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Page 1: Mondes du Tourisme
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Mondes du Tourisme 

16 | 2019Tourisme et emplois : singularités, permanences,transformationsTourism and professions: singularities, permanence, transformations

Christophe Guibert, Jean Lagueux et Nathalie Montargot (dir.)

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/tourisme/2301DOI : 10.4000/tourisme.2301ISSN : 2492-7503

ÉditeurÉditions touristiques européennes

Référence électroniqueChristophe Guibert, Jean Lagueux et Nathalie Montargot (dir.), Mondes du Tourisme, 16 | 2019,« Tourisme et emplois : singularités, permanences, transformations » [En ligne], mis en ligne le 01décembre 2019, consulté le 18 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/tourisme/2301 ;DOI : https://doi.org/10.4000/tourisme.2301

Ce document a été généré automatiquement le 18 octobre 2020.

Mondes du tourisme est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution- Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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Ce numéro thématique de la revue Mondes du tourisme est intitulé « Tourisme et

emplois : singularités, permanences, transformations ». Il entend répondre à diverses

problématisations qui caractérisent les spécificités contemporaines de l’emploi dans le

domaine du tourisme. Sept articles mobilisant des cadres disciplinaires variés (droit,

histoire, géographie, sciences de gestion) et divers terrains internationaux abordent la

question de l’emploi mais aussi des formations.

This thematic issue of the journal Mondes du tourisme is entitled "Tourism and

professions: singularities, permanence, transformations". It intends to respond to

various problematizations which characterize the contemporary specificities of

employment in the tourism field. Seven papers mobilizing various disciplinary

frameworks (law, history, geography, management sciences) and various international

fields tackle the question of employment but also courses and diplomas.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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SOMMAIRE

Éditorial

Tourisme et emplois : singularités, permanences, transformationsChristophe Guibert, Jean Lagueux et Nathalie Montargot

Recherche - Dossier: Tourisme et emplois : singularités, permanences,transformations

Contribution à une approche renouvelée des statistiques sur l’emploi touristiquePhilippe Violier

Faire d’une passion une profession : la place des syndicats d’initiative dans le tourismefrançaisJulie Manfredini

Le cadre juridique de travail des employés de service du secteur de la restauration. Laquestion spécifique du salaireLouis Jolin

Réformes territoriales et exercice de la compétence tourisme par l’institution publiquedépartementale française. Cas exploratoires de la Charente-Maritime et des Deux-SèvresJérôme Piriou et Marie-Noëlle Rimaud

Engagement des étudiants en tourisme, hôtellerie et restauration envers leur domained’études et leur carrière : les facteurs déterminantsJean Lagueux et Audrey Nanot

L’évolution du discours sur les ressources humaines en tourisme : entre théories et pratiquesmanagérialesBoualem Kadri, Mohamed Reda Khomsi et Cyril Martin

Quelles ressources humaines pour le tourisme de mémoire ? Le profil des agents prestatairesde services lors des funérailles bamilékés du CamerounBertrand Dongmo Temgoua

Actualités de la recherche

Comptes rendus de thèse

Aurore GIACOMEL, Les enjeux du travail émotionnel individuel et collectif dans les groupeshôteliers multinationaux : la complexité de l’équilibre émotionnel au service del’homéostasie organisationnelleThèse de doctorat en sciences de gestion de l’Université d’Angers, dirigée par Dominique Peyrat-Guillard (soutenuele 18 septembre 2019)Aurore Giacomel

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Étienne GUILLAUD, De l’attrait à l’usure. Les trajectoires professionnelles des éducateurssportifs en nautismeThèse de doctorat en sociologie, Université de Nantes, dirigée par Annie Dussuet et Gildas Loirand (soutenue le10 décembre 2018)Étienne Guillaud

Lectures critiques

Laurent Sébastien FOURNIER et Fiorella GIACALONE (dir.), L’Europe pèlerine. Religion ettourismeL’Harmattan, 2017, 275 p.Christophe Guibert

Maria GRAVARI-BARBAS et Sébastien JACQUOT, Atlas mondial du tourisme et des loisirs. DuGrand Tour aux voyages low costAutrement, 2018Véronique Mondou

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Éditorial

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Tourisme et emplois : singularités,permanences, transformationsChristophe Guibert, Jean Lagueux et Nathalie Montargot

1 Les pratiques et les destinations touristiques se diffusent dans un nombre toujours plus

grand de lieux et de pays. La diversification des manières de « faire du tourisme »

constitue également une caractéristique contemporaine. Pour autant, à chaque étape,

chaque niveau du « système touristique » (MIT, 2005), les fonctions exercées par les

professionnels, bien qu’en mutation, sont centrales afin de proposer une offre de

services touristiques en cohérence avec les attendus et exigences des touristes eux-

mêmes. Activité marchande, le tourisme présuppose donc, de l’acte de réservation

(d’un séjour, d’une chambre d’hôtel, d’un cours de parapente par exemple) à la

prestation (visite d’un lieu patrimonial ou d’une cave viticole, pratique d’une activité

sportive par exemple), tout un enchevêtrement d’activités professionnelles nécessitant

des compétences et des savoir-être propres aux offres de services de type touristique. Si

les tâches et fonctions des emplois touristiques sont variées au sein d’un « espace

pluriel » (Guillaud, 2018), renforçant dès lors le piège de la charge sémantique et

nominale que peut revêtir clandestinement ce terme, les rémunérations sont d’une

part assez hétérogènes (allant du salaire minimum à plus du double du salaire

minimum, y compris pourboires et autres gratifications) et les niveaux de qualifications

sont, d’autre part, également très disparates (du CAP au Bac +5 en France par exemple).

Les transformations économiques, technologiques, culturelles et sociétales qui peuvent

être identifiées dans la plupart des secteurs professionnels affectent également le

champ du tourisme. Partant, plusieurs thématiques, engageant autant de questions,

peuvent être identifiées – sans que celles-ci ne soient exhaustives.

Effet structurant du « numérique »

2 La multiplication des procédures, plus ou moins formalisées, liées au développement

d’Internet, telle que la réservation « en ligne » de produits touristiques (séjours,

circuits, hébergements, etc.), ont des effets qualitatifs et quantitatifs sur les métiers

« historiques » du secteur touristique. De « nouveaux » métiers, de nouvelles tâches

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professionnelles émergent. Comment le déploiement des nouvelles technologies dans

des plans stratégiques digitaux est-il accepté et intégré sur le terrain par le personnel ?

Comment celui-ci perçoit-il l’évolution de ses fonctions, de son métier ? (Sotiriadis et

Varvaressos, 2016). Comment les voyagistes ont-ils opéré des transformations sociales

(p. ex. rationalisation des effectifs salariés en agence de voyage) ? Quelles ont été les

stratégies de positionnement et/ou de repositionnement stratégique des entreprises du

secteur face à la concurrence internationalisée ? Quelle forme prend l’offre touristique

lorsque les individus ne sont plus au centre de la prestation de service (services

touristiques en ligne comme les visites guidées en baladodiffusion (podcast), service de

conciergerie virtuel, etc.) ?

Visibilité/invisibilité

3 Si les métiers du tourisme sont, dans les représentations spontanées, identifiables aux

personnels d’accueil (dans les offices de tourisme, dans les hôtels, campings et

résidences, au sein des sites touristiques patrimoniaux, etc.) et de service (moniteurs

d’activité sportive – ski, surf, voile, etc. –, guide conférencier, animateur de colonie,

etc.), il existe de nombreuses professions éloignées physiquement et symboliquement

du contact direct avec les clientèles touristiques. Les personnels de service (Pinna,

2013) tels que les « femmes de chambre » ou les plongeurs, dans la restauration en

particulier, bien qu’invisibles (Castel, 1999) aux yeux des touristes ou circonscrits à de

courtes et rares interactions, sont néanmoins primordiaux et nécessaires dans le « bon

fonctionnement » d’une offre touristique. De surcroît, de plus en plus d’emplois reliés

au tourisme le sont en arrière-scène (back office) mais ajoutent beaucoup de valeur à la

prestation de service. Quelles sont, dès lors, les formes de reconnaissance pour les

acteurs de part et d’autre des frontières de l’accueil ?

Des professionnels à contre-espace et contretemps

4 Le temps des vacances, des congés est caractérisé par une forte concentration,

hivernale et estivale surtout, à la fois spatiale (les stations de ski, les stations

balnéaires) et temporelle. Or, être salarié (ou à son compte) d’une entreprise ou d’une

association de services touristiques, c’est travailler à contretemps et contre-espace,

autrement dit hors des lieux et temporalités des cadres de vie ordinaires des touristes

(Sébileau, 2014). Comment, toutefois, conjuguer activité professionnelle estivale lors

des congés scolaires et vie familiale ? Comment pérenniser une vie conjugale lorsqu’on

fait « les saisons » (en été à la plage comme moniteur de voile, l’hiver comme guide de

haute montagne) ? Quelles solutions collectives (telles que les groupements

d’employeurs dans certaines régions) sont inventées pour faciliter l’emploi des

saisonniers et les fidéliser ? Pour quels résultats ? De quelles façons le tourisme peut-il

surmonter ces contraintes temporelles sectorielles propres pour rendre l’emploi

touristique globalement plus attractif ?

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Page 9: Mondes du Tourisme

Conjuguer passion et activité professionnelle

5 En lien avec la thématique précédente, de nombreux travaux ont montré que

l’engagement sur le modèle de la passion, dans certains secteurs professionnels,

constituait une spécificité que l’on peut adosser au secteur touristique. Passionné de

« vieilles pierres », passionné de surf (Guibert et Slimani, 2011) ou d’équitation, des

professionnels du tourisme s’engagent dans des carrières à l’aune de leurs propres

pratiques personnelles, de leurs passions. Comment ces professionnels négocient-ils la

place de leur passion dans leur activité professionnelle ? Si l’on considère l’envers du

décor, peut-on parler de désenchantement, voire de désillusion ? Les emplois

touristiques font-ils toujours partie d’un projet de carrière ou bien s’agit-il seulement

d’un passage avant de trouver un emploi plus « prometteur » ?

Une relation d’emploi spécifique ?

6 En dehors de la possible conjugaison passion/activité professionnelle, quelle est la

nature de la relation d’emploi des différents professionnels du tourisme, acteurs de ce

secteur par choix ou par contrainte ? Quelles sont ses éventuelles spécificités, ses

différentes formes eu égard au niveau de qualification des emplois ? Comment peut-elle

être appréhendée dans le cadre d’une théorie de l’échange social renouvelée

(Cropanzano et al., 2017) afin d’aider à prévoir les comportements au travail au-delà

d’un simple décryptage a posteriori et de susciter les comportements désirables pour des

organisations du secteur touristique confrontées à de nouvelles exigences (hôtellerie

life style, approche narrative, contact enrichi personnalisé, etc.) ? Comment s’articulent

les comportements positifs et négatifs des professionnels du tourisme confrontés à des

expériences de travail variées et parfois imprévisibles (engagement/retrait,

comportements citoyens/comportements contreproductifs, confiance/défiance, jeu

émotionnel en profondeur/jeu émotionnel en surface, etc.) ? Quel est le rôle des

partenaires sociaux, souvent peu présents, dans la définition des contrats sociaux ?

Les stratégies RH : permanences ou révolution(s) ?

7 En appui des thématiques précédentes et prenant en compte les effets conjoncturels de

la crise économique qui touche, quoique différemment, les pays européens et nord-

américains, comment se définissent ou se redéfinissent les stratégies entreprises en

termes de « politique RH » ? Quelles articulations sont possibles entre les stratégies RH

corporate et leur déclinaison sur le terrain ? La croissance touristique mondiale met une

pression sur l’offre touristique, qui à son tour exerce une pression sur la demande de

main-d’œuvre. Cette même main-d’œuvre est également sollicitée par d’autres secteurs

d’activité, souvent plus attrayants pour l’employé. Quelles sont les nouvelles stratégies

utilisées par les entreprises touristiques pour accéder à de nouveaux bassins de

travailleurs et pour retenir ces derniers ? Enfin, les formations proposées (en présentiel

ou en e-learning) sont-elles en adéquation avec les emplois et les compétences

recherchés par les organisations touristiques ? Quelle place est accordée aux soft skills

dans les programmes de formation et dans les politiques de recrutement ?

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8 Pour répondre à ces diverses problématisations, sept articles mobilisant des cadres

disciplinaires variés (droit, histoire, géographie, sciences de gestion) et des terrains

internationaux spécifiques abordent la question de l’emploi mais aussi des formations.

L’article de Philippe Violier, intitulé « Statistiques et emploi », propose une critique

argumentée des modalités de production et des usages des données statistiques

spécifiques à « l’emploi touristique », pointant les enjeux de définition dont sont issues

les fausses évidences et les erreurs interprétatives. Le texte proposé par Julie

Manfredini, « Faire d’une passion une profession, la place des syndicats d’initiative

dans le tourisme français », interroge, sous l’angle de l’histoire, la création progressive

de métiers singuliers au sein des « syndicats d’initiative » à la fin du XIXe siècle. Les

convictions des élites culturelles locales ont contribué à structurer la

professionnalisation des premières associations de promotion touristique. Louis Jolin

analyse, du point de vue du droit, « Le cadre juridique de travail des employés de

service du secteur de la restauration. La question spécifique du salaire ». Un parallèle

est proposé entre les situations des « employés à pourboire » au Québec et en France.

Jérôme Piriou et Marie-Noëlle Rimaud analysent quant à eux les effets des

transformations institutionnelles à l’œuvre en France à l’aune d’une comparaison

localisée. Leur article, « Réformes territoriales et exercice de la compétence tourisme

par l’institution publique départementale française. Cas exploratoire de la Charente-

Maritime et des Deux-Sèvres », analyse spécifiquement l’échelon des comités

départementaux du tourisme et les assignations de compétences qui leur sont liées.

Jean Lagueux et Audrey Nanot, dans un article intitulé « Engagement des étudiants en

tourisme, hôtellerie et restauration envers leur domaine d’études et leur carrière : les

facteurs déterminants », questionnent les motivations et les prédispositions des

étudiants à s’engager dans des formations diplômantes au Canada. À partir d’une

enquête quantitative, ils montrent que les expériences et les satisfactions des étudiants

lors d’expériences professionnelles passées sont centrales pour saisir leur niveau

d’investissement dans leurs formations respectives. Boualem Kadri, Mohamed Reda

Khomsi et Cyril Martin proposent une étude relative à « L’évolution du discours sur les

ressources humaines en tourisme : entre théories et pratiques managériales ». Cet

article interroge, en particulier à partir d’un corpus de la revue Espaces, tourisme et

loisirs, la prise en compte du tourisme comme objet de recherche scientifique, ainsi que

la construction sociale des discours et des théories qui lui sont liés. Enfin, Bertrand

Dongmo Temgoua, dans l’article intitulé « Quelles ressources humaines pour le

tourisme de mémoire ? Le profil des agents prestataires de services lors des funérailles

bamilékés du Cameroun », analyse l’adéquation entre le profil des acteurs du tourisme

et leur formation. Au-delà de la qualification initiale, l’efficacité de ces agents dépend

également de compétences et de connaissances singulières, telles que les conventions

sociales attachées au phénomène des funérailles bamilékés.

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BIBLIOGRAPHIE

Robert CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale, Folio Essais, 1999.

Russel CROPANZANO, Erica ANTHONY, Shanna DANIELS, Alison HALL, « Social exchange theory : A critical

review with theoretical remedies », The Academy of Management Annals, n° 11(1), 2017.

Équipe MIT, Tourismes 2. Moments de lieux, « Mappemonde », Belin, 2005.

Christophe GUIBERT et Hassen SLIMANI, Emplois sportifs et saisonnalités. L’économie des activités

nautiques : enjeux de cohésion sociale, L’Harmattan, 2011.

Étienne GUILLAUD, De l’attrait à l’usure. Les trajectoires professionnelles des éducateurs sportifs en

nautisme, thèse de doctorat en sociologie, Université de Nantes, 2018.

Gabriele PINNA, « Vendre du luxe au rabais : une étude de cas dans l’hôtellerie haut de gamme à

Paris », Travail et emploi, n° 136, 2013.

Arnaud SÉBILEAU, « Rester après la saison : l’économie symbolique du néoruralisme balnéaire »,

Juristourisme, n° 163, 2014.

Marios SOTIRIADIS et Stelios Varvaressos, « Crucial Role and Contribution of Human Resources in

the Context of Tourism Experiences : Need for Experiential Intelligence and Skills », dans Marios

SOTIRIADIS et Dogan GURSOY (dir.), The Handbook of Managing and Marketing Tourism Experiences,

Emerald Group Publishing Limited, 2016.

AUTEURS

CHRISTOPHE GUIBERT

Maître de conférences en sociologie, Université d’Angers, UFR ESTHUA Tourisme et culture,

Laboratoire ESO (UMR CNRS 6590), [email protected]

JEAN LAGUEUX

Sciences de gestion, ESG UQAM, [email protected]

NATHALIE MONTARGOT

Professeure associée, docteur en sciences de gestion, La Rochelle Business School – Excelia Group,

CEREGE (EA1722), [email protected]

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Recherche - Dossier: Tourisme etemplois : singularités, permanences,transformations

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Contribution à une approcherenouvelée des statistiques surl’emploi touristiqueContribution to a renewed approach to the tourist employment statistics

Philippe Violier

1 Cette analyse s’inscrit à la suite d’une réflexion sur le dénombrement des « voyageurs »

internationaux selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) et les institutions

gouvernementales publiée récemment (Stock, Coeffé et Violier, 2017). Dans le même

ordre d’idées, des données sont mobilisées au sujet des emplois touristiques. Ainsi, le

global des emplois en France est estimée à +/- 10 %. L’effectif salarié dans le secteur

serait de l’ordre de 8 % du total (1 038 559 sur 12 839 130) selon le Mémento du tourisme

2017 (données de 2016), publication annuelle de la direction générale des Entreprises du

ministère de l’Économie et des Finances. Les recherches sur cette question dans la

littérature scientifique s’appuient sur les données produites par les organismes

institutionnels. Si une distance est parfois prise (Clergeau, 2013), nous relevons que cet

angle de l’emploi est peu travaillé (Raboteur, 2000), quand le sujet n’est pas seulement

effleuré (Sinclair et Stabler, 1997 ; Caccomo, 2007 ; Vellas, 2007 ; Botti et al., 2013). Nous

nous proposons donc, dans cet article, de nous interroger tout d’abord de manière plus

précise sur les conditions dans lesquelles ces données sont produites ; nous montrerons

ainsi les biais qui perturbent l’analyse. Puis, nous esquisserons une piste de recherche

pour établir des données plus robustes.

1. Une combinaison entre choix par défaut etraisonnement économique

2 Les données sur l’emploi en France sont élaborées par deux organismes institutionnels.

D’une part, l’Insee a publié en 2015 un numéro d’Insee Première consacré à l’emploi

touristique local, soit les emplois « directement liés à la présence de touristes sur le lieu

de leur séjour » (Durieux et al., 2015, p. 1). Ce choix met de côté, de fait, le secteur des

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Page 14: Mondes du Tourisme

transports ainsi que celui des agences de voyage, mais confond le tourisme et les

voyages d’affaires. D’autre part, le Mémento du tourisme, publié par la direction générale

des Entreprises aborde également la question des emplois, notamment dans sa dernière

édition (2018, chiffres de 2017). L’analyse de ces deux publications permet d’informer

plusieurs critiques.

3 Premièrement, la base de la définition d’un secteur du « tourisme » s’inscrit dans la

comptabilité nationale, dont l’objet consiste à mesurer la valeur ajoutée produite par

l’économie nationale. Elle vise de ce fait à éviter les doubles comptes provenant des

chevauchements possibles entre différentes branches. Ainsi, les déplacements des

« touristes » qui animent ce secteur économique à côté de ceux effectués par les

habitants ne sont pas pris en compte, puisqu’ils sont déjà inclus dans la branche

transport. La branche du « tourisme » est ainsi construite à partir des « activités

caractéristiques », appellation qui couvre un ensemble hétérogène dont l’unité ne tient

qu’au fait qu’aucune autre branche de la comptabilité nationale ne les englobe. C’est

donc un choix par défaut. Afin cependant de ne pas minimiser les effets économiques

du « tourisme », l’OMT a recommandé l’usage du compte satellite du tourisme (CST)

qui, à côté des activités caractéristiques, évalue la contribution du secteur aux autres

branches et permet de mesurer la consommation touristique intérieure des résidents et

des non-résidents, en France.

4 Or parmi les branches du « tourisme », trois d’entre elles rassemblent 89 % des

emplois : les « hébergements touristiques » pour 17 %, les « restaurants et cafés » pour

49 % et les « services non urbains de transport » pour 23 %.

5 Si les entreprises de l’hébergement peuvent être, en grande partie, considérées comme

relevant des mobilités, toutes ces dernières relèvent-elles du tourisme au sens strict ?

Nous touchons là à une question fondamentale qui partage les chercheurs : les uns,

pour délimiter le tourisme, s’approprient la définition en usage dans les institutions et

défendue par l’OMT1 ; les autres défendent une approche plus restrictive, soit un

système qui a pour finalité la recréation des individus, ce qui exclut de fait les voyages

d’affaires, les pèlerinages et autres voyages scolaires (Knafou et Stock, 2003). Ces

auteurs insistent sur le fait que le tourisme est une mobilité du temps libre, qui place

les individus au centre des choix essentiels (choix de la destination, des compagnes et

compagnons de voyage, de l’usage du temps sur place… ; alors que dans les voyages

d’affaires, les décisions relèvent de la stratégie de l’entreprise, y compris pour les

voyages dits de stimulation, de récompense ou autres) (Stock et al., 2018).

6 C’est également loin d’être le cas des restaurants et des cafés, qui sont également

fréquentés par les habitants. Les proportions de non-résidents, dont les touristes, et

d’habitants au sein de leur clientèle sont variables selon les lieux. La DGE le reconnaît

d’ailleurs :

Les indicateurs d’activité, d’emplois et de démographie d’entreprises mentionnésportent sur l’ensemble des secteurs liés au tourisme, sachant qu’une partieseulement de ces secteurs, variable selon les cas, relève effectivement du tourisme.Ainsi, par exemple, le total des emplois ne concerne pas que l’emploi touristique,mais la totalité de l’emploi dans les secteurs caractéristiques du tourisme. (DGE,2017, p. 23)

7 Or cette précaution, prise dans l’ouvrage, est systématiquement oubliée dans les

communications ultérieures, notamment lorsque sont proclamées les données sur

l’emploi touristique.

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Page 15: Mondes du Tourisme

8 Deuxièmement, ce choix est aussi inspiré par le modèle de la « chaîne de valeur » et par

une définition économiciste du tourisme, qui réduit le tourisme à un échange

marchand, alors que la part du non-marchand est importante. Selon les statistiques de

la DGE elle-même, les personnes qui résident en France et qui passent une nuit en

dehors de leur résidence principale, dans le cadre de voyages personnels, ont eu

recours en 2017, pour 62,4 % des nuitées, à des hébergements non marchands2. Là

encore, la part du tourisme est difficile à apprécier au sein de cette catégorie des

« voyages personnels » car elle englobe, outre le tourisme au sens strict, les visites aux

parents et amis qui relèvent des relations sociales et revêtent donc un caractère

obligatoire du point de vue des normes sociales. Mais le non-marchand génère des

activités marchandes : bâtiment, construction, entretien paysagiste, alimentation… Ces

dépenses sont prises en compte dans le CST au titre des dépenses des touristes.

9 Troisièmement, les personnels des organisations institutionnelles ne sont pas pris en

compte dans ce décompte des emplois. Or, le réseau « Tourisme & territoires », qui

anime les agences départementales, revendique sur son site 2000 emplois3. Il

conviendrait également d’ajouter les emplois occupés au sein des structures locales et

intercommunales, ainsi qu’au niveau régional.

10 Ensuite, dans la publication de la DGE les données incluent les services des agences de

voyage et voyagistes, alors que l’Insee (Durieux et al., 20015) les exclue en se

concentrant sur « l’emploi local ». Certes, l’activité des agences de voyage – appellation

qui recouvre aussi bien les agences de voyage au sens strict, qui sont des points de

vente, que les tour-opérateurs qui élaborent les prestations, circuits et séjours

distribués par les premières – est en grande partie orientée vers l’outgoing. Mais une

partie de l’activité de cet ensemble est au contraire orientée vers l’accueil in situ et

relève donc bien de l’emploi local. Certaines entreprises notamment, les agences

réceptives, sont totalement orientées vers cette fonction.

11 Enfin, outre le flou qui entoure la définition du périmètre du secteur et donc des

emplois qui en relèvent, l’analyse longitudinale est également perturbée par des

modifications fréquentes. En nous basant sur trois éditions du Mémento du tourisme,

nous avons pu établir le tableau suivant, qui met en évidence les modifications

apportées. La colonne de droite indique les observations que nous inspire cette

approche longitudinale. Nous avons retenu trois années : 2009 comme année de base

pour conduire les observations ; 2013 car il n’y a pas de changement entre 2009 et 2013 ;

et enfin 2015. Des catégories sont apparues en 2013 et 2015. Certaines ont vu leur

périmètre redéfini. Une autre a été mentionnée en marge du tableau en 2009. Une

dernière a disparu en 2013. Notons cependant qu’elles portent sur des effectifs réduits.

Tableau 1. Évolution des catégories statistiques prises en compte dans le Mémento du tourisme,publié annuellement par la DGE

2009 2013 2015

Apparition de

nouvelles catégories

Sites et monuments

historiques

(2 956 emplois)

Organisation de jeux de

hasard et d’argent

(17 528 emplois)

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 16: Mondes du Tourisme

Évolution du

périmètre de

certaines catégories

Activités récréatives

(7 834 emplois)

Parcs d’attraction et

autres services récréatifs

(31 849 emplois)

Catégories

mentionnées en

marge

Location de courte

durée de voitures…

(11 491 emplois)

Disparition de

catégories

Entretien corporel

(9 071 emplois en 2009)

2. Position de recherche : inverser le modèle

12 Il est prématuré de proposer une méthode alternative. Nous pouvons seulement inviter

à engager une réflexion qui, au lieu de définir a priori un ensemble de secteurs et en se

fondant sur un concept robuste du tourisme, partirait des pratiques réelles des

individus touristes qui génèrent des dépenses auprès d’entreprises et d’organisations

qui pourraient dès lors être considérées comme relevant du tourisme, dans une

proportion à définir. L’emploi en serait ensuite déduit. La démarche consiste à

identifier, en premier lieu, les pratiques des touristes. Ensuite, nous mobilisons la

typologie des lieux, selon le principe que, parmi les lieux touristiques, certains sont

spécialisés et donc une grande partie de leurs emplois dépendent du tourisme, tandis

que dans d’autres, polyfonctionnels, seule une partie, à déterminer, des emplois peut

être qualifiée de touristique. Il serait enfin nécessaire d’introduire une dimension de

saisonnalité.

2.1. Les comportements des touristes

13 La première étape consiste à identifier des contextes touristiques types à partir, d’une

part, des modes d’accès aux lieux touristiques pratiqués par les individus. Nous

proposons de mobiliser une modélisation (schéma 2) déjà publiée (Stock et al., 2018).

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 17: Mondes du Tourisme

Schéma 2. Position de recherche à partir d’un modèle économique/chaîne de valeur alternatif

Source : élaboré par l’auteur, publié dans Stock et al., 2018

14 La modélisation que nous proposons repose sur une analyse des pratiques qui oppose

deux situations extrêmes. D’une part, les individus sont confrontés, pour mettre en

œuvre leur projet touristique, à une forte altérité objective, c’est-à-dire que des

horizons d’altérité peuvent être définis (langue, culture, manières d’être, mal être

corporel…) résultant de l’hétérogénéité culturelle ou biophysique du monde. Pour

affronter cette altérité, les individus sollicitent des technologies spatiales (Stock, 2008),

telles que le voyage organisé tout compris pour une pratique de découverte ou le séjour

en hôtel-club dans le cas d’une recherche de repos ou de jeux. La chaîne de valeur

(agent de voyage-tour opérateur-transporteur-hébergeur) fonctionne. Dans ces

situations il est possible de considérer que la très grande partie des emplois est

strictement cantonnée aux entreprises caractéristiques du tourisme.

15 Dans le détail, cependant, deux nuances peuvent être apportées. D’une part, la chaîne

de valeur est concurrencée par des médiations opérées par des relations sociales

(parents et amis) qui offrent aux individus des alternatives. D’autre part, sur leur lieu

de destination, les individus trouvent des marges de manœuvre dans l’articulation

entre les établissements contrôlés par les grands groupes capitalistes, inclus dans la

chaîne de valeur, et les artisans locaux qui gravitent à proximité et qui n’y sont pas

intégrés. Par exemple, à Maurice, l’expérience de nager avec les dauphins est

essentiellement proposée dans la Baie de Tamarin par de petites entreprises locales,

alors qu’une grande part de la fréquentation de l’île reste contrôlée par les grands

groupes maîtrisant les hôtels-clubs.

16 À l’opposé, en situation de forte familiarité, les touristes entrent en relation directe, ou

non intermédiée, avec des entreprises variées. C’est notamment le cas lorsque des

individus qui résident en France métropolitaine y déploient également leurs pratiques

touristiques. Or ce cas de figure est dominant : en 2017, 19 % seulement des nuitées

induites par les voyages personnels ont eu pour cadre un pays étranger ou les DOM

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

15

Page 18: Mondes du Tourisme

(DGE, 2018). C’est aussi le cas lorsque des non-résidents ont acquis, grâce à des séjours

fréquents, des compétences poussées – pas nécessairement dans le même lieu, car une

partie des savoirs peut être réinvestie ailleurs. Dans ce cas, une grande partie des

besoins sont satisfaits de façon autoproduite par les touristes, notamment

l’alimentation, le transport, voire même l’hébergement. L’estimation du volume

d’affaires est d’ailleurs difficile à établir car la familiarité favorise l’économie

informelle.

17 Entre ces deux situations extrêmes, une configuration intermédiaire peut être définie,

qui associe la chaîne de valeur traditionnelle pour les fonctions de transport et

d’hébergement et une constellation au sein de laquelle les individus piochent selon

leurs projets.

18 Cette première approche préalable consiste donc à identifier les combinaisons de types

de systèmes d’acteurs présents.

2.2. Mobilisation de la typologie des lieux

19 Une seconde approche aborde la question par les lieux. Dans leur analyse, Durieux et al.

(2015) esquissent une telle démarche en distinguant les effets du tourisme sur l’emploi

selon différents types d’espace. Leur analyse est cependant élaborée à partir d’une

approche classique, fondée sur les distinctions géographiques entre littoral et

montagne, d’une part, et entre ville et campagne, d’autre part. Elle est certes un peu

sophistiquée par l’introduction de distinction selon les tailles de ville (unité urbaine

parisienne, grandes unités urbaines, unités urbaines moyennes), l’altitude (haute

montagne, moyenne montagne) ou les littoraux (méditerranéen, corse, atlantique,

breton). Mais cette approche tend à naturaliser les distinctions. Par ailleurs, la notion

de station est mobilisée mais sans que les auteurs n’explicitent ce dont il s’agit et en

limitant son application à la seule montagne.

20 Une approche plus fine est nécessaire (tableau 2), qui mobilise une typologie des lieux

(Équipe MIT, 2002 ; Duhamel, 2018). En effet, dans les lieux créés ou inventés par le

tourisme, il est possible de considérer que l’essentiel des activités est animé par le

tourisme et donc près de 100 % des emplois peuvent y être affectés. Il s’agit des lieux

créés par le tourisme, comme les comptoirs ou les stations. Toutefois, ces dernières

constituent également des lieux de vie, donc la part du tourisme dans l’emploi y est

moindre, de l’ordre de 80 à 90 %. Au-delà, les stations littorales ont fortement évolué

depuis les années 1970-1980 avec des processus de diversification économique,

notamment en matière de résidentialisation, à savoir l’accueil de populations,

notamment retraitées, qui choisissent d’habiter à l’année dans les lieux autrefois

nettement dominés par le tourisme. Cette évolution se produit également pour des

actifs qui s’installent dans des stations touristiques dès lors que la croissance de la

mobilité contemporaine, dans une société à individus mobiles (Stock, 2005), permet

d’accéder quotidiennement à des emplois. Il faudrait donc ajuster en fonction de la

dynamique démographique locale.

21 Dans les lieux investis, deux cas peuvent être distingués : d’une part, ceux dans lesquels

le tourisme constitue le principal moteur économique (sites – lieux que les touristes

visitent mais dans lesquels ils ne dorment pas ; villages ou villes touristifiés – lieux

historiques subvertis par le tourisme, devenu moteur économique principal, comme

Cordes ou Venise). D’autre part, dans les villes touristiques, le tourisme est un secteur

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

16

Page 19: Mondes du Tourisme

parmi d’autres, il faudrait donc estimer son poids et déterminer les branches

entraînées.

Tableau 2. Part des emplois touristiques selon les différents types de lieu

Type Sous-type Caractéristiques principales Mesure des emplois

Lieux créés ou

inventés par le

tourisme

ComptoirLieux fermés gérés par un seul

opérateur100 %

Station Lieux créés par le tourisme mais

ouvert80 à 90 %

Station villeIdem mais processus de

diversification en cours

60 à 80 % selon l’intensité

de la diversification

Lieux investis par le

tourisme

Ville

touristique

Le tourisme est un secteur

économique parmi d’autres

10 à 15 % selon la

touristicité

Ville étapeIdem mais la fonction

d’hébergement domine10 %

Ville

touristifiée

Le tourisme est devenu la

fonction principale80 à 90 %

22 Il faudrait ensuite (tableau 3) combiner les deux approches car les comportements des

touristes ne sont pas homogènes. Ainsi, dans un même lieu, situé le long du littoral en

France, des touristes relativement autonomes, par exemples des résidents dotés de

fortes dispositions et compétences, côtoient d’autres touristes, davantage hétéronomes

du fait de leur confrontation à un degré plus ou moins élevé d’altérité, notamment les

non-résidents, qui les porte à privilégier la mobilisation de la chaîne de valeur, ou des

résidents qui font le choix d’un séjour tout compris qui correspond mieux à leur projet

du moment.

Tableau 3. Croisement entre le comportement des touristes et les types de lieux

Forte

altérité

Altérité

intermédiaire

Forte

familiarité

Station côte atlantique française 10 % Dominante 90 %

Station haute montagne très

renommée40 % 30 % 30 %

Paris 20 % 30 % 50 %

23 Enfin, il faudrait également tenir compte de la saisonnalité afin de pondérer les emplois

en équivalent temps-plein.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

17

Page 20: Mondes du Tourisme

24 La piste que nous proposons consiste donc à enquêter auprès des touristes pour

connaître leurs pratiques réelles en matière de satisfaction de leurs besoins. Ensuite,

une estimation du volume d’affaires réalisé par des transactions touristiques au sens

stricte et de manière expérimentale, et non sur une base conventionnelle peu discutée,

permettrait d’évaluer la part du tourisme dans les activités présentes dans les lieux et

de déduire le nombre d’emploi au prorata entre les achats effectués par les touristes et

ceux effectués par les habitants.

Conclusion

25 Une telle approche serait certes minutieuse, mais elle ne présente pas de difficultés

insurmontables. Il suffit peut-être, pour être réaliste, de renoncer à vouloir produire

des données annuellement, pour un résultat assez peu intéressant tant les variations

d’une année sur l’autre sont minimes. Sortir de l’illusion et des faux-semblants nous

semble mériter une approche un peu plus construite, même si elle se révèle

relativement longue à mettre en œuvre.

BIBLIOGRAPHIE

Laurent BOTTI, Nicolas PEYPOCH et Bernardin SOLONANDRASANA, Économie du tourisme, coll. « Les

topos », Dunod, 2013.

Jean-Louis CACCOMO (dir.), Fondements d’économie du tourisme. Acteurs, marchés, stratégies, coll. « Les

métiers du tourisme », De Boeck, 2007.

Cécile CLERGEAU, « Création de richesses par le tourisme », dans Philippe VIOLIER (dir.), Le tourisme,

un phénomène économique, coll. « Études », La Documentation française, 2013.

DIRECTION GÉNÉRALE DES ENTREPRISES, Mémento du tourisme, parution annuelle.

DIRECTION GÉNÉRALE DES ENTREPRISES, Les chiffres clés du tourisme, parution annuelle.

Philippe DUHAMEL, Géographie du tourisme et des loisirs. Dynamiques, acteurs, territoires, coll. « U »,

Armand Colin, 2018.

Stéphanie DURIEUX, Pascal EUSEBIO et David LÉVY, « Un million d’emplois liés à la présence de

touristes. La moitié dans les espaces urbains », Insee Première, n° 1555, juin 2015.

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Rémy KNAFOU et Mathis STOCK, « Tourisme », dans Jacques LÉVY et Michel LUSSAULT, Dictionnaire de la

géographie et de l’espace des sociétés, Belin, 2003.

Joël RABOTEUR, Introduction à l’économie du tourisme, L’Harmattan, 2000.

Thea M. SINCLAIR et Michael John STABLER, The economics of tourism, Routledge, 1997.

Mathis STOCK, « Les sociétés à individus mobiles : vers un nouveau mode d’habiter ? »,

EspacesTemps.net, 2005 [https://www.espacestemps.net/articles/societes-individus-mobiles/].

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

18

Page 21: Mondes du Tourisme

Mathis STOCK, Vincent COËFFÉ et Philippe VIOLIER, avec la collaboration de Philippe DUHAMEL, Les

enjeux contemporains du tourisme. Une approche géographique, Presses universitaires de Rennes,

2017.

François VELLAS, Économie et politique du tourisme international, Economica, 2006.

NOTES

1. Lorsque la démonstration nous oblige à mobiliser la définition ou l’appellation « tourisme » au

sens de l’OMT et des institutions, beaucoup trop large pour nous, le mot apparaît entre

guillemets.

2. Selon Les chiffres clés du tourisme en France, édition 2018, autre publication de la DGE.

3. Cf. site internet : https://www.tourisme-territoires.net/rn2d/

RÉSUMÉS

Cet article analyse, dans un premier temps, les statistiques sur l’emploi touristique publiées par

la direction générale des Entreprises du ministère de l’Économie et des Finances. Elles sont

fondées sur une catégorie dite des « activités caractéristiques » qui isole certaines branches de

l’économie, lesquelles, dans la réalité, fournissent des services également consommés par les

habitants, comme la restauration et les cafés. Par ailleurs, cette mesure n’est pas stable dans le

temps. Ensuite, nous proposons une contribution pour une approche plus fine qui se fonde sur les

pratiques des touristes et sur une typologie des lieux et espaces touristiques.

This paper analyses firstly the tourist employment statistics published by the Directorate General

for Enterprise (D.G.E) of the French Ministry of Economy and Finance. Such statistics are based

upon a category named “typical activities” that isolates certain sectors of the economy, which in

reality provide services consumed by local inhabitants, for instance restaurants and cafés.

Furthermore, such a measurement is not stable over time. Secondly, we propose here a

contribution to a much more precise approach based upon the tourist practices and a typology of

tourist places and spaces.

INDEX

Mots-clés : statistique, emploi, consommation, tourisme

Keywords : statistics, employment, consumption, tourism

AUTEUR

PHILIPPE VIOLIER

Géographie, Université d’Angers, Esthua, UM ESO

[email protected]

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

19

Page 22: Mondes du Tourisme

Faire d’une passion une profession :la place des syndicats d’initiativedans le tourisme françaisTurning a passion into a profession: the place of tourist offices in French tourism

Julie Manfredini

1 Si le fait touristique fait son apparition au début du XIXe siècle avec la multiplication de

l’usage des termes tourist et tourism, outre-Manche puis en France, le processus

d’industrialisation marque particulièrement la seconde moitié du siècle. Catherine

Sicart en rappelle le processus opératoire, comprenant la modernisation des

transports, les mutations du système bancaire, les transformations urbaines ainsi que

l’apparition d’organismes officiels spécialisés dans le voyage (Sicart, 2008). L’intérêt

pour cette activité à fort potentiel économique fit rapidement l’objet d’études

économiques, lui conférant de fait un statut (Sicart, 2008)1. S’il est difficile de percevoir

l’apport économique du tourisme, par manque de données statistiques, cette activité

prend suffisamment d’importance pour intéresser de nombreuses catégories

socioprofessionnelles, façonnant et consolidant les réseaux touristiques. Si

« l’ouverture officielle du chantier scientifique du tourisme » ne date que de 1929

(Sicart, 2008, p. 120), la lente professionnalisation des acteurs touristiques se met en

place dès la fin du XIXe siècle avec l’apparition d’acteurs peu à peu spécialisés dans la

mise en tourisme du territoire.

2 En effet, si l’État ne s’intéresse officiellement au tourisme qu’à partir de 1910, avec la

mise en place de l’Office national du tourisme (ONT) et ce malgré un succès relatif, les

syndicats d’initiative (SI) apparaissent en France dès 1889 et construisent rapidement

les premiers réseaux touristiques. L’étude proposée ici s’appuie sur notre thèse,

intitulée Le rôle des syndicats d’initiative dans la construction de l’identité française de la fin

du XIXe siècle aux années 19702, rédigée à partir des documents émis par les SI et révélant

les différentes personnalités intéressées par le tourisme. Elle reprend la périodisation

initiale, de la naissance du premier SI à Grenoble en 1889 – modèle qui sera suivi par

des centaines d’autres – aux années 1970, marquées par leur lente disparition au profit

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

20

Page 23: Mondes du Tourisme

des offices du tourisme (OT)3. À travers l’étude des comptes-rendus des conseils

d’administration des SI, de leur correspondance, de leurs bilans de trésorerie, de leur

publicité touristique, ainsi que des articles de journaux relatant leurs actions, les

premiers constats montrent une forme associative locale innovante, regroupant

l’ensemble des professions intéressées par le tourisme, selon le modèle des sociétés de

développement suisses. Dans un premier temps dévolus à l’accueil et au renseignement

des touristes, les SI accomplissent la mise en tourisme du territoire sous de multiples

formes et valorisent le patrimoine local, qu’il soit matériel ou immatériel. Comme

l’explique Nabila Oulebsir, les SI, très tôt considérés comme les bases du tourisme

réceptif, sont devenus des « agence de marketing » (2011, p. 127), dont les actions

dynamiques et variées étaient connues des réseaux touristiques, reconnues par l’État,

mais peu soutenues. Les difficultés quotidiennes, accompagnées d’un appui national

insuffisant, ont fait des SI les parents pauvres du tourisme français. Néanmoins, ils ont

joué un rôle essentiel dans la mise en tourisme du territoire et dans la reconnaissance

des professionnels du tourisme pendant quatre-vingt ans. Les SI mentionnés dans cet

article concernent l’ensemble du territoire français, révélant des pratiques communes.

