mercredi 13 juin 2018 l'alsace pour la mémoire d’un poilu · cette semaine, claude paris...

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Cette semaine, Claude Paris est à Magstatt-le-Bas. Elle a fait le voyage de Laval. En mémoire de son grand- père maternel, soldat français lors de la Première Guerre mondiale, dont la plaque militaire a été retrou- vée à Magstatt-le-Bas. L’histoire est peu banale : dans le petit village sundgauvien, Jean-Marie Guenin a déterré cette plaque. Sur l’avers, un nom, Alphonse Ragoin. L’année de son incorporation dans l’armée fran- çaise : 1915. Sur l’envers, un matri- cule, et le département d’origine du soldat, la Mayenne. Jean-Marie Guenin raconte : « Je voulais aller dans le verger familial, sur les Dorfmatten, pour planter un frêne. En creusant le trou, je suis tombé sur cette petite médaille en aluminium. » C’était il y a une quin- zaine d’années… Il a conscience de sa valeur, la range avec la plaque de son propre père – soldat durant la Seconde Guerre mondiale. Mais il ne cherche pas plus loin. Jusqu’à ce bar- becue, l’an passé. Il a sorti les mé- dailles, les a fait circuler autour de la table… Appel à la radio C’est alors Frédéric Dreyer, son gen- dre, qui prend le relais. Il se sou- vient : « Je me suis dit que j’allais lancer un appel sur Facebook. » Sans penser que cette bouteille à la mer allait susciter un engouement consi- dérable… En quelques jours, son post est partagé plus de 60 000 fois. « J’ai reçu plus de 700 messages. Y compris, bien sûr, de margoulins qui voulaient récupérer la plaque en me proposant de la leur envoyer. » Il n’a pas cédé, voulant, lui, retrouver la famille du soldat français. Et puis est arrivé cet appel de Radio Mayenne. « Ils ont fait une interview téléphonique. Et mon appel a été en- tendu ! » Claude Paris, la petite-fille du Poilu, poursuit : « Deux cousines de ma mère et une amie qui fait de la généalogie ont entendu l’émission. Elles m’ont raconté l’histoire de ce médaillon, et de ces Alsaciens qui cherchaient les descendants d’Al- phonse Ragoin. Et m’ont dit : “Cet homme, c’est ton grand-père !” » Un frère mort à Verdun Elle fait bien sûr les vérifications idoi- nes. « Des passionnés avaient déjà fait des recherches, d’après le matri- cule, et retrouvé le régiment de mon grand-père. Et puis ma mère, décé- dée en mars dernier, avait conservé des papiers, dont le livret militai- re… » Alphonse Ragoin, qui a notam- ment été artilleur, a même eu une citation à l’ordre du régiment pour fait de bravoure en 1915, alors qu’il était positionné dans le Nord où il a été blessé grièvement. Né le 26 février 1895, Alphonse Ra- goin a survécu à plus de trois ans de guerre. Son frère Pierre n’a pas eu cette chance : « Il est mort à Verdun. C’est le chagrin de la famille. C’est sur lui que s’étaient concentrées nos recherches. Sa tombe n’a jamais été retrouvée. » Un siècle après la fin de la guerre, c’est donc Alphonse qui est à l’honneur, par la grâce de cette plaque retrouvée. Il est décédé en 1960. « Un cancer de l’œsophage, sans doute parce qu’il avait été ga- zé. » Mais il a pu fonder une famille… « Pour moi, témoigne sa petite-fille, c’était très important de venir jus- qu’ici, à Magstatt-le-Bas, pour venir chercher personnellement cette pla- que. Pour honorer sa mémoire. J’avais dix ans quand il est décédé. Je me souviens bien de lui. J’ai pris le train, le petit TER jusqu’à Sierentz. J’aurais fini à pied, pour rappeler le sacrifice de ces Poilus qui ont tant marché… » La découverte de la pla- que militaire l’interpelle : « C’est étrange, ce signe du destin… Et puis j’ai maintenant un support, un élé- ment matériel, pour témoigner, pour transmettre, expliquer à mes fils et mes neveux ce qu’a été cette guerre. Toute cette souffrance… » El- le se dit « émue et reconnaissante ». Reste un mystère. Comment la pla- que d’un soldat français a-t-elle pu être retrouvée à Magstatt-le-Bas, loin du front ? Lucien Brunner, le maire de Magstatt-le-Bas, a bien une hypothèse (lire ci-dessous). Mais Claude Paris est lancée : elle va pour- suivre les recherches. Notamment à Paris, aux archives militaires, et « partout où je pourrai avoir des in- formations pour reconstituer le par- cours d’Alphonse Ragoin jusqu’à la fin de la guerre ». Textes et photos : Jean-Christophe MEYER HISTOIRE Pour la mémoire d’un Poilu La petite-fille d’un soldat français de la Grande Guerre est venue en Alsace retrouver la plaque militaire qu’un habitant de Magstatt-le-Bas, dans le Sundgau, avait retrouvée dans un pré en voulant planter un arbre. Claude Paris a fait le voyage depuis Laval pour récupérer la plaque militaire de son grand-père Alphonse Ragoin, Poilu de la Grande Guerre. Photo L’Alsace Lucien Brunner, maire de Magstatt-le-Bas, sait que, durant la Grande Guerre, son village a accueilli un Feldlazarett, un camp qui comprenait une dizaine de baraquements sur les Gaugelmatten. Un centre « qui permettait de soigner les blessures mineures et qui permettait aux soldats allemands trop loin de chez eux de récupérer lors de courtes permissions ». C’est pour ce petit hôpital de campagne que l’administra- tion allemande a d’ailleurs installé un petit réseau d’eau courante qui a aussi pu servir aux habitants. Mais le camp n’accueillait a priori que des soldats allemands… Donc Alphonse Ragoin n’a pu y perdre sa plaque militaire. « La seule hypothèse possible pour moi, c’est qu’il ait été fait prisonnier à la fin de la guerre. À Helfrantzkirch, il y avait un camp de prisonniers français, du Vieil Armand. Ces prisonniers travaillaient parfois chez des agriculteurs du coin. Peut-être est-ce à ce moment que la plaque a été perdue… » Une hypothèse qui reste à vérifier ! Pourquoi Magstatt-le-Bas ? Sur l’avers de la plaque militaire, le nom, Alphonse Ragoin, et la date d’incorporation dans l’armée française, 1915. Photo L’Alsace Région MERCREDI 13 JUIN 2018 L'ALSACE 41 IRE04

