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UNIVERSITÉ JEAN MOULIN LYON III FACULTÉ DE DROIT
MASTER 2 DROIT INTERNATIONAL PUBLIC LA CONTRAINTE ECONOMIQUE DANS LE
DROIT DES TRAITÉS
MÉMOIRE EN VUE DE L’OBTENTION DU DIPLOME PRÉSENTÉ ET SOUTENU PAR
M. VICENTE GUAZZINI
SOUS LA DIRECTION DE
MME LE PROFESSEUR SANDRINE CORTEMBERT
ANNÉE UNIVERSITAIRE 2012/2013
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A Mariana, Jorge et Cristóbal
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REMERCIEMENTS
Je souhaite vivement remercier Mme la Maître de Conférences Sandrine CORTEMBERT pour avoir accepté de diriger ce travail de recherche ainsi que pour ses encouragements et sa compréhension permanentes tout au long de cette période. Je peux témoigner que sa patience, son esprit critique et sa vocation pédagogique envers moi et mon travail sont des rares atouts dans le monde académique d’aujourd’hui, sans regard du pays où l’on se trouve. Je ne les oublierai jamais. Je remercie également M. le Professeur Stéphane DOUMBÉ-BILLÉ pour l‘opportunité d’intégrer cette formation en Droit international public à l’Université de Lyon. Je tiens également à remercier M. le Professeur Mathieu CARDON pour avoir accepté de siéger au jury, et devant qui j’aurai l’honneur de soutenir ce mémoire. Enfin, je souhaiterais remercier vivement ma famille et mes amis tant au Chili comme en France pour leur affection et soutien.
4
« Although it might appear odd to refer to economic facts at a conference on
law such as the present one, it must be remembered that the very existence
of States, in particular the smaller ones, was based on economic needs. The
real force today was the economic force which, in view of the deplorable
situations of a large number of countries, might play a vital role ».
Abdul Hakim TABIBI, Représentant de l’État d’Afghanistan,
à la quarante-huitième réunion de la première session,
Conférence de Vienne sur le Droit des Traités
(Vienne, le 2 mai 1968)
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ABREVIATIONS ET ACRONYMES AFDI : ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL AJIL : AMERICAN JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW CDI/ILC : COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL/ INTERNATIONAL LAW COMMISSION CIJ : COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE CPJI : COUR PERMANENTE DE JUSTICE INTERNATIONALE CVDT : CONVENTION DE VIENNE SUR LE DROIT DES TRAITES E-U : ETATS-UNIS ED. : ÉDITIONS (EDS.) : ÉDITEURS FMI/IMF : FONDS MONETAIRE INTERNATIONAL /INTERNATIONAL MONETARY FUND IBID. : IDIBEM NOEI : NOUVEL ORDRE ECONOMIQUE INTERNATIONAL OEA : ORGANISATION DES ETATS AMERICAINS OIT : ORGANISATION INTERNATIONAL DU TRAVAIL OMPI : ORGANISATION MONDIALE DE LA PROPRIETE
INTELLECTUELLE OMS : ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE ONU : ORGANISATION DES NATIONS UNIES OP. CIT : OPUS CITATUM PED : PAYS EN DEVELOPPEMENT R.C.A.D.I. : RECUEIL DE COURS DE L’ACADEMIE DE DROIT INTERNATIONAL DE LA HAYE RFA : REPUBLIQUE FEDERALE ALLEMANDE
6
R.G.D.I.P : REVUE GENERALE DE DROIT INTERNATIONAL PUBLIC R-U : ROYAUME UNI SAP : STRUCTURAL ADJUSTMENT PROGRAM TVA : TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE TFEU : TRAITÉ DE FONCTIONNEMENT DE L’UNION EUROPEENNE UE : UNION EUROPEENE UNCIO : UNITED NATIONS CONFERENCE ON INTERNATIONAL
ORGANIZATION § : PARAGRAPHE
7
ABSTRACT Lors de la Conférence de Vienne sur le droit des traités de 1968, plusieurs pays en développement avaient soulevé l’importance de bien définir la notion de « force » qui allait être incluse dans l’article 52 de la Convention (Contrainte exercée sur un Etat par la menace ou l’emploi de la force). Ces Etats considéraient que la notion visée ne pouvait pas se limiter à la force armée, mais qui devait aussi comprendre la contrainte économique. La formulation finale ne permet pas de conclure ceci. En vertu de l’évolution du droit international public peut-on envisager, quarante ans après la Convention, un développement de la notion de force dans le droit des traités tendant à reconnaître la contrainte économique comme vice du consentement ? Y-a-t -il lieu de s’interroger sur une possible valeur coutumière de la règle interdisant l’usage de la contrainte économique et la possibilité de le sanctionner par la nullité selon la teneur de l’article 52 de la Convention de Vienne sur le droit de traités? During the 1968 Vienna Conference on the Law of Treaties, several developing countries underlined the importance of achieving a suitable definition of the concept of « force », as the future article 52 of the Convention (Coercion of a State by the threat or use of force) would adopt it. These countries’ concern was that the notion of coercion presented on the draft would be wide enough as to take into account economical pressure. The final text of the article does not seem to take these considerations into account. Forty years after the Convention, and on the basis of the evolution of international public law and its current developments, is it possible to consider economical pressure as a cause for vitiated consent in law of treaties? Is it foreseeable to acknowledge the existence of a customary norm of international law banning economical pressure and to sanction its use by nullity as prescribed by article 52 of the Vienna Convention on the Law of Treaties? Durante la Conferencia de Viena sobre el Derecho de los Tratados de 1968, varios países en desarrollo se pronunciaron sobre la importancia de definir cabalmente el concepto de « fuerza » que sería incorporado al futuro artículo 52 de la Convención (Coacción sobre un Estado por la amenaza o el uso de la fuerza). Dichos países consideraban que la noción en cuestión no debía limitarse solamente a la fuerza armada, sino que debía también incorporar entre otros elementos, la presión económica. El texto final del artículo no permite extraer una interpretación amplia en este sentido. En virtud de la evolución constante del derecho internacional público, cuarenta años después de la Convención, cabe preguntarse si el concepto de coerción económica ha evolucionado al punto de poder ser considerado como un vicio del consentimiento en derecho de los tratados. ¿Es factible admitir la existencia de una norma consuetudinaria que prohíba el uso de la coerción económica y la sancione con la nulidad según el tenor del artículo 52 de la Convención de Viena sobre el Derecho de los Tratados?
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SOMMAIRE
ABSTRACT_____________________________________________________7 INTRODUCTION_________________________________________________8 PREMIÈRE PARTIE _____________________________________________25 LA CONTRAINTE EN TANT QUE VICE DU CONSENTEMENT EN DROIT INTERNATIONAL POSITIF Chapitre I : L’analyse normative de l’article 52 CVDT__________________25 Section 1 : L’article 52: mis en exergue par les Etats participants à la Conférence de Vienne.............................................................................................................26 Section 2: Les mesures juridiques contenues dans l’énoncé de l’article 52........29 Section 3 : L’application de la notion de force stricto sensu et le principe de bonne foi au regard de l’article 26 de la CVDT……………………………….........38 Chapitre II : La notion de force dans l’article 52 et ses limites à la lumière des principes de la Charte de l’ONU________________________________44 Section 1 : L’interprétation stricte de la notion de force et sa friction avec les principes de la Charte.…………………………………………………………..........45 Section 2 : La stabilité de l’ordre juridique international comme pierre d’achoppement pour admettre un élargissement de la notion de force...............53
DEUXIÈME PARTIE______________________________________________58 L’EVOLUTION DE LA NOTION DE FORCE AU REGARD DE LA PRATIQUE DES ETATS EN DROIT INTERNATIONAL
Chapitre I : Vers une notion élargie de la force et une application conséquente de la nullité par contrainte en droit des traités____________58
Section 1 : La pratique des Etats tendant à la reconnaissance de l’illicéité de la contrainte économique comme moyen de négociation d’un traité...................59 Section 2 : Le résultat obtenu à l’issue de la Conférence de Vienne : la Déclaration annexée sur l’interdiction de toutes les formes de contrainte...........69 Section 3 : L’opinion dissidente du juge PADILLA NERVO dans l’affaire « Compétence en matière des pêcheries » du 2 février 1973) (Islande c. Royaume Uni et RFA)..........................................................................................73 Chapitre II : Les enjeux contemporains du droit international touchant la question de la contrainte économique______________________________76 Section 1 : La reconnaissance grandissante du problème de la contrainte économique dans le système onusien.................................................................77 Section 2 : L’accentuation du déséquilibre des termes d’échange à cause de la contrainte économique.........................................................................................85 CONCLUSION _________________________________________________107 ANNEXE______________________________________________________110 BIBLIOGRAPHIE_______________________________________________112 TABLE DES MATIÈRES _________________________________________120
9
INTRODUCTION
La Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (CVDT)
est l’un des instruments juridiques conventionnels les plus importants du droit
international contemporain. Elle a été le fruit, d’une part, d’un travail ardu de la
Commission du Droit International (CDI) pendant plusieurs années et d’autre
part, d’un scrutin critique et exhaustif des représentants des États lors des deux
Conférences de Vienne tenues respectivement en 1968 et 1969.
Appelée souvent le «traité des traités » par la doctrine1, la Convention
de Vienne a canalisé l’intérêt et le souci de la communauté internationale pour
aboutir à un texte juridique codificateur de règles coutumières d’une dimension
structurelle, un cadre juridique minimale pour la règlementation des traités. Cet
instrument conventionnel contient des règles relatives à la conclusion, l’entrée
en vigueur et l’application des traités, ainsi que des règles relatives à leur
interprétation, leurs conditions de validité et la procédure de dénonciation.
Cette Convention a ainsi permis la codification d’un corps de règles de
droit des traités relatives aux traités internationaux, conclus par écrit et dont les
parties sont des États. Une deuxième Convention de Vienne incorporant les
traités conclus entre les Etats et les organisations internationales et ceux
conclus entre ces dernières fut signée quelques années plus tard en 1986. Plus
de vingt ans après son adoption, elle n’est toujours pas entrée en vigueur faute
de ratifications2.
1 KEARNY, (R.) et DALTON, « The Treaty of Treaties », A.J.I.L., vol. 64, nº 3, 1970, pages 495-561 ; SINCLAIR, (I.) The Vienna Convention on the Law of Treaties, Manchester University Press, 1984, page 3. 2 Aujourd’hui la « Convention de Vienne sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales » compte quarante-deux parties, dont trente États et douze organisations internationales (parmi elles, l’ONU, l’OMPI, l’OMS et l’OIT). Son article 85 dispose que l’instrument entrera en vigueur « le trentième jour qui suivra le dépôt du trente-cinquième instrument de ratification ou d'adhésion par les États […] ». Conformément à l’article précédent, les ratifications des organisations internationales ne sont pas prises en compte pour l’entrée en vigueur du traité.
10
L’importance de la CVDT pour l’évolution du droit des traités est
indéniable. Bien que modérée par le manque de ratification de quelques Etats3,
la Convention représente certainement un succès dans la tâche toujours difficile
de codifier le droit international en faisant confluer un grand nombre de volontés
étatiques diverses. Elle est venue donner une certitude dans un domaine
jusque-là très instable et sans guère d’occasion pour évoluer par le biais de la
pratique. Pour les Professeurs PELLET, DAILLIER et FORTEAU, la Convention
est « un remarquable succès et un exemple de conciliation pure et simple de
règles préexistantes et leur développement progressif »4.
Serge SUR estime que la Convention « procède donc au minimum à un
effort de systématisation, de regroupement et de réglementation qui comporte
une part importante de son développement progressif »5. Pierre-Marie DUPUY
considère que malgré les limitations propres du manque de ratification, la CVDT
peut être aujourd’hui « utilisée comme un véritable code du droit des traités »6.
Et en ce qui concerne le domaine des conditions de validité des traités, M.
DUPUY qualifie l’apport de la Convention comme étant « considérable, eu égard
à la pauvreté de la pratique et à l’ampleur des discussions doctrinales
antérieures »7.
La codification du droit des traités en tant que branche du droit de gens
fut à la base des préoccupations de la Commission du Droit International tout au
début de son existence, lors de sa première session en avril 1949. Cette
Commission, connue en anglais comme International Law Commission (ILC) et
créée par résolution 174 (II) du 21 novembre 1947 de l’Assemblée générale des
Nations Unies, réunit depuis cette date les plus éminents juristes du droit
3 La CVDT compte aujourd’hui cent-douze Etats parties au texte, avec quelques absences remarquables dont la France. Quinze autres Etats ont signé la Convention sans la ratifier, dont les Etats-Unis d’Amérique. 4 PELLET, (A.), DAILLIER, (P.) et FORTEAU, (M.) Droit international public, 8e éd. LGDJ, Paris, 2009, page 134. 5 SUR, (S.), dans COMBACAU, (J.) et SUR, (S.) Droit international public, 10e éd., Montchrestien, Paris, 2012, page 128. 6 DUPUY, (P-M.) et KERBRAT, (Y.), Droit international public, 11e éd., Dalloz, Paris, 2012, page 298. 7 Ibid., page 317.
11
international issus de divers pays. Elle représente dans sa globalité, l’ensemble
des systèmes juridiques de la planète. Ainsi, la CDI « se compose de trente-
quatre membres, possédant une compétence reconnue en matière de droit
international »8, tenant compte que « la représentation des grandes formes de
civilisation et des principaux systèmes juridiques du monde soit assurée »9.
Le Statut fixant les règles de la CDI établit sa double mission : il s’agit
pour elle de promouvoir le développement progressif du droit international et de
contribuer à sa codification10. Face à cet objectif la Commission s’est consacré à
identifier les domaines du droit international les plus sensibles à l’incertitude et
dont la codification apparaissait comme plus urgente.
Pour retrouver les origines de la Convention de Vienne sur le droit des
traités, il faut examiner la mission confiée par le Secrétariat des Nations Unies à
la CDI. Le 10 février 1949, le Secrétaire général de l’organisation (à l’époque le
norvégien Trygve LIE) lui adressa un mémorandum11 contenant les principales
thématiques jugées par lui comme prioritaires et dont la codification apparaissait
à son avis comme étant la plus urgente vu l’état de développement du droit
international et la récente création du système des Nations Unies. Entre les
sujets considérés comme prioritaires, figurait la reconnaissance d’Etat et de
gouvernement, le régime de haute mer, le régime des eaux territoriales, la
nationalité y compris l’apatridie, le droit d’asile, l’immunité diplomatique et
consulaire, la responsabilité de l’Etat pour acte illicite et la procédure arbitrale12,
8 Article 2 du Statut de la Commission du Droit International. 9 Ibid., Article 8. 10Ibid., Article premier. Bien que le statut fixe de règles différentes pour chacun de ces deux buts, certains auteurs critiquent la distinction faite, surtout concernant un exercice exclusivement codificateur. LAUTERPACHT par exemple, affirme: «Codification which constitutes a record of the past rather than a creative use of the existing materials –legal and others- for the purpose of regulating the life of the community is a brake upon progress ». Cité dans BOYLE, (A.) et, (C.) The Making of International Law , Collection Foundations of Public International Law, Oxford University Press, 2007, page 174. 11«Survey of International Law in Relation to the Work of Codification of the International Law Commission », sous le code [A/CN.4/1/Rev.1] du système des Nations Unies. 12 Sous la rubrique « Introduction » du site web de la CDI. http://www.un.org/law/ilc/index.htm.
12
tous des sujets qui ont occupé longtemps la CDI (et encore jusqu’à nos jours),
entre lesquels on comptait aussi le droit de traités dans sa totalité13.
Dans la partie III de ce mémorandum, le Secrétaire soulève la grande
nécessité d’incorporer tout le droit des traités dans cette liste, étant donné que
pendant l’existence de la Cour permanente de justice internationale (1922-1946)
une très grande partie des affaires portées devant elle concernaient des
contentieux liés à l’interprétation de traités internationaux. La codification de ce
domaine aurait permis d’acquérir une certitude juridique vitale pour les Etats
dans la conclusion de leurs engagements internationaux sous forme de traités.
Ce fut donc le coup d’envoi pour le projet de Convention sur le droit
des traités, qui fut minutieusement discuté et développé par la CDI pendant les
années à suivre, non sans difficulté. Il a fallu en effet presque vingt ans de
travail, d’hésitations et de débats pour arriver à la rédaction de la CVDT.
Les travaux de la CDI pour aboutir à un projet de convention
La CDI effectue toujours depuis sa création, des sessions annuelles
dans lesquelles elle aborde les sujets et problématiques recommandées par le
secrétariat de l’ONU. Lors de sa première session de 1949, la Commission
décida de donner la priorité au droit des traités.
Plusieurs rapporteurs spéciaux vont alors donner forme au projet de
convention pendant les années à suivre. En 1950, le premier rapporteur M.
James L. BRIERLY délivra un premier essai de onze articles, la plupart en
reprenant les efforts de la Harvard Law School dans les années trente. Ces
articles abordaient la conclusion du traité, son interprétation, sa ratification et la
compatibilité avec les lois constitutionnelles. M. BRIERLY quittera son poste
deux ans plus tard et son successeur Hersch LAUTERPACHT élargira la portée
du projet pour englober tout le droit des traités. Lui-même quittera le poste en
13 Parmi une liste de vingt-cinq sujets considérés comme prioritaires par le Secrétariat, la CDI effectua une révision détaillée et quatorze furent sélectionnés pour ses premières années de travail.
13
1953 suite à son élection à la Cour internationale de justice. Après deux ans
comme rapporteur, M. Gérald FITZMAURICE rend son premier rapport à la CDI
en 1956 et change la nature du texte pour l’assimiler à un code de principes au
lieu d’une draft convention.
Trois nouveaux rapports suivront. En 1959 la CDI, ayant traité et
analysé les quatre rapports, soumettra un texte de treize articles à l’examen de
la Sixième Commission (celle des questions juridiques) de l’Assemblée générale
des Nations unies. Ce texte appuiera la thèse de M. FITZMAURICE dans le
sens de créer un corps de règles sous la forme d’un code. A cet effet, le
rapporteur britannique affirmait qu’il semblait inapproprié d’établir les règles du
droit des traités sous la formé d’un traité, ou plutôt, il serait plus approprié de
procurer une « base indépendante », plus adaptée au format de code14.
Le traitement de ce texte par l’Assemblée générale en 1959 permit à
celle-ci de débattre le sujet du droit des traités pour la première fois depuis sa
création. Le Professeur FITZMAURICE fut un grand contributeur au projet, ses
rapports donnèrent beaucoup de profondeur et permirent de systématiser un
ensemble d’articles. Toutefois, élu à la Cour internationale de justice, il
abandonnera sa fonction de rapporteur spécial à la CDI en 1960. L’anglais
Humphrey WALDOCK deviendra alors le dernier rapporteur spécial pour la
question du droit des traités. Sa nomination produira une influence décisive sur
la version finale du projet de Convention.
En effet, suite à une demande de la CDI faite à son nouveau
rapporteur, le projet reprit la forme d’une Convention15. Un premier rapport de
vingt-sept articles fut analysé et approuvé par la CDI et soumis aux
gouvernements afin de prendre en compte leurs commentaires. Jusqu’en 1966,
la CDI examina les cinq parties du projet proposé par M. WALDOCK.
14 Traduction libre de l’anglais. Cité dans International Law Commission, First Report on the Law of Treaties, by Sir Humphrey Waldock, Special Rapporteur, [A/CN.4/144 and Add.1] sous le code su système des Nations Unies, 26 Mars 1962. 15 VILLIGER, (M.E.), « The 1969 Vienna Convention on the Law of Treaties: 40 Years After. Collected Courses of The Hague Academy of International Law». R.C.A.D.I, vol. 344, 2009, page 28. Selon l’auteur, il semble que ce fut M. WALDOCK lui même qui aurait exigé revenir au format de Convention comme condition pour assumer la fonction de rapporteur spécial.
14
En 1966, à sa dix-huitième session la Commission aborda surtout la
Partie V, aujourd’hui intitulée « Nullité, extinction et suspension de l’application
des traités » dans la CVDT, ainsi que la révision des parties précédentes afin de
prendre en compte les commentaires effectués par les États. La Partie V fut une
source de confrontations et de désaccords importants au sein de la CDI, une
tendance qui ne fit qu’augmenter lors des Conférences tenues ultérieurement à
Vienne en 1968 et 1969.
En définitive, après seize ans de travail et dix-sept rapports rendus par
quatre rapporteurs spéciaux, la CDI put finalement adresser en 1966 sa version
finale de soixante-quinze articles à l’Assemblée générale des Nations Unies.
En 1967, la Sixième Commission de l’Assemblée discuta en profondeur
du dernier projet. Selon M.E. VILLIGER, la Partie V a été très amplement
débattue et a attiré la plus grande attention, ses dispositions étant source de
discussions houleuses au sein de la commission d’experts juridiques de
l’Assemblée générale.
Après avoir examiné le projet, l’Assemble générale décida l’organisation
d’une conférence à Vienne pour aboutir à la création d’une convention. Visant à
atteindre un texte de portée universelle, l’invitation fut délivrée aussi aux Etats
qui, à l’époque ne faisaient pas partie des membres des Nations Unies.
La Partie V du projet et la nullité
Dans la Partie V du projet, consacrée à la nullité, la fin et la suspension
de l’application des traités, figurent les causes de nullité admises en droit
international coutumier à l’époque.
La nullité est une institution juridique créée par le droit civil romain.
Conçue comme une sanction juridique, elle vise à priver de ses effets les actes
juridiques qui ont été conclus de façon irrégulière, ou pour lesquels le processus
de formation du consentement a souffert d’une altération illégitime ou lorsque
15
l’objet de l’engagement n’est pas accepté par l’ordre juridique en question.
Parmi les causes de nullité acceptées par le projet de convention, on trouve les
dénommés vices du consentement. Ceux-ci et la sanction de nullité font partie
de la théorie des contrats en droit civil, tant dans le droit romain ancien comme
dans le courant du droit continental, et dont le code civil napoléonien de 1804 en
est témoin16.
Or, traditionnellement et toujours à partir du droit romain, les trois vices
par excellence sont l’erreur, le dol et la violence. Un quatrième vice peut être
ajouté à cette liste, la lésion, bien que dans le cas par cas elle est très souvent
assimilée soit à l’erreur (dans le cas ou la partie blessée ignore le vrai prix du
bien à vendre) soit au dol (lorsque la partie abusive exploite de façon excessive
sa position dominante et à l’égard de la position de grande faiblesse de la
contrepartie). De plus son champ d’application est beaucoup plus restreint, se
limitant uniquement à certains contrats civils ayant pour objet certains biens, ce
qui met en question son appartenance à la catégorie de vice du consentement.
Cette construction juridique vise les contrats en droit interne. En droit
international, ce sont les traités l’instrument juridique où l’on peut transposer la
théorie des vices du droit romain. Au moment de définir un traité, il est vital de
rappeler que, contrairement au droit interne, le libellé par lequel on désigne un
traité ne saurait pas changer l’acte juridique. La terminologie est souvent
inexacte et de ce fait, un traité peut ainsi s’appeler pacte, accord, charte,
convention, protocole…Sans regard du terme utilisé, sa nature juridique sera
déterminée par sa substance, et non pas par son appellation. Un traité n’est
donc pas définit comme tel par le nom qu’il a reçu mais par l’identification de
certains caractères et de ses effets envisagés en tant qu’acte juridique. Un traité
est alors « une manifestation de volontés concordantes imputables à deux ou à
plusieurs sujets de droit international et destinée à produire des effets de droit
selon les règles de droit international »17.
16 CÔTÉ, (M.) « La nullité des contrats », dans Les Cahiers de droit, Ed. Université de Laval, Québec, vol. 2, nº2, 1956, page 104. 17 REUTER, (P.) Introduction au droit des traités, 2e éd, Presses Universitaires de France, Paris, 1985, page 40.
16
Le « relativisme conventionnel »18 régnant en droit international, où
ce sont les sujets qui définissent avec grande autonomie l’objet, la forme et les
effets de droit à produire crée au même temps une incertitude de langage. Cette
idée de flexibilité contractuelle a été saisie par la Convention de Vienne, qui n’a
pas effectué une énumération limitative ni une classification systématique des
traités. La doctrine a établit des classifications variées et nombreuses du traité.
Sommairement il est important de signaler celle qui est établie selon le nombre
de parties. Un traité bilatéral est conclu entre deux parties, un traité multilatéral
est conclu entre plusieurs parties et souvent ouvert et à vocation universelle.
Certains auteurs ajoutent une troisième catégorie intermédiaire, le traité
plurilatéral, où le nombre de participants est supérieur à deux mais pour lequel
le nombre de participants resterait limité19.
Le traité, mode de formation conventionnel du droit international est
alors l’instrument juridique qui permet la transposition de la théorie des vices du
consentement. Bien qu’il serait une simplification trop facile d’accepter
l’équivalence totale d’application de la théorie des vices du consentement en
droit des contrats au droit des traités (un traité n’est pas tout simplement un
contrat entre sujets ayant la personnalité juridique internationale, vu les
particularités de cet ordre juridique), on ne saurait nier que les vices tels que l’on
les trouve énumérés dans la Partie V sont une construction juridique créée par
le droit romain des contrats civils. Cette transposition vers le droit des traités ne
fut peut-être pas absolue ni complète, mais il est indéniable que le droit
international des traités a emprunté ces institutions au droit civil classique.
Le vice qui intéresse la présente étude est celui de la violence. Le code
civil français définit la violence comme une façon [d]’ « extorquer » le
consentement20. Il existe des avis en droit civil comparé qui considèrent que la
violence en tant que telle n’est point un vice du consentement, puisque ce n’est
pas le cas d’un consentement vicié, mais plutôt celui d’une absence de
consentement. En tout cas, il est clair que la violence en tant que vice du 18 Ibid., page 39. 19 PELLET, (A.), DAILLIER, (P.) et FORTEAU, (M.) op. cit., page 122. 20 « Il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol ». Article 1109, Code civil français.
17
consentement attaque le noyau essentielle de la formation de l’engagement : la
volonté.
Ainsi, le projet de convention comprend deux hypothèses concernant
cette notion de violence. Dans la version française du projet de 1966, la notion
de « violence » du droit interne français a été convenablement remplacée par
celle de « contrainte » plus précise et quelque part plus en harmonie avec ses
équivalences « coercion » en anglais et « fuerza » en espagnol. Or, au regard
de la contrainte, la CDI a décidé de scinder le vice en admettant deux
hypothèses séparées pour invoquer la nullité. A savoir, celle de la contrainte
exercée sur le représentant d’un Etat, et celle de la contrainte exercée sur l’Etat
même par menace ou emploi de la force. Cette dernière hypothèse sera l’intérêt
principal de cette étude.
Avant d’aborder certains points de débat lors de deux Conférences de
Vienne entre 1968 et 1969 qui ont inspiré la réflexion menant à ce mémoire, il
est important de revoir l’état dans lequel se trouvait le rapport entre contrainte et
la conclusion de traités. Cet essai va d’ailleurs constituer une étape majeure
permettant la codification de ces règles et l’encadrement du développement
progressif du droit des traités. Une fois effectué ce rappel, il est aussi important
d’analyser le contexte politique et le rapport de forces dans lesquels les États de
la communauté internationale se trouvaient à l’époque.
On se trouve dans un contexte de méfiance croissante entre deux
blocs idéologiques en plein essor de la guerre froide, ainsi que l’existence d’un
nouvel axe Nord-Sud très marqué par la naissance tout récente de nouveaux
Etats pendant les années soixante. Ce contexte a configuré un scénario qui a
sans doute marqué le résultat de ces Conférences et le texte définitif qui fut
adopté comme Convention.
18
Contexte historique : Etat d’évolution de la question de traités conclus sous
l’empire de la violence avant la Convention de Vienne21
Avant l’existence de la Convention, on peut trouver deux stades bien
définis dans l’évolution des accords conventionnels entre les États. En citant
Pierre-Marie DUPUY, l‘apparition des traités est « historiquement liée à celle de
communautés politiques organisées, amenées par la force des choses à entrer
en relation les unes avec les autres »22.
