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Module 4 Étudier la situation et les besoins sanitaires

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Module 4

Étudier la situation et les besoins sanitaires

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102 Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes

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Résumé

Ce module s’intéresse à la situation et aux besoins sanitaires de la population des pays en situation de crise. L’analyse porte sur la manière dont les données relatives à la population, à la mortalité, à la nutrition et à la morbidité sont produites, sur leur signifi cation et leurs limites. Elle met en lumière les lacunes courantes qui sapent l’utilité des ensembles de données disponibles. Le module examine les inférences qu’il est possible de tirer de chiffres obtenus dans des contextes de violence, ainsi que la valeur que revêtent ces estimations pour les décideurs politiques. Il analyse des constats controversés, car ce sont des exemples révélateurs. En outre, ce module passe en revue les aspects conceptuels associés aux évaluations rapides de la situation sanitaire et aux mécanismes de surveillance dans les situations de crise. Il donne des conseils sur la façon d’explorer la documentation relative à la situation sanitaire et aux besoins sanitaires dans des pays en crise, de repérer et d’écarter des données erronées et d’en tirer une image fi able de la situation nationale.

L’Annexe 4 expose les connaissances recueillies à ce jour concernant les relations complexes entre le confl it, le VIH/sida et les systèmes de santé.

Modules connexes :

Module 2. Donner un sens (approximatif) à des données (bancales)

Module 3. Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays

Module 7. Analyser les modèles de prestation des soins de santé

Introduction : Qu’est-ce que la « situation sanitaire » ?

Il est diffi cile, et souvent illusoire, de vouloir évaluer la situation sanitaire d’une population touchée par une crise, en raison des limitations qui pèsent sur l’évaluation de la situation sanitaire en général, et qui sont amplifi ées dans les situations d’urgence. « … mesurer la « situation sanitaire » demeure fortement contestée du point de vue technique et méthodologique, très onéreuse et très ardue à mettre en œuvre même sur des terrains de recherche idéaux » (Hensher, 2001). Le présent module se cantonne à l’exploration des aspects principaux liés à l’évaluation de la situation sanitaire dans les situations d’urgence ayant des points de contact avec l’analyse des systèmes de santé. Les références bibliographiques signalent les manuels et lignes directrices traitant des aspects cliniques et de santé publique des maladies et des états (maladies transmissibles, santé mentale, nutrition, etc.) qui ont un impact sur la situation sanitaire dans les contextes d’urgence.

Dans les situations d’urgence, davantage que dans les conditions normales, les déterminants des problèmes de santé et de la survie ont une incidence sur la situation sanitaire à travers des interactions complexes, en rapport avec les moyens de subsistance, l’éducation, les soins de santé, la sécurité, les relations sociales, etc., autant d’aspects diffi ciles à désenchevêtrer et à comprendre. L’étude de l’IRC (International Rescue Committee) sur la mortalité dans l’est de la République démocratique du Congo (Roberts et al., 2003) a montré que les décès dus aux violences ne représentent que 8 % du total. Les estimations concernant d’autres confl its contemporains font état de niveaux très disparates, mais confi rment que les morts au combat constituent moins de 20 % du total des décès, et sont en baisse (Human Security Centre, 2006). « La plupart des victimes meurent de la guerre plutôt que sur le champ de bataille » (Slim, 2007). La forte relation entre violence, maladies infectieuses et malnutrition suggère que « ce dont souffrent le plus les personnes dans les régions confrontées à la violence la plus aiguë, c’est du déplacement » et elles ont donc une plus grande probabilité de mourir de ces causes indirectes (Roberts et al., 2003). En outre, dans un confl it, les civils souffrent et meurent de causes directes, c’est-à-dire liées à la violence, parce que le minimum de droits de l’homme n’est pas garanti. Dans ces situations, l’État, faible ou inexistant, ne peut protéger ses citoyens, ou encore, l’État est lui-même le principal auteur de ces violations des droits de l’homme.

Dans une situation d’urgence complexe, les dépenses publiques consacrées au secteur social sont détournées vers la défense ; les services de santé s’effondrent, l’accès à l’alimentation s’amenuise, les populations migrent et les ménages sont contraints d’employer leurs maigres

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ressources à satisfaire des besoins urgents autres que les soins de santé. Les personnes touchées par une situation d’urgence complexe sont donc davantage exposées à des menaces sanitaires et/ou se voient réduire l’accès aux soins de santé : elles sont tout simplement plus vulnérables. Il serait donc impossible d’analyser les déterminants sans examiner comment le système de fourniture des soins de santé est affecté par la situation de crise et comment, à son tour, celle-ci se répercute sur la situation sanitaire.

Les épidémiologistes rencontrent des diffi cultés considérables pour mesurer la situation sanitaire dans un contexte de guerre. Les données collectées suscitent immanquablement des objections, et pas toujours pour des motifs techniquement solides (voir l’Étude de cas no 4). Lorsque les données abondent, comme il arrive parfois lors de certaines crises, incohérences et ambiguïtés nuisent à l’interprétation des constats. Ainsi, 24 enquêtes sur la mortalité menées au Darfour entre 2003 et 2005 présentent des résultats amplement divergents ; cela s’explique aisément par la diversité des contextes dans lesquels ces études ont été conduites, ainsi que par leurs méthodes et objectifs variés et leurs lacunes techniques. Le Washington Post a, à juste titre, qualifi é ces données sur la mortalité d’« anarchie statistique ». Cette hétérogénéité fait le jeu des belligérants, qui peuvent vouloir accentuer ou, à l’inverse, minimiser les conséquences de la guerre. Les rares études robustes courent le risque d’être négligées, noyées sous la masse d’autres enquêtes.

Pour surmonter ces diffi cultés, voici quelques principes généraux à appliquer :

• Il convient de décourager les enquêtes non étayées par une expertise technique, car elles sont sources de gaspillage et susceptibles d’induire en erreur. En outre, ces données défi cientes ne justifi ent pas les risques qu’encourent les enquêteurs.

• Il ne faut mener des enquêtes que lorsqu’elles sont strictement nécessaires pour apporter un éclairage qui permettra de trancher sur des questions délicates. Il convient de veiller à ce que l’équipe n’ait pas d’a priori et à ce que les parties concernées en soient bien conscientes.

• Les parties prenantes doivent être bien préparées à recevoir les résultats de l’enquête, sachant par avance quels types de données seront produits et lesquels ne le seront pas. Il faut préciser, au préalable, les limites de l’étude.

• Il convient de rechercher activement, préalablement à la publication des conclusions et indépendamment de leur signifi cation concrète, l’appui politique des organismes internationaux, du gouvernement hôte, des forces rebelles et des médias.

• Les parties impliquées doivent se mettre d’accord sur les stratégies de publication et de communication avant l’achèvement de l’enquête. En cas de conclusions sensibles, les médias sont nettement plus importants que les publications scientifi ques. Ainsi, un résultat embarrassant peut être rejeté par un gouvernement pour des motifs fallacieux, dont la nature sera facilement détectée par des épidémiologistes. Le grand public, en revanche, n’ayant pas accès aux publications scientifi ques et n’étant pas à même de percer les conventions académiques, pourrait rester exclu d’une lecture correcte des conclusions. La transmission de ces dernières sous une forme accessible aux médias comme au grand public constitue donc une étape essentielle dans le processus de diffusion.

La caractérisation de la région/communauté à laquelle se réfèrent les résultats est un aspect critique de toute évaluation de la situation sanitaire et de l’interprétation des résultats par un lecteur extérieur. Le type d’urgence, la vulnérabilité de la population concernée, ses mécanismes d’adaptation et les questions de sécurité sont des caractéristiques importantes. La région/communauté peut avoir été retenue parce qu’elle est suffi samment sûre pour que les agents de santé puissent y conduire leur enquête, ce qui signifi e que la situation sanitaire y est peut-être meilleure que dans d’autres régions (en termes d’accès à l’alimentation, de services, etc.) Parfois, une région est sélectionnée parce que davantage d’informations y sont disponibles, mais ces informations sont souvent associées à des conditions générales plus favorables. À l’inverse, une région peut être choisie parce qu’elle est le foyer d’une urgence grave ; dans ce cas, la situation sanitaire y sera plus dégradée que dans les régions moins gravement touchées.

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C’est pour répondre aux diffi cultés des différents organismes à respecter individuellement ces principes et à celles des décideurs à obtenir des données fi ables sur lesquelles fonder leurs choix qu’a été mise en place, en 2007, une initiative interorganismes, le Health and Nutrition Tracking Service (HNTS), coprésidé par les modules santé et nutrition du Comité permanent interorganisations. L’objectif du HNTS est de « faciliter la prise de décisions humanitaires par la mise à disposition des meilleurs éléments de preuve possibles concernant la santé, la nutrition et les performances des principaux services de santé, afi n d’éclairer la défi nition de la politique publique et d’asseoir des décisions de fi nancement appropriées, ainsi que de mieux rendre compte des questions humanitaires à la fois aux bénéfi ciaires de l’aide et aux donateurs 1. »

Aux prises avec les données démographiques

Les données démographiques sont diffi ciles à obtenir en temps de crise : les mouvements de population sont fréquents mais ne sont pas recensés correctement, l’accès est restreint et la sécurité n’est pas assurée. Malgré ces diffi cultés, des estimations démographiques sont produites continuellement par les différentes parties impliquées dans des crises prolongées : autorités ou organismes publics, rebelles, puissances étrangères, organismes de secours, communautés touchées, journalistes et agents de terrain. Les données démographiques infl uençant de nombreuses décisions importantes sur le plan opérationnel et fi nancier, politique, militaire ou de l’aide, elles sont par nature sujettes à controverse. Les estimations formulées par la plupart des parties prenantes portent la trace de leurs intérêts respectifs, et cet aspect doit être pris en considération lorsque l’on évalue la fi abilité des données.

Dans certains cas, les chiffres sur la population sont négociés entre les parties, qui recommandent certains ensembles spécifi ques de données pour une utilisation générale. Souvent, les parties ne parviennent pas à un consensus, et il faut alors examiner en détail les données, tout d’abord pour en vérifi er la cohérence interne, ensuite de manière à les comparer entre elles afi n de détecter les lacunes et d’améliorer les chiffres. Même si des estimations plus solides sont élaborées, certains organes politiques peuvent les rejeter, leur préférant des données aux défauts fl agrants. Il faut en permanence démontrer la pertinence d’estimations démographiques comparativement meilleures afi n que celles-ci soient plus largement acceptées.

