il est intéressant de compiler cet atelier d'expression à la vie affective et

sentimentale à deux autres temps : l'entretien et l'art-thérapie. J'ai pu remarquer que souvent les

ateliers sont sur un temps donné, parfois sans suite. Ce laps de temps fait pourtant émerger des

sensations chez l'adolescent, peu importe le sujet. Mais il est rarement donné de suite à aux

activités.

Ici, en animant un atelier en plusieurs temps, j’offre la possibilité aux jeunes filles d'y repenser

une fois seule en cellule et de se projeter dans le temps suivant. Il en est de même pour les

entretiens éducatifs classiques : les éducateurs essayent de produire de la réflexion chez le jeune

suivi sur le temps de l'entretien mais aussi de manière solitaire. Bien souvent, l’éducateur laisse des

bribes de réponses en suspend en fin d'entretien qui peuvent aider le jeune à cheminer une fois seul.

C'est dans cette optique là que j'ai pensé cet atelier ; continuer à faire penser une fois le retour en

cellule. Mais surtout, en plus de la pensée, c'est l'aspect rêverie qui est mis en avant par cette forme

d'organisation. En effet, l’éducateur n’apporte pas de réponses à la vie affective et sentimentale. Il

apporte des clefs pour aider à ouvrir des portes où se trouvent ou cachent des émotions. Si la porte

est entre-ouverte à la fin de l'atelier, de l'entretien ou du module d'art-thérapie, une fois en cellule

elle pourra s'ouvrir, par le biais de l'imaginaire.

Mon objectif principal est de finir chaque atelier en voyant les jeunes filles sourire, déconnectées de

l'univers carcéral où il leur est demandé de se conformer à un être lisse, sans heurt.

20

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II – Lorsque se mêle délinquance, liens affectifs et maternité

en prison ou comment les adolescentes incarcérées parlent

d'elles mêmes.

Au cours des ateliers d'expression à la vie affective et sentimentale, la question du genre est

revenue dans de nombreux échanges. Comme à l'extérieur, la construction sociale du genre à

l'adolescence est un questionnement incontournable. Ici, les jeunes filles ont commis des actes de

délinquance justifiant aux yeux de la justice une incarcération. Cette notion d'enfermement et de

délinquance pose la question du genre sous une autre forme : il y a t-il une délinquance féminine,

de la jeune fille à la mère ? En partant des retours des jeunes filles pendant les ateliers et dans

l’accompagnement éducatif quotidien, je tenterais d'expliquer comment ces jeunes filles incarcérées

se construisent en tant que femme en prison en essayant de garder un pied à l'extérieur.

A – Une fille en prison : « mauvaise fille » ?

La délinquance des filles est un phénomène qui marque car il est à la fois rare avec des passages

à l'acte violent. A la PJJ, les filles prisent en charge sont un nombre faible, pourtant ce sont toujours

des situations qui intriguent, inquiètent et déstabilisent les professionnels.

Il y a peu de QM ou d’EPM qui accueillent des filles. Le SECJD est le seul sur l’inter-régions à

pouvoir le faire. Il y a une quinzaine de place, qui en fonction des flux d'arrivées peut doubler. Mais

lorsqu'une jeune fille est incarcérée, c'est que la situation est très dégradée ou qu'il y a eu un passage

à l'acte très violent. Souvent, les situations sont très enlisées. La Justice met peut être plus de temps

à incarcérer une jeune fille. La condition de femme et la potentialité d'être aussi une victime étant

élevée, l'incarcération apparaît comme le dernier recours22. A l'inverse, chez les garçons, une

période d'incarcération intervient parfois comme une sonnette d'alarme : attention à une majorité

approchant, attention dernier rappel avant une condamnation ferme...

22 Vuattoux Arthur, « Adolescents, adolescentes face à la justice pénale », Genèses, 2014/4 (n° 97), p. 47-66

21

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Être une fille et être délinquante renvoie à une image de « mauvaise fille ». Véronique Blanchard

dans son exposition « Les Mauvaises filles »23 montre comment les filles sont arrivées à avoir pour

certaines un comportement délinquant. Délinquance qui se distingue de celles des garçons de par

l'expression et la forme qu'elle prend. J'ai pu remarquer lors des prises en charge que les filles

agissent souvent en bande24 lorsqu'il s'agit de vols ou de violence. En revanche, il y a peu, pour ne

pas dire pas, de filles dans le trafic de stupéfiants. L'expression en bande est assez particulière aux

filles. Si le groupe et l'entourage est très important chez les garçons, les passages à l'acte se font

rarement en bande, ces derniers se limitant à deux ou trois coauteurs.

La violence, au sens d'une violence qui frappe physiquement, se retrouve dans quasiment toutes les

prises en charge des jeunes filles, à l'exception des faits de terrorisme pour lesquels il y a

majoritairement de la préparation d’acte et non un passage à l'acte. Cette omniprésence de la

violence à l'état brut chez les filles est très singulière. Elle est à l'inverse de l'image de la femme

renvoyée par la société. Une image d'une femme douce voire docile, et d'une jeune fille vertueuse,

respectable, presque angélique. La violence dont fait preuve les jeunes filles est donc à l'opposée de

ce que la société peut avoir comme représentations de la femme et de la jeune fille25. Pourtant,

malgré ces passages à l'acte, ces jeunes filles se construisent sur l'idéal féminin social.

Lorsque Sonia, 16 ans, incarcérée pour des faits de vols en réunion avec violence se présente à

l'entretien d'accueil, j'ai à première vue, face à moi, une jeune fille au physique très androgyne.

Naturellement ou avec l'intention de me surprendre, Sonia s'assoit jambes écartées, mains aux

milieu et se balance de manière désinvolte, peut être avec l'envie de provoquer chez moi une

réaction. Prenant les codes d'une fille de la rue26, Sonia aura un discours très tranché sur ce que doit

être une « fille bien »27. En réalité, au sein des codes de la rue se retrouvaient les représentations

sociales de genre. En affirmant un comportement virile, Sonia mettait à distance les soupçons que

l'on pourrait avoir sur sa sexualité, tout en ayant un regard très dur sur les représentations du genre

féminin. Mais avant de revenir sur des extraits d'entretien menés avec Sonia, je m’appuierais sur du

contenu théorique afin d'analyser au mieux cette problématique.

23 Exposition « Les mauvaises filles » au Centre d'Exposition Historique PJJ de Savigny-sur-Orge, Février 201624 Allaria Camille, ORDCS, http://ordcs.mmsh.univ-

aix.fr/publications/Documents/Rapport_Recherche_ORDCS_N7.pdf, consulté le 30 Avril 201725 Cardi, Coline, et Geneviève Pruvost. Penser la violence des femmes. La Découverte, 2012 , Introduction26 Lepoutre David, Cœur de banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Éditions Odile Jacob, 1997, 362 p27 C'est Sonia qui le dit

22

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L'article d'Isabelle Clair Le pédé,la pute et l'ordre hétérosexuel28 met en image ce que doit être une

fille pour être considérée comme une « fille bien » par ses pairs et par la société en général.

Dans mon analyse, j'ai trouvé intéressant de lier ce phénomène de la « mauvaise fille», c'est à dire

de la fille délinquante incarcérée avec la construction de l'image de « la fille bien » Si nous sommes

dans une société dont le « genre est une division socialement imposée des sexes »29, Isabelle Clair,

nous apporte un éclairage concernant la représentation de ce qu'est une femme modèle aux yeux des

jeunes filles, ce qui est le cas de Sonia. Dans l'imaginaire, à la différence des garçons dont la virilité

pourrait se mesurer sur une échelle d'accès à l'accomplissement de la masculinité, les filles pour être

bien perçues ne peuvent rentrer que dans une unique catégorie, celle de la fille respectable, « la

fille bien »30 en opposition à la « pute » [Isabelle Clair, 2012]. La fille bien correspondrait à un idéal

sexuel d'une fille vierge jusqu'à la rencontre avec l'homme de sa vie, qui ne fait pas parler d'elle,

dont la sexualité est une vertu. Cette définition est pourtant à nuancer : elle peut être différente en

fonction du milieu social et des exigences attendues. Il y a cependant un point commun : la fille

bien est l'opposé de la pute.

Chez Sonia, la sexualité est une chose qui ne la concerne pas selon ses propos. Son positionnement

face aux filles qui étaient déjà mariées ou qui disaient avoir déjà eu des relations sexuelles lors d'un

atelier d'expression était très tranchée.

Sonia lors de l'atelier d'expression :

– Moi j'comprends pas comment vous pouvez faire des trucs avec des mecs comme ça.

Sérieux, une vraie meuf c'est une meuf qui se respecte ! Genre tu peux pas me dire

que t'as couché avec lui et pis que c'est fini et que maintenant tu couches avec un

autre. Sérieux c'est abusé, vous êtes des crasseusses !

Les jeunes filles auxquelles Sonia avait adressé ces propos n'avaient pas réagit. Elles lui avaient

uniquement rétorqué qu'il valait mieux assumer ce qu'on faisait (sous entendu les relations

sexuelles) plutôt que de traîner qu'avec des mecs, ce qui n'était pas non plus significatif d'un respect

réciproque.

28 Clair, Isabelle. « Le pédé, la pute et l'ordre hétérosexuel », Agora débats/jeunesses, vol. 60, no. 1, 2012, pp. 67-78. 29 Rubn Gayle, anthropologue américaine30 Termes de l'article d'Isabelle Clair

23

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J'ai trouvé intéressant de reprendre cet extrait de séance. Il est aussi représentatif à mon sens de

l'image de la mauvaise fille vu sous deux angles différents : celle de la délinquante, fille de la rue, et

celle de la pute. Sonia s'affirme comme une fille de la rue31 en adoptant des comportements

typiquement masculins. Dans la pensée commune, une fille doit se comporter avec douceur, ce qui

n'est pas le cas des garçons. A l'inverse, les autres filles, pourtant elles aussi dans la délinquance

puisqu'elles sont incarcérées, sont dans la représentation plus commune de ce que l'on pourrait

appeler une mauvaise fille ; elles ont des relations sexuelles hors mariage ce qui est très mal vu dans

certains milieux, ou fréquentent des garçons sans forcément avoir des relations sexuelles et ne

répondent plus aux critères de vertus imposées par la société.

Au fil du suivi éducatif, j'ai pu comprendre les raisons de l'apparence androgyne de Sonia pour deux

raisons. La première est je pense, un bouclier. Sonia donne beaucoup d'importance à l'effet qu'elle

produit sur ses pairs :

– J'vais pas me fringuer comme une meuf. J'suis une meuf de la rue, jogging basket et

on me respecte.

En s'habillant de la sorte et en travaillant cette image, elle se protège d'une féminité qui pourrait la

mettre en difficulté ou faire d'elle une potentielle cible de risées, voire de tentative de séduction

auxquelles elle se devrait de répondre par la négative32 ou l'accord.

L'autre raison de ce côté androgyne est l'utilisation qu'elle en fait dans ses passages à l'acte

délinquant. Ressembler à un garçon l'aide à avoir de la crédibilité auprès de ses pairs masculins et la

gratifie d'une forme d'exception, que les autres filles n'ont pas.

Au cours d'un des ateliers, où il était question des goûts vestimentaires de chacune et des techniques

de mode utilisées pour séduire, une des jeunes filles fait remarquer à Sonia qu'elle ressemble à un

garçon. Sonia répliqua :

– Mais on est pas dans le même délire tu vois. Toi t'es une ptite meuf t'as pété un câble

sur ta reum, on t'a foutu ici. Moi j'suis de la rue. J'suis pas dans tes délires de séries,

de jupes, de gloss tout ça. Dehors, on m'voit comme un bonhomme et j'en suis un.

J'suis pire que mes potos mêmes. Combien de fois j'me suis retrouvée en GAV, au

début jamais la Police ils pensaient que j'étais une meuf.

31 Lepoutre David, Cœur de banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Éditions Odile Jacob, 1997, 362 p32 Y compris le silence, qui ne serait ni un refus, ni un accord.

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En entretien individuel suite à l'atelier avec Sonia, j’avais repris en partant de son imaginaire, ce qui

représentait typiquement une fille. Elle a de suite définie la femme par son habillement, comme

dans l'extrait, mais surtout par le comportement qu'une femme doit avoir. Là où il est très

intéressant, c'est que si Sonia ne se comprenait pas dans sa description physique des femmes, en

utilisant la forme « elles doivent être habillées... », lorsqu'elle parle du comportement, elle s'y

inclut :

– Ben on est une femme quand on se respecte. En fait l'extérieur c'est important, mais

c'est surtout comment on est que c'est important. Genre moi ouais j'suis plutôt style

garçon manqué, mais jamais j'vais me dérespecter. J'suis une femme. Et une femme

qui se respecte pas, c'est une puteuh.

En définitive, Sonia qui tend tant à être différente des autres filles, et qui marquera sa détention

d'insultes et de bagarres avec celles qu'elle qualifie des putes, soit les filles avec une féminité

marquée, reproduit les représentations sociales exercées à l'extérieur. Les échanges duels avec Sonia

sur l'apparence ont été répétés. La jeune fille très axée sur les vêtements de marques avait plusieurs

fois fait un parallèle avec sa mère et l'argent qu'elle pouvait dépenser en vêture.

Sonia décrivait sa mère comme très apprêtée. Je savais de par des signalements à la Cellule de

Recueil d'Informations Préoccupante33, que Sonia avait vraisemblablement été victime de violences

de la part de sa mère. Lorsque Sonia parlait de sa mère et de son goût pour la mode, c'était avec une

forme de dégoût et de colère que cette féminité lui renvoyait. Sonia était marquée par cette violence,

qu'elle renvoyait dans ses actes délinquants mais aussi envers toute personne qui lui renvoyait

l'image d'une féminité, à son goût exacerbée a priori comme sa mère.

Le travail en collectif lors des ateliers a permis à Sonia de côtoyer des filles, alors qu'elle ne

fréquentait que des garçons à l'extérieur avec lesquels elle commettait des délits. Si elle était avec

les autres détenues sur les temps de scolarité ou de promenade, ce n'est que lors de cette activité

qu'elle avait l'obligation34, si puis je dire, de communiquer et de parler avec elles. Au fil des ateliers,

Sonia a peu à peu pu exprimer ses représentations d'une fille et de ce qu'elle devait être. Sonia

derrière son attitude très libre, libre de ressembler à un garçon, libre de faire comme un garçon et

donc se sortir du carcan féminin était en réalité très bridée et coincée par la multitude d'injonctions

33 Sigle : CRIP34 Sonia n’a jamais refusé l’atelier, alors qu’elle pouvait très bien le faire.

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paradoxales l'animant. En l'amenant à réfléchir sur ses représentations de ce que doit être une

femme et à accepter les différences entre personnes du mêmes sexes, j'ai pu travailler l'histoire

familiale de Sonia. De même, si son apparence masculine lui servait à l'extérieur pour se faire

respecter et se protéger de l'image d'une pute, chez elle, elle s'en servait aussi comme bouclier face à

sa mère, dans l'espoir de ne pas lui ressembler.

Lors de la sortie de détention, au moment de se dire au revoir, Sonia m'a demandé si sa tenue

convenait pour une sortie de prison. Elle ne voulait pas paraître marquée et abîmée par les 4 mois

passés ici. Elle me dit en souriant :

– Faut pas croire que j'vais me fringuer comme une meuf hein, mais bon quand même, je

peux faire des efforts à l'occas' c'est vrai. Là j'retourne chez moi, j'veux faire plaisir à

mes parents, montrer que j'ai changé quand même. Le jogging basket pull c'est fini,

maintenant c'est jogging basket et un truc plus de meuf en haut. [Elle rigole]

Il me semble que le groupe de détenues présent lors de l'incarcération de Sonia l'a beaucoup aidé à

cheminer. La détention a eu ce bénéfice pour Sonia de lui montrer autre chose que la culture de rue35

largement imprégnée de représentations de la virilité. Le contact avec des jeunes filles venant

d'autres milieux ou ayant d'autres codes sociaux que ceux de Sonia, a pu amener une réflexion chez

la jeune fille. Elle n'était plus vue sous l'angle du bonhomme36 mais sous l'angle d'une jeune fille en

construction, avec des codes virils de la rue, mais surtout dans une problématique de délinquance.

