mémoire d'initiation à la recherche
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L'enfant et la ville : peut-on considérer l'enfant comme un acteur urbain?TRANSCRIPT
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Remerciements
Je tiens à remercier Franck Vermandel et Jean-Christophe Gérard, enseignants responsables
du séminaire « Conception et complexité, approches contemporaines », qui m'ont
accompagné tout au long de cette année d'initiation à la recherche. Par leur écoute et leurs
commentaires, ils m'ont permis de développer ce mémoire dans de bonnes conditions.
Par ailleurs, c'est vers l'ensemble des personnes rencontrées au cours de cette année que se
tourne ma gratitude. Ces dernières m'ont permis d'enrichir mon mémoire et de rebondir lors
des moments de réflexion. Je tiens tout particulièrement à saluer Béatrice Auxent, architecte
urbaniste chargée d'études au CAUE du Nord, pour le temps qu'elle m'a consacré et la
gentillesse avec laquelle elle m'a accueilli lors de mes visites au CAUE. Je la remercie
également pour m'avoir convié au stage académique « Habitants et Projets Urbains » organisé
le 8 et 9 Avril 2013.
J'adresse aussi mes remerciements à Catherine Jourdan, psychologue et plasticienne, qui m'a
présenté son travail de géographie subjective et qui m'a accordé de son temps lors d'entretiens
téléphoniques. Je remercie les intervenants rencontrés à Mons-en-Baroeul dans le cadre de
mes recherches sur le Projet de Rénovation Urbaine du quartier du Nouveau Mons : Amélie
Salmon, directrice adjointe du Projet de Rénovation Urbaine, Jérémy Treu, chef de projet
politique de la ville de Mons-en-Baroeul, et François Fairon, historien public. Merci à Anne
Tillard, directrice de la bibliothèque de Mons-en-Baroeul, qui est à l'initiative du projet
« Dessine moi un éco-quartier » et qui m'a permis d'observer les ateliers menés à l'école des
Provinces de Mons-en-Baroeul.
Enfin, mes remerciements vont à ma famille qui m'a soutenu tout au long de cette année et qui
m'a encouragé en période de doutes. Je la remercie pour les précieux conseils dont elle m'a
fait part dans l’élaboration de ce mémoire.
4
SOMMAIRE
Avant propos
Complexus : ce qui est tissé ensemble p.6
Introduction
L'enfant et la ville : une influence réciproque ? p.8
1. La ville : un espace spatial et social pour l'enfant
1.1 L'enfant et la ville : une apparente contradiction p.13
1.1.1 Autrefois, l'enfant familier de la rue p.16
1.1.2 L'enfermement progressif de l'enfant p.17
1.1.3 Un changement de paradigme p.21
1.2 Le milieu urbain : un champ éducatif pour l'enfant p.22
1.2.1 La ville comme lieu de stimulation p.23
1.2.2 La ville comme lieu d'apprentissage et d'autonomie p.25
1.2.3 La ville comme univers de socialisation p.25
2. L'enfant : un acteur urbain?
2.1 La notion d'acteur urbain p.27
2.1.1 L'appropriation : un moyen d'être acteur de la transformation de l'espace p.29
2.1.2 Le statut de l'enfant dans la ville p.29
2.1.3 L'enfant : citadin – citoyen p.33
5
2.2 Le CAUE du Nord : un organisme qui accompagne l'enfant à devenir acteur
urbain p.35
2.2.1 Le processus d'éducation – participation p.36
2.2.2 Les carnets d'exploration locale : la découverte de l'environnement proche p.39
2.2.3 La parole de l'enfant : écoutée, prise en compte ou détournée? p.40
3. La sensibilisation des enfants à l'environnement urbain
3.1 La Géographie subjective : une représentation sensible et collective du
territoire p.42
3.1.1 Le concept de carte subjective : une « parodie sérieuse » p.44
3.1.2 Une démarche pour libérer la parole de l'enfant p.47
3.1.3 Des rebonds en conséquence : la carte comme point de départ d'une
réflexion p.48
3.2 Le Projet de Rénovation Urbaine à Mons-en-Baroeul : la création d'un éco-
quartier. p.52
3.2.1 Une sensibilisation à l'environnement proche p.54
3.2.2 « Dessine moi un éco-quartier » : la conscientisation de l'évolution de la
ville p.55
3.2.3 Une participation sous contrôle : l'enfant manipulé? p.62
Conclusion
Réflexion sur la ville : l’enfant garant d’un type urbanisme ? p.64
Bibliographie p.68
Annexes p.70
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Avant propos
« Qu’est ce que la complexité ? Au premier abord, la complexité est un tissu
(complexus : ce qui est tissé ensemble) de constituants hétérogènes inséparablement
associés : elle pose le paradoxe de l'un et du multiple»1.
Edgar Morin.
Ce travail s'inscrit dans le cadre du mémoire de recherche en architecture développé à
l'ENSAPL (Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Lille) au cours de l'année 2012-
2013. Faisant partie de la thématique « conception et complexité, approches
contemporaines », il m'a semblé important de citer cette phrase d’Edgar Morin sur la
complexité. Elle exprime cet « enchevêtrement d’entrelacements ». Elle évoque ces
correspondances à établir entre les disciplines. Elle représente la notion de
« transdisciplinarité » que j’ai découverte au cours de mes études d’architecture. C’est en
prenant en compte cette notion que j'ai développé ce mémoire. C’est en voulant tisser des
liens entre l’architecture, l’histoire et la sociologie que ce mémoire s’inscrit dans le thème de
la complexité. Ainsi, l’interdisciplinarité se retrouve dans les ouvrages du corpus d’étude
(architectes, historiens, psychologues) mais aussi dans les rencontres effectuées au cours de
mes recherches.
Ce mémoire est également l’occasion de convoquer mes propres centres d'intérêts pour les
mettre en relation. Je souhaite en effet faire le lien entre mes études d'architecture et un intérêt
que j'ai depuis plusieurs années : l'animation. En effet, durant de nombreuses vacances
scolaires, j'ai travaillé en tant qu'animateur BAFA (Brevet d'Aptitude aux Fonctions
d'Animateur). Cette occupation, qui n'était au début qu'un moyen de découvrir le monde du
travail saisonnier, s'est révélée être par la suite une vraie source d'épanouissement. Outre le
fait d'apprendre à travailler en équipe et d'apprendre à m'exprimer devant un public,
l'animation m'a permis de me familiariser avec le comportement des enfants. Aux travers de
mes expériences en Centres de Loisirs (sans hébergement) et en Colonies de Vacances (avec
hébergement), j'ai observé différentes attitudes en fonction des espaces pratiqués. Ainsi, c’est
la relation existante entre l'enfant et son milieu qui sera approfondie dans ce mémoire.
1 Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, Edition du Seuil, Paris, 1990.
7
Lorsque l'on parle de la relation entre l'enfant et son milieu, il me semble important de
préciser le type d'espace à étudier. De nombreux ouvrages2 ont analysé la relation de l'enfant
aux espaces spécialisés : écoles, crèches, aires de jeux. Ces espaces dédiés aux enfants sont
facilement appropriables car ils portent au sein de leur conception, de par leurs programmes,
une réflexion sur l'enfant. Pour ma part, ma réflexion se porte sur les espaces se situant au-
delà de ces lieux d'enfance, c'est-à-dire l'espace qui se trouve au dehors, dans la rue, dans la
ville. Cette distinction entre l'enfant « au dedans » et l'enfant « au dehors » est primordiale. En
effet, c'est l'espace urbain qui est l'objet de ce mémoire car, comme nous le verrons, son
appropriation par les enfants n'est pas immédiate.
2 On peut notamment citer :
- Josiane Chabel, Les temps de l'enfance et leurs espaces : les nouveaux lieux d'accueil de la petite
enfance : exemples pratiques, création, aménagement, architecture, Navir, Paris, 1994.
- Maurice Mazalto, Architecture scolaire et réussite éducative, Ed Fabert, Paris, 2008.
8
Introduction
En France, la population urbaine est de 85,9% (20113). Près de 20% d'entre elle correspond à
des enfants de moins de 15 ans, ce qui représente près de 12 millions « d'enfants urbains ».
Toutefois, de nombreux constats évoquent une contradiction entre « l'enfant » et « la ville ».
C'est le cas notamment de la brochure « Villes d'enfants, villes d'avenir », rédigée par la
Commission Européenne en 2002 :
« La ville est le lieu idéal pour le développement des enfants car se trouvent, à portée
de main, la majorité des services et des institutions qui s'adressent à eux. Mais, la ville
peut apparaître hostile aux enfants et jeunes qui n'y trouvent pas souvent leur place
dans l'espace public ou dans l'offre de modes de déplacement, largement conçus et
organisés en fonction des adultes et des voitures »4.
C'est dans ce caractère ambivalent de la ville, à la fois bénéfique et dangereuse pour l'enfant,
que se situe le point de départ de mon questionnement. Il s'agira en premier lieu de
questionner le présupposé qui semble opposer l'enfant et la ville. Il est vrai que le terme
enfant vient du latin « infans » qui signifie « celui qui ne parle pas »5, tandis que la ville
assure traditionnellement une fonction de production de messages et d’échange
d’informations à travers ses divers réseaux de communication. Dans cette optique, il est
intéressant d’approfondir le rôle de l'enfant dans la ville d'aujourd'hui.
A travers ses études, l'historien Philippe Ariès démontre que « dans le passé, l'enfant
appartenait tout naturellement à l'espace urbain, avec ou sans ses parents. Dans un monde de
petits métiers, et de petites aventures, il était une figure familière de la rue. Pas de rue sans
enfants de tous âges et de toutes conditions»6. Il prouve que l'enfant avait auparavant toute sa
place dans l'espace urbain. Ce n'est que par la suite que la pédagogie et l'école écartèrent
l'enfant de la rue. En effet, jusqu'au XVIe siècle, les écoles sont des lieux « complètement
ouverts sur la ville » et « la rue est le grand espace de récréation pour ces écoliers »7. A partir
du XVIIe siècle, les premières écoles urbaines apparaissent pour moraliser et soumettre les
3 Données statistiques, http://www.statistiques-mondiales.com/france.htm
4 Margot Wallstrom (Dir), Commission Européenne, « Villes d’enfants, villes d’avenir », Luxembourg, 2002.
5 Définition du terme « enfant » extraite de l’Encyclopédie Universalis.
6 Philippe Ariès, L’enfant et la rue : de la ville à l’anti-ville, revue Urbi, Montréal, 1979.
7 Marie-France Morel, « L'enfant dans la ville (XVIe – XIXe) », dans Jean-François Grunfeld, La ville et
l'enfant, Catalogue : Centre Georges Pompidou, CCI, Paris, 1977, p.18.
9
jeunes aux lois de la cité. L'espace de l'école matérialise alors « ce domptage du tempérament
de l'enfant : la salle de classe doit être le plus possible isolée de la rue, attirante et
dépravatrice »8. La rue devient synonyme de danger et l'enfant est alors enfermé
progressivement dans les espaces du repli : à la maison et à l'école. La « mort de la rue » est
accentuée dans les années 1920 par Le Corbusier, qui décrit la rue comme : « une rigole, une
fissure profonde, un couloir étranglé » où la « menace de mort règne entre les deux margelles
des trottoirs »9. Ce n'est alors plus simplement la rue, mais tout l'espace urbain qui est
identifié à l'insécurité. A partir des années 70, des spécialistes (historiens, sociologues,
psychologues, urbanistes) se sont penchés sur le quotidien des enfants dans la ville. Le bilan
de ces travaux a mené à de nouvelles politiques et à la création de programmes
expérimentaux, l'objectif étant d'articuler des réalités apparemment contradictoires : la réalité
de la ville et le développement de l'enfant10
.
Il convient alors de se demander quelle est la nature de l'influence de la ville sur le
développement de l'enfant? Par le terme « enfant », j'évoque la période comprise entre 6 et 10
ans, définie par Jean Piaget11
comme la période des opérations concrètes (troisième stade).
Lorsque le terme « jeune » ne sera pas mentionné, le terme « enfant » fera également
référence à la période des opérations formelles comprises entre 10 et 16 ans (quatrième stade).
Par ailleurs, il me semble intéressant d'étudier la réciproque pour savoir si l'enfant possède
une influence sur la ville. Cet aller-retour entre « influence de la ville sur l'enfant » et
« influence de l'enfant sur la ville » constitue le noyau central de ma recherche. Ainsi, les
questions que je pose sont les suivantes : peut-on considérer l'enfant comme un acteur urbain?
Comment mesurer sa contribution à l'aménagement de la ville?
Dans un premier temps, il me semble intéressant de comprendre l'influence de la ville sur
l'enfant. L'hypothèse de départ serait de dire que l'espace urbain n'a pas pour fonction le
8 Op cit., « L'enfant dans la ville (XVIe – XIXe) » p.19.
9 Le Corbusier, extrait d’un texte pamphlétaire antérieur à Vers une Architecture (1923), cité par Jacques
Marillaud, « Jeu et sécurité dans l’espace public : origines et effets des politiques publiques », Revue L’enfant et
la ville, Architecture & Comportement, vol.7, n°2, 1991, p140. 10
On peut notamment citer :
- Marie-José Chombart de Lauwe, Enfant en jeu, C.N.R.S, Paris, 1976.
- Loi n° 77-2, promulguée le 3 janvier 1977, qui déclare que « l'architecture est une expression de la
culture » et crée les Conseils d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement (CAUE).
- Annie Coulomb, « L'enfant, la ville, quel quotidien? », Revue L’enfant et la ville, Architecture &
Comportement, vol.11, n°1, 1995, p.69-77. 11
Jean Piaget, La représentation du monde chez l'enfant, PUF, Paris, 1947.
10
développement de l'enfant mais que c'est l'utilisation de l'espace par l'enfant qui permet son
développement. Par le biais d'une étude sur l'action des enfants dans l'espace, l'architecte
Kyriaki Tsoukala évoque la nécessité pour la ville de « fonctionner comme champ d'éducation
et non pas seulement comme un espace cadre matériel de la vie de l'enfant »12
. Elle montre
que l'espace urbain n'est pas uniquement un cadre spatial mais qu'il est aussi un cadre social.
La ville peut donc être considérée à la fois comme ville édifiée et comme ville habitée. Cette
réflexion est à mettre en relation avec les travaux de la sociologue Marie-José Chombart de
Lauwe qui s'est intéressée à la notion de milieu physique et de milieu social. A travers son
étude portant sur les occupations des enfants durant leur temps libre, elle met en évidence les
trois milieux physiques de la vie de l'enfant : la famille, l'école, et le troisième milieu qui
correspond à l'espace du dehors.
On peut ainsi imaginer que l'espace urbain fonctionne comme un lieu de stimulation pour
l'enfant. En effet, avec ses acteurs et ses aménagements, le milieu urbain devrait permettre à
l'enfant de développer son imaginaire pour jouir de la ville. En outre, la ville peut être
considérée comme lieu d'apprentissage et d'autonomie vis-à-vis de l'adulte. Selon Kyriaki
Tsoukala, c'est le cas lorsque l'enfant pratique des « activités stratégiques », c'est-à-dire
lorsqu'il explore seul ou entre copains l'espace. Enfin, Marie-José Chombart de Lauwe montre
que le milieu urbain pourrait fonctionner comme un univers de socialisation. Selon elle, la
socialisation est une relation de réciprocité entre l'enfant et son milieu social, c'est-à-dire les
autres. Cette notion est à mettre en lien avec l'apport théorique de Jean Piaget sur le
développement des relations spatiales chez l'enfant. En effet, la ville est le lieu de la
cohabitation des populations et permet de prendre conscience de l'existence de l'autre, tout en
se construisant soi même. C'est ce que Jean Piaget appelle la différenciation13
.
Dans un second temps, il me semble intéressant de comprendre l'influence de l'enfant sur la
ville. Est-il un citoyen passif qui, par son statut de personne dépendante des adultes, n'a pas
d'influence sur l'espace urbain? Il serait alors un simple spectateur du théâtre qu'est la vie
urbaine. Kyriaki Tsoukala qualifie cela « d'activités passives ». Au contraire, l'hypothèse qui
consisterait à dire que l'enfant possède une influence sur la ville est elle valable? On peut
12
Kyriaki Tsoukala, L’image de la ville chez l’enfant, Anthropos, Paris, 2001, p.98. 13
Jean Piaget et Barbel Inhelder, Représentation de l'espace chez l'enfant, Presses universitaires de France, Paris,
1977.
11
supposer que l'appropriation de l'espace par l'enfant est une première manière de se rendre
actif aux yeux du développement de la ville. C'est en effet la vision partagée par Marie-José
Chombart de Lauwe qui montre que l'appropriation engendre des transformations de l'espace.
De son côté, Jean Piaget évoque la notion d'adaptation pour qualifier les échanges qui
s'opèrent entre le corps et son milieu. Selon lui, l'enfant s'adapte à son environnement grâce à
l'équilibre entre deux processus : l'assimilation, c'est-à-dire l'action du sujet sur l'objet, et
l'accommodation, qui correspond à l'action de l'objet sur le sujet.
Afin de développer la réflexion sur ces différents points, je me suis attaché à mener une
observation de terrain, en étudiant plus particulièrement certains ateliers de sensibilisation à
l'environnement urbain14
. Cette analyse m'a conduit à interroger l'apport réel de ces ateliers
sur les enfants. Par le biais du CAUE du Nord (Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et de
l'Environnement), je me suis intéressé au rôle des pédagogues (architectes, enseignants) et au
processus d'éducation-participation préconisé pour développer ce type d'ateliers. J'ai ensuite
basé mon étude empirique sur deux cas concrets de sensibilisation dans le but d'interroger la
manière dont les enfants participent aux évolutions urbaines. En ce sens, mon mémoire vient
s'inscrire dans la réflexion que Marie-José Chombart de Lauwe a entamé sur le statut de
l'enfant dans la ville et la société globale15
. En effet, ses recherches ont ouvert le champ d'une
anthropologie qui détermine la place de l'enfant dans la ville.
