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L e déclin des conditions de l' env i- ronnement est de nos jours un su- jet d'intérêt multinational. Les pluies acides des climats tempérés et les destructions forestières qui leur sont as- sociées ainsi que la désertification sous les climats arides et semi-arides, sont des exemples frappants de la décadence en- vironnementale (Paskoff, 1985; Ministè- re de l'environnement, 1993). En plus, à l'échelle du globe, des cours et des re- tenues d'eau s' épuisent et se polluent, tout comme plusieurs ensembles aqua- tiques, allant de petits lacs jusqu' aux mers importantes telle la Méditerranée. Le taux du gaz carbonique de l'air aug- mente , la couche d'ozone se détruit, les ressources en sol s' érodent etc .. . L'expansion des espaces urbains peut fa- cilement être démontrée en relation avec la disponibilité de bons sols, d' eaux en qualité et en quantité suffisantes, de ter- res de parcours , d'existence de riches- ses marines, de forêts, de ressources énergétiques, etc ... Mais l'accroissement démographique et l'expansion urbaine et industrielle qui lui est liée ont, tou- jours, engendré des taux croissants d'uti- lisation des ressources naturelles. Ces dernières , étant le plus souvent non re- nouvelables, se détruisent (sol, forêt, ... ), s'épuisent (ressources énergétiques, .. .) , se polluent et s' épuisent (eau , air, ... ), etc .. . Ces ressources naturelles, ou plus exactement ce qu'il en reste, souvent de qualité inférieure, se sont avérés, à dif- férents épisodes de l'histoire, incapables d'assurer la durabilité de l' accroissement démographique et du développement urbain (Troeh et al., 1991). A la fin du siècle dernier (1870), la po- pulation tunisienne, essentiellement rura- le (plus de 90%) , ne comptait que 1.5 million d'habitants (Rouissi, 1983). A cet- te époque, le nomadisme pastoral pré do- monait dans les zones arides et semi-ari- des de l'intérieur, qui constituent la plus grande partie du pays. De ce fait, l'ex- ploitation des ressources naturelles du milieu rural était très extensive et donc conservatrice du patrimoine eau et sols. C ' ) Ecol e Supérieure d'Agriculture de Mograne. 28 MEDIT 1/ 96 DEGRADATION PHYSICO-CHIMIQUE DES SOLS COMME MANIFESTATION DES PROCESSUS OPERANT A L'INTERFACE «MILIEU NATUREL POPULATION» T ALGUI - 1. CHEZAL (*) 1 Abstract The increasing impacts of explosive demographic pressure upon natural ressources substantiaUy contributes to upset the environmental equilibria. This is rather true where climatic conditions are more precarious. Thus, land desertification gains both in intensification and surface areas under arid and semi·arid climates. The desertification process, due to its substrata and essence, draw the attention of workers from different areas of specialization for the purpose of understanding and combating it. Nevertheless, research results still do not match the damages being caused. The misconception of the desertification process, as only advancing according to delineable fronts, should account for a part of the miscount. In fact, desertification should be regarded in terms of modern strategies as parachuting where solIs are vulnerable even far beyond the desertic delineation. In this context, the present paper qualifies itself as an analytical and methodological approach for studing desertification in terms of deterioration of soil bio·physico·chemical properties and predisposition to erosive factors due to human misuse. The necessity of understanding the desertification trend implies the reconstitution of its origins. Our démarche should find its reason, as we do beleave, in a deep comprehension of the 'Soil·Man' interface and the identification of indicators at this interface. Owing to its nature, the soil is a kind of synthesis of the natural environnment. Man is considered in terms of impacts of social dynamics and behavior linked to the misuse of natural ressources. Thus, it is easily perceived that soil constitutes one of the best indicators at the 'Environment·Population' interface. Consequently, studing the dynamics of biological, chemical and mechanical degradation of soils due to human impacts should be able to throw enough light on the .Environment·Population. interfàce. 1 Résumé L'impact croissant de la pression démographique explosive sur le milieu naturel contribue d'une fa· çon substantielle à la précarité de l'équilibre environnemental Ceci se manifeste davantage les conditions climatiques sont plus difficiles. C'est ainsi que sous les climats arides et semi·arides, la dé- sertification des terres s'amplifie et s'intensifie. Le processus de désertification, de part son substrat et son essence complexes, attire l'attention d'une multitude de disciplines et de spécialités pour le com· prendre et le combattre. Malgré les efforts déployés, les acquis de la recherche dans la matière sont encore loin de pouvoir faire face à ce fléau. Une partie du mécompte provient de l'idée que certains maintiennent encore sur la désertification comme ne gagnant de nouveaux territoires qu'en avançant selon des fronts délinéables. En réalité, ce processus doit être analysé en termes de stratégies moder· nes comme parachutant le sol est vulnérable, parfois même très loin des zones désertiques pro· prement dites. Dans ce contexte, le présent travail se qualifie comme une approche analytique et de méthodologie d'étude du processus de désertification en termes d'altération des propriétés bio·physico·chimiques des sols par l'Homme, et leur prédisposition à l'érosion. La nécessité de projection du processus dans le futur exige une sorte de reconstitution de ses origines. Cette démarche trouve sa raison, nous le croyons, dans la compréhension de l'interface 'Sol·Homme' et la définition d'indicateurs au niveau de cette interface, Le de part sa nature, intégre l'essentiel du milieu naturel Quant à l'Homme, il est considéré dans le sens de la dynamique et du comportement social en termes d'impacts liés à l'utilisa· tion des ressources naturelles. Donc, l'étude de la dynamique des dégradations biologique, chimique et mécanique du dues aux actions anthropiques, doit pouvoir jeter suffisamment de lumière sur l'interface «Milieu naturel·Populatiow,. L'expansion démographique s'est tradui- te par une augmentation de la popula- tion qui est passée de 1.5 million à 8.5 millions d'habitants en l'espace d'un siè- cle ONS, 1994). En fait, la population tu- nisienne actuelle dépasse 8.5 millions. Cet énorme accroissement de la popu- lation et la pression démographique sur le milieu naturel rural qui en résulte a engendré un état de déséquilibre total de ce milieu. En effet, depuis le début du siècle jusqu'à présent, plus de deux millions d' hectares de steppes ont été défrichés et mis en cultures. Cet état de déséquilibre , concrêtement matérialisé par des situations de déforestation , de surpâturage, d' urbanisation , etc .. ., se tra- duit par l'inévitable processus d'érosion et donc de dégradation et de désertifi- cation des sols. Ces processus ont effec- tivement transformé et transforment en- core, souvent d' une façon irréversible, d' importantes superficies agricoles en terrains incultes. Problématique Parmi les phénomènes destructeurs de l'environnement mentionnés dans la sec- tion précédente, l' érosion et la désertifi- cation qui en résulte constituent des pro- cessus des plus pertinents qui affectent les sols sous les climats arides et se- mi-arides. L' idée que certains maintien- nent sur la désertification comme avan- çant selon un front 'délinéable ' doit être

