[michel vovelle] les attitudes devant la mort, front actuel de l'histoire des mentalités

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Michel Vovelle Les Attitudes devant la mort, front actuel de l'histoire des mentalités In: Archives de sciences sociales des religions. N. 39, 1975. Évolution de l'Image de la Mort dans la Société contemporaine et le Discours religieux des Églises [ACTES DU 4e COLLOQUE DU CENTRE DE SOCIOLOGIE DU PROTESTANTISME DE L'UNIVERSITÉ DES SCIENCES HUMAINES DE STRASBOURG (3-5 OCTOBRE 1974)] pp. 17-29. Citer ce document / Cite this document : Vovelle Michel. Les Attitudes devant la mort, front actuel de l'histoire des mentalités . In: Archives de sciences sociales des religions. N. 39, 1975. Évolution de l'Image de la Mort dans la Société contemporaine et le Discours religieux des Églises [ACTES DU 4e COLLOQUE DU CENTRE DE SOCIOLOGIE DU PROTESTANTISME DE L'UNIVERSITÉ DES SCIENCES HUMAINES DE STRASBOURG (3-5 OCTOBRE 1974)] pp. 17-29. doi : 10.3406/assr.1975.2764 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/assr_0335-5985_1975_num_39_1_2764

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[In: Archives de sciences sociales des religions. N. 39, 1975. Évolution de l'Image de la Mort dans la Sociétécontemporaine et le Discours religieux des Églises [ACTES DU 4e COLLOQUE DU CENTRE DE SOCIOLOGIE DUPROTESTANTISME DE L'UNIVERSITÉ DES SCIENCES HUMAINES DE STRASBOURG (3-5 OCTOBRE 1974)]pp. 17-29.]

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Michel Vovelle

Les Attitudes devant la mort, front actuel de l'histoire desmentalitésIn: Archives de sciences sociales des religions. N. 39, 1975. Évolution de l'Image de la Mort dans la Sociétécontemporaine et le Discours religieux des Églises [ACTES DU 4e COLLOQUE DU CENTRE DE SOCIOLOGIE DUPROTESTANTISME DE L'UNIVERSITÉ DES SCIENCES HUMAINES DE STRASBOURG (3-5 OCTOBRE 1974)]pp. 17-29.

Citer ce document / Cite this document :

Vovelle Michel. Les Attitudes devant la mort, front actuel de l'histoire des mentalités . In: Archives de sciences sociales desreligions. N. 39, 1975. Évolution de l'Image de la Mort dans la Société contemporaine et le Discours religieux des Églises[ACTES DU 4e COLLOQUE DU CENTRE DE SOCIOLOGIE DU PROTESTANTISME DE L'UNIVERSITÉ DES SCIENCESHUMAINES DE STRASBOURG (3-5 OCTOBRE 1974)] pp. 17-29.

doi : 10.3406/assr.1975.2764

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/assr_0335-5985_1975_num_39_1_2764

Arch Sc soc des Rel. 39 1975 17-29 Michel VOVELLE

LES ATTITUDES DEVANT LA MORT

FRONT ACTUEL DE HISTOIRE

DES MENTALIT

Problèmes de méthode approches et lectures différentes

The author presents the progress achieved in the studies dealing with attitude towards death Several recent works have clearly indicated the importance of this question for historians of mental habits and more particularly for those who study collective attitudes and behaviour over long periods of time The article reviews first the researches accomplished up to the present and second examines the different approaches descriptive impressionistic or on the contrary serial required for the study of case which is both crammed with information about human behaviour and protected by many taboos The collected data are used to compare several of the models which have been put

forward to explain the evolution of the phenomenon from the Middle Ages to the present day in particular the Aries model Western Attitudes towards Death and the Vovelle model Mourir autrefois This comparison leads to the final development on the ticklish question Why does the image of death change

LES

attitudes collectives devant la mort sont devenues un des problèmes majeurs que se pose actuellement histoire des mentalités On serait tenté de dire histoire fran aise des mentalités ce qui serait injuste pour les travaux importants de Tenenti pour ne point remonter au classique Hui- zinga Ce serait en tous cas hui inexact Emmanuel Le Roy Ladurie est trompé dans le diagnostic il portait dans son article sur la nouvelle histoire de la mort 3) il cru pouvoir relever le désintérêt actuel des écoles anglo-saxonnes pour une curiosité morbide bien européenne Contagion depuis lors ou plus fondamentalement rencontre de préoccupations identiques

Alberto TENENTI La Vie et la Mort travers art du xve siècle Cahier des Annales 1952 II Senso della morte Vamme della vita nel Rinascimento Torino Einaudi 1957

HUIZINGA Le Déclin du Moyen Age Paris Payot 1948 LE ROY LADURIE Le Territoire de historien Paris Gallimard 1973 dans article

Chaunu Lebrub Vovelle la nouvelle histoire de la mort pp 393-403

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ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

est aux Etats-Unis que Philippe Aries vient de publier son ouvrage Western Attitudes toward Death 4) ce qui prouve bien que historiographie internationale est tout entière concernée

Plus encore que de étendue géographique de cette curiosité on sera frappé sans doute de la brutalité une découverte qui semble être imposée aux histo riens durant les dernières années On ne partait point sans doute une ignorance totale et après Huizinga devenu classique Tenenti avait dès 1952 traité de La vie et la mort travers art au xve siècle et plus largement du Sens de la

Mort et amour de la Vie la Renaissance 1957 Et histoire de art ignorait point le thème macabre Mais est avec les travaux pionniers de Philippe Aries comme avec autre recherches menées presque simultanément un mouvement de grande ampleur est dessiné Menées indépendamment autant plus révélatrice dans leur convergence dans le temps furent la recherche majeure de Lebrun Les Hommes et la Mort en Anjou et les nôtres Vision de la mort et de au-delà en Provence 8) puis Piété baroque et Déchristianisation et enfin Mourir autrefois 10)

