meurtre en haute couture - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782702116838.pdf · our...

23

Upload: others

Post on 21-Oct-2019

3 views

Category:

Documents


1 download

TRANSCRIPT

MEURTRE EN

HAUTE COUTURE

Collection « Les Lieux du crime »

créée par BERNARD MAGNIN

Déjà parus

JEAN DUCHATEAU Meurtre à l'Élysée

CAMILLE DUBAC Meurtres à l'E.N.A.

JEAN DUCHATEAU Meurtre à TF1

DOMINIQUE KIM Meurtres aux J. O.

Séoul 1988

ERIC NORDEN Meurtre à Wall Street

LÉA SHANNON

MEURTRE EN

HAUTE COUTURE roman

CALMANN-LÉVY

NOTE DE L'ÉDITEUR

Cet ouvrage, de pure fiction, n'a d'autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n'ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l'intrigue.

ISBN 2-7021-1683-3

© CALMANN-LÉVY 1989

Imprimé en France

A E. et P.

PARIS PARURE 1 SAINT-LAURENT 10 SCHERRER 19 CARVEN 2 GIVENCHY 1 LECOANET-HEMANT 20 BALMAIN 3 PER SPOOK 12 LACROIX 21 CÉLINE 4 UNGARO 13 CARDIN 22 VUITTON 5 DIOR 14 FÉRAUD 23 HERMÈS 6 HANAE MORI 15 LANVIN 24 GUERLAIN

7 LAROCHE 16 TORRENTE 25 CARON 8 ARTHUR COUTURE 17 PATOU 9 NINA RICCI 18 CHANEL

33, avenue Montaigne

type="BWD"D u rond-point des Champs-Élysées au pont de

l'Alma, l'avenue Montaigne s'étire paresseuse- ment vers la Seine. Une double rangée d'arbres

l'habille des couleurs de la saison et protège des caprices du ciel parisien les entrées des plus prestigieux marchands de luxe ou de rêve.

Car du théâtre des Champs-Élysées au Plaza Athénée, de Vuitton à Porthault, de Caron à Dior, Ungaro, Ricci, Chanel ou Valentino, tous sont là pour servir les sens et les charmer, les nourrir d'impressions fortes et les gaver de bien-être.

Qu'aurait pensé l'austère Montaigne, dans sa tour tapissée de livres, de ces vitrines dorées qui tentent de justifier, sous prétexte de confort et de bon goût, la vanité de notre siècle ?

Ici, le monde qui trottine d'une boutique à l'autre avec inconscience est élégamment chaussé ; les manteaux sont amples, confortables et poilus; les écharpes riches et onctueuses ; les mains gantées. Dans les contre-allées, les voitures, garées à tout-va, sont noires ou grises. Énormes ou minuscules. Les taxis pris d'assaut par des femmes élégantes chargées de paquets. Signés. Les cafés ne désemplissent pas de curieux nounours en peluche qui, entre une tasse de thé et une tranche de cake, se plaisent à

comparer les vertus des vendeuses Ricci à celles de leurs voisines d'en face, les diorettes.

Sur les larges trottoirs les femmes vont deux par deux : deux amies, deux générations. Parfois un homme passe. Il porte chapeau, gants et parapluie et sourit à l'image de la femme aimée recevant le précieux paquet qu'il tient serré sous son bras.

De gigantesques limousines aux vitres aveugles glissent en silence le long de l'avenue pour s'arrêter, au gré de l'inconnue qu'elles conduisent, devant l'une des célèbres maisons de couture. Là, le chauffeur empressé livre le passage à une silhouette fugitive qui, échappant aux regards de la rue, s'engouffre dans l'entrée scintillante qui l'accueille pour s'évader vers un salon Couture.

C'est au 33 de l'avenue Montaigne que se gare la voiture banalisée du commissaire Lucien Constantin. Il en des- cend précipitamment et pousse la porte d'un immeuble cossu sur la façade duquel on lit, en lettres d'or : « Arthur Couture ».

MARDI

Lola, ou le journal d'une standardiste

type="BWD"II

L était à peine 11 heures quand le commissaire Constantin est entré chez nous pour la première fois. Il m'a tout de suite fait une drôle d'impression : il

n'est pas beau mais a du charme. Il est surtout distingué. Jusqu'à l'indispensable petite faute de goût qui lui donne une aisance rare pour un policier. Presque féminin. Serait- ce pour cela qu'on lui a confié l'enquête? Après tout, le chiffon... Il faut pouvoir comprendre. Avoir la sensibi- lité...

Il souhaitait voir Armand Fontaine, notre directeur général. Marie, sa secrétaire, est descendue aussitôt le prendre. La pauvre avait gardé sa mine affolée et cachait mal son émotion. Il faut dire que depuis le matin nous étions tous bouleversés, et il y avait de quoi !

Nous venions de retrouver Jean Marlow, le styliste, mort.

C'était juste avant 10 heures que Claire Champeret, son assistante, l'avait découvert en entrant dans le studio. Jean Marlow était affalé à plat ventre sur son bureau, la tête dans les crayons épars, une main dans l'encre renversée. Son autre main pendait dans le vide : il avait une paire de ciseaux plantée dans le dos.