Toutefois, à plusieurs occasions, nous nous appuyons sur certains SI particuliers,

comme celui de Grenoble qui, par sa naissance et le modèle qu’il constitue, est

particulièrement cité ici. De même, le SI de Provence et celui de Saint-Brieuc

représentent des exemples solides du processus de création d’une identité territoriale

forte, dont les traces sont encore visibles aujourd’hui à travers les marques

« Provence » et « Bretagne ». Néanmoins, c’est la multiplicité des exemples pris sur

l’ensemble du territoire métropolitain français qui révèle l’ampleur de cet engagement

des élites culturelles locales.

3 À travers cet article, il s’agit de raconter l’histoire de ces bénévoles passionnés par leur

ville, leur région ou leur patrie, de l889 aux années 1970, et d’observer ce « monde

multiforme » (Levati, 2009) qui place le tourisme au cœur de ses préoccupations.

L’écriture du voyage, sous toutes ses formes, est « l’un des fondements de l’industrie

touristique » (Hoerner et Sicart, 2003, p. 82) auquel les SI français contribuent

grandement par leur publicité, activité qui représente les deux tiers de leur budget. En

effet, à travers les guides, dépliants puis affiches – héritiers des livres de voyages –, les

SI dressent le portrait de la destination touristique. Cette « image culturelle »4,

attendue par les touristes, est issue de l’héritage culturel des acteurs touristiques et

reflète leurs connaissances et leurs passions, constitutives de leur identité. Ainsi, en

écrivant l’histoire non exhaustive de ces acteurs, passionnés et avant-gardistes,

moteurs de ces associations, nous dressons le portrait de ces organismes privés et

dynamiques, dotés d’une grande capacité d’adaptation, inscrits au cœur du processus

touristique français ainsi que des émotions au centre de cette construction des

destinations touristiques.

I. Le rôle de la bourgeoisie culturelle au sein du SI

Composition d’un SI

4 D’après les sources utilisées, les SI s’inscrivent au cœur des réseaux touristiques

français notamment grâce au cumul des fonctions, pratique courante et recherchée. De

nombreux corps de métiers sont suffisamment intéressés par le tourisme pour être

régulièrement présents dans la liste des membres (cf. illustration 1), même si notre

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

21

Page 24: Mondes du Tourisme

étude ne peut être exhaustive5. D’ailleurs, nous verrons combien la composition des SI

illustre les transformations de la société et de son époque. Cependant, si certains points

communs peuvent être relevés, aucun SI ne se ressemble, chacun préférant définir son

identité en fonction des besoins de sa communauté. Comme le montre l’illustration 2,

différents acteurs ont, tour à tour, été au cœur des SI. Dans un premier temps, les

membres de la noblesse et de la bourgeoisie traditionnelle jouent un rôle important,

tant dans la formation des syndicats que dans le financement de leurs actions. La

réputation de certains noms offre un appui non négligeable, même si ces acteurs

deviennent rapidement membres honoraires, délaissant les hautes fonctions une fois le

plaisir de l’innovation disparu. Ils laissent ainsi la place aux élites modernes, soucieuses

de s’investir tant dans la politique culturelle locale que sur le territoire alentour, qui

vont diriger les SI pendant soixante ans avant que la marchandisation du tourisme et

des loisirs ne fasse la part belle aux professionnels du tourisme.

Illustration 1. Composition des SI

Nom du SI Membres du bureau - leur fonction- leur métier ou position sociale

SI de Nancy et des

Vosges

En 1903

H. Gutton -président- architecte et administrateur du tramway

Ph. Berger - vice-président - conseiller général de Giromagny

A. Parisot - vice-président - administrateur de la société des Thermes de

Plombières

J. Garnier - vice-président - industriel

Perrigot-Masure - secrétaire- président AC Vosgien

SI de Lyon

En 1910

A. Rivoire - président - membre de la chambre de commerce et président

honoraire du syndicat des horticulteurs

A. Millet - vice-président - ancien juge au tribunal de commerce

F. Quinnon - vice-président - délégué au TCF

SI de Bollène

En 1930

E. Gachet - président- …………

L’abbé Clavel -vice-président - religieux

Commandant Dugloud - vice-président - militaire

Escoffier - trésorier - banquier

J. Raoux - secrétaire ou archiviste - artiste

Auriac - secrétaire ou archiviste - imprimeur

SI de Fontainebleau

En 1935

É. Sinturel - président - inspecteur principal (forêt de Fontainebleau)

R. Galant - vice-président - artiste

Capitaine Aubertin - vice-président - militaire

C. Ballen de Guzman - secrétaire - notable équatorien installé à

Fontainebleau

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

22

Page 25: Mondes du Tourisme

Illustration 2. Les catégories sociales des membres des SI et leur évolution

5 Ces membres, quelle que soit leur origine sociale, ont de nombreux points communs,

dont leur dynamisme, leur intérêt pour le tourisme, leurs passions culturelles et une

grande capacité d’engagement en faveur de leur territoire. Ensemble, ils participent à

la construction d’une culture commune de référence. L’exemple du SI de Grenoble,

étudié dans la thèse de Bertrand Larique (2006, p. 147), nous éclaire quant au

recrutement des membres du SI et révèle un élargissement du recrutement au début du

XXe siècle. En effet, comme l’illustre le graphique 1, le SI grenoblois recrutait en 1899

principalement au sein de la ville : près de 86 % des membres du SI résidaient en ville,

seules 59 personnes ne provenaient pas de la capitale du Dauphiné. Au début du siècle,

les SI tentent de consolider leur assise régionale en recrutant leurs membres sur un

territoire plus vaste. De fait, en 1910, le SI de Grenoble compte 664 adhérents dont 224

ne résident pas dans la ville mais sont issus d’autres départements comme la Savoie, la

Haute-Savoie, la Drôme et les Hautes-Alpes (cf. graphique 2).

Graphique 1. Composition des SI, l’exemple Grenoblois en 1889

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

23

Page 26: Mondes du Tourisme

Graphique 2. Composition des SI, l’exemple Grenoblois en 1910

Affirmation des élites culturelles6

6 Si certains corps de métiers sont très intéressés par les retombées économiques du

tourisme, comme les hôteliers, les restaurateurs ou les commerçants (dont les épiciers,

les cafetiers, les limonadiers ou les boulangers), ce ne sont pourtant pas eux les plus

actifs. En effet, tout comme les grands propriétaires rentiers présents parmi les

pionniers, les professionnels intéressés par le tourisme sont, dans un premier temps,

soit relégués au titre de membres d’honneur, soit fondus dans la masse des adhérents.

Ce sont les élites modernes, comme les avocats, les industriels, les membres des

chambres de commerce ou les publicistes qui semblent devenir les moteurs de cette

association touristique. Cette situation, accentuée par un manque d’engagement de la

part des professionnels du tourisme, est régulièrement critiquée et dénoncée par

l’ensemble des SI alors que ces professionnels sont les premiers bénéficiaires des

retombées. Toutefois, certaines personnalités locales actives marquent les lieux et

contribuent au développement de leur ville. Ce fut le cas d’Henry de Jouvenel, sénateur

de Corrèze (1921 et 1933), animateur des État généraux du tourisme en 1913. Son action

a permis la naissance de plusieurs SI, dont cinq en Corrèze et dix en Dordogne, d’où le

surnom de « champion du tourisme » qui lui est attribué (Manigand, 2000, p. 164). Sur

le long terme, leurs actions parviennent à créer une mise en tourisme efficace du

territoire, justifiant une récompense pour certains membres. Certains se sont vus

attribuer la légion d’honneur, comme Paul Arnal, fondateur du Club Cévenol, qualifié

d’« apôtre du tourisme dans les Cévennes et les Causses » (cf. illustration 3).

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

24

Page 27: Mondes du Tourisme

Illustration 3. Paul Arnal, fondateur du club cévenol

Musée des vallées cévenoles, coll. Particulière Catherine Poudevigne

7 Comme l’explique Olivier Poujol, cette récompense, reçue en 1929, est venue célébrer

les mérites de ce passionné, très actif dans la promotion du tourisme français7. D’autres

ont reçu une récompense spécialement pensée et créée par les acteurs du tourisme

français. Entre 1949 et 19638, la croix du mérite touristique a mis à l’honneur l’œuvre de

nombreuses personnalités, grâce à l’initiative de Marcel Bellon9, président du SI du

Queyras. Lui-même a reçu cette décoration en juin 195010. Enfin, certaines villes ont pris

le parti de récompenser ces entrepreneurs du tourisme, qui ont marqué le

développement et la promotion de leur territoire, par l’attribution de leur nom à un

lieu ou un objet. Ce fut le cas à Lyon, où le nom d’Achille Lignon, président d’honneur

et fondateur du SI, fut inséré au cœur de la toponymie de la ville avec la création d’un

quai éponyme11. Ces « entrepreneurs du loisir » (Réau, 2011, p. 17) usent de leur passion

et de leurs réseaux pour compléter et diversifier l’offre touristique.

Des acteurs parfois très influents

8 Parmi les acteurs les plus influents, de par leurs qualités et leurs réseaux, les avocats

ont joué un rôle important dans les débuts des SI, allant jusqu’à s’imposer dans les plus

hautes fonctions ou se faisant les fondateurs de ces associations novatrices. Leurs

intérêts personnels ont rejoint leur passion pour le tourisme, faisant de ces grands

orateurs des acteurs indispensables. Armand Chabrand, président du SI de Grenoble en

1904, illustre la position de ce groupe12. Cet alpiniste chevronné présidait déjà la Société

des touristes en Dauphiné, avant de prendre la direction du SI et était l’auteur de

nombreux ouvrages sur les coutumes dauphinoises et le tourisme et de guides

touristiques. Sans surprise, les médecins jouent également de leur influence, profitant

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

25

Page 28: Mondes du Tourisme

de l’engouement pour le thermalisme et œuvrant au développement des stations.

Quant aux milieux journalistiques, présents et impliqués, ils n’ont cessé de s’imposer.

Rédacteurs en chef, journalistes et publicistes veillent à la promotion touristique de

leur ville, comme le fit Léon Goulette à Nancy. Journaliste de L’Est Républicain et

fondateur du SI de Nancy et des Vosges en septembre 1903, il a contribué au

développement du thermalisme vosgien, devenant un acteur indispensable du

développement économique, culturel et touristique de la région (Roth, 2004).

9

Bien que pionniers en matière de tourisme, les SI n’ont pas non plus été à contre-

courant de leur époque. Les femmes n’y ont pas de réelle place, si ce n’est comme

accompagnatrices de leurs maris. Contrairement à certaines associations

professionnelles et caritatives qui, dès la fin du XIXe siècle, offrent aux femmes uneidentité publique alors qu’elles sont exclues des

suffrages, tel n’est pas le cas des SI (Fraisse et Perrot, 2002). Au sein de notre corpus de

documents, seules deux femmes atteignent des postes élevés : Jane Raoux au SI de

Bollène dans les années 1930 et la comtesse d’Agay à la tête du SI d’Agay. La première,

artiste peintre et fille du maréchal forgeron, est mentionnée régulièrement comme

secrétaire adjointe ou archiviste jusqu’en 194613. Cette année-là, elle préside les

réunions du conseil d’administration, remplaçant momentanément le président, tout

en étant accompagnée de trois vice-présidents quand habituellement un ou deux

suffisent. La seconde, sœur d’Antoine de Saint-Exupéry, lutte sans relâche en 1949

contre le SI de Saint-Raphaël qui veut absorber celui d’Agay, jugé trop proche et

contreproductif au sein de la politique touristique locale14. En général, les femmes sont

plutôt mentionnées comme personnel d’accueil, comme c’est le cas pour le SI

d’Albertville en 192415. La plupart se perdent dans la masse des adhérents, seule une

présence figurative leur est proposée. Elles reçoivent des présents et font des visites

touristiques programmées lors des déplacements, pendant que leurs homologues

masculins discutent autour de la table. Néanmoins, la situation progresse peu à peu et

certaines deviennent déléguées du SI, comme le montre l’exemple du SI du Queyras en

1955 où quatre des cinq délégués qui œuvrent dans les territoires voisins sont des

femmes, notamment à Nice, Lyon et Toulon16. Par ailleurs, certaines sont récompensées

pour leur action en faveur du tourisme au même titre que leurs collègues masculins. Ce

fut le cas pour Odette Chevalier dont les trente années au service de la fédération de

Franche-Comté-Jura furent célébrées par l’attribution de la croix de chevalier du

mérite touristique17. Toutefois, dans les années 1960, il semble que les femmes œuvrant

à des postes élevés demeurent des exceptions ; elles sont plutôt cantonnées au rôle

d’hôtesse au sein des bureaux, comme à Grenoble où les robes bleues sont devenues

leur signe distinctif18.

II. Naissance d’une passion19, prémices d’uneprofession

Un groupe qui partage les mêmes objectifs

10 S’il existe, à la fin du XIXe siècle, des syndicats professionnels ou des associations

spécialisées dans un domaine œuvrant à la défense d’un métier ou d’un terroir, la

naissance des SI relève d’un tout autre objectif. Fondés sur le modèle des sociétés de

développement suisses, apparues dans les années 1880, les syndicats d’initiative

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

26

Page 29: Mondes du Tourisme

entendent rassembler les professionnels et particuliers intéressés par le tourisme,

directement ou indirectement. Ainsi sont nés ces « groupes de citoyens, désintéressés

qui, chacun dans [leur] localité mettent en œuvre, proportionnellement à leurs

ressources, leurs moyens propres à perfectionner les conditions de séjour de leurs

hôtes »20. Unis dans l’effort pour accomplir une œuvre nationale, les membres étaient

emplis d’idéaux et se surnommaient les « apôtres du tourisme », conscients de leur rôle

dans un système touristique fragile21. En effet, l’État se préoccupe peu du tourisme

avant la création de l’Office national du tourisme (1910) et l’intérêt de quelques

personnalités comme Étienne Clémentel, fondateur du groupe du tourisme à la

Chambre des députés en 1912 (Larique, 2007)22. Si, avant la Première Guerre mondiale,

la France se dote au niveau national d’un « tourisme à trois têtes », composé de l’Union

nationale des associations de tourisme (UNAT), de l’Union des fédérations des SI (UFSI)

et de l’Office national du tourisme (ONT), les SI locaux et régionaux sont régulièrement

salués pour leurs actions. Mais il faut attendre 1935 pour voir l’apparition d’un

Commissariat général du tourisme (Larique, 2006) institué dans le cadre de la montée

des périls et de l’instrumentalisation des acteurs du tourisme en faveur de la nation.

Ainsi, si les SI sont « au cœur du système de construction du tourisme », ce sont

également des « institutions difficiles à cerner » (Bertho-Lavenir, 1999, p. 259).

11 Aussi, dans le cadre de la lente reconnaissance des SI et de l’appui fragile dont ils

bénéficient au niveau national, le président du SI est un personnage emblématique,

entrepreneur du tourisme et souvent avant-gardiste, dont la personnalité active

marque la structure et les réseaux auxquels il participe. Décrits la plupart du temps

comme des personnalités souriantes et aimables, le côté provocateur n’est pas non plus

pour déplaire et devient parfois une qualité pour être la figure de proue du SI. Ces

qualités le font réélire notamment lorsque le « courage, l’expérience [et] l’amabilité »23

sont présents, parce qu’un bon président est un homme qui reste longtemps à la tête de

son syndicat et qui en marque l’esprit général. D’ailleurs, les plus influents au sein des

réseaux touristiques cumulent de nombreuses fonctions sur plusieurs années, leur

permettant une visibilité touristique d’un point de vue économique, culturel et

territorial. Le cas de Maître Louis Porte illustre cette influence, tant au sein du SI de

Grenoble, qu’il administre pendant vingt ans avant d’en être le président, qu’au sein

d’autres organismes tels que le comité d’organisation des JO d’hiver de 1968, les Amis

de l’université de Grenoble ou la Société dauphinoise de secours de montagne

(cf. tableau 1).

Tableau 1. L’influence des présidents des SI

Nom SI Éléments biographiques

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

27

Page 30: Mondes du Tourisme

Maître Louis

Porte

(décédé en

1965)

Élu en 1951

Réélu en 1960

et 1964

Grenoble

avocat à la cour d’appel de Grenoble

administre le SI pendant vingt ans avant d’accéder à la

présidence

administrateur du comité d’organisation des JO d’hiver

(1968)

président de la Société dauphinoise de secours de

montagne

membre de l’administration des Amis de l’université de

Grenoble.

officier du mérite touristique, de la légion d’honneur et du

mérite national

Chevalier des Palmes académiques et décoré de la croix de

guerre (14-18)

Pierre

Gravier

Élu en 1934

Réélu en 1944

Briançonnais-

Pelvoux

fondateur et président du club de hockey de Briançon

(1934).

président du comité du tourisme départemental des

Hautes-Alpes

membre du Comité régional du tourisme de Grenoble

président de l’office de tourisme des Hautes-Alpes (Gap) en

1954

vice-président de la chambre de commerce de Gap (1954)

président du syndicat des hôteliers de Cannes et membre

de l’administration du SI de Cannes

Jean Durand

En place de

1947 à 1949

Nîmes

s’occupe du SI de Nîmes depuis 1920 (secrétaire général

pendant quinze ans)

cumule les vice-présidences du Club Cévenol, du comité

des fêtes de Nîmes et de la fédération des SI de Provence

préside l’union départementale des SI du Gard

membre du CRT de Marseille

Partage et création d’une culture commune

12 Les membres du bureau du SI sont ceux qui, avec le président, œuvrent le plus à la

promotion de leur structure et de sa politique touristique. Leur étude permet de

comprendre le degré de mobilisation des intellectuels présents dans les SI, leurs

prédilections et les répercussions tant sur le territoire que sur la société locale. Ils

placent peu à peu le loisir au centre de leurs préoccupations individuelles dans l’intérêt

de la société (Corbin, 1995). En effet, ces personnalités locales sont animées d’une

passion pour leur territoire, sa promotion et le développement touristique bien avant

que les notions de vacances et de loisirs et que la propagande touristique ne soient

intégrées au quotidien des Français. Il semble qu’un fort sentiment patriotique soit

partagé par ces notabilités culturelles et rejaillisse, par leurs actions, sur l’identité de

leur territoire (Goujon, 1989). En effet, certains perçoivent leur engagement au sein du

SI comme un acte patriotique, finalement peu éloigné de l’engagement militaire, voire

comme le prolongement d’un tel engagement. Ainsi, il n’est pas étonnant d’y retrouver

d’anciens combattants ou des militaires de carrière, comme le commandant Alfred

Trouillet à Bollène24. Engagé volontaire depuis ses 18 ans, il a participé aux deux

conflits mondiaux et obtenu la croix de guerre à deux reprises ; il s’est intéressé au SI

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

28

Page 31: Mondes du Tourisme

de sa ville dès 1939. Si cette couverture était idéale en temps de guerre pour superviser

certains actes de résistance, le commandant a poursuivi son engagement civique et

culturel au sein du SI en le présidant à partir de 1946. Les membres des SI œuvrent

inlassablement à la conservation et à la promotion de l’héritage historique de leur

territoire local, établissant dès que possible des parallèles avec l’histoire nationale,

inaugurant des musées comme celui de l’archerie à Crépy-en-Valois, instaurant des

festivités comme la foire de Dijon, apposant des plaques commémoratives ou

organisant des conférences sur le tourisme régional, accompagnées de films et de

causeries à destination des élites locales. Ainsi, patrimoines matériel et immatériel sont

à l’honneur dans la politique des SI, socle solide illustré par l’émergence du patrimoine

gastronomique par exemple, où repas de célébration, apéritifs et congrès

commémorent les spécialités culinaires locales, forgeant la réputation des terroirs

gastronomiques français.

13 Cette implication dans la défense, la préservation et la promotion du patrimoine local,

et sa concrétisation par des rendez-vous touristiques, est le résultat d’une passion

dévorante de ces élites culturelles pour leur territoire et la Culture. Chacun met ainsi

ses expériences et ses compétences au service de la promotion publicitaire du

territoire. C’est le cas de Paul Ruat et de Paul Testartqui, avec leurs cartes postales, se

font les vecteurs des symboles provençaux pour le premier et de la modernisation du

territoire d’Épinal pour le second. D’autres mettent leur plume au service des SI,

comme Auguste Giry, journaliste et membre du SI de Provence, auteur d’un rapport

détaillé intitulé Du SI de Provence : l’action des SI (1917) et de plusieurs écrits sur l’identité

provençale25. Passionnées par la culture et l’histoire de leur localité, ces personnalités

se donnent les moyens de la faire connaître à travers les guides locaux ou les journaux

qu’ils créent parfois spécialement dans ce but. Ce fut le cas d’Octave-Louis Aubert,

fondateur du SI de Saint-Brieuc en 1907 et délégué de la fédération des SI de Bretagne26.

Jusqu’en 1949, ce publiciste, éditeur et historien s’est impliqué dans la promotion de ce

territoire, célébré par une multitude d’initiatives dont la création de la revue Bretagne

touristique (1922-1939) (Pallier, 1996). Enfin, la valorisation de leur territoire et de son

identité est également visible à travers certains événements dont les exemples sont

nombreux : de Jules Lafon et la Paulée de Meursault à Jean Héritier et le salon

international des santons en Arles, organisé dès 1958 et encore célébré de nos jours. Les

personnalités les plus dynamiques au sein des SI montrent donc un attachement

particulier à leur ville et aux territoires alentours. Ils se reconnaissent à leur position

sociale élevée, à la reconnaissance qui les entoure de par leurs actions et à leur

implication, ainsi qu’à leur place au sein des réseaux culturels et touristiques – même si

ceux-ci s’entrecroisent de plus en plus. De fait, ces élites culturelles renforcent l’image

du tourisme et de ses enjeux, faisant de ce domaine un impératif économique et

culturel pour chaque territoire en voie de développement.

Disparaître pour perdurer

14 Malgré leurs difficultés quotidiennes, les SI ont perduré pendant quatre-vingt ans,

devenant le socle solide et indispensable du tourisme français. Toutefois, dès 1965, dans

un bilan général, le constat est sans appel et annonce la disparition progressive des SI :

« Le temps des bénévoles est révolu, celui des mécènes aussi »27. Les SI ont

régulièrement réfléchi à de possibles alternatives afin de s’autofinancer, avançant

l’idée d’équité afin que chaque acteur touristique cotise proportionnellement à ses

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

29

Page 32: Mondes du Tourisme

intérêts, comme le suggérait Pierre Defert, ou la mise en place d’une taxe sur les plus-

values touristiques évoquée par le Docteur Maulini28. Néanmoins, ces propositions sont

restées incomprises et les SI, déjà fragiles, se sont progressivement essoufflés. L’idéal

aurait été d’intégrer le budget des SI au futur plan économique de l’État comme au sein

du budget communal, mais le statut d’origine des SI rendait impossible cette solution.

15 D’où l’apparition des conventions, sortes de contrats passés entre les municipalités et

leur SI, formalisant une situation déjà existante. Dès lors, le SI recevait un financement

municipal fixe et régulier pour les frais de chauffage, d’éclairage, de poste et le salaire

des personnels. En contrepartie, le SI s’accommodait d’une perte d’autonomie et

effectuait une mission de service public, à sa seule charge financière. Par conséquent, le

fonctionnement du syndicat évolue puisqu’il doit désormais rendre des comptes, ce qui

va à l’encontre de ses principes originels, créant des tensions et des déceptions. Dès

lors, par exemple, « le SI s’engage à soumettre à l’agrément du maire des candidats à la

fonction de directeur, en cas de nécessité de pourvoir à cet emploi », transformant peu

à peu le SI en organisme municipal29.

III. Évolutions du tourisme et des territoires, le rôle desélites culturelles

Développer les espaces et les temps culturels dans la ville

16 La multiplication des compétences dévolues aux SI leur a permis d’élaborer une offre

culturelle étendue. Ils ont contribué à la création de lieux culturels renommés, par

simple proposition ou par financement, comme des musées ou des théâtres. Ce fut le

cas à Marseille où le futur fondateur de l’office du tourisme, Marius Dubois, est

également l’un des acteurs ayant œuvré à la création d’un bâtiment au parc Chanot

transformé à son initiative en Musée du Vieux-Marseille30. De même, ce personnage

public est à l’initiative de plusieurs événements de grande ampleur, comme la

célébration du 25e centenaire de la ville en 1899, l’Exposition coloniale de 1906 ou celle

de l’électricité de 1908. L’ensemble des SI, puis des offices du tourisme, proposent,

organisent et exposent l’identité de leur territoire lors d’événements culturels

spécifiques, comme les salons et les festivals, dont la renommée s’inscrit durablement

dans l’identité urbaine, profitant à la fois aux touristes et aux habitants. Cette

implication culturelle au sein de l’espace urbain s’inscrit dans un objectif plus général,

celui de développer cet espace pour le rendre plus accessible et plus lisible, pour ainsi

améliorer le tourisme. D’où la contribution de certains architectes aux SI, pour qui la

modernité passe par une transformation de l’espace urbain. Henri Gutton, à Nancy, a

mis cette idée en pratique à travers sa participation à l’embellissement et au

développement de la cité durant sa présidence du SI dès 1903, avec son engagement en

faveur de l’Art nouveau et du tramway31. Il a ainsi contribué à moderniser les

transports à Nancy et dans les Vosges par le développement des réseaux.

17 La Seconde Guerre mondiale et la période de reconstruction qui s’ensuit accélèrent cet

engagement urbain pris par les SI. En effet, tout en souhaitant redémarrer l’activité

touristique de leur ville et proposer une nouvelle offre en relation avec le tourisme de

masse qui se profile dans les années 1950, ces structures poursuivent dans un premier

temps leur engagement patriotique. Ainsi, avant même la fin du conflit, certains SI se

penchent sur l’élaboration d’un nouveau plan d’urbanisme pour leur cité, comme ce fut

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

30

Page 33: Mondes du Tourisme

le cas à Bollène. Dès 1941, le SI élabore des plans pour sa ville, notamment pour le

square de la place de la bascule, répondant à la demande faite par la mairie32. Ces

démarches urbanistiques se poursuivent après la guerre, avec des propositions pour

conserver l’église du pont et assainir certains quartiers de la ville, dont celui du Puy33.

Les SI repositionnent aussi leur local au cœur de l’espace touristique de la ville, veillant

à ce qu’une meilleure accessibilité puisse faire converger les touristes jusqu’à ce point.

Le développement du réseau routier, dans son ensemble, en offrant une meilleure

accessibilité, incite les acteurs locaux à moderniser leur politique touristique, à

améliorer la préservation et la mise en valeur de leurs monuments historiques (Rauch,

2001). Cela engendre parfois de vives tensions, comme à Bollène pour la préservation

de la statue de Pasteur créée par Félix Charpentier34. Enfin, les SI insistent sur

l’importance d’une politique d’hygiène efficace, accompagnée de l’embellissement des

entrées de ville, premier espace visible par les visiteurs. Toutefois, ces nombreuses

missions ont été reprises par les municipalités qui ont par la suite souhaité les déléguer

aux nouveaux OT, sous leur direction, dans les années 1960-1970.

Le tourisme, une passion en devenir

18 Le socle solide sur lequel repose l’activité touristique, en France, est fondé sur une prise

de conscience essentielle de la part des acteurs les plus haut placés. Dès la fin du XIXe

siècle, et ce malgré l’absence d’une organisation nationale des SI, ces associations ont

tissé de solides réseaux touristiques, entre eux ainsi qu’avec toutes les organisations

publiques ou privées intéressées par le tourisme, comme les chambres d’industrie ou

les compagnies de cars ainsi que les associations de tourisme comme le Touring Club de

France (TCF) ou l’Automobile Club de France (ACF) (Bertho-Lavenir, 1999). Il s’agissait

d’établir un esprit de solidarité, sorte de « loyale camaraderie »35 dont Léon Auscher et

Edmond Chaix se faisaient les promoteurs. On retrouvait d’ailleurs l’ensemble de ces

organismes au sein du local du SI, sorte d’espace centralisateur. Par son action, le TCF a

d’ailleurs contribué au développement des SI en leur donnant « un élan nouveau »

(Bertho-Lavenir, 1996, p. 59), en fédérant les initiatives des élites intellectuelles et

sociales locales. Les liens entretenus avec les SI entrent dans la stratégie mise en place

par le TCF pour « développer le tourisme sous toutes ses formes » tout en obtenant une

reconnaissance officielle pour ses actions (Réau, 2011, p. 34).

19 Le cumul des fonctions des présidents et des membres du bureau de chaque SI illustre

également cette volonté de consolider les réseaux. Ce cumul des fonctions était alors

conçu comme une façon de garantir une meilleure continuité des politiques. Le

président du SI de Vichy, Robert Mathieu36, qui a cumulé les présidences du syndicat

des hôteliers (1945) et de la fédération hôtelière de l’Allier (1945), en est un exemple. De

même, en 1965, il fut à la fois membre du conseil municipal et du comité des fêtes.

Toutefois, si le rôle de certains présidents dans les grandes instances touristiques n’est

plus à démontrer, offrant au SI une influence locale et nationale, il est vrai que cette

stratégie a ralenti l’évolution des politiques touristiques ainsi que le renouvellement

des acteurs. Néanmoins, dès 1945, le Dr. Meillon, dans son rapport sur les SI, rappelle

que le tourisme est « l’œuvre assidue et souvent courageuse de tous nos groupements

réunis en un faisceau solidaire autour des dirigeants des SI, de leurs fédérations et de

l’union nationale de ces fédérations. »37 Ainsi, malgré leurs difficultés, leurs limites et

leurs échecs, les actions lancées par les SI, souvent novatrices, sont progressivement

reconnues.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

31

Page 34: Mondes du Tourisme

Développer les pratiques touristiques

20 Connaissant les besoins spécifiques du tourisme local, les SI se sont parfois illustrés

dans la création de nouveaux métiers et de nouvelles pratiques. C’est par exemple le cas

du développement du tourisme hivernal et de l’espace montagnard, avec la création du

métier de moniteur de ski. Le développement de la station Val d’Isère en offre

l’exemple avec la création d’une école de ski (1934-1935). Grâce à Charles Diébold, les

moniteurs de ski ont pu être formés afin de sécuriser ce sport (Travers, 2003). Cette

personnalité a d’ailleurs poursuivi son initiative au sein du comité régional de Savoie

qui, dès 1948, allie les personnalités des SI et des OT locaux afin d’élaborer une

politique touristique des sommets plus cohérente38. On retrouve des initiatives

semblables du côté de l’espace rural, nouveau territoire à conquérir pour dynamiser le

tissu économique local. Ici, ce sont les Logis et les Gîtes ruraux qui héritent de

l’engagement des SI. En effet, Raymond Julien-Pagès, président de l’office du tourisme

du Puy et du SI de Velay, eut l’idée de rassembler les hôteliers et les restaurateurs

passionnés par l’accueil afin de proposer une offre de logement nouvelle39. Ainsi est né

l’hôtel Mistou à Potempeyrat (Haute-Loire) en 1948, en parallèle de la naissance des

Logis de France, conférant une réputation nouvelle et confirmée à ces professionnels

du tourisme. Le succès de ces nouvelles formules se confirment dans les années 1950,

lorsque les vacances sont davantage prévues et organisées (Rauch, 2001).

Professionnaliser leurs actions : la naissance des écoles detourisme

21 Si les SI ne sont pas, à eux seuls, à l’origine des écoles d’hôtellerie et de tourisme, ils

s’en sont fait les promoteurs. La première école de tourisme est née à Lausanne en 1893

et a, semble-t-il, servi de modèle pour l’école hôtelière de Paris. Les SI voient dans ces

établissements une opportunité de développer le tourisme, en ayant la garantie

d’obtenir un personnel de qualité. En France, la première école ouvre à Thonon-les-

Bains, où le thermalisme réclame un personnel qualifié. La deuxième école française

date de 1914 : c’est l’école de commerce et d’industrie hôtelière inaugurée à Nice en

1916 au sein de la Villa Guiglia40 (Bottaro, 2013) ( cf. illustration 4). À travers cette

institution, les acteurs touristiques, privés et publics, œuvrent ensemble à l’élaboration

d’une formation complète destinée à créer de nouveaux métiers touristiques ou à

appuyer les compétences d’activités existantes. Centré sur la pratique hôtelière,

l’enseignement comporte d’autres matières, comme la culture générale ou la

sténodactylographie, auxquelles s’ajoutent à partir des années 1920 la géographie

touristique, l’industrie régionale ou les ateliers-écoles, favorisés par la loi Walter-Paulin

de 1937 sur l’apprentissage artisanal (cf. illustration 5). Ce n’est qu’en 1937 que la

section tourisme est mise en place, avant sa rapide disparition en 1939, permettant

toutefois de se former au métier de guide-interprète. À sa réouverture en 1943, sur

l’initiative de personnalités locales comme Ferdinand H. Pons (président du SI de

Cannes), la gestion de l’école est confiée à un conseil d’administration dans lequel les

membres de SI siègent aux côtés des délégués de la chambre de commerce et de

l’hôtellerie. Les SI accueillent avec satisfaction l’apparition d’une formation

professionnelle des membres de leur bureaux de renseignement qui, après deux années

d’études, obtiennent le titre « d’agent du tourisme ». La professionnalisation du

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

32

Page 35: Mondes du Tourisme

tourisme en France, malgré des débuts timides, se confirme dans les années 1950 grâce

au soutien du Commissariat général du tourisme. Le développement et la renommée

des écoles hôtelières et du centre national d’enseignement touristique sont ainsi

assurés, bien que les écoles de Paris, Strasbourg, Thonon-les-Bains, Grenoble, Nice,

Clermont-Ferrand et Toulouse existaient déjà. Les acteurs nationaux ont ainsi poursuivi

un mouvement de professionnalisation soutenu depuis longtemps par les acteurs

locaux.

Illustration 4. École de commerce et d’industrie hôtelière de Nice

Photographie de l’École de commerce et d’industrie hôtelière niçoise, rue France, vers 1916, prêtée parAlain Callais et le CEHTAM.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

33

Page 36: Mondes du Tourisme

Illustration 5. Enseignements à l’école de commerce niçoise

Photographie des premiers cours dispensés à l’école de commerce et d’industrie hôtelière niçoise,vers 1920, prêtée par Alain Callais et le CEHTAM.

Conclusion

Sans compter, tous les dirigeants des SI ont payé de leur temps, de leur intelligence,d’un labeur souvent acharné et qui n’allait pas sans de lourds sacrifices pour leursintérêts particuliers [...].Dr Meillon41

22 Au sein des sources mobilisées – des récits aux hommages en passant par les articles de

journaux –, tous s’accordent sur la passion qui animait les administrateurs des

syndicats d’initiative ; un sentiment qui s’exprimait envers le tourisme mais également

de leur « petite patrie ». Ces hommes, confiants tant dans leur héritage que dans leur

avenir, qualifiés d’« amis des belles choses » ou d’« amoureux de leur ville », formaient

une communauté intéressée par le tourisme, vaste et disparate. Percevant l’importance

de l’enjeu culturel pour l’avenir du tourisme et de l’économie française, ces

« entrepreneurs du dépaysement » (Andrieux et Harismendy, 2011, p. 12) en ont fait un

moteur de l’industrie touristique et ont ainsi créé une « culture touristique » (Guillet,

2011, p. 97).

23 Par leurs initiatives, les SI ont en effet fait prendre conscience aux autorités de

l’importance de l’échelon local, ils ont tissé des réseaux touristiques à divers échelons

et se sont impliqués dans le développement des politiques festives, hygiéniques ou

d’embellissement de leur ville. S’agissant de l’activité touristique, ils ont contribué à

révéler les enjeux de cette activité économique, ses différentes possibilités à travers les

diverses pratiques possibles, ainsi que l’intérêt à créer des structures comme les Logis,

les écoles de ski ou les maisons culturelles. De même, les SI ont contribué à répondre

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

34

Page 37: Mondes du Tourisme

aux besoins de nombreux territoires en étudiant les tendances touristiques et ont créé

de nouveaux métiers, comme celui de moniteur de ski, bien qu’ils aient aussi renforcé

par ce biais la saisonnalité de ces nouveaux emplois.

24 Toutefois, comme le dit Philippe Violier, « la mutation d’un système à l’autre ne se

produit pas à un moment bien identifié, voire à une date précise, mais se comprend par

la mise en relation des faits dont les significations s’éclairent les unes les autres »

(Violier, 2016). Si l’industrie du tourisme s’est construite sur un temps long, fait de

modernisations techniques, d’évolution des représentations, de nouveaux désirs

d’évasion, d’échanges culturels, il ne faut pas oublier le rôle des acteurs touristiques

locaux qui ont œuvré à la cohérence de l’ensemble. Ainsi, en quatre-vingt ans

d’existence, les SI ont permis le maintien d’un tissu économique local dynamique grâce

au renforcement de l’identité territoriale, la création d’une réputation touristique et

une meilleure accessibilité territoriale. Leur dynamisme publicitaire a également

permis le développement des logos touristiques, dont les marques de territoire

semblent aujourd’hui les héritières. Enfin, comprenant les nouveaux enjeux liés à la

modernité, les SI ont très tôt soutenu la création des écoles de tourisme, favorisant la

professionnalisation du tourisme. En retour, cette mobilisation économique, culturelle

et touristique a fédéré les initiatives en faveur d’un territoire et de son identité,

permettant leur appropriation tant par les habitants que par les touristes.

25 La professionnalisation des SI, devenus OT, est marquée par le tissage de réseaux

solides, ce qui n’est pas sans rappeler d’autres entreprises comme celle des nageurs du

Racing Club (Réau, 2011). En cherchant à améliorer les structures locales pour accueillir

les touristes, à valoriser l’apport culturel du territoire à partir de leur propre héritage

et à utiliser « le voyage pour exister professionnellement » (Réau, 2011, p. 223), les SI

ont renforcé leur légitimité par leur professionnalisation mais ont également contribué

à élargir les compétences et les métiers de l’industrie touristique en influençant à leur

tour la professionnalisation des enseignements supérieurs par l’intégration des études

touristiques dans les années 197042. Aujourd’hui, les OT, à la suite des syndicats,

deviennent à la fois les artisans et les victimes de cette « troisième révolution

touristique » (Violier, 2016), dont la recomposition des acteurs, l’émergence de

nouveaux désirs, le renouvellement du public et l’apparition de nouveaux outils

mériteraient une nouvelle étude.

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NOTES

1. En effet, dès le début du XXe siècle, les études se multiplient, dont celle de Picard (1911) ou de

Stadner (1917), révélant le poids du tourisme sur les économies locales.

2. Cette thèse a été soutenue en 2015 à Paris I sous la direction de Pascal ORY.

3. 364 syndicats d’initiative existent encore aujourd’hui, contre 2 278 OT.

4. Réflexion menée par Jean-Marie MIOSSEC, cité dans J-M HOERNER et C. SICART, La science du

tourisme : précis franco-anglais de tourismologie, Balzac Éditeur, 2003, p. 84.

5. En effet, les sources provenant des SI sont disparates, inégales, parfois inexistantes.

6. Par « élites culturelles » nous entendons l’ensemble des personnalités intéressées par la

culture sous toutes ses formes et dont les réseaux valorisent l’identité du territoire, par la

publicité et l’animation des lieux. Ce groupe n’est pas homogène même si des tendances

émergent à certaines époques (cf. illustration 1).

7. Voir Olivier POUJOL, « Une association centenaire : le Club Cévenol », 2012

[www.club.cevenol.org/Fr/histoire.php]. Paul Arnal (1871-1950), né en Lozère dans une famille

d’artisans boulangers, fut bachelier en théologie puis pasteur à Uzès entre 1910 et 1937. Il a fondé

le Club Cévenol à Florac le 18 septembre 1864.

8. Archives départementales des Bouches-du-Rhône (ADBDR), 212W50, lettre adressée au

président du SI du Queyras, 14 mai 1949.

9. Marcel Bellon, maire d’Aiguilles-en-Queyras et directeur du SI, a créé cette récompense et l’a

proposée au Commissariat général du tourisme. Cette création a été soutenue par l’un de ses

amis, Maurice Petsche, alors ministre des Finances.

10. ADBDR, 212W50, « Les SI s’adaptent aux exigences modernes du tourisme », coupure de

presse, s.l.n.d.

11. Franck, « Achille Lignon », Rues de Lyon, 2016 [https://www.ruesdelyon.net/allee/724-allee-

achille-lignon.html].

12. Archives départementales d’Isère (ADI), 100M3/2, membres du SI de Grenoble, 1904-1905.

13. Archives municipales de Bollène (AMB), 4R9, délibérations du conseil d’administration du SI,

le 5 juillet 1930.

14. ADBDR, 212W49, lettre adressée au commissaire général du tourisme, 27 juillet 1949.

Malheureusement, nous n’avons pas de plus amples informations sur le SI d’Agay.

15. Brochure touristique sur le SI d’arrondissement d’Albertville envoyée par l’office du tourisme

de la ville.

16. ADBDR, 212W52, assemblée générale du SI du Queyras, 29 août 1955.

17. Archives municipales de Montbéliard (AMMt), 62S2, « Au congrès des SI de Franche-Comté »,

s.l.n.d.

18. ADI, 4332W418, « Bilan de l’action du SI à son assemblée générale », Le Dauphiné Libéré, juin

1961.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

37

Page 40: Mondes du Tourisme

19. Le terme est utilisé ici dans le sens employé depuis le XVIIe siècle et qui « désigne une vive

affection que l’on a pour quelque chose » (Rey, 2012). Un sentiment si envahissant qu’il exige un

engagement inconditionnel de la part des membres des SI.

20. ADI, 41J1, M. Perret, secrétaire général du CRT de Grenoble, « L’organisation actuelle du

tourisme en France ou la grande pitié des SI », causerie Radio Alpes-Grenoble, 7 avril 1948 à

19h15.

21. ADI, 153M6, « Les SI, leur situation en 1914 : actuelle et dans l’avenir », bulletin de la

fédération des SI, 1914.

22. Le groupe parlementaire du tourisme est présidé, dès 1913, par Antoine Borrel et ce jusqu’en

1931.

23. Archives municipales de Vichy (AMV), journal La Tribune, le 12 octobre 1964. Ces qualités

expliquent la réélection du président du SI de Vichy, Robert Mathieu.

24. AMB, 4R9, hommage à Alfred Trouillet, s.l.n.d.

25. ADBDR, 212W40, Jacques VARAGE, « Le SI de Provence : une section aixoise », Le Mémorial d’Aix,

1903, n° 92, 66e année.