Le premier cas étudié correspond au concept de géographie subjective16
développé par
Catherine Jourdan. A la fois psychologue et plasticienne, elle crée en collaboration avec les
enfants d'un quartier des cartes subjectives, véritables représentations collectives d'un
territoire. Ces cartes ne se basent pas sur des données réelles, mais sur les impressions des
enfants. Ainsi, elles mêlent à la fois l'espace rêvé (imaginaire) et l'espace pratiqué (réel) dans
le but de révéler la perception qu'ils ont de la ville, leurs moyens de déplacements et leurs
usages.
14
Les ateliers analysés sont :
- Les ateliers développés par le CAUE du Nord.
- Les cartes subjectives de Catherine Jourdan.
- Le projet « Dessine moi un éco-quartier » développé à Mons-en-Baroeul. 15
Marie-José Chombart de Lauwe, « L’enfant dans la ville : oublié, enjeu ou messager ? », dans Jean-François
Grunfeld, La ville et l'enfant, Catalogue : Centre Georges Pompidou, CCI, Paris, 1977. 16
Catherine Jourdan, Site internet de la Géographie subjective, http://www.geographiesubjective.org.
12
Le second cas s'intéresse à la ville de Mons-en-Baroeul, et plus précisément au Projet de
Rénovation Urbaine (PRU) du quartier du Nouveau Mons. Ancienne Zone d'Urbanisation
Prioritaire (ZUP), ce quartier est en cours de transformation pour devenir un éco-quartier.
Pour accompagner ces changements urbains et sensibiliser les enfants aux évolutions de la
ville, le projet « Dessine moi un éco-quartier »17
a été mis en place.
L'observation de ces différents projets de sensibilisation à l'architecture et à la ville permettra
de comprendre l'objectif réel de ces interventions : la réflexion sur un projet, de la
concertation sur l'évolution d'un quartier, à la participation à la transformation d'une ville. Ces
observations in situ seront le moyen de découvrir le degré d'implication que possède l'enfant
dans la transformation de l'espace urbain. Elles permettront également de savoir si une forme
de manipulation existe lors de ces projets ou si l'enfant est libre de ces décisions. Enfin, elles
ouvriront à une réflexion sur la notion de ville aujourd’hui.
17
Site internet du projet « Dessine moi un éco-quartier », http://dessine-moi-un-ecoquartier.blogspot.fr/
13
1. La ville : un espace spatial et social pour l'enfant
1.1 L'enfant et la ville : une apparente contradiction
Au cours de mes premières recherches sur la relation enfant-ville, il m'est apparu que de nombreux
auteurs faisaient état d'un manque de considération total de l'enfant dans la ville. Selon Dimitri
Germanos, l'organisation de la vie de l'enfant dans la cité contemporaine correspond à « des formes
d'exclusion, de marginalisation ou d'isolement »18
. Selon Jacques Marillaud, « la ville n'est plus
pour l'enfant un espace de libre circulation »19
. Marie-France Morel affirme même que « l'enfant n'a
plus sa place »20
dans la rue.
Ces affirmations sur la relation liant l'enfant à l'espace urbain m'ont amené à me poser la question
suivante : la relation entre la ville et l'enfant a-t’elle toujours été basée sur cette opposition ? En
cherchant des illustrations sur le thème de mon mémoire, j'ai découvert les clichés photographiques
de Robert Doisneau. Outre son travail sur l'usine Renault de Boulogne-Billancourt, Doisneau a
photographié la vie quotidienne des parisiens après la seconde guerre mondiale. Ses photographies
illustrent un Paris populaire d'une époque comprise entre 1945 et le début des années 1980.
Cependant, ce qui m'a marqué dans ces photographies, c'est la possibilité pour certains clichés d'en
donner une date bien précise : elles sont représentatives d'une époque. J'ai donc opéré à une
sélection de clichés montrant des enfants dans l'espace urbain, dans la rue ou dans les terrains
vagues. Je présente ici quatre photographies qu'il me semble intéressant de comparer car elles
montrent l'évolution entre Paris du début des années 1950 et Paris des années 1970.
Les deux premières images, ci-dessous, sont datées de Juin 1949 et de Mai 1956. Elles
correspondent aux années qui suivent la seconde guerre mondiale et montrent une époque où
l'enfant pouvait encore circuler sans l'accompagnement de ses parents. Elles symbolisent
l'autonomie de l'enfant dans l'espace urbain.
18
Dimitri Germanos, « La relation de l’enfant à l’espace urbain : perspectives éducatives et culturelles », Revue
L’enfant et la ville, Architecture & Comportement, vol.11, n°1, 1995, p.55. 19
Jacques Marillaud, « Jeu et sécurité dans l’espace public : origines et effets des politiques publiques », Revue
L’enfant et la ville, Architecture & Comportement, vol.7, n°2, 1991, p141. 20
Marie-France Morel, « L'enfant dans la ville (XVIe – XIXe) », dans Jean-François Grunfeld, La ville et l'enfant,
Catalogue : Centre Georges Pompidou, CCI, Paris, 1977, p.22.
14
1. Robert Doisneau, « Ile Saint-Louis », 194921
2. Robert Doisneau, « Les lilas de Ménilmontant », 195622
- La première intitulée « Ile Saint-Louis » - 1949 montre une petite fille qui se balade seule sur la
chaussée. Elle observe attentivement un menuisier en train de travailler le bois dans la rue. Elle
semble à la fois émerveillée et curieuse de découvrir ce métier dans la ville.
- La deuxième intitulée « Les lilas de Ménilmontant » - 1956 présente des enfants s'amusant avec le
mobilier urbain. Chaussés de patins à roulettes, ils font des pirouettes sur la rambarde. En
détournant l'usage premier de ce garde corps, ils s'approprient l'espace.
Les deux images suivantes sont datées de 1969 et de 1978. Elles correspondent aux années du
développement de la périphérie de Paris en banlieue, mais également à l'augmentation de l'usage de
l'automobile. Elles symbolisent la dépendance de l'enfant vis-à-vis de l'adulte dans l'espace urbain.
21
Source image : Brigitte Ollier, Monographie, Robert Doisneau, Hazan, Paris, 1996, p.199. 22
Source image : Ibid., p.412.
15
3. Robert Doisneau, « La meute », 196923
4. Robert Doisneau, « Les tabliers de Rivoli », 197824
- La troisième intitulée « La meute » - 1969 représente une mère et son enfant dans une poussette en
plein milieu de la place de la concorde. Les voitures qui se dirigent vers eux rendent dangereuse la
traversée de la chaussée.
- La quatrième intitulée « Les tabliers de Rivoli » - 1978 montre des enfants agrippés les uns aux
autres, traversant la rue de Rivoli devant des files de voitures. Certains enfants courent pour arriver
le plus vite possible de l'autre côté de la chaussée, en sécurité.
La comparaison succincte entre ces deux époques m'a poussé à m'intéresser à l'histoire de la relation
entre l'enfant et l'espace urbain. C'est ainsi que j'ai recherché l'origine de cette relation, notamment
dans les ouvrages de l'historien Philippe Ariès25
. Je présente ci-après, une brève approche historique
de la relation existante entre l'enfant et la ville depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours.
23
Source image : Op cit., Monographie, Robert Doisneau, p.123. 24
Source image : Ibid., p.130. 25
On peut notamment citer :
- Philippe Ariès, L'enfant et la vie familiale sous l'ancien régime, Seuil, Paris, 1973.
- Philippe Ariès, « L’enfant et la rue : de la ville à l’anti-ville », revue URBI, Montréal, 1979.
16
1.1.1 Autrefois, l'enfant familier de la rue
L'historien Philippe Ariès s'est intéressé à L'enfant et la vie familiale sous l'ancien régime, c'est-à-
dire de la période de la Renaissance (XVIe siècle) jusqu'à la révolution française (fin du XVIIIe
siècle). A travers ses ouvrages, il montre que « dans le passé, l'enfant appartenait tout naturellement
à l'espace urbain, avec ou sans ses parents. Dans un monde de petits métiers, et de petites aventures,
il était une figure familière de la rue. Pas de rue sans enfants de tous âges et de toutes conditions»26
.
En effet, il explique que les enfants pouvaient vivre et circuler librement dans les rues, hors du
contrôle de la famille. Marie-France Morel complète les propos de Philippe Ariès en montrant que
« dans la ville des XVIe – XVIIe siècles, l'enfant est partout chez lui »27
. Elle explique qu'à cette
période, les enfants se regroupaient pour former des bandes qui « jouent à la balle et aux pirouettes,
font des farces aux adultes, cassent des carreaux et participent aux querelles de voisinage ». Parfois,
les enfants étaient tellement livrés à eux mêmes qu'ils finissaient par perdre toute trace de leurs
parents. Ainsi, dans certaines villes, des bandes d'enfants mendiants et vagabonds survivaient grâce
à des petits délits : ils vidaient les poches des passants, dérobaient des objets et volaient de la
nourriture sur les marchés28
.
Parallèlement à ces enfants des classes populaires, les enfants nés de familles plus aisées étaient,
dès la naissance, exclus de la ville. En effet, « la plupart des enfants nés dans les villes d'autrefois
étaient systématiquement mis en nourrice à la campagne »29
, et cela dès leur plus jeune âge. Le fait,
pour une famille, de pouvoir placer ses enfants en nourrice était un signe d'aisance et d'une certaine
place dans la hiérarchie sociale. En n'allaitant pas elles mêmes leurs enfants, elles manifestaient leur
appartenance à une classe sociale supérieure. La raison essentielle de la mise en nourrice tenait aux
exigences de la mode mais aussi aux manières de vivre en ville. Certaines femmes pensaient que
leurs enfants seraient en meilleure santé s'ils étaient allaités par une paysanne dans un
environnement au bon air. En effet, l'air de la ville était à cette époque considéré comme mauvais.
Bien que de nombreuses femmes pensaient œuvrer pour le bon développement de leur enfant, la
mise en nourrice n'était pas toujours efficace. De nombreux abus faisaient que la plupart des
nourrissons ne revoyaient jamais la ville où ils étaient nés.
26
Op cit., « L’enfant et la rue : de la ville à l’anti-ville », p.6. 27
Marie-France Morel, « L'enfant dans la ville (XVIe – XIXe) », dans Jean-François Grunfeld, La ville et l'enfant,
Catalogue : Centre Georges Pompidou, CCI, Paris, 1977, p.19. 28
On retrouve cette ambiance de rue dans certaines scènes au cinéma, notamment dans les films suivants :
- Oliver Twist, réalisé par Roman Polanski en 2005 et inspiré par le roman de Charles Dickens, paru en 1839.
- Le parfum, réalisé par Tom Tykwer en 2006 et inspiré par le roman de Patrick Suskind, paru en 1985. 29
Op cit., « L'enfant dans la ville (XVIe – XIXe) », p.12.
17
La période d'allaitement durait environ deux ans, et l'âge auquel l'enfant retrouvait la ville et ses
parents dépendait des possibilités financières de sa famille. Si les parents étaient aisés et
possédaient des propriétés à la campagne, l'enfant restait chez une nourrice qui le gardait en pension
jusqu'à neuf ou dix ans. Si les parents étaient moins fortunés, ils faisaient revenir leur enfant dès le
sevrage. A leur retour, ils vivaient alors dans un monde d'adultes où l'espace manquait. De par la
promiscuité du logement, l'enfant passait la plupart de son temps au dehors, et ne revenait au logis
familial que pour y dormir. Le lieu essentiel de son existence était donc la rue « qui est spectacle et
violence » et où « les enfants se mêlent aux rixes, poursuites et arrestations »30
.
A partir de la fin du XVIIIe siècle, certains médecins et quelques institutions comme les crèches ou
les salles d'asile vont encourager l'allaitement maternel dans les milieux urbains. Peu à peu, les
mères comprennent qu'elles ont plus de chances de garder leur enfant en vie si elles l'allaitent.
Ainsi, la mise en nourrice commence à décliner. Les découvertes de Pasteur sur la stérilisation vont
permettre, après 1890, de faire chuter la mise en nourrice. En effet, grâce aux biberons stérilisés et à
l'usage de lait bouilli, les enfants des villes peuvent être alimentés d'une manière sûre au lait animal.
Ils vont alors « rester massivement auprès de leur mère dans l'espace urbain »31
.
1.1.2 L'enfermement progressif de l'enfant
Au XVIe siècle, certains enfants fréquentent des écoles qui sont « des lieux complètement ouverts
sur la ville et où toutes les classes d'âge sont mélangées : la rue est le grand espace de récréation
pour ces écoliers »32
. Ils y organisent des jeux collectifs très populaires et codifiés dans les
règlements scolaires. Toutefois, l'extrême liberté dont jouissent ces écoliers va ensuite se réduire. En
effet, l'enfant dans l'espace urbain dérange les adultes. Les autorités municipales s'inquiètent des
bandes d'enfants livrés à eux mêmes et les font arrêter dès que possible. Les notables et les autorités
religieuses vont alors imaginer d'éduquer ces enfants renfermés. C'est ainsi que vont naître, au début
du XVIIe siècle, les premières écoles urbaines pour catéchiser, moraliser et soumettre aux lois de la
cité les enfants déviants. A partir de cet instant, la ville chrétienne du XVIIe siècle ne tolérera plus
les enfants sauvages. La rue devient peu à peu synonyme de danger et l'enfant est enfermé
progressivement dans les espaces du repli : à la maison et à l'école.
30
Op cit., « L'enfant dans la ville (XVIe – XIXe) p.19. 31
Ibid., p.18. 32
Ibid., p.19.
18
Comme l'explique Marie-France Morel, l'espace de l'école matérialise « ce domptage du
tempérament de l'enfant : la salle de classe doit être le plus possible isolée de la rue, attirante et
dépravatrice »33
. Les distractions extérieures ne doivent pas y pénétrer, comme le précise Jean-
Baptiste de la Salle dans la Conduite des écoles chrétiennes : « si les écoles se tiennent dans une
salle qui donne sur la rue ou dans une cour commune, il faut avoir égard que les fenêtres ne
descendent pas plus bas qu'à sept pieds de terre, afin que les passants ne puissent pas avoir vue dans
l'école »34
. La classe représente « l'envers absolu de l'espace désordonné et chamarré de la rue, où se
côtoient tous les âges, tous les sexes et même toutes les conditions »35
. En effet, dans cet espace
totalement quadrillé, chaque individu devra se ranger à sa juste place dans la hiérarchie scolaire.
Ceux qui apprennent le latin seront séparés de ceux qui écrivent, eux même séparés de ceux qui
lisent sans écrire. La découpe de l'espace selon une géographie rigoureuse permettra à l'enfant de se
tenir immobile et d'être constamment surveillé par le maître et par ses aides, les meilleurs élèves. La
surveillance36
sera continue, pyramidale et réciproque.
Les enfants des familles aisées ont eux aussi de moins en moins de contacts avec les espaces
urbains. En effet, à leur retour de mise en nourrice, ils vivent la plupart du temps enfermés dans la
maison familiale et sont éduqués par leur famille. Dès qu'ils savent lire et écrire, ils vont au collège
qui est encore au XVIIe siècle un lieu ouvert sur la vie de la cité. Cependant, la réclusion de l'enfant
loin du monde et de sa propre famille progresse, notamment grâce à l'institution des pensionnats.
Servant d'abord à loger les élèves, puis à compléter les classes d'un collège, ils deviennent peu à peu
le lieu d'un enseignement complet et autonome. Ainsi, les enfants n'en sortent que très rarement. Au
XIXe siècle, les pensionnats deviennent le mode d'éducation préféré de la bourgeoisie urbaine. La
réclusion prend alors une valeur morale et pédagogique par opposition à l'externat, synonyme de
l'indiscipline et du désordre urbain.
Par ailleurs, cet enfermement progressif de l'enfant à l'école et dans le logement s'accompagne de
théories qui visent à séparer l'enfant du monde des adultes. Dans le traité d'éducation Emile ou De
l'éducation, Jean-Jacques Rousseau montre bien cette volonté des adultes d'exclure l'enfant de
l'espace urbain. L'auteur raconte dans un passage37
, la promenade d'un enfant seul dans la rue car
son père n'a pas voulu l'accompagner. Il montre le désarroi de cet enfant lorsque celui-ci se rend
33
Op cit., « L'enfant dans la ville (XVIe – XIXe) p.19. 34
Jean Baptiste de La Salle, Conduite des écoles chrétiennes, 1704. 35
Op cit., « L'enfant dans la ville (XVIe – XIXe) », p.20. 36
On peut mettre en relation la notion de surveillance avec les travaux de Michel Foucault qui a mis en évidence les
techniques destinées à surveiller les conduites et à prévoir les comportements en les maitrisant à travers l'école, l'hôpital
et la prison. Je pense notamment à son ouvrage Surveiller et punir, Gallimard, 1975. 37
Jean-Jacques Rousseau, Emile ou De l'éducation, 1762, p.367-368.
19
compte qu'il va se trouver au milieu des gens qu'il ne connait pas. Seul dans l'espace urbain, il
entend alors des propos malveillants à son égard. Les jeunes de son âge se moquent de lui et le
prennent à partie. « Seul et sans protection, il se voit le jouet de tout le monde »38
. A son retour, le
jeune est confus et s'excuse auprès de son père pour sa désobéissance. Son père lui donne alors le
conseil suivant : « Quand vous voudrez sortir seul, vous êtes le maître; mais comme je ne veux
point d'un bandit dans ma maison, quand cela vous arrivera, ayez soin de n'y plus rentrer »39
. Ce
texte, écrit en 1762, est fondateur de tout un courant pédagogique qui vise à écarter l'enfant de la
rue, et plus généralement à dévaloriser la rue. Ainsi, à partir du XVIIIe siècle, la rue est associée au
danger et à l'insécurité.