Le choc fut violent pour Claire, qui l'avait quitté la veille en plein triomphe, alors qu'il venait de présenter sa

dernière collection de haute couture à une salle enthou- siaste.

Elle hurla, puis courut jusqu'au bureau de Marie où elle fondit en larmes. En un coup de fil, la société tout entière connut la nouvelle. On s'attroupa, on s'indigna, on commenta. Ce n'est qu'au bout d'une demi-heure que quelqu'un pensa à appeler la police.

Pourtant, quelques heures plus tôt, personne n'aurait songé à imaginer un tel drame. Je suis standardiste chez Arthur Couture depuis plus d'un an déjà et rien jusque-là n'avait interrompu le délicieux bourdonnement de cette maison de haute couture en pleine activité. Les journées y coulaient, faciles, au rythme saisonnier des collections, me faisant découvrir ce que la vie offre de plus parisien et de plus raffiné. Chaque jour avait ses habitudes, chaque heure ses fidèles et tout semblait être écrit sur du papier doré.

Mais aujourd'hui le papier est déchiré et souillé : nous voilà en pleine tragédie.

Le commissaire Constantin fut donc directement conduit dans le bureau de Fontaine. Dix minutes plus tard, j'avais devant moi un solide jeune homme, tout essoufflé.

Assez beau gosse, dans le genre costaud, sain, bon teint. Une belle bouille qui doit venir d'une jolie campagne. Et en plus, l'air pas idiot du tout. Ce qui ne gâche rien...

Il s'est présenté : Paul Anry, assistant du commissaire. Depuis, j'ai appris qu'il fait l'école de commissariat et qu'il est en stage pour sa première enquête. Chance ! Je sens qu'il me plaît ce paulo là !

La maison Arthur Couture

type="BWD"PP

OUR mon premier jour d'enquête, me voici en retard! Je m'en veux, mais n'ai aucune excuse valable à présenter à mon patron. Je connais à

peine Lucien Constantin. J'apprendrai par la suite que mon retard l'a plutôt amusé, blasé qu'il est de ces stagiaires zélés qui le précèdent toujours d'un quart d'heure. En vain d'ailleurs, car Lucien Constantin n'est pas de ceux qui apprécient ce genre d'habitude.

Le bureau d'Armand Fontaine, le directeur général, est vaste, sobre, très clair. Quelques tableaux aux murs représentent des modèles de collections passées. Une grande table en bois brun, bien rangée. Des fauteuils et un canapé en cuir, bruns également. Téléphones et plantes vertes. Par la porte du fond, on entend le « tac-tac » de la machine à écrire de sa secrétaire.

Constantin ne prête pas tout de suite attention à mon entrée tardive, tant il est absorbé par la recherche fébrile du paquet de cigarettes qui n'est pas dans ses poches. Je m'empresse de lui donner discrètement les miennes. Il me lance un regard reconnaissant et se met, enfin, à écouter le directeur.

Armand Fontaine de Saint-Hilaire — c'est son nom au

complet — est un homme grand, de cinquante ans. Il a les traits harmonieux, mais un peu mous, d'un individu honnête et faible. Lui-même se qualifie de self-made man : les méchants disent que parti de rien, il est seulement arrivé à un peu plus. On le pense gentil — car pour être méchant, il faut de l'imagination —, poli par habitude, entreprenant par principe, méthodique par sens pratique. Il a deux enfants, un garçon et une fille par hasard, et une femme qui, tous les mois, vient hanter le bureau de son époux pour se prouver qu'elle est bien la femme du directeur d'une grande maison de couture parisienne. Sa cravate est jolie, mais son costume ordinaire.

Après quelques mots échangés avec Constantin, Armand Fontaine a vite compris que la Haute Couture nous est étrangère, et a décidé de nous faire un exposé détaillé sur la question. Bien calé dans son fauteuil, il se met à nous raconter l'histoire de la maison, avec l'air rassuré d'un homme qui récite un texte qu'il connaît par cœur. Constantin est très attentif.

Légèrement en retrait sur une chaise d'appoint, je peux tranquillement observer ces deux hommes qui se font face. Ils sont surprenants de différence. Constantin montre un visage presque disgracieux tant ses traits sont marqués et constrastés. Mais l'ironie froide de son regard bleu fait vite oublier cette première impression de chaos et la belle masse argentée de ses cheveux lui donne l'allure d'une star américaine dans la plénitude de ses cinquante ans. Il porte très bien une veste élégamment coupée de marque ita- lienne et ses mains sont étonnamment soignées.

A la P.J., on le pense célibataire. Il a peut-être une femme, au moins des amis... Il se dit solitaire. Il s'accom- mode très bien d'un passé plus ou moins trouble. Il pourrait même en jouer. Son intelligence est fine. Son humour cynique et désabusé. Il n'a pas l'âme d'un justicier et c'est sans doute sa curiosité maladive qui l'a poussé à

entrer dans la police. Curiosité des gens plutôt que de la vie, qui semble l'ennuyer. Pendant tout le début de l'entretien, il ne cessera d'ailleurs de scruter le visage d'Armand Fontaine.