26. Octave-Louis Aubert était également président de la chambre de commerce et de l’industrie

de Saint-Brieuc.

27. ADI, 4332W418, Henri Morin, Bilan sur le tourisme français, 1965.

28. AMMt, 62S2, Dr Maulini, Première encyclique touristique, 6 octobre 1963.

29. Archives municipales de Tours (AMT), 3R446, convention entre la municipalité et le SI de

Tours, décembre 1966.

30. Vieux Marseille, « Inauguration de la rue Marius Dubois », actualités du comité du Vieux-

Marseille [http://comitevieuxmarseille.eklablog.com/inauguration-de-la-rue-marius-dubois-

a5916815].

31. Archives municipales d’Épinal (AME), 3Rb, liste des membres du SI de Nancy et des Vosges en

1903.

32. AMB, 4R9, lettre du président du SI adressée au maire, 23 octobre 1941 ; rapport du SI de

Bollène, 1941, par le Commandant Trouillet et Jane Raoux.

33. AMB, 4R9, assemblée générale du SI, 1950.

34. AMB, 4R9, compte-rendu du conseil d’administration des SI du Vaucluse, n.d.

35. Archives nationales (AN), F12 12279, A-E Meillon, « L’œuvre des SI "ESSI" », s.l.n.d.

36. Archives municipales de Vichy (AMV), coupures de presse du journal La Montagne entre 1955

et 1965.

37. AN, F12 12279, A-E Meillon, « L’œuvre des SI "ESSI" », s.l.n.d. A-E Meillon est à l’époque le

président de la Confédération pyrénéenne touristique, thermale et climatique.

38. Les initiatives sont proposées et explorées par Edmond Desailloud et Pierre Fallion aux côtés

de Charles Diébold.

39. AMV, « La volonté de la fédération des SI d’Auvergne en faveur de l’expansion touristique de

la région », La Tribune, 1963.

40. La villa Guiglia, qui abritait autrefois l’école de commerce et d’industrie hôtelière de Nice,

héberge de nos jours le Centre universitaire méditerranéen.

41. AN, F12 12279, A-E Meillon, « L’œuvre des SI "ESSI" », s.l.n.d.

42. Voir le travail mené par Hugues SERAPHIN, L’enseignement du tourisme en France et au Royaume-

Uni. Histoire. Comparaisons, analyses et perspectives, coll. « Touristica Nova », éditions Publibook,

2012.

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Page 41: Mondes du Tourisme

RÉSUMÉS

En France, les réseaux touristiques ont été formés par l’action dynamique des associations

touristiques, dont les syndicats d’initiative (SI) font partie. Ces structures locales, regroupant

toutes les professions intéressées par le tourisme, sont issues d’une démarche novatrice apparue

en 1889 à Grenoble, avec la naissance du premier syndicat d’initiative français. Destinés à

l’accueil et au renseignement des touristes, les SI accomplissent également une mise en valeur

touristique de leur territoire. Cependant, ces associations ont souffert d’un manque de

reconnaissance et de difficultés quotidiennes qui nous poussent à nous interroger sur leur

longévité. En effet, les SI ont vécu pendant quatre-vingt ans, considérés tantôt comme la base du

tourisme réceptif, tantôt comme des « agence de marketing » (Oulebsir, 2011, p. 127), mais dont

l’essentiel des actions au sein des réseaux touristiques reste méconnu. Il s’agit, ici, d’étudier

l’histoire de ces SI à travers l’engagement de leurs bénévoles, passionnés tant par leur ville, leur

région que leur patrie. En nous appuyant sur les sources émises par ces différents SI, bien que

notre recherche ne soit pas exhaustive, nous souhaitons dresser le portrait de ce « monde

multiforme » (Levati, 2009) qui place le tourisme au cœur de ses préoccupations. Les passions et

les convictions personnelles engendrent une mobilisation active en faveur du territoire et

aboutissent à la construction d’une culture commune. Les SI deviennent ainsi un outil de

promotion et un symbole d’engagement, se faisant à la fois le réceptacle et l’émetteur de

l’identité culturelle du territoire. Ces élites engagées ont perçu l’enjeu culturel, en ont fait un

moteur de l’industrie touristique et ont ainsi créé une « culture touristique » (Guillet, 2011, p. 97).

Aussi, à travers l’histoire de ces structures, des années 1900 à 1970, nous souhaitons montrer à

quel point les SI ont été la cheville ouvrière, fragile mais pérenne, du tourisme français grâce à

leurs membres, acteurs omniprésents au sein des réseaux touristiques français.

In France, tourist networks have been created by the dynamic action of tourist associations, of

which tourist offices (syndicats d’initiative, SI) are part. These local structures, bringing together

all professions interested by the tourism, come from an innovative approach that appeared in

1889 in Grenoble, with the birth of the first French tourist office (SI). Intended for the reception

and information of tourists, the SI also carry out the touristic development of their territory.

However, these associations lacked recognition and their daily difficulties lead us to wonder

about their longevity. Indeed, the SI have lived for 80 years, considered sometimes as the

foundation of receptive tourism, sometimes as “marketing agency”, but whose essential actions

within tourist networks remain unknown. Here, it is a question of studying the history of these SI

through the commitment of their volunteers, passionate about their city; their region and their

homeland. Although our research is not exhaustive, we wish to draw a portrait of this

“multifaceted world” which places tourism at the center of its concerns, by relying on the

sources emitted by these different SI. Passions and personal convictions generate active

mobilization in favor of the territory and lead to the construction of a common culture. French

tourist offices (SI) thus become a promotional tool and a symbol of commitment, being both the

receptacle and the transmitter of the territory’s cultural identity. These elites perceived the

cultural issue, made it a driving force in the tourism industry, and thus created a “tourism

culture”. Also, throughout the history of these structures, between the years 1900 to 1970, we

wish to show how much the SI were the backbone, fragile but lasting, of French tourism, thanks

to their members, who were ubiquitous actors within French touristic networks.

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Page 42: Mondes du Tourisme

INDEX

Mots-clés : tourisme, syndicats d’initiative, identité, entrepreneurs, histoire culturelle

Keywords : tourism, French tourist office, identity, cultural studies

AUTEUR

JULIE MANFREDINI

Docteure en histoire contemporaine

Chercheuse associée à l’EIREST

[email protected]

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Page 43: Mondes du Tourisme

Le cadre juridique de travail desemployés de service du secteur de larestauration. La question spécifiquedu salaireThe legal framework of work for service employees in the catering sector. The

specific question of wages

Louis Jolin

Introduction

La croissance touristique mondiale met une pression sur l’offre touristique qui àson tour met de la pression sur la demande en main-d’œuvre. Cette même main-d’œuvre est également sollicitée par d’autres secteurs d’activité, souvent plusattrayants pour l’employé. Quelles sont les nouvelles stratégies utilisées par lesentreprises touristiques pour accéder à de nouveaux bassins de travailleurs et pourretenir ces derniers ?1

1 Avant même d’aborder les stratégies à mettre en place par les entreprises touristiques,

il importe de considérer le cadre juridique, qui facilite ou non le recrutement des

travailleurs de service dans les restaurants. Ce cadre juridique, au Québec, est celui

établi principalement par la Loi sur les normes de travail (RLRQ, c. N-1.10), modifiée en

juin 2018 par la LQ 2018 c.21., mais aussi par le Code du travail (RLRQ, c. C-27) pour les

salariés syndiqués ou en voie de l’être.

2 Le présent texte porte donc sur les principales dispositions touchant le salaire

découlant de la loi sur les normes du travail au Québec et analyse les évolutions en

cours et les modifications possibles. De manière sommaire, un parallèle sera fait avec le

cadre juridique français pour mieux comprendre les spécificités de la législation

québécoise en offrant un éclairage comparatif

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 44: Mondes du Tourisme

3 Le même exercice pourrait toucher les dispositions relatives au processus d’embauche,

au contrat de travail, aux congés payés, aux vacances, à la conciliation famille-travail, à

la langue de travail, aux impôts à payer…

4 Mais vu les limites imposées pour notre exposé, nous nous contenterons de la

rémunération des salariés, en questionnant son impact sur la rétention ou le

recrutement des employés de service dans les restaurants ou les établissements

d’hébergement et, plus globalement, sur l’image même du tourisme québécois.

1. Le paradigme de recherche

5 Le paradigme de recherche est celui du droit comme phénomène social, « qui

s’intéresse à l’origine des normes, aux facteurs sociaux qui le conditionnent, au droit

comme effet et reflet de la société » (Jolin, 2012, p. 209). S’il est vrai, selon ce paradigme

de recherche, que le droit ne doit pas être étudié en soi de manière exclusive – ce qui

est le cas avec le positivisme juridique (Kelsen, 1962 ; Tropper, 1994) – mais comme

produit des transformations extérieures, il doit aussi être abordé comme producteur de

transformation dans la société (Binet, 1990 ; Cubertafond, 1999). C’est en ce sens qu’on

peut considérer le cadre juridique du travail comme un élément déterminant pour

accéder à de nouveaux bassins de travailleurs ou du moins pour retenir ceux qui sont

en place.

6 Dans sa thèse de doctorat portant sur les systèmes juridiques de détermination des

salaires, le juriste réputé en droit du travail au Québec, René Laperrière (1972, tome 1,

p. 2), affirmait ce qui suit :

[…] si l’on entend donner au droit un rôle social et en faire un instrumentdynamique au service de l’économie, il faut dépasser l’interprétation des lois pourconfronter celles-ci au contexte socioéconomique auquel elles s’appliquent ; quelleest la fonction de la loi, de quelle manière affecte-t-elle la réalité des dimensionséconomiques, la réalité des décisions économiques et des relations sociales etcomment à son tour est-elle influencée et modelée par la dynamique de cetteréalité ?

7 Faut-il maintenir certaines dispositions législatives ou réglementaires, faut-il les

changer si le contexte socioéconomique évolue ?

8 Dans un contexte de relatif plein emploi au Québec, on assiste actuellement à un réel

problème de recrutement et de rétention de la main-d’œuvre dans l’industrie

touristique et hôtelière2. Le tourisme national et international est en constante

progression, mais on constate une forte concurrence sur les produits et les prix selon

les marchés réels et potentiels. Les gouvernements sont appelés à intervenir pour

stimuler l’économie touristique, tout en se souciant à la fois des consommateurs et des

employés du secteur.

9 Pour ces derniers, le droit du travail est sollicité avec ses spécificités nationales car les

systèmes nationaux sont différents d’un pays à l’autre (p. ex. France/Canada-Québec).

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 45: Mondes du Tourisme

2. De quelques différences et ressemblances entre ledroit du travail au Québec et en France

10 De manière sommaire, mais significative pour notre propos, retenons les

caractéristiques suivantes au Québec :

Un salaire minimum et des conditions minimales de travail sont assurés pour tous les

salariés québécois en vertu de la Loi sur les normes du travail (sauf pour ceux qui travaillent

dans les entreprises dites de « compétence fédérale », autrement dit dont les objets

ressortent à l’autorité législative fédérale3). Pour les salariés des entreprises de compétence

fédérale, ces normes se retrouvent dans le Code canadien du travail, (LRC [1985], ch. L-2).

Le Code du travail québécois régit principalement le processus de syndicalisation des

travailleurs (unités d’accréditation, négociation des conventions collectives, etc.).

Dans le domaine du tourisme, de la restauration et de l’hôtellerie, il y a peu de travailleurs

syndiqués dans les PME, mais la syndicalisation est largement présente dans les grandes

entreprises hôtelières et de transport, ainsi que dans quelques chaînes de restaurants4.

Les contrats individuels de travail comme les conventions collectives doivent respecter le

minimum prévu à la Loi sur les normes de travail, qui est d’ordre public, mais les contrats et

conventions peuvent contenir des dispositions plus favorables.

La négociation des conventions collectives se fait principalement au plan local par unité

d’accréditation. On trouve donc peu de conventions sectorielles au Québec ; il en existe

cependant dans certains milieux en vertu de la Loi sur les décrets de convention collective

(LRQ, c. D-2), comme les agents de sécurité, le personnel d’entretien des édifices publics à

Montréal et Québec, les services automobiles, le camionnage, la coiffure en Outaouais… Les

conventions sectorielles dans l’industrie de la construction sont encadrées par la Loi sur les

relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans

l’industrie de la construction (RLRQ, c. R-20).

Si pour une entreprise, ou une unité d’accréditation, il y a une convention collective, elle

s’applique à tous les travailleurs de l’entreprise ou de l’unité ; dans ce contexte, il n’y a plus

de contrat individuel…

11 Par comparaison, toujours de manière sommaire mais significative, le système national

français se caractérise par les éléments suivants :

Le Code du travail prévoit des normes nationales, dont le SMIC5, et le processus de

syndicalisation.

La syndicalisation se fait sur une base individuelle.

Des conventions sectorielles sont présentes dans les principaux secteurs, négociées par les

centrales syndicales représentatives et des associations d’employeurs. Les dispositions

s’appliquent alors aux employés du secteur, syndiqués ou non.

Il existe principalement deux conventions sectorielles dans le domaine de l’hôtellerie et de

la restauration : la Convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants (HCR) du

30 avril 19976, modifiée régulièrement jusqu’à ce jour par des textes attachés et des

avenants ; et la Convention collective du personnel des entreprises de restauration des

collectivités du 20 juin 19837, également modifiée par des annexes et avenants.

Les contrats individuels et les conventions locales sont possibles mais elles doivent respecter

au minimum les normes nationales et la convention sectorielle.

Il faut donc tenir compte du principe de hiérarchie des normes, modifié récemment par le

gouvernement Macron pour certaines conditions de travail (p. ex., la durée maximale de

travail) mais pas pour le salaire (Miné, 2017).

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 46: Mondes du Tourisme

3. Le salaire des salariés ou employés de larestauration et la question des pourboires

12 Au Québec :

Pour les salariés assujettis, le salaire minimum est établi par règlement gouvernemental en

vertu de la Loi sur les normes du travail, article 40. À compter du 1er mai 2020, le taux

général du salaire minimum est de 13,10 $ de l’heure, mais pour les salariés au pourboire le

salaire minimum est inférieur à 10,45 $8.

Est considéré comme salarié au pourboire, en vertu de l’article 3 du Règlement sur les

normes du travail (c. N-1.1, r-3), celui qui reçoit habituellement des pourboires et qui

travaille :

1- dans un établissement qui offre contre rémunération de l’hébergement à destouristes, y compris un établissement de camping ;2- dans un local où des boissons alcooliques sont vendues pour consommation surplace ;3- pour une entreprise qui vend, livre ou sert des repas pour consommation àl’extérieur ;4- dans un restaurant, sauf s’il s’agit d’un lieu où l’activité principale consiste àfournir des services de restauration à des clients qui commandent ou choisissent lesproduits à un comptoir de service et qui paient avant de manger.

Le pourboire ne doit pas être confondu avec le salaire ; il comprend les frais de service

ajoutés à la note du client (s’il y a lieu) mais ne comprend pas les frais d’administration

ajoutés à la note (s’il y a lieu) (article 50 de la loi).

En pratique, au Québec, les pourboires ne sont généralement pas inscrits sur la note du

client et laissés à sa discrétion (entre 10 et 20 % de la note, généralement 15 %).

Les pourboires doivent être déclarés par le salarié pour fins d’impôt. En vertu de

l’article 42.11 de la Loi québécoise sur les impôts (RLRQ., c. I-3), un pourcentage minimal de

8 % sur les ventes du salarié susceptibles d’engendrer un pourboire est attribué par

l’employeur sur le bulletin de paie pour le calcul des charges sociales payées par l’employeur

sur le salaire de l’employé et pour les déductions à la source. Mais il y a des exceptions

(p. ex., préposé au vestiaire, conjoint de l’employeur, personne qui ne reçoit qu’une cote des

pourboires)9.

La Loi sur les normes de travail permet aux salariés au pourboire de convenir entre eux d’un

partage des pourboires. L’employeur ne peut intervenir. Il appartient aux salariés au

pourboire d’en convenir sur une base volontaire et seuls ces salariés sont parties à la

convention : les maîtres d’hôtels, les commis-débarrasseurs, les employés de cuisine ne

peuvent intervenir, mais les salariés au pourboire peuvent décider de les inclure.

La Loi sur les normes du travail édicte aussi que les heures en attente de travail sur place

doivent être payées (article 57 de la loi) et qu’un minimum de trois heures doit être

rémunéré lors d’une assignation au travail sur les lieux de l’entreprise (article 58 de la loi).

Plusieurs autres dispositions de la loi ont des incidences sur le salaire (durée normale du

travail, rémunération des heures supplémentaires, congés payés, etc.).

Éléments d’analyse

De cet aperçu sommaire, on peut certes affirmer que les dispositions législatives

ont un impact sur les salariés au pourboire. La distinction entre les travailleurs

soumis au taux général du salaire minimum et les salariés au pourboire laisse une

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 47: Mondes du Tourisme

partie du salaire à l’appréciation de la clientèle mais rien n’interdit au

restaurateur d’imposer directement des frais de service et des frais

d’administration sur la facture si les clients en sont informés préalablement.

Cependant, la pratique générale en Amérique du Nord ne va pas dans ce sens,

contrairement à ce que l’on retrouve dans plusieurs pays européens (notamment

la France). Les salariés au pourboire sont divisés sur cette question, certains y

gagneraient certainement, d’autres y perdraient… Il y a un écart important dans

les PME de la restauration entre ce que gagnent les cuisiniers et les autres

employés de cuisine (qui ne reçoivent pas de pourboires) et les serveurs, à

l’avantage de ces derniers. Le partage volontaire des pourboires ne concerne pas,

en principe, les cuisiniers.

Dans plusieurs restaurants, on retrouve un climat de tension sur cette question et

un sentiment d’injustice (on est loin de l’équité salariale !). Bien sûr, des

conventions collectives dans le secteur de la grande hôtellerie (p. ex. Le Reine

Elizabeth à Montréal, qui fait maintenant partie du groupe Accord) accordent de

bien meilleures conditions à l’ensemble du personnel, mais cela ne concerne pas

les nombreux autres établissements. Il n’y a pas de convention sectorielle au

Québec dans le secteur de la restauration, des cafés et des bars…

La pratique de laisser le pourboire (ou frais de service) à l’appréciation seule de la

clientèle ne va pas dans le sens de la valorisation du travail des serveurs et nuit à

l’image du tourisme québécois auprès de la clientèle hors Amérique du Nord. Elle

peut donner lieu à du profilage racial et à de la discrimination, car il arrive que le

restaurateur ajoute, dans certaines situations, les frais de service directement sur

la facture sans en avoir informé préalablement le client10. Cette pratique

contrevient en quelque sorte à la Loi sur la protection du consommateur (RLRQ,

c. P-40.1) car les prix affichés dans les menus ne correspondent pas aux prix réels.

Avec les taxes à la consommation et les pourboires ou frais de services, il y a un

écart d’environ 30 %.

13 Peut-on faire autrement ? Des modifications législatives pourraient-elles faire évoluer

la situation et avoir un impact réel sur la valorisation du travail en restauration, sur la

rétention et le recrutement des employés et sur l’amélioration de l’image du tourisme

québécois ? Peut-on s’inspirer de ce qui se fait dans d’autres pays ?

14 En France, par exemple :

Tout d’abord, un salaire minimum est prévu par la loi : rappelons que le SMIC est le salaire

horaire en dessous duquel il est interdit de rémunérer un salarié et ce quelle que soit la

forme de sa rémunération. Depuis le 1er janvier 2020, le SMIC horaire brut est fixé à

10,15 euros, soit 1 159,42 euros bruts mensuellement sur la base de la durée légale

hebdomadaire de 35 heures11.

Les frais de service (10 à 15 %) sont généralement obligatoires et inscrits sur la facture du

client de manière distincte, tout en étant inclus dans la plupart des cas dans le prix affiché

au client.

Perçus par le salarié ou par l’employeur, ils sont versés intégralement au personnel en

contact avec la clientèle ; en outre, ils entrent dans la composition même du salaire

minimum ou du salaire conventionnel des personnels concernés, c’est-à-dire ceux qui sont

en contact direct avec la clientèle ; si le salaire minimum ou conventionnel n’est pas atteint,

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 48: Mondes du Tourisme

l’employeur doit combler la différence, ce qui arrive surtout si les frais de service ou les

pourboires constituent la seule rémunération du salarié.

L’existence d’une convention sectorielle, la Convention collective nationale des hôtels, cafés,

restaurants (HCR) est l’élément distinctif principal par rapport au Québec. Elle s’applique à

l’ensemble des salariés du secteur (serveurs, cuisiniers, maîtres d’hôtel, etc.) : selon les

postes et l’ancienneté, elle fixe un salaire horaire conventionnel minimum, qui en 2019 se

situe entre 10,03 euros (niveau 1, échelon 1) et 21,83 euros (niveau 5, échelon 3).

La convention sectorielle régit également les autres conditions de travail. Il faut rappeler

qu’un contrat individuel peut offrir plus que le minimum conventionnel.

Éléments d’analyse

La convention sectorielle offre une plus grande équité entre les divers personnels

du secteur même si, par exemple, le personnel de cuisine ne bénéficie pas des frais

de service, étant rémunéré par un salaire fixe versé par l’employeur. Le salaire

conventionnel minimum est plus généreux que le SMIC. Les frais de service

obligatoires, généralement inclus dans le prix affiché, n’induisent pas le client en

erreur sur le prix à payer. Des patrons en France souhaitent cependant remettre

en question « le service compris » afin de motiver davantage le personnel, mais

cette prétention rencontre une vive opposition des syndicats qui y voient une

régression sociale (Fergus, 2012).

En outre, un client satisfait de la prestation de service peut ajouter, en sus des frais

de service, un petit pourboire, généralement de 5 %. Les touristes québécois en

France auront tendance à ne pas laisser de pourboire lorsqu’ils voient que les frais

de service sont inclus dans les prix affichés, de la même manière que les Français

non avertis, en voyage au Québec, oublieront de laisser un pourboire car ils croient

à tort que les frais de service sont inclus dans les prix affichés.

En guise de conclusion sommaire

15 Que faire au Québec ? Que devrait prévoir la Loi sur les normes du travail ? Pourquoi ne

pas avoir une convention sectorielle qui aurait l’avantage de clarifier la situation de la

rémunération et des conditions de travail pour l’ensemble du secteur ? Les employeurs

souhaitent davantage contrôler le partage des pourboires, ce que craignent les salariés

concernés (Lahaie, 217). Ne devrait-on pas prendre le virage des frais de service inscrits

obligatoirement sur la facture, voire même inscrits dans le prix affiché ? Il devrait en

être de même pour les taxes.

16 Quel serait l’impact de l’imposition de frais de service obligatoires par opposition aux

pourboires laissés à la discrétion des clients ? Quel impact sur les autres conditions de

travail ? Et sur l’image du tourisme québécois ? Sur ces questions, des recherches plus

approfondies sont nécessaires.

17 Des changements législatifs et réglementaires en la matière ne sont pas neutres et

peuvent avoir des conséquences positives sur la valorisation des emplois, le

recrutement et la rétention de la main-d’œuvre. En même temps, la nature et

l’intensité du rapport de forces entre les parties prenantes du secteur peuvent retarder

ces changements…

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 49: Mondes du Tourisme

18 Les mêmes questionnements sont applicables à d’autres aspects liés aux conditions de

travail des employés de service dans le secteur de la restauration. Des changements

récents à la Loi sur les normes du travail ont été accueillis de manière mitigée par

l’Association des restaurateurs : si elle s’est réjouie, par exemple, de la possibilité

d’étaler les heures de travail sur une période de quatre semaines si le travailleur et

l’employeur le consentent, elle s’inquiète des conséquences économiques de

l’augmentation des vacances (trois semaines au lieu de deux) après trois ans de service

continu chez le même employeur12. Le régime légal des vacances en France est

nettement plus avantageux (cinq semaines après un an).

19 Les grandes centrales syndicales, notamment la Fédération des travailleurs et

travailleuses du Québec (FTQ), ont fait du salaire minimum à 15 $ de l’heure un enjeu

des élections provinciales de l’automne 2018. Cependant, dans une note analytique

publiée fin décembre 2017 par la Banque du Canada, il est mentionné « qu’environ

60 000 emplois disparaîtraient d’ici 2019 en raison de la hausse du salaire minimum

dans les différentes provinces du pays » (Cambron-Ouellet,2018).

20 Un champ de recherche reste donc ouvert pour mesurer les effets du dispositif législatif

actuel ou de ses modifications possibles ou souhaitables. Des entretiens devraient être

réalisés avec des travailleurs de la restauration œuvrant dans des établissements de

nature différente dans diverses régions du Québec. Faut-il mettre en place le même

encadrement juridique sur l’ensemble du territoire ou doit-il être adapté selon

l’intensité touristique de la région et la nature des établissements ?

BIBLIOGRAPHIE

Monographies

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Louis JOLIN, « La double interaction entre droit et tourisme », dans Lucie K. MORISSET, Bruno

SARRASIN et Guillaume ÉTHIER (dir.), Épistémologie des études touristiques, PUQ, 2012.

Hans KELSEN, Théorie pure du droit, traduction de C. Esenmann, Sirey, 1962.

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canadiennes et étrangères, thèse de doctorat, Montréal, tome 1, 1972.

Michel TROPPER, « Le positivisme juridique », dans Michel TROPPER (dir.), Pour une théorique juridique

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Revues, journaux, sites web

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Dominique CAMBRON-OUELLET, « Le salaire minimum sera un enjeu électoral », Métro, 4 janvier 2018.

FERGUS, « Service compris : la duplicité des restaurateurs », Agora Vox, 22 novembre 2012 [https://

www.agoravox.fr/tribune-libre/article/service-compris-la-duplicite-des-126295].

Richard LAHAIE, « Pourboires : des patrons veulent mettre la main sur les revenus des serveurs »,

L’Aut’Journal, 27 septembre 2017.

Michel MINET, « Droit du travail : la hiérarchie des normes est-elle inversée ? », La Tribune, 29

septembre 2017 [https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/droit-du-travail-la-hierarchie-des-

normes-est-elle-inversee-752010.html].

Jean-Frédéric MOREAU et David RÉMILLARD, « Illégal, le pourboire sur la facture », Le Soleil, 26 août

2017.

NOTES

1. Extrait de l’appel à communication pour les Rendez-vous Champlain 2018.

2. Selon le Conseil québécois des ressources humaines en tourisme (CQRHT) : « À l’instar de

d’autres secteurs d’activité économique, l’industrie touristique connaît de plus en plus de

problèmes de recrutement pour le travail saisonnier ou à temps partiel. Ceci s’explique en partie

par le fait qu’une forte proportion de ces emplois est traditionnellement occupée par des jeunes

étudiants dont l’effectif est actuellement en diminution. De plus, l’arrimage de l’emploi avec le

calendrier scolaire pose certains défis aux gestionnaires. Enfin, dans un contexte où la population

vieillit et où son taux de croissance diminue, la main-d’œuvre se fait donc de plus en plus rare et

difficile à trouver, particulièrement pour des emplois à temps partiel ou saisonniers. »

En outre, selon une étude concernant le tourisme et la main-d’œuvre, 54 % des emplois en

tourisme en 2012 étaient dans le secteur de la restauration et 11 % dans celui de l’hébergement.

Cependant, le salaire moyen dans l’industrie du tourisme est de 37 979 $ pour les employés à

temps complet, comparativement à 46 656 $ pour l’ensemble du Québec. Dans le secteur

spécifique de la restauration, il est de 31 803 $ pour les employés à temps complet. Ces données

proviennent du site du CQRHT, consulté en février 2019 : https://cqrht.qc.ca/portrait-de-

lindustrie-touristique/donnees-sur-lindustrie-touristiquetouristique/.

3. Il s’agit principalement, pour le secteur du tourisme, des fonctionnaires et autres employés du

gouvernement fédéral (ministères intervenant dans le secteur, la Commission canadienne du

tourisme, Parcs Canada…) et des travailleurs du transport aérien, de Via Rail et, plus

globalement, œuvrant dans le transport interprovincial ou international.

4. En 2017, le taux de syndicalisation au Québec dans le secteur de l’hébergement et de la

restauration était de 10,3 %, le taux global pour l’ensemble des secteurs étant de 38,4 %. Source :

Institut de la statistique du Québec, Taux de présence syndicale, résultats selon le sexe pour diverses

caractéristiques de la main-d’œuvre et de l’emploi, Québec, Ontario, Canada, 2018.

5. Le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) est le salaire minimum horaire en

dessous duquel un salarié de plus de 18 ans ne peut être payé en France.

6. Étendue par arrêté du 3 décembre 1997, JORF du 6 décembre 1997. Dernière version publiée le

29 janvier 2018 et en vigueur le 1er avril 2018. Grille des salaires mise à jour en 2019 suite à

l’augmentation du SMIC.

7. Étendue par arrêté du 2 février 1984, JONC du 17 février 1984. Dernière version publiée le 22

juin 2017, en vigueur le 1er septembre 2017. Grille des salaires mise à jour en 2019 suite à

l’augmentation du SMIC.

8. Au 1er mai 2018, le salaire minimum général était de 12,00 $ de l’heure et de 9,80 $ pour les

employés à pourboire.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 51: Mondes du Tourisme

9. Les exceptions sont prévues aux articles 42.1 à 42.15.

10. L’Association des restaurateurs du Québec a rappelé qu’il est illégal d’ajouter les frais de

service sans l’accord préalable du client. Ce rappel fait suite à une plainte faite par un client à qui

le restaurateur avait chargé d’office 15 % de frais de service sans son consentement. Le

restaurateur s’est défendu en prétextant que c’était la coutume à l’égard des touristes asiatiques

– or, malgré la ressemblance, le client n’en n’était pas un (Moreau et Rémillard, 2017).

11. Au 1 er janvier 2018, le SMIC horaire brut était à 9,88 euros, soit 1498,47 euros bruts

mensuellement sur la base d’une durée légale hebdomadaire de 35 heures.

12. Articles 8 et 11 de La Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions

législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, LQ 2018, c. 21.

Voir le site web de l’Association des restaurateurs du Québec : www.Restaurateurs.ca/nouvelles

(consulté le 19 juin 2018).

RÉSUMÉS

Le droit est producteur de transformations sociales. Le cadre juridique des employés de service

du secteur de la restauration peut avoir un impact positif ou négatif sur le recrutement et la

rétention des travailleurs. Le présent article met l’accent sur l’encadrement juridique des salaires

au Québec, principalement ceux des employés à pourboire, tout en faisant un parallèle avec

l’encadrement juridique en France pour mieux saisir les spécificités propres à chaque société et

pour s’inspirer éventuellement du dispositif mis en place dans la société française. Des

recherches sur les effets des modifications éventuelles sont à venir.

Law produces social transformations. The legal framework for service employees in the catering

sector can have a positive or negative impact on the recruitment and retention of workers. This

article focuses on the legal framework of wages in Quebec, mainly those of tip employees, while

drawing a parallel with the legal framework in France to better understand the specifics of each

country and possibly draw inspiration from the system in place in French society. Research on

the effects of possible changes is to come.

INDEX

Mots-clés : restauration, emploi, tourisme, cadre juridique

Keywords : catering, employment, tourism, legal framework

AUTEUR

LOUIS JOLIN

Professeur titulaire à la retraite, actuellement professeur associé au département d’études

urbaines et touristiques ESG UQAM

Domaine de spécialisation : droit du tourisme

[email protected]

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Page 52: Mondes du Tourisme

Réformes territoriales et exercice dela compétence tourisme parl’institution publiquedépartementale française. Casexploratoires de la Charente-Maritime et des Deux-SèvresTerritorial reforms and the exercise of tourism policy by the French

departmental public institution. Focus on Charente-Maritime and Deux-Sèvres

Jérôme Piriou et Marie-Noëlle Rimaud

Introduction

1 En France, les lois de décentralisation, dites lois Defferre, du 2 mars 1982 et du 7 janvier

19831 ont organisé la répartition des compétences entre différentes institutions. Par

cette décentralisation, le pouvoir central reconnaît une certaine autonomie à des

collectivités que l’on qualifie de locales ou territoriales. Une compétence, dans le sens

juridique du terme, comprend à la fois une aptitude légale à intervenir, ainsi que la

mise en application de politiques dans des domaines d’intervention spécifiques

(Pontier, 2012). Les collectivités territoriales historiques (communes, départements,

régions) et les établissements publics de coopération intercommunale [EPCI] disposent,

dans les faits, de compétences de plus en plus étendues et le mode de détermination des

compétences a une incidence directe sur l’exercice de celles-ci. Ainsi, le troisième acte

de la décentralisation s’est traduit par trois lois qui ont, d’une part, spécialisé les

compétences des collectivités territoriales et, d’autre part, redéfini les périmètres

spatiaux. La loi du 27 janvier 20142 sur la modernisation de l’action publique territoriale

et d’affirmation des métropoles, dite loi « MAPTAM », avait pour objectif de clarifier

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 53: Mondes du Tourisme

l’exercice des compétences au niveau local. Le statut de métropole est créé, permettant

à ces dernières d’intervenir dans la voirie départementale, dans les transports scolaires

ou encore dans la promotion des territoires concernés. Puis, la loi du 16 janvier 20153,

relative à la délimitation des nouvelles grandes régions, aux élections régionales et

départementales et modifiant le calendrier électoral, a marqué une étape importante

dans le redécoupage des régions métropolitaines. En effet, l’article 1 de cette loi précise

que 13 nouvelles régions se substituent aux 22 régions métropolitaines existantes sans

modification des départements qui les composent. Cette loi a été complétée par la loi

du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République4, dite

loi NOTRe. Ce dernier volet de la réforme territoriale désigne clairement les régions

comme « chef[s] de file du développement économique […], avec une compétence

exclusive en matière d’aides directes aux entreprises » (Manier, 2015, p. 88). La loi

NOTRe va également « modifier assez largement les attributions des structures

intercommunales » (Marcou, 2015, p. 1043). Les EPCI font l’objet d’un redécoupage, dès

lors que les communes rassemblées atteignent un seuil minimal de 20 000 habitants

(contre 5 000 habitants auparavant), à l’exception des zones de montagne et territoires

peu denses où le seuil minimal est fixé à 5 000 habitants, ou encore les

intercommunalités récemment constituées d’un minimum de 12 000 habitants. Le

département garde une orientation de garant des solidarités humaines et de la

cohésion territoriale. Il est compétent « pour mettre en œuvre toute aide ou action

relative à la prévention ou la prise en charge des situations de fragilité, de

développement social, l’accueil des jeunes enfants, l’autonomie des personnes âgées ou

handicapées ; il assure également des compétences sociales et de solidarité territoriale,

pour faciliter l’accès aux droits et services des publics dont il a la charge » (Jourdan,

2016, p. 52). Dans ce contexte, le gouvernement français assume la priorité de faire des

« économies d’échelles » et de « supprimer des doublons » (Chavrier, 2015, p. 1028). La

suppression de la clause générale de compétence des départements, comme des

régions, confirme la spécialisation des compétences de ces collectivités (Pontier, 2012).

Le département et la région deviennent de ce fait des collectivités territoriales

spécialisées (Jourdan, 2016).

2 Mais la compétence tourisme ne fait pas partie du périmètre d’attribution clairement

accordé à une collectivité territoriale. En effet, la loi 23 décembre 19925 portant sur la

répartition des compétences dans le domaine du tourisme, dite loi Mouly, énonçait les

rôles et les missions de chaque institution, à l’image d’une construction administrative

très structurée par niveau hiérarchique (Michaud, 1995). Mais elle a été abrogée le 1er

janvier 20056 au profit du Code du tourisme, dont l’article L 111-1 précise que « l’État,

les régions, les départements et les communes sont compétents dans le domaine du

tourisme et exercent ces compétences en coopération et de façon coordonnée ». Le

législateur a jusqu’à présent maintenu cette situation de compétence partagée entre les

collectivités territoriales, par la loi du 16 décembre 20107 sur la réforme des

collectivités territoriales. Par ailleurs, même si la notion de « chef de file » pouvait être

séduisante, compte tenu de la multiplicité de structures et des contraintes financières

et de gestion (Pontier, 2012), le législateur considère que l’État est responsable de la

politique nationale du tourisme et les collectivités territoriales sont associées à sa mise

en œuvre (Jégouzo, 2013). Ceci amène La Gazette des communes à titrer, en janvier 2017 :

« Depuis la loi NOTRe, la compétence tourisme se divise entre coopération et

compétition »8.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 54: Mondes du Tourisme

3 L’intérêt de cette recherche est d’examiner comment l’échelon départemental réagit

aux réformes territoriales concernant l’exercice de sa compétence tourisme. En effet,

même si l’exercice de la compétence tourisme n’est pas remis en cause pour les

départements, les changements de périmètres spatiaux des régions et de certaines

intercommunalités, ainsi que l’agrégation d’offices de tourisme en établissements de

pôle intercommunaux voire intercommunautaires, requièrent des adaptations dans le

paysage institutionnel touristique français.

1. L’institution départementale française et sacompétence tourisme

1.1. Le département, un niveau intermédiaire de plus en pluscontroversé

4 Le département a été créé suite à la Révolution française avec un découpage opéré

selon le principe d’une limite spatio-temporelle d’une journée à cheval depuis le chef-

lieu (Ozouf-Marignier, 1989). Il devient l’échelon supérieur aux communes, division du

territoire hérité de la trame paroissiale (Delamarre, 1989). Puis, suite à un nouveau

maillage, sont apparues dès 1956 les circonscriptions d’action régionales, avant une loi

de 1972 qui a érigé la région en établissement public à vocation spécialisée (Bodiguel,

2006). Par l’acte I de la décentralisation, notamment par la loi du 7 janvier 1983, l’État

est contesté dans l’exercice de ses compétences et dans sa souveraineté. En effet, le

législateur de l’époque transfère une partie des compétences de l’État, comme

l’aménagement du territoire, le développement économique ou encore la protection de

l’environnement, aux communes, aux départements et aux régions (Bodiguel, 2006). Le

département se retrouve donc à un niveau intermédiaire complexifiant sa justification

d’existence :

Le problème qu’impose tout niveau intermédiaire est celui de la dépossessionrelative des niveaux inférieurs par le niveau régional, ainsi que celui d’unecontradiction potentielle entre autonomie locale et régionale. (Chavrier, 2012,p. 88)

5 Un rapport, présenté le 23 janvier 2008 par la Commission pour la libéralisation de la

croissance française sous l’égide de Jacques Attali, proposait la suppression du

département pour simplifier le « mille-feuille territorial » (Manier, 2015, p. 84). Il faut

préciser que l’échelon intercommunal a été conforté par la loi d’orientation du 6 février

19929 sur l’administration territoriale de la république, complétée par plusieurs autres

lois dans les deux décennies suivantes, et que les origines de l’intercommunalité

remontent à la loi du 22 mars 189010. Déjà sous la Troisième République, le choix est fait

de rationaliser via l’intercommunalité tout en préservant l’administration locale ;

réformer : oui, supprimer les communes chéries : non (Bellanger, 2012). L’acte II de la

décentralisation, correspondant à la série de réformes adoptées en 2003 et 2004, voulait

doter la République de régions plus grandes, plus fortes avec une intention de

constituer des couples distincts État-régions et communes-départements, notamment

par loi constitutionnelle du 28 mars 200311 (Chavrier, 2012). Mais la loi du 13 août

200412, relative aux libertés et responsabilités locales, modifie ces intentions en

« deven[ant] étonnamment départementaliste » (Chavrier 2012, p. 88). Les élus

départementaux ont souhaité voir perdurer leur institution et préserver leurs

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 55: Mondes du Tourisme

compétences. Aussi, on assiste à un « lobby départemental » qui influe le travail

parlementaire au Sénat et à l’Assemblée nationale (Frinault, 2013).

6 La loi du 7 août 201513, portant sur la nouvelle organisation territoriale de la

République, a confirmé le département dans l’exercice des compétences relatives aux

solidarités humaines et à la cohésion territoriale (Manier, 2015). Néanmoins, la loi

NOTRe a supprimé la clause de compétence générale. Par cette suppression, le

département ne peut désormais régler que par délibération les affaires de ses

compétences dans les domaines attribués par la loi. De ce fait, la loi écarte le

département de toute possibilité d’intervention en faveur du développement

économique, au profit de la seule région (Marcou, 2015). S’agissant du tourisme, cette

compétence reste partagée entre les différentes collectivités territoriales,

complexifiant encore pour le département sa position de niveau intermédiaire.

1.2. Enchevêtrement de la compétence tourisme du départementavec les autres collectivités territoriales

7 En France, l’origine des institutions touristiques s’observe à l’échelle locale avec la

création des syndicats d’initiative, ancêtres des offices de tourisme actuels, dès la fin du

XIXe siècle. Des regroupements de syndicats d’initiative en fédérations régionales

apparaissent dès le début du siècle suivant, conduisant à la création des syndicats

départementaux d’initiative (Williems, 2011). Mais l’État, par le ministère des Travaux

publics, demanda aux préfets de ne pas encourager les initiatives départementales afin

de ne pas perturber le développement des syndicats d’initiative (Manfredini, 2017). Les

lois de décentralisation ont donné un cadre légal aux départements concernant

l’exercice de la compétence tourisme, permettant la création de comités

départementaux du tourisme (CDT) (Stock, 2003). Les CDT, dans leur quasi-totalité de

statut associatif, aussi appelés « agences départementales de développement

touristique » (ADT), fonctionnent selon un cadre d’intervention défini par le conseil

départemental14 au moyen de conventions, souvent renouvelées chaque année

(Escadafal, 2007). Dans les faits, le CDT a pour objectif principal d’établir une promotion

à l’échelle nationale et, en collaboration avec le comité régional du tourisme (CRT),

d’assurer la promotion à l’échelle internationale (Violier, 2003). Cependant, la loi Mouly

du 23 décembre 1992 sur la répartition des compétences entre les collectivités

territoriales « n’apporte aucune solution globale et se borne à imposer, aux régions, un

plan de développement touristique et, aux départements, un schéma d’aménagement

touristique » (Violier, 1999, p. 60). Le tourisme étant considéré comme un service public

local, chaque collectivité intervient comme elle le souhaite. Un problème demeure

cependant, concernant le périmètre de l’exercice de la compétence tourisme pour ces

collectivités territoriales, renseigné dans ces plans et schémas de développement

touristique. Comme le précise Laurence Jégouzo :

La partie réglementaire du Code du tourisme n’ayant jamais été publiée, le contenude ce plan est laissé à la libre appréciation de ses rédacteurs, comme d’ailleurs pourle schéma régional. Il en résulte une profusion de documents plus descriptifs quevéritablement engageants où il est par ailleurs assez rarement fait allusion auschéma régional. (2013, p. 37)

8 Par ailleurs, un autre problème apparaît concernant le rédacteur, puisque la sphère

publique du tourisme présente un caractère bicéphale entre élus et techniciens. Comme

Philippe Violier l’a souligné :

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 56: Mondes du Tourisme

Cette dualité est porteuse de conflits, les premiers [élus] imposent plutôt unterritoire administratif et tendent à privilégier des stratégies égalitaires, tandis queles seconds [techniciens] mettent en avant plutôt des logiques commerciales desélection. (1999, p. 61).

