mesure de débit de gaz dans les microsystèmesgas flow measurement in microsystems

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Mec. Ind. (2001) 2, 355–362 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved S1296-2139(01)01106-X/FLA Mesure de débit de gaz dans les microsystèmes Pierre Lalonde, Stéphane Colin , Robert Caen Laboratoire de Génie Mécanique de Toulouse, INSAT, Département de Génie Mécanique, 135 avenue de Rangueil, 31077 Toulouse cedex 4, France (Reçu le 30 avril 2001) Résumé — Les microsystèmes véhiculant des gaz trouvent des applications de plus en plus nombreuses dans des secteurs variés. La mesure fine de micro-débits gazeux est nécessaire, aussi bien pour pouvoir valider tel ou tel modèle de conditions aux limites, notamment dans le régime fréquemment rencontré de « slip-flow », que pour tester des microsystèmes nouveaux. On propose dans cet article un nouveau banc d’essai, qui présente pour principal avantage par rapports aux bancs existants d’effectuer une double mesure simultanée de débit, à l’amont et à l’aval du microsystème. Cette double mesure met en évidence plusieurs difficultés techniques non décelables par les systèmes conventionnels. Les premières mesures effectuées sur des microtubes de section circulaire et de diamètre de quelques dizaines de microns sont présentées et commentées. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS microfluidique / microdébit / microcanal / écoulement gazeux / mesure expérimentale Abstract Gas flow measurement in microsystems. Microsystems for the transport of gas are used in various fields. A precise measurement of the encountered microflows is necessary, in order to valid one model or the other for the boundary conditions, notably in the slip-flow regime, as well as to test new microsystems. In this paper, a new experimental setup is described. Its main advantage, compared with the setups presented in the literature, is the simultaneous double measurement of the flow, upstream and downstream from the microsystem. This double measurement points out several technical difficulties, which are not detectable by conventional devices. Our first experimental data, relative to circular microtubes, about a few tenths of microns in diameter, are presented and discussed. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS microfluidics / microflow / microchannel / gas flow / experimental measurement 1. INTRODUCTION Les nouvelles technologies de gravure sur silicium sont maintenant largement utilisées pour la fabrication de microsystèmes véhiculant des fluides, notamment dans les secteurs aéronautique, automobile ou paramédical. Des assemblages utilisant des microvalves, des micro- diodes ou des micropompes, permettent ainsi le transfert et la régulation d’écoulements dans des configurations variées. Les éléments constituant ces microsystèmes sont généralement reliés entre eux par des microconduites, qui peuvent également jouer des rôles plus spécifiques, par exemple dans les échangeurs de chaleur, les microdoseurs ou les chromatographes. Les dimensions internes rencon- trées sont souvent de l’ordre du micromètre. Ce confine- Correspondance et tirés à part. E-mail addresses: [email protected] (P. Lalonde), [email protected] (S. Colin), [email protected] (R. Caen). ment poussé est alors responsable d’une intensification du rôle joué par les parois et dans le cas particulier des gaz, de la raréfaction de l’écoulement. La raréfaction in- tervient lorsque le libre parcours moyen λ des molécules n’est plus négligeable devant les dimensions caractéris- tiques H de l’écoulement. Le nombre adimensionnel de Knudsen Kn = λ H (1) permet de quantifier cette raréfaction. Dans des condi- tions de température et de pression standards, ce nombre de Knudsen est généralement compris entre 10 3 et 10 1 . Les écoulements sont alors faiblement raréfiés et on parle d’écoulement glissant ou « slip-flow ». Ces écou- lements peuvent être modélisés à partir des équations de Navier–Stokes auxquelles on associe des conditions aux limites à la paroi traduisant un saut de la vitesse u et de la température T . Selon les auteurs, ces conditions aux limites peuvent prendre diverses formes. A titre d’illus- tration, pour un écoulement isotherme, Beskok et Karnia- 355

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Mec. Ind. (2001) 2, 355–362 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reservedS1296-2139(01)01106-X/FLA