Ces recherches actuelles ont déjà suscité des réactions en termes ouverture de perspectives méthodologiques notamment sous la plume de Pierre Chaunu 11)

Le Roy Ladurie 12 et Jean Delumeau 13 est dire que le thème est ac tualité

Pour en tenir encore au niveau du constat on peut déjà noter que cet intérêt pour les attitudes devant la mort insère dans un mouvement plus large dans histoire des mentalités Là encore Philippe Aries est le promoteur avec son Histoire des attitudes devant la vie 14) livre pionnier de après-guerre actuel

lement redécouvert et apprécié plus que jamais Les attitudes devant la mort associent aux attitudes devant la vie la naissance le couple la famille enfant et éducation autant de fronts en cours de prospection active dans les dernières années On peut dire en schématisant peut-être beaucoup avec cette histoire des attitudes collectives un tournant esquisse dans histoire des mentalités en termes enrichissement et de diversification côté de la prospection des do maines de la pensée claire la culture) est le registre des études de inconscient collectif qui annexe ces nouveaux territoires avec tout ce que cela comporte invention nécessaire de nouvelles méthodes de prospection

Philippe AKI Western Attitudes towards Death from the Middle Ages to the Present Baltimore-Londrcs John Hopkins University Press 1974 tr par Patricia nùm)

CHASTEL Art et le sentiment de la mort au xvne siècle dans la revue XVIIe Siècle 1957 no 36-37 pp 287-93

La Mort inversée Le changement des attitudes devant la mort dans les sociétés occi dentales Archives Européennes de Sociologie 1967 no pp 169-195 Apparition du senti ment moderne de la famille dans les testaments et tombeaux Contribution au Colloque de Cambridge 1969

Fran ois LEBRUN Les Hommes et la Mort en Anjou aux XVIIe et XVIIIe siècles Parl La Haye Mouton 1971

Gaby et Michel VOVELLE Vision de la mort et de au-delà en Provence du xve au xvine siècle après les autels des âmes du Purgatoire Cahier des Annales 29 1974

Michel VOVELLE Piété baroque et déchristianisation Les Attitudes devant la mort au XVIIIe siècle diaprés les clauses des testaments Paris Pion 1973 coll Civilisations et Menhi- lités)

10 VOVELLE Mourir autrefois Attitudes collectives devant la mort aux XVIIe et XVIIIe siècles Paris Gallimard 1974 coll Archives)

11 Pierre CHAUNU Un nouveau champ pour histoire sérielle le quantitatif au troisième niveau dans Mélanges offerts Braudel Toulouse Privât 1973

12 Le Territoire de Vhistorien op cit 13 Revue Histoire Moderne et Contemporaine 1973 14 Ph ARIES Histoire des populations fran aises et de leurs attitudes devant la vie depuis

le XVIIIe siècle Paris Ed Self 1948

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LA MORT ET HISTOIRE DES MENTALIT

Attitudes devant la vie ou attitudes devant la mort posent en effet histo rien des mentalités des problèmes spécifiques on les compare par exemple

tel autre chantier ouvert tel celui de alphabétisation dans le domaine de la culture populaire ou celui de la diffusion des Lumières dans élite et au-delà il est évident que dans un comme dans autre domaine les procédures approche sont inégalement complexes historien inégalement armé

Trouvera-t-il ailleurs confrontations ou frayages On songe entrée ethno graphie tel titre marquant en son temps comme homme et la mort dans histoire Edgar Morin 15) comme on songe au discours des folkloristes pour lesquels la mort fournit une rubrique essentielle étude des rites de pas sage anthropologie chrétienne est elle aussi penchée sur le problème dans une perspective souvent pastorale 16 De ces contacts historien sort-il conforté Il certes beaucoup de choses apprendre du sociologue et est sur les travaux de la sociologie anglo-saxonne que Philippe Aries pu appuyer pour établir le schéma de la mort inversée ici comme ailleurs bien souvent une procédure régressive qui part aujourdhui pour analyser le passé affirme sa fécondité Mais vouloir passer et est son métier dans la diachronie historien se trouve contraint inventer ses méthodes enquête et la mort intemporelle sans histoire que le folklore répertorie au catalogue des rites le laisse bien souvent insatisfait sa curiosité piquée. mais sans réponse

Ce sont là des problèmes que on peut essayer de cerner plusieurs niveaux partir des études sur lesquelles on peut hui appuyer et qui frappent la fois par des convergences manifestes dans les réponses fournies et par la

spécificité des procédures comme des interprétations

AU NIVEAU DES TECHNIQUES APPROCHE UN PREMIER SEAU DE PROBL MES Dans absolu nous dirons que enquête menée sur les attitudes devant la

mort pose au même titre que toutes les recherches de ce genre les difficultés une connaissance sur traces sur témoignages indirects et confessions som maires historien se contentera-t-il du discours élaboré de quelques-uns Ce sera privilégier ces alpinistes de la spiritualité auxquels on reproché Brémond avoir limité son intérêt dans son Histoire littéraire du sentiment religieux 17 et bien peu de testaments débutent par Joie joie pleurs de joie Inversement le chercheur se tournera-t-il volontairement vers les éléments beaucoup plus pauvres et souvent stéréotypés qui lui restent du commun des mortels Ce sera pour encourir le reproche avoir privilégié la pratique les données extérieures peut-être les moins signifiantes parce que les plus entachées de conformisme social On pourrait en prendre pour exemple les testaments réformés de la France de âge classique qui en pays de contact confessionnel surtout se détectent coup sur des silences abord mais aussi la généralité des clauses charitables les donnes ou distributions manuelles aux pauvres par lesquelles se manifeste la cohésion du groupe paradoxe apparent et sans doute plus que apparence une attitude réformée qui investit dans les uvres aux portes du salut Pour prendre un autre exemple nous rappellerons que la courbe du poids des cierges funéraires Marseille au xvine siècle que nous avions en malicieuse provocation glissée dans notre thèse nous valu être stigmatisé pour notre rusticité par un critique anglais ce qui prouve bien que un des deux protagonistes le Britan nique ou nous-même manque humour

