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1 UNIVERSITE LUMIERE LYON II INSTITUT DE LA COMMUNICATION DIAS CAROL 5101531 Mémoire de Recherche PHOTOGRAPHIE, MEMOIRE COLLECTIVE, REEL : Le Rapport de la photographie au réel à travers certaines images nourricières d’une mémoire collective de la seconde guerre mondiale Sous la direction d’Alain Girod Master 1 Information et Communication Septembre 2011

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PHOTOGRAPHIE, MÉMOIRE COLLECTIVE, RÉEL : Le Rapport de la photographie au réel à travers certaines images nourricières d’une mémoire collective de la seconde guerre mondiale

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Page 1: Mémoire de Recherche

1

UNIVERSITE LUMIERE – LYON II

INSTITUT DE LA COMMUNICATION

DIAS CAROL – 5101531

Mémoire de Recherche

PHOTOGRAPHIE, MEMOIRE COLLECTIVE,

REEL :

Le Rapport de la photographie au réel à travers certaines images nourricières d’une mémoire

collective de la seconde guerre mondiale

Sous la direction d’Alain Girod Master 1 Information et Communication

Septembre 2011

Page 2: Mémoire de Recherche

2

Je dédie ce travail

à mon grand père

Je remercie, en premier lieu, Alain Girod pour avoir bien voulu croire à mon difficile

sujet.

Je remercie ensuite les différentes personnes ayant bien voulu participer à

l’élaboration de ce mémoire. Je pense notamment aux collaborateurs du Centre d’Histoire,

de la Résistance, et de la Déportation, qui ont ouvert les portes de leur musée avec grand

plaisir. Je pense aussi aux photographes que j’ai rencontrés, qui se sont très gentiment

portés au jeu. Je pense, pour terminer, aux personnes ayant donné quelques minutes de

leur temps pour répondre à mes questions.

Puis, je remercie tout particulièrement ma famille, ainsi que mes amis, pour

m’avoir soutenue tout au long de cette épreuve.

Je remercie enfin Fred pour son aide précieuse, sa présence, son soutien, et sa

très grande patience.

Je tiens à préciser que ce travail n’aurait pas pu voir le jour sans la contribution

active de toutes ces personnes…

Page 3: Mémoire de Recherche

3

Page 4: Mémoire de Recherche

4

SOMMAIRE :

Partie 1 : LA PHOTOGRAPHIE, ENTRE HISTOIRE, REEL, ET ART

1. Des origines lointaines

2. Un miroir du réel

3. Un rapport particulier avec l’art

Partie 2 : LA MEMOIRE : UNE PENSEE COLLECTIVE

1. La mémoire collective, une notion abstraite

2. La mémoire collective à travers la seconde guerre mondiale

3. La photographie, un outil au service de la mémoire

Partie 3 : ANALYSES PERSONNELLES

1. Analyse sémiologique d’images de la seconde guerre

mondiale

2. Légendes et Contextes, des pièces à conviction

3. Critique de la photographie comme représentative du réel

Page 5: Mémoire de Recherche

5

INTRODUCTION

« La photographie est un langage à part entière »1

La photographie est un domaine très particulier. Elle regroupe de multiples

individus autour d’elle : photographes, lecteurs, spectateurs, professionnels ou amateurs…

Elle recouvre une dimension multiple. On pourrait même dire qu’elle constitue un monde.

Celui-ci m’a toujours attirée, fascinée, depuis l’enfance. J’ai toujours apprécié

photographier, fabriquer des souvenirs, ou les regarder pour faire fonctionner ma mémoire.

J’aime également observer les images des autres, leurs créations artistiques, ou encore

les illustrations des livres, des magazines.

Aux prémices de mon travail, au moment où l’on doit choisir un thème, j’avais

décidé de travailler sur l’image. Mais je voulais un sujet particulier, un peu plus original que

ceux que l’on retrouve chaque année concernant la publicité, la presse ou internet. Il m’a

alors semblé tout naturel d’axer mon choix sur la photographie. Cet objet m’interpellait, il

me questionnait. J’avais envie d’en connaître l’histoire, les origines. Je voulais savoir pour

quelles raisons il était devenu si populaire, pourquoi il constituait une révolution dans la

société. Une fois mon thème déterminé, il fallait ensuite que je centre ma recherche sur un

aspect particulier de la photographie, que je précise ce sur quoi je voulais travailler, que je

ne sois pas trop générale. C’est ainsi que j’ai éprouvé ma première difficulté, car j’ai

d’abord pensé travailler sur la perte du métier de photographe à l’aire du numérique. Mais

cela m’a été déconseillé. Alors j’ai continué à chercher… jusqu’à ce que j’aille visiter le

Centre d’Histoire, de la Résistance, et de la Déportation de Lyon. Un sujet s’est alors

présenté à moi comme une évidence : travailler sur la photographie comme trace de la

mémoire collective, en me centrant plus particulièrement sur la période de la seconde

guerre mondiale. A ce moment là, je devais donc trouver une problématique mettant en

1 Emmanuel Garrigues, L’écriture photographique, l’Harmattan, Champs visuels, Paris, 236 pages.

Page 6: Mémoire de Recherche

6

lien la photographie et la mémoire collective, ce qui a constitué une seconde difficulté. Je

pensais, au début, essayer de démontrer que tout le monde possède une mémoire

individuelle, ainsi qu’une mémoire collective, constituée d’évènements marquants pour un

groupe. Le but de chaque individu est de conserver ces éléments. Pour cela, on fait

communément appel à des outils tels que la photographie. Le problème qui s’est posé, est

que lorsque j’ai commencé mes recherches et esquissé un premier plan de travail, je me

suis rendue compte que ce sujet n’était pas très clair et surtout qu’il serait compliqué à

traiter. J’ai alors décidé de l’orienter différemment. J’ai donc choisi de traiter le rapport de

la photographie au réel, qui constituait à la base seulement le sujet d’un chapitre, comme

thème central de ma recherche. J’ai gardé chacune des parties de la première

problématique mais je les ai orientées autrement. Ainsi, aujourd’hui et par l’intermédiaire

de ce mémoire, mon but est de démontrer que la photographie ne représente pas toujours

le réel, comme on le croit communément, et bien que cela soit sa fonction première. Pour

cela, je m’appuie je m’appuierai d’images de la seconde guerre mondiale, qui constitue

notre mémoire collective de cet évènement.

Problématique

Selon sa définition des plus communes, celle du dictionnaire, la photographie est

un procédé technique permettant d’obtenir une image durable des objets, par l’action de la

lumière sur une surface sensible2. En d’autres termes, c’est une technique permettant de

créer des images par l’action de la lumière. On dit que c’est « l’écriture de la lumière » ou

l’art de fixer la trace de la lumière. 3Son origine est ancienne car elle remonte à l’Antiquité

grecque où Aristote utilisait la Chambre Noire (ou « camera obscura »), que l’on pourrait

qualifier comme l’ancêtre des appareils photographiques. Celle-ci est constituée par une

boîte fermée, étanche à la lumière, dont une des faces est percée d’un petit trou, le

2 ROBERT Paul, Le nouveau petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française,

version électronique, 2010.

3 GANDOLFO Jean Paul, « Histoire des procédés photographiques », in Encyclopaedia Universalis, 2008, 11

pages.

Page 7: Mémoire de Recherche

7

sténopé. Lorsque la lumière pénètre dans ce trou, une image inversée de l’extérieur est

projetée sur la paroi opposée. Cela lui servait, à l’époque, à observer certains

phénomènes célestes comme les mouvements solaires. Les performances de la Chambre

Noire s’améliorent à la Renaissance avec l’introduction d’une lentille qui permet une plus

grande netteté de l’image. L’inconvénient de cette technique était le manque de luminosité.

En effet, pour que l’image soit suffisamment détaillée, il fallait que le trou soit le plus petit

possible. L’introduction de la lentille de verre a permis d’améliorer les performances du

sténopé : son diamètre étant plus grand, plus de lumière est admise, l’image est donc

meilleure. Cependant, la véritable invention de la photographie revient à Niécephore

Niépce en 1826. Il est le premier à réussir l’obtention d’une image due à l’action de la

lumière. Pour cela, il utilise une plaque de métal enduite de bitume de Judée, qu’il expose

plusieurs heures au jour. Puis, il la rince au solvant, avant qu’elle ne soit rongée par l’acide

aux endroits où le bitume est dissous. Le résultat est concluant et permet de créer des

supports métalliques pour l’imprimerie. La première photo reconnue est celle de sa

propriété de Saint-Loup-de-Varennes. Cette image est assez floue mais constitue toutefois

le premier élément issu de la chambre noire, utilisé à une fin photographique. En 1839,

Louis Jacques Daguerre poursuit cette idée tout en utilisant des matériaux différents, plus

sensibles à la lumière. Ainsi, le temps de pose se réduit considérablement. Il apporte

également des améliorations significatives au niveau de l’optique, ce qui donne une

luminosité des objectifs meilleure. Le « Daguerréotype » est crée. Il reçoit un accueil du

public des plus enthousiastes, ce qui permet une première démocratisation des appareils

photographiques, mais une inquiétude grandissante parmi les peintres quant à leur

profession. William Talbot invente en 1840 la « calotype ». C’était un procédé négatif-

positif qui permettait la diffusion multiple des images. Pour cela, il installait une feuille de

papier induite de chlorure d’argent dans sa chambre noire, qu’il exposait ensuite à la

lumière du jour pour obtenir une image positive. Grâce à cela, il avait la possibilité de

produire plusieurs exemplaires d’un même négatif. Ce dispositif était moins encombrant et

coûtait moins cher que celui de Daguerre. En 1884, George Eastman crée la révolution en

se séparant des plaques de verres lourdes et encombrantes. Il met au point des surfaces

sensibles et souples, ainsi que le film celluloïd permettant de stocker plusieurs images

dans l’appareil. Leur taille a alors commencé à se réduire, ce qui a permis la photo de

Page 8: Mémoire de Recherche

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voyage, ainsi que le reportage, mais également l’évènement du métier de photographe

professionnel. Puis, les frères Louis et Auguste Lumière créent « l’autochrome » en

1903, ce qui permet d’obtenir des photos en couleur. Elles sont obtenues grâce à une

trichromie composée de grains de fécule de pomme de terre et des couleurs primaires. Le

monde technique de la photographie ne cesse alors d’évoluer. En 1909, Etienne Mollier

invente le Cent-Vues, un appareil photo « de poche » qui prenait cent vues d’affilée. Puis,

en 1913, Oskar Barnack construit Leica qui est à l’origine du concept d’appareil petit

format. Le polaroïd apparaît en 1948 grâce à Edwin Land, qui permet un développement

instantané de la photographie. La dernière évolution date du XXIème siècle avec l’arrivée

du numérique qui transforme l’image en une série de points appelés « pixels », ce qui

permet une haute définition.

La photographie s’est donc peu à peu intégrée dans la société actuelle.

Aujourd’hui, sa place est prépondérante. Nous comptons les photographes professionnels,

ainsi que les amateurs par milliers. Elle est un recours incontournable lors d’évènements

particuliers étant donné que son but est de « montrer le réel ». C’est pourquoi on utilise la

photographie pour graver les images des moments forts dans l’esprit des individus à tout

jamais. L’image permet d’établir un lien entre ce qui a été appris, ce que l’on a entendu, ce

qu’on imagine, ce dont on rêve. Comme le dit Susan Sontag4, « rien n’entre mieux dans la

tête qu’une photographie » car il n’y a pas de preuve plus formelle que celle-ci. Le recours

à cet objet est donc infiniment lié à notre mémoire, et particulièrement à la mémoire

collective.

Le terme de mémoire renvoie à des réalités différentes. Dans sa définition la plus

triviale, celle du dictionnaire, deux conceptions cohabitent. La première renvoie à la

possibilité de garder un souvenir, de conserver une information5. Dans le langage courant,

c’est la faculté de conserver et de rappeler des états de conscience passés. D’un point de

vue philosophique, selon des auteurs comme Hobbes, Locke ou Condillac, elle serait une

fonction permettant la représentation du passé comme tel. Pour la psychologie, fervente 4 SONTAG Susan, Sur la photographie, Christian Bourgois Editeur, Paris, 1983, 280 pages.

5 ROBERT Paul, Le nouveau petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française,

version électronique, 2010.

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successeur de cette idée aujourd’hui, il s’agirait d’un ensemble de fonctions psychiques

grâce auxquelles nous pouvons nous représenter le passé comme passé. La mémoire

joue donc un rôle essentiel au niveau de la cognition humaine. Pour être plus précis, les

psychologues lui confèrent une double capacité : celle de stocker des connaissances et de

les réactiver, celle de se référer ou d’évoquer des éléments du passé. Elle détermine ainsi,

pour une large part, notre perception du présent, façonne nos anticipations, et permet

l’apprentissage. Le stockage de l’information dans la mémoire peut s’expliquer par un

modèle théorique, celui d’Atkinson et Shiffrin6 en 1968. Ces scientifiques nous expliquent

que la mémoire est divisée en trois éléments distincts et que les informations ou

« stimulis » sont traités par ceux-ci. Les stimulis provenant de nos sens (sons, images,

odeurs…) sont, dans un premier temps, captés par la mémoire sensorielle. Elle est

capable d’en stocker une quantité relativement limitée, et ce, pendant de très brèves

périodes de temps. Puis, ils passent dans la mémoire à court terme qui permet de retenir

et de réutiliser une certaine quantité d’informations pour des périodes un peu plus longues

tout en restant limité. Enfin, certains iront dans la mémoire à long terme qui possède,

elle, une très large capacité puisqu’elle est peut stocker l’information pendant de longues

durées, voire même toute la vie. Endel Tulving7, psychologue cognitif, pionnier de la

mémoire, complète ce modèle en 1995, en distinguant cinq types de mémoires. Il y a d’une

part, la mémoire perceptive, celle qui nous permet de reconnaître les formes (Reconnaître

une fleur comme en étant une, par exemple). Vient ensuite la mémoire sémantique, qui

nous permet de stocker les connaissances générales relatives à un objet (tous les

éléments concernant la catégorie « fleur »). Puis, il y a la mémoire procédurale, celle qui

nous permet de posséder des savoir-faire, elle se situe davantage du côté de la technique

donc (Savoir cultiver les fleurs). Egalement la mémoire épisodique qui renvoie aux

évènements vécus dans un contexte certain : date, lieu, état émotionnel… (Avoir cueilli

une fleur particulière par un jour particulier, dans un lieu particulier). Enfin, l’auteur fait

référence à la mémoire de travail qui, elle, nous permet de garder une information en tête

6 DORE-MAZARS Karine, GYSELINCK Valérie, NICOLAS Serge, VERGELINO-PEREZ Dorine, Introduction

à la psychologie cognitive, In press, Paris, 2007, 200 pages.

7W.MATLIN Margaret, traduit par BROSSARD Alain, La cognition : une introduction à la psychologie

cognitive, De Boeck, Paris, 2001, 786 pages.

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pendant un certain labs de temps, celui de l’action. Cela renvoie à la mémoire à court

terme dans le modèle précédent.

Dans un second temps, le dictionnaire renvoie à une définition faisant attrait à ce

dont on se souvient, c'est-à-dire au fait de conserver, garder en tête un évènement

marquant8. Cette conception est liée aux souvenirs, au contexte dans lequel nous les

avons enregistrés ou rappelés. Ainsi, elle revêt un aspect beaucoup plus social. En effet,

d’après les historiens, cette mémoire correspond à un ensemble de données représenté

par le passé en tant qu’il est transmis, elle est, de plus, nourrie par un ensemble de

témoignages et souvenirs individuels qui nous conduisent à reconstruire le passé9. La

mémoire est donc divisée, de manière générale, en deux visions différentes mais

complémentaires, réunies par un noyau commun, celui de faire référence à des éléments

du passé. Cette distinction apparaissait déjà aux principes de l’origine du mot. En effet, en

observant son étymologie depuis ses origines grecques et latines, on s’attendait à ce que

les mots de sa même famille lexicales comme memento, commémorer, mnémotechnique

etc. aient une seule et même racine, ce qui n’est pas le cas. Selon Grandsaignes

d’Hauterives10 en 1964, la première racine serait men-, elle renverrait aux « mouvements

de l’esprit », alors que la seconde serait smer-, ce qui signifierait « avoir part à ». Cela

correspond donc à cette même division, celle de faculté de l’esprit, ainsi que celle de

partage d’évènements passés, la même que l’on retrouve dans ces deux définitions, la

première étant plus théorique et faisant référence à la faculté de réactiver, la seconde

étant plus sociale car elle nous présente la mémoire comme une source d’un capital

culturel partagé par les individus d’un groupe donné : la mémoire collective.

Le terme de réel, quant à lui, est assez vaste, et difficile à définir clairement.

Etymologiquement, il vient du latin médiéval realis qui veut dire « chose ». Il provient

également de real signifiant « qui existe vraiment ». Il y a donc deux définitions relatives à

8 ROBERT Paul, Le nouveau petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française,

version électronique, 2010.

9 COMET Georges, LEJEUNE Antoine, MAURY-ROUAN Claire, Mémoire individuelle, mémoire collective et

histoire, Solal, Marseille, 2008, 216 pages.

10 Information tirée du même ouvrage.

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ce terme de réel, en rapport avec cette étymologie. Toujours selon Le Robert, sa première

définition est « qui consiste en une chose. Qui concerne les choses ». Il est dans ce cas là

opposé au mot « personnel ». Il s’agit donc de réel au sens de généralité. Il attrait aux

objets en général. La seconde définition, plus commune, est que le réel est « ce qui existe

vraiment, qui n’est ni une illusion, ni une apparence ». Il concerne ce qui a une existence,

et s’oppose à l’imaginaire. C’est donc un fait certain, authentique, indubitable. C’est

quelque chose de concret, de palpable. C’est cette signification qui nous intéressera dans

le cadre de notre recherche. Enfin, en tant que nom masculin, le réel, regroupe les deux

définitions précédentes, il renvoie aux choses elles-mêmes, aux faits réels, à la vie réelle,

à ce qui est. Ses antonymes sont chimérique, fabuleux, fictif.

La photographie, la mémoire, notamment collective, et le réel, sont les trois

thèmes centraux de mon travail. Nous venons donc de les définir un peu plus clairement.

Nous verrons par la suite que la photographie recouvre une forte fonction de réel, dès son

apparition dans la société au XIXème siècle. En effet, n’étant, à cette époque, pas

considérée comme un art, son utilité était de calquer ce que l’on voyait, qu’il s’agisse de

portrait ou de paysage. Cette idée subsiste encore chez certains auteurs et pour un grand

nombre d’amateurs. Nombreux sont ceux qui se fient à une photographie pour attester de

la véracité d’un fait passé, auquel il n’aurait pas assisté. Tout l’objet de mon étude est de

démontrer que l’objet photographique ne représente pas toujours le réel, et qu’il est

primordial de prendre en considération certains facteurs qui entrent en jeu lors de l’acte

photographique. Il faut enfin prendre en considération les limites techniques de l’objet qui

ne peut pas retransmettre exactement le réel. La copie de la vie n’est pas la vie. Certains

auteurs, notamment un des plus célèbres théoriciens de la photographie, Roland Barthes11

ont d’ailleurs défendu cette idée de non objectivité.

Pour attester cela, je m’appuierai d’un fait important de la mémoire collective : la

seconde guerre mondiale. Celle-ci ayant donné lieu un nombre important de

photographies.

11 BARTHES Roland, La chambre claire : note sur la photographie, Gallimard, Mayenne, 1980, 192 pages.

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Hypothèses

L’objet principal de ma recherche est de démontrer que, contrairement à ce que

l’on pensait lors de son apparition dans la société, la photographie ne représente pas

toujours le réel. Pour cela, je montrerai, dans un premier temps, qu’il y a toujours une

volonté de la part du photographe, dans la mise en scène de l’image, elle n’est jamais

neutre. Je prouverai ensuite que ce que l’on peut observer dans une image, notamment

vidéographique, n’est pas forcément significatif d’une réalité. Il y a toujours une

scénarisation, c'est-à-dire une façon de pointer le réel, de le cadrer. Enfin, ma dernière

hypothèse concerne le rapport qu’il existe entre la photographie et le texte. Dans ce

dernier point, j’essaierai de montrer que ce sont les légendes ou commentaires autour des

photographies qui lui donnent son sens.

Plan

Pour répondre à ma problématique, je déroulerai ma recherche selon trois

chapitres. Le premier concerne spécifiquement la photographie. Au sein de celui-ci j’en

expliquerai ses origines, des plus lointaines qu’elles soient, jusqu’à son apparition dans la

société. Puis, dans une seconde partie, j’expliquerai le rapport particulier qu’elle entretient

avec le réel. Je montrerai à quel point il existe une pensée commune selon laquelle la

photographie est un miroir du réel. Enfin, dans une dernière partie, j’expliciterai le fil qui la

lie à l’art et à quel point cela a été difficile pour elle d’être reconnue en tant que telle.

Le second chapitre sera plus concentré sur la mémoire collective. En effet, dans

un premier temps, j’essaierai d’expliquer cette notion, aussi abstraite soit-elle. Puis, je

tenterai d’appliquer ce terme à une période particulière, celle de la seconde guerre

mondiale. Pour terminer, je démontrerai que la photographie est entièrement liée à

l’illustration de la mémoire collective, qu’elle en est un outil à son service.

Mon dernier chapitre sera composé de manière pratique. Pour commencer, je ferai

une analyse sémiologique d’images de la seconde guerre mondiale, c'est-à-dire que

j’essaierai d’analyser un corpus de huit photographies issues de cette période. Ensuite,

Page 13: Mémoire de Recherche

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j’expliquerai qu’il ne faut pas toujours croire ce que l’on observe sur les photographies.

Pour cela, je m’appuierai sur un documentaire réalisé grâce à des images muettes dont on

ne connaît pas l’origine et retrouvé peu après la guerre. Pour terminer, je montrerai

l’importance de la légende lors de la publication d’une photographie, notamment

documentaire. Pour se faire, je m’appuierai sur un questionnaire que j’administrerai à un

échantillon de 80 personnes.

Méthodologie, Corpus, et terrain

Pour confirmer mes hypothèses, mes procédés seront multiples. Je combinerai à

la fois analyses sociologiques, et analyses sémiologiques. Pour commencer, j’ai décidé de

prendre appui sur le Centre d’Histoire, de la Résistance, et de la Déportation. Ainsi, je ferai

passer des entretiens à différents collaborateurs du musée. La directrice, I.R, qui me fera

un bref historique de la construction du Centre, et qui m’expliquera plus précisément de

quelle manière prend forme l’exposition permanente. L’attachée de conservation, M.V, qui,

elle, me parlera plus spécifiquement des expositions temporaires. C.J, la documentaliste

du centre de documentation du musée, qui m’expliquera de quelles façons sont traitées les

archives. Enfin, je devais rencontrer M.P, médiateur culturel, qui devait me parler de ses

activités ludiques avec les publics scolaires autour de la photographie, mais n’avons pas

réussi à nous entendre sur un rendez-vous, de par son emploi du temps chargé. J’irai

également à la rencontre de plusieurs photographes pour savoir ce qu’ils pensent du

rapport entre photographie et réel: F.B, P.W, et F.O. Enfin, je questionnerai des visiteurs

anonymes du Centre pour savoir ce qu’ils ont ressenti tout au long de la visite. Les

entretiens seront pour certains semi-directifs (…), avec un caractère plus directif pour

d’autres (..). consultables en annexes. Dans un second temps, j’administrerai un

questionnaire à un public large et anonyme. A l’intérieur de celui-ci, il y aura trois

photographies de la seconde guerre mondiale non légendées. Le but sera que les

personnes questionnées décrivent ce qu’elles voient, ainsi que ce à quoi cela leur fait

penser. Je prendrai ensuite appui sur le film documentaire de Yael Hersonski, qui date de

2009, Quand les nazis filmaient le ghetto. Celui-ci a été réalisé à partir d’images muettes

prises par les nazis pour montrer à quoi ressemblait le ghetto de Varsovie en mai 1942.

Page 14: Mémoire de Recherche

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J’utiliserai ce film pour prouver que ce que les images montrent, n’est pas forcément ce

qu’il se passe dans la « vraie » vie. Pour terminer, j’analyserai un corpus de huit

photographies selon la méthode d’analyse de l’image de Martine Joly12. Ce corpus sera

composé de huit photographies de la seconde guerre mondiale issues de Mémoire des

Camps, ouvrage de Clément Chéroux, historien de la photographie. Celui-ci a été réalisé

à l’issue de l’exposition intitulée « Photographies des camps de concentration et

d’extermination nazis (1933-1999) » qui s’est tenue de janvier à mars 2001, à l’hôtel de

Sully, à Paris.

12 JOLY Martine, Introduction à l’analyse de l’image, Armand Colin 2ème édition, 128, 2009, 123 pages.

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PARTIE 1 :

LA PHOTOGRAPHIE,

ENTRE HISTOIRE,

REEL, ET ART

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I. LA PHOTOGRAPHIE, ENTRE HISTOIRE, REEL,

ET ART

La photographie est un vaste sujet dont on peut traiter de nombreux aspects. Pour

bien comprendre l’objet de notre étude, nous allons, pour commencer, définir précisément

ce qu’a été la photographie au fil du temps. Nous allons, pour cela, tracer une chronologie

partant des prémices de l’empreinte photographique, de la camera obscura et la camera

lucida, jusqu’à l’invention du daguerréotype, ainsi que du calotype. Nous allons en

observer leurs avantages et inconvénients, ainsi que les premiers usages de cette pratique

photographique dans la société. Puis, dans un second temps, nous aborderons la question

du réel. Nous verrons, dans ce chapitre, que lorsque la photographie est apparue, en

1836, on lui a reconnu une fonction mimétique très importante, on disait alors qu’elle était

l’imitation la plus parfaite du réel. Quelques auteurs plus contemporains diront, plus tard,

que ce réel est l’essence même de la photographie. Cela avec une distance plus

importante et plus critique que dans ses premières années. Enfin, nous verrons le rapport

compliqué qu’elle entretient avec l’art, notamment au moment de sa création. Réalité

objective de l’outil mécanique ne pouvant pas se confondre avec abstraction subjective de

l’artiste. Là est tout l’enjeu de ce conflit. Mais nous observerons également au sein de

cette partie, l’évolution des mentalités, en passant par les différents courants artistiques de

l’époque jusqu’à nos jours.

Page 17: Mémoire de Recherche

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1. Des origines lointaines

D’après l’œuvre de Philippe Dubois13, tout livre sur l’histoire de la photographie

présenterait son invention comme le résultat de la conjonction de deux inventions

préalables et distinctes.

En premier lieu, la camera obscura (ou chambre noire), qui est un dispositif

optique de captation de la lumière. Celle-ci est bien plus ancienne que la photographie-

même puisqu’elle existait déjà sous une forme appelée la « lanterne magique » au

XVIIème siècle, c'est-à-dire à l’époque de la Renaissance, et de sa vision perspectiviste. Il

s’agissait de capter des images pour ensuite les peindre ou les dessiner. Parfois, à

l’inverse, on pouvait projeter sur un écran des images préalablement peintes ou dessinées.

Prise et diffusion étaient donc déjà fortement liées, et elles transitaient par la même

« boîte », faisant office de bloc transformateur, ou encore d’échangeur. Pour illustrer cela,

nous pouvons prendre appui sur la « chambre noire portable ».

C’était un objet très grand puisqu’il permettait à un homme de s’y tenir debout. Il se plaçait

à l’intérieur de cette boite, et ainsi, il pouvait facilement voir et dessiner (ou peindre) les

images extérieures qui se projetaient en s’inversant sur l’écran. Ces dispositifs avaient

pour fonction de permettre de dessiner ou de peindre par transposition directe du référent

sur l’écran-support. Dans sa boite, l’artiste n’avait qu’à reproduire, copier, faire le calque de

13 DUBOIS Philippe, L’acte photographique, Parvis, Nathan, Paris, 1990, 301 pages.

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l’image qui se projetait « naturellement » face à lui. Quelques années plus tard, en 1807,

William Hyde Wollaston inventa la camera lucida (ou chambre claire).

La logique indiciaire était la même puisqu’il s’agissait également d’un moyen optique

servant à obtenir des images par copie directe. Son principe était quelque peu différent

mais très simple. A la base un petit œilleton, celui-ci était muni d’un prisme, d’un jeu de

miroir, ainsi que d’une lentille. Tout cela fixé à l’extrémité d’une tige immobile, elle-même

attachée à une table à dessin. L’artiste devait tout simplement coller son œil à l’œilleton,

« cadrer » son projet, et laisser sa main courir sur le papier. Il devait tracer sur la feuille, de

manière simultanée, ce que l’œil percevait. Cela fonctionnait sans intermédiaire, tout se

passait directement de l’œil à la main. Il s’agit ici d’un dispositif optique comme découpe

du réel. La question que l’on se pose est de savoir pourquoi regarder par un petit dispositif

ce que l’on pourrait très bien voir directement, de manière plus large et donc probablement

mieux. La réponse est la médiation du dispositif via un cadre, c'est-à-dire via un espace de

représentation, des axes et des rapports ou encore une composition, comme c’est le cas

dans notre photographie contemporaine.

La seconde découverte est d’ordre chimique, il s’agit de la sensibilisation à la

lumière de certaines substances à base de sels d’argent. Cela va permettre d’abandonner

le travail de calque et de copie manuelle de l’image, au profit d’un nouveau moyen

d’enregistrement : l’inscription automatique. Il existe pour cela deux types d’illustration.

D’abord, un dispositif particulier nous montrant la manière dont se fabriquaient les très

fameux jeux d’ombre à partir du XVIIIème siècle.

Page 19: Mémoire de Recherche

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Pour commencer, on assied le modèle dont il faut réaliser le portrait, sur un siège,

immobile. Ensuite, sur l’un de ses côtés, on dispose une source lumineuse (une bougie par

exemple) ; orientée vers lui, elle projettera ses rayons vers un écran placé

perpendiculairement de l’autre côté du sujet. L’autre face de cet écran, de toile ou de

papier, sera la surface d’inscription de l’image. Pour cette raison, il devra être relativement

transparent ou translucide. En effet, ainsi l’ombre du modèle, projetée sur le verso de

l’écran, pourra transparaître à travers celui-ci, et le peintre, placé de l’autre côté, c'est-à-

dire au recto, n’aura plus qu’à tracer, reporter, marquer le profil ombré, à l’envers. Donc,

en se fixant par le dessin au recto de son verso, l’ombre s’est inversée, comme le reflet

dans le miroir. Cela relève d’une tradition dite de « profils à la silhouette » au XVIIIème

siècle, inventés par Etienne de Silhouette, et ouvrant largement la voie à la photographie.

Pour la seconde illustration, un modèle est assis, se trouve une lumière directionnelle sur

lui, un écran, ainsi qu’une ombre. Tout est semblable à la figure précédente. Mais quelque

chose de très important va les séparer, quelque chose qui va distinguer la photographie du

dessin, qui va la fonder même. En effet, ici, l’ombre projetée sur l’écran-support va s’y

imprimer d’elle-même, et non plus grâce à la main du peintre. Ainsi est né le principe de

l’exposition photographique où un support couvert d’une couche de nitrate d’argent se

révèle sensible à la lumière, ainsi qu’à ses variations. Il enregistre lui-même par des

gradations de noir et de blanc, dans sa propre matière. La photographie comme empreinte

lumineuse est donc fondée.

Page 20: Mémoire de Recherche

20

Il faut toutefois faire attention. En effet, nous venons de découvrir comment former

une image sur un support couvert de sels d’argent sensibles à la lumière, mais nous

n’avons pas encore découvert, à cette époque là, la conservation des empreintes

lumineuses ainsi apparues, et c’est cela qui fera véritablement accéder à la photographie à

proprement parler, puisqu’elle est une ombre impressionnée, mais également fixée.

« Cette invention n’est pas due au hasard : elle répond à un besoin profond et

général, à la fois économique et intellectuel » selon Jean Alain Lesourd et Claude

Gérard.14

Pierre-Jean Amar15 nous apprend qu’il faudra attendre les années 1800 et quatre

inventeurs différents pour qu’apparaisse la photographie dans la société. Le savant

scientifique Joseph Nicéphore Nièpce sera le premier à créer une véritable photographie.