Mesure de débit de gaz dans les microsystèmes

Pierre Lalonde, Stéphane Colin ∗, Robert CaenLaboratoire de Génie Mécanique de Toulouse, INSAT, Département de Génie Mécanique, 135 avenue de Rangueil, 31077 Toulouse cedex 4,

France

(Reçu le 30 avril 2001)

Résumé—Les microsystèmes véhiculant des gaz trouvent des applications de plus en plus nombreuses dans des secteurs variés.La mesure fine de micro-débits gazeux est nécessaire, aussi bien pour pouvoir valider tel ou tel modèle de conditions aux limites,notamment dans le régime fréquemment rencontré de «slip-flow», que pour tester des microsystèmes nouveaux. On propose dans cetarticle un nouveau banc d’essai, qui présente pour principal avantage par rapports aux bancs existants d’effectuer une double mesuresimultanée de débit, à l’amont et à l’aval du microsystème. Cette double mesure met en évidence plusieurs difficultés techniquesnon décelables par les systèmes conventionnels. Les premières mesures effectuées sur des microtubes de section circulaire et dediamètre de quelques dizaines de microns sont présentées et commentées. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

microfluidique / microdébit / microcanal / écoulement gazeux / mesure expérimentale

Abstract—Gas flow measurement in microsystems. Microsystems for the transport of gas are used in various fields. A precisemeasurement of the encountered microflows is necessary, in order to valid one model or the other for the boundary conditions,notably in the slip-flow regime, as well as to test new microsystems. In this paper, a new experimental setup is described. Its mainadvantage, compared with the setups presented in the literature, is the simultaneous double measurement of the flow, upstreamand downstream from the microsystem. This double measurement points out several technical difficulties, which are not detectableby conventional devices. Our first experimental data, relative to circular microtubes, about a few tenths of microns in diameter, arepresented and discussed. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

microfluidics / microflow / microchannel / gas flow / experimental measurement

1. INTRODUCTION

Les nouvelles technologies de gravure sur siliciumsont maintenant largement utilisées pour la fabrication demicrosystèmes véhiculant des fluides, notamment dansles secteurs aéronautique, automobile ou paramédical.Des assemblages utilisant des microvalves, des micro-diodes ou des micropompes, permettent ainsi le transfertet la régulation d’écoulements dans des configurationsvariées. Les éléments constituant ces microsystèmes sontgénéralement reliés entre eux par des microconduites, quipeuvent également jouer des rôles plus spécifiques, parexemple dans les échangeurs de chaleur, les microdoseursou les chromatographes. Les dimensions internes rencon-trées sont souvent de l’ordre du micromètre. Ce confine-

∗ Correspondance et tirés à part.E-mail addresses: [email protected] (P. Lalonde),

[email protected] (S. Colin), [email protected](R. Caen).

ment poussé est alors responsable d’une intensificationdu rôle joué par les parois et dans le cas particulier desgaz, de la raréfaction de l’écoulement. La raréfaction in-tervient lorsque le libre parcours moyenλ des moléculesn’est plus négligeable devant les dimensions caractéris-tiquesH de l’écoulement. Le nombre adimensionnel deKnudsen

Kn = λ

H(1)

permet de quantifier cette raréfaction. Dans des condi-tions de température et de pression standards, ce nombrede Knudsen est généralement compris entre 10−3 et10−1. Les écoulements sont alors faiblement raréfiés eton parle d’écoulement glissant ou « slip-flow ». Ces écou-lements peuvent être modélisés à partir des équations deNavier–Stokes auxquelles on associe des conditions auxlimites à la paroi traduisant un saut de la vitesseu et dela températureT . Selon les auteurs, ces conditions auxlimites peuvent prendre diverses formes. A titre d’illus-tration, pour un écoulement isotherme, Beskok et Karnia-

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P. Lalonde et al.

dakis [1] suggèrent un saut de vitesse adimensionnaliséesous la forme

u∗gaz− u∗

p = 2− σv

σv

Kn

1− b Kn

(∂u∗

∂y∗

)p

(2)

tandis que Deissler [2] propose

u∗gaz−u∗

p = 2− σv

σv

2Kn

(∂u∗

∂y∗

)p

+ 9

2Kn2

(∂2u∗

∂y∗2

)p

(3)