La phrase d'au revoir de Sonia fera le lien avec la partie suivante sur l'importance des pairs durant la

période d'incarcération.

35 Lepoutre David, Cœur de banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Éditions Odile Jacob, 1997, 362 p36 En référence à ses propos.

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B- S'imaginer avec des pairs : se sentir entourée malgré les barreaux

La mise en détention a pour but premier d'extraire la personne incarcérée de la société afin de la

punir. Le détenu étant un danger pour la société il faut donc l'enlever à ses habitudes de vies, travail

et entourage.

Au QM filles, les filles partagent des moments ainsi intimes comme les douches. Contrairement au

QM garçon, qui est équipé d'un bloc sanitaire WC, lavabo et douche dans chaque cellule. Ici, les

filles, déjà en groupe restreint, sont de fait en collectif plus régulièrement. Des liens se tissent entre

elles entre les murs.

Mais la détention est rarement vue comme une rupture totale avec l'extérieur selon les détenues.

Peut-être encore plus que lorsqu'elles sont dehors, les relations amicales, familiales et amoureuses

prennent de l'importance et deviennent un bien précieux qui aide à tenir l'enfermement.

Au travers des témoignages des jeunes filles, je reviendrais dans cette partie sur le rôle des pairs

durant la détention, qu'ils soient dehors ou à l'intérieur.

Derrière les vitres de la cour de promenade du QM de la Maison d'Arrêt des Femmes, les jeunes

filles marchent à deux ou trois, discutent, puis rejoignent les autres assises sur les bancs. Certaines

sont occupées à coiffer une codétenue, d'autres discutent appuyées l'une contre l'autre. Si l'on enlève

le contexte de la prison, et que ce décor est transposé à l'extérieur, on pourrait se croire dans une

cour d'un collège ou d'un lycée.

Lorsque les jeunes filles mineures de la nursery passent devant les vitres, se crée un attroupement et

fusent des demandes de nouvelles au travers le verre : « Comment vas-tu ? Le bébé il va bien ? Ton

ventre a grossi ! ».

Cette ambiance est l'envers de celle décrite dans le livre de Léonore Le Caisne Avoir 16ans à

Fleury37 dans lequel y est retranscrit les liens entre détenus mineurs. Chez les garçons, des liens sont

crées mais ils dépendent plus d'une forme de hiérarchie sociale en détention calquée sur celle de

l'extérieur. Ainsi, il est de coutume de saluer celui qui est là depuis longtemps, de saluer les « mecs

du quartier38 », de clamer sa sortie ou son nombre de mois de peines. Ce qui est différent au QM

37 Le Caisne Léonore, Avoir seize ans à Fleury . Ethnographie d'un centre de jeunes détenus, Broché – 17 janvier 2008

38 Le Caisne Léonore, Avoir seize ans à Fleury . Ethnographie d'un centre de jeunes détenus, Broché – 17 janvier 2008

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filles est la création d'amitiés propices aux confidences mais surtout la facilité à parler de cette

amitié et d'en faire part aux autres, détenues, surveillantes, personnels éducatif. C'est peut être là

que se joue la majeure dichotomie entre les deux QM ; la facilité à mettre des mots pour les filles

sur ces amitiés tissées en détention, dans un lieu qui peut être vécu comme une période honteuse de

sa vie.

Les jeunes filles incarcérées n'avaient pas du tout réalisées le risque de la détention avant de

passer à l'acte. L'enfermement leur apparaissait comme une sorte de mythe, qui ne les

concerneraient jamais. Plus encore, la délinquance et la déviance des comportements ne va pas de

paire avec l'acceptation un jour d'être incarcéré. La phrase selon laquelle « la prison c'est les

risques du métiers39 » apparaît bien plutôt comme une phrase masculine qu'elle ne prévaut dans la

bouche des filles pour qui le "métier" de femme ne saurait comprendre le passage par la prison :

cette dernière peut apparaître, y compris à l'extérieur, comme un attribut positif de la virilité ; ce

n'est jamais le cas en matière de féminité, telle que celle-ci est en tout cas définie dans notre société.

La prison est plutôt perçue comme extérieure à notre société, sorte de no man's land que l'on ne

connaît que par les récits des autres. Les jeunes filles arrivent donc en terrain inconnu. Il faut alors

s'adapter aux règles de vie la détention, se faire de nouveaux repères.

La famille vit aussi l'incarcération de dehors et doit appréhender un univers qu'elle ne connaît pour

la plupart pas, et se conforter à un monde qu'elle n'a pas voulu.

Lorsque la famille est présente pendant la durée d'incarcération, elle vit cet enfermement comme

une séparation et non comme une rupture. Pour reprendre la phrase d'Eva Forest40 « Nous ne nous

sommes pas quittés mais […] ils nous ont séparés ».

1. La famille est un soutien primordial en prison. Les mères sont souvent le contact principal

des jeunes filles, présent dans les hauts et les bas de la vie en détention. Les moments

partagés au parloir sont le moyen d'avoir des nouvelles de l'extérieur et de continuer à être

présente malgré l'enfermement. Seulement, les parloirs ne durent que 45 minutes. Très

rapide pour exprimer ses sentiments, parler de soi, de la famille et des proches, alors

qu'inévitablement, la situation judiciaire reste présente dans ce temps. Le texte Le choc

39 Paroles de jeunes du D440 Forest Eva, Journal et lettres de prison Poche – 23 mars 1976

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carcéral et les premières ruptures41 met bien en lumière les conditions de parloirs et le

paradoxe entre le lien avec l'extérieur et la difficulté à le rentabiliser, si puis je dire, dans le

laps de temps donné en faisant fie de la situation pénale.

Parfois, il arrive que ce lien avec l'extérieur soit animé autrement que par la famille. Comme je le

disais plus haut, les amitiés crées en détention sont aussi un soutien.

Le parcours de Laya montre l'étendue de ces relations tissées au sein du QM. Laya est arrivée en

détention à 16 ans pour tentative d'homicide dans une affaire médiatisée. La famille, sûrement sous

le choc et honteux des faits de leur fille, a coupé pendant plus de 6 mois tous contact avec elle. Pas

de courrier, pas de parloir, pas d'appel téléphonique. Laya a pu nous confier qu'elle aurait préféré

mettre un terme elle même à la relation et ne pas avoir à subir cette rupture en détention.

Isolée de sa famille au sens propre comme au figuré, Laya s'est rapidement tournée vers les autres

détenues, puis vers le personnel éducatif et surveillant avec une bonne humeur la caractérisant.

Je savais qu'en impliquant Laya dans l'atelier expression à la vie sentimentale et affective, il allait

ressortir ce qui est souvent tue en prison, les liens entre détenues. Peut être par peur d'une sexualité

homosexuelle entre les détenues mineures ou de relations entre personnels surveillant et détenues,

les relations dans la prison sont tabous. Ma place d'éducatrice de la PJJ pouvait aussi surprendre :

c'est en effet par le biais de l'institution et de la mission éducative que j'amenais le sujet.

Il n'empêche que des liens se tissent entre détenues et qu'il n'est pas possible d'en faire abstraction,

notamment dans le suivi éducatif et les répercussions que cela peut avoir sur le déroulement de la

détention. Je pense notamment à des sorties précipitées qui impactent le groupe et parfois

directement une jeune fille, triste de voir son amie partir mais heureuse de la savoir dehors.

Lorsque j’ai mis en place un des premiers atelier d'expression, Laya venait d'envoyer un courrier à

ses sœurs pour demander des nouvelles de la famille. Elle était arrivée à l'atelier préoccupée, ne

sachant pas si c'était une bonne idée de s'être manifestée auprès de sa famille. Laya est une jeune

fille très expressive, qui a une place bien définie dans le groupe de détenue. Elle est souvent l'oreille

41 Ban Public, http://prison.eu.org/spip.php?article=10074, Consulté le 30 Avril 2017

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attentive et l'épaule réconfortante mais rarement celle qui se confie. La confidentialité de l'atelier

posé et le groupe dans une disposition bienveillante, les filles demandèrent à Laya ce qu'il se

passait. La jeune fille exprima son mal-être. S'en suivit une conversation sur le rôle que doit ou pas

tenir la famille lorsque l'on est incarcéré. Certaines des filles disaient que ce qu'elles ont commis est

ignoble et qu'elles comprenaient que leur famille les mettent à l'écart même si cela fait mal. D'autres

disaient qu'elles avaient mis volontairement de côté la famille pour leur éviter de subir elle aussi la

détention. Faire venir sa famille au parloir serait une honte ; la famille serait alors considérée elle

aussi comme délinquante ou du moins complice de cette délinquance. Cet aspect est repris dans le

texte Le choc carcéral et les premières ruptures42.

Laya écoutait avec attention et avec plein d'émotion dans la voix pris la parole :

– Mais moi j'comprends qu'ils aient honte ou qu'ils ne veulent plus me voir ou me

parler. Mais ce qui me fait mal c'est de ne pas savoir s'ils m'aiment encore. Parce

que de faire comme si j'existais plus, c'est comme s'ils m'aimaient plus. Et c'est mes

parents quand même.

Les échanges dans les ateliers précédents pouvaient questionner l'amour que l'on porte à un petit

copain ou inversement. Mais jamais l'amour que porte les parents à leur enfant avait été abordé.

Comme si cela était naturel et obligatoire que les parents aiment leur enfant. Sonia, qui avait été

victime des violences de sa mère, tenta de rassurer Laya :

Sonia - Mais c'est pas parce qu'ils ne te donnent pas de nouvelles qu'ils t'aiment pas.

Regarde, ma mère elle m'a tapé pleins de fois parfois sans raison, mais j'suis sûre

qu'elle m'aime quand même, c'est ma mère.

Laya – Ouais, toi t'es sûre qu'elle t'aime parce qu'elle a déjà dû te le dire. Moi

personne m'a jamais dit qu'on m'aimait tu vois.

Yaêl, une autre jeune fille – Mais nous on t'aime Laya en fait même si on t'le dit pas

Cette dernière phrase avait été prononcée avec beaucoup de spontanéité. L'harmonie et le climat

dans lequel s'était installé le groupe permettait à se laisser aller à ce genre de déclaration, qui avait

mis les larmes aux yeux à Laya. C'était un moment très fort en émotion et en même temps emplit de

tristesse. L'atelier avait fait émerger un paramètre dont personne, à ma connaissance, n'avait pu

déceler chez Laya : un manque cruel d'affection et d'amour.

42 Ban Public, http://prison.eu.org/spip.php?article10074, consulté le 30 Avril 2017

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Paradoxalement, Laya en distribuait beaucoup avec ses sourires et sa bonne humeur. Comme si le

manque avec lequel elle vivait pouvait se compenser par ce qu'elle pouvait donner aux autres.

L'atelier l'avait mise à nue, c'était effectivement un des risques de départ. Mais, il avait aussi permis

d'affirmer des liens forts entre les jeunes, forts en émotion et de les rendre visibles.

Laya est revenue de nombreuses fois sur ces paroles en entretien individuel. Elle avait été très

touchée et rassurée, comme si les liens qu'elle avait crée en détention comblaient ceux de sa famille.

La détention est aussi un lieu où tout est décuplé au niveau des émotions ; tout prend des

proportions immenses par rapport à l'extérieur que ce soit dans les bons moments comme dans les

mauvais. Corinne Rostaing43 parle dans son article La compréhension sociologique de l'expérience

carcérale d'une « réduction des différences de la vie derrière les murs avec l'extérieur ». Cette

réduction se retrouve dans l'ouverture de la prison à des corps de métier comme ceux de la PJJ mais

la différence avec l’extérieur sera toujours très présente lorsqu'il s'agit d'émotions ou de sentiments

qui restent bien souvent cloisonnés à l'intérieur des cellules, ou dans l'imaginaire des détenu(e)s.

Les comportements provoqués par l'enfermement et tout les affects qu'il produit sont souvent

décuplés et singuliers. La détention est un passage de vie pour ces jeunes filles très particulier : c'est

un moment qui bouleverse mais qui peut aussi se transformer en lieu d'échange et d'écoute grâce

aux interlocuteurs présents, comme les services de soin, l’Éducation Nationale, la PJJ. Il arrive

parfois que ces jeunes filles n'aient pu connaître d'espaces d'expression à l'extérieur : la détention ne

se réduit pas aux effets de l'enfermement mais implique aussi l'exercice des missions d'autres

instituions que l’AP.

Le rôle des paires incarcérées de Laya a été primordial : elles ont pu soutenir la jeune fille, comme

le ferait des amies à l'extérieur et lui offrir un soutien en l'écoutant et en la rassurant sur la place que

la jeune fille tenait dans le groupe.

Après avoir vu le rôle des paires au sein de la détention, il semblait intéressant de voir comment

la prison peut être à l'origine d'une sorte de renouveau pour la personne et pour son entourage.

Rachel à 17ans, incarcérée pour homicide. C'est une jeune fille bavarde, avec beaucoup d'humour,

très soutenue par sa famille lors de sa détention. C'est un peu une figure du QM.

Rachel à la particularité de beaucoup s'exprimer à haute voix dans les coursives alors que la

43 Rostaing, Corinne. « La compréhension sociologique de l'expérience carcérale », Revue européenne des sciencessociales, vol. xliv, no. 3, 2006, pp. 29-43.

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détention est un lieu où l'on fait toujours attention à ce que l’on dit, où on le dit et à qui peut

entendre ce que l'on dit. La confidentialité des échanges est toujours un soucis, tant pour les

détenues que le personnel. Rachel, pourtant habituée aux règles de la détention, agit à contre

courant. La jeune fille aime parler de sa vie à qui veut l'entendre ; non pas dans l'optique de gêner

son interlocuteur, mais plutôt avec l'envie de partager quelque chose et de se rendre plus vivante.

J'utilise volontairement cette expression : la détention a quelque chose pour moi d'assez

déshumanisant, faisant de chaque interaction un rappel à la vie.

Avant même que je mette en place l'atelier d'expression à la vie sentimentale et affective, je

connaissais déjà la vie amoureuse de la jeune fille, aux nombreux rebonds. En revanche, en la

faisant participer à l'atelier, je ne souhaitais pas forcément qu'elle parle de ses relations, qui à mon

sens étaient directement liées à sa problématique éducative et largement conjointe aux faits pour

lesquels elle était incarcérée. Sûrement par une pudeur qu'on ne lui connaissait pas, Rachel n'avait

pas abordé ses relations amoureuses, comme si le collectif réuni pouvait la juger et qu'elle se sentait

moins libre d'en parler de cette manière qu'avec sa désinvolture habituelle des coursives.

Lors de l'atelier où Laya avait exprimé sa tristesse, j'avais choisi de repartir d'une carte du jeu

« Câlin-malin » qu'il était possible de calquer à l'amitié. La question, une fois reformulée, pouvait

être la suivante « Tu déménages loin de tes amis, penses tu que ton amitié restera telle quelle ? »44.

Rachel, qui était très fière de pouvoir dire qu'elle avait beaucoup d'amis nous expliqua son point de

vue :

-Moi depuis que je suis ici, c'est un peu comme si j'ai déménagé. J'suis pas du tout

d'ici donc ouais mes amis de toute manière j'peux pas les voir. Par contre j'les

appellent souvent. J'ai un budget pour les appeler et ce qu'on fait c'est que quand

j'appelle mes potes, elles se mettent sur facebook et j'parle aux autres gens par elles.

Donc ouais les ami(e)s, même ici on s'en fait toujours à l'extérieur. Y'a même des

gens j'étais en embrouille avec et j'me suis expliquée avec eux comme ça depuis que

j'suis là, et depuis on est bien tu vois.