A l’aide de son frère Claude Nièpce, il investigue sur de nombreuses recherches diverses

et variées comme l’invention d’un moteur à explosion par exemple, qui sera le précurseur

de celui de Diesel. En 1813, le scientifique essaie la « lithographie », inventée par Aloys

Senefelder, et qui sert à reproduire des gravures. Par celle-ci il tente des expériences dont

le but est de reproduire des dessins mécaniquement grâce à la lumière. En 1816, il finit par

14 LESOURD Jean Alain, GERARD Claude, Histoire économique, XIXè XXè siècle, Armand Collin, Paris,

1963, 664 pages.

15 AMAR Pierre-Jean, Histoire de la Photographie, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, Paris,

1999, 127 pages.

Page 21: Mémoire de Recherche

21

obtenir une image aux sels d’argent qu’il a obtenu grâce à des valeurs inversées, mais

cela ne le satisfait pas car, lui, cherche des valeurs réelle alors se désintéresse de ce

négatif. Il essaie alors, quelques années plus tard, le bitume de Judée qu’il dissout avec de

l’essence et étale sur différents supports comme le verre, le cuivre argenté ou l’étain.

Grâce à cette technique, il réalise ses premières plaques métalliques gravées. L’obtention

d’une image demande beaucoup de temps (60 à 100 heures) mais les résultats sont assez

satisfaisants, et il nomme cette technique « héliographie ». La première image connue de

l’histoire de la photographie pourrait ainsi dater de 1822, et se nommerait « La table

dressée ». Nièpce entre ensuite en contact avec Louis-Jacques Daguerre en 1826, qui est

à la fois un homme d’affaires et un peintre, qui utilise beaucoup la chambre noire pour

dessiner. Tous deux signent un contrat stipulant que le scientifique « abandonne » son

invention et que l’homme d’affaire y apporte une nouvelle combinaison de chambre noire,

ses talents et son industrie. Ainsi, Daguerre poursuit les recherches de son prédécesseur,

qui meurt peu après, avec pour objectif de les améliorer. En 1837, il utilise de l’eau salée

pour fixer les images, ce qui révolutionnera l’invention. Ce procédé est beaucoup plus

rapide car le temps de pose passe à une demi-heure, et même plus tard, à quinze

minutes, et l’image de bien meilleure qualité, grâce à de meilleurs optiques. Le

Daguerréotype est ainsi né. Le projet est présenté à l’Institut de France en 1839 comme

« découverte qui peut tant contribuer aux progrès des Arts et des Sciences ». La même

année, le procédé devient public, créant un fort engouement de la part de la population.

L’appareil pèse cinquante kilogrammes et coûte très cher. Pourtant, en 1851, il sera à son

apogée, puisqu’il sera employé dans le monde entier. Cette même année Daguerre meurt.

En parallèle de tout cela, en Angleterre, un autre scientifique, Henry Fox Talbot,

utilise, pour dessiner, la chambre claire, cherchant un moyen de capter les images de la

chambre obscure. Il réalise donc quelques expériences de son côté comme l’utilisation de

papier imprégné de nitrate d’argent, fixé au sel de cuisine. Il crée de cette manière ses

premiers « dessins photogéniques » dans une minuscule chambre noire. Sans le savoir, il

reproduit quasiment les même expériences que Nièpce sur la photographie. Mais n’étant

pas satisfait du résultat, il décide de tout stopper, jusqu’à ce que l’invention de Nièpce et

Daguerre soit médiatisée. Il décide alors d’améliorer sa technique en s’appuyant sur leurs

travaux. Il met ainsi au point, en 1840, le calotype, ou « belle empreinte », qui est un

Page 22: Mémoire de Recherche

22

développement des images latentes, ainsi qu’une reproductibilité des images, réduisant le

temps de pose à une dizaine de secondes seulement. Il sera le premier, d’après Hervé le

Goff16, à proposer un système négatif-positif.

Enfin, il y a Hippolyte Bayard, le plus ignoré des quatre inventeurs, qui est un

fonctionnaire du ministère des Finances, et qui fréquente énormément le milieu artistique

parisien. Après avoir pris connaissances des recherches de Daguerre, il entreprend en

1839 des essais sur papier sensibilisé et obtient des épreuves positives directes ayant

l’aspect de dessins à cause de la texture du papier. Il réalise même cette année là, et ce

avant la divulgation du daguerréotype, la première exposition de photographies de

l’histoire. Avant la découverte du calotype de Talbot, Bayard révèle également son

invention de l’image latente avec développement. Pourtant, on porte peu d’intérêt à ses

travaux.

Malgré les différentes avancées technologiques de plusieurs savants, c’est le

Daguerréotype qui sera le plus reconnu. L’objet possède pourtant quelques inconvénients

comme le temps de pose en plein soleil par exemple. S’il s’agissait d’un portrait, la

personne devait rester immobile au soleil quinze à trente minutes, la tête et les bras

emprisonnés dans un carcan, ce qui était fort contraignant pour elle. Donc différents

scientifiques continuèrent d’améliorer le daguerréotype, et en 1855, le temps de pose

n’était plus que de quelques secondes. Au début, les plaques étaient non seulement très

fragiles mais également très grandes. Avec le temps leur taille se réduit peu à peu. Ces

inconvénients n’empêcheront pas l’objet de se répandre fortement dans la société. Avec

celui-ci, tous les types de sujets sont abordés : portraits, nus, pornographie, microscopie,

vues panoramiques, paysages, architecture… Des photographes ambulants peu qualifiés

apparaissent alors. Il faudra attendre 1865 pour que le daguerréotype disparaisse des

pratiques courantes. Dans le même temps, mais de manière plus discrète, le calotype

continue son ascension. Son but est la réalisation d’images sur papier. Ses avantages sont

une plus grande souplesse d’utilisation, une rapidité de mise en œuvre, une absence de

fragilité de support, sa reproductibilité, mais ceux-ci contre balancent avec la moins bonne

16 LE GOFF Hervé, La photographie, Cercle d’Art, Découvrons l’art, Paris, 2003, 64 pages.

Page 23: Mémoire de Recherche

23

qualité d’image, en comparaison avec l’autre instrument. Visuellement, les images sont

assez proches du dessin. Il sera donc plutôt employé pour les paysages, l’architecture ou

les natures mortes, et ce pendant près de dix ans. Malgré cela, ce produit s’adresse

essentiellement aux classes aisées car, comme c’est le cas pour le daguerréotype, son

acquisition coûte très cher.

Plus tard, apparaît le collodion humide, comme on peut le lire dans l’ouvrage de

Thierry Gervais et Gaëlle Morel17. A la place du papier, comme le recommande Talbot, un

britannique, Frédérick Scott-Archer préfère utiliser du verre sur lequel il étend un mélange

coton-poudre dissous dans de l’éther alcoolique, posé, comme tous les autres sur une

plaque, auquel il ajoute de l’iodure de potassium. Grâce à l’éther, le temps entre la

préparation, la prise de vue, et le développement se réduit énormément, il est en tout

d’une quinzaine de minutes environ. Ainsi, cette technique sera, pendant près de quarante

ans, la méthode la plus employée et la plus efficace à très grande échelle. Enfin, à la suite

de ce procédé, restant malgré tout très encombrant du fait de son poids excessif, ainsi que

de l’utilisation immédiate des plaques, apparaît le gélatino-bromure d’argent en 1871, qui

apparaîtra comme une véritable révolution des pratiques photographiques. Dans cette

technique, on remplace le collodion par de la gélatine et on laisse macérer l’émulsion à

trente-deux degrés pendant plusieurs jours. Petit à petit on industrialise cette fabrication,

ce qui permet d’expérimenter des supports souples, les premières pellicules en celluloïd

sont alors crées, et la photographie moderne apparue. C’est à partir de ce moment-là que

les premiers appareils photographiques vont commencer à être commercialisés, et

apparaître comme de plus en plus en performants, ainsi que de plus en plus miniaturisés

au fil du temps. En 1888, George Eastman crée le Kodak n°1. Celui-ci permet de prendre

cent vues rondes de soixante-trois millimètres de diamètre, tout cela pour 25$, ce qui

comprend le développement et le changement de la pellicule. Ainsi, on aperçoit de quelle

manière tout ce matériel se démocratise. L’année suivante, il remplace le papier par de la

nitrocellulose, ce qui permet de faire développer les photographies par des laboratoires ou

par des amateurs, mais dans tous les cas, les réglages ne sont plus nécessaires. L’empire

17 GERVAIS Thierry, MOREL Gaëlle, La photographie : Histoire, Techniques, Art, Presse, Larousse, Broché,

Paris, 2008, 239 pages.

Page 24: Mémoire de Recherche

24

Kodak voit le jour, « donner au monde un appareil photographique aussi facile à utiliser

qu’un crayon », tel était le rêve d’Eastman.

Durant toutes ces années, la photographie n’a cessé d’évoluer, qu’il s’agisse de

son support, son format, sa sensibilité à la lumière, son temps de pose, ou de

développement, ses méthodes de fixation de la couleur pour qu’elle apparaisse la plus

naturelle possible. De la même manière, les appareils de prise vue se sont bien

développés également, étant toujours plus accessibles au grand public par leur coût, leur

taille, et leur simplicité d’utilisation.

En ce qui concerne ses usages, le premier élément qui attire à la fois les praticiens

et la population est sans doutes aucun le portrait, comme cela était déjà le cas avant cette

invention. Des ateliers s’ouvrent un peu partout, et ceux qui peuvent se le permettre

viennent donc se faire faire le portrait. Les personnages y ont toujours un air très sérieux et

intériorisé. Le cadrage se situe au niveau du buste, et la personne regarde le photographe.

Cela ne constitue aucune démarche artistique. A la fin du XIXème siècle, ce portrait

photographique s’est fortement développé, il est devenu un phénomène social, et c’est

grâce à lui que la photographie est complètement intégrée à la société. Le second élément

développé dès les débuts de la photographie est le paysage et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, car la photographie permet une copie des plus fidèles du réel et cela de manière

objective, ce que cherche désespérément à réaliser la peinture jusqu’alors. Ensuite, car

elle permet de « connaître » les contrées lointaines en ramenant un « morceau », un

souvenir de celles-ci, et de cette manière, de faire voyager ceux qui ne le peuvent pas. La

photographie documentaire fait alors son apparition. Elle est notamment présente dans les

sciences, et presque toutes les disciplines vont s’en servir. Ce sera le cas pour la zoologie,

l’astronomie, la médecine ou encore l’archéologie ou l’ethnologie. Elle est également

présente dans tous types d’évènements particulièrement tragiques ou théâtraux, comme

les catastrophes naturelles, les inaugurations de constructions ou encore les conflits ou

guerres… Jusque là, toute information était essentiellement transmise par écrit, quelques

fois accompagnée de dessins. La photographie a donc vraiment sa place dans tous les

domaines, dès les prémices de sa divulgation.

Page 25: Mémoire de Recherche

25

2. Un miroir du réel

« La photographie est l’art qui, sur une surface plane, avec des lignes et des tons,

imite avec perfection et sans aucune possibilité d’erreur, la forme de l’objet qu’elle doit

reproduire ». Hippolyte Taine18

D’après Emmanuel Garrigues 19 , dans les tentatives de définitions de la

photographie qui ont été faites jusque là, le rapport à la réalité revient sans cesse. On se

demande communément ce que fait la photographie de la réalité. Est-ce qu’elle la

reproduit ou est ce qu’elle la transforme ? Peut être n’en garde-t-elle juste une trace. Il

semblerait en fait qu’elle nous livre des « bouts » de réalités à des instants précis, et avec

des techniques d’expression liées à l’époque.

Au XIXème siècle, lorsqu’est apparue la photographie, on parlait de mimesis

photographique, cela signifiait qu’elle posséder une capacité mimétique très importante, on

disait qu’il s’agissait d’une imitation on ne peut plus parfaite de la réalité. On pensait, à

cette époque là, qu’elle permettait de faire apparaître une image de manière

« automatique » et « objective », presque « naturelle », et cela selon les lois de l’optique et

de la chimie, sans que n’intervienne directement la main de l’artiste. En effet, la lumière

entre dans la boîte obscure sans que le photographe n’y soit pour rien. Il se contente

d’assister à la scène, il n’est que l’assistant de la machine. Une part de la création lui a

échappé. Le rôle de la photographie est de conserver la trace du passé pour aider les

sciences dans leur effort d’une meilleure appréhension de la réalité du monde. Elle est la

technique la mieux adaptée à la reproduction mimétique du monde. Selon André Bazin20,

la photographie et le cinéma sont des découvertes qui satisfont définitivement et dans son

essence même l’obsession du réalisme. Elle serait le résultat objectif de la neutralité d’un

appareil, car la photographie, dans ce qui fait l’apparition même de l’image opère en

18 TAINE Hippolyte, Philosophie de l’Art, Hermann, édition revue et argumentée, Savoir : Art, Paris, 2009,

180 pages.

19 GARRIGUES Emmanuel, L’écriture photographique, l’Harmattan, Champs visuels, Paris, 2000, 236 pages.

20 BAZIN André, Qu’est ce que le cinéma ?, Cerf, 7ème art, Paris, 1976, 372 pages.

Page 26: Mémoire de Recherche

26

l’absence du sujet. Selon Pierre-Jean Amar 21, elle serait d’emblée considérée comme

totalement objective et véridique. On ne peut jamais mettre en doute son témoignage qui

va être le témoin fidèle de tous faits importants. Il ajoute que grâce à la photographie, on

pourra désormais satisfaire son besoin d’information et de véracité. On pourra participer

visuellement à la naissance de l’histoire immédiate. Il sera, grâce à elle, possible de se

faire une opinion sur un certain nombre d’évènements. Donc on l’a dit, elle n’interprète

pas, ne sélectionne pas, ne hiérarchise pas. En tant que machine régie par les lois de

l’optique et de la chimie, elle ne peut que transmettre avec précision et exactitude le

spectacle de la nature. C’est en tous cas ce qui fonde la doxa sur la photographie.

Certaines recherches visent même à améliorer les capacités de mimétisme du dispositif

photographique : faire de plus en plus vrai, être le plus proche possible de la vision que

nous avons du monde. Le fameux peintre Pablo Picasso 22 reconnaît lui-même le

mimétisme photographique puisqu’en 1939, il se demande pourquoi continuer à traiter des

sujets qui peuvent être obtenus avec tant de précisions par l’objectif d’un appareil photo.

L’avis d’un peintre a son importance car longtemps photographie et peinture ont été

opposées. En effet, on pense que la photographie est plus adaptée à une vision mimétique

du monde, et elle se voit rapidement désignée comme ce qui devra désormais prendre en

charge toutes les fonctions sociales et utilitaires jusque là exercées par l’art pictural. La

peinture est alors en quelques sortes libérée du concret, du réel, de l’utilitaire et du social.

A la photographie, la fonction documentaire, la référence, le concret le contenu. Alors qu’à

la peinture on doit la recherche formelle, l’art, l’imaginaire. La peinture serait, elle, le

produit subjectif de la sensibilité d’un artiste, ainsi que de son savoir-faire. Le peintre fait

passer l’image par une présence humaine qui marquera le tableau.

« La peinture, elle, peu feindre la réalité sans l’avoir vue. Le discours combine des

signes qui ont certes des référents, mais ces référents peuvent être et sont le plus souvent

des « chimères ». Au contraire de ces imitations, dans la Photographie, je ne puis jamais

21 AMAR Pierre-Jean, Histoire de la Photographie, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, Paris,

1999, 127 pages.

22 BALDASSARI Anne, Picasso et la photographie: à plus grande vitesse que les images, Réunion des

Musées Nationaux, Hors Collection, 1995, 271 pages.

Page 27: Mémoire de Recherche

27

nier que la chose a été là. Il y a double position conjointe : de réalité et de passé. Et

puisque cette contrainte n’existe que pour elle, on doit la tenir, par réduction, pour

l’essence même, le noème de la Photographie. Ce que j’intentionnalise dans une photo

(ne parlons pas encore du cinéma), ce n’est ni l’Art, ni la Communication, c’est la

Référence, qui est l’ordre fondateur de la Photographie »23.

Tout est dit dans cette citation de Roland Barthes issue de son célèbre ouvrage

sur la photographie, La chambre claire, note sur la photographie. Le nom du noème dont

parle l’auteur pourrait être, le « ça a été » ou encore, selon Thierry Gervais et Gaëlle

Morel, « l’intraitable ». En latin, cela se traduit par « interfuit » qui signifie « cela que je vois

s’est trouvé là ». Si l’on en croit Barthes, l’objet a été absolument, irrécusablement présent,

mais cependant tout de suite séparé, différé. La transparence de ce signe en fait son

essence même. C’est un message sans code. Sa fonction première est le renvoi brut, sans

code et hors de tout langage. Contrairement aux autres systèmes de copie, la

photographie est présentée comme indissociable de la chose représentée.

Cette vision de la photographie réaliste n’a pas cessé pendant les années

suivantes. En effet, si l’on en croit Pierre Bourdieu24, on s’accorde communément pour voir

en elle le modèle de la véracité et de l’objectivité. Il ajoute que « toute œuvre d’art reflète la

personnalité de son auteur » selon l’Encyclopédie Française. A contrario, la plaque

photographique, elle, n’interprète pas, elle enregistre seulement. Son exactitude, ainsi que

sa fidélité ne peuvent donc pas être remises en cause. Ce que critique Bourdieu dans son

ouvrage ce n’est pas tant son authenticité mais son côté populaire, dépendant d’usages

précis et servant à la thésaurisation des souvenirs. Elle est « un art moyen » car utilisée

par tous, entre pratiques populaires et pratiques nobles. Mais la photographie est ainsi

considérée comme un enregistrement parfaitement réaliste et objectif du monde visible.

Elle s’est d’ailleurs immédiatement proposée avec les apparences d’un « langage

naturel », comme le dit Barthes, sans codes. Elle est souvent conçue comme une simple

23 BARTHES Roland, La chambre claire : Note sur la Photographie, Gallimard, Cahier du Cinéma Gallimard,

Mayenne, 1980, 192 pages.

24 BOURDIEU Pierre (dir.), Un art moyen : essais sur les usages sociaux de la photographie, Les Editions de

Minuit 2ème édition, Broché, Paris, 1978,360 pages.

Page 28: Mémoire de Recherche

28

technique de reproduction mécanique de la réalité, elle serait à la fois copie et double. La

pellicule aurait la propriété de conserver ce qui a été pour le restituer dans la fraîcheur

vécue. La photographie serait alors « simplement » un analogon de la présence. C’est

également pour cette raison qu’à l’heure actuelle on utilise la photo pour témoigner des

évènements réels et les transmettre par la presse par exemple. Cela paraît conforme aux

possibilités objectives de la technique photographique, ainsi qu’à la définition sociale de

l’activité photographique. Cette innocence de la plaque peut s’expliquer par le fait qu’elle

réside d’un processus non intentionnel puisque chimique, il est donc un intermédiaire

neutre, comme nous avons pu l’observer précédemment. Elle est ainsi investie d’un

coefficient de réalité concrète que les autres « reproductions » ne possèdent pas. Selon

Susan Sontag25, les photographies sont des pièces à conviction. En effet, pour justifier

cette idée, elle nous explique qu’il arrive parfois que nous entendions parler de quelque

chose, mais que nous ne sommes certains de cette chose qu’une fois que l’on nous en a

montré une photographie. Elle passe pour une preuve irrécusable qu’un évènement donné

a bien eu lieu. Il se peut quelques fois que l’image photographique déforme, mais on a

toujours le sentiment que quelque chose d’identique a ce que la photographie nous montre

existe réellement, ou bien en tous cas a existé. Il peut y avoir des limites d’amateurisme

par exemple, ou des prétentions de volonté d’esthétique, mais une photographie, quelle

qu’elle soit semble entretenir une relation des plus innocentes et objectives, et donc plus

exacte, avec la réalité visible. Cela la diffère des autres objets mimétiques. Tout

photographe, aussi virtuose soit-il cherche, avant tout, à montrer une chose qui est bien là.

Une photographie peut être traitée comme une version de la chose elle-même, alors

qu’une peinture ou une description ne pourra jamais être autre chose qu’une interprétation.

Ce médium a toujours le souci d’être le miroir de la réalité, une manière de certifier le vécu.

Elle est le plus réaliste, et donc le plus facile, des arts imitatifs. Hervé le Goff26 nous

avance, quant à lui, que la photographie permet d’élargir la vision du monde et d’en garder

la mémoire. Il ajoute que c’est un outil prestigieux au service du réel. Elle est appréciée

pour son exactitude, ainsi que ses services, sa vocation est donc utilitaire. Elle possède,

25 SONTAG Susan, Sur la photographie, Christian Bourgeois Editeur, Titre, 2008, 280 pages.

26 LE GOFF Hervé, La photographie, Cercle d’Art, Découvrons l’art, Paris, 2003, 64 pages.

Page 29: Mémoire de Recherche

29

de plus, une mission de témoin. Elle sait saisir le réel sur le vif dans ce qu’il peut avoir

d’humain, d’insolite ou de beau. La photographie possède également la fonction de

montrer le monde. Elle permet donc de voyager, elle éduque les gens quant aux autres

cultures. Elle permet de connaître la richesse des différents pays qui nous entourent même

si ils sont à des milliers de kilomètres de chez nous.

Selon Thierry Gervais et Gaëlle Morel27, les qualités d’une photographie sont

documentaires, archivales et informatives. Il s’agit du moyen le plus sûr pour « copier » le

monde. Elle est symbole de démocratisation et progrès social. C’est pour toutes ces

raisons que ce medium sera utilisé à partir des années 30 par la presse. En effet, grâce à

une plus simple utilisation des appareils devenus de plus en plus petits, les nouveaux

journalistes, ceux du terrain, utilisent désormais l’objet. Les attentes des journaux en

matière d’images favorisent l’émergence d’une esthétique sur le vif, au cœur de l’action, et

au plus près de l’évènement. La rapidité de la prise de vue se fait parfois au détriment des

qualités esthétiques des clichés, ce qui donne un aspect encore plus « vrai ». A partir de

là, des images d’évènements existants circulent. Cela marque les débuts du métier de

« photoreporter ». Plusieurs éléments définissent cette pratique : proximité, tragique et

instantanéité qui permet d’arrêter le mouvement et qui atteste d’une plus grande vérité.

Tout cela est destiné à montrer l’existence d’un moment précis et exceptionnel. Il y a donc

un attrait pour l’instantané et la valorisation du moment opportun. On parle alors de

photographie « humaniste », car elle insiste sur les instants de la vie quotidienne.

Si l’on en croit Clément Chéroux28, l’image, et plus précisément la photographie,

semble être la référence fondamentale pour s’assurer de l’existence d’un passé dans une

société. Il s‘appuie du noème, le « ça a été », de Roland Barthes29 pour argumenter son

idée. Le « ça a été » est ce qui a véritablement eu lieu. La photographie possède ainsi une

27 GERVAIS Thierry, MOREL Gaëlle, La photographie : Histoire, Techniques, Art, Presse, Larousse, Paris,

2008, 239 pages.

28 CHEROUX Clément, (dir.), Mémoire des camps : photographies des camps de concentration et

d’extermination nazis, Paris, Marval, 2001, 246 pages.

29 BARTHES Roland, La chambre claire : Note sur la Photographie, Gallimard, Cahier du Cinéma Gallimard,

Mayenne, 1980, 192 pages.

Page 30: Mémoire de Recherche

30

capacité naturelle à témoigner de la réalité. Aujourd’hui, ce sont les images

photographiques (mais également cinématographiques) qui façonnent nos

représentations, notamment des évènements historiques. Elles occupent ainsi une place

déterminante dans les publications historiques, mais également dans les manuels

scolaires, les films documentaires ou de fiction, ou encore les expositions et les musées.

Pour illustrer cela, il s’appuie sur un exemple très concret de l’après-guerre. Lorsque tout a

été terminé, et que l’on a commencé à raconter ce qu’il s’était passé ces dernières années,

tout le monde a voulu venir voir l’horreur. Mais pour des raisons évidentes d’hygiène et de

décence, les corps des victimes ne pouvaient rester indéfiniment exposés. Pourtant, il

fallait continuer à montrer ce qui apparaissait comme la trace la plus évidente des atrocités

commises par l’ennemi. C’est à ce moment là qu’est intervenue l’image photographique,

comme un véritable passage de témoin. La photographie devient alors une sorte de

prolongement du regard direct. C’est parce que ce n’est pas nommable, que le mot fait

défaut, qu’il est nécessaire d’en faire des images.

Il ajoutera qu’il faut, malgré tout, bien faire attention à ne pas réduire ce médium à

une conception se contentant de voir une simple preuve de l’existence de faits historiques.

Elle est d’ailleurs trop souvent utilisée comme une simple illustration servant à justifier le

discours écrit. Langage et image sont solidaires. Une image vient souvent où semble faillir

le mot, un mot vient souvent là où semble faillir l’imagination. Il est techniquement si facile

de faire des photographies : un simple petit bout de pellicule est capable d’engendrer un

nombre illimité de tirages, d’agrandissements en tous formats. Mais il faut, toutefois, faire

attention à ce que l’on observe.

André Bazin30 confirme le fait que cette analogie soit tout de même constituée de

limites puisqu’il nous dit, à ce sujet, que la ressemblance n’est que le résultat, et que

l’important est dans la genèse. Ce qui intéresse l’auteur, ce sont ses modalités de

constitution. L’ontologie de la photographie est d’abord là, et non pas dans l’effet de

mimétisme. Tout réside dans la relation de contigüité momentanée entre l’image et son

référent. Une idée de trace, empreinte, est implicitement présente dans ce discours.

30 BAZIN André, Qu’est ce que le cinéma ?, Cerf, 7ème art, Paris, 1976, 372 pages.

Page 31: Mémoire de Recherche

31

Lorsque Roland Barthes dit que l’important n’est pas l’idée de « perfection analogique »

mais celle de « message sans code », cela correspond à la notion de genèse automatique

d’André Bazin. La photographie est donc comme un miroir du réel, mais il faut prendre

cette idée dans une certaine mesure.

Page 32: Mémoire de Recherche

32

3. Un rapport particulier avec l’Art

Selon Gisèle Freund 31 , la photographie a, dès sa naissance, été l’objet de

nombreux litiges. Elle a effectivement provoqué un traumatisme car la mutation technique

était très importante. Elle réveille ainsi un fond mythologique à la fois de peur et d’attrait.

Cette querelle va même jusqu’à toucher l’Eglise qui déclare en 1839 : « Vouloir fixer de

fugitifs reflets, est non seulement une impossibilité, comme l’ont démontrées de très

sérieuses expériences faites en Allemagne, mais le vouloir confine au sacrilège. Dieu a

crée l’homme à son image et aucune machine humaine ne peut fixer l’image de Dieu ; il lui

faudrait trahir tout à coup ses propres principes éternels pour permettre qu’un Français, à

Paris, lançât dans le monde une invention aussi diabolique ». Il existe donc une crainte

quand à son utilisation, mais également un questionnement tout autour de cet objet vis-à-

vis de l’art, qui fait que la photographie apparaît à la fois sous des discours élogieux, ainsi

que sous des discours beaucoup plus controversés, voire dénonciateurs. La question qui

est posée dans l’ouvrage de Philippe Dubois32, est de savoir si l’appareil photographique

n’est qu’un instrument technique, capable de reproduire de façon purement mécanique les

apparences, ou s’il faut le considérer comme un véritable moyen d’exprimer une sensation

artistique individuelle. A première vue, la réponse paraît claire, l’œuvre d’art est le produit

du travail, du génie, et du talent manuel d’un artiste. Il est défini comme cela même qui

permet d’échapper au réel. Or, à cette époque là, la photographie possède une importante

fonction documentaire, elle ne peut donc pas être une œuvre d’art car une œuvre ne peut

être à la fois artistique et documentaire. Il existe cependant des propos plus positifs et

optimistes proclamant la libération de l’art par la photographie. Ces discours reposent sur

la même séparation entre l’art comme création imaginaire, versus la technique

photographique comme instrument de reproduction du réel. Seule la connotation négative

a changé. Ici, la photographie reproduit certes le réel, mais de manière artistique. La

photographie et la peinture, considérée elle comme art, ont d’ailleurs toujours eu des

destins parallèles. Beaucoup des premiers photographes sont des peintres reconvertis, ils

31 FREUND Gisèle, Photographie et Société, Seuil, Points Histoire, 1974, 220 pages.

32 DUBOIS Philippe, L’acte photographique, Parvis, Nathan, Paris, 1990, 301 pages.

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33

en garderont les mêmes techniques, qu’il s’agisse du cadrage des portraits, de la lumière

ou de la pose. Il en va de même en ce qui concerne les paysages. La volonté de base de

chacune des deux est la copie la plus propre du réel. Le fait que les buts soient quelque

peu identiques a très vite provoqué de fortes tensions entre les deux disciplines. Les

peintres ont même pensé lors de l’apparition de la photographie que leur art était « mort ».

Pourtant, ils sont plutôt complémentaires car c’est la peinture qui permet de créer un jour

la photographie, et la photographie qui permet à la peinture d’évoluer, car débarrassée de

sa contrainte de réalisme. Malgré cela, on persiste à dire que la photographie ne sera

jamais un art, à cette époque tout au moins. Baudelaire33 est « convaincu que les progrès

mal appliqués à la photographie ont beaucoup contribué, comme d’ailleurs tous les

progrès purement matériels, à l’appauvrissement du génie artistique français, déjà si rare.

[…] S’il est permis à la photographie de suppléer l’art dans quelques-unes de ses

fonctions, elle l’aura bientôt supplanté ou corrompu tout à fait, grâce à l’alliance naturelle

qu’elle trouvera dans la sottise de la multitude ». Nous pouvons en déduire, grâce à cette

citation, que la photographie n’est donc pas un art, elle est au service de l’art dans la

mesure où elle permet de reproduire, diffuser auprès d’un large public des œuvres

jusqu’alors méconnues du grand public.

Pourtant, grâce à la photographie, la vision que l’on se faisait de la nature a

changé, elle a évolué, la conscience de cette réalité est tout à fait nouvelle. Dans l’art, on

voit apparaître une poussée vers l’objectivité qui correspond bien sûr à l’essence même de

la photographie. On commence donc de cette manière à penser que même si c’est

l’appareil qui prend la photographie, le goût artistique de l’opérateur intervient également

dans l’originalité, la composition ou l’éclairage du sujet. Cette vision s’éloigne de l’opinion

inverse qui prétendait que la photographie était seulement capable de fournir un travail

mécanique n’ayant aucun point commun avec l’art. C’est ainsi qu’apparaît en 1855 une

tendance artistique nouvelle qui est le réalisme. Les premiers réalistes disaient ne pouvoir

peindre que ce qu’ils voyaient. L’imagination est donc rejetée car non objective, et la

subjectivité entraînerait à la falsification. L’attitude envers la nature doit être complètement

impersonnelle. L’œuvre d’art doit présenter un contenu objectif, immédiatement emprunté

33 BAUDELAIRE Charles

Page 34: Mémoire de Recherche

34

à la nature environnante. Il faut être au contact immédiat de la nature et s’éloigner des

sombres musées et œuvres d’art sans vie. Les peintres naturalistes se refusent même le

titre d’artistes car veulent être peintres et rien de plus. Ils doivent même s’effacer derrière

leurs chevalets, comme c’est le cas pour le photographe derrière son appareil. Francis

Wey34 répondait à cela: « Ce qui fait l’artiste, ce n’est ni le dessin seul, ni la couleur, ni la

fidélité d’une copie : c’est la divine inspiration dont l’origine est immatérielle. Ce n’est point

la main, c’est le cerveau qui constitue le peintre ; l’instrument ne fait qu’obéir. En réduisant

à néant ce qui lui est inférieur, la photographie prédestine l’art à de nouveaux progrès, en

rappelant l’artiste à la nature, elle le rapproche d’une source d’inspiration dont la fécondité

est infinie ». La réaction ne s’est pas faite attendre car au début, les réalistes ont été

violemment pris à partie, mais par la suite les tensions se sont apaisées, et tout le monde

a fini par reconnaître et accepter ce réalisme comme tendance nouvelle et ces peintres

comme pionniers. Mais malgré cela, on continue à se refuser de considérer la

photographie comme art, même chez les peintres réalistes. Champfleury a, à ce sujet,

déclaré dans un article : « Ce que je vois entre dans ma tête, descend dans ma plume et

devient ce que j’ai vu… L’homme n’étant pas machine, ne peut prendre les objets

machinalement. Le romancier choisit, groupe, distribue… Le daguerréotype se donne-t-il

tant de peine ? ». La grande vague des portraitistes ne fera qu’accentuer ce sentiment car

la plupart ne sont que des gens qui cherchent seulement à s’enrichir le plus vite possible,

ce qui renforce la mauvaise réputation de la photographie dans le monde artistique.