Ces expressions font apparaître des termes d’ordre deux(en Kn2), voire supérieurs. Les exposants∗ indiquentla forme adimensionnelle, l’indicep est relatif à laparoi et la direction transverse est notéey. On noteσv

le coefficient de réflexion, qui caractérise le type deréflexion des molécules à la paroi. Il dépend de la naturedu gaz et de la paroi (matériau et état de surface). Ils està l’heure actuelle essentiellement déterminé de manièreexpérimentale.

Plusieurs campagnes d’essais ont déjà été menéesdans le monde, pour déterminer expérimentalement cecoefficient et tenter de valider l’un ou l’autre des modèlesde conditions aux limites, mais les résultats obtenus sontquelquefois contradictoires.

2. ÉTUDES EXPÉRIMENTALES RELATIVESAUX ÉCOULEMENTS GAZEUX ENMICROCONDUITES

Pfahler et al. [3] se sont intéressés à des écoulementsd’azote et d’hélium à l’intérieur de microconduites desection rectangulaire, gravées dans du silicium et recou-vertes par une plaque de Pyrex. Leurs essais ont mis enévidence une augmentation du débit massique par rapportà la théorie classique (utilisant les équations de Navier–Stokes et des conditions aux limites de vitesse nulle à laparoi), avec une hypothèse d’écoulement isotherme. Choiet al. [4] ont observé le même phénomène avec des mi-crotubes de section circulaire en silice fondue.

Tison [5] ont étudié des écoulements d’azote, d’ar-gon et d’hélium à l’intérieur de microtubes à parois on-dulées. La théorie d’écoulement glissant isotherme, avecdes conditions aux limites de saut de vitesse développéesau premier ordre, prédit correctement les valeurs de la ré-sistance de la conduite obtenues expérimentalement. Lavaleur du coefficient de réflexionσv est dans ce cas priseégale à 1, ce qui traduit un mode de réflexion diffuse desparticules à la paroi. Ces résultats sont confirmés par desessais d’écoulements d’azote et d’hélium à l’intérieur de

microtubes cylindriques, tant que les nombres de Knud-sen demeurent inférieurs à l’unité. Pour des nombres deKnudsen supérieurs, seul un calage expérimental est pro-posé.

Arkilic [6] et Liu et al. [7] ont analysé des écoulementsd’hélium dans des microconduites de section rectangu-laire, gravées dans le silicium, de profondeurs 1,2 µm et1,33 µm. Leurs débits expérimentaux sont correctementcorrélés par le même modèle, en utilisant également uncoefficient de réflexionσv = 1.

Harley et al. [8] ont étudié des écoulements d’azote,d’hélium et d’argon à l’intérieur de microcanaux de pro-fondeur allant de 0,5 à 19,79 µm. Le même modèled’écoulement isotherme, localement pleinement déve-loppé, avec un saut de vitesse développé au premier ordreetσv = 1, permet de retrouver les valeurs expérimentalesavec des écarts inférieurs à 8 %, qui restent compatiblesavec la plage d’incertitude calculée, de l’ordre de 12 %.Les hypothèses simplificatrices introduites dans ce mo-dèle sont de plus justifiées par une étude numérique.

Enfin, Shih et al. [9] ont complété les mesures effec-tuées par Liu et al. [7]. Théorie et expérience sont en bonaccord pour un écoulement d’hélium, mais avec un co-efficientσv = 1,162 et pour un écoulement d’azote avecσv = 0,9905, tant que la pression génératrice reste infé-rieure à 0,25 MPa. Pour des pressions supérieures, le mo-dèle sous-estime les valeurs expérimentales annoncées.