Un premier stade est alors distinguable. Il est bien connu que dès
l’existence des premiers États, la contrainte (revêtant la plupart du temps le
caractère de force militaire) a été la source par laquelle les plus puissants
soumettaient les plus faibles. Le droit à la guerre était formellement reconnu
comme faisant partie des attributs de la souveraineté23. Cette naissante société
internationale ne connaissait que les mœurs de la guerre pour mettre fin aux
conflits qui émergeaient entre unités politiques à vocation toujours expansive et
colonisatrice. Dans ce cadre, les traités servaient d’instruments juridiques
permettant d’établir une situation de stabilité après un conflit armé laissant une
partie victorieuse qui était en position de domination. Ces accords, par le biais
desquels une partie contractante victorieuse imposait ses termes à la partie
vaincue, n’étaient pas vus sous l’optique actuelle d’un consentement vicié. En
effet, un traité de paix était un accord « profitable» à la partie vaincue, le seul
moyen pour celle-ci d’éviter son anéantissement.
Or, en absence de tout organe d’entente, toute instance de collaboration
en conditions d’égalité ou surtout toute autorité supérieure, la possibilité de
qualifier la valeur du consentement du contractant vaincu n’était pas
envisageable. Qui allait à l’époque contester la validité d’un traité de paix dans
un contexte où la guerre était le moyen pour régler virtuellement tout conflit entre
unités politiquement organisées? Naturellement, dans ce premier stade où la
21 TÉNÉKIDÈS, (G.) « Les effets de la contrainte sur les traités à la lumière de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 », A.F.D.I., vol. 20, 1974, pages 79-102. 22 DUPUY, (P-M.) op. cit, page 297. 23 COMBACAU, (J.) et SUR, (S.), op.cit., mentionnent par exemple l’ouvrage De jure belli ac pacis de GROTIUS de 1625.
19
guerre était légale, les traités conclus sous l’empire de la violence étaient
pleinement valides et légitimes.
Cependant, les faits arrivés lors de la première guerre mondiale ont
progressivement changé la donne. En 1928 la fameuse règle de la « mise de la
guerre hors-la-loi » du Pacte Briand-Kellogg 24 , bien qu’elle fut un échec
éclatant25 vus les évènements menant à la deuxième guerre mondiale, ouvra
une nouvelle période pendant laquelle la doctrine, et progressivement la
pratique des États commencèrent à abandonner l’ancienne notion de légitimité
de l’usage de la force au moment de conclure des accords internationaux.
Le principe posé dans le Pacte Briand-Kellogg fut invoqué par le Etats-
Unis en 1932 au moment de l’expression de son refus de reconnaître l’annexion
de la région de Mandchoukouo par le Japon en dépit de la République de Chine.
Le Secrétaire d’État Henry STIMSON, à l’origine de la doctrine qui porte son
nom, la « doctrine Stimson », déclara dans une note adressée au gouvernement
nippon que son pays refusait de « reconnaître la légalité d’une situation de fait
résultant d’actes de violence »26. Il ajouta que ces actes allaient non seulement
contre les obligations contenues dans le Pacte Briand-Kellogg mais aussi
constituaient à l’égard des Etats-Unis, une violation du Pacte de la Société des
Nations.
A partir de ce moment, l’exclusion de la violence comme source légitime
pour la conclusion de traités gagna du terrain jusque sa consécration, post-
deuxième guerre mondiale, dans l’article 2 § 4 de la Charte de l’ONU de 1945:
« Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre
24 Le « Pacte Briand-Kellogg » ou « Pacte de Paris » est un traité multilatéral signé à Paris le 27 août 1928 qui attint un total de 54 pays signataires. Il contient seulement 3 articles dont le premier est une renonciation à l’usage de la guerre comme politique extérieure. Il doit son nom aux agents plénipotentiaires nationaux Aristide Briand (pour la France) et Frank B. Kellogg (pour les Etats-Unis). 25 « Les Hautes Parties contractantes déclarent solennellement au nom de leurs peuples respectifs qu'elles condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant qu'instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles ». Pacte Briand-Kellogg du 27 août 1928, article premier. 26 TÉNÉKIDÈS, (G.) op.cit., page 82.
20
l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout état, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies »
Dès lors, il n’aura plus de débat sur l’illégitimité de l’emploi de la force
militaire dans les relations internationales, y compris lors de la conclusion des
traités. Les traités de paix imposés par la force n’étant plus considérés comme
légaux dans le droit international. Dans ce sens, la Convention de Vienne ne
supposera aucune innovation mais viendra cristalliser un courant faisant déjà
partie du droit international général.
Contexte politique : la confrontation idéologique de la communauté
internationale aux portes de la Conférence de Vienne de 1968.
La communauté internationale traversait une époque de profonde
division politique et idéologique qui allait se traduire en désaccords pendant la
Conférence. Roberto AGO, témoin privilégié des avances du projet de
Convention dans son rôle de membre de la CDI, décrit le problème avec clarté :
« Les complications les plus sérieuses étaient surtout dues à des divergences
d’ordre politique du moment, malheureusement très fortes […] qui vinrent se
greffer sur les questions plus directement pertinentes. Ceci était d’ailleurs à
prévoir. Une conférence mondiale comme celle qui nous occupe a lieu à un
moment donné de l’histoire et il est impensable qu’un événement de cette nature
reste à l’abri des tensions politiques qui existent à ce même moment »27.
En effet, les tensions politiques à l’époque s’étendaient en plusieurs
directions. Au conflit idéologique et militaire de la guerre froide déjà installé entre
l’URSS et les Etats-Unis avec leurs alliés respectifs et sa quête pour étendre
leur influence sur le monde, se greffe également une aspiration des pays en voie
de développement pour revendiquer ce qu’on a appelé en doctrine comme une
« exigence de moralisation »28. Le droit international du développement y trouve
un de ses principes fondateurs. En l’occurrence, les pays en voie de
27 AGO, (R.), « Droit des Traités à la lumière de la Convention de Vienne », R.C.A.D.I., vol. 134, 1971, pages 312-313. 28 FEUER, (G.) et CASSAN, (H.), Droit international du développement. 1e éd., Dalloz, Paris, 1985, page 163.
21
développement et ceux issus des processus tout récents de décolonisation
« voyaient l’occasion de s’exonérer d’obligations conventionnelles contractées
au lendemain des indépendances et qu’ils estimaient encore trop imprégnées de
colonialisme ou néo-colonialisme »29.
Ce contexte eut des retombées notoires s’agissant des discussions sur
la Partie V, les causes de nullité des traités et la théorie des vices du
consentement pendant la Conférence.
Exposition de la problématique et délimitation du sujet
Arrivés à la Conférence de Vienne, les États présents au rendez-vous
trouvèrent plusieurs points d’entente sur la plupart des questions concernant un
cadre juridique normatif pour la conclusion de traités. Comme il fut constaté par
la CDI pendant ses travaux, une bonne partie des normes proposées découlait
d’un usage étendu et persistant de la communauté internationale et pour
lesquelles le projet vint tout simplement codifier ces usages. Cependant, l’article
49 du projet consacré à la contrainte exercée sur un État par la menace ou
l’emploi de la force créa des fortes confrontations au sein de la Conférence30.
Ce débat, riche en arguments juridiques, politiques et historiques de
plusieurs États en situations socio-économiques, culturelles et évolutives très
différentes, nous fournit une bonne opportunité d’analyser les arrière-pensées
de chacun sur un terrain où aucun acteur voulait revenir sur sa position. Le
problème mérite bien d’être examiné.
L’article 49 du projet stipule :
« Est nul tout traité dont la conclusion a été obtenue par la menace ou l’emploi de la force en violation des principes de la Charte de Nations Unies »31
29 Ibid. 30 Pour référence, cet article 49 changera et deviendra l’article 52 dans le texte définitif. Des mentions expresses au projet ou au texte finale seront faites afin d’éviter des confusions. 31 Projet d’articles sur le Droit des traités et commentaires, Annuaire de la Commission du Droit international, vol. II, 1966. page 268. [A/CN.4/Ser.A/1966/ A.1] cote du système des Nations Unies.
22
La mention de la Charte est sans doute dirigée à l’article 2 § 4 que l’on
vient de citer. Néanmoins, qu’entend-on par « force » ? S’agit-il d’une
conception stricte ou large ? Quel type de force est interdit par cette disposition,
permettant de demander la nullité absolue ? On parle de contrainte physique,
militaire seulement ? Quel rôle doit-on donner à la contrainte économique, à
l’étranglement de l’économie d’un Etat effectué par biais de pressions ou
menaces de la part d’un pays plus puissant et avec lequel une relation de
dépendance économique existe depuis bien longtemps, parfois avant
l’indépendance de l’Etat plus faible ?
Un débat très enflammé pendant la Conférence a été la conséquence
inévitable de cette question. Sans vouloir entrer dans le détail des échanges qui
seront abordés au long de cette recherche, il est facile de remarquer
l’importance capitale de la question. Le représentant de la République Arabe
Unie (nom sous lequel l’Égypte était appelé à l’époque) par exemple, n’a pas
hésité à qualifier l’article 49 comme un « tournant décisif » pour le droit
international contemporain32. Les délégués de Cuba33 et d’URSS34 ont parlé de
« l’importance exceptionnelle » de l’article 49. Le représentant de Ghana trouvait
indéniable le fait que l’article 49 était « l’un de plus importants et controversés de
tout le projet »35, position partagée par le représentant hongrois36. La France à
son tour, représentée par M. de BRESSON, admettait que l’article était « sans
doute l’un de plus importantes provisions de la Partie V »37 tandis que M.
KEARNY représentant les Etats-Unis affirma que la disposition était un des
articles clés de tout le projet de convention38.
En effet, les Etats présents à la Conférence étaient bien conscients de
l’importance de la portée de la notion de force qui allait être décidée en commun
32 « Article 49 marked a turning point in modern international law », The Vienna Conference on the Law of Treaties, First Session. Vienne, 26 mars-24 mai 1968. Summary records of the plenary meetings and of the meetings of the Committee of the Whole, 49th meeting, page 274. [A/CONF.39/11] cote du système des Nations Unies. 33 Ibid., page 275 (traduction libre). 34 Ibid., page 288 (traduction libre). 35 Ibid., page 287 (traduction libre). 36 Ibid., page 282 (traduction libre). 37 Ibid., page 286 (traduction libre). 38 Ibid., page 292 (traduction libre).
23
accord. Une notion stricte couvrant exclusivement la force militaire ne pouvait
peut-être pas suffire pour assurer l’un des principes fondamentaux de la Charte
des Nations Unies, celui de l’égalité souveraine de tous les Etats. A cet égard,
Pierre-Marie DUPUY considère que « l’exécution de bonne foi [de ce principe]
dans le cadre des négociations de conventions internationales, paraît, pour dire
le moins, difficilement compatible avec l’exercice de la contrainte économique,
même si l’usage de cette dernière est sans doute encore fréquent »39.
Dans l’autre sens, une conception extensive mettrait-elle en péril
l’application de la règle pacta sunt servanda, garantie de l’exécution de bonne
foi? La crainte des Etats développés lors de la Conférence de Vienne était
d’ouvrir une porte à l’incertitude juridique, issue d’une interprétation abusive de
la notion de force et donc, des causes valables pour dénoncer un traité. Mais
dans ce cas, devrait-on tout permettre dans le champ de la négociation et
conclusion des traités tant qu’il n’existe pas de contrainte physique ou militaire ?
Peut-on ignorer les rapports de puissance économique actuels et prétendre, au
même temps, toujours protéger le principe d’égalité souveraine des Etats? La
question mérite d’être posée, puisque même la doctrine n’apparaît pas
complètement convaincue. À ce sujet, Maurice FLORY s’interroge :
« Tout se passe comme si l’on ne pouvait pas renoncer au postulat
pacta sunt servanda de peur d’ébranler tout l’édifice, mais comme si –à regret
sans doute de l’establishment international- on était obligé de fermer les yeux
sur les fréquentes violations de la règle. Faut-il alors admettre qu’en ce domaine
particulier le droit des traités doit revêtir une plus grande souplesse ? C’est bien
ce que certains pays pourvoyeurs de coopération, dont la France, semblent
admettre »40.
Peut-on alors en vertu de ces questions, envisager une évolution de
la notion de « force » dans le droit des traités tendant à reconnaître la contrainte
économique comme vice du consentement ? Y-a-t -il lieu de s’interroger sur une
39 DUPUY, (P-M.) et KERBRAT, (Y.) op.cit., page 320. 40 FLORY, (M.) « Souveraineté des États et coopération pour le développement » R.C.A.D.I., vol. 141, année 1974, page 300.
24
possible valeur coutumière de la règle interdisant l’usage de la contrainte
économique et la possibilité de le sanctionner par la nullité selon la teneur de
l’article 52 de la Convention de Vienne sur le droit de traités?
Ces interrogations nous permettront dans un premier temps
d’effectuer un examen de l’état actuel de la contrainte en tant que vice du
consentement en droit positif international (première partie), pour ensuite
exposer l’évolution de celle-ci à l’égard de la pratique des États, suivi de
l’analyse d’un potentiel élargissement de la notion permettant d’incorporer la
contrainte économique comme cause valable pour dénoncer un traité, en vertu
d’une évolution coutumière de la notion contenue dans l’article 2 § 4 de la
Charte des Nations Unies (deuxième partie).
25
PARTIE I : LA CONTRAINTE EN TANT QUE VICE DU CONSENTEMENT EN DROIT INTERNATIONAL POSITIF
Même si la Convention de Vienne est une avancée considérable dans
la cristallisation du droit des traités, on ne saurait nier que les règles
contenues dans ce corps présentent un caractère souple, plutôt assimilable à
la notion de principes qu’à celle des règles strictes41. Dans le cas de l'article
52 portant sur « la contrainte exercée sur l'Etat par la menace ou l'emploi de
la force armée » ce caractère est particulièrement présent, étant donné que la
règle fait explicitement référence aux principes contenus dans la Charte des
Nations Unies.
Dans cette première partie nous effectuerons une analyse normative
de l'article 52 de la Convention (premier chapitre) pour en suite relier cette
analyse avec les limites de la notion de force dans l'article mentionné, à la
lumière des principes de la Charte des Nations Unies (deuxième chapitre).
CHAPITRE I : L’ANALYSE NORMATIVE DE L’ARTICLE 52 CVDT
L'article sur la contrainte sur un Etat par la menace ou l'emploi de la
force est devenu, lorsque le texte a été adopté à la Conférence, l'article 52 de
la Convention. Mais comme nous le verrons par la suite, ce passage par la
Conférence n'a pas simplement modifié le chiffre par lequel on désigne
l'article, puisqu'un sensible changement dans la rédaction a aussi influencé la
norme. Ainsi, le texte final de l'article 52 sur la contrainte sur un Etat
stipule que :
41 On adhère ici au « Model of Rules » proposé par le philosophe du droit Ronald DWORKIN. Il considère que les principes et les règles sont des normes qui portent des dimensions différentes. Tandis que les règles s’appliquent d’une façon « tout ou rien» (« in an all-or-nothing fashion »), les principes eux, comprennent une dimension de « poids » ou d’ « importance ». Cette distinction est pertinente dans le sens où la Convention recueille des normes visant à tracer un cadre global pour le droit des traités, dynamique assimilable à celle des Constitutions en droit interne, en opposition à celle des lois, d’application purement fonctionnelle dans les ordres juridiques. DWORKIN, (R.) Taking rights seriously. Harvard University Press, 8e éd, Massachusetts, 2001, pages 22-26.
26
"Est nul tout traité dont la conclusion a été obtenue par la menace ou l'emploi de la force en violation des principes de droit international incorporés dans la Charte des Nations Unies"
Cette sensible modification dans la rédaction de l'article sera analysée
dans la section 2 de ce chapitre.
Ainsi nous nous occuperons dans ce chapitre d’analyser l’importance
octroyée à cet article par les États participants à la Conférence (section 1),
puis les institutions juridiques contenues dans l’énoncé de l’article (section 2)
pour finalement confronter son application au principe de pacta sunt servanda
(section 3).
Section 1 : L’article 52: mis en exergue par les Etats participants à la
Conférence de Vienne
La Conférence a mis en évidence la grande importance que les
membres de la société internationale attachaient au sujet délicat des causes
de nullité invocables en droit des traités, en particulier celle de la menace ou
l’emploi de la force. Souvent imprégnée de propos assez politisés, la
possibilité d’invoquer la nullité d’un traité et de le rendre sans effet a réveillé
chez les représentants des Etats l’intention de faire entendre leurs
revendications à cet égard devant la communauté internationale.
On remarque que la « position » occupée par l’État dans le contexte
international était très déterminante au moment d’émettre un jugement sur la
question d’admettre ou non la contrainte économique comme une raison
fondée justifiant la dénonciation d’un traité. Ainsi, on trouve à la Conférence
des opinions vigoureuses et persistantes en faveur d’une position ou de
l’autre. Les quarante-huitième et quarante-neuvième réunions de l’assemblée
plénière de la Conférence, tenues le 2 et 3 mai de 1968, furent le scénario de
ces prises de position.
Du coté des pays en développement, une notion élargie de la force aux
termes de l’article 49 du projet a reçu un accueil largement favorable.
27
Le représentant afghan signala que la principale différence entre le
Pacte de la Société des Nations et la Charte des Nations Unies était que cette
dernière reconnaissait le rôle de la force économique dans la vie des nations,
d’où l’importance croissante des organes économiques au sein de l’ONU. La
situation économique difficile des trois-quarts des pays du monde continuait à
s’empirer sans interruption […], les relations juridiques et la structure du droit
international se voyaient alors endommagées par cette force socio-
économique, la vraie force de cette époque42.
La Chine fit remarquer qu’elle attachait une grande importance à la
question, étant donné qu’elle avait été liée par des traités conclus par l’usage
de la force pour plus d’un siècle43. On pense notamment aux traités de paix
conclus avec diverses puissances occidentales suite aux cinq guerres
perdues par la Chine entre 1842 et 190144. Ces traités de paix ont été la
structure sur laquelle se sont affirmés plus de mille traités inégaux.
L’Algérie prit un ton plus dur en affirmant que l’indépendance politique
était illusoire si elle n’était pas réaffirmée par une indépendance économique,
tandis qu’elle suggérait l’existence de « nouvelles méthodes plus
insidieuses » pour perpétuer des liens de sujétion45.
La délégation cubaine souleva, quant à elle, que l’importance d’une
conception large de force dans cet article tenait au fait qu’il viendrait abolir
des pratiques établies pendant longtemps par les grandes puissances […], et
qu’il permettrait de déclarer comme étant contraire au droit international
toutes les provisions basées sur des relations de sujétion imposées par des
pressions fortes et injustes46.
42 [A/CONF.39/11], page 269 (traduction libre). 43 Ibid., page 272 (traduction libre). 44 Parmi les plus importants, le Traité de Nanking (1842, conclu avec le Royaume-Uni sous menace d’agression) ; le Traité de Wanghea (1845, conclu avec les Etats-Unis) ; le Traité de Wampoa (1845, conclu avec la France). PETERS, (A.) dans WOLFRUM, (R.), (ed) The Max Planck Encyclopaedia of Public International Law, Heidelberg and Oxford University Press, 2012, edition en ligne, [www.mpepil.com], visitée le 19 mars 2012. 45 [A/CONF.39/11], page 276 (traduction libre). 46 Ibid., page 275 (traduction libre).
28
La Pologne à son tour déclara que l’article méritait la plus grande
attention afin d’attribuer le vrai sens aux termes de la règle. Selon son
représentant, il n’y aurait pas de raisons de limiter le sens de l’expression à
certains types de force, car cela écarterait de la prohibition d’autres types de
contrainte également illicites47.
La délégation ghanéenne rappelait qu’avant la Société des Nations, le
droit international ne prenait pas en compte l’effet de la contrainte lors de la
conclusion de traités entre l’Etat vainqueur et l’Etat vaincu. Cette position a
changé grâce à la prohibition édictée par le Pacte Briand-Kellogg. Les
circonstances de l’époque étaient prises en compte par la formulation de ces
nouveaux principes. Quel qu’ait été le sens des termes dans la Charte,
aujourd’hui ils ne peuvent qu’avoir le sens que la pratique et les circonstances
modernes leur attribuent48.
La République de Guinée souligna que personne ne pourrait nier que
des pressions économiques et politiques étaient exercées. Bien que difficiles
à définir, elles étaient faciles à détecter. […] La pression économique était
devenue l’arme préférée des puissances visant à imposer leurs volontés à
des États tiers, afin de conserver des avantages fréquemment acquis
auparavant par l’usage de la force (armée). […] Il était alors devenu
nécessaire d’en finir avec cette situation, qui était en conflit avec l’idée de
justice et qui venait attaquer les bases de l’égalité souveraine des États49.
Il en était ainsi pour les représentants de nombreux États en
développement, surtout ceux issus de processus de décolonisation à
l’époque, qui en nombre important semblaient vouloir incorporer le sens de
contrainte économique au terme « force » employé par l’article 49 du projet
de Convention.
47 Ibid., page 281 (traduction libre). 48 Ibid., page 287 (traduction libre). 49 Ibid., page 288 (traduction libre).
29
D’un autre côté, certaines délégations de pays développés ont fait
appel à la cohésion pour parvenir à un texte convergent, afin d’éviter un
échec au cours des négociations de la Conférence. Faisant preuve d’une
grande habileté diplomatique, le Canada et le Royaume Uni ont avancé des
arguments pour éteindre les revendications mentionnées.
La délégation canadienne signala que si cette disposition controversée
de la Partie V du projet était adoptée […] même par une majorité de deux-
tiers, et ceci contre l’opposition raisonnable, profonde et sincère d’une
importante minorité, la future convention sur le droit des traités ne reflèterait
pas les doctrines acceptées en droit international50.
A son tour le Royaume Uni, agissant d’une façon plutôt stratégique,
indiqua que l’adoption d’un sens large de la notion de force mettrait
sérieusement en péril la production de la convention. L‘objet de la Conférence
était de produire une convention censée marquer un évènement historique
vers le développement progressif et la codification du droit international. Les
juristes de l’avenir jugeraient le succès de la Conférence dans la mesure où
elle était capable de ressembler les efforts des participants. Le Royaume Uni
appelait alors aux défenseurs de cette initiative [celle d’élargir le sens de la
notion de force] à ne pas pousser leur proposition au vote51 52.
Section 2 : Les mesures juridiques contenues dans l’énoncé de l’article 52
Le texte de l’article 52 contient trois mesures juridiques qui configurent
la norme et les effets de droit qu’elle est censée créer. Ce sont la nullité, la
force et les principes du droit international incorporés dans la Charte des
Nations Unies.
50 Ibid., page 281 (traduction libre). 51 Ibid., page 284 (traduction libre). 52 Une demande similaire fut avancée par la Nouvelle-Zélande. A cet égard, il est légitime de se demander sur la convenance politique de cet État pour adhérer à l’avis rendu par le Royaume Uni, vue sa condition de membre du Commonwealth. [A/CONF.39/11], page 290.
30
D’abord nous analyserons la nullité (paragraphe 1), suivie par la
définition de la notion de force et celle de contrainte, les deux étant
étroitement liées (paragraphe 2) pour finalement étudier les principes dits
« incorporés » dans la Charte des Nations Unies et les conséquences de cet
énoncé (paragraphe 3).
§1 La nullité
La nullité peut être définie comme une « sanction encourue par un acte
juridique entaché d’un vice de forme (inobservation d’une formalité requise)
ou d’une irrégularité de fond qui consiste dans l’anéantissement de l’acte »53.
Cette définition est générale et transversale à toutes les branches du droit.
Autrement dit, la nullité est une sanction qui pèse sur un acte juridique
entrainant son inefficacité et qui empêche celui-ci de produire les effets
initialement prévus faute de l’accomplissement de conditions de forme ou de
fond.
Le but de cette sanction est alors d’empêcher l’acte juridique de naître
et de générer les effets pour lesquels il a été crée. Étant traditionnellement un
précepte utilisé en droit interne, la transposition de la nullité vers le droit
international ne s’est pas faite pas sans difficulté. Comme il est remarqué par
le Professeur CAHIER, les cas de nullité en droit interne sont prévus par la loi
et sa prononciation est le résultat d’un jugement54. Quant à la définition de
nullité des traités, le Professeur SALMON formule: « caractéristique d’un
traité dépourvu de valeur juridique en raison de l’absence des conditions de
forme ou de fond nécessaires pour sa validité » 55 . En absence d’une
législation exhaustive et d’une juridiction obligatoire en droit international, la
nullité doit forcement suivre une autre logique dans ce système. A cela
s’ajoute l’inexistence d’une règle de prescription comme l’on trouve dans les
législations civiles à échelle nationale, ce qu’empêche la consolidation des 53 CORNU, (G.) Vocabulaire juridique, 8e éd, Quadrige/PUF, Paris, 2007, page 622. 54 CAHIER, (P). « Les caractéristiques de la nullité en droit international et tout particulièrement dans la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités » R.G.D.I.P. 1972, nº3, page 647. 55 SALMON, (J.) Dictionnaire de Droit international public. 1e éd., Bruylant, Bruxelles, 2001, page 760.
31
droits et obligations découlant de l’acte juridique vicié. Seule l’effectivité d’une
situation de fait permet d’effacer l’acte illicite originaire56, ce qui est au moins
juridiquement contestable.
Quant à la privation des effets de l’acte juridique vicié, elle peut
atteindre soit une partie de l’accord, soit l’accord dans sa totalité. C’est la
question de la divisibilité de la nullité d’un acte juridique, ou autrement dit, la
« variabilité de la portée de la nullité »57. La Convention définit les hypothèses
dans lesquelles une ou plusieurs dispositions d’un accord peuvent survivre à
une sanction de nullité, ceci par mention expresse du traité en question ou
par accord entre les sujets qui en font partie.58 C’est ainsi que « l’État qui a le
droit d’invoquer le dol ou la corruption peut le faire à l’égard de l’ensemble du
traité [ou] à l’égard seulement de certaines clauses déterminées »59.
Le choix de la Convention de permettre la divisibilité de la sanction de
nullité relève en partie d’une progression jurisprudentielle. La Cour
permanente de Justice internationale se pencha déjà dans cette direction
durant les années vingt en avouant la possibilité de considérer certaines
dispositions d’un traité comme un tout par elles-mêmes 60 . La Cour
internationale de Justice à son tour, eut l’occasion d’évoquer la divisibilité de
la nullité des dispositions d’un acte juridique international, sans pour autant
beaucoup apporter pour éclaircir la question61.
56 CAHIER, (P.), op. cit., page 648. 57 DUPUY, (P-M) et KERBRAT, (Y), op.cit., page 325. 58 CVDT, article 44.1 59 Ibid. article 44.4. 60 Il fut ainsi affirmé par la CPJI dans son arrêt du 17 août 1923 dans l’affaire du Vapeur Wimbledon : « Les stipulations du Traité de Versailles relatives au canal de Kiel se suffissent donc à elles mêmes », C.P.J.I., Recueil, série A, nº1, page 24. La Cour s’est exprimée dans le même sens dans son arrêt du 19 août 1929 l’affaire Zones franches de Haute Savoie et du pays de Gex, en qualifiant l’article 435 du même Traité de Versailles comme formant un tout. C.P.J.I., Recueil, série A/B nº 46, page 140. 61 Ainsi, quelques opinions dissidentes ont analysé tangentiellement la question. Dans l’affaire Interhandel, le juge KLAESTAD, Président de la Cour, est de l’avis que la réserve formulée par les Etats-Unis et contenue dans sa déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour est nulle, sans pour autant entrainer la nullité de toute la déclaration, Affaire de l’Interhandel (Suisse c. Etats-Unis d’Amérique), Arrêt du 21 mars 1959 : C.I.J. Recueil 1959, pages 77-78.
32
Quoi qu’il en soit, dans le texte de la Convention, l’hypothèse de la
divisibilité de la nullité sera admise exclusivement dans les cas de dol ou de
corruption du représentant.
En revanche, en ce qui concerne notre sujet, la Convention considère
la contrainte comme une situation d’une telle gravité62 qu’elle n’autorise pas la
divisibilité de la sanction63. Le traité dont la cause de dénonciation est la
contrainte (dans quelconque de ces deux hypothèses) sera atteint par la
nullité dans sa totalité et seront privées de ses effets toutes les dispositions
contenues dans celui-ci. Cette thèse a été confirmée par la Cour
internationale de justice dans son arrêt du 2 février 1973 dans l’Affaire relative
à la compétence en matière de pêcheries (Royaume Uni c. Islande), où elle
dispose : « Il n'y a guère de doute que, comme cela ressort implicitement de
la Charte des Nations Unies et comme le reconnaît l'article 52 de la
convention de Vienne sur le droit des traités, un accord dont la conclusion a
été obtenue par la menace ou l'emploi de la force est nul en droit international
contemporain »64. Il n’est pas annulable en conséquence, mais nul ab initio.