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Le déclin des conditions de l'envi­ronnement est de nos jours un su­jet d'intérêt multinational. Les

pluies acides des climats tempérés et les destructions forestières qui leur sont as­sociées ainsi que la désertification sous les climats arides et semi-arides, sont des exemples frappants de la décadence en­vironnementale (Paskoff, 1985; Ministè­re de l'environnement, 1993). En plus, à l'échelle du globe, des cours et des re­tenues d'eau s'épuisent et se polluent, tout comme plusieurs ensembles aqua­tiques, allant de petits lacs jusqu'aux mers importantes telle la Méditerranée. Le taux du gaz carbonique de l'air aug­mente, la couche d'ozone se détruit, les ressources en sol s'érodent etc .. . L'expansion des espaces urbains peut fa­cilement être démontrée en relation avec la disponibilité de bons sols, d 'eaux en qualité et en quantité suffisantes, de ter­res de parcours , d'existence de riches­ses marines, de forêts, de ressources énergétiques, etc ... Mais l'accroissement démographique et l'expansion urbaine et industrielle qui lui est liée ont, tou­jours, engendré des taux croissants d 'uti­lisation des ressources naturelles . Ces dernières , étant le plus souvent non re-nouvelables, se détruisent (sol , forêt , ... ) , s'épuisent (ressources énergétiques, .. . ) , se polluent et s'épuisent (eau , air, ... ), etc .. . Ces ressources naturelles, ou plus exactement ce qu'il en reste, souvent de qualité inférieure, se sont avérés, à dif­férents épisodes de l'histoire, incapables d 'assurer la durabilité de l'accroissement démographique et du développement urbain (Troeh et al., 1991). A la fin du siècle dernier (1870), la po­pulation tunisienne, essentiellement rura­le (plus de 90%), ne comptait que 1.5 million d'habitants (Rouissi, 1983). A cet­te époque, le nomadisme pastoral pré do­monait dans les zones arides et semi-ari­des de l'intérieur, qui constituent la plus grande partie du pays. De ce fait, l'ex­ploitation des ressources naturelles du milieu rural était très extensive et donc conservatrice du patrimoine eau et sols.