C'est par une date que ce dernier commence son exposé : 1948, lorsque Arthur Couture a présenté sa première collection. « Parce que le nom Arthur Couture n'est pas inventé ? Il s'agit réellement de quelqu'un? » coupe Constantin.

Le directeur général sourit à tant d'ignorance : « La mère du créateur, explique-t-il, qui avait épousé un monsieur Couture, avait généreusement baptisé son fils des noms de : Joseph Arthur Désiré. C'est lorsque Joseph Couture a ouvert sa maison qu'il a décidé d'adopter son second prénom. C'était un homme qui avait de l'humour, et surtout beaucoup de talent. Aussi, il a très vite eu du succès, et en dix ans, il avait monté une maison de renommée internationale. C'était l'époque où Dior faisait un malheur; après quatre ans d'Occupation et plusieurs années de privations, le Tout-Paris avait besoin de retrou- ver ses élégances et son luxe. Balmain et Givenchy ont ouvert à peu près à la même époque. »

Le directeur s'interrompt un instant pour vérifier que nous ne confondons pas avec des marques de lessive les noms prestigieux qu'il est en train d'évoquer. Apparem- ment rassuré par le sérieux avec lequel nous accueillons ses propos, il poursuit : « Entre ces petits nouveaux et les maisons plus anciennes qui faisaient déjà figure de vérita- bles institutions, comme Lanvin ou Patou, Arthur Couture a bien su trouver sa place. Il s'est très vite diversifié : parfums bien sûr, mais aussi lingeries et accessoires. Ce qui lui a rapporté beaucoup d'argent. Et son installation avenue Montaigne fut sa consécration. Au début des années soixante-dix, il avait amorcé le virage du prêt-à-

— En plaçant la robe dans la main de Flora, il a bien réussi à nous égarer !

— Tout à fait. — Mais comment, de complice, en êtes-vous venu à

penser qu'il était coupable ? » Je n'ai même pas le courage de chercher tout seul. « Qui d'autre pouvait l'être ? » Constantin se délecte dans son rôle de Sherlock

Holmes. « Pendant le premier entretien que nous avions eu avec

lui, nous ne pouvions pas deviner à quel point ses relations étaient tendues avec Jean Marlow, mais Armand Fontaine avait, malgré lui, laissé transparaître une certaine froideur dans leurs rapports. De plus, la réaction qu'il avait eue devant son agenda oublié était étonnante. Il admettait se rappeler l'avoir laissé au studio. Il aurait donc dû nous en parler lui-même, tout de suite, et non attendre qu'on le lui présente. Il se doutait bien qu'on allait lui poser cette question ! Enfin, ajoute Constantin après avoir marqué une petite pause, Armand Fontaine ne nous a jamais raconté son arrivée chez Arthur Couture, comment il avait connu les Américains, quel était son passé professionnel. Et pourtant j'y avais fait allusion. Mais il avait su éluder la question.

— Et c'est par là que vous avez trouvé la faille... — Nos collègues avaient entamé une recherche sur

Armand Fontaine, de routine, poursuit Constantin, dans laquelle ils faisaient état de sa première collaboration avec les Américains. J'ai demandé des précisions, et c'est là que j'ai commencé à comprendre que tout n'était pas clair. Et en creusant un peu, je suis tombé sur l'histoire de la faillite. J'ai eu la chance de trouver rapidement le fameux associé qui s'est fait un plaisir de tout raconter au téléphone. Les choses ont alors pris corps petit à petit, et l'alibi s'est effondré. Il ne restait plus qu'à l'acculer aux

aveux. C'est Claire et Lola qui, sans le vouloir, m'ont donné l'idée. Elles m'avaient parlé d'une façon surpre- nante de l'amour qu'éprouvait Armand Fontaine pour Jeanne. En employant des mots très forts, et en soulignant le caractère excessif de sa passion. Comme tout laissait supposer que Jeanne était coupable, la comédie était facile à jouer. Et l'effet de surprise garanti ! »

Je regarde Constantin avec admiration. « Si je comprends bien, le fourgon, les sirènes, tout était

prévu ! — Tout compris, Paul, vous faites des progrès ! se

moque Constantin. Bien sûr, nous, nous avons l'habitude de ces choses. Mais sur tout bon citoyen père de famille, tout rusé qu'il soit, ça fait toujours de l'effet !

— Mais Jeanne dans tout ça? Si Armand Fontaine n'avait pas cédé ?

— Il fallait risquer le coup, même si nous devions casser des œufs. Il faut toujours. Ne serait-ce que pour s'assurer qu'on a vu juste... »

En disant cela, Lucien Constantin a enfin l'air d'un vrai flic de série noire.

Il ne me reste plus qu'à fermer le dossier. Mais avant, j'ai un coup de téléphone à donner.

Gagné ! Paul vient de m'appeler. On se fait un petit polard ce soir...