La Convention octroie au vice de la contrainte une importance
majeure. Peu importe si la contrainte a été utilisée pour obtenir le
consentement concernant juste un seul article dans un long traité, la gravité
de cette distorsion enlève toute force juridique à l’accord complet. 65 La
sanction de nullité prévue par l’article en l’espèce est alors une nullité totale.
Quant à la distinction entre nullité relative et nullité absolue du droit
civil interne, il est difficile de l’assimiler complètement en droit international,
cela surtout à cause de l’absence d’autorité juridictionnelle obligatoire,
autorité qui en droit interne, doit prononcer la nullité absolue d’office 66 .
Pourtant il y a des traits de cette opposition que sont importants à retenir.
62 DUPUY, (P-M.) et KERBRAT, (Y), op. cit., page 326. 63 CVDT, article 44.5 : « Dans les cas prévus aux articles 51, 52 et 53, la division des dispositions d’un traité n’est pas admise ». 64 Affaire de la compétence en matière de pêcheries (Royaume Uni c. Islande), compétence de la Cour, arrêt, Recueil C.I.J 1973, page 14, paragraphe 24. 65 Ibid., article 69: « Les dispositions d’un traité nul n’ont pas de force juridique ». 66 CAHIER, (P.) op. cit. page 650.
33
Une des caractéristiques de la nullité relative (comme on la connaît en
droit interne) qui trouve application en droit international est celle de l’intérêt
pour agir. Lors d’une hypothèse de nullité relative, le seul sujet ayant la
capacité de réclamer la nullité est la partie affectée, car l’intérêt protégé n’est
pas un intérêt général mais particulier67. Dans le cas d’une nullité absolue,
celle-ci génère une actio popularis68, destinée à la protection d’un intérêt
général dont la violation porte atteinte à l’ordre public ou aux bonnes
mœurs69. Elle pourra donc être réclamée par toute partie qui y trouve un
intérêt70. En outre, de ces deux nullités seulement la nullité relative permet la
confirmation postérieure de l’acte ayant subi un défaut à sa naissance71.
L’action par laquelle on peut faire valoir la nullité absolue en droit interne « ne
devrait pas se prescrire »72. Cependant comme nous l’avons indiqué ci-
dessus, ce caractère de la nullité est difficilement applicable en droit
international en raison du poids de certaines situations de fait.
En ce qui concerne le type de nullité par laquelle l’on sanctionne la
contrainte par menace ou emploi de la force sur un Etat, il a été
traditionnellement admis qu’en vue de la gravité de la situation des traités
conclus sous l’empire de la violence, la sanction est celle de la nullité
absolue. Les initiatives vouées à accorder à cette hypothèse une sanction de
nullité relative ont été rejetées à la Conférence de Vienne lors de la
négociation du texte de la Convention73. La CDI s’est exprimée dans le même
sens dans la Partie V de son projet d’articles:
« Même si l’on pouvait concevoir qu’après avoir été libéré de
l’influence d’une menace ou d’un emploi de la force, un Etat puisse désirer
conserver un traité qui a été obtenu de lui par ces moyens, la Commission a 67 Ibid, op.cit., page 677. 68 Définie comme « right of a member of a community to take legal action in vindication of a public interest » FOX, (J.) Dictionary of International and Comparative Law. Oceana Publications, 3e éd., New York, 2003, page 5. 69 CAHIER, (P.) op.cit, page 650. 70 BÉNABENT, (A.) Droit des obligations, 13e éd., Montchrestien, Paris, 2012, page 165. 71 Ibid., page 163. 72 CAHIER, (P.) op. cit., page 650. L’auteur admet néanmoins l’existence du délai de prescription de trente ans en droit interne français pour des raisons de sécurité juridique. 73 Ibid., page 682. L‘auteur signale qu’un amendement à été voté à la Conférence. Par 63 voix contre 12, les délégations se sont inclinées pour la nullité absolue.
34
jugé essentiel que le traité soit, en droit, considéré comme nul ab initio […] Si
donc, le traité est maintenu en vigueur, ce serait en fait, par la conclusion d’un
nouveau traité et non par suite de la reconnaissance de la validité d’un traité
obtenu par des moyens contraires au principes les plus fondamentaux de la
Charte des Nations Unies »74.
En doctrine l’avis de la CDI est partagé par un grand nombre
d’auteurs75. Cependant pour Pierre-Marie DUPUY, l’arrêt du 13 décembre
2007 dans l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie)
aurait changé les données de la qualification de la nullité du vice de contrainte
par voie jurisprudentielle76. Dans cette décision, la Cour Internationale de
Justice admet la possibilité de la confirmation d’un accord international conclu
sous l‘empire de la contrainte. Dans l’espèce, le Nicaragua affirmait que le
traité de 1928 conclu entre lui et la Colombie était nul, entre autres raisons,
car il avait été conclu lorsque le pays était occupé militairement par les Etats-
Unis, la Colombie ayant profité de cette situation « pour lui extorquer la
signature du traité de 1928 » 77.
La Cour a écarté cette exception en relevant les multiples occasions
non utilisées par la Nicaragua, même après la cessation de l’utilisation de la
contrainte sur son territoire en 1933, pour mettre en question la validité du
traité. En agissant à diverses reprises comme si le traité était valide pendant 74 Projet d’articles sur le droit des traités et commentaires, [A/CN.4/Ser.A/1966/ A.1], op cit. page 269. 75 Dans ce sens, voir par exemple CARREAU, (D.) et MARRELLA, (F.) Droit international, 11e éd., Pédone, Paris, 2012, page 210. ; COMBACAU, (J.) et SUR, (S.) op. cit., page 132, qui parlent d’ « invalidité absolue » ; RIVIER, (R.) Droit international public, 1e éd., Presses Universitaires de France, Paris, 2012, page 491 ; CAHIER, (P.) op.cit. page 682 ; TENEKIDES, (G.) op.cit., page 95 ; VERHOEVEN, (J.) Droit international public, 1e éd., Larcier, Bruxelles, 2000, page 401 (la considère absolue par rapport à ses effets mais n’admet pas qu’elle comprenne un actio popularis) ; PELLET, (A.) DAILLIER, (P.) et FORTEAU, (M.) op.cit., page 231 ; KAMTO, (M.) « La volonté de l’Etat en droit international », R.C.A.D.I, tome 310, 2004, page 244. 76 DUPUY (P-M.), KERBRAT (Y.), op.cit., page 325. Dans les éditions antérieures à 2007, le Professeur DUPUY (étant le seul auteur de l’ouvrage à l’époque) ne s’est pas exprimé pour une distinction nullité relative/nullité absolue dans le cas de l’article 52, se limitant à signaler que « L’absence de forcé juridique du traité nul peut affecter tout ou partie du traité en cause en fonction de divers facteurs, sans pour autant que l’on puisse parler, du moins dans au sens où ces expressions sont comprises en droit interne, de nullité ‘absolue’ ou ‘relative’ (voir la 7e édition du même auteur, publiée par Dalloz, 2008.) 77 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007, page 29, paragraphe 75.
35
plus de cinquante ans et ceci même lors de son adhésion aux Nations Unies
en 1945, le Nicaragua n’avait plus le droit selon le raisonnement de la Cour,
d’invoquer la contrainte comme cause d’invalidité du traité.
En conséquence, si l’on admettait la position du professeur DUPUY78,
à ce jour la seule cause de nullité absolue en droit des traités serait celle de
l’article 53 relatif au jus cogens79. Quoi qu’il en soit, le vice de contrainte de
l’article 52 ne peut donc être invoqué que par le sujet ayant subi cette
contrainte, c’est-à-dire l’État victime de la menace ou l’emploi de la force.
§2 La force et la contrainte
Il faut bien comparer et distinguer entre la notion de force et celle de
contrainte. Bien que ressemblantes, ce sont des concepts différents et ont un
rapport de général à particulier, la contrainte étant le genre et la force étant
l’espèce. Il peut y avoir contrainte sans force, mais il ne peut pas avoir force
sans contrainte, puisque la force est un des moyens pour contraindre80.
Quant à la force, elle peut être définie au sens large comme un
«instrument de puissance, moyen de coercition»81. En droit international, on
la définit au sens large comme « toute forme de contrainte physique ou
morale, en vue de forcer un autre sujet du droit international à accepter un
engagement conventionnel, à contracter une obligation contre son gré »82.
Dans un sens plus strict, la force s’apparente dans sa définition à des actes
subis par des sujets de droit. C’est ainsi qu’on la définit en tant que violence
comme un « fait de nature à inspirer une crainte telle que la victime donne
son consentement à un acte que, sans cela, elle n’aurait pas accepté »83.
78 D’autres manuels postérieurs à 2007 (dont ceux de PELLET, DAILLIER et FORTEAU ; CARREAU et MARRELLA ; COMBACAU et SUR ; RIVIER) n’abordent pas la relation entre cet arrêt de la Cour et la qualification de la nullité en cas de contrainte. 79 CVDT, article 53 : « Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général ». 80 Dans une des définitions de contrainte: « Parfois synonyme de violence, acte de force » CORNU, (G.) op.cit., page 230. 81 SALMON, (J.) Dictionnaire de Droit international public, op.cit., page 510. 82 Ibid. 83 GUINCHARD, (S.) Lexique des termes juridiques, 19e éd., Dalloz, Paris, 2012, page 890.
36
La contrainte par contre, est un concept plus large dont une des
manifestations est celle de la force. En droit international, on peut la définir
comme une « mesure de coercition »84, celle ci étant « l’usage de la force ou
d’autre pression pour obtenir contrôle sur un autre sujet contre son gré ou
intérêt »85. Elle prend la forme d’un vice du consentement lorsqu’elle est
utilisée pour obtenir une manifestation de volonté d’un de contractants (par
biais de l’exercice de la force par l’autre contractant) sans laquelle cette
volonté ne se serait pas exprimée ou bien se serait exprimée de façon
différente. Elle peut en outre prendre la forme d’une « mesure de coercition
de caractère économique ou politique »86.
§3 Les principes du droit international incorporés dans la Charte des Nations
Unies
La notion de principe permet plusieurs définitions, selon la science ou
discipline utilisée pour la décrire. En termes très généraux, les principes sont
des « règles fondamentales d’action et de conduite à valeur prescriptive»87.
En droit international, un principe peut être défini comme la « cause ou
source première des règles, axiome de base »88 ou encore de façon plus
précise par rapport aux systèmes juridiques comme une « proposition de
portée générale, présentée sous une forme ramassée et synthétique,
exprimant une norme juridique d’une importance particulière et susceptible de
servir de fondement à des règles de droit par le biais d’un raisonnement
déductif »89.
Quant aux principes propres des Nations Unies, le préambule et le
chapitre premier de la Charte accueillent les fins, les buts, les moyens et les
principes de l‘organisation. Globalement, le préambule contient les fins, les
84 SALMON, (J.), op. cit. 254. 85 FOX, (J.) op. cit. La définition originale en langue anglaise dispose: « use of force or other pressure to gain control over another against their will or interest ». 86 SALMON, (J.) op. cit. 254. 87 GODIN, (C.) Dictionnaire de philosophie, 1e éd., Fayard, Paris, 2004. 88 SALMON, (J.) op. cit. page 876. 89 Ibid.
37
moyens et quelques allusions aux principes, l’article 1er décrit les buts et
l’article 2 énumère les principes90, même si l’on doit considérer que certains
principes de l’organisation peuvent se trouver ailleurs dans la Charte91.
Néanmoins, c’est l’expression « les principes du droit international
incorporés dans la Charte de Nations Unies » qui a été finalement retenue
dans la rédaction de l’article 52 de la Convention. Elle s’oppose à la rédaction
précédente qui parlait des « principes de la Charte des Nations Unies ». La
différence n’est pas futile. Lorsqu’on parle de « principes de la Charte » il
existe une reconnaissance indiquant que ces principes trouvent leur origine et
fondements dans la Charte elle même et en conséquence, que seuls ceux qui
sont liés par la Charte et donc membres des Nations Unies seraient obligés
de les respecter. Au contraire, la rédaction « les principes incorporés dans la
Charte » signifierait que ces principes « dépassent le cadre de ce texte
conventionnel, pour apparaître comme un principe de droit international
général »92.
Le professeur Robert KOLB s‘exprime dans la même direction : l’article
2§4 de la Charte de l’ONU (où l’article 52 CVDT renvoie par biais de la
technique de référence à une règle extérieure93) reflète une règle de droit
international général à portée universelle. Elle ne trouve pas application
seulement lors de la conclusion de traités sous le cadre de la Convention de
Vienne, mais au contraire, « elle lie tous les États du monde dans leurs
relations internationales puisqu’elle représente le droit international général et
elle a été universellement acceptée »94.
La CDI s’était exprimée également en faveur de cette thèse, même si
la formulation proposée n’a pas semblé suffisamment précise pour les Etats 90 SALMON, (J.) dans COT, (J-P.), PELLET, (A.) et FORTEAU, (M.), La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article. 3e éd., Economica, Paris, 2005, pages 389-392. 87 Ibid. L’auteur considère que la liste de principes de l’article 2 ne doit pas être réputée comme exhaustive. Il cite le principe du droit des peuples à disposer d’eux mêmes comme un principe incontesté des Nations Unies qui n’est pas énuméré à l’article 2. 92 DUPUY, (P-M.) et KERBRAT, (Y.) op. cit. page 318. Dans le même sens COMBACAU, (J.) et SUR, (S.) op.cit., page 132, qui qualifient le vice de l’article 52 comme « une violation majeure du droit international ». 93 COMBACAU, (J.) et SUR, (S.) op. cit. page 132. 94 KOLB, (R.) An introduction to the Law of the United Nations, 1e éd., Hart Publishing, Oxford, 2010, page 66. (traduction libre).
38
lors de la Conférence. A cet égard, la CDI estima dans son projet d’articles
que « la règle devait être énoncée en termes aussi simples et catégoriques
que possible »95, en ajoutant que de son avis, « les principes relatifs à la
menace ou à l’emploi de la force énoncés dans la Charte sont des règles du
droit international général qui sont aujourd’hui d’application universelle ».96
En conséquence, ce changement dans la rédaction de l’article, en
signalant que les principes auxquels on fait référence sont « incorporés dans
la Charte » et non « de la Charte » marque de façon explicite la consécration
d’une règle de droit international général. Cette construction juridique nous
permet de comprendre que les principes auxquels la Convention fait allusion
sont applicables et doivent être respectés par tous les membres de la
communauté internationale, membres ou non-membres des Nations Unies.
Après l’analyse des mesures juridiques de l’article 52 CVDT, il s’agira
de confronter la notion stricte de force dans celui-ci au principe de bonne foi.
Section 3 : L’application de la notion de force stricto sensu et le principe de
bonne foi au regard de l’article 26 de la CVDT
Le principe de pacta sunt servanda est incontournable à la conclusion
des traités internationaux, son existence étant concomitante à celle des
traités97 . C’est pourquoi la Convention de Vienne l’a consacré de façon
explicite dans son article 26 :
« Pacta sunt servanda »
« Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté de bonne foi »
Ainsi, nous verrons d’abord comment l’interprétation de la notion de
force au sens large ou stricte pose une problématique lorsqu’elle est
confrontée à l’article 26. Dans ce sens, il faut analyser la question comme elle 95 Projet d’articles sur le droit des traités et commentaires, [A/CN.4/Ser.A/1966/ A.1]. op.cit, page 269. 96 Ibid. 97 CARREAU, (D.) et MARRELLA, (F.) op. cit., page 187.
39
a été exposée à la Conférence particulièrement par la délégation iraquienne
(paragraphe 1), pour en suite comparer cet énoncé avec l’article 52 de la
CVDT (paragraphe 2).
§1 La problématique exposée à la Conférence par la délégation iraquienne
Nous avons déjà fait référence aux débats très enflammés lors de la
Conférence en rapport avec la question concernant l’article 52. La délégation
iraquienne, dans le souci d’exprimer son appui à l’initiative d’élargir le sens de
la notion de force, a pertinemment mis en exergue les difficultés que cette
notion stricte supportée par les pays développés rencontrait lors de sa
confrontation au principe consacré à l’article 26.
A cet égard, le représentant iraquien M. AL-RAWI signala :
« Une des tâches les plus importantes de la communauté internationale est
de maintenir la paix et assurer le respect de la souveraineté de tous les Etats,
cela étant très important pour assurer la stabilité des traités et son
accomplissement de bonne foi. Par conséquent, si la conclusion d’un traité a
été procurée par la menace ou l’emploi de la force ou par quelconque autre
moyen de pression économique ou politique, le traité doit être tenu comme
nul. L’article 2398, qui a été déjà approuvé par le Comité, stipule que tout traité
doit être exécuté par les parties de bonne foi. Mais comment peut-on exécuter
un traité de bonne foi s’il a été imposé par un des Etats par la force ? »99.
Naturellement, la thèse exposée ne peut être soutenue que si l’on
adhère à une notion élargie de la force, qui comprenne aussi la contrainte
économique. Il peut sembler infondé d’invoquer ces arguments mais comme
nous verrons par la suite, la contrainte économique en tant que force illicite en
droit international trouvait déjà à l’époque une certaine reconnaissance, au
98 Devenu l’article 26 lors de l’adoption du texte définitif de la Convention. 99 [A/CONF.39/11], op. cit. page 272 (traduction libre).
40
moins régionale100. Ceci donne une certaine plausibilité à l’argumentation
iraquienne.
Il sera question dans le deuxième paragraphe d’effectuer une
comparaison entre ces deux articles.
§2 L’analyse comparative entre l’article 26 et de l’article 52 de la CVDT
Le titre de l’article 26 de la Convention consacre le principe « pacta
sunt servanda » en droit des traités. Comme nous verrons par la suite, le
principe constitue un pilier omniprésent des accords conventionnels
interétatiques101. En langue française on traduit l’expression comme « les
accords doivent être respectés »102. Il a été et il demeure aujourd’hui le
principe fondamental du droit des traités103 104. Il peut être considérée, selon
si l’on adhère à l’école positiviste ou à l’école normativiste, comme un
« postulat d’essence métajuridique » (pour ANZILOTTI)105 ou bien comme
une « norme supérieure fondamentale » au caractère objectif incontestable,
en définitive une règle de droit international coutumier (pour KELSEN)106.
La Charte de Nations Unies reconnaît l’importance de ce principe
dans son préambule, en déclarant la détermination des Etats parties de
« créer les conditions nécessaires […] pour le respect des obligations nées
des traités et autres sources du droit international ».
L’article 26 énonce le principe pacta sunt servanda dans son titre, pour
ensuite commander aux Etats d’exécuter les traités en vigueur « de bonne
100 Voir deuxième partie, chapitre 1. 101 LACHS, (M.) « General Course in International Public Law », R.C.A.D.I., vol 169, 1980, page 178. 102 MERMINOD, (Y.) Expressions et proverbes latins. Adages juridiques. 1e éd., Ides et Calendes, Neuchâtel, 1992, page 90. 103 Il a été ainsi déclaré par la CDI dans son projet d’articles de 1966, [A/CN.4/Ser.A/1966/ A.1], op.cit., page 229. 104 LACHS, (M.) op.cit. page 190. 105 ANZILLOTI, (D.) Cours de droit international [1929], réédition des Editions Panthéon-Assas, Paris, 1999, page 44. 106 KELSEN, (H.) « Les rapports de système entre le droit international et le droit interne », R.C.A.D.I., vol 14, 1926, page 301.
41
foi ». Nous retrouvons ici donc deux concepts, pacta sunt servanda et bonne
foi qui se prêtent souvent aux confusions et qui ne saurait être confondus.
Bien qu’ils peuvent et doivent être présents dans le comportement des parties
une fois un traité conclu, chacun de ces deux principes demande du sujet
concerné une attitude différente 107 . Le premier oblige à respecter les
dispositions de ce qui a été conclu, le deuxième oblige à exécuter de bonne
foi les obligations découlant de l’accord, ceci par exemple, d’une façon
raisonnable aux fins prévues et en harmonie avec l’esprit du texte. Les
concepts sont certes complémentaires mais indépendants l’un de l’autre.
Nous partageons ici l’avis du Professeur ZOLLER, dans le sens où ces
deux principes ne sauraient pas être confondus. A cet égard, l’auteur affirme:
« Les deux notions entretiennent des liens qui leur sont communs, mais elles
ne sauraient coïncider. […] C’est ainsi que la règle de bonne foi précède la
règle pacta en ce sens qu’elle s’impose en dehors de tout lien conventionnel
et qu’elle préexiste à la conclusion de tout accord international »108.
Ce rappel est très important pour le sujet qui nous occupe puisque la
règle pacta sunt servanda ne suppose pas forcement un conflit avec la
problématique exposée ci-dessus. Le principe pacta impose l’obligation de
respecter ce qui a été conclu conventionnellement, mais le problème qui nous
intéresse est généré lorsque les parties négocient ce qui sera conclu. Il serait
donc parfaitement possible de négocier un traité d’une manière douteusement
qualifiable de bonne foi et ensuite respecter et appliquer le texte lors de
l’exécution de l’accord dans son intégralité sans pour autant violer le principe
du pacta.
Le principe de bonne foi peut être considéré comme un principe
autonome ou bien accessoire à celui de pacta sunt servanda. C’est ce
premier qui intéresse l’étude de l’article 26 de la Convention.
107 Au contraire, pour PELLET, DAILLIER et FORTEAU, le pacta sunt servanda et l’exécution de bonne foi « sont ainsi intimement liés pour constituer les deux aspects complémentaires d’un même principe » op. cit., page 238. 108 ZOLLER, (E.) La bonne foi en droit international public, Pedone, Paris, 1977, page 48.
42
La bonne foi peut être définie au sens large comme une « attitude
traduisant la conviction ou la volonté de se conformer au Droit »109. Etant
donné son importance en droit international, on lui accorde une définition
spécifique pour la discipline : « principe fondamental du Droit des gens qui
impose aux Etats et à leurs agents l’obligation d’agir avec esprit de loyauté
dans le respect du Droit et de la fidélité aux engagements » le Professeur
CORNU ajoute « [qu’] une telle obligation de comportement implique a
contrario, pour les Etats et leurs agents, l’absence de dissimulation et de dol
dans les relations internationales »110.
La CIJ souligna la grande importance de ce principe en droit
international lors de l’affaire Compétence en matière de pêcheries (Royaume
Uni c. Islande) de 1972, notamment en déclarant que l’échange de notes
diplomatiques attribuant compétence à la CIJ pour tout éventuel différend
entre les parties ne pouvait pas être méconnu de façon unilatérale par
l’Islande, car cela constituait une violation du principe de bonne foi dans
l’exécution de l’accord. L’Islande avait en effet profité des dispositions de
l’accord en sa faveur 111 . La Cour a écarté qu’elle puisse par la suite
méconnaitre l’accord si les circonstances ne lui étaient pas favorables 112.
Il faut analyser maintenant l’article 52. Cette disposition de la
Convention établit une cause de nullité des traités internationaux. Pour que la
nullité par contrainte ait lieu, le concours de trois conditions est nécessaire. Il
doit y avoir : une menace ou un emploi de la force illicite contre un Etat
contractant, l’illicéité de cette force, établie lorsqu’elle est en conflit avec les
principes du droit international incorporés dans la Charte et l’utilisation de
cette force illicite doit avoir lieu lors de la conclusion d’un traité.
109 CORNU, (G.) op. cit., page 119. 110 Ibid. 111 EISEMANN, (P-M.), COUSSIRAT-COUSTERE, (V.) et HUR, (P.), Petit manuel de la jurisprudence de la Cour International de Justice, 4e éd., Pedone, Paris, 1984, page 149. 112 La Cour déclara : « dans le cas où un traité est partiellement exécuté et partiellement exécutoire et où l'une des parties a déjà bénéficié des dispositions exécutées, il serait particulièrement inadmissible d'autoriser cette partie à mettre fin à des obligations qu'elle a acceptées en vertu du traité et qui constituent la contrepartie des dispositions que l'autre a déjà exécutées », Affaire de la compétence en matière de pêcheries (Royaume Uni c. Islande), op. cit., page 17, paragraphe 34.
43
Lorsque ces conditions sont concomitantes, l’Etat victime peut ainsi
invoquer la nullité. Quant aux conséquences de cette invocation sur
l’existence du traité, nous les avons étudiées dans la section 2, paragraphe 1
consacrée à la nullité113. Quant à la portée temporelle de cette règle, elle ne
concerne que les traités à l’avenir, c’est-à-dire, elle ne permet pas une
application rétroactive. Il est important de remarquer cependant, que l’article
52 vient en effet cristalliser une norme de droit international déjà existante
auparavant. En conséquence la Convention dans cette matière remplit une
mission simplement déclaratoire114.
Le problème est bien évidemment, l’absence d’une définition complète
et précise de ce qui est une contrainte illicite115. Ni la CDI ni la Conférence ont
été capables de trancher la question. Tout ce que l’on peut affirmer c’est qu’à
l’époque de la Conférence, l’initiative d’introduire une mention expresse sur la
contrainte économique en tant que force illicite a échoué. Ainsi l’on peut
déduire a priori qu’un raisonnement conservateur sur les circonstances
d’application de cet article ne permet pas de la considérer comme force
illicite.
Tout cela est assurément approprié du point de vue théorique, de la
cohérence du mécanisme de nullité par contrainte tel qu’il a été créé par la
Convention. Mais lorsque nous comparons cette disposition avec le principe
de la bonne foi de l’article 26, il devient plus difficile d’estimer qu’il existe une
cohésion bien établie entre les deux principes.
Admettons par exemple qu’en dehors des contestations et
revendications politiques propres d’un cadre comme celui de la Conférence,
la force illicite se limite exclusivement à la contrainte physique ou militaire. Un
Etat serait donc autorisé à utiliser la pression économique envers un autre
Etat afin d’obtenir son consentement pour un accord. Imaginons que la
conclusion de ce traité revêt une grande importance pour ce premier.
114 COMBACAU, (J.) et SUR, (S.) op. cit. page 132. 115 KAMTO, (M.) op. cit, page 246.
44
Quelle que soit la notion de force que l’on prenne en compte, le
principe de bonne foi reste inchangé. Il s’agit comme nous l’avons déjà
décrit, d’une conviction d’agir conformément au droit, d’agir avec loyauté.
Pourtant, en appliquant une pression économique, l’Etat peut ignorer
dans son for intérieur que sans l’utilisation de cette contrainte (même si licite)
il ne serait pas possible d’obtenir le consentement de la contrepartie ? Un
accord ainsi obtenu est certes conforme aux normes, il est licite et valable en
droit. Mais est-il vraiment légitime et conforme à la bonne foi et à la loyauté
dans les relations internationales d’obtenir le consentement du co-contractant
en sachant que sans cette coercition le résultat aurait été différent ? N’est-on
pas devant une attitude peu loyale mettant en péril cette présumée égalité
souveraine des Etats ? La ligne est effectivement très fine entre des
négociations préliminaires menées avec dextérité et celles visant à extorquer
un accord non librement consenti d’une contrepartie économiquement plus
faible.
Nous avons analysé l’article 52 sur la contrainte dans le contexte de la
Convention de Vienne. Etant donné qu’il renvoie aux principes de la Charte
des Nations Unies, il est nécessaire d’effectuer une analyse intégrée des
deux corps normatifs.
CHAPITRE II : LA NOTION DE FORCE DANS L’ARTICLE 52 ET SES
LIMITES À LA LUMIÈRE DES PRINCIPES DE LA CHARTE DE L’ONU
Le présent chapitre traite du rapprochement entre l’article 52 et
certains principes de la Charte. La première section traite les difficultés
d’association de deux principes cardinaux de la Charte auxquels l’article 52
fait appel (section 1). D’autre part, il s’agira d’examiner l’argumentation
donnée par les pays développés lors de la Conférence de Vienne au sujet de
la notion de force, à savoir : un élargissement de la notion de force
provoquerait une grave déstabilisation de l’ordre juridique international
(section 2).
