modes musicaux (universalis).pdf

16
LES MODES MUSICAUX

Upload: nicolas-martello

Post on 11-Oct-2015

227 views

Category:

Documents


1 download

TRANSCRIPT

  • LES MODES

    MUSICAUX

  • IntroductionQu'est-ce qu'un mode ? Il est difficile, sinon impossible, de trouver pour ce terme une dfinition simple, prcise, correcte et qui convienne tout le monde. Jacques Chailley, dans son tude intitule L'Imbroglio des modes, a bien soulign que la notion de mode n'est pas une notion, valable pour tous les temps et tous les pays. Elle s'est transforme au cours des sicles de telle manire qu'on ne peut la dfinir qu'en fonction de l'poque et du lieu o on l'examine. L'auteur a pass en revue toutes les conceptions de modes depuis l'Antiquit grecque jusqu' nos jours, en passant par le Moyen ge et la Renaissance et en voquant le rga hindou et le maqm arabe, qu'il a classs dans la catgorie des modes formulaires . On se rfre ici cet ouvrage pour tout ce qui concerne le concept des modes en Occident. En Asie et en Afrique, les musicologues ont souvent utilis le terme de mode pour dsigner les tiao chinois, les ch japonais, les jo corens, les diu vietnamiens, les rga hindous, les dastgh ou avz persans, les maqmt arabes, les bhur maures. On essaiera de souligner les analogies et les caractres diffrentiels que peuvent prsenter ces concepts, afin de retenir un certain nombre de critres susceptibles d'aider dfinir la notion de mode, telle qu'elle est sentie par les musiciens d'Asie et d'Afrique.

  • Le mode en OccidentSuivant un ordre chronologique, Chailley distingue : Le mode formulaire (rga hindou, maqm arabe, musique religieuse byzantine, plain-chant primitif, les harmonies grecques ). C'est un ensemble complexe qui comporte une chelle caractristique, mais souvent aussi et surtout un ensemble de conventions permettant de l'identifier facilement. Le mode systme, dont les structures sont fondes sur une srie de points d'appui , de bornes relativement fixes dlimitant des groupes de notes mobiles (nuances et genres de la musique grecque). L'octave est considre comme un systme multiple form de la runion (harmonie) de systmes unitaires (systme multiple d'Aristoxne). Le mode systme unitaire, base de la conception mdivale, qui comporte des ttracordes dont

    l'un prend la prminence sur l'autre (conception byzantine, adopte en Occident au ixe sicle, des

    authentes et des plagaux).

    Les modes ecclsiastiques (qu'on appellera grgoriens la fin du xixe sicle), avec le

    dveloppement de la notion de finale, mais l'ide de juger un mode d'aprs sa finale n'est

    formule avec nettet qu'au xie sicle (Guy d'Arezzo).

    En mme temps se dveloppe la notion de teneur (dominante au xviie sicle), qui n'est pas

    toujours la quinte de la tonique (5te pour les modes authentes, 3ce ou 4te pour les modes plagaux).

    La notion d' octave modale , qui n'apparat pas avant le xie sicle, est une rationalisation

    arbitraire de diagrammes .

    Vers le xiie sicle, le dveloppement de la polyphonie modifie la conception des intervalles. Du

    xiiie au xvi

    e sicle, l'importance de la mdiante entrane la ruine dfinitive du systme

    ttracordal .

    Au xvie sicle, les modes du plain-chant, encore enseigns, ne sont plus qu'une survivance

    livresque . Ces modes, que Chailley appelle tons de transition entre modalit et tonalit , avaient conserv leurs noms anciens. En fait, il n'y a plus alors que deux modes : le majeur et le mineur. La conception du mode comporte, selon Chailley, les notions suivantes : choix d'une octave type, unit fondamentale ; tonique, identifie au premier son de l'octave type ; hirarchisation des autres degrs sur le plan harmonique par rapport la tonique : dominante, etc. ; identit de fonction de tous les sons reproduisant une octave quelconque un des sons de l'octave type ; indiffrence la hauteur absolue, l'ambitus, l'octave employs, aux tournures mlodiques utilises. Le mode qui dsigne l'heure actuelle une certaine succession d'intervalles dans une octave type, prise de tonique tonique, n'est pas une simple chelle. Il doit tre dfini par d'autres critres.

