medievales - num 27 - automne 1994
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8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
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T^vT
T7
langue
Ž
III
K
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VALES
■ *
Ml
JLmJ
histoire
¡
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Ml
JLmJ
histoire
*ÇÁ
N°
27
-
AUTOMNE
1994
A
DU BON
USAGE
^
DE LA
SOUFFRANCE
^
f
duCentre
evue
National
ubliée
des
vec
Lettres
econcours
etduC.N.R.S.
^
JA1/JtuCentre ationalesLettrestduC.N.R.S. JA1/Jt
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 2/163
MÉDIÉVALES
LangueTextes Histoire
NUMÉROS PARUS
1
Mass-media t
Moyen Age.
1982).
Épuisé
2
Gautier
de Coinci
le
texte
du
Miracle.
1982).
Épuisé
3
Trajectoire
du
sens.
1983)
4
Ordres
t
désordres.
tudes édiées
Jacques
e Goff.
1983).
Épuisé
5 Nourritures.1983). Épuisé
6 Au
pays
ď Arthur.
1984).
Épuisé
7
MoyenAge,
mode
d'emploi.
1984).
Épuisé
8
Le
souci du
corps.
1985).
Épuisé
9
Langues.
1985).
Épuisé
10
Moyen
Age
et histoire
politique.
Mots, modes,
symboles,
truc-
tures.
Avant-propos
e
GeorgesDuby.
1986).
Épuisé
11
A
l'école
de la lettre.
1986)
12
Tous
les chemins mènent à
Byzance.
Études dédiées
à Michel
Mollat.
1987)
13
Apprendre
e
Moyen Age
aujourd'hui.
Épuisé
14 La
culture
ur le marché.
1988)
15 Le premierMoyenAge. 1988)
16/17
lantes,
mets
t
mots
dialogues
vec
A.-G. Haudricourt.
1989)
18
Espaces
du
Moyen
Age.
1990)
19
Liens de famille.Vivre
et
choisir a
parenté.
1990)
20
Sagas
et
chroniques
u Nord.
1991)
21 L'an
mil
rythmes
t acteursd'une croissance.
1991)
22/23
Pour
l'image.
1992)
24 La renommée.
1993)
25
La
voix
et l'écriture.
1993)
26 Savoirs d'anciens.
1994)
©
PUV,
Saint-Denis,
1995
Couverture
: dessin
de
Michel Pastoureau
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
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MÉDIÉVALES
Revue semestrielle
ubliée par
les Presses Universitaires
de Vincennes-Paris
VIII
avec
le
concours
du Centre
National
des Lettres
et
du
CNRS
François
BEAUSSARD
'
'
~
^
ChristineLAPOSTOLLE
T
1^
Michel PASTOUREAU
-r-3 »llfft.
Danielle REGNIER-BOHLER
ļjttfļl VfB
•
-VgPfflfL
E
Bernard
ROSENBERGER
il
Simonne
ABRAHAM-THISSE
ŽĚrjr-,:
Geneviève BÜHRER-THIERRY
jSSf
ļļjĒ
Laurence MOULINIER
HKAHßN
.
•
•
Secrétariat
*
ííÍÚkBLí.
- J
. -
Lada HORD YNSK
Y
-CAILLAT
Les
manuscrits,
actylographiés
ux
normes
habituelles,
insi
que
les
ouvrages pour comptes
rendus,
doivent être
envoyés
à :
MÉDIÉVALES
Presses Universitaires de Vincennes
Université Paris
VIII
2,
rue de la
Liberté,
93526
Saint-Denis Cedex
02
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SOMMAIRE
N° 27 AUTOMNE 1994
DU BON USAGE
DE LA
SOUFFRANCE
Pour une histoire e
la
souffrance
expressions, eprésentations,
usages
Piroska ZOMBORY-NAGY et VéroniqueFRANDON
en collaboration avec David
EL KENZ
et Matthias
GRÄSSLIN 5
Rhétorique
e la
perte.L'exemple
de
la mort
d'Isabelle
de Bour-
bon
(1465)
Christian
KIENING 15
Souffrir n
musique
Martine CLOUZOT 25
Les larmes du Christ dans
l'exégèse
médiévale
Piroska ZOMBORY-NAGY
37
Le
sang
des
flagellants
Anne AUTISSIER
51
L'homme de douleur
protestant
u
temps
des
guerres
e
religion
David EL KENZ 59
La ville et le
corps.
La
perception
du
corps
blessé
à
Nurem-
berg
à la fin du XVe iècle
Valentin GROEBNER 67
ESSAIS ET RECHERCHES
L'imaginaire
de la
prostitution
t la société urbaine en Allema-
gne (xiii«-xvi«
iècles)
Beate SCHUSTER
75
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4
SOMMAIRE
De la cruautécomme principede gouvernement. es Princes
«
scélérats
de la Renaissance
italienneau miroirdu roman-
tisme
français
Patrick
BOUCHERON
95
Verges
et
disciplines
dans
l'iconographie
de
renseignement
Christiane
MATTKE
107
Abstracts
121
Notes
de lecture
125
SAVONAROLE,
Sermons,
crits
olitiques
et
pièces
du
procès (P.
BOUCHERON)
;
Éducation
apprentissages,
initiations
au
Moyen Âge
(D. LETT)
;
Neithard
BULST,
Die
französischen
eneralstände on
1468 und
1484,
Prosopographische
Untersuchungen
u
den Dele-
gierten
B.