45
Section 1 : L’interprétation stricte de la notion de force et sa friction avec les
principes de la Charte
Lorsqu’on donne une interprétation stricte à la notion de force, l’article
52 peut se heurter à certains principes de la Charte avec lesquels une liaison
harmonieuse s’avèrerait difficile.
Dans ce sens, nous analyserons les difficultés pour rendre compatible
l’article 52 avec ces principes. Nous traiterons d’abord de l’article 2§4 qui
consacre l’interdiction du recours à la menace ou l’emploi de la force
(paragraphe 1) pour en suite aborder l’article 2§1 sur l’égalité souveraine des
Etats (paragraphe 2).
§1 L’article 2§4 : l’interdiction du recours à la menace ou l’emploi de la force
dans les relations internationales
Le rapport entre l’article 52 de la CVDT et l’interdiction du recours à la
menace ou l’emploi de la force est étroit. Lors de la rédaction du premier, la
Commission du Droit International fut inspirée par la cristallisation de cette
interdiction opérée par la Charte et la pratique même de l’Organisation116.
L’article 2§4 de la Charte stipule :
« Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies »
On y remarque que l’article 52 a repris de façon littérale la partie de la
formule relative à la force, visant de ce fait à lier les deux dispositions et
souligner que la CVDT, lorsqu’il s’agit de la force, renvoie aux principes de la
116 Projet d’articles sur le droit des traités et commentaires, [A/CN.4/Ser.A/1966/ A.1], op.cit., page 268.
46
Charte, ceux-ci faisant partie de la lex lata « dans le droit international
d’aujourd’hui »117.
Lors de la Conférence de San Francisco118 qui avait comme objet la
création d’une Charte pour la naissante Organisation des Nations Unies, les
pays se souciaient de bannir l’usage de la force d’une façon englobant tous
les euphémismes utilisés dans le passé pour contourner la prohibition du
Pacte Briand-Kellogg. En effet, lors des évènements qui ont emmené à la
Deuxième Guerre, des qualificatifs trompeurs comme « incident » ou
« expédition » ont été utilisés pour « justifier » les violations du Pacte119.
L’article premier du Pacte, qui condamnait le « recours à la guerre »120 s’est
montré insuffisant pour éviter l’utilisation des conflits armés entre les Etats.
En outre, il est important de rappeler que le principe posé dans l’article
2§4 est en fait le corollaire de l’obligation du règlement pacifique des
différends121 ; cette dernière est consacrée dans l’article 2§3. Les deux
dispositions sont donc complémentaires et constituent un mécanisme
interdépendant.
Or, à l’occasion de la Conférence de San Francisco, le Brésil avança
une proposition très novatrice pour l’époque, plaidant pour une interdiction
étendue de la force dans de termes beaucoup plus généraux. Dans ce sens,
l’initiative brésilienne proposa l’interdiction « de la menace ou de l’usage de la
force et de l’usage de la force économique d’une façon incompatible […] »122,
une idée pas trop différente de celle qui allait émerger à la Conférence de
Vienne quelques vingt ans plus tard. Faute d’assez de voix favorables,
117 Ibid. 118 Conférence des Nations Unies pour l’Organisation internationale (UNCIO). 119 SCHRIJVER, (N.) « L’article 2 paragraphe 4 » dans COT, (J-P.) et PELLET, (A.) op.cit., 3e éd., Economica, Paris, 2005, page 443. 120 Pacte Briand Kellogg, article premier. 121 FLORY, (M.) Jurisclasseur LexisNexis de Droit International, Fascicule 120 : « Organisation des Nations Unies », Partie II, Section B, Alinéa 4º. 122 United Nations Conference on International Organization, vol. 6, page 559, cité dans SCHRIJVER, (N.) op. cit.., page 443.
47
l’initiative fut cependant rejetée 123 . Est-ce que cela veut dire que la
Conférence de San Francisco ait, a contrario, accepté une interprétation
restrictive de la notion de force? Dans ce cas là, pourquoi ne pas ajouter le
mot « armée » à la notion de force dans l’article 2§4? Ceci aurait peut être
permis d’éviter des interprétations divergentes dans l’avenir.
En effet, la rédaction de l’article 2§4 ouvre une porte à des
interprétations sur sa portée. Premièrement, elle ne mentionne pas de quelle
type de force il s’agit, se limitant seulement à parler de force. Cette
imprécision a produit un « débat sans conclusion »124 sur la portée125 de celle-
ci. On y trouve en conséquence des Etats se penchant vers une inclusion de
la force économique mais qui excluent d’autres recours à la force armée qui
sont jugés légitimes (comme la décolonisation) et des Etats soutenant la
position exactement contraire126.
Deuxièmement, outre cette omission de borner le type de force, la
suite du texte parle des objets pour lesquels l’utilisation de cette force est
interdite. D’une part l'intégrité territoriale et d’autre l'indépendance politique,
en ajoutant à la fin « soit de toute autre manière incompatible avec les buts
des Nations Unies ». Cette dernière phrase indique donc que lorsque
l’utilisation de la force se produit à l’encontre des buts des Nations Unies, elle
est interdite.
Or, il n’est pas nécessaire d’utiliser la force strictement armée dans les
relations internationales pour aboutir à un résultat incompatible avec les buts
des Nations Unies. En effet, cela peut bien être le cas de l’article 52 de la
CVDT si nous nous limitons à la notion stricte de force lors de la conclusion
d’accords conventionnels internationaux.
123 Comme le note Antonio CASSESE, fort malheureusement, il n’existe pas de rapport officiel du débat qui a conduit au refus de la motion brésilienne. CASSESE, (A.) Le droit international dans un monde divisé, Ed. Berger Levrault, Paris, 1986, page 27. 124 PELLET, (A.), DAILLIER, (P.) et FORTEAU, (M.) op.cit., page 1025. 125 Il existe aussi en doctrine l’avis contraire, très lapidaire : « Les termes de la Charte sont précis ; ce qui est visé ici c'est l'emploi de la force armée et non la contrainte économique ou psychologique » FLORY, (M.) Jurisclasseur LexisNexis de Droit International, Fascicule 120, Partie II, Section B, Alinéa 4º. 126 PELLET, (A.), DAILLIER, (P.) et FORTEAU, (M.) op.cit., page 1025.
48
En conséquent, sans mention expresse de l’article 2§4 sur le type de
force visée, mais qui donne cependant des exemples d’objets illicites de son
utilisation et au même temps vient interdire toute utilisation incompatible avec
les buts de la Charte, une application stricte du 52 CVDT pourrait poser des
problèmes.
Comme nous le verrons, permettre l’utilisation de toute force autre que
la force armée lors de la conclusion de traités internationaux, conduirait à la
cataloguer comme légitime. Dans ce cas, le principe de non recours à la force
de l’article 2§4 pourrait être en définitive blessé. Conséquence de ceci serait
par exemple, l’utilisation de la contrainte économique de mauvaise foi (qui
attente contre l’article 2§2 de la Charte) pour faire plier la volonté étatique
d’un Etat plus faible économiquement et de ce fait, attenter contre son
indépendance politique (attente contre l’article 2§4 de la Charte).
§2 L’article 2§1 : l’égalité souveraine des Etats
Le premier paragraphe de l’article 2 de la Charte de l’ONU consacre
« l’égalité souveraine de tous ses membres ». Ce principe, comme le rappelle
la doctrine, ne jouit pas de la meilleure des réputations 127 . Parmi les
nombreuses critiques qu’a reçues ce paragraphe (critiques dont une révision
exhaustive échappe à la portée de cette étude), la doctrine et les
représentants des Etats considèrent que sa formulation est paradoxale et peu
réaliste. Le délégué du Royaume de la Belgique par exemple, lors de la
Conférence de San Francisco signala que dans cette formulation « les petites
nations trouveraient tant soit peu ironique, en raison des inégalités flagrantes
qui apparaissent dans l’Organisation, qu’en tête de l’exposé des principes
figure une référence un peu osée à l’égalité souveraine de tous les
membres »128.
127 KOHEN, (M.) « Article 1, paragraphe 2 » dans COT, (J-P.) et PELLET (A.), op. cit., page 399. 128 UNCIO, Doc. 423, PV Comité I/1, vol. VI, p.313, cité dans MBAYE, (K.) « Article 2, paragraphe 1 » dans COT, (J-P.) et PELLET,(A.) op. cit., 2e édition, page 85.
49
Quoi qu’il en soit, on ne saurait nier l’importance de ce principe dans la
structure d’un ordre juridique international. Pour les professeurs COMBACAU
et SUR, la souveraineté est le degré le plus haut de la puissance et de la
liberté légales129. Ainsi, en tant que degré le plus haut, l’existence d’un
principe d’égalité de cette souveraineté est une « nécessité logique qui
découle de l’existence même de la société internationale interétatique »130. La
nature structurante du principe a montré « une vitalité qui sera seule mise en
cause le jour où l’Etat souverain cesserait d’être le sujet de base des relations
internationales »131.
Le principe d’égalité souveraine est considéré comme un but plutôt que
comme un point de départ. De façon assez radicale, M. MBAYE affirme :
« l’égalité n’existe pas. Mais faut-il pour autant abandonner le principe de
l’égalité souveraine ? Assurément non ! » 132 . En effet, elle constitue un
principe133 ou une donnée134 fondamentale du droit international classique.
Justement à cause des différences réelles qui échappent à ses
considérations théoriques, le Tiers Monde considère que l’égalité souveraine
peut conduire à « négliger et à perpétuer des inégalités concrètes entre les
Etats », d’où l’importance de développer une théorie d’inégalité
compensatrice, une dualité de régime et de traitement. Celle-ci permettrait
d’appliquer efficacement le principe d’égalité souveraine, mais d’une façon
beaucoup plus réaliste et adaptée aux caractéristiques particulières 135. C’est
ainsi que des nouvelles sous-catégories d’Etats ont été créées, telles que les
PMA (pays moins avancés) ou les pays insulaires et sans littoral (ou
129 COMBACAU, (J.) et SUR, (S.), op. cit. page 236. 130 KOHEN, (M.) op.cit., page 400. 131 Ibid, page 415. 132 MBAYE, (K.) op. cit., page 90. 133 KOHEN, (M.) op. cit., page 414. 134 PELLET, (A.) « Le droit international à l’aube du XXIème siècle (La société internationale contemporaine – permanences et tendances nouvelles) », cours fondamental dans Cours euro-méditerranéens Bancaja de droit international, vol. I, 1997, Aranzadi, Pampelune, 1998, page 54. 135 PELLET, (A.) et DAILLIER, (P.) Droit international public, 5e éd., LGDJ, 1994, Paris, pages 413-415 ; NGUYEN (Q-D), Droit international public, 1e éd., LGDJ, Paris, 1974, pages 349-351.
50
« landlocked »)136. De cette manière, le Tiers Monde a graduellement poussé
la communauté internationale vers l’introduction de régimes différenciés et
des éléments de correction des handicaps historiques, géographiques et
économiques. Ces corrections auraient comme but de permettre à tous les
Etats de profiter d’un réel état d’égalité juridique137.
Quant à son contenu, il est beaucoup plus riche que ce que l’énoncé
de l’article 2§1 permet d’entrevoir. Le Rapporteur du Comité I de la
Conférence de San Francisco fit ainsi observer que la rédaction du principe
contenait quatre éléments : les Etats sont juridiquement égaux ; chaque Etat
jouit des droits inhérents à l’égalité souveraine ; l’intégralité territoriale de
l’état doit être respectée ; et enfin un Etat doit remplir loyalement ses
obligations internationales138. Face au scepticisme des délégués présents à la
dite Conférence, il faut avouer que la rédaction est peut être trop restreinte.
En ce qui concerne les nombreuses remises en question de ce
principe, une qui mérite être signalée est celle des « privilèges » octroyés à
certains membres de l’Organisation en raison de leur population ou territoire,
de leur puissance économique et militaire ou d’autres facteurs qui
déterminent le poids de leur influence sur la scène internationale. À cet égard
on compte plusieurs traitements privilégiés, à savoir, le droit de véto des
membres permanents du Conseil de Sécurité, le système de vote pondéré au
sein du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale ou l’inégalité
des obligations concernant le désarmement et les limitations imposées à
certains Etats en matière nucléaire139.
Ceci ne signifierait forcement que ces privilèges constituent des
violations au principe. Ces privilèges peuvent être regardés comme la
conséquence d’une renonciation de souveraineté de la part des Etats qui n’en
bénéficient pas. Certes, les circonstances ne laissaient pas vraiment
beaucoup de marge de manœuvre pour ce qui est de la formation des 136 PELLET, (A.) et DAILLIER, (P.) Droit international public, 7e éd., pages 1064-1065. 137 PELLET, (A.) et DAILLIER, (P.) Droit international public, 5e éd, op. cit., page 415. 138 Cité dans MBAYE, (K.) op. cit., page 83. 139 KOHEN, (M.) op. cit., page 403.
51
Nations Unies, celle-ci étant une création des puissances victorieuses de la
Deuxième Guerre mondiale. Dans les conditions qui étaient les leurs, ces
Etats se sont octroyés des privilèges tels que le statut de membre permanent
du Conseil de Sécurité. Nonobstant, comme l’indique M. KOHEN, « dans la
mesure où certains traitements privilégiés sont licitement consentis, le
principe de souveraineté reste indemne »140. Si bien cette argumentation de
renonciation de compétences étatiques est cohérente d’un point de vue
théorique, il est valable de s’interroger sur la vraie autonomie du choix des
Etats « non-privilégiés » pour intégrer ou non l’Organisation des Nations
Unies.
Quoi qu’il en soit, si l’on met cela en relation avec l’article 52 CVDT, il
semble difficile d’interpréter les deux dispositions de façon harmonieuse. La
doctrine ne fait guère mention de cet enjeu et les auteurs qui décrivent la
situation ne donnent pas de perspectives de bon augure, ni n’offrent des
propositions pour la redresser.
L’avis du Professeur Pierre-Marie DUPUY est très pertinent à ce
respect : « Ce principe [celui de l’égalité souveraine], à n’en pas douter, fait
également partie du droit international général. Son exécution de bonne foi,
dans le cadre des négociations de conventions internationales, paraît, pour
dire le moins, difficilement compatible avec l’exercice de la contrainte
économique, même si l’usage de cette dernière est sans doute encore
fréquent »141.
Voici l’une des grandes inquiétudes qui inspirent ce travail de
recherche. Nous sommes face à une difficulté présente depuis longtemps
dans les processus de création du droit international conventionnel. Mais il ne
semble même pas vraiment nécessaire d’être juriste ou de connaître le droit
international public pour soupçonner que ce type de discordances existe dans
les relations internationales. En effet, nous serions peut être naturellement
penchés, non pas en tant que juristes, mais juste en tant que citoyens lucides 140 Ibid, page 404. 141 DUPUY, (P-M.) et KERBRAT, (Y.) op. cit, page 320.
52
et informés, à imaginer que cette sorte de pratiques ont lieu dans les
échanges internationaux. L’exploitation abusive d’une position de supériorité
trouve des manifestations dans tous les groupes sociaux, peu importe à
quelle échelle ou dans quel type de société.
Comment peut-on se résigner de ce fait à ce que le droit international
soit incapable de régler une telle situation d’injustice? La doctrine
internationaliste ne semble pas prêter grande attention (ou du moins pas
suffisante) à l’existence de cette difficulté. La jurisprudence à son tour a
abordé très timidement la question142. Ce vide juridique ne doit-il pas être
analysé comme étant une acceptation de situations nuisibles au maintien d’un
de principes cardinaux du droit international classique ?
L’égalité souveraine de tous les Etats, comme nous l’avons dit, est un
principe fondamental, un vrai pilier sur lequel se construit l’ordre juridique
international. L’article 52 de la Convention de Vienne, en tant que norme
jugée « inférieure » aux principes de la Charte, vient produire une
discordance par rapport à ce principe, pourtant si important.
Bien qu’il faille nuancer et savoir lire entre les lignes des positions très
politisées des Etats en développement, il est indéniable qu’une plaidoirie en
faveur d’un élargissement de la notion de force revêtirait tout de même un
degré importante de justice et d’équité et viendrait apporter plus de cohérence
à l’application des principes de la Charte dans un cadre conventionnel.
Il est question en suite d’analyser les arguments théoriques derrière le
refus d’une notion élargie de la force en droit des traités.
142 Voir à cet effet la deuxième partie, chapitre 1, paragraphe 3.
53
Section 2 : La stabilité de l’ordre juridique international comme pierre
d’achoppement pour admettre un élargissement de la notion de force.
Le principe pacta sunt servanda, comme nous l’avons déjà indiqué, est
l’un des piliers de l’ordre juridique international. Une véritable « pièce
maîtresse de l’ordre juridique international [...] consubstantielle à tout
engagement conventionnel et, en tant que telle, s’oppose à toute action
purement unilatérale pouvant affecter la continuité d’application des normes
conventionnelles »143.
Sans ce principe, l’ensemble des engagements conventionnels
manque de ce que l’on appelle en droit civil des contrats, une « cause ». Tout
acte juridique a besoin d’en avoir une puisque l’exécution en bonne et due
forme de l’obligation d’un contractant est à la fois « cause » de l’exécution de
l’obligation de l’autre contractant. C’est en effet, ce qu’on dénomme en droit
civil le caractère « commutatif »144 d’une obligation bilatérale.
En ce sens, en droit international le principe pacta sunt servanda
remplit la même fonction. Il est souvent invoqué comme le plus haut garant de
la stabilité des accords conventionnels à l’échelle internationale, étant donné
qu’il n’existe pas d’instance juridictionnelle obligatoire dans ce système.
Lors de la Conférence, l’initiative visant à élargir la notion de force145
dans l’article 52 de la CVDT a suscité la crainte de certains Etats qui
pensaient que son application viendrait compromettre la solidité des traités.
Le délégué indonésien les catalogua comme des « craintes sans motifs
valables»146.
143 SALEM, (M.) Jurisclasseur LexisNexis de Droit International, Fascicule 12-7 « Validité temporelle des traités : extinction et suspension », Partie I, Section A, Alinéa 1º. 144 A cet égard ; « Contrat commutatif [droit civil] : contrat à titre onéreux dont on connait l’importance des prestations réciproques au moment où il est conclu » GUINCHARD, (S.) Lexique des termes juridiques, 19e éd., Dalloz, Paris, 2012, page 228. 145 Le « nineteen-state amendment » dont nous parlerons dans la deuxième partie de ce mémoire. 146 « The Indonesian delegation did not believe there were any valid grounds for those fears », [A/CONF.39/11], page 285.
54
Sur l’ensemble des pays qui ont fait entendre leur voix pour mettre en
relief ces craintes, il est difficile de considérer comme une coïncidence le fait
qu’ils appartiennent tous au groupe des pays développés y compris des ex-
puissances colonisatrices. Il ne s’agit pas d’une description exhaustive de
tous les participants qui n’ont pas appuyé l’initiative, mais surtout d’un
examen de l’intervention des Etats qui s’y sont fortement opposés.
Le délégué néerlandais commença par signaler qu’il soutenait le
principe sous-jacent de l’article, selon lequel un Etat ne devrait pas, en droit,
bénéficier des dispositions d’un traité qu’il a imposé à sa victime 147 .
Néanmoins, d’après la délégation néerlandaise, avec une interprétation large
de la notion de force, « la portée de l’article serait si ample qu’elle
constituerait un grave danger pour la stabilité des relations
conventionnelles »148.
D’après le délégué, « condamner la pression [indue] est une chose,
déclarer comme nuls et non avenus des traités prétendument conclus sous
pression est une autre chose »149.
Le Portugal, dans la même optique, soutenait que toute extension de la
notion de force priverait de toute signification le principe pacta, comme cela
avait été arrêté par le Comité plénipotentiaire de la Conférence150.
Le représentant du Canada s’exprima de façon plus sévère contre
l’initiative, en indiquant que cet élargissement « menaçait de détruire la règle
pacta sunt servanda », et ajouta que l’inclusion de l’expression faisant
référence à la contrainte économique « serait une invitation aux Etats à
invalider des traités en utilisant cette référence comme excuse chaque fois
qu’un Etat partie à un traité déciderait plus tard qu’il n’avait pas fait une bonne
affaire »151.
147[A/CONF.39/11], page 275 (traduction libre). 148 Ibid., page 275 (traduction libre). 149 Ibid., page 275 (traduction libre). 150 Ibid., page 278 (traduction libre). 151 Ibid., page 281 (traduction libre).
55
Le représentant des Etats-Unis formula lui aussi des arguments à
l’encontre de l’initiative. Il affirma que la Conférence n’était pas appelée à
interpréter la Charte, surtout sur les aspects ayant « un contenu politique
important et dangereux »152. D’après cette délégation, la Conférence avait
comme seule tâche d’adopter une convention visant à unifier les relations
internationales. Les tentatives pour résoudre des problèmes de définition ou
de thématique d’ordre politique, en relation avec la Charte dans le contexte
d’une convention sur le droit des traités, peuvent mener les Etats qui sont en
désaccord avec les définitions proposées à refuser l’adoption de la
Convention153.
Enfin, la délégation du Royaume Uni prit la parole devant le Comité
pour faire une longue plaidoirie en faveur d’une notion stricte de la force. Ce
fut en effet M. Ian SINCLAIR, juriste internationaliste qui fut chargé d’avancer
les arguments de la délégation anglaise.
Pour le Royaume Uni, l’origine de l’initiative d’élargissement de la
notion de force résidait dans certaines des opinions issues du projet d’article
de la CDI, où certains membres de la Commission avaient exprimé que
l’étranglement économique pourrait en effet tomber sous le concept de
coercition visé par l’article. A cet égard, le Royaume Uni considéra que le
Comité était appelé à interpréter cette notion de force en utilisant les moyens
supplémentaires d’interprétation indiqués dans l’article 27 du projet154.
Le délégué anglais effectua ensuite une interprétation systémique de la
notion de force, en analysant les articles de la Charte où il en est fait mention.
A propos de la mention de « force » dans l’article 2§4 de la Charte, le
Royaume Uni proposa de regarder le paragraphe sept du préambule, qui
152 Ibid., page 281 (traduction libre). 153 Ibid., page 292 (traduction libre). 154 Cet article, devenu l’article 32 dans le texte définitif, prescrit : « Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’art. 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’art. 31: a) laisse le sens ambigu ou obscur; ou b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable ».
56
exprime la détermination des peuples des Nations Unies pour « accepter des
principes et instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage
de la force des armes ». Il ajouta ensuite que l’article 39 de la Charte autorise
le Conseil de Sécurité à déterminer l’existence de toute menace contre la
paix, rupture de la paix ou acte d’agression, compte tenu du principe de
l’article 2§4155.
La réponse collective envisageable des Nations Unies contre toute
rupture de l’obligation fondamentale de l’article 2§4 par l’un des Etats
membres peut ainsi entraîner l’application de mesures diverses. Tout d’abord,
les mesures de l’article 41 (parmi lesquelles l’interruption complète ou
partielle des relations économiques et des communications terrestres,
aériennes, postales, télégraphiques, etc.) et d’autres mesures autorisées par
l’article 42 (« toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au
rétablissement de la paix et de la sécurité internationales »), qui seront
ensuite négociées conformément à l’article 43. L’article 44 parle du recours à
la force. Pour la délégation anglaise, il n’y aurait pas de doute : la force dont
on parle dans le contexte de l’article 44 peut seulement désigner la force
armée156.
D’après la délégation anglaise, « la structure du Chapitre VII de la
Charte s’est basée sur la proposition selon laquelle l’ensemble de mesures
collectives qui pourraient finalement entraîner l’usage de la force armée dans
l’intérêt commun était la réponse appropriée en cas de rupture de l’obligation
fondamentale posée à l’article 2§4 […]. La délégation du Royaume Uni est
convaincue que l’obligation de s’abstenir de l’utilisation de la force sous
l’article 2§4 est reliée à la menace ou l’usage de la force physique […]. Toute
interprétation extensive de cette phrase va au-delà de la sphère
d’interprétation dans la sphère de l’amendement ou la modification de la
Charte »157.
155 [A/CONF.39/11], page 283 (traduction libre). 156 Ibid. page 277 (traduction libre). 157 Ibid. page 277 (traduction libre).
57
Il ajouta que le Royaume Uni était complètement d’accord avec le fait
que la pression politique et économique pouvait avoir « des conséquences
troublantes »158 pour le maintien des relations amicales entre les Etats, mais il
considéra cependant que le terme « pression politique et économique »
n’avait, d’après sa délégation « aucun contenu objectif »159.
Le représentant a ensuite rejoint l’argument exposé ci-dessus par
d’autres Etats développés, selon lequel le principe pacta sunt servanda serait
sérieusement mis en péril « si un tel concept si vague comme la pression
économique ou politique était accepté comme un fondement pour la nullité
des traités » 160 . Le Royaume Uni finit son intervention en s’opposant
« fermement » à l’initiative d’élargissement de la notion de force, persuadé
que celle-ci créerait inévitablement une « grave menace à la stabilité et à la
sécurité des relations conventionnelles »161.
Cette première partie a été consacrée à une analyse bornée à la
confrontation des principes et normes impliqués dans la problématique de la
contrainte économique, d’une façon théorique. La deuxième partie a comme
but un examen de ces règles associé à la réalité des faits et des
avancements de la société internationale.
158 Ibid. page 277-278 (traduction libre). 159 Ibid. page 277-278 (traduction libre). 160 Ibid. (traduction libre). 161 Ibid., page 284 (traduction libre).
58
PARTIE II : L’ ÉVOLUTION DE LA NOTION DE FORCE ÀU REGARD DE LA PRATIQUE DES ETATS EN DROIT INTERNATIONAL
Nous avons étudié jusqu’à présent et sous une approche théorique les
sujets suivants : le phénomène de la contrainte économique en tant que
facteur d’altération de la volonté étatique librement exprimée lors de la
conclusion des traités internationaux ; les éléments propres à l’article de la
CVDT relatif à l’usage de la force et en liaison avec la contrainte en tant que
vice du consentement en droit des traités; la douteuse compatibilité de
l’exercice impuni de la contrainte économique avec certains principes
communs à toute la communauté internationale ou de moins, aux membres
de l’Organisation des Nations Unies.
Il est alors important d’examiner si des indices factuels permettent
d’esquisser l’émergence d’une nouvelle règle de droit. Cette étude
contribuera à concevoir une notion élargie de la force et à appréhender
l’application d’une règle coutumière à ce respect (premier chapitre). Ensuite, il
s’agira d’illustrer les enjeux contemporains dans les relations internationales
pour lesquels l’activation d’une telle règle interdisant l’utilisation de la
contrainte économique deviendrait nécessaire voire urgent (deuxième
chapitre).
CHAPITRE I : VERS UNE NOTION ÉLARGIE DE LA FORCE ET UNE
APPLICATION CONSÉQUENTE DE LA NULLITÉ PAR CONTRAINTE EN
DROIT DES TRAITÉS
La revendication portant sur un élargissement de la notion de force
dans les traités internationaux relève de plusieurs actes, textes juridiques ou
politiques et manifestations étatiques qui constituent une pratique des sujets
de droit international plus ou moins établie, uniformisée et épandue dans le
temps (section 1).
De ces manifestations s’est nourrie l’argumentation de certains pays
lorsqu’ils ont soulevé pendant la Conférence de Vienne la nécessité
59
d’interdire l’usage de la contrainte économique, instance où, en moyennant
un accord, cette interdiction aurait pu atteindre consécration normative et
force obligatoire (section 2).
Une espérance de consécration jurisprudentielle à cet égard est née
d’une opinion dissidente dans un arrêt de la Cour internationale de Justice en
1974, première tendance timide d’un aveu de discordance sur cette matière
dans l’ordre juridique international (section 3).
Section 1 : La pratique des Etats tendant à la reconnaissance de l’illicéité de
la contrainte économique comme moyen de négociation d’un traité.
Plusieurs accords multilatéraux, sommets d’Etats, déclarations et actes
unilatéraux sont à l’origine de cette tendance vers un élargissement de la
notion de force dans le droit des traités.
A niveau interétatique on les trouve dans une Charte constitutive d’une
organisation pluri étatique (paragraphe 1), dans des déclarations lors de
sommets d’une organisation international composée par une grande majorité
des Etats en développement (paragraphe 2) ainsi que dans la « nineteen-
state amendment », motion d’un groupe d’États pendant la Conférence de
Vienne (paragraphe 3).