De nouvelles méthodes ont été mises au point et sont utilisées, surtout par les ONG, aux fi ns d’un rapide dénombrement de la population : la méthode des quadrats et la procédure d’échantillonnage en T. Lors des récentes crises, on a utilisé les systèmes de géopositionnement par satellite (GPS) et les images de télédétection pour sélectionner les zones géographiques destinées à l’échantillonnage. Une nouvelle méthode prometteuse reposant sur l’« interpolation » est en cours d’élaboration. Pour une introduction à ce domaine, voir Brown et al. (2001) et Grais et al. (2006).

Les données démographiques peuvent porter sur des totaux nationaux, régionaux ou par district, sur des personnes directement touchées, des groupes vulnérables, des réfugiés et des personnes déplacées dans leur propre pays ou encore sur des groupes ciblés par les services de santé.

La composition des populations touchées par une guerre évolue, parfois de manière spectaculaire. Ces populations ont tendance à migrer, d’où des oscillations vastes et fréquentes dans leurs véritables chiffres. Ces évolutions ne sont pas toujours correctement prises en compte dans les estimations démographiques disponibles.

Lorsque l’on évalue les ensembles de données disponibles, il convient de garder à l’esprit quels changements sont les plus susceptibles de survenir :

• Les décès sont rarement répartis uniformément dans une population. Au cours de certaines guerres, telles le génocide rwandais, les classes d’hommes en âge d’aller au

1 http://www.who.int/hac/techguidance/hnts/framework/en/index.html, consulté le 10 janvier 2011.

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combat paient un lourd tribut. Toutefois, le constat d’un défi cit au sein de ce groupe ne doit pas, dans la précipitation, être compris comme la preuve de morts violentes. Des autres explications sont possibles : par exemple, ces personnes peuvent être dans l’armée, se cacher pour échapper à la conscription ou à la violence, ou migrer pour trouver un emploi. Au Darfour, le défi cit observé parmi les hommes de 15-49 ans existait déjà bien avant le confl it actuel (OMS et ministère de la Santé du Soudan, 2005).

Dans le cas d’un confl it de faible intensité, un grand nombre de personnes âgées, d’handicapés, de femmes et d’enfants succombent à la faim ou à la maladie, surpassant largement le nombre de morts constatés dans les rangs des combattants. Lorsque le confl it a des racines ethniques, religieuses ou sectaires, le poids relatif des groupes constitutifs d’une population peut évoluer considérablement, non seulement à cause des décès, mais aussi des migrations induites par les violences.

• Fréquemment, les naissances se raréfi ent durant les hostilités, pour rebondir après la fi n du confl it. Parmi les communautés souffrant de la famine, les taux de fécondité sont susceptibles de tomber à des niveaux très bas.

• Les migrations peuvent être, elles aussi, très variables, car les groupes privilégiés sont à même de se réfugier dans une zone sûre au sein du pays touché, ou profi tent des turbulences pour s’installer défi nitivement à l’étranger. Certaines diasporas atteignent des proportions non négligeables, conservant une certaine infl uence politique et économique sur les événements qui se déroulent dans le pays d’origine. L’émigration est rarement un phénomène homogène : les populations qui vivent à proximité des frontières sont davantage susceptibles de passer de l’autre côté lorsqu’elles sont en danger. En outre, les réfugiés proviennent essentiellement des zones les plus touchées par les violences.

Certaines lacunes sont fréquemment relevées lors de l’examen des données démographiques:

• Les projections démographiques, qui reposent souvent sur des recensements effectués des décennies auparavant, appliquent généralement des taux de croissance dont l’estimation est antérieure au confl it, ne prenant donc pas en compte les changements induits par celui-ci. Bien souvent, on ne relève même pas l’incohérence fl agrante qu’il y a à continuer de rapporter des taux de croissance élevés tout en énonçant que la guerre a fait des millions de morts. Par exemple, dans le tableau ci-dessous, il est évident que le taux de croissance rapporté pour l’Angola n’intègre pas les décès causés par la guerre. À l’inverse, le taux de croissance proposé pour le Mozambique s’efforce de les prendre en compte. Il est intéressant de noter que, si logique soit-il, cet ajustement n’est pas entré dans l’usage courant. Par conséquent, les données démographiques offi cielles demeurent grossièrement gonfl ées.

• Les estimations démographiques sont parfois fractionnées en données régionales ou par district qui gardent les mêmes proportions relatives qu’en temps de paix. Cette manière de procéder omet de vastes mouvements de population.

• Les calculs peuvent tenir compte des fortes concentrations de personnes installées dans des zones sûres sans pour autant soustraire ces chiffres des régions abandonnées par les réfugiés et les personnes déplacées dans leur propre pays, si bien que la population totale du pays peut rester constante dans les statistiques offi cielles, bien que l’on sache pertinemment que des millions de réfugiés vivent à l’étranger. Voir l’Étude de cas no 2.

• Les estimations du nombre de réfugiés peuvent reposer essentiellement, voire exclusivement, sur le nombre de personnes que le pays d’accueil ou les organismes d’aide reconnaissent offi ciellement comme telles. Cette approche peut laisser de côté de larges pans de population, notamment ceux qui ne sont pas installés dans des camps. En conséquence, la population restant dans le pays d’origine peut se révéler largement surestimée.

• Parfois, certains pans de la population sont délibérément omis parce qu’ils sont sous la coupe de l’ennemi. Des districts, des villes ou des régions sont délaissés de certains

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ensembles de données. Leur population peut être incluse dans les totaux, sans que leur statut politique ne soit précisé. Lorsque les services de santé ne sont pas tous situés dans la même zone de contrôle, la couverture qui en résulte est bien sûr trompeuse. Les autorités militaires et de renseignement peuvent répugner à publier des données démographiques qu’elles jugent sensibles, et trafi quer les chiffres pour brouiller le tableau.

• Dans plusieurs pays en situation de crise, on a utilisé des estimations démographiques obtenues à partir de campagnes de vaccination. Étant donné qu’elles fl uctuent selon les années, ces estimations doivent être recoupées avec des chiffres obtenus par d’autres méthodes. Les extrapolations s’appuyant sur les chiffres de la poliomyélite sont très sensibles à la proportion d’enfants de moins de cinq ans retenue pour réaliser la projection sur l’ensemble de la population. Les résultats diffèreraient grandement d’un pays à l’autre en fonction de la structure démographique de chacun.

Déceler les défauts permet de rejeter les données démographiques les moins fi ables. Grâce à une triangulation des chiffres qui sont comparativement les meilleurs, on peut construire des estimations pouvant être utilisées avec un certain degré de confi ance. Ces efforts patients ne peuvent être couronnés de succès que si les multiples parties qui connaissent chacune une partie du tout y mettent du leur.

Le tableau suivant présente quelques indicateurs démographiques concernant des pays en proie à des violences.

Indicateurs démographiques concernant une sélection de pays en crise

Pays Population estimée

Croissance démo-

graphique annuelle

Proportion de

population urbaine

Nombre de

réfugiés

Nombre de personnes déplacées dans leur

propre pays

Année

Afghanistan 20,2 millions

3,8 millions 1,2 millions 2001

Angola 13,4 millions 3% 60% 460 000 1,46 millions 2001

Congo (Rép. démocratique)

52,4 millions 43% 390 000 2001

Mozambique 14,4 millions 1.6% 21% 4,0

millions 1,8 millions 1991

Ouganda 25 millions 3% 1,5 millions 2003

Rwanda 7,8 millions 1993

Soudan 31,7 millions

4,3 millions 490 000 2001

Timor-Leste 850 000 3.9% 15% 2002

Évaluer la situation sanitaire de la population d’un pays ravagé par la guerre

Dans tous les secteurs de la santé affectés par des violences persistantes, des indicateurs de la situation sanitaire sont compilés et diffusés. Les données de base sont l’espérance de vie moyenne à la naissance, les taux de mortalité infantile et des enfants de moins de cinq ans, le taux de mortalité maternelle, la prévalence de la malnutrition, celle des carences en micronutriments et celle de certaines maladies transmissibles, ainsi que l’accès à de l’eau potable et à l’assainissement. Parmi ces chiffres, rares sont ceux (si tant est qu’il y en ait) qui résistent à un examen détaillé. Certains ont été recueillis lors d’anciennes enquêtes, tandis que d’autres portent sur des populations non représentatives. Certaines valeurs sont des projections, qui reposent souvent sur des hypothèses audacieuses. Il est généralement diffi cile de retrouver la source de la plupart des indicateurs.

Dans la plupart des cas, les mêmes chiffres circulent dans des documents accessibles, sans jamais être remis en question. L’attitude la plus raisonnable face à des chiffres défi cients consiste à les rejeter purement et simplement, ou à préciser leurs limites. Ils pourraient être

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remplacés par des énoncés qualitatifs, à la formulation choisie, de façon à donner à voir la gravité de la situation, ainsi que notre ignorance de sa réelle valeur chiffrée. Par exemple, affi rmer que « la mortalité maternelle est sans doute très élevée » constitue un énoncé certes vague mais informatif, tandis qu’il serait fallacieux de fi xer la mortalité maternelle à un niveau précis tout en sachant pertinemment que les chiffres rapportés ne sont pas fi ables. Il s’agit d’éviter que des données fausses ne soient adoptées comme des références fi ables pour des comparaisons à venir, desquelles seraient tirées des conclusions erronées.

À la proposition d’omettre des documents et outils de surveillance les chiffres défi cients, l’analyste rigoureux opposera vraisemblablement une certaine réticence. L’inclination des professionnels formés à une discipline scientifi que pour une argumentation bâtie sur des considérations chiffrées se voit renforcée par la demande de résultats mesurables exprimée par les donateurs. Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) ont accru cette dépendance à des indicateurs précis. Si la recherche de mesures objectives est, en théorie, tout à fait louable, dès lors qu’elle est aveuglément poursuivie dans un environnement de crise, elle pousse à conserver des données erronées et parfois falsifi ées. Une fois qu’un usage répété les a « gravés dans le marbre », ces chiffres risquent d’être considérés comme fi ables par les parties intéressées. L’un des meilleurs services qu’un analyste scrupuleux peut rendre aux utilisateurs de ces données consiste donc à identifi er les défauts dont pâtissent les indicateurs disponibles et à en décourager l’utilisation.

La majorité des estimations fi ables sont partielles. Les données « nationales » portent, dans la plupart des cas, sur des régions accessibles et sûres, tandis que les enquêtes de terrain risquent de se concentrer sur les populations victimes de violences. Les réfugiés à l’étranger représentent un troisième cas particulier. Les statistiques sanitaires brutes peuvent nécessiter des ajustements, tels qu’une modélisation ou une correction des biais connus, avec notamment une révision de toutes les données disponibles et le rapprochement avec les informations provenant d’autres sources.

