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Renaissance 40 Km

Marcel Eugène Labroue

Mélimélo d’être

Roman

Mél

imélo

d’ê

tre

19.78 514196

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 254 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 19.78 ----------------------------------------------------------------------------

Mélimélo d’être

Marcel Eugene Labroue

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brou

e

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Préambule de l’auteur

Bon lecteur, longtemps j’ai caché ma minable écri-ture.

Un seul antidote : Ecrire. Mais pour écrire, il faut oser dire « je » et avoir un

regard global et synthétique source de lucidité donc de liberté.

Ecrire m’oblige à modifier mes repères, sociaux culturels habituels ; je ne m’adresse plus à moi-même ou à un interlocuteur familier proche, mais à des in-terlocuteurs imaginaires possibles ; c’est alors que mon illusion créatrice naît ou renaît, que mon imagi-nation est activée, réactivée, relancée.

Mon œil qui contrôle l’écrit s’enrichit de mes pre-miers lecteurs éventuels, même hypothétiques. Ma main qui écrit transforme mon être qui pense.

Auteur même modeste, je valorise mon ego et mon être supérieur, je pétris ma propre création illusoire ou réelle, tout humble qu’elle soit.

Mon travail de recherche et d’expression accompli, je deviens prétentieux et orgueilleux en pensant entrer dans l’univers de ceux qui sont immortels ; en effet,

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le doute subsiste… Qui connaît la destiné d’un récit ? Qui connaît le lecteur de la bouteille à la mer ?

Dans l’espoir d’un public, je me transcende et mes chevilles d’écrivaillon enflent et j’écrivaille vaille que vaille… Le Mélimélo d’être… Un bruit de bavardage d’être…

M.Eugene. LABROUE

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Roman dédié :

à Lionel à Marie mon épouse à Delphine, Mylène, Anne et Audrey à Lisa, Artèmis, Lou, Clément, Zacharie, Sasha,… à J.Pierre, Joachim, Olivier B., Olivier D. à mon frère à mes parents, ma grand-mère Augustine à toutes nos familles, aux Gignacois et amis du

Causse et d’ailleurs

Remerciements :

A Robert, François et Brigitte pour leurs conseils éclairés, à Joachim et aux Editions EDILIVRE.

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De mêler (d’où l’orthographe mêli-mêlo) ou mé-

langer (d’où méli-mélo) Le trésor de la langue Française informatisé le

donne comme une altération de pêle-mêle et souligne que melli-mello est attesté à la fin du 15e siècle comme onomatopée exprimant un bruit de bavardage

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1 Le choc, la rencontre

Elle stoppa la voiture – Descends, fous le camp… Achille se retrouva sur le trottoir. Il resta là planté regardant s’éloigner le véhicule à

l’angle d’une des rues piétonnes de la ville. Quelques passants circonspects tournèrent la tête.

Il n’y prêta pas attention dans sa rage d’être débarqué. Il s’assit sur une jardinière accolée à un jeune arbre. Une voix le surprit : – Eh ! Le bourge, tu t’es fait « largué » comme une

vieille chaussette ! Il ne perçut pas sur le moment d’où pouvait prove-

nir cette voix ricanante, arrogante, mais au ton ferme et juste. Il se retourna et ne vit aucun passant à proximité.

Il inhala une odeur de sueur et de suif aigre. Elle ne pouvait être que proche. Il baissa les yeux et aper-çut un feutre noir, mité et crasseux. Un homme était assis à même le sol contre la jardinière.

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– De quoi vous mêlez vous ? Occupez vous de vos affaires, je ne vous ai rien demandé, dit Achille.

– T’excite pas le largué, ça peut arriver à tout le monde. Comment t’appelles-tu ?

– Quelle importance pour vous ? – Quand on converse avec quelqu’un, il est normal

de décliner son nom ! Rétorqua le chapeau d’une voix douce.

Petit à petit, la colère d’Achille retombait, l’ouragan se calmait. Après la tempête, ses vague-lettes venaient mourir sur sa plage et pressentaient l’eau calme d’un étang.