§1 La Charte de Bogotá de l’Organisation des États Américains.
La Charte de l’Organisation des États Américains162, adoptée le 30
avril de 1948 à Bogotá (Colombie) et entrée en vigueur le 13 décembre de
1951, créa l’Organisation dans le but d’obtenir dans ses Etats membres « un
ordre de paix et de justice, de maintenir leur solidarité, de renforcer leur
162 Connue sous le nom de Charte de Bogotá, elle est le traité constitutif de l’OEA. Cette organisation, qui réunit les 35 États indépendants du continent américain, a comme piliers principaux pour l’accomplissement de ses missions « la démocratie, le respect pour les droits de l’homme, la sécurité et le développement ». Elle compte 67 Etats observateurs, dont la France et l’Union Européenne. (site web de l’organisation – onglet « qui nous sommes» http:/ /www.oas.org/fr/a_propos/ qui_nous_sommes.asp)
60
collaboration et de défendre leur souveraineté, leur intégrité territoriale et leur
indépendance »163.
Elle revêt le format classique d’un traité constitutif, à savoir, elle
énumère d’abord sa nature et ses buts, ainsi que ses principes et les devoirs
et droits des membres. Dans ses articles 19 et 20, la Charte de l’OEA adhère
à une notion élargie de la force en tant qu’acte illégitime en droit international
public. A cet égard, son article 19 dispose :
« Aucun Etat ou groupe d’Etats n’a le droit d’intervenir directement ou indirectement, pour quelque motif que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre Etat. Le principe précédent exclut l’emploi, non seulement de la force armée, mais aussi de toute autre forme d’ingérence ou de tendance attentatoire à la personnalité de l’Etat et aux éléments politiques, économiques et culturels qui la constituent. »
Cet article exprime d’abord l’adhésion de l’organisation aux principes
de non-intervention et de non-ingérence. Souvent conçus comme synonymes
en droit international quand il s’agit du sens large164, ils diffèrent lorsque l’on
évoque leur sens strict. Dans ce cas, la notion de non-intervention est
associée à une idée de territorialité165, notamment la méconnaissance des
frontières territoriales en utilisant la force, tandis que la non-ingérence relève
plutôt du sens « d’un principe politique, selon lequel un gouvernement
s’astreint à une politique extérieure non-susceptible de constituer une
ingérence »166. En conséquence, la mise en place d’une politique extérieure
entrainant une ingérence attentatoire aux éléments économiques d’un Etat
tiers est pour ce traité un acte illégitime.
Pour la Charte de Bogotá, l’utilisation de la force sous quelconque de
ses formes ici décrites constitue une violation du principe de non-ingérence,
lorsque celle-ci est utilisée avec un but attentatoire. Bien que l’on puisse 163 Article premier de la Charte de Bogotá. 164 « Non-intervention : Interdiction faite à tout Etat, comme corollaire du principe d’égalité souveraine de s’immiscer dans les affaires internes ou externes relevant de la compétence exclusive d’un autre Etat. Dans ce sens, synonyme de ‘non-ingérence’ » SALMON, (J.) op.cit. page 746. 165 Ibid, page 746. 166 Ibid, page 746.
61
considérer que cette disposition se trouve dans la teneur d’une déclaration de
principes, l’article 20 pour sa part est rédigé dans des termes beaucoup plus
concrets et ne laisse planer aucun doute quant à sa portée :
« Aucun Etat ne peut appliquer ou prendre des mesures coercitives de caractère économique et politique pour forcer la volonté souveraine d’un autre Etat et obtenir de celui-ci des avantages d’une nature quelconque ».
Par cette disposition, l’utilisation coercitive des mesures économiques
sur un Etat ou autrement dit, l’utilisation de la contrainte économique, dans le
but d’obtenir un avantage injustifié de la part de l’Etat qui subit cette coercition
est expressément interdit par le traité. On parle bien ici de forcer la volonté
d’un Etat souverain. Or, on y trouve une reconnaissance de l’illicéité de cette
contrainte du moment que son utilisation entraine une altération de la libre
manifestation du consentement par un Etat. Ladite situation de contrainte
économique, que comme nous l’avons déjà vu n’est pas prévue par la
Convention de Vienne, est au contraire mise en avant dans la Charte de
l’OEA, signée quelques vingt ans plus tôt. Pourtant cette dernière, même si
elle ne fait mention expresse de la Charte de l’ONU, renvoie l’utilisation de
cette force à une violation du principe d’égalité souveraine des Etats consacré
dans la Charte des Nations Unies.
De ce fait, l’interdiction de la contrainte économique trouve une
consécration légale dans un traité multiétatique, doté d’une force juridique
obligatoire et contraignante.
§2 Les sommets du Mouvement des Non Alignés.
Le mouvement des non-alignés trouve ses origines dans une idée
partagée, un courant commun à certains pays en voie de développement
(dont certains issus de la vague de décolonisation des années soixante) juste
après la formation de l’Organisation des Nations Unies et notamment vers
1948, année de la défection de la Yougoslavie du bloc soviétique.
62
On accorde la naissance de ce courant au 1er Premier Ministre de
l’Inde, Jawaharlal NEHRU qui, avant et après l’accès à l’indépendance de son
pays n’a cessé de plaider pour ce non-alignement, qu’il voyait non pas
comme un but mais comme un moyen pour une fin, faisant « partie d’une
politique » 167.
On l’a définit aussi en doctrine comme une « politique étrangère
indépendante de nature à valoriser les nouveaux Etats et à leur assurer une
influence réelle sur l’échiquier international, une politique originale qui a ses
objectifs propres, outre celui, fondamental, d’éviter l’affrontement armé entre
les deux blocs »168. Le mouvement ne cherchait pas à créer un troisième bloc,
mais plutôt un rassemblement très ouvert, très souple, et il fut nourrit
politiquement par la présence et l’appui de trois leaders nationaux de
l’époque : le Premier Ministre Nehru (Inde), le Général Josep Tito
(Yougoslavie) et le Président Gamal Abdel Nasser (Egypte) 169 . Cette
ouverture n’empêchera pas que chacun de ses membres poursuive ses
propres objectifs, ce qui d’ailleurs permet de constater grand nombre de
contradictions dans leurs politiques extérieures à l’époque.
Toutefois, mûri dans le contexte tendu de la guerre froide, ce
mouvement a eu la capacité de rassembler de plus en plus d’Etats désireux
de développer une politique extérieure autonome et détachée des deux super
puissances de l’après-guerre. Lors de ses premières années d’existence,
plusieurs sommets du groupe ont eu lieu, à chaque fois avec un numéro
grandissant de participants. Si une première réunion de vingt-cinq pays non- 167 Ainsi, NEHRU décrivait lors de différents interventions, sa nouvelle vision du monde en déclarant: « Nous voulons, autant que possible, rester à l'écart de la politique des blocs alignés les uns contre les autres, qui a provoqué dans le passé des guerres mondiales, et qui peut conduire à de nouveaux désastres sur une échelle encore plus grande » ; et déclara notamment lors d’une conférence à l’Université de Columbia : « [nous sommes à] la recherche de la paix, non par alignement aux côtés d'une grande puissance ou d'un groupe de puissances, mais par une perspective indépendante sur chaque controverse et chaque problème, par la libération des peuples opprimés, le maintien de la liberté des nations et des individus, l'élimination des discriminations raciales, l'extinction de la misère, de la maladie et de l'ignorance, qui sont le sort de la majeure partie de l'humanité ». JHA, (C-S.) « Le non-alignement dans un monde en évolution » dans Politique Étrangère, Nº 4-5, 1967, 32e année, page 353. 168 FISCHER, (G.) « La Conférence des non-alignés d’Alger » A.F.D.I., vol. 19, 1973, page 9. 169 Dans ce sens, Nehru cherchait à « maintenir le non-alignement dans des cadre aussi vagues et aussi larges que possibles » FISCHER, (G.) op. cit., page 10.
63
alignés s’est tenue à Belgrade (1961), la deuxième au Caire ressembla
quarante-sept Etats (1964), tandis que la troisième à Lusaka compta
cinquante-quatre participants (1970) et le quatrième sommet à Alger est
parvenu à en réunir soixante-quinze (1973)170.
Issu d’un courant visant à échapper de l’empreinte néo-colonialiste des
grandes puissances, ce mouvement a été terre fertile pour développer des
doctrines pro-Tiers Monde, et il se prononcera vivement en faveur de
l’instauration d’un nouvel ordre économique international (NOEI). Dans ce
contexte, les déclarations officiels des sommets dégagent une position
juridico-politique unifiée sur les enjeux économiques de l’époque et un avis
commun sur la façon dont la communauté internationale devrait agir en action
coordonnée afin de modifier les rapports économiques et commerciaux mal
équilibrés.
A ce respect, le courant politique et doctrinal promu par les PED171
pour un nouvel ordre économique international qui affleura pendant les
années soixante-dix est un point de convergence important avec le
Mouvement. Ce NOEI vise une modification significative du statu quo des
rapports économiques interétatiques. Il dénue les insuffisances et profondes
injustices du système d’échange et plaide pour un changement de paradigme.
Les deux problèmes principaux identifiés par ce courant sont l’échange de
matières primes et le dite « arme alimentaire » 172, d’une grande importance
stratégique173, surtout en époque de déficits vivriers. Le NOEI propose une
action collective des différents acteurs internationaux et préconise à grands
traits la consolidation de la souveraineté économique des PED et la création
d’un marché de matières primes équitable et rémunérateur174.
170 Par souci de contexte historique et chronologique, les documents qui seront cités dans ce paragraphe ne concernent que les sommets de 1961 et 1964, antérieurs à la Conférence de Vienne de 1968. La tendance est devenue encore plus prononcée lors des deux sommets postérieurs. 171 Pays en développement. 172 BETTATI, (M.) Le nouvel ordre économique international, Presses Universitaires de France, collection « que sais-je ? », Paris, 1983, page 102. 173 Voir chapitre 2, section 2, paragraphe 3 de cette partie. 174 BETTATI, (M.), op. cit. page 2.
64
Le mouvement des non-alignés revendique ainsi l’implémentation d’un
nouvel ordre économique international. Dans ce contexte, c’est dans
certaines de ces déclarations officielles que l’on peut trouver une
reconnaissance de l’illégitimité de l’utilisation de la contrainte économique,
facteur clé pour aboutir à une consolidation de la souveraineté politique et
économique des pays en développement.
Ainsi, le paragraphe 22 de la Déclaration de Belgrade des pays non-
alignés (1961) affirme :
«The participating countries invite all the countries in the course of development to co-operate effectively in the economic and commercial fields so as to face the policies of pressure in the economic sphere, as well as the harmful results which may be created by the economic blocs of the industrial countries »175.
Cette déclaration est un appel à tous les pays en développement pour
créer un front commun, afin de faire face aux abus issus d’une pression
économique indue de la part de quelques puissances industrialisées.
En outre, la déclaration plaide pour une liberté d’utilisation des moyens
techniques et économiques reçus du Premier Monde :
«The countries participating in the Conference declare that the recipient countries must be free to determine the use of the economic and technical assistance which they receive, and to draw up their own plans and assign priorities in accordance with their needs »176.
La deuxième Déclaration des pays non-alignés, issue du sommet du
Caire (1964) s’exprime dans des termes beaucoup plus larges et dénonce
avec véhémence la néo-colonisation et l’impérialisme économique177 :
« The exploitation by colonialist forces of the difficulties and problems of recently liberated or developing countries, interference in the internal affairs of these States, and colonialist attempts to maintain unequal relationships,
175 Le souligné est de nous. 176 Belgrade Declaration of Non-Aligned Countries, 1961, paragraphe 23 (le souligné est de nous). 177 FISCHER, (G.) op. cit, page 11.
65
particularly in the economic field, constitute serious dangers to these young countries »178. « Imperialism uses many devices to impose its will on independent nations, Economic pressure and domination, interference […] and the threat of force are neo-colonialist devices against which the newly independent nations have to defend themselves »179.
Dans la même déclaration, le Mouvement se montre aussi: « Deeply convinced that the absolute prohibition of the threat or use of force, direct or disguised the renunciation of all forms of coercion in international relations […] are necessary conditions for safeguarding peace and achieving the general advancement of mankind »180.
A l’époque de ce document, le Mouvement réunit déjà quarante-sept
membres, un chiffre considérable (qui augmenterait de façon vertigineuse)
compte tenu que cette même année les Nations Unies comprennent cent-
quinze membres.
Dans les deux déclarations, on remarque bien évidemment un ton et
une connotation très politisée, presque accusatoire (comme il en était devenu
l’habitude pendant ces années-là) mais il faut rappeler que l’idée sur la
contrainte économique, subjacente à ce discours, fut avancée dans le cadre
d’une Conférence sur le droit des traités visant à aboutir à un texte juridique
au caractère obligatoire. Derrière un discours très politisé, on trouve bien une
motion à fort sens juridique qui a été sérieusement analysée à la Conférence
de 1968.
§3 Le « nineteen-state amendment » de la Conférence de Vienne.
L’amendement « des dix-neuf Etats » 181 fut une motion pour la
modification de l’article 49 (contrainte sur un Etat) du projet d’articles sur le
178 2nd Summit Conference of Heads of State or Government of the Non-Aligned Movement, « Programme for Peace and International Co-Operation », Le Caire, Egypte, 10 septembre 1964, page 5, paragraphe 4. 179 Ibid., page 5, paragraphe 5. 180 Ibid., page 14, paragraphe 5. 181 Sous le cote [A/CONF.39/C.1/L.67/Rev.1/Corr.1] du système des Nations Unies à la Conférence de Vienne sur le Droit des traités.
66
droit des traités de 1966, ce dernier présenté par la CDI à l’assemblée
plénipotentiaire de la Conférence de Vienne. Elle fut introduite par la
délégation afghane lors de la 48e réunion de la première session de
l’assemblée, le 2 mai 1968. Le projet de modification cherchait à aboutir à une
consécration en droit positif de l’interdiction de la contrainte économique en
droit des traités. Son introduction suscita des vifs débats au sein de
l’assemblée et la discussion ne fut conclue qu’après deux journées de débats
et probablement, d’un intense lobbying entre les sessions.
L’initiative fut essentiellement portée par 10 pays nord et sud-africains
(l’Algérie, le Congo (Brazzaville), le Ghana, la Guinée, le Kenya, le Mali, la
République Arabe unie (Egypte), le Sierra Léone, la Tanzanie et la Zambie), 6
pays d’Asie ou moyen orient (l’Afghanistan, l’Inde, l’Iran, le Koweït, le
Pakistan et la Syrie), 2 pays latino-américains (la Bolivie et l’Équateur) et 1
pays européen (la Yougoslavie).
Cette motion reflète une inquiétude du Tiers Monde, ce groupe de pays
qui constituait déjà en 1968 une écrasante majorité au sein de la
communauté internationale. Ce Tiers Monde qui ressent à l’époque que l’état
du droit international ne reflète pas la transformation profonde de cette
communauté, bouleversée notamment par le procès de décolonisation qui
emmena à l’Independence d’une trentaine de nations asiatiques et africaines
entre la fin de la deuxième guerre mondiale et l’année de la Conférence de
Vienne.
Pour ce qu’il en est de la notion de pression économique avant la
Conférence de Vienne, elle n’a aucune règlementation particulière car elle
n’était pas considérée du tout par le droit des traités classique182.
Le droit international traditionnel était une création d’une communauté
internationale au caractère très restreint et qu’en tant que telle, ne
182 EL KADIRI, (A.) La position des États du Tiers Monde à la Conférence de Vienne sur le Droit des traités, Éditions de la Faculté des Sciences Sociales et Juridiques de l’Université de Rabat, Rabat, 1980, page 53.
67
représentait finalement pas l’état des relations internationales des années
soixante183. Une opinion très critique sur cet enjeu a été exprimée par un
délégué indien au Conseil de Sécurité en 1962, au sujet de l’affaire de
Goa184. Elle reflète bien l’état d’esprit de cette période :
« Si quelqu’un venait invoquer ici des considérations juridiques étroites – tirées du droit international des anciens juristes européens – nous répondons que ceux qui ont écrit ce droit avaient été, après tout, élevés dans une atmosphère de colonialisme. Je respecte infiniment Grotius, qui, dit-on, est le père du droit international ; nous acceptons de nombreuses conceptions du droit international, qui, très certainement, gouvernent aujourd’hui les relations internationales. Mais, la conception qui veut – et qui est souvent citée par les puissances coloniales – que ces puissances coloniales aient des droits souverains sur les territoires qu’elles ont conquis en Asie et en Afrique, a cessé d’être acceptable. C’est une conception européenne et elle doit disparaître définitivement […] de nombreux concepts du droit international touchant les territoires coloniaux ont été posés par des juristes européens qui, à l’époque, avaient été élevés dans une atmosphère de conquête coloniale. Ce n’était pas de leur faute. Je dis que nous admettons le droit international, que nous nous soumettons au droit international, mais que nous ne pouvons, au XXe siècle, accepter la partie du droit international qui a été pensée par des juristes européens […] Or, le droit international n’est pas statique. Il se développe constamment […] »185.
En effet, ces déclarations manifestent la position des pays du Tiers
Monde, qui ne sont plus disposés à accepter le droit international classique
que sous bénéfice d’inventaire186. C’est une approche générale à la question
de l’évolution du droit international qui eut aussi une manifestation particulière
et spécifique au sujet de la contrainte comme vice du consentement lors des
sessions de la CDI, durant les années qui précèdent le projet d’articles de
1966 et la Conférence.
Ainsi, à la session de 1965 187 , M. TABIBI (Afghanistan) déclara :
« Cette conception appartient à une époque différente, celle où il était de
183 Pour une analyse plus détaillée sur le rapport entre le droit international classique et l’émergence d’un nouveau schéma international peuplé par les nouveaux Etats, voir chapitre 2, section 2 de cette partie. 184 Première implantation coloniale du Portugal en Inde. Important point stratégique pour le commerce maritime, elle fut la capitale de l’Empire portugais d’orient. Après 450 années sous statut colonial, elle fut annexée par l’Inde indépendante en 1961. 185 Cité par FLORY, (M.) dans « Les implications juridiques de l’affaire de Goa » A.F.D.I., vol. 8, 1962, page 483. 186 FLORY, (M) op. cit., page 484. 187 La session de 1965 réunit des juristes remarquables du droit international et du droit des traités, parmi lesquels : REUTER (France), VERDROSS (Autriche), LACHS (Pologne, futur Président de la CIJ ), AGO (Italie), TUNKIN (URSS) et pour le Tiers Monde ; ELIAS (Nigéria, Président de l’assemblée plénipotentiaire de la Conférence), BEDJAOUI (Algérie, précurseur du courant du nouvel ordre économique international en 1974) et JIMÉNEZ DE ARÉCHAGA (Président de la CIJ quelques années plus tard).
68
mode de contraindre par la force ou la menace de l’emploi de la force les
nations petites et faibles à se soumettre à des traités, et ensuite d’en imposer
la mise en vigueur en arguant que leur annulation ou leur dénonciation
mettrait en péril la stabilité des traités, la sécurité des relations internationales
et le droit international lui même »188.
Cet extrait permet d’illustrer que l’antagonisme « stabilité des
traités/autonomie contractuelle », qui est central à la question de l’article 52
de la CVDT, est présent bien avant la Conférence. L’initiative divisait les
esprits déjà au sein de la Commission. Une fois apparu le sujet des vices du
consentement pendant la Conférence, la position d’une partie du Tiers Monde
ne s’est pas fait attendre. Les représentants des Etats porteurs de
l’amendement ressortent des arguments déjà exprimés tant de fois sur la
scène internationale pendant cette décennie: Assemblée générale de l’ONU,
Commission du Droit international, sommets des Non-Alignés, Conseil de
Sécurité…
Ainsi, à la quarante-huitième session les interventions se succèdent.
Pour l’Afghanistan, M. TABIBI rappelle que « la pression économique et
politique était contraire à l’autodétermination des nations et au principe
d’égalité souveraine des Etats »189. L’indien JAGOTA soutient l’intervention
afghane et ajoute « l’histoire nous a bien prouvé que la pression économique
et politique ont été utilisées autant que la menace ou l’emploi de la force
armée pour permettre aux nations puissantes d’imposer leur volonté sur des
nations plus faibles »190.
« Il ne suffit pas de professer les idéaux élevés pour effacer le souvenir
des traités dans lesquels on a recours à toutes sortes de vices du
consentement pour acquérir des avantages matériels et moraux »191 affirma
le représentant du Kenya. « À la lumière des réalités contemporaines […]
188 Annuaire de la Commission du Droit international [A/CN.4/SER.A/1965], vol. 1, 1965, page 58. 189 [A/CONF.39/11], page 270 (traduction libre). 190 [A/CONF.39/11], page 270 (traduction libre). 191 EL-KADIRI, (A.) op. cit., page 51.
69
l’idée de coercition ne peux pas se limiter à la force armée. Autres formes de
coercition, particulièrement des formes politiques et économiques devraient
être prises en compte, puisqu’elles sont aussi dangereuses et peut-être plus
fréquentes que le recours à la force armée »192 manifeste le représentant de
la Mongolie.
D’autres interventions de la même nature ont eu lieu au cours des trois
sessions qui portèrent sur le texte du futur article 52193. Sans nécessairement
devoir les citer toutes, il n’est pas difficile de parvenir à un constat assez
évident. Une partie importante de la communauté internationale aperçoit une
insuffisance du droit international à préserver une vraie autonomie
contractuelle, issue d’une égalité pourtant prônée par la Charte, mais qui ne
correspond pas à la réalité ni aux effets collatéraux des traités parfois signés
entre Etats aux poids très inégaux. Le Tiers Monde demande une certaine
adéquation du droit des traités aux rapports entre Etats de niveaux socio-
économiques discordants.
Mais ce groupe d’Etats a dû adopter une attitude conciliante, s’étant
rendu compte que cette novation proposée en matière de vices du
consentement se heurterait à de très fortes oppositions, au risque même de
faire échouer toute la Conférence194. Ainsi cette demande de reforme, comme
nous le verrons dans la section suivante, n’aboutit pas de la façon dont les
précurseurs de l’initiative l’auraient espéré.
Section 2 : le résultat obtenu à l’issue de la Conférence de Vienne : la
Déclaration annexée sur l’interdiction de toutes les formes de contrainte.
Les Etats partisans de l’amendement n’essayeront pas de forcer la
main en utilisant le vote comme moyen de trancher les désaccords sur la
matière. Soumettre l’acceptation du nineteen-state amendment à une 192 [A/CONF.39/11],page 277. 193 C’est ainsi que par exemple, les délégués de la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan feront mention, lors de leurs interventions, de l’existence de la règle d’interdiction d’usage de la contrainte économique des articles 15 et 16 de la Charte de l’OEA (aujourd’hui articles 19 et 20). 194 EL KADIRI, (A.) op. cit., page 40.
70
instance de votation aurait été équivalent à imposer la loi de la majorité.
Pourtant, les Etats en développement ont compris que cela se ferait au
détriment de leurs propres intérêts.
Cette décision reflète une concession importante de la part des Etats
en développement, concession qui est d’ailleurs une situation récurrente
(substituer le vote pour une décision d’accord unanime) aux instances de
participation multiétatique de caractère politique ou de codification du droit
international, au regard de la majorité automatique dont les Etats en
développement jouissent à partir des années soixante. Il y a cependant des
raisons concrètes expliquant pourquoi cet assouplissement a eu lieu.
Outre la possibilité de voir toute la Conférence échouer à cause de la
confrontation des Etats sur la notion de force applicable à l’article 52, il existe
des raisons d’ordre politique, juridique et économique pour expliquer le
naufrage de l’initiative des Dix-neuf. La délégation canadienne parla de
«rendre précaire la vie de bon nombre des traités internationaux »195 ce qui
aurait conduit les pays développés à ne pas entretenir des relations
économiques avec le Tiers Monde196. Cet argument pouvait être réfuté en
indiquant d’abord que ce n’est pas forcement l’inclusion de la contrainte
économique qui produirait cet effet, mais plutôt l’inadaptation des règles
internationales classiques. En effet, les mécanismes traditionnels conçus
sous une optique de domination étaient devenus caduques197. Par ailleurs, il
est erroné de croire que les rapports économiques entre un pays en
développement et un pays développé n’apportent de bénéfice qu’au premier ;
les profits à l’instar de leur dépendance sont réciproques.
Eduardo JIMENEZ DE ARÉCHAGA, représentant de l’Uruguay à la
Conférence nous fournit un argument juridique plus consistent. Il soutient que
la consécration de ce vice en droit des traités équivaudrait à l’instauration de
la lésion en droit international. Or, la sanction de ce vice dans l’ancien droit
188 [A/CONF.39/11], page 281 (traduction libre). 196 Ibid. 197 EL KADIRI, (A.) op. cit, page 64.
71
romain était conçue pour protéger « les plus faibles au moyen de la lésion,
mais dans la pratique, cette protection était devenue excessive, personne ne
voulait plus contracter avec ceux qui en bénéficiaient, ce qui créait à leur
détriment une sorte d’incapacité de facto. L’amendement des Dix-neuf
pourrait conduire à un système juridique différentiel »198.
Dans ce sens, il apparait difficile d’adapter cette règle en droit
international. La condition d’égalité souveraine devrait au moins générer une
présomption de prudence et de précaution chez les Etats199 . Sans tenir
compte de leur taille ou de leur puissance, il serait équivalent à exiger une
vigilance du bon père de famille comme elle existe en droit civil. Ce devoir
compte bien des exceptions en droit interne, raison même pour laquelle la
protection de la lésion y existe. Ces exceptions ne sont pas vraiment
envisageables en droit international compte tenu du principe d’égalité
souveraine. Cependant, cette incapacité contractuelle de facto dont le juriste
parle n’est qu’une hypothèse, qui n’a pas été prouvée en pratique
contractuelle. Bien qu’elle puisse présenter des difficultés techniques, la
transposition de la lésion en droit international ne devrait pas être écartée
d’office.
Par ailleurs, il faut avouer qu’une autre difficulté réside dans le fait que
cette sanction de lésion en droit civil a pour but exclusif les rapports
patrimoniaux. Or, les actes juridiques internationaux portent sur des matières
beaucoup plus larges, d’où la difficulté de peser l’équivalence entre les
prestations stipulées200.
Les Etats-Unis ont avancé un argument qui semble avoir ébranlé la
résistance des Dix-neuf. Tout en reconnaissant l’objectif commun de « réduire
l’écart entre les pays pauvres et les pays riches », le délégué américain ne
considéra pas que « l’amendement puisse contribuer à la réalisation de cet
objectif, tout au contraire, les bailleurs de fonds y verront un accroissement de 198 [A/CONF.39/11], page 277 (traduction libre). 199 EL-KADIRI, (A.) op. cit., page 62. 200 VITTA, (E.) La validité des traités internationaux, E.J. Brill, Leyde, 1940, pag 153. Cité dans El KADIRI, (A.) op. cit., page 61.
72
leurs risques et ils augmenteront donc le coût de leurs investissements. Le
résultat probable de l’amendement serait donc de porter préjudice à ceux qu’il
est censé aider »201.
D’après un avis doctrinal, cette argumentation aurait probablement
porté un coup de grâce à la prétention d’élargir l’interdiction de la
contrainte202. Le porte-parole de l’Afghanistan, qui avait pourtant introduit
l’initiative d’amendement en représentation des dix-neuf Etats ne s’est pas
occupé de l’argument de la délégation américaine au moment de sa réplique.
En définitive, et suite à l’abdication des Etats latino-américains, la
motion ne fut pas prise en compte pour le texte de l’article 52. Un texte a été
proposé par la délégation néerlandaise et adopté à la 57e session, pour être
finalement inclus dans une déclaration annexée qui ne fait pas partie de la
Convention203. M.COMBACAU constate à propos de celle-ci qu’un « renvoi
aux principes incorporés dans la Charte permet de déplacer le problème »204.