CHEVALIER)
;
Carole
LAMBERT
(dir.),
Du
manuscrit la table
Essais sur la cuisine u
Moyen
Âge et répertoire es manuscritsmédiévauxcontenant
des recettes
culinaires
F.
S ABB
AN)
;
Jérôme
BAS-
CHET,
Les
justices
de l'au-delà. Les
représentations
e
l'enfer
en
France
et en Italie
(xiie-xve siècle)
(A.
ROGERET)
;
L'atelier du
médiéviste,
.
Identifier
sources
et citations
(B. LAURIOUX)
;
Dominique
BARTHÉLEMY,
La sociétédans le comtéde Vendôme
de l'an
mil au
xive
siècle
(M. AURELL)
;
Jean-Claude
SCHMITT,
Les revenants
Les
vivants
t les
morts ans
la société
médiévale
D.
LETT)
;
Jean
GOBI,
Dialogue
avec un
fantôme
(D. LETT)
;
CHRÉTIEN
DE
TROYES, Œuvres complètes L. MOULINIER) ; Émile
VAN
BALBERGHE,
Les manuscritsmédiévaux
de
l'abbaye
de
Parc
(B.
LAURIOUX)
Livres
reçus
155
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Médiévales
7,
automne
994,
p.
5-14
Piroska ZOMBOR
Y
-NAGY et
Véronique
FRANDON
en
collaboration avec David
EL
KENZ
et
Matthias GRÄSSLIN
POUR UNE HISTOIRE DE LA SOUFFRANCE :
EXPRESSIONS,
REPRÉSENTATIONS,
USAGES
Les essais
rassemblés ans
ce
volume
sont e fruit u
travaild un
groupe
de
jeunes
chercheurs,
ui
s est réuni une
fois
par
mois
pen-
dant deux
ans,
afin
d examiner
es
expressions,
es
représentations
t
les
usages
de la
souffrance u
Moyen Âge
et au
début de
l époque
moderne.Ce travailsur la souffrance tudiée comme un objet histo-
rique
n est
pas
la
première
entative
n ce
sens. Pour ne
citer
que
deux
entreprises
ollectives
omparables,
l
convient e
rappeler
u en
1986,
un
congrès franco-polonais
est
tenu à
Varsovie sur
La
souf-
france
au
Moyen Âge
avec la
participation
es
plus
célèbresmédié-
vistes des deux
pays
et
que
récemment,
n
colloque,
organisé par
l Université
aul-Valéry
e
Montpellier, rit
pour
thème e
corps
souf-
frant
à
l époque
de
la Renaissance2.
La
spécificité
e notretravail
tient
d abord à
son caractèrenon-
institutionnel.
l origine,
une
«
entreprise
e
copains
»
:
certains es
futurs ollaborateursde ce volume avaient eu l idée d organiserunséminairemensuelhors les mursuniversitaires,uvert tous les
jeu-
nes
intéressés,
tudiants
de
doctorat ou
de
maîtrise3.Les
études de
1. La
Souffrance
u
Moyen
ge,
Cahiers e
Varsovie
4,
Varsovie,
988.
2.
Corpus
olens. es
représentations
u
corps
ouffrant
u
Moyen
ge
au
xvue
iècle
colloque
nternational
nterdisciplinaire,
rganiséar
e
Centre
nterdisci-
plinaire
Étudesur a Renaissance
e
Montpellier,
niversitéaul-
aléry,
u
17
u
20
mars 994. ne
xposition
luridisciplinaire
ur
La
Douleur,
u-delàes
maux
,
coproduitear
a Citédes
Sciencest de l Industriet
e Ministèree
la Recherche
et de
l Espace,
vec
e
soutiene Gordonnd
Breach
nc.,
est
galement
enue
la Villetteu
15
octobre 992
u
29
août1993.
3. Nous enons
remerciernne
utissier,
artine
louzot,
ean-Louis
oletta,
David lKenz, osefaallego, atthiasrässlin,alentinrœbner,hristianeattke,
Sylvain
irón,
Martin
orter,
écile
uentel,
laudia
ademakers,
ikiaus
chlatz-
mann t William
aylor our
eur
articipation,
e
même
ue
e
Collège Espagne
de a
Cité
Universitaire
our
ous voir
racieusement
rêté
a salle e
bibliothèque
pendant
es
deux
nnées.
nfin
ue
toute
équipe
e
Médiévalesrouve
ci
expres-
sionde notre
ratitude.
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POUR UNE HISTOIRE
DE LA
SOUFFRANCE
7
Les travaux récents ur le sujet - qu ils relèvent e la philoso-
phie,
de la médecineou des sciences sociales
-
sont
partagés quant
à la
possibilité
même d une distinction laire. Cette
réserve
ient au
dédoublement du
problème
à la
coupure terminologique
dou-
leur/souffrance en
superpose
une
autre,
portant
sur
le
caractère,
physique
ou
psychique,
du mal.
Dès
lors,
il
s agit
de
se
demander
si les deux manières
de
distinguer
es
maux
sont, d abord,
pertinen-
tes
;
ensuite,
si elles se
recoupent.
Deux
grandes
tendances
s oppo-
sent
alors
: la
première
met l accent sur le
«
flou
sémantique
,
la
«
difficulté
eprésentationnelle
8,
tandis
que
la
seconde
cherche à
affirmer ette double distinction.Selon le
camp
des
sceptiques9, ouffrance
t douleur ne
répar-
tissent
pas
entre elles le domaine
psychique
et
physique
sans ambi-
guïté.