9 A priori, les réformes territoriales ont contribué à modifier l’organisation du « mille-

feuille ». Comme nous l’avons déjà précisé, elles prévoient le transfert de la compétence

économique des départements aux régions mais aussi celui de la promotion du

tourisme des communes aux intercommunalités15. De plus, elles opèrent un

élargissement de plusieurs périmètres spatiaux : grandes régions et EPCI. Mais, le

maintien de l’article L 111-1 du Code du tourisme, qui évoque un exercice de la

compétence tourisme en coopération et de façon coordonnée, annihile en partie cet

exercice de clarification. La situation du département se voit complexifiée voire

fragilisée dans le paysage institutionnel du tourisme français.

10 On peut dès lors s’interroger : dans quelle mesure les récentes réformes territoriales

participent-elles à transformer les conditions d’exercice de la compétence tourisme par

les institutions publiques départementales françaises ?

2. Étude exploratoire de deux départements à intensitétouristique hétérogène en Nouvelle-Aquitaine

11 Notre recherche est de type exploratoire. En effet, compte-tenu du caractère récent des

réformes territoriales, nous souhaitons, par ces travaux exploratoires, établir une

« reconnaissance avec la connaissance » (Brunet et al., 1992, p. 205). Cette démarche

requiert de recourir à la description afin de délimiter les contours du problème et

d’orienter de nouvelles pistes de recherche (Gumuchian et Marois, 2000). L’objectif est

de comprendre l’évolution de l’exercice de la compétence tourisme pour l’institution

publique départementale et d’identifier les changements, les modifications qui ont été

nécessaires dans le contexte des récentes réformes territoriales. Nous avons choisi

d’interroger par entretiens semi-directifs, au cours du mois de novembre 2018, trois

acteurs : les directeurs de deux agences départementales de développement touristique

(ADT), celle des Deux-Sèvres et celle de Charente-Maritime, ainsi que la directrice de

« Tourisme et territoires », anciennement Fédération nationale des destinations

départementales. Trois thèmes ont été abordé lors de ces entretiens : explications sur

les missions anciennes et les missions actuelles ; identification des interlocuteurs et des

échanges avec les autres collectivités territoriales ; compréhension des conséquences

ou des non-conséquences des réformes territoriales récentes. Les entretiens, d’une

durée moyenne d’une heure, ont été intégralement retranscrits. L’analyse manuelle des

données nous a permis de structurer les données et de regrouper les principaux

verbatims.

2.1. Cas du département des Deux-Sèvres

12 Le département des Deux Sèvres compte 374 743 habitants, avec une faible densité de

population, de 61 habitants au kilomètre carré. L’offre d’hébergement touristique est

assez modeste avec 1 814 emplacements de camping et 1 817 chambres d’hôtel (Prévot,

2016). Selon l’ADT des Deux-Sèvres, en 2016, le département a recensé une faible

fréquentation, avec seulement 485 000 nuitées. La majorité des nuitées concerne des

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 57: Mondes du Tourisme

activités d’affaires dans l’agglomération du chef-lieu de département, Niort16. Le

tourisme de découverte du Marais poitevin constitue l’offre touristique principale,

largement médiatisée par la labellisation au titre des Grands Sites de France, labellisé

Parc naturel régional en mai 2014.

13 Dans ce département, il existait deux institutions touristiques il y a encore dix ans : le

CDT, une association sous convention et financement du conseil général, et l’Union

départementale des offices du tourisme et syndicats d’initiative (UDOTSI). Dès 2004,

compte tenu de la faible densité de population, la volonté a été de réaliser des

regroupements de communes et de doter les EPCI de la compétence tourisme. Cette

réorganisation territoriale, dix ans avant la loi NOTRe, a été décidée dans un contexte

de restrictions budgétaires, mais aussi par une nécessité de professionnaliser les

missions des offices de tourisme. Aussi, le département est passé de 31 offices de

tourisme et syndicats d’initiative, soit une structure par canton, à 9 aujourd’hui17,

principalement gérés par des communautés de communes ou des structures

intercommunautaires. Le rôle de ces nouvelles structures a été consolidé avec l’aide du

conseil départemental. Le 2 août 2008, l’UDOTSI et le CDT ont fusionné pour donner

naissance à une nouvelle association, l’agence de développement touristique des Deux-

Sèvres. Si le CDT assurait la promotion des Deux-Sèvres, parmi 14 autres missions, la

nouvelle agence s’est recentrée autour de 4 missions, abandonnant notamment l’action

commerciale. Ce choix s’explique pour plusieurs raisons. D’abord, le budget de la

structure a baissé, passant de 1,2 million d’euros à 850 000 euros, dont 700 000 euros de

dotation du département soit environ 82 % du budget total. Ensuite, face à la

professionnalisation des offices de tourisme (OT), le personnel de l’ADT des Deux-

Sèvres a dû s’adapter et répondre aux besoins en ingénierie. Il est important de

préciser que ce repositionnement ne s’est pas fait sur commande du conseil

départemental. Enfin, la structure est passée de 14 à 8 employés. Cette équipe a été

amenée à développer de nouvelles compétences, liées à l’accompagnement des

professionnels du tourisme, notamment le personnel des OT de pôles. En 2011, la

signature d’une convention entre les 6 OT de pôles, l’ADT et le CRT a permis d’organiser

la répartition des missions. L’ADT s’est spécialisée dans l’ingénierie, laissant à la région

la charge de la promotion. Signe d’une nouvelle évolution, en 2015, l’ADT des Deux-

Sèvres a rejoint les locaux du conseil départemental suite à une mutualisation des

moyens, permettant une économie, mais réduisant également son budget de

fonctionnement, et, le 12 mars 2018, le département a décidé de reprendre l’exercice

direct de l’ensemble de la compétence tourisme. L’ADT a ainsi disparu au profit d’une

conférence permanente du tourisme, en tant qu’instance légale de concertation et de

mobilisation des acteurs du tourisme18.

2.2. Cas du département de la Charente-Maritime

14 La Charente-Maritime est le deuxième département français en termes d’augmentation

de la population touristique par rapport à la population permanente. Pour une

population de 639 600 habitants (janvier 2015), on comptabilise 33,6 millions de nuitées

touristiques (Chiffres Charente-Maritime Tourisme, 201619). La fréquentation

touristique se concentre principalement sur le littoral et dispose d’une offre

d’hébergement conséquente avec notamment 7 510 chambres d’hôtel (soit 14 % des

chambres d’hôtel de la Nouvelle-Aquitaine) et 48 100 emplacements de camping

(Garçon, 2016).

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 58: Mondes du Tourisme

15 On retrouve dans ce département la même situation que dans les Deux-Sèvres

concernant la professionnalisation d’OT de pôles. Dans ce contexte et face à une baisse

des subventions publiques, l’ADT s’est progressivement éloignée de sa mission de

communication. Mais, dans ce département, un choix spécifique a été opéré, en

anticipation de la loi NOTRe. Au moment des élections départementales de 2015, les

présidents de l’ADT de Charente et de l’ADT de Charente-Maritime ont décidé un

rapprochement en préparation de la constitution de la région Nouvelle-Aquitaine.

Cette fusion a été facilitée par un départ en retraite de la directrice de l’ADT de

Charente, mais aussi par le basculement dans une même famille politique des deux

départements. L’opportunité d’une mutualisation a été considérée du point de vue

économique. Une nouvelle association « Charentes Tourisme » est née le 22 juin 2017,

suite à la validation par les exécutifs de la fusion des deux agences. Cette institution

dispose d’un budget de près de 6 millions d’euros : 80 % des ressources sont consacrées

à l’ingénierie et 20 % à la communication. Une évaluation des compétences des

individus, un fléchage des profils de recrutement et un accompagnement du personnel

ont également facilité cette évolution. Un tel changement s’explique par le niveau de

professionnalisation des partenaires, qui nécessite un niveau d’expertise plus élevé de

la part d’une ADT. L’accompagnement des professionnels par des formations permet

également d’atteindre un meilleur taux d’autofinancement et de justifier de la sorte

d’une bonne voie d’autonomisation de l’institution auprès de sa collectivité de tutelle.

La subvention des deux départements ne représente que 53 % du budget, dont les deux

tiers sont alloués par le département de Charente-Maritime, complétée par une taxe de

séjour additionnelle en Charente-Maritime qui représente 15 % du budget total. Les

recettes provenant d’actions contribuent à hauteur de 32 % au budget total.

3. Adaptation des départements dans le contexte de laréforme territoriale et des jeux d’acteurs

3.1. Transformation de la structuration des institutions touristiquesdépartementales

16 Le département, doté de la compétence tourisme, se doit d’engager une politique

touristique au moyen d’un financement au sein d’un service ou par conventionnement

avec une entité morale distincte. Dans le département des Deux-Sèvres, le conseil

départemental a fait le choix d’internaliser cette compétence, selon la délibération du

12 mars 2018. Cette décision est intervenue dans le contexte de direction vacante à

l’ADT mais également de divergence des points de vue entre la présidence de l’ADT et

celle du conseil départemental. Le contexte politique a, à l’inverse, favorisé le

rapprochement entre l’ADT de Charente et l’ADT de Charente-Maritime, conduisant à

leur fusion et à la création d’une nouvelle entité. Ces deux cas montrent que les

conditions d’exercice de la compétence tourisme par les départements sont

hétérogènes.

17 Pour autant, les réformes territoriales ne sont pas l’unique raison des évolutions. La

baisse des dotations financières des collectivités de tutelle, ainsi que la hausse du

recours aux technologies de l’information et de la communication ont demandé aux

acteurs institutionnels, en particulier aux départements, d’adapter les actions relatives

à l’exercice de la compétence tourisme. Cette évolution est primordiale puisqu’en

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 59: Mondes du Tourisme

situation de crise, en cas de manque de reprise en main, l’organisation peut disparaître

(Rochet et Keramidas, 2007). Dans les Deux-Sèvres, le service loisirs accueil, qui avait

pour objectif d’accompagner l’ADT dans la commercialisation des offres de prestataires

d’hébergement, a disparu, comme dans la plupart des autres départements. Cette

mission était devenue obsolète compte-tenu de la montée en puissance d’opérateurs de

réservation en ligne. La reprise de l’exercice de la compétence tourisme par le conseil

départemental des Deux-Sèvres en mars 2018 témoigne de la volonté d’aller encore plus

loin dans la redéfinition de la stratégie touristique. De manière générale, selon les

entretiens réalisés, ce sont les missions de promotion et de communication qui

devraient être limitées à l’avenir. Dans les deux départements étudiés, par choix

stratégique ou par nécessité d’adaptation, une orientation de l’exercice de la

compétence tourisme est affirmée vers l’ingénierie. Cette mission présente un double

avantage. Tout d’abord, sur le plan financier, l’ingénierie demande un investissement

moindre et permet de facturer des prestations à des prestataires. Ensuite, sur le plan

politique, l’ingénierie confirme la mission de solidarité et de cohésion territoriale,

compétence exclusive du département et contribue à affirmer le rôle de cet échelon

dans le paysage institutionnel touristique français.

18 Cette transformation des missions a demandé une adaptation des structures. Une partie

du personnel des ADT a dû acquérir de nouvelles compétences pour se reconvertir à des

actions relatives à l’ingénierie. Face à la transformation du rôle et des missions des

institutions publiques, se pose effectivement la question de l’adéquation entre

compétences et emplois, amenant les acteurs à compléter leurs qualifications sur le

plan technique et managérial (Bartoli, 2005). Dans les Deux-Sèvres, un plan d’évolution

des carrières et des emplois a permis d’accompagner des agents de promotion et de

production afin qu’ils puissent se repositionner sur l’ingénierie. Dans les Charentes, la

fusion-création a été l’occasion de réaliser une évaluation des compétences en

identifiant, par entretiens, les domaines d’expertise et les souhaits d’évolution du

personnel, mais aussi de cibler des profils spécifiques pour les recrutements. Un plan

de formation d’environ 100 000 euros par an est également envisagé. De son côté,

l’association « Tourisme & Territoires » est engagée dans la formation des personnels

des institutions membres, notamment pour aider les ADT à se repositionner. Dans les

deux départements étudiés, les directeurs admettent toutefois avoir connu des départs

de collaborateurs à hauteur d’environ 10 % du personnel. L’enjeu pour ces structures

est désormais de constituer une gouvernance et de permettre aux équipes de

contribuer aux projets d’avenir.

3.2. Mutualisation verticale et horizontale de la compétencetourisme

19 La mutualisation consiste en un changement des organisations afin de mieux répondre

au contexte économique et social. On peut définir la pratique de la mutualisation

comme « une mise en commun et un partage de moyens matériels ou immatériels au

sein d’une même organisation ou avec une organisation extérieure dans l’objectif

d’atteindre un but commun » (Marin, 2014, p. 22). La mutualisation engage des

relations avec les parties prenantes dans l’exercice de la compétence tourisme. On peut

parler de mutualisation verticale. Pour autant, nous verrons qu’en dépit du Code du

tourisme qui cadre les activités, il existe des disparités de fonctionnement des

institutions touristiques qui contribuent à complexifier cette mutualisation. Dans le

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 60: Mondes du Tourisme

département des Deux-Sèvres, le CDT avait pour mission, jusqu’à 2008, d’animer le

réseau des OT – une trentaine20 – et d’aider à leur restructuration et à leur

professionnalisation, en recevant une dotation du département, via l’UDOTSI. En 2018,

le département ne compte plus que 8 OT, soit un par EPCI21. Dans le département de

Charente-Maritime, certains OT sont importants, tant par leur effectif que par leur

budget, principalement sur les communes littorales. Pour autant, l’orientation donnée

aux missions de ces structures se distingue de celle d’un CDT puisqu’un OT consacre la

quasi-totalité de son budget à l’accueil et à l’information du public. Dans certains cas,

plus complexes, notamment pour des raisons économiques, la mutualisation de

l’exercice de la compétence tourisme entre une ADT et un OT peut s’opérer par le

regroupement dans une même structure. Cela a été le cas par exemple dans le Cher où

l’OT de l’agglomération de Bourges et l’ADT se sont regroupés pour former une

association unique. Dans les relations entre une ADT et un CRT, l’élaboration de

conventions d’objectifs permet aussi de favoriser la mutualisation de l’exercice de la

compétence tourisme pour les collectivités. Ainsi, en Nouvelle-Aquitaine, il est

aujourd’hui proposé qu’une convention territoriale d’exercice concertée, spécifique au

tourisme, entre en vigueur. Dans les relations de mutualisation avec l’État, mais aussi

avec d’autres parties prenantes comme les ADT, il existe un outil innovant : les contrats

de destination, lancés en 2013, qui ont pour objectif de favoriser l’attractivité et la

compétitivité d’une destination en impliquant les acteurs dans une gouvernance (Bédé,

2015). Ainsi, le 19 juillet 2018, 34 partenaires de la côte atlantique ont signé un contrat

de destination « côte atlantique » retenu par le ministère délégué au Tourisme afin de

promouvoir la France à l’international sur une durée de trois ans avec un soutien

financier de 75 000 euros. Nous allons voir que la stratégie de mutualisation de

l’exercice de la compétence tourisme peut aussi s’opérer légalement de manière

horizontale entre un conseil départemental et son ADT, dans le cas d’une

internalisation, mais aussi entre plusieurs ADT dans le cas d’une fusion.

3.2.1. L’internalisation de la compétence tourisme, un moyen de mutualisationpour le conseil départemental : cas de la conférence permanente du tourisme

20 La rationalisation budgétaire a conduit le conseil départemental des Deux-Sèvres à

internaliser l’exercice de la compétence tourisme. Le concept d’internalisation est ici

considéré comme l’antonyme de celui d’externalisation. Il exprime les démarches

d’acteurs qui renoncent à confier certaines activités à un ou plusieurs tiers (Bance,

2015). Dans le cas des Deux-Sèvres, cette démarche s’est opérée en deux étapes

distinctes. Début 2016, l’ADT a déménagé dans les locaux du conseil départemental. De

ce fait, l’ADT assurait réaliser une économie de 60 000 euros sur un budget annuel

d’1,2 million d’euros22. Puis, en 2018, dans un contexte difficile pour la gouvernance de

l’ADT suite au départ de son directeur, mais également en raison d’un conflit politique

entre le président de l’ADT et le président du conseil départemental, l’exercice de la

compétence tourisme a désormais été opéré directement par le conseil départemental

des Deux-Sèvres. Ainsi, en respect du Code du tourisme, en particulier de

l’article L 132-3 (pour rappel, relatif au statut, principe d’organisation et composition

du CDT), le conseil départemental doit disposer d’un « service tourisme » dédié à

l’exercice de la compétence. À ce service est associé, depuis le 13 mars 2018, une

conférence permanente du tourisme. Finalement, on remarque que cette conférence

permet au département de rester dans la légalité (article L 132-3) en intégrant au CDT

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

58

Page 61: Mondes du Tourisme

des délégués du conseil départemental ainsi que les différentes parties prenantes.

L’internalisation d’une mission de service public relève d’un idéal type, permettant de

justifier les objectifs et finalités retenus par l’autorité organisatrice (Bance, 2015).

Cependant, la question de l’efficacité est essentielle afin de juger de la portée de l’action

de cette internalisation et finalement de son intérêt pour le département. À la

motivation budgétaire s’ajoute une motivation stratégique. Nous remarquons, dans le

cas des Deux-Sèvres, que l’autorité publique considère être la mieux à même de décider

à qui confier l’exercice de la compétence tourisme ; en l’occurrence, à l’un des services

dont le conseil départemental contrôle directement les objectifs. L’intérêt pour une

collectivité publique est ici d’assurer directement le pilotage, le contrôle et l’évaluation

de la mission. On peut dès lors parler d’une forme de régulation (Bauby, 2015).

3.2.2 La fusion-création de la compétence tourisme, un moyen de mutualisationentre agences départementales du tourisme : le cas de l’association « CharentesTourisme »

21 Dans le département de Charente-Maritime, une autre forme de mutualisation a été

réalisée, en procédant à la fusion de l’ADT de Charente et de l’ADT de Charente-

Maritime. On peut qualifier de fusion une mutualisation dès lors que « deux ou

plusieurs organisations combinent leurs actifs et leurs passifs à l’instigation de l’une

d’entre elles, qui est de fait l’acquéreur, pour créer une nouvelle entité » (Wangani,

2013, p. 20). La fusion peut s’opérer par l’absorption qu’effectue une organisation

existante des actifs d’une ou plusieurs organisations ; ou par la création d’une

organisation nouvelle, à laquelle plusieurs organisations apportent leurs actifs.

L’option choisie par les conseils départementaux de Charente et de Charente-Maritime

a été la création d’une nouvelle association « bi-départementale » sous le nom de

« Charentes Tourisme ». Cette fusion a pris la forme d’un accord de principe donné par

les assemblées départementales, le 22 juillet 2016, suivi d’une validation d’un projet de

traité de fusion par les bureaux et conseils d’administration des ADT le 9 novembre

2016. Les deux conseils départementaux ont finalement approuvé la fusion, les 15 et

16 décembre 2016. Cette opération était donc voulue par les collectivités de tutelle.

Souvent considérée par les organisations publiques comme un outil étranger provenant

du secteur privé, la fusion-acquisition est un moyen pertinent pour les organisations

qui sont en quête de rupture stratégique, de compétitivité, de taille critique et de

création de valeur (Gouali, 2007). La nouvelle institution touristique bi-départementale

souhaite orienter sa stratégie vers les acteurs intermédiaires, qui sont plus directement

en contact avec les consommateurs finaux. La répartition des ressources illustre

d’ailleurs cette stratégie puisque 80 % d’entre elles sont destinées à l’orientation vers

les acteurs et les territoires et 20 % à l’orientation vers les consommateurs finaux23.

22 De manière générale, les principales motivations d’une fusion portent « sur l’extension

d’une gamme de produits, l’accès à de nouveaux marchés, l’amélioration de l’efficacité,

l’accroissement de moyens » (Wangani, 2013, p. 20). On retrouve bien ces raisons dans

la fusion-création de Charentes Tourisme. Tout d’abord, la direction a souhaité limiter

les doublons de certaines actions exercées par d’autres acteurs. Pourtant, les acteurs

avec qui l’institution collabore sont aussi des clients, voire des concurrents. Charentes

Tourisme identifie comme clients « les offices de tourisme, les collectivités territoriales,

les investisseurs, le grand public, l’international, les clubs partenaires, les acteurs

touristiques et porteurs de projets »24. L’« amélioration de l’efficacité » et

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 62: Mondes du Tourisme

l’« accroissement de moyens » se retrouvent également dans le renforcement du

nombre de salariés et l’augmentation du budget global. Ce redimensionnement était

nécessaire, selon la direction de Charentes Tourisme, dans un contexte politique

d’agrandissement spatial du périmètre de la région. Par ailleurs, la situation

économique de l’ADT de Charente étant délicate avant la fusion, la mutualisation a

également permis de réaliser des économies.

3.3. Positionnement d’institutions touristiques départementales enquête de légitimité

23 Les récentes réformes territoriales n’ont pas donné davantage de précisions quant à

l’attribution de la compétence tourisme entre collectivités. Cependant, l’évolution des

périmètres spatiaux de certaines régions et EPCI interroge le positionnement de la

collectivité départementale au sein du « mille-feuille territorial » (Manier, 2015, p. 4).

Selon les directeurs interrogés, les compétences de l’institution touristique

départementale ne seraient pas bien identifiées, voire seraient confuses pour leurs

partenaires. Pour la directrice de l’association « Tourisme & Territoires », le

positionnement des structures dépend du contexte financier et de leur manière

d’aborder l’évolution du marché. La question de la valeur ajoutée d’une institution

touristique départementale peut être posée, par rapport aux autres niveaux

territoriaux. La légitimité est donc une ressource nécessaire, celle-ci étant conférée et

contrôlée par les parties prenantes (Buisson, 2005). Aussi, dans les Deux-Sèvres, dès lors

que le nombre d’OT a été réduit de 30 à 8 structures, la légitimité de l’ADT s’est trouvée

confinée à l’accompagnement de la professionnalisation. Cette nécessité de

positionnement s’explique par le constat du renforcement de la position d’accueil,

d’information et de promotion des OT, pilotés pour la plupart d’entre eux par les EPCI.

À cela s’ajoute le renforcement du pouvoir économique des régions, avec l’attribution

par ces dernières d’aides financières aux entreprises, une action qui n’est plus autorisée

dans les compétences du département. La mission d’ingénierie, comme on a pu

l’observer dans les institutions touristiques départementales de Charente-Maritime et

des Deux-Sèvres, représente une perspective stratégique qui complète les

caractéristiques de la légitimité et participe à l’attraction d’autres ressources (Aldrich

et Fiol, 1994 ; Zimmermann et Zeitz, 2002). La question du financement est d’ailleurs

cruciale pour ces structures, même si beaucoup reste à faire.

Conclusion

24 Dans le contexte français de réformes territoriales, le département semble être LA

collectivité qui est passée, relativement, à travers les mailles du filet des diverses

reconfigurations spatiales, ou encore du fameux « big bang territorial » (Torre et

Bourdin, 2015, p. 3). Annoncé comme en voie de disparition, cette collectivité se voit

confirmer des compétences importantes autour de la solidarité et de la cohésion

territoriale. Les lois MAPTAM et NOTRe n’ont d’ailleurs pas apporté de changement

concernant l’exercice de la compétence tourisme. Alors rien ne change ? Finalement

tout change ! Nous avons observé, concernant l’exercice de la compétence tourisme,

que l’échelon départemental se retrouve en quelque sorte pris en étau entre les EPCI et

les régions qui ont gagné en visibilité et lisibilité. De ce fait, les institutions touristiques

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

60

Page 63: Mondes du Tourisme

départementales ont dû s’adapter à un environnement changeant. Le fait que la loi ne

précise pas davantage les missions de l’échelon départemental dans l’exercice de la

compétence tourisme a permis aux conseils départementaux de fixer, dans le respect

de la loi, les objectifs selon leurs propres politiques départementales du tourisme. Mais

la légitimité du département a été malmenée dans le cadre de ces réformes

territoriales, qui ont été jusqu’à créer un nouvel échelon, la métropole, supplantant

une partie du périmètre spatial et d’actions du département. Le cas de la métropole de

Lyon est à cet égard particulièrement significatif. L’absence d’un chef de file désigné

pour l’exercice de la compétence tourisme par les collectivités territoriales a suscité

une attitude opportuniste de l’institution touristique départementale. Au regard de la

compétence relative à la solidarité et à la cohésion territoriale du département,

l’institution touristique départementale cherche à creuser son sillon et à se démarquer.

Motivée par la recherche de financements, en réponse à une baisse des dotations

financières de la collectivité de tutelle, l’institution touristique départementale semble

avoir redéfini son ADN par rapport aux autres collectivités en charge de l’exercice de la

compétence tourisme. La pertinence de l’exercice de la compétence tourisme par le

département devra être questionnée. Il semblerait que, bien que la loi l’oblige, chaque

département associe au tourisme des missions qui lui semblent cohérentes face aux

problématiques du territoire. En définitive, ce travail étant exploratoire, notre

réflexion demande à présent à être complétée par le cas d’autres départements et, plus

globalement, d’autres échelons territoriaux.

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NOTES

1. Loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les

départements, les régions et l’État publiée au Journal officiel de la République française (JORF) du

9 janvier 1983, p. 215

2. Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et

d’affirmation des métropoles publiée au JORF n° 0023 du 28 janvier 2014, p. 1562

3. Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales

et départementales et modifiant le calendrier électoral publié au JORF n° 0014 du 17 janvier 2015,

p. 777

4. Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République

publiée au JORF n° 0182 du 8 août 2015, p. 13705.

5. Loi n° 92-1341 du 23 décembre 1992 portant sur la répartition des compétences dans le

domaine du tourisme, publiée au JORF n° 299 du 24 décembre 1992, p. 17657.

6. Ordonnance n° 2004-1391 du 20 décembre 2004, art. 5 (V) publiée au JORF du 24 décembre

2004, entrée en vigueur le 1er janvier 2005.

7. Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales publiée au JORF

n° 0292 du 17 décembre 2010, p. 22146.

8. Voir : https://www.lagazettedescommunes.com/487237/depuis-la-loi-notre-la-competence-

tourisme-se-divise-entre-cooperation-et-competition/

9. Loi d’orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la

République publiée au JORF n° 33 du 8 février 1992, p. 2064.

10. Loi du 22 mars 1890 sur les syndicats de communes ajoutant un titre 8 (art. 169 à 180) à la loi

du 05-04-1884 relative à l’organisation municipale publiée au JORF du 6 mars 1890, p. 91.

11. Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la

République publiée au JORF n° 75 du 29 mars 2003, p. 5568.

12. Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales publiée au JORF

n° 190 du 17 août 2004, p. 14545.

13. Op. cit.

14. Nom de l’assemblée délibérante depuis les élections départementales des 22 et 29 mars 2015.

Auparavant cette assemblée s’appelait « conseil général ».

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 66: Mondes du Tourisme

15. À l’exception de quelques cas particuliers, telles que les stations classées tourisme.

16. 69,3 % des nuitées hôtelières, en 2016, sont générées par la clientèle affaire, URL : http://

www.pro-tourisme-deux-sevres.com/wp-content/uploads/2018/01/Chiffres-cl%C3%A9s-2016.pdf

17. http://www.tourisme-deux-sevres.com/infos-pratiques/contacter-nos-offices-de-tourisme

18. Délibération n° 5A de la séance du 12 mars 2018 du Conseil départemental des Deux-Sèvres

relative à la compétence tourisme, art. 1 et art. 2.

19. Voir : https://charentestourisme.com/Creer-et-developper/J-analyse-mon-territoire/Les-

chiffres/Chiffres-cles ?p =-1

20. Le département a compté jusqu’à 31 offices de tourisme, soit un par canton.

21. Selon le rapport de la Mission des offices de tourisme Nouvelle-Aquitaine (Mona), « État des

lieux du réseau offices de tourisme en Nouvelle-Aquitaine », 2019, p. 25

22. Anonyme, « Deux-Sèvres. Tourisme : l’ADT déménage et fait 60 000 € d’économie », Courrier de

l’Ouest.fr, 2015 [https://www.courrierdelouest.fr/actualite/deux-sevres-tourisme-ladt-demenage-

et-fait-60-000-deconomie-22-12-2015-250130].

23. Op. cit.

24. Support de présentation de la séance plénière des conseils départementaux de Charente et

Charente-Maritime présenté à Saintes le 25 septembre 2017.

RÉSUMÉS

En France, plusieurs régions et intercommunalités ont connu, ces cinq dernières années, de

profondes évolutions tant dans leurs dimensions spatiales que dans l’attribution d’un portefeuille

de compétence. Le département, soumis à diverses menaces de disparition, est confirmé dans sa

compétence de solidarité et de cohésion territoriale. Le tourisme est une compétence partagée

par l’ensemble des collectivités territoriales. Aussi, dans sa politique touristique, le département

doit, selon le Code du tourisme, se coordonner avec les autres collectivités territoriales. Nous

nous sommes interrogés sur l’évolution des conditions de l’exercice des institutions publiques

départementales françaises dans ce contexte de récentes réformes territoriales. Nous

examinerons la manière dont les comités départementaux du tourisme, organisme d’application

de la politique départementale du tourisme, réagissent face à l’évolution du contexte territorial.

Nous analyserons pour cela deux départements à intensité touristique hétérogène : la Charente

Maritime et les Deux Sèvres.

In France, several regions and intermunicipalities have undergone profound changes over the

last five years, both in their spatial dimensions and in the allocation of a portfolio of

competences. The department, subject to various threats of disappearance, is confirmed in its

competence of solidarity and territorial cohesion. Tourism is a competence shared by all the local

authorities. Therefore, in its tourism policy, the department must, according to the tourism code,

coordinate with the other local authorities. We asked ourselves about the evolution of the

conditions under which French departmental public institutions operate in this context of recent

territorial reforms. We will examine the way in which the departmental tourism committees,

responsible for implementing departmental tourism policy, react to changes in the territorial

context. To this end, we analyze two departments with heterogeneous tourism intensity: Deux-

Sèvres and Charente-Maritime.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 67: Mondes du Tourisme

INDEX

Mots-clés : départements, réformes, tourisme, compétences, territoires

Keywords : departments, reforms, tourism, competence, territories

AUTEURS

JÉRÔME PIRIOU

Docteur en géographie, professeur-assistant

Excelia Group – La Rochelle Business School

CERIIM – Centre de recherche en intelligence et innovation managériales

[email protected]

MARIE-NOËLLE RIMAUD

Docteure en droit, professeure-associée

Excelia Group – La Rochelle Business School

Directrice du laboratoire INNOV Case Lab

[email protected]

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 68: Mondes du Tourisme

Engagement des étudiants entourisme, hôtellerie et restaurationenvers leur domaine d’études etleur carrière : les facteursdéterminantsCommitment of tourism, hotel and restaurant management students to their

field of study and their career: determining factors

Jean Lagueux et Audrey Nanot

Introduction

1 D’ici 2035, la croissance de l’industrie touristique canadienne risque d’être

sérieusement compromise du fait d’une pénurie annoncée de 235 000 travailleurs

(Conference Board Canada, 2016), ce qui amène les établissements d’enseignement en

tourisme, hôtellerie et restauration (THR) à se questionner sur les moyens de

recrutement et de formation à mettre en œuvre pour attirer des candidats ayant un

fort potentiel d’engagement envers leur future carrière.

2 En effet, si c’est souvent la passion d’un métier qui amène un individu à choisir une

carrière, la réalité du milieu professionnel peut parfois apparaître comme étant en

porte-à-faux par rapport aux aspirations profondes de ces mêmes individus. Afin de

répondre à cette problématique, la présente recherche identifie des facteurs ayant une

influence sur le degré d’engagement d’un étudiant à persévérer dans le domaine choisi.

Ces facteurs peuvent être nombreux, depuis les conditions socioéconomiques d’un

territoire, en passant par la culture d’une industrie, le type d’emploi jusqu’au profil de

l’individu. Cependant, cette recherche écartera l’analyse des milieux de travail pour

mieux saisir le ressenti de l’individu par rapport à cet environnement, en lien avec les

expériences professionnelles vécues avant et au cours de son parcours académique.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 69: Mondes du Tourisme

I. La revue de littérature

3 Alors que de nombreuses recherches en gestion ont identifié les facteurs favorisant la

loyauté des individus à une organisation, peu ont lié les traits intrinsèques d’un

étudiant, en processus d’apprentissage, à sa volonté de persévérer dans le domaine

choisi (Costen et Salazar, 2011). Afin d’aborder cette problématique, les concepts

entourant la carrière d’un individu, l’appréciation de son environnement de travail et

les intentions reliées au domaine d’études choisi ont, dans un premier temps, été

extraits de la littérature existante sur le sujet. Dans un deuxième temps, le concept

d’expérience émotionnelle en milieu de travail, qui fait état du ressenti de l’individu

lorsqu’il est en milieu de travail, est défini à partir des écrits existants. Enfin, à partir

des recherches effectuées sur les employés de services en THR, certaines

prédispositions de l’individu sont précisées.

Engagement envers sa carrière

4 Premièrement, au cœur de la problématique de cette recherche, se situe la propension

d’un employé à s’engager dans différents cadres organisationnels et certaines

industries. Au-delà de la loyauté envers son organisation, le construit d’engagement

envers sa carrière est ici plus pertinent (Darden et al., 1989).

5 Les travaux de London et Noe (1997) font état d’un ensemble de facteurs endogènes et

exogènes à l’individu pouvant être reliés à sa motivation à poursuivre ou non dans la

même voie de carrière. La revue de littérature qui suit relève un ensemble de

paramètres évoqués dans la littérature scientifique de la gestion des ressources

humaines et du comportement organisationnel afin de construire un modèle d’analyse

pouvant expliquer la motivation sous-tendant la loyauté envers sa carrière.

6 Afin de mieux cerner cette propension de l’individu à s’engager, les travaux de Carson

et Bedeian (1994) arrivent à un construit composé de trois dimensions. La première

examine comment les individus se projettent dans les tâches à accomplir et comment

ils s’identifient ultimement à leurs responsabilités professionnelles. La deuxième

dimension du concept, la planification de carrière, fait référence au contrôle exercé par

les individus sur les mesures conscientes qu’ils ont prises pour planifier leur carrière,

c’est-à-dire leur capacité à faire des choix qui font partie d’un schéma interne et qui

sont alignés à leurs convictions personnelles ou à leurs croyances professionnelles. La

troisième et dernière dimension, la résilience professionnelle, examine la capacité des

employés à travailler avec un certain degré de pression, à réagir de manière

professionnelle aux défis imprévus et à conserver l’énergie nécessaire pour continuer

sur la voie professionnelle librement choisie (Darden et al., 1989).

7 Dans la même veine, la recherche sur la persévérance scolaire est prolifique et a

hautement contribué à mieux comprendre la progression des étudiants dans leur

cheminement scolaire. Le fait d’avoir un emploi rémunéré pendant ses études est

désormais reconnu comme ayant des effets négatifs sur la continuité des études

(Maurel et al., 2009). Toutefois, la littérature s’est peu attardée à saisir les effets de la

poursuite d’un programme d’études sur la continuité du choix de carrière d’un

étudiant. Ainsi, l’intention de terminer son programme d’études, voire de changer de

programme ou de travailler dans un autre champ d’activité n’est pas documentée. Cette

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Page 70: Mondes du Tourisme

étude s’intéresse donc à la continuité de carrière sous le regard de la persévérance

scolaire.

L’appréciation de l’expérience au travail

8 Afin de mieux saisir les facteurs agissant sur la capacité à se projeter dans le futur, les

construits issus des mesures de performance au travail peuvent être considérés. Ainsi,

la littérature en gestion des ressources humaines continue de lier le sentiment positif

ressenti par un individu en milieu de travail à sa performance et à sa volonté de

persévérer. Partant de ce consensus, la dimension propre à la satisfaction au travail

demeure à ce jour un construit incontournable dans l’étude des liens que les employés

peuvent entretenir avec leur emploi (Brown et Lam, 2008).

9 Dans le but d’approfondir cette appréciation du milieu de travail, de nouveaux

construits émergent afin de saisir d’autres aspects de la dynamique de travail de

l’employé. Ainsi, le concept d’expérience au travail apparaît au tournant des

années 1970 et a depuis intégré un certain nombre de perspectives liées aux notions de

qualité, de valeur et d’émotions. En effet, dans le but de réduire les taux de rotation de

leur personnel, les organisations ont commencé à inclure à leurs pratiques de gestion

des ressources humaines des approches de marketing interne afin de résoudre les

problèmes liés à l’engagement des employés (Jones, 2008). Or, le concept d’expérience

dans un milieu professionnel a rapidement pris une perspective différente que celle

utilisée pour mesurer la satisfaction des clients. Des concepts tels que le travail

émotionnel des employés (Lee et Ok, 2012 ; Seymour, 2000), le bien-être individuel

(Johnson et Spector, 2007), le plaisir et la satisfaction au travail (Young Gin et al., 2013)

ont permis de mettre en lumière de nouveaux aspects propres à la compréhension de la

performance émotionnelle des employés de service. Alors que ce dernier concept, la

satisfaction en milieu de travail, s’avère être une mesure a posteriori d’un événement,

plusieurs chercheurs ont tenté de saisir la validité de l’expérience émotionnelle propre

au moment de l’épisode de travail. Dans cette optique, le degré de plaisir et d’excitation

ressenti par l’employé devient un facteur de plus en plus utilisé pour caractériser

l’environnement de travail (Plester et Hutchison, 2016). Cette perspective, axée sur

l’impact à moyen terme de l’expérience professionnelle vécue par le prestataire, sera

donc celle priorisée dans le cadre de cette étude.

Les prédispositions des individus

10 Comme mentionné par London et Noe (1997), un regard sur le travailleur – l’étudiant

dans le cadre de notre étude – et de ses prédispositions s’avère judicieux afin d’orienter

une lecture juste du profil d’individus les plus enclins à se démarquer dans ce type

d’environnement et à se projeter dans leur choix de carrière.

11 La littérature propre au milieu THR a largement étudié les caractéristiques

individuelles qui correspondent le mieux aux emplois liés à la prestation de services.

Ainsi, la qualité du service offert et la performance globale des agents ont souvent été

examinées à travers l’étude des traits de personnalité (Lee-Ross et Pryce, 2005), des

prédispositions innées (Winsted, 1997), des compétences acquises, des valeurs

personnelles et des éléments culturels (Johns et al., 2007).

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Les antécédents culturels

12 L’une des tâches essentielles de tout employé en THR est d’accueillir et de servir des

invités de toutes origines culturelles et ethniques. Par conséquent, il existe une

abondante littérature explorant l’empreinte culturelle individuelle comme antécédent

à la performance professionnelle (Lee et al., 2018 ; Taylor et McArthur, 2009). De plus,

les marqueurs culturels sont plus que jamais des repères significatifs lorsqu’on tente

d’expliquer la relation que certains individus entretiennent avec leur milieu de travail

(Sizoo et al., 2004). Lorsque l’on considère les caractéristiques propres à l’expression

culturelle dans des cadres conceptuels, les construits issus des recherches de Geert

Hofstede sont souvent les premiers utilisés (Yoo et al., 2011). Parmi les six dimensions

examinées pour mesurer l’impact de la culture sur l’organisation du travail,

l’orientation individualisme/collectivisme et le degré de distance hiérarchique perçu

dans les relations professionnelles sont les deux dimensions les plus couramment

utilisées pour explorer le sentiment d’identité ou d’appartenance des employés

(Hofstede et al., 2017). Mentionnons que les recherches d’Hofstede sont orientées vers

la mesure de traits caractéristiques à toute une nation (Bearden et al., 2006). Or, si l’on

désire se rapprocher des prédispositions individuelles, une autre perspective sur la

culture doit être adoptée. Ainsi, une dimension qui reprend de l’importance dans les

milieux de travail du THR est la présence d’environnements plus ou moins formels,

dans lesquels il existe une distance hiérarchique plus ou moins forte entre les individus

(Dash et al., 2006). De plus, ces milieux de travail sont également caractérisés par la

présence d’individus dont l’expression du comportement varie d’une approche plus

individualiste ou collectiviste (Johns et al., 2007). Ces deux dimensions à elles seules

permettent de situer plus précisément l’individu quant à sa capacité à lire les attentes

inhérentes à son comportement au sein d’une équipe de travail, mais également à y

répondre adéquatement dans une structure plus ou moins statique quant à son

organisation hiérarchique. Différentes études dans le milieu THR (Koc, 2013 ; White,

2005) ont en outre démontré le lien positif entre la perception de la distance

hiérarchique, d’une organisation de travail plus collectiviste qu’individualiste et le

degré de satisfaction ressentie par l’employé de service ; ces deux dimensions

apparaissent donc comme des indicateurs fiables à considérer dans l’explication des

facteurs liés à l’appréciation du milieu de travail.

L’orientation client des employés de services

13 La nature des tâches des emplois en THR est par ailleurs spécifique au domaine des

services, dans un environnement de consommation hédonique, et requiert de faire le

lien entre le profil des employés de service et la satisfaction qu’ils peuvent apporter à la

clientèle lors des interactions de service. Le concept de COSE (Customer Oriented Service

Employee, ou employé de service orienté client) (Kang et Hyun, 2012), défini comme

étant la tendance ou la prédisposition d’un prestataire de service à répondre

adéquatement aux besoins d’un client dans un contexte professionnel (Brown et al.,

2002), s’avère judicieux pour analyser l’engagement du travailleur dans ce contexte de

travail particulier. Ce construit est composé de quatre dimensions qui deviennent de

bons indicateurs pouvant influencer l’appréciation du milieu de travail (Kang et Hyun,

2012). La première dimension fait référence au niveau de compétences techniques

acquis par les employés, les rendant plus ou moins bien outillés pour répondre aux

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Page 72: Mondes du Tourisme

besoins des clients lorsqu’en situation de prestation de service. La deuxième dimension,

axée sur les compétences sociales, analyse la capacité des employés à dialoguer de

manière significative avec les clients afin de bien percevoir ce que les clients

communiquent et ce qu’ils ressentent. La troisième dimension aborde le degré de

motivation : elle fait référence au degré d’engagement des employés à l’égard de leur

travail, tel que démontré dans leurs interactions avec les clients. Enfin, la dimension de

l’autorité décisionnelle fait référence à la capacité des employés à prendre des

décisions de manière autonome sans avoir à vérifier avec les supérieurs hiérarchiques.