Quant à la valeur de cette déclaration, a priori aucun auteur ne la met
en doute : elle n’a aucune force juridique obligatoire, elle doit être pesée
simplement comme une déclaration politique. Les « déclarations » en droit
international public se trouvent dans la classification des actes unilatéraux,
ceux imputables à un seul sujet de droit international205. Elles auront une
force juridique obligatoire lorsqu’elles constituent des déclarations
« confirmatives », c’est-à-dire portant sur des règles de droit coutumier déjà
existantes206. Dans ce cas, le contenu de la déclaration est ainsi doté de force
obligatoire mais en tant que règle coutumière, l’ « emballage » de la
déclaration constituant seulement un rappel. Ce n’est pas le cas de cette 201 [A/CONF.39/11], p. 318. 202 A ce sujet, El KADIRI, (A.) décrit : « Le silence des délégations du Tiers Monde ne manquerait pas de déconcerter les observateurs les plus avertis du droit international. Peut-être cette déclaration spectaculaire a-t-elle fait l’objet, dans les couloirs de la Conférence de Vienne, de quelques commentaires ? Dans tous les cas, les procès-verbaux n’en conservent pas trace. On est enclin à penser que les représentants de ce groupe d’Etats ont mesuré les risques de soutenir jusqu’au bout des positions par trop hardies » op.cit, page 63. 203 Voir annexe de ce mémoire : « Déclaration sur l’interdiction de la contrainte militaire, politique ou économique lors de la conclusion de traités » 204 COMBACAU, (J.) et SUR, (S.) op. cit., page 132. 205 PELLET, (A.) et DAILLIER, (P.) Droit international public, 7e éd., page 359. 206 Ibid., page 381.
73
déclaration annexée à l’acte final de la Conférence, portant sur une
hypothèse d’interdiction de tout type de contrainte.
Nous ne pouvons qu’être d’accord avec le Professeur COMBACAU
quand il considère que « l’adoption par la Conférence de la Déclaration
n’apporte qu’une satisfaction morale aux pays du Tiers Monde »207. C’est une
déclaration qui ne constitue aucune concession dans la pratique puisque son
adoption ne signifie pas une renonciation des droits ou d’engagements à
respecter. La déclaration ne fait pas partie de la Convention ni de ses
annexes, mais seulement de l’acte final de la Conférence. En conséquent elle
ne bénéficie pas de l’autorité juridique du texte final de la Convention.
Une fois analysé le résultat de la Conférence, Il est pertinent de faire
mention par la suite d’une opinion d’un juge de la CIJ concernant la contrainte
économique, une nouvelle apparition de la problématique dans la scène
internationale.
Section 3 : L’opinion dissidente du juge PADILLA NERVO dans l’affaire
« Compétence en matière des pêcheries » (Islande c. Royaume Uni et RFA,
arrêt (compétence) du 2 février 1973)
L’affaire dite de la « Compétence en matière des pêcheries » fut un
différend qui opposa l’Islande au Royaume Uni et à la République fédérale
allemande à partir de 1961 et qui fut jugé par la Cour internationale de Justice
à partir de 1972208.
Les faits peuvent se résumer succinctement ainsi : le Parlement
Islandais approuve successivement des extensions de la zone de pêche
exclusive de l’Etat islandais. Une première extension de 4 milles maritimes a
lieu en 1952 qui ne crée pas de conflit, tant que pour la deuxième à 12 milles
(suite à la première Conférence sur le droit de la mer) le Royaume Uni et la
207 COMBACAU, (J.) et SUR, (S.) op. cit., page 132. 208 Affaire de la compétence en matière de pêcheries (Royaume Uni c. Islande), compétence de la Cour, arrêt, Recueil C.I.J 1973.
74
RFA refusent d’en reconnaître la validité. Des négociations aboutissent à un
échange de notes en 1961, instrument sur lequel le Royaume Uni et la RFA
se fondent pour saisir la Cour internationale de Justice, cette fois-ci suite à
une nouvelle extension de zone de pêche par l’Islande à 50 milles maritimes
en 1971, sans qu’un accord ait pu être trouvé209.
Ces notes concluent que l’Islande :
« continuera de s’employer à mettre en œuvre la résolution de l’Althing210 en date du 5 mai 1959 relative à l’élargissement de la juridiction sur les pêcheries autour de l’Islande, mais notifiera six mois à l’avance au gouvernement du Royaume – Uni [République fédérale allemande] toute mesure en ce sens ; au cas où surgirait un différend, la question sera portée, à la demande de l’une ou l’autre partie, devant la Cour internationale de Justice »211.
Une fois la Cour saisie, elle s’est interrogée sur sa compétence pour
connaître et juger le différend. C’est dans ce contexte, qui a eu lieu au niveau
juridictionnel, la seule intervention jusqu’à nos jours d’une plaidoirie pour
admettre la notion de contrainte au sens large, comme obstacle à l’autonomie
contractuelle des Etats.
Pour quatorze voix contre une, la Cour décida dans un arrêt du 2
février 1973 qu’elle était en effet compétente pour connaître du différend. Le
juge mexicain Luis PADILLA NERVO rend une opinion dissidente à cet égard.
Dans son rendu de onze pages, le magistrat expose certains arguments selon
lesquels il n’est pas en mesure de souscrire à l’arrêt de la Cour.
En ce qui concerne notre sujet d’études, certains extraits sont en effet
très pertinents. Bien que cette opinion ne se borne pas exclusivement à la
notion de contrainte économique et il ne faudrait pas la prendre comme un
avis concluant, elle est certainement intéressante puisqu’elle plaide pour un
changement de perspective.
209 EISEMANN, (P-M.) et PAZARTIS, (P.), La Jurisprudence de la Cour internationale de Justice, Pédone, Paris, 2008, pages 140-142. 210 Parlement Islandais. 211 Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), op. cit.,, page 8, paragraphe 13.
75
« En formulant des assertions par trop dogmatiques et formalistes, la Cour
risque de donner l'impression qu'elle a surtout eu le souci de rechercher la justification juridique d'une prémisse déjà admise de caractère quelque peu axiomatique.[…]
Le ministre des Affaires étrangères d'Islande a envoyé au Greffier, le 27 juin 1972, une lettre au sujet du dépôt, […], d'une requête par laquelle le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne introduisait une instance contre l'Islande. La lettre mentionne le différend avec la République fédérale, […], et se réfère à l'échange de notes de 1961. L'Islande déclare que « l'échange de notes de 1961 est intervenu dans des circonstances extrêmement difficiles » […]
Au paragraphe 5 de la requête introductive d'instance de la République fédérale, il est question: « d'incidents où étaient impliqués, d'une part, des navires garde-côtes islandais et, de l'autre des navires de pêche britanniques et des bâtiments de la marine royale du Royaume-Uni chargés de la protection des pêcheries». […]
Il ressort des déclarations ci-dessus que de telles circonstances n'étaient pas des plus favorables pour négocier et conclure l'accord de 1961[…]
Depuis toujours les pêcheries côtières de l'Islande constituent le fondement même de l'économie du pays. Les pêcheries côtières sont indispensables à l'économie islandaise; sans elles, le pays n'aurait pas été habitable. […]
Au cours des dernières décennies, de profondes mutations se sont produites dans les domaines politique, social, économique et technique. La nécessité d'établir un juste équilibre entre les nations puissantes et faibles, entre les pays industriels et ceux qui sont en voie de développement, se fait chaque jour plus urgente. La lutte pour la liberté et l'autodétermination des peuples dépendants a été couronnée de succès. De nombreux Etats récemment créés apportent maintenant des façons de voir, des forces et des possibilités de coopération nouvelles à la communauté des nations. […]
Les vieilles pratiques et les situations inéquitables dites traditionnelles sont
déjà révolues et vont bientôt disparaître. Le besoin et la volonté d'éliminer les injustes privilèges obtenus par la supériorité affirmée de la force s'imposent chaque jour davantage. […]
L'assertion selon laquelle l'échange de notes de 1961 est intervenu dans des circonstances extrêmement difficiles n'est pas contestée. […] La Cour ne doit pas négliger ce fait et n'a pas besoin de demander des preuves écrites établissant la nature de la force qui a été utilisée ni sous quelle forme et de quelle manière elle l'a été (article 52 de la convention de Vienne sur le droit des traités).
Une grande puissance dispose de bien des moyens pour utiliser la force et exercer une pression sur une petite nation, ne serait-ce qu'en insistant par voie diplomatique pour faire admettre et accepter ses vues. Les professeurs, juristes et diplomates qui sont au fait des relations internationales et de la politique étrangère savent bien que certaines “notes” remises par le gouvernement d'une grande puissance au gouvernement d'une petite nation peuvent avoir le même objet et le même effet que l'utilisation ou la menace de la force.
Il y a des pressions morales et politiques qui ne peuvent être établies au moyen de preuves dites documentaires mais dont l'existence est en fait incontestable et qui ont, au cours de l'histoire, abouti à des traités et conventions dont on prétend qu'ils ont été conclus librement et sont soumis au principe pacta sunt servanda»212. 212 Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), opinion dissidente Juge PADILLA NERVO, op. cit., page 47 et suivantes.
76
Le juge PADILLA NERVO parle de « pressions morales et politiques ».
Cette affirmation s’appui bien entendu sur un certain poids économique de
l’Etat plus fort. Le juge décrit aussi la problématique appliquée à un cas
concret, opposant un pays de petite taille à deux grandes puissances
européennes. Une analyse appliquée aux faits est une opportunité rare sous
l’hypothèse de la contrainte. Il esquisse ainsi un possible cas de contrainte
basée sur des facteurs hors force armée. Le problème que l’on y trouve est
comme souvent, celui de l’onus probandi. La doctrine en souligne la
difficulté213.
Cela ne constitue pas une consécration jurisprudentielle certes,
néanmoins cette opinion dissidente est un signe indiquant que ce
questionnement est pertinent, et que ses conséquences ne sont pas invisibles
pour les acteurs du droit international.
CHAPITRE II : LES ENJEUX CONTEMPORAINS DU DROIT
INTERNATIONAL TOUCHANT LA QUESTION DE LA CONTRAINTE
ÉCONOMIQUE
L’état des relations internationales dès les années soixante jusqu'à nos
jours révèle une tendance irréversible de changement de l’ordre juridique
basé sur le droit international classique. Dans ce sens, les vagues de
décolonisation et l’apparition de nouveaux Etats sur la scène internationale,
sont venues apporter de nouvelles approches qui sont reflétées dans divers
instruments des Nations Unies (section 1).
Beaucoup de situations restent inchangées jusqu’au présent et
méritent une révision. Pour ces situations, la prise en compte d’une règle
condamnant la contrainte économique viendrait apporter la possibilité de
corriger un droit incapable jusqu’à présent de s’adapter aux enjeux juridico-
économiques internationaux (section 2). 213 FAVOUREU, (L.) « L'arrêt de la Cour internationale de Justice dans l'affaire de la compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c./Islande et Allemagne fédérale c./Islande) », A.F.D.I., vol. 19, 1973, pages 272-289.
77
Section 1 : La reconnaissance grandissante du problème de la contrainte
économique dans le système onusien.
Le sujet a expérimenté une évolution soutenue au sein des organes de
délibération des Nations Unies. L’Assemblée générale, organe
plénipotentiaire de l’organisation a été le cadre de création de certaines
résolutions qui ont fait évoluer le traitement de la notion de contrainte
économique et celles qui lui sont attachées (paragraphe 1). Les auteurs et les
juristes soucieux du développement progressif des principes de la Charte
contribuent aussi à son évolution (paragraphe 2).
§1 Les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies liées à la
contrainte économique.
L’Assemblée générale des Nations Unies compte parmi ses missions
celle de « développer la coopération internationale dans le domaine politique
et encourager le développement progressif du droit international et de sa
codification »214. A cet effet, elle tient une assemblée annuelle destinée entre
autres sujets à faire avancer la codification, l’interprétation et le
développement du droit international. Elle exprime ses conclusions et
recommandations par le biais de résolutions, adoptées par l’organe suivant
différentes modalités d’adoption et votation.
Les résolutions de l’Assemblée générale sont des actes unilatéraux
d’une organisation internationale. En tant qu’actes unilatéraux non
juridictionnels 215 , ces résolutions sont rarement dotées d’une force
obligatoire216 mais jouent néanmoins un rôle non négligeable dans l’ensemble
214 Article 13, paragraphe 1, alinéa a) de la Charte des Nations Unies. 215 Même si très imprécise dans la pratique, l’on élabore en doctrine une distinction nette pour les actes unilatéraux non juridictionnels, divisés entre des « recommandations » et des « décisions ». Dans le cadre du système des Nations Unies, les premières sont en définitive une « invitation à adopter un comportement déterminé » alors que les deuxièmes sont de caractère obligatoire. PELLET, (A.) et DAILLIER, (P.) Droit international public, 7e éd., pages 367-370. 216 De façon générale, les seuls actes unilatéraux non juridictionnels obligatoires au sein des Nations Unies sont les décisions du Conseil de Sécurité, en vertu de l’article 25 de la Charte de l’ONU, ainsi que quelques actes dits « auto-normateurs ». Parmi ces derniers se trouvent
78
d’instruments juridico-politiques des relations entre les Etats. Son manque
d’autorité juridique contraignante ne signifie pas pourtant qu’une résolution
manque totalement de valeur. Dans les mots de Pierre-Marie MARTIN, le mot
résolution « indique une détermination des auteurs […]. Ceux qui ont
contribué à son adoption sont sortis d’un état d’inaction, d’irrésolution,
d’hésitation antérieur » 217 . Elles peuvent en définitive avoir une valeur
normative et surtout un effet politique important.
Quoi qu’il en soit, l’ « activité rhétorique » au caractère « fébrile,
intarissable » de « production de textes surabondantes » de l’Assemblée218
nous fournit quelques résolutions utiles pour comprendre l’évolution du sujet.
Parmi celles-ci, nous en trouvons trois en étroite relation avec la contrainte
économique :
A. La Résolution 2131 (XX) de 1965 (déclaration sur l’inadmissibilité de
l’intervention dans les affaires intérieures des Etats)219.
Cette résolution, adoptée par 109 voix, 0 voix contre et une abstention,
est reflet d’une accélération remarquable du processus de décolonisation220
suite à l’adoption de la résolution 1514 (XV) sur l’octroi de l’indépendance aux
pays et peuples coloniaux.
Sur le sujet de la contrainte, on y trouve deux allusions importantes.
Dans le point premier de cette déclaration solennelle, l’assemblée soutient
que « non seulement l’intervention armée mais aussi toute autre forme
les actes propres au fonctionnement de l’entité, notamment sur des mesures budgétaires et la nomination et statut des agents de l’organisation. PELLET, (A.) et DAILLIER, (P.) Droit international public, 7e éd., pages 373-379. 217 C’est en effet une petite lumière d’optimisme, dans son ouvrage dont le titre exprime une pensée éloquente dans le sens contraire. MARTIN, (P-M) Les échecs du droit international, PUF, Collection « que sais-je ? », Paris, 1996, page 32. Le chapitre III, « Les résolutions des organisations internationales » se trouve sous la première partie nommée « L’échec pour la création du Droit ». 218 Ibid., page 38 219 Cote [A/RES/20/2131] du système des Nations Unies. 220 McWHINNEY, (E.) « General Assembly Resolution 2131(XX) of 21 December 1965 Declaration on the inadmissibility of intervention in the domestic affairs of States and the protection of their independence and sovereignty », United Nations Audiovisual Library of International Law, 2010, page 1.
79
d’ingérence ou toute menace, dirigées contre la personnalité d’un Etat ou
contre ses éléments politiques, économiques et culturels, sont condamnés ».
Dans le deuxième point, il est établi que « aucun Etat ne peut appliquer
ni encourager l’usage de mesures économiques, politiques ou de toute autre
nature pour contraindre un autre Etat à subordonner l’exercice de ses droits
souverains ou pour obtenir de lui des avantages de quelque ordre que ce
soit ».
La résolution ne constitue guère d’apport au sujet de la contrainte. Les
mentions faites visant la condamnation de toute forme de contrainte, dont
celle de caractère économique sont en effet, une reproduction plus ou moins
textuelle de la Charte de l’OEA221. Il est tout de même important de signaler
que la résolution a permis de donner à cette condamnation, bien que privée
de force obligatoire, une ampleur globale.
B. La Résolution 2625 (XXV) de 1970 (déclaration relative aux principes du
droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les
Etats conformément à la Charte des Nations Unies).
La résolution 2625 du 20 octobre de 1970 occupe une place
importante parmi les résolutions. Malgré sa condition de texte juridique sans
force obligatoire, cette déclaration a été envisagée et utilisée comme un
instrument permettant de renforcer le rôle de la Charte et la codification du
droit international. Adoptée par consensus, cette déclaration a aussi été une
façon de marquer de manière solennelle la vingt-cinquième session de
l’Assemblée. Outre ce rôle commémoratif, la Résolution 2625(XXV) a acquis
une importance majeure vis-à-vis d’autres résolutions de l’Assemblée.
Elle a été créée dans le but de donner une interprétation plus claire et
étendue sur les principes cardinaux de la Charte des Nations Unies,
notamment ceux qui sont établis dans son article 2. Elle est citée par des
221 Voir chapitre 1 de cette deuxième partie.
80
dizaines d’autres résolutions de l’Assemblée, la Cour internationale de Justice
s’en est servie pour plusieurs de ses arrêts et avis consultatifs222 autant que
la CDI pour ses projets. La communauté internationale considère qu’elle est
un outil d’interprétation étendue de la Charte.
Le neuvième paragraphe du préambule de la déclaration effectue un
rappel du « devoir des Etats de s’abstenir dans leurs relations internationales,
d’user de contrainte d’ordre militaire, politique, économique ou autre, dirigée
contre l’indépendance politique ou intégrité territoriale de tout Etat ». Elle
insiste ainsi sur le caractère illégitime de l’utilisation de la contrainte basée sur
le poids économique de l’Etat négociateur plus fort.
La résolution fait mention expresse de cette hypothèse sous le
paragraphe qui porte sur l’interprétation du principe de non-intervention dans
les affaires intérieures d’un Etat. Dans celui-ci elle dispose : « […] non
seulement l’intervention armée, mais aussi toute autre forme d’ingérence ou
toute menace, dirigées contre la personnalité d’un Etat ou contre ses
éléments politiques, économiques et culturels, sont contraires au droit
international. » Il est tout de même envisageable de constater l’influence des
déclarations communes des pays non-alignés dans cet énoncé.
Le texte fait preuve d’une précision et d’une rédaction remarquables,
bien que l’on puisse se rendre compte, comme on verra par la suite, qu’il n’est
malheureusement pas honoré dans le déroulement des relations
internationales. A ce respect, l’avis de Milan SAHOVIC est très pertinent.
Malgré la référence explicite de la résolution sur la valeur de ces principes, en
tant que règles fondamentales du droit international général positif, « on ne
peut pas dire qu’on a réussi dans la pratique à consolider leur respect par les
Etats. Leur contestation est dans la plupart des cas, d’après notre opinion,
222 Parmi plusieurs autres, Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif; C.I.J. Recueil 2004, p. 136 ; et Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), fond, arrêt. C.I.J. Recueil 1986, p. 14.
81
plutôt l’expression des violations des règles respectives du droit international
et de la Charte, bien que nous soyons en permanence dans les débats
juridiques confrontés à des arguments niant d'une manière plus ou moins
ouverte leur force obligatoire universelle » 223.
Pour l’auteur, cette attitude serait compréhensible : « on ne peut pas
s’attendre que ceux qui commettent des violations du droit international le
reconnaissent publiquement »224.
Finalement, la résolution 2625(XXV), a l’instar de la résolution
2131(XX), transcrit de façon quasi textuelle l’article 20 de la Charte de
Bogotá : « Aucun Etat ne peut appliquer ni encourager l’usage de mesures
économiques, politiques, ou de toute autre nature pour contraindre un autre
Etat à subordonner l’exercice de ses droits souverains et pour obtenir de lui
des avantages de quelque ordre que ce soit ».
C. La Résolution 3281 (XXIX) de 1974 (Charte des droits et devoirs
économiques des Etats).
Cette résolution a été adoptée le 12 décembre de 1974. Sa note
introductoire affirme avec détermination : « la Charte devrait constituer un
instrument efficace en vue de la mise en place d’un nouvel système
international de relations économiques fondé sur l’équité, l’égalité souveraine
et l’interdépendance des intérêts des pays développés et des pays en voie de
développement ».
Dans le préambule, l’Assemblée se déclare consciente de la
« nécessité d’établir et de maintenir un ordre économique et social juste et
équitable » ceci entre autres, par le biais de « l’instauration de relations
économiques internationales plus rationnelles et plus équitables » ainsi que
223 SAHOVIC, (M.) « Quinze années de mise en oeuvre de la Déclaration relative aux principes du Droit international touchant les Relations amicales et la Coopération entre Etats», A.F.D.I., vol. 31, 1985, page 528. 224 Ibid, page 529.
82
par « le renforcement de l’indépendance économique des pays en voie de
développement ».
Le préambule représente, comme dans la plupart des instruments
juridiques internationaux, une déclaration d’intentions et de principes, un point
de départ qui a conduit aux signataires à conclure ce qui se suit. Ainsi, la
résolution promulgue un texte de trente-quatre articles afin de poursuivre les
buts décrits.
Un de ses articles touche ce sujet d’études, en reprenant la rhétorique
des sommets de non-alignés. L’Assemblée générale réaffirme la
condamnation de l’ingérence dans les affaires économiques en interdisant la
contrainte exercée contre l’expression de la volonté souveraine d’un Etat :
« Aucun Etat ne peut recourir ni encourager le recours à des mesures
économiques, politiques, ou autres pour contraindre un autre Etat à lui
subordonner l’exercice de ses droits souverains ».
Il s’agit, encore une fois, d’une nouvelle rédaction inspirée de la règle
établie par l’article 20 de la Charte de l’OEA, consécration globale de cette
interdiction, malgré son caractère non contraignant.
§2 L’interprétation doctrinale des principes de la Charte des Nations Unies.
La doctrine s’efforce à son tour de contribuer au « développement
progressif du droit international »225, par voie d’études, ouvrages ou bien
lorsque les juristes participent en tant que représentants d’Etats dans les fora
juridiques prévus pour la codification du droit international.
Comme nous l’avons déjà signalé dans la première partie, la littérature
doctrinale pour ce sujet est assez maigre. Il existe bien évidemment
énormément d’auteurs qui font part des déséquilibres de rapports juridiques
225 Article 13, §1, alinéa a) de la Charte de l’ONU.
83
entre les Etats et les conséquences de ce phénomène, la branche du droit
international du développement fait d’ailleurs de cette situation son objet de
recherche principal. Néanmoins, le traitement de la question de
l’élargissement de la notion de contrainte en tant que trait du développement
progressif du droit international est rare. Nous nous efforcerons d’exposer
quelques avis qualifiés qui constituent un apport à la réflexion autour de la
notion de contrainte économique.
Ce n’est pas tout à fait un appui à l’avancement du droit international
ce que la doctrine et les agents diplomatiques font. Il serait plus approprié de
parler de pousser, de faire pression, d’influencer. Comme nous l’avons vu, ce
n’est pas toujours par volonté unanime que les règles du droit international
public évoluent. L’évolution de ce droit peut aussi être le produit d’un
affrontement de thèses opposées, d’un combat livré depuis le monde
académique. Ceci en voie de faire admettre des nouvelles conceptions
théoriques et les introduire lors des débats sur des nouveaux instruments
juridiques internationaux.
Comme l’a dit avec brio le délégué équatorien à la Conférence de
Vienne : « la Charte des Nations Unies n’est pas un monument
historique »226 . Elle doit évoluer, conformément au progrès des pratiques des
Etats et des relations internationales.
Dans ce sens, le refus de la motion brésilienne pour une notion élargie
de la force lors de la Conférence de San Francisco ne devrait pas bloquer à
jamais la possibilité de faire évoluer la notion, si la pratique internationale se
dirige vers une interprétation plus large, comme il a été le cas dans le
contexte de l’Organisation des Etats américains.
Le professeur TÉNÉKIDÈS s’interroge sur cette question : « Bien
évidemment, la simple inégalité quantitative, dans une perspective
démographique, économique ou militaire ne constitue pas en elle même une
226 [A/CONF.39/11], page 273
84
présomption permettant de conclure à l’existence d’une contrainte susceptible
d’invalider le traité. Une telle solution constituerait un danger certain pour la
sécurité des transactions.[…] Cependant, il peut y avoir des indices, tenant
lieu des présomptions, à l’appui des griefs invoqués le cas échéant par la
partie ayant à se plaindre d’une contrainte. La structure de la communauté
internationale est tel à l’heure actuelle que le juriste, attentif à l’évolution
historique ne saurait écarter de son champ d’observation, le cas d’une
relation hégémonique d’état dominant à Etat subordonné »227.
C’est effectivement le cas pour l’article 52 de la CVDT. La Commission
du Droit International, elle même, a souligné l’importance de procéder à une
interprétation progressive de ces questions. Dans les commentaires de la
Partie V de son projet d’articles, la CDI admet que « la portée précise des
actes couverts par cette définition doit être déterminée en pratique par
l’interprétation des dispositions pertinentes de la Charte ». M. TABIBI,
membre de la CDI à l’époque et dans sa qualité de délégué pour
l’Afghanistan à la Conférence a tenu à rappeler à l’assemblée plénipotentiaire
cette position.
On ne saurait pas écarter en conséquence, une évolution de
l’interprétation des principes de la Charte. Pour ce qui concerne la Partie V de
la Convention, la CDI en était bien consciente. Si ceci était le cas, la
Commission aurait simplement établie une seule interprétation univoque au
moment de créer l’article.
Les différentes prises de position sur cette matière à la CDI mettent en
relief que la codification du droit international doit répondre à certains critères
de souplesse, suivant le développement progressif des affaires
internationales. Comme il a été le cas pour certains domaines juridiques
internationaux profondément transformés à l’époque moderne tels que le droit
de la mer, les traités portant sur le désarmement et la création d’une Cour
227 TÉNÉKIDÈS, (G.), op. cit, page 92.
85
pénale internationale, le canevas juridique doit rester toujours souple et prêt à
s’adapter au développement des principes et coutumes internationales.
Enfin, en ce qui concerne le droit des traités et la contrainte
économique, le Professeur EL KADIRI suggère que la rigidité de la disposition
de l’article 52 « est critiquable aux yeux des tenants d’une interprétation
dynamique de la Charte car elle sacrifie l’équité à la nécessité de
sauvegarder la sécurité des transactions internationales »228. C’est une partie
de la doctrine qui considère qu’appliquer le principe pacta sunt servanda à
outrance crée une rigidité et introduit « un élément d’injustice et d’iniquité
dans les rapports internationaux »229.
Si la Charte elle même confie la tâche d’encourager le développement
progressif du droit international à l’Assemblée générale, c’est justement parce
qu’il ne faut pas considérer que les interprétations posées sur les principes de
la Charte sont inaltérables ou insusceptibles d’évoluer.
Section 2 : L’accentuation du déséquilibre des termes d’échange à
cause de la contrainte économique
Dans un premier temps, cette section tient à exposer un panorama
général des rapports passés et présents de l’axe « Nord-Sud » notamment
par rapport à ses échanges économiques et commerciaux (paragraphe 1).
Deuxièmement, une analyse particulière de la politique de conditionnalité du
Fonds Monétaire International, organisation fortement critiquée sur ce point
(paragraphe 2). Finalement, un exposé des cas dénoncés par différents
juristes, diplomates et intellectuels où l’utilisation de la contrainte économique
de la part d’une puissance tord l’expression du consentement d’un Etat plus
faible, entrainant de ce fait des conséquences pour sa souveraineté
(paragraphe 3).
228 EL-KADIRI, (M.) op. cit., page 87. 229 Ibid, page 25.
86
§1 Les rapports historiques de la puissance Nord-Sud et l’ombre pesante des
traités inégaux.
Les rapports de la puissance entre les différentes nations sont un sujet
complexe, controversé et aussi ancien que les nations mêmes. Notre société
internationale, riche en diversité du point de vue de ses intégrants, fournit une
infinitude d’épisodes historiques de domination, de prises de pouvoir et des
évènements marquants qui ont configuré le scénario international actuel.
C’est en effet la doctrine chinoise230 qui nous a apporté la théorie « des
Trois Mondes » qui a permis en quelque sort d’ordonner les Etats à l’époque
contemporaine selon leur puissance et intérêts. Bien que dépassée par la fin
de la guerre froide (le « Premier Monde » étant constitué par la double-
hégémonie américano-soviétique) la classification est toujours d’actualité pour
classer les pays dits du « Tiers Monde ». Ce sont les pays en
développement231. Indépendamment de critères de régime politique ou d’un
alignement régional, le trait commun à tous les pays de ce groupe est la
condition de sous-développement économique. Il est important de distinguer
entre l’inégalité de puissance et l’inégalité de développement entre les Etats.