Ce problème des difficultés une connaissance sur traces pour fondamental il soit on entre dans le domaine des attitudes collectives est point

15 Homme et la Mort dans rhistoire Paris Correa 1951 16 Le Mystère de la Mort et sa célébration articles et contributions de Fcret Danielou

Hild A.M Roguet etc.) Paris éd du Cerf 1956 coll Lex Grandi) 17 Henri BR MOND Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion nos jours Paris 1920 vol

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particulier celui des attitudes devant la mort Les confidences du lit conjugal sont aussi discrètes que celles qui se font au lit de mort et les historiens des funes tes secrets connaissent bien la question Plus largement dans le domaine de histoire religieuse mais les territoires ici se recoupent ou se recouvrent nous avons constamment rencontré dans nos recherches sur la déchristianisation des Lumières cette suspicion légitime ou non portée sur une connaissance qui pour essentiel ne peut être établie que sur traces partir des gestes de la pratique Mais la sociologie religieuse de Le Bras déjà fourni réponse dans ce débat

Plus spécifiquement ce qui va rendre approche encore plus difficile agis sant de la mort est le poids particulièrement lourd des tabous dont le passage entoure Pierre Chaunu eu raison certes de définir le discours une société tient sur la mort comme un des plus signifiants qui soient mais il faut bien avoir conscience que est aussi un des plus enveloppés obscurcis chez chacun entre nous par la superposition attitudes et de comportements qui se réfèrent des stratifications culturelles emmagasinées plus ou moins conscientes plutôt moins que plus Contentons-nous un exemple un critique reproché et justement reproché notre dernier ouvrage Mourir autrefois avoir sous-estime la place de la mort magique entendons par là ce fonds très ancien des rites des gestes des esquives et des croyances hui reléguées au rang des superstitions parfois combien vivantes naguère part importante christianisée ou non du rituel de la mort

Nous ne sous-estimons point cette réalité et partageons sur ce point la lecture de Jean Delumeau dans importance il attribue cet héritage de la pensée magique dans les comportements au sens le plus large religieux de âge classique Mais nous ne sommes point gâtés par les sources nous devons nous en remettre incidente remarque un passage de mémoires ou une chronique ce qui est solliciter la chance ou plus systématiquement aux sources de la patho logie sociale ou de la répression judiciaire ou enquêtes pastorales pour le repé rage des déviations enregistrées Et est avec le même étonnement que le jansé niste évêque de Senez Mgr Soanen que nous découvrons que les montagnards de Haute-Provence pratiquent encore la fin du xvne siècle les oblations de pain et de vin sur la tombe des défunts dans année qui suit le décès tout le mal écrit-il se fait au cimetière Sans doute nous dira-t-on que la réponse au silence des sources se trouve chez anthropologue chez le folkloriste dans le répertoire il nous donne des rites et croyances mais répertoire trop souvent non daté sans épaisseur historique où historien souvent demeure sur sa faim

exemple de la mort magique est point la seule des dissimulations auxquelles doit se heurter historien de la mort et des niveaux plus évolués une pensée plus claire nous retrouvons dans les attitudes devant la mort une complexité

peine moindre est ce qui nous amené dans notre ouvrage Mourir autrefois la distinc

tion qui reste pour nous pédagogique de la mort subie de la mort vécue et du discours sur la mort Cette distinction paru artificielle tel critique 18 est sans aucun but autojustification mais pour éclairer peut-être le débat que nous la reprenons Mort subie mort du démographe celle des courbes et des registres paroissiaux mort vécue celle si on peut dire sans trop humour grin ant de la pratique quotidienne au niveau proprement dit des attitudes et des comportements dominés ou inconscients discours sur la mort celui des

glises de ceux qui les contestent discours aussi sur un autre registre de ex pression littéraire

Or il se trouve entre ces différents niveaux loin il ait convergence mécanique des distorsions apparaissent une époque ou dans un site donné ce qui amène se poser le problème de la dynamique laquelle obéit évolution

18 FouRASTi chronique dans Express juin 1974

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LA MORT ET HISTOIRE DES MENTALITES

des attitudes devant la mort Du divorce entre mort subie et attitude devant la mort ou mort vécue est-il exemple plus frappant par les interrogations il recèle que la récente et magistrale thèse de Fran ois Lebrun sur Les Hommes et la mort en Anjou Du xviie au xvnie siècles voici une région où pour sim plifier la ponction de la mort ne change pas Peut-être parce elle appartient

cette France atlantique qui recule alors après avoir été sans doute trop peuplée et qui conserve ce que Goubert appelle un tempérament épidémique dont Lebrun relève les preuves la fin du xvine siècle Mais si Anjou par là-même semble dans sa stabilité rester en dehors des changements démogra phiques du second xvine siècle et si le visage de la mort pas objectivement changé la lecture on en donne se modifie au siècle des Lumières dans la seconde partie du siècle principalement effectue cette déstructuration ou cette désocialisation de la mort que nous avons par ailleurs analysée en Provence le réseau des pompes funèbres antan se défait une sensibilité que on doit bien appeler baroque vécu