Ce concept se distingue de celui de l’autonomisation, qui est l’autorité donnée par

l’organisation aux employés afin qu’ils prennent leurs propres décisions. Cette

prédisposition envers le client s’est révélée être un indicateur fiable permettant de

relier le concept de COSE à la satisfaction du client ou à la qualité du service (Hennig‐Thurau, 2004).

Le locus de contrôle

14 Enfin, et dans le but de préciser le profil d’employé souhaité, d’autres dimensions de

l’individu présentent un intérêt pour saisir le degré d’engagement de l’employé.

Notamment, le concept de « locus de contrôle », qui a largement été utilisé dans les

domaines du leadership et de la motivation, permet de mesurer la faculté de l’individu à

percevoir l’inhérence des événements de son existence comme étant propre à sa

volonté ou externe à ses décisions (Rotter, 1966). Dans les faits, les individus qui

estiment avoir un certain contrôle sur leur destin – locus de contrôle interne – ont

tendance à démontrer une plus grande compréhension de leur lieu de travail que ceux

qui pensent que le monde extérieur contrôle leur destin (Salazar et al., 2002). De plus,

dans le milieu THR, Silva (2006) a, plus spécifiquement, constaté que les attitudes des

employés vis-à-vis de leur emploi, en particulier leur engagement envers l’organisation

et leur satisfaction au travail, étaient étroitement liées à la mesure de leur locus de

contrôle. Cette dimension présente donc un fort intérêt lorsque pour comprendre

l’adéquation entre l’individu et la nature de l’emploi.

II. Le model conceptuel

15 Le modèle conceptuel émanant de cette revue de littérature est donc fondé sur les

travaux de London et Noe (1997) et sur la théorie de motivation de carrière. London et

Noe (1997) se réfèrent à un certain nombre de facteurs situationnels qui, eux-mêmes,

émanent des théories de la motivation. Cette théorie fait ressortir les facteurs de

motivation reliés au développement de carrière chez les individus et tente d’isoler

certains de ces facteurs, endogènes ou exogènes, ayant des liens avec la progression

professionnelle.

16 Ainsi, un modèle conceptuel dérivé de la littérature sur le comportement

organisationnel et les ressources humaines relie un certain nombre de prédispositions

des employés en tentant compte d’une nouvelle dimension, à savoir le degré de plaisir

vécu lors d’un épisode de travail.

17 Composé de sept construits, le cadre analytique relie quatre prédispositions

individuelles à une variable d’appréciation du milieu de travail, elle-même reliée au

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Page 73: Mondes du Tourisme

concept d’engagement de carrière et à trois dimensions d’intentions futures des

participants.

18 Sur la base de notre revue de littérature, trois hypothèses principales ont été énoncées.

L’hypothèse n° 1 examine la relation entre l’appréciation en milieu de travail

(expérience émotionnelle) et l’engagement professionnel, tandis que l’hypothèse n° 2

énonce un certain nombre de relations entre cette même appréciation en milieu de

travail et les intentions futures des étudiants. Enfin, l’hypothèse n° 3 énonce les

relations attendues entre des facteurs endogènes à l’individu et l’appréciation de

l’environnement de travail. La figure 1 illustre l’ensemble d’hypothèses entre chaque

construit. Le tableau 1 énonce les relations attendues et présente les résultats obtenus.

Figure 1. Cadre conceptuel

La méthodologie 

19 Afin de mener à bien cette recherche, un échantillon de 600 étudiants, fréquentant tous

le même établissement, a été sollicité. Cet établissement propose trois ordres distincts

d’enseignement, dont deux ont été sondés : l’ordre collégial (trois techniques distinctes

en tourisme, hôtellerie et restauration)1 et universitaire (en tourisme et hôtellerie). Sur

ce nombre de possibles répondants, 465 questionnaires ont été recueillis, dont 424 ont

finalement été conservés pour la validité de leurs résultats. Le questionnaire, développé

en utilisant des échelles de mesure déjà existantes, a été distribué en classe.

20 L’analyse factorielle confirmatoire n’a pas confirmé la présence d’une structure

factorielle de second ordre pour les construits de COSE et d’engagement de carrière. Les

facteurs individuels ont été traités séparément dans le cadre de l’analyse. De plus, afin

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Page 74: Mondes du Tourisme

d’obtenir une cohérence interne, le coefficient alpha de Cronbach a été évalué pour

toutes les échelles (Nunnally, 1978).

Le profil de l’échantillon

21 Au total, parmi notre échantillon de 424 répondants, 66 % des individus se sont

identifiés comme étant des femmes et 44 % comme étant des hommes. 42 % des

participants étaient en première année d’étude, 30 % en deuxième année et 28 % en

troisième année ou plus. En ce qui concerne les groupes d’âge, 45 % de l’échantillon

avaient entre 17 et 20 ans, 45 % entre 21 et 25 ans et 10 % 26 ans et plus. La répartition

des étudiants par programme d’études a révélé que 33 % des étudiants suivaient un

programme international de gestion hôtelière, 23 % étaient dans un programme de

gestion de la restauration, 23 % dans un programme de gestion touristique (trois

niveaux collégiaux) et 21 % faisaient partie d’un programme de gestion touristique et

hôtelière au niveau universitaire.

22 S’agissant de l’expérience de travail, 27 % des participants avaient de 0 à 6 mois

d’expérience de travail dans leur domaine d’études, 19 % avaient de 7 à 12 mois

d’expérience, 18 % avaient de 13 à 24 mois d’expérience, 18 % avaient 48 mois

d’expérience et 18 % avaient 49 mois ou plus d’expérience professionnelle.

Le portrait des répondants 

23 Afin d’obtenir une meilleure compréhension de notre échantillon de population en

fonction de leurs caractéristiques individuelles perçues et liées aux variables choisies,

un portrait partiel a été dressé.

24 Dans l’ensemble, les étudiants s’estiment plus collectivistes qu’individualistes

(̅ = 5,2 / 7) et ils manifestent aussi une appréhension de la distance hiérarchique plus

faible (̅ = 2,3 / 7), ce qui démontre un sens plus élevé de l’égalité en termes de

perception de la distribution du pouvoir dans leur environnement. Quant à l’expression

de leur orientation client, ils ont déclaré posséder de bonnes compétences techniques

(̅ = 5.6 / 7) et d’excellentes aptitudes sociales (̅ = 6.3 / 7), qui seraient typiques des

étudiants formés en programmes d’accueil. La troisième dimension du COSE, la

motivation perçue, a obtenu une moyenne de 6,2 / 7, ce qui illustre une plus grande

perception de leur propre désir de faire les efforts appropriés pour accomplir une tâche

professionnelle donnée.

25 Pour la dernière prédisposition étudiante, les résultats montrent qu’ils se perçoivent

comme ayant un locus de contrôle plus interne qu’externe (̅ = 5,5 / 7), ce qui indique

qu’ils sont dotés de la croyance personnelle d’avoir le contrôle de leur propre vie. Les

résultats liés aux épisodes de travail vécus par les étudiants révèlent par ailleurs qu’ils

ont surtout ressenti un sentiment de plaisir au travail (̅ = 5,4 / 7).

26 Enfin, en termes d’engagement dans leur carrière, les résultats montrent que les

étudiants ont tendance à s’identifier très fortement à leur carrière (̅ = 6,0 / 7) mais

qu’ils sont moins enclins à se projeter dans un plan de carrière (̅ = 4,9 / 7) et qu’ils

étaient également moins résilients donc moins outillés pour rebondir face aux défis liés

au travail (̅ = 4.4 / 7).

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Page 75: Mondes du Tourisme

Les résultats

27 Des analyses de régression simple et multiple ont été utilisées pour étudier le lien entre

ce que les étudiants ont vécu, expérimenté au cours de leur épisode de travail et les

trois dimensions de l’engagement professionnel. Ces trois dernières montrent certaines

relations. Le tableau 1 et la figure 2 rapportent les résultats au regard des hypothèses

qui ont été confirmées.

Figure 2. Résultats des hypothèses de recherche

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Page 76: Mondes du Tourisme

Tableau 1. Synthèse des hypothèses et des résultats

28 La première série d’analyses examine la relation entre les épisodes de travail des

étudiants et l’engagement envers leur carrière. Premièrement, une analyse de

régression simple a été utilisée avec l’identification de la carrière comme critère et les

variables associées aux épisodes de travail des étudiants comme prédicteurs. Les

résultats de l’analyse de régression indiquent qu’il existe une relation positive entre le

degré d’expérience émotionnelle vécue par les répondants (H1a : β = 0,233,

Rdeux = 0,026) et la façon dont ils s’identifient à leur carrière, ce qui signifie que plus le

travail est agréable, plus ils se sentent connectés à la profession choisie. Pour ce qui est

de la seconde dimension, l’engagement envers sa carrière ou la planification, un lien

positif est également obtenu (H1b : β = 0,222, Rdeux = 0,026). Enfin, pour la troisième

dimension, l’appréciation de l’expérience en milieu de travail montre un lien positif

avec la résilience face à sa carrière (H1c : β = 0,261, Rdeux = 0,029). La variance

expliquée par ces trois facteurs est très basse, ce qui indique que bien d’autres facteurs

peuvent en effet expliquer la variabilité associée à l’appréciation de l’expérience. Ces

résultats indiquent qu’une personne ayant une expérience émotionnelle positive sera

plus disposée à s’identifier à sa carrière, à la planifier et sera plus résiliente à travers sa

carrière.

29 Ces résultats sont conformes à d’autres études, dans lesquelles le facteur du plaisir (les

émotions positives au travail) est relié à des concepts similaires liés à l’emploi, tels que

l’intégration au travail (Tews et Michel, 2015) et l’engagement envers ses tâches

(Plester et Hutchison, 2016). Ils convergent également avec les travaux de Kong et Jiang

(2018) qui précisent que la présence d’émotions positives au travail, au travers de la

présence d’une intelligence émotionnelle supérieure, ont un lien positif avec

l’établissement d’objectifs reliés à sa carrière. Par conséquent, les présents résultats

confirment la pertinence du concept de plaisir au travail dans des modèles expliquant

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Page 77: Mondes du Tourisme

l’engagement des employés, au-delà de leur emploi, envers leur carrière. Cette relation

entre le plaisir vécu au travail et l’engagement envers sa carrière nécessitera d’être

investiguée davantage.

30 Le deuxième niveau d’analyse porte sur les liens entre l’expérience émotionnelle des

étudiants et leur intention de continuer à étudier ou travailler dans leur domaine de

carrière ou dans un autre domaine. Les résultats montrent qu’il existe un lien entre

l’expérience émotionnelle du participant, en milieu de travail, et la suite de ses études.

Ainsi, plus l’expérience émotionnelle est positive, plus l’individu a l’intention de

travailler dans le même domaine (H2a : β = 0,206, Rdeux = 0,002). Ce résultat est aussi en

lien avec la relation négative qui existe entre l’expérience émotive positive et le désir

de vouloir travailler dans un autre domaine (H2b : β = - 0,230, Rdeux = 0,018). D’autre

part, il existe aussi un lien négatif significatif entre l’expérience émotionnelle en milieu

professionnel et l’intention de poursuivre ses études dans un autre domaine (H2c : β = -

0,211, Rdeux = 0,130), ce qui signifie que plus l’expérience émotionnelle est positive,

moins l’étudiant sera enclin à étudier dans un autre domaine.

31 Bien que le modèle de Tinto (Bers et Smith, 1991) soit la référence en termes de

persévérance scolaire, peu d’études ont été menées pour examiner le lien entre le désir

de l’étudiant de poursuivre ses études dans un même domaine et les expériences

professionnelles vécues dans ce même domaine d’activité. Le modèle de Tinto

comprend deux dimensions, garantes de persévérance : l’intégration académique et

l’intégration sociale. Les recherches effectuées sur la relation entre ces deux concepts

et les intentions d’études demeurent mitigées et présentent souvent des résultats

contradictoires (Bers et Smith, 1991). L’intégration professionnelle, à adapter aux

programmes en alternance travail-études, serait alors une nouvelle dimension à

considérer dans la persévérance scolaire.

32 Le troisième niveau d’analyse porte sur les liens entre les prédispositions des étudiants

et leur appréciation de leur épisode de travail en tant qu’expérience émotionnelle. Une

régression multiple, avec l’appréciation de l’expérience de travail comme variable

dépendante, montre que les variables explicatives du modèle expliquent 21,2 % de la

variance.

33 Les résultats de cette régression multiple montrent, dans un premier temps, qu’il existe

un lien positif entre le fait de se percevoir comme plus collectiviste qu’individualiste

(H3a : β = 0,113) et le fait de vivre des émotions plus positives sur le lieu de travail. Ce

résultat est soutenu par les recherches de Hui et al. (1995) qui ont constaté que « les

employés collectivistes ont déclaré être plus satisfaits de leur travail, salaire,

promotion, supervision et collègues que leurs homologues individualistes ». Ainsi, le

trait collectiviste semble être moins lié aux émotions personnelles négatives. Les

résultats actuels confirment donc que le collectivisme et l’individualisme demeurent

des facteurs pertinents qui influent sur les résultats liés au travail.

34 Deuxièmement, également issu du concept de COSE, le fait de se percevoir comme

possédant de bonnes compétences techniques a aussi un lien positif (H3c-i : β = 0,099)

avec des émotions plus positives. Cet effet se traduit aussi au niveau de la motivation

envers son travail (H3c-iii : β = 0,579). Cela signifie que les individus éprouvent plus de

plaisir au travail lorsqu’ils se sentent mieux outillés d’un point de vue technique et

qu’ils sont plus motivés. Enfin, lorsque les étudiants démontrent un locus de contrôle

plus interne, une relation positive significative (H3d : β = 0,127) existe avec la présence

d’émotions positives, ce qui signifie que les étudiants qui ont l’impression de mieux

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Page 78: Mondes du Tourisme

maîtriser leur destin expérimentent davantage de plaisir au travail. Cette relation

positive entre le locus de contrôle des étudiants et l’expérience émotionnelle confirme

les résultats de Silva (2006) sur les attitudes professionnelles et l’engagement

organisationnel, dans lesquels cinq grands traits de personnalité et le locus de contrôle

sont positivement reliés à la satisfaction professionnelle des employés et leur

engagement. Cela confirme également les résultats de nombreuses autres études : un

locus de contrôle interne est positivement lié à des résultats de performance plus

souhaitables (Dijkstra et al., 2011 ; Twenge et al., 2004). Les résultats de cette étude

offrent donc une nouvelle perspective en confirmant que le locus de contrôle a aussi

une relation positive sur les émotions positives expérimentées en milieu professionnel

par les employés.

Conclusion

35 En conclusion, cette recherche offre des outils permettant d’identifier plus aisément un

individu porté à connaître des expériences positives en milieu professionnel et à

ultimement persévérer dans l’industrie. L’adéquation entre la satisfaction,

l’engagement et la persévérance est aussi probante. La richesse de ces résultats peut

s’avérer utile pour les recruteurs académiques afin de cibler au mieux les étudiants les

plus prompts à persévérer, mais permet aussi de détecter les individus dont la

performance pourrait être accrue dans leur première année de travail si le milieu

professionnel présente une forte adéquation avec la perception de plaisir et

ultimement le souvenir de satisfaction.

36 Plus spécifiquement, les résultats de cette étude peuvent aider les directions

d’établissement en milieu THR à développer l’offre d’emploi proposée aux étudiants au

cours de leurs programmes d’études. Lorsque les établissements aident les étudiants à

trouver un stage rémunéré, un emploi complémentaire à leur scolarité ou un poste

estival, ils peuvent se référer à ces résultats pour faire le lien avec les profils des

étudiants et pour ainsi mieux les préparer afin d’optimiser leur niveau d’engagement

envers leur future carrière. Ainsi, le fait de mieux comprendre le rôle des expériences

émotionnelles dans les stages professionnels peut les amener à se concentrer sur des

organisations qui visent à créer de véritables expériences positives pour leurs employés

et qui valorisent la notion de plaisir au travail. Puisqu’il existe un lien positif entre le

facteur du plaisir au travail et l’avenir des carrières des étudiants, il est donc logique

que les établissements d’enseignement et leurs représentants travaillent avec des

organismes qui visent à améliorer le niveau de plaisir au travail afin de garder les

étudiants dans le domaine de l’hospitalité. Les établissements d’enseignement formant

les futurs gestionnaires et la main d’œuvre en milieu THR peuvent également travailler

avec les étudiants afin de les aider à mieux appréhender l’importance du plaisir au

travail et leur enseigner des façons d’allouer du temps pour valoriser ce facteur.

37 Éduquer les étudiants à apprécier leurs propres compétences techniques peut

également mieux les préparer à leur environnement de travail. En effet, sensibiliser les

étudiants au fait que plus ils se sentent compétents au travail sur le plan technique,

plus ils sont susceptibles de vivre une expérience émotionnelle positive au travail, peut

inciter les étudiants à se concentrer sur l’acquisition de ces compétences. Les

enseignants dont le champ d’expertise touche plus spécifiquement l’accueil peuvent

également se concentrer sur les impacts positifs de bonnes compétences sociales et

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Page 79: Mondes du Tourisme

animer des ateliers et des sessions de formation dédiés afin d’outiller les étudiants pour

qu’ils deviennent des communicateurs efficaces, dotés de compétences sociales

exceptionnelles. De plus, il serait aussi tout à fait à propos de proposer des programmes

qui misent plus particulièrement sur l’expérience affective positive en milieu de travail.

38 Enfin, les établissements d’enseignement devraient prendre en compte le puissant

concept de locus de contrôle lors du recrutement des étudiants. La sensibilisation à

l’autodétermination et un locus de contrôle plus interne peuvent également permettre

aux étudiants d’avoir une meilleure appréciation de leur lieu de travail, tout en

s’amusant davantage. Sensibiliser les étudiants à prendre conscience de leur locus de

contrôle interne par des activités de mentorat, de coaching ou de jeux de rôles peut

être un moyen efficace de démontrer un comportement plus approprié au travail, de

promouvoir les émotions positives au travail, qui s’avèrent in fine bénéfiques pour leur

engagement envers leur carrière.

39 Finalement, il serait pertinent d’interpeller les responsables du recrutement dans les

organisations touristiques misant sur certaines dimensions propres à la qualité du

service à la clientèle et surtout à la rétention de leurs employés. En effet, ces résultats

pourraient aussi être vulgarisés et communiqués auprès des recruteurs afin de

valoriser le fait que les prédispositions les plus gagnantes chez les futurs candidats sont

celles axées sur le locus de contrôle et sur la mise en lumière des habilités techniques et

sociales.

Limites de la présente étude

40 Bien que les résultats de la présente étude se limitent à une seule population scolaire,

ils révèlent des relations significatives entre des concepts qui n’avaient pas été reliés

auparavant et ils fournissent des conseils utiles sur la façon d’améliorer les modèles

théoriques futurs. Cela permettra d’enrichir la compréhension globale de l’engagement

professionnel des étudiants pour la nouvelle génération de travailleurs plus diversifiée

entrant sur le marché du travail.

41 Ces résultats appellent néanmoins des études sur d’autres populations scolaires, dans

des contextes sociaux et culturels différents, afin de mieux comprendre les mécanismes

de la gestion de carrière. De plus, des études portant sur d’autres prédispositions, telles

que l’intelligence émotionnelle, l’empathie, l’auto-efficacité, l’adaptabilité, les

compétences de communication, entre autres, permettraient certainement de

comprendre comment l’engagement professionnel peut être façonné et renforcé.

42 Dernièrement, l’engagement professionnel devrait également être envisagé sous un

angle différent en tenant compte du facteur de longévité, plus précisément en

extrapolant le modèle actuel afin d’étudier les facteurs qui permettraient aux

travailleurs plus âgés de poursuivre leur carrière plus longtemps.

43 L’engagement professionnel est complexe et multidimensionnel et l’industrie THR est

aujourd’hui confrontée à des changements démographiques et à la nécessité de trouver

de nouvelles façons d’offrir une expérience distincte à sa clientèle. Des recherches

supplémentaires sont donc nécessaires pour affiner ces résultats.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

77

Page 80: Mondes du Tourisme

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NOTES

1. Le niveau collégial québécois offert dans les CÉGEP, correspond à un baccalauréat

professionnel français.

RÉSUMÉS

Au cours de leur formation académique, les étudiants dans le domaine du tourisme, de

l’hôtellerie et de la restauration ancrent lentement leurs choix de carrière dans l’industrie pour

laquelle ils étudient. Cette recherche, basée sur la théorie des motivations de carrière de London

et Noe (1997), établit un lien entre certaines dimensions intrinsèques des individus, telles que

l’empreinte culturelle, les traits d’orientation client et le locus de contrôle, et leur appréciation

des épisodes réels de travail au cours desquels des émotions positives sont vécues. Combinées aux

prédispositions individuelles des étudiants, ces expériences concrètes déterminent la manière

dont les étudiants s’engagent dans leur carrière naissante. Les résultats d’un sondage mené

auprès de 424 étudiants du secteur du tourisme ont révélé qu’il existait une relation positive

entre les étudiants ayant du plaisir au travail et la manière dont ils s’identifiaient, planifiaient et

faisaient preuve de résilience face aux défis liés à leur carrière.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 83: Mondes du Tourisme

During their academic training, students in the fields of tourism, hotel and restaurant

management slowly anchor their career choices in the industry for which they study. This

research, based on the theory of career motivations of London and Noe (1997), establishes a link

between certain intrinsic dimensions of individuals, such as cultural imprint, customer

orientation traits and locus of control, and their appreciation of the real work episodes during

which positive emotions are experienced. Combined with the individual predispositions of the

students, these concrete experiences determine the way in which students embark on their

nascent career. Results of a survey of 424 tourism students revealed that there is a positive

relationship between students who have fun at work and how they identify, plan and

demonstrate resilience in the face of challenges related to their careers.

INDEX

Mots-clés : emploi, tourisme, carrières, modèle de motivation, étudiants

Keywords : employment, tourism, careers, motivation model, students

AUTEURS

JEAN LAGUEUX

Professeur, Université du Québec à Montréal

Gestion stratégique des entreprises touristiques

[email protected]

AUDREY NANOT

Professeure, Institut du tourisme et de l’hôtellerie du Québec

Gestion de la diversité dans les entreprises touristiques

[email protected]

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 84: Mondes du Tourisme

L’évolution du discours sur lesressources humaines en tourisme :entre théories et pratiquesmanagérialesThe evolution of the discourse on human resources in tourism: between

managerial theories and practices

Boualem Kadri, Mohamed Reda Khomsi et Cyril Martin

Introduction

1 L’entreprise, acteur majeur dans la société aujourd’hui, fait de plus en plus l’objet d’une

attention particulière de la part des chercheurs et des acteurs politiques et sociaux :

elle s’organise, s’adapte, apprend et marque son implication par une responsabilité

sociale. Ce processus évolutif et adaptatif de l’organisation à la société montre un

management postindustriel qui donne avantage non à la rationalité (technologie,

organisation rationalisée) mais à la dimension de la ressource humaine de l’entreprise

(Crozier, 1989). Peretti (2013, p. 6) résume ainsi l’évolution de cette dimension :

La fonction personnelle a émergé lentement dès la première moitié du XXe, s’estprofessionnalisée dans la seconde moitié, est devenue fonction des ressourceshumaines et est reconnue comme une fonction stratégique aujourd’hui.

2 Depuis les années 2000, la pratique des ressources humaines devient « partenaire »,

s’adapte au contexte et aux défis (contingence de l’environnement) et s’ancre, pour

l’horizon 2020, dans la société (responsabilité sociale, développement durable,

humanitaire) (Peretti, 2013, p. 17).

3 S’agissant du tourisme, on note aussi que cette activité a évolué depuis les années 1970,

d’une situation qualifiée d’éphémère (animations réalisées en fonction de la présence

temporaire des touristes, pratiques économiques peu planifiées) à celle où l’activité

devient une fonction stratégique, notamment pour l’économie urbaine et le

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 85: Mondes du Tourisme

développement territorial, ainsi qu’un « genre commun » pour la société (Lussault et

Stock, 2007). Mais cette évolution est-elle aussi constatée en matière de gestion des

ressources humaines de l’entreprise touristique ?

4 L’irruption de nouvelles activités, dans l’économie traditionnelle des années 1970, tels

les services et notamment ceux liés au tourisme (loisirs, divertissement, événements),

résulte en une réalité économique et managériale confrontée à divers aspects :

l’importance des relations humaines dans la confection du produit, la dimension

d’intangibilité du produit, une gestion des ressources humaines différente, dans

laquelle la prestation du personnel est une partie intégrante de la qualité du produit et

de l’expérience humaine. Par ailleurs, une autre réalité vient marquer l’évolution du

tourisme, notamment en ce qui concerne la construction de son identité scientifique,

qui s’édifie peu à peu par la confrontation interdisciplinaire nécessaire à la

compréhension de la complexité du phénomène touristique. Nous nous intéressons ici

au discours en gestion des ressources humaines en tourisme, et plus particulièrement à

son évolution dans le développement du tourisme et de l’entreprise. Si le discours

scientifique sur cette complexité touristique se développe, en est-il de même du

discours concernant la gestion des ressources humaines ? Ce dernier évolue-t-il de la

même manière que celui observé dans le management de l’organisation en général ?

Comment se présente le discours en gestion des ressources humaines dans la recherche

en tourisme, notamment dans les ouvrages et les revues ? Pour répondre à ces

interrogations, le présent article propose une analyse de type épistémologique du

discours sur la gestion des ressources humaines en tourisme, constituée à partir

d’articles issus de la revue Espaces tourisme & loisirs. En sus d’être francophone, le choix

de cette revue est motivé, d’une part, par le fait qu’elle est considérée par plusieurs

acteurs du tourisme comme un espace privilégié pour exprimer leurs regards sur

différents sujets qui touchent leur secteur et, d’autre part, par la possibilité offerte par

la revue de mener une analyse diachronique sur les articles qui traitent de la gestion

des ressources humaines en tourisme depuis les années 1990.

1. Revue de littérature

5 Pour saisir l’évolution du discours sur la gestion des ressources humaines en tourisme,

nous avons lancé une recherche dans les principales bases de données scientifiques

francophones (Cairn.info, OpenEdition, Persée, Tel [thèses en ligne] et Emerald Insight),

indexées par le moteur de recherche Google Scholar, en utilisant des mots clés assez

génériques comme : gestion des ressources humaines, GRH, tourisme, entreprise

touristique. À ce titre, les résultats des différentes requêtes recensent un total de

3 550 références publiées entre 2000 et 2019, réparties sur 99 pages. Au-delà de la

dimension quantitative, deux constats importants peuvent être tirés des résultats de

cette recherche :

Même si notre objectif n’était pas de recenser des livres ou des manuels scolaires qui traitent

de la gestion des ressources humaines en tourisme, il est intéressant de souligner qu’il

n’existe aucun livre dédié exclusivement au sujet et référencé sur le moteur de recherche.

Cette dimension se retrouve cependant dans plusieurs ouvrages qui traitent de la gestion

des entreprises touristiques et elle occupe souvent un chapitre à part entière. Nonobstant

cette existence, les problématiques abordées traitent dans la grande majorité de cas

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

83

Page 86: Mondes du Tourisme

d’adaptation des techniques de gestion des ressources humaines au contexte touristique eu

égard aux caractéristiques spécifiques de ce secteur.

Pour ce qui est des articles scientifiques, sur les 3 550 références répertoriées sur Google

Scholar, uniquement trois articles abordent la question de l’évolution de la gestion de

ressources humaines en tourisme. Pour les autres articles, la dimension touristique est soit

absente, soit marginale, dans la mesure où le tourisme est cité uniquement pour illustrer des

problèmes reliés souvent aux questions d’employabilité (recrutement, formation, adaptation

culturelle, etc.).

6 Tenant compte de la faiblesse du corpus scientifique dédié à l’étude de l’évolution de la

gestion des ressources humaines en tourisme, nous avons jugé important de retracer

l’évolution de cette pensée GRH dans les manuels et les ouvrages généraux, dans la

perspective de dégager une trame historique qui pourrait guider notre lecture des

textes analysés dans la revue Espaces tourisme & losirs.

1.1. De la gestion de la force de travail à la gestion des talents

7 L’observation de la littérature en management de l’organisation fait ressortir des

efforts importants sur le plan scientifique : rapprochement entre sciences humaines de

gestion, prise en compte des problématiques engendrées par les divers

environnements, rupture avec la vision organiciste de l’entreprise et importance

d’asseoir un discours managérial où la fonction stratégique des ressources humaines

est présente. Dès 1987, Juan et Jacob observaient un effort d’intégration des sciences de

la gestion et des sciences humaines dans les nouvelles conceptions managériales,

soulignant par ailleurs que la transmission des connaissances portant sur la dimension

humaine n’était pas unanimement reconnue, mais que la tentation de son contrôle et

de son encadrement était toujours présente. Aujourd’hui, cette dimension occupe une

place importante dans les théories du comportement organisationnel et constitue un

pilier de la réflexion théorique dans le domaine du management. Ce postulat est aussi

observable à la consultation de la table des matières d’ouvrages de management

organisationnel où la question des ressources humaines est omniprésente. L’analyse

des thématiques traitées sous ce volet au cours des quarante dernières années permet

de conclure à un changement radical du paradigme qui soutient la pensée scientifique

dans ce domaine de recherche. À titre d’illustration, déjà en 1994, Côté, Bélanger et

Jacques constataient qu’en à peine quelques décennies, on est passé d’une vision

« mercantiste », où l’individu est considéré comme une force de travail, à une vision

bureaucratique, où le comportement des individus devra être uniformisé dans un souci

de productivité, puis finalement à une vision organiciste où l’entreprise s’adapte aux

besoins de l’individu.

8 Dans un contexte de mobilité internationale de la main-d’œuvre, de nouveaux défis

apparaissent pour les entreprises, dont celles en tourisme et hôtellerie, nous faisant

observer deux problématiques : d’une part, celle de l’adaptation de l’individu à

l’organisation et au travail (culturelle) et, d’autre part, l’intégration des nouvelles

technologies dans toutes les sphères de l’organisation. Selon Robbins et Judge (2011),

dans un contexte où les entreprises opèrent sur plusieurs continents, les équipes de

gestion sont appelées à collaborer sur certains dossiers de façon permanente, voire

instantanée. Les nouvelles technologies permettent de dépasser les barrières

spatiotemporelles en mettant en lien des équipes situées un peu partout à travers la

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Page 87: Mondes du Tourisme

planète, mais amènent en même temps de nouvelles problématiques en matière

d’organisation du travail (travail en réseau, travail à distance, etc.).

9 La nécessité d’une adaptation aux contextes local et international conduit à

l’émergence de nouveaux rôles et fonctions des ressources humaines dans l’entreprise,

mis en évidence dans la littérature académique. Ainsi, selon Dupont (2013), la fonction

qui doit être attribuée aux ressources humaines (RH) fait l’objet de nombreux discours

quant au rôle qu’elles pourraient exercer au sein des entreprises et aux défis qu’elles

devraient pouvoir relever. Dans les années 1990, des recherches effectuées en Europe

montrent la valorisation de la fonction du DRH (développement organisationnel) et

l’importance accordée à la fonction de DRH (position stratégique) au sein de

l’entreprise (Bournois, Rojot et Scaringella, 2003).

10 En embrassant ce développement stratégique, un DRH doit faire preuve d’une grande

polyvalence s’agissant du fonctionnement de l’entreprise, de façon à se positionner en

tant que réel acteur stratégique de son organisation. Ses fonctions pourraient être

« hyper-partagées » (Guérin et Pigeyre, 2007) par le transfert de certaines activités

aussi bien vers l’extérieur que vers l’intérieur de l’entreprise.

1.2. En tourisme, la GRH est en mode d’adaptation continue

11 Le tourisme est présenté par les organismes internationaux comme une des activités les

plus performantes dans le monde (plus de 9 % du PIB mondial), qui comporte aussi

divers aspects la distinguant des autres activités économiques, ce que font aussi les

ouvrages en tourisme (généraux et spécialisés). Dans les ouvrages généraux, on

remarque que l’entreprise et la gestion des ressources humaines sont présentées à

travers notamment les problèmes rencontrés par l’activité et les pratiques développées.

Mesplier et Bloc-Duraffour (2014) donnent quelques informations sur le lien entre

tourisme et emploi, en montrant son importance économique tout en précisant la

difficulté à l’évaluer (emplois directs-indirects, consommation trans-sectorielle, etc.).

Stock et ses collègues (2003), abordent aussi le tourisme et ses retombées économiques

pour la société (revenus, investissements) et les marchés (alliances, types d’emplois) ;

ils montrent la complexité et la diversité de l’activité seulement au niveau de la société,

sans évoquer l’entreprise. Copper et Hall, dont le livre sur le tourisme international

(Contemporary Tourism : an International Approach) a été traduit en français, présentent

cette activité suivant une approche davantage managériale, tout en apportant une

critique du discours scientifique en tourisme (problème de définition des notions). Ces

auteurs font en effet observer la difficulté de mesure dans l’industrie touristique, qui

serait due à la méconnaissance de l’offre et donc à la complexité de l’industrie : taille

diverse des entreprises, secteurs disparates, cultures en compétition (public, privé) pas

de produit unique mais des biens et services aux aspects tangibles et intangibles

(Copper et Hall, 2008). Ils écrivent que la ressource humaine est importante pour la

qualité du produit, mais recèle un problème : « le tourisme de ce début de XXIe est

marqué par une crise des ressources humaines », caractérisée par la mobilité de la

main-d’œuvre, la nécessité de pratiques managériales interculturelles, la démographie

en baisse dans les pays développés, une fonction des ressources humaines faible dans

les petites entreprises, etc. (ibid. : 177).

12 Dans l’objectif de retracer l’évolution du discours sur la gestion stratégique des

ressources humaines en tourisme, restauration et hôtellerie dans la littérature, Madera

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 88: Mondes du Tourisme

et ses collègues (2017) ont analysé 300 articles publiés au cours des vingt dernières

années dans neuf revues scientifiques classées dans le premier tiers des revues en

tourisme et hôtellerie. Leurs analyses, du contenu et des thématiques, les amènent à

conclure, entre autres, qu’il existe une corrélation significative entre la performance

des ressources humaines et celle des organisations. En d’autres termes, ces auteurs

constatent que dans la grande majorité des articles analysés, les chercheurs ont

tendance à établir un lien entre l’amélioration des conditions de travail des employés et

les gains de performance organisationnelle. En effet, les caractéristiques spécifiques du

secteur touristique (pénurie de main-d’œuvre, saisonnalité, mobilité internationale et

servuction) conduisent les chercheurs et les professionnels à s’intéresser davantage à

ce type de problématique afin de proposer des pratiques bénéfiques pour l’ensemble

des acteurs du secteur.

13 Le constat de Madera et ses collègues (2017) est confirmé aussi par d’autres auteurs qui

se sont intéressés aux problématiques de la gestion des ressources humaines en

tourisme. C’est le cas notamment de Monereau (2008), Lozato-Giotart, Leroux et Balfet

(2012), Leroux et Pupion (2014) et Clergeau et al. (2014). Ces auteurs francophones, qui

ont consacré des livres ou des chapitres de livre à la question de la GRH en tourisme,

retracent l’évolution de la culture d’entreprise vis-à-vis des ressources humaines au

cours du XXe siècle. À ce titre, Monereau (2008) présente ces dernières comme un

gisement de compétences qu’il faudra bien utiliser pour améliorer la performance de

l’entreprise, alors que Leroux et Pupion (2014) expliquent que la modification de

l’environnement externe et interne des entreprises touristiques les a forcées à

s’adapter en matière de gestion de ressources humaines afin de rester compétitives.

Nous retrouvons le souci d’adaptation à un environnement en perpétuelle mutation

chez des auteurs anglo-saxons comme Goeldner et Ritchie (2009), Lee-Ross et Pryce

(2010) et Cook, Hsu et Marqua (2014). De façon presque unanime, ces auteurs

soutiennent que l’accessibilité grandissante des destinations et des attractions

touristiques a poussé les entreprises qui œuvrent dans ce domaine à revoir leurs façons

de faire, plus particulièrement au niveau de la gestion des ressources humaines. À titre

d’illustration, Lee-Ross et Pryce (2010) identifient le management interculturel comme

un enjeu important du XXIe siècle. Pour eux, la diversité des employés et des touristes

exige une prise en considération de la dimension culturelle pour que les deux parties

soient satisfaites de la prestation de service.

14 Finalement, comme on peut le constater dans la figure ci-dessous, l’évolution du

discours en gestion des ressources humaines, que ce soit en tourisme ou de façon

générale, a suivi pratiquement le même cheminement. Autrement dit, la perspective

pratique et professionnelle a dominé l’appréhension scientifique du discours et cela

s’explique par divers facteurs : le développement récent du tourisme et de son

industrie, une activité dépeinte comme complexe et difficile à appréhender, un

tourisme perçu à travers des retombées économiques rapides en termes de revenus

nécessitant le recours à des pratiques professionnelles. L’importance accordée à la

gestion des ressources humaines est donc tardive ; par exemple, on remarque dans un

ouvrage des années 1990, Économie et management (Tinard, 1992), que l’auteur met

l’accent sur les métiers du tourisme et leurs problèmes, ainsi que sur les aspects

économiques (offre, demande, produit) ; l’hôtel y est ainsi perçu à partir des

perceptions des touristes et des marchés, non à partir de la gestion de la ressource

humaine.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 89: Mondes du Tourisme

Figure 1. Évolution de la fonction RH (1960-2010) dans le discours scientifique et son déploiementdans l’entreprise touristique

Source : les auteurs

2. Méthodologie

15 La perspective que nous proposons est une interrogation de type épistémologique

concernant la construction du discours sur la gestion des ressources humaines par les

spécialistes du tourisme. Nous privilégions une approche de type constructiviste pour

l’analyse du discours des chercheurs. Nous appréhendons cette analyse de la gestion

des ressources humaines en tourisme à travers les écrits parus dans la revue

francophone Espaces tourisme & loisirs. Non seulement celle-ci est une importante revue

sur le plan du discours professionnel, mais elle permet d’apporter un regard

diachronique sur l’évolution du discours en gestion des ressources humaines et ce,

depuis les années 1990.

16 Nous faisons plus spécifiquement appel à deux types d’analyse :

D’une part, l’analyse thématique afin de faire émerger des « thèmes représentatifs du

contenu analysé, et ce, en rapport avec l’orientation de recherche (problématique) ». Cette

méthode a deux fonctions : faire émerger des thèmes pertinents d’un corpus et ensuite

rechercher des récurrences et des regroupements (Paillé et Muchielli, 2008). Notre grille

d’analyse a été constituée en privilégiant le mode de « thématisation séquenciée » : tirer un

échantillon de textes au hasard, les analyser pour en constituer une fiche thématique. Si la

fiche est retenue, elle est utilisée pour les autres textes. Cette démarche est appliquée quand

le corpus est dense et qu’il est possible de travailler en équipe. Un exemple de cette grille,

confectionnée pour les besoins de notre analyse thématique, est présenté dans la partie 3 (cf.

tableau 1). Nous avons utilisé cette grille pour l’analyse des 63 textes retenus.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

87

Page 90: Mondes du Tourisme

D’autre part, l’analyse des « catégories conceptualisantes », qui permet, selon Paillé et

Muchielli (2008, p. 233), de dépasser la simple analyse thématique du discours et d’apporter

les premiers éléments de théorisation d’un phénomène. Nous appliquons cette méthode (que

ces deux auteurs ont utilisée dans le cadre d’expériences et d’entreprises en psychologie) à

notre matériau, constitué par les observations et les pratiques liées à la gestion des

ressources humaines en tourisme et relevées dans les écrits publiés dans la revue Espaces

tourisme & loisirs. Le travail d’analyse consiste, selon Paillé et Muchielli, à construire une

catégorie qui mènera vers la théorisation. La catégorie est constituée au fur et à mesure de

l’analyse d’une interview. Pour notre travail d’analyse, il s’agissait des thèmes et des sous-

thèmes d’analyse en ressources humaines, issus des écrits de la revue Espaces tourisme &

loisirs. La catégorie est définie par ces deux mêmes auteurs (2012, p. 234) comme désignant

« directement un phénomène. Elle représente la pratique par excellence à travers laquelle se

déploie l’analyse en acte. À la différence de la “rubrique” ou du “thème”, elle va bien au-delà

de la désignation de contenu pour incarner l’attribution même de la signification ».

En soulignant la relation avec la théorisation ancrée, Paillé et Muchielli estiment nécessaire

de soulever des questions d’ordre épistémologique : « la catégorie est-elle une variable ?

Quelle relation avec le concept ? » Pour eux, la catégorie désigne un phénomène, le décrit et

lui donne sens, montrant ainsi une perspective de construction conceptuelle et de

théorisation : « elle [la catégorie] a les propriétés synthétique, dénominative et explicative

d’un concept. », ajoutant que « […] tout construit théorique tentant de mieux cerner

l’expérience humaine est d’abord, à l’origine, une catégorie » (Paillé et Muchielli, 2008,

p. 236-237). Aussi, suivant cette méthode, la catégorie est construite selon deux conditions :

elle doit répondre, d’une part, à un travail de description analytique et, d’autre part, à un travail

d’interprétation.

17 Notre corpus d’analyse est constitué des articles recensés dans la revue à partir de

l’identifiant « ressources humaines » qui nous renvoie à 76 articles, dont certains

n’étaient plus disponibles sur le site. À noter que nous n’avons pas retenu les articles

constitués essentiellement d’entretiens, car non pertinents pour une analyse

thématique. Ainsi, nous avons retenu 63 articles aux fins de l’analyse du discours.

3. Analyse thématique du discours de la GRH : la revueEspaces tourisme & loisirs

18 Parmi les différentes techniques d’analyse de contenu, nous avons privilégié l’analyse

thématique. Cette dernière consiste à déterminer à partir d’un corpus donné un certain

nombre de thèmes représentatifs du contenu analysé, en rapport avec l’orientation de

la recherche (la problématique). Pour effectuer cette recherche, rappelons que nous

avons principalement utilisé un corpus de textes provenant de la revue francophone

Espaces tourisme & loisirs, corpus composé de 63 textes, parus sur trois périodes :

années 1990, années 2000 et années 2010.