LADREIT DE LACHARRIÈRE représente cette différence en opposant par
exemple la Suisse, pays à petite taille considéré comme développé, à la
Chine ou l’Inde, les deux sans doute des pays économiquement forts mais
classés parmi les pays en développement. A cet égard, la condition de pays
développé232 « se définit en termes de revenu national (ou de produit national
brut) par habitant »233.
230 BEDJAOUI, (M.) Pour un nouvel ordre économique international, UNESCO, Paris, 1979, page 34. 231 Expression récente qui a remplacé « pays en voie de développement » et encore avant « pays sous-développé » dans l’usage courant. 232 Le principal critère de la Banque Mondiale pour déterminer l’état de développement économique d’un pays est son revenu national brut divisé par la totalité de ses habitants, comme il est indiqué dans le site web de la Banque : (http://donnees.banquemondiale.org/a-propos/classification-pays). 233 LADREIT DE LACHARRIÈRE, (G.) « L’influence de l’inégalité de développement des Etats sur le Droit international », R.C.A.D.I, vol. 139, 1976, page 236.
87
Pour le présent sujet d’études, cet auteur nous apporte une définition
de pays sous-développé au plan juridique, à savoir, celui qui est possesseur
d’un « statut particulier » grâce auquel l’inégalité dans la puissance
économique doit entrainer une inégalité compensatrice dans les situations
juridiques 234 . C’est, autrement dit, un pays qui devrait bénéficier d’une
certaine discrimination positive.
Très rapidement à partir de la décolonisation graduelle des territoires
sous domination d’une puissance coloniale lors des années soixante, les
nouvelles nations indépendantes commencent à exiger une adaptation de
l’ordre économique international au nouveau contexte mondial 235 . Elles
songent à une structure des « règles du jeu » plus conforme à cette
communauté profondément modifiée tant pour la quantité d’Etats qui en font
partie comme pour les revendications et courants politico-juridiques des
nouveaux membres.
Dans son ouvrage « Pour un nouvel ordre économique » Mohammed
BEDJAOUI décrit avec une certaine cruauté (à une époque au contexte
politique particulièrement délicat) le déséquilibre abyssal des rapports
économiques entre les deux groupes. Il fait notamment mention d’une
détérioration des termes d’échange, une sorte de « nouvel esclavage des
temps modernes », résultat des mécanismes conçus « pas pour le Tiers
Monde, mais contre lui »236. Il nous fournit un exemple très illustrateur des
termes d’échange à l’époque, liés surtout à une baisse de prix des matières
premières contre l’augmentation des produits à grande valeur ajoutée
provenant des pays riches. Ainsi, si la Tanzanie devait vendre 7,5
kilogrammes de café au début des années soixante pour acheter une montre
suisse, elle devait en fournir 14,2 kilogrammes quinze ans plus tard237.
230 LADREIT DE LACHARRIÈRE, cité dans BEDJAOUI, (M.) op. cit., page 25. 235 L’expression est attribuée au juriste algérien Mohammed BEDJAOUI (ex-président de la Cour international de Justice) dont l’ouvrage sera abondamment cité dans cette section. 236 BEDJAOUI, (M.) op. cit., page 36. 237 BEDJAOUI, (M.) op. cit, page 36. L’auteur précise que la comparaison est faite entre industries du Tiers Monde comparables à celles du Premier Monde en termes de sophistication et productivité. Pour l’exemple ci-dessus, on constate un échange d’une heure de travail contre sept heures.
88
Nous ne sommes pas en mesure de nous étendre sur des
considérations économiques, mais l’exemple donné permet de contextualiser
la plaidoirie pour ce nouvel ordre économique international. Un autre
phénomène important d’ordre juridico-politique est lié à cette relation
antinomique Nord-Sud. L’existence d’une certaine « chronolatrie juridique »238
en droit international.
On entendrait par celle-ci une tendance de la part des Etats européens
de sacraliser les normes anciennes, qui ont reçues « la consécration de
nombre de générations et triomphé de l’épreuve du temps »239 . Comme
l’explique Antonio CASSESE, pendant deux siècles et demi, le droit
international a été une création quasi exclusivement des Etats européens.
Ainsi d’après cet auteur, « il n’est donc pas surprenant qu’aujourd’hui la
plupart d’entre eux cherchent à maintenir le cadre juridique traditionnel aussi
intact que possible »240.
Le Professeur CHAUMONT détache deux traits fondamentaux du
cadre traditionnel, le droit classique. Le premier, qu’il appelle la « limitation de
la participation créatrice ». Il comprend par ceci que le droit international
classique est « essentiellement européen, étendu, d’une manière
généralement passive, aux prolongements coloniaux ou ex-coloniaux de
l’Europe ». Le deuxième, le fondement de ses règles et les conditions par
lesquels elles sont créées sont généralement indifférents. Grosso modo, peu
importe si la règle était créée par un groupe réduit d’Etats européens, « la
coutume, une fois acceptée anonymement s'applique à tous, même si elle est
contraire aux intérêts fondamentaux de certains; les traités peuvent résulter
de l'inégalité, de la pression, de la contrainte ou de la violence, mais leur
valeur reste établie par les formalités qu'ils comportent; les principes
généraux en vigueur sont ceux résultant du droit interne des Etats
d'Occident »241.
238 BEDJAOUI, op. cit, page 136. 239 Ibid, page 136. 240 CASSESE, (A.), op. cit., pages 98-99. 241 CHAUMONT, (Ch.) Cours de Droit international public, R.C.A.D.I, vol. 129, 1970, page 343.
89
Dans un contexte où le Tiers Monde constitue une écrasante majorité
de la communauté internationale, il est en effet difficile d’entrevoir une
interaction juste sous le droit international classique entre les différents Etats.
Ce droit traditionnel porterait préjudice aux nouveaux pays en condition de
sous développement, qui « ne sont pas européens, ne sont pas colonialistes,
ne participent pas au développement de ce droit et dont les intérêts sont
différents de ceux des autres nations »242. On aperçoit aisément dans ce sens
un schisme Nord-Sud. Les problèmes sociaux, économiques, politiques et
juridiques soulevés par ces Etats « ont dépassé, dans la plupart des cas, le
cadre du droit international classique »243.
Ceci ne veut pas dire pourtant que les nouveaux Etats souhaitent la
suppression du droit international. Le comportement des nouveaux Etats a
démontré qu’ils ont « simplement contesté la valeur obligatoire des règles et
principes coutumiers qui sont l’expression de l’inégalité de droit et de fait qui
existait pendant la période du colonialisme »244.
La bibliographie est abondante dans ce sens et le sujet abordé en
profondeur par la doctrine sous la branche du droit international du
développement. Pour ne citer que quelques-uns, les Professeurs CASSAN et
FEUER (en 1985) parlent d’un Tiers Monde qui effectue une « critique des
perspectives classiques »245. Le Professeur EL-KADIRI (en 1980) signale
dans ce sens : « le droit international traditionnel était l’œuvre d’une
communauté internationale restreinte […], [il] ne pouvait certes s’accommoder
de la mutation profonde que la communauté internationale a connue au cours
de ces dernières décennies »246.
La fusion de ces deux phénomènes, d’une part des rapports
économiques déséquilibrés entre « puissances nanties »247 et pays sous
242 BEDJAOUI, (M.) op. cit, pages 61-62. 243 SAHOVIC, (M.) « Influence des Etats nouveaux sur la conception du Droit international », A.F.D.I., vol. 12, 1966, page 30. 244 SAHOVIC, (M.) op. cit, page 34. 245 FEUER, (G.) et CASSAN, (H.) op. cit, page 162. 246 EL-KAKIRI, (A.) op. cit, page 7. 247 BEDJAOUI, (M) op. cit, page 61.
90
développés et de l’autre, un droit international classique mal adapté à la
nouvelle communauté internationale, auraient poussé ces derniers qui sont
aujourd’hui majoritaires à épouser un courant juridique enclin à privilégier un
développement progressif du droit international conventionnel, tandis que les
pays développés plaident pour un maintien du statut quo, abrité par le
principe pacta sunt servanda et le principe de non-rétroactivité ayant pour
préoccupation fondamentale la stabilité248.
Cette résistance au changement a été pourtant très critiquée même
parmi des juristes européens. M. Sean McBRIDE 249 déclarait avec
exaspération : « On critique cette majorité pour avoir détruit la stabilité
internationale […], mais quelle stabilité? Celle de la guerre froide? Celle de la
seconde guerre mondiale? Quelle stabilité pouvait être crédible sans la
participation du Tiers Monde? On reproche aux nouvelles nations de ne
penser qu’à elles-mêmes […] Mais les grandes puissances songent-elles
beaucoup aux petits Etats? »250
Cette méfiance du Tiers Monde envers les instruments ante « droit
international nouveau »251 s’explique en partie par l’existence de débris de
traités léonins ou inégaux252 qui ont marqué les rapports entre « les nations
civilisées »253 et le reste du monde surtout pendant la deuxième moitié du dix-
neuvième siècle.
Les traités inégaux sont ceux dont les prestations réciproques
présentent un écart d’équivalence excessif. Ils ont constitué une pratique
conventionnelle largement étendue pendant le dix-neuvième siècle. Leur
conclusion est souvent survenue suite à des conflits armés, ces traités 248 CASSESE, (A.) op. cit, page 99. 249 Homme politique irlandais. Fondateur d’Amnesty International, commissaire à plusieurs institutions des Nations Unies et Prix Nobel de la Paix 1974. 250 LAURENT, (E.) Un monde à refaire : Débats de « trois jours pour la planète », Mengès, Paris, 1977, page 114. 251 Appellation utilisée par CHAUMONT, (Ch.) op. cit, page 346 en citant, le juriste chilien Alejandro ALVAREZ, juge à la CIJ entre 1946 et 1955. 252 Traités inégaux : « Traités reflétant le déséquilibre des rapports de force entre les Etats signataires, l’une des parties ayant profité de la faiblesse de l’autre pour lui imposer des clauses désavantageuses ». GUINCHARD, (S.) op. cit., page 856. 253 Le terme est employé dans le Pacte Briand-Kellogg.
91
venaient imposer des situations désavantageuses pour l’une des parties,
sous un voile quelque peu séculaire d’un traité d’amitié ou de commerce. Ceci
permit d’accueillir sous l’empire du droit et d’une apparence d’équité, des
situations de domination par une nation étrangère.
Ils sont caractérisés par une inégalité de substance (manifestée par
un déséquilibre des obligations contractuelles, un manque de réciprocité et
une restriction voire négation de souveraineté) et/ou une procédure inégale
de conclusion 254 . L’inégalité de substance peut s’exprimer même par
l’absence d’obligations pour une des parties (tel est le cas dont bénéficiait le
Royaume Uni dans le Traité de Nanking, conclu avec la Chine en 1942). Une
inégalité dans la procédure s’exprime plutôt par les conditions que nous
avons analysées au long de ce travail, notamment par l’absence d’un
consentement librement accordé.
La doctrine s’est occupée majoritairement des traités inégaux
concernant la Chine, après que celle-ci eut demandé au cours des années
vingt la nullité de plusieurs traités inégaux lui portant préjudice255. Pendant le
vingtième siècle, le concept a été largement associé à une connotation
d’injustice et humiliation256, résultat du travail de la doctrine chinoise.
La dite « théorie des traités inégaux » vise principalement à la création
d’une catégorie de nullité à part pour ce type d’accords en Droit des traités.
Elle n’est jamais été admise en droit international public jusqu’aujourd’hui.
Parmi les traités inégaux plus connues et débattus se trouvent ceux qui
suivent les cinq guerres de l’opium perdues par la Chine à partir de 1842257,
ainsi que d’autres impliquant des nations asiatiques (Japon, Siam, Corée) et
des pays africains. Les « bénéficiaires » de ces traités étant principalement
254 PETERS, (A.) dans WOLFRUM, (R.), (ed.) The Max Planck Encyclopaedia of Public International Law, op. cit., visitée le 19 mars 2012. 255 Ibid. 256 Ibid. 257 Pour quelques exemples, voir note au pied de page nº44.
92
des puissances européennes, les Etats Unis, et trois nations latino-
américaines258.
Ces accords, outre les dommages et compensations à payer par la
partie vaincue et les cessions de territoires, contenaient des grands
avantages sans établir pourtant des contreprestations équivalentes :
application d’un régime extraterritoriale de façon unilatérale, exemptions
fiscales, immunité juridique pénale et civile des ressortissants de la puissance
en territoire de l’autre partie, concessions des lignes ferroviaires, de
télécommunication et exploitation de mines à titre gratuit et à durée
indéterminée pour les entreprises étrangères, etc. L’île de Macau, sous
laquelle fut établie une « occupation et gouvernance perpétuelle » en faveur
du Portugal, en constitue un bon exemple259. Le port du Shanghai devint une
implantation sous administration étrangère pour laquelle il était accordé des
taux de taxes douanières particulièrement bas260.
Un autre exemple de traité léonin dont l’inégalité est flagrante est
souvent cité en doctrine. Le Traité Hay-Buneau-Barilla de 1903 entre les Etats
Unis et la République de Panama établit une concession à perpétuité du
Canal de Panama en faveur des Etats Unis ainsi que tous les droits, pouvoirs
et autorités à l’intérieur des ces eaux maritimes. Incapable de refuser cet
accord imposé, le Panama n’y avait donc aucune faculté souveraine261. Le
Canal devint finalement panamien le 31 décembre de 1999262, presque un
siècle après l‘ouverture du canal.
Ces accords font parti d’une époque des relations économiques
internationales antérieure à la création des Nations Unies et de ses principes
258 12 pays européens (le Royaume Uni, la France, la Suède/Norvège, la Prusse, le Portugal, le Danemark, les Pays-Bas, l’Espagne, la Belgique, l’Italie, l’Autriche-Hongrie et la Suisse) ainsi que la Russie, les Etats-Unis, le Japon (avec la Corée), le Brésil, le Mexique et le Pérou. 259 Article 2 du Protocol préliminaire d’amitié, signé par la Chine et le Portugal le 26 mars 1887. 260 PETERS, (A.) dans WOLFRUM, (R.)(ed.), The Max Planck Encyclopaedia of Public International Law, op. cit., visitée le 19 mars 2012. 261 TÉNÉKIDÈS, (G.) op. cit., page 93. 262 Traités de Carter-Torrijos entre les Etats-Unis et la République de Panamá, du 7 septembre 1977.
93
qui régissent les relations entre Etats indépendants à l’époque actuelle. Des
principes dont la compatibilité avec ces situations anciennes est tout
simplement impossible à envisager. Toute réminiscence de ce type de rapport
entre les nations est condamnée et refusée énergiquement par le Tiers
Monde.
Ces rapports de puissance inégaux et ses conséquences parfois
catastrophiques ont aussi atteint une organisation internationale censée venir
en aide des pays en difficultés financières : le Fonds Monétaire International.
§2 La politique de conditionnalité du FMI pour assister les pays en difficultés
financières.
Après des décennies d’activités, on serait presque tentés de dire que
plus personne ne doute du caractère fortement controversé de la politique de
conditionnalité des aides financières du Fonds Monétaire International263 .
Crée en juillet 1944 par l’accord de la Conférence de Bretton-Woods, le FMI
reçoit comme mission la gestion de questions monétaires internationales.
Doté d’une vocation universelle, le Fonds fut créé pour l’instauration d’un
nouvel ordre monétaire d’inspiration néolibérale, pour éviter la reproduction
des pratiques monétaires déloyales durant la Grande dépression des années
trente et pour fournir une aide financière aux pays qui en auraient besoin264.
Bien que certains aménagements265 ont été envisagés afin d’assouplir
les conditions d’accès à son aide (suite notamment aux évènements survenus
lors de la crise financière mondiale déclenchée à partir de 2008), il est
important de revoir la nature et les conditions de ce mécanisme qui
intéressent cette étude. Celles-ci relèvent de l’époque immédiatement
263 Sans pouvoir bien sûr affirmer ceci dans l’absolu, il est déjà éloquent le fait que tous les auteurs cités dans ce paragraphe partagent ce même avis. 264 CARREAU, (D.) Le Fonds monétaire international, Pédone, Paris, 2009, pages 8-9. 265 Le concept utilisé par le FMI est celui de « modernisation ». Il est vu comme un euphémisme par la doctrine CARREAU, (D) et JUILLARD (P.), Droit international économique, 4e éd, Dalloz, Paris, 2010, pages 642- 643, possiblement pour éviter d’avouer des erreurs commis dans le passé à ce respect.
94
postérieure à la crise économique de 1982, les conditions de prêt étant
beaucoup plus souples auparavant266.
Ainsi, il faut regarder les exigences du FMI pour accéder aux prêts
surtout pendant la période 1982-2009, décidément celle qui a inspiré une
avalanche de regards et opinions critiques sur l’institution. La rigidité et la
nature fort contraignante de sa conditionnalité peuvent constituer, d’après une
partie de la doctrine, une violation au principe de non-ingérence dans les
affaires intérieures des Etats, empêchés de ce sort de choisir de façon
autonome leur régime économique. L’importance de cette question vis-à-vis
des Etats concernés par un accord d’aide est allée même jusqu’au point de
placer le FMI au cœur des débats politiques nationaux, et de ce fait influencer
les agendas électorales267, notamment suite à des critiques de la société
civile268.
Quant à sa définition, la conditionnalité peut être décrite comme
l’ensemble des mesures que le Fonds impose à un Etat comme condition sine
qua non pour pouvoir accéder à des emprunts. Autrement dit, c’est un paquet
de conditions imposé aux Etats en besoin qui souhaitent effectuer des
tirages269. Ces conditions, contenues dans l’article V Section 3 des « IMF
articles of agreement » dérivent de l’exigence du Fonds d’adopter des
« sauvegardes adéquates » pour l’utilisation de ses ressources270.
Ce paquet de conditions est présenté sous la forme d’un structural
adjustment programme (SAP). Les classifications doctrinales étant
87 VINCENT, (P.) Institutions économiques internationales, Larcier, Bruxelles, 2009, page 271. 267 CARREAU, (D.) op. cit., page 149. 268 Le journal athénien I Kathimerini (centre droite, fondé en 1919) écrit le 25 avril 2013 : « Pour beaucoup, la date du 23 avril [2010] restera le jour où Papandréou a vendu la Grèce au FMI » MALKOUTZIS, (N.) « Grèce : Trois ans d’échec collectif » traduit et cité par Presseurop, http://www.presseurop.eu/fr/content/article/3720321-trois-ans-d-echec-collectif . 269 VINCENT, (P.), op. cit., page 271. Les tirages sont une opération consistant en un « achat par un pays membres de devises étrangères en échange de sa propre monnaie », CARREAU, (D.) et JUILLARD, (P.) Droit international économique, 4e éd., Dalloz, Paris, 2010, page 637. 270 QURESHI, (A.) et ZIEGLER, (A.) International Economic Law, 2e éd., Sweet & Maxwell, Londres, 2007, page 207.
95
relativement équivalentes 271 , le Professeur VINCENT décrit qu’il existe
derrière cette conditionnalité deux catégories de mesures agissant comme
piliers du mécanisme : d’une part, les mesures de politique monétaire et de
l’autre celles de politique budgétaire. Les premières visent bien évidemment à
contrôler la volatilité de la monnaie nationale, afin de maitriser l’inflation et le
taux d’échange avec les divises étrangères. Ceci se fait principalement par
biais de la dévaluation de la monnaie, afin de augmenter les coûts des
importations et ainsi décourager et diminuer celles-ci.
A cette dévaluation se suivent des mesures d’ordre budgétaire,
souvent très affligeantes car elles signifient pour la population une sensible
limitation des droits sociaux et les prestations qui s’y associent. Parmi ses
manifestations : réduction des subventions alimentaires, augmentation des
impôts liés à la consommation (TVA principalement), des cibles maximales
d’emprunts et dépenses publiques et augmentation des taux d’intérêt des
prêts bancaires, entre autres. Toutes ces mesures budgétaires272 touchent
fortement la population, le coût de vie se voit ainsi augmenter
considérablement… Les mesures ici décrites peuvent conduire dans la
pratique à une forte hausse du chômage ainsi qu’une inflation galopante qui
fait augmenter de façon exorbitante les prix des produits de première
nécessité. Bien entendu, les populations aux faibles revenus se voient
énormément affectées.
Les mesures qui viennent compléter le paquet portent aussi d’autres
obligations. Flexibiliser les règlementations du marché du travail,
entreprendre des procédés généralisés de privatisation de la terre et des
entreprises publiques273, libéraliser les échanges commerciaux ainsi que le
devoir de création des reformes pour accueillir les investissements étrangers,
271 QURESHI, (A.) et ZIEGLER, (A.) les classifient en « financial conditionality » et « economic conditionality », op. cit, page 209. 272 QURESHI, (A.) et ZIEGLER, (A.) mentionnent aussi le « ceiling credit » (ou plafond de crédit, que limite les seuils des prêts bancaires autorisés) et la modification des processus des « commodities », op. cit, page 207. 273 VINCENT, (P.) op. cit., page 273-274.
96
ce qui pour quelques auteurs viendrait véhiculer « le modèle de l’économie de
marché sur lequel est assis le régime capitaliste »274.
Ce grand paquet de mesures, qui a expérimenté une certaine
uniformisation durement critiquée, est connu aussi sous le nom de
« Washington consensus ». Cette expression créée par John WILLIAMSON
sous entend un accord tripartite entre le FMI, la Banque mondiale et le
gouvernement des Etats Unis (tous les trois ayant leur siège à Washington)
sur ce « set » de politiques économiques à imposer à un Etat demandeur275. Il
est l’un des multiples cibles des critiques adressées aux méthodes employées
par le Fonds.
Parmi ses détracteurs, probablement l’un des plus connotés est l’ex
directeur de la Banque Mondiale et Prix Nobel d’économie, Joseph STIGLITZ.
Auteur de plusieurs ouvrages sur ce sujet, il n’a pas hésité à qualifier ce
paquet comme une politique « one size fits all ». Par ce biais il affirme que
cette uniformisation des mesures qui conditionnent l’attribution de fonds a
conduit à appliquer la même formule à tous les pays demandeurs, sans
aucun regard de leurs conditions politiques, sociologiques, historiques ou
d’autres propres à chacun d’entre eux. STIGLITZ laisse supposer qu’il y a
même eu un cas véridique où un pays aurait été amené à signer un accord de
SAP sans que l’on s’aperçoive que le nom du pays demandeur précédent
n’avait pas été effacé du texte…276
Du côté de la doctrine francophone, les critiques sont aussi
nombreuses : « cette politique est proposée indistinctement à tous les pays,
quel que soit leur régime économique, […] leurs structures économiques et
sociales ainsi que leur niveau et leur style de développement […]. Le rôle du
FMI est donc moins de réguler que de professer les vertus du modèle
274 CARREAU, (D.) op. cit., page 148. 275 VINCENT, (P.) op. cit., page 272. 276 STIGLITZ, (J.) Globalization and its discontents, 1e éd., W.W. Norton & Company, New York, 2003.
97
dominant et d’intervenir comme gendarme dans les jeux des pouvoirs
nationaux pour imposer un modèle […] »277.
A ceci s’ajoutent des études qui soutiennent que la raison derrière ce
durcissement des exigences du Fonds est en vrai la diversification des
sources de son financement. Etant financé intègrement par les Etats
contribuables lors des années cinquante et soixante, le FMI imposait des
conditions macroéconomiques raisonnables et atteignables. L’entrée en lice
d‘acteurs privés dans la liste « d’actionnaires » aurait changé sensiblement la
situation, créant les nouvelles exigences, plus adaptées aux désirs de ces
derniers278.
Si ces critiques relatives à la nature des mesures sont préoccupantes,
d’autres concernent la conditionnalité elle-même, appréhendées comme
violation du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats.
Notable est l’apport dans ce sens des « Chroniques du droit
international » des Professeurs FLORY, JUILLARD et CARREAU entre les
années 1978 et 1984. Elles sont souvent citées en doctrine en tant que
preuve historique de cet affrontement entre le Fonds et des Etats surtout
africains et sud-américains confrontés à des problèmes financiers, à une
époque où le caractère controversé des actions du FMI était bien moins
connu qu’aujourd’hui. La partie de la chronique consacrée aux affaires du FMI
a porté pendant ces années un nom assez évocateur : « L'aide du FMI a ses
membres en difficulté : un exemple d'intervention dans les affaires intérieures
des Etats? »279.
277 TABOURNEL, (J-S.) Nouvel ordre économique et pouvoir, 1e éd, L’Hermès, Lyon, 2002, page 390. 278 « For the IMF, the growing reliance on sources of financing outside its GRA [general resources account] to fund its operations […] have rendered the institution highly susceptible to the interests of these external creditors and donors […] the evolution from the broad macroeconomic targets […] to today’s ‘micro-conditionality’ can be attributed to the ‘mutually dependent relationship’ between the IMF and these external financiers ». TAN, (C.) dans BRADLOW, (D.) et HUNTER, (D.) (Eds.), International Financial Institutions & International Law, Wolters Kluwer, Alphen aan den Rijn, 2010, 279 CARREAU, (D.), FLORY, (T.) et JUILLARD, (P.) Chronique de droit international économique, A.F.D.I., volumes 24-31 entre 1978 et 1985.
98
Ces chroniques dénoncent des intromissions du Fonds dans des
prises de décisions qui devraient être propres à l’Etat, en exercice de ses
facultés de souveraineté. Les auteurs analysent les mesures budgétaires et
monétaires très drastiques décrites ci-dessus, mais aussi d’autres situations
assez flagrantes. Le Zaïre par exemple se voit contraint d’accepter la
nomination du sous-gouverneur de sa Banque centrale et le contrôleur
général du ministère des finances, positions remplies par des fonctionnaires
détachés du FMI. Face à un tel cas, les auteurs se demandent : « N'est-on
pas là en présence d'une forme moderne et plus sophistiquée des
protectorats financiers exercés jadis par les ‘grandes puissances’ (France,
Grande-Bretagne) sur certains Etats ‘faibles’ (Egypte, Empire Ottoman, Maroc
ou Tunisie par exemple)? »280.
Même les pays en difficultés qui souhaitaient se passer du FMI pour
trouver d’autres pourvoyeurs de crédits privés ont dû s’adapter aux canons de
celui-ci. Le Professeur CARREAU décrit la situation des gouvernements
nationaux pressés de trouver des financements ailleurs. Sans grand marge
de manouvre, les pays se montrant « économiquement timorés, socialement
conservateurs et politiquement dociles peuvent ainsi espérer obtenir du
Fonds un certificat de bonne conduite » 281, vitale pour rassurer les bailleurs
de fonds.
De tous les angles, une perte d’autonomie et des facultés d’exercice
de la souveraineté nationale semblent être le prix à payer pour ceux qui se
trouvent dans ce type d’impasse. Dans ce contexte, pour un pays en
difficultés financières, tourner la face au système économique régnant et fixé
par ceux qui peuvent se permettre de délinéer les règles n’est pas vraiment
un choix réaliste282.
280 CARREAU, (D.) « L'aide du FMI à ses membres en difficulté : un exemple d'intervention dans les affaires intérieures des Etats? » dans Chronique de Droit international économique, A.F.D.I., volume nº24, 1978, page 659. 281 CARREAU, (D.) « L'aide du FMI à ses membres en difficulté : un exemple d'intervention dans les affaires intérieures des Etats? (suite) » dans Chronique de Droit international économique, A.F.D.I., volume nº26, 1980, page 592. 282 « Ainsi, voici les pays en voie de développement, prisonniers de la toile d’araignée de la Banque Mondiale et du FMI […] La conditionnalité générale est moins économique,
99
§3 Les dénonciations de cas de contrainte économique illicite.