  • Le mode en Asie et en Afrique

    O trouver des modes ? La notion de mode n'existe pas dans tous les pays d'Asie et d'Afrique. David Morton et Jacques Brunet, respectivement spcialistes de la musique de Thalande et de celle du Cambodge, n'ont trouv dans ces pays rien qui puisse tre compar un mode. Dans l'tat actuel de la documentation, la mme remarque peut tre faite pour ce qui concerne la musique de plusieurs pays du Sud-Est asiatique : Birmanie, Laos, Malaisie, Philippines. Java, le patet tudi par Mantle Hood est considr par l'auteur comme un mode. Les cinq tiao (kong, chang, kio, tche, yu), cits souvent par les Occidentaux comme les cinq modes, ne sont en fait que des aspects d'octave de l'chelle pentatonique sans demi-tons. C'est--dire que, sur chacun des degrs de la gamme pentatonique (fa, sol, la, do, r), on forme un mode, soit : sol, la, do, r, fa la, do, r, fa, sol do, r, fa, sol, la r, fa, sol, la, do. Il en est de mme pour les jo corens et les ch (ou sempo) japonais. Les diu vietnamiens sont bien des modes car, en dehors des chelles, ils prsentent d'autres particularits comme la hirarchie des degrs, l'thos des modes. Lorsqu'on considre les notions de rga (Inde), dastgh ou avz (Iran), maqm (pays turco-arabes, y compris ceux de l'Afrique du Nord, de l'gypte), on est en prsence de modes prsentant certains caractres communs et d'autres propres chaque concept. Dans des pays africains islamiss, en dehors du Maghreb et de l'gypte, en Mauritanie par exemple, Charles Duvelle et Michel Guignard ont trouv les modes dans les notions de el-bhar.

    Caractres fondamentaux Prenant comme exemples le rga (Inde), le dastgh ou avz (Iran) et le maqm (pays arabes, Turquie), on tudiera leurs caractres spcifiques, afin d'en dgager les critres principaux communs ces trois notions et les critres secondaires propres chacune d'elles. Ensuite, on cherchera si les autres notions de mode qui ont t mentionnes ci-dessus peuvent tre dfinies par les critres retenus.

    Premier caractre : il existe, dans tous les cas, une chelle modale dtermine, avec une structure particulire

    Pour le rga

    Cette chelle, avec un minimum de cinq notes les rga trois ou quatre sons sont des exceptions , prsente une pente ascendante roha qui peut tre semblable la pente descendante avahora (par exemple, pour le rga Bhpali : roha : sa ri ga pa dha sado r mi sol la do avaroha : sa dha pa ga ri sado la sol mi r do) ou en tre diffrente (par exemple, pour le rga Bihga : roha : sa ga ma pa ni sa do mi fa sol si do avaroha :

    " Les sept svara de l'chelle n'ont pas de hauteur absolue et ne correspondent pas aux sept notes de la gamme tempre. L'octave est divise en vingt-deux shruti ingaux, un shruti tant un intervalle infrieur un demi-ton, mais ne correspondant pas ncessairement au tiers ou au quart de ton. Dans la tradition de l'Inde du Nord, les chelles sont classes en dix principaux types appels tht (selon Pandit Bhatkhande). Le tableau montre les cinq caractres secondaires suivants :

  • $ That de l'Inde du Nord tabl. 1 chelle des dix that traditionnels de l'Inde du Nord

    La note de base sa considre comme la tonique, ainsi que la note pa qui est la quinte de sa, ne peuvent tre altres et sont toujours prsentes dans la grande majorit des rga. Lorsque le pa est absent, le ma (4te au-dessus de sa) doit tre prsent ; par exemple, l'chelle du rga Malkaus est la suivante : sa ga ma dha ni sa (do mi fa la si do). La note ma peut tre tivra (dise), les autres notes peuvent tre komal (bmolises). Comme la note sa doit tre constamment entendue pendant l'excution musicale, chaque note joue ou chante forme avec le sa un intervalle variable ; on entend assez souvent l'intervalle de quarte augmente, ce diabolus in musica. La structure des chelles dans la musique de l'Inde du Nord est la suivante dans la majorit des cas : $ mais on rencontre aussi la structure :

    $ Dans la tradition de l'Inde du Sud, les rga, dont les chelles ont sept notes avec des pentes ascendantes et descendantes semblables, sont classs en soixante-douze types diffrents : les soixante-douze melakarta. Il existe deux grands groupes : Purva melakarta , avec tous les rga dont le degr ma est shuddha (fa bcarre) ; Uttara melakarta, avec tous les rga dont le degr ma est prati (fa dise).