44 L'originale était « Peut-on être amoureux sans se voir ? »

32

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Effectivement, les filles avaient déjà pu entendre lors des passages en cabine téléphonique45 de

Rachel, les conversations avec ses amies. Rachel, qui se savait incarcérée pour plusieurs années,

avait pris le parti de continuer à vivre sa vie d'adolescente malgré la détention. Si elle ne pouvait

partager ces moments d'amitié en chair et en os, elle les vivaient alors par procuration, téléphonique

en l'occurrence. Conserver ces liens, en créer de nouveaux apparaissait comme un moyen de survie

et d'exister. Les pairs sont importants à l'adolescence : ils permettent de s'identifier à un tiers et de

se détacher peu à peu du cocon familial. Or, en détention, si les jeunes filles ont la possibilité de

s'identifier à des tiers incarcérés, cette identification reste suspendue aux aléas des durées

d'incarcération. Cette instabilité est peu rassurante pour investir une figure d'identification. En

maintenant des liens l'extérieur, Rachel y voyait peut être plus de garanties et de stabilité dans la

durée de ces amitiés. De plus, en créant de nouvelles amitiés en étant incarcérée, Rachel continue sa

sociabilisation tout en incarnant une jeune fille dans l'air du temps et ce malgré les barreaux.

En s'inspirant de l'image du tuteur de résilience de Boris Cyrulnik46, il serait possible de l'adapter

aux amitiés menées par Rachel en détention. Cet échappatoire à l'enfermement par le biais de

relations amicales extra-carcérales pourraient faire office de tuteurs de résilience à un parcours de

vie torturé et aider à la re-construction et à la construction d'une future jeune femme.

Chaque parcours en détention est singulier, chaque détenue trouve à sa manière le moyen de s'auto-

accrocher, d'espérer un ailleurs, en passant par différents moyens ; les amitiés, la famille ou alors la

maternité, que nous allons aborder ici-même.

45 Chaque détenue peut émettre des appels téléphoniques si le juge ou le directeur de la prison a accordé l'autorisation.Les appels sont enregistrés. Les détenues payent chaque appels avec l'argent dont elles disposent sur leur compte endétention.

46 Cyrulnik Boris et Seron Claude, La Résilience ou comment renaître de sa souffrance ? , Broché – 23 janvier 2009

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C- De la mauvaise fille à la mauvaise mère : devenir mère en prison

Nous avons dès le plus jeune âge, des représentations genrées de notre société. Ces

représentations sont alimentées par des postulats communs, des formes de langages (je pense

notamment aux professions qu'on ne mets jamais au féminin) et à ce que notre fonctionnement

social met en avant de la condition féminine. Ces représentations de ce que doit être une femme se

retrouvent en prison.

La nursery est d'ailleurs l'endroit où fleurissent ces représentations car elle renferme le paradoxe

ultime de la femme-mère délinquante. Ce paradoxe se traduit par une attention particulière donnée

par l'AP à leur condition de mère, tout en étant vu comme délinquante et donc potentiellement

dangereuse pour leur enfant. Cette attention particulière est donc à double tranchant, oscillant entre

bienveillance et surveillance.

Je partirais ici de la situation d'Alice, jeune fille de 17 ans, primo-délinquante. Alice est

incarcérée à 5 mois de grossesse pour des faits d'association de malfaiteurs en vue d'un acte de

terrorisme. Son compagnon et père de l'enfant, majeur, est aussi incarcéré dans la même affaire. Le

suivi éducatif a été largement influencé par l'avancée de la grossesse de la jeune fille. Difficile de

devenir mère en prison, d'autant plus à 17 ans. J'avais donc pris le parti, en accord avec l'équipe du

service, de laisser un temps à l'éducatif et au travail autour du faits et de laisser dans un premier

temps la place à un accompagnement à la maternité.

Pour des raisons d'organisation pénitentiaire, je n'avais pas pu proposer à Alice de participer à

l'atelier d'expression après la naissance de son enfant. En revanche, jusqu'à son accouchement,

quasiment tous nos entretiens ont tourné autour de sa maternité et de sa capacité à devenir mère à

son âge, en prison. Il était difficile pour la jeune fille de se projeter dans cette aventure maternelle

tout en étant incarcérée. En reprenant les recherches de la sociologue Coline Cardi et son extrait de

thèse Les quartiers mères-enfants : l'autre côté du dedans47, j’ai pu trouver un début de réponse à la

difficulté qu'éprouvait Alice à l'approche de la maternité Dans cette recherche, Coline Cardi met en

lumière ce paradoxe de la nursery : y sont détenues des femmes, en passe de donner la vie ou déjà

mère ce qui correspond à l'accomplissement dans l'esprit commun d'une vie de femme. Pourtant, ces

mêmes femmes sont aussi des figures féminines de la déviance. C'est cette déviance qui entre en

47 Cardi Coline, « Les quartiers mères-enfants : l’ « autre côté » du dedans », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol.XI | 2014, mis en ligne le 28 mai 2014, consulté le 30 avril 2017

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collision avec la figure de la «bonne mère48»..

Dans la situation d'Alice, le fait qu'elle soit mineure à son arrivée en détention et l'attention

particulière qui lui a été donné à la nursery par le personnel surveillant et les autres détenues

permettrait d'expliquer pourquoi il lui était si difficile d'investir un suivi purement éducatif, en

rapport avec les faits commis, alors qu'elle était enceinte :

– Mais je ne peux pas me concentrer sur ma situation. Je pense sans cesse au bébé que je

porte. J'sais même pas comment je vais l'élever ici. Pour moi ma situation en ce moment

c'est lui. Ce que j'ai fait ça le concerne pas.

Cette préoccupation, répond à l'interrogation populaire à savoir si ce sont des délinquantes qui

deviennent mères. Ici, la jeune fille nous apporte la réponse. Elle clive sa maternité de ses actes de

délinquance. Le judiciaire passe après le bien-être de son enfant à venir et notre mission est à mon

sens, de l'accompagner dans cette nouvelle vie, qui débutera dans des conditions d'enfermement.

L'enfermement était aussi un lieu particulièrement angoissant pour la jeune fille. Elle se retrouvait

sans nouvelle de son conjoint du fait des interdictions de communiquer et vivait sa grossesse de

manière isolée. Seule en cellule, elle me disait penser énormément à son enfance :

-Je comprend pas comment c'est arrivé toute cette histoire. Quand je suis seule le soir en

cellule, je m'imagine avec mon enfant. Et j'me dis que c'était y'a pas longtemps pour moi.

J'espère que je donnerais une enfance plus heureuse à mon bébé. J'veux pas que des adultes

comme ceux que j'ai connu l'entourent.

La transmission de l'histoire personnelle est centrale à la relation mère-enfant et ce même avant la

naissance. Pour Alice, cette transmission avait été largement ressentie par son acharnement à

associer son conjoint au choix du prénom, alors qu'il était lui même incarcéré dans la même affaire.

En plus de la peur de reproduire un schéma familial d'absence du père que les deux jeunes gens

48 Cardi, Coline, « Les quartiers mères-enfants : l’ « autre côté » du dedans », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol.XI | 2014, mis en ligne le 28 mai 2014, consulté le 30 avril 2017

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avaient connu dans leur famille respective, inclure Martin49 dans sa grossesse et donc dans la vie du

futur enfant, répondait aussi à une image de la famille idéale véhiculée par les représentations

sociales. Je prends ici le parti de ne pas analyser cet idéal au travers de la problématique extrémiste

relative aux faits de terrorisme. Je pense effectivement que la relation amoureuse de dépendance

d'Alice envers Martin peut être dissocier de leur pratique religieuse extrême. La pratique religieuse

n'est dans cette situation que le symptôme d'une emprise morale et affective de l'un sur l'autre

faisant de cette relation au départ amoureuse, une relation amoureuse de dépendance (via cette

emprise morale).

L'autre inquiétude sous-jacente aux propos d'Alice est de se demander si elle aura les clefs pour

rendre heureux son enfant, laissant entendre qu'elle ne l'a pas forcément été. Or s'il y a une très

grande attention portée aux mères à la nursery, c'est aussi dans un soucis de protection de l'enfant.

Ces mères sont considérées comme étant des populations à risques, c'est à dire susceptibles d'avoir

un terrain plus favorable au développement de comportements inadaptés vis à vis des enfants,

faisant obstacle à la construction du lien mère-enfant dans de bonnes conditions. Plus encore que le

fait pénal commis, j'ai eu le sentiment en fréquentant les femmes détenues à la nursery et pas

seulement Alice, que l'angoisse d'être une «mauvaise mère50» était d'autant plus forte que celle d'être

une délinquante. Comme si le jugement moral porté à ce que doit être une bonne mère importait

parfois plus que la décision judiciaire. Ce rapport à la «bonne ou mauvaise mère» est aussi

retranscrit dans les écrits de Coline Cardi51.

Dans mon analyse, j'ai trouvé intéressant de lier ce phénomène de la mauvaise mère en prison

avec celui de la construction de l'image d'une femme modèle, notamment avec l'article Le pédé, la

pute et l'ordre hétérosexuel d'Isabelle Clair52. Pour Alice, une fille bien correspondrait à un idéal

sexuel d'une fille vierge jusqu'à la rencontre avec l'homme de sa vie, qui ne fait pas parler d'elle,

dont la sexualité est une vertu. Cette représentation de la jeune fille est influencée par sa lecture de

la religion. En adaptant cette hypothèse à notre analyse, j'ai pu saisir l'importance pour Alice

d'impliquer le père dans la venue de cet enfant, mais aussi d'en parler pour affirmer sa position de

fille bien, fidèle à un homme. Ceci étant décupler par l'incarcération et par la suspicion quotidienne

49 Le père de l'enfant50 Cardi, Coline, « Les quartiers mères-enfants : l’ « autre côté » du dedans », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol.

XI | 2014, mis en ligne le 28 mai 2014, consulté le 30 avril 2017 51 Cardi, Coline, « Les quartiers mères-enfants : l’ « autre côté » du dedans », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol.XI | 2014, mis en ligne le 28 mai 2014, consulté le 30 avril 2017 52 Clair, Isabelle. « Le pédé, la pute et l'ordre hétérosexuel », Agora débats/jeunesses, vol. 60, no. 1, 2012, pp. 67-78.

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de ne pas une bonne mère aux yeux des professionnels qui l'entourent. L'attachement amoureux que

porte Alice à Martin reste une source d'inquiétude pour moi. Alors même que j'ai développé un

espace d'expression où il est attendu de parler des sentiments, il faut s'attendre à devoir rester en

réserve sur les sentiments exprimés. Si j'entends le rôle de béquille sentimentale de cette relation

pour les deux jeunes gens, il me paraît important de souligner qu'Alice est une jeune fille qui ne

s'est créée une personnalité qu'en usant de l'extrême. L'extrême dans le comportement d'une fille

pas bien pendant l'adolescence si l'on reprend les termes d'Isabelle Clair, l'extrême dans le rôle de la

fille bien dans sa relation avec Martin et puis l'extrême dans ses choix idéologiques. Je fais aussi

l'analyse que ses convictions sont très intimement liés avec son idéal de fille bien et de l'image

qu'elle avait pu se recréer grâce à la relation avec Martin. En mettant un point d'arrêt à ses pensées

extrémistes, elle mettrait aussi un terme à une relation qu'elle considère comme sauveuse. En ne

sollicitant pas Martin dans le choix du prénom, c'est commencer à perdre cette relation, cette

emprise53. Il faut donc pour Alice, faire le deuil d'une image qui n'est peut être pas vraiment elle et

se détacher de ses représentations et idéaux de vie dont elle ne pourra se défaire sans mettre fin à

l'emprise morale.

Lors de la rédaction de ce mémoire, Alice a accouché depuis 3 mois. Son enfant est avec elle à la

nursery pendant 18 mois maximum. Si au bout de ce délai, Alice est encore incarcérée, il faudra

alors songer à une solution de placement familiale ou institutionnelle.

Cette nouvelle échéance ajoute un nouvel axe de travail à cette prise en charge. Si Alice a des

préoccupations de jeunes mères et qu'il n'y a pas d'inquiétude quant à la création du lien mère-

enfant, l'échéance des 18 mois pourrait faire ressurgir chez elle une angoisse profonde d'infliger,

comme elle a connu, à sa fille, des placements répétés dans le cadre de la protection de l'enfance.

Les deux parents étant incarcérés et le nourrisson étant né en détention, une mesure judiciaire

d'investigation éducative a été prononcé par un juge des enfants au sujet de l'enfant. Cette mesure a

pour objectif de rencontrer toutes les personnes ressources autour du nourrisson, dans un souci de

protection de l'enfance et de la préparation à cette échéance des 18 mois. C'est un service de la PJJ

qui a été saisi pour cette mesure au civil.

53 Le terme emprise moral est utilisé volontairement : il renvoie à l'embrigadement dont a été victime Alice par sonconjoint. Si la jeune fille est présumée coupable d'association de malfaiteurs en vue d'un acte de terrorisme, elle estaussi victime d'un embrigadement moral qui constitue le centre de notre travail : l'amener à ré-acquérir un espritcritique et une indépendance de l'esprit

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Nous avons beaucoup travaillé avec Alice autour de la représentation des institutions. La jeune fille

était très amère non seulement contre l'Aide Sociale à L'enfance concernant son parcours au civil,

mais aussi par la Justice pénale des suites de son incarcération. En devenant mère en prison, avec la

peur que son enfant lui soit retiré, cette méfiance des institutions avait ressurgi.

Être mère lui demandait d'aller vers les professionnels pour obtenir des conseils et être guidée

lorsqu'elle ne savait pas comment faire ou qu'elle était inquiète. Ce besoin d'aide était assez présent

chez Alice. En partant de ses sollicitations, je lui ai expliqué l'ouverture en Assistance Éducative

comme étant un soutien, ce qu'elle est, à sa jeune condition de mère, dans une situation judiciaire

très compliquée. La jeune fille a accueillit avec soulagement ce nouveau cadre d'intervention.

Si Alice a pu participer lorsqu'elle était enceinte à quelques ateliers d'expression à la vie affective et

sentimentale, je n'ai pas renouvelé sa participation par la suite. La situation d'Alice est en effet

exceptionnelle tant pour nous que pour les autres jeunes filles. L'un des objectifs des ateliers est

qu'elles puissent mettre en commun leurs émotions et leurs ressenti vis à vis de la détention. Si

certaines filles avaient connu la grossesse, aucune n'avaient connu la maternité en détention. Alice

se sentait très en décalage avec les autres mineures et inversement. J'ai pensé qu'il était préférable

de ne pas insister et de ne pas créer de malaise. Avant de prendre une décision, j'avais demandé à

Alice son avis. La jeune fille m'avait alors confié :

-Je préfère parler de ça avec vous, sans les autres filles. J'ai l'impression que c'est

plus pareil maintenant, moi j'essaie de devenir une femme adulte, j'suis maman.

Cette séparation d'avec les autres détenues mineures s'est faite par la suite naturellement lors du

passage à majorité d'Alice. Du fait de sa majorité, l'accès aux activités proposées par le service pour

les mineures ne lui étaient plus autorisé.

Aussi, dans la confidence d'Alice, je retrouvais la notion de «fille responsable» décrite par Michel

Bozon54. Dans cet article y est décrit comment l'adolescente est poussée par sa découverte de la

sexualité et des relations amoureuses à se créer une identité de femme. Les expériences connues

forgent un caractère, un chemin de vie, un socle commun aux femmes en général. Souvent les

aînées font part de leurs expériences de l'amour et des hommes ce qui influent sur les plus jeunes.

Les plus jeunes passeront à leur tour par ces expériences qui confirmeront, dans la plupart des cas,

54 Bozon, Michel. « Autonomie sexuelle des jeunes et panique morale des adultes. Le garçon sans frein et la fille responsable », Agora débats/jeunesses, vol. 60, no. 1, 2012, pp. 121-134.

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les propos des aînées.