La compilation des conclusions émanant de différentes études, comme les enquêtes démographiques et de santé (EDS), les enquête en grappes à indicateurs multiples (MICS), les enquêtes sur la mortalité et la nutrition, associée à la mise en exergue de leurs forces, de leur signifi cation et de leurs limites, permet d’obtenir une vue d’ensemble composite de la situation sanitaire du pays et de la vulnérabilité de l’ensemble de la population. Dans la plupart des cas, il n’est pas possible, et il ne serait pas souhaitable, d’agréger ces données, car cela masquerait la grande hétérogénéité des résultats. Des chiffres portant sur les épidémies et les maladies endémiques complètent ce portrait synthétique.

Il est, à l’évidence, délicat de tirer des conclusions sur l’état sanitaire de tout un pays. Les indicateurs globaux provenant d’enquêtes peuvent occulter des inégalités substantielles. Un certain degré de désagrégation est nécessaire pour comprendre les schémas et les divergences aux niveaux infranational et infrarégional. Souvent, les organismes procèdent à un suivi de leurs programmes en s’appuyant sur des chiffres calculés à partir de modèles statistiques. Les Nations Unies elles-mêmes font état des avancées par rapport aux OMD relatifs à la santé en se fondant sur des statistiques prévisionnelles (Boerma et Stansfi eld, 2007). Certains indicateurs sont générés dans les sièges sociaux, loin des lieux de collecte des données et sans connaissance suffi sante des limites de ces données ou du contexte qui doit guider leur interprétation. Lorsque les données sous-jacentes utilisées aux fi ns de modélisation statistique et d’extrapolations sont défi cientes, la validité des indicateurs qui en résultent en pâtit, ce que les décideurs ne prennent pas forcément en compte. C’est ce qui s’est produit avec les estimations initiales de l’étude mondiale sur la charge de morbidité calculée pour les indicateurs de performance des systèmes de santé par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS, 2000). Malheureusement, il est diffi cile d’évaluer les répercussions qu’ont des données peu fi ables ou défi cientes sur les décisions des autorités ou des donateurs.

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Étude de cas n° 4 Interpréter les chiffres de la mortalité en Iraq

En cas de confl it, il est diffi cile d’obtenir des données sur la mortalité, sources de controverses. Roberts et al. (2004) ont procédé à une enquête sur la mortalité en Iraq après l’invasion alliée, et ont calculé, à partir de leurs données, la surmortalité qui y est associée.

Principaux constats de l’étude. On estime que le taux de mortalité brute durant la guerre s’est établi à 12,3 pour 1 000 par an, avec un intervalle de confi ance (IC) à 95 % de 1,4–23,2. Les deux tiers des décès ultérieurs à l’invasion proviennent d’un seul secteur (Fallujah), qui représente d’un point de vue statistique une observation aberrante extrême. Si l’on inclut le secteur de Fallujah, le risque relatif de décès après l’invasion, par rapport à avant, s’établit à 2,5 (IC à 95 % de 1,6–4,2) ; compte non tenu de Fallujah, le risque relatif ressort à 1,5 (IC à 95 % de 1,1–2,3). Le taux brut de mortalité (hors Fallujah) durant la guerre se traduit pas un surcroît de 98 000 décès (IC à 95 % : 8 000–194 000). Les auteurs concluent que « cette enquête révèle que le bilan de l’invasion et de l’occupation de l’Iraq avoisine probablement les 100 000 morts, et peut-être beaucoup plus (si l’on inclut le secteur de Fallujah). [...] Dans le cas présent, le manque de précision n’empêche nullement d’identifi er clairement le principal problème pour la santé publique : la violence ».

Cette étude a suscité des commentaires venant de différents horizons :

• « Il est important de considérer ces chiffres avec prudence, car la méthodologie utilisée suscite un grand nombre d’inquiétudes et de doutes. Premièrement, l’enquête semble s’appuyer sur une technique d’extrapolation plutôt que sur un dénombrement détaillé des corps. Nous nous inquiétons surtout du fait que la technique en question semble traiter l’Iraq comme une zone unique et homogène. L’enquête paraît supposer que les bombardements ont frappé uniformément l’ensemble du pays. Là encore, ce n’est pas vrai. Ils étaient essentiellement concentrés sur des régions telles que Fallujah. Par conséquent, nous ne pensons pas que cette extrapolation soit une technique adéquate à utiliser » (porte-parole offi ciel du Premier ministre du Royaume-Uni).

• Suite à la critique portée par le gouvernement britannique sur cette étude : « La confusion entre imprécision et biais ne se justifi e nullement » (K. McPherson, British Medical Journal, 2005).

• « L’inclusion d’autres secteurs dans l’enquête aurait certes amélioré la précision des résultats, mais au prix d’un risque énorme et inacceptable pour l’équipe d’enquêteurs qui ont rassemblé les données primaires » (R. Horton, ed., The Lancet).

• « L’estimation centrale d’une surmortalité de 98 000 personnes est entachée d’une forte incertitude […]. Les données d’échantillon sont toutefois davantage cohérentes avec la réalité si elles sont proches du centre plutôt que des limites extérieures de l’intervalle de confi ance associé. » (S. M. Bird, British Medical Journal).

• « Les principaux constats de cette étude portant sur la santé publique sont robustes en dépit de leur imprécision. […] Que le bilan réel soit de 90 000 ou de 150 000 morts, ces trois constats donnent une bonne idée de ce qu’il faut faire si l’on veut qu’il y ait moins de morts de civils » (les auteurs de l’étude, dans The Lancet).

• « Enfi n, Roberts et ses collègues précisent comment ils ont pu obtenir leurs résultats, avec un fi nancement modeste, beaucoup de courage et d’engagement, avançant des arguments solides contre ceux qui, cherchant à esquiver leurs responsabilités, affi rment qu’il n’est pas possible d’obtenir des données valides sur la mortalité dans un contexte de guerre » (F. Abad-Franch, The Lancet).

En 2006, une autre enquête a été menée dans un cadre d’échantillonnage plus vaste. Ses conclusions corroborent celles de l’enquête de 2004. La surmortalité estimée sur la même période est de 112 000 morts (IC de 69 000–155 000), chiffre remarquablement proche de celui produit par l’enquête précédente. Les conclusions de 2006 faisaient apparaître une hausse spectaculaire des décès violents sur toutes les années qui ont suivi l’invasion, culminant à 19,8 pour 1 000 durant la dernière année de l’étude. La surmortalité cumulée depuis l’invasion en 2003 se monte à 655 000 morts (IC de 393 000–943 000), chiffre qui dépasse largement toute autre estimation antérieure (Burnham et al., 2006). Comme on pouvait le prévoir, les gouvernements de la coalition ont rejeté ces nouveaux résultats inquiétants avec quelques remarques bancales, dans la même veine que celles formulées après l’enquête de 2004.

L’enquête de 2006 a fait l’objet de plusieurs critiques méthodologiques, ce qui montre combien il est diffi cile de mener une telle enquête dans des circonstances aussi extrêmes que celles de l’Iraq. Face à ces critiques, les auteurs ont décidé de communiquer les données brutes de l’enquête à des experts épidémiologistes. Une nouvelle étude avec un échantillon très large, composé de 1 086 secteurs et 10 860 ménages, a été menée en 2006–2007 (Iraq Family Health Survey Study Group, 2008). Pour des raisons de sécurité, 115 secteurs ont été exclus de l’enquête. Le taux brut de mortalité a été estimé à 1,09 (IC de 0,81-1,50) pour 1 000 par an. Après neutralisation des erreurs d’échantillonnage et des secteurs manquants, le taux a été estimé à 1,67 (IC de 1,24-2,30), sans variation annuelle majeure sur la période. Selon les estimations de l’enquête, de mars 2003 à juin 2006, on a dénombré 151 000 morts violentes (IC de 104 000-223 000). Bien que ces chiffres de la mortalité soient bien inférieurs à ceux estimés par Burnham et al., ils n’en font pas moins apparaître un bilan très lourd. Les différentes méthodes d’échantillonnage et d’estimation adoptées par ces études peuvent restreindre la comparabilité des résultats. On trouvera un examen utile des diverses enquêtes sur l’Iraq dans Tapp et al. (2008).

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Évaluer la situation sanitaire d’une population touchée par une crise aiguë

On se réfère au taux brut de mortalité, au taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans et à la malnutrition aiguë (émaciation) pour évaluer la gravité d’une situation d’urgence et surveiller l’effi cacité de la réponse humanitaire globale. Cette utilisation répandue des indicateurs de mortalité et de malnutrition s’explique par leurs avantages : ils donnent une image concise de la situation sanitaire d’une communauté, les méthodes de collecte des données sur la mortalité et la nutrition ont été mises au point et les enquêtes sont relativement simples et rapides à déployer, l’analyse des données est facilitée par des progiciels standard. S’agissant des constats relatifs à la mortalité, des seuils internationalement acceptés aident à leur interprétation.

La communication des résultats issus des évaluations de la situation sanitaire n’est pas exempte de diffi cultés : les décideurs, les médias et le grand public sont souvent peu familiarisés avec la signifi cation des indicateurs de santé, la manière dont ils sont collectés et leurs limites. Des intérêts partisans conduisent inévitablement à gonfl er l’importance de ces données lorsque cela arrange celui qui les présente, ou à l’inverse, à les écarter, au besoin grâce à des objections méthodologiques. Le jargon épidémiologique est incompréhensible pour la plupart des participants. Pour leur part, des journalistes désireux de présenter à leurs lecteurs des « faits » clairs et des interprétations directes cherchent à dépouiller les informations disponibles de la plupart voire de la totalité de leurs nuances et de leurs réserves. Dans bien des cas, il s’ensuit une interprétation grossièrement erronée de la réalité. Quant à la classe politique et aux militaires, par défi nition, ils prennent parti dans un confl it. Les organismes d’aide se soucient de lever des fonds et de préserver leur chasse gardée. Et de nombreux travailleurs humanitaires focalisés sur l’action concrète ne se sentent pas du tout concernés par les données chiffrées, qu’ils jugent être à l’opposé de ce qu’ils font sur le terrain. Voir Checchi (2006) pour un exemple de politique de la « preuve ». Les émotions qu’inspirent naturellement la violence, la mort et la famine telles qu’elles sont montrées en temps réel par les médias partout dans le monde s’ajoutent au tableau, compliquant encore toute argumentation rationnelle.