  • $ $

    $ $

    $ $

    Purva melakarta tabl. 2 Purva melakarta

  • Chaque groupe est subdivis en six sous-groupes appels chakra. Pour simplifier, on peut remplacer les notes : sa, ri, ga, ma, pa, dha, ni, sa, par : do, r, mi, fa, sol, la, si, do, avec bien entendu la rserve suivante : r, r, mi, mi, etc., n'ont qu'une valeur relative et n'indiquent qu'approximativement la hauteur des notes. Dans chaque chakra, on fait varier successivement les degrs ni (si), dha (la), ga (mi), ri (r). Le tableau des Uttara melakarta s'obtient en remplaant tous les shuddha ma (fa) par les prati ma (fa), pour aboutir trente-six autres chelles dont la structure est non plus : octave = ttracorde + ton + ttracorde des Purva melakarta, mais : octave = pentacorde + ttracorde. Dans ce tableau, on remarque que les chelles des 29

    e et 21

    e melakarta sont trs proches

    respectivement de la gamme majeure et de la gamme mineure de l'Occident. En omettant certains degrs, on obtiendra des rga cinq, six notes ; certains pourront avoir cinq notes dans la pente ascendante et six ou sept dans la pente descendante, ou inversement. La pente peut tre rectiligne (do, r, mi, fa, sol, la, par exemple) ou brise (do, r, fa, mi, sol, la, par exemple). Avec toutes ces possibilits, le nombre d'chelles modales des rga est trs grand.

    Pour le dastgh ou avz iranien, comme pour le maqm turco-arabe

    L'chelle modale doit avoir au moins sept notes : la musique populaire en Iran, en Turquie et dans les pays de tradition arabe utilise souvent les chelles pentatoniques, mais la musique de tradition savante ne connat que les chelles heptatoniques. On retrouve la distinction entre pente ascendante et pente descendante dans la notion du maqm, mais non dans celle du dastgh ou de l'avz. Les notes n'ont pas de hauteur absolue et ne correspondent pas celles de la gamme tempre. L'octave, selon les coles, peut tre divise en dix-neuf, vingt-deux, vingt-quatre ou vingt-sept intervalles. Mais le quart de ton, qui pourrait exister en tant qu'intervalle unitaire, n'est employ comme intervalle mlodique ni dans la musique iranienne, ni dans la musique arabe. En Iran, le r koron (r) et le mi koron (mi) sont d'un quart de ton plus bas que le r bcarre et le mi bcarre par exemple. Seulement, dans une chelle d'un dastgh, la prsence d'un r koron ou d'un mi koron entrane l'absence du r bcarre ou du mi bcarre et inversement. L'intervalle r koron-r bcarre, qui est gal au quart de ton, n'est pas utilis dans un dessin mlodique. L'intervalle do-r koron est gal aux trois quarts de ton et, entre le do et le mi koron, il existe une tierce appele neutre puisqu'elle se trouve entre la tierce mineure et la tierce majeure. L'intervalle de trois quarts de ton s'entend dans le dastgh de Shur (Iran) ou l'avz Abu-Ata (Iran) et la tierce neutre dans le dastgh de Segh (Iran) ou le maqm Rst (arabe). Les chelles des dastgh et avz peuvent tre ramenes cinq types ; ils sont indiqus dans le tableau d'aprs la thorie officielle admise en Iran.

    $ Dastgah et avaz iraniens tabl. 3 Les cinq types d'chelles des dastgh et avz iraniens

  • Ce tableau montre que les chelles heptatoniques sont constitues par l'adjonction de deux ttracordes : do-fa, sol-do, avec un ton disjonctif entre fa et sol. Dans certains dastgh (Mahur, Tchhargh, Segh), les deux ttracordes sont semblables :

    $ dans d'autres, ils sont diffrents (Shur, Homyun). Si l'on donne au premier degr des chelles des douze maqmt de base la hauteur d'un do pour avoir un lment de comparaison, on obtient les douze chelles du tableau (d'aprs Safyoddin cit par M. Barkechli et H. G. Farmer).

    $ Maqamat de base tabl. 4 chelles des douze maqamat de base.