Ce qui est assez flagrant chez les jeunes filles est cette ambition à vouloir s'épanouir dans une

relation amoureuse durable et stable, mais surtout à faire figure d'une femme responsable. Dans les

cas où la relation amoureuse n'est pas la relation idéale souhaitée, le fait de se montrer comme une

femme responsable permet de contre-balancer cette désillusion et de s'affranchir d'une dépendance

totale à l'homme.

La responsabilité se réfère ici à l'autonomie, la force de caractère et le courage.

Dans les propos d'Alice, je retrouve cette volonté d'être une femme-mère responsable, du fait de sa

situation et de sa nouvelle condition. Ici, la relation amoureuse est uniquement pensée et rêvée par

l'interdiction de communiquer. Elle n'a plus la forme idéale d'avant incarcération. De plus, la venue

de cet enfant en prison met Alice dans une position de mère-délinquante comme nous l'avons vu

précédemment. En affichant sa responsabilisation et sa volonté d'être vue et acceptée comme une

femme et uniquement une femme, Alice tente ainsi de se détacher de ce qu'elle représente en

détention aux yeux des autres détenues et du personnel surveillant. Alice veut être considérée

comme une jeune mère en passe de devenir une femme adulte. La prise en charge d'Alice dénote

totalement des autres suivis que nous avons pu faire, y compris des suivis de jeunes filles enceintes

ou déjà mères.

Les éducateurs intervenant à la MAF, étaient habitués à accompagner des jeunes filles, pour la

plupart d'origine bosniaque,serbes ou roms qui étaient enceinte à l'arrivée en détention ou qui

avaient déjà un enfant à l'extérieur. A la différence d'Alice, qui puise dans ses ressources et sa

capacité à faire valoir son caractère de femme responsable pour ne plus être vue comme une

adolescente-mère délinquante, les jeunes filles de l'Est ne passent pas ou du moins n'expriment pas

cette difficulté de positionnement.

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▪ Focus sur les jeunes filles roms, serbes et bosniaques,

adaptabilité des prises en charge pour les mineures non

accompagnées

Avant mon arrivée sur le service en septembre 2016, la population du QM de la MAF était

essentiellement composée de jeunes filles issues des communautés roms, serbes et bosniaques. Avec

la dissolution du clan Hamidovic, une forte répression s'est abattue sur ces communautés tant au

niveau de la main d’œuvre mineur que sur les adultes auteurs de traite des êtres humains. Les

nombreuses destructions de camps aux abords de Paris et en proche banlieue (Saint-Denis,

Montreuil, Nanterre...) ont aussi amené à des incarcérations de mineurs, souvent pour des faits bien

antérieurs dû à la prise d'empreintes digitales. Dans l'article d'Arthur Vuattoux55 y est relaté ce

phénomène d'une justice bien plus sévère à l'égard de ces communautés.

Il est courant que ces jeunes filles soient déjà mères ou attendent un enfant lorsqu'elles arrivent en

détention. Dans ce type de prise en charge, le travail autour de la maternité est très différent de celui

que j'ai mené avec Alice.

Dans ces communautés, la grossesse arrive souvent après le mariage autour dès 15 ans. Le mariage

est célébré à la suite du premier rapport sexuel comme la tradition le veut.

Le rite de passage adolescent comme il serait connu dans des sociétés occidentales, avec une prise

de risque, une affirmation de soi est dans les communautés roms et tziganes un rite par le biais du

mariage et donc du basculement immédiat dans la vie adulte. Le mariage veut aussi dire habiter en

couple, quitter sa famille pour s'installer chez la belle-famille.

Sur les camps, beaucoup de mineurs ou d'adultes passent par la case prison. Y échapper devient une

exception, ce qui met en avant la répression incessante émise face à ces communautés.

Dans le cadre de ces suivis, il m'a semblé plus pertinent de travailler autour des conditions d'accueil

de l'enfant à venir, ou de celui déjà né, et du lien avec le mari. A savoir si l'enfant était voulu,

quelles sont les conditions de vies, il y a t-il un suivi médical à l'extérieur... ?

La vie en communauté agit comme un aimant et il est difficile de les en extirper, même quand elles

sont victimes de traites des êtres humains. L'utilisation de ces jeunes filles dans des réseaux de vols

de portable dans le métro, de signatures de pétition est très fréquente. Le mariage et l'arrivée d'un

enfant réduisent quasiment à néant les chances de les sortir de cet embrigadement. Pour certaines, si

55 Vuattoux Arthur, https://genrelyon2014.sciencesconf.org/41871/document, consulté le 30 Avril 2017

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l'envie est présente de quitter et de fuir la communauté, l'attachement amoureux et familial, même

s'il est en cause dans le réseau, empêche de s'enfuir. Dans le cas où les jeunes filles sont exploitées

par des personnes extérieures à la famille qui est restée dans des camps au pays, s'enfuir consisterait

à mettre en danger ses proches par des menaces souvent mises à exécution.

Il y a donc peu de moyens d'action : les décisions de justices prises lorsque la traite des êtres

humains est prouvée, ne suffisent généralement pas ou peu à extirper de manière durable la jeune

fille du réseau et mettre à l'abri son enfant. Il faut donc essayer de les accrocher au maximum à un

suivi médical régulier et à un suivi éducatif à l'extérieur sur des services de milieu ouvert ou des

associations. De plus, la durée souvent très courte d'incarcération de ces jeunes filles (1 mois à 3

mois en général), laisse peu de temps à la réflexion et à la perspective de quitter le camp et/ou le

réseau.

D- Être actrice de cet espace d'expression dans un cadre contraint : une

parole paradoxalement libre

Au fil des journées passées en détention, j'ai eu la sensation étrange d'être rassurée par le cadre

de l'enfermement et en même temps frustrée par toutes ces restrictions.

C'est d'ailleurs lors d'un entretien avec une jeune fille, Carmen, que je me suis rendue compte de

cette sensation. La jeune fille n'avait pas pu participer à une activité cuisine organisée par une

collègue. Elle était déçue et un peu remontée contre l'éducatrice, car elle attendait avec impatience

ce moment. Carmen n'avait pas pu se rendre sur l'activité car le nombre de participantes avaient été

revu à la baisse, quelques minutes avant la mise en place, par l'Administration Pénitentiaire pour

des raisons de sécurité. La liste de participantes proposée par la collègue avait donc été réduite, les

dernières dont faisait partie la jeune fille en question, privées d'atelier cuisine.

J'expliquais donc à Carmen la raison pour laquelle elle n'avait pas pu participer à l'activité, raison

qui à mon sens était tout à fait discutable. La jeune fille, incarcérée depuis 5 mois dit alors :

-J'comprends mais j'comprends pas. En fait ici, c'est un peu un monde de fou. Tu vois

y'a des moments j'me dis ouais c'est un peu une chance, j'vais à l'école par exemple,

j'fais des activités, j'apprends des trucs, j'dessine, j'parle de mes problèmes en gros

j'avance. Mais en même temps être enfermée ça m'rend ouf. Pour une douche des

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fois j'attends une heure, un timbre j'peux pas l'avoir. Sérieux y'a des trucs c'est la

galère mais c'est la zonzon quoi.

Par ces propos, Carmen mettait très bien en relief cette opposition entre liberté et enfermement

qu'elle vivait tous les jours. Libre d'aller à l'école alors qu'elle en était privée à l'extérieur par le clan

dans lequel elle vivait, libre de parler de choses intimes comme sur l'atelier d'expression qu'elle ne

pouvait faire dehors, libre de rencontrer d'autres jeunes filles qu'elle n'aurait connu à l'extérieur. Et

en même temps privée de choses qui apparaissent comme anodine dehors ; prendre sa douche à tout

moment, manger ce que l'on veut, poster une lettre...

La prison est à ce sens un paradoxe en soi : c'est un espace qui empêche et qui permet à la fois.

L'espace d'expression à la vie affective et sentimentale est de fait pris dans ce paradoxe. Les jeunes

filles sont dans un lieu libre à l'intérieur d'un lieu contraint. Cette contradiction est pourtant

essentielle et à l'origine de comportements assez insolites en détention.

Sur l'atelier d'expression, ce paradoxe est mis en lumière par l'intimité crée par l'enfermement et

par la confidentialité de l'espace d'activité.

Plus précisément, les jeunes filles se côtoient physiquement tous les jours en promenade ou lors des

douches. Elles se parlent régulièrement de cellule à cellule. Échangent sur leurs parloirs, leurs

appels téléphoniques et leurs courriers. En définitive, pendant ce temps d'incarcération, leurs vies

sont mises en commun. La situation judiciaire d'une est suivie par les autres, la sortie d'untel sera un

moment fort, une audience se passant mal est vécue par procuration par le reste du groupe. Souvent,

il est dit qu'il n'y a plus d'intimité en prison. Je pense qu'il y a une intimité propre à la prison. Elle

n'est pas la même qu'à l'extérieur. L'intimité en détention est commune. De cette apparente

contradiction, je veux exprimer l'idée d'une intimité interne à la détention, intimité collective qui ne

se retrouve pas à l'extérieur. C'est bien cette intimité singulière créée entre détenue, et parfois entre

personnel surveillant, qui apporte de la vie en détention et qui rend ce temps si particulier. Cette

intimité crée le groupe. Elle crée aussi une forme de confiance et de vase clos dans lequel il est

possible de tout se dire et tout partager à l'abri de conséquences judiciaires, alors même que ce lieu

dépend de la Justice. Cette intimité rassure et humanise les murs. Dans ce vase clos, elle permet de

dire ce qu'il se serait pas possible d'exprimer dehors. Les murs ont, hormis la fonction répressive et

oppressante, la possibilité d'être un rempart de l'extérieur vers l'intérieur. Ils protègent, gardent en

eux, ce qui ne pourrait être diffusé dehors.

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Sur la confidentialité, omniprésente dans le cadre de l'atelier à la vie affective et sentimentale, elle

permet de délier les langues et de suspendre ce moment comme étranger à la détention. Les

participantes ont toutes créée, de manière voulue ou non, l'intimité carcérale expliquée plus haut. En

revanche cette intimité interne à la détention n'a pas de temps d'arrêt, elle est continue à la durée

d'incarcération. Ici, lors de l'atelier d'expression à la vie affective et sentimentale, ce qui se dit est

confidentiel. Les paroles s'arrêtent en même temps que l'atelier. Le collectif présent doit se

contraindre à garder intérieur ce qu'il s'est dit et à ne pas partager avec les autres, alors même que

l'intimité vécue en prison est particulièrement intrusive par moment. Comme si la vie de chacune

dépendait de l'autre. Or, l'une des conditions de l'atelier est que ce qu'il s'y dit reste dans le groupe et

n'en sort pas.

Les jeunes filles sont donc rassurées par le fait de se connaître, d'être intimement liées par la

détention. Elles sont aussi soulagées d'avoir un temps confidentiel. Cette combinaison de la

confiance crée par l'intimité de tous les jours et la confidentialité des propos permet une parole très

libre dans un environnement très contraint. C'est un réel paradoxe qui pourtant, s'avère être un levier

essentiel aux prises en charge.

Concernant la confidentialité, elle est à mon sens primordiale. Cependant, dans le cadre

l’intervention à la MAF, elle est largement mise à mal. Les salles d'entretiens ne sont pas

insonorisées et pour des raisons de sécurités, les portes ne ferment pas. Le personnel surveillant et

les détenues passant dans les couloirs peuvent donc entendre tous nos échanges. Cela est

problématique et peut être un frein ou un obstacle lors de certains entretiens.

J'ai donc, dans le cadre de la mise en place de cet atelier, fait attention à la salle choisie. J'ai obtenu

l'autorisation de dérouler l'atelier dans la salle cuisine qui est grande, adaptée à recevoir du monde

et surtout qui ne se trouve pas un passage et qui se ferme.

La confidentialité peut donc être tenue par le groupe et mise en place de manière fonctionnelle.

Enfin, si la liberté de la parole en détention est un levier éducatif, elle est aussi à mon sens très

questionneuse et parfois inquiétante. Car, lorsque la contrainte de l'enfermement devient rassurante

et est le seul endroit possible de ce type d'exercice, nous devons alors nous soucier fortement de ce

qui peut l'être l'extérieur, ou de ce qui fait office d'un lieu d'échange rassurant et confidentiel.

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III – Positionnement(s) éducatif(s) et genre : l'affirmation d'une

identité professionnelle

A- Prise en compte du genre dans notre travail

A la MAF, le personnel surveillant, à l'exception des lieutenants pénitentiaire est exclusivement

féminin. Les femmes incarcérées sont donc encadrées par des femmes surveillantes. Il n'y a que lors

des commissions de disciplines, qu'elles seront recadrées par un homme officier. L'homme donne la

sanction.

Ce schéma peut paraître très rétrograde mais il est pourtant significatif d'une prise en charge des

femmes dans une situation de délinquance. Il y a toujours une certaine appréhension à s'occuper de

femmes que ce soit dans le domaine médical, sécuritaire, enseignant et ici pénitentiaire. Cette

appréhension vient de la potentielle attirance d'un homme envers la femme. Si dans le domaine

médical, elle est refoulée en ne considérant pas la femme comme telle mais comme patiente au

même titre qu'un homme, en détention, la barrière détenu-surveillant paraît plus fragile. Peut-être

plus marquée par un quotidien permanent et une configuration très intrusive de la vie en détention.

Je pense notamment aux appels téléphoniques systématiquement enregistrés, aux courriers lus...

Afin de se couvrir de tous dérapage (dans les deux sens), le personnel surveillant des quartiers de

femmes, et ce au niveau national, est exclusivement féminin.

Cette inquiétude vis à vis de la prise en charge des femmes, et donc des filles, se retrouve aussi à la

PJJ. Je pense particulièrement aux services d'hébergement qui ne peuvent accueillir de filles pour

des raisons d'organisation des locaux, ou tout simplement de sécurité par rapport au groupe (une

fille seule dans une groupe de 11 garçons). Cette inquiétude est renforcée par une forme de

sidération face à la délinquance des filles. Comment la traiter ? Comment se positionner entre

féminité et délinquance ?

Au sein du service, seul un éducateur homme intervient à la MAF. Intervenir à la MAF est un choix

des éducateurs du service. Certains n'y vont jamais. Pourtant, en tant que femme, il n’y a pas le

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choix d'intervenir ou pas chez les garçons, ce qui montre une nouvelle fois la difficulté à se

positionner face à la délinquance des filles56. La question du genre est donc centrale dans ces

professions respectives et influe directement sur les prises en charge. Ne faut-il pas dans certaines

situation préféré un lien éducateur homme-jeune fille ? Et inversement. Cette question est à mon

avis peu travaillée. Comme si la configuration d'un éducateur et d'une jeune fille pouvait être

problématique alors que souvent la question ne se pose dans le cas inverse. Et lorsqu'elle se pose, je

pense notamment à mon expérience en hébergement, d'une situation où le jeune homme refusait

tout contact avec une femme et se montrait particulièrement vulgaire et menaçant à son encontre,

l'équipe se soude pour que cette cohabitation éducatrice-jeune perdure, en évitant tout débordement.

Il faudrait donc faire tenir cette relation éducatrice-jeune, au risque d'un échec et de violence.

Il me semble donc, qu'une attention particulière est donnée à la prise en charge des filles et

notamment sur le genre de l'éducateur ayant la référence du suivi. Cette attention est, de par mes

expériences, moins portée lorsqu'il s'agit de prise en charge de garçon. Cette attention de genre est

aussi influencée par la potentialité d'être face à des jeunes filles victimes d'agression sexuelle ou de

violence, que l'on rattache très souvent aux hommes, mais qui peuvent tout autant venir de femmes.

Pensons à la situation de Sonia, battue par sa mère. Elle n'est qu'un exemple parmi tant d'autre. Et a

contrario, les garçons sont aussi souvent victimes d'autres hommes, pères, frères ou connaissances

de quartier par des pressions, des violences, des agressions sexuelles ou non. Et là, lorsque cela fait

surface dans le suivi éducatif, le genre de l'éducateur est il pris en compte ?