Sans vouloir multiplier les exemples nous en prendrons un autre pour son exemplarité celui du décalage entre les représentations collectives vécues de au-delà et la lecture officielle qui en est donnée essentiellement par

glise catholique pour la période qui nous intéresse Lorsque dans notre ouvrage sur Vision de la mort et de au-delà en Provence du XVe au XXe siècle après les autels des âmes du Purgatoire nous avons proposé le schéma tel que nous le perce vions un purgatoire inventé la fin du xve siècle cherchant ses formes et sa voie triomphant dans les tableaux de la Contre-Réforme des années 1650 les objections ont pas manqué et nous gardons le souvenir et les pièces une amicale correspondance avec le regretté de Dainville qui insistait auprès de nous sur ancienneté des prières pour les morts dans ancienne glise dès le Haut Moyen Age voire les premiers siècles Et le classique Dictionnaire Archéologie chrétienne mémoratif encore époque où il fut rédigé des anciennes querelles avec érudition réformée est pas chiche en exemples de ce genre Qui raison Personne tort bien sûr Mais entre la stabilité du discours des clercs et la mutation de sensibilité qui se place quelque part au xve siècle et qui pour la foule des chrétiens élargit effrayante perspective médiévale on ne trompe pas il que deux lieux écrit saint Augustin en valorisant progres sivement la possibilité une troisième voie celle du rachat terme qui appelle le purgatoire il distorsion manifeste qui laisse sa place une évolution de longue durée avec ses temps de latence et ses formes adaptation Telle diver gence entre les deux niveaux est retrouvée pour nous époque moderne xvne- xvme siècles entre le monolithisme ou du moins la continuité du discours des sermonnaires artes moriendi règles de confréries et évolution sensible des attitudes vécues sans ailleurs que soit exclue la possibilité une dialectique complexe par laquelle le discours des clercs va se trouver lui-même infléchi par la pression et les sollicitations de ce que nous appellerons en termes volontairement vagues esprit une époque

Du rappel de ce qui seconde vue est finalement une vérité de bon sens découle au niveau des techniques approche des attitudes collectives devant la mort tout un ensemble de conséquences sur les techniques mêmes étude du phénomène Deux thèmes nous paraissent pouvoir refléter les ten dances actuelles une méthode en recherche de ses propres techniques la néces saire diversification des approches et des sources intérêt une enquête que reprenant le terme de Pierre Chaunu nous dirons sérielle

Diversité des sources pour ne point être amené négliger par omission derrière les lectures officielles les secrets bien gardés Telle nécessité découle de ce qui été dit plus haut Chacun dans son style ouvrage de Lebrun La Mort en Anjou et celui de Aries Western Attitudes toward Death nous administrent la preuve elle été ressentie Chez Lebrun elle se manifeste dans le souci une construction continue qui part des bases démographiques quanti-

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fiées de enquête les courbes livrées par les registres paroissiaux pour élever au foisonnement des sources qualitatives qui nous renseignent sur les attitudes devant la mort et la maladie du sermon au mandement au cortège ou au monu ment funéraire

Mais la démonstration la plus brillante est sans doute administrée par Phi lippe Aries dans la mesure où elle associe enquête dans la très longue durée pluriséculaire du Moyen Age nos jours la mise en valeur de données extrêmement diversifiées sources littéraires de la chanson de gestes au roman mémoires textes religieux ou administratifs inscriptions monuments et icono graphie La démonstration est ici exemplaire de aide mutuelle que peuvent apporter des sources très diverses en termes éclairages convergents excep tionnelle réussite qui tient la maîtrise comme la culture de Philippe Aries peut laisser sur impression que cette approche dominante littéraire ou plus largement qualitative rend superflus et parfois naïfs les comptages austères de histoire sérielle Opposer en ces termes les deux méthodes serait notre avis injuste et est plutôt de complémentarité que on doit parler

Approches qualitatives ou approches sérielles Nous sommes partis des secondes et ne le regrettons pas En procédant au comptage sur une région et plusieurs siècles des autels des âmes du purgatoire comme celui de milliers de testaments proven aux nous avons poursuivi plusieurs buts Découvrir cette normalité moyenne une époque et par là même assurer étude une base sociale que les sources littéraires ne parviennent pas atteindre Eviter certaines erreurs dans lesquelles ne tombe pas Philippe Aries mais dont ses devanciers ne furent pas toujours exempts ainsi E.G Léonard cependant si sur et prudent donnant comme exemple de spiritualité spécifiquement réformée un formulaire de notaire que nous avons vu banalisé des centaines exemplaires Mais si le sériel ne présentait que cet avantage du nombre le gain serait finalement bien mince Compensant la relative pauvreté et le caractère stéréotypé de ses apports parfois plus en apparence en réalité) le document sériel affirme comme un moyen privilégié enquête régressive en sollicitant inconscient collectif en extorquant indiscrètement peut-être une confession partir de documents qui ont pas été prévus ces fins Comment le panthéon des intercesseurs célestes fourni encore au xvne siècle pour homme moyen est dépeuplé au siècle des Lumières est un constat pour ne prendre que cet exemple que les rétables une part les testaments de autre nous permettent de faire que autres sources auraient sans doute pas autorisé

Ceci ne veut point dire il faille pour nous attribuer cette procédure une sorte de privilège et valeur quasi magique Nous avons insisté dans notre thèse sur le fait que pour nous chaque critère pris isolément pouvait ne rien signifier ou tout vouloir dire Ainsi que dans les testaments la valeur des silences et des omissions peut être chargée de contenus très différents voire contradictoires du silence réformé au silence janséniste au silence libertin ou simplement indif férent de la seconde partie du xvme siècle Il faut donc corréler rapprocher utiliser comme source tout ce qui prête et même ce qui ne prête que diffi cilement Nous croyons avoir donné une démonstration de cette procédure approche dans Mourir autrefois qui efforce de parvenir cette mise en rapport de sources aussi diverses que le livre de raison le testament le sermonnaire les artes moriendi les pamphlets libertins les mémoires ou le roman

Les difficultés et les problèmes il en rencontre ne se trouveront pas au niveau des méthodes de recherche pour lesquelles un large consensus me sem- ble-t-il existe qui laisse chacun occasion de exprimer suivant ses préférences mais au niveau de la lecture on tire des données ainsi collectées

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LA MORT ET HISTOIRE DES MENTALIT