Ainsi, le modèle d’écoulement glissant, composé deséquations de Navier–Stokes accompagnées de conditionsaux limites de glissement, semble validé par la plupartdes résultats expérimentaux répertoriés sur des microcon-duites de sections rectangulaires ou circulaires. L’accordthéorie-expérience est généralement bon avec une hypo-thèse d’écoulement isotherme, des conditions de glisse-ment développées au premier ordre et un coefficient d’ac-commodationσv = 1. Toutefois, une analyse fine desdonnées expérimentales publiées dans d’autres articlesécrits par les auteurs précédents met en évidence cer-taines contradictions quantitatives. D’une part, les don-nées sont difficiles à exploiter car les incertitudes de me-sures ne sont pas toujours clairement précisées. D’autrepart, la détermination des dimensions des sections estquelquefois ajustée pour corréler théorie et expérience,ce qui est regrettable car il s’agit de paramètres très sen-sibles, qui interviennent à la puissance quatrième dans lecalcul du débit.

Il apparaît donc nécessaire d’enrichir la banque dedonnées actuelles par des mesures expérimentales sup-plémentaires, permettant de discuter la validité des diffé-rents modèles (d’ordre un ou supérieurs) et de déterminerle plus précisément possible les valeurs du coefficientsσv

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Mesure de débit de gaz dans les microsystèmes

en fonction du gaz, de la nature et de l’état de rugositédes parois. D’autre part, un banc d’essai capable de véri-fier les caractéristiques débit/pression de microsystèmesdivers, actifs ou passifs, ainsi que de leurs composants,s’avère indispensable pour pouvoir tester les nombreuxprototypes nécessaires à la mise au point de nouveaux mi-crosystèmes fluidiques. Dans tous les cas, ce type d’essaiimplique la mesure de très faibles débits gazeux. La par-tie suivante a pour but de répertorier la plupart des tech-niques actuellement utilisées et d’en comparer les plagesde mesures, les avantages et les inconvénients.

3. TECHNIQUES DE MESURESDE MICRODÉBITS GAZEUX

Les faibles débits de gaz ne sont pas mesurablesà l’aide de débitmètres conventionnels (e.g. rotamètresou débitmètres de type volumétrique). Des techniquesspécifiques ont ainsi dû être développées. Les principalesd’entre elles sont présentées ci-après, leurs gammes demesure étant résumées sur lafigure 5, dans le cas dedébits d’air.

3.1. Restriction étalon

Le principe de mesure des débitmètres actuellementcommercialisés et adaptés aux faibles débits consiste àfaire passer le gaz à l’intérieur d’une restriction étalon età mesurer la perte de charge occasionnée. Un schéma deprincipe est donné par lafigure 1. La relation entre débitet perte de charge est obtenue par étalonnage. Un desprincipaux problèmes est la forte perte de charge généréepar la restriction. D’autre part, les modèles disponibles(e.g. Molbloc chez DH Instruments, Inc.) ne permettentpas d’accéder à la mesure de très faibles débits.

3.2. Systèmes à volume variable

Il existe plusieurs configurations de systèmes à pres-sion constante et volume variable. Ils sont généralementutilisés pour fournir les caractéristiques précises de res-trictions étalon.

McCulloh et al. [10] ont présenté deux débitmètres,respectivement à pistons (figure 2) et à soufflets. L’écou-lement s’effectue depuis un réservoir à volume variableR vers une chambre à vide, les vannes A et B étant fer-mées en configuration de mesure. La chute de pression

Figure 1. Schéma de principe d’un débitmètre par restrictionétalon.

Figure 2. Schéma de principe du débitmètre à pressionconstante et volume variable, d’après [10].

engendrée est aussitôt compensée par le déplacement mo-torisé des pistons (ou des soufflets) grâce à un asservisse-ment. Le débit massique parcourant le microsystème µSest alors proportionnel à la variation de volume créée parles pistons.

Ehrlich et Basford [11] ont discuté les avantageset la précision d’un tel système, et ont insisté sur laquantification du phénomène d’adsorption et désorptiondes molécules sur les parois lorsque le débit descend en-dessous de 2·10−12 m3·s−1.

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P. Lalonde et al.

Figure 3. Débitmètre utilisé par Arkilic et al. [12].