C' ) Ecole Supérieure d'Agriculture de Mograne.

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MEDIT N° 1/ 96

DEGRADATION PHYSICO-CHIMIQUE DES SOLS COMME MANIFESTATION DES PROCESSUS OPERANT A L'INTERFACE «MILIEU NATUREL POPULATION» T ALGUI - 1. CHEZAL (*)

1 Abstract

The increasing impacts of explosive demographic pressure upon natural ressources substantiaUy contributes to upset the environmental equilibria. This is rather true where climatic conditions are more precarious. Thus, land desertification gains both in intensification and surface areas under arid and semi·arid climates. The desertification process, due to its substrata and essence, draw the attention of workers from different areas of specialization for the purpose of understanding and combating it. Nevertheless, research results still do not match the damages being caused. The misconception of the desertification process, as only advancing according to delineable fronts, should account for a part of the miscount. In fact, desertification should be regarded in terms of modern strategies as parachuting where solIs are vulnerable even far beyond the desertic delineation. In this context, the present paper qualifies itself as an analytical and methodological approach for studing desertification in terms of deterioration of soil bio·physico·chemical properties and predisposition to erosive factors due to human misuse. The necessity of understanding the desertification trend implies the reconstitution of its origins. Our démarche should find its reason, as we do beleave, in a deep comprehension of the 'Soil·Man' interface and the identification of indicators at this interface. Owing to its nature, the soil is a kind of synthesis of the natural environnment. Man is considered in terms of impacts of social dynamics and behavior linked to the misuse of natural ressources. Thus, it is easily perceived that soil constitutes one of the best indicators at the 'Environment·Population' interface. Consequently, studing the dynamics of biological, chemical and mechanical degradation of soils due to human impacts should be able to throw enough light on the .Environment·Population. interfàce.

1 Résumé

L'impact croissant de la pression démographique explosive sur le milieu naturel contribue d 'une fa· çon substantielle à la précarité de l'équilibre environnemental Ceci se manifeste davantage là où les conditions climatiques sont plus difficiles. C'est ainsi que sous les climats arides et semi·arides, la dé­sertification des terres s 'amplifie et s 'intensifie. Le processus de désertification, de part son substrat et son essence complexes, attire l'attention d'une multitude de disciplines et de spécialités pour le com· prendre et le combattre. Malgré les efforts déployés, les acquis de la recherche dans la matière sont encore loin de pouvoir faire face à ce fléau. Une partie du mécompte provient de l'idée que certains maintiennent encore sur la désertification comme ne gagnant de nouveaux territoires qu'en avançant selon des fronts délinéables. En réalité, ce processus doit être analysé en termes de stratégies moder· nes comme parachutant là où le sol est vulnérable, parfois même très loin des zones désertiques pro· prement dites. Dans ce contexte, le présent travail se qualifie comme une approche analytique et de méthodologie d'étude du processus de désertification en termes d'altération des propriétés bio·physico·chimiques des sols par l'Homme, et leur prédisposition à l'érosion. La nécessité de projection du processus dans le futur exige une sorte de reconstitution de ses origines. Cette démarche trouve sa raison, nous le croyons, dans la compréhension de l'interface 'Sol·Homme' et la définition d'indicateurs au niveau de cette interface, Le so~ de part sa nature, intégre l'essentiel du milieu naturel Quant à l'Homme, il est considéré dans le sens de la dynamique et du comportement social en termes d'impacts liés à l'utilisa· tion des ressources naturelles. Donc, l'étude de la dynamique des dégradations biologique, chimique et mécanique du so~ dues aux actions anthropiques, doit pouvoir jeter suffisamment de lumière sur l'interface «Milieu naturel·Populatiow,.

