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Page 1: Momo Wandel Soumah CULTURE ET SOCIETEec.europa.eu/development/body/publications/courier/courier171/fr/... · 74 le Courrier nº 171 – septembre-octobre 1998 Momo Wandel Soumah Aux

le Courrier në 171 ± septembre-octobre 199874

Momo Wandel Soumah

Aux sources du jazzafricain

Momo Wandel Soumah faitpartie de la trame de cesmusiciens africains que lesc i r c o n s t a n c e s o n tcondamne des anneÂes du-rant aÁ un douloureux ano-nymat. Il ne jouit certes pasde la notorie te d'un Yous-sou N'Dour, d'un MoryKante ou d'un Alpha Blon-dy. Pourtant en y regardantde plus preÁ s, l'humiliteÂvous gagne devant l'im-mensite du son talent etle de sir d'en savoir plus surlui s'empare irre sistible-

ment de vous. Pour ce musicienayant treÁ s vite compris que leme lange de genres e tait plus quene cessaire aÁ l'e volution de la mu-sique, le succeÁ s fut bien tardif.L'alchimie parfaite qu'il a su reÂali-ser, en croisant des styles musi-caux diffe rents, me ritait bien unpetit de tour. Le Courrier l'a doncrencontre lors d'une visite enGuineÂe.

L'homme est grand, rieur, etle contact attachant. Sur son visagedemeure e trangement juveÂnile, lesstigmates du temps ont bien du malaÁ faire leur apparition. C'est toutcomme si la nature avait voulu legratifier de sa mansue tude afinqu'il puisse perpe trer son art le pluslongtemps possible. A plus desoixante-treize ans, le saxophonisteguine en Momo Wandel Soumahplus connu sous le nom de Wandel,savoure avec de lectation la recon-naissance internationale d'un stylemusical confectionne aÁ la force dutalent, du travail et surtout graà ce aÁsa soif de cre ativite . Wandel aÁreÂussi sans trop de mal aÁ ope rer lafusion entre la musique tradition-nelle africaine et le jazz. Avec lui,c'est un genre nouveau qui, il y aquelques temps encore relevait duvirtuel qui devient reÂalite . On savaitque le jazz e tait d'essence noire,mais voir cohabiter des rythmes etsurtout des instruments et des sonsdiffe rents e tait jusque laÁ peu cou-rant dans le paysage musical afri-cain. L'artiste qui n'en est pas aÁ sonpremier coup d'essai est connu enGuineÂe pour avoir savamment su

rapprocher et amalgamer des airs,des cadences ou autres me lodiesemprunte s aÁ la diversite culturelle,ethnique linguistique et historiquede son pays.

Wandel avoue s'eà tre lanceÂdans la musique depuis 1947, bienavant l'indeÂpendance de son pays.Envoye comme chef de poste aÁLabe dans le Fouta Djalon parl'administration coloniale, il s'estmis aÁ jouer du BailoÈ l, un instrumenttraditionnel peul avant de passerau banjo puis aÁ la mandoline. Nousjouions aÁ l'eÂpoque beaucoup derythmes venant de l'exte rieurcomme la biguine, le paso dobleou encore la mazurka affirme t-il.Son premier contact avec les ins-truments aÁ vent date eÂgalement dela meÃme pe riode. Il nous a expliqueÂqu'un jour, alors que son groupes'appreà tait aÁ se produire, le clari-nettiste n'est pas venu. «Je me suisavance vers le chef en coleÁ re et jelui ai dit: ce petit 'bout de bois est-il vraiment si difficile aÁ jouer?J'aimerais bien l'essayer. Il m'amontre les premieÁ res gammes et jeme suis mis aÁ jouer». Puis lepassage au saxophone s'est fait sanstrop de difficulte s. De ce majestu-eux instrument, d'enivrants airs de

jazz se sont e chappe s, impulse s parle talent naturel du compositeur.J'ai le jazz dans le sang clameWandel sans la moindre once d'ou-trecuidance. Ses idoles se comptentparmi les plus prestigieuses figuresdu jazz. Coltrane, Armstrong, Gil-lespie, Parker, Miles Davis, Hawkinspour ne citer que ceux-laÁ , ont touraÁ tour inspire le musicien guineÂen.

Avec l'accession aÁ l'inde -pendance de la GuineÂe en 1958 etl'affirmation d'une certaine identiteÂnationale, la grande majorite desmusiciens guineÂens est retourneÂe,non sans mal aux sources de lamusique traditionnelle et en parti-culier au folklore. Une musiquequ'on croyait jusque laÁ re serve eaux griots et aux ensembles folk-loriques. Membre de l'orchestrenational «Kelitigui», Wandel de -couvrira par ailleurs avec songroupe «African Sex Tet» les sa-veurs du timbre croise d'instru-ments africains (bolon, balafon,kora, fluà te, percussions,...) arrimeÂau son gracieux du saxophone. Lacomposition de son groupe ouÁ lesstyles musicaux et culturels du payssont largement repre sente s y estcertainement pour beaucoup. L'ar-tiste a pour cela choisi avec me ti-culosite ses musiciens.