Mortalité

Dans les pays qui ne disposent pas de statistiques systématiques d’état civil et/ou qui ne procèdent pas à des recensements périodiques ou lorsque ces derniers ont une couverture et une qualité incertaines, comme c’est souvent le cas dans les situations d’urgence chronique, on mène des enquêtes rétrospectives sur la mortalité.

Les démographes ont mis au point des méthodes indirectes s’appuyant sur la survie des parents proches, qui sont communément utilisées dans les enquêtes démographiques et de santé (Module 2). Elles ne sont toutefois pas adaptées aux situations d’urgence, puisqu’elles se réfèrent à un passé relativement lointain, alors que dans un contexte de crise, les niveaux de mortalité peuvent changer spectaculairement et rapidement.

Dans les situations d’urgence grave ou dans les zones géographiquement étendues (où des populations arrivent et d’où d’autres partent), les conditions nécessaires à un système de surveillance effi cace sont rarement remplies et les méthodes rétrospectives restent souvent les seules à être techniquement applicables. Les approches rétrospectives reposent sur des enquêtes transversales (le plus souvent à débusquer au cœur d’une enquête sur la nutrition). Lors d’entretiens avec des adultes, on recueille des données sur le nombre de morts enregistrés dans les ménages de l’échantillon. L’échantillonnage s’appuie habituellement sur la méthodologie classique employée pour le Programme élargi de vaccination 2 mais, dernièrement, de nouvelles méthodes ont été proposées.

2 Se fonde sur un sondage en grappes à deux degrés, aboutissant à 30 grappes de 7 enfants chacune.

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Le seuil du taux brut de mortalité généralement admis est de 1 mort pour 10 000 par jour. Au-delà, une situation est jugée critique, et des opérations de secours doivent être mises en œuvre ou intensifi ées (Toole et Waldman, 1990). Cette limite peut se révéler inadéquate dans les pays à revenu intermédiaire ou développés, où le taux de référence est bien inférieur. En fait, les opérations de secours dans les Balkans ont été lancées avant que le seuil de 1 mort pour 10 000 ne soit franchi. Afi n d’adapter le critère proposé aux différents contextes, le Projet Sphère a proposé un doublement du taux brut de mortalité local enregistré avant la crise. Malheureusement, ce taux brut de base n’est souvent pas disponible, surtout pour certaines régions ou populations. En outre, cette approche conduirait à lancer les opérations de secours bien plus tôt dans les communautés comparativement mieux dotées.

Taux brut de mortalité dans plusieurs situations d’urgence aiguë

Contexte (année)Taux brut de mortalité (nombre de morts pour

10 000, par jour)

Communautés touchées par la famine à Baidoa, en Somalie (1992) 16,8

Malnutrition et épidémie de maladies diarrhéiques chez les réfugiés hutus rwandais dans la zone de Goma, au Zaïre (1994)

34,1 à 54,5

Population assiégée à Tubmanburg, au Libéria (1996) 14,3

Populations touchées par la famine et les confl its armés à Bahr-el-Ghazal, au Sud-Soudan (1998) 9,2 à 26,1

Famine à Gode, en Éthiopie (2000) 3,2

Famine et déplacements répétés chez les Angolais déplacés dans leur propre pays venant des zones contrôlées par l’UNITA (2002)

2,3 à 3,6

Attaques armées contre des civils dans le Darfour occidental, au Soudan (2003-2004) 5,9 à 9,5

D’après Checchi and Roberts, 2005.

Les enquêtes sur la mortalité conduites dans des situations extrêmement diffi ciles ou dangereuses sont davantage susceptibles de se heurter à des obstacles, et donc d’être biaisées ou imprécises :

• L’accès à la population étudiée est restreint par des problèmes de sécurité et de logistique. Il faut souvent étudier une grappe entière en quelques heures, pendant qu’il fait jour.

• Les numérateurs et dénominateurs doivent rendre compte des décès et de l’exposition dans des populations « instables ». Il n’existe pas de connaissance a priori de la répartition spatiale de la population. L’évolution des conditions de sécurité peut imposer la substitution de quelques grappes initialement sélectionnées. Le cadre d’échantillonnage peut donc rapidement devenir obsolète, et donc invalide.

• La concentration des décès due à de fortes fl ambées de violence et/ou de maladie localisées peut nuire à la précision des estimations.

• Les enjeux politiques peuvent induire une distorsion dans les résultats. Il existe un risque élevé de manipulation par une population ou un régime qui cherche à capter une aide.Il peut en résulter une surestimation des décès.

• Rares sont les épidémiologistes chevronnés désireux de travailler dans des zones non sûres. En outre, des considérations de sécurité peuvent restreindre l’accès dont bénéfi cient certains membres de l’équipe d’étude aux régions en proie à des troubles. La délégation de responsabilités qui s’ensuit rend toute vérifi cation diffi cile, d’où des résultats insatisfaisants.

• La collecte d’informations s’appuie sur des entretiens et porte sur une période donnée. Les traumatismes, la peur, le calendrier local, la barrière de la langue peuvent compliquer cette collecte. La crainte de perdre leur droit à une aide (par exemple à une aide alimentaire) peut pousser des répondants à cacher la mort de certains membres de leur famille. Dans certaines cultures, la mort est un sujet sensible, d’où des sous-estimations.

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Les conclusions de l’enquête sur la mortalité ne peuvent être généralisées à d’autres communautés ou à un pays entier, en raison des spécifi cités du contexte dans lequel vit la population étudiée.

Dans les situations d’urgence, les systèmes de surveillance de la mortalité sont ce qui se fait de mieux, surtout dans les espaces clos (par exemple les camps de réfugiés) où il est possible d’obtenir une bonne couverture à la fois de la comptabilisation des décès et de la population (numérateur et dénominateur). Leur principal avantage est de permettre une réaction immédiate dès lors qu’est franchi le seuil de mortalité défi ni. Les gardiens des lieux de sépultures, les chefs de communauté et les bénévoles sont les principales sources pour ces données sur la mortalité.

Les enquêtes sur la mortalité sont sujettes à certains biais : biais d’échantillonnage, biais de survie, biais de mémoire et erreur de classifi cation (défi nis dans le Glossaire présenté au Module 14. Ressources). Une autre limitation tient au fait que les taux de mortalité se réfèrent à un risque passé, qui peut ne pas refl éter la situation actuelle : depuis, les résultats ont pu soit s’améliorer, soit rester stables, soit empirer. La période de référence/période pour laquelle l’enquêté doit faire appel à sa mémoire est généralement de 6-18 mois avant l’entretien, et lors des situations d’urgence aiguë, les changements dans les taux de mortalité peuvent être rapides. De plus, au moment où les résultats deviennent disponibles, il peut être trop tard pour mettre en œuvre des interventions effi caces. Enfi n, la mortalité représente l’extrémité du spectre du statut sanitaire ; elle n’apporte donc pas d’information sur les autres conditions de santé causant des souffrances mais non la mort. À cause de toutes ces restrictions, les utilisateurs de données sur la mortalité doivent prêter une attention particulière aux méthodes employées pour les calculer, ainsi qu’à l’utilisation qui peut être faite de ces chiffres. Pour un examen du champ des enquêtes sur la mortalité, voir Checchi et Roberts (2005) et Emerging Themes in Epidemiology, un magazine en ligne disponible à l’adresse suivante : www.ete-online.com (consulté le 10 janvier 2011).

À partir des données sur la mortalité, on calcule souvent la surmortalité. Celle-ci donne une estimation directe de l’ampleur absolue d’une crise. Il faut toutefois s’en servir avec prudence : la surmortalité est un indicateur composite, résultant de la différence entre les niveaux de mortalité mesurés pendant la crise et ceux mesurés avant. Ce calcul nécessite une interpolation des taux obtenus à partir de l’échantillon sur la population dont l’échantillon a été extrait. En outre, il faut disposer d’un taux de mortalité de référence ou pré-crise acceptable. Étant donné la dynamique de la mortalité lors d’une crise, avec des évolutions rapides au cours du temps et dans les différentes catégories de population, l’estimation de la surmortalité pour de vastes populations et de longues périodes est risquée.

Malnutrition

On considère que l’état nutritionnel des enfants de moins de cinq ans constitue un indicateur de crise objectif et sensé. Dans les situations d’urgence, on recueille généralement des informations nutritionnelles pour :

• déterminer la gravité de la crise et plaider pour une réponse

• détecter rapidement les changements dans la sécurité alimentaire, et

• planifi er, surveiller et évaluer les interventions (Young et Jaspars, 2006).

Les données anthropométriques sont une mesure statique de prévalence de la situation nutritionnelle à un moment donné. La mesure du poids par rapport à la taille (émaciation) permet d’évaluer et de surveiller l’état nutritionnel (malnutrition aiguë) dans les situations d’urgence, alors que les indicateurs des rapports poids/âge et taille/âge (retard de croissance) sont utilisés pour évaluer l’état nutritionnel des enfants sur le long terme. Les mesures individuelles du poids par rapport à la taille sont comparées à celles d’une population de référence et l’on recourt à des valeurs utilisées comme seuil (2 écarts types, ou 80 % de la valeur médiane) pour estimer la prévalence de la malnutrition dans la communauté étudiée. La malnutrition aiguë s’accompagne souvent de maladies causées par une carence en micronutriments, notamment en vitamine A, en iode et en fer. Dans les situations d’urgence

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prolongée, la prévalence de la malnutrition chronique, mesurée par le retard de croissance, peut aussi être très élevée.

Des méthodes standard, reposant sur des enquêtes en 30 grappes à deux degrés, permettent de collecter et d’analyser des données anthropométriques sur des enfants âgés de 6 mois à 5 ans, afi n d’estimer la prévalence de la malnutrition aiguë. Utilisé pour le dépistage ou pour les enquêtes rapides, le périmètre brachial à mi-hauteur s’avère être un bon facteur prédictif de mortalité ; on recommande de l’ajuster aux valeurs de référence en fonction de l’âge ou de la taille. Il n’existe pas un tel consensus sur les indices ni sur les critères seuils permettant d’évaluer la malnutrition chez les adultes.

L’interprétation des résultats d’enquête nécessite d’examiner soigneusement comment ont été menées les enquêtes. La capacité technique de conduire des enquêtes à partir de ces méthodes est loin d’être satisfaisante. Lors d’une analyse des enquêtes sur la nutrition réalisées en Éthiopie en 1999-2000, seulement 9 % des études satisfaisaient aux critères de validité et de précision (Spiegel et al., 2004). Les enquêtes sur la nutrition sont sujettes à des erreurs de mesure et à des biais d’échantillonnage. En outre, les données anthropométriques doivent être analysées dans un contexte de sécurité alimentaire, en tenant compte de l’économie du ménage, du marché, etc.