19 L’analyse thématique du discours de la GRH à partir du corpus de textes a nécessité

deux étapes :

La création d’un tableau de 5 colonnes : 1) textes ; 2) thèmes ; 3) mots et expressions

significatifs relevés ; 4) relations du discours avec l’entreprise, la société, les institutions ;

5) relations du discours avec des théories (management, sociologie, etc.). En outre, les textes

sont séparés selon les décennies : années 1990-1999 (3 textes) ; années 2000-2009 (43 textes) ;

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

88

Page 91: Mondes du Tourisme

années 2010-2015 (17 textes) ; cela permet de construire l’information en vue de son

utilisation pour les différentes analyses qui suivront tout au long du texte.

L’identification des thèmes et des axes thématiques des 63 textes, qui sont rassemblés

respectivement dans les tableaux 2 et 3.

Tableau 1. Exemple de grille d’analyse devant servir à l’analyse thématique et à l’analyse parcatégories « conceptualisantes »

Décennie 1990

Textes Thèmes

Mots et

expressions

significatifs

relevés

Relations du

discours avec

l’entreprise,

la société, les

institutions

Relations du

discours avec

des théories

(management,

sociologie, etc.)

Expression

pré-

catégorielle

« Qualité :

L’expérience

du groupe

Accor »

Chantal

Haas

1994

Revue

Espaces

tourisme &

loisirs, no

125

L’interdépendance

entre la satisfaction

client et la

satisfaction des

employés

Les attentes de la

clientèle dans le

milieu hôtelier

Les relations

employeur/

employé

Les exigences

des clients

Les attentes

des clients

La formation

des employés

Culture

d’entreprise

internationale

Accor

Gestion des

ressources

humaines

Adaptation

contrainte

Source : les auteurs

20 L’analyse thématique a été réalisée en trois phases : une analyse à partir du logiciel

NVivo, une analyse des axes thématiques et une analyse des caractéristiques du

discours en rapport avec le processus scientifique.

3.1. L’analyse à partir du logiciel NVivo

21 Cette première analyse de contenu, très sommaire, se fonde sur deux aspects : la

récurrence des mots et un regroupement selon un diagramme. Dans cette analyse, deux

principaux regroupements d’occurrences ressortent très nettement parmi les thèmes

analysés et présentent une interrelation très étroite. Le premier regroupement

rassemble les mots « communication », « web », sociaux, « réseaux », « recrutement »,

« travail » et « employeur ». L’utilisation des réseaux sociaux et d’Internet transforme

les pratiques du recrutement mais aussi les stratégies managériales relatives aux modes

de visibilité et de recherche de compétences. Le deuxième regroupement est constitué

de plusieurs termes très liés : « mobilité », « professionnelle », « emplois »,

« compétences », « formation », « ressource », « gestion », « culture », « tourisme »,

« touristique », « jeunes », « entreprise », « GRH », « développer ». L’emploi dans les

secteurs touristique et hôtelier ayant pour caractéristiques d’être saisonnier, précaire

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

89

Page 92: Mondes du Tourisme

et soumis à une mobilité importante, il impose des défis en termes de recrutement et

d’attractivité de main-d’œuvre, particulièrement pour les jeunes, et l’entreprise tente

de s’y adapter à travers l’utilisation des réseaux sociaux et des nouvelles technologies,

une meilleure identification de sa culture d’entreprise, la valorisation des qualifications

par la formation, tout en édifiant la mobilité dans le milieu touristique et hôtelier

comme un moyen d’acquisition des compétences. De ce fait, tendre vers une gestion des

ressources humaines qui évolue en permanence et s’adapte en conséquence devient

une exigence constante pour l’entreprise.

Tableau 2. Fréquence des mots (généré par le logiciel Nvivo, 2019)

Mot Récurrence Mot Récurrence

recrutement 19 professionnelle 9

tourisme 18 sociaux 9

entreprise 15 culture 8

mobilité 13 développer 8

touristique 13 emploi 8

travail 13 jeunes 8

compétences 12 ressources 8

gestion 12 web 8

GRH 12 réseaux 7

formation 10 communication 6

employeur 6

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

90

Page 93: Mondes du Tourisme

Figure 2. Diagramme des fréquences et regroupements des mots

Source : généré par le logiciel NVivo, 2019

3.2. L’analyse des regroupements et des axes thématiques

22 Pour l’analyse thématique, nous avons d’abord procédé à l’identification du

regroupement des thèmes des 63 textes (cf. tableau 3), permettant d’engager la

procédure de récurrence (thèmes répétitifs) à partir de cinq axes thématiques. Le

tableau 4 montre l’organisation des cinq axes thématiques, auxquels se rattachent les

thèmes identifiés dans le tableau 3 en fonction de la décennie et de leur ordre

numérique.

Tableau 3. Identification des thèmes par décennie

1990-199924-Conditions de travail

difficiles2010-2015

1-Interdépendance de la

satisfaction client-employé

25-Pratiques de recrutement

difficiles

47-Assurer la réputation de

l’entreprise par le web

2-Recherche d’un

fonctionnement managérial

adapté

26-Inadaptation des

organismes territoriaux en

tourisme

48-Importance du web et de sa

gestion

3-Harmonisation du dialogue

entre acteurs de l’entreprise

27-Redécouverte des valeurs

et de la culture d’entreprise

49-Réseaux sociaux comme outil

de communication

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

91

Page 94: Mondes du Tourisme

2000-2009

28-Précarité de l’emploi

comme obstacle au

fonctionnement

50-Visibilité de l’entreprise par

les réseaux sociaux comme

Facebook

4-Diversité d’emploi et culture

d’entreprise

29-Reconnaissnce des acquis

professionnels

51-Transformation des pratiques

de gestion par le web

5-Réalités touristiques et

adaptation des organismes

30-Considérer la culture

d’entreprise internationale

52-Usage limité du web par les

organismes

6-Utilisation de la fanfare pour

construire la relation humaine

31-Importance de la GRH

comme fonction vitale

53-Usage limité du web par les

organismes

7- Précarité de l’emploi chez les

jeunes

32- Facteur humain comme

fondamental en tourisme

54-Recrutement par les

organismes-conseils

8-Formation comme vecteur de

formation de la RH

33-Nécessité des profils

diversifiés

55-Jeunes face au changement

dans l’organisation du travail

9- GRE pour contrer la

saisonnalité

34-Importance des tests et

mise en situation

56-Perception du travail par les

jeunes salariés

10-Inégalité homme-femme dans

l’emploi

35-Ressource humaine en

évolution constante

57-Contrainte de l’emploi

atypique

11-Repenser le modèle de la DRH36-Assurer le développement

personnel par le coaching

58-Contrainte de situation

saisonnalité-fidélisation

12-Repenser les compétences du

manager

37-Mobilité internationale

comme atout de la GRH

59-Groupement employeur (GE)

comme outil de la GRH

13-Difficultés de recrutement38-Communauté de salariés

comme valeur

60- Groupement employeur (GE)

comme outil de la GRH

14-Prestation de service en

hôtellerie-restauration

39-Identification du potentiel

à la mobilité

61- Groupement employeur (GE)

comme outil de management de

la RH

15-Nouvelles technologies

comme lien entre tradition et

modernité

40-Formation de la ressource

humaine

62-Conception de la mobilité

comme atout

16-Transformation du métier

par les nouvelles technologies

41-Le saisonnier face à la

règlementation

63-Concevoir la mobilité comme

atout

17-Transformations du

management et de la GRH

42-Reconnaissance des

communautés salariés-clients

18-Les jeunes face à l’emploi43-Importance de

l’interculturel en GRH

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

92

Page 95: Mondes du Tourisme

19-Innovation dans l’emploi

comme moyen d’insertion des

jeunes

44-Identification des besoins

internes par l’audit externe

20-Attentes du salarié comme

facteur de recrutement

45 Évolution constante des

métiers

21-Adaptation de la ressource

humaine en hôtellerie-tourisme

46-Soutien à l’analyse des

compétences

22-Difficultés de recrutement

des jeunes en tourisme-

hôtellerie

23-Difficultés du management

en situation de crise économique

23 Parmi les thèmes regroupés autour des cinq axes thématiques (cf. tableau 4), on peut

observer que les axes thématiques 2, 3, 4 et 5 représentent 93,5 % de la réalité

thématique organisée à partir des 63 textes analysés. Toutefois, cette réalité est formée

d’une situation double exprimant deux pôles du discours professionnel sur la GRH, se

présentant en forme de « double contrainte » :

une réalité interne, formée de contraintes, organisée autour de « la problématique de

l’emploi » (axe 4), regroupant 26,9 % des thématiques du discours professionnel ;

une réalité externe (l’environnement), représentée par l’axe 2 (Nouvelles technologies) et

l’axe 3 (Repenser les modèles et pratiques) ; cette réalité exprime l’exigence d’adaptation

(insertion des technologies, modèles managériaux repensés) à une situation de contraintes

représentée par la réalité interne (Problématique de l’emploi).

Tableau 4. Axes thématiques et récurrences des thèmes relatifs aux 63 textes

Périodes

Axes thématiques1990-1999 2000-2009 2010-2015 Total

1-La recherche d’une culture d’entreprise - 4 - 4

(6,3 %)

2-Nouvelles technologies et transformation de la

gestion- 2 7

9

(14.3 %)

3-Repenser les modèles et pratiques

(management, GRH, DRH)- 6 7

13

(20,6 %)

4-Problématique de l’emploi (précarité,

formation, saisonnalité, inégalité, recrutement) - 14 3

17

(26,9 %)

5-Adaptation aux réalités et contraintes de

l’entreprise3 17 -

20

(31,7 %)

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

93

Page 96: Mondes du Tourisme

Total textes 3 textes 43 textes 17 textes63

textes

Source : les auteurs

24 La nécessité d’une adaptation (cf. figure 3), qui représente également une contrainte et

une exigence (axe 5 : « Adaptation aux réalités et contraintes de l’entreprise »), relie les

deux réalités (interne et externe) observées plus haut (cf. tableau 4) et montre aussi

qu’il y a une difficulté à la mettre en œuvre : par exemple, la « Recherche d’une culture

d’entreprise » (axe 1) ne représente que 6,3 % de l’analyse thématique.

Figure 3

25 Ainsi, cette première identification de la réalité thématique (63 textes) montre bien une

situation en forme de « double contrainte » : d’une part, les conditions d’emploi et

d’organisation du travail ont un poids important et, d’autre part, la nécessité

d’adaptation à cette réalité (condition interne) et aux exigences des environnements

(condition externe). S’agissant de ce dernier aspect, il s’agit aussi de la nécessité de

repenser le travail et l’organisation imposée par le renouvellement du management,

l’évolution de la société et l’impact des TI (technologies de l’information), qui imposent

à leur tour des changements et deviennent ainsi une exigence d’adaptation. Enfin, en

regroupant les axes 2, 3 et 5, l’importance de la contrainte d’adaptation de l’entreprise

et des salariés s’accroît davantage, totalisant plus des deux tiers (66,6 %) des thèmes

retenus dans les 63 textes.

26 L’image proposée à travers ces deux pôles – une « réalité interne » (contraintes de la

situation d’emploi) et une « réalité externe » (exigences d’adaptation) – nous montre

deux caractéristiques : une grande part (2/3) est accordée à la contrainte d’adaptation

(axes 2, 3, 5 et 1) et une faible part (1/3) revient à la problématique de l’emploi – sans

que cela ne l’amoindrisse pour autant. En effet, nous faisons face à une situation

complexe : comment concilier les deux aspects de cette dernière, organisée autour

d’une situation contradictoire qui nécessite d’évoluer avec les conditions diverses de

l’activité d’emploi en tourisme ? Faut-il reconsidérer le modèle de management du

tourisme davantage pris dans un processus de recherche de solutions à des problèmes,

d’où l’importance plus grande accordée aux pratiques et moins à l’analyse de type

conceptuel ?

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

94

Page 97: Mondes du Tourisme

3.3. Les caractéristiques du discours en rapport avec le processusscientifique

27 Nous avons par ailleurs recherché certains aspects spécifiques dans le but d’observer le

lien du discours sur la GRH avec la perspective scientifique. Nous avons privilégié pour

cette analyse les années 2009 (17 textes), 2013 (8 textes) et 2015 (9 textes), le tout

rassemblant 34 textes, soit 54 % de l’ensemble des textes analysés (cf. tableau 5).

Tableau 5. Le discours sur la GRH en tourisme, à travers quelques indicateurs

Années

Indicateurs2009 2013 2015

Pratiques/

expériences

10 entreprises dont

4 grandes

2 grands hôtels

7 entreprises dont

3 grandes

1 organisme

6 entreprises et

3 organismes publics

Méthodes 5 8 6

Approches/

théories2 - 3

Acteurs

(analystes)

Entreprise : 6

Banque : 1

Université : 1

Cabinet : 8

Organisme public : 1

Entreprise : 3

Cabinet : 5

Entreprise : 1

Université : 2

Cabinet : 5

Organisme public : 1

Total textes 17 textes 8 textes 9 textes

Source : les auteurs

28 Cette analyse de la relation entre le discours et sa base théorique ou pratique portait

sur l’identification de certains indicateurs :

pratiques et expériences : la réalité du discours en lien avec la pratique et l’expérience

d’entreprise ;

méthodes : le recours aux outils relevant du management d’entreprise ;

approches : les analyses relevant des sciences humaines et sociales ;

acteurs (DRH, consultant, universitaire) : statut des acteurs analysant la situation de la

gestion des ressources humaines dans les entreprises.

29 L’analyse de la réalité du discours, pour la période 2009-2015, nous permet de relever

les aspects suivants :

L’intérêt des pratiques et expériences associées à l’entreprise sont reconnues (recrutement,

formation, mobilité, etc.) durant cette période. Cette observation des pratiques et des

expériences se voit aussi dans les grands hôtels (2) et les grandes entreprises, en moins

grand nombre (7 cas), qui se présentent comme des acteurs importants dans la diffusion des

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

95

Page 98: Mondes du Tourisme

procédés managériaux liés à la gestion des ressources humaines en période de changement

continu.

L’indicateur « outil, méthodes » (25/34) nous permet également d’observer un intérêt pour

le développement d’instruments d’organisation en matière de GRH, d’’analyse de l’emploi et

de fonctionnement organisationnel, renforçant ainsi la nécessité d’adaptation à la

contrainte, ainsi qu’une garantie de rationalisation.

L’indicateur « approches, théories » (5/34) montre que la dimension scientifique d’une

analyse de GRH reste encore peu développée. Toutefois, on note également une orientation

vers la remise en question de certaines problématiques internes à l’activité touristique (les

contraintes), telles la mobilité des salariés, l’analyse et l’organisation du travail, analysées

par une sociologie industrielle et du travail jadis en vigueur dans un contexte de stabilité

(années 1950-1980) et aujourd’hui bousculée dans ses concepts (Mercure et Vultur, 2019).

Par ailleurs, la référence à des approches et des théories n’est pas seulement le fait de

l’université, mais aussi de chercheurs autonomes ou dans des cabinets de conseil.

L’analyse du discours sur la gestion des ressources humaines est engagée surtout par deux

acteurs clés : les cabinets de conseil et les entreprises, représentant respectivement 53 % et

29,5 % de l’ensemble des 34 textes analysés. On retiendra ici que parmi les entreprises

engagées, on retrouve des responsables de GRH ou DRH de grandes entreprises, telles que

Disney, Accor, Club Med, ainsi que des hôtels de luxe.

4. Analyse du discours de la GRH selon les catégoriesconceptualisantes

30 Suite à l’analyse thématique, qui nous a permis de développer une première réflexion

sur le discours en GRH à travers les articles de la revue Espaces tourisme & loisirs, nous

poursuivons par une analyse des catégories conceptualisantes. Cette dernière nous

rapproche davantage du cœur conceptuel du discours et, par là même, nous permet

d’affiner la construction des connaissances en ce sens. L’analyse des catégories

conceptualisantes est effectuée selon les étapes suivantes :

l’élaboration d’expressions catégorielles primaires, à partir des thèmes et sous-thèmes : il

s’agit ici de réduire les thèmes et sous-thèmes ainsi que les expressions utilisées en

expressions que nous identifions comme catégorielles pour chaque texte ;

une catégorisation dite « catégories conceptualisantes secondaires » réalisée à partir des

expressions catégorielles primaires ;

la construction de catégories conceptualisantes principales.

31 D’après un premier regroupement des thèmes et sous-thèmes relevés dans chaque

article, par décennie, on dénombrait 63 catégorisations primaires (les 63 articles

retenus pour l’analyse), que nous avons regroupées en catégories conceptualisantes

secondaires (cf. tableau 6).

32 Ainsi, durant la décennie 1990, seuls trois textes ont été identifiés, dont les expressions

primaires ont été regroupées autour de la catégorie conceptualisante secondaire de

« contexte managérial contraignant ». Cela désigne une adaptation visée et souhaitée,

mais l’objectif d’adaptation est contraint du fait d’une situation difficile et complexe de

l’activité touristique, une situation souvent rappelée dans les écrits de type

professionnel autant que conceptuel.

1.

2.

3.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

96

Page 99: Mondes du Tourisme

Tableau 6. Regroupement des expressions catégorielles primaires et des catégoriesconceptualisantes secondaires, élaborées à partir des 63 textes considérés comme matériaud’analyse du discours en ressources humaines, extraits de la revue Espaces tourisme & loisirs (période 1999-2015)

Catégories conceptualisantes

secondairesExpressions catégorielles primaires

Contexte managérial contraignant

DÉCENNIE 1990-1999 – 3 TEXTES

Contrainte d’exigence des clients / satisfaction des

employés

Nécessité d’une adaptation permanente

Contrainte de mobilité / nécessité de concertation

DÉCENNIE 2000-2009 – 43 TEXTES

Adaptation de l’organisation

Construire sa culture d’entreprise

L’adaptation par la concertation

Découvrir sa culture d’entreprise

Connaître la culture d’entreprise des groupes

internationaux

Hôtellerie entre tradition et innovation

Développer la compétence interculturelle

Adaptation des ressources humaines

Adapter les RH à l’organisation touristique

Repenser le rôle du DRH

Reconstruire la GRH

Revoir la GRH face au changement

Repenser la fonction GRH

Repenser la perception vis-à-vis du travail

La problématique du recrutement

Le recrutement à l’étude

La fonction GRH intégrée à l’activité

L’importance du facteur humain

L’importance des profils diversifiés

Reconnaître davantage les tests psychométriques

Adapter la GRH aux clients

La gestion du service en hôtellerie

Le projet de mobilité comme moteur de la GRH

Assurer l’intégration permanents–saisonniers

La connaissance des besoins réels par l’audit

La nécessité de l’analyse de l’emploi

La mobilité internationale comme opportunité

La construction personnelle par le coaching

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

97

Page 100: Mondes du Tourisme

Conditions de travail difficiles

La contrainte de la précarité de l’emploi

La contrainte de la saisonnalité professionnelle

Le problème de la discrimination hommes-femmes

L’équilibre difficile entre pénurie et fidélisation de la

main-d’œuvre

Les conditions d’emploi difficiles

Les conditions sociales difficiles des saisonniers

Le management inadapté des organisations territoriales

Penser les conditions sociales du travail

La reconnaissance des acquis professionnels

La communauté des salariés

L’inégalité des saisonniers face à la règlementation

Nécessité de la formation et

reconnaissance des qualifications

La formation des personnes

Le passage du métier au service

L’emploi et les jeunes

La professionnalisation des jeunes

La garantie de la diplomation des salariés

La valorisation des métiers

DÉCENNIE 2010 (JUSQU’À 2015) – 17 TEXTES

Adaptation par le web

Renforcer la visibilité de l’entreprise par le web (2)

Renforcer le recrutement et la recherche de compétences

par l’utilisation des réseaux sociaux (3)

La perception nouvelle du travail

Nouvelles générations et perceptions nouvelles face au

temps de travail (2)

La mobilité comme opportunité (2)

La contrainte situationnelle de

l’activité

Adaptation lente d’organismes et agences au recrutement

par le web (2)

Recrutement par les cabinets de conseil

La double contrainte d’adaptation flexibilité-sécurité

La double contrainte saisonnalité-fidélisation de la main-

d’œuvre

Difficile adaptation de l’outil « groupement

d’employeurs » à la situation touristique (3)

33 La décennie 2000-2009 est la plus fournie en textes (43) et l’on dénombre autant

d’expressions catégorielles primaires reflétant le discours des auteurs. À la suite des

43 expressions catégorielles, quatre catégories conceptualisantes secondaires ont été

identifiées, à partir de la problématique de l’adaptation (entreprise, organisation

territoriale, individus) : 1) adaptation de l’organisation (6) (culture d’entreprise,

management organisationnel, etc.) ; 2) adaptation des RH à l’organisation (20)

(perception de la mobilité, nécessité de repenser les RH et le DRH, etc.) ; 3) conditions

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 101: Mondes du Tourisme

de travail difficiles (11) (nouvelles perceptions du travail, conditions d’emploi, etc.) ; et

4) nécessité de la formation et reconnaissance des qualifications (6) (adaptation des

métiers et des personnes). Les catégories 2 et 3 sont les plus fournies (20, 11), soit plus

de 72,1 % des catégories de la décennie et 49,2 % de l’ensemble des catégories

analysées (63). Dans la catégorie 2, « la mobilité professionnelle » est considérée comme

une opportunité (mobilité internationale comme projet) ou selon une perspective de

nouvelle perception du travail, alors qu’elle était perçue comme une contrainte dans

les années 1990.

34 Ce qui ressort des quatre catégories de la décennie 2000-2009, c’est la nécessite de

passer d’une situation qui génère une contrainte inhérente à l’activité touristique à une

perspective consistant à développer une nouvelle perception du travail, des conditions

de mobilité, et à adapter les outils d’organisation à la situation particulière des RH en

tourisme.

35 Le discours de la GRH en tourisme évolue donc selon une constante forte et contrainte,

celle de la situation touristique : dans la décennie 1990 (réduite toutefois à trois

articles), on s’oriente vers l’observation de l’existence d’une situation complexe, alors

que la décennie 2000-2009 voit la nécessité d’une perception nouvelle de l’adaptation

face à une situation touristique encore alourdie de contraintes diverses (précarité,

inégalité dans l’emploi, notamment des saisonniers face à la règlementation sociale,

mobilité, etc.).

36 Dans la décennie 2010 (jusqu’en 2015), le discours évolue dans le même sens que la

décennie précédente, avec en plus la nécessité d’une adaptation aux technologies

numériques.

37 En effet, au cours des années 2010-2015, on retrouve le même noyau central du

discours, à savoir la situation complexe dans laquelle évolue l’activité touristique, avec

toutefois l’intégration d’une nouvelle perception à travers, notamment, deux aspects :

d’une part, l’opportunité offerte par le web (réseaux professionnels), permettant

d’ouvrir de nouvelles possibilités à l’entreprise touristique (marque, visibilité,

élargissement du bassin des compétences) et, d’autre part, l’appréhension d’une

nouvelle situation (perception renouvelée du travail). Néanmoins, la situation

complexe et permanente dans laquelle évolue l’activité touristique (précarité,

saisonnalité, mobilité, etc.) demeure vivace.

38 Au cours de la période 2010-2015, on observe 17 expressions catégorielles primaires,

que nous regroupons en trois catégories conceptualisantes secondaires : 1) l’adaptation

par le web (5) ; 2) la perception nouvelle du travail (4) ; et 3) la contrainte situationnelle

de l’activité (8). Les regroupements 1 et 2, qui représentent 53 % des expressions

catégorielles primaires, peuvent être identifiés comme les deux catégories principales

d’un premier noyau, celui de la perspective d’une adaptation aux changements divers

(mondialisation, mobilité, travail, etc.). Le regroupement 3, autour de la catégorie

« contrainte situationnelle de l’activité », représentant 47 % des expressions

catégorielles, constitue le second noyau irréductible de l’activité (précarité, double

contrainte, flexibilité, saisonnalité, etc.).

39 Finalement, cette analyse nous permet d’observer que le discours sur la gestion des

ressources humaines en tourisme, à partir des écrits parus dans la revue Espaces

tourisme & loisirs, peut être compris comme étant formé d’une catégorie

conceptualisante principale, formée de deux catégories conceptualisantes et identifiées

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

99

Page 102: Mondes du Tourisme

comme étant ses deux noyaux opposés mais complémentaires. La catégorie

conceptualisante principale est identifiée par « la double contrainte adaptative » et les

deux noyaux qui la composent sont « la perception adaptative renouvelée » et « la

contrainte situationnelle fonctionnelle » (cf. tableau 7).

40 Selon Paillé et Mucchielli (2012), la catégorie conceptualisante est caractérisée selon

trois moments : la définition (ce qui désigne le phénomène comme arguments) ; les

propriétés (ce qui distingue et caractérise le phénomène) ; et les conditions d’existence

(les situations et les événements qui donnent vie au phénomène).

Tableau 7. Les catégories conceptualisantes issues du discours de la GRH en tourisme, à partird’articles de la revue Espaces tourisme & loisirs (1999-2015)

CATÉGORIES

CONCEPTUALISANTESDÉFINITION PROPRIÉTÉS

CONDITIONS

D’EXISTENCE

La double contrainte

adaptative

« La double contrainte* »

se réfère à une situation

aux aspects

contradictoires, rendant

difficiles le

fonctionnement et

l’adaptation au

changement.

Mobilité

professionnelle

inhérente /

programme de

mobilité proposée

Saisonnalité

permanente /

meilleure

intégration

saisonniers-

permanents

Flexibilité /

sécurité dans

l’emploi

Saisonnalité /

fidélisation de la

main-d’œuvre

Contexte marqué par

divers aspects

(traditions/

innovations)

Activités de plus en

plus mondialisées /

perception négative

localement

Sensibilité de l’activité

à tout incident, mais

grande résilience

La contrainte

situationnelle

fonctionnelle

Il s’agit ici des différents

aspects qui constituent la

situation fonctionnelle du

tourisme, à laquelle font

référence de nombreux

ouvrages et qui est

reconnue comme centrale.

Précarité de

l’emploi

Recrutement

difficile

Mobilité

professionnelle

Situation de précarité,

mais nécessité

d’adaptation aux aléas

et aux clients

Inégalité

socioprofessionnelle

entre travailleurs

Adaptation lente de

l’organisation

Mondialisation

économique et sociale

plus prégnante

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

100

Page 103: Mondes du Tourisme

La perception

adaptative renouvelée

Nouvelle vision de la façon

d’entrevoir les modes

d’organisation et la

situation de l’activité

Accroissement de

l’utilisation des

réseaux sociaux

professionnels

Utilisation du web

pour la visibilité

entrepreneuriale

Adaptation des

nouvelles

générations aux

réalités de la

mondialisation

Besoins chez l’individu

et l’entreprise de

s’adapter au

changement interne et

international

Besoins de développer

des compétences

nouvelles

(interculturelles

internationales,

internes)

* en référence à la théorie de la double contrainte (double bind) de Gregory BATESON et al. (1956, 1980)

41 La théorie de la « double contrainte » (double bind) de Bateson (1956, 1980) mobilisée

dans notre recherche peut nous aider à comprendre en grande partie la réalité de

l’activité touristique (entreprise, organisme) qui émerge à travers les discours des

praticiens (entreprise, organisme, cabinet-conseil, consultant). Cette théorie, élaborée

par Gregory Bateson, Don D. Jackson, Jay Haley et John Weakland en 1956, est basée sur

l’observation de la communication du sujet avec sa famille. Cette relation s’engage à

partir d’« injonctions paradoxales », dans lesquelles le sujet qui reçoit le message se

trouve devant des énoncés logiques mais contradictoires et s’il réagit ou n’agit pas

correctement, il risque d’être mal perçu (Watlzlawick et al., 1972).

42 Pour Watzlawick, Helmick et Jackson (1972), la situation de la double contrainte, dans

la relation de communication, se présente en trois phases, selon lesquelles le message

est ainsi structuré :

a) il [le message] affirme quelque chose ; b) il affirme quelque chose sur sa propreaffirmation ; c) ces deux affirmations s’excluent. Ainsi, si le message est uneinjonction, il faut lui désobéir pour lui obéir… Le sens du message est doncindécidable…

43 Cette théorisation de la relation de communication développée dans le contexte de la

psychiatrie-psychanalyse trouve aussi un intérêt dans le domaine des sciences

humaines et sociales, notamment au niveau de l’entreprise (coaching, développement

personnel, analyses des enjeux, etc.). Des auteurs y ont recours également pour

observer la relation de l’organisation et le modèle de management (relations des

individus avec les structures), comme Duterme (2008) et Casteigts (2017), ce dernier

évoquant le « management sous injonctions paradoxales » pour des institutions

transnationales. Cette approche théorique sert aussi d’appui pour analyser la relation

des individus avec différentes cultures, dans le cas du management interculturel

(Gauthey, 2002). Les points de focalisation de ces différents travaux sont les relations

individu-organisation et le modèle organisationnel-modèle interculturel, où les

injonctions paradoxales sont aussi observées. Comme le souligne Gauthey (2002),

l’interculturel, développé dans les organisations économiques et internationales à

travers un message centré sur un style d’organisation ouvert aux « contextes

culturels », ne masquerait-il pas l’intérêt stratégique de l’organisation face à la

compétition ? Il écrit à ce propos : « Curieux d’observer combien certains discours sur

les cultures et l’interculturel véhiculent en fait, le discours du “même” ! Un paradoxe

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

101

Page 104: Mondes du Tourisme

qui serait à interroger » (2002, p. 4). Le modèle de l’interculturel, tel que décrit, est

porteur de contradictions car il cherche « à plus ou moins unifier, plaquer. Cette

multiplicité de strates organisationnelles, de logiques identitaires peut être violente et

s’apparenter pour les acteurs à des situations de doubles contraintes… Le problème,

c’est que déjà sans les dimensions interculturelles, les pratiques des ressources

humaines dans les organisations aujourd’hui sont porteuses d’injonctions

contradictoires » (ibid., p. 5)

44 Comment se situe le monde du tourisme-hôtellerie-loisirs dans ce contexte ? Le

tourisme comme produit et expression des transformations sociétales se présente avec

un double visage : un phénomène social et culturel (expériences), mais aussi une

activité économique (services et mise en tourisme des territoires). On peut reconnaître

certains ingrédients de la double contrainte au sein du tourisme, notamment : la

perception binaire (le touriste–le voyageur), un objet en partage (réel–imaginaire), un

statut scientifique controversé (discipline–champ d’études) (Kadri, 2008, 2011).

45 On retrouve aussi certains de ces aspects dans le management de l’organisation

touristique, notamment s’agissant de la gestion des ressources humaines soumise à des

enjeux et des contraintes : précarité et conditions de l’emploi, mobilité des salariés,

culture d’identité non identifiée, interculturel, problème de reconnaissance des acquis,

etc. Ces contraintes liées à la gestion de la ressource humaine peuvent aussi devenir des

injonctions paradoxales : par exemple, la mobilité est une contrainte mais elle est aussi

perçue comme une compétence qu’il s’agit de cultiver ; cela renforce l’idée que si l’on

veut progresser dans le monde professionnel, il faudrait accepter la mobilité

professionnelle comme un projet individuel et de management, et ainsi organiser sa vie

professionnelle en termes de flexibilité, cela pour satisfaire le management qui

s’organise à travers les TI et répond à ses enjeux stratégiques, alors que l’individu

continuera à faire face à des enjeux professionnels contraignants. Comme le montrait

Gauthey (2002), alors que l’entreprise recherche l’efficacité stratégique, elle met aussi

en place des méthodes (management participatif, coaching, développement personnel,

audit organisationnel, analyse des conflits, etc.). Ce sont ces modes de management qui

sont questionnés (adaptation au mode participatif) pour tenter de sortir de la double

contrainte. À ce propos, Gauthey (ibid., p. 7), écrit : « De nombreuses entreprises ont

attendu de leurs salariés une ouverture, une adaptation aux contraintes mais bien peu

de choses qui se fassent de manière cadrée, régulée ». En fait, il s’agirait de développer

un mode d’adaptation nécessaire à l’exigence d’adaptation à une pratique managériale

(par exemple, le mode participatif, ou celui lié à l’interculturel).

Conclusion

46 L’analyse du discours de la GRH en tourisme, à travers des écrits publiés dans la revue

Espaces tourisme & loisirs, est une opération sensible, nécessitant d’aller au-delà d’une

simple analyse thématique et de compléter cette dernière par un second processus plus

proche de la conceptualisation et de la construction scientifique. En effet, la

catégorisation va plus loin que la simple analyse de discours, puisqu’elle permet de

déconstruire mais aussi de viser l’émergence de la signification et donc d’opérer des

interprétations (Paillé et Muchielli, 2012).

47 Ce processus de construction sociale des concepts scientifiques, indispensable pour les

sciences sociales et notamment les études touristiques, est pourtant critiqué du fait de

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

102

Page 105: Mondes du Tourisme

sa relation et de sa proximité avec le « relativisme ». Hacking (2017 : 9), qui pose déjà la

question dans le titre sans équivoque de son ouvrage Entre science et réalité. La

construction sociale de quoi ?, évoque d’emblée l’importante querelle qui anime la

communauté scientifique :

L’idée de construction sociale est, parmi beaucoup d’autres, une idée farouchementcombattue dans le cadre des guerres culturelles américaines […]. L’expression estdevenue code. Si vous l’utilisez positivement, vous vous taxez vous-même d’uncertain radicalisme. Si vous la dénigrez, vous vous déclarez rationnel, raisonnableet respectable.

48 Au fil de ce travail de construction scientifique en études touristiques, notre intérêt

portait sur une interrogation : comment appréhender le discours en ressources

humaines dans le monde du tourisme ? Nous supposions que la situation complexe de

cette activité professionnelle et économique, souvent mise en avant dans les écrits,

représenterait un facteur important dans la compréhension dudit discours. Aussi

l’utilisation de deux types d’analyse de discours, à travers les 63 textes analysés extraits

de la revue Espaces tourisme & loisirs, nous a permis de tirer quelques conclusions :

L’analyse NVivo, grâce à deux importants regroupements des mots, a montré que la gestion

des ressources humaines en tourisme est une fonction qui devra s’adapter continuellement à

une situation particulière, marquée à la fois par les contraintes (précarité, saisonnalité,

mobilité), par une exigence d’adaptation constante pour répondre aux stratégies de

l’organisation (visibilité de la marque, nouvelles valeurs, nouvelles technologies, mobilité

interculturelle) ainsi que par la valorisation des qualifications et des métiers, notamment

chez les jeunes.

L’analyse des axes thématiques a permis de venir renforcer ces premières observations, en

délimitant une situation double : une partie dominée par des conditions d’emploi

difficiles (1/3) et l’autre partie (2/3) faite d’exigences d’adaptation (mobilité internationale,

réseaux professionnels, repenser l’organisation du travail, penser la mobilité non comme un

frein mais plutôt comme une opportunité). Si la première représente seulement un tiers du

noyau, elle comporte néanmoins une contrainte majeure handicapant la situation générale,

où prédomine le recours à la pratique professionnelle pour répondre aux exigences

d’adaptation. Aussi, nous observons qu’une part importante des pratiques professionnelles

managériales est réalisée par des cabinets-conseil (52 %) et des grandes entreprises.

Toutefois, ces grandes entreprises peuvent jouer un rôle indéniable dans la diffusion de

pratiques managériales novatrices pour l’entreprise. Enfin, signalons que très peu d’études

ou d’observations par les milieux universitaires et de recherche sont engagées.

49 Mais cette analyse thématique reste trop partielle pour parvenir à une déconstruction

du discours, d’où la nécessité d’appliquer une autre analyse, celle des catégories

conceptualisantes, qui nous permet d’appréhender une réalité sociale complexe et donc

de relever une signification et une interprétation du processus lié à cette réalité. Il

s’agit conséquemment d’une construction sociale de cette réalité, qui fait émerger non

seulement des catégories conceptuelles (cf. tableau 7), mais montre aussi que la réalité

touristique est composée d’un noyau double ; il s’agit de la double contrainte

adaptative, formée de deux éléments exprimant une réalité contraignante : une

contrainte situationnelle permanente vécue à la fois par les employés et la hiérarchie

managériale et une vision liée à l’adaptation au changement.

50 Le monde de l’activité touristique (tourisme-hôtellerie-loisirs), observé à travers le

discours sur la gestion des ressources humaines, serait-il plus soumis à la double

contrainte que d’autres secteurs d’activité économique ? Si des études sur

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

103

Page 106: Mondes du Tourisme

l’organisation ont été réalisées (management interculturel, développement

organisationnel, etc.) depuis plus de quatre décennies, nous n’avons pas connaissance

de telles observations dans le secteur en tourisme ; toutefois des interventions relatives

au coaching et à l’audit organisationnel sont indentifiables dans le discours de la GRH

pour ce même secteur Ces dernières interventions en tourisme peuvent représenter un

matériau important dans l’évaluation de l’importance de la double contrainte, en les

complétant d’autres interventions de recherche.

51 Il serait très utile de s’intéresser aux textes sur la gestion des ressources humaines en

tourisme parus dans les revues classées, tant francophones qu’anglophones. Dans le

contexte francophone, on trouve peu de textes. Par exemple, la revue Gestion des

ressources humaines propose peu de titres consacrés au tourisme (deux articles sur deux

décennies), alors que la revue Human Resource Management, classée huitième par le

Centre national de la recherche scientifique (CNRS), fait référence à plus de

1 300 articles portant sur ce secteur, dont près de 1 000 en hôtellerie.

52 Les textes de la revue Espaces tourisme & loisirs sur la gestion des ressources humaines,

loin de présenter une vision de l’organisation réduite à la réalité professionnelle

(pratiques) de l’activité touristique, constituent un matériau incontournable pour

l’identification de deux aspects au plan épistémologique. D’une part, à travers l’analyse

du discours et la théorisation du contenu, ce matériau nous convie à percevoir une

autre réalité professionnelle, moins visible. Comme l’exprime Wittezaele (2008 : 18) à

propos de l’intervention de Bateson sur la relation de communication par la théorie de

la double contrainte, ce dernier met à jour une autre réalité de la communication et

« nous invite à voir l’invisible, en quelque sorte, c’est-à-dire les règles implicites qui

régissent les rapports entre les différentes personnes […] ». D’autre part, certains

éléments conceptuels de la sociologie du travail ne semblent plus adaptés au contexte

de la réorganisation actuelle du travail. Par exemple, le concept de précarité,

caractérisant notamment les conditions d’emploi en tourisme, est aujourd’hui

réinterrogé, à la faveur d’un concept plus opératoire et moins normatif, comme celui de

vulnérabilité (Vultur, 2019). Le monde du tourisme-hôtellerie-loisirs apparaît donc

comme un milieu spécifique, particulièrement favorable à l’observation de la

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RÉSUMÉS

L’entreprise, acteur majeur dans la société aujourd’hui, fait de plus en plus l’objet d’une attention

particulière des chercheurs et managers d’entreprises, à travers notamment l’analyse de la

fonction des ressources humaines. L’industrie du tourisme et des loisirs, qui montre une grande

particularité de sa ressource humaine (importante mobilité, partie intégrante de l’expérience),

fait observer une perspective pratique et professionnelle plus développée que l’appréhension

scientifique. Si le discours scientifique sur cette complexité touristique est bien constaté, en est-il

de même du discours concernant la gestion des ressources humaines ? Dans cet article, nous

analysons le discours en gestion des ressources humaines dans la recherche en tourisme,

notamment dans les ouvrages et les revues. La perspective proposée est une interrogation de

type épistémologique privilégiant une approche de type constructiviste pour l’analyse du

discours des chercheurs. Deux analyses sont développées : d’une part, l’analyse thématique pour

faire faire émerger les thèmes pertinents d’un corpus ; d’autre part, l’analyse des « catégories

conceptualisantes », afin d’apporter les premiers éléments de théorisation d’un phénomène.

Cette analyse de la gestion des ressources humaines en tourisme est réalisée à travers les écrits

parus dans la revue francophone Espaces tourisme & loisirs, qui permet d’apporter un regard

diachronique sur l’évolution du discours en gestion des ressources humaines, et ce, depuis les

années 1990.

The company, a major player in society today, is increasingly the subject of particular attention

from researchers and business managers, notably through the analysis of the human resources

function. The tourism and leisure industry, which shows a great particularity of its human

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

106

Page 109: Mondes du Tourisme

resources (significant mobility, an integral part of the experience), points out a practical and

professional perspective more developed than scientific apprehension. As such, this paper

attempts to understand how the discourse in human resources management in tourism research

looks like, especially in books and journals. In order to answer this question, the proposed

perspective is an epistemological type of questioning favoring a constructivist approach to the

analysis of the researchers’ discourse. Two analyzes are developed : first, a thematic analysis to

bring out the relevant themes from a corpus ; second, the analysis of “conceptualizing

categories”, in order to provide the first elements of theorizing a phenomenon. This analysis of

human resource management in tourism is carried out through the writings published in the

French-language journal Espace tourisme & loisirs, which provides a diachronic view of the

evolution of the discourse on human resource management since the 1990s.

INDEX

Mots-clés : tourisme, ressources humaines, emploi, théorie du management

Keywords : human resources, employment, tourism, management theory

AUTEURS

BOUALEM KADRI

PhD

[email protected]

MOHAMED REDA KHOMSI

PhD

[email protected]

CYRIL MARTIN

[email protected]

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

107

Page 110: Mondes du Tourisme

Quelles ressources humaines pour letourisme de mémoire ? Le profil desagents prestataires de services lorsdes funérailles bamilékés duCamerounWhat human resources for memory tourism? The profile of agents providing

services during the funerals of the Bamileke people of Cameroon

Bertrand Dongmo Temgoua

Introduction

1 Les récentes avancées sur le concept du tourisme de mémoire montrent qu’il s’agit

d’une forme assez singulière de pratique touristique, qui se conçoit au-delà de la mise

en valeur des hauts lieux témoins des faits historiques marquants, tels que les Grandes

guerres ou les vestiges de la traite négrière (Mbaye, 2005 ; Rieutort et Spindler, 2015).