La définition
e l Association nternationale
our
l étude de la
douleur
IASP) coupe
courtà toute distinction e domaineset de ter-
mes
:
«
la douleur est une sensation
désagréable
et une
expérience
émotionnelle n
réponse
à
une atteinte
issulaire
éelle ou
potentielle,
ou décrite
en
ces
termes 10.
D après
un
argument
dont se servent
souvent es médecins
pour
soutenir
a
quasi-synonymie, réquemment
douleur
physique
et souffrancemorale
s accompagnent
t se
provo-
quent
mutuellement.
elon
l analyse
de
J.-B.
Pontalis,
cet embarras
devant le phénomène se retrouve même dans la terminologiede
Freud
11
.
Dans l autre
camp,
Paul Ricoeur
ustifie
a distinction
oncep-
tuelle
il
réserve
e termedouleur
à
des affects essentis omme oca-
lisés dans
le
corps,
et le
terme
ouffrance des affectsouverts ur
la
réflexivité,
e
langage,
le
rapport
aux sens12.La
distinction,
lus
courante
oire
plus
«
spontanée
dans
l usage quotidien,
ntre
a
dou-
leur
qui
serait
physique,
t la
souffrance,
e nature
morale,
va dans
le même sens. Jean-Marie
on
Kaenel,
s
appuyant
sur les
disciplines
du
vivant omme sur les sciences
humaines,
alide ce double
partage
douleur
renvoie
au
corps,
à la
sensation,
constitue
un
processus
physiopathologique, objectivable et localisable souffrance envoie
à la
psyché,
l émotion,
et
apparaît
comme une
réponse subjective
8. C.
Marquez,
Le mal
hronique
,
dans
ouffrances,p.
cit.,
p.
34.
9. Ibid.
C.
Montandon-Binet,
Sur e
concept
e seuil e tolerancela dou-
leur
,
dans a Douleur.
pprochesluridisciplinaires
A.
Lafay
dir., aris, 992,
d. 75.
10.Cité
ar
C.
Marquez,
Le mal
hronique
,
dans
ouffrances
op.
cit.,
.
36
et
par
J.
Bruxelles,
La douleur...
, ibid.,
.
19.
Soulignéar
es
auteurs.)
11. Selon
ui,
Freud
est
galement
eurté
cette
ifficulté
angagière,
isible-
ment
nfranchissable,ui empêche
nedistinction
onceptuelle
laire
il
s était ervi
d unmodèledentiqueour écrireouleurhysiquetdouleursychique,tcelanon
pas
à l aidede
métaphores,
ais
par analogie.
f. J.-B.
ontalis,
Sur a
dou-
leur...
,
loc.
cit.,
p.
259.
12. P.
Ricœur,
La souffranceest
as
a
douleur
,
dans
ouffrances,p.
cit.,
p.
59.
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8
P. ZOMBORY-NAGYt V. FRANDON
à la douleur13. C est bien le partage entredimensionobjective et
subjective,
enforcé
ar
la
sémantique, ui
est
souligné
dans la défi-
nition
donnée
par Roselyne Rey,
auteur d une
Histoire de la
douleur14.
Nous
sentant
plus proches
de ceux
qui
tiennent
distinguer
es
deux
notions,
e terme e
«
souffrance
semblait nos
yeux
plus
riche
que
celui de
«
douleur
»
:
nous avons donc décidé de travailler
ur
la
souffrance.
C était cibler notre
enquête
sur la
dimension
ubjec-
tive
-
telle
qu elle
s exprime
et se
représente, râce
à la
réflexivité
que
nous
avons circonscrite
lus
haut
-
,
bien
plus que
sur
l image
objectivéedes maux subis. La douleurapparaîtdifficile saisir elle
semble,
ux
yeux
de l historienu du
sociologue,particulièrement
pte
à
échapper
au
témoignage
des documents.
À
l inverse de la nature
fugace
de la
douleur,
la
souffrance
exprimepar
la
parole,
l écrit,
les arts.
En
outre,
parler
de
«
souffrance
permet
de ne
pas perdre
de vue la
douleur
iée
au
corps, puisqu elle
peut
être à
l origine,
ou
constituer
n
aspect,
de
la souffrance
xprimée.
Ainsi,
l histoire
de
la souffrance e situe
à la
lisière
de
l histoire
du
corps
et de
celle des
sensibilités.
inalement,
a diversité
ossible
des
représentations
e
la
souffrance
ermet galement
d étudier a
perception
ociale ou indi-
viduelle
des
douleurs
corporelles.
Cette
«
réduction de notrerecher-
che à la notion de souffrance elleque nous l avons définie, elle de
la douleur
objectivée)
étant
retranchée,
deux
conséquences.
Si
elle
nous
permet,
d une
part,
de tenir
compte
de souffrances
origines
diverses,
lle nous
a
obligés,
d autre
part,
à exclurede
notrehorizon
un
grand
ensemble
de
questions qui portent
tricto ensu sur l his-
toire de la notion
physiologique
de douleur15.
Des
sensibilités n
histoire
Cette
imitation vait
pour
conditionun
parti pris théorique, ui
consiste considérera souffrance ou du moins ce que nous pou-
vons en
percevoir
comme un
phénomène
culturel. Ce
parti pris
impliqueque
la
souffrance,
elle
que
nous la
concevons,
e manifeste
et
signifie
e
manières
différentes une
civilisation
l autre,
d une
époque
à l autre
qu on
puisse
en faire un
objet historique.