Être reconnue comme victime est un long chemin. Encore une fois, la condition de victime est

bien souvent rattachée au genre féminin, vu comme plus fragile, plus à même d'être pris à parti

notamment par les hommes. De fait, il est plus commun de faire accepter en tant que victime une

femme, même si cela reste un long combat, qu'un homme. Dans les prises en charges de la PJJ, se

retrouve une partie de cette logique. Une grande précaution est prise quant aux filles à savoir : elles

sont probablement victimes de quelque chose (une condition de vie par exemple un mariage forcé)

mais aussi de quelqu'un (un parent qui l'exploite et dans l'imaginaire un parent masculin). Dès lors

que l'entretien d'accueil à l'arrivée en détention sera terminé et qu'il faudra attribuer la référence du

suivi à un membre de l'équipe, une attention particulière y sera portée : faut-il un éducateur féminin

ou masculin, de même que la question de l'origine pourrait aussi se poser.

En revanche, et c'est un constat, moins de précautions sont prises à l'attribution des suivi de garçons.

Certes, ils sont en plus grands nombres donc cela réduit le champ des possibilité, mais la question

56 Mais qui démontre aussi une hiérarchie en fonction du groupe de sexe au sein même de notre institution

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de l'intérêt de la personnalité de l'éducateur et ses compétences professionnelles quant à l'efficience

de la prise en charge est moins pensée.

Néanmoins, si la question du genre vient à nous57 naturellement parce qu'elle est de fait, elle ne doit

pas être un point de départ exclusif et traitée de manière obligatoire. Pour exemple, je prendrais les

propos de l'art-thérapeute de notre service :

-Mon positionnement ne change pas en fonction de la MAF ou du QM (sous entendu

des jeunes garçons ou jeunes filles), mais en fonction de la personne qui se trouve en

face de moi, ce qui influe forcément dans mon accompagnement. J'adapte mes

consignes, ainsi que mes réponses à ce que j'ai pu repérer de la configuration

douloureuse de la personne.

Cette réponse permet de replacer les éléments dans les niveaux de la prise en charge. Ainsi, lorsque

le service éducatif s’attarde sur la question du genre et sur l'impact que cela pourrait avoir sur la

prise en charge, il faut que l’éducateur est d'abord compris qui se trouve devant lui et les

problématiques qu’il peut voir émerger. Un entretien d'accueil suffit-il à dégager l'ensemble des

problématiques ? Je n'en suis pas certaine. Il permet de faire un état des lieux de la situation et de

toucher quelques points sensibles qui seront les premières pierres du suivi éducatif. Mais je crois,

qu'en tant qu'éducateur, nous devons nous accorder une marge d'erreur. Nous avons le droit

d'essayer et donc de nous tromper.

Il ne faut pas vivre comme un échec le fait de devoir changer d'éducateur en cours de route, que ce

soit pour une question de genre ou autre. Il faut plutôt y voir un avancement dans le suivi éducatif et

la prise en compte d'une problématique centrale. Aussi, en prenant le temps de faire connaissance,

nous nous exposons aussi à la possibilité de ne pas être celui que l’usager attend et nous, de ne pas

avoir le suivi auquel nous nous attendions.

Lorsque la question du genre devient centrale à la prise en charge, elle doit être réfléchie et

pensée et être une porte d'entrée à l'étude des situations. En dehors des prises en charge, je pense

cependant que dans des environnements hyper genrés comme celui de la détention, nous devons

dans le cadre des missions éducatives, créer cette mixité. Au QM garçons, elle est visible plus

facilement par la mixité du personnel surveillant et éducatif. Alors qu'à la MAF, la mixité est une

denrée rare.

Au niveau de la mise en place de l'atelier, il est vrai que je n'ai pas proposé aux collègues masculins

57 Sous entendu aux éducateurs

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de m'accompagner. L'absence de mixité à la MAF a sûrement eu un impact implicite sur la

construction de cet atelier. En définitive, ce n'est pas tant la présence d'un homme ou d'une femme à

l'apparence masculine qui aurait pu intimider ou gêner la parole des jeunes filles, mais plutôt de

parler de l'intime à une personne inconnue peu importe le sexe. C'est aussi la difficulté qu’il y a en

intervenant à la MAF ; les jeunes filles sont habituées aux quelques éducateurs qui y viennent et peu

de visages inconnus s'aventurent au QM de la MAF.

Toutefois, de plus en plus d'activités sont animées par des collègues qui n'ont pas de suivi éducatif

à la MAF. Cela permet aux jeunes filles d'avoir de temps d’activité avec des personnes extérieures à

leur situation, comme le sont les intervenants d'association par exemple. Mais aussi de les mettre en

contact avec des hommes adultes par le biais d'activité (cuisine, potager, mosaïque...), de manière

quelque peu détournée. Pour certaines, accepter un homme à leur côté est chose impossible58. En le

faisant sur des temps d'activité collective, le contact se crée naturellement. Il faut aussi préciser que

ce contact est lui aussi réfléchi et qu'il a lieu dans une temporalité éducative adaptée à la situation

de la jeune fille.

Le tout est de réussir à travailler avec cette notion du genre, omniprésente par nos sexes respectifs,

en la faisant intervenir de manière nécessaire, censée et éducative dans les prises en charge.

L'équilibre et la nuance de la question du genre traitée de manière ségrégative ou au contraire vue

comme un levier éducatif doit être un axe de travail présent dans nos services et dans une réflexion

plus large portée au niveau institutionnel.

B- Parier sur l'accompagnement à la vie affective et sentimentale

Créer un espace d'expression, quelque soit le sujet, inclut forcément un travail avec les émotions,

les sensations et les ressentis. Il me semble important de différencier les émotions et le ressenti des

sensations avant de débuter cette sous-partie. Les émotions arrivent subitement à l'annonce d'une

bonne ou mauvaise nouvelle. Par exemple, la réussite d'un examen procure une émotion, sur le

moment, de joie. Le ressenti s'ancre plus longuement dans la durée. Les sensations répondent quant

à elles à un changement physique, comme le palpitant qui s'affole ou le stress59.

Cette différence bouscule un peu la notion de travail autour des émotions, qui l'élargit à d'autres

58 Du fait des cultures et religions respectives ou par le fait d'agressions physiques 59 Définition du Larousse

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concepts. En tant qu'éducateur, nous sommes attentifs à ce que peut procurer chez l'autre nos

questions et nos réflexions. Souvent, lorsque nous préparons les entretiens éducatifs, notre but est

de créer et de faire émerger une réaction, au sens large tant physique qu'émotionnelle. Cette

approche est en lien avec le travail sur les faits. Le passage à l'acte vient en pansement des blessures

internes et des traumatismes vécus. Cependant, les émotions et sensations ne sont pas attaquées de

front : nous utilisons un outil permettant aux interactions de passer par un biais détourné pour

aborder ce qui est douloureux. L'outil peut être la parole ou l'art par exemple.

L'art-thérapeute du service définit elle aussi le travail émotionnel comme suit :

-Je ne travaille jamais les émotions en direct et en particulier avec les adolescents.

Dans ce cadre, leur passage à l'acte vient dire quelque chose, étant symptomatique

de ce qu'il ne peut pas dire avec des mots. Justement comme si un trop plein

d'émotions en barrait l'accès...

Comme je l'expliquais plus haut, le passage à l'acte apparaît comme un symptôme d'un ou plusieurs

traumatismes qui s'expriment par la violence (tant dans le trafic de stupéfiant que dans le viol, la

violence est centrale).

C'est en partant de cet axe d'un travail éducatif lié à l'émotionnel, que l'idée d'un espace d'expression

est apparue. Ce lieu était non seulement un temps d'échange et d'interaction entre les jeunes filles

mais aussi un outil éducatif à part entière car il venait en soutien à un travail d'introspection

essentiel lors des prises en charge.

Parier sur un accompagnement à la vie affective et sentimentale s'ancre dans une dimension

éducative, qui peut porter ses fruits dans une prise en charge au pénal. La difficulté du travail en

détention se trouve en grande partie ici ; l’éducateur est constamment animé par le judiciaire relayé

par le cadre de l'incarcération. Cette omniprésence du fait délinquant peut faire de l'ombre à

l'accompagnement plus centré sur l'éducatif et l'aide à l'affirmation d'une identité. Être actrice de

cette démarche d'aide et d'accompagnement au sein de la MAF permet aussi de créer un lien

différent, que je qualifierai de plus intime avec les jeunes filles. La distance entre animer un atelier

où il est question d'intime et devenir un confident est mince. Pourtant, il faut jouer avec cette fine

frontière.

L'art-thérapeute rencontre aussi dans le cadre de son intervention ce positionnement délicat, présent

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dès que le travail touche l'émotionnel. Lors de la création de l'atelier d'expression à la vie affective

et sentimentale, j'ai pu échanger avec elle quant à la mise en place de l'activité. Comment créer une

ambiance favorable à l'échange sur l'intime tout en respectant cette barrière entre les jeunes filles et

l'éducatrice ?

Ainsi, elle a pu me présenter sa façon de lancer ces animations en art-thérapie, dont je me suis

inspirée :

-Je parle souvent en début d'atelier de « l'idée d'exprimer quelque chose », terme

assez vaste, qui est en général bien réceptionné par les jeunes qui s'en saisissent et

se l'approprient.

A travers mes consignes, j'essaye d'amener la question d'un ressenti, d'une

sensation, par le détour: un rapport aux couleurs, aux formes, aux matières, qui

amène à se reconnecter, peut-être, à une émotion précise. C'est par ce chemin que le

jeune peut entrer en dialogue avec un matériau premier, lui donnant un/des outils

pour ouvrir son imaginaire et ainsi favoriser sa création.

C'est la plupart du temps à leur insu que le travail sur eux-mêmes commence.

L'idée de partir d'une proposition venant des jeunes filles, et non imposée me séduisait. Mais, il

fallait partir d'un support en adéquation avec le thème de l'atelier d'expression à la vie affective et

sentimentale : l'utilisation dérivée du jeu « Câlin-malin » s'inscrivait tout à fait dans ce registre.

Ici, il est aussi question de la pédagogie du détour. Les éducateurs utilisent fréquemment cette

pédagogie outillée par un média qui vient contourner les obstacles afin d'atteindre l'objectif

principal en s'appuyant sur les ressources des jeunes filles.

L'art-thérapeute fait aussi référence à l'imaginaire, qui est plus palpable dans son intervention. L'art

est un moyen de faire fonctionner l'imaginaire et l'esprit créatif de manière peut être plus direct

qu'un espace d'expression, où l'imaginaire intervient après l'atelier souvent dans des moments de

solitude.

Dans la même dynamique que dans un atelier d'art-thérapie, les entretiens individuels proposés à la

suite de l'atelier d'expression viennent éclairer l'émotion du moment. Lors de l'atelier, je me

positionne à l'écoute des jeunes filles et de leurs échanges. Je tente de repérer ce qu'il se joue pour

certaines d'entre elles dans ce qui est entrain d'être dit (le manque d'affection maternelle, l'envie de

construire sa propre famille...). Le travail sur les émotions dans le cadre de cet atelier demande à se

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mettre en retrait et à laisser l'entière place aux jeunes filles, sans être pour autant étranger à la scène

qui se joue. L'idée d'utiliser le jeu « Câlin-malin » aide à appuyer sa présence sans enfreindre les

interactions entre les jeunes filles. Je ne me positionne pas comme animatrice de débat, mais

comme médiatrice d'un espace d'expression. Il en est de même pour l'art-thérapeute, plus médiatrice

qu'animatrice, tel qu'elle nous le rapporte ici :

-C'est par l'écoute de certaines de leurs phrases prononcées pendant le moment de

peindre, en regardant ce qu'il semble se jouer pour elle à un moment précis, que je

peux, la fois suivante, proposer une consigne dont elles se saisiront pleinement. Il

arrive aussi que ce soit elles qui inventent leur propre consigne, le travail qui

advient est souvent très fort et très juste pour elles.

Des moments d'étonnement, de tristesse, des cris de joie parfois en réaction à ce

qu'il vient d'arriver dans la production, se sont ces moments accueillis avec

bienveillance qui leurs donnent aussi petit à petit confiance en elles.

Sur le travail en lien avec les émotions et les sensations, les adolescentes sont souvent dans une

posture de défense et/ou de protection. Comme expliqué précédemment, les parcours de vies sont

semées de traumatismes et la probabilité d'être victime est grande. L'accroche avec l'adulte est

parfois longue, ce que l'art-thérapeute relate ici comme «des systèmes de défense». D'un point de

vue éducatif, je fais aussi le constat que les jeunes filles nous arrivent en détention dans un dernier

recours, qu'elles ont souvent échappées aux institutions et aux prises en charge éducatives.

Certaines sont aussi là pour un passage à l'acte totalement soudain et ne connaissent donc pas le rôle

de l'éducateur et l'accompagnement qu'il propose. Nous pouvons donc parler de système de défense

et de protection, en référence à l'inconnu que représente l'adulte et l'éducateur.

L'autre objectif d'un travail autour de l'émotionnel est de recréer ou d'aller déclencher chez la

jeune fille une satisfaction personnelle. Au sein de l'espace d'expression, la satisfaction n'est pas

visible, même si avec l'exemple de Laya qui dit ne jamais avoir entendu « je t'aime » à son

intention, le recevoir de la part du groupe l'a profondément émue et peut être vu comme une

satisfaction. C'est aussi une manière d'exister autrement que par l'acte de délinquance. Se sentir

capable de faire quelque chose de ses mains pour l'art-thérapie ou d'exprimer des sentiments et des

émotions pour l'atelier autour de la vie affective, apporte une sensation de mieux être. Dans le cadre

de l'art-thérapie «Les bénéfices sont la re-narcissisation, la re-création de lien social en vue d'une

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re-construction possible».

Enfin, pour terminer cette partie sur les émotions et les sensations, je pointerais du doigt les

conditions de détention et de déshumanisation liées au fonctionnement du système carcéral français.

Le travail autour des émotions et des sensations part et vient de l'humain. Proposer ce genre

d'espace d'expression permet de considérer la personne, et ce même malgré l'image que les détenues

peuvent avoir d'elles mêmes. Cette image est aussi le reflet du traitement carcéral des détenues, qui

évoluent en détention sous un numéro d'écrou et par le prisme des actes commis. Cette coupure

totale avec une identité qui permet d'évoluer dans un champ social à l'extérieur, ne se retrouve pas

en détention et ne laisse pas de place aux émotions, ressentis et sensations si déterminantes dans la

construction et la préservation des identités.

C- Sortir du « tout-pénal » pour une prise en charge individualisée

L'Ordonnance de 2013 relative à la détention des mineurs met en avant la nécessité d'une prise en

charge individualisée, par le biais d'activité de médiation éducative et d'un suivi personnalisé en

accord avec le parcours antérieur du jeune.

Pour moi, la prise en charge individualisée comprend trois axes :

– un travail sur les faits et sur un projet de sortie en adéquation avec le parcours du jeune

– la participation à des activités de médiation éducative amenant à la réflexion sur les faits et

la situation judiciaire

– la participation à des activités de médiation éducative amenant à la réflexion sur la situation

personnelle et la construction de soi

Les deux derniers axes sont très proches et les dissocier est souvent chose ardue. Effectivement, la

construction de soi et la situation personnelle sont des axes de travail indispensables au travail sur

les faits et la situation judiciaire. Mais je pars du postulat qu'avant d'être dans un processus

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délinquant, nos jeunes sont des adolescents, avec certes des parcours de vies le plus souvent

mouvementés, mais restent des adolescents lambda. L’éducateur est un tuteur, dans le sens d'un

témoin étayant, accompagnant aux difficultés rencontrées à l'adolescence, en dehors des passages à

l'acte délinquant.