Les dynamiques de tourisme de mémoire émergent souvent de contextes socioculturels

particuliers dès lors que ces sociétés sont soumises à l’influence des activateurs dits

externes, car exogènes au lieu mis en tourisme. Dans ce cas, cette rencontre entre

facteurs endogènes, liés à la culture et aux traditions locales, et facteurs exogènes

donne naissance à cette forme de tourisme de mémoire, comme celle qui s’est

développée autour des funérailles bamilékés1 du Cameroun. Outre l’émergence d’un

nouveau contexte socioculturel, le mouvement enclenché charrie de nouveaux enjeux

socioéconomiques et pose en conséquence plusieurs questions pour les structures

économiques qui se mettent en place. D’abord, celle de leur organisation respective et

de leurs formes de management en relation avec les différents projets ; ensuite celle

des rôles et du comportement des acteurs impliqués dans les processus de

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

108

Page 111: Mondes du Tourisme

transformation et partant, enfin, celle des qualifications des opérationnels, c’est-à-dire

ceux directement impliqués dans l’élaboration des prestations touristiques inhérentes.

2 La littérature apporte certes des éléments de réponse sur bien des aspects du

questionnement ci-dessus. En effet, sur la question du rôle et de la coordination des

actions des différentes parties prenantes impliquées dans la coproduction du service

touristique, l’approche conventionnaliste du service donne des éclairages théoriques.

Plus précisément, les conventions implicites, qu’observent les différentes catégories

d’acteurs, notamment les conventions de qualité, d’effort, de qualification, de

responsabilité, de fidélité, etc., assurent la coordination de la relation de service en

général et de service touristique en particulier (Gadrey, 1994 ; Gomez, 1999 ; Clergeau et

al., 2017). S’agissant des formes d’organisation spécifiques qui structurent différents

projets, Verstraete et Jouison-Laffitte (2009), dans une perspective tout aussi

conventionnaliste, considère le « business model » comme la convention au cœur du

projet d’entreprendre, l’artefact social qui mobilise et structure l’ensemble des parties

prenantes à la genèse de l’organisation. Au sujet de la qualification, que nous

considérons ici comme une relation d’équivalence équitable entre une activité et sa

valeur, le courant « substantiviste », porté dans un premier temps par Naville (1956),

considère que la qualification dépend de l’homme et non du poste de travail qu’il

occupe : ce qui fait du temps de formation le critère déterminant pour définir la

qualification (Oiry, 2005). Un peu plus tard, Friedmann et Reynaud (1958) vont

considérer que la qualification appartient plutôt au poste de travail. Cela étant, seuls

les critères liés à la technique, à la complexité du poste de travail sont mobilisés pour

donner une valeur objectivement équitable. Un autre courant, « relativiste », moins

enclin à proposer des normes absolues, considère la qualification comme le résultat

d’un compromis social entre les différents acteurs de l’environnement interne et

externe de l’entreprise (Maurice 1984). Toutefois, au-delà des perceptions

« substantivistes » de Naville (1956)2 et Friedmann (1964)3 et celles « relativistes » de

Maurice (1984), il semble nécessaire, pour le cas spécifique du tourisme de mémoire qui

nous intéresse, d’appréhender la qualification par le prisme d’une approche holistique

basée sur la réalité empirique du travail. Ce qui permettrait de tenir compte des

singularités locales, comme le proposent Lesne et Montlibert (1972). En effet, celles-ci

sont parfois différentes selon les cultures, les traditions et les valeurs sociales et

identitaires des peuples. Ce qui rejoint finalement l’approche du compromis social, base

du courant relativiste. Cependant, le sujet qui nous intéresse, en l’occurrence le

tourisme de mémoire et notamment la question de la ressource humaine spécifique à

cette forme encore en pleine exploration scientifique, donne lieu à l’interrogation

suivante : quel est le profil type du professionnel du tourisme de mémoire ? Par

ailleurs, peut-on objectivement imaginer un parcours de formation qui rende apte

l’apprenant à exercer efficacement dans le champ du tourisme de mémoire où qu’il se

retrouve ? L’un des enseignements majeurs de la recherche effectuée ces dernières

années est la redéfinition actualisée du tourisme de mémoire par l’énoncé de ses

principales caractéristiques (Rieutord et Spindler, 2015). Au regard de celles-ci, il

apparaît que le tourisme de mémoire émerge de différentes sources, pas forcément

rattachées aux faits historiques ou aux événements tristes du passé, et fait l’objet

d’expériences aussi diverses que variées, en fonction des lieux.

3 Cette reconceptualisation a donné lieu à la classification de la dynamique touristique

des funérailles bamilékés dans le champ du tourisme de mémoire, avec une singularité :

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

109

Page 112: Mondes du Tourisme

le côté festif qui contraste avec le tourisme de mémoire triste basé sur les vestiges de la

Grande guerre. Dans le cas d’espèce, le tourisme de mémoire naît de la rencontre entre

tradition et modernité. En effet, « si le tourisme est un phénomène emblématique de

notre modernité, la mémoire constitue, elle, la clé de voûte du processus de

conservation de nos traditions » (Clergeau et al., 2017, p. 1). À cet effet, « parler de

tourisme de mémoire, c’est envisager une rencontre entre la tradition avec ses velléités

conservatrices et la modernité avec ses tendances novatrices, deux concepts souvent

perçus comme antagonistes (Noah Onana, 2012) » (Dongmo Temgoua, 2017, p. 20). On

imagine donc, au cœur de ce phénomène, une tension latente, dont la gestion

conditionnera l’essor ou non des activités touristiques potentielles inhérentes. Ce qui

conduit à faire appel à des prestataires de services qualifiés dans cette gestion de la

tension entre tradition et modernité.

4 Par ailleurs, si on admet que chaque société a une tradition, une culture impliquant des

aspects identitaires matériels et immatériels à préserver au moyen de la mémoire,

alors, « la mobilité touristique s’inscrit dans une stratégie des individus socialisés, dans

leur intentionnalité, et dans l’efficacité de certains lieux plutôt que d’autres dans la

réussite du projet de récréation » (Violier, 2011, p. 2). Dans le même temps, s’il faut

reconnaître que la modernité, c’est souvent l’innovation, l’évolution, les changements,

voire des ruptures (Touraine, 1992 ; Warnier, 2008 ; Noah Onana, 2012 ; Silberzahn,

2014), on se rend à l’évidence de la complexité qui peut entourer la prestation de

service dans le tourisme de mémoire. Dès lors, dans un contexte de nécessaire

cohabitation entre tradition et modernité, quels professionnels pour faire face de

manière pertinente et cohérente aux attentes et exigences qualitatives des prestations

touristiques ?

5 Notre contribution propose d’esquisser le profil d’un des acteurs clés directement

impliqué au cours de la coproduction, dans une relation tripartite et conventionnaliste

de service dans le tourisme de mémoire. Pour l’instant ce type de professionnels ne

semble pas exister. Aussi, allons-nous essayer de détecter les qualités requises pour les

prestataires de services dans le cadre du tourisme de mémoire lié au patrimoine

immatériel, comme c’est le cas des funérailles bamilékés du Cameroun. Précisons dès à

présent qu’il ne s’agit pas d’obsèques. Les funérailles « désignent des rites funéraires

certes, mais davantage des festivités suivant un protocole traditionnel bien défini, à

forte intensité folklorique, dans une atmosphère empreinte d’une grande allégresse.

Les funérailles sont organisées en mémoire d’un défunt, en général, longtemps après

ses obsèques » (Dongmo Temgoua, 2017, p. 19). À partir de ce phénomène socioculturel,

qui entretient un important marché du tourisme de mémoire (Dongmo Temgoua, 2015),

on s’interrogera sur le passage d’une coproduction duale des services (prestataires-

clients) à une coproduction tripartite (qui donne une place au défenseur de la

tradition), puis sur les qualités que devraient présenter les fournisseurs de prestations.

1. D’une coproduction duale a une coproductiontripartite

6 Comme pour la plupart des activités de service, la production dans le tourisme

implique une participation directe du client au cours du processus. Dans un schéma

classique de prestation touristique, cette co-élaboration du service donne lieu à une

coproduction impliquant le client et le prestataire, qui représentent les deux parties

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

110

Page 113: Mondes du Tourisme

mises à contribution. L’originalité du tourisme de mémoire réside justement dans le fait

qu’il s’agit d’un processus de coproduction tripartite qui nécessite la participation d’un

tiers supplémentaire, à savoir : le gardien de la tradition. Cela ajoute de la complexité

aux tâches des prestataires, quant à la réalisation d’un service de qualité qui tienne

compte à la fois des exigences et attentes implicites des différentes parties attachées à

des valeurs relativement antagonistes.

1.1. L’approche client-prestataire

7 À la lumière des travaux de Gadrey (1994), Clergeau (2014) a schématisé la relation de

service dans le tourisme comme une coproduction co-définie et copilotée, comme nous

l’avons mentionné plus haut, par les deux acteurs principaux que sont le prestataire et

le client. Le schéma ci-après montre à cet effet que le service touristique est ainsi un

processus de transformation d’une réalité initiale en réalité voulue par le touriste, qui

est lui-même relativement impliqué aux côtés de l’agent prestataire. Dans l’élaboration

du service, l’entreprise prestataire participe à l’effort collectif, c’est-à-dire qu’elle

observe les conventions d’efforts en faisant le nécessaire pour disposer d’agents

qualifiés (Gomez, 1999 ; Verstraete et Jouison, 2009).

Figure 1. Schéma de coproduction de services

Source : adapté de Clergeau (2014)

8 Le schéma ci-dessus est, rappelons-le, relatif au cas classique d’une prestation de

service touristique qui implique une coproduction bipartite, c’est-à-dire lorsque seuls

les prestataires et les clients coproduisent. Dans ce cas, le prestataire n’éprouve a priori

pas de difficulté pour trouver l’agent qualifié qui, par son intervention directe dans le

processus de co-élaboration, va contribuer à la réalisation de la prestation. En effet, les

universités et autres instituts de formation dans le domaine du tourisme ont, depuis, eu

le temps d’adapter les formations aux exigences professionnelles du secteur. À titre

d’illustration, suivant les statistiques produites par l’université d’Angers, 75 % des

étudiants de master de l’UFR ESTHUA4 tourisme et culture obtiennent un emploi moins

de six mois après l’obtention de leur diplôme. Cette insertion professionnelle rapide et

réussie témoigne de l’opérationnalité de ces derniers et atteste de la qualité et de

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

111

Page 114: Mondes du Tourisme

l’adéquation des formations reçues à cet effet. Ainsi, on serait tenté de conclure qu’il

suffit, pour le prestataire de services touristiques en quête de ressources humaines, de

s’orienter vers des sources aussi bien internes qu’externes. Il lui reviendrait, tout

simplement, de cibler des candidats potentiels parmi les personnes justifiant d’une

expérience sur le poste concerné ou d’une formation sanctionnée par le(s) diplôme(s)

requis, obtenu(s) auprès d’instituts de formation spécialisés. On se situe là dans une

logique substantiviste de la qualification, subordonnée à la formation effectuée ou à

l’apprentissage issu d’une longue expérience préalable. Cependant, le tourisme de

mémoire autour des funérailles bamilékés laisse place à une tout autre réalité. Celle-ci

est d’ailleurs riche d’enseignements nouveaux pour l’analyse des parties prenantes

impliquées au cours du processus de coproduction du service touristique.

1.2. Les prestations de services dans le tourisme de mémoire : unecoproduction tripartite

9 Dans le tourisme de mémoire, la relation de service est différente du schéma classique

connu jusqu’ici. Elle laisse apparaître un tiers acteur, inscrit dans une posture

protectionniste de défenseur des us et coutumes et de l’authenticité. En effet, si la

naissance de la dynamique touristique autour de la mémoire est précédée par la

rencontre entre la tradition (clé de voûte de la « mémoire ») et la modernité (très

favorable au changement, à l’innovation et à la remise en cause perpétuelle des acquis

de la société), il va sans dire qu’au cœur de cette forme de tourisme subsiste une assez

forte défiance. Tel est d’ailleurs le cas pour les funérailles bamilékés au Cameroun

(Dongmo Temgoua, 2017). En effet, la neutralisation de cette tension est au centre de

l’émergence d’activités économiques. Celles-ci sont tournées vers la quête et la

préservation d’une coexistence harmonieuse entre les valeurs traditionnelles, d’une

part, et les exigences d’une vie moderne d’autre part. D’où l’implication dans

l’élaboration des prestations touristiques de ce tiers acteur, que nous qualifions de

« gardien(s) de la tradition ». Cette catégorie d’acteurs comporte : les chefs

traditionnels considérés en pays bamiléké comme dépositaires des traditions

ancestrales, les patriarches ainsi que l’ensemble des Bamilékés qui ont toujours vécu

dans leur région d’origine, nonobstant les mouvements migratoires que le Cameroun a

connus dès son entrée dans la colonisation. L’existence et le rôle de cet acteur

deviennent déterminants dans le processus de coproduction qui est donc « tripartite ».

10 Dans le cadre d’une simple coproduction bipartite, on imagine déjà la relative

complexité de la tâche de l’agent prestataire selon le cas. Celui-ci a un rôle essentiel,

qui le place au centre de l’activité relationnelle qu’il pilote de bout en bout pour le

compte de l’entreprise. Cela implique pour lui, de disposer d’une panoplie d’outils

déterminants pour produire un service de qualité. Il s’agit :

d’une parfaite connaissance des objectifs stratégiques de son entreprise ;

d’une maîtrise en matière des savoir-faire5 relatifs aux exigences techniques de la

prestation ;

d’un savoir-être6 pour l’implication harmonieuse du client comme coéquipier/copilote dont

il intègre les apports ;

de la prise en compte des autres enjeux7 relatifs au contexte et au champ spatiotemporel qui

entourent la réalité transformée, ou à transformer.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

112

Page 115: Mondes du Tourisme

11 On peut dire, au regard de ce qui précède, que l’agent prestataire qualifié pour la

prestation touristique duale8 sera déterminé par les quatre caractéristiques ci-dessus.

La coproduction dans le cadre du tourisme de mémoire, illustrée à travers les

funérailles bamilékés, semble davantage mettre l’accent sur la quatrième, outre les

trois premières citées. À cet égard, la coproduction tripartite impliquant le(s)

gardien(s) de la tradition entraîne des difficultés supplémentaires pour le prestataire.

En comparaison avec une coproduction classique, le schéma suivant représente la

relation tripartite qui aboutit à la réalisation du service dans le tourisme de mémoire

autour des funérailles bamilékés.

Figure 2. Schéma de coproduction tripartite impliquant touriste, prestataire et gardien de latradition dans le tourisme de mémoire lié aux funérailles bamilékés

Source : adapté de Clergeau (2014)

12 Le schéma ci-dessus laisse entrevoir que, dans le tourisme de mémoire, les attentes et

les exigences relatives aux prestations ne sont pas formulées par le seul couple

touriste/client, mais plutôt par le triptyque client-prestataire-gardien de la tradition.

Ce dernier participe, au même titre que les deux autres acteurs, à la fourniture d’un

service de qualité, qui intègre bien sûr les atouts de la modernité tout en respectant les

principes inviolables de la tradition. L’analyse empirique montre, comme nous allons le

présenter dans ce qui suit, la nécessaire prise en compte des valeurs traditionnelles non

aliénables et la connaissance des pratiques coutumières. Cela doit cependant se faire en

considérant comme acquis certains éléments de la modernité : conditions d’hygiène,

confort, etc. surtout s’ils ne nuisent en rien à la préservation et à la transmission de la

tradition. Cela justifie l’interrogation sur l’existence du professionnel du tourisme de

mémoire, notamment le profil de l’agent prestataire, véritable dépositaire de l’équilibre

tripartite, pierre angulaire du service touristique dans un contexte aussi singulier.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

113

Page 116: Mondes du Tourisme

2. Les qualités requises pour les prestataires deservices touristiques mémoriels : le cas desfunérailles camerounaises

13 Nos investigations ont été menées au Cameroun, dans la région de l’Ouest et plus

précisément en pays bamiléké, où se pratiquent les funérailles. Il semble à cet effet

judicieux de décrire tout d’abord l’environnement empirique de l’étude, pour mieux

appréhender sa singularité. Par ailleurs, en s’appuyant sur les caractéristiques de la

qualification que nous avons énumérées plus haut et en focalisant sur la singularité de

la coproduction tripartite des services touristiques, nous avons essayé d’identifier les

qualités attendues d’un fournisseur de prestations, notamment en ce qui concerne les

ressources humaines directement impliquées dans la co-élaboration du service

touristique.

2.1. L’environnement empirique de l’étude

14 Sur le plan géographique, le pays bamiléké est confondu avec la région de l’Ouest du

Cameroun, l’une des dix du pays. La région compte huit départements, scindés en

arrondissements. Sept de ces départements constituent le berceau de l’ethnie Bamiléké,

comme l’indique la carte suivante.

Figure 3. Le pays bamiléké sur une carte schématique du Cameroun

Source : http://afrique-solidarite-emploi-format.webnode.fr/news/les-bamilekes-cameroun/

15 Sur un plan traditionnel, le pays bamiléké est constitué de 118 chefferies, qui sont des

entités à la fois politiques, administratives et traditionnelles représentant des

communautés territoriales. Par ailleurs, plus de 1,6 million de Bamilékés vivent en

dehors de la région d’origine. Pendant toute la saison sèche, qui dure environ cinq mois

chaque année, quatre à cinq funérailles sont organisées chaque semaine dans chaque

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

114

Page 117: Mondes du Tourisme

chefferie. Les manifestations mobilisent à chaque fois de 1 000 à 50 000 participants

selon l’ampleur et la notoriété du défunt. Il s’agit d’un devoir de mémoire non facultatif

et par ailleurs fondamentalement identitaire de cette ethnie. En effet, les funérailles

bamilékés participent d’un processus d’accomplissement de la vie pour l’individu :

« tant que tu n’organises pas des funérailles lorsqu’il le faut, tu ne peux pas être en

harmonie avec tes ancêtres » (Momo Soffack 1er)9. Bien plus, « il n’y a pas de site

d’emprunt pour l’organisation des funérailles. Ils doivent se faire à la source de la famille, c’est-

à-dire au village d’origine » (Kengni Jean10). Ainsi donc, la majorité des participants

séjournent pendant quelques jours en pays bamiléké, venant des communautés

bamilékés des autres régions et même de l’étranger. « Si les membres d’une famille

concernée par les funérailles résident au nord du pays, par exemple, ou même à

l’étranger, en principe, ils doivent obligatoirement faire le déplacement vers l’Ouest

pour l’événement » (Kengni Jean). Ce qui étaye l’idée d’un tourisme de mémoire

(Dongmo Temgoua, 2017). Les images suivantes donnent un aperçu des festivités des

funérailles (à gauche), en comparaison aux obsèques (à droite).

Figure 4

Source : images tirées du site Sinotable.com et de notre banque personnelle de photos prises pendantl’observation participante.

16 Notre étude a été circonscrite à la commune de Dschang. Dans cette ville, par exemple,

des entreprises familiales se sont créées autour de cette dynamique touristique, qui

s’est mise en place dès le XIXe siècle, au contact du pays avec la modernité. L’histoire

situe ce contact avec la modernité, d’origine occidentale11, à la période coloniale, qui a

aussi engendré de nombreux flux migratoires (Owona, 1973 ; Djache, 2012 ; Temgoua,

2014). Aujourd’hui, le marché de services touristiques autour de ce phénomène culturel

et identitaire, propre à cette ethnie qui compte parmi les plus représentatives du

Cameroun (Debel, 2011), constitue le plus important du pays. À ce titre, une multitude

d’entrepreneurs se déploient pour offrir des services dans un contexte de tension

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

115

Page 118: Mondes du Tourisme

latente entre tradition et modernité (Dongmo Temgoua, 2017). Dans le cas de notre

étude, les promoteurs des structures qui exploitent ce tourisme de mémoire sont des

entrepreneurs, au sens des économistes classiques (Laurent, 1989). Ils peuvent avoir à

la fois l’étiquette de capitaliste, d’optimisateur de ressources et de dirigeant « manager

général ». Ainsi, l’organisation et la gestion des entreprises qu’ils créent leur incombent

au premier chef.

17 L’étude empirique a été réalisée sur la base d’entretiens semi-directifs menés en deux

phases (27 au total), de périodes d’observation participante et d’analyse de documents,

conduisant à une triangulation des données. Dans un premier temps, nous avons, dans

une phase d’exploration préliminaire, eu recours à quatre catégories d’acteurs

importants, rencontrés individuellement ou en groupes, afin de disposer d’éléments

pertinents de compréhension des traditions bamilékés et surtout des funérailles. Il

s’agit :

des patriarches et hommes de culture ressortissants de la région de l’Ouest du Cameroun,

considérés ici comme les témoins vivants de ces traditions et us et coutumes propres à cette

ethnie ;

des organisateurs de funérailles, considérés ici comme les déclencheurs de toutes les

dynamiques rituelles, culturelles, économiques, financières, touristiques… observées autour

du phénomène ;

des chefs traditionnels, dépositaires et gardiens des traditions, garants théoriques de

l’authenticité des pratiques et usages liés aux funérailles ;

des voyageurs se rendant dans la région de l’Ouest, parmi lesquels des ressortissants

bamilékés qui se déplacent effectivement pour motif de funérailles.

18 Au-delà de la quinzaine d’entretiens menés auprès ces différentes parties prenantes

impliquées dans les funérailles, nous nous sommes également appuyé sur une étude

longitudinale rétrospective de douze parcours entrepreneuriaux, à partir desquels nous

avons reconstitué les interactions sociales qui ont permis à l’entrepreneur de déployer

son modèle d’affaires. Le tableau suivant présente le profil des personnes ressources

interviewées au cours de cette deuxième phase d’investigations.

Tableau 1. Profils des personnes-ressources interviewées au cours de la deuxième phaseempirique

Noms et

prénoms

Date

d’entretienStatut/ titre/ profession

Lieu (ville) de

l’entretien

Durée de

l’entretien

AKONO Jean Paul 04-oct-15

Promoteur de la structure de

logistique événementielle

« Papa Ako »

Dschang 1h

GOUFACK

Bernard30-oct-15

Promoteur de l’Hôtel Teclaire

PalaceDouala 1h15

KIGNI Joseph 07-janv-16Promoteur de l’Hôtel Place de la

MétéoDouala 35 min

TONFACK

LONGKENG

Joseph

13-janv-16Promoteur du Motel Royal de

DschangDouala 1h

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

116

Page 119: Mondes du Tourisme

DJIKENG

KEMGOU Fabien23-janv-16 Promoteur de l’Hôtel du Lac Dschang 1h05

IDRISSOU MOMO 02-janv-16

Promoteur du restaurant/

service traiteur « la Côte chez

Idrissou »

Douala 1h30

TONFACK

Etienne08-févr-16

Promoteur du restaurant/

service traiteur « Source de

Bénédictions »

Douala 1h10

NAFACK

Rigobert26-févr-16 Promoteur de l’Hôtel Salvador Dschang 50 min

FELEFACK Jean

Paul14-avr-16

Gérant du Motel Royal de

Dschang et promoteur du

service traiteur « FELEFACK »

Dschang 1h15

TATSALEKEU

Martin14-avr-16

Promoteur de l’agence de

voyage « MENOUA Voyage »Dschang 1h03

TATSIA Pélagie 14-avr-16

Promotrice du service traiteur

« NZ » (Nzinmeda) et logistique

événementielle

Dschang 45 min

M. DEMANOU 22-juin-16 Promoteur de FODEM Voyage Yaoundé 1h15

19 L’observation participante a consisté, dans un premier temps, à prendre part aux

funérailles comme invité ; dans un second temps, nous avons eu le privilège et le plaisir

de faire partie d’une équipe d’organisation des funérailles. Pendant la phase de

traitement des données, nous inspirant de Paillé (1996, 1998), nous avons procédé au

repérage systématique des thèmes abordés dans le corpus de verbatims issus des séries

d’entretiens semi-directifs entièrement retranscrits. D’ailleurs, comme le suggèrent

Beaud et Weber (2003), le travail d’analyse a commencé au moment de la transcription.

L’identification des verbatims significatifs en fonction des thèmes a permis par la suite

de disposer de sources empiriques, dont l’usage devait permettre de confronter la

perception théorique à la réalité du terrain. Ainsi, pour l’analyse des données, nous

avons donc retenu la stratégie narrative qui vise à comprendre un processus en

s’appuyant sur « la construction d’une histoire organisée et chronologique des

évènements à partir de sources brutes » (Langley, 1997, p. 41). La première visée d’un

tel récit est descriptive et compréhensive. Cela correspondait bien à notre souci de

comprendre la démarche de l’entrepreneur et ses critères pour les choix relatifs à la

mobilisation de ses ressources humaines pour ses prestations dans le tourisme de

mémoire, dans un contexte aussi singulier que celui des funérailles bamilékés.

20 Les résultats de notre analyse permettent d’esquisser le profil de l’agent prestataire. Au

cours de notre enquête de terrain, nous avons cherché des réponses aux questions

suivantes : comment les personnes qui travaillent dans les entreprises touristiques

concernées par les funérailles sont-elles recrutées ? Quels sont les savoirs, savoir-faire

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

117

Page 120: Mondes du Tourisme

et aptitudes préalables retenus par les employeurs ? Quelles sont les autres

caractéristiques prises en compte au moment du recrutement ?

2.2. Les attributs de qualification des agents prestataires

21 L’analyse montre que le personnel doit avoir des capacités spécifiques et que leur

encadrement doit être en rapport avec les réalités contextuelles, qui peuvent varier

d’une localité à l’autre, d’une région à l’autre, d’une aire culturelle à l’autre et, par

extrapolation et selon toute logique, d’un pays à l’autre. Dans le cas des funérailles,

quelques illustrations s’agissant du transport, de l’hébergement, de la restauration/

service traiteur, ainsi que de l’animation culturelle permettent de mettre en évidence

des attributs nécessaires des agents qualifiés.

22 Dans l’hébergement, si l’on suppose a priori qu’il existe des principes standards 12 et

quasi universels dans le service, quel que soit le lieu, on serait tenté de croire que la

provenance ou le lieu de formation initial du personnel n’influence pas le recrutement.

En d’autres termes, cela voudrait dire qu’il suffirait de disposer du savoir-faire

technique et du savoir-être, justifié par le diplôme sanctionnant la formation requise

ou par une expérience acquise dans le domaine, pour prétendre à l’emploi. Nos

investigations révèlent cependant que les entrepreneurs autour des funérailles

préfèrent recruter des personnes originaires de la localité et accoutumées aux mœurs

et coutumes du terroir, qu’ils forment ensuite avec l’appui de formateurs ayant une

expérience auprès de chaînes ou des groupes hôteliers internationaux. Bernard Goufak,

propriétaire de l’hôtel Téclaire Palace affirme ce qui suit : « J’ai d’abord signé un

contrat de formation avec Monsieur Tsagué, un ancien cadre du groupe Accor, et les

choses ont été gérées sur le plan local avec l’inspection de travail. » Il faut préciser

qu’au Cameroun il existe des instituts de formation en hébergement, au niveau

secondaire comme universitaire. Il nous est apparu important de connaître la raison de

ce contrat. Monsieur Goufak nous précise ceci : « huit mois avant l’ouverture, nous

avons lancé un test de recrutement du personnel, procédé à des interviews à l’issue

desquelles des jeunes gens de la localité ont été recrutés et formés. » Cette démarche

mérite au moins de susciter la question de savoir s’il s’agit d’un acte de solidarité

envers la communauté locale ou si cette approche est liée à la particularité du tourisme

de mémoire, principale forme de tourisme de la ville de Dschang. Il aurait pu recruter

directement des professionnels sortis des écoles de formation en hôtellerie qui, pour la

plupart, se trouvent dans les grandes villes du pays comme Douala et Yaoundé.

Pourtant, pour le lancement de son hôtel, Bernard Goufak a tenu à former un personnel

local aux savoir-faire et savoir-être suivant le modèle occidental. Ce qui permet

d’intégrer de la modernité au service et aux prestations envisagées dans un contexte

local assez singulier. Au lieu de recruter ailleurs un personnel qualifié parce que

justifiant d’une formation adéquate reçue dans les centres de formation en

hébergement, le promoteur choisit de mobiliser des fonds pour former pendant huit

mois de jeunes gens recrutés sur place.

23 Nul doute que ces derniers ont l’avantage de maîtriser les réalités locales, ce qui leur

permettra d’offrir un service « authentique » pour la satisfaction des touristes qui

recherchent des expériences originales. En effet, selon les travaux de McCannell (1976),

la recherche d’expériences véritables pour combler une vie quotidienne qui leur

apparaît monotone et vide serait la principale quête des touristes. L’authenticité est ici

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

118

Page 121: Mondes du Tourisme

relative à ce qui fait autorité, qui est conforme à l’original, qui est incontestable, qui est

vrai (Farladeau, Bourdeau et Marcotte, 2018).

24 L’entrepreneur de Téclaire Palace semble anticiper sur le lien possible relatif aux effets

de tension potentielle entre tradition et modernité, d’une part, et tourisme d’autre

part. À cet effet, les travaux de Taunay (2009, 2011) sur le cas de la Chine sont édifiants.

À la suite d’Oakes (1998), l’auteur montre que la modernité est un fondement majeur du

tourisme intérieur chinois : « la contradiction entre le désir d’authenticité du touriste

et le désir de modernité du village a été gérée à travers la mise en scène élaborée de la

tradition, de la consommation et du commerce qui a accueilli les touristes au village »

(Taunay, 2009, p. 115). Ainsi, tout en se pliant aux exigences modernes de qualité de

service grâce à la « formation sur mesure » reçue, le personnel de Téclaire Palace aura

les qualifications requises pour assurer les prestations inhérentes au tourisme de

mémoire. Pour cet entrepreneur, la combinaison de ces deux facteurs, à savoir la

connaissance et une prédisposition naturelle au respect de la tradition locale, d’une

part, et la prise en compte des exigences de la modernité en termes d’accueil,

d’hygiène, de commodités de séjour, etc., d’autre part, contribue à l’encadrement

optimal du touriste durant son séjour.

25 Dans le même temps, le recrutement des chauffeurs des compagnies et agences de

voyages interurbains qui offrent leurs services tient évidemment compte des

qualifications, vérifiées à travers les acquis objectivement identifiables. La sélection

tient aussi et surtout compte de la capacité d’expression des candidats dans des

conditions a priori atypiques. Il s’agit de mettre l’accent sur leur capacité d’acceptation

des conditions extraordinaires de travail et d’adaptation permanente aux changements.

Elles constituent, en effet, une caractéristique de l’individu recherché, en plus des

savoir-faire et savoir-être acquis par des formations techniques indiquées. À titre

d’illustration, des conventions sociales implicites sont établies entre les touristes des

funérailles et les prestataires exerçant dans le transport par autobus. En effet, les

voyages sont généralement programmés de nuit : « ce sont les voyageurs, c’est-à-dire

les touristes, qui ont imposé cela ». Ces propos sont ceux de Tatsalekeu Martin, le

propriétaire de l’une des plus importantes compagnies de voyage interurbain

desservant la région de l’Ouest à partir des grandes villes du pays. Il poursuit ainsi :

« en principe, les voyages de nuit ne sont pas bons pour nous, mais les voyageurs

l’imposent ». Si l’on cherche à comprendre pourquoi, on se rend compte que les

touristes le font pour des raisons évidentes : « ils disent que pour eux, c’est économique

en temps puisqu’en journée ils ont la possibilité de vaquer à leurs occupations

habituelles, puis de voyager par la suite dans la nuit ». Cela entraîne une conséquence

majeure chez le prestataire : le travail des chauffeurs se fait ainsi à contretemps et avec

des contraintes supplémentaires à surmonter. Celles-ci sont à la fois endogènes (les

prédispositions intellectuelles et techniques des chauffeurs…) et exogènes

(l’infrastructure routière ainsi que l’environnement des voyages qui révèlent des

insuffisances notoires et ne favorisent pas les meilleures conditions pour la pratique

nocturne). « La distance est à peu près de 400 à 500 km13. Vu l’état des routes, pour

effectuer ce voyage, il faut au minimum 8h de temps » (Demanou Oscar, propriétaire de

FODEM Voyage).

26 Dès lors, le recrutement des conducteurs de bus et d’autobus va au-delà de simples

connaissances techniques et savoir-faire acquis au cours de la formation antérieure des

postulants. Elle intègre, comme nous le voyons, d’autres facteurs liés au contexte, au

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

119

Page 122: Mondes du Tourisme

méso-environnement et aux conventions implicites établies entre les parties prenantes.

Ce qui suppose, en amont, le développement individualisé de la ressource humaine. La

qualification intègre des facteurs psychologiques, comportementaux et sociologiques

importants. Demanou Oscar, le propriétaire de FODEM Voyage, déclare ainsi : « comme

mes chauffeurs sont souvent amenés à conduire toute la nuit et compte tenu du fait que

la sécurité des centaines de passagers qu’ils transportent est liée à leur état physique,

psychologique et mental, cela implique un comportement spécifique de leur part ». Les

qualifications des chauffeurs ne se vérifient pas seulement dans le contexte purement

professionnel mais aussi en dehors, notamment dans son environnement social

quotidien. C’est pourquoi « en journée et au quotidien, ils doivent adopter un mode de

vie différent pour être dans les meilleures conditions de travail » (Demanou Oscar)14. Le

chauffeur adéquat, qualifié pour un travail au sein de FODEM Voyage, dont l’activité est

fortement tributaire des funérailles qui, par ailleurs, constituent en période forte

l’essentiel du chiffre d’affaires de l’entreprise, est, en conséquence, celui qui se fond

naturellement à ces exigences contextuelles supplémentaires. D’ailleurs, pour s’assurer

que les chauffeurs en service observent un comportement efficient au quotidien, les

promoteurs vont jusqu’à user de moyens peu conventionnels de pression, en

s’appuyant sur les membres des familles respectives de leurs employés.

27 Cela donne lieu à un autre attribut de qualification non négligeable : le statut

matrimonial. Pour Oscar Demanou, par exemple, le fait d’être marié constitue un atout,

voire une condition sine qua none du profil de chauffeur. « Je dois donc m’appuyer sur

leurs familles, c’est-à-dire leurs femmes et enfants pour les contraindre de respecter,

par exemple, les horaires de sommeil pendant la journée ». Il en est de même pour

Tatsalekeu Martin, qui prend lui des mesures pour être renseigné des faits et gestes de

sa centaine de chauffeurs pendant le service et en dehors du service. En établissant un

lien de proximité avec les familles de leurs employés, ils pensent ainsi disposer d’autres

moyens de surveillance de ces derniers. Ceux-ci doivent, en effet, observer une

discipline de vie stricte même en dehors des heures de travail ; raison pour laquelle il

est primordial pour l’employé qualifié d’être en mesure d’accepter cette intrusion à des

fins professionnelles dans leurs vies privées. À ce niveau, les aspects

psychosociologiques entrent en jeu. On imagine que s’il est acceptable pour un

professionnel de culture africaine de s’accommoder de cela, cela semble moins évident

pour quelqu’un de culture occidentale, ayant une perception différente de la vie privée.

Le promoteur de FODEM Voyage est conscient du sacrifice que cela implique de la part

de ses employés, puisqu’il affirme : « c’est très pénible pour eux, mais il est important

pour moi de m’assurer qu’ils ne se livrent pas à d’autres activités préjudiciables à la

bonne exécution de leur tâche ». Bien qu’admettant qu’il est peu commode pour un

employeur d’aller aussi loin dans la vie privée de son employé, les entrepreneurs

estiment ne pas pouvoir faire autrement : « ce n’est pas du tout facile, mais je préfère

me séparer d’un chauffeur qui n’est pas accessible à ces exigences-là ». Ils semblent

d’ailleurs encouragés par les membres des familles respectives desdits chauffeurs, qui

n’hésitent pas à coopérer, bien au contraire, sans doute pour contribuer à préserver le

gagne-pain familial. Les transporteurs y voient un moyen efficace d’assurer la qualité

de service et la sécurité des touristes : « Puisque le confort et la vie de nombreuses

personnes sont en jeu, mes chauffeurs doivent accepter que je surveille leur vie

privée » (Demanou Oscar).

28 S’agissant de la restauration et des services traiteurs autour des funérailles, un critère

revient chez tous les entrepreneurs lorsqu’ils embauchent : c’est la « passion pour la

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Page 123: Mondes du Tourisme

restauration ». Il s’agit selon eux d’un métier très contraignant, nécessitant certes des

connaissances théoriques et un savoir-faire impliquant de nombreuses règles strictes,

mais aussi et surtout une motivation intrinsèque allant au-delà du gain financier

escompté. « Lors du recrutement, je pose toujours la question suivante : pourquoi

voulez-vous travailler dans ce métier ? », nous raconte Tonfack Etienne15, précisant que

c’est souvent sa première question et en même temps la plus importante et que la

réponse à celle-ci conditionne la suite. À cette question, « si le postulant répond en

disant qu’il recherche un travail parce qu’il n’en a pas malgré ses qualifications, alors je

lui réponds immédiatement non, cela ne vaut pas la peine de poursuivre l’entretien ».

Cependant, même si les qualifications du postulant sont à parfaire, le propriétaire du

restaurant « Source de Bénédictions » espère souvent du candidat une réponse

particulière : « Quand tu me dis que c’est ta passion ou que c’est ce que tu aimes faire, je

dis, on va se battre ». Il faut donc que l’agent prestataire témoigne d’une volonté et

d’une passion fortes, sans lesquelles il est presqu’impossible, selon les entrepreneurs,

de surmonter toutes les exigences de ce métier. Comme pour les transports, celles-ci

sont à la fois physiques, sociales, psychologiques et surtout culturelles.

29 En réalité, dans le contexte camerounais en particulier, l’acte alimentaire est avant tout

un acte culturel comprenant des principes traditionnels inviolables, du moins pour une

certaine catégorie d’acteurs : les puristes des coutumes et les gardiens des traditions.

Ces principes, qui renforcent les difficultés du prestataire, concernent aussi bien

l’élaboration que la consommation du service. D’ailleurs, à l’Ouest du Cameroun, de

nombreuses sources orales, « documentaires et cinématographiques »16 indiquent que

des personnes non avisées ont été durement contraintes par les autorités

traditionnelles à payer des amendes importantes et à se faire purifier spirituellement.

Pour quel motif ? Celui d’avoir consommé le « taro à la sauce jaune » en se servant

d’une fourchette, ce qui est interdit par la tradition (Dongmo Temgoua, 2017). Par

ailleurs, il est difficile d’imaginer qu’au lieu d’utiliser un mortier et un pilon en bois

pour piler le taro, suivant la technique et le rituel qui accompagnent la préparation de

ce mets, l’agent prestataire utilise un mixeur électrique pour obtenir une pâte similaire

par souci de facilité et de rapidité. Celle-ci ne sera jamais considérée comme du taro,

parce que ses propriétés physiques et son goût seront différents. On peut être sûr

qu’aucun connaisseur n’oserait en consommer. Au contraire, les auteurs de « l’affront »

s’exposeraient à des sanctions (Dongmo Temgoua, 2017). On comprend donc que la

restauration dans le cadre des funérailles exige, au-delà des connaissances techniques,

une forte motivation intrinsèque de l’agent prestataire.

30 Comme nous l’avons vu plus haut, la coproduction tripartie augmente la complexité de

la tâche de l’agent prestataire. Sa qualification est ainsi subordonnée à des

connaissances, à un savoir-faire et savoir-être qu’il est possible d’acquérir à travers une

formation proposée par les établissements spécialisés dans le tourisme. Cependant,

quel institut de formation prend en compte la coproduction tripartite relative au

tourisme de mémoire puisqu’il s’agit d’une découverte récente ? (Dongmo Temgoua,

2017). Nul doute que pour les prestations relatives aux funérailles, l’agent prestataire

qualifié dès sa sortie du centre de formation n’existe pas encore. Cette situation

contribue à faire de l’identité culturelle de la clientèle, de l’aire culturelle

d’appartenance de l’employé, ainsi que de la connaissance des valeurs traditionnelles

des communautés d’accueil des éléments importants pour l’évaluation du profil de

l’agent prestataire. À défaut de disposer, dans leurs effectifs, d’employés remplissant

ces critères, les entrepreneurs du tourisme de mémoire autour des funérailles ont

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Page 124: Mondes du Tourisme

développé des stratégies alternatives. Celles-ci consistent, par exemple, à disposer dans

chaque localité de la région de l’Ouest de collaborateurs qui maîtrisent à la fois les

aspects techniques modernes des prestations mais aussi les tenants et aboutissants des

us et coutumes locaux. « Dans chaque ville de l’Ouest, j’ai au moins une personne

compétente que je peux à tout moment associer à mon équipe, lorsque je suis appelé à

faire une prestation qui nécessite d’intégrer automatiquement les réalités locales que je

ne maîtrise pas bien » (Tonfack Etienne). Il s’agit d’emplois temporaires qui viennent

en appui à la qualité du service attendu. L’entrepreneur complète en disant : « Même si

cela doit me coûter cher, je suis toujours prêt à avoir recours, de manière ponctuelle, à

des personnes qui maîtrisent les spécialités locales pour renforcer mon équipe

habituelle ». L’agent prestataire est, dans ce cas, une sorte de consultant, qui peut se

mettre au service de plusieurs entreprises similaires lorsque celles-ci sont appelées à

offrir des prestations dans sa localité. Néanmoins, le prestataire compétitif sera celui

qui disposera de la pleine maîtrise des contraintes traditionnelles et des exigences de la

modernité, comme c’est le cas du service traiteur « Source de Bénédictions ». Son

promoteur affirme : « en général, je maîtrise très bien l’ensemble des mets

traditionnels qui sont préparés pour les cérémonies des funérailles. Cela peut aussi

justifier le fait que je sois très sollicité » (Tonfack Etienne). Cela renvoie à l’observation

des conventions de fidélité à la tradition qui sont établies entre les trois principales

catégories de parties prenantes aux funérailles, à savoir le prestataire, le client/touriste

et le gardien de la tradition.

31 Au regard de ce qui précède, les éléments suivants apparaissent comme fondamentaux

dans l’appréciation du profil de l’agent prestataire ayant les qualifications

professionnelles requises pour le tourisme de mémoire en relation avec les funérailles

bamilékés du Cameroun :

le savoir-faire technique, acquis au moyen d’une formation dans un centre dédié ou par

apprentissage progressif sur le terrain ;

le savoir-être, qui semble être un des fondements de la coproduction, puisque la nécessaire

co-élaboration entre le client et le prestataire ne saurait être optimale autrement ;

la capacité d’acceptation des conditions extraordinaires (peu avantageuses) de travail et

d’adaptation permanente aux changements ;

la connaissance des mœurs, us et coutumes, ainsi que des principes traditionnels inviolables

de la localité, du territoire d’accueil.

Discussion

32 Cette étude laisse de nombreuses interrogations en suspens bien qu’elle permette de se

rendre à l’évidence que les structures de formation aux métiers de l’industrie du

tourisme ne proposent pas encore de profils complets pour le tourisme de mémoire.