AU NIVEAU DE LA LECTURE DES DONN ES UN SECOND SEAU DE PROBL MES

Deux ou trois choses que je sais elle quittant le niveau des constats ou des premières approches problématiques pour celui des mises en question partons du moins des quelques données sur lesquelles on peut dire que les recherches actuellement menées convergent La première et la plus importante étant sans doute que tous accordent pour reconnaître que la mort changé Il existe dans le cadre des attitudes devant la mort des étapes successives des systèmes succédant les uns aux autres des mutations de signes..

agit-il comme on cru longtemps et comme il est légitime de le penser avancées et de reculs de la présence de la mort en une sorte de sinusoïde aisé ment interprétable aux périodes sombres le macabre et les goûts morbides

ainsi pour le déclin du Moyen Age vu par Huizinga ainsi peut-être aussi pour la poséie et expression graphique du baroque de la première moitié du xvne siècle aux périodes lumineuses la Renaissance les Lumières image éloignée du fantôme de la mort Telle lecture pour imposer parfois en apparaît pas moins exagérément simplifiante voire carrément fausse Pour en prendre un exemple on commence assez bien connaître envers des Lumières le théâtre ombres ou de la cruauté qui de Sade Restif offre au ur même de la période le négatif de sa lecture optimiste pour ne point soup onner une dialectique plus complexe que alternance de séquences en noir et en blanc régit cette évolution Ce est point avancées et de reculs que on parlera mais de mutations véritables dans les représentations collectives

verrons-nous comme le firent les hommes des Lumières le fruit une évolution linéaire qui traduit les progrès de esprit humain dégagé progressive ment des entraves entretenait la religion libéré des fantômes un autre âge de la superstitition Cette lecture fut celle du xvnie et une bonne partie du xixe siècle Sa forme mise au goût du jour serait de faire de la modification des attitudes devant la mort un phénomène corrélatif de la déchristianisation une telle lecture est sans doute trop simple même si elle amène objectiver le lien longtemps intime entre sentiment de la mort et cadre religieux

La réponse du positivisme hui exprimera plutôt en termes de corré lations matérielles que aventures de esprit et nous pourrions en prendre comme exemple-type le commentaire agacé que suscitent chez Fourastié nos interro gations il juge trop subtiles ou alambiquées sur évolution des attitudes devant la mort Autrefois nous dit économiste la famille-type se composait du père de la mère de quatre six enfants dont il ne restait maturité que deux de quoi en somme numériquement reconstituer un couple après une mort ancien style eut prélevé sa part. Comment étonner donc du poids ressenti de la mort de toute orchestration qui entoure son passage est une mutation ordre démographique que nous renvoie cette lecture la révolution qui fait passer une mortalité de type ancien une mortalité de type moderne Cette lecture est forte et doit être prise en considération mais historien des mentalités

déjà répondu il pas de lien mécanique entre le poids de la mort subie et les représentations collectives de la mort vécue est donc par des chemins plus sophistiqués que vont passer les historiens actuels de la mort

Philippe Aries est le seul ce jour qui nous ait proposé en historien un schéma global de reconstruction des attitudes de homme européen du moins ou occidental aux prises avec la mort Ce il nous offre est la fois une périodi- sation et autre chose une chronologie entendons il insiste très justement sur la coexistence une même période mais dans des sites ou des milieux diffé rents voire chez un même individu de différents types attitudes collectives qui ont successivement pris place dans histoire des mentalités La première période est même dite achronique qui fournit assise millénaire des évolutions

venir Du preux Roland au paysan de Tolstoï en passant par Don Quichotte ou la Montespan une attitude commune qui est celle de la mort attendue connue

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ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

et assumée organisée par le mourant lui-même en un rite la fois public et sans cérémonie Mort sans phrases une société où cohabitent les vivants et les morts ou le charnier ou le cimetière se confond avec église au ur de la cité Cette mort événement naturel fatalité non dramatisée per ue au niveau de espèce plus que de individu répond pour auteur un modèle qui pousse ses prolonge ments notre époque mais qui règne en tous cas sans conteste au tournant du second Moyen Age quelque part vers le xie ou le xne siècle

Modèle différent ou simple modification du précédent Le système que Phi lippe Aries voit dominer entre le xme et le xvnie siècle qui se développe partir du monde des litterati et des catégories supérieures se caractérise par indivi dualisation de la mort homme découvert sa propre individualité dans sa propre mort invention si on peut dire du jugement particulier de chacun

intérieur même du jugement dernier collectif la valorisation de instant de la mort où tout peut être sauvé ou perdu autant éléments appui un dossier qui enrichit une étude précise des inscriptions funéraires comme de ces de mandes de services funèbres post mortem par lesquels on cherche assurer son salut La fin du Moyen Age enrichit ce faisceau attitudes de la prolifération connue de longue date du thème macabre dans lequel Philippe Aries la suite de Tenenti voit surtout expression un amour féroce de la vie dans la lignée donc de individualisation des attitudes qui reste élément dominant de cette phase

De la mort de moi la mort de toi thy death le transfert effectue pour Philippe Aries au xvnie siècle pour porter ses fruits dans le système de ce il sera commode appeler la mort romantique dont une des pièces essen tielles est le nouveau culte des tombeaux et des cimetières instauré au xixe siècle largement débordant sur le xxe Cette mort dramatisée devenue inquiétante et ressentie comme scandaleuse est plus la mort égoïstement définie comme ma propre mort elle est devenue la mort de autre celle de être aimé et est par ce transfert que Aries explique que désormais le testateur oublie sa propre fin dans un cadre familial où les valeurs autorité sont relayées par celles de affectivité Ce changement est-il brutalement effectué Dans un flash-back Philippe Aries en recherche les racines lointaines dans le lien troublant qui est établi dès la fin du xve et surtout du xvie siècle entre Eros et Thanatos entre la mort et amour et hésite pas faire remonter les origines de la fascination morbide pour la mort qui culminera âge romantique aux fantasmes erotico- macabres de la période précédente