Décidément, pensa Achille, je passe d’une agres-sion à une autre.

Il répliqua : – Et vous, comment vous appelez-vous, l’odorant ? – T’es pas tout à fait calmé, tu insinues que je

pue ? – Vous sentez comme la pupu. – Monsieur fait maintenant de l’esprit et me com-

pare à un oiseau. Eh ! Vas te faire foutre le largué. – Excusez-moi, mais je ne voulais pas vous bles-

ser. Alors comment vous appelez-vous ? – Méli. – Et toi ? – Mélo. – Tu te fous encore de moi. Elle ne te revient pas

ma gueule, c’est ça ? – Je ne la vois pas. On est dans le méli-mélo, les

bruits de bavardage d’être !… – Arrête ton char, connard de bourge.

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Mélo regarda les soubresauts du chapeau. Son in-terlocuteur riait à gorge déployée. Hésitant à se vexer il bascula lui aussi dans le rire. Il riait d’une manière gaie, mais rauque, presque furieuse.

– Ho là, votre nature revient au galop, répliqua Mélo.

– Qu’est-ce que tu en connais de ma nature, toi ? – Excusez-moi ! – Tu fais que t’excuser, je n’aime pas les mecs qui

n’ont que l’excuse à la bouche. Tu as du faire ça toute ta vie t’excuser !

– Peut-être, rétorqua-t-il. Achille était surpris par l’agressivité du Clodo. Méli objecta : – Quand on s’excuse, c’est qu’on à quelque chose

à se faire pardonner. – Certainement, mais pas toujours. On peut

s’excuser aussi pour avoir la tranquillité, la paix, quoi !

– La paix, mon cul, avec les excuses, tu ne gagnes que la guerre.

Achille répliqua : – En effet on peut considérer cela comme une

guerre, mais quelque peu larvée ; c’est difficile de vivre au quotidien avec quelqu’un.

– Parce que tu crois que vivre seul, c’est facile ? – Je ne sais pas, je n’ai jamais vécu seul. Méli fit remarquer sur un ton ironique : – Eh bé mon pote, tu as à apprendre pas mal de

choses ! – Certes, mais toi, connais tu véritablement la soli-

tude ?

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Achille venait de dire tu à son interlocuteur. Il s’en étonna. Habituellement il ne pratiquait pas le tutoie-ment avec des inconnus.

– Eh ! Mélo le largué, tu confonds solitude et soli-taire. Moi je suis solitaire, mais je ne suis pas dans la solitude. La solitude c’est le vide, c’est destructeur, la boule au ventre, là. Tu ne penses plus sereinement, tu n’as plus d’espoir en qui que ce soit, ni en quoi que ce soit, et tu n’as qu’une idée, c’est d’en finir avec elle. Tu sais, Desproges,… tu connais Desproges ?

Achille susurra hésitant : – L’amuseur public, enfin non je ne peux pas pré-

tendre le connaître, sauf pour l’avoir entendu dans quelques émissions de radio. Elles me semblaient à l’époque, assez inconvenantes, voire vulgaires.

– Tu es superficiel et inculte, tu ne connais pas la vraie nature des choses. Desproges a écrit beaucoup de textes pas cons du tout et pour en revenir à la soli-tude, il a écrit un petit récit sur sa rencontre avec la mort. Imagine un mec, un soir de Noël, par un temps brumeux et sombre qui donne le spleen, et rend mé-lancolique. Tu sais avec cette impression de solitude profonde, Eh ! bien, ce gars descend dans la rue pour acheter un paquet de clopes… Au fait, t’en aurais pas une clope ?

– Non, je ne fume pas. – Merde, j’en aurais bien fumé une petite… en-

fin…, ouais, il se retrouve dans la rue et là, sur le trottoir, il rencontre une fille, un canon, attirante à souhait. Elle propose qu’il la saute là, dans le cani-veau, le gars hésite à franchir le pas. Tous les ingrédients sont là pour que le mec passe derrière le rideau, mais après réflexion il dit à la mort, enfin à la belle femme, tu comprends ?