3.3. Systèmes à pression variable

Un apport de gaz dans un réservoir à volume constantoccasionne une variation de pression dans ce réservoir,proportionnelle au débit si la température du gaz estmaintenue constante. Mais pour mesurer avec une pré-cision convenable des débits de l’ordre de 10−12 m3·s−1

avec un réservoir de 10−4 m3, il faudrait que la variationmaximale de température ne dépasse pas 10−6 K·s−1,ce qui est techniquement irréalisable. Arkilic et al. [12]ont proposé un système effectuant une mesure de pres-sion différentielle entre le réservoir A connecté à l’avaldu microsystème et un réservoir de référence scellé B( figure 3). Les deux réservoirs étant thermiquement cou-plés (noyés dans une même gangue de cuivre), cetteconfiguration permet de travailler avec des conditions destabilité thermique beaucoup plus facilement réalisables.La variation de température admissible pour l’ensembleest alors de l’ordre de 0,1 K·s−1, en supposant à toutinstant égales les températures des deux réservoirs. Parcontre, ce système nécessite un capteur de pression diffé-rentielle de très grande précision (de type Baratron), lesvariations à mesurer allant de quelques Pa à quelques di-zaines de Pa. D’autre part, il semble difficile de garan-tir la précision de la mesure, qui est fortement liée à laqualité du couplage thermique entre les deux réservoirs,elle-même difficilement quantifiable.

3.4. Pipette calibrée

La technique suivante est basée sur la mesure du dé-placement d’une goutte liquide dans une pipette étalon

Figure 4. Mesure de débit par suivi d’une goutte de liquidedans une pipette calibrée.

montée en série avec le microsystème. Le suivi optiquede la goutte peut se faire de différentes manières, une vi-sée à l’aide d’un binoculaire réticulé étant la techniquela plus utilisée (figure 4). Pfahler et al. [3] et Harley etal. [8] utilisent des pipettes de diamètres différents selonla gamme de débit. L’incertitude maximale annoncée estlégèrement supérieure à 2 %. Notons que la pipette dé-bouche à l’air libre, ce qui favorise une pollution de celle-ci et empêche de choisir la valeur de la pression aval.Pong et al. [13] effectuent également des mesures de dé-bits gazeux par cette méthode. Les débits volumiques me-surables par cette technique vont d’environ 10−7 m3·s−1

à 10−13 m3·s−1. Les durées de mesures peuvent s’avé-rer longues, rendant la mesure sensible aux variations detempérature et de pression atmosphérique.

3.5. Comparaison des différentestechniques

La figure 5 délimite en grisé les plages de débits mas-siques mesurables par les systèmes présentés précédem-ment, en fonction des pressions d’utilisation pour les-quelles des mesures sont fournies dans la littérature, legaz considéré étant de l’air. Lorsque le système de me-sure est placé en amont du microsystème, ces plages sontrepérées par des traits pointillés, alors qu’elles sont repé-rées par des traits pleins lorsque le système de mesure estplacé en aval. Les pressions portées en abscisse représen-tent alors selon le cas la pression à l’amont ou à l’aval dumicrosystème. La plage d’utilisation du banc d’essai pré-senté dans cet article est repérée en traits noirs. Il s’agitdu seul système effectuant à la fois une mesure à l’aval età l’amont du microsystème.

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Mesure de débit de gaz dans les microsystèmes

Figure 5. Plages d’utilisation des principaux systèmes demesure de microdébits gazeux (cas de l’air à T = 295 K).

On constate que les débits les plus faibles sont me-surables par les méthodes à volume variable ou à pres-sion variable. Cette dernière technique à été testée surune plage de pressions limitée mais il semble plausibled’étendre le domaine vers des pressions plus hautes. Lamesure par résistance étalon autorise une plage de pres-

sions assez large, mais la gamme de débits reste limitée.La technique de mesure par goutte liquide dans une pi-pette débouchant à l’air libre présente une large gammede débits mesurables.

Le dispositif que nous proposons, dont le principe estbasé sur cette dernière technique de mesure, permet unchoix de pressions amont et aval beaucoup plus vaste.