La mort proscrite forbidden death) qui clot provisoirement ce cycle des avatars de la mort nous était déjà connue par la sociologie anglo-américaine comme par les travaux Ariès lui-même 19 Il en argumente la présentation en introduisant pour la première fois dans son propos une modulation géographique qui lui permet opposer les pays france Allemagne péninsules méditerra néennes qui ont été au xixe siècle les plus sensibilisées aux pratiques funé raires néobaroques du nouveau culte des morts ceux Etats-Unis et Europe du Nord-Ouest où interdit contemporain sur la mort va prendre naissance et se développer en premier au xxe siècle Les thèmes en sont connus la mort clan destine hôpital) cachée tous aux proches comme au malade lui-même la modification des rites funèbres qui proscrit le deuil défaut de la douleur. La cause aussi ce besoin du bonheur devenu obligation sociale pour contribuer au bonheur collectif qui refoule la mort au rang des scandales des tabous où elle remplace le sexe libéré et triomphant

Par sa cohésion par sa continuité et son ambition même qui lui fait couvrir 1.500 ans histoire le schéma Aries représente actuellement le discours le plus élaboré dont nous disposions sur la mort Il serait futile et injuste en discuter le

19 Cf La Mort inversée. art cit

LA MORT ET HISTOIRE DES MENTALIT

détail comme pourront le faire les spécialistes de chaque période la fois parce que est précisément ce survol plus que millénaire qui nous semble être un des intérêts majeurs de entreprise avec les inévitables simplifications que cela comporte et parce que dans la pensée de auteur nous savons bien que cet essai est que esquisse du travail plus développé il prépare en fran ais sur le même thème Mais est la lecture globale et les conclusions elles-mêmes par leur nou veauté qui nous semblent de nature approfondir singulièrement la mise en problème que nous nous proposons ici de faire

Il se trouve que nous avons simultanément la parution de Western Attitudes toward Death proposé sous le titre Mourir autrefois attitudes collectives devant la mort aux XVIIe et XVIIIe siècles un essai plus limité dans espace la France et dans le temps la durée cependant déjà biséculaire qui va de 1600 1800 pour qui aime les chiffres ronds Nous sommes frappés la fois des rencontres dont ces bilans provisoires simultanés témoignent et aussi des différences in terprétation voire des lectures différentes un même constat on rencontre éléments de nature nourrir non point une polémique mais au moins une con frontation et surtout aptes peut-être nous permettre de formuler plus stricte ment la nature des problèmes en cause

horizon 1600 auquel nous pla ons le début de ce parcours de Aubigné Legouvé nous prenons les attitudes devant la mort un stade plus complexe moins limpide peut-être que dans ce Moyen Age originel où Ph Aries situe sa mort apprivoisée Sans même remonter trop loin les attitudes dont nous traitons ont connu dans la phase précédente des péripéties aussi importantes que la flambée macabre de la fin du Moyen Age la Réforme la Renaissance et Humanisme aussi état initial dont nous partons par commodité est-il déjà moins simple Rencontre nous semble-t-il un très ancien héritage de comportements et de rites préchrétiens ce que nous appelons la mort magique qui est celle du folklore celle des terreurs la fois et des exorcismes des recettes mort la fois terrifiante et familière et rencontre une mort déjà très profondément chris tianisée le terme étant point pris dans un sens absolu comme si la lecture chrétienne de la mort était comme on longtemps cru une vérité intangible et ne varietur Une enquête comme celle que nous avons menée sur le purgatoire nous suffisamment montré que ces représentations collectives évoluent et nous sommes persuadé une partie des pratiques profusion cortèges en un mot pompes funèbres dont on crédite âge baroque ont pris naissance au xve siècle ce que Huizinga avait point ignoré Mais ce paysage initial que nous rencontrons en forme de compromis entre rites chrétiens et héritage de plus longue durée encore va faire objet au long du xvne siècle une conquête patiente ou specta culaire dans le cadre de la réforme post-tridentine non que pour nous tout se résume une action volontaire et délibérée dans un domaine strictement reli gieux une main basse sur la mort destinée comme eussent dit les auteurs des Lumières prendre le contrôle un des plus puissants leviers qui puissent agir sur âme humaine Mais nous avons été sensible cette pédagogie de la mort qui construit toute la vie de homme dans la perspective des fins dernières et qui orchestre tout au long un siècle en rencontre des pulsions spontanées du grand nombre et de la lecture dominée des autres Le tout culmine dans ce grand cérémonial de la mort dans cet ample spectacle baroque pour nous parfois si déconcertant qui organise dans la seconde moitié du xvne siècle et débordera très largement sur le xvine Le système se prolonge dans une vision structurée des fins dernières dont la possibilité de rachat terme des âmes du purgatoire est la clef la valorisation des gestes et des pratiques demandes de messes de mortuis la conséquence cette vision totalitaire des refus ont été dès lors opposés venus horizons divers de la contestation radicale des réformés celle des jansénistes ou dans un style très différent des libertins et peut-être moins aisée cerner parce que plus diffuse et plus sociologique une certaine sagesse bourgeoise et populaire qui se refuse cette orchestration

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ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

Le système de la mort se défait par étapes au fil du xvine siècle 1730 1750 1760 dans la majeure partie des cas les grands tournants sont pris qui expri

ment non seulement au niveau de action volontaire des hommes la grande attaque des Lumières mais des comportements collectifs Ce que Pierre Chaunu

heureusement dénommé la désocialisation de la mort prend alors place pour le Fran ais de 1789 le visage et la manière de vivre sa mort certainement changé

Ce que nous avons placé au rang des péripéties de la fin du siècle les retours agressifs de la mort roman noir théâtre sadien de la cruauté ou dans un registre différent rêveries élégiaques ou néo-classiques sur le nouveau séjour des morts

cimetière ou cénotaphe est certainement envisager plus largement au titre des prémisses de cette sensibilité romantique ou de ce Arles dénomme le néo-baroque qui triomphera au xixe siècle néo-baroque laïcisé du nouveau culte des morts