    On remarque galement la structure des chelles obtenues par adjonction de ttracordes : par disjonction, avec entre eux un ton disjonctif, par exemple (Naw) : $ (les ttracordes sont dans la majorit des cas dissemblables) ; par conjonction, sans ton disjonctif entre eux (adjonction de deux ttracordes semblables), par exemple (Abosalik) :

  • $ par conjonction, adjonction de deux ttracordes dissemblables, par exemple (Zangoleh) :

    $ Les quarts de ton n'existent pas en tant qu'intervalles mlodiques. Par contre, l'intervalle de trois quarts de ton se rencontre dans les chelles de : Irq, Buzurg, etc. (do r ), et la tierce neutre dans les chelles de : Rst, Isfahn, Zangoleh (do mi ). Dans toutes ces chelles, les sept degrs n'ont pas la mme importance.

  • Deuxime caractre : il existe une hirarchie entre les degrs des chelles

    Pour le rga

    Le degr le plus important est le degr fondamental qui joue le rle d'une tonique : c'est la note sa, toujours prsente dans une excution, et qui est donne par trois des quatre cordes du luth d'accompagnement (tamboura), par les cordes chikari des sitar et sarod (luths en usage dans l'Inde du Nord), par les cordes de tla de la vn (luth de l'Inde du Sud), ainsi que par le tabla, tambour de droite de la paire de tambours en usage dans l'Inde du Nord. Puis viennent deux autres degrs distants entre eux d'une quarte ou d'une quinte : le vdi et le samvdi. Le vdi (ou parlant), appel parfois degr roi , occupe une place importante dans l'image de chaque rga ; il est souvent prsent, accentu et trs orn ; autour du vdi se tissent les phrases mlodiques du rga. Le samvdi joue le mme rle que le vdi dans l'autre ttracorde. Dans le rga Bilwal, le vdi est le dha (la) et le samvdi le ga (mi). Dans le rga Bhairava, le vdi est le dha komal (la) et le samvdi le ri komal (r). La plupart des degrs ne changent pas, mais certains sont variables : c'est le cas du degr ri dans le Bhairav, du degr ma dans le Bihga : Bhairav :

    $ Bihga :

    $

    Pour le dastgh

    Le degr le plus important n'est pas le degr fondamental de l'chelle ayant une valeur de tonique. C'est plutt le shahed ou degr tmoin, souvent prsent, accentu et trs orn, autour duquel se tisse la mlodie des gusheh, squences mlodiques dont l'ensemble, class dans un ordre de succession dtermin, constitue le dastgh ou l'avz. Le shahed peut tre confondu avec la tonique (dans le Shur, le Mhur) ou en tre distinct (dans le Dashti, par exemple). Puis viennent deux autres degrs : l'un est variable (moteghayer) et l'autre sert de note d'arrt (ist) sur laquelle la mlodie s'interrompt momentanment. Dans presque toutes les chelles, le premier degr (do) et les deux autres degrs qui se trouvent la quarte (fa) et la quinte (sol) ne sont pas altrs. Le deuxime degr n'est pas bmolis, mais est abaiss d'un quart de ton (r koron) dans les chelles de Shur, Segh, Tchhargh, Homyun. Les autres degrs peuvent tre abaisss d'un demi-ton ou d'un quart de ton.

    Pour le maqm

    Le degr fondamental, le plus important, joue le rle de tonique, moins importante que la tonique dans le rga indien, mais plus importante que la tonique dans le dastgh. La tonique est en mme temps la note d'arrt et la note finale. Elle peut tenir lieu de note initiale. Certains degrs sont plus frquemment utiliss et, quoique dpourvus de noms spcifiques, jouent peu prs le mme rle que le vdi pour le rga et le shahed pour le dastgh. Selon le Dr Habib Touma, les notes qui forment l'axe mlodique autour duquel se dveloppe la mlodie peuvent tre considres comme notes prdominantes. Par exemple, dans l'chelle du maqm Bayati (r, mi, fa, sol, la, si, do, r), les notes r, fa, sol sont les plus importantes.