En
con-
séquence,
nous
pouvions
dès lors éviter
de
nous mêler
au
débat sur
la
part respective
u
«
naturel et du
«
culturel dans la vie affec-
tive. Ainsi nous avons choisi
de traiter e
l expression,
de la
repré-
sentation
de la souffrance
t
de ses
usages
sociaux.
Défini
ainsi,
notre
projet
s inscrit dans la
lignée
des travaux
engendréspar
la
proposition,
ancée
par
Lucien Febvre
il
y
a
plus
13.
J.-M.
on
Kaenel,
Éditorial
,
dans
ouffrances,p.
cit..
p.
13.
14. R.
Rey,
Histoire
e la douleur
Paris, 993,
p.
6-7.
15. Sur es
problèmes,
f. e
livre
e
R.
Rey,
ité
upra.
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POUR UNE HISTOIRE
DE LA
SOUFFRANCE 9
de cinquante ns16,d écrire histoiredes sensibilités, ù il s agissait
de rendre
ompte
des
changements
urvenusdans
la
perception,
es
affects,
a vision du monde au
cours de
l histoire,
en
utilisant
a
psychologie
ollective.Formulé
parallèlement l analyse
du
«
proces-
sus de civilisation es mœurs
par
Norbert
lias,
le
projet
de Lucien
Febvre
décrit histoire
uropéenne quivalente
pour
lui du
processus
de
civilisation
e N.
Élias,
comme le
lent refoulement es
émotions
au
profit
e l activité ntellectuelle.
l
s est révélé
depuis que
cette
pro-
position pour
présupposé
fondamentala
croyance
elon
laquelle
les
catégories
et
procédés
de la
psychologie
du
xxe
siècle
peuvent
être
considérés ommeuniversellementalables. Parmi les études ssues dece
projet
aussi difficile
u attirant,
n
peut distinguer
eux écoles ou
plutôt
deux
époques,
la
ligne
de
partage
étant
précisément
adhésion
ou non à cette
croyance.
Le travailde Jean Delumeau
sur
La Peur
en Occident
ppartient
à la
première
endance.Dans son
ouvrage,
auteur
part
d une
analyse
des
phénomènes
de la
peur
et de
l angoisse par
la
psychologie
t la
psychanalyse, our
décrire e
qu il
voit comme le malaise
pathologi-
que
de l Occident chrétien ntre es
XIVe
et
xviie
siècles.
Il
s appli-
que
à la
description
minutieuse es états affectifs
besoin
de
sécurité,
attachement
rimaire...) ui
caractériseraient
homme et
motiveraient,
universellement,on comportement7 et qui, dans le cas présent,
expliqueraient
entièrement
angoisse
collective de
l Europe.
La
méthode
u il préconise
ux historiens
es sensibilitésonsiste
«
opé-
rer la
double
transposition
u
singulier
u
pluriel
et de l actuel au
passé
»18. La démarche
de J. Delumeau
se
fonde
sur
deux
présup-
posés,
hérités es travaux
de Lucien
Febvre,
qui
nous
semblent ésor-
mais discutables.
Le
premier
onsiste
en une
vision
rétrospective
e
l histoire
n tant
qu évolution quasi-biologique
du
genre
humain,
qui
se
complètepar
une confiance
otale
dans
la
validité nébranlable
de
la démarche
cientifique
ontemporaine
le second
contient idée
que
l on
peut,
à l aide de la
psychologie,
pénétrer
ans les
ressorts
achés
d une civilisation,...] en découvrires comportementsécus maispar-
fois
inavoués,
[...]
la saisir dans son
intimité t ses
cauchemars
u-
delà
du discours
qu elle prononçait
ur
elle-même 19.
L image
cari-
caturale
de
l Europe apeurée qui
en résulte
llustre
bien les
dangers
de cette méthode.
16.
L.
Febvre,
La sensibilitéans histoireles courantsollectifs
e
pensée
etd action
,
dans a sensibilité
e hommet de a nature10e emainenternatio-
nalede
Synthèse
7-12
uin 938
Paris, 943,
p.
77-100
repris
ous e titre La
sensibilitét histoire
commenteconstituera vie ffectiveautrefois
»,
Annales
d Histoire
ocialet.
3, 1941,
°
1-2, p.5-20,
ansCombats
our
Histoire
Paris,1953.
17. J.
Delumeau,
a
Peur n
Occident
xiv-xviw
iècle).
ne ité
ssiégée,
aris,
1978,
n
particulier
introduction,
p.
1-27.
18. J.
Delumeau,
a
Peur...,
p.
cit.,
p.
20.
19. J.
Delumeau,
a
Peur...,
p.
cit.,
p.
12.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 16/163
10 P. ZOMBORY-NAGYt V. FRANDON
En coupure radicale avec ce type d approche, les travaux
ultérieurs20,
lus prudents
face aux
transpositions
asardeuses,
ont
établi
qu il
existe une corrélation troite ntre e
comportement
es
gens
et
les
convictions
hilosophiques
t
scientifiques
e leur
temps21.