4. MISE AU POINT D’UN NOUVEAU BANCD’ESSAIS

4.1. Description générale

Le principe que nous avons retenu pour déterminer desdébits de l’ordre de 10−7 à 5·10−13 m3·s−1 est donc ce-lui du suivi d’une goutte liquide dans une pipette cali-brée. Le débit massique de gaz traversant le microsys-tème est déduit d’une double mesure simultanée des dé-bits volumiques dans des pipettes situées en amont et enaval de celui-ci (figure 6). Les deux mesures sont indé-pendantes et leur comparaison permet de valider l’essai.Les deux lignes de mesures sont isolées du milieu ex-térieur et peuvent être amenées indépendamment à des

Figure 6. Schéma de principe du banc d’essai.

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P. Lalonde et al.

pressions comprises entre 20 et 400 kPa, ce qui permetde tester certains microsystèmes (tels les microvalves)en charge. La confrontation des deux mesures permetd’identifier la présence de fuites pouvant exister au ni-veau des connexions du microsystème, souvent imper-ceptibles par d’autres moyens. Les mesures sont automa-tisées grâce à deux rampes de 12 capteurs optoélectro-niques reliées à un ordinateur. La répartition des capteurspermet de vérifier que l’écoulement étudié est bien per-manent durant tout l’essai.

Deux parties principales constituent le banc : d’unepart l’ensemble de génération de pression (partie situéeà gauche de l’enceinte thermique), et d’autre part lapartie dévolue à la mesure (à l’intérieur de l’enceintethermique régulée par un échangeur à effet Peltier, quipermet d’obtenir des températures de 10 à 40◦C). Lecircuit est en acier inoxydable ou en Téflon pour pouvoiraccepter des gaz assez agressifs. Une bouteille de gazmunie d’un régulateur de pression permet de délivrerune pression entre 1 et 4·105 Pa. Le gaz est filtré à0,01 µm par un filtre à cartouches de résine fluorée.Parallèlement, une pompe à vide équipée d’un régulateurpermet de créer des basses pressions, jusqu’à 1,2·104 Pa.Les pressions à l’intérieur des deux lignes de mesuresA et B sont réglées indépendamment l’une de l’autre.Ces deux lignes de mesure sont symétriques et peuventjouer le rôle de ligne amont (alors notée 1) tout autantque de ligne aval (notée 2) par rapport au microsystèmeµS. Une goutte d’eau déminéralisée est introduite danschaque pipette au moyen d’une seringue et d’un tubeflexible. Les pipettes sont en Pyrex, calibrées à 1 cc.Les capteurs optoélectroniques relevant le passage desgouttes sont des fourches à transmission constituées dediodes électroluminescentes et de photorécepteurs. LespressionsPA et PB de part et d’autre du microsystèmesont relevées par deux capteurs piézorésistifs de plage0−170 kPa ou 0−350 kPa et de classe 0,1. Deux sondesfournissent la température au niveau du microsystèmeet dans l’un des réservoirsRA ou RB. L’ensemble dessignaux est acquis et traité par le logiciel Tespoint surmicro-ordinateur.

4.2. Mesure

Les fréquences d’acquisition peuvent varier, selon lesdébits mesurés, de 0,001 à 50 Hz. Chaque pipette estéquipée de 12 capteurs optoélectroniquesCi qui détec-tent le passage du ménisque amont ou aval de la goutte.Une mesure de débit volumiqueQj

i est obtenue à l’aided’un couple de capteurs{Ci;Cj } et permet de calculer

(cf. section 4.3) le débit massiqueqj

i correspondant. Onobtient ainsi 11 mesures de débitqi+1

i à l’aide des 11couples de capteurs consécutifs, ceci pour chacun desdeux ménisques de chacune des deux gouttes, ce quidonne un total de 44 mesures distinctes.