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Achille s’offusqua méprisant : – Même si je ne suis qu’un sale bourge pour toi,

j’arrive à comprendre quand même pas mal de choses !…

– Je vois ! Tu écoutes et tu es dans l’instant pré-sent, le Mélo s’éloigne. Bien, je te disais, après réflexion, le mec répond à la fille : « Vous êtes très attirante, mademoiselle ou madame la pute, mais ma femme et mes enfants sont en train de décorer le sapin de Noël. Alors, tout compte fait, je vais rentrer à la maison. » C’est pas beau ça ! Eh ! oui malgré la soli-tude, les habitudes, la mélancolie, les emmerdements, les engueulades, la merde quoi, « éh ben », il rentre à la maison.

– Tu as un foyer, toi ? questionna Achille. – Ma famille, c’est la rue, certains potes parfois as-

sez inintéressants, c’est aussi des passants qui s’arrêtent, qui me regardent sans se « tentaculer » à moi. J’évite les tentacules de la pieuvre qui enserrent et étouffent.

– Parce que toi tu n’as jamais été un tentacule pour les autres ?

– Oh ! si, mais c’était un autre temps ; ce qui fait foi à un moment ne l’est plus à un autre, ça fait partie de la vie, de la nature humaine et mon existence n’est pas une référence, excepté pour moi. On peut aimer « tentaculer » les autres et ne pas aimer cela pour soi.

Achille regardait Méli en surplomb, silencieux, il ne distinguait toujours que le dessus du chapeau et les épaules, il ne voyait pas son visage.

Dans sa position dominante, en observant plus at-tentivement, il vit un chien couché contre le flanc du SDF, poils ras et roux, certainement un bâtard. Une

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coupelle était posée près de l’animal, elle contenait quelques pièces de monnaie.

Achille fit le tour de la jardinière, vint se placer en face de Méli, posa dans la coupelle un billet de dix euros.

– Tu pourras acheter des cigarettes ! Sans regarder son interlocuteur Méli avança une

main, prit le billet et le mit dans sa poche. – Pourquoi ne le laisses tu pas dans ta soucoupe ? – Ah ! Ça t’intrigue ! Tu sais, quand on fait la

manche il faut montrer que l’on récupère peu d’argent pour en attirer plus. On apprend vite cela sur le trot-toir et puis ça évite des tentations aux petits chapardeurs.

Méli leva la tête en disant cela et pour la première fois Achille découvrit son visage.

Un visage mat et buriné par le temps, le soleil. Il ne pouvait lui donner un âge précis, peut-être la qua-rantaine. Il fixa les yeux de Méli, deux billes bleu vert qui ressortaient sous de longs cils sombres. Des yeux dans lesquels on avait l’impression de rentrer, de se perdre, inquiétants, et doux à la fois.

Ils restèrent un long moment à se regarder, sans un mot.

Le chien n’avait pas bougé. Il semblait dormir, in-différent à ce qui pouvait se passer, peut être se sentait-il en sécurité contre son compagnon de trottoir.

– Pourquoi me regardes tu si fixement, cela t’embête de voir ton interlocuteur en face ? s’exclama Méli.

– Non, répondit Achille. Gêné, il détourna son regard.

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Debout, surplombant Méli, il avait l’impression d’être dominateur, d’autant que le S.D.F. faisait l’effort de lever la tête. Méli comprit la gêne d’Achille.

– Tu peux t’asseoir, au moins je n’aurai pas à lever constamment la tête.

– Non, je ne vais pas vous déranger. Achille avait repris instantanément le vouvoiement. D’un ton ferme Méli exigea : – Assieds-toi ! Achille prit cette injonction comme

un ordre. Il s’assit à même le sol, en tailleur, en face de Méli. Achille regarda plus attentivement Méli, il portait

une veste usée en toile marron, un pull ras-du-cou gris, un jean bleu et des sandales poussiéreuses, sombres, sans doute noires. Ses mains étaient à l’image de son visage, plissées et mates. Un sac d’écolier en tissu vert bouteille reposait entre ses jambes repliées.