Baudelaire dira d’ailleurs à son sujet que c’est un procédé qui sert à flatter la vanité du

public qui ne comprend rien à l’art. Il s’oppose ainsi aux tendances démocratiques de

l’époque qui voulaient mettre l’art à la portée de tous. La photographie lui semblait

favoriser cette idée. Pour, lui ce n’est qu’une industrie, et le mouvement réaliste n’était

qu’une décadence de la peinture. La photographie doit retourner à sa véritable place qui

est celle de servante des arts et des artistes, c'est-à-dire un simple outil, tout comme

l’imprimerie ou la sténographie n’étaient pas la littérature, seulement des outils à son

service. Selon Lamartine en 1858, « cette invention du hasard ne sera jamais un art, mais

un plagiat de la nature par l’optique ». On voit donc apparaître de nombreuses

34 DE MONDENARD Anne, « Entre romantisme et réalisme. Francis Wey (1812-1882), critique d’art », in

Études photographiques , Novembre 2000.

Page 35: Mémoire de Recherche

35

contestations des artistes vis-à-vis de la photographie en tant qu’art. Leur position est très

claire : celle-ci n’a rien à voir avec l’art. Pour Eugène Delacroix 35 , il faut rejeter la

photographie en tant qu’œuvre d’art car selon lui l’essentiel n’est pas la ressemblance

extérieure mais l’esprit. L’artiste doit avant tout comprendre et reproduire l’esprit de

l’homme ou de l’objet qu’il dessine.

Au XIXème siècle pourtant, certains photographes ont malgré tout voulu faire de la

photographie un art, c’est de cette manière qu’est né le pictorialisme en 1880 qui servait

à transmettre les sensations perçues par l’œil. Henry Emerson en est l’investigateur. Il

décide de créer des images légèrement floues qui seront imprimées sur du papier au

platine, ce qui donne des images très proches des toiles. Mais comme pour tout objet,

l’idée initiale a été détournée, et certains ont crée des images qui ne ressemblent plus qu’à

de pâles copies de fusain. Seule la forme prime au détriment du fond. Il s’agissait de traiter

la photographie exactement comme une peinture, en manipulant l’image de toutes les

façons possibles : effets de flou « comme dans un dessin », mises en scène et

compositions du sujet, ainsi qu’inventions ensuite sur le négatif lui-même à l’aide de

pinceaux, crayons, instruments et produits divers. Cela a contribué à donner une très

mauvaise image du pictorialisme. Mais ce courant a persisté puisqu’en 1904 a été crée la

« société des photographes picturaux », qui est un salon qui n’admet que ce qui est

« artistique ». Les thèmes abordés sont très classiques : nus, portraits, scènes de genre,

paysages… Ceux-ci sont traités par des procédés dits « nobles » comme l’huile, le

bromoïl, les encres grasses, le charbon… Le pictorialisme est dorénavant présent à une

échelle mondiale. C’est la première guerre mondiale qui créera une sorte de rupture dans

le travail, et peu resteront fidèle à cette technique après cela. Ce sera tout de même grâce

au pictorialisme que la photographie aura commencé à être reconnue comme un véritable

moyen de reproduction artistique. A la suite de cela, apparaît la Straight photography

aux Etats Unis, photographie pure dit-on, il s’agit là d’une sorte de pictorialisme américain,

si l’on en croit Thierry Gervais et Gaëlle Morel 36 . Stieglitz est considéré comme son

35 LERIBAULT Christophe et al., Delacroix et la Photographie, Le Passage, Broché, 2008, 157 pages.

36 GERVAIS Thierry, MOREL Gaëlle, La photographie : Histoire, Techniques, Art, Presse, Larousse, Paris,

2008, 239 pages.

Page 36: Mémoire de Recherche

36

inventeur dès 1907. C’est la prise de vue qui compose l’image dans sa globalité. Une fois

prise, la photographie est terminée, contrairement au pictorialisme français. Cette

technique est plus mécaniste. Le procédé est jugé assez souple pour que l’artiste puisse

exprimer sa personnalité, selon les américains. Ils ont pour but de ne pas altérer les

photographies, contrairement au mouvement français. On la définit comme « pure » ou

« directe ». L’affirmation de la straight photography, favorisant une netteté sans artifices

devient effective avec les images de Paul Strand, disciple de Stieglitz. Il prône la précision

des tirages, ainsi que le rendu fidèle des matières et objets.

Avec le temps, les mentalités évoluent. Pierre-Jean Amar37 nous apprend qu’en

1957, la Société française de Photographie militait pour qu’elle entre au Salon des Beaux

Arts, ce qu’elle obtiendra deux années plus tard. On apprend dans l’article d’Hervé Le

Goff38 que c’est donc dans les années 1960 qu’elle obtient le droit d’être citée parmi les

autres arts. Comme chaque discipline accédant au niveau de création, la photographie est

tenue de s’envisager toute entière comme espace de création. Pour en arriver là, il a fallu

qu’elle surmonte les débats entre photographie objective et réaliste, et photographie

subjective. Elle peut donc maintenant déformer les données de la réalité et renoncer à

atteindre l’objectivité totale, voire même se passer complètement du reflet de la réalité. La

photographie veut aujourd’hui dépasser ces vieilles querelles en s’intéressant plus à la vie

intérieure du photographe. Elle occupe désormais une place grandissante dans la culture

de notre temps. Elle a même fini par entrer dans un musée au début du XXème siècle aux

Etats-Unis. Les galeries privées connaissent également à partir de ce moment un très

grand essor, commercialisant les photographies comme œuvre d’art. Les tendances

actuelles ont trouvé leurs origines dans des mouvements nés dans les années 1950, il

s’agit du reportage humaniste, de la photographie de libre expression ou « subjective », et

de la photographie comme vérité intérieure de l’artiste. Parmi les tendances actuelles, on

peut distinguer deux grands courants. Il y a d’un côté les photographes pour lesquels

l’image est un moyen de s’exprimer, à travers ses propres sentiments et les

37 AMAR Pierre-Jean, Histoire de la Photographie, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, Paris,

1999, 127 pages.

38 LE GOFF Hervé, LEMAGNY Jean-Claude, « Un art Multiple », in Universalis, 2001, 20 pages.

Page 37: Mémoire de Recherche

37

préoccupations de notre temps. Ceux-ci sont engagés dans la société, ils se sentent

concernés par les problèmes humains et sociaux. De l’autre côté, ceux pour qui la

photographie est un moyen de réaliser leurs aspirations artistiques personnelles. Tous

deux peuvent être créateurs ou artisans, mais dans les deux cas ils sont les descendants

de ceux qui ont redonné à la photographie son prestige après une cinquantaine d’années

de stagnation. Le premier à avoir compris que la photographie ouvrait de nouvelles voies à

la création est Laszlo Moholy-Nagy 39 . Plus de trente ans en avance, il définit les

mouvements artistiques qui s’épanouiront après les années 1950. Après un siècle de

discussions pour savoir si la photographie est un art, il la remet à sa place véritable et

déclare : « La vieille querelle entre artistes et photographes afin de décider si la

photographie est un art, est un faux problème. Il ne s’agit pas de remplacer la peinture par

la photographie, mais de clarifier les relations entre la photographie et la peinture

d’aujourd’hui, et de montrer que le développement des moyens techniques, issus de la

révolution industrielle, a contribué matériellement à la genèse de formes nouvelles dans la

création optique ». Ce qu’il souhaite, ici, c’est reconnaître les lois particulières de la

photographie, qui ouvre des perspectives jusqu’alors inconnues. La photographie ne

dépend donc plus de l’opinion des critiques d’art, elle produit désormais ses propres lois.

Grâce à elle, les gens ont appris à percevoir leur entourage et son existence avec des

yeux neufs. La valeur en photographie ne doit pas être mesurée seulement d’un point de

vue esthétique, mais par l’intensité humaine et sociale de sa représentation optique. Elle

ne sert donc plu seulement à découvrir la réalité. La caméra influence notre manière de

voir le monde, ainsi la nature vue par l’œil humain n’est pas la même que celle vue par la

caméra, notre vision est nouvelle. Aujourd’hui, on ne peut plus contester la place de la

photographie au sein du monde artistique, notamment graphique. Elle qui a toujours voulu

s’affirmer comme art sans en imiter un, inspire même à présent bien souvent les

démarches des autres puisque nous assistons dans la peinture à un mouvement inverse

qui s’efforce de créer l’art en se servant des moyens techniques de la photographie. Il

s’agit en quelques sortes de peindre avec les yeux de la caméra. Cela prouve que

39 MOHOLY-NAGY Laszlo, Peinture Photographie Film et autres écrits sur la Photographie, Gallimard, Folio

Essais, Paris, 1950, 317 pages.

Page 38: Mémoire de Recherche

38

photographie et peinture ont bien toujours été liées, les peintres se sont toujours servis des

images comme document.

Plus récemment, depuis environ une cinquantaine d’années, une nouvelle

génération de photographes cherchent des chemins différents. Pour cela, on assiste à des

séquences, des juxtapositions d’images, des photographies qui évoquent des souvenirs

personnels, ou encore les multiples problèmes rencontrés dans le monde contemporain.

La photographie aura toujours une fonction documentaire, mais les préoccupations de

cette nouvelle vague montrent justement la vitalité de celle-ci. Quant à la peinture, elle a

réussi à passer les siècles avec tous ses obstacles sans jamais se décourager. Les

peintres se comptent encore par milliers, toujours en quête de formes nouvelles, tout

comme le millier de photographes qui existent en quête de chemins nouveaux. Pour

terminer, on peut reprendre ce que disait Freund40 qui est qu’aujourd’hui « la photographie

est entrée dans les musées avec l’approbation de ceux dont le métier est de conserver

l’art. Suspendue sur leurs murs, elle récupère l’aura de l’œuvre d’art qu’elle avait perdue.

Mais ce qui lui donne, avant tout, une telle actualité, c’est qu’elle est devenue pour les

centaines de millions d’amateurs – la génération visuelle – un moyen de s’exprimer ».

En résumé, l’apparition de l’image photographique ne s’est pas faite en 1839, non,

elle est apparue bien avant puisque comme on a pu le voir, elle est le résultat de deux

inventions préalables. D’abord, la camera obscura à la Renaissance, qui permettait de

capter des images grâce à une boîte, qui étaient ensuite projetées sur une surface, pour

pouvoir les dessiner ou les peindre. Il s’agissait en fait de reproduire le calque d’une image

projetée. A la suite de cela, une seconde invention a vu le jour. Elle consistait à

sensibiliser certaines substances à base de sels d’argent, à la lumière. Le principe est le

même mais la grande différence est que de cette manière les images s’impriment d’elles-

mêmes, sans la main de l’homme. Cela est vraiment l’ancêtre de la photographie. On voit

40 FREUND Gisèle, Photographie et Société, Seuil, Points Histoire, 1974, 220 pages.

Page 39: Mémoire de Recherche

39

d’ailleurs apparaître à cette période les premiers portraits qui sont des jeux d’ombre

appelés « profils à la silhouette ». Le temps passe et Nièpce obtient une première réelle

image photographique, après de multiples essais, à base de sels d’argent, qu’il appellera

héliographie. Mais il finit par vendre son invention à Daguerre qui l’améliorera et en

recevra tout le mérite en créant en 1839 le Daguerréotype. De son côté, Talbot, en

Angleterre, réalise sensiblement la même œuvre en utilisant du papier à la place des

plaques, ce qu’il nommera le calotype. Bayard, quant à lui, exerce le même type de

recherches et créera en 1839 la première exposition de photographies, mais il sera peu

reconnu. Le calotype de Talbot continue à progresser, il sera essentiellement utilisé pour

les paysages. Mais c’est le daguerréotype qui aura le plus grand succès au sein de la

société. Il sera sans cesse amélioré au fil des années jusqu’à ce qu’il soit accessible à tous

de par sa petite taille et son coût. Ses usages seront multiples, d’abord beaucoup de

portraits, mais au fur et à mesure, on l’utilisera dans tous les domaines : sciences,

médecine, archéologie, ethnographie…

On a également appris que dès ses débuts, la photographie disposait d’une

fonction mimétique très importante. En effet, on dit qu’elle représente le réel car elle est

tout de suite vue comme un objet neutre. Cela car l’apparition de l’image se fait de manière

automatique et naturelle grâce à un dispositif chimique et optique, et non pas grâce à la

main de l’homme. Tout à coup, elle libère la peinture du concret, du réel, ainsi que de

l’utilitaire social pour laisser place à l’imaginaire et au subjectif de l’artiste. Plusieurs

auteurs confirment cette idée. Barthes, par exemple, nous livre son noème, le « ça a été »

qui signifie que la chose prise en photographie s’est bien trouvée là. Bourdieu, lui, nous dit

que la plaque n’interprète pas, elle enregistre. On voit donc, dans la photographie, une

exactitude et une fidélité de la vie réelle. Sontag affirme que c’est la preuve irrécusable

qu’un évènement a bien eu lieu. Chéroux confirmera cette idée. Il ajoutera que la

photographie occupe une place déterminante dans la société car aujourd’hui il est

nécessaire de montrer une image lorsque le mot fait défaut. Il faut toutefois faire attention

à ne pas réduire ce médium à une simple preuve d’existence de faits, ce n’est pas que

cela. Les modalités de constitution d’une photographie ont aussi leur importance, nous dit

Bazin, il n’y a pas que le résultat qui compte.

Page 40: Mémoire de Recherche

40

Pour terminer, nous avons observé qu’il existe de nombreux litiges autour de la

photographie, qu’elle a provoquée, à la fois, peur et attrait lors de son apparition. Le conflit

le plus présent est celui qui règne autour de l’art. Il ne peut être que le produit du génie

d’un artiste, et il permet d’échapper au réel. La photographie possède, elle, une forte

fonction documentaire donc très concrète, elle ne peut donc pas être artistique. Mais cette

réflexion autour de la photographie comme œuvre d’art fait apparaître dans la peinture

notamment, une volonté d’objectivité. C’est pourquoi en 1855 apparaît le Réalisme, à partir

duquel l’imagination est rejetée au profit d’une réalité objective. L’attitude envers la nature

ne peut être qu’impersonnelle. Mais certains ont quand même voulu faire de la

photographie un art, c’est ainsi qu’est apparu le pictorialisme en 1880. Cela consistait à

créer des images floues sur du papier, que l’on manipulait avec des produits divers comme

si c’était une peinture sur toile. Ici, les formes priment. A la suite de cela, on voit naître la

Straight Photography aux Etats Unis en 1907, qui est une autre forme artistique mais qui

privilégie une forte netteté, sans artifices. Enfin, la photographie devient officiellement un

art en 1957, ce qui signifie qu’elle peut enfin déformer la réalité et être subjective si l’artiste

le désire.

Page 41: Mémoire de Recherche

41

PARTIE 2 :

LA MEMOIRE,

UNE PENSEE

COLLECTIVE

Page 42: Mémoire de Recherche

42

II. LA MEMOIRE, UNE PENSEE COLLECTIVE

Dans ce chapitre, nous allons observer la mémoire, objet qui porte à de multiples

interrogations, sous différents aspects. Dans un premier temps nous tenterons d’en donner

une brève définition. Nous nous pencherons tout particulièrement sur sa dimension

sociale, que l’on qualifie communément de mémoire collective. Nous essaierons d’en

donner une explication de qu’elle est du point de vue sociétal. Nous verrons également de

quelle manière on la perçoit aujourd’hui. Enfin, nous nous demanderons si ce terme de

mémoire collective ne renvoie pas à un objet psychologique que sont les représentations

sociales. Dans un second temps, nous reprendrons cette notion de mémoire collective du

point de vue particulier de la seconde guerre mondiale. Nous expliquerons pour

commencer son rapport à l’histoire. Puis, nous nous pencherons plus en détails sur cette

période de l’histoire, et tout son aspect symbolique, avant de terminer par exposer un point

de vue particulier et en fort contradiction avec l’Histoire contemporaine, qui est celui des

négationnistes. Pour terminer, nous lierons la mémoire à notre premier chapitre qui

concernait la photographie. De cette manière, nous pouvoir voir que la photographie

semble posséder une forte fonction mémorielle. Pour affirmer cette idée, nous regarderons

les points de vue de différents auteurs sur la question. Puis, nous verrons quel rapport ces

deux objets entretiennent avec le temps. Et pour terminer, nous les mettrons en relation

avec la seconde guerre mondiale pour illustrer quel lien ils entretiennent.

1. La mémoire collective, une notion abstraite

« Ce qui touche le cœur se grave dans la mémoire »41,

C’était ce que nous disait Voltaire il y a de cela plusieurs siècles. La question de la

mémoire ne se pose donc pas aujourd’hui, elle se pose depuis longtemps déjà. L’homme

41 VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, Gallimard, Folio, Paris, 1994, 545 pages.

Page 43: Mémoire de Recherche

43

fait référence à sa mémoire au quotidien, que cela soit de manière consciente ou non, et

pour une raison évidente qui est qu’elle est intrinsèquement liée à sa vie. Comme nous

avons pu l’observer dans l’introduction, la mémoire recouvre deux aspects. Le premier est

lié à la psychologie. Celle-ci nous indique que la mémoire est une fonction psychique

fondamentale propre à chaque individu. Il existe donc une logique du fonctionnement de

l’esprit que l’on retrouve dans la psychologie classique du début du XXème siècle, mais

également dans les sciences cognitives. Cette logique dit que l’indiv idu percevrait son

environnement et que celui-ci serait conservé, ce qui constituerait une base de

connaissances personnelles qui est la mémoire individuelle des objets rencontrés, comme

l’expliquent Stéphane Laurens et Nicolas Roussiau42. Cela signifie que tout être humain

serait en mesure de conserver un certain nombre de données dans son cerveau, comme

nous l’affirme Israël Rosenfield43 : « Nous possédons une capacité à nous souvenir des

êtres, des lieux et des choses grâce à l’image que nous en possédons, imprimée et

emmagasinée en permanence dans le cerveau ».

Le second aspect de la mémoire, concerne le lien social, il s’agit de la mémoire

collective. Celle-ci est la transmission d’une expérience qui est partagée et retenue

collectivement par un groupe, c’est la faculté collective de se souvenir. Elle est portée par

des individus qui se reconnaissent dans les expériences et représentations communes.

Cette mémoire est l’ensemble des faits du passé pouvant avoir pour effet de structurer

l’identité d’un groupe. La communication notamment, est un objet qui permet d’enrichir,

gérer et exploiter une mémoire de manière collective puisqu’elle est partagée entre

plusieurs personnes et jouée à travers leurs interactions. Ce sont elles qui la rendent

collective. Elle s’observe dans le souvenir commun de faits et évènements, mais

également dans les pratiques, règles et symboles d’un groupe, parfois même d’un peuple,

intériorisés dès l’enfance dans chacune des mémoires individuelles. Elle est donc

inexorablement liée à la vie sociale. Le premier auteur à avoir abordé la notion de mémoire

42 LAURENS Stéphane, ROUSSIAU Nicolas (dir.), La mémoire sociale : Identité et représentations sociales,

Presses Universitaires, Rennes, 2002, 307 pages.

43 ROSENFIELD Israël, L’invention de la mémoire, Flammarion, Champs, Paris, 1994, 318 pages.

Page 44: Mémoire de Recherche

44

collective est Maurice Halbwachs 44 dans ses ouvrages Les Cadres Sociaux de la

Mémoire en 1925, puis dans La Mémoire Collective en 1950. Dans ceux-ci, l’auteur nous

explique que la mémoire dépend obligatoirement de l’entourage social, c'est-à-dire des

autres : « le plus grand nombre de nos souvenirs nous reviennent lorsque nos parents, nos

amis, ou d’autres hommes nous les rappellent », dit-il. C’est dans le monde social, la

société, que l’homme acquiert ses souvenirs, c’est en étant confronté aux autres, lorsque

nous devons faire appel à notre mémoire pour répondre à des questions que ces autres

personnes nous posent que notre mémoire prend forme. Cela fonctionne grâce à une

interaction non seulement avec eux, mais également avec leur mémoire qui m’aide à me

souvenir. Nos souvenirs demeurent collectifs alors même qu’il s’agit d’évènements où

nous avons le sentiment d’avoir été seuls physiquement. Mais en réalité, nous explique-t-il,

nous ne sommes jamais vraiment seuls puisque nous portons toujours en nous et avec

nous des personnes. Pour se rappeler de souvenirs, des témoins au sens d’individus

présents sous une forme matérielle, ne sont pas nécessaires. Par exemple, lorsque nous

passons devant tel monument, nous pensons à telle personne qui nous a parlé de ce

monument, ou avec qui nous sommes déjà allés etc. Quelque soit mon souvenir, d’autres

hommes l’ont eu en commun à un moment. Il ajoute que si nous ne nous souvenons pas

de notre première enfance, c’est parce qu’à cette époque là, nos impressions ne pouvaient

s’attacher à aucun support car nous n’étions pas encore un être social. Pour lui, « chaque

mémoire individuelle est un point de vue sur la mémoire collective ». Mon point de vue

change selon la place que j’occupe dans le groupe, et cette place change selon les

relations que j’entretiens avec d’autres milieux. C’est en ce sens qu’Halbwachs évoque les

« cadres sociaux de la mémoire », ou « cadres collectifs », dans la mesure où notre

mémoire ne peut exister que grâce aux autres. Ces cadres sont les « instruments dont la

mémoire collective se sert pour recomposer une image du passé ». Si l’auteur a souhaité

assembler ces deux termes, celui de « mémoire » et celui de « collectif », c’était dans le

but de démontrer que tout groupe organisé crée une mémoire qui lui est propre. Ses

travaux montrent également que contrairement à ce que prétend la psychologie

44 HALBWACHS Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, Paris, 1994, 374 pages.

HALBWACHS Maurice, La Mémoire collective, Albin Michel, Paris, 1997, 295 pages.

Page 45: Mémoire de Recherche

45

traditionnelle et notamment Henri Bergson45 en 1896, le souvenir n’est pas une image

conservée dans la mémoire et qui ferait irruption sans changement dans la conscience,

mais il serait l’objet d’un travail mental qui s’appuierait sur des « cadres » spatio-

temporels construits par une culture commune. Le passé est ainsi reconstruit grâce à des

repères communs. Il ajoute à cela que le processus du souvenir se déroulerait dans le

présent et en serait influencé. Selon Roger Bastide 46 , sociologue et anthropologue

français, cela constituerait le propre de la mémoire collective. En résumé, il explique qu’il

existerait deux manières d’organiser les souvenirs. Ils peuvent tantôt se grouper autour

d’une personne définie qui les envisage de son point de vue, et tantôt se partager à

l’intérieur d’un groupe. Il y aurait ainsi des mémoires individuelles et collectives, et

l’individu participerait à ces deux formes de mémoires. La mémoire individuelle peut, pour

combler des lacunes, s’appuyer momentanément sur la mémoire collective, et

inversement. La mémoire collective enveloppe les mémoires individuelles sans se

confondre avec elles. Il faut donc distinguer la mémoire personnelle de la mémoire sociale,

ou, peut-on dire, la mémoire autobiographique de la mémoire historique. La première

s’aiderait de la seconde car mon histoire personnelle fait partie de l’histoire en général.

Mais la seconde serait beaucoup plus étendue, et ne représenterait le passé que nous une

forme schématique et résumée. Halbwachs nous dit que des évènements occupent une

place dans la mémoire de la nation, auxquelles les personnes ont un point de vue sans

pour autant y avoir assisté. Ainsi, lorsque j’évoque ces évènements je suis obligé de m’en

remettre entièrement à la mémoire des autres, qui est la seule source de ce que je sais.

Pierre Ansart47 reprend Halbwachs dans un article, en y ajoutant quelques précisions. Il

nous explique que ce que fait l’auteur à la base c’est remettre en question les conceptions

de la psychologie traditionnelle, qui faisait du souvenir une image conservée dans la

mémoire, et qui ferait irruption dans la conscience sans changements aucuns. Cette idée

pourrait renvoyer aux rêves dans toute leur complexité, mais non à la remémoration.

45 BERGSON Henri, Matière et Mémoire : Essai sur la relation du corps à l’esprit, presses universitaires de

France, Quadrige Grands Textes, 2008, 521 pages.

46 BASTIDE Roger, « Mémoire collective et sociologie du bricolage », in L’année sociologique, n° 21, 1970,

pp. 65-108.

47 ANSART Pierre, Les sociologies contemporaines, Seuil, Points Essais, 1990, 346 pages.

Page 46: Mémoire de Recherche

46

L’auteur veut démontrer que celle-ci s’appuie sur un travail mental qui lui-même s’appuie

sur des « cadres spatio-temporels », construits par une culture commune. Ce sont des

repères communs d’origine sociale qui reconstruisent, pensent et comprennent le passé. Il

ajoute que Roger Bastide dit que le processus de localisation du souvenir se déroule dans

le présent, ce qui l’influence énormément. Le propre de la mémoire collective est de

réactualiser le passé dans l’action présente. Les oublis sont les souvenirs qui ne trouvent

plus leur place ni de signification dans le présent, et qui sont donc effacés.

Dans un article de Marie-Claire Lavabre48, on apprend qu’hormis Halbwachs, aucun

ouvrage ni article ne faisait référence à la mémoire avant le milieu des années 70. Elle

ajoute que les travaux de l’auteur fameux ne retenaient que peu l’attention. Seuls les

philosophes s’y intéressaient mais seulement à cause de la controverse avec Bergson,

ainsi que du caractère radical d’une thèse qui affirmait la priorité du collectif sur l’individuel

dans l’existence du souvenir. On peut donc considérer que la notion de mémoire émerge

en France à cette époque là. La première définition qui en est donnée vient de Pierre

Nora49, elle date de 1978. Il nous dit « en première approximation, la mémoire collective

est le souvenir ou l’ensemble de souvenirs, conscients ou non, d’une expérience vécue

et/ou mythifiée par une collectivité vivante de l’identité de laquelle le passé fait partie

intégrante ». Mais de manière plus essentielle, c’est l’opposition de l’histoire et de la

mémoire, ou encore celle de la « mémoire historique » et « mémoire collective » qui fonde

la définition de la mémoire. C’est à partir des années 80 que les publications sur la

mémoire explosent. Elles dépassent le simple champ historique et témoignent du souci

d’analyser les formes vives de la mémoire, le souvenir et la transmission. Plusieurs

facteurs français expliquent ce phénomène : mort de De Gaulle et amorce du déclin du

communisme, sensibilité accrue et militante aux dominés de l’histoire, « réveil » de la

« conscience juive », montée des générations d’après-guerre… Certaines polémiques

agitent aujourd’hui le monde des historiens. L’une, fait surgir l’opposition de l’histoire et de

la mémoire. La première serait porteuse de vérité ou de pur savoir sur le passé et la

48 LAVABRE Marie-Claire, « usages et mésusages de la mémoire », in Critique internationale n°7, avril 200,

10 pages.

49 NORA Pierre, Les lieux de mémoire, tome 1, Gallimard, Quarto, Paris, 1997, 1642 pages.

Page 47: Mémoire de Recherche

47

seconde trompeuse et militante. L’autre, affirme un « devoir de mémoire », ce qui exige

une lutte contre l’oubli que l’histoire ne saurait satisfaire. Mais la mémoire résiste. Comme

notion, elle résiste à la polysémie et l’absence de définition partagée par tous, voire même

à la confusion. Comme phénomène social, elle résiste à la critique du « mémoire-oubli ».

Ce qui est sûr, c’est que la mémoire possède une forte fonction sociale faisant que sa

définition ne cessera d’osciller entre une conception qui met l’accent sur le groupe en tant

que groupe, et une autre qui, au contraire, met l’accent sur les individus qui composent le

groupe et réalisent la mémoire collective. Mais finalement, la mémoire est dite collective

non pas parce qu’elle est la mémoire d’un groupe, mais parce que le collectif et le social

sont les états dans lesquels existent les individus.

Selon les dires de Stéphane Laurens et Nicolas Roussiau50, effectivement, pendant

longtemps, on a porté peu d’attention à la mémoire collective. Mais, ce qui semble

aujourd’hui la caractériser relève d’une lecture du passé lui-même, mise en œuvre par un

groupe social. Halbwachs avait été le premier à faire une tentative de définition, nous

l’avons déjà évoqué, mais celle-ci remonte à avant la seconde guerre mondiale, et à cette

époque là, les rapports de la société avec son passé différaient de ceux que nous

connaissons actuellement. Aujourd’hui, elle semble avoir envahi toutes les sphères de la scène

publique au point où elle est à la fois « omniprésente et polyvalente », selon Henry Rousso51. Elle

peut ressortir aussi bien du témoignage que de l’histoire, du récit, des coutumes, des archives, des

traces matérielles, des commémorations, voire de la langue elle-même. Les substantifs de la

mémoire qui sont censés la spécifier sont aussi diffus que peu stables. La mémoire peut ainsi être

collective, sociale, historique, partisane, symbolique, littérale, exemplaire, de masse, individuelle…

Sa polyvalence atteste d’une certaine façon de sa capacité à produire des effets. Il existe

aujourd’hui deux formes dominantes. Dans la première, le passé est vécu comme une condition

d’existence du groupe. Cette forme de mémoire correspond à la lecture d’un passé dont

l’éloignement au présent est variable mais qui instaure une continuité d’existence pour le groupe

dans la mesure où le présent n’est compréhensible qu’à la lumière du passé révolu. Le passé est

50 LAURENS Stéphane, ROUSSIAU Nicolas (dir.), La mémoire sociale : Identité et représentations sociales,

Presses Universitaires, Rennes, 2002, 307 pages.

51 ROUSSO Henry, " Réflexions sur l'émergence de la notion de mémoire", in Histoire et mémoire, CRDP de

Grenoble, 1998.

Page 48: Mémoire de Recherche

48

de ce fait généralement valorisé et son extraction de l’oubli un acte volontaire. Elle pourrait être

dénommée mémoire d’origine. Il s’agit par exemple de l’histoire locale, la résurgence ou le

maintien volontaire des coutumes et traditions. La seconde forme de mémoire collective est un

impératif moral faisant du souvenir une nécessité. Cette forme s’enracine dans un évènement

traumatisant pour l’existence du groupe. Elle peut être qualifiée d’exemplaire au sens où elle se

fonde sur l’exemplum qui lui procure initialement son objet pour exister par la suite comme

dispositif de valeurs s’articulant avec des valeurs partagées par d’autres groupes voire l’humanité.

Elle tend donc à l’universalité. C’est par exemple tout ce que l’on qualifie de « devoir de mémoire »

comme la mémoire des juifs sur le génocide. Paul Ricoeur52 , dans son ouvrage, analyse la

mémoire sous l’angle de l’image ou de ce qu’il nomme eikôn. Pour lui, elle est considérée à la fois

comme processus et représentation d’une chose absente. Le phénomène mnésique est une

représentation présente du passé absent. Elle serait chargée d’humanité et d’authenticité mais

donc floue, et introduisant un biais dans le passé. Il nous raconte, de plus, que les grecs utilisaient

deux mots pour la désigner : la mnémè qui est l’affection ou pathos, en tant que souvenir surgi

dans la mémoire et reconnu comme passé. Le second mot est l’anamnesis ou anamnèse qui est le

rappel, la remémoration, la recherche du souvenir arraché du passé. Par conséquent, la mémoire

construit en vue de reconstruire le passé. Il nous amène toutefois à faire attention à ses us et abus,

et nous indique trois catégories de « malfaçons ». D’abord, la mémoire empêchée qu’il éclaire par

les analyses de Freud, qui se heurterait aux résistances des blessures et traumatismes passés.