On traite à part chaque groupe de 11 mesures. Toutd’abord, on compare la valeur moyenneq de ces 11débitsqi+1

i , dont l’écart type relatif est typiquement de1 %, à la valeur du débit globalq12

1 donné par les deuxcapteurs extrêmes. L’essai est rejeté si l’écart entre cesdeux débitsq et q12

1 est supérieur à 1 %. On compareensuite, pour la pipette amont notée 1, les débitsq12

1obtenus pour les deux ménisques de la goutte. L’essaiest rejeté si l’écart entre ces deux valeurs est supérieurà 0,5 %. Finalement, on noteq1 la moyenne de cesdeux valeurs, qui correspond au débit massique calculé àl’amont du microsystème. La démarche est la même pourla pipette aval et conduit à un débit massique notéq2.Pour terminer, la discussion porte sur une comparaisondeq1 etq2.

4.3. Calcul des débits massiques q1 etq2

Le principe de la mesure permet d’accéder directe-ment à un débit volumique, égal au volume déplacé parla goutte considérée par unité de temps. L’écoulementétant supposé permanent, pour pouvoir comparer les dé-bits mesurés à l’amont et à l’aval, il est nécessaire de cal-culer les débits massiques correspondants. Lafigure 7 re-présente les différents volumes de gaz de chaque côté dumicrosystème et de part et d’autre des gouttes, à un ins-tant donné.

Figure 7. Variables pour le calcul du débit massique.

360

Mesure de débit de gaz dans les microsystèmes

Le volumeV0 (respectivementV3) comprend le ré-servoir amont (respectivement aval) et la connectiquejusqu’à la goutte amont (respectivement aval). Les vo-lumesV1 et V2 sont compris entre les gouttes et le mi-crosystème µS. On noteq1 etq2 les débits massiques cal-culés à partir des mesures amont et aval, qui s’exprimentpar

q1 = −P1i

rT

�V1

�t1− V1i + �V1

rT

�P1

�t1(4)

q2 = P2i

rT

�V2

�t2+ V2i + �V2

rT

�P2

�t2(5)

en supposant le gaz parfait de constanter et l’évolutionisotherme à températureT . L’état initial est repéré par unindicei. Dans l’équation 4,�V1 et�P1 représentent lesvariations de volume et de pression entre la goutte amontet le microsystème pendant le durée�t1 de l’acquisition.Toutes les variables sont directement mesurables, à l’ex-ception de�P1 et�P2, qu’on peut toutefois évaluer. Eneffet, en ce qui concerne les sauts de pressionδP01 etδP23 au passage des gouttes amont et aval, dues aux ten-sions superficielles et aux frottements à la paroi, nousavons constaté que leur valeur est quasiment constante(de l’ordre de 70 Pa pour une goutte d’eau déminérali-sée). Dès lors, en notantδP ≈ δP01 ≈ δP23, on obtient

�P1 ≈ �P0 = (P1i + δP )�V1

V0i − �V1(6)

�P2 ≈ �P3 = (P2i − δP )�V2

V3i − �V2(7)

d’où

q1 = Q1

rT

(P1i + (P1i + δP )

V1i + �V1

V0i − �V1

)(8)

q2 = Q2

rT

(P2i + (P2i − δP )

V2i + �V2

V3i − �V2

)(9)

Q1 et Q2 étant les débits volumiques mesurés par lescapteurs optiques en amont et en aval du microsystème.

4.4. Incertitudes de mesure

Le calcul de l’incertitude sur une mesure de débit mas-sique est assez complexe. Les valeurs de cette incertitudevarient essentiellement avec la pression. Le débit volu-mique apporte une incertitude relative estimée à 1 % pourtous débits. Elle comprend les incertitudes relatives auvolume calibré des pipettes, à l’étalonnage des rampesoptoélectroniques, à l’échantillonnage numérique, ainsiqu’à l’influence des variations de luminosité ambiante etde la forme des ménisques sur les signaux des capteurs.

TABLEAU I

PA ouPB 50 kPa 100 kPa 170 kPa 350 kPaIncertitudeqA 3,8 % 2,4 % 2,4 % 2,3 %IncertitudeqB 3,4 % 2,2 % 2,2 %

Figure 8. Débits massiques issus des mesures à l’amont (q1)et à l’aval (q2) d’un microtube de diamètre D = 52,8 µm, delongueur L = 100,13 mm, avec P2 = 102,6 kPa.