En 1988, lors de la premieÁ reeÂdition du MASA (Marche des artset spectacles africains) aÁ Abidjan,on de couvrira avec e tonnement legeÂnie creÂateur du compositeur gui-neÂen. Il se verra de cerner le premier

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prix pour avoir reÂussi le mariageentre des instruments traditionnelset la musique moderne ± ouvrantainsi la voie aÁ de nouvelles voca-tions en Afrique. Mais parvenir aÁaccorder des instruments tradition-nels pour reÂussir ce genre «greffe»musicale n'est gueÁ re facile. C'estavec des centaines et des centainesde gammes qu'il faut habilementjongler. VoilaÁ tout le secret de monsucceÁ s avoue Wandel. Invite aÁ denombreuses reprises aÁ se produire aÁl'e tranger, il illuminera les sceÁnes deplusieurs festivals (Limoges, Nantes,TaõÈwan, Bogota,...). Il obtiendradans la fouleÂe un stage de forma-tion au Centre international demusique de Paris et aÁ l'Ecole dejazz et jouera au New Morning.Son tout premier album intitule«Matchowe » sorti en compactdisque fait aujourd'hui encore l'ob-jet d'une large diffusion en Europe.Afin d'e viter les violations desdroits d'auteurs dont sont victimesde nombreux musiciens africains,l'album n'a malheureusement puparaõÃtre sous forme de cassettes ±les copies ille gales de cassettese tant freÂquentes en Afrique.

L'avenir, Momo Wandell'entrevoit encore avec optimisme.Ses longues anne es d'expe riencen'ont aucunement eÂmousse sa vo-lonte de poursuivre et d'affiner sonart. Il est aujourd'hui aÁ la recherched'un promoteur se rieux et expe ri-

mente qui pourrait l'aider aÁ se faireconnaõÃtre davantage. De nombreuxmusiciens en occident ont de jaÁmanifeste leur inte reà t pour cegenre original de musique et cer-tains d'entre eux ont meÃme sou-haite le rencontrer. Des appuistechniques et financiers lui permet-traient aÁ n'en point douter depre senter mais surtout de partagerle re sultat de son travail aÁ travers lemonde. Le se rieux de l'homme luivaut aujourd'hui d'appartenir aucolleÁge des creÂateurs et de fairepartie des plus grands jury dese lection en GuineÂe.

Momo Wandel Soumah ex-horte la nouvelle ge ne ration demusiciens africains aÁ suivre sa trace.Conscient que le passage de teÂmoindoit se faire au plus vite, il a prissous sa fe rule quelques jeunestalents, afin de leur transmettretoutes les astuces du me tier. Sonmessage aÁ leur attention est clair.Le courage, la patience et le travaildouble s du de sir d'appendre enprofondeur et sans tricherie lamusique qu'on a choisie sont aÁ sesyeux les cle s du succeÁ s. Il deÂplorel'attirance des jeunes pour le pianoou la guitare qui sont plus faciles aÁmaõÃtriser que les instruments aÁvent. Dix bonnes anneÂes de pra-tique re gulieÁ re et assidue sont

ne cessaires pour pre tendre posse -der le saxophone souligne t-il,rejoignant ainsi les propos du ca-merounais Manu Dibango, le plusgrand virtuose africain de l'instru-ment.

Wandel milite par conse -quent pour l'instauration en Gui-neÂe d'une grande e cole de musiqueet espeÁ re vivement eà tre entendu. Iln'ignore cependant pas les difficul-te s que traverse actuellement ledomaine de la culture dans sonpays. Les moyens financiers fontcruellement de faut et les priorite sdu gouvernement, soucieux deconsolider les bases du redresse-ment e conomique amorce ces der-nieÁ res anneÂes sont ailleurs (aÁ cetitre, un reportage sur la GuineÂe estpreÂvu dans la prochaine eÂdition duCourrier ACP-UE).

Pourtant la richesse du pay-sage musical de la GuineÂe n'est plusaÁ deÂmontrer. De nombreux talentsaÁ l'instar de Mory Kante installeÂaujourd'hui en Europe y ont faitleur apprentissage. On y trouveaussi de treÁ s bons percussionnistes.A cet eÂgard, il est pre vu pour lecourant de l'anneÂe prochaine etavec le concours de l'UE, d'organi-ser d'un festival international depercussions qui pourrait par la suitede boucher sur la cre ation d'unCentre international de percussions.

Quant aÁ la danse et auxballets, le pays peut se targuer deposseÂder l'une des plus prestigieu-ses sinon la plus impressionnantetroupe d'Afrique. Ce sont les «Bal-lets africains de la reÂpublique deGuineÂe» qui se produisent dans lemonde entier depuis plus de qua-rante ans et qui n'ont plus rien aÁenvier aux ce leÁbres Ballets de Lon-dres, de New-York ou encore ceuxdu BolchoõÈ. La moisson de meÂdaillesobtenues aÁ l'e tranger en constituela meilleure preuve. Le choreÂgrapheet compositeur Italo Zambo quidirige la troupe depuis plus d'unede cennie plaide eÂgalement en fa-veur d'un Centre de musique et dedanse afin d'exploiter au mieuxl'eÂnorme potentiel qui existe dansle pays.

On ne le reÂpe tera jamaisassez, la musique et la danse sonten Afrique la joie de vivre et lecharme de tout un continent. Ellesdemeurent un de ses moyens d'ex-pression les plus vivaces et la me -moire vivante de son patrimoinehistorique et culturel indispensablesaÁ son ouverture sur l'exte rieur.Vouloir les dissocier de l'objectifdu deÂveloppement serait plus quemalencontreux. îî K.K

La richesse du paysage musical guineÂenn'est plus aÁ de montrer.

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