Par faute d’un travail de deuil inachevé, on n’accède pas à la remémoration. La mémoire

manipulée ensuite, qui, elle, découle du croisement entre la problématique de la mémoire et celle

de l’identité collective ou personnelle. Elle serait déformée par les idéologies, commémorations et

remémorations forcées. La mémoire obligée, pour terminer, est imposée. Il s’agit d’une mémoire

instrumentalisée dans laquelle on est obligé de se souvenir de tel ou tel évènement. ) Pour

terminer, Marie-Claire Lavabre53 nous invite à faire attention à la notion de mémoire collective. Elle

nous explique que c’est un terme fluide et polysémique qui a aujourd’hui acquis un caractère

d’évidence. Tout est maintenant « mémoire », tout est « présent du passé ». Qu’il s’agisse de

souvenirs de l’expérience vécue, de commémorations, archives ou musées, de mobilisations

politiques de l’histoire, monuments et historiographie, conflits d’interprétations, mais aussi oublis,

symptômes, traces incorporées du passé, occultations et falsification de l’histoire… La mémoire

concerne tous les domaines, elle est partout, on l’entend trop, ce qui signale le caractère

52 RICOEUR Paul, La mémoire, l’Histoire l’Oubli, Seuil, Points Essais, Paris, 2003, 736 pages.

53 LAVABRE Marie-Claire

Page 49: Mémoire de Recherche

49

métaphorique de ce domaine. Elle ajoute que le moment est peut être venu de ne plus se

contenter de décrire le phénomène en tant que tel, mais d’en comprendre le comment, ainsi que le

pourquoi, pour revenir à une définition moins métaphorique, et des explications moins circulaires.

Tzvetan Todorov54 ajoute que la mémoire est aujourd’hui pourvue d’un réel prestige, survalorisée.

Elle le serait tellement qu’elle en serait menacée, non pas par l’effacement des informations qu’elle

contient, mais justement par leur surabondance. Il ajoute qu’elle ne s’oppose pas à l’oubli, et que

les deux termes à opposer sont plutôt « effacement » et « conservation ». La mémoire serait, selon

lui, une interaction entre ces eux termes car la restitution intégrale du passé est impossible, et donc

que la mémoire procède forcément à une sélection des informations. Elle va choisir de conserver

certains aspects d’un évènement, d’en supprimer immédiatement ou progressivement d’autres,

donc de les oublier.

Comme on peut le voir, finalement il est assez difficile de donner une définition claire et

précise de la mémoire collective. Nous savons ce qu’est la mémoire, ce qu’est le collectif mais ces

deux termes rassemblés en font une notion abstraite. Les bribes de définitions que nous en avons

eues, s’apparentent à un autre concept psychologique connu, celui de « représentations

sociales ». Le premier auteur à avoir abordé le sujet est le sociologue Emile Durkeim55 lorsqu’il

parle de « représentations collectives ». D’après lui, nos idées individuelles sont des réalités

sociales qui proviennent du groupe et qui doivent être étudiées comme telles. D’un côté, il y a nos

idées individuelles qui sont instables, variables et éphémères, de l’autre, les idées collectives qui

sont, elles, beaucoup plus stables et cohérentes, et qui constituent un fait social56. C’est « un

savoir qui dépasse celui de l’individu moyen», qui permet aux hommes de vivre en commun, de

voir et comprendre ensemble. Plus tard, Serge Moscovici57 évoquera également ce concept, mais

d’après lui, il ne s’agit pas de représentations collectives mais sociales. Selon cet auteur, les

représentations sociales sont des schèmes cognitifs qui nous permettent de penser, de nous

représenter la réalité, d’orienter et organiser nos comportements. Il ajoute qu’elles concernent la

manière dont nous appréhendons les évènements de la vie courante, c’est « la connaissance de

54 TODOROV Tzvetan, Les abus de la mémoire, Arléa, Arléa Poches, 2004, 60 pages.

55 DURKEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses universitaires de France, 5ème édition,

Quadrige, Paris, 2003, 647 pages.

56 Deschamps, Jean Claude, L'attribution, la catégorisation sociale et les représentations intergroupes, in Bulletin de Psychologie, 13-14, 1973, pp 710-721. 57 MOSCOVICI Serge, Psychologie sociale, Presses Universitaires de France, Quadrige Manuels, 2003, 640

pages.

Page 50: Mémoire de Recherche

50

sens commun », ou la « pensée naturelle ». Celle-ci se constitue à partir de nos expériences,

savoirs ou modèles de pensée qui nous proviennent de notre éducation ou encore de la tradition.

Elle est donc une connaissance socialement élaborée et partagée. Elle possède également une

visée pratique, sert à agir sur le monde. Comme l’écrit Denise Jodelet58, il s’agit « d’une forme de

connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la

construction d’une réalité commune à un ensemble social. Egalement désignée comme savoir de

sens commun ou encore savoir naïf, naturel, cette forme de connaissance est distinguée, entre

autres, de la connaissance scientifique ». Une représentation sociale est donc :

-« une connaissance », c'est-à-dire un ensemble organisé de cognitions (opinions, croyances,

valeurs…),

-« naïve et de sens commun » : par opposition à la science

-« socialement élaborée » : par l’expérience

-« partagée » : commune à des groupes sociaux

-« ayant une visée pratique » : agir sur le monde et interagir avec autrui

-concernant un objet de la vie quotidienne.

Elles auraient plusieurs fonctions : orienter et justifier les conduites et rapports sociaux, faciliter

la communication, interpréter la réalité quotidienne, comprendre des phénomènes nouveaux,

construire une identité. Ses différentes définitions et fonctions sont donc assez proches de celles

de la notion de mémoire collective. La question que l’on se pose est de savoir si la mémoire

collective ne serait pas une forme de représentation sociale. Nous ne pouvons l’affirmer

ouvertement, mais elles semblent toutes deux entretenir un rapport assez étroit.

58 JODELET Denise, Les représentations sociales, Presses Universitaires de France, Sociologie

d’aujourd’hui, 2003, 447 pages.

Page 51: Mémoire de Recherche

51

2. Le Mémoire Collective à travers la Seconde Guerre

Mondiale

L’Histoire est la connaissance et le récit des évènements du passé, des faits

relatifs à l’évolution de l’humanité, jugés dignes de mémoire59. Ce sont les évènements et

faits importants ainsi relatés. On peut donc observer, même dans sa définition la plus

basique, à quel point cette notion renvoie à la mémoire et plus particulièrement à la

mémoire collective. En effet, l’Histoire est un récit, une construction d’images du passé par

des hommes qui tentent de décrire, d’expliquer ou bien de faire revivre des temps révolus.

Elle est toujours une construction humaine, inscrite dans l’époque où cette histoire est

écrite. Elle a longtemps été considérée comme une science du passé, contrairement à la

sociologie ou l’anthropologie, qui elles, les observaient à l’œuvre. Aujourd’hui, nous savons

que la passé ne constitue plus à lui seul le matériau même de l’Histoire. Celle-ci se

construit comme une réflexion et un récit du rapport au temps des sociétés. Cette Histoire

est le support de la mémoire collective. En effet, les gens vivent parfois des moments, des

épisodes qui relèvent d’expériences si fortes qu’ils engendrent le témoignage, le désir de

dire qu’on y était, et ce, car nous avons le sentiment que ce que nous avons vécu mérite

d’être retenu. Ces moments, jugés si centraux pour certains, sont ceux que la mémoire

collective retient et qui deviendront ainsi l’Histoire, celle d’une nation, d’une collectivité,

d’un groupe. La mémoire collective se forme lorsque l’histoire individuelle et L’Historie se

rencontrent grâce à des moments qui marquent profondément les personnes concernées.

Cette mémoire est très tôt valorisée, entretenue par des discours individuels, politiques ou

médiatiques. Sa source principale est le témoignage personnel engendré par le souvenir,

provenant lui-même de la mémoire. La « grande histoire » n’est vue qu’au travers des

récits individuels. Celui de la mémoire collective est avant tout le récit d’une histoire

collective. Narration individuelle et narration collective se confortent l’une, l’autre, elles

s’entretiennent car sont construites ensemble. Elles expriment une même angoisse devant

l’avenir, celle de dire « la » vérité et de passer le flambeau avant qu’il ne soit trop tard. Les

59 COMET Georges, LEJEUNE Antoine, MAURY-ROUAN Claire, Mémoire individuelle, mémoire collective et

histoire, Solal, Marseille, 2008, 216 pages.

Page 52: Mémoire de Recherche

52

évènements personnels, familiaux, privés constituent des points de repère, et cela car ces

récits ne suivent pas un ordre chronologique précis. Le temps du souvenir est un moment

fort comblant tous les moments qu’on pourrait qualifier de « creux ». Ce sont ces récits

constitutifs de la mémoire collective, qui créent également les mythes d’aujourd’hui : la

valorisation d’un moment particulier, d’une temporalité particulière, forment un socle qui se

forge à travers une représentation héroïque. D’ailleurs, Halbwachs, auteur de la notion de

mémoire collective, affirme que c’est la mémoire qui fait l’Histoire.

L’histoire provient donc des témoignages, de la mémoire collective de personnes

ayant vécus des évènements marquants, et qui en parlent pour ne pas qu’on les oublie.

Quelle meilleure forme de mémoire collective que celle autour de la seconde guerre

mondiale ? En effet, comment ne pas oublier ce massacre ? Comment le transmettre aux

générations futures ? En parlant, en témoignant, en racontant, ce que l’on a vu, ce que l’on

a vécu. Parce que comme le dit F.B60, « témoigner, c’est symboliquement ici, prolonger

une histoire, un engagement, un combat ». C’est de cette manière qu’est née la mémoire

de la seconde guerre mondiale, et plus précisément de l’extermination nazie. Celle-ci est à

mi-chemin entre une mémoire dite « historique » car elle fait l’objet d’un travail scientifique

visant à marquer les moments forts de la vie, du monde ; elle est également « collective »

à proprement parler car elle est composée de mémoires individuelles, non pas constituées

à partir de l’histoire apprise mais de l’expérience vécue, comme on le lit dans l’article de

Pierre Ansart61. Ironie du sort, c’est également la mémoire qui déclenche la guerre et

engendre un régime totalitaire, lui qui voulait rassembler les mémoires individuelles pour

ne créer qu’une seule mémoire nationale reconstruite, exclusive et chargée de légitimer les

pouvoirs. Après la fin des combats, la vision a changé, et est apparue une nouvelle

configuration du passé, partagée entre ceux qui voulaient oublier et faire oublier les

humiliations, et ceux qui, au contraire, voulaient que l’on n’oublie jamais, faisant de la

mémoire un « devoir ». Finalement, très tôt des récits se sont formés, relevant à la fois du

mémorable, c'est-à-dire des actes valorisés spectaculaires, dramatiques, héroïques, et du

dicible. « Il y a dans la vie des gens des moments, des épisodes, des phénomènes, qui

60 BELLAY Frédéric (annexe)

61 ANSART Pierre, Les sociologies contemporaines, Seuil, Points Essais, 1990, 346 pages.

Page 53: Mémoire de Recherche

53

relèvent d’expériences si fortes qu’ils engendrent le témoignage, le désir de dire « j’y

étais », parce que l’on a le sentiment que ce que l’on a vécu mérite d’être retenu et que ce

serait une perte, pour l’image de soi, mais aussi pour les autres, si le souvenir n’en était

pas consigné », c’est ce qu’écrit Jean Marie Guillon 62 ; professeur d’Histoire

contemporaine à l’Université de Provence. Pour lui, ces moments si forts sont ceux que la

mémoire collective retient et valorise pour construire l’Histoire d’une nation ou d’un groupe.

D’après ses propos, le témoignage est le présent du passé, tout comme l’est la mémoire

collective. Cela signifie que le témoignage, celui qui crée l’Histoire est la mémoire

collective. Il est l’axe où la mémoire individuelle et l’Histoire se rencontrent, et marquera

profondément les acteurs qui y ont participé et la société qui les a engendrés. C’est

notamment le cas pour les récits de guerre, ceux concernant la Résistance notamment.

Les survivants de cet évènement ont été considérés comme de vrais héros, et les morts

comme des martyrs. Cette mémoire a été mise en valeur dès ses prémices, et entretenue

pas les discours médiatiques alentours. Le souvenir de la grande guerre est aussi

important au sein de cette mémoire nationale que chez chacun des individus, y ayant

participé ou non. On peut d’ailleurs observer cela dans la masse de témoignages produits

depuis la Libération, provenant d’ouvrages, interviews, conférences ou autres

documentaires. Ce ne sont pas seulement les figures emblématiques qui racontent, ce

sont les survivants qui ont besoin de faire savoir au monde ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont

vécu, que ce soit à leurs proches, mais également au grand public par l’intermédiaire des

médias (radios, journaux, télévisions…). Cela peut s’expliquer, entre autre, grâce au

Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, mis en place dès les années 40 et

initiateur de cette quête. Il s’agit d’une institution crée pour préserver la mémoire des

années 1939 à 1945. Mais aujourd’hui encore, les survivants aiment raconter leur

expérience de cette époque, notamment aux nouvelles générations, particulièrement aux

publics scolaires. L’historien s’inspire également de ces témoignages, de cette mémoire,

c’est ce qui fait qu’elle devient l’Histoire. Elle se nourrit des souvenirs, les traitant parfois

62 COMET Georges, LEJEUNE Antoine, MAURY-ROUAN Claire, Mémoire individuelle, mémoire collective et

histoire, Solal, Marseille, 2008, 216 pages.

Page 54: Mémoire de Recherche

54

comme des sources sûres, sans prendre la distance critique et nécessaire. Au fil du temps

et des générations, le témoignage des survivants est considéré comme « sacré », par le

public, ainsi que par les médias. Il y a donc toute une déification autour de la mémoire

collective, ainsi que du devoir de mémoire. Les faits passés sont tellement « graves »,

dramatiques que l’on doit en parler sans cesse, pour ne pas les oublier. Et pour les

générations futures, celle qui n’ont pas connu la guerre, elles doivent les connaître, comme

si elle les avait elle-même vécus. Cela devient en devient une obligation.

I.R, directrice du Centre d’Histoire, de la Résistance et de la Déportation de Lyon :

« Je crois qu’en général les gens ont une bonne connaissance de cette période,

ne serait ce que parce que c’est un sujet qui traverse vraiment beaucoup l’espace

social. On le voit dans la production artistique : beaucoup de films sont consacrés

à la seconde guerre mondiale, beaucoup de bandes dessinées, comme on peut le

voir dans notre exposition actuelle. C’est aussi un sujet qui traverse la réflexion

sociale comme un référentiel, c'est-à-dire qu’on voit beaucoup brandis les idéaux

de la Résistance dans les manifestations contre certaines réformes. Beaucoup de

gens se revendiquent des valeurs de la Résistance. (…) Donc la seconde guerre

mondiale est très présente en France, dans la société, ce qui peut entraîner chez

certains une sorte de lassitude, comme l’expriment très bien certains adolescents

qui viennent nous visiter dans le cadre de l’école : Encore ! Encore la Shoah,

encore la Résistance, encore Vichy ! C’est paradoxal, il y a à la fois une vraie

demande sociale, un vrai intérêt social pour cette période là, et puis, quand même,

une expression qui est loin d’être marginale, d’un raz le bol ! Il y a, au départ, je

vous le disais, assez de complexité. Mais on voit que les valeurs de la Résistance,

qui sont des valeurs fortes d’espoir sont un message formidable pour notre

époque. C’est à la fois quelque chose qu’il faut garder dans son contexte, qu’il faut

pas analyser avec le regard d’aujourd’hui à cause des contre-sens. Mais c’est

quelque chose qui transcende la période. Je pense que c’est cette double vision

que les gens ont de cette période aujourd’hui. »

Page 55: Mémoire de Recherche

55

C.J, documentaliste au Centre de documentation du musée, confirmera les propos d’I.R :

« Je pense qu’il faut se pencher sur les vecteurs qui amènent les informations aux

gens, et le plus populaire, sans doute, c’est la télévision. Puis, il y a les

commémorations, le cinéma. Il me semble qu’il y a quand même un grand intérêt, à

travers tout cela, manifesté par le public qui est lassé en revanche par le vecteur

commémoratif. Il en a un peu marre quoi ! Il me semble, par rapport à ce que

j’entends. En même temps, les gens qui viennent ici sont toujours nécessairement

motivés. Donc ce discours s’entend plus à l’extérieur qu’au sein du musée

finalement. Mais il me semble que ça reste un centre d’intérêt des français,

incontestablement. Il me semble aussi, en tous cas, pour le volet Résistance

française, que cela intéresse de plus en plus les étrangers. C’est vrai que c’est

tellement riche, tellement bien organisé, que c’est vrai que les étrangers s’y

intéressent de plus en plus. Ça les interpelle quoi. Mais peut être dans certains

milieux, une lassitude, comme je l’ai dit, par rapport à l’aspect commémoratif. (..) Il

y a quand même un intérêt particulier pour la Shoah également. En tous cas je

pense qu’elle a trouvé sa place dans le débat public, ce qui n’a pas toujours été le

cas. (…) Il existe aussi un intérêt du grand public pour le témoignage d’histoire, pour

cette dimension qu’apporte le témoignage. (…) Il y a une espèce de nostalgie. Les

gens y sont vraiment très attentifs. »

Toute cette sacralisation autour des témoignages de guerre en donne une vision

particulière, subjective pour la plupart car vue au travers du récit individuel. La période de

la guerre se mêle à l’histoire personnelle, souvent ordinaire dont les évènements

personnels et familiaux servent de repères. Le quotidien difficile est toujours mis en avant

mais souvent décrit d’une façon très générale et convenue, comme on le lit dans l’ouvrage

de George Comet et al.63 L’action est valorisée, d’autant plus lorsqu’elle est spectaculaire

ou dramatique. De petits éléments comme une réunion ou une manifestation sont écartés

car pas assez marquants. Le souvenir est plus lié aux émotions intenses comme la 63 COMET Georges, LEJEUNE Antoine, MAURY-ROUAN Claire, Mémoire individuelle, mémoire collective et

histoire, Solal, Marseille, 2008, 216 pages.

Page 56: Mémoire de Recherche

56

tragédie ou le combat. Il existe une rhétorique de l’oubli qui est très réductrice car elle ne

conçoit l’oubli que comme l’opposé de la mémoire. En réalité, celle-ci est composée de

« creux », et donc de différentes sortes d’oublis. Il y a d’un côté les oublis à proprement

parler, c'est-à-dire tout ce qui n’est pas mémorable. Il existe également les oblitérations,

soit tout ce qui est couvert par un autre souvenir ou qui a fusionné avec lui. Enfin, le non-

dit et l’inavouable, qui concerne ce que l’on juge mal, qui ne peut être dit, qui relève de

l’occultation, c'est-à-dire tout ce qui concerne la lâcheté, la peur ou la déshonorante. Cela

provient bien sûr des cadres et valeurs de la société. Par exemple, aucun résistant

n’avouera avoir participé à la tonte des femmes lors de la Libération. Personne ne parlera

des vols qui ont eu lieu, de nourriture ou d’argent. Cela pour une raison simple, qui est

qu’on a le sentiment qu’en avouant de tels faits, on ne serait plus crédibles, ni soi-même,

ni la cause que l’on défend qui est pure, morale et héroïque. Alors qu’en réalité, tout le

monde peut comprendre cela. Mais on préfère se taire, ce qui fait que les discours, tenus

pour source sûre, ne disent pas forcément tout. De plus, le témoignage se fixe tôt et

ensuite il n’évolue que peu, y compris en ce qui concerne les lacunes et erreurs. La

répétition prévaut. A force de raconter la même histoire, on finit par l’admettre ainsi, même

si au départ on était pas très sûr de tous les faits, mais à force de répéter l’évènement de

cette manière, on finit par s’en convaincre, et cela devient le discours officiel. Par exemple,

lorsque l’on prend le récit d’un résistant construit juste après la Libération, et qu’on le lui

redemande des années plus tard, il sera identique, avec ses temps forts et ses lacunes, et

la même confusion chronologique. Ceux-ci servent à valoriser celui qui raconte. Le récit

persiste même lorsqu’on tente de le faire préciser ou qu’on essaie d’amener le témoin sur

un autre aspect. « On ne peut rompre un fil qui a été tendu depuis des années », explique

Jean Marie Guillon. Il est donc instauré très tôt, et raconté assez régulièrement, et change

peu, à part si le témoin a changé de point de vue au fil du temps. Pierre Ansart64 confirme

cela puisqu’il nous explique qu’au lendemain des guerres, les groupes engagés dans les

affrontements interprètent les faits d’une manière favorable à leur cause, et qu’à l’inverse,

ils dénoncent très fortement les comportements adverses. Il explique, de plus, que le

contenu des mémoires est composé essentiellement de souvenirs, et non pas de faits

64 ANSART Pierre

Page 57: Mémoire de Recherche

57

scientifiques. Ils remémorent la guerre en insistant sur les souffrances ressenties. Tous

ceux qui ont ressenti ces mêmes sentiments, de près ou de loin, se sentent solidaires.

Les récits de guerre permettent de voir de quelle manière se construisent des

sortes de mythes autour de ces évènements. La valorisation des moments particuliers, la

temporalité, la représentation des évènements et comportements forment le socle de tout

un légendaire qui se forme très tôt à travers la représentation héroïque des Résistants face

à un pauvre peuple massacré. Le témoignage en est une traduction officielle. Le récit

collectif est raconté, grâce aux témoignages individuels, par les plaques commémoratives,

les mémoriaux, les défilés et cérémonies officielles, mettant l’accent sur les tragédies, les

épreuves, le combat, les héros et les martyrs. Clément Chéroux65 dit qu’il n’est pas rare de

voir réapparaître les mêmes motifs. Il existe, selon lui, des stéréotypes qui proposent une

formulation métaphorique des évènements passés, notamment dans les travaux

photographiques. Ce sont les rails, les miradors, les barbelés… qui permettent aux

personnes n’ayant pas vécu cet enfer, d’en avoir une image officielle. On accentue

certains faits, on les amplifie pour qu’ils soient retenus plus facilement et de manière plus

durable. Roland Barthes66 parle de mythologie. Il définit le mythe comme une parole, un

système de communication ou un message. Il est pour nous une construction de l’esprit ne

reposant pas sur un fond de réalité. Ce sont des histoires racontées tant de fois qu’elles en

deviennent des légendes. Nous observons cela en ce qui concerne les récits de la guerre.

On nous parle sans cesse des mêmes faits, des mêmes motifs, des mêmes illustrations…

Tellement qu’on finit par se demander ce qui s’est réellement passé, et ce qui a été trop

fortement exagéré. Sans nier l’existence des évènements, on en vient à se questionner

quant à la nature des faits.

Les récits de la seconde guerre mondiale, individuels ou collectifs, expriment une

même angoisse face à l’avenir, celle de dire « la » vérité, ainsi que de passer le flambeau

avant qu’il ne soit trop tard, d’autant plus, alors des récits concurrents opposés semblent

vouloir s’imposer, ce sont les négationnistes. Désignés longtemps comme 65 CHEROUX Clément (dir.), Mémoire des camps : photographies des camps de concentration et

d’extermination nazis, Paris, Marval, 2001, 246 pages.

66 BARTHES Roland, Mythologies, Seuil, Point Essais, Paris, 1970, 233 pages.

Page 58: Mémoire de Recherche

58

« révisionnistes », il s’agit d’historiens, pouvant aller, dans les cas les plus extrêmes,

jusqu’à nier l’existence même de la Shoah, comme nous l’indique Anne Grunberg67. Ces

historiens prennent pour base des postulats, qui leur servent également de conclusion :

1) Il n’y a pas eu de génocide et l’instrument qui le symbolise, la chambre à gaz,

n’a jamais existé.

2) La « solution finale » n’a jamais été que l’exclusion des Juifs en direction de

l’Est européen. Puisque la plupart venaient de l’Est, il ne s’agit que d’un

rapatriement, comme lorsque les autorités françaises rapatrièrent les

Algériens, en octobre 1961, vers leur « douars d’origine ».

3) Le chiffre des victimes juives du nazisme est beaucoup plus faible qu’on ne l’a

dit. « Il n’existe aucun document digne de ce nom chiffrant la perte totale de la

population juive durant la dernière guerre à plus de 200 000… Ajoutons

également que l’on comprend dans les victimes les cas de mort naturelle »,

écrit l’avocat allemand Manfred Roeder68.

4) L’Allemagne hitlérienne ne porte pas la responsabilité majeure de la Seconde

Guerre Mondiale.

5) L’ennemi majeur du genre humain pendant les années trente et quarante n’est

pas l’Allemagne nazie mais l’URSS stalinienne.

6) Le génocide est une invention de la propagande alliée, principalement juive, et

tout particulièrement sioniste, que l’on peut expliquer aisément, par une

propension des Juifs à donner des chiffres imaginaires, sous l’influence du

Talmud.

Le Docteur Austin J. App69, professeur dans des collèges catholiques affirmera

« Le troisième Reich voulait l’émigration des Juifs, non leur liquidation. S’il avait voulu les

liquider, il n’y aurait pas en Israël 500 000 survivants des camps de concentration touchant

67 GRYNBERG Anne, La Shoah : L’impossible oubli, Découvertes Gallimard Histoire, Paris, 1995, 175

pages.

68 Manfred Roeder

69 Docteur Austin J. App

Page 59: Mémoire de Recherche

59

des indemnités allemandes pour des persécutions imaginaires. Pas un seul Juif n’a été

« gazé » dans un camp de concentration. Il y avait dans des camps des fours crématoires

pour brûler les cadavres de ceux qui étaient morts pour une raison quelconque, et

particulièrement à la suite des raids génocidaires des bombardiers anglo-américains. La

majorité des Juifs qui moururent dans les pogroms et ceux disparus dont la trace n’a pas

été retrouvée, sont morts dans des territoires contrôlés par l’URSS, non par l’Allemagne.

La majorité des Juifs qui sont supposés avoir été tués par les Allemands étaient des

éléments subversifs, des partisans, des espions et des criminels et aussi, souvent, des

victimes de représailles malheureuses, mais conformes au droit international ». C’est un

des discours de ces négationnistes. On en retrouve tous les composantes de ces discours

idéologiques, à savoir antisémitisme, et nationalisme allemand en particulier. Le but de

cela est de priver idéologiquement le peuple Juif de sa mémoire historique. Les partisans

de ces discours veulent des preuves, nous voilà obligés de démontrer ce qu’il s’est passé.

Ils pensent que les témoignages des personnes Juives ne sont pas crédibles, et que tout

document qui date d’avant le Libération est un faux. Il semblerait donc que les réalités

connues, écrites et répétées maintes fois ne soient donc que des mythes selon ces gens

là. Ces évènements horribles qui ont constitué cette mémoire collective ne seraient, à leurs

yeux, qu’usurpation et faux. Ou alors on pourrait aussi qualifier cela de négation

malhonnête de la réalité.

Page 60: Mémoire de Recherche

60

3. La Photographie, un outil au service de la Mémoire

La mémoire collective est une invention crée pour désigner le fait de se souvenir

tous ensemble, de se remémorer des évènements qui ont marqué notre Histoire

commune, les garder en tête, ne pas les oublier, pour ne jamais les réorchestrés. La

mémoire collective de la Shoah en est le meilleur exemple, nous l’avons observé. Mais

comment ne pas oublier ? De quelle manière garder des éléments dans notre esprit alors

même que le temps joue son rôle, ou pire, alors qu’on ne les a, nous-mêmes, pas vécus ?

Il existe plusieurs moyens pour cela. Le témoignage oral des témoins qui tendent à

disparaître au fil du temps, les récits écrits de ceux qui ont vécu ou de ceux qui racontent

ce qu’il s’est passé, mais également l’image, et plus particulièrement la photographie. En

effet, ce médium, de par ses caractéristiques fameuses que l’on a évoqué précédemment,

est l’outil le plus sûr, aujourd’hui, pour rendre compte de la mémoire. Dans une société où

l’on ne croit plus que ce que l’on voit, l’image photographique détient une place capitale.

C’est par elle qu’un fait devient plus concret, et somme toutes, plus marquant. L’image a

souvent plus d’impact que les mots car elle nous paraît plus crédible, étant donné que,

comme on le sait, la photographie possède un fort caractère de réel. Elle est souvent une

« preuve » visuelle que quelque chose a existé. Les faits que la mémoire, et plus

particulièrement la mémoire collective, retient sont parfois violents, difficiles à croire,

comme ceux concernant la seconde guerre mondiale, évoqués dans la partie précédente.

La photographie est le bon moyen de montrer au monde ce qu’il s’est passé, et ce sont

ces images que l’on retiendra, et qui nous viendront directement à l’esprit à l’évocation de

ces faits précis. Nous éprouvons le besoin de rattacher une image à un souvenir pour qu’il

reste dans notre tête le plus longtemps possible, qu’il s’agisse de la mémoire individuelle

ou de la collective. Il n’y a donc pas de doutes, photographie et mémoire sont bien

intimement liés.

De nombreux auteurs se sont penchés sur ce sujet. C’est le cas notamment de

Philippe Dubois70 qui écrit que la photographie est un adjuvant, mais également un art de

la mémoire. Elle est le simple témoin de ce qui a été, puisque son rôle est de conserver la

70 DUBOIS Philippe, L’acte photographique, Parvis, Nathan, 1990, 301 pages.

Page 61: Mémoire de Recherche

61

trace du passé. Pour lui, elle est l’exact équivalent visuel du souvenir car une photographie

est toujours avant tout une image mentale. Ainsi, notre mémoire n’est faite que de

photographies. En effet, celle-ci est composée de « loci », c'est-à-dire de cadres vides de

lieux, qui sont des réceptacles prêts à recevoir les photographies. La mémoire est

également composée « d’imagines » qui sont, elles, des images, crées par la

photographie, qui se posent sur les loci. Ce sont des inscriptions qui vont et viennent sur

les surfaces vides. La photographie complète donc les espaces volontairement manquants

de notre mémoire. Emmanuel Garrigues71, quant à lui, va plus loin. Il nous indique que la

photographie peut être considérée comme un langage à part entière. De ce fait, on peut

également dire qu’elle est une expression du psychisme, ainsi qu’une mémoire. D’après

lui, elle peut être définie de diverses manières : technique, création, support, moyen de

communication, écriture… mais avant tout, comme une mémoire. Ses fonctions, quant à

elles, sont diverses, selon l’usage qui en est fait, le type de personne qui la produit, ou la

personne qui la regarde. Un autre auteur célèbre, Claude Levi Strauss72, affirmera cette

même idée de photographie comme mémoire. Il nous explique, pour cela, que la

photographie est à la fois un document et une mémoire, indispensables à l’anthropologie.

La lecture de Tristes Tropiques nous permet d’apprécier la beauté des Nambikwaras à

travers les portraits photographiques de ces jeunes gens. Levi Strauss écrira au sujet de la

photographie : « Je vivais dans ces expéditions une expérience totalement nouvelle.

C’était un sujet d’émerveillement dont il fallait que je garde la trace. La photo s’est donc

imposée comme une évidence. De manière générale, sur le plan ethnographique, la photo

constitue une réserve de documents, permet de conserver les choses qu’on ne verra

plus». Grâce à cet objet, nous pouvons, en tant que lecteur, accéder à un sentiment de

mélancolie face à ces cultures irremplaçables que l’on a détruites. La photographie joue ici

pleinement son rôle de mémoire, mais également de « devoir » de mémoire. Elle ajoute,

de plus, une dimension artistique à ce documentaire, ce qui touche le lecteur infiniment

plus. L’auteur dira, malgré tout, que pourtant il n’aime pas la photographie, il pense que

c’est un art mineur, mais surtout trompeur par nature car il ne s’agit que d’une apparence.

71 GARRIGUES Emmanuel, L’écriture photographique, l’Harmattan, Champs Visuels, 2000, 236 pages.

72 LEVI STRAUSS Claude, Tristes tropiques, Pocket, Terre Humaine, Paris, 2001, 513 pages.

Page 62: Mémoire de Recherche

62

C’est un instantané, dépourvu de sens, car on ne peut pas observer ce qu’il s’est produit

juste avant, ni juste après. C’est un instant saisi sur le vif.