D’émergence récente et fortement rattaché à la mise en valeur des sites témoins de la

Grande guerre, le tourisme de mémoire est désormais ouvert à d’autres sources. Il

serait intéressant pour la recherche en ressources humaines d’explorer les spécificités

de ce tourisme en vue d’aider à la mise sur le marché du travail des professionnels

qualifiés. Pour le tourisme de mémoire à essence culturelle, comme les funérailles, on

imagine que la prise en compte des mœurs, us et coutumes et traditions locales dans la

formation des apprenants supposerait, compte tenu de la forte diversité des cultures

dans le monde, une multitude de spécialisations. Pourrait-on, par exemple, regrouper

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Page 125: Mondes du Tourisme

l’ensemble des cultures similaires en grandes aires culturelles et en faire l’objet

d’enseignements pour renforcer la formation des futurs professionnels du tourisme de

mémoire lié aux traditions ? En d’autres termes, peut-on envisager, dans le monde

académique, de recenser toutes les formes possibles de tourisme de mémoire, de les

classer par catégories selon les similitudes, de déceler les caractéristiques distinctives

et ensuite envisager des parcours de formation adaptés à chaque catégorie identifiée ?

On parlera par exemple de parcours de BTS tourisme et culture ; filière : tourisme de

mémoire ; option : mémoire culturelle immatérielle ; spécialité : tradition africaine /

tradition d’Amérique latine /tradition indienne… La limite majeure de cette étude est, à

notre sens, le fait que le tourisme de mémoire étudié soit relatif à une seule ethnie, les

Bamilékés du Cameroun. Cela pose un problème de représentativité et la question de la

généralisation des résultats se pose. Il serait sans doute pertinent de mener d’autres

études dans d’autres contextes socioculturels pour voir jusqu’à quel point nos résultats

sont pertinents. Toutefois, l’évidence d’une prise en compte des besoins futurs en

termes de ressources humaines qualifiées pour le développement de toutes les formes

de tourisme de mémoire interpelle la communauté scientifique.

Conclusion

33 Au regard des exigences et des singularités du tourisme de mémoire lié aux funérailles

bamilékés au Cameroun, il apparaît que la qualification de l’agent prestataire est

subordonnée à bien plus que les savoir-faire et savoir-être que l’on peut objectivement

acquérir dans des établissements de formation. Il ne s’agit là que d’un simple préalable.

En réalité, son efficacité va dépendre de sa bonne connaissance du contexte et des

enjeux inhérents au cadre global de la prestation ; autrement dit, à sa capacité à

observer les conventions sociales, d’une part, et de service, d’autre part. Celles-ci

régissent les relations entre les différentes catégories de parties prenantes impliquées

dans la coproduction. Par ailleurs, dans le cas du tourisme de mémoire relatif aux

traditions et aux us et coutumes, comme c’est le cas de la présente analyse, l’agent

prestataire fait face à une contrainte supplémentaire, celle d’intégrer une troisième

partie et de combiner son action avec elle. L’implication de ce tiers acteur, dont le

statut et le rôle protecteur puisent dans le souci de préservation de la tradition, rend

encore plus complexe la tâche de l’agent, sur qui repose le résultat final. Cette exigence

supplémentaire offre a priori un avantage relatif aux populations locales. Les

ressortissants des localités concernées peuvent en effet avoir de meilleures

prédispositions s’agissant des attributs de qualification que les autres professionnels

étrangers aux us et coutumes locaux. Au regard de l’émergence récente du tourisme de

mémoire, qui intéresse de plus en plus la communauté scientifique (Rieutort et

Spindler, 2015), ce constat a le mérite d’ouvrir le débat sur le type de professionnel

qualifié pour ce domaine, d’une part, et sur le type de formation adéquat, d’autre part.

La réponse à cette question devrait permettre aux établissements spécialisés dans le

tourisme de former des agents qualifiés ; c’est-à-dire des agents prestataires en mesure

d’assurer convenablement la coproduction du service et de participer ainsi au

développement et à la pérennisation du tourisme de mémoire ou de toute autre forme

de tourisme basée sur le patrimoine immatériel, où qu’il se trouve.

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123

Page 126: Mondes du Tourisme

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NOTES

1. Les Bamilékés sont un peuple d’Afrique centrale établi au Cameroun dans la région de l’ouest,

où vivent également les Bamouns et les Tikars, proches d’eux par leurs ancêtres communs, leurs

structures sociales voisines et leurs langues. Selon Anne Debel (2011), c’est le plus grand groupe

ethnique du pays.

2. Selon lesquelles la qualification se focaliserait sur la relation entre la formation et

l’organisation technique du travail (Dubar, 1996 ; Oiry, 2005).

3. Qui conduisent à définir la qualification comme l’ensemble des savoirs et savoir-faire des

ouvriers de métier (Dubar, 1996 ; Oiry, 2005).

4. http://www.univ-angers.fr/fr/acces-directs/facultes-et-instituts/ufr-esthua-tourisme-et-

culture.html

5. Élément fondamental des conventions de qualification.

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Page 128: Mondes du Tourisme

6. Relatif aux conventions d’efforts, qui ont trait à la construction de la qualité au sein de

l’organisation et qui concernent directement les personnels qui sont impliqués dans les

prestations de services.

7. Convention de fidélité à la tradition.

8. Nous considérons « duale » et « bipartite » comme des synonymes.

9. Chef supérieur des Foto (gardien de la tradition), entretien du 25/01/2015.

10. Kengni Jean est un patriarche Foto, autorité traditionnelle ayant le titre honorifique de « Su

Fo », qui signifie « ami du chef », entretien du 26/10/2014.

11. Sur la base des travaux de Noah Onana (2012), de Touraine (1992) et de Warnier (2008), en

Afrique en général, la modernité par rapport à la tradition a une origine : l’Occident.

12. En général, quel que soit le lieu où l’on se trouve, on s’attend à ce qu’une structure

d’hébergement puisse disposer d’un service d’accueil et réception, d’un service d’étage et

éventuellement d’un service de bar/restaurant… avec l’idée de rendre le séjour du touriste le

plus agréable possible.

13. Pour celui qui part de la capitale Yaoundé vers Dschang et ses environs.

14. Demanou Jean Oscar, promoteur de FODEM Voyage, interviewé le 23 juin 2016 à Yaoundé.

15. Propriétaire du restaurant/traiteur « Source de Bénédictions », entretien du 08 février 2016.

16. Voir par exemple : https://www.youtube.com/watch ?v =i34snBF8DLU

RÉSUMÉS

L’émergence récente du tourisme de mémoire et son développement s’accompagne de

nombreuses interrogations dont celle relative aux ressources humaines de qualité. Dans la

coproduction tripartite qui implique, outre le touriste et le prestataire, l’intervention des

gardiens de la tradition, comme c’est le cas dans le service autour des funérailles bamilékés, vient

complexifier la tâche de l’agent prestataire. Il semble que, pour l’instant, les établissements de

formation en tourisme ne produisent pas encore de professionnels qualifiés pour cette forme

assez singulière, étroitement liée aux us et coutumes locales non transgressables. D’où l’intérêt et

la nécessité de dresser le profil de l’agent prestataire, dans une perspective de renforcement des

parcours de formation visant à la mise sur le marché du travail de professionnels qualifiés du

tourisme de mémoire. Tel est le dessein du présent article.

The recent emergence of memory tourism and its development is accompanied by many

questions, including the question of quality human resources. In the tripartite co-production

which involves, in addition to the tourist and the service provider, the intervention of the

guardians of tradition, as is the case in the service around the Bamileke funerals, complicates the

task of the service provider agent. It seems that, for the time being, the tourist training

establishments do not yet produce qualified professionals for this rather singular form, closely

linked to the local customs and uses which cannot be transgressed. Hence the interest and the

need to draw up a profile of the service provider, with a view to strengthening training courses

aimed at bringing qualified professionals from memory tourism into the labour market. This is

the aim of this article.

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Page 129: Mondes du Tourisme

INDEX

Mots-clés : tourisme, Bamiléké, prestataires touristiques, coproduction

Keywords : tourism, Bamileke, service provider, co-production

AUTEUR

BERTRAND DONGMO TEMGOUA

Docteur en sciences de gestion

Institut des beaux-arts de l’Université de Douala-Nkongsamba (Cameroun)

[email protected]

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Actualités de la recherche

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Actualités de la recherche

Comptes rendus de thèse

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Aurore GIACOMEL, Les enjeux dutravail émotionnel individuel etcollectif dans les groupes hôteliersmultinationaux : la complexité del’équilibre émotionnel au service del’homéostasie organisationnelleThèse de doctorat en sciences de gestion de l’Université d’Angers, dirigéepar Dominique Peyrat-Guillard (soutenue le 18 septembre 2019)

The issues of emotional labor in hospitality multinational groups: the individual

and collective emotional balance at the service of organizational homeostasis

Aurore Giacomel

1 Notre époque se caractérise par un renouvellement éthique et écologique, plus

respectueux de l’humain et de l’environnement. L’expérience du touriste est au cœur

des préoccupations, notamment au sein des groupes hôteliers multinationaux.

Progressivement, l’accent mis sur l’expérience vécue pour attirer et retenir les clients

se prolonge de l’autre côté du desk, avec le développement d’une « expérience

collaborateur » de plus en plus poussée. En effet, les salariés du front office sont incités à

« rester eux-mêmes » dans leur travail, afin d’afficher une image plus authentique face

aux clients. Cette injonction s’ajoute à celle de l’hyperpersonnalisation du service : le

salarié doit paradoxalement correspondre à ce que chaque client attend, tout en

restant lui-même. De telles injonctions contradictoires génèrent une tension constante,

qui peut engendrer des comportements de retrait et des déséquilibres émotionnels

chez les salariés.

2 Dans ce contexte de travail, pourquoi certains salariés subissent ces injonctions, jusqu’à

ressentir de la souffrance au travail, alors que d’autres s’en accommodent

parfaitement ? Sur quels facteurs l’organisation peut-elle jouer pour garantir

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Page 133: Mondes du Tourisme

simultanément le bien-être de ses salariés et la qualité du service ? Notre hypothèse est

que la cohérence des attentes, perçues et réelles, des clients et des employés a un

impact sur les effets des pratiques RH, dont la compréhension est atteignable

principalement via les mécanismes psychosociaux des individus. Les discours des firmes

hôtelières tournent aujourd’hui autour de la flexibilité, l’agilité et

l’hyperpersonnalisation, en faveur d’une adaptabilité accrue. Cependant, ces principes

sont mis en œuvre de façon peu réaliste, ce qui crée des dysfonctionnements à tous les

niveaux de l’organisation. Ainsi, les firmes semblent créer elles-mêmes les phénomènes

qu’elles essaient de contrer : un désengagement des clients, qui ne retrouvent pas la

promesse dans la prestation effective, et un désengagement des salariés, confrontés aux

demandes paradoxales de leur rôle de travail. Nous savons que les pratiques RH

d’amélioration du bien-être influent positivement sur la rétention et l’implication des

salariés ; cependant, les mécanismes qui constituent ces liens sont peu étudiés. Il

semble notamment primordial d’examiner les mécanismes émotionnels qui entrent en

jeu, particulièrement dans le cadre de métiers qui gèrent de l’humain.

3 La littérature sur le travail émotionnel (TE) englobe ces aspects propres aux métiers

dits du front office. Hochschild (1983) a initialement défini le concept comme « la

manière de gérer ses émotions pour se donner une apparence physique correspondant

à ce qui est attendu socialement ; celui-ci a lieu en échange d’un salaire » (Hochschild,

1983, p. 7). Afin d’afficher l’émotion adéquate, l’employé peut utiliser trois stratégies de

TE : exprimer naturellement ses émotions, réaliser un jeu en surface (feinte

émotionnelle) ou réaliser un jeu en profondeur (transformation de l’émotion). Depuis,

de nombreux auteurs se sont attelés à l’étude de ce concept, cherchant à discerner des

liens entre les stratégies émotionnelles utilisées par les salariés et leurs comportements

et attitudes au travail. La littérature souffre néanmoins d’un morcellement de l’étude

du concept, qui n’a pas permis la formation d’un consensus sur sa définition et

empêche d’appréhender la gestion émotionnelle des salariés de façon réaliste. En outre,

les échelles mesurent, chacune, des composantes différentes du TE, et donc un TE de

nature différente. Ainsi, les chercheurs évaluent indistinctement un processus, un

mécanisme biologique, une compétence, une expression ou encore une stratégie, des

mesures qui n’impliquent pas les mêmes outils et ne mènent pas aux mêmes

conclusions.

4 Ce travail de thèse propose de relier la stratégie hôtelière aux métiers du front office,

grâce à un cadre épistémologique original en sciences de gestion : la pensée complexe

d’Edgar Morin. Adopter le paradigme de la complexité pour étudier le TE a permis

d’explorer ses divers aspects disciplinaires (neurobiologiques, psychologiques,

sociologiques, etc.) et de prendre en compte simultanément les différents niveaux

d’analyse (individuel, interindividuel, organisationnel). L’objectif est d’identifier le

potentiel que peuvent offrir les capacités complexes humaines d’autorégulation en vue

du maintien durable de l’organisation dans un environnement complexe. Notre étude

compile plusieurs objets de recherche complexes et imbriqués : les mécanismes

émotionnels chez l’être humain, en situation de travail, au sein d’une organisation

touristique, dans une société en mutation. La problématique posée est la suivante : une

meilleure compréhension du TE et de l’équilibre émotionnel individuel et collectif au

sein des équipes en contact avec les clients peut-elle permettre d’optimiser la capacité

adaptative dans les métiers du front office de l’hôtellerie ? À partir d’une littérature

transdisciplinaire sur la régulation et la gestion des émotions, nous avons fait émerger

un modèle représentant la complexité du TE (cf. figure 1). Ce modèle s’appuie sur de

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multiples théories en biologie et neurosciences, en sociologie, en psychologie et

psychanalyse, en comportements organisationnels et en systémique. Nous avons réalisé

60 entretiens semi-directifs et des observations dans des équipes de réception et de

restauration en salle, au sein de cinq Novotel en région parisienne. Après analyse

textuelle, à l’aide du logiciel IraMuTeQ, de nouveaux éclairages apparaissent quant aux

comportements et vécus émotionnels dans ces métiers.

Figure 1. Le travail émotionnel comme système complexe

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5 Contrairement à notre hypothèse de départ, selon laquelle les nouvelles normes

émotionnelles imposées aux salariés par les hôteliers participeraient à l’augmentation

des troubles émotionnels parmi le personnel de front office, nos analyses désignent

plutôt comme coupables des normes d’organisation du travail, des normes liées à la

digitalisation et des normes de communication interne et externe. En effet, le maintien

volontaire d’un fort turnover et des situations fréquentes de sous-effectif dans les

équipes de contact réduisent l’espace temporel destiné à évacuer les émotions et le

soutien dans l’équipe et nécessitent donc un effort de TE supplémentaire. La vocation

des outils numériques à réduire la place des procédures administratives au profit d’une

relation client approfondie entraîne, au contraire, une réduction des contacts clients et

prive les salariés de reconnaissance directe par les clients. Ajoutons à cela une crainte

généralisée des réceptionnistes de voir leur emploi remplacé à l’avenir par les

technologies. Côté ressources humaines, la focalisation du recrutement sur le savoir-

être est jugée chronophage par les équipes, qui doivent se charger de la formation des

nouvelles recrues aux savoir-faire. Parallèlement, les pratiques de management

participatif ne prennent réellement en compte ni les besoins ni les contraintes des

employés sur le terrain. Ceci engendre des ressentis de déception et de trahison, que

doivent gérer les salariés. Pour finir, les promesses d’hyperpersonnalisation du service

accroissent les exigences des clients et demandent donc un effort de TE

supplémentaire. De même, l’allègement des contraintes sociales pour les clients, incités

à se comporter à l’hôtel comme chez eux, favorise la généralisation d’un manque de

respect des clients envers les salariés, à gérer en supplément.

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Page 135: Mondes du Tourisme

6 Plusieurs résultats importants sur la nature et le fonctionnement du TE sont apparus.

Tout d’abord, un TE peut être réalisé lors de tout épisode émotionnel, qu’il soit lié à une

interaction interpersonnelle ou non. Chez les répondants, même ceux ayant un recul

manifeste sur leur gestion émotionnelle, l’identification des stratégies de jeu en surface

et de jeu en profondeur, usuelles dans la littérature scientifique, ne nous a pas paru

évidente. Deux processus de gestion émotionnelle sont principalement vécus sur le

terrain : le fait de bloquer directement le négatif chez le client, par habitude ou en

relativisant, car le salarié sait qu’il va résoudre le problème du client ; mettre le négatif

en attente pour se concentrer sur le présent et évacuer les émotions ensuite. Sur sept

profils de combinaison des stratégies de TE résultant de nos analyses, trois profils ne

font pas référence aux stratégies décrites par la littérature. Enfin, ces différentes façons

de réaliser un TE se répercutent sous forme de vécus et de comportements au travail,

que nous avons pu catégoriser en neuf profils. En l’état, aucun lien significatif n’a été

trouvé entre ces deux types de profil. Nos résultats font également émerger l’existence

d’un TE collectif. En effet, en front office, l’accueil d’un client se fait par le collectif

« équipe de réception » et non par un réceptionniste ; et l’équipe gère ses émotions

collectivement comme s’il s’agissait d’un seul organisme.

7 L’impact qu’auront les normes organisationnelles sur les comportements et vécus au

travail dépendra directement de leur influence sur le TE réalisé par les salariés, lui-

même déterminé par le lien que l’individu entretient envers son rôle de travail, ses

ressources individuelles ainsi que les ressources matérielles disponibles sur le lieu de

travail. Nous avons décelé un quatrième antécédent du TE : le lien collectif de l’équipe

de front office envers leur rôle collectif de travail. Le lien individuel envers le rôle de

travail dépendra du degré d’internalisation des normes organisationnelles : plus

l’individu aura intégré ces normes, plus il s’identifiera à son rôle de travail. Le type de

lien développé serait fonction de : la marge de manœuvre par rapport au rôle prescrit,

la cible du lien, les apports du rôle par rapport à soi et les raisons de l’attachement au

rôle. Les ressources individuelles, consciemment mobilisées par les répondants, sont :

les capacités de contrôle sur ses émotions – facilitées par l’existence d’espaces prévus

pour la gestion émotionnelle et par certains traits de personnalité – ; la maîtrise perçue

de son travail et de ses émotions ; le plaisir et les relations interpersonnelles au travail ;

les compétences relationnelles ; le ressourcement hors travail ; l’équilibre entre vie

privée et vie professionnelle. Ainsi, les ressources matérielles du lieu de travail, les

ressources individuelles, le lien individuel envers le rôle de travail et le lien collectif

envers le rôle collectif de travail paraissent constituer quatre piliers de l’équilibre

émotionnel au travail.

8 L’être humain est une entité adaptative, aussi bien au niveau moléculaire, cellulaire et

neuronal qu’au niveau psychologique et même social. Or, les organisations, qui

cherchent à contrôler le moindre rouage de la formidable machine qu’est l’humain –

notamment le système des émotions – comme s’il s’agissait d’une machine artificielle,

ne font qu’empêcher les capacités adaptatives du vivant. En effet, contrairement à la

machine vivante qui s’autorégénère continûment, poussée vers un équilibre

homéostatique qu’elle se doit de conserver afin de survivre dans le temps, la machine

artificielle ne peut croître que si l’on y ajoute des rouages supplémentaires et

dysfonctionne dès qu’une de ses pièces dysfonctionne. Toute organisation complexe

peut, sur le modèle de la machine vivante, s’adapter de façon autonome en fonction des

stimuli reçus de l’extérieur et ainsi s’adapter à son environnement en tirant parti de ses

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

133

Page 136: Mondes du Tourisme

capacités de réorganisation interne. L’homéostasie organisationnelle constituerait, en

ce sens, un objectif alternatif à l’objectif d’expansion infinie des firmes, qui arrive aux

limites de ses possibles aujourd’hui. Il s’agirait, pour les entreprises, non plus de croître

indéfiniment, mais de tendre vers un équilibre qui puisse être durable et utile pour

l’humain, en tant que société et individu.

BIBLIOGRAPHIE

Arlie HOCHSCHILD, The Managed Heart: Commercialization of Human Feeling, University of California

Press, 1983.

RÉSUMÉS

La complexité croissante de l’environnement exige une capacité accrue d’adaptation des chaînes

hôtelières, qui fondent leurs stratégies sur les demandes d’expériences et d’authenticité des

touristes. Les salariés du front office sont, en effet, incités à répondre à des attentes paradoxales

face aux clients, ce qui influe sur leur travail émotionnel et peut déboucher sur des

comportements de retrait et des cas de déséquilibre émotionnel. Une meilleure compréhension

du travail émotionnel et de l’équilibre émotionnel individuel et collectif peut-elle permettre

d’optimiser la capacité adaptative dans ces métiers de contact ? Nous proposons une analyse

qualitative et transdisciplinaire, guidée par l’approche épistémologique de la pensée complexe

d’Edgar Morin, afin de traiter ce questionnement complexe.

AUTEUR

AURORE GIACOMEL

ATER, Université d’Angers

Docteure en sciences de gestion

[email protected]

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 137: Mondes du Tourisme

Étienne GUILLAUD, De l’attrait àl’usure. Les trajectoiresprofessionnelles des éducateurssportifs en nautismeThèse de doctorat en sociologie, Université de Nantes, dirigée par AnnieDussuet et Gildas Loirand (soutenue le 10 décembre 2018)

From attraction to professional wear. Professional trajectories of sports teachers

in nautical activities

Étienne Guillaud

1 Cette thèse interroge les conditions de production du sentiment d’usure propre aux

éducateurs sportifs en nautisme, entendus comme les titulaires d’une certification – un

brevet d’état (BE) ou un BPJEPS – leur permettant d’encadrer contre rémunération tout

au long de l’année les activités de voile, char à voile, kayak, surf et kitesurf. L’usure au

sein de cet univers professionnel, caractérisé par un fort engagement des travailleurs,

n’est jamais indépendante des attraits ayant présidé à l’entrée dans le métier. Elle peut

finalement être définie comme le processus de dévaluation de ces attraits au cours de la

trajectoire professionnelle. Une soixantaine d’entretiens et des observations dans

divers établissements nautiques du littoral de la région Pays de la Loire constituent le

cœur du travail d’enquête, mené entre 2013 et 2017. Le développement des activités

nautiques en Pays de la Loire, historiquement moins implantées que dans d’autres

régions (comme la Bretagne), est un enjeu politique fort en matière de valorisation

touristique. Mais les conditions de travail et d’emploi des travailleurs, qui permettent

ce développement, demeurent peu visibles.

2 Ainsi, le travail d’éducateur sportif en nautisme est souvent présenté sur le mode d’un

« métier-passion », voire d’une « chance », pour son cadre d’exercice (le bord de mer),

les bonnes relations entretenues au sein des établissements ou encore le caractère

gratifiant de la transmission des activités nautiques. Or, derrière cette image

valorisante, il s’avère que les départs du métier sont fréquents après quelques années

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

135

Page 138: Mondes du Tourisme

d’exercice au point que ce turnover pose problème au sein des établissements nautiques.

En effet, l’exercice du métier est marqué par une pluralité de difficultés, comme des

rémunérations relativement faibles, des effets de saisonnalité (Guibert et Slimani, 2011)

ou bien encore un coût physique exigeant durant les phases d’encadrement.

L’espace professionnel de l’encadrement du nautisme

3 Au-delà du caractère peu visible des difficultés au travail, un autre trait singulier du

métier de service d’éducateur sportif est de se situer à l’intersection du « marchand » et

du « non-marchand ». S’ils peuvent assurer des prestations socio-éducatives ou

sportives considérées comme des activités reconnues d’utilité publique ou sociale, les

centres nautiques du littoral assurent une large part de leur chiffre d’affaires par le

biais de prestations commerciales, souvent plus répétitives et techniquement moins

intéressantes, principalement à destination des touristes durant la période estivale. La

nécessité de commercialiser leurs prestations pour la survie économique de leurs

établissements obligent alors les éducateurs sportifs à devenir des « agents de

développement » des activités nautiques. Les communes littorales bénéficient de ce

travail, qui contribue à faire du nautisme une ressource territoriale pour elles. Mais

cela ne se traduit pas en retour par la reconnaissance de ce travail ou par une

contribution à l’amélioration des conditions d’emploi de ces travailleurs de la part de

ces communes.

4 L’encadrement des activités nautiques correspond aux tâches effectuées pour et sur les

usagers (Hughes, 1996) : il est considéré comme le cœur de l’activité et reste son aspect

le plus visible. Il engage la maîtrise de compétences relationnelles (pour assurer la

transmission de savoirs et savoir-faire), mais aussi un sens pratique de l’encadrement

(pour assurer la sécurité). L’encadrement ne peut toutefois résumer l’ensemble des

tâches des éducateurs sportifs en nautisme. D’autres tâches annexes sont importantes :

la gestion et la réparation du matériel, la gestion administrative et financière, le

management des équipes saisonnières, les activités de formation... Ces tâches peuvent

s’avérer convoitées, notamment avec l’âge, à la fois pour éviter la lassitude en

diversifiant ses tâches mais aussi pour protéger sa santé en allant moins souvent « sur

l’eau ».

5 La répartition des tâches et des prestations devient dès lors l’objet de rapports de

pouvoir, souvent déniés comme tels, au sein des établissements nautiques. Le groupe

professionnel peut ainsi s’envisager comme un champ (Quijoux, 2015), au sein duquel

les éducateurs permanents (en CDI ou titulaires de la fonction publique) tendent à

s’attribuer les publics et les tâches les plus valorisés et les plus à même de les protéger

des difficultés au travail au dépend des saisonniers (en contrat de 5 à 8 mois). La

concurrence pour l’obtention des postes stables est forte depuis le milieu des

années 2000 et place les saisonniers dans des situations de « loyautés incertaines »

(Jounin, 2009). L’enjeu du champ est de bénéficier d’une reconnaissance en tant que

« professionnel ». Cette reconnaissance passe par des jugements professionnels

(compétence relationnelle avec l’usager, maîtrise du sens pratique, connaissances

techniques...) et moraux (bonne hygiène de vie, capacité à « prendre sur soi » ...)

circulant entre éducateurs stabilisés dans l’emploi et en mesure d’assurer les

recrutements et les réputations des uns et des autres. La constitution d’un capital

symbolique pour se faire reconnaître au sein du champ peut ainsi déterminer le

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 139: Mondes du Tourisme

maintien ou non dans l’emploi. Toutefois, les éducateurs sportifs en nautisme doivent

aussi mobiliser d’autres ressources en dehors de l’espace professionnel, par exemple

des ressources matérielles ou économiques familiales, pour avoir des chances de

perdurer dans le métier.

Du reclassement au vécu de l’usure : les trajectoiresdes éducateurs

6 L’orientation vers le métier d’éducateur sportif en nautisme est marquée, au départ,

par une situation de frustration ou d’échec : impossibilité de trouver un emploi, vécu de

l’ennui au travail, conflit avec des collègues ou employeurs, sentiment de s’être trompé

d’orientation scolaire et professionnelle, etc. Ces expériences poussent les individus à

se sentir déclassés et à se réorienter professionnellement. Devenir éducateur sportif

n’est ainsi que rarement un premier choix et prend plutôt la forme d’une reconversion

à un moment où les enquêtés voulaient « changer de vie ». Le fait d’exercer ce métier

valorisant, notamment car il s’exerce en bord de mer, permet aux éducateurs de

constituer leur travail comme distinctif, au sens où il n’est pas un « travail ordinaire »

et limité à la seule dimension professionnelle (« c’est plus qu’un travail »), ce qui leur

permet de conjurer le déclassement initial. La rhétorique de « la passion » dans le

groupe professionnel sert alors moins à décrire un attrait pour le nautisme ou le travail

lui-même qu’à tirer un profit distinctif de soi à soi (Lahire, 2004), en se singularisant en

tant que travailleur éloigné du modèle classique du salariat, et à légitimer une

inscription au sein d’un espace professionnel dans lequel le dévouement « passionné »

est implicitement exigé.

7 L’usure se traduit alors, pour ces éducateurs, par les difficultés vécues lorsque leur

statut de travailleur « ordinaire », et même plus : de travailleur « mal rémunéré » et

« mal considéré », leur est rappelé. Ces rappels peuvent survenir lors de mésentente

avec leur employeur, lorsque leur rémunération ou la saisonnalité de leur emploi pose

des difficultés dans la vie familiale, ou bien encore lorsque leur corps se fatigue ou se

blesse. C’est le plus souvent dans l’articulation de plusieurs de ces facteurs que les

éducateurs sportifs vivent, au fil du temps, une série de désajustements qui les

conduisent peu à peu à percevoir leur travail comme difficile, voire à ne plus le

supporter au point de devoir en sortir.

8 L’usure était, au départ de ce travail, une catégorie indigène, exprimant un sentiment

diffus. En la redéfinissant comme la dévaluation des attraits initiaux pour le métier, il

est possible d’en rendre compte sociologiquement et de l’extraire des explications trop

« psychologisantes » ou « pathologisantes ». Le processus d’usure interroge alors

l’ambivalence entre visibilisation et invisibilisation du travail (Krinsky et Simonet,

2012). Cette ambivalence vient du fait que, pour se préserver de l’usure, les éducateurs

sportifs en nautisme doivent tout à la fois mettre à distance le travail en tant

qu’activité de travail pour en conserver la dimension distinctive et, dans le même

temps, trouver les moyens d’en assurer la reconnaissance pour qu’il ne puisse faire

l’objet d’une dévaluation en vieillissant. Les chances de trouver une forme d’équilibre

propice à maintenir l’engagement dans le métier sont inégales et semblent plutôt

bénéficier à ceux qui sont déjà les plus disposés, par leurs positions et leurs ressources,

à accéder à des formes de reconnaissance professionnelle.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

137

Page 140: Mondes du Tourisme

BIBLIOGRAPHIE

Christophe GUIBERT et Hassen SLIMANI, Emplois sportifs et saisonnalités. L’économie des activités

nautiques : enjeux de cohésion sociale, L’Harmattan, 2011.

Everett C. HUGHES, Le regard sociologique. Essais choisis, Éditions de l’EHESS, 1996.

Nicolas JOUNIN, Chantier interdit au public. Enquête parmi les travailleurs du bâtiment, La Découverte,

2009.

John KRINSKY et Maud SIMONET, « Déni de travail : l’invisibilisation du travail aujourd’hui.

Introduction », Sociétés contemporaines, n° 87, 2012.

Bernard LAHIRE, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, La Découverte,

2004.

Maxime QUIJOUX, « Première partie. Bourdieu et le travail, une introduction », in Maxime QUIJOUX

(dir.), Bourdieu et le travail, Presses Universitaires de Rennes, 2015.

AUTEUR

ÉTIENNE GUILLAUD

[email protected]

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Page 141: Mondes du Tourisme

Actualités de la recherche

Lectures critiques

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Page 142: Mondes du Tourisme

Laurent Sébastien FOURNIER etFiorella GIACALONE (dir.), L’Europepèlerine. Religion et tourismeL’Harmattan, 2017, 275 p.

Christophe Guibert

RÉFÉRENCE

Laurent Sébastien FOURNIER et Fiorella GIACALONE (dir.), L’Europe pèlerine. Religion et

tourisme, L’Harmattan, 2017, 275 p.

1 Paru en juin 2017, l’ouvrage d’anthropologie L’Europe pèlerine. Religion et tourisme a été

publié chez L’Harmattan (collection « Ethnologie d’Europe ») sous la direction de

Laurent Sébastien Fournier (univ. Aix-Marseille) et de Fiorella Giacalone (univ. Perugia,

Italie). Plusieurs ouvrages sur le thème des fêtes et du tourisme ont été dirigés dans la

même collection par L.S. Fournier. Celui-ci, L’Europe pèlerine, est le fruit de

communications francophones présentées lors du 28e colloque international du réseau

de coopération scientifique en ethnologie et historiographie européennes, Eurethno

(créé en 1988), qui s’est tenu en septembre 2014 en Italie. Selon les coordinateurs de ce

recueil, composé de treize textes, les mobilités relevant du pèlerinage en Europe

s’inscrivent dans des dynamiques anciennes tout en témoignant d’une certaine

contemporanéité. Comme l’indique l’introduction, l’Organisation mondiale du tourisme

(OMT) estime d’ailleurs à 330 millions le nombre de voyageurs « intéressés par les lieux

de la foi » (p. 11). Au-delà de sa composante spirituelle et religieuse, ancrée dans les

traditions européennes, l’époque contemporaine se caractérise aussi par une

« métaphorisation du pèlerinage et de sa transformation en activité profane » (p. 12)

selon L.S. Fournier. La variété des profils sociologiques des « pèlerins », les sens

attribués à ces mobilités singulières et les dynamiques de valorisation des territoires

témoignent de l’élasticité nominale du phénomène.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 143: Mondes du Tourisme

2 Organisé en deux parties, l’ouvrage traite des « diversités pèlerines » dans un premier

temps (six articles), puis des « pèlerinages transformés » (sept articles) dans un second

temps. Les terrains européens convoqués par les chercheuses et les chercheurs sont

multiples et variés, tant sur le plan géographique (France, Italie, Norvège, Serbie,

Pologne, etc.) que sur le plan historique (les XIXe, XXe et XXIe siècles sont appréhendés).

Les chapitres de la première partie analysent les spécificités des pèlerinages en Europe

à l’aune de traditions localisées et dont les ressorts religieux sont variés. Le culte de

Sainte Rita à Cracovie, le culte de Saint Olaf dans les Îles Féroé, des traditions pèlerines

dans le sud de l’Italie sont autant de cas qui associent le pèlerinage à des dimensions

externes (« tourisme thérapeutique », guérison infantile, littérature). Les chapitres de

la seconde partie traitent quant à eux des nouvelles modalités pèlerines et des

transformations contemporaines qui caractérisent ce type de mobilités en Europe.

Participant au développement territorial et patrimonial, le tourisme et

l’interculturalité sont ici au cœur des analyses. Les Saintes-Maries-de-la-Mer dans le

sud de la France, le pèlerinage « sportivo-religieux » de Notre-Dame-du-Rugby dans le

département des Landes, la médiatisation exacerbée du culte de Sainte Rita de Cascia

en Italie, entre autres, constituent des cas illustrant la plasticité des pèlerinages

contemporains. Entre spiritualité et tourisme profane, dévotion et médiatisation, local

et global, etc., les pèlerinages – et les transformations continuelles qui les

caractérisent – ne peuvent renvoyer à une unique modalité de pratique et de sens.

3 L’analyse ethnologique et anthropologique est en conséquence utile à l’interprétation

de ce phénomène à la fois spirituel, social, patrimonial, économique ou encore

territorial. Chaque article témoigne bien, à sa manière, de ce constat. Plusieurs

remarques peuvent toutefois être formulées à l’égard de cet ouvrage de bonne tenue.

Premièrement, les deux directeurs auraient pu proposer une conclusion générale

permettant de revenir sur les éléments proposés en introduction et d’y répondre de

manière conclusive. Si le lecteur perçoit bien, à la lecture de l’introduction générale et

des treize articles, que les modalités de pèlerinage analysées et questionnées sont

éminemment variées, une critique plus globale des termes et de la polysémie des mots

aurait été la bienvenue. Des éléments de réponse sont proposés p. 269 et 273 de

l’ouvrage, au sein desquelles L.S. Fournier indique quelques « enjeux du débat » et de

définition. En l’état, au sein de chaque cas analysé, les protagonistes sont-ils – se

considèrent-ils réellement comme – des pèlerins ? Partant du principe épistémologique

bachelardien selon lequel l’obstacle verbal se produit lorsqu’on croit expliquer un

phénomène en le nommant, peut-on uniformiser l’ensemble de ces pratiques sous un

même vocable (pèlerin) ? Notons que la difficulté se pose également en des termes

similaires au sujet d’autres notions (le tourisme « d’affaire » ou le tourisme « de santé »

ne renvoient pas aux mêmes pratiques et représentations que le tourisme

« d’agrément »). Enfin, des données ethnographiques issues de phases d’observation

auraient positivement renforcé les arguments développés par les auteurs. En

particulier, le recours à la photographie, lorsque cela était possible, aurait assurément

permis au lecteur de mieux appréhender les phénomènes sociaux contemporains

exposés.

4 Il n’en demeure pas moins que la thématique proposée par les auteurs est originale et

que l’ensemble des articles est agréable à lire. Prendre comme objet le pèlerinage

contemporain à l’échelle européenne constitue en soi une gageure tant la variabilité

des usages et des régimes de valeurs est étendue, difficulté qu’ont néanmoins su relever

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 144: Mondes du Tourisme

les auteurs et les directeurs de l’ouvrage. Le champ d’investigation semble encore vaste

et prometteur en termes de recueil de données empiriques et d’interprétations

savantes, en particulier au-delà des frontières européennes.

AUTEUR

CHRISTOPHE GUIBERT

Maître de conférences HDR en sociologie

Laboratoire Espaces et sociétés (UMR CNRS 6590), Université d’Angers, UFR Esthua Tourisme et

culture

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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Page 145: Mondes du Tourisme

Maria GRAVARI-BARBAS et Sébastien JACQUOT, Atlas mondial du tourisme etdes loisirs. Du Grand Tour aux voyages low costAutrement, 2018

Véronique Mondou

RÉFÉRENCE

Maria GRAVARI-BARBAS et Sébastien JACQUOT, Atlas mondial du tourisme et des loisirs. Du

Grand Tour aux voyages low cost, Autrement, 2018

1 Comme son titre l’indique, l’Atlas mondial du tourisme et des loisirs. Du Grand Tour aux

voyages low cost a pour ambition de traiter de ces faits sociaux que sont le tourisme et

les loisirs à une échelle internationale, en en analysant les différentes facettes. La

gageure consiste, sur une double page, à étudier l’un des aspects de ces phénomènes

par une analyse synthétique et – atlas oblige – par des graphiques et cartes.

2 L’ouvrage est divisé en cinq parties. Si dans le titre de l’atlas, le terme de loisirs

apparaît, les titres des chapitres et leur contenu se concentrent avant tout sur le

tourisme. Après une approche historique, rappelant ses origines, l’ouvrage explore les

développements contemporains du tourisme. Son caractère mondialisé est abordé

grâce aux thèmes du transport aérien, des croisières maritimes, de l’hôtellerie

internationale et des congrès. Le chapitre 3 est consacré aux pratiques touristiques et

aux hauts lieux du tourisme. La partie suivante traite des enjeux actuels du tourisme,

notamment le terrorisme, la question du genre, le tourisme de mémoire, la

tourismophobie. L’ouvrage se termine par une approche régionale permettant de

traiter le tourisme en France et dans les différents continents.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

143

Page 146: Mondes du Tourisme

3 C’est là qu’apparaît une première difficulté à réaliser un tel ouvrage, que le proverbe

« qui trop embrasse mal étreint » peut résumer. Scinder le tourisme en différentes

thématiques, c’est prendre le risque de perdre de vue le caractère systémique de ce

phénomène global et aboutir à un propos réducteur. Mais, même si la complexité de

sujets tels que les évolutions de l’hôtellerie internationale, des mutations des pratiques

touristiques ou l’apparition de phénomènes comme le surtourisme est difficile à

restituer, les auteurs parviennent globalement à en donner les points clés et les enjeux

majeurs.

4 Mais la valeur ajoutée d’un atlas s’apprécie dans la production de cartes. Et c’est là où

réside la faiblesse de cet ouvrage. Dans un atlas, les cartes doivent être conçues en

résonance à l’analyse textuelle – les deux s’alimentant réciproquement. Ici, les cartes

ne sont pas, ou peu, intégrées au texte. Par ailleurs, la majorité des documents sont des

cartes de localisation, d’inventaire sans réelle plus-value. Les cartes d’analyse

statistique restent classiques et n’utilisent pas des modes de représentation plus riches,

comme les cartes en anamorphose par exemple pour représenter les déformations de

l’espace-temps. L’absence de chorèmes renforce le caractère non analytique.

5 Le choix des données traitées ne permet pas toujours de résumer au mieux un

phénomène ou n’apporte pas un éclairage significatif. Par exemple, sur le thème des

croisières maritimes, est proposée une carte des itinéraires « tour du monde ». Or, ce

type de croisière est marginal dans l’offre des opérateurs, alors même que cette activité

connaît de profondes mutations, qui auraient été plus pertinentes à représenter.

6 Des données non datées, des problèmes d’unité ou des chiffres discordants émaillent

par ailleurs les planches. Ainsi, au sujet de la fréquentation des musées (p. 50 -51), Le

Louvre passe de 7 400 visiteurs sur la carte à 8,1 millions dans le texte. Même

contradiction au sujet des recommandations de voyages formulées par les États-Unis

(p. 62-63) : le texte mentionne que la Tunisie est affectée d’une recommandation

« reconsidérer le voyage », tandis que la carte mentionne seulement une « très grande

prudence ».

7 Mais ce sont avant tout les multiples erreurs de construction cartographique qui

discréditent l’atlas. Des aberrations grossières sur les échelles le ponctuent. Plusieurs

cartes sont dénuées d’échelle (p. 31, 38, 49, 75) et, sur d’autres planches, elles sont

fausses. Ainsi le plan de l’exposition universelle de 1900 centré sur Paris (p. 15) laisse

apparaître une échelle de 1,3 cm pour 200 km. De la même manière, les cartes de

Gruissan (p. 43) et de Sydney (p. 86) se voient affubler d’une échelle selon laquelle 1,3 et

1,5 cm représentent respectivement 500 km et 200 km.

8 Enfin, des erreurs de sémiologie graphique achèvent de décrédibiliser le travail

cartographique. Les légendes des cartes en points proportionnels posent très souvent

problème, la taille des cercles en légende ne permettant pas de saisir les valeurs.

9 Les valeurs quantitatives absolues (des effectifs) sont à plusieurs reprises (notamment

p. 24 et 76) représentées par des aplats de couleur – carte choroplèthe – alors qu’il

conviendrait de les cartographier avec des points proportionnels. S’agissant de ce

même type de données statistiques, les cartes mêlent d’ailleurs parfois ces deux formes

de représentation au sein d’une même carte (p. 30, 34, 79 et 89), interdisant ainsi toute

comparaison. Le non-respect des règles de base de la cartographie traduit un manque

de rigueur qui limite son usage, notamment à des fins pédagogiques, alors même qu’il

s’agit de l’un des objectifs de cet atlas.

Mondes du Tourisme, 16 | 2019

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