Comme nous avons pu le constater tout au long de ce travail,
l’exercice des pressions d’ordre économique pratiquées sur un Etat en
position de vulnérabilité mettent en péril l’authenticité de l’expression de sa
volonté. Ceci peut se traduire dans des situations qui affectent directement le
bien-être de la population d’un Etat : hausses de prix des services basiques,
privation ou limitation d’accès à des biens essentiels à la vie de la population
en font partie. Limitation d’accès aux biens faisant partie du panier de base, à
l’approvisionnement des services tels que le gaz, l’électricité, eau potable ou
encore une diminution des droits sociaux comme l’on a pu voir dans le cas
des mesures exigées par le FMI pour le redressement d’une économie
nationale en état de default.
Les conséquences étant plus ou moins palpables, le grand problème
reste toujours la façon de bien prouver que ces pressions ont lieu et qu’elles
sont exercées de façon abusive. La façon dont le mécanisme juridique est
conçu à la Convention de Vienne rendrait futiles les allégations de ce genre.
Cette forme de contrainte peut donc être considérée comme revêtant
une dangerosité particulière283. Le manque de preuves concrètes ajustées
aux exigences des dispositions contraignantes du droit international moderne
n’a pourtant pas suffit à faire taire les dénonciations sur ce type de pressions.
La doctrine s’en est occupée, autant que la presse et dans un moindre degré,
les gouvernements et les services diplomatiques nationaux.
Il convient de décrire succinctement quelques situations dont l’abus de
pouvoir économique ou une position dominante a entraîné des sévères
limitations de souveraineté. L’analyse en profondeur des affaires décrites ci-
dessous relève principalement des méthodes propres à la politologie, raison
monétaire et financière que politique et idéologique et elle se dissimule sous les aspects de rationalité méthodologique rigoureuse». TABOURNEL, (J-S.) op. cit., page 391. 283 Ainsi exposé par M. KASHBAT (délégué représentant la Mongolie) à la Conférence de Vienne, [A/CONF.39/11], page 277.
100
pour laquelle nous nous limiterons à une description sommaire de ces
situations.
Dans une situation englobant l’ensemble des relations bilatérales entre
la Colombie et les Etats-Unis, quelques auteurs de la doctrine internationale
dénoncent une politique de déstabilisation de la part de ce dernier envers le
pays sud-américain qui l’empêcheraient d’atteindre une stabilité et autonomie
économique et politique. Cette situation remonte d’après eux, à l’après-guerre
froide284.
Important bénéficiaire de l’aide économique et militaire des E-U depuis
les années vingt, la Colombie est devenu le troisième pays au monde à partir
de 1999285. Les origines de ce rapport étroit remontent au surgissement de la
« doctrine respice polum »286, terme entériné par le président Marco Fidel
Suárez (chef du gouvernement entre 1918 et 1921).
La nature des interventions nord-américaines a été dénoncée comme
une ingérence dans les processus démocratiques et économiques du pays.
La diplomatie des Etats-Unis a justifié pendant plusieurs décennies
l’envergure des aides économiques comme un soutien pour la bataille contre
le trafic de drogues en Colombie. Seule nation sud-américaine à avoir envoyé
des troupes d’appui aux forces militaires nord-américaines et onusiennes lors
de la Guerre de Corée, ses interventions et votes auprès des organes
décisionnaires du système onusien ont été alignés de façon stricte avec ceux
des Etats Unis pendant la guerre froide287. La croissance économique du
284 STOKES, (D.) America’s other war : Terrorizing Colombia, Zed Books Ltd, Londres, 2005. 285 L’Israël et l’Egypte étant les deux premiers de la liste. TICKNER, (A) « Tensiones y contradicciones en los objetivos de la política exterior estadounidense en Colombia: Consecuencias Involuntarias de la Política Antinarcóticos de Estados Unidos en un Estado débil » dans Revista Colombia Internacional, Universidad de Los Andes, Bogotá, 2000, nº 49-50. 286 Elocution latine qui veut dire « regarder au nord ». L’application de cette doctrine signifiera un alignement presque inconditionnel de la politique extérieure de la Colombie avec celle des Etats Unis pendant le vingtième siècle, à quelques exceptions près, notamment pendant le gouvernement d’Ernesto Samper (1994-1998). CAMACHO ARANGO, (C.) « ‘Respice polum’ : las relaciones entre Colombia y Estados Unidos en el siglo XX y los usos (y abusos) de una locución latina » Revista Historia y Sociedad, Universidad Nacional de Colombia, nº 19, Medellín, 2010. 287 TICKNER, (A.) op. cit.
101
pays pendant la deuxième moitié du vingtième siècle a par ailleurs été
étroitement liée à un « alignement-automatique » pro Etats-Unis288.
Des dénonciations ont été faites qui réfutent la version officielle des
Etats-Unis à ce respect. Ainsi, l’aide financière pour la « guerre contre le
narcotrafic » ne serait qu’une excuse permettant à la puissance étrangère
d’influencer la prise de décisions et mesures économiques et politiques des
gouvernements colombiens, dont les campagnes électorales bénéficieraient
de cette aide. Incapable d’exercer avec succès le monopole de la force
étatique dans l’ensemble de son territoire, cet Etat « faible » serait victime
d’un rapport politico-économique qui a finit par bloquer l’autonomie de son
système démocratique.
Dans son ouvrage de l’année 2005, Doug STOKES postule notamment
que les Etats-Unis « non seulement ne se livrent pas à une guerre contre les
drogues et le terrorisme [en Colombie] mais en fait ils sponsorisent les
principales milices liées au narcotrafic par biais d’un approvisionnement des
forces de contre-insurrection »289. Autrement dit, les Etats-Unis feraient en
sorte de conserver le conflit en état de sans-issue et donc une situation de
confrontation et d’insécurité, moyen d’assurer le leadership d’un
gouvernement fidèle à ses intérêts très sensibles dans la région 290 .
La « guerre contre les drogues » serait de ce fait juste un moyen de protéger
ses intérêts économiques et politiques dans la région291. L’accès au pétrole
de la région colombo-vénézuélienne serait l’intérêt principal à protéger par les
Etats-Unis, qui cherchent depuis longtemps à diversifier leur dépendance
pétrolière auprès des pays du Moyen Orient292.
288 GONCALVES, (C.) et SOTO, (A.) « Relaciones económicas entre Colombia y Estados Unidos : en búsqueda de una mayor autonomía (1982-1992) » dans Revista Colombia Internacional, Universidad de Los Andes, Bogotá, 1992, nº 19, pages 11-22. 289 STOKES, (D.), op. cit. page 2. 290 Ibid. 291 Ibid. 292 La Colombie fournie aujourd’hui aux Etats Unis plus de pétrole que ce que le Koweït fournissait avant la première guerre du Golfe. STOKES, (D.) op. cit, page 3.
102
Cette situation, mise en relief tant pour des auteurs colombiens
qu’étrangers, constituerait une grave atteinte à l’exercice de la souveraineté
politique et économique de cette nation sud-américaine.
D’autres situations du même genre ont été dénoncées concernant la
position des Etats-Unis en tant que première puissance économique293 et
militaire du monde. Plusieurs cas révélés se sont déroulés pendant les
années de la guerre froide. On peut conjecturer que le contexte géopolitique
de l’époque et la quête des deux superpuissances pour incliner les Etats vers
son champ ont été des facteurs clé.
Considérée par la doctrine comme une contrainte économique
extrêmement puissante, « l’arme alimentaire » a été signalée comme un
moyen de coercition capable de faire plier la volonté souveraine des Etats.
Quelques auteurs soulèvent le cas du Chili de Salvador Allende, dont le
gouvernement (1970-1973) aurait été renversé moyennant une intervention
américaine d’étranglement de l’économie nationale et l’affaiblissement de son
marché alimentaire294, afin de créer un mécontentement social aigu et un
scénario macroéconomique et alimentaire hors de contrôle. L‘édition de 1975
du rapport annuel de la fondation Dag Hammarskjöld dénonce ouvertement
une intervention, en citant un rapport interne de la commission pour la
nutrition et les besoins humains du Sénat des Etats-Unis.
Les extraits cités de ce rapport sénatorial sont éloquents et d’un sens
univoque: « Nous distribuons les excédents alimentaires non en nous basant
sur les besoins les plus pressants, mais en nous basant sur des
considérations de politique étrangère. En d'autres termes, nous utilisons les
aliments comme de munitions. […] Nous avons interrompu l'assistance
293 A l’année 2013, les Etats-Unis doublent encore largement le GDP de la nouvelle deuxième économie planétaire, la Chine. 294 BEDJAOUI, (M.) op. cit., pages 153-154. Dans le même sens, EL-KADIRI, (A.) op. cit, pages 53-54.
103
alimentaire au peuple chilien lorsque celui-ci a élu Allende, et nous l'avons
reprise lorsque la junte militaire a renversé le gouvernement d'Allende »295.
A la lumière de ces déclarations, il semble sensé affirmer que
l’utilisation de la contrainte lors de la conclusion et exécution d’accords de
coopération, le cas ci-dessus, peut produire des graves atteintes à l’exercice
de la souveraineté politique et économique d’un Etat.
Dans la même typologie de contrainte, l’Algérie dénonça publiquement
en 1967 que les Etats-Unis ne consentiraient à lui accorder un contrat de
vente de blé « que moyennant la mise en sourdine des critiques de l’Algérie à
l’égard de la politique américaine en général et de la guerre menée contre le
Vietnam en particulier »296.
Au milieu des années soixante-dix, le secrétaire d’Etat américain
déclara devant le Senat des Etats-Unis : « [Il faut] que chaque pays en voie
de développement commence à comprendre que nos relations bilatérales
avec lui tiendront compte de son comportement à notre égard dans les
réunions internationales et, en particulier, de ses votes en leur enceinte sur
des problèmes auxquels nous attachons la plus grande importance […] J’ai
demandé à chacune de nos ambassades d’expliquer aux gouvernements
auprès desquels elle représente les Etats Unis qu’un des facteurs selon
lesquels nous apprécierons la valeur qu’ils accordent à leurs relations avec
nous sera les déclarations et les votes qu’ils émettront sur un nombre assez
restreint de sujets débattues devant les instances internationales et tenus par
nous pour cruciaux »297. Mohammed BEDJAOUI qualifie ces expressions
comme un avertissement brutal et non équivoque.
D’autres cas post guerre froide ont été mentionnés par la doctrine. Le
Professeur Maurice KAMTO critique énergiquement l’ « Accord de Linas-
295 NERFIN, (M) (Ed.) Que faire – Le rapport Dag Hammarskjöld 1975 sur le développement et la coopération international, Dag Hammarskjöld Foundation, Uppsala, 1975, page 31. 296 BEDJAOUI, (M), op. cit, page 152. 297 Déclarations comme elles sont retenues par Le Monde, le 1er et 2 février de 1976. Cité par BEDJAOUI, (M.) op. cit., page 153.
104
Marcousis » conclu par les forces politiques et les rebelles ivoiriens en 2003,
lors d’une table ronde à Paris destinée à cet effet. L’accord créait un état soi-
disant « d’exception », en mettant en parenthèse une partie de
l’institutionnalité de l’appareil étatique ivoirien. Un comité de suivi y était prévu
pour cet état d’exception, sans pourtant intégrer parmi les membres un
représentant de l’Etat de Côte d’Ivoire. Sous la pression politique « et peut
être même économique et militaire » 298 de la France, le G8 et l’Union
européenne entre autres, le chef d’Etat ivoirien aurait « consenti sans
accepter »299 . La suite montrerait que l’Etat ivoirien ne tiendrait pas les
engagements, d’après l’auteur, une suite logique de ces négociations menées
sous pression300.
A l’heure actuelle, les enjeux propres à l’exercice de cette contrainte
continuent à être mis en avant par des Etats en situation d’infériorité ou
vulnérabilité économique. Dans l’occurrence, la Lituanie a déposé une formal
complaint auprès de la Commission européenne contre Gazprom, la plus
grande entreprise d’extraction de gaz au monde, propriété de l’Etat russe.
Ainsi le 25 janvier 2011, le pays baltique demandait à Bruxelles de lancer une
enquête pour abus de position dominante301. En mars de la même année, elle
a accusé le monopole énergétique russe d’avoir « violé un contrat en
fournissant du gaz à un prix ‘injuste’ et d’avoir exercé une pression politique
sur le pays »302.
Vilnius se plaint notamment de payer le mètre cubique de gaz le plus
cher de toute l’Europe, tout en achetant son gaz au même producteur que les
autres. Les raisons se trouveraient, d’après le gouvernement lituanien, dans
298 KAMTO, (M.) op. cit., page 248. 299 KAMTO, (M.) Ibid, page 248. 300 « La volonté qui s’est engagée sous les pressions s’est rebellée une fois sa liberté retournée » KAMTO, (M.) op. cit, page 248. 301 Communiqué de presse du Ministère de l’énergie de la République de Lituanie, du 25 janvier 2011.Site web du ministère, http://www.enmin.lt/en/news/detail.php?ID=1198, consulté juin 2012. 302 BAYOU, (C.) « Russie. Gazprom dans la ligne de mire de l’Union Européenne », Revue Grande Europe nº 35, 2011. La Documentation française © DILA.
105
le contrôle absolu du réseau gazier lituanien par le géant russe303 et l’intention
de celui-ci d’étrangler le secteur énergétique du pays baltique afin de le
dissuader d’appliquer le « troisième paquet énergie », un ensemble de
mesures communautaires de diversification de sources d’approvisionnement
énergétique dont l’application n’est pas encore devenue obligatoire pour
l’ensemble de l’Union. La Lituanie, elle, a décidé d’appliquer les mesures
dans l’immédiat304.
Etant donné sa puissance économique par rapport à la Russie et son
incapacité de changer librement de fournisseur de gaz ou bien de négocier en
égalité les conditions des tarifs des contrats, la Lituanie s’est retrouvée dans
l’incapacité d’agir en protection de ses consommateurs nationaux. Incapable
de protéger ses intérêts, sa qualité de membre de l’Union européenne lui a
offert une opportunité de lutter contre cette pression. Entretemps, la
Commission a décidé d’ouvrir une enquête sur ce dossier305.
La suite s’annonce tendue et exceptionnellement intéressante sous
l’angle régulateur et aussi sur les rapports de puissance vue la configuration
inédite de règles et d’acteurs impliqués. Comme l’a déclaré le Ministre
lituanien Sekmokas : « En tant que membre de l’UE, la Lituanie est obligée à
transposer les directives de l’Union. Par conséquent, la situation où un
membre de plein droit de l’Union européenne est soumis à des pressions par
le monopole d’un pays tiers juste à cause de sa détermination d’appliquer des
303 Le pays est complètement dépendant des fournitures de gaz russes. De plus son opérateur principal est Latvijas Gaze, dont le 34% des actions est également détenu par Gazprom. BAYOU, (C.) op cit. 304 A ce sujet, le Ministre lituanien de l’énergie a déclaré : « Nous avons commencé à jouer aux échecs avec un rival dangereux […] Nous avons commencé aux blanches et nos pions avancent confiants ». Cité dans LAZAREVA, (A.) et GUILLEMOLES, (A.) « Brussels against Gazprom », apparu dans revue The Ukrainian Week du 26 septembre 2012. Consulté sur http://ukrainianweek.com/World/60925 en juin 2013 (traduction libre de l’anglais) 305 Par communiqué de presse du 4 septembre 2012, la Commission « a ouvert une procédure formelle en matière d'ententes et d'abus de position dominante afin de déterminer si Gazprom, le producteur et fournisseur russe de gaz naturel, entrave ou non la concurrence sur les marchés du gaz d'Europe centrale et orientale, en violation des règles de l’UE en matière d’ententes et d’abus de position dominante ». Document IP/12/937 de la Commission européenne.
106
principes fondamentaux de l’UE –promotion d’un marché unique, concurrence
et intérêts des consommateurs– n’a pas de précédent équivalent »306.
L’enquête pourrait éventuellement mener la Commission à conclure
qu’il a eu violation de l’article 102 du TFUE307. La suite de l’affaire reste à être
élucidée sans certitude quant à son résultat. Cependant, il semble permis de
croire que sans l’appareil européen derrière lui, un pays comme la Lituanie
n’aurait guère de possibilité pour faire face, et encore moins pour se défendre
efficacement contre une telle pression provenant d’un pays immensément
plus puissant et qui en tant qu’ex-puissance occupante, connaît de première
source les besoins et le fonctionnement de l’économie locale.
306 Cité dans LAZAREVA, (A.) et GUILLEMOLES, (A.), op. cit (traduction libre de l’anglais). 307 Cette violation « Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. » Article 102 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne, paragraphe premier.
107
CONCLUSION
Tout ordre juridique est une création humaine et en tant que tel, un
système de règles toujours perfectible. Celui-ci est un trait pérenne du Droit et
une des raisons pour laquelle la réflexion autour de cette discipline est
incessante. Les difficultés et particularités que présente l’ordre juridique
international, et dont certaines ont été exposées dans ce travail, sont un défi
passionnant pour ceux consacrés jadis et aujourd’hui à la tâche de l’analyser
et le faire évoluer.
Au surcroit de ces particularités, une difficulté non négligeable pendant
la rédaction de ce travail a été la faible quantité de documentation disponible
pour bien exposer des cas concrets de contrainte économique dans les
relations internationales. La pratique de ce type de coercition est très subtile
et de ce fait ses dénonciations subissent souvent d'un manque de sources
fiables.
Plus de quarante ans se sont écoulés depuis l’entrée en vigueur de la
Convention de Vienne, lors d’une deuxième moitié du vingtième siècle où
l’humanité a avancé (à tort ou à raison) dans pratiquement tous les domaines
plus vite que jamais depuis son existence.
Dans ce sens, les progrès technologiques de notre société
postmoderne, toujours plus globalisée et toujours plus hyperinformée, nous
ont permis d’être témoins de première source d’informations que l’on n’aurait
jamais imaginé avoir auparavant. Il suffit simplement de prendre le dernier
cas en vogue, celui qui implique Julian ASSANGE et l’affaire WikiLeaks, pour
se rendre compte que la globalisation et la massification de l’accès à cette
'information highway' dans laquelle on vit immergés depuis quelques années,
entraîne bien des effets collatéraux qui ne sont d’ailleurs pas anticipés par les
Etats les plus avertis. En l’occurrence, un simple individu à la tête d’un coup
de démocratisation brutale d’accès à l’information a dévoilé des vérités
capables de gêner la première puissance mondiale.
108
La rareté des sources pendant la période 1960-1990 et l'accès plutôt
limité à celles-ci, par exemple le rapport Dag Hammarskjöld, ou les
chroniques de l'AFDI cités dans ce travail, rendait difficile un débat ouvert sur
cette problématique. Il est envisageable que la mise en ligne des documents
des services diplomatiques filtrés et la massification de son accès puissent se
traduire en nouvelles dénonciations de contrainte économique. L'accès à des
informations polémiques sur internet a déjà su jouer son rôle lors de plusieurs
affaires politiques pendant le siècle en cours.
Ainsi, notre monde change et continuera à changer de
façon vertigineuse pendant ce vingt-et-unième siècle. Le Droit, soumis à
l’Histoire, ne sera encore une fois capable d’échapper aux signes des temps.
Il est voué à régir nos réalités, nos comportements et notre constante
évolution sociale. Tant que ceux-ci continuent à avancer, le Droit, instrument
social par excellence, devra suivre.
C’est dans cet esprit que ce travail a eu comme seule prétention
d’être un humble rappel sur cette sensible problématique subjacente à la
société internationale, notamment à partir du moment où l’égalité souveraine
des Etats est devenu un principe cardinal de son ordre juridique.
Ce contexte mérite une mise à jour sur la nécessité de réviser une
législation insuffisante et incapable jusque-là de gouverner des situations où
l’inégalité économique de facto entraine des conséquences juridiques
démesurées et surtout difficilement compatibles avec les principes prônés par
cet ordre juridique.
Il serait peut-être opportun d’adopter une autre type de politique, moins
dans l’optique d’un affrontement permanent entre le « Nord » et le « Sud » et
plus dans une idée de vraie coopération permettant de transparaître les
rapports économiques. La coopération est malheureusement une notion que
les Etats ne cessent de répéter à chaque sommet multiétatique de toute sorte
mais qui rarement donne lieu à des fondations solides d’efforts communs.
109
Reste à savoir ce que les évènements en cours et ceux à venir
pourront apporter à un possible débloquement de cette problématique. Les
temps actuels promettent beaucoup de dynamisme dans ce sens. La suite de
l’affaire opposant Gazprom à la Lituanie appuyée par l’Union européenne,
ainsi que les négociations actuelles sur la création future d’une Banque des
membres du groupe BRICS, envisagée comme une voie de financement pour
le développement et donc comme une vraie alternative au Fonds Monétaire
International, témoignent de l’incontournable actualité de la question.
110
ANNEXE
DÉCLARATION SUR L'INTERDICTION DE LA CONTRAINTE MILITAIRE,
POLITIQUE OU ÉCONOMIQUE LORS DE LA CONCLUSION DE TRAITÉS
La Conférence des Nations Unies sur le droit des traités,
Maintenant le principe que tout traité en vigueur lie les parties et doit être
exécuté par elles de bonne foi,
Réaffirmant le principe de l'égalité souveraine des Etats,
Convaincue que les Etats doivent jouir d'une totale liberté pour l'exécution de
tout acte relatif à la conclusion d'un traité,
Déplorant le fait que, dans le passé, des Etats aient parfois été forcés de
conclure des traités sous l'effet de pressions, de formes diverses, exercées
par d'autres Etats,
Désireuse d'assurer que dans l'avenir pareilles pressions ne puissent être
exercées, sous quelque forme que ce soit, par aucun Etat, en liaison avec la
conclusion de traités,
1. Condamne solennellement le recours à la menace ou à l'emploi de toutes
les formes de pression, qu'elle soit militaire, politique ou économique, par
quelque Etat que ce soit, en vue de contraindre un autre Etat à accomplir un
acte lié à la conclusion d'un traité, en violation des principes de l'égalité
souveraine des Etats et de la liberté du consentement;
2. Décide que la présente Déclaration fera partie de l'Acte final de la
Conférence sur le droit des traités.
Résolution relative à la Déclaration sur l'interdiction de la contrainte militaire, politique ou économique lors de la conclusion de traités
La Conférence des Nations Unies sur le droit des traités,
111
Ayant adopté, en tant que partie de l'Acte final de la Conférence, la
Déclaration sur l'interdiction de la contrainte militaire, politique ou économique
lors de la conclusion de traités,
1. Prie le Secrétaire général des Nations Unies de porter la Déclaration à
l'attention de tous les Etats Membres et des autres Etats participant à la
Conférence, ainsi que des organes principaux des Nations Unies;
2. Prie les Etats Membres de donner à la Déclaration la plus large publicité et
la plus large diffusion possibles.
112
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118
Projet d’articles sur le Droit des traités et commentaires, Annuaire de la Commission du Droit international, vol. II, 1966. Document officiel des Nations Unies, [A/CN.4/Ser.A/1966/ A.1]. Survey of International Law in Relation to the Work of Codification of the International Law Commission, Document officiel des Nations Unies, [A/CN.4/1/Rev.1]. The Vienna Conference on the Law of Treaties First Session. Summary records of the plenary meetings and of the meetings of the Committee of the Whole. Document officiel des Nations Unies, [A/CONF.39/11]. VIII – JURISPRUDENCE INTERNATIONALE (par ordre chronologique) Affaire du Vapeur Wimbledon, arrêt, C.P.J.I., série A, nº1. Affaire des Zones franches de Haute Savoie et du pays de Gex, arrêt, C.P.J.I., série A/B. Affaire de l’Interhandel (Suisse c. Etats-Unis), arrêt, C.I.J. Recueil 1959. Affaire de la compétence en matière de pêcheries (Royaume Uni c. Islande), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J Recueil 1973. Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), fond, arrêt. C.I.J. Recueil 1986. Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif; C.I.J. Recueil 2004. Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007. IX - RESSOURCES ELECTRONIQUES Site web officiel de la Commission du Droit International : http://www.un.org/law/ilc Site web officiel de l’Organisation des Etats Américains : http:/ /www.oas.org/ United Nations Audiovisual Library of International Law : http://www.un.org/law/avl/
119
Site web officiel de Presseurop, édition en ligne, version anglaise : http://www.presseurop.eu/en Site web officiel de la Banque Mondiale, WorldDataBank : http://donnees.banquemondiale.org Site web officiel du Ministère de l’énergie de la République de Lituanie http://www.enmin.lt/en Site web de la revue ukrainienne Ukrainian Week, édition international, version anglaise : http://www.ukranianweek.com
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TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS _______________________________________________3 ABREVIATIONS ET ACRONYMES __________________________________5 ABSTRACT _____________________________________________________7 SOMMAIRE _____________________________________________________8 INTRODUCTION _________________________________________________9
PREMIERE PARTIE _____________________________________________25
LA CONTRAINTE EN TANT QUE VICE DU CONSENTEMENT EN DROIT INTERNATIONAL POSITIF Chapitre I : L’analyse normative de l’article 52 CVDT__________________25 Section 1 : L’article 52: mis en exergue par les Etats participants à la Conférence de Vienne.............................................................................................................26 Section 2: Les mesures juridiques contenues dans l’énoncé de l’article 52........29
§1 La nullité...............................................................................................30 §2 La force et la contrainte........................................................................35 §3 Les principes du Droit international incorporés dans la Charte des Nations Unies............................................................................................36
Section 3 : L’application de la notion de force stricto sensu et le principe de bonne foi au regard de l’article 26 de la CVDT……………………………….........38
§1 La problématique exposée à la Conférence par la délégation iraquienne..................................................................................................39 §2 L’analyse comparative entre l’article 26 et de l’article 52 de la CVDT.........................................................................................................40
Chapitre II : La notion de force dans l’article 42 et ses limites à la lumière des principes de la Charte de l’ONU________________________________44
Section 1 : L’interprétation stricte de la notion de force et sa friction avec les principes de la Charte.…………………………………………………………..........45
§1 L’article 2§4 : l’interdiction du recours à la menace ou l’emploi de la force dans les relations internationales.....................................................45 §2 L’article 2§1 : l’égalité souveraine des Etats........................................48
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Section 2 : La stabilité de l’ordre juridique international comme pierre d’achoppement pour admettre un élargissement de la notion de force...............53
DEUXIÈME PARTIE______________________________________________58 L’EVOLUTION DE LA NOTION DE FORCE AU REGARD DE LA PRATIQUE DES ETATS EN DROIT INTERNATIONAL
Chapitre I : Vers une notion élargie de la force et une application conséquente de la nullité par contrainte en Droit des traités____________58
Section 1 : La pratique des Etats tendant à la reconnaissance de l’illicéité de la contrainte économique comme moyen de négociation d’un traité...................59
§1 La Charte de Bogotá de l’Organisation des États Américains.............59 §2 Les sommets du Mouvement des Non Alignés....................................61 §3 Le « nineteen-state amendment » de la Conférence de Vienne..........65
Section 2 : le résultat obtenu à l’issue de la Conférence de Vienne : la Déclaration annexée sur l’interdiction de toutes les formes de contrainte...........69 Section 3 : L’opinion dissidente du juge PADILLA NERVO dans l’affaire « Compétence en matière des pêcheries » du 2 février 1973) (Islande c. Royaume Uni et RFA)..........................................................................................73 Chapitre II : Les enjeux contemporains du Droit international touchant la question de la contrainte économique______________________________76 Section 1 : La reconnaissance grandissante du problème de la contrainte économique dans le système onusien.................................................................77
§1 Les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies liées à la contrainte économique..............................................................................77 A. La Résolution 2131 (XX) de 1965 (déclaration sur l’inadmissibilité de
l’intervention dans les affaires intérieures des Etats)...........................78
B. La Résolution 2625 (XXV) de 1970 (déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies)...................................................................................................79
C. Résolution 3281 (XXIX) de 1974 (Charte des droits et devoirs
économiques des Etats)......................................................................81
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§2 L’interprétation doctrinale des principes de la Charte des Nations Unies.........................................................................................................82
Section 2 : L’accentuation du déséquilibre des termes d’échange à cause de la contrainte économique.........................................................................................85
§1 Les rapports historiques de la puissance Nord-Sud et l’ombre pesante des traités inégaux....................................................................................86 §2 La politique de conditionnalité du FMI pour assister les pays en difficultés financières.................................................................................93 §3 Les dénonciations de cas de contrainte économique illicite.................99
CONCLUSION _________________________________________________107
ANNEXE______________________________________________________110
BIBLIOGRAPHIE_______________________________________________112
TABLE DES MATIÈRES _________________________________________120