Sous cet angle il ne percevait pas son interlocuteur comme un clodo ordinaire, sans doute n’avait-il ja-mais porté un œil très attentif à ces habitués de la rue qui parsèment le paysage des villes. Pourquoi avait-il toujours détourné son regard et pressé le pas lorsqu’il passait à côté de l’un d’eux ? Par peur de cet autre qu’il pensait si différent de lui ; peut être par pudeur, pour se cacher la réalité de ce qu’il aurait pu être. Certainement aussi pour ne pas gâcher son moment présent et protéger sa propre image, sa condition so-ciale de bien établi.

Que savait-il de cet homme, comment en était-il arrivé là ? Hasard ou destinée ?

Son cerveau lui ordonnait de se lever et de fuir, mais son corps restait sans réaction.

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– Hé ! T’es shooté, t’es malade mon pote ? Achille n’entendit pas. Méli renchérit, haussant le

ton. – Eh !, oh ! T’as fini de jouer au sourd ? Achille sursauta : – Pardon ? – Bon sang, tu recommences avec ton pardon. Je te

demande si ça va ? – Oui, cela peut-aller. – Eh !, retombe les pieds sur terre, mec. Tu

t’appelles pas Mélo, hein ? – Non, je m’appelle Achille. – Achille Talon ? fit Méli rieur. – Non, Achille BOUL, répondit-il, l’air désabusé. – Comme la boule à zéro. – Non BOUL, il épela B.O.U.L. – Tu es paumé, tu ne digères pas qu’elle t’ait lar-

gué ? Hein ! – Oui, enfin non. – Il faut savoir, c’est oui ou c’est non ? – Non, je me demandais comment vous en étiez ar-

rivé là ? Faisant mine de ne pas saisir la question, Méli ré-

pondit. – Ben., je suis venu à pieds. – Je suis indiscret, excusez-moi. – Ah !, non bon sang, tu ne vas pas recommencer

avec tes excuses ? Comment j’en suis arrivé là ?… c’est l’histoire d’un mec qui est sorti de chez lui et qui n’y est pas revenu. Un mec qui tenait un fil, qui a

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pris du 220V et qui a lâché le fil. C’est simple, une histoire banale de la vie.

Méli se mit à rire à gorge déployée. Achille n’avait pas l’habitude d’être assis en tail-

leur, il avait mal à une jambe. Il changea de position, se mit à genoux et posa ses fesses sur ses mollets.

– Tu travailles dans un bureau, toi, sur un siège confortable, n’est ce pas ?

– Oui, c’est à peu près cela, je suis comptable. – Tu comptes quoi ? De l’air, du papier, l’illusion

des riches. C’est une technique rationnelle, sans faille pour rendre des comptes. Elle rassure quant on est dans la suffisance, mais quand on n’a rien ça ne sert à rien.

– Cela sert à gagner sa vie, à exister, à pouvoir s’offrir des loisirs dans une nécessaire suffisance, voire l’opulence, et je ne connais personne qui crache dessus.

– Si, moi. – Tu es contradictoire, tu ramasses bien l’argent

dans ton assiette et tu t’en sers bien ?, non ? – Certes, mais je me contente de peu. – Tu as fixé ton exigence à ce que tu définis

comme peu, ce qui ne veut rien dire. Si tu étais un cadre, tes prétentions seraient aussi peu de choses, comparées aux gros de ce monde !

– C’est vrai mais moi je n’ai pas besoin de plus, je suis content du peu que j’ai et je ne suis pas envieux de ce que je n’ai pas !

– Mais je ne suis pas envieux des autres, je me suis simplement habitué à être relativement à l’aise finan-cièrement et j’ai quelques projets bien légitimes.

– Je suppose que ce sont des projets où il faut de l’argent ?

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– Oui, la plupart du temps, mais c’est normal, à notre époque, quand on veut faire quelque chose, il faut payer.

– Oh ! Tu me fais marrer, on peut avoir des projets sans pour cela avoir de l’argent et tous les projets que tu portes ne se réalisent pas, certains sont dans le rêve, l’utopie.