D’autres auteurs évoquent plus particulièrement le rapport entre photographie,

mémoire et temps, comme c’est le cas pour Pierre Bourdieu73. La photographie aurait pour

fonction, selon lui, d’aider à surmonter l’angoisse suscitée par l’écoulement du temps, et

cela de deux manières. Soit en fournissant un substitut magique de ce que le temps a

détruit, soit en étant un complément aux défaillances de la mémoire et en servant ainsi de

point d’appui à l’évocation des souvenirs associés. Il veut donc dire que la photographie

aide les gens en leur donnant le sentiment de vaincre le temps comme puissance de

destruction. Elle permettrait, de plus, de favoriser la communication avec autrui en lui

offrant la possibilité de revivre ensemble des moments passés, ainsi que de montrer de

cette manière, l’intérêt ou l’affection que l’on porte aux autres. Elle peut également donner

l’illusion de révéler des vérités en réveillant des lieux communs, et en les exprimant dans

un langage à l’allure scientifique. Philippe Dubois ajoutera que l’acte photographique

installe une sorte de hors temps car une photographie, lorsqu’elle est prise, arrête le

temps. Pour expliquer cela, il s’appuie sur le mythe de la flèche brisée de Zénon d’Elée,

qui nous explique que le mouvement n’existe pas. Lorsqu’une flèche part d’un point A pour

aller à un point B, elle ne bouge pas, elle reste immobile. En réalité, elle occupe

simplement une position différente dans l’espace selon l’instant. Elle est prise entre deux

immobilités : une qui la précède, l’autre qui la suivra. Le mouvement est donc une illusion.

Cette temporalité, telle que la pense Zénon d’Elée, implique une chronologie qui

n’accumule pas, ne se capitalise pas en une mémoire pleine et continue. Si l’on en suit sa

logique, ainsi que celle de Dubois, c’est, à l’inverse, une temporalité du coup par coup, de

l’instant, et de l’oubli, et la photographie en est le modèle théorique. L’acte photographique

fait ainsi de la durée qui s’écoule à l’infini, un simple instant arrêté, saisi une fois pour

toutes. Comme le dit Denis Roche74, « le temps de la photographie n’est pas celui du

Temps ». Dubois ajoute que celui-ci quitte le temps chronique, réel, évolutif, c'est-à-dire

73 BOURDIEU Pierre (dir.), Un art moyen : essais sur les usages sociaux de la photographie, Les Editions de

Minuit 2ème édition, Paris, 1978, 360 pages.

74 ROCHE Denis, La photographie est interminable, Seuil, Fiction & Cie, 2007, 117 pages.

Page 63: Mémoire de Recherche

63

notre temps d’être humains, pour entrer dans une temporalité nouvelle qui est séparée et

symbolique, et qui est celle de la photographie, totalement immobile. Il s’agit d’un arrêt sur

l’image, où on passe d’un temps évolutif à un temps figé, du mouvement à l’immobilité.

Pour Clément Chéroux, spécialiste de la période de la seconde guerre mondiale,

la photographie a joué et joue encore un rôle capital dans l’élaboration de la mémoire des

évènements. Il semble nécessaire d’enrichir notre mémoire d’images afin de fournir des

supports visuels aux souvenirs. La mémoire serait composée de réservoirs, divisés en trois

catégories distinctes : la mémoire orale, la mémoire écrite, et la mémoire iconographique.

C’est au cœur de cette dernière que la photographie joue un rôle central. Elle multiplie et

démocratise la mémoire, lui donne une précision, une sorte de vérité visuelle, lui

permettant de gérer le temps, ainsi que l’évolution chronologique. Il nous apprendra

ensuite, qu’il aura, toutefois, fallu plus de cinquante ans pour que les photographies prises

dans les camps soient étudiées comme des pièces d’archives, et non plus comme des

symboles du génocide nazi. La libération a généré des images, souvent insoutenables, qui

sont ensuite entrées dans la mémoire collective, comme l’explique Michel Guerrin75 dans

son article. Ce n’est donc pas par hasard que lorsque F.B veut réaliser une exposition sur

des survivants de la seconde guerre mondiale, au centre d’histoire, de la résistance et de

la déportation de Lyon, il choisit la photographie comme médium. Il nous dira que c’est

parce que celle-ci entretient un lien étroit et originel avec la mémoire que son choix est

légitime. Il nous apprendra, de plus, que les premiers daguerréotypes étaient appelés « les

miroirs qui se souviennent », le rapport à la mémoire est donc présent dès les prémices de

la photographies. Comme Dubois, Susan Sontag 76 nous parle d’images iconiques qui

seraient gravées dans la mémoire. Pour elle, il n’existe pas une « mémoire collective »

mais un « inconscient collectif ». Celui-ci est composé d’un certain nombre d’images

iconiques qui symbolisent notre histoire commune. Ces images connues, comme celles

des camps de concentration, inscrivent l’histoire dans nos têtes. En ce qui concerne la

75 GUERRIN Michel, « Entre mémoire et histoire des camps, le rôle de la photographie », in Le Monde, 2001,

2 pages.

76 DEBRAINE Luc, « Rien n’entre mieux dans notre esprit qu’une photographie », in Le Temps, 2003, 3

pages.

Page 64: Mémoire de Recherche

64

mémoire individuelle, se souvenir c’est appeler une image qui a un jour traversé notre

esprit. La photographie est ce qui entre le mieux dans notre esprit car notre mémoire

fonctionne par arrêts sur images. Nous sommes submergés par les images donc en ce qui

concerne le souvenir, c’est la photographie qui est la plus efficace, et cela car sa forme est

précise, fixe, compacte et qu’elle est rapide et incisive.

Un autre auteur, Georges Comet77, dans son ouvrage, explique que lorsque nous

nous trouvons face à une image, qu’elle soit connue ou non, nous avons tendance à

expliquer ce qu’elle nous évoque, à raconter ce que l’on voit, ce à quoi cela nous fait

penser. Nous construisons donc un récit empli de souvenirs… nous faisons donc appel

immédiatement à notre mémoire. La photographie ne transmet pas un discours écrit, nous

sommes donc obligés de faire appel à la mémoire pour exprimer un discours. Celui-ci peut

être officiel, appris, transmis par les traditions ou la mémoire collective, mais parfois, il peut

être beaucoup plus subjectif et transmettre des idées non officielles. L’image permet de

créer un lien entre ce qui a été appris, entendu, imaginé ou rêvé. Elle renvoie toujours à

une mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective.

En avril 1988, pour son quarantième anniversaire, le magazine Courrier de

l’Unesco avait consacré une édition spéciale à la photographie, avec pour fil conducteur le

thème de la mémoire78. Le rédacteur en chef, Edouard Glissant, explique ce choix par le

fait que la photographie sauve de l’oubli en constituant « les archives de notre mémoire »,

comme le disait Charles Baudelaire79, qu’elles soient privées ou publiques, nationales ou

planétaires. La photographie peut être à la fois reportage du temps présent, document, elle

est avant tout de la communication humaine, en tant que signe d’ouverture d’esprit. Pour

répondre à la question de la mémoire, plusieurs praticiens sont interrogés. Le premier est

Wim Wenders, un cinéaste allemand. Dans son interview, il nous livre qu’il existe certaines

photographies que nous avons envie non pas de voir mais de re-garder, c'est-à-dire

77 COMET Georges, LEJEUNE Antoine, MAURY-ROUAN Claire, Mémoire individuelle, mémoire collective et

histoire, Solal, Marseille, 2008, 216 pages.

78 Mémoire de la photographie, in Courrier de l’Unesco, numéro d’avril 1988.

79 http://baudelaire.litteratura.com

Page 65: Mémoire de Recherche

65

observer des éléments et les garder en mémoire car on sait qu’ils vont disparaître dans

peu de temps. Pour lui, la photographie possède une fonction de conservation des choses.

Elle permet de ne pas les oublier même lorsqu’elles n’existent plus. Pour le cinéaste,

prendre une photographie c’est « faire quelque chose comme si c’était la dernière fois, à la

fois la première mais également la dernière ». Il explique cela par le fait que souvent il

prend un élément en photo car il sait que c’est à la fois la première et la dernière fois qu’il

le verra. Le fait qu’une photographie de cet élément existe lui permet de continuer à

exister.

De par ce tour d’horizon, nous pouvons observer que de nombreux auteurs,

spécialistes de la photographie ou non, ont abordé ce sujet à un moment de leur réflexion.

Pour la plupart, le fait que la photographie soit liée à la mémoire, d’une manière ou d’une

autre, apparaît comme une évidence. Elle semble être le support visuel parfait pour

raconter des évènements qu’il ne faut pas oublier, collectifs ou individuels. L’une et l’autre

se complètent. A la fois, la photographie permet à la mémoire d’avoir en tête une image de

quelque chose qu’il s’est passé, ce qui lui permet de le retenir plus facilement et de lutter

plus durablement contre l’oubli. A la fois, la mémoire permet d’expliquer une image

photographique, de la raconter, de la situer dans un contexte, et par conséquent, de lui

donner un sens.

Pour la directrice du Centre d’Histoire, de la Résistance, et de la Déportation, I.R,

« Le rôle de la photographie dans la transmission et la conservation de la mémoire

est central car nous avons besoin de nous représenter les choses de manière

iconographique. Il existe beaucoup de photos de cette période donc la matière ne

manque pas. Mais cela ne représente pas tout bien sûr, c'est-à-dire qu’une grande

partie de ce sur quoi on travaille, la Résistance, la répression faite aux Juifs, n’est

pas forcément représentable par la photo. Il n’y a pas de photo de rafle par

exemple. Donc c’est un support qui a ses limites, qui est remplaçable évidemment.

On a la chance inouïe de pouvoir montrer les visages des acteurs des faits parce

que même en 40, c’était un média assez développé pour que dans toutes les

classes sociales, les gens aient des photos d’eux. A cette époque, c’est largement

répandu. C’est un support qui est facile à exposer, qui est dupplicable, dont on peut

Page 66: Mémoire de Recherche

66

jouer sur le format, peut être un peu trop parfois. Entre un document original 6x6 et

une photo d’un mètre sur un mètre, ça représente plus la même chose. Il n’y a plus

le même rapport avec la personne qui regarde. Donc nous on aime bien montrer

des « vraies » photos avec leur « vrai » format. »

Pour M.V, attaché de conservation au musée : « La photo, par ce qu’elle est, a une

dimension mémorielle en fait, puisqu’elle vient figer un moment précis dans un

contexte précis par un regard précis. C’est une imbrication de choses précises

éminemment subjectives. C’est vrai que c’est pas un médium qui est évident du tout

la photographie, c’est complexe. Pour moi, la conservation me gêne car je partirai

plutôt vers d’autres univers. Il s’agit plutôt de la transmission de la mémoire par la

photo, encore faut-il qu’elle soit montrée. »

Ces discours de spécialistes de la période 1939-1945, possédant une connaissance

particulière de la mémoire collective, confirment que la photographie est bien un outil au

service de la mémoire, pas le seul qui existe mais peut être le plus probant.

En résumé, la définition de la mémoire recouvre deux aspects. Selon la

psychologie cognitive, elle est une fonction psychique qui permet à un individu de

percevoir son environnement et d’en conserver des éléments à l’intérieur d’une base de

données personnelle, constituée dans le cerveau. Selon la psychologie sociale, la

mémoire est avant tout collective. Elle sert à transmettre une expérience à un groupe, à

partager des évènements, à se souvenir ensemble. Maurice Halbwachs est le premier

auteur à avoir abordé cette théorie en 1925. Pour lui, la mémoire est entièrement

dépendante de l’environnement social, car c’est grâce à l’autre qu’une personne peut

acquérir des souvenirs. Autrui est toujours symboliquement présent en nous. C’est ce qu’il

nomme les « cadres sociaux de la mémoire ». Excepté cet auteur, il faudra attendre les

années 70 pour recevoir une définition de la mémoire collective. Elle sera donnée par

Pierre Nora qui nous expliquera qu’elle est composée de souvenirs provenant d’une

expérience mythifiée par une collectivité. A partir de cette période, les travaux sur ce sujet

Page 67: Mémoire de Recherche

67

se succèderont. On peut expliquer cela, entre autre, par les évènements historiques qui

ont lieu, notamment la seconde guerre mondiale. Ce sont les secondes générations qui ont

besoin de se constituer une identité, et de marquer cette période. La mémoire collective

semble aujourd’hui envahir toutes les sphères publiques, sa présence est fortement

marquée dans la société. Puis, pour terminer, nous nous sommes aperçus qu’il serait

tentant de relier cette notion de mémoire collective à un autre domaine de la psychologie

sociale, celui des représentations sociales. Il convient de se demander si la mémoire

collective ne serait pas une forme de représentations sociale. En effet, d’après Serge

Moscovici, il s’agirait de schèmes cognitifs qui permettraient aux individus d’appréhender

les évènements de la vie quotidienne, et cela à partir des expériences sociales. Il persiste

donc une forte similitude entre les deux phénomènes sociaux.

Nous avons tenté d’illustrer cette notion de mémoire collective avec un exemple

concret, celui de la seconde guerre mondiale. Dans ses différentes définitions, la mémoire

collective renvoie toujours à des évènements vécus collectivement par un groupe, transmis

et partagés par un peuple. Elle renvoie donc toujours à l’Histoire, construction humaine

dont le but est d’écrire, ainsi que de conserver le passé. Un des évènements les plus

importants de cette Histoire est la seconde guerre mondiale. A travers celle-ci, se joue un

fort désir de mémoire collective. De nombreux récits ont été constitués autour de cette

tragédie. Leurs buts est de garder à l’esprit ce qu’il s’est passé, pour que cela ne se

reproduise jamais. Ces évènements qui ont marqué toute une population sont retenus par

la mémoire collective, et c’est elle qui constitue l’histoire commune. Ce sont les

témoignages qui constituent cette mémoire, c’est grâce à eux que se sont constitués les

récits. Ainsi, la mémoire collective de la seconde guerre mondiale s’est constituée très tôt,

et elle a immédiatement était excessivement valorisée. Il existe comme une mythification

autour des récits de cette guerre, car ils sont toujours racontés de la même manière, et

avec une force considérable, à savoir, une représentation héroïque de la Résistance, un

peuple martyr, et des bourreaux. Les mêmes motifs réapparaissent sans cesse, ils en

deviennent des stéréotypes. Les faits sont répétés, accentués. Il existe donc une

mythologie autour de la seconde guerre mondiale. A côté de celle-ci, cohabitent des

discours négationnistes allant à l’encontre des faits racontés. Partant du principe qu’il

n’existe pas de preuves matérielles concrètes, ceux-ci nient l’existence même d’un

Page 68: Mémoire de Recherche

68

génocide ou d’une quelconque chambre à gaz. Selon eux, les témoignages, notamment de

personnes juives ne constituent pas une preuve fiable, ils ne sont donc pas crédibles, et

tout ce que l’on raconte d’avant la Libération est faux.

Pour terminer, nous avons vu que grâce à ses caractéristiques ultérieurement

présentées, la photographie semble être l’outil parfait pour illustrer la mémoire collective.

Grâce à cet instrument, les faits paraissent plus vrais, plus réels, et donc plus crédibles.

Plusieurs auteurs ont confirmé cette idée. Philippe Dubois, pour quoi la photographie est à

la fois art et adjuvant de la mémoire. Elle constitue l’exact équivalent du souvenir car elle

est avant tout une image mentale. Emmanuel Garrigues, qui pense que la photographie

est un langage à part entière, expression du psychisme, et donc de la mémoire. Et puis,

Claude Levi Strauss, d’après qui, elle serait à la fois document et mémoire, indispensables

à l’anthropologie. Cela car elle nous permet de ne pas oublier des civilisations, parfois

lointaines, sur le point de disparaître. D’autres auteurs, quant à eux, évoquent son rapport

au temps. Bourdieu, pour qui la photographie, un art moyen, aiderait à surmonter

l’angoisse liée à l’écoulement du temps en fournissant un substitut technique aux

défaillances de la mémoire. Philippe Dubois, à nouveau, qui nous dit que la photographie

crée une sorte de « hors-temps », différent du temps « réel », tout comme le fait le

souvenir. Enfin, on a observé l’importance de ce médium dans l’élaboration de la mémoire

collective de la seconde guerre mondiale. Les gens ont besoin de supports visuels pour

enrichir leurs récits. En clair, photographie et mémoire collective entretiennent un réel

rapport de complémentarité.

Page 69: Mémoire de Recherche

69

PARTIE 3 :

ANALYSES

PERSONNELLES

Page 70: Mémoire de Recherche

70

III. ANALYSES PERSONNELLES

Dans ce chapitre, qui est la partie pratique du mémoire, nous allons mettre en pratique

les deux parties théoriques précédentes. Pour cela, nous allons commencer par réaliser

une analyse sémiologique de huit photographies autour de la seconde guerre mondiale,

que j’ai sélectionnées dans l’ouvrage de Clément Chéroux sur les camps de concentration

et d’extermination nazis. Je vais dans un premier temps les décrire, puis en faire ressortir

le message plastique, ainsi que le message iconique. Dans un second temps, je ferai

passer un questionnaire à quatre-vingt personnes. Celui-ci sera composé de trois

photographies issues du même ouvrage dont le contenu peut porter à confusion. Le but

sera de d’exprimer ce que l’on voit, et ce à quoi cela fait penser. J’interprèterai ensuite les

différentes réponses observées. Pour terminer, je présenterai un documentaire de Yael

Hersonski sur la vie dans le ghetto de Varsovie. On pourra observer, grâce à celui-ci, que

la photographie n’est pas toujours une copie conforme de la vie réelle, et qu’une

importante part de mise en scène de l’auteur entre en ligne de mire.

1. Analyse sémiologique d’images de la seconde guerre

mondiale

Dans cette partie, nous allons observer neuf photographies prises lors de la seconde

guerre mondiale ou après celle-ci. Notre objectif est de chercher la signification de ces

images, à la manière de Martine Joly dans son ouvrage80. Voir ce qu’elles représentent,

pourquoi elles ont été prises, de quelle manière. Chacune de celles-ci est issue d’une

exposition ayant eu lieu à l’hôtel de Sully, à Paris, en 2001, dont le titre, assez révélateur

de la volonté de l’exposant, était « Photographies des camps de concentration et

80 JOLY Martine, Introduction à l’analyse de l’image, Armand Colin 2ème édition, 128, 2009, 123 pages.

Page 71: Mémoire de Recherche

71

d’extermination nazis (1933-1999) ». Cette exposition se divisait en trois parties : « La

période des camps (1933-1945) », « L’heure de la libération (1945) », « Le temps de la

mémoire (1945-1999)». Clément Chéroux, son auteur, historien de la photographie, a

ensuite crée un ouvrage, du même nom, regroupant les différents thèmes observés lors de

l’exposition, ainsi que les différentes photographies que l’on pouvait trouver dans ce lieu.

C’est de cet album que sont choisies les photographies que je vais analyser. De celles-ci,

on ne sait pas grand-chose finalement. Souvent, on ne sait ce qu’elles représentent, qui

les a prises, ni dans quel but. L’exposition essaie de donner des réponses à ces questions.

Certaines sont très connues, d’autres très rares, voire inédites. Le but est de rester le plus

simple possible. Pour cette raison, on essaie de retrouver les cadrages, les formats

originaux, de donner des légendes précises, d’expliquer le contexte, citer l’auteur s’il est

connu. « Ce n’est pas une exposition sur l’histoire des camps, mais sur l’histoire des

photos des camps », affirme Clément Chéroux81.

81 GUERRIN Michel, “Entre mémoire et histoire des camps, le rôle de la photographie », in Le Monde, 2001,

2 pages.

Page 72: Mémoire de Recherche

72

Photographie numéro 1 :

Margaret Bourke-White, Survivants de Buchenwald derrière les barbelés, avril 1945

Description

La page est totalement remplie par la photographie. Celle-ci est en noir est blanc,

ce qui crée une impression de masse. De cette manière, les personnages se ressemblent

tous. Le seul élément qui ressort du manque de couleur est la tenue rayée de certains

d’entre eux. On voit une vingtaine d’hommes. Certains sont cachés par d’autres. Ils sont

face au spectateur mais ne le regarde pas forcément pour autant. Leurs regards semblent

vagues. Devant eux, se tient un grillage. Ils portent presque tous un chapeau de type béret

ou casquette gavroche. Il y a tous âges. A gauche, ce sont de jeunes hommes, peut être

des adolescents. A droite, ils sont beaucoup plus âgés. L’un d’entre eux tient une canne

dans sa main. Leurs visages semblent fatigués. Il n’y a aucun texte qui jonche la

photographie.

Message plastique

- Support : On ne dispose pas de renseignement précis sur celui-ci. Nous allons procéder

par élimination. Comme nous venons de l’observer, aucun texte ne compose cette image,

cela ne peut donc pas s’agir ni d’un papier journal, ni d’un format magazine. Cela ne

ressemble pas non plus à une image publicitaire à cause de la dimension de l’image (une

Page 73: Mémoire de Recherche

73

seule page), de sa mise en page et du manque de caractères. L’image paraît naturelle, ce

qui nous laisse penser qu’il s’agit seulement d’une photographie documentaire.

- Cadre : Il semblerait que l’on tente d’effacer celui-ci. Cela s’observe notamment par le

fait que certains personnages sont coupés. A gauche par exemple, on ne voit qu’une partie

de la personne. Si nous n’en voyons pas plus, c’est parce que la photographie est trop

petite. Cela permet au spectateur de donner libre cours à son imagination, de penser à ce

qui peut y avoir dans la partie invisible, c'est-à-dire au niveau du hors-champ. De plus, on

ne sait ainsi pas par où commencer la lecture de la photographie. Cela nous fait donc

penser à une image cinématographique car cet art utilise particulièrement les rapports

entre champ visuel et hors-champ. En effet, l’illustration paraît tellement inhabituelle qu’on

pourrait croire qu’elle est issue d’un film.

- Cadrage : Il semble y avoir une distance ni trop grande, ni trop intime entre le

photographe et les sujets. Cependant, le grillage qui sépare les personnages et la

personne qui prend la photographie insère une certaine distance entre eux, c'est-à-dire

entre celui qui regarde la photographie, et ceux qui sont photographiés. Les proportions

des humains sont, elles, respectées.

- Composition : Il s’agit de la construction des différents éléments qui figurent sur l’image,

de leur disposition, de l’ordre dans lequel ils sont à la vue du spectateur. Il ne semble pas y

avoir une focalisation sur un point de la photographie, bien que les deux personnages du

milieu soient plus sous l’angle de la lumière. Dans l’axe du regard, au centre de l’image, on

ne voit pas un élément particulier, simplement le visage de la personne centrale, mais qui

se font dans la masse, car son regard est à peu près semblable à celui des autres. On

observe une construction en profondeur où en premier plan, il y a les différents

personnages qui constituent cette image. On ne distingue pas précisément l’arrière-

plan, on aperçoit simplement qu’il est très obscur, il apparaît en noir sur la photographie.

En haut, on aperçoit légèrement deux portes ouvertes au bout d’un long couloir, mais nous

ne pouvons pas en avoir la certitude. Etant donné qu’il ne s’agit pas d’une annonce

publicitaire, il est inutile de préciser qu’il n’y a pas de construction séquentielle. Enfin, la

lecture semble se faire de manière horizontale puisqu’on peut voire une masse de

personne toutes alignées de la gauche de la photographie à la droite, et non pas du haut

Page 74: Mémoire de Recherche

74

de celle-ci vers le bas. Elles sont toutes habillées plus ou moins de la même façon,

disposent du même regard, et du même coiffage. On assiste toutefois également à une

lecture verticale étant donné les portes et le couloir que l’on observe au loin. Donc tout en

haut de l’image, se trouvent les portes et sur le reste, les hommes. Cela nous donne une

impression de chute, d’écrasement. On a également un sentiment de droiture et d’ordre,

de par la position des personnages qui sont alignés les uns à côté des autres de manière

très rangée.

- Formes : Comme nous venons de l’aborder, nous pouvons observer des formes très

géométriques : droites, parallèles, rectangles. D’abord, à l’avant plan, c'est-à-dire en

ce qui concerne le grillage, on observe des rectangles à peu près réguliers bien que leurs

dimensions ne soient pas exactes lorsqu’on les regarde comme une figure géométrique, et

non plus comme un grillage. Cela s’apparente à un quadrillage rectangulaire tracé à la

main. Au second plan, les silhouettes apparaissent comme de larges droites parallèles les

unes aux autres. Les vêtements sont, de plus, rayés de manière verticale ce qui accentue

cet effet de géométrie. Enfin, au dernier plan, le point de vue change, il devient horizontal,

comme on l’a déjà dit. On peut y observer plusieurs traits allant de gauche à droite. Les

lignes droites représentent souvent la sévérité, le strict. Cela rappelle également la

virilité, la masculinité.

- Couleurs et éclairages : Nous nous contenterons d’observer l’éclairage étant donné que

la photographie est en noir et blanc. La lumière est très diffuse, tamisée, obscure. Elle

n’est pas violente du tout, plutôt terne. Malgré cela, on voit bien le relief des différents

personnages, on les distingue bien les uns des autres. Le fond est très foncé, mais les

visages ressortent particulièrement, notamment les regards. Les vêtements rayés se

distinguent aussi nettement dans ce cadre sombre. La canne du vieil homme de gauche

ressort aussi parfaitement car elle est de couleur claire. Les mains blanches des hommes

de devant apparaissent également car elles se situent au niveau de leurs vestes sombres.

- Texture : Elle semble complètement lisse car il n’y a pas de dimensions particulières sur

cette photographie. Cela accentue le caractère froid et distant de l’image.

Page 75: Mémoire de Recherche

75

- Tableau récapitulatif :

Signifiants Plastiques Signifiés

Cadre Effacé : imaginaire

Cadrage Grillage : distance avec spectateur

Angle de prise de vue Profondeur : Focalisation sur le premier plan

Choix de l’objectif Arrière plan flou et sombre, avant plan plus clair

Composition Lecture horizontale

Formes Géométrie : sévérité, masculinité

Couleurs Noir et Blanc : froid

Eclairage Ternes et foncées : ton grave, mise en relief de certains détails

Texture Lisse : froideur et distance

Message iconique

Il s’agit, à partir de l’analyse plastique, de tirer des conclusions sur ce que l’image

laisse suggérer. Nous devons là interpréter ce qui se cache derrière ces signifiés, trouver

leurs connotations, leur signification ; les analyser pour pouvoir conclure sur la

photographie.

-Motifs : Photographie documentaire : Veut montrer quelque chose à quelqu’un.

Pas de cadre : Fait travailler l’imagination. On se demande ce qu’il y a après la

photographie.

L’arrière plan : Accentue cette idée de travail de l’imagination. On voit que le décor n’est

pas neutre, et donc on se demande dans quel lieu se trouvent ces hommes, où mènent

ces portes que l’on aperçoit au loin.

L’avant plan (le grillage) : Barrière, frontière, qui nous laisse penser que le lecteur ne peut

pas pénétrer le monde de la photographie.

Page 76: Mémoire de Recherche

76

Regards : Le fait que les hommes soient face à nous, leurs regards, tous similaires, tous

dirigés dans notre direction (même pour ceux qui ne regardent pas directement l’objectif),

fait que l’on se sent obligatoirement impliqué dans leur histoire, et que l’on a envie d’en

savoir plus.

Tenues (vêtements et coiffages quelque peu identiques) : Cela renvoie aux vêtements de

prisonniers. Leur sort est plus clair et nous touche donc encore plus.

Alignement : Ils sont bien rangés. On observe que l’ordre règne.

Géométrie : Elle accentue cette idée. On sent une ambiance masculine très sévère.

Noir et blanc : Cela rend la scène plus lugubre, plus effrayante, plus inquiétante.

Fond obscur : Renforce le sentiment de peur. On ne sait pas ce qu’il y a derrière les

hommes, mais cela est foncé, alors cela perturbe, inquiète.

Détails éclairés : Les visages, les casquettes, les yeux, la canne du vieil homme… Un

certain nombre de détails mis en avant par leur mise en lumière. Ils nous mettent mal à

l’aise car ils sont bien significatifs. Les visages semblent fatigués, mal en point, la canne

montre que l’homme n’est pas en forme, les regards paraissent tristes, usés.

Texture lisse : Elle rend l’image beaucoup plus froide et distante.

-Pose des modèles : Comme nous l’avons déjà abordé, la scène représente une vingtaine

d’hommes. Ceux-ci sont face au lecteur. La plupart d’entre eux nous regardent, mais

certains ont le regard de biais. Ainsi, le spectateur est perplexe, il ne sait pas s’il peut

nouer une relation avec les personnages, ou au contraire, si ceux-ci fuient son regard. On

ne sait pas s’ils veulent dialoguer ou juste montrer leur condition. Peut être ne le savent-ils

pas eux-mêmes.

-Interprétation : Lorsqu’on analyse cette photographie, nous avons l’impression que

l’auteur cherche à nous montrer quelque chose de particulier. Il veut nous sensibiliser au

sort de ces personnes. On comprend tout de suite que celles-ci se trouvent dans un lieu

peu commun, et que la raison de cela est pour le peu inhabituelle. On repère au premier

coup d’œil qu’il s’agit d’un moment particulier de l’histoire.

Page 77: Mémoire de Recherche

77

Photographie numéro 2 :

Stanislaw Mucha, La porte d’entrée de Birkenau vue de l’extérieur du camp, entre mi-

février et mi-mars 1945

Description

Cette photographie ressemble plus à un paysage d’hiver qu’à un portrait. Elle

représente un chemin de fer sous la neige qui mène à l’entrée d’un bâtiment en brique qui

est disposé tout en longueur. Celle-ci est en noir et blanc mais elle semble avoir été prise à

la lumière du jour. Au premier plan, on peut voir un certain nombre d’objets qui semblent

avoir été jetés à cet endroit. Une fois de plus, aucun texte n’est présent.

Message plastique

-Support : Comme pour le document précédent, on ne dispose d’aucune information

précise concernant ce document. Mais par élimination, et grâce à la légende, on peut dire

qu’il s’agit probablement d’une photographie documentaire. Les photographies suivantes

étant tirées du même ouvrage, lui-même issu de la même exposition, nous pouvons en

conclure que les six prochaines seront également des photographies documentaires.

Page 78: Mémoire de Recherche

78

-Cadre : Un cadre n’apparaît pas clairement, mais il semblerait que l’auteur ait tenté d’en

créer un invisible. En effet, on sent bien la volonté de photographier ce chemin de fer,

ainsi que ce bâtiment que l’on voit entièrement. Cela nous laisse penser que le cadre se

situe bien haut au dessus du bâtiment pour que l’on puisse tout voir, y compris le clocher,

de part et d’autre de celui-ci, ainsi qu’au pied des objets posés sur le chemin de fer. Il ne

semble pas vraiment y avoir de hors-champ.

-Cadrage : Les proportions semblent respectées. On ressent une distance vis-à-vis du

bâtiment étant donné qu’il est disposé loin sur la photographie. Le chemin de fer accentue

cet effet car on a l’impression que la seule manière de pénétrer cet endroit est d’y aller en

train, que cela est impossible autrement, notamment à pieds. Par contre, il y a une certaine

proximité, surement plus humaine, de par les objets jetés par terre, qui appartiennent

forcément à quelqu’un.

-Composition : On observe une focalisation sur un point particulier de la photographie, il

s’agit de l’entrée du bâtiment. Celle-ci se situe quasiment au centre de l’image, en tous

cas, au point principal où l’œil pose son regard. On observe de plus, une construction en

profondeur avec différents plans se resserrant autour de l’élément central qui est la

porte d’entrée. Au premier plan, on voit un certain nombre d’objets laissés là, on ne

distingue pas précisément de quoi il s’agit mais il semblerait bien que cela appartienne à

des hommes. On pourrait croire que ce sont les effets personnels de plusieurs personnes,

des accessoires notamment, comme des chapeaux. Au second plan, on voit un paysage

sous la neige, avec en son cœur deux chemins de fer qui se croisent. A l’arrière plan, on

voit une bâtisse qui semble légèrement ancienne. Elle a la forme d’une grande maison

rectangulaire, cela nous fait penser à un lieu public comme un orphelinat par exemple. Au

milieu on voit une entrée, où se rejoignent les deux chemins de fer. Au dessus de celle-ci,

une sorte de tour qui semble servir de surveillance, avec une croix à sa tête. Au dernier

plan, enfin, on voit un ciel d’hiver, très gris, brumeux. La lecture, quant à elle, semble se

faire du premier plan décrit, au dernier plan, elle est donc verticale.