Avec la disparition progressive de l'enfant dans l'espace urbain, le statut de la rue évolue. En effet,
ce n'est plus un espace où l'on s'installe, mais un espace que l'on traverse. Philippe Ariès évoque ce
changement de statut en montrant que « l'espace urbain cessait d'être un espace de vie épaisse, où le
privé et le public ne se distinguait pas, pour devenir un lieu de passage réglé par les logiques
transparentes de la circulation et de la sécurité »40
. Ainsi, « la rue est devenue immorale tant qu'elle
est un séjour » et « elle n'échappe à l'immoralité qu'en devenant un passage, et en perdant dans
l'urbanisme des années 30-50 les caractères et les tentations du séjour »41
. En supprimant les
stimulations de la ville et en enfermant les enfants dans un monde à part, les adultes ont donc créé
ce que Philippe Ariès appelle « la non ville, l'anti-ville, la ville intégralement privatisée »42
.
On peut mettre en relation cette évolution de la rue avec les théories de Le Corbusier qui, dans les
années 1920, vont ouvrir à de nouvelles formes d'urbanisme. Dans son article « Jeu et sécurité dans
l’espace public : origines et effets des politiques publiques », Jacques Marillaud présente un extrait
d'un texte pamphlétaire de Le Corbusier, probablement antérieur à son ouvrage Vers une
Architecture, publié en 1923. Le Corbusier y décrit la rue comme telle :
« Une chaussée; la plupart du temps des trottoirs étroits ou larges. A pic, au-dessus, les
murailles de maisons : la silhouette sur le ciel est une déchirure saugrenue de lucarnes, de
tuyaux de tôle. La rue est au bas fond de cette aventure. Elle est dans une pénombre
éternelle.
38
Op cit., Emile ou De l'éducation, p.367. 39
Ibid., p.368. 40
Philippe Ariès, « L’enfant et la rue : de la ville à l’anti-ville », revue URBI, Montréal, 1979, p.6. 41
Ibid., p.6. 42
Ibid., p.7.
20
L'azur est un espoir très loin, très haut. La rue est une rigole, une fissure profonde, un
couloir étranglé. On touche à ses deux murs des deux coudes du cœur: le cœur en est
oppressé ..., bien que cela dure depuis mille ans !
La rue est pleine de voitures rapides. La menace de mort règne entre les deux margelles des
trottoirs; les maisons sont noires et leur voisinage réciproque cacophonique; c'est affreux.
Mais tout le drame de la vie y grouille. Savez-vous voir? Vous vous amuserez beaucoup dans
la rue; on est mieux qu'au théâtre, mieux que dans un roman: des visages et des convoitises.
Rien de cela n'exalte en nous la joie, qui est l'effet de l'architecture, ni la fierté, qui est l'effet
de l'ordre, ni l'esprit d'entreprises qui s'éveille dans les grands espaces.
Mais la pitié et la commisération nous viennent au choc du visage d'autrui, et le "hard
labour" opprime.
La rue a beau porter son drame humain, a beau étinceler sous l'éclat nouveau des lumières,
rire de son affichage bigarré; elle est la rue du piéton millénaire, un résidu des siècles: un
organe inopérant, déchu. La rue nous use.
Elle nous dégoûte en fin de compte ! Car pourquoi subsiste-t-elle encore? »43
Considérant la rue comme un « résidu des siècles » où la « menace de mort règne entre les deux
margelles des trottoirs », Le Corbusier s'est efforcé à créer un nouvel urbanisme basé sur le concept
de la ville fonctionnelle. Ainsi, suite à la charte d'Athènes de 1933, des zones indépendantes pour
chaque fonction apparaissent. La vie, le travail, les loisirs et les infrastructures de transport
deviennent des entités de plus en plus étanches. Cette séparation des fonctions accentue alors
l'enfermement de l'enfant à la maison, à l'école et dans les lieux de loisirs.
Enfin, à partir des années 1960, avec la croissance des revenus des ménages, les familles migrent
hors de la ville, dans le péri-urbain. Le pavillon et son jardin représentent pour les familles l'espace
le plus adapté au développement de leurs enfants. Ce n'est alors plus simplement la rue, mais tout
l'espace urbain qui est identifié à l'insécurité.
43
Le Corbusier, extrait d’un texte pamphlétaire antérieur à Vers une Architecture (1923), cité par Jacques Marillaud,
« Jeu et sécurité dans l’espace public : origines et effets des politiques publiques », Revue L’enfant et la ville,
Architecture & Comportement, vol.7, n°2, 1991, p140.
21
1.1.3 Un changement de paradigme
Au terme de cette histoire, nous pouvons qualifier la relation entre l'enfant et la ville comme étant
un renversement de situation. En effet, jusqu'au XVIe siècle, c'est la société des adultes toute entière
qui éduque l'enfant en l'acceptant au milieu d'elle. L'enfant est un être familier de la rue et il peut
circuler librement dans l'espace urbain. Au contraire, à partir du XVIIe siècle, les pratiques scolaires
visent à séparer l'enfant du monde des adultes pour l'enfermer dans un monde à part afin de mieux
l'éduquer.
Ce renversement entre « l'enfant familier de la rue » et « l'enfant exclu de la rue » peut s'apparenter
à un changement de paradigme. Selon Thomas Kuhn, le paradigme correspond à l'ensemble des
règles admises et partagées par les membres d'une communauté, à un moment donné de l'histoire.
Ainsi, la société n'a pas exclu l'enfant de l'espace urbain du jour au lendemain. C'est l'accumulation
de faits ne correspondant plus au paradigme de départ qui a engendré une crise. Les faits qui ont
conduit à l'exclusion de l'enfant de l'espace urbain sont multiples :
- la volonté des adultes de canaliser et d'éduquer les enfants,
- les théories sur l'éducation qui prônent la séparation entre l'école et la ville,
- les théories hygiénistes qui permettent à l'enfant de rester au sein du logement familial,
- la charte d'Athènes et ses conséquences qui initient la création de zones spécifiques pour
chaque fonction,
- la transformation du paysage urbain, notamment due à l'augmentation du trafic automobile.
Ainsi, ces différents facteurs ont conduit à penser que l'enfant n'avait plus sa place dans la ville.
Aujourd'hui, ce paradigme semble toujours dominer la pensée commune bien que certains faits
montrent la fragilité de celui-ci. En effet, à partir des années 1970, des spécialistes se sont penchés
sur le quotidien des enfants dans la ville. Le bilan de ces travaux a mené à de nouvelles politiques et
à la création de programmes expérimentaux. En analysant ces recherches, nous verrons que la ville
peut avoir une influence positive sur l'enfant et que la présence de l'enfant dans l'espace urbain peut
être enrichissante.
22
1.2 Le milieu urbain : un champ éducatif pour l'enfant
Marie-José Chombart de Lauwe définit le milieu comme « l'ensemble de tous les éléments avec
lesquels l'enfant peut entrer en rapport »44
. Cette notion recouvre à la fois celles de milieu physique
et de milieu social. A travers ses travaux, elle met en évidence les trois milieux de la vie de l'enfant :
la famille, l'école, et le troisième milieu qui est extra-familial et extra-scolaire. Parfois défini
comme « le jeu », « le loisir » ou encore « l'activité libre », ce troisième milieu correspond à
l'espace du dehors.
« Il s'étend d'abord au corps de la mère et au berceau pour le nouveau-né, puis aux
institutions propres à l'enfance, la famille et l'école, enfin à la société globale lorsque
l'enfant qui a grandi s'y trouve plongé directement, par l'intermédiaire de la rue, du quartier
et des moyens de communication de masse »45
.
Dans son ouvrage Enfant en-jeu, M-J.Chombart de Lauwe observe que la vie de l'enfant est
fragmentée entre les trois milieux. En effet, l'étanchéité des milieux scolaires et familiaux rend
difficile la mise en place de liaisons entres ces différents moments de la vie de l'enfant. Bien que
chacun des milieux contribue à sa socialisation, elle montre que « le découpage de la vie de l'enfant
en séquences étanches entretient l'aliénation, est déstructurant et contribue au maintien de la
ségrégation sociale »46
. Aujourd'hui, la vie de l'enfant se déroule encore entre ces milieux étanches.
C'est le constat fait par Jacques Marillaud : « l'espace approprié par l'enfant est circonscrit aux
équipements et aux espaces spécialisés (éducatifs, sportifs, logements) »47. Ainsi, il est intéressant
de découvrir l'accueil qui est réservé aux enfants au delà de ses lieux de l'enfance, dans l'espace
urbain.
A travers son étude, M-J.Chombart de Lauwe compare l'occupation des enfants en fonction du type
d'urbanisme. Elle prend l'exemple d'un tissu urbain ancien comme la rue Saint Paul dans le IV
arrondissement de Paris, et de tissus urbains « nouveaux »48
tels les grands ensembles de La
Villeneuve de Grenoble et de La Grande Borne à Grigny. Elle qualifie ainsi les relations des enfants
avec le milieu urbain. Elle montre, que « le milieu urbain est caractérisé par le faible espace dont
44
Marie-José Chombart de Lauwe, Enfant en jeu, C.N.R.S, Paris, 1976, p.14. 45
Paul-Henry Chombart de Lauwe, « Ethnologie de l'espace humain : De l'espace corporel à l'espace écologique »,
Symposium de l'Ass de psychologie scientifique de langue française. Paris, PUF, 1974, p 233-241. 46
Assemblée générale des Animateurs M.E de la Villeneuve de Grenoble, 1973, extrait de l’ouvrage Enfant-en-jeu. 47
Jacques Marillaud, « Jeu et sécurité dans l’espace public : origines et effets des politiques publiques », Revue
L’enfant et la ville, Architecture & Comportement, vol.7, n°2, 1991, p141. 48
Enfant en-jeu date de 1976. Par conséquent, les grands ensembles correspondent à un « nouveau » type d'urbanisme.
23
dispose chaque enfant » et qu'il « est un spectacle que l'enfant observe et intériorise »49
. Par ailleurs,
elle ajoute que « dans les grandes villes, l'enfant peut de moins en moins se dépenser, se déplacer
avec ses propres moyens de locomotion et se réunir » car ils ne « voient dans le quartier et dans la
rue qu'un faisceau de dangers ou d'interdits ». Selon elle, les grands ensembles ont apporté un
remède à ce manque d'espace mais ils ont déplacés le problème car « l'environnement n'est plus
menaçant, il est désert. L'enfant n'y retrouve ni la richesse du milieu naturel, ni celle du milieu
urbain car les éléments du décor urbain sont uniformes, répétitifs ». Cette différenciation faite entre
la ville et les grands ensembles est d'autant plus importante car elle a une influence sur le milieu
social de l'enfant. C'est ainsi qu'elle critique les grands ensembles qui, selon elle, « n'offrent pas
d'images de la vie professionnelle; les jeunes gens et les vieux en sont absents : cette ségrégation
sociale entraîne un appauvrissement de la représentation de la société, qui apparaît comme
tronquée ». Elle va jusqu'à qualifier les grands ensembles de « ghetto socio-culturel »50
.
1.2.1 La ville comme lieu de stimulation
Pourtant, la ville est un lieu de spectacle et de stimulation pour l'enfant. En effet, avec son décor et
ses acteurs, l'espace urbain doit permettre à l'enfant de jouir de la ville. Selon M-J.Chombart de
Lauwe, « la rue, les vitrines, les murs, les affiches, le trottoir, les poteaux, les bouches de gaz et
d'égout, et les voitures »51
sont des éléments fascinants pour les plus jeunes. Ils constituent un
univers qui permet aux enfants de développer leur imagination. Ainsi, le mobilier urbain devient le
support de jeux d'acrobaties et les passants deviennent le support de jeux d'imitations. Toutes ces
images de la ville forment un réel champ imaginaire pour l'enfant. En détaillant les pratiques des
enfants dans certains grands ensembles, M-J.Chombart de Lauwe montre que ces villes nouvelles
n'offrent que des possibilités restreintes d'information et de stimulation pour les enfants. En effet,
« tout est mécanisé et l'enfant n'a pas le spectacle de la rue, si riche en expériences ». Elle compare
ainsi avec les rues d'autrefois qui étaient « tortueuses et anarchiques », ce qui facilitait les surprises
et les confrontations. Parfois « tenues par une série de commerçants installés de longue date », elles
« permettaient à l'enfant des rencontres et des découvertes que ne permet plus l'organisation des
villes modernes »52
. Enfin, bien que l'espace urbain soit un lieu de stimulations, les enfants ne
peuvent pas toujours en profiter. En effet, des restrictions imposées par les adultes aux enfants
rendent l'impression que toute activité leur est interdite :
49
Op cit., Enfant en jeu, p.20. 50
Ibid., p.21. 51
Ibid., p.20. 52
Ibid., p.20.
24
« Mais voilà, il faut les respecter, ils appartiennent aux adultes qui les surveillent de près, et
les limites de l'interdit sont franchises dès lors que l'on s'en amuse. On peut bien, s'il n'y a
personne, les ignorer et les transgresser, mais pas pour longtemps. Jouer à des jeux
d'enfants, au ballon, à la marelle, aux patins, ou faire du vélo, ce n'est pas très commode et
cela gène les adultes et les voitures et on se fait « engueuler ». Les plus grands évidemment,
peuvent prendre le métro pour aller au bois de Vincennes ou à la piscine l'été, mais il faut
demander de l'argent aux parents. Alors se retrouver dans la rue parce qu'il n'y a pas de
place à la maison, soit trop de monde, soit personne, ce n'est pas toujours très amusant. On
s'y fait évidemment, mais pas tous très bien »53
.
Robert Doisneau, « Caniveau en crue », 193454
53
Op cit., Enfant en jeu, p.251. 54
Source image : http://tout-metz.com/ateliers-enfants-photos-doisneau-malbrouck-2011-
696.php/doisneau_caniveau_en_crue
25
1.2.2 La ville comme lieu d'apprentissage et d'autonomie
Bien que cette surveillance des adultes aille à l'encontre d'un apprentissage autonome de la ville par
l'enfant, elle est parfois nécessaire. En effet, certaines villes n'ont pas pris en compte la catégorie
sociale de l'enfant dans l'aménagement de la ville. Les enfants sont donc entièrement dépendants de
leurs parents, notamment dans leurs déplacements. Cette dépendance vis-à-vis des adultes a été
analysée par Kyriaki Tsoukala. Par le biais d'une étude sur l'action des enfants dans l'espace, elle
distingue deux types d'activités55
: « les activités stratégiques » où l'enfant explore seul l'espace
(autonome), et les « activités passives » où l'enfant est sous le contrôle et la surveillance des adultes
(dépendant). Elle fait également la différence entre les activités qui ont pour but l'espace lui même
(« activités spatiales »), de celles qui utilisent l'espace comme simple cadre matériel de leur
déroulement. L'analyse de son étude effectuée à Thessalonique, montre que l'enfant est sujet de la
relation qu'il développe avec son environnement lorsqu'il « se meut et agit de sa propre initiative,
indépendamment de la volonté des autres individus ». Ainsi, c'est par le biais des activités spatiales
stratégiques que l'enfant entre en contact avec le monde environnant, le saisit et construit sa réalité
subjective. L'auteur évoque donc la nécessité pour la ville de « fonctionner comme champ
d'éducation et non pas seulement comme un espace cadre matériel de la vie de l'enfant »56
.
1.2.3 La ville comme univers de socialisation
On peut mettre en lien le travail de K.Tsoukala avec les travaux de M-J.Chombart de Lauwe qui
conçoit la ville comme un univers de socialisation et non pas comme un simple cadre matériel.
Selon elle, « la socialisation est un ensemble de processus par lesquels l'enfant devient un membre
de sa société autonome et répondant aux attentes d'autrui »57
. Elle précise que la socialisation
« comprend des processus psychologiques, une maturation qui permet à l'enfant de s'ouvrir à autrui,
de percevoir ses messages, de l'imiter, de s'identifier à lui, et en retour de s'exprimer et de se faire
comprendre ». La socialisation est donc bien une relation de réciprocité entre l'enfant et son milieu
social, c'est-à-dire les autres. Dans un article intitulé « La ville, un terrain de jeu pour l'enfant »58
,
Kaj Noschis, psychologue, explique que la ville permet de se confronter à l'autre et donc d'avoir une
réflexion sur soi-même. En se mesurant aux autres, l'enfant montre sa différence, sa spécificité et sa
pluralité. Il peut ainsi définir sa propre identité vis-à-vis de l'autre. Il rejoint ainsi les théories de
55
Kyriaki Tsoukala, L’image de la ville chez l’enfant, Anthropos, Paris, 2001, p.60. 56
Ibid., p.96. 57
Op cit., Enfant en jeu, p.37. 58
Kaj Noschis, « La ville, un terrain de jeu pour l'enfant », Revue L'enfant et ses espaces, Enfances et Psy, n°33, 2006.
26
Jean Piaget sur le développement des relations spatiales chez l'enfant. En effet, la ville est le lieu de
la cohabitation des populations, du vivre ensemble. Selon Jean Piaget, le fait de prendre conscience
de l'existence de l'autre permet de se construire soi même. C'est ce qu'il nomme la différenciation59
.
« La première notion spatiale de l'enfant naît de l'alternance de contact et de la séparation
avec le corps de la mère, rapport topologique fondamental d'où découleront les autres :
c'est essentiellement la dialectique du dedans et du dehors qui caractérisera la
différenciation entre « le moi » et « l'objet » (Moi – intérieur – dedans – chaud / objet –
extérieur – dehors -froid). La structure stable de l'espace restera celle d'un « intérieur » où
loge le moi, séparé par une frontière, une « peau » de l'extérieur où résident le monde et
« l'autre ». Par cet « intérieur » le langage courant exprime clairement la maison que
l'homme a construite et qui le sécurise »60
.
59
Jean Piaget et Barbel Inhelder, Représentation de l'espace chez l'enfant, Presses universitaires de France, Paris, 1977. 60
Opcit., Enfant en jeu, p.17.