Une attention particulière a été portée sur les valeurs desconstantes spécifiquesr de l’air, l’azote et l’hélium. Cesvaleurs peuvent varier fortement pour de faibles pressionslorsque les gaz ne sont pas secs. Letableau I présentequelques valeurs d’incertitudes sur les débits massiques,dans le cas où la ligne A est équipée d’un capteur de pres-sion 0–350 kPa et la ligne B d’un capteur 0–170 kPa.

4.5. Premiers essais

Les premiers essais effectués sont relatifs à des écou-lements d’air dans des microtubes circulaires en silicefondue, de quelques dizaines de microns de diamètre.Les figures 8 et 9 présentent les débits mesurés dans unmicrotube de diamètreD = 52,8 µm, de longueurL =100,13 mm, pour des pressions avalP2 fixées respective-ment à 102,6 kPa et 169 kPa. Sur ces graphes sont égale-ment représentées les courbes théoriques correspondant àun écoulement compressible visqueux et isotherme, avecdes conditions aux limites de non-glissement aux parois,les nombres de Knudsen étant ici suffisamment faibles.Le débit théorique prend alors la forme

qthéo= πD4P 22

256µrLT

((P1

P2

)2

− 1

)(10)

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P. Lalonde et al.

Figure 9. Débits massiques issus des mesures à l’amont (q1)et à l’aval (q2) d’un microtube de diamètre D = 52,8 µm, delongueur L = 100,13 mm, avec P2 = 169kPa.

les deux courbes tracées prenant en compte l’incertitudesur le diamètre du microtube.

On observe que sur les deux graphiques, les écartsentre débits expérimentaux amont et aval sont compa-tibles avec les incertitudes calculées. Toutefois, on re-marque que les valeurs aval sont systématiquement su-périeures aux valeurs amont, ceci étant vérifié sur l’en-semble des mesures effectuées. D’autre part, pour des es-sais à basse pression génératrice, les écarts peuvent de-venir incompatibles avec les incertitudes. Des investiga-tions sont actuellement en cours pour expliquer ce phéno-mène, dont l’origine peut avoir diverses causes. L’intérêtd’une double mesure amont/aval montre ici tout son in-térêt, car elle permet de rejeter toute mesure incohérente,due par exemple à un problème de fuite ou d’étalonnagedes capteurs.

5. CONCLUSION ET PERSPECTIVES

Dans le but de permettre la modélisation des écoule-ments gazeux dans les microsystèmes, il est apparu né-cessaire de pouvoir caractériser précisément ces écoule-ments avec des données expérimentales fiables. La prin-cipale difficulté réside dans la mesure de très faibles dé-bits gazeux. Une analyse des dispositifs existants a per-mis d’établir une base de réflexion pour la conceptiond’un banc spécifique. Ce banc permet la mesure de débitsvolumiques de 10−7 à 5·10−13 m3·s−1 avec une précisionde 1 %, les débits massiques correspondants ayant uneprécision variant entre 2,2 % et 7 % suivant la pression.Les microsystèmes peuvent être caractérisés en chargedans une plage de pression de 20 kPa à 400 kPa. L’in-

térêt principal de ce banc réside dans la double mesure,qui permet pour la première fois de détecter de nombreuxproblèmes expérimentaux. Les difficultés mises en évi-dence par cette double mesure nous incitent à considéreravec prudence les données expérimentales actuelles is-sues de bancs effectuant une seule mesure, amont ou aval.Certaines divergences relevées dans la littérature pour-raient ainsi être dues à des erreurs expérimentales nondétectées.

Nos premières mesures ont concerné des écoulementsnon glissants, mais nous allons maintenant exploiter lebanc dans des régimes plus raréfiés, faisant intervenir desconditions aux limites telles que celles évoquées dans lesection 1. Ainsi, le banc va être utilisé pour confronterdes modèles analytiques ou des simulations numériquesà des résultats expérimentaux, dans le cas de géométriessimples telles que des microconduites ou plus complexescomme des microvalves, microdiodes ou micropompes.

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