L'expansion démographique s'est tradui­te par une augmentation de la popula­tion qui est passée de 1.5 million à 8.5 millions d 'habitants en l'espace d'un siè­cle ONS, 1994). En fait , la population tu­nisienne actuelle dépasse 8.5 millions. Cet énorme accroissement de la popu­lation et la pression démographique sur le milieu naturel rural qui en résulte a engendré un état de déséquilibre total de ce milieu. En effet, depuis le début du siècle jusqu'à présent, plus de deux millions d 'hectares de steppes ont été défrichés et mis en cultures. Cet état de déséquilibre , concrêtement matérialisé par des situations de déforestation, de surpâturage, d 'urbanisation, etc .. . , se tra­duit par l'inévitable processus d 'érosion

et donc de dégradation et de désertifi­cation des sols. Ces processus ont effec­tivement transformé et transforment en­core, souvent d 'une façon irréversible, d 'importantes superficies agricoles en terrains incultes.

Problématique Parmi les phénomènes destructeurs de l'environnement mentionnés dans la sec­tion précédente, l'érosion et la désertifi­cation qui en résulte constituent des pro­cessus des plus pertinents qui affectent les sols sous les climats arides et se­mi-arides. L'idée que certains maintien­nent sur la désertification comme avan­çant selon un front 'délinéable' doit être

amendée par le fait que ce processus, en termes de stratégies modernes , para­chute là où le sol est vulnérable , parfois même très loin des zones désertiques proprement dites. Ceci étant, la déserti­fication doit être analysée en termes des facteurs qui sont à son origine. L'alcali­sation et/ou la salinisation, la déforesta­tion, l'emprise de l'urbanisation, l'impact de l'industrialisation et de la machinerie lourde qui lui est associée, le surpâtura­ge des sols, etc. .. , sont tous des facteurs de dégradation physico-chimique des sols activant l'érosion éolienne et hydri­que et donc initiateurs et accélérateurs des processus de désertification. L'érosion active, essentiellement anthro­pique, hydrique et/ ou éolie nne, est l'agent le plus destructeur des sols. Le déséquilibre entre les ressources en bio­masse et leur utilisation massive, sous les effets souvent conjugués des facteurs de désertification déjà mentionnés, est flagrant. Ce déséquilibre est associé aux ressources limitées en eau et aux besoins croissants en termes de nutrition humai­ne et animale, en textile~ naturels , en bois et charbon comme sources énergé­tiques, etc ... De ce fait, l'érosion hydri­que active dévaste aussi bien intensive­ment qu'extensivement d'importantes superficies agricoles . Ainsi, e lle ouvre continuellement de nouvelles zones à la désertification même trés loin au delà du front désertique en avance continue. Dans ce contexte, il faut signaler que l'évolution des ressources naturelles connait souvent des hauts et des bas au cours du temps et en fonction des civi­lisations. A titre d 'exemple, dans la ré­gion de Sidi Ali Ben Aoun (Hautes Step­pes Tunisiennes), les potentialités des terres sont passées par une phase d'ap­pauvrissement à la fin de l'époque ro­maine; un retour à un nouvel équilibre , dans un environnement appauvri, au dé­but de l'époque contemporaine; et e n­fin, un bouleversement de cet équilibre à la fin du XIX ème siècle lié à la sé­dentarisation et l'accroissement de la po­pulation, le développement de la machi­nerie agricole et l'économie de marché (Paskoff, 1985). Sous les climats encore plus arides, l'éro­sion éolienne est certainement le facteur le plus déterminant dans la dégradation des sols. Ceci est, bien sûr, lié à l'absen­ce ou tout au plus à l'existence de cou­verts végétaux très dégradés et clairsemés. Tout comme l'érosion hydrique, l'é rosion éolienne provoque le détachement des particules de sol et leur transport sur dif­férentes distances. Au cours de ce trans­port, ou là où elles se déposent, ces par-