Comme Marcel Gauchet
l a
montré,
a
théorie
psychanalytique
lle-
même doit être reliée au contexte
cientifique
t
plus
largement,
is-
torique
et
social,
dont elle a
émergé22
et on ne
peut
nier
que
la
psychanalyse
it
également
ransformé
a
réalité
qu elle
sert à décrire
-
en
particulier
a
pratique
t
l expérience
e la sexualité t de l édu-
cation. Cette démarche se réfère
une
théorie de la
construction
sociale de la réalité, elon laquelle les comportementsont largementcommandés
par
les modèles dont les individus
disposent
dans une
société donnée23. C est cet axiome
qui rompt
avec le
projet
de
L. Febvre.
Une
correspondance
écessaire instaure ntre a
grille
de
lecture
proposée
et
imposée par
le
système
e valeurs et de
représen-
tationsdominant
d une
société
donnée,
et la
perception
ffective
ue
ses membres
euvent
voir d un
phénomène.L expérience,
enfermée
dans les codes
qui
servaient
l exprimer
utrefois,
n est
pas
directe-
ment
ccessible
le
sujet
ne
peut
mettre
n
mots son vécu
propre u à
l aide
des
codes et
représentations
n
vigueur,
ux-mêmes
oumis
aux
transformations
istoriques.
e
n est
pas l expérience,
mais ses
repré-
sentations, u on doit viser à reconstituer t à comprendre.
Une
application
éussiede la démarche
roposée peut
se lire dans
le livre du
sociologue
allemand Niklas
Luhmann,
qui
traitedu code
de
description
t de communication moureuse dans la modernité
l auteur
ne cherche
as
à
faire histoire
un
sentiment
éel,
mais
celle
du
code
sémantique qui permet
de le
représenter24.
outefois,
à
l intérieurmêmede
cette
perspective,
ne distinction oit se faire ntre
les
chercheurs
ptimistes A. Corbin)
et
les
plus
radicaux
(M.
Gau-
chet,
N.
Luhmann)
les
premiers spérant
encore
pouvoir
saisir le
mode de
présence
au monde des hommes
du
passé25,
alors
que
les
seconds
ne
visent
qu à interpréter
es
représentations.
Il est nécessairede tenir omptede cette nteraction ntrethéo-
ries
scientifiques
t
représentations
ociales
de
l expérience
ffective,
lorsqu on
entreprend
ne
enquête
historique
u
sociologique portant
sur
les sensibilités.
échec de
la tentative
our transplanter
a
psycho-
logie
dans l histoire
nous
oblige
désormais
à réduire nos ambitions
et
à scruter
oigneusement
es codes
qui
servent décrire es sensibi-
lités d une
époque
donnée.
Bien
qu on
cherche saisir un au-delà du
20. Cf. article
éthodologique
A.
Corbin,
Histoiret
anthropologie
enso-
rielle
,
dans
Le
Temps
le
Désir
t Horreur
Paris, 991,
p.
227-244.
21. Cf.
A.
Corbin,
e Miasme
t
a
Jonquille.
Odorat t
imaginaire
ocial
(xvme-xixeiècle), aris, 982.
22. Cf.
M.
Gauchet,
Inconscient
érébral
Paris,
992.
23. Cf. e séminaire
e M. Gauchet
l EHESS
séance
u
2/03/1994).
24. N.
Luhmann,
mour omme
assion,
aris,
990.
25. A.
Corbin,
Histoiret
anthropologie
ensorielleloc.
cit.,
p.
228.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 17/163
POUR UNE HISTOIRE
DE LA
SOUFFRANCE
11
discours,ce n est qu à partirdu discoursque nous pouvons procé-
der,
de sorte
qu il s agit,
avant
tout,
de
comprendre
n
quoi
consiste
son en
deçà
Ainsi
devons-nous
nterroger
e contexte
récis
religieux,
scientifique, ocial)
dans
lequel
naît un
type
de discours
sur
la souf-
france,
de même
que
rattacher es
représentations
leurs
fonctions
sociales.
C est
également
ans cette
perspective u on
doit chercher com-
prendre
intérêt
écent
pour
la souffrance t la
douleur,
dont
témoi-
gne
le foisonnement
es travauxdans tous les domaines des sciences
de l homme
depuis quelques
années.
Bien
qu elle
ait
toujours préoc-
cupé les artistes,a souffrance été priseen comptetrèstardivement
par
les sciences.Luc
Boltanski,
dans son livre ntitulé a
Souffrance
à distance
6
,
dont le
propos principal
st la
justification
e la
poli-
tique
humanitaire,
met en
rapport
éveil de l intérêt
pour
la souf-
france vec la constitution
un
espace public.
Ainsi
comprend-on
e
développement,
ès le
XVIIIe
iècle,
d une
«
politique
de la
pitié
»
-
l obligation
morale,
portée
ur
espace public,
de
réagir
ux malheurs
des
autres
-
,
en corrélation troite vec l élaboration des droits de
l homme,
dont relève
e droitde l homme au bonheur. La souffrance
porte
atteinte
précisément
ce
droit et
la
prise
en
charge publique
du bonheur
mplique exigence
morale
d y
porter
remède.
De cette
sorte,via l examen des racineshistoriques e la politiquehumanitaire,
nous
voyons
s opérer
la
conjonction
délicate du
politique (se
récla-
mant de la
publicité
et d une
objectivité
certaine)
et de l affectif
(domaine
le
plus
individuel t
le
plus subjectif ui
soit).
Après
avoir
montré es
difficultés une
telle
rencontre,
auteur
analyse
trois
«
topiques
»
-
trois manières
de rendre
compte
de la
souffrance
d autrui
-
,
dans la double
articulation e leur évolution
historique
et de leur
agencement
tructural.