27
2. L'enfant : un acteur urbain ?
2.1 La notion d'acteur urbain
Nous avons vu dans la partie précédente que la ville pouvait fonctionner comme un champ éducatif
pour l'enfant, notamment en étant un univers de socialisation. Cependant, selon Kaj Noschis, « on
assiste à une ségrégation de plus en plus importante des groupes d’usagers et des espaces publics
eux-mêmes »61
. En effet, il dénonce l'attitude qui consiste à créer des zones protégées des voitures
ou éloignées des activités de la ville pour que les enfants puissent « s’ébattre en liberté ». Cette
ségrégation des différents groupes d’usagers dans les espaces urbains tue le sens même de la ville
car les rencontres y sont de moins en moins fréquentes. Il affirme que l'enfant doit pouvoir
« circuler librement, au milieu de tous, observer, imiter, jouer, courir, aider, rire et aussi se faire
réprimander, punir, renvoyer mais en affirmant, par-là même, son rôle d’acteur urbain »62
. A travers
ces quelques mots, il montre que la présence de l’enfant est importante, non seulement pour l’enfant
lui-même, mais également pour l’adulte ou, autrement dit, pour l’enfant intérieur. En effet, il faut
« que l’adulte n’oublie pas que si l’enfant ne vit pas en lui, alors, il risque de perdre la spontanéité,
la curiosité, le rire et la légèreté »63
.
La notion évoquée par Kaj Noschis - acteur urbain - est au cœur de ma réflexion car elle suppose
que l'enfant n'est pas passif mais joue un rôle dans la ville. Elle est à mettre en relation avec l'article
de Michel Bassant intitulé « L'enfant et la dynamique urbaine : approche sociologique »64
qui
évoque la notion d'acteur métropolitain. Selon lui, un acteur se définit par trois paramètres : sa
position dans la structuration sociale, une identité et un ou plusieurs projets. Par ailleurs, il distingue
différents acteurs métropolitains :
- « les acteurs économiques : ils sont extrêmement puissants. Leurs décisions structurent très
largement la dynamique urbaine. Ce sont les entreprises, les propriétaires fonciers et immobiliers,
ainsi que les multiples organismes qui les représentent.
- les politiques : d'abord ceux qui agissent au niveau des collectivités urbaines, mais aussi ceux qui
interviennent dans des organismes régionaux et nationaux, car leurs décisions ont quasiment
toujours des retombées sur l'urbain.
61
Kaj Noschis, « La ville, un terrain de jeu pour l'enfant », Revue L'enfant et ses espaces, Enfances et Psy, n°33, 2006,
p.37. 62
Ibid., p.41. 63
Ibid., p.42. 64
Michel Bassant, « L'enfant et la dynamique urbaine : approche sociologique », Revue L’enfant et la ville, Architecture
& Comportement, vol.11, n°1, 1995, p.43-54.
28
- les professionnels de l'espace : les architectes, urbanistes et ingénieurs en premier lieu, mais aussi
tous les professionnels qui gravitent autour d'eux, en amont ou en aval de leurs actions.
- les habitants : c'est à dire les individus et les groupes qui s'approprient, d'une manière ou d'une
autre, leur espace résidentiel et leurs environs plus ou moins immédiats. »65
La structuration urbaine et ses acteurs66
Les enfants, qui appartiennent à la catégorie des habitants et des usagers, sont-ils néanmoins des
acteurs? C'est la question que pose Michel Bassant qui s'interroge sur la manière dont il est possible
de mener des politiques urbaines considérant l'enfant comme un acteur et non comme un pion
docile. Il montre que l'enfant tend à s'émanciper de la structuration sociale en devenant acteur de sa
propre socialisation. Il ajoute que l'espace urbain représente un instrument de socialisation, que
l'enfant explore plus ou moins systématiquement et qu'il cherche à s'approprier. En effet, il
recherche des espaces disponibles, modifiables selon ses activités et personnalisables. Ces
transformations de l'espace et détournements de l'usage prévu des lieux correspondent à la notion
d'appropriation.
65
Ibid., p.48. 66
Source image : Michel Bassant, « L'enfant et la dynamique urbaine : approche sociologique », Revue L’enfant et la
ville, Architecture & Comportement, vol.11, n°1, 1995, p.50.
29
2.1.1 L'appropriation : un moyen d'être acteur de la transformation de l'espace
A travers son étude sur les occupations des enfants durant leur temps libre, Marie-José Chombart de
Lauwe montre que « l’enfant découvre son propre milieu dans une interaction constante, en le
transformant autant qu’il se laisse former, ce que l’on peut nommer l’appropriation »67
. La
définition qu'elle donne de l'appropriation est à mettre en lien avec la notion d'adaptation évoquée
par Jean Piaget. Selon lui, l'enfant s'adapte à son environnement grâce à l'équilibre entre deux
processus : l'assimilation et l'accommodation. L'assimilation correspond à l'incorporation du monde
extérieur dans les schémas déjà construits tandis que l'accommodation représente le réajustement
des schémas existants au monde extérieur. Il y a donc des échanges qui s'opèrent entre le corps et
son milieu dans la double action du sujet sur l'objet (assimilation) et de l'objet sur le sujet
(accommodation).
Par ailleurs, Marie-José Chombart de Lauwe affirme que « s'approprier un lieu n'est pas seulement
en avoir l'usage reconnu, c'est établir une relation avec lui, l'intégrer dans son vécu, pouvoir y
marquer son empreinte et devenir acteur de sa transformation »68
. Elle montre ainsi que le fait
d’agir sur son milieu « est une façon de s'affirmer comme sujet, de se voir reconnaître comme
existant socialement aux yeux d'autrui et à ses propres yeux, et d'exprimer ses possibilités de
créations »69
.
2.1.2 Le statut de l'enfant dans la ville
Bien que la ville soit un lieu de stimulation, elle est plus généralement perçue par les enfants
comme un lieu limité et marqué par des interdits. En effet, la ville n’est pas repérée comme un
espace à investir librement, car l’adulte y crée une surveillance continue. Cette surveillance, parfois
évoquée comme garant de la sécurité des plus jeunes, permet à l’adulte d’entretenir un rapport de
dominance vis-à-vis de l’enfant. Marie-José Chombart de Lauwe montre que lorsque l’enfant « se
heurte à de nombreux interdits, quand on ne lui offre pour ses activités que des espaces désignés à
sa catégorie d'âge et peu stimulants, il peut n'être qu'un usager passif ou être amené à transgresser
les interdits, à détourner des lieux de l'usage qui en était prévu initialement par les
67
Marie-José Chombart de Lauwe, Enfant en jeu, C.N.R.S, Paris, 1976, p.337. 68
Marie-José Chombart de Lauwe, « L’enfant dans la ville : oublié, enjeu ou messager ? », Revue C.C.I : La ville et
l’enfant, 1977, p.70. 69
Marie-José Chombart de Lauwe, « La relation enfant - espace construit. Rapport de synthèse », Revue Enfance. Tome
33 n°4, 1980, p.167.
30
planificateurs »70
. Ces interdits que les adultes mettent en place sont donc un moyen de rendre
l'enfant passif. Ainsi, « lorsque l'adulte programme le réseau social de l'enfant, il participe du refus
de la société des adultes de reconnaître l'enfant et les adolescents, c'est-à-dire les non-productifs,
comme partenaires sociaux ». Agissant ainsi, l'adulte entretient un rapport de dominance vis-à-vis
de l'enfant, comme pour se satisfaire de sa supériorité : il le nie comme sujet social.
Cette domination des adultes sur l'enfant participe d'un état d'esprit commun. En effet, « les adultes
ne sauraient concevoir que l'aspiration de l'enfant puisse ne pas correspondre à l'image qu'ils s'en
sont faite, surtout pas que son principal désir soit d'échapper, ne serait ce que momentanément à
leur monde pour en créer un sien propre »71
. Dès que l'enfant accède à des comportements autres
qu'infantiles ou soumis, il apparaît comme irrespectueux, déviant à ces adultes. Ces comportements
déviants liés aux interdits sont évoqués dans l'article « Redonner sa place à l'enfant dans la ville »
publié dans Le Moniteur : « Dans les espaces publics, où les enfants pourraient jouer, les pelouses
sont bien souvent interdites, les fontaines grillagées et il est mal vu de détourner le mobilier urbain
de son objet initial en jouant sur les bancs »72
. La création d'aires de jeux a tenté de résoudre ces
problèmes de transgression de l'interdit. Dans ces lieux, « l'enfant s'y trouve comme dans une
réserve protégée, hors de la promiscuité et de l'échange »73
, le but étant de canaliser l'enfant en le
séparant de la vie urbaine. Cette ségrégation d'un type d'usager n'est pourtant pas en adéquation
avec le principe urbain du « vivre ensemble ». On peut alors se demander quel statut possède
l'enfant dans la ville?
A travers son article « L’enfant dans la ville : oublié, enjeu ou messager ? », Marie-José Chombart
de Lauwe a ouvert la réflexion sur le place de l'enfant dans la ville. Elle montre que « la ville n'a pas
pris en considération les besoins et les « passions » des enfants dans leur multiplicité, ni la
perspective de son intégration dans la ville et de sa participation à la vie urbaine »74
. Ainsi, elle
constate que l'enfant a été oublié dans l'aménagement de la ville car il appartient à la catégorie non
productive. Par ailleurs, elle montre que dans de nombreuses villes, l'enfant est ségrégué. La
formation des enfants dans des environnements les excluant est, selon elle, l'une des causes de « la
passivité des habitants à l'égard de leur environnement et de la pauvreté des réalisations en
urbanisme »75
. En effet, elle affirme que le fait de ne laisser aucune possibilité d'agir sur leur milieu
a sclérosé les capacités de création des enfants, et donc des futurs adultes. Ainsi, elle montre que
70
Op cit., « La relation enfant - espace construit. Rapport de synthèse », p.167. 71
Ibid., p.168. 72
Nathalie Coulaud, « Redonner sa place à l'enfant dans la ville », Le Moniteur n°5195, Juin 2003, p.78. 73
Ibid., p.78. 74
Op cit., « L’enfant dans la ville : oublié, enjeu ou messager ? », p.70. 75
Ibid., p.65.
31
« prendre en compte la catégorie sociale « enfant » ne consiste pas seulement à introduire quelques
équipements, quelques mesures ponctuelles, mais obligerait à une profonde réorganisation
sociale »76
. Elle s'oppose donc à l'idée que la création d'aires de jeux soit la réponse à ce problème.
Elle montre en effet que pour que les enfants puissent s'intégrer comme des membres à part entière
de leur société, tout en respectant leur spécificité, il faut qu'il y ait la création d'un nouveau
consensus. Pour cela, une profonde modification des rapports sociaux entre les catégories d'âge est
nécessaire. Les adultes ne doivent plus être dans un rapport de dominance vis-à-vis des enfants mais
doivent intégrer ce dernier dans l'espace urbain.
A travers son ouvrage Enfant en jeu, Marie-José Chombart de Lauwe présente des expériences
menées par certaines villes dans le but de considérer l'enfant comme membre de la société. Ainsi,
dans le quartier de la Villeneuve à Grenoble, le concept d'éducation permanente a été mis en place
au début des années 1970 pour favoriser l'intégration de l'enfant à la vie urbaine. Dans cette
perspective, l'éducation permanente est proposée comme « moteur principal de la transformation
sociale à opérer »77
. Elle définit le portrait de l'individu à atteindre dans le cadre d'une société
nouvelle et à travers une image de l'enfant qui est alors considéré comme :
- un être responsable : responsabilité de l'enfant face à l'éducation,
- un être sociable : par l'apprentissage d'une vie en groupe,
- un être à l'esprit critique et créatif : stimuler la participation de l'enfant.
Le concept d'éducation permanente visait à réduire les obstacles considérés comme majeurs à la
socialisation des enfants : le cloisonnement et la ségrégation sociale. En effet, le cloisonnement, ou
la fragmentation de la vie de l'enfant en trois secteurs sociaux séparés (famille – école – loisirs),
était présenté comme une des origines de l'aliénation individuelle. La volonté d'établir des liens
entre les moments de la vie de l'enfant a permis de créer un nouveau mode d'éducation : l'école
ouverte. Celle-ci répondait à l'objectif d'éducation permanente et de décloisonnement en traduisant
sur le plan architectural et pédagogique les principes d'intégration et d'ouverture.
76
Ibid., p.65. 77
Op cit., Enfant en jeu, p.113.
32
L'enfant est un acteur urbain par la transformation de l'espace78
En outre, dans ce projet d'école ouverte, une initiative a favorisé l'intégration de l'enfant dans
l'espace urbain. En effet, un architecte a mis à disposition des enfants du quartier de la Villeneuve
une butte qui entourait la maison de l'enfance. Des groupes d'enfants ont alors élaborés des plans
d'aménagement de cet espace offert. Ainsi, les enfants ont pu être acteur de leur relation avec
l'environnement en façonnant les buttes à leurs convenances. Par le biais de ces expérimentations,
un changement de vision a émergé de la part des adultes sur l'enfant. Cela a permis d'aller dans le
sens d'une évolution de l'esprit commun sur la catégorie sociale des enfants en favorisant
l'intégration et la participation de l'enfant à la vie urbaine.
78
Source image : Marie-José Chombart de Lauwe, Enfant en jeu, C.N.R.S, Paris, 1976, p.147.
33
2.1.3 L'enfant : citadin – citoyen
« Il faut repenser la ville en fonction des enfants, avec une vision à un mètre dix de hauteur »79
.
Voici la phrase que Walter Veltroni, ancien maire de Rome, a déclaré lors d'une communication à la
Commission européenne. Il voulait ainsi alerter l'opinion publique sur le fait que la ville a été
conçue à l'échelle de l'adulte et non à celle de l'enfant. Dans un article intitulé « L'enfant, la ville,
quel quotidien? », Annie Coulomb, animatrice culturelle, montre que « changer d'échelle, c'est faire
des aménagements qui prennent l'enfant comme un utilisateur, c'est mettre l'environnement à la
portée des enfants »80
. Ainsi, dans l'optique d'aider l'enfant à passer d'une citoyenneté de fait, c'est-
à-dire passive à une citoyenneté consciente et critique, elle a participé à plusieurs expérimentations
dans la ville de Caen. L'objectif était de prendre en considération l'existence de l'enfant dans le
quotidien en ville et d'améliorer sa qualité de vie. Pour favoriser son autonomie, elle a donc
impliqué une série de commerces situés le long du trajet du bus qui reliait les quartiers
périphériques au centre ville pour qu’ils fixent un autocollant sur leur devanture. Cet autocollant,
connu par les enfants et leurs parents, signalait que, dans cette boutique, l’enfant pouvait, en toutes
circonstances, téléphoner ou trouver de l’aide. Ainsi, le trajet de bus devenait accessible aux plus
jeunes car leurs parents étaient rassurés.
Cette expérience est pour Kaj Noschis une forme de coveillance, c'est-à-dire la possibilité de faire à
plusieurs ce que l'on ne peut pas faire seul. En effet, de par la participation des citoyens qui exercent
une surveillance collective, l'enfant peut alors se sentir en sécurité dans ses déplacements. Cette
coveillance peut ainsi recouvrir de multiples actions mettant en jeu conjointement les enfants, les
familles et les habitants, dans une logique de lien social et de citoyenneté. Kaj Noschis expose ainsi
les conditions nécessaires à la mise en place de la coveillance et ses limites :
« Il est important que les voisins ou d’autres habitants du quartier aient la possibilité de
signaler les excès des enfants ou les dangers qu’ils encourent. Le ton de tels échanges ne
sera pas toujours aimable, mais s’il y a coveillance, le ton ne montera pas trop, car celui
qui gronde sait qu’il est sujet au même regard de la part des autres voisins. Ce thème de la
coveillance renvoie également à la dimension et à la vie du quartier. À un moment donné, la
situation ne le permet plus : ce sera le cas si l’aménagement du quartier ou les conditions
de vie de l’enfant rendent les occasions de rencontre inexistantes, ou s’il n’y a aucune
79
Nathalie Coulaud, « Redonner sa place à l'enfant dans la ville », Le Moniteur n°5195, Juin 2003, p.80. 80
Annie Coulomb, « L'enfant, la ville, quel quotidien? », Revue L’enfant et la ville, Architecture & Comportement,
vol.11, n°1, 1995, p.77.
34
communication entre les voisins. »81
Kaj Noschis montre bien l'importance pour l'enfant d'avoir un environnement accessible dans lequel
il peut circuler librement et ainsi rencontrer la vie quotidienne des adultes. La coveillance est donc
un moyen de faire prendre conscience aux habitants que les enfants sont les citoyens d'une même
ville et qu'ils participent à son animation.
C'est également pour faire passer l'enfant d'un statut de citadin à celui de citoyen que le Conseil
d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement (CAUE) met en place des ateliers de
sensibilisation à l'architecture et à la ville. Il oeuvre ainsi pour l'intégration de l'enfant dans l'espace
urbain afin qu'il devienne un citoyen actif.
81
Kaj Noschis, « La ville, un terrain de jeu pour l'enfant », Revue L'enfant et ses espaces, Enfances et Psy, n°33, 2006,
p.38.
35
2.2 Le CAUE du Nord : un organisme qui accompagne l'enfant à devenir acteur
urbain
Le CAUE (Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement) est une association inscrite
dans la loi du 3 janvier 1977 qui présente l’architecture comme « une expression de la culture ».
Appelée aussi loi sur l'architecture, elle indique que « la création architecturale, la qualité des
constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages
naturels ou urbains ainsi que le patrimoine sont d’intérêt public »82
.
Le CAUE du Nord83
a été créé à l’initiative du Conseil Général du Département du Nord pour
assurer les missions de service public au profit de la qualité architecturale, urbaine, paysagère et
environnementale. Lors du « Forum des métiers » organisé au sein de l'ENSAPL le 10 Avril 2013,
Béatrice Auxent, architecte urbaniste, a présenté les différentes missions du CAUE du Nord :
- conseiller les collectivités dans leur démarche de projet,
- conseiller les particuliers en proposant une assistance architecturale,
- former et perfectionner les élus et les professionnels de la maîtrise d'ouvrage,
- sensibiliser le public à la qualité architecturale, à la qualité urbaine, et à la préservation de
l’environnement en développant la culture et la pédagogie en matière d’architecture et
d’urbanisme.