L’utilisation que l’on peut faire des données nutritionnelles prises isolément est restreinte, et celles-ci doivent toujours être interprétées en parallèle des taux de morbidité et de mortalité, en prenant en considération les raisons sous-jacentes de la malnutrition, la saisonnalité, les niveaux de malnutrition préalables à la crise et les stratégies d’adaptation. La relation entre malnutrition et mortalité varie, ce qui a des conséquences aussi bien sur la surveillance de la sécurité alimentaire que sur le diagnostic de différents types de crises. Ainsi, la grave crise d’insécurité alimentaire qui a frappé l’Afrique australe en 2002 ne s’est pas accompagnée d’une malnutrition ni d’une mortalité fortes (Young et Jaspars, 2006). Il existe des cadres de décision permettant de guider les interventions nutritionnelles sur la base de la prévalence de la malnutrition et de la présence de facteurs aggravants. Toutefois, les organismes n’utilisent pas tous les mêmes seuils de prévalence de la malnutrition.

Lors d’une crise alimentaire aiguë, la mortalité peut se révéler supérieure chez les plus jeunes, avant qu’ils n’atteignent l’âge d’être pris en compte dans les enquêtes (6 mois). Dans ce cas, les données sur la mortalité sont particulièrement utiles pour interpréter les résultats des enquêtes sur la nutrition. Cependant, on a observé, lors de nombreuses famines, que ce sont les maladies, plus que la faim, qui tuent (de Waal, 2004) et que l’appauvrissement découlant de la perte d’actifs et de moyens de subsistance est à l’origine de famines et de maladies. C’est pourquoi, lors des épisodes de famine prolongés, on recommande d’inclure l’évaluation de l’état nutritionnel des adultes. On peut toutefois déplorer l’absence de consensus sur les questions méthodologiques associées à la mesure de la malnutrition chez l’adulte, tels que le choix de l’indicateur (par exemple l’indice de masse corporelle) et leurs seuils, ainsi que la comparabilité de ces indicateurs dans différents groupes ethniques (d’où la nécessité d’ajuster les indices anthropométriques).

Les niveaux de malnutrition n’apportent pas beaucoup d’informations et ne sont pas très utiles pour guider l’aide apportée en réaction s’ils ne sont pas assortis d’explications. Souvent, les enquêtes sur la nutrition ne disent rien de la succession d’événements qui a conduit à une inquiétante prévalence de la malnutrition. Les interventions visant à remédier à la malnutrition doivent varier en fonction des facteurs sous-jacents de la crise. Hélas, les organismes d’aide continuent de préférer la distribution gratuite de nourriture, même si d’autres mesures pourraient être plus effi caces.

Le recours à des seuils ou des limites d’inclusion est jugé inadéquat. On recommande plutôt l’étude des tendances saisonnières. Pour les populations sujettes aux crises, qui sont donc étudiées à plusieurs reprises sur de longues périodes, les tendances sont nettement préférables. Toutefois, dans les régions où une crise majeure survient occasionnellement, il se peut que le niveau de malnutrition de référence ne soit pas connu. En outre, les hostilités peuvent avoir modifi é la population et les schémas économiques au point qu’une comparaison avec des références établies préalablement au confl it ne fait pas sens.

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Quoi qu’il en soit, l’évaluation de la gravité d’une crise au moyen de la comparaison de la prévalence de la malnutrition actuelle par rapport à la situation antérieure est discutable dans les régions régulièrement touchées par une malnutrition sévère. Un petit changement peut être interprété comme normal lorsque la crise est permanente et grave. Dans de nombreuses régions du Sahel ou de la Corne d’Afrique, chroniquement frappées par la pauvreté et la violence, la prévalence de la malnutrition est régulièrement jugée supérieure au seuil, laissant supposer une situation critique. Les organismes d’aide s’effraient des conséquences à long terme associées à une action dans des environnements aussi effroyables. Ces véritables situations d’urgence restent tues et non traitées par les médias.

Pour une analyse du sujet, voir Young et al. (2004) et Young et Jaspars (2006).

Étude de cas n° 5 Évaluation rapide des besoins dans le secteur

de la santé en Iraq en 2003

« Des évaluations des besoins institutionnels émergents ont commencé dès que les combats ont pris fi n. L’OMS dispose de 32 équipes de 3 personnes pour ces évaluations. Au 30 juin, elles s’étaient rendues dans 569 des 3 061 établissements de santé du pays, dont les 35 hôpitaux de Bagdad. En outre, 1 000 des 1 553 centres de santé primaires et 100 des 203 hôpitaux ont été évalués par au moins une des 18 autres organisations (OMS et RHCO). Certains centres ont été visités plus d’une douzaine de fois, tandis que sept directions éloignées ne l’ont été que rarement. L’OMS et l’Autorité provisoire de la Coalition s’efforcent de collecter des informations émanant de ces diverses évaluations et d’en normaliser la synthèse, exercice qui relève de l’impossible. »

D’après Diaz et Garfi eld, 2003

Évaluations rapides de la situation sanitaire

Il n’est pas toujours possible de conduire des enquêtes sur la mortalité et la nutrition, surtout lors de la phase aiguë d’une situation d’urgence, quand la rapidité dans la collecte de données et dans la prise de décisions est cruciale pour sauver des vies. Les évaluations rapides de la situation sanitaire constituent souvent la seule solution viable. Les divers organismes emploient différentes méthodes dans des contextes variés. Un examen comparatif des huit instruments (Bradt, 2001) utilisables pour ces évaluations rapides a mis en lumière leur variabilité, en fonction du champ de collecte des données (système ou site), des différences dans la structure des données, des impératifs concurrents d’exhaustivité et de brièveté. La sélection du protocole d’évaluation rapide approprié dépend rarement de considérations strictement techniques : les préférences personnelles, la connaissance de l’instrument ou l’inertie de l’organisation constituent souvent des facteurs de poids.

Les protocoles d’évaluation rapide de la situation sanitaire sont plus fl exibles et moins structurés que ceux des enquêtes formelles. Toutefois, l’échantillonnage n’étant pas probabiliste, l’évaluation rapide peut produire des résultats biaisés et/ou imprécis, qui risquent d’étayer des décisions mauvaises, voire catastrophiques ; ainsi, la réaction tardive des donateurs à la famine au Sud-Soudan en 2001 était due à une évaluation rapide des besoins défi ciente (Collins, 2001). L’évaluation rapide de la situation sanitaire exige une connaissance de la région et des compétences techniques, afi n de sélectionner les données pertinentes à collecter et les sites où se rendre. L’interprétation des informations réunies grâce à ces évaluations rapides n’est pas aussi directe que pour les enquêtes formelles, et la triangulation des données est cruciale.

Initialement, les méthodes d’évaluation rapide reposaient sur une combinaison de méthodes de recueil de données simplifi ées et d’entretiens et groupes de discussion. Les informations qualitatives étaient censées palier les lacunes dans les données quantitatives collectées.

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La motivation de ces évaluations rapides, à savoir l’obtention rapide d’informations permettant la prise de décisions, a séduit les épidémiologistes intervenant dans la gestion des catastrophes et conscients des limites des méthodes épidémiologiques classiques dès lors qu’elles étaient confrontées à des conditions de terrain diffi ciles (Guha-Sapir, 1991). Au fi l du temps, les champs d’application, les méthodes et les modèles d’évaluation des besoins sanitaires se sont multipliés.

La modifi cation récente de la portée des évaluations rapides des situations sanitaires est sans commune mesure avec l’émergence de nouvelles méthodes. L’objet initial de ces évaluations, à savoir estimer l’impact sanitaire des catastrophes naturelles ou des déplacements de populations, s’est élargi jusqu’à couvrir les déterminants systémiques des problèmes de santé et de la survie, dont la capacité du secteur sanitaire à répondre aux besoins humanitaires.

La plupart des premières évaluations étaient axées sur une région spécifi que, menées dans des camps de réfugiés ou sur de petites zones géographiques, dans le but d’orienter les actions de secours locales. Toutefois, les situations d’urgence complexes et les catastrophes naturelles affectent souvent le tissu économique et social de pays ou de régions entiers. En conséquence, l’approche traditionnelle de l’évaluation rapide, focalisée sur une région, pour étudier une situation sanitaire est devenue inadéquate.

Ce qui est désormais essentiel, c’est d’explorer les déterminants sous-jacents qui affectent la capacité des systèmes à répondre aux besoins sanitaires, au-delà des causes immédiates bien connues de la morbidité et de la mortalité. Les données et observations doivent être analysées, interprétées et mises en contexte : dans les situations d’urgence, même les chiffres concrets risquent d’être défectueux. Le jugement subjectif joue ainsi un rôle important. En outre, pour interpréter des données et les resituer dans un contexte sensé, il faut valoriser la connaissance de la situation locale. « Une bonne évaluation rapide est une évaluation qui accède à une section transversale de connaissances locales aussi vaste que possible » (Collins, 2001). Il est nécessaire de mettre en œuvre le bon dosage de compétences, de connaissances et la bonne attitude.

Jok (1996) a décrit la pratique des évaluations rapides des besoins dans le contexte du Sud-Soudan, montrant comment des incompréhensions fondamentales entre les urgentistes et les bénéfi ciaires ont faussé les perceptions des participants, sapant ainsi l’utilité des informations rassemblées. Boss, Toole et Yip (1994) ont examiné 23 études démographiques menées en Somalie, découvrant que de profondes différences méthodologiques ont empêché l’agrégation de leurs résultats en un tableau signifi catif de la morbidité, de la mortalité et de l’état nutritionnel.

Les techniques d’évaluation rapide sont souvent adoptées en raison de leur simplicité ou de la facilité apparente de leur mise en œuvre. Cette erreur de perception trahit la motivation qui sous-tend ce type d’évaluation. Alors que les méthodes statistiques structurées contraignent leurs utilisateurs à une certaine dose de discipline, aucune exigence équivalente ne semble émerger des formats moins structurés d’évaluations rapides. Des urgentistes naïfs peuvent adopter les évaluations rapides sans prendre la pleine mesure de leurs limites méthodologiques et de leurs impératifs conceptuels.

Les situations d’urgence complexes requièrent une compréhension complexe et des ripostes complexes : les contraintes liées à la sécurité, les échéances politiques, les considérations techniques, la nécessité de rationner un fi nancement limité et les options de politique publique doivent tous être pris en compte. Les acteurs de la sphère humanitaire sont confrontés à des priorités concurrentes et à plusieurs possibilités d’action. Il faut étudier la complexité sans sacrifi er aucun de ses aspects cruciaux. Cependant, pour refl éter la complexité, les évaluations rapides doivent impérativement être complexes sur le plan conceptuel, voire méthodologique.