Au-delà de
l analyse
des difficultés
ui agencent
ctuellementes
comportements,
ouvent
paradoxaux,
face à la
politique
humanitaire
médiatisée,
e
livrede L. Boltanski
permet
d éclairer
importance
u
phénomènepour notre société. Inacceptabledepuis toujours - bien
qu on
l ait
chargée
de
sens
symboliques
parfois positifs
la souf-
france l est
encore
plus
dans
une société
qui
n a
pour
horizon
métaphysique
ue
son
propre
déploiement.
arallèlement u
déplace-
ment du mal
qui
cause la souffrance
descendu du ciel
(et
monté
de
l enfer)pour
se
loger
d abord dans les autres
et
ensuite
n chacun
de
nous
-
la
quête
du
soulagement
doit
également
e
tourner
vers
nos
propres
moyens.
La
cause,
bien
que
souvent
nconnue,
ne
peut
plus
être
ttribuée des
puissances
nvisibles
l attention oit se foca-
liser sur
la chose
même. C est dans
cette
optique que
l on
comprend
pourquoi
la
médecine,
cience
a
plus
immédiatement
oncernée,
mal-
gré intérêt u elle avait toujoursmanifesté nvers a douleurqu elle
26. L.
Boltanski,
a
Souffrance
distance.
orale umanitairemédias
t
poli-
tique
Paris,
993.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 18/163
12 P.
ZOMBORY-NAGYt V. FRANDON
essaye de circonscrire, e soulageret de supprimer, e la considère
comme
objet
d étude à
part
entière
que depuis peu27.
La douleur
vient à
peine
de s affranchir u
joug
de ses causes et
d acquérir
un
statut
utonome ux
yeux
des
scientifiques, epuis qu il
est admis
que
quelqu un
peut
souffrir,
ans son
âme et dans
son
corps,
sans raison
apparente,
ou
éprouver
un mal
corporel
sans cause
organique.
C est
au sein de
ce
processus
global qu a pu
s établir
un
lien,
inimaginable
auparavant,
entre
malaise
psychique
t
douleurs
physiques, orsqu on
a
compris ue
le malaise
de l âme
est
capable
de
produire
on
expres-
sion
organique
ce lien a ensuite
permis
d isoler
et de traiter
es
mala-
diespsychosomatiques entre utrespar la diffusion es médicaments
antidépresseurs.
invention t
l usage
de la
piqûre péridurale, ui
sou-
lage
la douleur
de
l accouchement,
ongtemps
nvestie,
n terre
hré-
tienne,
d une
charge
métaphysique
rès
grande, témoigne
dans
le
sens
inverse
de la même mutation
du
statut
valeur
et
sens)
de la
douleur.
Du sens
des souffrances nciennes
Le lecteur
rouvera ci six essais
ayant
tout d abord comme
point
commun la participationde leurs auteurs à la réflexionde notre
groupe,
mais aussi
le cadre
chronologique
d un
Moyen Âge
chrétien
long,
dont on identifie
a
fin
à l éclatement
de
l entitémédiévale
de
la
Chrétienté
û aux
guerres
de
religion
t à
l apparition
d une reli-
gion
occidentale
moderne. S ils
portent
ous sur
la
perception
de la
souffrance,
es
sujets
abordés
peuvent
être
groupés
autour de deux
axes.
Le
premier
pour problématique
majeure l expression
et
la
représentation
e la souffrance
le second s articule
utour
des
fonc-
tions et
usages
sociaux des
souffrances,
ui
commandent acte de les
infliger
soi ou à
autrui.
Les travaux
du
premiergroupe s interrogent
ur les
moyens
-
artistiques t corporels- de l expressionde la souffrance t souli-
gnent
eur ambivalence.
L article
de Christian
Kiening
nalyse
a
rhé-
torique
de la
perte
à
partir
de la
complainte,genre
apte
à illustrer
les
problèmes
posés par
la
transcription
ittéraire u deuil
chrétien,
dont on connaît
es
ambiguïtés.
our ce
faire,
auteur choisitun évé-
nement,
a mort
d Isabelle
de
Bourbon,
et montre
omment a
trans-
formation
ittéraire
omplète
es
informations
istoriques ue
nous
fournissent
autres
sources sur
la souffrance
prouvée par
ses
pro-
ches.
L étude de
Martine Clouzot s intéresse
la manière
dont
les
moyens
rtistiques
rennent
n
charge
a
souffrance,
ar
une mise en
27. Cf.La
Douleur,
u-delà es
maux,
p.
cit.,
Avant-propospar
G. et M.
Lévy,
.
1
I.
Baszanger,
Émergence
un
groupe
rofessionnel
t travaile
égi-
timation.e
cas desmédecins
e a douleur
,
dans a
Douleur,
pprochesluridis-
ciplinaires,
p.
cit.,
pp.
135-166J.-M.
esson,
a Douleur
Paris,
992.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
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POUR
UNE HISTOIRE
DE LA
SOUFFRANCE
13
abîme des genres son articleutilise es sources conographiques ai-
sant
apparaître
des
instruments
e
musique.
Les
images
accusentune
division
nette
des
sons et des
instrumentsu
Moyen
Âge,
les uns
-
les instruments
u
bas
-
soulageant
a
souffrance
ar
leur sonorité
douce,
alors
que
les
autres,
es instrumentsu
haut,
apparaissent
our
illustrera violence de la souffrance
ue
leur
son contribue
causer.
Enfin
article
e
Piroska
Zombory-Nagy
raite u
sens médiéval
onné
à l un des
gestes orporels
onventionnellementenu commeun
moyen
d exprimer
a souffrance les
pleurs.