Cette sensibilisation du public à l'architecture est un point important car c'est à partir de cette notion
que mon mémoire s'est développé. En effet, au début de ma recherche, j'ai contacté le CAUE pour
comprendre le développement d'un atelier de sensibilisation. Je voulais savoir qui faisait appel au
CAUE et quelles étaient les conséquences de ces ateliers sur la pensée de l'enfant. Béatrice Auxent
et Aurélie Top, architectes, m'ont ainsi présenté différents projets organisés par le CAUE du Nord,
dont certains seront développés par la suite. Je me suis alors rendu compte que la plupart des
ateliers de sensibilisation étaient une manière de faire participer l'enfant à une activité plutôt que de
créer une réelle réflexion sur des projets en cours de construction. Ils donnent à l'enfant
l'opportunité de prendre conscience de son environnement et ainsi d'avoir une vision plus globale de
la ville. Comme les ateliers se déroulent sur une année scolaire, cette démarche s'inscrit
essentiellement dans un processus d'éducation. Cependant, comme l'explique Béatrice Auxent,
82
Article 1 de la loi sur l'architecture n°77-2 du 3 janvier 1977, site internet consulté le 22/04/2013,
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000522423. 83
Site internet, http://www.caue-nord.com/.
36
« l'investissement éducatif doit être considéré sur le long terme »84
. En effet, si l'on souhaite donner
aux enfants et aux jeunes, les adultes de demain, les bases d'une future citoyenneté active, il faut au
préalable que les adultes d'aujourd'hui participent à un changement d'attitude. Il faudrait « prendre
en compte dès l'origine le lien jeunes-adultes dans une relation d'apport réciproque où le cadre de
vie est un extraordinaire terrain d'expérimentation d'une méthode basée sur la rencontre de
nombreux utilisateurs »85
. Plusieurs années de travail avec des jeunes dans un cadre scolaire,
plusieurs années de travail avec les enseignants dans un cadre formatif, et quelques années de
travail auprès d'adultes dans un cadre participatif, ont ainsi amené le CAUE du Nord à considérer
les démarches d'éducation et de participation comme étroitement liées et complémentaires.
2.2.1 Le processus d'éducation – participation
Durant le Forum du 28 Juin 2012 organisé par la Fédération Nationale des CAUE, Béatrice Auxent
a présenté le processus d'éducation-participation qui aborde le thème de la réflexion des enfants sur
l'espace public. Selon le CAUE du Nord, chez les enfants et « chez les jeunes, plus que tout autre
public, l'éducation et la participation sont deux notions complémentaires »86
. D'un côté, l'éducation,
définie comme l'initiation à un domaine particulier de connaissances, travaille sur les mentalités.
Son objectif étant à long terme, il nécessite d'être analysé sur plusieurs années. De l'autre, la
participation, c'est-à-dire l'action d'avoir part, s'intègre dans une démarche de projet qui a pour
objectif la production. À la croisée des deux notions, il y a « l'enjeu de la construction de la parole
d'usagers par la représentation de l'espace vécu, de l'espace à vivre et de l'espace à partager »87
.
Pour que le processus éducation-participation fonctionne comme un cercle vertueux, c'est-à-dire un
processus positif et enrichissant, il faut que chacune des démarches intègre l'existence de l'autre.
Ainsi, « la démarche éducative doit proposer des méthodes participatives pour l'acquisition de
savoir, de savoir-faire et de savoir-être. De la même manière, la démarche participative doit être
susceptible de porter en elle des valeurs éducatives comme la citoyenneté, le respect et
l'engagement »88
.
84
Béatrice Auxent, « Intervenir auprès des jeunes », Forum aux compétences et aux ressources, FNCAUE, 28 Juin
2012, p.1. 85
Op cit., « Intervenir auprès des jeunes », p.1. 86
Ibid., p.3. 87
Ibid., p.3. 88
Ibid., p.3.
37
Ces démarches peuvent s'appliquer dans le cadre scolaire, mais aussi en dehors de l'école par le
biais d'associations, de centres sociaux ou d'animations. En fonction de l'âge des enfants, des
échelles différentes peuvent être abordées (l'école, le quartier, la ville). L'importance réside dans la
continuité du processus et dans l'alternance d'apport spécifique extérieur et d'expression personnelle
structurée. « C'est l'alternance des deux démarches, éducative et participative, qui constitue
progressivement un processus positif de citoyenneté active autour du cadre de vie »89
.
La mise en place du processus d'éducation-participation
Ce processus d'éducation-participation peut être illustré par l'atelier « imaginons notre village »
proposé par le CAUE du Nord. L'objectif de cet atelier est de réfléchir sur le lien entre un idéal de
vie et la forme spatiale du village, d'un quartier ou d'une ville. Il fonctionne comme un outil de
concertation, en amont d'un projet. Cet atelier a été expérimenté dans le cadre d'un futur Projet de
Rénovation Urbaine (PRU) à Crespin-Quiévrechain (59) en 2003. En effet, Alain Maire, chef de
projet politique de la ville, a proposé une collaboration avec le CAUE dans le but de sensibiliser le
jeune public aux évolutions du quartier du Blanc Misseron, après avoir mis en place une méthode
de concertation et de participation avec les habitants. Le processus positif d'éducation-participation
a donc été proposé dans plusieurs écoles et à plusieurs niveaux (de la maternelle jusqu'au collège).
Le but de cette action n'étant pas de déconnecter le projet de rénovation des attentes et du vécu des
enfants, l'objectif a été de faire prendre conscience aux enfants que leur quartier allait évoluer. Le
projet s'est alors déroulé en plusieurs étapes.
Dans un premier temps, trois demi-journées de formations communes ont été organisées pour les
enseignants et animateurs de centre de loisir afin d'élaborer une culture commune. La première
demi-journée était axée sur une approche sensible du territoire à travers une relecture du quartier du
Blanc Misseron. La deuxième demi-journée a été marquée par l'intervention de l'architecte en
charge du projet, Ludovic Durieux, mais aussi par la présentation de plans et de récits historiques de
Quiévrechain par des historiens publics. Par le biais de Béatrice Auxent, le CAUE a proposé un
exposé sur l'urbanisme et l'architecture moderne dans le but d'aider à comprendre le paysage urbain
actuel. Enfin, la troisième demi-journée avait pour but de dégager les grandes lignes directrices des
études lancées et de mettre en lien les projets pédagogiques avec l'intervention du CAUE dans les
classes.
89
Op cit., « Intervenir auprès des jeunes », p.4.
38
Song Dong, « Eating the city », 200690
La maquette évolutive de Crespin-Quiévrechain en
biscuits : les enfants pouvaient construire un bâtiment de
leur choix ou en détruire un et le reconstruire91
.
Dans un second temps, l'idée de monter une exposition est rapidement venue. La production des
différentes classes serait alors regroupée dans l'exposition intitulée « Le futur quartier du Blanc
Misseron vu par les enfants ». Cette exposition allait contenir une spécificité car les enfants ne
seraient pas simple créateur des œuvres exposées, ils allaient aussi être acteur de cette exposition.
En effet, Béatrice Auxent avait présenté le travail de Song Dong, artiste chinois qui a créé une
maquette de la ville de Shanghai entièrement constituée de biscuits. En s'inspirant de cette
référence, les enfants de Crespin-Quiévrechain ont donc créé leur propre ville en biscuit à l'aide du
pâtissier de la ville.
L'idée sous jacente était de montrer que la ville n'est pas figée, qu'elle est en perpétuelle évolution et
que les destructions-reconstructions de la ville font partie de son processus. La maquette en caramel
et en biscuit a donc été construite sur la base du plan viaire de la ville pour que les enfants
expriment leurs désirs. Ils pouvaient ainsi construire, démolir ou déplacer n'importe quel bâtiment
90
Source image : http://www.aarhuskunstbygning.dk 91
Source image : CAUE du Nord.
39
de la maquette. Celle-ci s'est avérée être un excellent support afin de sensibiliser les enfants au futur
projet ANRU (Agence Nationale de Rénovation Urbaine). En parallèle, une abondante production
graphique composée de dessins et de maquettes a été créé sur le thème de la ville. L'une des
maquettes présentait la ville de Crespin-Quiévrechain dans 10 ou 100 ans. Cette manière de se
projeter vers l'avenir est une preuve que le projet fut un succès car les enfants ont montré leur
intérêt et leur curiosité à l'égard de l'évolution de leur cadre de vie.
Maquette de la ville de Crespin-Quiévrechain dans 100 ans. Elle illustre l’imaginaire foisonnant de l’enfant92
.
2.2.2 Les carnets d'exploration locale : la découverte de l'environnement proche
Dans le cadre de mes recherches, je fus invité par Béatrice Auxent à participer au stage académique
« Habitants et Projets Urbains » qui s'est déroulé le 8 et 9 Avril 2013. Ce stage permet de faire
connaître aux enseignants de la région, le rôle et les interventions possibles du CAUE du Nord et du
Pas de Calais. A travers cette formation, j'ai découvert le principe des carnets qui sont un format de
diffusion. Ces carnets regroupent différentes données qui peuvent être exploitées par les enseignants
92
Source image : CAUE du Nord.
40
pour mettre en place des ateliers de sensibilisation. Ces données sont regroupées via le site S-Pass
Territoires93
. Cette plateforme numérique collaborative permet de partager des informations sur la
connaissance du territoire. C'est une interface entre les enseignants et une base de données
(utilisation du Système d'Information Géographique - SIG). Elle est un support pour observer et
comprendre les territoires. Ainsi, via S-Pass Territoires, les utilisateurs peuvent partager leurs bases
de données, collaborer sur un même projet et coproduire des cartes et documents.
Les carnets d'exploration locale correspondent à un travail de découverte de l'environnement
proche. Ils permettent de mettre en valeur et de capitaliser toutes les observations et sorties
effectuées par un établissement scolaire. Cet environnement proche est délimité par un périmètre
de curiosité, défini par un rayon de 500 mètres autour de l'établissement scolaire. A travers cette
démarche, le CAUE pose la question suivante : comment les élèves d'un collège ou d'un lycée
peuvent s'approprier l'environnement proche pour devenir acteur de ce quartier ?
2.2.3 La parole de l'enfant : écoutée, prise en compte ou détournée?
A travers les ateliers de sensibilisation proposés par le CAUE du Nord, l'enfant peut
progressivement devenir acteur de son environnement. Cependant, il faut prendre des précautions
lorsque des ateliers de sensibilisation ou de concertation sont mis en place. En effet, la concertation
peut parfois être assimilée à de la démagogie. C'est le cas lorsqu'un projet de participation avec les
habitants ne profite pas de la richesse de l'échange proposé. A la place d'une participation réelle, il y
a alors apparition d'une participation restreinte et orientée. Ainsi, la parole de l'enfant, que l'on peut
qualifier de « parole du sans voix »94
, est à considérer comme fragile et nécessite une attention
d'écoute particulière.
D'une manière générale, les enfants sont prêts à donner leur avis aussi bien sur les sujets qui les
concernent directement comme la cour d'école, les abords du collège, les aires de jeux, que sur la
ville dans son ensemble. Selon Béatrice Auxent, l'intérêt que les enfants et les jeunes portent sur
leur cadre de vie dépend de l'attitude des adultes. En effet, elle montre que « les jeunes ont pu
apprécier le résultat et la démarche à partir du moment où ils ont été "pris au sérieux" par les
93
Site internet, http://www.s-pass.org/. 94
Je rappelle que le terme « enfant » vient du latin « infans » qui signifie « celui qui ne parle pas ».
41
adultes »95
. Cela signifie que si les adultes rendent les jeunes responsables, ceux-ci prendront le
projet au sérieux et apprendront bien plus que le simple fait de réagir à un projet conçu pour eux
mais sans leur participation. En outre, on pourrait penser que le point de vue des enfants ne coïncide
pas avec la réalité complexe de notre environnement. Il est vrai que les aspirations des enfants
possèdent généralement un fort caractère utopique. Toutefois, le regard critique et l'imagination qui
les caractérise est nécessaire dans notre société car ils permettent de garder à l'esprit la création qui
fait parfois défaut chez les adultes. Leur regard est donc important dans l'analyse de l'existant mais
aussi dans les projets à venir.
Par ailleurs, l'âge adéquat des enfants pour aborder un projet est à mettre en relation avec les sujets
traités. Le thème de la cour d'école sera accessible dès l'école maternelle alors que les thèmes à une
échelle plus large, comme les déplacements dans la ville, ne le seront qu'à partir d'une dizaine
d'années. Comme l'explique Béatrice Auxent, ce n'est pas l'âge qui compte pour aborder un sujet
mais bien la formation progressive de l'enfant qui lui permettra de comprendre des échelles de plus
en plus larges :
« L'important finalement est peut-être moins l'âge que la capacité progressive à aborder des
sujets de plus en plus complexes. Pour caricaturer, on pourrait dire que pour passer "du
pied d'immeuble à l'aménagement du territoire", l'important c'est une progression dans la
capacité à intégrer des échelles différentes, des complexités croissantes. Beaucoup d'adultes
qui n'ont jamais eu l'occasion de donner leur avis sur ces sujets seront, dans un premier
temps, aussi démunis que les enfants. La faculté de participer n'est pas une question d'âge,
mais d'habitude à le faire »96
.
Ainsi, l'investissement des ateliers de sensibilisation ne peut être considéré comme efficace que sur
le long terme. Plus la sensibilisation à l'environnement sera mise en place tôt, plus les enfants
pourront porter un jugement pertinent sur les projets proposés par les adultes. Ils pourront ensuite
être intégrés à des projets de concertation et seront réceptifs à certaines formes de participation lors
de leur âge adulte afin de devenir acteur de leur territoire.
95
Béatrice Auxent, « Intervenir auprès des jeunes », Forum aux compétences et aux ressources, FNCAUE, 28 Juin
2012, p.3. 96
Op cit., « Intervenir auprès des jeunes », p.2.
42
3. La sensibilisation des enfants à l'environnement urbain
3.1 La Géographie subjective : une représentation sensible et collective du territoire
Nous avons vu que le CAUE permet de faire découvrir aux enfants l'environnement dans lequel ils
habitent et de les préparer, par le biais d'ateliers, aux évolutions de la ville. Dans le cadre de mes
recherches, il m'a paru intéressant d'étudier en détails certains projets qui font participer l'enfant à
une réflexion sur l'environnement urbain. Ainsi, le premier projet étudié est celui qui m'a été
présenté par Béatrice Auxent lors d'une visite au CAUE du Nord. A première vue, c'est une carte
IGN97
. Pourtant, elle n'a pas d'échelle. Cette carte est en fait le travail réalisé à Vieux-Condé par
Catherine Jourdan, psychologue et plasticienne. Intitulée « Vieux-Condé : la ville vue par ses
habitants »98
, la carte est une représentation collective du territoire. Elle n'a pas été créée par un
géographe mais par les habitants de la ville qui ont amené leurs idées, leurs souvenirs et leurs
sensibilités afin de l'enrichir. Ainsi, cette carte est une carte subjective, c'est-à-dire « une géographie
sensible, parfaitement inexacte, buissonnière et collective »99
.
Le travail mené à Vieux-Condé s'est déroulé avec la collaboration d'enfants et d'adultes. Dans
d'autres villes, Catherine Jourdan a mené des projets exclusivement avec des enfants d'un quartier,
d'une école ou d'un centre de loisirs. Ainsi, la notion de géographie subjective réunit, sous un même
nom et un même questionnement, divers projets de cartes subjectives réalisées en collaboration avec
des habitants, notamment des enfants.
Selon Kyriaki Tsoukala, le fait pour un enfant de représenter son territoire sur une carte peut être
considéré comme une forme d'appropriation. En effet, dans son livre L'image de la ville chez
l'enfant, elle montre que « la représentation du macro-environnement permet de faciliter la
localisation et le déplacement au sein des grands environnements physiques, et de constituer un
cadre général pour comprendre et pour s'approprier cet environnement »100
. Ainsi, avant d'analyser
les projets de cartes subjectives, il me semble important d'observer les différentes représentations de
cartes chez l'enfant. On distingue deux types fondamentaux de représentations des environnements
à grande échelle :
97
Je vous invite à découvrir la carte du Vieux-Condé qui est joint en annexe. 98
Catherine Jourdan, Géographie subjective - Vieux-Condé : la ville vue par ses habitants, carte, 65x90cm, 2012. 99
Catherine Jourdan, Site internet de la Géographie subjective, http://www.geographiesubjective.org. 100
Kyriaki Tsoukala, L’image de la ville chez l’enfant, Anthropos, Paris, 2001, p.43.
43
- les cartes de trajet : elles correspondent aux « représentations que l'on construit en retraçant
mentalement le chemin suivi dans une région donnée »101
. Ce type de carte est à mettre en
relation avec le point de vue de Jean Piaget qui conçoit les actions intériorisées sous la
forme de trajets connus.
- les cartes d'ensemble : elles sont des « représentations de la configuration ou du schéma
général de l'emplacement relatif des objets situés en un endroit »102
. Jean Piaget décrit ce
type de carte comme une représentation topographique se référant à un système de
coordonnées.
Diagrammes représentant les niveaux de structuration de l'espace103
.
Donald Appleyard différencie les cartes de type « séquentiel », c’est-à-dire où
les rues et les rivières servent de principe d'organisation », et les cartes conçues de
façon « surfacique », c’est-à-dire organisées d’après les édifices et les quartiers »104
.
101
Op cit., L’image de la ville chez l’enfant, p.44. 102
Ibid., p.44. 103
Source image : Kyriaki Tsoukala, L’image de la ville chez l’enfant, Anthropos, Paris, 2001, p.46. 104
Ibid., p.45.
44
Donald Appleyard, architecte et urbaniste, a montré par le biais d'une étude105
que les cartes de
trajet étaient les premières à se développer chez les jeunes enfants. Il les qualifie de type
« séquentiel ». Les cartes d'ensemble viennent dans un second temps car elles sont, selon lui, plus
élaborées. Il les assimile à un type « surfacique ».