Des travaux ont été menés au sein des Groupes de responsabilité sectorielle Santé et Nutrition (Global Health and Nutrition Clusters) du Comité permanent interorganisations (CPI), en collaboration avec d’autres secteurs, dans le but de défi nir un modèle commun pour une évaluation initiale rapide multiorganisations. Pour des orientations générales sur la gestion

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des informations de santé dans les situations d’urgence, voir le Module 2. Pour une analyse des relations entre les besoins et les interventions humanitaires, voir Darcy et Hoffman (2003).

Maladies transmissibles

Les fl ambées de maladies transmissibles sont courantes au sein des populations touchées par une guerre, comme on le sait depuis que Thucydide a décrit la peste d’Athènes (qui s’est déclarée en 430 av. J.-C.). Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, les armées ont eu à déplorer davantage de pertes dues à la maladie que de morts liées aux combats (Garfi eld et Neugut, 1991). Et encore dans les années 1980, durant la guerre entre Soviétiques et Afghans, seulement 11 % des soldats soviétiques hospitalisés souffraient de blessures ou de lésions (Grau et Jorgensen, 1997). Parmi les civils, il est apparent, dans la plupart des combats de faible intensité, que la principale cause de morbidité et de mortalité n’est pas la violence directe, mais les maladies transmissibles.

Les maladies transmissibles importantes, telles que le paludisme, les infections respiratoires, la méningite, la tuberculose et le VIH/sida, sont endémiques dans les régions touchées pas la guerre. La plupart des maladies modifi ent leur tableau épidémiologique. Les groupes de population se déplacent, leur composition évolue, ils sont exposés à de nouveaux risques et réagissent différemment. On observe une recrudescence spontanée de certaines maladies, comme la diarrhée et la rougeole, dans la plupart des situations d’urgence complexes. Comme le mettent en évidence les services de lutte contre les maladies, la transmission est accrue et la sensibilité des individus et des groupes s’intensifi e ; les fl ambées de maladies endémiques deviennent fréquentes. Ainsi, de 1984 à 1994, une épidémie dévastatrice de leishmaniose viscérale s’est déclarée au Sud-Soudan, au sein de populations qui n’avaient, jusque-là, pas été atteintes, faisant quelque 100 000 morts (Seaman et al., 1996).

Les programmes de lutte, les prestataires de services de santé et les systèmes de surveillance (lorsqu’ils fonctionnent) produisent des informations sur les maladies transmissibles. Généralement incomplètes, ces données manquent souvent de cohérence, mais permettent de se faire une idée de la situation globale. Si l’on veut examiner la gravité de la plupart des maladies transmissibles importantes, les indicateurs les plus utiles sont le nombre de personnes atteintes (exprimé par la prévalence ou l’incidence, selon les caractéristiques de la maladie), le nombre de nouveaux cas identifi és par les services de santé, le nombre de cas bénéfi ciant d’un traitement et le taux de létalité. La plupart des programmes de lutte permettent de fournir des chiffres, dont il convient de vérifi er la couverture, la fi abilité, l’actualité et la cohérence. La solidité des programmes de lutte est extrêmement variable au sein d’un même pays, si bien qu’il faut faire preuve de sélectivité pour déterminer s’il faut ou non en retenir les rapports.

L’examen détaillé des réponses antérieures donne des informations intéressantes sur la capacité des programmes de lutte (lorsqu’ils existent) ou du système de santé dans son ensemble à réagir face à une crise, ainsi que des ressources dont il dispose. Il est fréquent de tarder à identifi er une épidémie ou à mettre au point une réponse, comme est fréquente la non-coordination des mesures. Dans bien des cas, on peut déceler des erreurs techniques.

L’examen de données historiques peut également mettre en évidence la récurrence de fl ambées d’une même maladie, avec souvent des schémas saisonniers. L’incapacité à traiter par avance la recrudescence attendue ou, du moins, à élaborer une réponse adéquate à déployer lors de la survenue de la maladie est révélatrice de la désorganisation affectant de nombreux services de santé perturbés.

Il faut étudier la répartition géographique des cas rapportés. Elle est souvent fortement liée à la couverture par les services de santé, plutôt qu’au véritable profi l épidémiologique. D’ordinaire, les zones sûres, comme les camps de réfugiés dotés de services de santé et de systèmes d’information satisfaisants, sont à l’origine de la plupart des rapports. À l’inverse, les perturbations qui touchent la prestation de services de santé dans de nombreux taudis urbains surpeuplés expliquent la sous-déclaration et les erreurs fréquemment constatées lorsque l’on étudie le profi l épidémiologique dans ces contextes. Le fractionnement des secteurs

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de santé donne facilement lieu à des notifi cations séparées des occurrences de maladies. Les données produites par ces systèmes isolés sont rarement consolidées en données nationales ou analysées individuellement.

L’analyse des taux de létalité de maladies bien connues donne des indications importantes sur la réponse apportée par les services de santé. Ainsi, un taux de létalité très supérieur à 1 % pour le choléra est le signe d’une performance non satisfaisante. Cependant, des taux de létalité élevés peuvent signaler la vulnérabilité accrue à une maladie d’une population dans une situation diffi cile, induite par une famine, des diffi cultés ou un retard d’accès aux soins. Ces facteurs sont fréquemment associés à des contextes de guerre.

Si l’inquiétude de l’opinion publique et la couverture médiatique peuvent être plus fortes lors d’épidémies de maladies rares, qui ne s’étaient pas encore déclarées voire qui n’étaient pas répertoriées, comme Ebola ou Marburg, la mortalité est généralement plus élevée dans le cas d’une transmission accrue de maladies communes déjà présentes dans l’environnement.

Les maladies qui nécessitent un traitement continu et sur une longue durée, comme la tuberculose, prospèrent dans les contextes instables marqués par des violences intermittentes. Les camps de réfugiés ou les zones qui auparavant étaient sûres, où les dispositifs de lutte ont été mis en place avec succès, peuvent être attaqués, d’où des mouvements de population et l’interruption des traitements.

Pour un examen synthétique de cet aspect, voir Connolly et al. (2004).

Surveillance

Dans la plupart des crises persistantes, les systèmes de surveillance locaux s’effondrent. Peut-être étaient-ils déjà ineffi caces avant le début des hostilités. Les données générées par les vestiges des systèmes en place peuvent devenir à peu près inutiles, en raison de leurs lacunes et de leur manque de fi abilité. Dans de nombreux contextes, la mise en place de mécanismes de surveillance ou la restauration des systèmes perturbés échoit aux organisations internationales, telles que l’OMS, qui peuvent être à même de travailler sans considération des lignes de front.

Les systèmes de surveillance effi caces en temps de guerre sont vraisemblablement le fruit d’une coopération entre agents de terrain, ONG, institutions locales et organismes d’aide qui signalent les changements dans le profi l épidémiologique à une entité centrale, chargée de tenir à jour les chiffres, de les vérifi er, de fi ltrer les rumeurs de fl ambées, d’identifi er les maladies concernées et de coordonner les réponses appropriées.

Des réseaux souples d’organisations collaboratives sont davantage capables de s’adapter à l’évolution de l’environnement et de réagir rapidement aux menaces que les mécanismes de surveillance dédiés, structurés et de routine. Les sites sentinelles semblent particulièrement peu adaptés aux environnements ravagés par la guerre (Weinberg et Simmonds, 1995).

La mise en œuvre de mécanismes de surveillance sert divers objectifs. Ils permettent de garder la trace des effets de la guerre sur la transmission des maladies, de canaliser les capacités et ressources existantes afi n de traiter les problèmes de santé confi rmés, de rassurer l’opinion publique en vérifi ant les rumeurs d’épidémie (fréquentes dans un environnement subissant les effets d’un confl it) et constitue souvent le mécanisme de coordination le plus effi cace qui soit dans un secteur de santé dégradé.

Les chiffres que génèrent ces mécanismes de surveillance doivent être maniés avec prudence. Ainsi, les variations dans la fréquence d’une maladie peuvent être dues à des changements dans la mise en œuvre des mécanismes de notifi cation, plutôt qu’à une véritable recrudescence de la transmission d’une maladie. En vérifi ant si des rapports sur des maladies qui ne devraient pas être affectés par des perturbations violentes font eux aussi état d’une augmentation, on peut distinguer les véritables changements des artefacts.

Il convient d’adapter les mécanismes de surveillance aux environnements affectés par des confl its. Dans la plupart des cas, il s’agit de les simplifi er en les focalisant sur un moins grand nombre de maladies d’importance critique pour la santé publique et qui risquent de se répandre à cause de la guerre. Les formulaires et les rapports doivent souvent être élaborés

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en plusieurs langues pour que les parties en confl it puissent les accepter et les agents des organismes d’aide les utiliser. Il faut parfois clarifi er la défi nition de maladies locales afi n d’éviter tout malentendu. Il est souhaitable de disposer d’un réseau redondant d’organes de notifi cation de sorte que, quand l’un n’est pas à même d’effectuer la notifi cation, un autre puisse prendre le relais. Il convient que les exigences pour l’établissement de rapports soient minimales, afi n de s’assurer la collaboration de partenaires qui se trouvent dans des situations diffi ciles.

Un système de surveillance pourrait évoluer au fi l du temps, par tâtonnements, et en raison du départ de participants et de l’arrivée de nouveaux. Il faut déployer des efforts pour s’assurer que la précieuse expérience accumulée en temps de guerre est transmise aux mécanismes de surveillance structurés et permanents qui doivent être établis une fois le confl it achevé. Ce processus ne peut être tenu pour acquis, car il n’est pas rare de se heurter, durant les phases de rétablissement, à des pressions en faveur de la mis en place de systèmes de surveillance lourds, rigides et nécessitant des ressources importantes. Des programmes puissants de lutte contre les maladies, par exemple, font souvent pression pour l’instauration de systèmes de surveillance dédiés assez sophistiqués.

Conseils de lecture

Checchi F. et Roberts L. Interpreting and using mortality data in humanitarian emergencies: a primer for non-epidemiologists. (Humanitarian Practice Network Paper No. 52) Londres, ODI, 2005. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.odihpn.org, consulté le 10 janvier 2011.

Excellente introduction à un domaine où foisonnent les approches défaillantes de la collecte de données, les interprétations faussées et les utilisations partisanes des résultats d’enquête. C’est précisément parce que les données sur la mortalité sont controversées et que, souvent, les décideurs qui doivent s’appuyer dessus pour agir sont peu familiarisés avec les concepts et outils d’épidémiologie, que ce manuel clair et lisible sera extrêmement utile s’il est consulté par son public cible.