Dans cet
essai traitant e
l exé-
gèse
médiévale
des trois
occurrences es larmesdu Christ
dans sa vie
terrestre,l s agit de montrer omment interprétationhéologiquedeces lieux
scripturairesnigmatiques permis
de construire n
modèle,
par
le
rapprochement
e ces larmes avec
celles
que
le
chrétien oit
verser
pour
imiter e
Christ. Dans les
deux
cas,
les larmes
paraissent
un
remède à la souffrance
lutôt qu un moyen
de
l exprimer.
On sait
que
le
pouvoir
de
faire
souffrir
st
(et
a
toujours été)
une des
caractéristiques
t
des fonctions
onstitutives
u
pouvoir,
du
moins dans toute ociété
non- ou
pré-démocratique.
ans les troisder-
niers
essais,
la souffrance
rend
son sens
relativement u maintien
et/ou
au bouleversement e l ordre
social,
par
l institution abord
religieuse,
nsuite
étatique.
Anne
Autissier
analyse
le
problème
de
l effusion e sangdans le cadre du mouvementes flagellantse 1349.
En
partant
du contraste
ui
se dessine entre e
discours
ecclésiastique
et
le
discours
ropre
des
flagellants
ur
ce
sujet,
elle montre
ue
l attri-
bution aux
flagellants
e
l acte d effusionde
sang
aide
l Église
à
les
condamner.Dans les
significationsu on
donne à la
souffrance
nfli-
gée
à
soi-même,
l
y
va du
sens social d un tel
acte,
suivant
a
pers-
pective
dans
laquelle
on
se situe
perspective
mmédiate
e
pénitence
et
de
salut
pour
les
flagellants,
yant
un
horizon
eschatologique
et
une
référence
hristique
perspective
ormative
arge pour
l Église que
l activité es
flagellants
menace
dans son
monopole
de
médiation vec
l au-delà.
L article de David
El
Kenz
étudie,
quant
à
lui,
la
naissance
et le fonctionnementun discours calviniste ur la souffrance,ors
de
la
description
e leurs
persécutions
ntre1557
et 1563. Ce
discours
(comme
le discours des
flagellants ailleurs)
met en
scène la souf-
francedes
martyrs rotestants
omme un
duplicata
de la
souffrance
du Christ. Ainsi
le
supplice
devientun
lieu du
déploiement
u divin
au
sein
du
martyre
t
permet
e transcendere
jugement
errestre
ar
l intervention
engeresse
e la colère divine.
Enfin,
Valentin Grœb-
ner,
dans
une
étude
de la
perception
de la
violence à
Nuremberg
la
fin du
xve
siècle,
montre
ue
les
douleurs
nfligées euvent
tre
per-
çues
comme cruelles
quand
elles menacent ordre
social,
alors
que
la
violence,
mise
en
scène
dans toute
son
horreur, eut
servir
reflé-
ter l ordre - voire, à le maintenir.
Notre
société,
où le
discours
politico-idéologique
ominant
place
la
qualité
de
vie,
le bien-être u
premier lan
des
préoccupations
e
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 20/163
14 P.
ZOMBORY-NAGY
t
V. FRANDON
chacunet des responsables e la vie publique,estaujourd huien crise.
Contrairement
ce
qu on
pourrait
ttendre
d un
monde
qui
a
pour
horizon
principal
e bonheur des
gens,
elle
produit
de
jour
en
jour
plus
de
souffrances,
u-dedanscomme au-dehorsde ses
frontières.
n
ne
peut
éviter
e choc violent e
leur rencontre. a
télévision,
e
métro,
entre
autres,
ntroduisent ous les
jours
le malheur
dans
le
confort
privé
de nos
vies. La
quantité,
a
proximité
t
l ampleur
des souf-
frances endent
e moins
en
moins
possible éloignement
nsouciant.
Nous vivons
dans une société
qui
a
pour principe
e
base l interchan-
geabilité
des
places (sociales
et
psychologiques)28,
ù le mal de
l autre,obligatoirement,ous affecte or l image que nous formonsde ceux
que
nous ne
percevons
u en
tant
que
« malheureux
,
met
en
évidence
es limitesmêmes
de ce
principe. L analyse scientifique
des
souffrances,
ociales
et
individuelles,
hysiques
t
psychiques,
mon-
tre
qu elles
touchent
u
plus
près
au fonctionnement ême de cette
machine
à bonheur
que
voudrait
être la
société
démocratique.
Le
dévoilement
es mécanismes
achés,
qui
en
sont
responsables, ermet
aussi de
comprendre
otre
part
dans
leur création29. ette
pression
croissante,
nséparable
des raisons
scientifiques
u on
a
évoquées,
explique
probablement
intérêt ont
bénéficie e
phénomène
ans
tou-
tes les
sciences
de l homme.
28.
Cf. e séminaire
e M. Gauchet
l EHESS, 1993-94,
iscussions.
29. Cf.
Actes e la Recherche
n sciences
ociales
n°
90,
«
La
Souffrance
,
déc.
1991.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 21/163
Médiévales
7,
automne
994,
p.
15-24
Christian
KIENING
RHÉTORIQUE
DE
LA PERTE
L EXEMPLE DE LA
MORT D ISABELLE
DE
BOURBON
(1465)
La
position
du
Moyen
Âge
chrétien
ace au deuil
était,
on le
sait,
ambivalente.
Un
système otériologique
omme e
système
hrétien ù
la mortne possédaitqu un caractère e transitusoù le temporel taittranscendé
ar
l éternel,
vait du mal à
intégrer
e
phénomène
d un
deuil
intramondain,
hénomène
néanmoins
anthropologique1.