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Page 1: MERCREDI 13 JUIN 2018 L'ALSACE Pour la mémoire d’un Poilu · Cette semaine, Claude Paris est à Magstatt-le-Bas. Elle a fait le voyage de Laval. En mémoire de son grand-père

Cette  semaine,  Claude  Paris  est  à Magstatt-le-Bas. Elle a fait le voyage de Laval. En mémoire de son grand-père maternel,  soldat  français  lors de  la  Première  Guerre  mondiale,dont la plaque militaire a été retrou-vée à Magstatt-le-Bas. L’histoire est peu  banale :  dans  le  petit  village sundgauvien,  Jean-Marie  Guenin  a déterré cette plaque. Sur l’avers, un nom, Alphonse Ragoin. L’année de son incorporation dans l’armée fran-çaise : 1915. Sur l’envers, un matri-cule, et le département d’origine du soldat, la Mayenne.Jean-Marie  Guenin  raconte :  « Jevoulais aller dans le verger familial, sur les Dorfmatten, pour planter un frêne.  En  creusant  le  trou,  je  suis tombé sur cette petite médaille en aluminium. » C’était il y a une quin-zaine d’années… Il a conscience de sa valeur, la range avec la plaque de son propre père – soldat durant  la Seconde Guerre mondiale. Mais il necherche pas plus loin. Jusqu’à ce bar-

becue, l’an passé. Il a sorti les mé-dailles, les a fait circuler autour de la table…

Appel à la radio

C’est alors Frédéric Dreyer, son gen-dre,  qui  prend  le  relais.  Il  se  sou-vient :  « Je  me  suis  dit  que  j’allaislancer un appel sur Facebook. » Sanspenser que cette bouteille à la mer allait susciter un engouement consi-dérable…  En  quelques  jours,  sonpost est partagé plus de 60 000 fois. « J’ai reçu plus de 700 messages. Y compris, bien sûr, de margoulins qui voulaient récupérer la plaque en me proposant de la leur envoyer. » Il n’a pas cédé, voulant, lui, retrouver la famille du soldat français.Et puis est arrivé cet appel de Radio Mayenne. « Ils ont fait une interviewtéléphonique. Et mon appel a été en-tendu ! » Claude Paris, la petite-fille du Poilu, poursuit : « Deux cousines de ma mère et une amie qui fait de la généalogie ont entendu l’émission. 