-Formes : Elles sont, une seconde fois, assez géométriques, notamment en ce qui

concerne le bâtiment du fond qui est un rectangle, composé d’un demi-cylindre en son

centre, ainsi que d’un carré au dessus et d’un triangle encore au dessus, se terminant par

Page 79: Mémoire de Recherche

79

une croix. L’avant plan est plus dissolu puisqu’on y voit des droites non parallèles qui

finissent par se joncher, ainsi qu’un amas de petits points. Mais si l’on regarde cet avant

plan de manière plus large, on peut y voir un triangle dont la pointe se situe à l’entrée du

bâtiment. De part et d’autre du chemin de fer, on peut également voir deux triangles

beaucoup plus petits et irréguliers. En résumé, les lignes sont plutôt droites et strictes

que rondes et courbes.

-Couleurs et éclairages : La photographie est comme la précédente, ainsi que comme

toutes les suivantes, en noir et blanc. L’éclairage est quant à lui, brumeux. On voit que la

photographie a été prise en plein air. On voit également qu’il s’agit d’un temps d’hiver,

sous la neige, notamment avec la couleur du ciel qui est d’un gris très brumeux. Tout le

paysage est clair, blanchâtre. Les seuls éléments foncés sont le chemin de fer, ainsi

que le bâtiment à l’arrière, ce qui les fait ressortir d’autant plus. Les couleurs dominantes

sont le blanc et le gris.

-Texture : Lisse, pas de relief particulier.

-Tableau récapitulatif :

Signifiants Plastiques Signifiés

Cadre Tente d’en créer un : centrer le lecteur

Cadrage Proportions respectées : réalisme

Distance importante avec bâtiment, faible avec objets

Angle de prise de vue Profondeur

Choix de l’objectif Focalisation sur la porte d’entrée

Composition Lecture verticale

Formes Géométrie : lignes droites et strictes

Couleurs Noir et Blanc : froid

Eclairage Paysage clair, chemin de fer et bâtiment en

surbrillance

Page 80: Mémoire de Recherche

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Texture Lisse, pas de relief

Message iconique

-Motifs : Photographie documentaire : Comme pour la précédente, ainsi que toutes les

suivantes, cette photographie semble vouloir montrer quelque chose qui a existé.

Créer un cadre : Il se pourrait que l’auteur ait voulu découper une scène dans un cadre

précis. En effet, étant donné qu’il s’agit d’un paysage, il n’existe pas de cadre naturel. Pour

cette raison, il a voulu centrer l’objet sur certains éléments centraux, les mettre en relief,

pour ne pas que le lecteur s’égare sur le hors champ.

Distance avec le bâtiment : Il est très éloigné sur la photographie puisqu’il se situe à

l’arrière plan. Avant celui-ci, on peut observer de multiples éléments. Cela nous donne le

sentiment qu’il est difficile d’accéder à l’entrée de ce bâtiment, qu’il faut passer des

obstacles avant d’y arriver.

Proximité humaine : Le fait que l’on puisse voir des objets appartenant à des hommes au

premier regard de la photographie, fait que l’on se sent plus proche des personnes à qui

ces effets ont appartenu, contrairement à la distance laissée face au bâtiment.

Focalisation sur la porte d’entrée du bâtiment : Elle se situe à peu près au centre de

l’image, elle a l’air d’être l’élément principal de celle-ci. Notre œil est attiré par elle, ce qui

aiguise notre curiosité, on se demande ce qu’il y a derrière cette porte, étant donné qu’on

ne voit rien alors qu’il s’agit plus d’une entrée de lieu que d’une réelle porte.

Les différents plans : Le premier, les objets, nous fait penser que des personnes ont pu

être contraintes d’abandonner leurs affaires, plus précisément qu’elles les ont jeté à cet

endroit avant de pouvoir rentrer dans l’endroit situé à quelques pas. Le second, le chemin

de fer, nous laisse penser qu’on ne peut accéder à cet endroit qu’en train puisqu’ici deux

routes différentes se croisent et se rejoignent pour entrer à l’intérieur du lieu.

Troisièmement, le bâtiment en lui-même nous fait penser à quelque chose d’anciens qui

ressemble à une bâtisse publique telle un orphelinat ou autre. Cela de par sa forme et sa

grandeur particulière. On y voit des fenêtres tout le long, ainsi que des cheminées sur le

Page 81: Mémoire de Recherche

81

toit. Il est sombre et inquiétant. Il nous fait également penser à une église, à cause de la

croix qui jalonne au centre. Le dessous de celle-ci ressemble à un quartier de surveillance

comme dans les prisons, à cause de la forme qu’il a, des fenêtres, et surtout de la hauteur.

Au dernier plan, le ciel est gris, neigeux, il fait peur, il est glacial.

La géométrie des objets : Comme dans l’image précédente, les formes sont très carrées,

rectangulaires, triangulaires. Cela est d’autant plus le cas ici car il ne s’agit pas de

portraits. Cela donne un caractère plus strict à la représentation photographique. On voit

que dans ce lieu règne ou a régné l’ordre.

Noir et Blanc : Une fois de plus, cela donne un caractère plus ancien, plus froid, plus

distant et plus inquiétant.

Le gris, couleur dominante : On voit de la brume, de la neige, du gris. Le paysage nous

glace le dos, il est froid, frissonnant. On a l’impression qu’il s’y est passé des choses

étranges, inquiétantes.

Pas de présence humaine : La scène a l’air complètement désertique, le lieu absolument

abandonné. On ne voit aucune présence humaine, aucune trace de vie, hormis les objets

abandonnés. Cela rend la scène d’autant plus perturbante.

-Interprétation : Là encore, on voit que l’auteur veut nous montrer quelque chose de précis,

cet endroit, si particulier. Lorsqu’on regarde cette photographie, on se demande ce qu’il se

passe derrière cette entrée, où ces chemins de fer mènent, pourquoi des objets sont

abandonnés. Ce que l’on pense, grâce aux tons glacés notamment et à l’ambiance un peu

morbide, c’est qu’il se passe des choses inquiétantes. On dirait que des personnes sont

retenues à cet endroit, qui ressemble à une prison, qu’elles y ont été amenées en train. On

sent que derrière ce calme apparent, des évènements graves peuvent avoir lieu derrière

ces murs, et que ceux-ci concernent des êtres humains.

Page 82: Mémoire de Recherche

82

Photographie numéro 3 :

Michael Kenna, Barbelés, Majdanek, 1993.

Description

Cette photographie est très suggestive. A première vue, elle ne représente pas

grand-chose. En observant de plus près, on peut apercevoir des grillages de barbelés, des

poteaux électriques, ainsi qu’une herbe haute.

Message iconique

-Support : Il s’agit toujours d’une photographie. Celle-ci semble un peu moins

documentaire, et un peu plus artistique. Cela car elle ne représente pas une scène

concrète. Elle n’est ni un paysage à part entière, ni un portrait, ni une nature morte. Il s’agit

plus d’un extrait de paysage, d’un élément de celui-ci, fortement zoomé.

-Cadre : Il n’y a pas de cadre apparent explicite. L’auteur semble avoir volontairement

coupé un morceau du décor. A partir de celui, le lecteur peut se poser tout un tas de

questions. Si nous n’en voyons pas plus, c’est parce que la page de la photographie est

trop petite.

Page 83: Mémoire de Recherche

83

-Cadrage : Les distances ne sont pas du tout respectées. Le photographe a fait un gros

plan sur un des éléments qui composent la représentation. Tout ce qu’il y a derrière est

flou et difficile à distinguer. Les proportions, quant à elles, ne semblent pas non plus

suivies. Le premier grillage apparaît très grand alors que ceux de derrière, tout comme les

poteaux électriques le sont beaucoup moins.

-Composition : La focalisation, sur cette image, se fait essentiellement sur le grillage

barbelé du premier plan. En effet, c’est le seul élément que l’on voit assez clairement car

tout ce qui est au second plan est particulièrement flou. La construction semble, elle

correspondre à une perspective car plus les plans sont éloignés plus ils sont de petite

taille. Il existe seulement deux plans : le premier représente un morceau de grillage de

type plutôt barbelé à cause de tous les nœuds qui le parcourent. Il y a plusieurs longueurs

parallèles quelque peu irrégulières, et une en parallèle. A l’arrière plan, on distingue, tant

bien que mal, d’autres rangées de fils barbelés partant de poteaux alignés. Sur le bas de la

page, on voit de l’herbe, touffue et haute, comme c’est le cas notamment dans les champs.

Au dessus de celle-ci, sur les trois quarts de la hauteur donc, on voit le ciel, qui est gris.

On a du mal à déterminer le sens de la lecture de l’image, on se sait pas trop par où il

faut commencer à décortiquer la photographie.

-Formes : Les formes sont très irrégulières, désordonnées. Elles sont assez molles

malgré les hachures des différents grillages.

-Couleurs et éclairages : La photographie est toujours en noir et blanc, ce qui donne

toujours un sentiment d’ancienneté, de froideur, et de distance. L’éclairage est lui assez

terne, grisâtre. Cela semble pourtant avoir été pris au cours d’une journée d’hiver, pas

particulièrement tôt, pas particulièrement tard.

-Texture : Cette photographie paraît avoir du « grain », c'est-à-dire une épaisseur, ainsi

qu’une rugosité.

Page 84: Mémoire de Recherche

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-Tableau récapitulatif :

Signifiants Plastiques Signifiés

Cadre Découpage d’un élément du paysage

Cadrage Proportions et distances non respectées : irréalisme

Angle de prise de vue Perspective

Choix de l’objectif Focalisation sur le premier plan, le grillage

Composition Pas de sens de lecture

Formes Irrégulières, molles, malgré les hachures

Couleurs Noir et Blanc : froid

Eclairage Ciel clair mais ternes et grisâtre. Paysage d’hiver.

Texture Grain : tactile, accentue effet visuel

Message plastique

-Motifs : Photographie artistique et documentaire : On sent toujours une volonté de la part

du photographe de montrer quelque chose de particulier, mais on sent également que

cette photographie a été particulièrement travaillée, que des choix particuliers ont été

effectués.

Pas de cadre : L’auteur a voulu laissé libre cours à l’imagination du lecteur.

Gros plan : On sent l’envie de mettre particulièrement en avant un élément du décor.

Celui-ci est très explicite : le grillage de barbelés. On voit immédiatement ce que ce plan

représente, notamment grâce aux différents nœuds. Cela nous fait penser à une prison.

Flou : Cela donne, à l’inverse du zoom sur le premier plan, un caractère implicite, suggestif

important. Les choses ne sont plus clairement dites, il faut essayer de les distinguer, de les

observer, de les comprendre.

Page 85: Mémoire de Recherche

85

Perspective : Elle accentue cet effet de premier plan mis en avant, arrière plan estompé.

Le lecteur se concentre ainsi sur un élément particulier de l’image.

Pas de sens de lecture : La représentation est tellement peu claire qu’on ne sait pas trop

par où commencer la lecture, c'est-à-dire quoi observer en premier.

Formes irrégulières : Celle-ci questionnent encore plus le spectateur. Rien n’est très clair

ici.

Noir et Blanc : Instaure une distance qui va se mettre en contradiction avec la proximité

que soumet le gros plan.

Dominance de gris : Elle rend l’image à la fois triste et légèrement lugubre.

Grain : Il accentue l’effet visuel.

-Interprétation : A première vue, on croirait que cette photographie a été prise rapidement,

sur le vif, dans la précipitation, voire dans la crainte. Mais lorsqu’on regarde de plus près,

on voit bien qu’elle a été particulièrement travaillée. L’auteur avoir voulu mettre en avant

un aspect carcéral par un gros plan sur des fils barbelés qui nous rappellent inévitablement

la prison, comme on l’a dit, mais aussi la guerre. Mais en même temps, toute la scène est

implicite, on voit bien qu’il a voulu suggérer des choses et non les montrer clairement.

Cette photographie nous questionne, nous interroge, nous perturbe. On ne sait pas ce que

l’on doit en penser, ce qu’elle représente vraiment derrière les barbelés. Rien n’est précis

sur cette image, elle nous laisse perplexe.

Page 86: Mémoire de Recherche

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Photographie numéro 4 :

Michael Kenna, Chaussures, Majdanek, 1993

Description

Cette photographie représente un tas de chaussures. Elles sont de toutes sortes,

de toutes formes et de toutes tailles. On ne les distingue pas bien. On voit simplement

qu’elles sont toutes regroupés en vrac, de manière désordonnée. Elles sont usées, donc

visiblement elles ont appartenu à quelqu’un. Quelques rayons de soleils apparaissent au

dessus.

Message Plastique

-Support : Là encore la photographie semble à fois documentaire, et artistique.

-Cadre : Il n’existe aucun cadre. Si l’on ajoute cela à la multitude de chaussures, on croit à

une infinité.

Page 87: Mémoire de Recherche

87

-Cadrage : Les distances et les proportions sont réalistes. En effet, nous ne sommes,

nous lecteur, ni particulièrement près de l’objet représenté, ni particulièrement loin. Les

proportions sont également justes, tous les éléments sont à la même taille.

-Composition : Il n’existe pas de focalisation sur un objet particulier étant donné qu’il

s’agit du même objet répété un grand nombre de fois. Il existe une légère construction en

perspective car les chaussures de l’arrière de l’image sont un peu plus floues et un peu

moins distinguables. Ceci étant, il n’y a toutefois qu’un seul plan. Le sens de la lecture

est, quant à lui, assez inconnu.

-Formes : Elles sont molles, irrégulières. On n’observe aucun trait, aucune droite, aucun

parallèle. Tout est brouillon, mélangé.

-Couleurs et éclairages : La photographie est toujours en noir et blanc pour laisser une

certaine distance. Elle semble avoir été prise en intérieur, dans un lieu fermé mais où

circule le soleil car quelques rayons apparaissent sur les chaussures. Ils partent du bas et

remontent vers le haut de l’image. Malgré cela, elle reste très sombre.

-Texture : Elle est lisse.

-Tableau récapitulatif :

Signifiants Plastiques Signifiés

Cadre Inexistant : infinité

Cadrage Proportions et distances respectées : réalisme

Angle de prise de vue Légère perspective

Choix de l’objectif Pas de focalisation. Multiplicité d’objets identiques

Composition Pas de sens de lecture

Formes Irrégulières, molles

Couleurs Noir et Blanc : distance

Eclairage Assez sombre : intérieur. Quelques rayons

Page 88: Mémoire de Recherche

88

de soleil

Texture Lisse

Message Iconique

-Motifs : Photographie documentaire et artistique : Elle est artistique car on voit bien la

mise en forme de la photographie. Le photographe a disposé ces chaussures de cette

manière là, volontairement pour créer un certain effet. On voit également qu’il existe un

message derrière cette représentation artistique.

Aucun cadre : Il y a une volonté de ne pas faire apparaître de cadre pour donner une

impression d’infinité. En effet, étant donné que sur la photographie on voit un nombre

important de chaussures, si l’on ne pose pas de limites visuelles, cela signifie qu’il n’y en a

peut être pas. Dans l’imaginaire du lecteur, il peut y en avoir encore et encore dans le hors

champ.

Distances et Proportions réalistes : Volonté de montrer quelque chose qui existe, qui est

familier à tous, que tout le monde emploie forcément. Pour ces raisons, les distances et

proportions doivent rester réalistes.

Pas de focalisation particulière : Notre regard n’est pas directement porté sur un élément

particulier. Au contraire, il est subjugué par un tout. C’est la multiplication de l’objet qui

attire le spectateur, et non pas la focalisation sur un élément.

Légère perspective : C’est, entre autre, pour cette raison, qu’on peut penser que la

photographie est artistique. En effet, cette perspective n’a pas de sens particulier, si ce

n’est peut être un aspect plus esthétique de l’image.

Un seul plan, pas de sens de lecture : Cela accentue l’idée que l’auteur n’a volontairement

rien mis de particulier en avant, pour que le lecteur soit absorbé par toutes ces chaussures

dans un ordre diffus.

Formes molles : Pas de rigidité, souplesse.

Page 89: Mémoire de Recherche

89

Noir et Blanc : Toujours un sentiment de distance.

Intérieur sombre : On voit que les chaussures ont été rassemblées dans un lieu fermé,

assez sombre. On na sait pas vraiment où, ni pourquoi.

Soleil : Les rayons apparaissent comme des lueurs d’espoir dans cette obscurité et ces

chaussures sans fin qui ont forcément appartenu à des personnes. Plus les chaussures

sont nombreuses, plus les personnes qui les ont portées le sont aussi. On se demande à

qui elles ont appartenu et pourquoi elles sont ici.

-Interprétation : La chaussure est un objet familier. On sait qu’il est indispensable à la vie

quotidienne. Or, ici, on voit un nombre incalculable de chaussures usées jetées en tas, on

pense forcément qu’elles ont appartenues à de nombreuses personnes. Cette image nous

amène à nous questionner, nous demander ce que font ces chaussures regroupées, à qui

elles ont appartenu, où sont ces personnes. On a le forcément le sentiment qu’il leur est

arrivé quelque chose. D’autant plus, par le fait que la photographie semble avoir était prise

dans un lieu clos. Malgré tout, les lueurs de soleil apparaissent comme des lueurs d’espoir,

comme on l’a déjà dit.

Photographie numéro 5 :

George Rodger, Cadavres de détenus sous les arbres à Bergen-Belsen, vers le 20 avril 1945

Page 90: Mémoire de Recherche

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Description

Il s’agit ici d’un paysage. On y voit une forêt avec de nombreux arbres aux troncs

longs et fins, ce qui fait que l’on peut voir entre eux. Au sol, il y a de l’herbe, et de la terre.

A cet endroit, on distingue des formes allongées sur le sol, des couvertures les recouvrant.

On ne distingue pas très bien de quoi il s’agit bien qu’on en ait une vague idée.

Message Plastique

-Support : Il s’agit là encore d’une photographie documentaire, mais celle-ci ne semble

pas particulièrement artistique.

-Cadre : Comme dans l’image précédente, aucun cadre n’apparaît, si bien que, de la

même manière que pour la précédente, on a le sentiment que ce même paysage continue

dans le hors champ. On a donc également un sentiment de multiplicité.

-Cadrage : Les proportions sont bien respectées. On a réellement le sentiment d’être

spectateur de cette scène car les arbres devant nous sont plus grands que les suivants,

comme ce serait le cas dans la réalité ; ils sortent même de la photographie. Les

distances sont elles aussi respectées car nous ne sommes ni trop près, ni trop loin des

premiers « tas » disposés sous les couvertures.

-Composition : Il n’y a pas de focalisation particulière. A l’inverse, comme dans la

photographie précédente, c’est la multiplicité des objets de l’image qui attire le regard du

lecteur. On voit une construction en profondeur avec trois plans différents. Au premier,

on voit seulement la grandeur des trois premiers arbres. Au second, les arbres paraissent

plus petits, on les distingue entièrement, et au sol apparaissent ces « tas » recouverts. Au

dernier plan, on voit toujours des arbres, toujours plus petits, mais rien au sol. Il existe

donc une perspective puisque les arbres sont de plus en plus petits au fur et à mesure de

la photographie. La lecture semble se faire de manière verticale.

-Formes : Il y a une opposition entre les formes que l’on voit à l’horizontale et celles à la

verticale. Les premières sont plutôt molles et diffuses. Il s’agit du feuillage des arbres,

Page 91: Mémoire de Recherche

91

ainsi que des couvertures. Les secondes sont, au contraire, bien droites et parallèles. Ce

sont les troncs d’arbre.

-Couleurs et éclairages : La photographie est en noir et blanc donc il y a toujours de la

distance. En ce qui concerne l’éclairage, on voit que la scène a été immortalisée en

extérieur, la journée. Le ton clair de l’image, et l’ombre que produisent les arbres montrent

qu’il y avait du soleil.

-Texture : Elle semble lisse.

-Tableau récapitulatif :

Signifiants Plastiques Signifiés

Cadre Tente d’en créer un : centrer le lecteur

Cadrage Proportions respectées : réalisme

Distance importante avec bâtiment, faible avec objets

Angle de prise de vue Profondeur

Choix de l’objectif Focalisation sur la porte d’entrée

Composition Lecture verticale

Formes Géométrie : lignes droites et strictes

Couleurs Noir et Blanc : froid

Eclairage Paysage clair, chemin de fer et bâtiment en surbrillance

Texture Lisse, pas de relief

Message Iconique

-Motifs : Photographie documentaire : Elle doit donc nous montrer quelque chose, et nous

devons nous questionner sur ce que l’on observe.

Page 92: Mémoire de Recherche

92

Pas de cadre : L’auteur fait en sorte que l’on ait l’impression que la scène continue dans le

hors champs. Il y aurait donc des arbres encore et encore, mais également des tas de

choses couvertes, encore et encore.

Proportions et distances respectées. Cela donne un sentiment de réalité. De cette

manière, le lecteur se projette plus facilement dans la scène.

Les différents plans : Il s’agit de deux plans neutres, banals, quotidiens d’une forêt. Mais

au milieu de ceux-ci, on voit des choses étranges, complètement inhabituelles,

inquiétantes. On ne sait pas de quoi il s’agit. L’auteur a probablement souhaité

photographier la scène ainsi, avec ceci en second plan pour attirer plus rapidement l’œil

dessus.

Les couvertures : A la base, elles n’ont rien à faire dans ce décor, elles y sont

complètement étrangères. On ne voit pas bien se qu’il se cache dessous. On distingue

certaines formes qui semblent humaines. On a donc l’impression que ce sont des corps

d’êtres humains qui gisent à cet endroit là. On n’en est pas certain mais cela y ressemble.

D’autant plus, qu’en général, lorsqu’un corps est retrouvé, on le couvre avec une

couverture. Cela rend la scène complètement glauque, elle qui paraissait banale.

Opposition de formes : Les troncs des arbres s’opposent aux couvertures. Ou en d’autres

termes, la banalité des arbres s’oppose à l’étrangéité des couvertures. Les formes du

feuillage des arbres semblent vouloir cacher l’atrocité posée sur le sol.

Noir et Blanc : La disposition des éléments de la photographie, la manière dont elle a été

prise etc. fait que le spectateur se projette assez rapidement dedans. Le noir et blanc pour

nous permettre de garder une certaine distance avec la scène.

Soleil : Cela rend la représentation encore plus glauque, et renforce encore plus l’idée

d’opposition entre une forêt ensoleillée et paisible et un tas de corps morts abandonnés ici.

-Interprétation : L’auteur souhaite nous mener vers tout un questionnement autour d’un

lieu, qui à la base, semble des plus familiers. Il veut que l’on se demande d’abord ce qui se

trouve sous ces couvertures. Il laisse planer le doute sur leur nature, on pense que ce sont

des corps d’humains mais on n’en est pas certain. Et si tel était le cas, on veut savoir qui

Page 93: Mémoire de Recherche

93

ils sont, pourquoi ils sont morts, s’ils ont été tués, pour quelle raison ils sont à cet endroit.

Le lecteur a le sentiment qu’elles ont été tuées et jetées ici, dans cet endroit calme, à l’abri

du regard. Les couvertures, ainsi que le feuillage sont là pour les dissimuler, pour que

personne ne les trouve.

Photographie numéro 6 :

Sergent Norman Midgley (AFPU), Survivantes épluchant des pommes de terre et préparant leur

repas à proximité de cadavres de détenus, Bergen-Belsen, 17 ou 18 avril 1945

Description

Cette photographie est composée de nombreux éléments. D’abord on voit deux

femmes assise par terre, sur de l’herbe, aux aguets d’une forêt, en train de préparer à

manger. A côté d’elles, une autre femme est allongée par terre, coupée par la

photographie. Elles sont vêtues de manteaux anciens. L’une d’elle porte même un foulard

sur la tête. Devant elle, il y a des ustensiles de cuisine, et à leur droite une remorque. Plus

loin, on voit des formes affalées au sol, et une autre femme au milieu de celles-ci. Enfin, au

loin, on voit des arbres, une forêt probablement. Encore plus loin, on ne distingue pas bien,

mais il semble y avoir des maisons, ainsi que des personnes qui marchent.

Page 94: Mémoire de Recherche

94

Message plastique

-Support : C’est toujours une photographie documentaire.

-Cadre : On n’observe aucun cadre, et l’auteur n’a pas voulu en crée un virtuellement car

de part et d’autre de la photographie, à gauche et à droite des éléments sont coupés (la

brouette et la femme allongée).

-Cadrage : Les proportions et les distances sont toutes respectées. Tout semble réel à

ce niveau là.

-Composition : Ici, il y a tellement d’éléments qu’on ne peut pas porter son attention sur un

seul. Il n’y a donc pas de focalisation particulière. Par contre, il y a une construction en

profondeur particulière avec quatre plans. Au premier, on voit les deux femmes qui

cuisinent et celle de droite qui est allongée. Au second plan, il y a des choses empilées au

sol, on ne distingue pas trop de quoi il s’agit mais on dirait que l’on voit des têtes et des

bras. Il pourrait donc s’agir de corps humains inanimés. Une femme marche au milieu de

ceux-ci, enroulée dans un grand manteau. Derrière eux, on voit comme une forêt, avec les

mêmes arbres aux troncs fins que sur la photographie précédente. Tout au fond, on ne voit

pas très bien mais on dirait que des personnes marchent devant des bâtiments,

notamment du côté droit. Il n’y a pas de perspective particulière. La lecture semble se

faire de manière verticale.

-Formes : Les hachures des troncs d’arbres contrastent avec les formes rondes et

molles des différentes personnes, ainsi que des surement cadavres qui jonchent le sol.

-Couleurs et éclairages : La photographie est en noir blanc. Les tons sont obscurs. Elle a

été prise en extérieur mais surement à la lueur d’une lumière hivernale.

-Texture : la texture est lisse.

-Tableau récapitulatif :

Signifiants Plastiques Signifiés

Cadre Pas de cadre

Page 95: Mémoire de Recherche

95

Cadrage Proportions et distances respectées : réalisme

Angle de prise de vue Construction en profondeur avec quatre plans

Choix de l’objectif Pas de focalisations, éléments nombreux

Composition Lecture verticale

Formes Principalement molles et rondes mais hachures des troncs d’arbre

Couleurs Noir et Blanc

Eclairage Lumière sombre

Texture Lisse

-Motifs : Photographie documentaire : Elle montre une scène des plus étranges.

Aucun cadre : Cela donne le sentiment que la scène continue en dehors du cadre de la

photographie. Cet effet est accentué par le fait certains éléments, comme la femme de

droite ou la brouette, soient coupés.

Proportions et distances respectées : Cela donne une plus grande crédibilité à la scène.

Pas de focalisation : A première vue, on pourrait croire qu’il y aurait une focalisation sur les

trois femmes du premier plan. Mais finalement, il y a tellement d’éléments sur cette image

qu’une focalisation seule n’est pas vraiment possible.

Nombreux plans : Cela accentue le fait que la scène soit chargée. On ne sait pas trop où

regarder. Si on pose son regard sur un point, on risque de passer à côté d’autres objets

importants de la photographie.

Pas de perspective : Cela donne l’impression que l’on assiste à la scène, que l’on est face

à ces personnes. Cela la rend plus réelle.

Noir et blanc : Remet la photo dans le contexte d’une photo. Instaure donc une distance

entre lecteur et image.

Page 96: Mémoire de Recherche

96

Tons obscurs : Cela rend la scène plus froide.

-Pose des modèles : La première dame semble éplucher quelque chose, le sourire aux

lèvres. La seconde est autour de trois gamelles, en train de préparer à manger. La

dernière est couchée sur le côté, enroulée dans une couverture. Comme cela a déjà était

abordé, les deux de droite portent de larges manteaux anciens et des foulards sur la tête,

ainsi que des bottes aux pieds. Celle de gauche semble vêtue d’une sorte d’uniforme, avec

de grosses chaussures aux pieds. Celle-ci a l’air de sourire alors que les deux autres

semblent plutôt fatiguées. Seule la troisième regarde en direction de l’objectif mais son

regard paraît vague. Dans la forêt, on aperçoit deux silhouettes plutôt féminines habillées

de noir, portant toujours manteaux et foulard. Encore plus loin, on distingue à peine

d’autres petites silhouettes noires qui marchent, mais on ne peut pas dire grand-chose

dessus.

-Interprétation : Cette scène est très troublante, elle fait très peur car on se retrouve face à

une multitude de contraste. D’une part, des femmes préparent à manger, ce qui est assez

banal, qui fait partie du quotidien. Pourtant, elles sont dehors, probablement en plein hiver,

ce qui est déjà étrange. Mais ce qui nous glace le sang, c’est que derrière elles, on

aperçoit des choses qui ressemblent fortement à des corps déchiquetés les uns sur les

autres. Au-delà de la dénonciation, l’auteur a l’air de vouloir nous choquer en nous

montrant une scène des plus immondes.

Page 97: Mémoire de Recherche

97

Photographie numéro 7

Margaret Bourke-White, Cadavres de détenus empilés dans une remorque, Buchenwald, avril

1945.

Description

Cette photographie est beaucoup plus expressive que les précédentes. Ici, tout est

clair et explicit. On voit plusieurs dizaines de corps humains tous empilés les uns sur les

autres posés sur une plaque en béton qui ressemble à l’arrière d’un véhicule, un camion

par exemple. On voit de nombreux pieds, ainsi que des cranes ou des têtes d’hommes.

Message plastique

-Support : Il s’agit une fois de plus d’une photographie documentaire, nous n’avons

aucun doute dessus. Une telle image n’a pu prise que pour dénoncer quelque chose.

-Cadre : Comme pour les précédentes, il n’y a pas de réel cadre. Et au contraire, le fait

qu’on ne voit pas les extrémités, c'est-à-dire ni le début, ni la fin de cette chaine humaine,

nous donne le sentiment que cela se poursuit dans le hors champ.

Page 98: Mémoire de Recherche

98

-Cadrage : Les proportions semblent respectées. Les corps semblent être de taille

normale. Les distances semblent elles accentuées. En effet, on a le sentiment, en tant

que spectateur, d’être très proche physiquement des corps. Ils ont été zoomés,

probablement pour qu’on les distingue mieux.

-Composition : Comme pour les deux précédentes, il n’y a pas une focalisation sur un

point particulier de l’image mais sur la multiplicité des corps, le fait qu’ils soient

nombreux. Cela nous donne encore une fois un sentiment de numérosité. On n’observe

pas de construction en profondeur avec différents plans. Le seul élément que l’on voit en

dehors des corps, et qui est légèrement en retrait est le ciel. On peut par contre distinguer

une petite perspective verticale car les corps de gauche semblent un plus grands que

ceux de droite. La lecture se ferait donc peut être de manière verticale également, de la

gauche vers la droite.

-Formes : Il existe un paradoxe au niveau des formes. A la fois, elles sont molles car les

corps ne sont pas symétriques, que chacun est unique et courbes. A la fois, elles sont

assez droites, triangulaires notamment. En effet, de par la perspective, le béton semble

avoir une forme triangulaire puisqu’il se resserre vers la droite. Il en va de même pour les

corps, ainsi que pour le ciel.

-Couleurs et éclairages : La couleur est toujours le noir et blanc. L’éclairage est assez

clair, il s’agit surement de la lumière du jour.

-Texture : On peut dire que photographie possède du grain à cause des formes des corps

qui semblent être en relief.

-Tableau récapitulatif :

Signifiants Plastiques Signifiés

Cadre Pas de cadre : numérosité

Cadrage Proportions respectées : réalisme

Proximité à cause du zoom

Angle de prise de vue Légère perspective

Page 99: Mémoire de Recherche

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Choix de l’objectif Focalisation sur la multiplicité des corps

Composition Lecture verticale

Formes Paradoxe

Couleurs Noir et Blanc

Eclairage Lumière claire

Texture Grain

Message iconique

-Motifs : Photographie documentaire : L’auteur veut dénoncer quelque chose de grave qui

ressemble à un massacre.