  • Troisime caractre : il existe pour chaque mode une formule mlodique caractristique

    Pour le rga

    Chaque rga est caractris par un ou plusieurs pakad, formules qui permettent l'auditeur de le reconnatre. Certains pakad ont seulement trois notes :

    $ Souvent ils ont quatre, cinq notes, ou davantage :

    $ Pour chaque rga, il existe une phrase mlodique que le musicien doit avoir prsente dans l'esprit lorsqu'il improvise : c'est le rga rpa. Le pakad nous permet de saisir un rga, le rpa nous en donne l'image. Les rga Djanpuri Tod et Darbari Knad ont la mme chelle, mais leurs rpa sont diffrents.

    Pour le dastgh

    Le darmad (littralement : ouverture), qui donne la notion de chaque dastgh, est une squence mlodique permettant l'auditeur de reconnatre les dastgh. Il existe galement un certain nombre de motifs mlodiques qui sont particuliers chaque dastgh. Les dastgh Mhur et Rstpandjgh ont la mme chelle. Mais le motif mlodique appel parvni, particulier au Rstpandjgh, comme le forud, motif mlodique servant de conclusion, permettent l'auditeur de reconnatre le Rstpandjgh et ne pas le confondre avec le Mhur.

    Pour le maqm

    Habib Touma ne croit pas l'existence d'une formule mlodique pour le maqm, mais, selon Amnon Shiloah, il existe pour chaque maqm non seulement une formule mlodique mais encore une formule rythmique particulires. L'tat actuel de la documentation ne permet pas encore de prendre parti pour l'une ou pour l'autre hypothse.

  • Quatrime caractre : un sentiment modal (thos) est li chaque notion de mode

    Pour les rga

    Ce sentiment est trs dvelopp. A chaque rga correspondent une heure d'excution, une saison, un lment ou un sentiment particuliers : par exemple, les rga Lalit, Bhairav, Tod se jouent le matin ; les rga Purvi, Piloo, le soir ; les rga Malkaus, Bihga, la nuit ; le rga Hindol se joue au printemps ; le rga Dipak est le rga du feu, le rga Megha celui de la pluie ; le rga Bhairav exprime la tendresse, une certaine mlancolie, et le rga Yaman Kalyan, une joie paisible.

    Pour les dastgh

    L'heure d'excution n'est pas importante, mais le caractre expressif est indniable. Selon Dariouche Safvate et Nelly Caron, le Shur est propice l'expression de la tendresse, de l'amour, de la piti ; le Segh exprime la douleur, le chagrin, aboutissant finalement l'esprance ; le Tchhargh dgage une impression de force ; le Mhur exprime la dignit et la majest .

    Pour les maqmt

    Les artistes avaient coutume, en Andalousie, de consacrer un maqm bien dtermin chacune des parties de la journe, selon Salah el-Mahdi. Le maqm Ramel El Maya n'tait jamais chant que le matin et en fin d'aprs-midi. Les Frres sincres, cits par J. Rouanet, ont parl des airs de musique, surtout ceux appels al mohazen : les tristes, de ces chants qui attendrissent les curs, font pleurer les yeux . Selon Rouanet, le maqm Rst provoque la joie, le Ochq la peur, l'Aoudj la jubilation, etc.

  • Caractres secondaires En dehors de ces quatre caractres fondamentaux, les modes prsentent d'autres caractres secondaires, qui sont accentus dans certains concepts de modes et absents dans d'autres. On citera notamment : les ornements spcifiques, la dure des notes appuyes et des silences.

    Les ornements spcifiques

    L'ornementation comme l'improvisation sont trs labores dans toutes les musiques. Mais il existe des ornements facultatifs, que l'on peut ou non utiliser, et d'autres qui prsentent un caractre obligatoire. Miss Puri, dans une srie d'exemples, a montr que les ornements pour les notes dha, ga, ri, des rga Bhpli et Deshkar sont diffrents et ne peuvent tre utiliss les uns pour les autres. Dans la musique vietnamienne, le degr h (do) doit tre jou sans ornement dans le mode Nam, et peut tre orn comme suit :

    $ dans le mode Xun ou le mode Bc. De mme, le degr xang (fa), selon les modes, doit tre orn diffremment :

    $

    La dure des notes appuyes et des silences

    Il n'existe pas de rgles explicites. Mais les musiciens reconnaissent que certaines notes de l'chelle doivent non seulement tre accentues mais peuvent avoir une longue dure, alors que si l'on s'attarde sur les notes peu importantes, on dtruit le sentiment du mode. De mme, la dure des silences entre les phrases musicales d'une improvisation est dtermine par le got, mais aussi par la tradition. Au nombre des caractres secondaires, on peut encore citer l'importance du registre, le tempo employ couramment, etc.