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ticules endommagent d'autres sols ainsi que les végétaux et infrastructures qu 'ils portent. Ainsi, les conditions de vie hu­maine s'en trouvent affectées . Les sols érodés ou entrain de l'être né­cessitent des mesures protectrices. Cer­taines techniques de conservation et de protection des eaux et des sols existent déjà. Il devient donc impératif de pro­céder à l'application de telles techniques moyennant les modifications que cela nécessite et/ ou développer des techni­ques appropriées. Toutefois , il faut no­ter qu 'une fois l'action dégradante arrê­tée, le sol atteindra un nouvel état d 'équilibre reflétant des potentialités in­férieures à celles qu 'il possédait avant qu'il ne soit dégradé: d'où la nécessité d 'opérations de restauration. Ainsi se dessine l'axe primaire d 'interre­lation population-environnement en mi­lieu rural tunisien avec ses composantes sociales et environnementales et leur in­terface (Auclair et al. , 1994 a). La com­plexité dans l'orientation, la dimension et l'échelle de cette interface, constitue autant d 'axes secondaires que la présen­te approche tente d 'analyser en vue de les étudier pour contribuer à leur réso­lution. Bien que la composante sociale proprement-dite soit un volet à part, des manifestations sociales telles que la di­versification et l'intensification des sys­tèmes de production (Kasseb, 1981 in Auclair et al. , 1994 b) , l'intégration crois­sante du secteur agricole à l'économie marchande (Sethom, 1992), la sédenta­risation des populations nomades (Attia, 1984 in Auclair et a l. , 1994 b), la priva­tisation des terres de parcours et la dis­solution des liens tribaux, constituent

des caractéristiques sociales dont les im­pacts sur l'interface population-environ­nement sont des plus importants. De tel­les caractéristiques ne doivent donc pas être négligées. La Tunisie a, depuis l'indépendence, en­gagé une politique active de développe­ment agricole dont le maillon relative­ment faible, surtout au départ, résidait dans la passivité des populations concer­nées. Ainsi, l'imposition de solutions techniques ne tenant pas compte de l'hé­ritage des populations paysanes en ma­tière de gestion du milieu naturel rural a fait que les efforts déployés n 'équili­braient souvent pas les résultats obtenus (El Amami et al., 1984). L'évidence de ce constat a fait qu 'au niveau des cen­tres de décision, on fait aujourd 'hui ap­pel à la participation active des popula­tions locales pour la gestion concertée des ressources naturelles dans le cadre général d'un développement du pays que l'on veut être soutenable et durable. Ainsi se justifie l'étude et l'analyse de la dégradation des sols. Celle-ci , étant in­timement liée aux processus d 'érosion, engendre la desertification de certaines zones agro-sylvo-pastorales et l'exten­sion des espaces désertiques. De part sa nature, le sol, ce milieu vivant aux pro­priétés biologiques, chimiques et physi­ques spécifiques , peut avoir l'un et/ ou l'autre de ces proprietés se dégrader. Les agents essentiels de l'érosion des sols sont des facteurs climatiques, accélérés et déchaînés par une intervention biolo­gique de nature particulière elle aussi , puisqu 'elle est au premier chef une ac­tion humaine (Poncet, 1965). L'étude de la dynamique et cinétique des proporie­tés physiques, chimiques et/ ou biologi­ques des sols sous les différents impacts de la population doit donc s'avérer être un outil efficace de compréhension et de quantification de leur dégradation et donc de leur érosion et désertification. Poncet (965) pense que l'existence des sols implique de profonds changements dans la nature et la progression de l'éro­sion. L'illusion réside , en réalité, dans le fait qu 'il semble, la plupart du temps, que l'existence de couverts végétaux et, par conséquent, de sols vivants refrène l'action des agents atmosphériques, met­tant ainsi l'érosion «en sommeil«. En ef­fet , les sols et les végétaux qu 'ils por­tent résultent eux-mêmes de l'altération superficielle des roches-mères: la ques­tion qui se pose, alors, est qu 'e lle diffé­rence y'a-t-il entre érosion des sols et al­tération des roches? Les éléments de ré­ponse doivent plausiblement émaner de la dynamique même des processus en