Méli prolixe faisait les demandes et les réponses et s’emportait sur ses propres propos :

– Ah ! l’utopie, le mot qui fait rêver et s’entretuer les hommes, on voit ce qu’elles donnent les belles utopies, les croyances qui se transforment en croi-sades, les idées philosophiques et politiques qui mutent en guerres sanglantes avec des dommages col-latéraux. Des plaies qui se cicatrisent si lentement qu’à peine guéries, un autre conflit apparaît en pers-pective. L’homme est insatiable. Certains d’entre eux profitent de la candeur des utopistes. Je suis un uto-piste con et qui l’a dans l’os.

Achille avait écouté attentivement cette longue ti-rade. Il se posa la question de savoir s’il était utopique ? Après un court silence, il répliqua :

– Quand on est amoureux et passionné, on est sans doute utopique et utopiste, on voit l’autre parfait. On est aveugle, ou du moins on a les yeux fermés, on dort. Quand on se réveille, les défauts de l’autre vous claquent à la figure, les disputes commencent.

– Tu réduis l’utopie à ce que tu vis en ce moment, mais tu as peut-être raison. On ne réagit que lorsqu’on est touché au plus profond de soi. Toi le compteur de sous, tu ne vas pas me dire que tu ne commences qu’à ton âge à te rendre compte de ce qu’est la nature hu-maine ? Ah ! Ah ! spécialiste des sous et naïf pour les

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sous et sous entendus de toutes sortes, voire les rela-tions amoureuses.

Vexé, Mélo repris le vouvoiement : – Eh !, vous devenez méprisant et je ne suis pas

naïf. – Mais je ne suis pas méprisant, je ne dis que ce que

je ressens, en fait, tu es vexé et la vérité te perturbe. Mélo fît mine de se lever et répliqua : – Bon ! Il faut que je m’en aille. – Tu es vexé et orgueilleux, tu rentres sagement à

la maison ? – Non, je vais aller à l’hôtel. – Ecoute, je te propose un lit pour ce soir. La réplique fusa : – Sur un banc double, non merci. – Non, un lit simple et propre et un toit sans fuites. Achille resta interloqué. – Tu te fiches de moi encore ? – Non, allez on y va. Méli déplia ses jambes et se leva. Il prit son car-

table, le chien se dressa instantanément sur ses pattes et s’étira.

– Alors, tu viens ? Achille mis ses mains en appui sur le sol, se déplia

douloureusement. Méli se mit en marche sur le trottoir, sans porter un

regard derrière lui. Achille le regarda s’éloigner, le clodo claudiquait,

un balancement rythmé qui supposait une jambe plus courte que l’autre ou un problème de hanches.

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Quel étrange personnage, pensa Achille en pres-sant le pas pour le rejoindre. Méli marchait rapidement malgré sa claudication.

Il se mit à vocaliser comme un chanteur d’opéra et il entonna d’une voix rocailleuse :

« Litron dans la poche, traînant sa galoche Voici que s’approche le Clodo Tout les quinze mètres, minute il s’arrête Pour visser sa tête à son goulot Sur un banc bien stable de l’avenue Junot Il se met à table, sort son livarot Et malheur aux mouches qui ont l’eau à la bouche Il fait toujours mouche, il les tue d’un rot clodi clodo » – C’est quoi cette chanson ? Questionna Achille. Méli stoppa net sa romance et sa marche. – C’est une chanson de Nougaro. Tu ne connais

pas Nougaro ? – Si, mais celle-là je ne la connais pas. – C’est pas la plus connue effectivement, mais elle

accentue ma condition de « handicapétépoivroclodo-claudiquant ».

Après un silence, il compléta : – c’est un mot de ma composition que j’aime bien

et qui emmerde le monde bien pensant comme toi. Qui pose quelquefois une réflexion entre l’être et le paraître, l’apparence et la réalité, l’ignorance et la connaissance, la certitude et le doute, enfin toutes ces oppositions qui nous permettent de dissiper quelques préjugés bien enracinés chez beaucoup d’entre nous, moi compris.