    Les modes du Vietnam, de la Mauritanie et de l'Indonsie

    Si l'on examine toutes les notions de mode prcites la lumire des critres retenus, il apparat que les tiao chinois, les ch japonais, les jo corens n'ont qu'une chelle, organise d'une certaine faon, une hirarchie des degrs (le degr kong en Chine, ky au Japon, kung en Core est fondamental et plus important que les autres). Mais il n'existe ni formule mlodique, ni sentiment modal caractris. On ne peut parler de mode dans le sens oriental du terme propos de ces notions. Mais les diu vietnamiens, les bhur (pluriel de el-bhar) de Mauritanie, les patet indonsiens prsentent les caractres fondamentaux des modes.

  • Ils ont tous : une chelle particulire, une hirarchie des degrs, une formule mlodique, un sentiment modal.

    Diu vietnamiens, bhur mauritaniens et patet indonsiens tabl. 5 chelles particulires des diu vietnamiens, des bhur mauritaniens et des patet indonsiens

    Une chelle particulire

    Dans le cadre de cet article, on ne peut mentionner toutes les chelles des diffrents diu vietnamiens, des bhur de Mauritanie, ni les diffrentes organisations des chelles slendro et plog selon les patet. On ne peut non plus souligner les particularits des structures de ces chelles avec, comme dans la tradition vietnamienne, l'importance des degrs d'appui. Il s'agit seulement de montrer que les notions de mode peuvent tre dfinies dans leurs grandes lignes par quatre critres principaux.

    Une hirarchie des degrs

    Dans le diu vietnamien, le h (do), degr fondamental, est le plus important. Viennent ensuite les degrs xang (fa) et x (sol). Dans certains diu, ce sont les degrs sur lesquels se repose ou s'arrte la mlodie qui ont une importance. Dans la musique de Mauritanie, la tonique est trs importante, au point qu'un auditeur averti doit la fredonner pour marquer son approbation. Elle ne change pas au cours d'un concert, comme cela se passe dans la musique indienne. Dans la musique indonsienne, c'est le degr central, le dasar, qui est le plus important.

    Une formule mlodique

    Dans le diu vietnamien, certaines tournures ou dessins mlodiques sont propres chaque diu. Mais ce sont surtout des ornements spcifiques qui caractrisent les diu. Dans la musique de Mauritanie, il existe des motifs mlodiques (raddt) comparables au parvni ou aux motifs utiliss pour certaines conclusions (forud) dans la musique iranienne, ainsi qu'aux pakad de la musique de l'Inde. La squence mlodique (eswar) ressemble au gusheh de la musique iranienne. Il existe dans la musique indonsienne, dans celle de Java tout au moins, une sorte de schma mlodique appel par Mantle Hood nuclear theme (noyau mlodique) ou fixed melody (mlodie fixe), qui caractrise chaque patet.

  • Un sentiment modal

    Dans la musique vietnamienne, le diu Bc exprime la joie, le diu Nhac la solennit, le diu Xun la srnit, le diu Ai On la tristesse. Dans la musique de Mauritanie, le Karr exprime le plaisir, la joie ; le Fgu la fiert ou la colre ; le Khl et le Byd la tristesse et le-Btayt la nostalgie. Les patet indonsiens ne sont pas lis la notion d'thos, mais l'heure d'excution des patet est souvent prise en considration, car certains d'entre eux doivent tre excuts avant un spectacle de thtre d'ombres, d'autres pendant et d'autres aprs. En conclusion, l'chelle modale constitue un lment ncessaire mais non suffisant pour dfinir la notion de mode. D'autres critres, comme la hirarchie des degrs, l'utilisation d'une formule mlodique, l'existence d'un sentiment modal plus ou moins dvelopp, doivent tre pris en considration. Tous les concepts de mode comportent ces quatre critres fondamentaux, auxquels il faudrait ajouter l'utilisation des ornements spcifiques, la dure et l'accentuation de certains degrs ou des silences, l'utilisation de certains registres. Ce sont l les critres du concept de mode. Pour ce qui est de la ralisation, du dveloppement du mode, les musiciens de diverses traditions indienne, iranienne, turque, arabe, vietnamienne ou maure suivent peu prs le mme processus : exposition dans un rythme libre et un tempo modr des lments essentiels du mode, avec utilisation des formules servant de signature au mode ; prsentation des degrs de l'chelle dans un ordre ascendant ou quelquefois descendant ; mise en valeur de chacun des degrs, avec accentuation sur les degrs prdominants (vdi, shahed, etc.) ; changement de rythme (rythme libre, rythme caractris, rythme cyclique, etc.) ; changement de tempo ; variation mlodique et variation rythmique. Tout le dveloppement se fait par improvisation. Le contenu de tous ces termes : rga, dastgh, avz, maqm, diu, el-bhar, patet, etc., est si complexe qu'il semble prfrable de garder les noms vernaculaires sans essayer de les traduire par le mot mode , et d'viter de les comparer aux modes ecclsiastiques, encore moins aux modes majeur et mineur de la musique occidentale.