Pas de cadre : On ne voit les extrémités du camion où sont disposés les corps. Cela nous

fait penser qu’il y en a encore plus que ce que l’on voit.

Distance accentuée : Le fait que les corps soient zoomés, cela fait que le spectateur se

sent encore plus proche d’eux.

Focalisation sur la multiplicité des corps : Le but est de montrer qu’ils sont nombreux. Ce

ressenti s’accentue avec la légère perspective qu’a employée le photographe.

Pas de plans : Si tel est le cas, c’est pour que l’attention du lecteur ne soit portée que sur

ces corps, et non pas sur d’autres éléments de la photographie.

Paradoxe des formes : Ici, les formes molles des corps meurtris s’opposent aux formes

triangulaires, strictes donc.

Eclairage clair : Il contraste complètement avec l’atrocité de la scène. Il lui donne un peu

de douceur.

Grain : Il accentue l’empathie qu’éprouve le lecteur à l’égard des cadavres.

-Interprétation : En voyant cette scène, on a le sentiment que quelque chose de très grave

s’est déroulé, et que de cela, découle un grand nombre de victimes dont les corps sont

Page 100: Mémoire de Recherche

100

jetés comme des torchons ici. On sent que ce qu’il s’est passé était violent, et les crimes

indénombrables. Cela d’abord à cause du nombre important de cadavres observés, du fait

qu’on se doute qu’il y en a encore après le cadrage de la photographie, et surtout par le

fait qu’ils soient empilés par centaine sur un camion en béton, comme s’ils étaient de

simples déchets qui partaient aux ordures. Le photographe a mis en place de plusieurs

effets, notamment d’accentuation, pour que la scène soit des plus glaçantes, ce qui est le

cas.

Photographie numéro 8

Sergent Harry Oakes (AFPU), Le Dr. Klein au milieu des cadavres de détenus dans une fosse

commune à Bergen-Belsen, entre le 21 et 24 avril 1945

Description

Cette photographie est assez troublante. On voit un extrait d’une énorme fosse où

sont affalés un tas de corps sans vie. Ils ont l’air déchirés, on ne dirait même plus qu’il

s’agit d’humains. Au milieu d’eux, on voit un homme en uniforme avec un chapeau sur la

tête. Un peu plus loin, un autre homme a l’air de vouloir sortir de cette fosse. Au dessus de

Page 101: Mémoire de Recherche

101

celle-ci quatre autres hommes marchent. Ils sont également en tenue militaire et deux

d’entre eux tiennent un fusil à la main. Derrière eux, il y a des meutes de terres,

certainement celles que l’on a retirées pour creuser la fosse. Au fond, on peut apercevoir

un arbre nu, ainsi qu’un bâtiment de forme rectangulaire.

Message plastique

-Support : C’est toujours une photographie documentaire.

-Cadre : Il n’y a pas de cadre car la photographie est coupée de part et d’autre. Elle ne

semble pas assez grande pour que l’on en voie tout son contenu.

-Cadrage : Les proportions et les distances sont toutes respectées.

-Composition : Il y a de nombreux éléments sur cette photographie mais il se pourrait qu’il

y ait une focalisation particulière sur l’homme en uniforme au milieu de la fosse. En

effet, il est situé au centre de la photographie, en avant plan. La construction de la

photographie est particulière. On peut distinguer une profondeur et différents plans,

mais cela difficilement. On dirait qu’au premier plan il y a la fosse, au second les parois de

celle-ci et les meutes avec les soldats qui courent à cet endroit. Au dernier plan, il y a le

bâtiment. Mais cela ne se distingue pas clairement. Il n’y a pas de perspective

particulière. La lecture semble se faire de manière verticale du bas vers le haut.

-Formes : Elles sont plutôt molles.

-Couleurs et éclairages : La photographie est en noir blanc. Les tons sont clairs. Elle a

été prise en extérieur.

-Texture : la texture est lisse.

-Tableau récapitulatif :

Signifiants Plastiques Signifiés

Cadre Pas de cadre

Cadrage Proportions et distances respectées

Page 102: Mémoire de Recherche

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Angle de prise de vue Légère construction en profondeur avec trois plans

Choix de l’objectif Focalisation sur l’homme au centre

Composition Lecture verticale

Formes Principalement molles

Couleurs Noir et Blanc

Eclairage Lumière claire

Texture Lisse

-Motifs : Photographie documentaire : L’auteur doit vouloir dénoncer un évènement

dramatique.

Pas de cadre : II a probablement souhaité qu’il n’y ait pas de cadre sur cette photographie

pour que le spectateur se rende compte de l’énormité de la fosse, ainsi que de la quantité

de personnes mortes à cet endroit.

Proportions et distances respectées : Le but est que la scène soit assez crédible car

lorsqu’on la voit, on l’impression que ce n’est pas possible.

Focalisation sur l’homme : Il semble vouloir montrer une personne bien vivante, qui

marche, et qui respire, au milieu de ce tas de chair et d’os.

Plans difficilement distinguables : Le but est que notre attention soit portée principalement

sur l’homme, ainsi que sur la quantité de corps.

Pas de perspective : Ainsi, le spectateur a plus l’impression d’assister à la scène, d’y être

présent.

Formes molles : Accentue l’effet de corps sans vie.

Noir et blanc : Il permet de se détacher de la vue de cette scène terrible.

Tons clairs : Ils contrastent avec l’horreur de la scène.

Page 103: Mémoire de Recherche

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-Pose des modèles : Comme nous l’avons déjà évoqué, il y a six hommes sur cette image.

Tous semblent être militaires. Cela à cause de leur tenue et de leur chapeau. Ceux qui

sont au dessus de la fosse ont l’air de surveiller. Deux tiennent une arme à la main, deux

autres sont en train de courir. Un de ceux qui est dans la fosse semble se diriger vers

l’extérieur, peut être aide-t-il quelqu’un à en faire autant. On ne voit pas très bien. Enfin, le

personnage central est au milieu de la fosse. Il a l’air habillé un peu différemment. Peut

être est ce le chef. Il a les jambes écartés entre plusieurs corps et observe le massacre.

Aucun d’entre eux ne regarde en direction de l’objectif.

-Interprétation : Cette photographie est la plus expressive de toutes, on voit ici très

clairement de quoi il s’agit. Elle nous immédiatement penser à la seconde guerre mondiale

et au génocide nazi. Elle a probablement été prise après la guerre, et doit servir de preuve

à l’énormité de l’extermination. Cela paraît irréel tellement la fosse est grande, et par

conséquent, les corps à l’intérieur sont nombreux. On voit bien qu’ils ont été mal traités. La

scène est difficile à observer tellement elle est effrayante.

N.B : Je n’ai volontairement fait aucune analyse linguistique, comme le fait Martine Joly,

car il n’y a de texte sur aucune des photographies sélectionnées.

Au cours de ces différentes analyses sémiologiques d’images, nous avons pu

nous rendre compte que la plupart du temps, le but de l’auteur est de montrer, prouver ou

dénoncer. Cela est le cas pour la majorité des photographies documentaires. Ici, elles sont

toutes de cette nature. Ces images sont issues de la seconde guerre mondiale. Par

conséquent, on peut en déduire que les différents photographes voulaient montrer les

conditions de vie des déportés, certains visages, ou encore le non respect de l’être humain

notamment en ce qui concerne les photos de cadavres jetés comme de vulgaires chiffons.

Cependant, on s’est également rendus compte au cours des analyses que souvent les

détails sont amplifiés voire exagérés de manière à choquer l’œil du lecteur, à le toucher au

plus profond de lui-même. On s’est également aperçus qu’il existe des stéréotypes de

cette période qui permettent de rendre compte de ce phénomène : l’hiver, le froid, les

chemins de fer etc. Il est important de prendre en considération les contextes dans

Page 104: Mémoire de Recherche

104

lesquels ont été prises ces photos, leurs auteurs, et ce qu’elles devaient représenter. Par

ce qu’une photographie non légendée peut dire tout et son contraire. C’est tout l’objet du

travail de Clément Chéroux, et c’est également celui de ma partie suivante.

Page 105: Mémoire de Recherche

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2. Légendes et contextes, des pièces à conviction

Nous savons qu’il existe énormément de photographie issues de la seconde

guerre mondiale. On parle d’un million et demi d’images réparties dans une demi-douzaine

de pays. C’est le sujet le plus reproduit par la photographie. Ces images de la guerre

constituent à elles seules un corpus rescapé très consistant. Pourtant, un problème se

pose, c’est que celui-ci est complètement éclaté et mélangé. Par conséquent, il règne une

grande confusion autour de ces photographies, comme nous l’explique Clément

Chéroux82. En effet, beaucoup ne sont pas légendées, et pour celles qui le sont, elles sont

erronées. Il manque toute une contextualisation autour des photographies : lieu, date,

identité, statut du photographe etc. Elles ont été fortement montrées, diffusées,

reproduites, dupliquées à nouveau… donc au bout d’un moment, forcément, le contexte se

perd. Ce qui compte, c’est ce que l’on voit, le côté recto. Ce qui est écrit sur le verso

intéresse moins, c'est-à-dire toutes les informations indispensables à la compréhension de

la photographie. « La photo-choc l’emporte sur la photo-doc », écrit Chéroux. Plus l’image

est horrible, moins elle a besoin d’une légende. Petit à petit, les photos deviennent des

images muettes qui ne « disent » plus rien sur la réalité qui est montrée. Leurs messages

sont confus, on ne les comprend plus vraiment. Elles sont, avec le temps, réduites à des

symboles de l’horreur, dans lesquelles on pioche pour montrer la barbarie nazie. Il est

pourtant important de redonner une valeur documentaire aux photographies cachée sous

les multiples reproductions. C’est tellement devenu un problème aujourd’hui, que les

négationnistes s’appuient sur cette importante faille pour étayer leurs propos.

Cette partie est la synthèse de l’administration d’un questionnaire contenant des

photographies sans légendes, à un échantillon de personnes, devant expliquer ce qui est

représenté, selon lui, sur l’image.

82 CHEROUX Clément (dir.), Mémoire des camps : photographies des camps de concentration et

d’extermination nazis, Paris, Marval, 2001, 246 pages.

Page 106: Mémoire de Recherche

106

Objectifs

Cette idée de confusion et d’imprécision m’a inspirée. J’ai ainsi décidé de prouver

qu’une photographie sans légende n’avait bien souvent que peu de valeur, que les

personnes qui se retrouvaient face à celles-ci ne pourraient pas clairement les identifier, si

on ne leur en donnait pas le contexte. Pour cela, j’ai établi un questionnaire regroupant un

corpus de trois photographies issues elles aussi de l’ouvrage de Chéroux. Je les ai

sélectionnées car connaissant pourtant le contexte, lorsque je me suis retrouvée

confrontée à celles-ci, je n’ai pas su de quoi il s’agissait avant d’en avoir lu la légende. Je

me suis donc dit qu’il serait intéressant de questionner un échantillon de personnes pour

voir si eux sauraient reconnaître ce qui est représenté sur ces photographies.

Photographies choisies

La première a été prise par Michael Kenna, à Majdanek, en 1998. Elle représente

une chambre à gaz. La seconde est de Margaret Bourke-White, elle illustre un soldat américain

montrant des morceaux de peau humaine où sont dessinés des tatouages. Elle a été collectée par

Ilse Koch en avril 1945 à Buchenwald. La dernière, quant à elle, fait ressortir des matricules

tatoués sur des bras d’anciens déportés des camps d’Auschwitz-Birkenau. Elle est issue d’une

série de photographie de Gilles Cohen au début des années 1990. J’ai donc rassemblé ces trois

photographies sur un document.

Consignes

La consigne était simple. Il suffisait de répondre à deux questions :

- « Que voyez-vous sur cette image ? »

- « A quoi cela vous fait-il penser ? »

Conditions

Les conditions étaient que les examinassions de photographies se fassent dans l’ordre

numéroté (1, 2, 3) pour ne pas être influencé par les photographies suivantes. La seconde

condition était que la personne réalise cela seule sans consulter quelqu’un d’autre. Je demandais

également en premier lieu, le sexe, l’âge, et la profession de la personne pour montrer que

l’échantillon était bien disparate. Enfin, je disais seulement que je travaillais sur un mémoire

Page 107: Mémoire de Recherche

107

concernant la photographie, sans entrer dans les détails, pour que les sujets ne disposent

pas du contexte. A la fin de cela, si elles étaient intéressées, je leur donnais la légende des

photographies et leur expliquait ce sur quoi je travaillais précisément.

Echantillon

Mon corpus se compose finalement de quatre-vingt personnes. Toutes ayant entre

19 et 58 ans. Les catégories socio professionnelles sont, quant à elles, très diverses. Une

partie des sujets est étudiante, les autres travaillent dans des secteurs variés.

Observations

Les réponses que j’ai observées après le passage des questionnaires étaient

assez similaires.

Pour la première, celle représentant une ancienne chambre à gaz, les gens

disaient voir un lieu sombre, lugubre, glauque, bétonné. Ils le trouvaient vieux et sale,

pensaient qu’il était abandonné. Plusieurs thèmes sont revenus régulièrement, d’abord, un

endroit sous-terrain. En effet, les trois quarts des personnes ont pensé qu’il s’agissait d’un

sous-sol ou d’une cave, ou pourquoi pas d’un garage ou d’un parking. On m’a également

beaucoup parlé d’un lieu s’apparentant à une prison : cellule, geôle, salle où on enferme

les gens, prisonniers politiques notamment. Les sujets ont également particulièrement

évoqué un ancien lieu de travail, tel un bâtiment de stockage, un local, un bâtiment

industriel, un hangar agricole, une usine, un entrepôt ou encore une fabrique, lieu ancien

et abandonné, bien entendu. Des termes plus inquiets sont également apparus, on a, par

exemple, évoqué un lieu malsain, un film d’horreur, une pièce incendiée. J’ai également pu

lire maison abandonnée ou non terminée, immeuble, dessous d’une ville, squat, ou encore

labyrinthe. Enfin, le thème de la guerre a quelque peu était observé. J’ai pu lire qu’il

s’agissait d’une salle de torture, ou d’un blockhaus. On m’a dit que cela renvoyait à

l’esclavage ou à la Shoah. Une seule personne m’a parlé de pièce à gazer. Le terme

exact, chambre à gaz, n’a jamais été cité. Dans tous les cas, il m’a été dit que c’était un

endroit qui faisait peur, où il se passait des choses malsaines, anormales. En résumé, les

adjectifs les plus employés ont été désaffecté, ancien, abandonné, et glauque. Des

personnes m’ont dit que cette pièce se situait en Irak, à l’Est, ou au Moyen Orient.

Page 108: Mémoire de Recherche

108

La seconde photographie, les tatouages sur les morceaux de peau humaine, est

celle qui a le plus laissé les sujets le plus perplexes. Beaucoup d’entre eux se sont

attardés sur la signification des dessins que l’on pouvait voir. Ainsi, on a souvent écrit qu’il

s’agissait d’une histoire d’amour, et de pirates. Beaucoup ont parlé de Napoléon

Bonaparte avec un oiseau de mauvais augure au dessus de sa tête, un aigle notamment.

D’autre ont raconté qu’il existait une histoire imaginaire entre l’homme qui tient les dessins

et la femme dessinée. La plupart ont évoqué une relation amoureuse, et une femme qui

rêve d’évasion. Une personne m’a parlé d’une opposition entre légèreté et puissance, un

contraste entre joies, vacances, et guerre. Le support était soit un papier, un vitrail, ou

encore une gravure. En ce qui concerne l’homme lui-même, il m’a souvent été dit qu’il

s’agissait d’un historien, un guide ou gardien de musée. Pour d’autres, il s’agissait

simplement d’un tatoueur, mais aussi d’un vendeur de métro, ou à la sauvette. Plusieurs

ont évoqué un commissaire ou un enquêteur travaillant sur une affaire. C’est une personne

résignée, qui fait partie de la gestapo, ou un soldat selon l’un des sujets. Pour la

photographie elle-même, la grande majorité a pensé qu’il s’agissait d’une personne de

notre époque ayant trouvé des dessins souvent anciens et de grande valeur. On parle

d’esquisses, de parchemins, de tableaux, de photographies, de bandes-dessinées, de

découvertes artistiques ou œuvres d’art. Souvent, on dit que c’est l’artiste lui-même qui

montre son talent. Mais pour d’autres, il s’agit de découvertes archéologiques, de

témoignages, de modèles de tatouage, ou encore de dessins d’enfants. Dans la plupart

des cas, l’homme était fier de les montrer, car ils sont de valeur. En ce qui concerne la

guerre, la prison, ou les camps de concentration, j’ai pu lire que les dessins avaient été

réalisés par des prisonniers, ou qu’ils avaient été récupérés dans des camps de

concentration, ou encore que les symboles avaient un lien avec les étoiles de David ou

l’holocauste. Mais ils ont été, en règle générale, très peu nombreux à avoir abordé cette

thématique. C’est ce qui se rapproche le plus de la réalité car personne n’a trouvé ce que

représentait vraiment cette photographie. Et même lorsque je le leur disais ensuite, les

gens étaient surpris, et me disaient qu’ils ne l’auraient jamais trouvé. Les adjectifs les plus

souvent utilisés ont été « anciens » en ce qui concerne les découvertes, de l’époque de

Christophe Colomb, notamment. J’ai également pu lire « importants », « essentiels », « de

Page 109: Mémoire de Recherche

109

grande valeur », au sujet des « œuvres ». Enfin, on a souvent dit que l’homme était très

« fier ».

Pour la dernière photo, celle qui concerne d’anciens déportés ayant leur numéro

d’immatriculation tatoué sur le bras, cela a été beaucoup plus simple. En effet, les

numéros tatoués sur un bras font partis des symboles très connus de la seconde guerre

mondiale, par conséquent, les sujets ont eu beaucoup plus de facilités à voir ce qui était

représenté. En règle générale, le thème de la prison a été fortement évoqué. On m’a parlé

en très grande majorité d’une personne incarcérée, un ancien prisonnier, un bagnard, un

taulard. Quelqu’un m’a dit que c’était plus particulièrement un prisonnier de guerre. La

plupart du temps, il m’a été dit que l’homme sortait de prison, et qu’il allait continuer sa vie.

D’autres ont dit qu’il était, à ce moment là, au parloir. Un autre sujet a dit qu’il devait être

ligoté ou sur le point d’être menotté. Un certain a évoqué, à juste titre, un ancien déporté,

un juif avec son matricule tatoué sur le bras. Le symbole sous le chiffre a laissé plusieurs

personnes perplexes, pour plusieurs il s’agit d’un cœur, et on ne comprend pas forcément

pour quelle raison il est ici, pour une autre personne, c’est un triangle qui représente les

homosexuels lors de la déportation des juifs. Le chiffre en lui-même a pu être identifié à

une date importante. De multiples personnes se sont attardées sur la signification de la

position des mains. Certains ont dit qu’il s’agissait là d’une situation de protection, comme

l’homme cachait quelque chose qu’il voulait protéger ou préserver. Pour quelqu’un d’autre,

la personne est en train de réaliser un massage cardiaque. Plusieurs sujets ont évoqué un

évènement important, un mariage notamment. L’anneau autour de l’annulaire évoque

l’espoir. On dit qu’il s’agit de l’union de deux personnes, que c’est une personne qui refait

sa vie ou qui demande pardon. Beaucoup pensent que l’homme a fortement souffert, mais

qu’aujourd’hui sa vie est plus belle. C’est l’explication la plus retrouvée, par opposition à la

seconde qui est plus noire, plus inquiétante. Celle-ci est de dire que l’homme a été tatoué

de force, qu’il est inerte sur le sol, étendu, qu’il est dans un camp de concentration. On a

dit qu’il n’y avait rien de bon : du travail forcé, ou encore de la drogue. Dans la plupart des

cas, c’est un homme qui raconte son histoire. Tous, sans exception, ont compris que les

numéros étaient significatifs, et qu’il ne s’agissait pas de numéros ayant une explication

due au hasard. En règle générale, on m’a parlé d’un vieil homme ayant souffert, et très

régulièrement d’un prisonnier de longue date. On a souvent écrit que la personne avait

Page 110: Mémoire de Recherche

110

refait sa vie, qu’aujourd’hui cela allait mieux, notamment par rapport à l’alliance qu’elle

porte. On parle souvent de souffrance et d’espoir. Pour certains, les bras étaient sales et

maigres, et le reste du corps probablement étendu sur le sol. Mais beaucoup ont bien

compris qu’il s’agissait de bras d’une personne déportée pendant la guerre, et que le

numéro tatoué était son numéro d’immatriculation, ou en tous cas, que la personne

photographiée avait un rapport avec les camps de concentration. Le symbole sous le

numéro en a, par contre, déconcerté plusieurs. Pour de nombreux, il s’agit d’un cœur, pour

un autre, cela représentait les homosexuels pendant la guerre.

Interprétation

Le but de l’administration des quatre-vingt questionnaires était précisément de

démontrer qu’une photographie hors-contexte, et sans légende, n’est pas réellement

significative.

Pour prouver cette théorie, j’ai volontairement choisi des photographies dont la

vue pouvait porter à confusion. Ce sont des photographies qui m’ont frappée au premier

abord, qui m’ont interrogée.

J’ai, de plus, délibérément voulu les placer dans cet ordre là, et cela, dans le but

de désorienter le sujet interrogé. En effet, j’ai disposé en premier la photographie de la

chambre à gaz car je me doutais que la plupart des gens dirait qu’il s’agit d’un lieu

abandonné, glauque et insalubre, mais n’ayant pas pour autant un rapport direct avec un

endroit servant au gazage des déportés juifs, puisque rien, en particulier, sur cette

illustration, ne le laisse penser. J’ai, dans uns second temps, voulu placer les dessins

tatoués car je pensais que de cette manière la piste du lieu glauque pourrait ainsi

s’éloigner de plus en plus de la vérité, c'est-à-dire non seulement de la chambre à gaz,

mais également de la guerre. Il était quasi évident qu’on ne saurait dire de quoi retourne

vraiment l’image. De cette manière, le sujet s’oriente vers un thème totalement différent.

Enfin, j’ai décidé de mettre la photographie des numéros de matricule en dernier car je

savais qu’elle était la plus explicite, et donc qu’elle ferait douter le lecteur sur ses

explications précédentes, et le déstabiliserait d’autant plus. Si je l’avais, par exemple, mise

en première position, le sujet aurait certainement été plus influencé par ce qu’il venait de

Page 111: Mémoire de Recherche

111

voir, et se serait plus facilement appuyé sur le thème de la seconde guerre mondiale, ou

en tous cas, celui de la prison, qui en est presque un synonyme.

On peut donc en conclure que peu de personnes ont réussi à percer les mystères

des photographies, et cela pour deux raisons simples. D’abord, car aucun contexte, ni

même indice sur celui-ci ne leur a été donné. Ensuite, car les sujets ne disposaient

d’aucune légende. Cela signifie qu’on ne peut se fier à l’observation « sauvage » d’une

image pour expliquer un fait ou pour tirer des conclusions sur celui-ci. Il est donc impératif

de savoir de quoi traitent les photographies avant de se lancer dans toute interprétation de

celles-ci. Leur message n’est donc pas significatif. De cette manière, il paraît nécessaire

de se méfier de ce que l’on voit imprimé sur papier. Les photographies ne doivent plus

rester muettes, il faut leur redonner une véritable signification, comme le disait Chéroux au

début de cette partie.

Page 112: Mémoire de Recherche

112

3. Critique de la photographie comme représentative du

réel

On l’a vu précédemment au début de ce travail, la photographie représente le réel,

« elle en est la copie conforme », disait-on. Pourtant, au fil de ce mémoire, certains points

sont venus troubler cette théorie. En effet, on a notamment pu observer au cours de ce

chapitre qu’il y a souvent une mise en scène de la part du photographe, que des détails

sont amplifiés, parfois exagérés. On vient également de voir qu’une image muette, dénuée

de légende, n’avait que peu de valeur. Dans cette partie-ci, nous allons prouver, une fois

de plus, que les images ne sont pas toujours vraies, qu’elles peuvent quelques fois être

manipulées au gré de la volonté de l’auteur. Pour cela, nous allons nous appuyer sur un

film documentaire réalisé par Yael Hersonski en 2009, Quand les nazis filmaient le ghetto.

Il s’agit d’un film inachevé réalisé par des nazis, retrouvé dix ans après la guerre

au milieu d’autres documents devant servir à la propagande d’Hitler. C’est la seule vidéo

du ghetto de Varsovie en Pologne. Ce sont soixante minutes de scènes muettes alternant

scènes joyeuses et scènes misérables. Ce film sera devenu vérité historique, car pendant

longtemps on pense qu’il retrace assez fidèlement la vie dans les ghettos. Mais après la

découverte d’une nouvelle bobine en 1998, on se rend compte que les nazis ont tout mis

en scène. A partir de cela, des carnets tenus par le président du conseil juif, du

témoignage de cinq rescapés, ainsi que celui de Willy Wist, l’un des cameramen, la

réalisatrice israélienne Yael Hersonski (topo) croise ces archives et tente ainsi de nous

montrer la manière dont ce film a été « fabriqué ». Elle souhaite à la fois montrer « à quel

point notre compréhension de l'histoire est limitée si l 'on ne replace pas les

images dans leur contexte », mais également le réel car ces images, au-delà

de la manipulation, montrent, selon elle, quelque chose de vrai.

Cela se déroule en mai 1942, peu avant les premières déportations vers le camp

de concentration Treblinka, cela fait deux ans et demi que le ghetto de Varsovie existe. Un

demi-million de juifs vivent dans ces quatre kilomètres carrés. Tout le monde doit s’adapter

tant bien que mal car qui tente de fuir ou même d’introduire de la nourriture est aussitôt

fusillé. Un mois durant, des nazis ont voulu montré la face immergée de l’iceberg. Cela

Page 113: Mémoire de Recherche

113

provoque une agitation chez la population, car personne ne sait réellement ce qu’il se

trame, et de nombreuses rumeurs de chambres à gaz commencent déjà à circuler… On se

demande pourquoi filmer le ghetto. Pourquoi montrer des images ? Que font les nazis ici ?

Car en général, leur venue n’est jamais bon signe… Mais les allemands commencent à

filmer. Ils veulent une « représentation fidèle » de la vie dans les ghettos, alors ils filment

les juifs dans la rue, les mendiants sur les trottoirs, ou les enfants qui jouent dans la cour.

Lorsque l’on voit les premières images, on a l’impression que c’est un quartier de ville,

vivant et dynamique. Il y a beaucoup de circulation, et le tramway qui traverse. Par

moments, cela semble même joyeux. Les enfants s’amusent entre eux, des gens chantent,

d’autres dansent. Hors contexte, on pourrait croire qu’il s’agit effectivement d’un temps

passé, mais non d’un temps de guerre. Pourtant, la réalité est différente. La majorité des

images est mise en scène. Le président du conseil nous explique, par exemple, qu’on

simule l’arrivée du public dans son bureau, on retire ses photos, on pose une pancarte sur

sa porte, on ajoute des chandeliers sur son bureau en guise de décoration. Il nous dit

également dans son journal que des figurants sont engagés, qu’on filme leurs faux

intérieurs grands et propres, emplis de fleurs sur la table, orné de rideaux et de vaisselle

neuve. La vérité est quelque peu différente puisque la plupart des familles vivent dans une

seule pièce, parfois à plusieurs. Les nazis semblent également vouloir mettre en évidence

les différences entre les personnes juives riches et les pauvres, en les exagérant. On voit

par exemple la préparation d’une salle pour un bal, on y voit du champagne et un maître

d’hôtel joué par le fameux président du conseil juif. Il n’a pas le choix, il doit se plier aux

règles s’il ne veut pas avoir de problèmes. On peut voir une femme dans sa chambre en

train de se maquiller, et à côté de cela, on filme les enfants en train de faire l’aumône dans

la rue. On apporte également des oies ou de la viande de cheval sur les marchés, que la

plus grande majorité de la population ne pouvait évidemment pas s’offrir. Les plus riches

pouvaient effectivement s’acheter à manger tous les jours, et ils le feront jusqu’à la fin,

lorsque les prix auront quadruplé. Mais cela ne concerne qu’une toute petite partie du

ghetto. Les autres finissent par mourir de faim, ruinés. Les écarts continuent. On prend des

gens bien vêtus dans la rue, on leur demande de rentrer dans un restaurant et de

commander tout ce qu’il y a de meilleur, ce qu’ils ne font jamais. On demande ensuite aux

serveuses d’aller discuter dehors, toujours de manière très joyeuse, c’est alors que l’on

Page 114: Mémoire de Recherche

114

ordonne à des enfants d’aller faire l’aumône. Ces mêmes serveuses doivent les ignorer, en

être presque agacées. « La vie dans le ghetto était faite de contrastes » dit l’une des

survivantes, alors on continue à exagérer, voire déformer, voire mentir en fabriquant des

mises en scènes comme celle du théâtre. On force des gens à aller au théâtre, à rire

jusqu’à en pleurer, à chanter, à applaudir le plus fort possible. Cela rend la vie plus douce.

Oui mais, ce que l’on ne sait pas, c’est que ces « figurants » n’avaient pas d’autre choix

que de rire encore et encore pendant la pièce, s’ils ne voulaient pas être frappés. Et la

mise en scène a duré de longues heures où on ne pouvait s’arrêter ni pour manger, ni pour

faire ses besoins. C’était cela l’envers du décor.

Personne ne connaît l’identité des auteurs du film, personne ne sait qui était à la

tête de ce « faisant doré » comme le disaient les gens, pas même les cameramen. Ils

n’étaient au courant de rien, ne savaient pas ce qu’il se passait ni à l’intérieur, ni à

l’extérieur du ghetto, et ne savaient pas pourquoi ils devaient filmer. On les avait appelés

pour des prises de vue, sans en connaître le but. A la base, ils filmaient les rues, les

commerces, ou les maisons surpeuplées. Willy Wist, le cameraman interrogé, assure

n’avoir eu aucun réel contact avec les juifs, on lui amenait simplement ceux

correspondants au tournage et il réalisait des prises de vue comme on lui avait demandé.

Elles étaient mises en scène, confirme-t-il, et on les multiplier jusqu’à réaliser la bonne.

Les cameramen faisaient donc ce qu’on leur disait, sans chercher à comprendre, sans

aucune liberté non plus. Parfois, les allemands menaient des scénettes traditionnelles que

les juifs devaient interpréter : circoncision, mariage, fêtes, shabbat à la synagogue,

funérailles au cimetière. Cela pouvait aller jusqu’à montrer un bain rituel, ce qui est sacré

et très personnel dans cette religion. A la fin, on peut également voir les cadavres dans les

rues le matin, sur les trottoirs où tout le monde passe et plus personne ne fait attention.

« On devient indifférents à la souffrance des autres au bout d’un moment », dit l’une des

survivantes qui regarde le film. Au bout de trente jours, on arrête le tournage, l’équipe

disparaît, on ne la revoit plus jamais. Deux mois après avait lieu une première déportation

massive vers Treblinka.

« Lorsque les bandes arrivent au montage, la plupart sont morts depuis

longtemps, il ne reste d’eux que des ombres muettes sur des bandes de celluloïd… »

Page 115: Mémoire de Recherche

115

On ne connait pas le but précis de ce film réalisé par les nazis. On sait qu’il s’agit

là de propagande en faveur du chef Hitler. Il s’agirait apparemment de montrer la « vraie »

vie dans le ghetto, le montrer sous tous ses aspects, à la fois bons et mauvais. Les nazis

nous montrent, à juste titre, qu’il existe des différences sociales entre riches et pauvres. Si

l’on en croit les images, une bonne partie des juifs vit « normalement », dans une sorte de

« paradis » fermé, et l’autre partie, celle qui vit dans la misère, ne l’intéresse pas. On peut

s’en rendre compte notamment dans la scène des serveuses, qui sont agacées par les

enfants qui viennent mendier. Ils voulaient également montrer « objectivement » les traits

de caractères relatifs à ce peuple, mais aussi ses pratiques particulières. Cela en faisant

jouer les scènes des évènements marquants tels que la circoncision ou la prière à la

synagogue. Tout cela dans un but, finalement masqué mais bien précis : démontrer aux

partisans d’Hitler que leurs idées sont fondées et que la seule solution possible est

l’extermination de ce peuple si différent.