C'est pour cela que je trouve important d'élargir nos champs de compétences et de ne pas restreindre

à une intervention au tout-pénal. La notion d'éducation n'est pas à l'origine liée à la situation

judiciaire mais bien au concept d'éducabilité. Nous sommes tous animés, en tant qu’éducateur, par

la conviction que chaque jeune à les possibilités de s'en sortir et qu'avec les ressources nécessaires

et adaptées, il peut être un adolescent, futur adulte responsable.

Après 8 mois de travail en détention, j'ai aussi appris à me détacher du travail pénal, certes

centrale à la mission éducative du SECJD . Peut être plus qu'à l'extérieur, le personnel éducatif en

détention doit voir les jeunes autrement que comme des détenus. Une autre partie de ce travail

consiste en effet à rendre la détention plus humaine, en luttant contre l'isolement, l'exclusion et la

stigmatisation de certains profils (agresseurs sexuels, auteurs d'actes de terrorisme...). Dès lors,

travailler sur la construction de soi avec la mise en place d'ateliers d'expression ou d'art-thérapie, en

dehors du temps judiciaire, aide les jeunes à sortir par la pensée du monde carcéral et pour les

professionnels à s'extirper d'un travail axé au pénal, faisant parfois oublier l'aspect humain et

militant de ce métier. Il me semble que cette distension entre travail pénal et étayage personnel est

très frappante à la nursery, comme expliqué précédemment.

Si le temps de l'éducatif n'est pas le temps du judiciaire, il a été après analyse, celui de

l'accompagnement à l'acceptation et à la découverte d'une nouvelle étape dans la vie d'Alice. Ce

temps, qui a pu me paraître long et par moment sans issue60 me fait dire avec le recul, qu'il aura été

plus que nécessaire pour construire la relation de confiance que j'ai aujourd'hui avec Alice. A ce

jour, il est possible pour Alice de s'entretenir autour des faits et d'adopter une posture de future mère

avec toutes les représentations de responsabilité et d'exemple que cela importe.

Pour décrire la nursery, j'emploierais l'expression d'un petit îlot. C'est un lieu que je perçois comme

protégé de ce qui l'entoure à savoir la détention classique malgré les rappels du fonctionnement

pénitencier comme les grilles, les verrous, l'uniforme... Au sein de cet îlot, le régime des détenues

n'est pas appréhendé que sous l'ordre sécuritaire et pénal. Coline Cardi parle notamment, à l'image

60 Parfois et même souvent nous ne voyons pas de résultats immédiats à notre action éducative

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de ce qu'on retrouve dans une maternité classique, l'établissement de prises en charge sous des

angles relatifs aux professions présentes. Les personnels de l'Administration Pénitentiaire, du soin,

de l'équipe petite-enfance et de la PJJ travaillent, avec des axes d'entrée propres à ces professions

autour d’une mission commune définie ; la protection de l’enfant et de la condition de mère.

A titre de comparaison, pour intervenir aussi chez les mineurs garçons, je ne ressens pas cette même

accroche des différents corps de métiers autour d’une mission commune. La dynamique au QM

garçons tourne beaucoup plus autour de la sécurité et du risque 0. Les rares fois où j'ai pu ressentir

un mouvement commun autour de la protection de l’enfant et donc de la paternité, apparaissaient

lorsqu'un jeune homme allait devenir père. Mais là aussi, la préoccupation des professionnels à la

différence de la nursery n'était pas de savoir si le jeune allait devenir un père aimant en capacité de

construire une relation avec son enfant, mais si ce dernier allait être en capacité d'assumer cet

enfant, ce qui ferait de lui un homme. A la nursery, il serait plus question de l'amour parent-enfant

alors qu'en détention homme, il serait plus question de la descendance et du financier.

Cette sensibilité des professionnels intervenant et travaillant à la nursery autour de

l'accompagnement des jeunes femmes à la maternité s'apparente à une forme de travail de care61.

J'ai eu l'impression en intervenant à la nursery que nous étions plus, dans une démarche

d'accompagnement et d'aide au sens du soin à la personne, influencée par la présence en nombre de

personnel féminin comme l'écrit Pascale Molinier dans son ouvrage le « Travail du Care62 ».

Cette approche du care pourrait répondre à l'un de mes questionnements de départ, à savoir si la

prise en charge d'Alice relevait dans un premier temps de l'éducatif et comment elle avait pu

m'investir autrement qu'une éducatrice au tout pénal ? La réponse apportée par la notion du care,

renforcée par l'univers extrêmement genrée de la nursery est une piste. Il se pourrait que la jeune

fille évoluant dans un environnement où la relation avec les professionnelles de surveillance, de

soin et éducatif soit modifiée par le cadre singulier de la nursery63. De fait, elle adopterait elle aussi

une posture ouverte à recevoir du care. Cette ouverture dans notre travail déplace donc notre action

éducative au pénal vers une prise en charge plus personnalisée et en harmonie avec la situation

individuelle de chaque jeune.

61 Molinier Pascale & Laugier Sandra, Qu'est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Payot,Paris, 2009.

62 Pascale Molinier, Le travail du care, La Dispute, coll. « Le genre du monde », 2013, 222 p 63 Ce qui n’empêche pas une prédominance du répressif, même à la nursery

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D- Retour sur l'expérimentation

La mise en place de l'atelier d'expression à la vie affective et sentimentale a été relativement

simple à mettre en place, dans le sens où le Pôle Santé de l'équipe éducative était sensibilisé aux

questions d'éducation à la sexualité. Faire le lien avec la vie affective et sentimentale est allé de soi.

En revanche, travailler en tant qu'éducateur sur les émotions et les ressentis pouvait émettre chez

certains quelques réserves.

Travailler au SECJD c'est entrer tous les jours dans une prison. Passer au détecteur de métaux

pendant que des détenus passent à côté de nous avant d'être libérés. Marcher devant les bâtiments de

détention des majeurs. Entendre des cris, des insultes. Voir des conditions de vie qui me paraissent

inhumaines. Être au quotidien face à des situations toujours plus enlisées les unes que les autres et

pourtant avoir l'intime conviction que si l'on ne peut être utile ici, où peut-on l'être ? C'est avec ce

leitmotiv que je suis arrivée la première fois au service. Il ne m'a pas quitté depuis.

La variété des prises en charge éducatives est d'une exceptionnelle richesse professionnelle. Il y a

tellement d'histoires et de profils différents que je suis constamment dans la redécouverte d'une

problématique. La détention modifie la vision de l'extérieur et par moment nous64 ne voyons pas les

mêmes personnes telles quelles le sont dehors. C'est aussi là toute la subtilité de ce travail : éduquer

en situation d'enfermement en prenant acte des changements qui opèrent à l'extérieur.

Dedans, le dehors ne nous quitte pas, nous et les jeunes détenus. Dans la situation d'Alice, le

dehors est représenté par la grossesse et la venue de cet enfant. Il était alors d'autant plus important

de travailler autour de la grossesse et de la notion de liberté et d'extérieur qui était sous-jacente à

cette condition. En ayant la référence de la situation d'Alice, j'ai appris à mobiliser des

connaissances sortant quelques peu du champ ordinaire des interventions plus classiques

notamment autour de la grossesse. Le partenariat m'a beaucoup aidé dans ce sens, en étant en

contact avec des professionnels du médical et de l'accompagnement à la maternité.

Cette situation m'a aussi beaucoup interrogé sur le genre au sein de notre profession.

64 Vision partagée par les autres éducateurs du SECJD.

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Aujourd'hui, seul un éducateur homme intervient au quartier mineur de la MAF et donc

potentiellement à la nursery. Une règle est même en vigueur dans le service à savoir que si une

jeune fille a un éducateur homme mais que celle-ci est enceinte, un changement de référence pour

une éducatrice aura lieu. Faut-il être du même sexe pour saisir au mieux les problématiques

éducatives ? Je ne me retrouve pas dans cette hypothèse même si lors de la mise en place de

l'activité, je me suis retrouvée à reproduire cette non-mixité. En revanche, je suis convaincue que

nos pratiques sont inconsciemment genrées et que les éducateurs(trices) ont des appétences à

aborder des sujets plutôt que d'autres ou à déclencher chez certains jeunes des réactions en lien

direct avec ce que représente notre sexe, homme comme femme.

Le suivi d'Alice m'a aussi amené à me questionner sur ma propre position en tant que femme et sur

ce que me renvoyait la maternité dans un cadre professionnel. Il m'a fallut faire avec un état, la

grossesse, en étant une oreille attentive et rassurante sans avoir vécu personnellement une grossesse.

Étonnement, je ne me pose pas la question de travailler sur un fait de délinquance que je n'ai jamais

vécue par essence. La difficulté du suivi, en dehors de toutes les problématiques d'attachement et

d'emprise, aura été de jouer entre le choix de faire une fois la distinction marquée entre la grossesse

et le travail pénal et d'autre fois d'inclure les deux dans une même problématique.

Je pars ici de l'exemple d'Alice, car comme je le disais plus haut sa situation est exceptionnelle.

Mais la détention des autres jeunes filles m'a aussi beaucoup questionnée sur la condition féminine

en générale et plus particulièrement sur le regard porté sur ces jeunes filles ; regard porté par

l'extérieur, par les institutions, par elles-mêmes.

A la différence des garçons, qui sont pour la plupart connus car ancrés dans un processus délinquant

depuis plusieurs années et repérés par les institutions, les filles, sont dans un passage à l'acte plus

isolé, quelque peu détaché du processus délinquant cité au dessus. Même si, je le conçois, le

phénomène des bandes, dont Sonia dit faire partie est de plus en plus représenté65, ces jeunes filles

ne sont pas pour autant incarcérées. In fine, en travaillant en détention, je n'ai pas de suivi avec les

adolescents en dehors de la détention et donc la rencontre n'a lieu qu'à ce moment fatidique de

l'incarcération. Peut être que le travail avec les filles en détention, nous66 sensibilise davantage en

65 Soullez Christophe, Rizk Cyril et Huger Lucie , INHESJ et ONDRP, http://www.lemonde.fr/mmpub/edt/doc/20101005/1420311_312c_lettre-repere-13.pdf, consulté le 30 Avril 2017 et Allaria Camille, ORDCS, http://ordcs.mmsh.univ-aix.fr/publications/Documents/Rapport_Recherche_ORDCS_N7.pdf, consulté le 30 Avril 2017

66 Les éducateurs

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tant que professionnel à la notion de bien-être. Notion en réalité calquée sur les représentations

genrées : une femme, une jeune fille, doit être dans un environnement sain à la différence d'un

homme, d'un jeune homme qui saura s'extirper de conditions de vies plus rudes. Je pense que cela

est inconscient mais pourtant bien réel et influe l’action éducative à la MAF.

Le regard qu'elles portent sur elles-mêmes est à l'image des représentations communes ; dur et clivé

mais en même temps emprunt de réalité et de sincérité. C'est pour cela qu'il est indispensable à mes

yeux de leur donner la parole. Leur offrir, parce que oui, si les éducateurs ne sommes pas présents

en détention, elles n'auront pas accès à cet espace d'expression ici, un temps pour parler, échanger,

imaginer, rêver.

Mettre en place un atelier d'expression est assez représentatif de ce que j'entends du métier

d'éducateur. C'est un métier que je qualifie régulièrement de militant. Nous sommes des

professionnels avec des convictions éducatives mais aussi sociales et de fait politiques.

Pouvoir s'exprimer librement est une valeur qui m'est chère. Qu'elle soit présente dans mon exercice

professionnel n'est pas étonnant. Aujourd'hui, avec les filles, sûrement influencée par les questions

de genres et les représentations et conditions féminines, je me suis orientée vers un atelier

d'expression à la vie affective et sentimentale. Peut-être que dans les temps à venir, l'expression sera

abordée par un autre thème. Et finalement, quelque soit le thème, l'actualité, l'amour, la justice...le

plus important n'est il pas de permettre à ces jeunes, filles et garçons, d'investir des espaces dans

lesquels ils deviennent acteurs, porteur d'une parole entendue ? Car, si nous, éducateurs de la PJJ

n'offrons pas à ces jeunes la possibilité de s'exprimer et de mettre en mots leur ressentis, émotions et

sensations dans des lieux bienveillants qui leurs sont consacrés, comment pouvons nous

accompagner de manière individualisée ?

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Conclusion

Il m'a fallut prendre du recul pour rédiger ce mémoire, m'éloigner temporairement du service et

du quotidien éducatif pour analyser toutes mes données, avec un regard parfois critique.

Mes hypothèses de départ venaient questionner la notion d'enfermement et d'expression bousculant

les représentations communes autour de la vie en détention. Les mois de stages au SECJD, ont

permis de collecter les données mais aussi de prendre conscience et de sentir la singularité des

missions éducatives en détention, dépendantes d'une entente avec l'Administration Pénitentiaire.

La notion de genre du public et des professionnelles n'est pas venue de suite dans mes

questionnements. En effet, elle s'imposait par le public choisi, les jeunes filles, mais elle demandait

un travail beaucoup réflexif lorsqu'il s'agissait des professionnelles et peut être fallait il s'imprégner

véritablement du terrain pour s'y atteler. Cette question s'est affinée les jours passants, puis est

devenue un point central de ce travail de recherche, mais aussi de ma réflexion personnelle quant à

mon positionnement professionnel.

Le travail et la réflexion autour de cette notion du genre s'est accentué lors de la mise en place de

mon expérimentation. Peut être a t-il manqué à ce travail de recherche, plus de comparaison entre le

travail en détention avec les garçons et les filles afin de définir dans quelles mesures, les missions

éducatives pouvaient être impactées par le genre. Si j'ai pu recueillir des données et avoir de par les

prises en charge confiées, un avis sur la différence qui s'opère entre les deux quartiers mineurs et a

fortiori autour de l'expression à la vie affective et sentimentale, elles n'étaient pas assez

conséquentes pour faire une analyse comparative.

Cette réflexion autour des espaces d'expression à la vie affective et sentimentale m'a fait cheminé

professionnellement sur deux points. Le premier est sur l'importance de la création de lieu et

d'espace où les adolescents confiés à la PJJ peuvent s'exprimer librement et investir ces lieux. Plus

largement, je pense que nous sommes dans une société où la liberté d'expression, peu importe le

sujet, est une valeur phare mais qui se doit d'être protégée à chaque instant et recréée

continuellement. La prison est souvent vue comme l'antipode d'un lieu d'expression, mais nous nous

trompons. L'incarcération n'est pas pensée pour faire taire mais pour punir et protéger la société, et

est-ce protéger la société que d'ignorer la pensée des détenus ?

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Ici, parler de la vie affective et sentimentale a pu dégager des pistes éducatives intéressantes et

m’aider dans le projet de sortie et dans l'accompagnement en détention. Si le thème de cet espace de

réflexion était important pour les jeunes filles et sûrement attendu, l'espace en lui constituait déjà

une forme de bien-être et de perspectives. La notion d'expression, que j'ai pu développer par le biais

du travail éducatif dans le mémoire avec le partage d'émotions et de sensations que ce soit à l'oral

ou par l'art, peut se retrouver autour d'autres thèmes.

Dans le mémoire, il revient plusieurs fois la problématique des faits d'association de malfaiteurs

en vue d'un acte de terrorisme. Effectivement, le SECJD est particulièrement amené à travailler

avec ces jeunes filles ou garçons. Travailler sur l'expression, créer des revues de presse, participer à

l'élaboration d'un esprit critique fait partie intégrante du travail éducatif avec ces mineur(e)s.

Je fais référence dans ce mémoire, à une jeune fille auteure d'acte de terrorisme : avec le recul, la

vie affective et sentimentale a été une porte d'entrée éducative intéressante permettant de travailler à

la fois la place de la femme et la condition féminine mais aussi ce que l'on peut ressentir

individuellement envers soi ou quelqu'un. Et là aussi se pose la question du genre ; en effet nous67

savons que l'engagement auprès des filières terroristes n'est pas le même que l'on soit une fille ou un

garçon. Le recrutement se fait par les appétences et compétences de chacun ; une fille serait alors

plus à même de soigner un combattant et un garçon plus efficace dans le maniement des armes.