On le voit sur cette séquence il est vrai beaucoup plus limitée notre lecture tantôt se recoupe et tantôt oppose sensiblement avec celle qui est proposée par Ph Aries Mais avant que analyser ce qui les oppose pour affiner notre problé matique relevons dès maintenant ce qui les rapproche Il existe bien semble-t-il ce qui pourra paraître posteriori une évidence ce qui ne était point telle ment de larges mouvements qui affectent les attitudes collectives devant la mort on eût été tenté de croire beaucoup plus stables voire intangibles Des visions différentes se succèdent de instant de la mort tantôt survalorisé les artes moriendi du xve siècle) tantôt ramené des proportions plus modestes la bonne mort couronnement une bonne vie ou le thème de saint Joseph agonisant dans iconographie classique) tantôt évacué mourez nous ferons le reste du corps et de la dépouille mortelle différemment per ue du gisant du xve siècle

la curiosité morbide ou la peur être enterré vif qui surgit dans la seconde moitié du xvine siècle embaumement commercial du xxe siècle du lieu des morts du charnier église au cimetière enfin refoulé partir de la fin du xvine hors de la vue des vivants et cependant objet du transfert et de la fixation du nouveau culte des morts après-mort changé également et nous nous conten terons sur ce point de rappeler notre étude sur la naissance la vie et la mort du purgatoire entre le xve et le xxe siècle

Sur tous ces points il ne saurait avoir accord des nuances près sur la date ou sur la périodisation sur apparition un thème Et sur ce plan est aux historiens spécialistes une période de travailler sur ample schéma de Ph Aries qui gardera toujours le mérite de la continuité largement pluriséculaire qui avait présent fait défaut On pourra apporter des nuances exprimer des réticences sur tel point précis le jeu Eros et Thanatos esquissé par Ph Aries de Baldung Grien la sublimation romantique me semble titre exemple susceptible une lecture moins simplifiée mais il reste que des séries sont mises en place et des chantiers ouverts

autre constat que on peut tirer études par ailleurs si différentes est peut-être si naïf là encore que cela puisse paraître la justification du propos et du parti il existe bien semble-t-il une autonomie relative des attitudes devant la mort qui fait que telle aventure peut être suivie avec fruit dans ses différentes étapes Mais que signifie-t-elle est-ce qui changé au fond pour les hommes dans leur rencontre avec la mort Et cette autonomie dans une des aventures majeures de esprit est-elle relative ou absolue En un mot peut-on parler de évolution des attitudes humaines devant la mort sans se reporter tout un système de références elles soient économiques sociales démographiques spirituelles ou du domaine de idéologie

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LA MORT ET HISTOIRE DES MENTALITES

AU FOND DU PROBL ME EST-CE QUI CHANG

Dans cette dialectique des rencontres de homme et de sa mort est-ce qui changé Poser la question aux auteurs relève de indiscrétion est indis crète question que nous posée récemment Le Roy Ladurie lorsque rendant compte de notre recherche sur Piété baroque et Déchristianisation il est étonné une approche la fois précise sur le comment et elusive sur le pourquoi est que les historiens aiment point on leur demande pourquoi agissant des attitudes devant la mort la discrétion des historiens universitaires est remar quable on ne tirera point de Fran ois Lebrun la moindre confidence compromet tante et en ce qui nous concerne notre discrétion été on vu fort mal jugée Philippe Aries nous livrera-t-il plus amplement sa pensée

Si on reprend dans le détail son passionnant parcours on est surpris de ses silences explication résiderait-elle dans la démographie dans le poids de ce que la commodité nous fait appeler la mort subie Du démographe Ph Aries on attendrait coup sûr beaucoup Or le background démographique apparaît dans cet essai fort connu maîtrisé. et méprisé et point seulement semble-t-il en fonction des dimensions restreintes de ce qui reste annonce un développe ment venir historien de la famille se retrouve bien en plusieurs séquences et singulièrement il justifie par une mutation dans les rapports familiaux un des aspects du passage de la mort de moi la mort de toi par le passage esquissé une famille hiérarchisée autocratique et en même temps du chacun pour soi aux nouvelles structures familiales fondées sur affectivité et abandon confiant la fin du xvine siècle On le devine aussi dans la dernière phase celle de la mort en cachette où le moribond et les siens se voient privés par la con trainte du milieu de ultime rencontre au lit de mort Mais si ce réseau explicatif apparaît au moins sous-jacent aux péripéties contemporaines des attitudes devant la mort il en donne point le fil directeur

Economie structures ou mode de production apparaissent point pour Philippe Aries déterminants dans ce cheminement multiséculaire sinon la limite de fa on anecdotique on voit dans ultime étape des aventures de la mort aux Etats-Unis industrie des embaumeurs opposer un dernier obstacle

ce que le défunt en aille en fumée comme en autres pays apparent paradoxe qui frappera sans doute le plus si nous passons des

determinismes matériels aux determinismes spirituels sera absence quasi cons tante chez Ph Aries de référence aux systèmes religieux Sans doute là encore dans ultime étape qui voit les attitudes se diversifier partir du xixe siècle entre une partie de la vieille Europe et les pays anglo-saxons interroge-t-il sur le poids dont ont pu peser dans ce dimorphisme les traditions religieuses Mais dans en semble il point pour Ph Aries de mort catholique et de mort réformée il insiste même de fa on fort intéressante sur la convergence une étape donnée des comportements devant la mort dans les univers culturels et religieux différents et est un point sur lequel nous volerions assez aisément sa rencontre pour avoir relevé nous-même Il reste néanmoins que cette absence de référence reli gieuse ne laisse pas être souvent intrigante il pas mort baroque pour Ph Aries et épisode de la reconquête catholique dont nous avons été amené peut- être surestimer importance ne revêt pas importance particulière dans le cadre une étape qui court en gros du xme au xvine siècle Plus largement Ph Aries ne fait pas référence aux discours de glise dans ses traductions les plus élaborées sermonnaires manuels de dévotion... et si on veut résumer un mot impression que on garde est celle une lecture si fondamentalement spiritualiste que auteur parvenu au problème des rapports des attitudes analysées avec la religion pas eu besoin de cette hypothèse