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question, de leur perception par l'Hom­me et de l'idée même que ce dernier fait de son existence. Dans ce contexte, les observations humaines du déroulement des processus naturels ne sont-elles pas un peu trop courtes? Une étude physi­que comparative d'un vertisol et d'un sol brun vertique sous maquis dégradé dans les Mogods (Nord tunisien) , a montré que malgré son niveau pédogénique plus avancé, le sol brun vertique parait être moins stable que le vertisol. Son évolution à un temps donné est, donc , bien une dégradation dont l'aboutisse­ment est la formation du vertisol dü à la régression du couvert végétal et l'appau­vrissement conséquent en matières or­ganiques (Aloui, 1974). Cette approche d'étude , qui vise donc à jeter le maximum de lumière sur les im­pacts de l'action humaine dégradante sur le sol dans le sens pédogénique du ter­me, est en soi une composante princi­pale de l'interface 'Milieu physique­Population'. L'action anthropique peut se manifester à différents niveaux: défri­chement du couvert végétal en vue de la mise en culture et du prélèvement de bois à des fins domestiques; utilisation inadéquate des sols en termes de spé­culations agricoles inappropriées, prépa­ration et entretien; accroissement du cheptel vivant associé à l'amputation des parcours; utilisation d 'eaux chargées en sels dans des conditions de mauvais drainage (Akrimi, 1993). L'analyse dé­taillée de la nature de ces impacts résul­tants d'actions directes ou indirectes de l'Homme sur le sol, moyennant des tra­ceurs biologiques, chimiques et/ ou phy­siques, permettra la compréhension de la dite interface, la visualisation de la tra­jectoire de son évolution et par consé­quent la définition et la quantification des moyens qui permettront sa modifi­cation dans le sens conservateur et res­taurateur du sol en particulier et du mi­lieu physique en général.

Objectifs

Telle qu 'elle est posée, la problématique du sujet doit permettre de se fixer des objectifs réalisables. Selon les moyens disponibles , ou dont on peut disposer sans contraintes majeures, et compte-te­nu des proprietés intrinsèques du sol, les objectifs de l'approche doivent, dans une première phase, permettre l'élucida­tion de la dégradation physique et chi­mique des sols. La compréhension de la dégradation biologique et biochimique de ces derniers doit constituer une au-

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tre étape d 'étude de l'interface 'Milieu naturel-Population'. Parmi les objectifs du volet concernant la dégradation phy­sique des sols, l'étude doit viser: - La quantification des impacts dégra­dants des processus de surpâturage et de surexploitation des sols, de défores­tation, d 'urbanisation , etc ... , en termes de détérioration des propriétés mécani­ques et hydriques des sols; - la détermination des liens entre l'im­portance de ces impacts mécaniques dé­sertifiants et le mode d 'exploitation des sols au cours du temps; - l'élaboration et le test de moyens et procédés de lutte préventive et curative contre la dégradation physique du sol en tant que milieu dynamique quadridi­mensionnel, spatial et temporel ; - l'évaluation et l'optimisation économi­ques des états d'érosion effective ou po­tentielle ainsi que des actions anti-éro­sives appliquées ou proposées dans des contextes sociaux spécifiques. Quant aux objectifs concernant la dégra­dation chimique des sols, l'étude se pro­pose d 'aboutir à: - l'identification et la quantification de ce type de dégradation; - la détermination des relations entre la nature et l'importance de la dégradation chimique des sols et leur mode d 'utili­sation sous des pressions sociales varia­bles dans le temps et dans l'espace; - l'élaboration de moyens et procédés de prévention et de restauration des sols affectés chimiquement, qui tiennent en compte les aspects ayant trait à l'évolu­tion sociale; - l'évaluation et l'optimisation économi­ques de l'état de dégradation chimique des sols et des moyens préventifs et cu­ratifs proposés dans l'optique d'une pression démographique variable mais essentiellement croissante.

Méthodes d'étude

A la lumière de ce qui précède, l'étude de la dégradation physico-chimique des sols en vue de comprendre et identifier les liens qu 'elle a avec les problèmes d 'érosion et de désertification, doit se baser sur une méthodologie et des pro­cédures permettant de réaliser les objec­tifs visés. Pour cela: une prospection de terrains; une définition suivie de tests d 'indicateurs appropriés de l'interface '­Sol-Population'; une étude de la dyna­mique et cinétique de la dégradation des sols; suivies d'études multi-factorielles des interrelations du sol avec son milieu , doivent constituer les différentes étapes