Les cartes subjectives, véritables représentations collectives d'un territoire, peuvent être assimilées à
des cartes de type « surfacique ». En effet, elles sont construites à partir de l'agencement des
quartiers et des hauts lieux de la ville (édifices symboliques, parcs, équipements) et non pas à partir
des axes structurant le territoire.
3.1.1 Le concept de carte subjective : une « parodie sérieuse »
Les cartes subjectives, mi artistiques - mi géographiques, jouent avec les codes de la cartographie
officielle mais exprime la subjectivité des enfants. « Elles ne se basent pas sur des données réelles
comme la distance, la disposition et la fonction sociale des lieux, mais sur les impressions des
enfants »106
. Ainsi, les cartes mêlent à la fois l'espace rêvé et l'espace pratiqué au quotidien, dans le
but de révéler la perception que les enfants ont de la ville, leurs moyens de déplacements et leurs
usages. Son travail questionne à la fois l'espace urbain qui est spatial, et l'espace public qui est
social.
Philosophe de formation, Catherine Jourdan propose ses services aux mairies, collectivités
territoriales et associations qui souhaitent représenter la vie collective de ces citoyens. Travaillant
principalement avec des enfants, elle met en place des méthodes de co-conception pour « faire
ensemble » plutôt que de « faire pour ». C'est donc un travail de collaboration où les enfants
participent à l'élaboration de la carte. Dans le but de mieux comprendre le fonctionnement de ces
interventions, je présente ci-dessous la méthode choisie par Catherine Jourdan pour élaborer les
cartes subjectives.
105
Donald Appleyard, « Styles and methods of stucturing a city », University of California, 1970, cité par Kyriaki
Tsoukala dans son ouvrage L’image de la ville chez l’enfant, Anthropos, Paris, 2001, p.45. 106
Catherine Jourdan, site internet de la Géographie subjective, http://www.geographiesubjective.org.
45
Tout d'abord, lorsqu'un projet de carte subjective est mis en place, une étape de collecte de données
voit le jour. Cette collecte se fait sous la forme d'un questionnaire qui est envoyé aux enfants
participant au projet. Celui-ci a pour objectif de recueillir leurs impressions sur la ville : découvrir
leurs lieux préférés, leurs jardins secrets, les endroits qui leur font peur. Plus généralement, ces
questions portent sur le quotidien des enfants, l'utilisation des lieux et leurs modes de vie ancrés
dans la réalité. D'autres questions, plus ouvertes, portent sur l'avenir de la ville : « Que changerais-
tu si tu étais le maire? ». Ce type de question fait appel à l'imaginaire des enfants, à leurs souhaits et
à l'espace dont ils rêvent. Une fois les questionnaires remplis, ils sont analysés par Catherine
Jourdan et permettent de dégager les grandes orientations du projet. En effet, bien que la carte
s'attache toujours à représenter un territoire, les projets sont nuancés en fonction de l'échelle de la
ville et de l'âge des enfants.
Après la phase de collecte des données, la phase de projet débute véritablement dans la ville.
Catherine Jourdan travaille selon le principe de résidence artistique. Elle s'installe ainsi dans la ville
durant deux à trois semaines, avec son équipe de graphistes et de designers, pour être immergée
dans le projet et créer une dynamique de groupe.
Catherine Jourdan présente aux enfants une carte IGN de la ville de Nantes avant la conception de la carte subjective.107
107
Source image : Catherine Jourdan, site internet de la Géographie subjective, http://www.geographiesubjective.org.
46
Le premier jour, les enfants commencent par l'observation attentive d'une carte de leur territoire.
Cela permet de faire parler les enfants, de confronter leurs idées, et de cibler les manques de la ville.
La carte est ensuite mise de côté pour que les enfants ne se laissent pas influencer par la recherche
d'exactitude. Pour la même raison, toute exploration du territoire est interdite durant les premiers
jours. L’objectif n’est pas de « forcer les enfants à « mieux » regarder leur cadre de vie (sous-
entendu avec le regard scientifique d’un expert de l’espace), mais de leur faire exprimer et traduire
leur propre point de vue, aussi imaginaire et inexact soit-il, celui-ci étant considéré comme une
richesse inexploitée »108
. Ainsi, pour recueillir les propos, Catherine Jourdan les enregistre lors de
temps de parole. Elle incite également les enfants à mettre par écrit leurs impressions car certaines
phrases viendront s'intégrer à la carte. A partir de cette matière première, elle élabore l'ébauche
d'une carte avec axes (lignes), zones (surfaces) et frontières (limites). L’ensemble du processus
créatif est alors fait d’aller-retour : « chaque jour, une nouvelle esquisse est corrigée, annotée,
raturée, à la main ou directement sur ordinateur, par les enfants, puis reprise par les
professionnels »109
. Cette production quotidienne permet de construire peu à peu la carte. A mi-
parcours, une exploration du territoire est permise pour affiner et enrichir la carte de détails plus
sensibles. Cette confrontation avec la réalité est souvent l'occasion d'entendre des histoires
collectives qui seront mises en valeur. De retour, Catherine Jourdan entreprend un travail de
représentation avec les enfants. Elle les fait réfléchir sur les manières de dessiner et de représenter
les impressions à transmettre : utilisation de couleurs, de pictogrammes et d'écritures en sont des
moyens. Ce processus se poursuit jusqu'au terme de la création qui s'achève par l'impression de la
carte.
Lorsque la carte est imprimée, elle est ensuite affichée dans l'espace public via les panneaux de
communication des villes. Ainsi, la carte subjective usurpe, en apparence, le statut officiel d'une
carte classique. Elle respecte un certain nombre de principes graphiques tels l'orientation nord/sud
et la présence d'une légende. Le respect des codes de communication comme le pliage de la carte, la
couverture sous forme de carte IGN, et la vente en office de tourisme sont d'autres éléments qui
suscitent l'interrogation et ouvrent un débat informel sur la ville et l'espace public.
108
Margaux Vigne, « Géographie subjective : Conception collaborative de cartes collectives », Article de presse extrait
du site internet Strabic, http://strabic.fr/Geographie-subjective-conception.html. 109
Ibid.
47
3.1.2 Une démarche pour libérer la parole de l'enfant
Selon Catherine Jourdan, la cartographie est une discipline encore « réservée à ceux qui dessinent et
décident l'espace, son actualité et son devenir »110
. A travers la fabrication de cartes subjectives, elle
vient s'installer dans cet espace d'expression réservé. Elle pense qu'en faisant faire des cartes à ceux
qui n'en font pas, la cartographie devient un moyen de représentation collective et non plus un
privilège. Ainsi, son travail permet d’explorer les notions de représentations et de construire une
subjectivité de groupe. L’enjeu est donc d’aller au-delà des anecdotes et des histoires personnelles
car le but n'est pas de parler de l’espace de chacun mais de l’espace de tous. Elle propose donc une
réflexion sur « l’espace public et son rôle dans la société contemporaine d’espace partagé, vécu et
imaginé en commun, qui appartient avant tout à ceux qui le vivent, et qui devraient donc pouvoir
aussi le penser et le dessiner »111
.
L'affichage de la carte subjective dans l'espace public clôture le travail
des enfants et de Catherine Jourdan. De quoi égarer les touristes…112
110
Gwenaël Guidet, « Géographie subjective : des enfants dessinent leur ville », Article de presse, Place Publique
Rennes, http://www.placepublique-rennes.com/2010/11/geographie-subjective-des-enfants-dessinent-leur-ville/, 2011. 111
Op cit., « Géographie subjective : Conception collaborative de cartes collectives ». 112
Source image : Catherine Jourdan, site internet de la Géographie subjective, http://www.geographiesubjective.org.
48
Par ailleurs, les cartes subjectives sont un moyen pour les enfants de s'exprimer sur leur ville et de
faire en sorte que ce qu'ils disent ait un impact. Le fait de partir du point de vue des enfants,
personnes rarement considérées comme usagers de la ville, permet d'avoir une réflexion globale sur
l'espace public. Dans un entretien, Catherine Jourdan m'a confié que lorsqu'une ville faisait appel à
ses services, c'était parce qu'elle souhaitait entendre la parole des enfants :
« C'est le but même, c'est ce qui fait que les villes me contactent : l'envie de faire bouger les
choses. Je peux donner d'autres exemples : à Saint-Avé113
, c'était le service urbanisme qui a
commandé la carte, et c'était pour faire un état des lieux. En fait, il y avait un projet en
cours : l’urbanisation d’une zone verte. Les enfants ont bien marqué l'importance pour eux
de cette zone verte. Du coup, ça ne leur a pas fait changer les plans, mais ça leur a bien
montré l'importance d'accompagner la démarche et de discuter. »114
Ainsi, par le biais de la publication de la carte, la parole de l'enfant est libérée et intégrée dans le
débat public. Cette démarche participe à un changement d'attitude des adultes pour considérer
l'enfant comme partenaire social. Elle est à mettre en lien avec les théories de Marie-José Chombart
de Lauwe qui préconise un nouveau consensus pour intégrer les enfants à la vie urbaine.
3.1.3 Des rebonds en conséquence : la carte comme point de départ d'une réflexion
Nous avons vu que la démarche mise en place par Catherine Jourdan servait à libérer la parole de
l'enfant mais également à ouvrir un débat sur la ville. Selon elle, la carte est « un point
déclencheur » ou « point de départ » d'un débat public. Elle évoque ainsi des rebonds115
qui
viennent en conséquence de la publication de la carte. Cependant, son intervention s'arrêtant à
l'impression, elle m'a confié lors d'un entretient ne pas avoir connaissance des suites de son travail.
Ainsi, il m'a semblé intéressant de contacter les mairies, les collectivités territoriales et les
associations ayant participé à ce projet pour évaluer les conséquences et les usages réels de la carte
subjective. Certaines demandes d'informations sont restées sans réponses. Je présente, ci-après, les
précisions que m'ont apportées les villes de Saint-Avé et de Indre116
. D'autres informations sont
extraites de la revue de presse du site internet de la géographie subjective.
113
Saint-Avé est une commune du Morbihan qui a participé à l'élaboration d'une carte subjective en Juillet 2011. 114
Entretien téléphonique réalisé avec Catherine Jourdan, le 31.01.2013. 115
Le terme rebonds correspond à celui utilisé par Catherine Jourdan pour décrire les conséquences de la publication de
la carte subjective. 116
Indre est une commune de Loire-Atlantique qui a participé à l'élaboration d'une carte subjective en Février 2013.
49
La carte subjective de Saint-Avé présente à la fois l'espace rêvé et l'espace pratiqué au quotidien par les enfants.117
Tout d'abord, la carte subjective permet de représenter la vision que les enfants ont de leur ville à un
temps donné. Ainsi, selon Laurent Scourzic, responsable du service enfance et jeunesse de Saint-
Avé, elle est « un excellent moyen de connaître la perception qu'ont les enfants de leur ville,
comment ils se déplacent et quels sont leurs usages »118
. Comme les proportions correspondent à
l'importance subjective des quartiers ou des lieux, la carte permet de comprendre ce qui est le plus
important aux yeux des enfants. Elle permet également de voir apparaître des infrastructures qui
reflètent les souhaits des plus jeunes. C'est ainsi que sur la carte de Saint-Avé119
, on peut observer la
« future piscine municipale des enfants » et le « futur camping ». On peut alors penser que la carte
sert d'état des lieux dans le but d'aménager l'espace. Cependant, Catherine Jourdan se défend à
prendre en compte un quelconque objectif de transformation des espaces lorsqu’elle recueille les
subjectivités des habitants, et notamment celles des enfants. En effet, elle ne souhaite pas faire de
l'audit sociologique qui permettrait aux élus d'une ville de cibler les attentes de ses citoyens.
117
Source image : Catherine Jourdan, site internet de la Géographie subjective, http://www.geographiesubjective.org. 118
Site internet, Ville amie des enfants, UNICEF, http://www.villesamiesdesenfants.com/vae/tour-de-
france/bretagne/saint-ave/var/lang/FR/rub/810/breves/9166.html, 2011. 119
Catherine Jourdan, Géographie subjective - Saint-Avé : la ville vue par les enfants, carte, 65x90cm, 2011.
50
Toutefois, la production des cartes « participe à minima à changer le regard des décideurs sur leurs
villes. Si une mairie passe commande d’un tel projet, c’est aussi pour mieux connaître le contexte
urbain et, donc, pour mieux le transformer »120
. La carte possède donc un intérêt urbanistique.
Par ailleurs, la publication de la carte et son affichage dans l'espace urbain permet de créer un débat
public dans lequel l'enfant est intégré. En fonction des villes qui ont participé au projet, ce débat est
plus ou moins ouvert. A Indre, il n'y a pas eu de débat officiel. Cependant, selon Fanny Bariaud,
chargée d'actions culturelles de la ville, « la carte fait et continue de faire parler de façon
informelle »121
. Elle est souvent évoquée entre citoyens, élus, et acteurs associatifs pour illustrer des
réflexions sur le territoire de la commune. A Saint-Avé, un débat public a été mis en place. Des
conférences sur le développement de la ville ont amené la population à s'interroger sur la vocation
de certains lieux. Avant l'une d'entre elles, des enfants accompagnés par Catherine Jourdan ont
présenté la carte subjective de la ville. Elle a ensuite suscité une « réunion publique houleuse » au
sujet de l'urbanisation d'un espace vert approprié par les enfants. En effet, les parents, s'appuyant sur
la carte de leurs enfants, voulaient préserver l'espace de jeux qualifié comme : « notre grande zone
verte ». La carte a donc ouvert un débat général sur l'éco-quartier qui était en phase de conception
sur cette zone. Elle a également permis de créer une concertation entre le service urbanisme et les
enfants. Selon Laurent Scourzic, deux projets d'aménagement ont été influencés par la carte. Le
premier est la construction d'un city-stade destiné aux pré-adolescents. Le second est une aire de
jeux où les enfants ont été associés aux aménageurs dans le choix des jeux. Aujourd'hui, « dès qu'un
aménagement concerne les enfants, il y a systématiquement concertation avec ces derniers »122
.
Ainsi, la carte a permis d'ouvrir le champ d'une concertation citoyenne entre les élus et les habitants,
tout en impliquant les enfants. C'est dans cet optique que Virginie Foucault, directrice du Boulon123
,
considère la carte subjective comme « un outil de concertation »124
.
Enfin, la carte possède une visée pédagogique pour les enfants. En effet, en réfléchissant aux modes
de représentation, les enfants interrogent leurs relations avec l'espace. Ils prennent conscience que la
ville est un territoire commun qui se rêve et qui s'imagine collectivement. Lors de l'entretien avec
120
Op cit., « Géographie subjective : Conception collaborative de cartes collectives». 121
Entretien téléphonique avec Fanny Bariaud, le 23.04.2013. 122
Entretien téléphonique avec Laurent Scourzic, le 11.04.2013. 123
Le Boulon est le pôle régional des arts de la rue. Situé à Vieux-Condé (59), il a travaillé avec Catherine Jourdan dans
le but de confectionner une carte subjective avec les enfants et les adultes de la ville. 124
Joffrey Meunier, « A Vieux-Condé, les habitants inventent leur ville idéale », Article de presse, L'observateur du
Valenciennois, Septembre 2012.
Cet article est présenté en annexe avec une reproduction de la carte subjective du Vieux-Condé :
Catherine Jourdan, Géographie subjective – Vieux-Condé : la ville vue par ses habitants, carte, 65x90cm, 2012.
51
Catherine Jourdan, j'ai été surpris de découvrir que les enfants du Blosne à Rennes pensaient que le
centre ville historique était payant. Cette impression, partagée par plusieurs enfants, correspondait à
une discontinuité du territoire. En effet, pour aller dans le centre, les enfants du quartier du Blosne
utilisent le métro souterrain. Celui-ci étant payant, ils assimilent le centre ville à un espace payant,
réservé aux plus riches. Cette séparation ressentie entre leur quartier et le centre ville a ensuite était
évoquée par une absence de couleur et la phrase : « Où est la ville dehors? ». La seule relation entre
ces deux quartiers est le métro qui serpente au milieu du vide de la carte. Cette représentation
montre à quel point il est intéressant d'observer les impressions des enfants pour comprendre leur
relation à l'espace. Ainsi, lorsque l'enfant représente l'espace qu'il pratique, il s'approprie d'autant
plus son territoire et réfléchit en tant qu'acteur urbain. C'est en ce sens que la carte subjective est
également un outil pédagogique.
Carte subjective de la ville de Rennes : on distingue la séparation ressentie par les enfants entre le quartier du Blosne et
le centre ville nommé « l’archipel historique »125
.
125
Source image : Catherine Jourdan, Géographie subjective – Rennes vue par des enfants du Blosne, carte, 65x90cm,
2010
52
3.2 Le Projet de Rénovation Urbaine à Mons-en-Baroeul : la création d'un éco-
quartier
En parallèle de mes recherches sur la géographie subjective, il m'a paru intéressant d'observer un
projet de sensibilisation à l'environnement urbain. En effet, je voulais me rendre compte in situ du
déroulement d'un atelier pour comprendre l'objectif réel de cette intervention. Ainsi, je me suis
rapproché de la ville de Mons-en-Baroeul où un Projet de Rénovation Urbaine (PRU) est en
construction dans le quartier du Nouveau Mons. Lors d'une visite au LIEN126
, local d’information
sur la rénovation urbaine, j'ai rencontré Amélie Salmon, directrice adjointe du Projet de Rénovation
Urbaine. Elle m'a expliqué que la maison du projet était à la fois un lieu de sociabilité pour les
habitants qui y rencontrent les élus, et un lieu de communication du projet vis-à-vis des visiteurs.
Ainsi, à travers la maquette exposée, elle m'a présenté ce projet ambitieux.
Le Projet de Rénovation Urbaine du quartier du Nouveau Mons à Mons-en-Baroeul.127
Le numéro 1 correspond à l’Avenue Marc Sangnier.
Le numéro 2 localise l’école des Provinces.