    TRAN VAN KH

  • Bibliographie M. Barkechli, La Musique iranienne , in C. Roland-Manuel, Histoire de la musique, Encyclopdie de la Pliade, t. I, Gallimard, Paris, 1960, rd. 1973 N. Caron & D. Safvate, Iran, Buchet-Chastel, Paris, 1966 J. Chailley, L'Imbroglio des modes, A. Leduc, Paris, 1960 M. Courant, Essai historique de la musique classique des Chinois , in A. Lavignac, Encyclopdie de la musique, t. I, Delagrave, Paris, 1921 A. Danilou, La Musique de l'Inde du Nord, Buchet-Chastel, 1966, rd. 1985 M. Emmanuel, Grce , in A. Lavignac, Encyclopdie de la musique, t. I, Delagrave, 1921 G. H. Farmer, The Music of Islam , in The New Oxford History of Music, Oxford Univ. Press, Londres, 1957 O. Gosvami, The Story of Indian Music, chap. vi, Asia Publ. House, Bombay, 1957 M. Guettat, La Musique classique du Maghreb, Sindbad, Paris, 1980 M. Guignard, Musique, honneur et plaisir au Sahara, Geuthner, Paris, 1975 M. Hood, The Nuclear Theme as a Determinant of Patet in Javanese Music, J. B. Wolters, Groningen-Djakarta, 1954 K. Kumar, Classical Music of South India, Pendragon, Stuyvestant, 1987 W. P. Malm, Japanese Music and Musical Instruments, C. Tuttle, Tky, 1959 F. Picard, La Musique chinoise, Minerve, Paris, 1991 H. S. Powers dir., Eastern and Western concepts of mode , in Reports of the Twelfth Congress Berkeley, pp. 501-549, Kassel-Ble-Londres, 1977 J. Rouanet, La Musique arabe , in A. Lavignac, Encyclopdie de la musique, t. V, Delagrave, 1922 L. Rowell, Music and Musical Thought in Early India, Chicago Univ. Press, 1992 C. Sachs, The Rise of Music in the Ancient World, East and West, W. W. Norton, New York, 1943 P. Sambamoorthy, South Indian Music, t. II-III, Indian Music, Madras, 1968 A. A. Saygun, La Musique turque , in C. Roland-Manuel, Histoire de la musique, t. I, Gallimard, 1960, rd. 1973 A. Shiloah, Le Monde arabe et juif , in N. Dufourq, La Musique, les hommes, les instruments, les uvres, 2 vol., Larousse, Paris, 1965 Tanba A., La Thorie et l'esthtique musicales japonaises, Publ. orientalistes de France, Paris, 1988 H. Touma, Der Maqam Bayati im arabischen Taqsim, Philosophischen Fakultt der freien Universitt, Berlin, 1968 La Musique arabe, Buchet-Chastel, 1977 Tran Van Kh, La Musique vietnamienne traditionnelle , in Annales du muse Guimet, t. LXVI, P.U.F., Paris, 1962 Asia , in La Musica, Turin, 1966 S. P. Walton, Mode in Javanese Music, Ohio Univ. Center, Athens, 1987 H. Y. Yang, La Musique bouddhique en Core, Presses univ. de Soul, 1982 R. Yekta Bey, La Musique turque , in A. Lavignac, Encyclopdie de la musique, t. V, Delagrave, 1922 E. Zonis, Classical Persian Music, Harvard Univ. Press, Cambridge (Mass.), 1973.