Nous pouvons donc présupposer que ces jeunes filles sont sensibles à un discours portant sur la

femme et ce qu'elle représente. Leur proposer un espace d'expression à la vie affective et

sentimentale peut donc être un outil éducatif adapté à leur situation, même si l'embrigadement dont

elles sont victimes peut parfois être un obstacle à l'expression. Il faut donc amener cet atelier dans

une temporalité éducative en adéquation avec l'évolution de la jeune fille.

En définitive, cet atelier d'expression à la vie affective et sentimentale m'a aussi permis de

réfléchir et de penser la prise en charge des mineur(e)s auteurs d'actes de terrorisme. Ces pratiques

sont en perpétuels mouvements, et nous devons sans cesse les adapter, ré-adapter, aux nouvelles

problématiques de délinquances. Aujourd'hui, c'est celle liée au terrorisme qui est sur le devant de la

scène, problématique inconnue jusque là ou par d'autres formes d'expression de l’extrémisme.

Ainsi, cette problématique se retrouve dans l'ensemble des services de la PJJ et nous devons donc

repenser les prises en charges pour les adapter au mieux à ce phénomène (nouveau?) . Peut-être la

possibilité d'expression est-elle une des entrées à ces prises en charge ?

67 Le personnel éducatif.

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Liste des sigles

AP : Administration Pénitentiaire

CRIP : Cellule de Recueil d'Informations Préoccupantes

CRIPS : Centre Régional d'Informations et de Prévention du SIDA

D4 : Bâtiment de Détention numéro 4

ENPJJ : École Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse

EPE : Établissement de Placement Éducatif

EPM : Établissement Pénitentiaire pour Mineurs

INJEP : Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire

MAF : Maison d'Arrêt des Femmes

MAH : Maison d'Arrêt des Hommes

PJJ : Protection Judiciaire de la Jeunesse

QM : Quartier Mineur

SECJD : Service Éducatif du Centre de Jeunes Détenus

SPIP : Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation

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Bibliographie

Ouvrages

Cardi, Coline, et Geneviève Pruvost. Penser la violence des femmes. La Découverte, 2012 ,

Introduction, 448 pages.

Cyrulnik Boris et Seron Claude, La Résilience ou comment renaître de sa souffrance ? , Broché, 23

janvier 2009, 247 pages.

Forest Eva, Journal et lettres de prison Poche, 23 mars 1976, 251 pages.

Le Caisne Léonore, Avoir seize ans à Fleury . Ethnographie d'un centre de jeunes détenus, Broché,

17 janvier 2008, 348 pages.

Lepoutre David, Cœur de banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Éditions Odile Jacob, 1997, 362

pages.

Molinier Pascale, Le travail du care, La Dispute,Collection Le genre du monde , 2013, 222 pages.

Molinier Pascale & Laugier Sandra, Qu'est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité,

responsabilité, Payot, Paris, 2009, 298 pages.

Articles

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24), p. 5-10.

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2010 (), p. 385-416.

Bozon, Michel. « Autonomie sexuelle des jeunes et panique morale des adultes. Le garçon sans

frein et la fille responsable », Agora débats/jeunesses, vol. 60, no. 1, 2012, p. 121-134.

Cardi, Coline, « Les quartiers mères-enfants : l’ « autre côté » du dedans », Champ pénal/Pénal

field, Vol. XI, 2014

Chantraine, Gilles & Sallée, Nicolas. « Éduquer et punir. Travail éducatif, sécurité et discipline en

établissement pénitentiaire pour mineurs[1] », Revue française de sociologie 2013/3 (Vol. 54), p.

437-464.

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Clair, Isabelle. « Amours adolescentes. Dans des quartiers d'habitat social », Informations sociales

2007/8 (n° 144), p. 118-125.

Clair, Isabelle. « Des filles en liberté surveillée, dans les espaces ruraux et périurbains aujourd'hui »,

in Véronique Blanchard et al., Les jeunes et la sexualité, Autrement « Mutations », 2010 (), p. 321-

329.

Clair, Isabelle. « La division genrée de l'expérience amoureuse. Enquête dans des cités d'habitat

social », Sociétés & Représentations 2007/2 (n° 24), p. 145-160.

Clair, Isabelle. « Le pédé, la pute et l'ordre hétérosexuel », Agora débats/jeunesses, vol. 60, no. 1,

2012, p. 67-78.

Clair, Isabelle. « Pourquoi penser la sexualité pour penser le genre en sociologie ? Retour sur

quarante ans de réticences », Cahiers du Genre 2013/1 (n° 54), p. 93-120.

Guionnet, Christine. « Isabelle Clair, Sociologie du genre. Colin, Paris, coll. « 128 », 2012, 128

pages », Travail, genre et sociétés 2014/1 (n° 31), p. 199-201.

Joël-Lauf, Myriam.« L'intimité des femmes incarcérées. Une expérience de terrain », Ethnologie

française 2009/3 (Vol. 39), p. 547-556.

Ladsous, Jacques. « Être éducateur aujourd'hui », VST - Vie sociale et traitements, vol. 106, no. 2,

2010, p. 5-6.

Ricordeau, Gwénola. « Les prisonniers ont-ils (encore) une sexualité ? », Le sociographe 2008/3

(n° 27), p. 32-42.

Rostaing, Corinne. « La compréhension sociologique de l'expérience carcérale », Revue européenne

des sciences sociales, vol. xliv, no. 3, 2006, p. 29-43.

Salle, Gregory. « Théorie des champs, prison et pénalité. Vers la construction du « champ

pénitentiaire » », Actes de la recherche en sciences sociales 2016/3 (N°213), p. 4-19.

Touraut,Caroline. « Entre détenu figé et proches en mouvement. « l'expérience carcérale élargie » :

une épreuve de mobilité », Recherches familiales 2009/1 (n° 6), p. 81-88.

Touraut,Caroline. « Les proches de détenus et leurs rapports ordinaires au droit pénitentiaire »,

Droit et société 2014/2 (n° 87), p. 375-392.

Vuattoux Arthur. « Adolescents, adolescentes face à la justice pénale », Genèses, 2014/4 (n° 97), p.

47-66

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Liens internet

Allaria Camille, ORDCS, http://ordcs.mmsh.univ-

aix.fr/publications/Documents/Rapport_Recherche_ORDCS_N7.pdf, consulté le 30 Avril 2017

Ban Public, http://prison.eu.org/spip.php?article10074, consulté le 30 Avril 2017

Béatrice Borghino , http://www.genreenaction.net/IMG/pdf/Article_Cideff-_Janvier-Mars_2009.pdf

, consulté le 30 Avril 2017

Soullez Christophe, Rizk Cyril et Huger Lucie , INHESJ et ONDRP,

http://www.lemonde.fr/mmpub/edt/doc/20101005/1420311_312c_lettre-repere-13.pdf, consulté le

30 Avril 2017

Vuattoux Arthur, https://genrelyon2014.sciencesconf.org/41871/document, consulté le 30 Avril

2017

Textes de lois

Ministère de la Justice, https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?

cidTexte=LEGITEXT000006069158, consulté le 30 Avril 2017

Ministère de la Justice, http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSK1340024C.pdf, consulté le 30

Avril 2017

Autres

Exposition « Les mauvaises filles » au Centre d'Exposition Historique PJJ de Savigny-sur-Orge,

Février 2016

Godeau, Pierre. Éperdument, 2016 [document multimédia]

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Liste des Annexes

Encart Méthodologique

Annexe 1 : Fiche Projet CRIPS

Annexe 2 : Fiche Projet Planning Familial

Annexe 3 : Activité jeu « Câlin-malin »

Annexe 4 : Fiche Projet Atelier d'Expression à la vie affective et

sentimentale

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ENCART METHODOLOGIQUE

A - De la question de départ à la problématique

Lors des stages de première année et lors de mes expériences précédentes à la PJJ, j'avais

participé à des ateliers de médiation éducative autour de la vie sexuelle, mais uniquement avec des

jeunes garçons. En arrivant au SECJD, la possibilité de travailler avec des jeunes filles incarcérées

m'avait été faite, proposition que j'avais accepté. Rapidement, j'ai pu intégrer le Pôle Santé du

service qui mettait en place des activités autour de la vie sexuelle, tant chez les garçons que chez

les filles. Cependant, je trouve que nous avons en France une approche très préventive lorsqu'il

s'agit d'éducation à la vie sexuelle. C'est une approche largement influencée par les politiques de

santé publique, qui ont à mon sens un écueil, celui d'oublier l'affectif et du sentimental dans

l'éducation à la sexualité. Cet écueil se retrouve aussi dans l’approche de la question dans les

activités que nous pouvons mettre en place en tant qu'éducateur.

Ce point de vue critique sur nos méthodes éducatives, m'a rapidement amené à me questionner sur

la place que l'on donne à la vie affective et sentimentale en détention mineur, et plus

particulièrement chez les filles. Ainsi ma question de départ était : comment peut -on aborder la

notion de sentiment et d'affectivité avec les adolescentes incarcérées au quartier mineur ?

En travaillant avec les filles, qui était un public que je ne connaissais avant mon arrivée au

SECJD, je me suis rendue compte qu'elles n'avaient pas l'espace collectif nécessaire pour exprimer

leurs sensations, émotions et ressentis. Les temps où ils leur étaient possible de penser aux

personnes qu'elles aimaient (de la famille aux amis), tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, étaient des

moments de solitude en cellule. Les jeunes filles étaient donc seules avec toutes ces pensées, parfois

tristes, parfois heureuses, et qu'en dehors des entretiens éducatifs où elles pouvaient exprimer leurs

émotions, il n'y avait aucun atelier collectif lié à cette thématique hormis des séances animées avec

le jeu « Câlin-malin » autour l'éducation à la vie sexuelle et affective.

Pourtant, la vie affective et sentimentale est présente chez chacun d'entre nous et donc chez les

adolescentes. Les conditions d'enfermement n'aident pas les jeunes filles à s'exprimer et sont parfois

le déclencheur d'un repli sur soi. La notion d'espace venait donc percuter la première réflexion.

Il n'était donc plus seulement question d'une méthode à appliquer pour parler de la vie affective et

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sentimentale, mais aussi de création d'un lieu d'expression. La notion d'intérieur et d'extérieur à la

détention semblait aussi liée à mes premières interrogations.

La problématique de recherche devint donc : En quoi créer un espace d'expression à la vie

affective et sentimentale au sein du Quartier Mineur Filles, est il un outil éducatif, alliant

travail sur les émotions et construction d'un bien-être allant au-delà des barreaux ?

B - L’élaboration des hypothèse(s) de recherche

En débutant le travail de recherche, j'avais en tête cinq hypothèses qui allaient se confirmer ou

non au fil du travail de mémoire.

La première hypothèse était directement liée au genre du public auquel j'allais m'intéresser. La vie

affective et sentimentale était elle plus facilement abordable avec les jeunes filles et pourquoi ? Le

genre et les représentations sociales de ce que doit être et penser une jeune fille, sous entendu tendre

à se construire une famille, un idéal de vie que l'on pourrait qualifier de fleur bleue pourrait amener

plus facilement les échanges autour de la vie affective et sentimentale en collectif féminin. La

problématique du genre s'élargissait aussi à celui des professionnels en contact avec les détenues : à

savoir au Quartier Mineure filles, uniquement des femmes surveillantes et du côté des

professionnels éducatifs, une majorité de femmes. La mixité plus que réduite venait aussi

questionner la manière de travailler à la PJJ en détention, et peut être une plus grande sensibilisation

des professionnelles à un espace d'expression à la vie affective et sentimentale pour ces jeunes

filles.

Les conséquences de l'enfermement sur les jeunes filles et sur la vision de l'extérieur allaient former

ma deuxième hypothèse de travail. L'enfermement pouvait apparaître comme douloureux et donc

cet espace d'expression arrivait comme un temps d'apaisement à cette souffrance de l'incarcération.

Mais aussi, ce travail sur l'intime dans un cadre contraint pourrait aider à se livrer sur soi même,

parfois en utilisant d'autres médias que la parole, je pense ici à l'art-thérapie.

Une troisième hypothèse est venue plus précisément avec le travail au sein de la nursery. Car si j’ai

parlé de liens avec l'extérieur, nous sommes aussi face à des jeunes filles enceintes ou devenues

mères en prison. La création de ce lien affectif maternel entre 4 murs n'est pas chose évidente,

surtout pour une mineure. Peut être encore plus qu'à l'extérieur, cette présence du (bon) lien affectif,

de l'amour que l'on porte à son enfant permet de se justifier en tant que bonne mère et donc rentrer

dans cet l'idéal féminin. Dans ce cas, la complexité de ce travail est de composer avec la maternité

et le suivi éducatif au pénal et dans la découverte du lien mère-enfant. Cette gymnastique demande

de l'adaptabilité et de mettre parfois de côté le pénal pour privilégier les espaces et modalités

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d'interactions propices aux jeunes filles pour qu'elles deviennent mères au sens large de ce qu'est la

maternité.

C - Méthodes de recueil et d’analyse des données

Le carnet de bord a été un élément essentiel de la recherche. Il m'a suivi durant les deux années

de formations à l'ENPJJ68 et sur les différents terrains de stage. En arrivant au stage long de

deuxième année, j'ai continué à l'alimenter. Je l'ai aussi utilisé pour voir l'évolution de mon

cheminement professionnel. Il a donc été une source riche de recueil de données, tant dans les

propos des jeunes en entretien éducatif ou en activité, mais aussi des professionnels de terrain

d'institution parfois différentes.

J'ai aussi mené des entretiens avec les jeunes filles qui participaient à l'atelier d'expression à la vie

affective et sentimentale mis en place. Si ces entretiens étaient dans un premier temps liés à

l'activité, ils ont aussi été très riches en apport concernant mon travail de recherche.

Les séances d'ateliers d'expression à la vie affective et sentimentale m'ont aussi apportés beaucoup

d'éléments de compréhension et d'analyse. J'animais ces ateliers, donc toutes les données ont été

retranscrites dès la fin de la séance, avec parfois un recul très intéressant. Les jeunes filles étaient

informées de ma démarche et elles ont aussi participé aux retranscriptions, ce qui m'a donné des

pistes d'analyses sur leur ressenti autour d'une activité sur l'intime. La combinaison de l'animation et

de la recherche a été possible par ce temps de recul et par un positionnement volontairement en

retrait de ma part lors des activités : j'ai ainsi pu mener phase d'observation et d'analyse de manière

distincte.

J'ai aussi pu mener un entretien exploratoire avec la collègue art-thérapeute afin de mieux

comprendre son approche de travail. Cela m'a aidé dans mon travail éducatif pour amener certaines

jeunes filles à participer aux ateliers d'art-thérapie, mais aussi à comprendre l'action de ma collègue

et ses objectifs de travail.

Toutes les données collectées ont ainsi pu être analysées et mises en lien avec les lectures

scientifiques et mes hypothèses de recherche. Ce temps d'analyse m'a permis de prendre du recul et

me détacher du terrain : le but était d'arriver à une analyse distanciée lors du passage à l'écrit.

68 École Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse

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D - L’élaboration des hypothèse(s) d'action

En arrivant sur le service éducatif en détention, j'ai pu participer avec des collègues aux ateliers

santé mis en place avec le jeu « Câlin-malin ». Je trouvais l'activité intéressante, mais elle ne

remplissait pas la fonction d'un lieu d'échange à la vie affective et sentimentale puisque le jeu est un

support pédagogique plus centré sur l'éducation à la vie sexuelle et affective, avec l'apport de

connaissances en la matière. Je me suis donc inspirée de cette activité en m'appuyant sur le jeu

« Câlin-malin » pour créer un atelier d'expression à la vie affective et sentimentale. En mettant en

place à des horaires différents cet atelier et en partant des cartes du jeu « Câlin-malin », j'ai pu créer

un temps distinct et propice à un échange autour des émotions, sensations et ressenti.