Il s’agit certes là d’un documentaire vidéographique, et non pas de photographies

à proprement parler. Pourtant, le principe et les contraintes restent les mêmes, puisque la

vidéo, selon sa définition, est une succession d’images animées, et est, de surcroit,

dénuée ici de bande son. De plus, ce document est un exemple qui répond parfaitement à

ma problématique. Il est une preuve que la majorité du temps les images sont mises en

scènes, et le lecteur trompé sur sa signification. Même Roland Barthes83, partisan de la

photographie comme un objet représentant à coup sûr ce qui a été, sans inventer, en étant

l’authentification-même, nous explique que reconnaître le studium ( sorte d’intérêt général

dont l’émotion passe par le relai d’une culture) c’est être en harmonie avec les intentions

d’un photographe, car, pour lui, la culture est un contrat passé entre créateur et

consommateur. Il ajoute qu’il existe des mythes du photographe visant à réconcilier

photographie et société, et cela grâce à ses fonctions qui sont d’informer, de représenter,

de surprendre, de faire signifier, ou de donner envie. Il livre également que la photographie

ne peut signifier qu’en prenant un masque car la société se méfie du sens pur. Une image,

83 BARTHES, La chambre claire: note sur la photographie, Gallimard, Cahier du Cinéma Gallimard,

Mayenne, 1980, 192 pages.

Page 116: Mémoire de Recherche

116

dont le sens serait trop explicit, serait vite détournée. Le masque est assez critique pour

inquiéter mais reste trop discret pour devenir une véritable critique de la société. Il dit que

le photographe ajoute volontairement des détails, ce qui n’a pas d’intérêt, et ne le « point »

pas. Ce qui le touche, c’est ce qui se trouve dans le champ de manière inévitable, et qui ne

pouvait pas ne pas être photographié. Enfin, il nous explique que la mode chez les

consommateurs est de dire qu’il existe une relativité sémantique de la photographie

consistant à dire qu’elle n’est pas le réel mais un artifice, une analogie. Ce qu’elle

représente est complètement fabriqué. Barthes ne semble pas de cet avis. Pour lui, le

débat n’a même pas lieu d’être car l’important est que la photographie possède une force

constative, et que celle-ci porte sur le temps, et non sur l’objet.

Pierre Bourdieu 84, après avoir exposé les qualités de la photographie comme

copie du réel, est particulièrement critique de cette théorie, et appuie l’idée d’une mise en

scène non naturelle. Pour lui, si cet objet est considéré comme un enregistrement parfait

du monde visible, c’est parce qu’on lui a assigné des usages sociaux tenus pour réalistes

et objectifs dès son origine. Ce que l’on appelle « la vision normale » du photographe est

en fait une vision sélectionnée. D’après lui, le visible n’est jamais que le visible, et les

sujets ont toujours recours à des grilles de lecture, quelque soit leur milieu culturel, alors

que le monde est infiniment plus riche en apparences qu’on ne le croit. La grille la plus

familière n’est autre que le système des règles de la reproduction du réel qui régissent la

photographie populaire. Pour lui, elle est un mouvement « immobile », et « arraché du

temps ». C’est également parce que l’usage social de la photographie opère une sélection

structurée selon les catégories de la vision commune du monde que l’image

photographique peut être considérée comme une reproduction exacte du réel. Il ajoutera

que c’est au nom d’un « réalisme naïf » que l’on peut tenir pour réaliste une représentation

du réel. Et si elle se doit d’apparaître comme objective, ce n’est pas à cause de sa

concordance avec la réalité même des choses mais à sa conformité d’avec les règles, qui

en définissent la syntaxe dans son usage social. Enfin, il nous explique que la lecture

84 BOURDIEU Pierre (dir.), Un art moyen : essais sur les usages sociaux de la photographie, Les Editions de

Minuit 2ème édition, Paris, 1978,360 pages.

Page 117: Mémoire de Recherche

117

d’une photographie est toujours la perception d’une intention consciente. Et cela parce que

la photographie est tout autre chose qu’un décalque de la réalité puisqu’elle agit en son

contraire même car elle « déréalise » ce qu’elle fixe.

Philippe Dubois85, enfin, après nous avoir expliqué en quoi la photographie était un

miroir du réel, nous explique qu’au XXème siècle, on insiste d’avantage sur l’idée d’une

transformation du réel par la photographie. Il s’appuie notamment sur les textes de théorie

de l’image de Rudolf Arnheim86 pour expliquer cela. Pour lui, la photographie offre au

monde une image déterminée par l’angle de vue choisi, par la distance à l’objet, ainsi que

par le cadrage. Elle réduit, de plus, la tridimensionnalité de l’objet à une image en deux

dimensions, et tout le champ des variations chromatiques à un contraste noir et blanc.

Enfin, selon lui, elle isole un point précis dans l’espace-temps, et est purement visuelle, ce

qui exclut toute autre sensation olfactive ou tactile. Il s’appuie également sur l’auteur Alain

Bergala87, qui s’attaque aux photographies historiques dites stéréotypées. Pour lui, « elles

sont le leurre d’un consensus universel factice, simulacre d’une mémoire collective, où

elles impriment une image de marque de l’évènement historique, celle du pouvoir qui les a

sélectionnées pour faire taire toutes les autres ». Ainsi, il dénonce toute la part de mise en

scène de ces images connues, ainsi que toute leur dimension idéologique. Dubois ajoute

que la signification des messages photographiques est culturellement déterminée, et ne

s’impose donc pas comme une évidence pour tout récepteur. « Tous les hommes ne sont

pas égaux devant la photo » écrit-il. Ainsi, il remet en cause la valeur de la photographie

comme miroir, comme transparente, innocente et réaliste par essence. Et c’est pour cette

raison que la question du réalisme est déplacée.

On voit donc que finalement la photographie n’est pas si réelle et objective,

comme a pu le dire, et le documentaire de Yael Hersonski, en est une illustration parfaite.

85DUBOIS Philippe, L’acte photographique, Parvis, Nathan, Paris, 1990, 301 pages.

86 ARNHEIM Rudolf, La pensée visuelle, Flammarion, Champs Flammarion Sciences, 1999, 350 pages.

87 BERGALA Alain, GODARD Jean-Luc, Les années cahiers (1950-1959), Flammarion, Champs, 1970, 252

pages

Page 118: Mémoire de Recherche

118

En résumé, l’analyse d’images de la seconde guerre mondiale nous a permis

d’observer plusieurs faits. D’abord, que celui qui prend une photographie a toujours une

intention particulière, un but. Ici, et pour la plupart des photographies documentaires, il

s’agit de montrer un fait, ou bien même de le dénoncer. Nous avons également pu

observer que l’auteur d’une photographie, dans son objectif, de dénonciation, par exemple,

a tendance à amplifier des détails, voire à les exagérer parfois. Cela peut mener à des

clichés. En effet, on a observé lors de cette analyse qu’il existait des stéréotypes de la

période de la seconde guerre mondiale (barbelés, froid, chemin de fer…) servant plus à

toucher le lecteur qu’à lui montrer la réalité de cette période. Dans un second temps, on a

vu, grâce aux réponses obtenues au cours des questionnaires, qu’une photographie sortie

de son contexte, pouvait très souvent induire le spectateur en erreur. Il peut partir sur des

pistes complètement différentes, voire opposées, ce qui peut avoir des conséquences

lourdes de sens dans l’interprétation d’un fait par appui de photographies. On a également

pu remarquer, dans cette partie, et comme l’explique Chéroux dans son ouvrage, qu’il est

prépondérant de légender chaque photographie, et plus encore celles de cette triste

période. La légende comprend le nom de l’auteur, la date, et le titre de la photographie.

Son interprétation ne pourra forcément pas être la même en fonction de ces différents

critères. Une photographie d’un ghetto prise en 1942, et une autre du même lieu prise en

1990 n’aura forcément pas le même impact ni la même signification. Grâce à ces analyses

personnelles, on s’est rendus comptes que de multiples facteurs entraient en considération

dans l’interprétation d’une photographie, et qu’il n’était pas si évident de dire qu’elle était la

copie conforme du réel. Nous avons terminé avec le film de Yael Hersonski pour conclure

une dernière fois sur cette idée, en expliquant qu’il y avait toujours une mise en scène de

la part de l’auteur derrière chaque prise de vue, et que, pour cette raison, il était important

de se méfier de ce que l’on peut voir. Des auteurs ayant des théories reconnues sur la

photographie comme Barthes, Bourdieu ou Dubois ont également confirmé cette idée. L’un

des photographes que j’ai interrogé, FB, écrivait sur un document à destination du CHRD

« Il appartient à la vigilance de chacun, de s’interroger sur ce qui nous est livré, sur

Page 119: Mémoire de Recherche

119

l’histoire telle qu’elle nous est apprise et sur les œuvres telles qu’elles nous sont

transmises ».

Page 120: Mémoire de Recherche

120

CONCLUSION

« Les photos rescapées ne sont qu’une partie d’un tout largement invisible et ne peuvent, en ce

sens, servir de « témoins intégraux » ». Primo Lévi88

Au terme de ce travail, sommes-nous en mesure de répondre à nos interrogations

des débuts concernant le rapport qu’entretient la photographie avec le réel ? Finalement,

la photographie représente-t-elle toujours le réel ? Quelles nouvelles pistes de recherche

pourraient être envisagées ?

Le but de cette recherche était de démontrer que la photographie n’était pas

toujours significative d’une vie réelle. Pour se faire, nous avons cherché, dans un premier

temps, à définir, de manière précise, la notion de photographie. Nous l’avons située

chronologiquement dans le temps, de son apparition dans la société jusqu’à aujourd’hui.

Nous avons ensuite abordé l’idée reçue la plus commune concernant ce média, qui est

qu’elle est la copie conforme des objets de la réalité. Enfin, nous avons abordé le fait

qu’elle ait eu de nombreuses difficultés à être reconnue comme art, étant donné que celui-

ci est considéré comme quelque chose d’abstrait et complètement subjectif, contrairement

à elle, qui est reconnue, pendant de longues années, comme une copie objective du

monde. Nous avons, dans un second temps, expliqué ce qu’était la mémoire collective,

cela avec toutes ses ambigüités et subtilités. Nous avons ensuite appliqué cette définition

d’une notion abstraite à un cas particulier : celui de la seconde guerre mondiale. Pour

terminer, nous avons mis en lien les deux termes : celui de photographie, ainsi que celui

de mémoire collective, en expliquant que tous deux entretiennent un rapport particulier de

complémentarité. Dans une dernière partie, nous avons voulu réalisé des analyses

personnelles dont le but était d’affirmer, ou infirmer le fait que la photographie représente

le réel ou pas. Pour se faire, nous avons d’abord analysé sémiologiquement neuf

photographies de la seconde guerre mondiale. Ainsi, nous avons pu voir qu’il y a toujours

88 LEVI Primo, Si c’est un homme, Pocket, Littérature, Paris, 1988, 213 pages.

Page 121: Mémoire de Recherche

121

une mise en scène de la part de l’auteur, dont le but ici, était de dénoncer, au travers de

suggestifs symboles de cette période, ou d’oppositions choquantes, des faits graves. Nous

avons ensuite pu remarquer, grâce à l’administration d’un questionnaire sur lequel on

pouvait voir trois photographies non légendées, et où on devait expliquer ce qu’on voyait,

et surtout, ce à quoi cela nous faisait penser, qu’une photographie hors contexte, et sans

légende n’est pas très significative. Nous avons, pour terminer, aborder un documentaire

s’appuyant sur des photographies et scènes muettes réalisées par les nazis, dans le but

de montrer la vie au sein du ghetto de Varsovie. Dans celui-ci, Yael Hersonski, l’auteur,

nous explique que tout n’était qu’usurpations et mises en scène de la part des militaires.

Par conséquent, on peut en déduire que l’image peut bien souvent tromper l’œil.

Grâce à ces observations, à fois théoriques et pratiques, nous avons pu affirmer

nos hypothèses. A la première, qui était de dire qu’il se cachait toujours une volonté du

photographe derrière la soit disant neutralité des images, nous avons pu répondre grâce à

l’analyse sémiologique de notre corpus, que oui le photographe cherche à faire passer un

message particulier lors de la prise de sa photographie. A la seconde, qui était qu’il y a

toujours une scénarisation derrière les photographies, et que par conséquent, elles ne sont

pas forcément significatives de la réalité montrée, nous avons confirmé, grâce au film

documentaire, que oui la plupart des images sont mises en scène, d’une manière ou d’une

autre, par leur auteur. A la dernière enfin, celle qui nous disait que ce sont les légendes et

le contexte qui donnent un sens à la photographie, nous avons pu dire, grâce aux

questionnaires, qu’effectivement si l’on présente une photographie muette, les gens, de

par leur sensibilité, connaissances et expérience, n’en donneront pas la même

signification. Ces différentes affirmations ont, de plus, étaient étayées par les propos

recueillis par les différentes personnalités interviewées.

A partir des réponses aux questions que l’on se posait, que peut-on conclure ? La

photographie représente-t-elle donc le réel ? Bien que pendant de longues années, on ait

cru à cette théorie, qui est encore aujourd’hui bien présente à l’esprit de nombreuses

personnes non spécialistes de ce média, lorsque l’on se penche plus précisément sur cette

notion, on ne peut raisonnablement pas penser que cette idée soit encore vraie à l’heure

actuelle. En effet, elle fait maintenant partie à part entière des arts, ce qui prouve qu’elle

Page 122: Mémoire de Recherche

122

n’est finalement pas si objective, ni si fidèle à la représentation du monde. Derrière toute

photographie, quelle qu’elle soit, se cache un auteur. Il en choisit le cadre, la couleur, le

lieu, le moment, ainsi que l’objet. Il le photographiera de telle manière et non de telle autre,

s’il veut faire ressortir tel ou tel élément. C’est lui, le premier, qui a les cartes en main. Il ne

faut pas oublier qu’une image photographique, est avant tout un objet fabriqué. Comme

l’artisan menuisier travaille son bois pour en fabriquer une table ou une chaise, l’artisan

photographe travaille l’image, la perception qu’il a des choses pour en fabriquer une

photographie. Même lorsqu’elle est documentaire, elle reste subjective. Si l’on veut

montrer une catastrophe, on accentuera certains effets, on en grossira les traits, le grain

pour susciter l’angoisse des gens. Si l’on veut montrer une scène émouvante, on se

focalisera sur la maigreur de l’enfant, sur le regard triste et désemparé de la mère, qui ne

peut rien faire, on se focalisera sur les détails qui arriveront à toucher le lecteur au plus

profond de son cœur. Par contre, si l’on veut montrer le candidat idéal à la future élection

présidentielle, on le montrera sous son meilleur jour, avec son plus beau sourire devant un

fond qui fera ressortir sa prestance et sa carrure. Le photographe arrange son image de

manière à faire passer le message qu’il a envie de renvoyer. Puis, tout dépend également

de l’interprétation que va en donner le lecteur. Selon ce qu’il y voit, selon son vécu, et ses

connaissances, il ne recevra pas l’image projetée de la même manière que quelqu’un

d’autre. Chacun voit ce qu’il veut selon sa subjectivité et son ressenti. Une même

photographie ne sera pas interprétée de la même manière selon les gens. Souvent, les

personnes d’un même groupe social verront une scène à peu près identique, mais si l’on

choisit des personnes ne serait-ce que d’un pays différent, avec sa culture différente, elles

ne verront forcément pas le même plateau. Et même si la photographie est légendée, elle

ne sera pas obligatoirement interprétée de la même manière. Si l’on reprend, par exemple,

les photographies de la seconde guerre mondiale, une même image ne représentera pas

la même chose pour une personne juive, et pour une personne allemande, et cela car

leurs enjeux seront différents, et que le patrimoine transmis ne sera pas le même. Malgré

cela, comme on l’a vu dans ce mémoire, il est primordial de situer les photographies que

l’on prend, des les expliciter pour que le message de l’auteur soit entendu. Il est

indispensable de savoir où, pourquoi, et comment un photographe a pris une

photographie, si l’on veut la comprendre. Et cela, même si l’interprétation de celle-ci

Page 123: Mémoire de Recherche

123

restera personnelle et subjective comme on l’a dit et répété. Il ne faut d’ailleurs pas oublier

que certaines images sont là pour enrichir un texte, pour l’illustrer, alors que d’autres sont

là pour laisser penser d’autres choses. On l’a notamment observé grâce aux faits

d’actualité concernant l’affaire Dominique Strauss-Kann, accusé de viol sur une femme de

chambre. Un article de journal accompagné d’une photographie de lui menotté, ne

signifiera pas la même chose qu’une photographie seule de lui dans une chambre d’hôtel

avec une femme. Le contexte de la photographie fait donc en ce sens partie intégrante de

l’image, ainsi que de l’interprétation qui en découlera.

De nombreux éléments entrent donc en compte dans la prise d’une photographie,

ainsi que dans son interprétation. Elle peut donc ne pas forcément représenter le réel.

C’est d’autant plus le cas aujourd’hui, à l’aire du numérique, et de la retouche

photographique. Pour aller plus loin dans notre analyse, et dans une perspective future, on

pourrait s’interroger sur ce phénomène d’actualité, comme l’a fait Fred Richtin dans son

ouvrage 89 . On pourrait se demander quelle est la différence entre l’argentique et le

numérique. Pourquoi le numérique est-il privilégié aujourd’hui ? Est-ce par ce que de cette

manière, l’image est plus facile à déformer, voire à manipuler ? En effet, dans notre société

actuelle, il est de plus en plus difficile de se fier à ce que l’on peut voir en photographie, car

on sait que depuis que le numérique est apparu, la retouche photographique est devenue

la norme dominante dans un monde où tout n’est qu’apparence. On y a aujourd’hui

recours pour tout, et cela se démocratise de plus en plus au grand public. La photographie

brute n’est souvent plus que le brouillon de ce que l’on veut montrer. Elle est ensuite

reprise, améliorée, arrangée. Il est très rare que des images, du moins, publiques ne

soient pas retouchées avant sa diffusion. De cette manière, tout est encore plus augmenté,

et exagéré. On a du mal à distinguer ce qui, à la base, était réel, et ce qui ne l’était pas. Il

serait donc fort intéressant de se pencher sur ce phénomène là, à savoir, le rapport de la

photographie avec le réel aujourd’hui où règne le numérique, et la retouche

photographique.

89 RITCHIN Fred, Au-delà de la photographie, Victoires EDS, Presses Universitaires de France, 2010, 1199

pages.

Page 124: Mémoire de Recherche

124

On peut donc conclure que dorénavant il faut se méfier deux fois plus de ce que

l’on voit en images, et se questionner d’autant plus sur l’authenticité, la véracité et la valeur

des photographies comme preuves tangibles d’un réel. Je terminerai sur l’une des phrases

que m’a dite l’un des photographes que j’ai rencontré :

« Une photographie n’est qu’une image du réel, et une image ne reste qu’une

image et donc pas la réalité, il ne faut jamais perdre de vue cela ».

Page 125: Mémoire de Recherche

125

ANNEXES

Page 126: Mémoire de Recherche

126

SOMMAIRE DES ANNEXES

Page 127: Mémoire de Recherche

127

Grille d’entretien semi-directif pour les collaborateurs

du CHRD :

1. Présentation

-Pouvez-vous vous présenter ?

-En quoi consiste votre métier ?

-Quel a été votre parcours ?

2. Le musée/ Le centre de documentation

-Depuis quand existe-t-il ?

-Comment a-t-il été crée ?

-Pourquoi ? Dans quel but ?

3. Les expositions/ Les archives

-Comment se choisissent les documents mis en avant ?

-Comment choisit-on les expositions temporaires ?

-Quel message veut-on transmettre ?

-Quel public concerne-t-il ?

4. Votre avis subjectif en tant que…

-Quelle vision a-ton de la seconde guerre mondiale aujourd’hui ?

-Quel rôle joue la photographie dans la transmission et la conservation de la

mémoire ?

-Qu’est ce que la mémoire collective ?

La photographie transmet-elle toujours le réel ?

Page 128: Mémoire de Recherche

128

Grille d’entretien semi-directif pour les photographes:

1. Présentation

-Qui êtes-vous ?

-En quoi consiste votre métier ?

-Quel a été votre parcours ?

2. Le photographe

-Quelle est sa part de subjectivité lorsqu’il prend une photographie ?

-Ses choix peuvent-ils influencer le lecteur ?

3. La photographie

-Quel rapport y a-t-il entre photographie et texte ?

-Que dire d’une photographie sans légende ?

-Quel lien ya-t-il entre photographie et mémoire ?

La photographie montre-t-elle toujours le réel ?

Page 129: Mémoire de Recherche

129

Grille d’entretien semi-directif pour les visiteurs du

CHRD :

1. Présentation

-Qui êtes-vous ?

-Quel est votre métier ?

-Quel a été votre parcours ?

2. Le musée

-Que pensez-vous du CHRD ?

-Pourquoi l’avez-vous visiter ?

-Que pensez-vous des expositions temporaires/ permanentes ?

3. La photographie

-Quel rapport y a-t-il entre photographie et texte ?

-Que dire d’une photographie sans légende ?

4. Votre avis subjectif en tant que visiteur

-Quelle vision a-ton de la seconde guerre mondiale aujourd’hui ?

-Quel rôle joue la photographie dans la transmission et la conservation de la

mémoire ?

-Qu’est ce que la mémoire collective ?

La photographie montre-t-elle toujours le réel ?

Page 130: Mémoire de Recherche

130

Tableau récapitulatif des personnes interviewées

Personnes interviewées

Sexe

Profession

MV

Féminin Attachée de conservation au CHRD

IR

Féminin Directrice du CHRD

CJ

Féminin Documentaliste au centre de documentation du CHRD

FB

Masculin Artiste Photographe

PW

Masculin Photographe, spécialiste

de la montagne

FO

Masculin Photographe à la mairie de Toulouse

FBo

Masculin Etudiant en journalisme et visiteur du CHRD

O.D

Féminin Etudiante en psychologie et visiteuse du CHRD

Page 131: Mémoire de Recherche

131

Photographie numéro 1 :

Margaret Bourke-White, survivants de Buchenwald derrière les barbelés, avril 1945.

Page 132: Mémoire de Recherche

132

Photographie numéro 2 :

Stanislaw Mucha, la porte d’entrée de Birkenau vue de l’extérieur du camp, entre mi-

février et mi-mars 1945

Page 133: Mémoire de Recherche

133

Photographie numéro 3 :

Michael Kenna, barbelés, Majdanek, 1993

Page 134: Mémoire de Recherche

134

Photographie numéro 4 :

Michael Kenna, chaussures, Majdanek, 1993

Page 135: Mémoire de Recherche

135

Photographie numéro 5 :

George Rodger, cadavres de détenus sous les arbres à Bergen-Belsen, vers le 20 avril 1945

Page 136: Mémoire de Recherche

136

Photographie numéro 6 :

Sergent Norman Midgley (AFPU), survivantes épluchant des pommes de terre et préparant leur

repas à proximité de cadavres de détenus, Bergen-Belsen, 17 ou 18 avril 1945

Page 137: Mémoire de Recherche

137

Photographie numéro 7 :

Margaret Bourke-White, cadavres de détenus empilés dans une remorque,

Buchenwald, avril 1945

Page 138: Mémoire de Recherche

138

Photographie numéro 8 :

Sergent Harry Oakes (AFPU), le Dr. Klein au milieu des cadavres de détenus dans

une fosse commune à Bergen-Belsen, entre le 21 et 24 avril 1945.

Page 139: Mémoire de Recherche

139

MEMOIRE DE RECHERCHE

Photographie, Mémoire Collective, Réel

Sexe :

Age :

Profession :

Photographie numéro 1

Que voyez-vous sur cette image ?

A quoi cela vous fait-il penser ?

Page 140: Mémoire de Recherche

140

Photographie numéro 2

Que voyez-vous sur cette image ?

A quoi cela vous fait-il penser ?

Page 141: Mémoire de Recherche

141

Photographie numéro 3

Que voyez-vous sur cette image ?

A quoi cela vous fait-il penser ?

Page 142: Mémoire de Recherche

142

Bibliographie

- AMAR Pierre-Jean, Histoire de la Photographie, Presses Universitaires de France,

Que sais-je ?, Paris, 1999, 127 pages.

- BARTHES, Mythologies, Editions du Seuil, Point Essais, Paris, 1957, 233 pages.

- BARTHES, La chambre claire: note sur la photographie, Gallimard, Cahier du

Cinéma Gallimard, Mayenne, 1980, 192 pages.

- BAZIN André, Qu’est ce que le cinéma ?, Cerf, 7ème art, Paris, 1976, 372 pages.

- BERGSON Henri, Matière et Mémoire : Essai sur la relation du corps à l’esprit,

presses universitaires de France, Quadrige Grands Textes, Paris, 2008, 521

pages.

- BOURDIEU Pierre (dir.), Un art moyen : essais sur les usages sociaux de la

photographie, Les Editions de Minuit 2ème édition, Paris, 1978,360 pages.

- CHEROUX Clément (dir.), Mémoire des camps : photographies des camps de

concentration et d’extermination nazis, Paris, Marval, 2001, 246 pages.

- COMET Georges, LEJEUNE Antoine, MAURY-ROUAN Claire (dir.), Mémoire

individuelle, mémoire collective et histoire, Solal, Marseille, 2008, 216 pages.

- DORE-MAZARS Karine, GYSELINCK Valérie, NICOLAS Serge, VERGELINO-

PEREZ Dorine, Introduction à la psychologie cognitive, In press, Paris, 2007, 200

pages.

- DUBOIS Philippe, L’acte photographique, Parvis, Nathan, Paris, 1990, 301 pages.

- DURKEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses universitaires de

France, 5ème édition, Quadrige, Paris, 2003, 647 pages.

- FREUND Gisèle, Photographie et Société, Editions du Seuil, Paris, 1974, 220

pages.

- GARRIGUES Emmanuel, L’écriture photographique : Essai de sociologie visuelle,

l’Harmattan, Champs visuels, Paris, 2000, 236 pages.

Page 143: Mémoire de Recherche

143

- GERVAIS Thierry, MOREL Gaëlle, La photographie : Histoire, Techniques, Art,

Presse, Larousse, Paris, 2008, 239 pages.

- GRYNBERG Anne, La Shoah : L’impossible oubli, Découvertes Gallimard Histoire,

Paris, 1995, 175 pages.

- HALBWACHS, Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, Paris, 1994, 374

pages.

- HALBWACHS, La mémoire collective, Albin Michel, Paris, 1997, 295 pages.

- JODELET Denise, Les représentations sociales, Presses Universitaires de

France, Sociologie d’aujourd’hui, 2003, 447 pages.

- JOLY Martine, Introduction à l’analyse de l’image, Armand Colin 2ème édition, 128,

2009, 123 pages.

- LAURENS Stéphane, ROUSSIAU Nicolas (dir.), La mémoire sociale : Identité et

représentations sociales, Presses Universitaires, Rennes, 2002, 307 pages.

- LE GOFF Hervé, La photographie, Cercle d’Art, Découvrons l’art, Paris, 2003, 64

pages.

- LERIBAULT Christophe et al., Delacroix et la Photographie, Le Passage, 2008,

157 pages.

- LESOURD Jean Alain, GERARD Claude, Histoire économique, XIXè XXè siècle,

Armand Collin, Paris, 1963, 664 pages.

- LEVI Primo, Si c’est un homme

- LEVI STRAUSS Claude, Tristes tropiques, Pocket, Terre Humaine, Paris, 2001,

513 pages.

- MICHEL Jean-Luc, Le mémoire de recherche en Information-Communication,

Ellipses 2ème édition, Paris, 2006, 157 pages.

- MOHOLY-NAGY Laszlo, Peinture Photographie Film et autres écrits sur la

Photographie, Gallimard, Folio Essais, Paris, 1950, 317 pages.

- MOSCOVICI Serge, Psychologie sociale, Presses Universitaires de France,

Quadrige Manuels, 2003, 640 pages.

Page 144: Mémoire de Recherche

144

- NORA Pierre, Les lieux de mémoire, tome 1, Gallimard, Quarto, Paris, 1997, 1642

pages.

- RICOEUR Paul, La mémoire, l’Histoire l’Oubli, Seuil, Points Essais, Paris, 2003,

736 pages.

- ROCHE Denis, La photographie est interminable, Seuil, Fiction & Cie, 2007, 117

pages.

- ROSENFIELD Israël, L’invention de la mémoire, Flammarion, Champs, Paris,

1994, 318 pages.

- SONTAG Susan, Sur la photographie, Christian Bourgois Editeur, Titre, 1983, 280

pages.

- SOULAGES François, Photographie et inconscient, Osiris, Paris, 1986, 187

pages.

- TAINE Hippolyte, Philosophie de l’Art, Hermann, édition revue et argumentée,

Savoir : Art, Paris, 2009, 180 pages.

- THELOT Jérôme, Critique de la raison photographique, Les belles lettres, Paris,

2009, 125 pages.

- TZVETAN Todorov, Les Abus de la mémoire, Arléa, Paris, 2004, 61 pages.

- VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, Gallimard, Paris, 1994, 545 pages.

- W.MATLIN Margaret, traduit par BROSSARD Alain, La cognition : une introduction

à la psychologie cognitive, De Boeck, Paris, 2001, 786 pages.

Page 145: Mémoire de Recherche

145

Sites :

1 ROBERT Paul, Le nouveau petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la

langue française, version électronique, 2010.

Articles :

1 GANDOLFO Jean Paul, « Histoire des procédés photographiques », in Encyclopaedia

Universalis, 2008, 11 pages.

1 LE GOFF Hervé, LEMAGNY Jean-Claude, « Un art Multiple », in Universalis, 20 pages.

1 BASTIDE Roger, « Mémoire collective et sociologie du bricolage », in L’année

sociologique, n° 21, 1970, pp. 65-108.

1 ROUSSO Henry, " Réflexions sur l'émergence de la notion de mémoire", in Histoire et

mémoire, CRDP de Grenoble, 1998.

Page 146: Mémoire de Recherche

146

TABLE DES MATIERES

Table des matières ........................................................................................................................ 114

REMERCIEMENTS….Erreur ! Signet non défini.

SOMMAIRE Erreur ! Signet non défini.

INTRODUCTION Erreur ! Signet non défini.

Probématique Erreur ! Signet non défini.

Hypothèses Erreur ! Signet non défini.

Plan Erreur ! Signet non défini.

Méthodologie, Corpus, et terrain Erreur ! Signet non défini.

I. LA PHOTOGRAPHIE, ENTRE HISTOIRE, REEL ET ART Erreur ! Signet non défini.

1. Des origines lointaines Erreur ! Signet non défini.

2. Un miroir du réel Erreur ! Signet non défini.

3. Un rapport particulier avec l’art Erreur ! Signet non défini.

II. LA MEMOIRE, UNE PENSEE COLLECTIVE Erreur ! Signet non défini.

1. La mémoire collective, une notion abstraite Erreur ! Signet non défini.

2. La mémoire collective à travers la seconde guerre mondiale. Erreur ! Signet non défini.

3. La photographie, un outil au service de la mémoire Erreur ! Signet non défini.

III. ANALYSES PERSONNELLES Erreur ! Signet non défini.

1. Analyse sémiologique d’images de la seconde guerre mondiale… Erreur ! Signet

non défini.

2. Légendes et contextes, des pièces à conviction Erreur ! Signet non défini.

3. Critique de la photographie comme représentative du réel Erreur ! Signet non défini.

CONCLUSION Erreur ! Signet non défini.

ANNEXES Erreur ! Signet non défini.

TABLE DES ANNEXES Erreur ! Signet non défini.

BIBLIOGRAPHIE Erreur ! Signet non défini.

TABLE DES MATIERES Erreur ! Signet non défini.

Page 147: Mémoire de Recherche

147