Nous en dirons autant de ce que on peut appeler idéologie Les systèmes ont point leur place dans un parcours qui se situe quasi intégralement au niveau

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ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

de la praxis quelques incidentes près notamment lorsque auteur évoque Auguste Comte et le positivisme pour expliquer les caractères du culte des morts au xixe siècle mais est première nouvelle Des libertins et des philosophes de leur furieuse attaque contre la mort chrétienne des naturalistes comme Buffon et de leur sereine lecture de la vieillesse et de la mort auteur pas eu besoin non plus doutant sans doute que les pétitions de principe formulées au niveau de la pensée claire aient grande influence sur les attitudes vécues

En bilan de cette analyse il semble bien que pour Ph Aries ce soit incons cient collectif qui se trouve valorisé par rapport au domaine des idées claires Un inconscient collectif ailleurs qui abaisse rarement anecdotique de la mort des folkloristes ou des ethnographes en tenant aux attitudes les plus signifiantes dans leur généralité éliminant peut-être un peu abusivement notre avis ce niveau ce que nous avons appelé la mort magique est-à-dire le réseau des gestes et des exorcismes La peur ou la panique devant la mort apparaissent pas ou très peu chez Ph Aries et épisode où on les attendrait peut-être le plus la mort primitive reste bien pour lui la mort apprivoisée et naturelle En somme la recherche laquelle se livre Ph Aries revient finalement une quête quasi mystique dominée par la nostalgie des origines de la mort originelle un certain âge or ou un monde pour reprendre expression célèbre que nous avons perdu qui serait celui de abandon confiant En fonction de cette finalité sa périodisation qui pourra intriguer quelques-uns en fonction de son emboîtement de phases sans cesse accélérées et raccourcies explique aisément

Il peut sembler que nous nous sommes attardé en termes qui pourront paraître critiques sur ouvrage de Ph Aries on ne trompe pas insistance est la mesure de intérêt comme des interrogations il ne peut manquer de susciter Cet ouvrage amène au fond formuler la question pourquoi change image de la mort Ce est pas un mince mérite Et on est fondé maintenant puisque nous sommes nous-même embarqué sur cette galère des historiens de la mort nous demander des comptes

Notre procédure est plus lourde Pour nous le problème des attitudes devant la mort tire son importance de la place essentielle et privilégiée il tient dans le jeu entre les facteurs infrastructurels mode de production stuctures sociales démographie et flux des hommes et les super-structures idéologiques Place essentielle parce que le problème est de taille la mort reste une donnée constante de histoire humaine de toute histoire individuelle ou collective Et est pour quoi nous lisons toujours avec quelque attendrissement les dernières pages de essai Edgar Morin paru voici plus de 20 ans et qui sonne un peu rétro dans son optimisme des lendemains de Libération on perfectionne le sérum de Bogomoletz et nous faisons notre affaire de la mort Nous savons bien on ne peut éliminer la mort ou la cacher comme ont tenté les Américains Mais leur manière avec ce poids spécifique angoisse les attitudes devant la mort nous semblent soumises aux lois générales qui régissent ces domaines de inconscient collectif

Le poids des facteurs matériels est essentiel mais nous convenons sans peine il ne exerce pas de manière mécaniste La référence la démographie le démontre qui prouve que les changements enregistrés dans la ponction de la mort ne sont point immédiatement enregistrés au niveau des attitudes collectives et même inversement que le discours des élites sur la mort extrapolant partir exemples peut se modifier alors même que les conditions objectives restent inchangées Mais cette dialectique complexe est-elle point le fait de tous ces phénomènes

Nous croyons aussi importance des structures sociales dans évolution de ces attitudes et nous suivrons volontiers Ph Aries dans appréciation de importance il donne certaines des médiations par lesquelles exprime le poids de ces structures ainsi la famille dans évolution enregistrée Même si nous

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LA MORT ET HISTOIRE DES MENTALITES

différons de sa lecture sur certains points précis la mutation des attitudes fami liales rendant compte du silence qui se fait dans les testaments du xvine siècle) il nous apparaît bien évident comme lui que le processus majeur âge moderne reste affirmation de la destinée individuelle dans ampleur nouvelle qui lui revient Reste toutefois que nous accordons dans cette évolution de longue durée une place beaucoup plus importante que ne le fait Ph Aries tout ce qui est du niveau de la pensée claire et de la diffusion des idées-forces en un mot ce qui est du domaine de idéologie

Ces idées-forces au tournant du xvne et surtout du xvnie siècle est par la médiation des croyances religieuses elles expriment quasi exclusivement Notre lecture fait une place beaucoup plus large que celle de Ph Aries au rôle de la religion comme celui des lectures différentes qui des libertins aux Lumières ont proposé une autre vision Cela ne veut point dire que pour nous la lecture de glise se résume en un Code ne varietur et nous savons bien une dialectique plus complexe en lie les affirmations aux besoins collectifs du peuple chrétien

Dialectique complexe au total que celle qui lie évolution des attitudes devant la mort aux différents facteurs qui en déterminent évolution Chez Aries comme chez Chaunu les attitudes devant la mort deviennent finalement le test et étalon de mesure qui permet de jauger toute une civilisation Le terme est vague sans doute et on peut abriter des arrière-pensées bien différentes Mais en gardant les nôtres nous nous associerons sans trop de réticence une formule qui exprime bien importance du facteur analysé

Michel VOVELLE Université de Provence

Aix-Marseille

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