Cet ouvrage passe en revue tous les aspects qu’un lecteur examinant des données sur la mortalité collectées lors d’une situation d’urgence humanitaire doit prendre en considération afi n d’interpréter correctement les constats et de les replacer dans le contexte adéquat. En outre, il attire l’attention sur les éventuels écueils auxquels se heurte ce type d’enquête et indique comment reconnaître des enquêtes défaillantes. Une brève discussion sur la politique publique associée à la mortalité complète cet examen. Les chiffres et les exemples tirés d’enquêtes menées lors de plusieurs confl its, notamment en Angola, en Iraq, en République démocratique du Congo et au Soudan, clarifi ent les concepts et rendent le texte plus vivant.

New Sudan Centre for Statistics and Evaluation, en association avec l’UNICEF. Towards a baseline: best estimates of social indicators for Southern Sudan. 2004. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.reliefweb.int/library/documents/2004/splm-sud-31may.pdf, consulté le 10 janvier 2011.

Brillant exemple de compilation de chiffres cruciaux issus de diverses sources, produisant ainsi une information nettement plus fi able et utile que les données originales. Les étapes et les critères utilisés pour rejeter ou, à l’inverse, accepter des indicateurs concurrents sont présentés de façon claire et explicite. Le lecteur est guidé à travers les différentes options disponibles, les inconvénients des ensembles de données existants et les choix fi nalement retenus. Au lieu de lancer de nouveaux cycles de collecte de données, l’auteur s’est efforcé d’utiliser les chiffres disponibles et de discuter des résultats obtenus avec ceux qui les utilisent et ceux qui les produisent. Cet exercice a eu pour issue naturelle un ensemble de données négocié avec les principales parties prenantes, et donc plus susceptible d’être utilisé par tout le monde.

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Summerfi eld D. A critique of seven assumptions behind psychological trauma programmes in war-affected areas. Social Science and Medicine, 48:1449-1462, 1999.

Contribution qui incite à la réfl exion ; elle soulève des questions fondamentales sur la validité des programmes de prise en charge des traumatismes psychologiques chez les populations touchées par un confl it. Summerfi eld déploie un argumentaire convaincant sur la nature de la détresse infl igée par la guerre. « Les réactions humaines à la guerre ne sont pas analogues au traumatisme physique : les gens n’enregistrent pas passivement l’impact de forces externes (contrairement, par exemple, à une jambe touchée par une balle) mais s’engagent avec elles sur un chemin actif de résolution du problème. Les souffrances naissent à partir d’un contexte social, dans lequel elles sont résolues, contexte façonné par les signifi cations et les interprétations appliquées aux événements. » Si cette interprétation de la détresse se vérifi e, alors, les programmes de prise en charge des traumatismes psychologiques qui la médicalisent et la gèrent individuellement, comme un problème technique auquel s’appliquent des solutions techniques à court terme, sont fondamentalement mal conçus. « Il y a eu peu d’évaluations indépendantes des bienfaits des programmes de prise en charge des traumatismes psychologiques, mais leur attrait aux yeux des donateurs peut s’expliquer par leur capacité à offrir une forme d’intervention à la mode, limitée dans le temps et apparemment politiquement neutre, qui évite les questions controversées que les guerres mettent en évidence. La Bosnie comme le Rwanda ont montré comment les pouvoirs publics occidentaux pouvaient cacher leurs motivations mêlées lorsqu’ils étaient confrontés aux causes et aux agresseurs derrière un modèle d’aide de type « nourrir et conseiller » qui n’inclut aucune protection physique ni justice réparatrice. » Les derniers mots de cette contribution ont une résonnance qui va bien au-delà des programmes de prise en charge des traumatismes psychologiques qu’elle traite : « La guérison sociale et la refondation des mondes ne peut être l’œuvre d’intervenants extérieurs. »

Young H. et Jaspars S. The meaning and measurement of acute malnutrition in emergencies: a primer for decision-makers. Londres, ODI, 2006 (Humanitarian Practice Network Paper No. 56). Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.odihpn.org, consulté le 10 janvier 2011.

Les enquêtes nutritionnelles sont conduites dans une multitude de contextes, afi n d’évaluer la gravité des crises humanitaires et d’orienter les réponses apportées par l’aide. Malgré leur popularité et la disponibilité de techniques standard, dont la valeur n’est plus à démontrer, beaucoup d’enquêtes souffrent de graves défauts méthodologiques et produisent des données d’une qualité douteuse. Pour leur part, décideurs et journalistes ont souvent du mal à saisir le sens des données disponibles sur la nutrition. Il est donc courant que ces informations nutritionnelles soient mal utilisées.

Ce manuel clair et concis parvient à présenter dans un langage non technique l’objectif des enquêtes nutritionnelles, les méthodes observées pour collecter les données et les indicateurs produits. Il traite de la signifi cation de ces indicateurs, de leurs limites et de leur valeur aux fi ns de sélectionner l’intervention adéquate. Il ne manque pas de souligner la nécessité d’explorer les facteurs qui sous-tendent les valeurs de prévalence absolues, ni de combiner les données nutritionnelles avec les chiffres de la mortalité afi n d’en tirer les déductions correctes. Pour résumer, ce manuel propose au néophyte un point de départ effi cace et indolore.

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120 Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes

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Annexe 4 Le VIH/sida et les confl its 121

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nexe 4

Le VIH/sida et les confl its

Dans un pays où sa prévalence est élevée, ou qui tend vers une prévalence élevée, on ne saurait mettre suffi samment l’accent sur l’impact du VIH/sida sur l’espérance de vie, la situation sanitaire et la société dans son ensemble (production économique, institutions, fonction publique, moyens de subsistance, structures familiales, structures démographiques et genrées 3 , etc.). En pesant sur les stratégies d’adaptation déjà surexploitées des communautés pauvres, le sida favorise, à travers plusieurs mécanismes, l’émergence de nouvelles catégories de ménages vulnérables. Il change les modèles de dépendance, cause des pertes d’actifs et de compétences, et joue sur la situation sanitaire par l’interaction avec la malnutrition et les maladies transmissibles. Une fois répandu, le VIH/sida a des conséquences économiques dramatiques, affectant le fi nancement intérieur et la prestation de services de santé, tant publics que privés.

Étant donné la longue durée d’incubation entre le moment de l’infection et celui où la maladie se manifeste, les pays qui sortent d’une crise prolongée peuvent devoir relever un défi supplémentaire, qui dépasse largement leur capacité de réaction. Les effets durables du confl it peuvent être encore plus graves que prévu lorsque la maladie se déclare. Au moment de formuler des prévisions des niveaux de fi nancement à venir, il faut ajouter le fort impact macroéconomique du sida aux infrastructures détruites et à l’effondrement des systèmes. L’important décalage temporel entre la contagion et la manifestation de ses effets est visible sur la population dans son ensemble ainsi que chez les individus. La baisse de vigilance est un risque constant, comme on a pu l’observer à maintes reprises par le passé. Les décideurs peuvent minimiser une épidémie naissante simplement parce que peu de personnes présentent les symptômes du sida. Lorsque la gravité de l’épidémie devient patente, le secteur de la santé et le pays dans son ensemble ne sont pas préparés à y faire face. C’est une dure leçon qu’a dû apprendre plusieurs fois l’Afrique australe. Au début de la longue vague de VIH/sida, les pays devraient en prendre note et agir résolument avant qu’il ne soit trop tard.

Malgré son impact dévastateur, le VIH/sida peut ne pas fi gurer à l’ordre du jour des débats sur la politique de santé, généralement monopolisée par de violentes perturbations et par les réponses humanitaires. La compartimentation du secteur de l’aide facilite cette surveillance.

La possibilité que le sida constitue un terrain favorable à des bouleversements politiques a été soulevée avec insistance dans le secteur de la sécurité (Chemical and Biological Arms Control Institute/Center for Strategic and International Studies, 2000 ; Elbe, 2002). L’argument a une logique implacable : un État dont la base de recettes est affaiblie et écornée par les soins à apporter aux malades, l’enterrement des défunts et le remplacement des pertes, les rangs de ses forces de sécurité étant décimés, sera plus facilement victime des auteurs de violences, dont l’émergence est encouragée par la détresse sociale.

Néanmoins, « … la surmortalité liée à l’épidémie est d’une ampleur similaire à celle qu’a connue la France durant la première guerre mondiale, une expérience qui a traumatisé ce pays […] Pourtant, l’Afrique australe et l’Afrique orientale ne sont pas traumatisées […], la vie continue de façon étonnamment normale. Pas de paranoïa et à peu près pas de nouveau culte religieux ou de la mort. » (Caldwell, cité dans de Waal, 2006). La résilience de ces systèmes politiques et sociaux africains est surprenante : malgré la gravité de la crise et son large impact, aucune conséquence politique grave ne s’est encore fait jour. La crise a été absorbée. En revanche, on ne sait pas si cette capacité à absorber des chocs d’une telle ampleur s’explique par la résilience ou, à l’inverse, par une incapacité persistante, qui fait que ces systèmes sont déjà inaptes à honorer leurs fonctions de gouvernance de base (voir de Waal, 2006).

3 En Afrique subsaharienne, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à être infectées, et elles le sont plus jeunes. Par conséquent, le sida fait davantage de victimes chez les femmes que chez les hommes.

Annexe 4

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122 Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes

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nexe 4

La relation entre VIH/sida et confl it fait l’objet d’études dans plusieurs contextes. Des données émanant d’Ouganda laissent à penser que l’armée est un vecteur important de l’infection (Smallman-Raynor et Cliff, 1991). En Guinée-Bissau, durant la guerre d’indépendance, la diffusion du VIH-2 a spectaculairement progressé parmi les soldats portugais et la population locale. Au Mozambique, les réfugiés de retour chez eux et qui avaient contracté l’infection dans un pays voisin ont contribué à un essor dramatique de la prévalence après guerre.

Cependant, il serait erroné de comprendre le confl it comme synonyme de la diffusion du VIH. Une analyse critique des données disponibles remet en cause le lien précédemment admis entre violence et transmission accrue du VIH. Spiegel et al. (2007) « n’ont pas trouvé assez de données pour étayer les hypothèses selon lesquelles le confl it, le déplacement forcé et les viols à grande échelle induisent une prévalence accrue ou que les réfugiés répandent l’infection à VIH au sein des communautés hôtes ». Strand et al. (2007) ont relevé les taux de prévalence en Afrique subsaharienne durant la décennie 1991-2000, par rapport aux niveaux de confl its armés (estimés au moyen d’un indice combinant la gravité et la durée de chaque confl it) ; ils ont constaté une relation inverse relativement forte. Par conséquent, la violence pourrait réduire la transmission du VIH.