En adaptant le jeu à mon atelier, j'ai évité l'ambiance du groupe de parole qui peut faire peur et un

média pédagogique se glissait entre les jeunes filles et moi.

Le but de cet atelier était de créer un espace investit par les jeunes filles dans lequel la parole sur les

émotions et sensations était libre, alors même que le cadre carcéral englobait ce même atelier. Le

paradoxe de la liberté dans un univers contraint et de l'amour dans un lieu déshumanisant allait

démontrer tout l'intérêt de la création de cet espace pour ces jeunes filles.

E - Description de la phase d'expérimentation et évaluation

L'atelier a pu être mis en place dès le mois de Novembre. J'ai donc pu animer plusieurs séances et

ainsi recueillir des observation venant de moments et de jeunes filles différentes.

L'atelier se divise en trois parties : la séance collective et la possibilité d'entretien individuel et de

séance d'art-thérapie par la suite. Il a donc fallut associer ma collègue art-thérapeute au projet. Je lui

ai dans un premier temps fait part de mes motivations et objectifs que nous avons pensé d'une

manière commune en lien avec son intervention en art-thérapie.

Nous avons convenu que je n'aurais pas de retour décrit et détaillé des séances d'art-thérapie, ces

derniers rentrant dans le cadre d'une thérapie par le média art. En revanche, j'ai pu avoir accès aux

observations de ma collègue art-thérapeute et nous avons fixé ensemble les objectifs ou les points à

travailler avec chaque jeune fille en fonction des retours des premières séances.

Ce travail conjoint a été très bénéfique pour certains suivis éducatifs de jeunes filles ; l'action

conjointe et la participation à l'espace d'expression a permis de pointer du doigt une problématique

en lien avec une carence affective profonde ou sur l'estime de soi. Cette problématique aurait pu

émerger lors d'entretiens éducatifs classiques ou au contraire rester enfouie chez la jeune fille,

emprisonnée au sens propre comme figuré par une sensation d'étouffement.

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Cette expérimentation a aussi montré son intérêt dans la création du lien avec les jeunes filles et

entre elles. Il me semble que le lien a été parfois plus simple à créer sur des temps d'activités que

lors d'entretiens éducatifs parfois plus formels et impressionnants pour les jeunes filles. C'est aussi

ce que l'on recherche en mettant en place des activités : voir les jeunes filles sous un angle différent

et leur montrer que nous ne sommes pas uniquement dans une intervention au tout-pénal.

Je continuerais d'animer cet atelier l'année prochaine, peut être avec un autre média que le jeu

« Câlin malin ». Je pense qu'il serait possible de créer cet espace avec un photo langage par

exemple. Le photo langage est un média qui permet de s'exprimer au travers d'une photo ou d'une

image qui met en lumière une pensée, une représentation grâce à la symbolique. Cela permettrait de

renouveler l'atelier tant pour les jeunes filles que pour le professionnel l'animant.

F - Points forts et limites de la démarche

• Points forts

L'un des points forts a été la réussite de l'expérimentation et l'adhésion des jeunes filles à cet

atelier d'expression à la vie affective et sentimentale. J'ai pu en tirer des bénéfices sur deux points :

apprendre à mener des activités de médiation éducative et travailler avec des jeunes filles dont je

n'avais pas le suivi et donc m'adapter rapidement à elles. Cela a été très bénéfique à mon stage, et à

l'apprentissage de la profession d'éducateur en détention.

Les éducateurs en détention tiennent à mettre en place des activités et à les animer, cela apporte aux

suivis éducatifs et d'un point de vue professionnel, cela permet aussi de partager des moments hors

« temps pénal » autour des compétences personnelles ou des appétences pour un sujet en particulier.

Partager et recevoir avec le public est une des missions de la PJJ.

J'ai aussi pu développer grâce à cette activité au sein de l'équipe une attention sur ce thème. J'ai pu

non seulement travailler avec ma collègue art-thérapeute qui était déjà au fait du travail autour des

émotions, mais aussi faire des retours d'ateliers à d'autres collègues éducateurs et les sensibiliser à

cette thématique. La reconduction de l'atelier témoigne d'ailleurs d'une certaine satisfaction tant du

public que de l'ensemble de l'équipe.

D'un point de vue personnel, je me suis aussi enrichie grâce aux formations proposées par le CRIPS

sur le sujet. L'équipe de direction du service a toujours donné son accord pour que j'y participe et

cela a non seulement permis de mettre en place de manière efficace le projet mais aussi de

m'apporter des connaissances que j'ai pu intégrer à ce travail de recherche et dans ma pratique

professionnelle.

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• Limites de la démarche

Le temps, toujours trop court, a parfois été un frein à la recherche. Le recueil de données,

l'analyse et le passage à l'écriture ont pris de longues heures de travail. La démarche était

passionnante mais il y a comme une frustration de ne pas avoir pu creuser encore loin, eu plus de

données, avoir déroulé d'autres entretiens, je pense notamment avec des professionnels extérieures à

la détention.

L'autre limite a été le petit nombre de jeunes filles concernées mais cela est la cause du faible

nombre de détenues mineures. Il fallait aussi que les jeunes filles participant à l'atelier comprennent

et parlent le français, ce qui n'est pas le cas pour toutes. De fait, le nombre de jeunes filles

concernées pouvait parfois se réduire à 5 ou 6 sur plusieurs semaines.

Cependant, si l'atelier n'a pu toucher l'ensemble du quartier mineur de la MAF, cela a permis de

revoir les mêmes jeunes filles sur plusieurs séances et d'approfondir certaines émotions, sensations

et ressentis.

Enfin, il a aussi été par moment compliqué de se mettre en accord avec le fonctionnement de la

détention. Certaines listes d'activités ont pu être refusées parce que des jeunes filles avaient des

interdictions ponctuelles de se rencontrer : ce sont des mesures de bonne ordre interne à la

détention. Des ateliers ont donc été supprimés, retardant notre travail mais aussi avec des

conséquences sur les jeunes filles qui souvent attendaient avec impatience ces temps. Il a donc fallut

apprendre à s'harmoniser avec l'univers carcéral et accepter que notre travail en soit directement

impacté, parfois de manière totalement arbitraire, très éloignée de notre mission éducative. C'est

toute la difficulté à travailler en détention : nous devons exercer avec une administration misant sur

le répressif, c'est à dire à l'opposé de la mission éducative première à la Protection Judiciaire de la

Jeunesse.

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ANNEXE 1

CRIPS Activité régulière

Activité vacances scolaires

Référent(s) SECJD :

Partenaires extérieurs : OUI

Public visé : L’ensemble des mineur(e)s de la MAF et du D4Groupe jusqu’à 8 jeunes maximum, avec accord de l'AP

Lieu de l’action : Aile scolaire, salle CRIPS

Description de l’action : Les séances sont basées sur des méthodes actives pour favoriser l’expression des participants. Deux modalités sont possibles-un groupe de jeunes différents pour chaque séances-un même groupe de jeunes sur plusieurs séances pour approfondir et compléter les informations de base ou de travailler plus longuement sur l’un ou l’autre thème.

Chaque séance aura pour contenu :-les relations amoureuses et l’engagement de son corps dans la relation sexuelle-le respect de l’autre, le consentement, la loi-les risques liés aux infections sexuellement transmissibles

SERVICE EDUCATIF DUCENTRE DE JEUNES

DETENUS*******

ACTIVITÉ DE MÉDIATION

ÉDUCATIVE

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Objectifs pédagogiques de l’action : -Aider les jeunes à développer les compétences nécessaires pour faire des choix favoralbes à leur santé en lien avec les situations qu’elles peuvent rencontrer dans leur vie affective et sexuelle.Il s’agira en particulier de :-faire réfléchir sur les relations amoureuses-mieux connaître son corps-informer sur les méthodes de protection-aider à identifier les ressources et favoriser la demande d’aide.

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ANNEXE 2

Référent(s) SE CJD : …………………………………………………………………………………………

Partenaires extérieurs : OUI NONCoordonnées :

Public visé : L'ensemble des mineures de la MAF. Groupe de 8 maximum, si accord de l'AP

Lieu de l’action : Salle activité cuisine

Description de l’action : Session de 5 séances par trimestre.Le groupe est stable pour une évolution dans l'information.

Chaque séance aura un thème en fonction des besoins des jeunes filles. Ces besoins peuvent être fixés en amont avec le service éducatif.

Objectifs pédagogiques de l’action : Informer les jeunes filles quant à leurs droits et sur les services proposés par le Planning

SERVICE EDUCATIF DUCENTRE DE JEUNES

DETENUS*******

ACTIVITÉ DE MÉDIATION

ÉDUCATIVE □ Activité régulière□ Activité vacances scolaires

Séances Planning Familial

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Familial. Le but est d'établir un contact avec elles, et les mettre en relation avec nos partenaires en fonction du secteur. Il y a aussi un objectif d'écoute et d'échange, notamment pour les jeunes filles en danger ou sous la coupe de réseau (prostitution mais aussi recel...

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ANNEXE 3

Mise à jour : janvier 2014

Câlins-malins : le jeu de l’amour et du hasard Description : Ce jeu se présente sous la forme d’un jeu de questions réponses sur la vie affective et sexuelle. Type de support : jeu de questions-réponses Age du public : 13-15 ans / 16-18 ans Thématique : Vie affective et sexuelle Editeur : ADIJ 22 Date : 2010

Fiche descriptive

Utilisation : en groupe / avec un animateur Types de savoirs développés par l’outil L’acquisition de savoirs Le développement de savoir être Objectifs pédagogiques de l'outil Au cours de l’animation, les participants :

- acquièrent des informations sur la sexualité (la contraception et IST, et les relations affectives)

- acquièrent des connaissances sur la législation et les droits en matière de sexualité - travaillent sur les représentations et les idées reçues sur la contraception, les IST (Infections

Sexuellement Transmissibles), les relations de couple, la grossesse désirée ou non, la sexualité

- identifient les lieux et personnes ressources en cas de besoin - développent des compétences relationnelles par l’échange et le débat sur des questions

relatives à la sexualité

Thèmes abordés VIH/ IST et stratégies de prévention Relations affectives, amoureuses et sexuelles Grossesse, contraception et parentalité Stéréotypes et sexualité (genre, sexisme, homophobie) Adolescence et puberté Compétences psychosociales mobilisées Savoir communiquer efficacement

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Mise à jour : janvier 2014

Câlins-malins : le jeu de l’amour et du hasard Description : Ce jeu se présente sous la forme d’un jeu de questions réponses sur la vie affective et sexuelle. Type de support : jeu de questions-réponses Age du public : 13-15 ans / 16-18 ans Thématique : Vie affective et sexuelle Editeur : ADIJ 22 Date : 2010

Fiche d’utilisation

Rappel de s objectifs pédagogiques de l'outil Au cours de l’animation, les participants :

- acquièrent des informations sur la sexualité (la contraception et IST, et les relations affectives)

- acquièrent des connaissances sur la législation et les droits en matière de sexualité - travaillent sur les représentations et les idées reçues sur la contraception, les IST (Infections

Sexuellement Transmissibles), les relations de couple, la grossesse désirée ou non, la sexualité

- identifient les lieux et personnes ressources en cas de besoin - développent des compétences relationnelles par l’échange et le débat sur des questions

relatives à la sexualité Matériel Pour l’animation : Une mallette (30X50 cm) en bois comprenant :

• 1 plateau de jeu (5 cartons à assembler de 50x 40 cm chacun) • 1 dé et 6 pions • 47 cartes questions :

7 cartes vertes : “les moyens de contraception et les dérapages” 6 cartes rouges : “le cycle feminin et le corps humain” 9 cartes jaunes : “la relation amoureuse et la sexualité” 9 cartes mauves :” les situations à risque et les MST” 7 cartes oranges : “la grossesse” 7 cartes bleues : “les informations pratiques”

• 2 cartes défis Pour l’animateur /-trice :

• un guide expliquant la règle du jeu et donnant des conseils d’utilisation

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Mise à jour : janvier 2014

Règles du jeu Ce jeu se présente sous la forme d’un jeu de l’oie. Chaque équipe jette le dé, avance son pion et se trouve sur une case question ou défi.

• les questions permettent un échange entre les jeunes et l’animateur. • les défis proposent des jeux d'écriture, de poèmes ou de lettres d'amour afin de permettre

l’expression sur la dimension affective et amoureuse. Une bonne réponse ou un défi réussi permet l’acquisition de points. L’équipe gagnante est celle qui a le plus de points à la fin de la partie. Conseils d'utilisation de l'outil Taille du groupe : de deux à six équipes de quatre à six joueurs maximum. Durée du jeu : 1h30 Deux personnes sont conseillées : un animateur de jeu et un expert Rôle de l’animateur : faciliter l’échanger, arbitrer, répartir de la parole, attribuer les points Rôle de l’expert : être à l’écoute des échanges, repérer les idées reçues et les lacunes, reformuler et apporter des informations complémentaires. Avantages et limites de l'outil Avantages : l’acquisition de connaissances se fait de façon ludique

Limites : l’attribution de points pour les réponses jugées « bonnes » dans le but d’être l’équipe gagnante met les équipes dans une logique de compétition (et non de collaboration)

L’échange, la nuance et le débat sur certaines questions liées aux représentations reste ainsi limitée par le cadre compétitif du jeu.

Pistes d'utilisation / outils complémentaires

• Relations et prévention / GSF (Gynécologie sans frontière) (Nantes, France) • Info/ intox (cartes « Vie affective et sexuelle ») / Cybercrips

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ANNEXE 4

Référent(s) SE CJD : …………………………………………………………………………………………

Partenaires extérieurs : OUI NONCoordonnées :

Public visé : L'ensemble des mineures de la MAF (nursery comprise). Groupe de 8 maximum, si accord de l'AP

Lieu de l’action : Salle activité cuisine

Description de l’action : Séance animée par une éducatrice en détournant le jeu câlin-malin (utilisation des questions les plus larges sur l'amour, la relation à l'autre... et non pas les questions se rapportant à une dynamique de prévention). Le but étant de permettre un espace d'échanges autour de la vie affective et sentimentale amicale, familiale et amoureuse.

Objectifs pédagogiques de l’action : L'objectif est de créer un espace d'expression à la vie affective et sentimentale. Les jeunes

SERVICE EDUCATIF DUCENTRE DE JEUNES

DETENUS*******

ACTIVITÉ DE MÉDIATION

ÉDUCATIVE

Séances Planning Familial

□ Activité régulière□ Activité vacances scolaires

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filles doivent donc être volontaires. L'objectif n'est pas la prévention mais la mise en commun d'anecdotes, de moments de vie en lien avec la vie affective et sentimentale des adolescentes. Cela comprend aussi bien la vie familiale,amicale et amoureuse qu'elles menaient à l'extérieur de la détention, ou bien ce que l'enfermement produit sur ces relations et les nouvelles qui s'y forment aussi. L'échange peut ouvrir sur : -des entretiens individuels avec l'éducatrice animatrice, pour permettre un échange plusconfidentiel.-possibilité de temps d'art-thérapie afin d'exprimer ses émotions suite aux échanges d'une manière moins duelle que l'entretien.

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Résumé :

La détention est-elle un lieu où il est possible de parler de la vie affective et sentimentale ?

Cette question pourrait mettre en réflexion la représentation commune de la prison comme étant un

lieu déshumanisé, où les détenu(e)s deviennent des numéros d'écrous.

Comment pouvons-nous en tant qu'éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse travailler la

vie affective et sentimentale en détention ?

Et si ce mémoire s'axe plus précisément autour de la prise en charge éducative des jeunes filles

incarcérées, singularité du terrain de recherche, qu'en est-il de la construction du genre dans notre

travail éducatif ?

Ce questionnement autour du genre se pose tant pour les professionnels que pour les usagers.

Mots-Clefs : Détention – Vie affective et sentimentale – Genre – Filles – Extérieur – Travail

éducatif