126
Visite effectuée le 09.02.2013 au LIEN, 68/1 rue Marc Sangnier, Mons-en-Baroeul. 127
Source image : Site internet de Mons-en-Baroeul, http://www.monsenbaroeul.fr
53
La genèse du projet se situe au début des années 2000, lorsque la ville commande un diagnostic
pour réfléchir à l'évolution du quartier du Nouveau Mons. Ce dernier, construit à partir des années
1965, constituait pour l'époque la plus grande Zone Urbaine Prioritaire (ZUP) au Nord de Paris.
S'étendant sur 90 hectares, le quartier représente aujourd'hui le tiers du territoire de la commune.
Son urbanisme, caractéristique des grands ensembles, a engendré des discontinuités dans les
cheminements et des ruptures entre le Nouveau Mons (haut Mons) et la ville historique (bas Mons).
Ainsi, le diagnostic a permis de percevoir certaines clés pour désenclaver le quartier et effacer cette
fracture urbaine. En 2003, lorsque la loi ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) fut
créée, la municipalité a pu envisager la réalisation de ce projet d'envergure. En effet, cette loi
prévoit un Programme National de Rénovation Urbaine (PNRU), destiné à restructurer les quartiers
classés en Zone Urbaine Prioritaire (ZUP) ou en Zone Urbaine Sensible (ZUS), dans un objectif de
mixité sociale et de développement durable. Elle propose des aides financières pour la construction
de logements neufs si des logements vétustes sont détruits. Aujourd'hui, la ville de Mons-en-
Baroeul a saisi cette opportunité pour concrétiser son Projet de Rénovation Urbaine. Par le biais de
destructions, de réhabilitations d'un millier de logements, et de nouvelles constructions, le quartier
du Nouveau Mons deviendra, dès 2015, un éco-quartier.
La présentation de ce projet interroge la notion de « projet urbain ». En effet, le projet urbain ne
consiste pas à dessiner un plan masse, mais il est une stratégie d'organisation du territoire. Suite au
stage académique « Habitants et Projets Urbains » du 8 et 9 Avril 2013, il m'est possible de
caractériser le projet urbain comme un document de la politique de la ville intégrant plusieurs
échelles :
- une échelle politique et sociale : elle correspond aux orientations prises par les élus qui ont
pour volonté de faire évoluer la ville et améliorer le cadre de vie de ses habitants,
- une échelle spatiale : elle correspond à l'aménagement de l'espace urbain, d'un quartier ou
d'un morceau de ville,
- une échelle temporelle : elle correspond à un développement sur le long terme (10 à 15 ans).
Le projet urbain est donc un projet que l'on peut qualifier de complexe. Il intègre différentes
échelles et différents acteurs (élus, architectes, urbanistes, sociologues) qui doivent se coordonner
afin de proposer une nouvelle manière de vivre. Pour accompagner ces changements urbains et
sensibiliser la population aux évolutions de la ville, Mons-en-Baroeul a mis en place plusieurs
initiatives. Tout d'abord, dès novembre 2004, elle a lancé un forum participatif pour informer la
population des transformations futures du quartier. Ce forum a aussi permis de recueillir les
suggestions et attentes des habitants. Ensuite, un plan de communication a permis d'aller à la
54
rencontre de la population dès lors qu'il y avait un projet émergeant. Des réunions publiques ont
donc été organisées par les élus pour mener ce projet en concertation avec les habitants. Enfin, des
projets de sensibilisation à l'évolution de l'environnement urbain ont été mis en place pour les
enfants. Le projet « Dessine moi un éco-quartier »128
fait partie de cet effort d'intégration des enfants
dans la réflexion urbaine.
3.2.1 Une sensibilisation à l'environnement proche
Lors d'un entretien avec Jérémy Treu, chef de projet politique de la ville, j'ai découvert que Mons-
en-Baroeul avait mis en place des actions portant sur le patrimoine dès 2002. Ces actions étaient
menées dans le cadre des programmes de l'éducation nationale au titre du « repérage de l'enfant
dans l'espace » et de « l'appréhension de son environnement ». Ainsi, certains enfants des écoles du
quartier du Nouveau Mons ont été initiés au langage urbain et architectural depuis plusieurs années.
L'extrait ci-dessous présente la démarche des écoles pour favoriser l'exploration du territoire :
« Le travail des équipes pédagogiques s'étalait sur trois années, du CE2 au CM2. Il
consistait à faire prendre conscience à l'enfant que la description de son environnement
s'appuie sur l'exploitation de plein de mots de vocabulaire. Pour cela, les enseignants
organisaient des balades dans le quartier et dans la ville. (...) En première année, en CE2,
c'est l'exploration de l'environnement proche : on fait des balades, on essaye de comprendre
la ville, la façon dont elle s'est organisée. En CM1, on va un peu plus loin, on va sur Lille.
Ainsi, ils commencent à découvrir la métropole. Et en CM2, même si on revient sur ce qui a
été vu les années précédentes, ils vont encore plus loin pour découvrir la région. Par
conséquent, en tant que chef de projet politique de la ville, vu que j'accompagne
financièrement le projet depuis ses débuts, j’ai demandé aux écoles qu'elles puissent
aborder de façon concrète la question de la rénovation urbaine et des changements qui
étaient recherchés à travers toutes ces réhabilitations et ces aménagements »129
.
Ce projet pédagogique orienté vers l'appréhension de l'environnement proche est à mettre en
parallèle avec le processus d'éducation-participation présenté par le CAUE. En effet, comme ce
projet s'inscrit sur trois années consécutives, les enfants peuvent progressivement aborder des
128
Blog du projet « Dessine moi un éco-quartier », http://dessine-moi-un-ecoquartier.blogspot.fr/, 2012. 129
Entretien réalisé avec Jérémy Treu à la mairie de Mons-en-Baroeul, le 18.02.2013.
55
échelles de plus en plus larges. La représentation que les enfants ont de l'espace vécu est de plus en
plus précise ce qui permet de le rendre familier. Ils ont alors la possibilité de se projeter dans ces
espaces et de porter un jugement critique. Ainsi, lorsqu'ils sont invités à réfléchir sur la dynamique
de l'évolution de la ville, ils sont d'autant plus réceptifs et participatifs.
3.2.2 « Dessine moi un éco-quartier » : la conscientisation de l'évolution de la ville
Nous avons vu que Jérémy Treu a encouragé les équipes pédagogiques à mettre en lien les actions
inscrites dans les projets éducatifs avec le Projet de Rénovation Urbaine. Cependant, c'est le prix
gagné par la ville lors du « Concours National éco-quartier 2011 » dans la catégorie « Approche
Ecologique Globale » qui a été l'élément déclencheur. En effet, cette récompense a poussé Anne
Tillard, responsable de la bibliothèque de Mons-en-Baroeul, à proposer un projet pensé depuis
quelques mois. Il associe une réflexion sur le quartier du Nouveau Mons avec sa passion pour la
lecture. Le projet « Dessine moi un éco-quartier » consiste donc en la création d'un livre illustré sur
le futur éco-quartier de Mons-en-Baroeul.
En Juin 2012, Anne Tillard a alors réuni les directeurs de deux écoles élémentaires130
pour évoquer
son projet de sensibilisation aux évolutions du quartier du Nouveau Mons. L'objectif était de mailler
les actions ayant trait au patrimoine avec le Projet de Rénovation Urbaine en cours. Ainsi, comme
les classes de CE2 et CM1 avaient déjà été sensibilisées les années précédentes, il a été décidé que
ce projet serait en direction des enfants des classes de CM2 possédant une appétence particulière.
Le projet « Dessine moi un éco-quartier » a donc débuté à la rentrée 2012 dans le but de faire
« découvrir le patrimoine local et percevoir les mutations de Mons-en-Baroeul pour mieux
comprendre la ville d’aujourd’hui et imaginer celle de demain »131
. Il s'est déroulé en 3 phases :
De Septembre à Novembre 2012 :
La première étape a permis aux enfants de comprendre le Projet de Rénovation Urbaine mais aussi
d'évoquer les notions d'éco-quartier et de mutation de la ville.
Les enfants ont ainsi participé à plusieurs rencontres :
- Une visite du LIEN, local d’information sur la rénovation urbaine, avec Jérémy Treu,
- Une présentation d'un diaporama sur l'histoire du quartier du Nouveau Mons par François
Fairon, historien public,
130
Les écoles qui ont participé à ce projet sont l'école des Provinces et l'école Hélène Boucher à Mons-en-Baroeul. 131
Blog du projet « Dessine moi un éco-quartier », http://dessine-moi-un-ecoquartier.blogspot.fr, 2012.
56
- Une visite du bus Info Tri de LMCU pour découvrir les gestes éco-citoyens,
- Un atelier sur le circuit de l'eau avec les services civiques de la Ville.
De Novembre 2012 à Février 2013 :
La deuxième phase a permis d'écrire l'histoire du livre « Dessine moi un éco-quartier » en
partenariat avec Lectures vagabondes, association qui propose des ateliers d'écriture.
De Mars à Avril 2013 :
La dernière étape a permis de créer les dessins des personnages et des décors urbains de l'histoire.
Elle a été menée sous forme d'ateliers par Caroline Fodor, illustratrice.
Qu’est ce qu’un éco-quartier ? Pourquoi a-t-on détruit ? construit ? réhabilité ? A quoi ressemblera le Nouveau Mons ?
La visite du LIEN avec Jérémy Treu a permis de répondre à toutes les questions que les enfants se posaient.132
Ayant découvert ce projet à partir de Février 2013, je n'ai pas eu l'occasion de participer aux deux
premières phases. Cependant, j'ai eu la possibilité de comprendre le cheminement entrepris par le
biais de plusieurs moyens. Tout d'abord, le blog du projet « Dessine moi un éco-quartier » m'a
permis de découvrir les ateliers auxquels les enfants ont participés. Ensuite, j'ai eu l'occasion de
rencontrer la plupart des intervenants pour connaître leurs avis sur le projet. Ainsi, je me suis
132
Source image : Blog du projet « Dessine moi un éco-quartier », http://dessine-moi-un-ecoquartier.blogspot.fr, 2012.
57
entretenu avec Anne Tillard à la bibliothèque au Fort de Mons le 12 Février 2013, et avec Jérémy
Treu à la mairie le 18 Février 2013. J'ai également rencontré François Fairon qui a présenté
l'histoire de Mons-en-Baroeul au cours du stage académique133
du 9 Avril 2013. Enfin, j'ai pu
observer, à partir de Mars 2013, les ateliers d'illustration organisés par Caroline Fodor dans la classe
de Claire Baillet, institutrice. C'est par le biais de ces différentes sources qu'il m'est possible d'avoir
une vision globale de ce projet et d'en présenter une analyse détaillée.
Pour commencer, je souhaite évoquer la rencontre avec François Fairon. Sa présentation sur
l'histoire de la ville et la construction du quartier du Nouveau Mons m'a permis de comprendre les
objectifs de son intervention dans le projet « Dessine moi un éco-quartier ». En effet, François
Fairon est historien public, c'est-à-dire qu'il intervient lorsqu'une municipalité passe commande
pour sensibiliser ses habitants à l'histoire de la ville. Ainsi, il a été engagé, à partir de 2011, par la
mairie de Mons-en-Baroeul dans le but de collecter la mémoire des habitants du Nouveau Mons. Le
premier objectif de son intervention est donc de créer du lien social : en parlant du passé, il réunit
les gens du présent. Ainsi, lorsque les enfants ont participé à la projection de photos anciennes du
Nouveau Mons, les adultes étaient également conviés pour pouvoir être impliqués dans le projet
« Dessine moi un éco-quartier ». Ce mélange des générations a été enrichissant car les parents et
grands-parents ont partagé des témoignages sur la vie d'autrefois.
Outre la découverte des images anciennes, les enfants ont pu se rendre compte que leur quartier
avait déjà subi des évolutions et des transformations. En effet, entre 1984 et 1988, soit 10 ans à
peine après la fin de l'urbanisation de la ZUP, un programme de dé-densification a été mis en place.
Des démolitions ont eu lieu, notamment celle de la tour d'habitation « la manivelle » le 16 Avril
1988134
. Cet exemple a permis de faire passer un message fort en montrant que la ville est en
perpétuelle évolution et que le Projet de Rénovation Urbaine n'est qu'une nouvelle étape dans la vie
du quartier. Ainsi, les enfants et leurs parents ont pu se rendre compte que la démolition n'est pas à
considérer comme une menace mais qu'elle sert à améliorer le cadre de vie futur. C'est le deuxième
objectif de l'intervention de l'historien public : mieux appréhender les bouleversements du quartier.
On peut mettre en relation cet objectif de « dédramatisation » avec le travail de l'agence Paysage qui
a en charge l'aménagement des espaces extérieurs du quartier du Nouveau Mons. En effet, lors
133
Stage académique « Habitants et Projets Urbains » organisé par le CAUE du Nord le 8 et 9 Avril 2013. 134
Site internet de l'association historique de Mons-en-Baroeul, http://www.histo-mons.fr
58
d'une conférence135
à l'ENSAPL le 28 Février 2013, Jérôme Thomas, paysagiste et architecte-
urbaniste, a évoqué le terme de mutation pour définir les évolutions de la ville. Il a montré que le
processus de mutation de Mons-en-Baroeul n'était pas achevé et que la succession de constructions
et de démolitions fait partie de l'évolution courante d'une ville. Ainsi, pour achever la mutation, c'est
en prenant compte de l'histoire de la ZUP que se développe aujourd'hui le Projet de Rénovation
Urbaine.
Jeux pour enfants devant les tours de l’Europe de Mons-en-Baroeul, 1976.136
Ensuite, j'ai compris que le projet « Dessine moi un éco-quartier » était un moyen de faire prendre
conscience aux enfants que la création d'un éco-quartier nécessite des éco-gestes. En effet, le terme
éco-quartier ne concerne pas seulement la dimension écologique de l'architecture et de
l'aménagement urbain, mais nécessite aussi la prise en compte des dimensions sociales et
économiques. Ainsi, on peut définir un projet d'éco-quartier comme l'a exprimé un enfant de
135
Conférence de l'Agence Paysage dans le cadre du cycle de conférence intitulé « Le goût du paysage » organisé à
l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Lille (ENSAPL), le 28.02.2013. 136
Source image : Collection privée de François Fairon.
59
manière simple : c'est un projet où « ils mettent de l’écologie dans le quartier pour faire des
économies »137
. Jérémy Treu complète cette citation en précisant qu'en parallèle des changements
urbains, il faut nécessairement prendre en compte l'aspect social, notamment en sensibilisant les
habitants aux usages qu'implique un éco-quartier :
« Dans le cadre du Projet de Rénovation Urbaine, des investissements importants vont
changer l'image que l'on peut avoir de la ville. Cela va aussi changer le rapport que l'on
aura à l'espace et aux logements. Quand les réhabilitations seront finies, les logements
seront estampillés BBC. Or, le BBC n'est pas la simple livraison d'équipements performants,
c'est aussi l'usage que l'on en fait et que l'on en a au quotidien. C'est pour cette raison que
les usages doivent changer, et l'on est conscient qu'il faut accompagner les habitants dans
ces changements d'usage pour les aider à faire en sorte que leurs pratiques épousent le bon
usage de ces nouvelles installations. »138
Ainsi, la visite organisée au bus info tri de Lille Métropole Communauté Urbaine a permis de
sensibiliser les enfants à l'importance du tri des déchets dans un éco-quartier. Les intervenants ont
montré comment il fallait trier et ont expliqué les impacts positifs du recyclage sur l'environnement.
En parallèle, les enfants ont participé à une animation sur le cycle de l'eau proposée par le service
jeunesse de la ville. Par le biais de ces ateliers ludiques et pédagogiques, le projet « Dessine moi un
éco-quartier » éduque donc les enfants aux nouvelles pratiques pour qu'ils les appliquent dans le
futur. Il permet également d'informer les adultes des éco-gestes via l'enfant. En effet, les jeunes sont
les premiers à raconter à leurs parents leur journée, d'autant plus lorsqu'elle sort de l'ordinaire.
Ainsi, ce projet est un excellent moyen de rendre l'enfant messager et garant des bons usages à
adopter dans le futur éco-quartier. Il est alors porteur d'une responsabilité.
Enfin, l'observation des ateliers d'illustration dans l'école des Provinces m'a fait comprendre que le
projet « Dessine moi un éco-quartier » favorise la découverte et l'appropriation de l'environnement
proche. En effet, le livre qui sera publié raconte l'histoire de Lila, une petite fille qui vient s'installer
dans un immeuble rénové de Mons-en-Baroeul. Parcourant le quartier du Nouveau Mons, elle
rencontre les habitants et découvre les transformations en cours. Ainsi, des noms de rues sont
intégrés à l'histoire pour que l'enfant se repère dans l'espace. C'est le cas notamment de l'avenue
137
Citation d'un élève extraite du blog du projet « Dessine moi un éco-quartier », http://dessine-moi-un-
ecoquartier.blogspot.fr, 2012. 138
Entretien réalisé avec Jérémy TREU à la mairie de Mons-en-Baroeul, le 18.02.2013.
60
Marc Sangnier qui jouera le rôle de « centralité linéaire »139
dans l'éco-quartier :
« Eh … ça tombe bien, j'ai justement repéré hier que la pie avait refait son nid dans les
arbres de l'avenue Marc Sangnier. »140
Les enfants ont également appris à décrire leur environnement grâce aux ateliers d'écriture et
d'illustrations. En effet, les visites de quartier ont ouvert un champ lexical nouveau, celui de la
rénovation urbaine. Ainsi, l'histoire intègre des mots de vocabulaire et des notions qui semblent
comprises par les enfants :
« Il y a vraiment beaucoup de travaux en ce moment pour réhabiliter le quartier ! Avec la
classe, on est allé voir les plans. Ça sera bien quand ils vont avoir fini. Devant chez moi, il
y aura plus d'espaces verts. Je vois qu'ils installent des balcons. C'est une bonne idée ! Et
finalement, j'aime bien les travaux parce que ça m'apprend quels nouveaux matériaux on
utilise dans les constructions écologiques. »141
Toutefois, ces mots de vocabulaires sont parfois tellement précis que l'on peut se demander quelle
est le degré d'implication de ces enfants dans la conception de l'histoire. En effet, certains passages
m'ont marqué car, en les lisant, je n'ai pu m'empêcher de penser que l'enfant était orienté dans la
manière de « raconter la rénovation urbaine ». L'extrait suivant illustre mon propos :
« Quand je suis arrivée devant mon nouvel immeuble, j'ai été surprise par les nombreuses
plantations tout autour du bâtiment. On m'a dit que l'immeuble venait d'être rénové. Quand
j'ai franchi la porte d'entrée, j'ai aussitôt apprécié l'odeur de peinture fraîche. Le carrelage
est beau et ça sent le propre. L'ascenseur est neuf, on l'actionne avec des touches digitales.