Elles m’ont raconté l’histoire de ce médaillon,  et  de  ces  Alsaciens  quicherchaient  les  descendants  d’Al-phonse Ragoin. Et m’ont dit : “Cet homme, c’est ton grand-père !” »

Un frère mortà Verdun

Elle fait bien sûr les vérifications idoi-nes. « Des passionnés avaient déjà fait des recherches, d’après le matri-cule, et retrouvé le régiment de mon grand-père. Et puis ma mère, décé-dée en mars dernier, avait conservé des  papiers,  dont  le  livret  militai-re… » Alphonse Ragoin, qui a notam-ment été artilleur, a même eu une citation à l’ordre du régiment pour fait de bravoure en 1915, alors qu’il 

était positionné dans le Nord où il a été blessé grièvement.Né le 26 février 1895, Alphonse Ra-goin a survécu à plus de trois ans de guerre. Son frère Pierre n’a pas eu cette chance : « Il est mort à Verdun.C’est le chagrin de la famille. C’est sur lui que s’étaient concentrées nos recherches. Sa tombe n’a jamais été retrouvée. » Un siècle après la fin de la guerre,  c’est donc Alphonse qui est à l’honneur, par la grâce de cette plaque  retrouvée.  Il  est décédé en 1960.  « Un  cancer  de  l’œsophage, sans doute parce qu’il avait été ga-zé. » Mais il a pu fonder une famille…« Pour moi, témoigne sa petite-fille, c’était  très  important  de  venir  jus-qu’ici, à Magstatt-le-Bas, pour venir chercher personnellement cette pla-que.  Pour  honorer  sa  mémoire.

J’avais dix ans quand il est décédé. Jeme souviens bien de lui. J’ai pris le 

train, le petit TER jusqu’à Sierentz. J’aurais fini à pied, pour rappeler le sacrifice de ces Poilus qui ont  tant marché… » La découverte de la pla-que  militaire  l’interpelle :  « C’est étrange, ce signe du destin… Et puis j’ai maintenant un support, un élé-ment  matériel,  pour  témoigner,pour  transmettre, expliquer à mes fils et mes neveux ce qu’a été cette guerre. Toute cette souffrance… » El-le se dit « émue et reconnaissante ».Reste un mystère. Comment la pla-que d’un soldat français a-t-elle pu être  retrouvée  à  Magstatt-le-Bas, loin  du  front ?  Lucien  Brunner,  lemaire de Magstatt-le-Bas, a bien unehypothèse  (lire  ci-dessous).  Mais Claude Paris est lancée : elle va pour-suivre les recherches. Notamment à Paris,  aux  archives  militaires,  et« partout où je pourrai avoir des in-formations pour reconstituer le par-cours d’Alphonse Ragoin jusqu’à la fin de la guerre ».

Textes et photos :Jean-Christophe MEYER

HISTOIRE

Pour la mémoire d’un PoiluLa petite-fille d’un soldat français de la Grande Guerre est venue en Alsace retrouver la plaque militaire qu’un habitant de Magstatt-le-Bas, dans le Sundgau, avait retrouvéedans un pré en voulant planter un arbre.

Claude Paris a fait le voyage depuis Laval pour récupérer la plaque militaire de son grand-père Alphonse Ragoin, Poilu dela Grande Guerre.  Photo L’Alsace

Lucien Brunner, maire de Magstatt-le-Bas, sait que, durant la Grande Guerre, son village a accueilli un Feldlazarett, un camp qui comprenait une dizaine de baraquements sur les Gaugelmatten. Un centre « qui permettait de soigner les blessures mineures et qui permettait aux soldats allemands trop loin de chez eux de récupérer lors de courtes permissions ». C’est pour ce petit hôpital de campagne que l’administra-tion allemande a d’ailleurs installé un petit réseau d’eau courante qui a aussi pu servir aux habitants. Mais le camp n’accueillait a priori que des soldats allemands… Donc Alphonse Ragoin n’a pu y perdre sa plaque militaire. « La seule hypothèse possible pour moi, c’est qu’il ait été fait prisonnier à la fin de la guerre. À Helfrantzkirch, il y avait un camp de prisonniers français, du Vieil Armand. Ces prisonniers travaillaient parfois chez des agriculteurs du coin. Peut-être est-ce à ce moment que la plaque a été perdue… » Une hypothèse qui reste à vérifier !

Pourquoi Magstatt-le-Bas ?

Sur  l’avers  de  la  plaque  militaire,  le  nom,  Alphonse  Ragoin,  et  la  dated’incorporation dans l’armée française, 1915.  Photo L’Alsace

Région MERCREDI  13  JUIN 2018 L'ALSACE41

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