des méthodes et procédures d 'étude. Ces étapes sont résumées comme suit: - La prospection et la délimition des principales zones effectivement ou po­tentiellement marquées par ces proces­sus dans l'inter-isohyète 200-500 mm doivent constituer la première phase de l'étude. Ce travail doit concerner les ré­gions où le surpâturage et la surexploi­tation des sols, la déforestation, l'urba­nisation, ainsi que l'alcalisation, la sali­nisation et l'hydromorphie, etc .. . , ont eu des effets dégradants notables des sols. - Des indicateurs , au niveau des inter­faces de chacun de ces facteurs de dé­gradation avec le sol ou les sols concer­nés, doivent être identifiés et testés. Ces indicateurs doivent permettre de retra­cer les effets dégradants au cours du temps des facteurs de dégradation, sé­parés ou ensembles. Chaque indicateur doit donc , par nature , pouvoir réfléter et la dynamique et la cinétique des 'acteurs' (manifestations humaines dégradantes) et de la 'seine d 'action' (milieu physique en général et sol en particulier). Les in­dicateurs peuvent être de nature biolo­gique (faune, flore , microorganismes etc ... ), chimique (humus, isotopes, mo­lécules organiques ... ) ou mécanique (granules solides ... ). Un indicateur peut, au lieu d 'une substance, être une mani­festation d 'une telle substance. L'indica­teur peut être soumis à l'expérimenta­tion , être étudié là où il se manifeste, ou être approché par les techniques de mo­délisation et de simulation. - Un autre volet méthodologique doit concener l'étude de la dynamique des processus de dégradation physique et chimique (et biologique dans une pha­se ultérieure) des sols dans différents si­tes de la zone considérée. L'identifica­tion des états d 'érosion et leur agence­ment avec les composantes des facteurs sociaux complète cette démarche. Cela nécessite l'élaboration d 'échelles de clas­sification se rapportant aux milieux so­cial et naturel. Etant donnée la nature de l'approche, et tenant compte du fait que le sol intègre les principaux autres facteurs du milieu naturel , la systématique des sols, appli­quée à l'échelle du bassin versant, peut, avantageusement, être prise comme échelle de classification de ce milieu na­turel. Pour ce qui est du milieu social , la majorité de la zone considérée était anciennement peuplée par des tribus. Donc, la composante population serait à analyser dans le sens de l'anthropolo­gie sociale , en considérant les noms des tribus et de leurs ramifications jusqu'au niveau familial. De ce fait, il ne serait

pas trop érroné de considérer que le peuplement originel de la zone aurait été fait sur la base d 'une tribu par un ou plusieurs bassins versants. Par consé­quent et selon leur importance, les bran­ches formant une tribu donnée auraient également peuplé des bassins et des sous-bassins versants. Ainsi, les interfa­ces 'Milieu naturel-Population' peuvent être définies comme étant les impacts de la population à des niveaux donnés de son échelle sur le sol à des niveaux taxo­nomiques également donnés. Pour ce qui est de la population, les pas extrèmes de l'échelle seraient la famille au niveau in­férieur et la tribu au niveau supérieur. Quant au sol , le niveau inférieur de l'échelle serait la phase, par exemple, et le niveau supérieur serait la classe ou l'ordre selon la taxonomie adoptée. - Enfin, la conduite d 'études multi-facto­rielles , dans les différents sites choisis , doit compléter la méthodologie adoptée. La densité de population, la situation so­ciale de l'exploitant, le type d 'exploita­tion , le type de sol , l'état et le type de dégradation du sol et du couvert végé­tal , les espèces végétales et animales , la densité animale par unité de surface, etc ... , constituent des facteurs dont cer-

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tains seraient à coroller les uns avec les autres.

Conclusion La genèse des sols résulte de l'altération bio-physico-chimique, au cours du temps , des roches et autres matériaux sous les effets conjugués des facteurs cli­matiques et biologiques dans des sites géomorphologiques différents. De part sa nature, ce milieu vivant qu 'est le sol , intègre cinq facteurs du milieu naturel (roche-mère, climat, végétation, relief et temps) qui tous sont susceptibles de gar­der les empreintes de l'action humaine. En cette qualité, le sol constitue, donc, l'un des meilleurs indicateurs au niveau de l'interface "Milieu naturel Population". Les interrelations du sol avec ses facteurs de formation, ensem­bles ou séparés, ainsi qu 'avec l'Homme, constituent autant d'autres indicateurs au niveau de la dite interface. Pour toutes ces raisons, l'étude de la dy­namique des dégradations biologique, chimique et mécanique des sols dues aux actions anthropiques , doit pouvoir jeter suffisamment de lumière sur l'inter­face "Milieu naturel-Population". •

Références bibliographiques

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