Et ça marche! Hop! 6Ème étage.
Mon amie Louna n'a pas encore cette chance : son bâtiment est en travaux mais son
appartement n'a pas encore été réhabilité... Du premier étage au septième, il n'y a plus de
lumière, même dans l'ascenseur, qui ne fonctionne pas toujours. Le matin, elle essaye de
dormir mais les coups de perceuse de l'appartement du dessus l'en empêchent. Elle entend
les ouvriers parler ou crier sur les paliers. Ça doit être insupportable, mais ils améliorent
son bâtiment et les autres autour, et c'est bien utile : dans son appartement, il fait parfois
139
Le terme de « centralité linéaire » a été évoqué par Jérôme Thomas lors de la conférence à l'ENSAPL le 28.02.2013.
Cette « centralité linéaire » est un point fort du projet qui doit permettre à chaque monsois de dire : « Je suis à moins de
400m du centre ». 140
Extrait du livre co-écrit avec Lectures Vagabondes, « Dessine moi un éco-quartier », version 2, Mars 2013, p.6. 141
Ibid., p.3.
61
très froid. Il y a des chauffages qui ne marchent plus. On comprend pourquoi on est en
train d'isoler la plupart des immeubles du quartier ! Certains, trop dégradés ou vétustes,
sont démolis pour des raisons de sécurité. Son appartement va être désamianté
prochainement. Alors, elle ira sûrement dans un logement provisoire, le temps des
travaux. »142
Les mots mis en évidence (en caractère gras) sont pour moi représentatifs du fait que l'adulte oriente
l'enfant vers une « idéalisation » de la rénovation urbaine. On peut alors se demander si, à travers la
publication de ce livre, l'enfant n'est pas utilisé par l'adulte pour faire passer des messages? Ainsi,
dans la partie suivante, je montrerai les limites du projet « Dessine moi un éco-quartier ».
La rénovation urbaine vue par les enfants du quartier du Nouveau Mons143
142
Op cit., « Dessine moi un éco-quartier », p.2. 143
Source image : Caroline Fodor, « Dessine moi un éco-quartier ».
62
3.2.3 Une participation sous contrôle : l'enfant manipulé?
Nous avons vu précédemment qu'à travers le projet « Dessine moi un éco-quartier », l'enfant a été
sensibilisé à la rénovation urbaine du quartier du Nouveau Mons. Par le biais des visites et des
intervenants, il a pris conscience de l'évolution de la ville. Par l'apprentissage des éco-gestes,
l'enfant a été éduqué aux nouvelles pratiques urbaines. Ainsi, il est messager des bons usages à
adopter dans le futur éco-quartier. C'est sur ce dernier point, « l'enfant messager » qu'il me semble
important de revenir. En effet, par l'éducation des plus jeunes, le projet « Dessine moi un éco-
quartier » investit l'enfant d'une responsabilité. Il est alors considéré par les adultes comme le garant
d'un changement de conditions de vie et d'un espoir pour le futur. Toutefois, comme le précise
Marie-José Chombart de Lauwe dans son article « L'enfant dans la ville : oublié, enjeu ou
messager ? », il faut prendre certaines précautions avec les projets adressés aux enfants car « dans
les programmes dont ils sont les bénéficiaires apparents, les conceptions de l'enfance traduisent les
idéologies et les buts des divers représentants du pouvoir »144
. Ainsi, lors de ma première visite à
l'école des Provinces, j'ai pu observer les limites de la mise en place d'un tel projet de
sensibilisation. En effet, en arrivant dans les couloirs, je me suis mêlé à une discussion informelle
entre Anne Tillard et le directeur de l'école. Ce dernier évoquait sa déception vis-à-vis du fait que
l'école des Provinces ne fut pas intégrée dans le Projet de Rénovation Urbaine, bien que celle-ci soit
située dans le quartier du Nouveau Mons. Il était donc légèrement moqueur à l'égard des élus qui lui
avaient proposé de la peinture pour donner un « coup de neuf » à son école. A ce moment là, je ne
me doutais pas qu'en lisant le script de l'histoire écrit par les enfants, j'allais découvrir un passage
qui faisait état de la « non-rénovation » de l'école. En effet, l'extrait ci-dessous présente un dialogue
entre Lila et son ami Vilien qui s'émerveillent en pensant à l'école Petit Prince, nouvel établissement
construit en 2012 dans le cadre du Projet de Rénovation Urbaine :
« - Bonjour Vilien, à quoi tu rêvais quand je t'ai vu à la fenêtre ?
- Je rêvais de l'école Petit Prince...
- Elle est comment cette école? Je ne la connais pas !
- C'est une école spacieuse et belle à l'intérieur comme à l'extérieur.
- Pas comme la nôtre !
- Dans la cour de récréation, des arbres viennent apporter un peu d'ombre et de fraîcheur
quand la chaleur nous rend visite.
- Ça doit être agréable !
(...)
144
Marie-José Chombart de Lauwe, « L’enfant dans la ville : oublié, enjeu ou messager ? », Revue C.C.I : La ville et
l’enfant, 1977, p.66.
63
- A l'intérieur de l'école, les murs sont peints avec des couleurs modernes et de nombreuses
décorations rendent l'école plus accueillante. Et pour les économies d'énergie, dans les
couloirs, des détecteurs de présence déclenchent ou éteignent les lumières au fur et à mesure
de l'avancée des élèves.
- Ça me fait rêver, c'est vrai que notre école ne brille pas autant !
- Effectivement, notre école n'a jamais été rénovée. Mon père y est venu quand il était petit.
Elle a été construite en 1973, elle est vieille ! Il faudrait l'améliorer, la rendre plus
écologique, me répond Vilien.
- Ce serait agréable d'avoir de la verdure sur le toit pour l'isoler et planter quelques arbres
dans la cour. Notre école est belle à l'intérieur mais pas terrible à l'extérieur ».145
Ainsi, cet extrait est la preuve que l'enfant a été orienté et utilisé pour faire passer un message. Ici,
c'est le directeur de l'école qui évoque ces revendications en les intégrant à l'histoire. Bien que ce
passage soit extrait d'une version d'esquisse, cette forme de manipulation prouve les limites de la
participation des enfants à ce type de projet. En effet, la catégorie sociale des enfants reste dominée
par les adultes malgré les efforts entrepris. Marie-José Chombart de Lauwe illustre ce fait dans ses
travaux en montrant que dans de nombreux projets, « bien des soi-disant « prises de parole » et
déclarations d'enfants ne sont que le produit de manipulations plus ou moins conscientes
d'adultes »146
. Toute la difficulté réside donc dans le fait d'encadrer suffisamment l'enfant pour
l'amener à réfléchir sur l'environnement, sans pour autant lui faire dire ce que les adultes voudraient
entendre. Ainsi, comme le dit Marie-José Chombart de Lauwe, « il ne suffit pas de donner la parole
à une catégorie sociale dominée pour qu'elle puisse la prendre »147
.
145
Op cit., « Dessine moi un éco-quartier », p.6. 146
Op cit., « L’enfant dans la ville : oublié, enjeu ou messager ? », p.68. 147
Ibid., p.68.
64
Conclusion
Au terme de ce parcours, nous avons vu que la relation entre l'enfant et la ville a évolué au cours
des siècles. Alors qu'il était familier de l'espace urbain et intégré à la vie de l'adulte, l'enfant va en
être progressivement exclu à partir du XVIIe siècle. Les premières écoles urbaines ont été crées afin
de catéchiser, moraliser et soumettre aux lois de la cité les enfants déviants. L'organisation scolaire
matérialise ce domptage du comportement de l'enfant : la classe est isolée de la rue, la surveillance
du maître est continue et les élèves sont rangés selon leur hiérarchie scolaire. Ainsi, elle contraste
avec le désordre qui se retrouve dans la rue. Les théories hygiénistes vont progressivement rendre
l'enfant enfermé dans les espaces du repli, c'est-à-dire dans le logement et à l'école. Enfin, la
disparition de la rue est accentuée par le mouvement moderne qui, par souci fonctionnel, pratique
un strict zonage des activités. Ainsi, la rue n'est plus un espace de séjour mais un lieu réservé au
passage, notamment celui des voitures. La vie de l'enfant est alors fragmentée entre trois milieux
étanches : le logement, l'école et les loisirs.
A partir des années 1970, des chercheurs vont s'intéresser au quotidien des plus jeunes dans la ville.
Les travaux de Marie-José Chombart de Lauwe ont permis de considérer la ville comme un champ
éducatif pour l'enfant. En effet, le milieu urbain, de par la diversité des images qu'il contient, est un
lieu de stimulation qui permet de libérer l'imaginaire et la créativité de l'enfant. La ville fonctionne
d'autant plus comme un lieu d'apprentissage lorsque l'enfant se déplace seul ou entre copains.
Kyriaki Tsoukala montre que cette autonomie permet à l'enfant de devenir sujet de sa relation qu'il
entretient avec l'environnement. Ainsi la ville n'est pas seulement un simple cadre matériel mais il
est aussi un cadre social. En effet, en se confrontant à autrui, l'enfant prend conscience de ses
différences et de ses particularités. Il peut alors construire progressivement sa propre identité. Selon
Jean Piaget, ce processus est celui de la différenciation. Enfin, l'espace urbain étant un lieu de
cohabitation, l'enfant y découvre la multiplicité des interactions possibles entre les générations et les
sexes. Il peut percevoir des messages, s'amuser à imiter les adultes, s'identifier à eux, et apprendre à
s'exprimer pour se faire comprendre. Ainsi, la ville fonctionne également comme un univers de
socialisation.
Suite à ces recherches, une prise de conscience a donné naissance à la création de nouvelles
politiques et à des programmes expérimentaux. C'est ainsi que la loi sur l'architecture, promulguée
le 3 Janvier 1977, a permis de créer les CAUE (Conseils d'Architecture, d'Urbanisme et de
l'Environnement) afin de sensibiliser les populations et les enfants à l'environnement urbain. Une
65
exposition consacrée à « La Ville & l'Enfant »148
a également été organisée au Centre national d'art
et de culture Georges Pompidou dès l'année de son inauguration. Les expérimentations ont fait état
de la nécessité de créer un nouveau consensus pour considérer l'enfant comme partenaire social. En
effet, les adultes entretiennent toujours un rapport de dominance vis-à-vis des plus jeunes. Ils ont
tendance à les exclure de l'espace urbain en créant des zones isolées. C'est ainsi que sont apparus
des aires de jeux, lieux peu stimulants et non modifiables selon les activités. Par le bais de ces
espaces non transformables, les adultes empêchent la possibilité d'une appropriation et refusent
ainsi de considérer l'enfant comme un acteur urbain. La présence d'interdits est également un moyen
de contrôler le comportement des enfants. En effet, en évoquant le thème de la sécurité, les adultes
exercent une surveillance continue vis-à-vis de l'enfant. C'est pour toutes ces raisons que l'enfant
considère la ville comme un lieu limité et marqué par les interdits plutôt que comme un espace à
investir librement.
C'est dans l'optique d'aider l'enfant à passer d'une citoyenneté de fait, c'est-à-dire passive, à une
citoyenneté consciente et critique que le CAUE du Nord met en place des ateliers de sensibilisation
à l'environnement. L'alternance des démarches d'éducation et de participation constitue
progressivement un processus positif de citoyenneté active autour du cadre de vie. Cependant,
l'investissement de ces ateliers ne peut être efficace que sur le long terme. En effet, la sensibilisation
à l'environnement doit être mise en place tôt pour que les enfants puissent porter par la suite un
jugement pertinent sur les projets proposés. Ils pourront alors être intégrés à la réflexion urbaine
lors de projets de concertation ou de participation pour devenir acteur de leur territoire. Par ailleurs,
ces ateliers de sensibilisation permettent de libérer la parole de l'enfant. En s'exprimant, l'enfant
participe au débat sur l'espace urbain et peut faire part de ses souhaits, réels ou imaginaires. C'est en
ce sens que Catherine Jourdan conçoit des cartes subjectives. Elle souhaite révéler le perception que
les enfants ont de la ville, leurs déplacements et leurs usages. Par le biais de la publication de la
carte dans l'espace urbain, l'enfant interpelle les adultes sur ses aspirations et se fait entendre
immédiatement. En effet, la création d'un débat, formel ou non, participe à un changement d'attitude
des adultes pour considérer l'enfant comme partenaire social. La carte fonctionne alors à la fois
comme un outil pédagogique et de concertation.
L'observation du projet « Dessine moi un éco-quartier » à Mons-en-Baroeul a montré la complexité
de la mise en place d'une sensibilisation à un Projet de Rénovation Urbaine. En effet, il a été
nécessaire de mobiliser de nombreux acteurs pour faire prendre conscience aux enfants que
l'évolution du quartier du Nouveau Mons n'était pas simplement spatiale mais qu'elle était aussi
148
« La Ville & l'Enfant », exposition du 26 Octobre 1977 au 13 Février 1978, organisée par le Centre de Création
Industrielle (CCI) au Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, Paris.
66
sociale. En effet, la création d'un éco-quartier entraine des transformations urbaines mais aussi de
nouvelles pratiques. En l'éduquant, les adultes rendent l'enfant messager et garant des bons usages à
adopter auprès de la population. Il est alors porteur d'une responsabilité pour l'avenir de l'éco-
quartier. Il faut mettre à l'honneur les personnes qui se sont investies dans la réalisation de ce projet.
Elles ont fait l'effort de proposer un projet qui participe à l'intégration de l'enfant dans la vie
urbaine. Toutefois, nous avons pu entrevoir les limites d'un projet de sensibilisation de cette
envergure. La participation de l'enfant a fait l'objet d'orientations que l'on pourrait qualifier de
manipulations plus ou moins conscientes de la part de certains adultes. Ces derniers exercent donc
toujours une domination sur l'enfant. On ne peut que conseiller de mettre de côté les objectifs des
adultes lors de projets de sensibilisation à l'environnement urbain. Ainsi, comme le dit Marie-José
Chombart de Lauwe, « il ne faut pas oublier qu'au moment de leur entrée à l'école, les enfants ont
déjà toute une expérience de leur milieu urbain. Il est possible de les amener à « conscientiser » ce
vécu, tout en évitant de leur apprendre simplement à regarder à la façon des adultes. »149
. Cette
conscientisation doit avoir comme support la réalité matérielle et sociale environnant le sujet, de
façon à l'impliquer et à le motiver au mieux possible pour son apprentissage. Le 18 Juin 2013, le
projet « Dessine moi un éco-quartier » se clôturera par la distribution du livre aux participants. Une
exposition à la bibliothèque municipale sera également organisée pour présenter le projet aux
habitants. Je pourrai alors faire un bilan avec Anne Tillard et recueillir quelques impressions des
enfants pour compléter mon analyse lors de la soutenance orale.
En m'intéressant à la relation entre l'enfant et la ville, il m'est apparu que l'espace urbain doit être
considéré comme un lieu de cohabitation. Il est nécessaire que des jeux de proximité et de mise à
distance soient présents entre les différents groupes sociaux. Il est de même normal que l'enfant ait
une relation oscillant entre dépendance et autonomie vis-à-vis des adultes. Cependant, en aucun cas
la ville doit être un espace de ségrégation. Les enfants doivent pouvoir être au contact des adultes
pour garantir un brassage multi générationnel. Aujourd'hui, la ville est de plus en plus conçue pour
les « actifs », c'est-à-dire les personnes qui travaillent. Mais avec le chômage des uns, les réductions
du temps de travail des autres, le vieillissement de la population et la scolarisation, les « inactifs »
sont dorénavant aussi nombreux en France. Il devient alors impératif d'adapter l'espace urbain aux
handicapés comme aux vieilles personnes, et de prendre en compte les enfants afin de les intégrer
au mieux dans notre société. Toutes ces personnes sont le support d'une ville ouverte, à l'opposée
des enclaves résidentielles tels les gated communities qui se multiplient et qui ont comme argument:
« Venez ici, vos enfants pourront jouer dans la rue, une rue privée et vidéo-surveillée! »150
.
149
Marie-José Chombart de Lauwe, « L’enfant dans la ville : oublié, enjeu ou messager ? », Revue C.C.I : La ville et
l’enfant, 1977, p.66. 150
Thierry Paquot, « Les enfants dans la ville », Revue Diversité ville-école-intégration, n°141, Juin 2005, p.63.
68
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Dictionnaire Larousse, sous la direction de Jeuge-Maynart, Isabelle, édition 2007.
Forums / Stages :
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des CAUE, 28 Juin 2012.
Stage académique, « Habitants et Projets Urbains », Académie de Lille, 8 et 9 Avril 2013.
Sites internet :
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Blog du projet « Dessine moi un éco-quartier », http://dessine-moi-un-ecoquartier.blogspot.fr
Ville de Mons-en-Baroeul, http://www.monsenbaroeul.fr
Histo Mons, Association historique de Mons-en-Baroeul, http://www.histo-mons.fr
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70
Annexes
Joffrey Meunier, « A Vieux-Condé, les habitants inventent leur ville idéale », Article de presse,
L'observateur du Valenciennois, Septembre 2012.
71
Catherine Jourdan, Géographie subjective – Vieux-Condé : la ville vue par ses habitants, carte,
65x90cm, 2012.