En réalité, après des guerres longues et ravageuses, l’Angola, la République démocratique du Congo, la Sierra Leone et le Sud-Soudan affi chent des taux de prévalence moins élevés qu’attendu. Parce qu’elle isole les communautés et réduit les mouvements transfrontières, la guerre ralentit probablement la diffusion du virus (Spiegel, 2004). Au Cambodge, l’épidémie a commencé lorsque le pays est sorti de son isolement au début des années 1990, avec l’arrivée massive de forces de maintien de la paix des Nations Unies. Aucune relation de cause à effet n’a été établie, mais l’association temporelle est claire.

À l’évidence, les généralisations ne sont pas corroborées par les faits. L’effet net des violences de longue durée sur la transmission du VIH est fortement lié au contexte et dépend de plusieurs facteurs, notamment :

• la prévalence du VIH avant le confl it dans la communauté affectée

• le stress induit et l’ampleur des déplacements

• la prévalence du VIH dans la communauté hôte

• la perturbation du tissu social induite par le confl it

• l’interaction entre les victimes de guerre et le reste de la population

• le niveau de violence atteint

• les pratiques des belligérants

• la réponse humanitaire à chaque crise

• les stratégies d’adaptation des individus et communautés victimes du confl it.

Étant donné que les facteurs en jeu diffèrent d’un confl it à l’autre, il est diffi cile de prévoir l’impact qu’aura in fi ne la violence sur l’épidémie de VIH/sida. Lorsque le virus est déjà présent, la concentration de personnes déplacées dans les zones urbaines ou les camps peut en intensifi er la transmission. Le boom économique post-confl it peut également accroître la diffusion du virus. L’intervention d’armées étrangères dans un confl it, en tant que parties au combat ou forces de maintien de la paix, joue un rôle crucial dans la propagation de l’infection dans deux directions : du pays d’origine vers le pays en confl it ou vice versa, lorsque les soldats retournent chez eux.

En particulier, les confl its brutaux où de nombreuses femmes se font violer (ce qui accroît le risque de transmission), l’infection peut être disséminée au-delà de l’association habituelle entre soldats et professionnels du sexe. Cependant, « il n’existe aucune donnée prouvant que les viols augmentent la prévalence de l’infection à VIH au niveau de la population » (Spiegel et al., 2007).

Les transitions de la guerre à la paix, combinant des opportunités d’exposition plus nombreuses à une vulnérabilité accrue en raison du stress cumulé, peuvent fortement accélérer

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Annexe 4 Le VIH/sida et les confl its 123

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nexe 4

la transmission. En conséquence, il faut lancer des interventions de lutte vigoureuses à la fi n d’un confl it, ou même plus tôt si des opportunités se présentent. Jusqu’à présent, la plupart des opportunités offertes par le processus de paix ont été manquées. Pour un examen complet des relations entre confl it et VIH, voir Mock et al. (2004).

On ne connaît pas la véritable prévalence de cette maladie dans la plupart des pays en crise. Les données disponibles peuvent provenir d’un nombre restreint d’études menées dans des environnements à haut risque, comme les zones urbaines, les corridors de transport ou les zones sécurisées (où la présence militaire est donc signifi cative). Dans ces cas, elles peuvent transmettre une image fausse de la situation générale. Il convient donc d’examiner de près la localisation désagrégée des estimations de la prévalence. Ce n’est que si l’on connaît grosso modo la proportion de la population totale qui vit dans un environnement à haut risque et que l’on établit quelques estimations d’un environnement à faible risque que l’on pourra procéder, sous toute réserve, à une estimation approximative mais éclairée pour la population totale. Dans les pays où les troubles sont graves, il est rare de réunir ces conditions. Partant, les chiffres locaux de la prévalence doivent être présentés comme tels et ne pas être généralisés à l’ensemble de la population, comme c’est souvent le cas de facto. Lors de confl its régionaux caractérisés par de vastes mouvements de population au sein même des pays et transfrontières, l’occurrence de la maladie peut changer rapidement et considérablement. Le concept même de prévalence nationale devient douteux dans ce contexte.

Toutefois, un schéma clair se dégage. Les pays sortant d’un long confl it et qui sont parvenus à mener une vaste enquête aléatoire sur la population ont constaté des niveaux de prévalence du VIH nettement inférieurs à ceux précédemment enregistrés (d’après les estimations provenant d’un échantillon de femmes enceintes bénéfi ciant de soins anténatals).

PaysPrévalence du VIH

mesurée par les EDS d’après les estimations précédentes

Cambodge 0,6 % (2005) 3,7 %

Congo (République démocratique)

1,3 % (2007) 4-5 %

Haïti 2,2 % (2005-6) > 5 %

Libéria 1,5 % (2007) 5,7 %

Rwanda 3,0 % (2005) 5,1 %

Source : Enquêtes démographiques et de santé (EDS) : www.measuredhs.com

Dans les situations où la prévalence du VIH est élevée, la maladie a diverses incidences sur le secteur de la santé :

• Elle augmente la demande de services de santé, en volume aussi bien que sur le plan technique. Le rapport personnel soignant/patients hospitalisés peut s’alourdir signifi cativement. Le coût de traitement d’un patient augmente substantiellement. Les malades du sida peuvent évincer d’autres malades, pour qui il devient alors impossible d’obtenir un traitement. L’écart entre l’accroissement de la demande potentielle de traitement et le niveau stable voire en diminution de la capacité de riposte des secteurs de santé en crise peut se creuser, sans qu’il en soit fait état. Lorsque les données primaires le permettent, l’étude de cet écart peut donner des indications précieuses aux décideurs.

• Elle augmente le volume de médicaments consommés et impose la prescription de médicaments plus onéreux. La déréglementation du marché des médicaments, courante en cas de troubles, implique la libre circulation d’antibiotiques et d’antirétroviraux, et l’on peut prévoir les effets sur l’effi cacité de ces traitements.

• En attirant les cadres les plus qualifi és, les interventions sur le VIH/sida, bien pourvues en ressources, affament les autres services, dont les capacités sont rares.

• Elle augmente la diffusion de la tuberculose, ce qui multiplie le nombre de patients à soigner. Dans les contextes où la prévalence du VIH est élevée, la tuberculose peut être deux à trois fois plus courante qu’en l’absence de VIH.

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124 Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes

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• Elle multiplie les décès chez les agents de santé et réduit leur productivité lorsqu’ils sont encore actifs. Dans un pays où la prévalence est stable à 5 %, on peut s’attendre à une surmortalité de 0,5-1 % chez les agents de santé. Lorsque la prévalence est très élevée, la perte supplémentaire d’effectifs peut s’établir entre 3 et 7 % (Banque mondiale, 1999).

• Elle accroît la demande de soins à domicile, que de nombreux secteurs de santé ne sont pas à même de fournir.

• Elle accroît la demande de nouveaux agents de santé qualifi és, qui doivent être formés à traiter des situations plus complexes et à combler des pertes dues à la surmortalité chez le personnel de santé. Le renforcement de la formation implique des coûts supplémentaires.

Tous les facteurs convergent vers une hausse substantielle des coûts de fonctionnement aussi bien que des besoins de capitaux dans le secteur de la santé. Cette explosion des coûts survient parallèlement à une contraction économique générale, qui sape le fi nancement du secteur public, et à une hausse spectaculaire de la proportion de personnes dépendantes, ainsi qu’à un appauvrissement de la population affectée, qui n’est pas à même de supporter la totalité des coûts de traitement. Le pays peut entrer dans un piège inexorable, une spirale infernale où se succèdent crise économique, épuisement des mécanismes d’adaptation, contraction démographique, accentuation de l’appauvrissement et réduction des capacités de lutte contre la maladie.

L’inquiétude que cause la maladie engendre une hausse frappante des ressources consacrées à la lutte contre celle-ci. Des organismes donateurs et fondations caritatives ont mis à disposition un volume considérable de fonds, déboursés via une multitude de canaux. Dans de nombreux cas, les projets semblent être le principal moyen adopté. Puisque les fonds alloués à la lutte contre le VIH ne sont pas tous des fonds additionnels, il existe un risque réel de voir s’amenuiser les ressources affectées au soutien d’autres interventions sanitaires importantes. C’est sans doute une ambition vouée à l’échec que de vouloir reconstruire un secteur de la santé sur une base saine en présence d’entrées massives de fonds destinés à la lutte contre le sida, pour l’essentiel déboursés par une multitude d’ONG étrangères, compte tenu des contraintes d’absorption qui risquent d’affecter les institutions locales.

Ce que l’on appelle l’« AIDS exceptionalism » (l’exception que constitue le sida) a suscité des inquiétudes : trop d’argent est consacré au VIH/sida par rapport aux autres maladies, et il est utilisé de manière ineffi ciente, et parfois contre-productive (England, 2007). Dans les environnements déchirés par la guerre, où d’autres services de santé sont déjà très rares, il est fl agrant que le choix des mesures de lutte contre le sida présente un coût d’opportunité élevé. On s’interroge aussi sur la faisabilité d’apporter des soins permanents relatifs au sida dans des environnements où les mouvements de la population, qui cherche à éviter la violence, sont fréquents et imprévisibles.

Le VIH/sida réduit à néant l’ancien concept véhiculé par des soins de santé primaires, à savoir les soins simples et bon marché. Néanmoins, dans les environnements où la prévalence est forte, la prestation de soins de santé à ces patients doit devenir partie intégrante des services de base. En revanche, on ne sait pas bien comment parvenir à la modernisation nécessaire des services de santé dans des contextes où les ressources sont rares. La littérature ne fait pas encore apparaître de changement de paradigme dans les modèles sanitaires, bien qu’il soit incontournable. Si ce changement est repoussé, le prix à payer sera la diminution progressive de la couverture par les services de base. Dans les pays où les ressources et les capacités font gravement défaut (et c’est souvent le cas dans les secteurs de la santé perturbés), la poursuite des ripostes opérationnellement exigeantes et non rentables ne peut qu’induire une limitation de l’accès aux soins de santé, aussi bien généraux que liés au sida, et une montée des inégalités. Malgré l’augmentation récente des ressources disponibles, due à des fl ux d’aide et à des dons de médicaments, l’engorgement des capacités qui touche tant de secteurs de santé meurtris par la guerre risque fort d’entraver la fourniture de soins de santé de base pour une très longue période.

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Annexe 4 Le VIH/sida et les confl its 125

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Annexe 4

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126 Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes

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Notes :