Ainsi
voit-on ôte à côte des relati isations u des
réglementations
u
deuil,
commençant
vec
l interdit
ncore
modestede
l apôtre
Paul
(I
Thess.
4,
13
sq.),
et
des
acceptations
d un dolor iustus
(par exemple
chez
saint
Augustin).
l
faut
cependant
ttendre établissement t le
déve-
loppement
des littératures ernaculaires ès
le
XIIe
iècle
-
et avec
ceux-ci
des
conceptionspas originellement
hrétiennes
pour
voir
les
expressions
du deuil et
de
la douleur s étendre
et
s enrichir2.
Cette
«
réhabilitation u deuil
»,
qui
ne
cherchait
as
la confronta-
tion directe vec le modèle chrétien e la consolatio l influençaitour-
tant
profondément.
es dimensions
un
long processus
de
transfor-
mation se manifestentlairement u cours
du
XVe
iècle où
apparais-
sent des
traités,
sous
la
plume
même des
clercs,
qui justifient
es
expressions
u deuil et de la douleur en tant
qu articulations ropres
à
la
nature
humaine
par
exemple
Guilelmus
Savonensis,
An mortui
lugendi
unt an non
,
où la
représentation
es
pleurants
e fait
cons-
1. P. von
Moos,
Consolatio
Studien
ur
mittellateinischenrostliteraturber en
Tod
und
um
Problem
er hristlichen
rauer
4
vol.,Munich,971/72,
.
129
q.
(contientussi nebibliographiebondante)U.Mennecke-Haustein,uthersrost-
briefe
Gütersloh,989,
.
99
sq.
G.W.
McClure,
orrowndConsolationn ta-
lianHumanism
Princeton,
991.
2. G.
Duby,
Reflexionsur a douleur
hysique
u
Moyen ge
,
dansMale
Moyen ge
Paris, 988,
p.
203-209
voir
ussi
es ctes
u
colloque
I dolore
la
morte
ella
piritualità
ei ecoliXII e
XIII,
Todi,
1967.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 22/163
16
C.
KIENING
tituantedes monuments unéraires3, ù complaintes n prose et en
vers,
déplorations
unèbres t
épitaphes
forment
es modes littéraires
auxquels presque
tous les
auteurs
participent4.
Je
retiens
ci le
genre
de la
complainte ui
me
semble
pte
à
illus-
trer es
possibilités
t
les
problèmes
d une
description
historique
du
deuil.
Étant enracinéedans
le
planctus
latin,
la
complainte
trouvé
dans
les
langues
vernaculaires,
n
particulier
ans les
langues
roma-
nes,
des formes
pécifiques émoignant
une évolution utonome du
genre.
Ce
qui
est
caractéristique
e cette évolution
-
que
l on
peut
suivred Eustache
Deschamps
et de Christine
e
Pizan
jusqu aux
deux
premières énérationsdes « grands rhétoriqueurs
5
- c est l aug-
mentation
de
l ampleur
et surtout
a
croissante ubtilité
hématique
aussi
bien
que
formelle
jeux
de
mots,
mètres
omplexes,
ffets ision-
naires
et
allégorisations
inscrivent
ans une
poétique
de l intertex-
tualité et de l autoréférence
ui
touche au
maniérisme6.
n
même
temps,
interaction e l émotion
et de la
rhétorique,
onstitutive
our
toutes sortes des
complaintes, rend
des dimensionsnouvelles.
On
y
joue
avec la
dialectique
de
proximité
t
distance.
On
ne
déplore pas
la mortde sa
propre pouse,
mais la mortde
personnes
e haut
rang
et on
s adresse
insi
à un
public auprès
de la
cour,
cercledont auteur
lui-même ait
partie.
On se réfère
un
consensus
présumé
par lequel
l auteur devient orte-parole e la communauté,mais qui réduit ussi
les libertés
de Yinventio
poétique.
Ainsi,
les
complaintes
e situent u
point
d intersection e deux
lignes
la
lignediachronique, ui
définit a
position
d un
texte n rela-
tion avec l évolution
du
genre,
et la
ligne synchronique, ui
joint
un
événement
istorique
son
adaptation
ittéraire. es
complaintes
our-
nissent es
renseignements
istoriques ui complètent
ouvent es
rap-
ports
des
chroniques,
urtout ur
le
plan
de
l émotion,
mais elles doi-
vent être
aperçues
dans leurs formes
pécifiquement
ittéraires.
our
mieux saisir es
interférencesntre
histoire t la littérature n
peut
considérer es
cas où
plusieurs omplaintespartent
du même événe-
ment,du même décès. C est le cas, parmid autres,de la mortd Isa-
belle de Bourbon
dont
(au
moins)
trois
complaintes
nrichissent
on
seulement
es récits
plutôt maigres
des
chroniqueurs,
mais manifes-
tent,
emble-t-il,
n tournant
u
genre
«
Au
fil
des
années 1460
»,
constate
Claude
Thiry,
le concertdes
voix
poétiques s amplifiepour
3. É.
Mâle,
L Art
eligieux
e la
fin
du
Moyen ge
en
France,
aris, 949,
5e
d.,
p.
418
q.
cf. aussi e
catalogue
e
l exposition
es
pleurants
ans art u
Moyen ge,Dijon,
1971.
4. C.
Thiry,
a
Plainte
unèbre
Turnhout,
978
avec
une
bibliographie
om-
mentée)voir ussiV. B.Richmond,amentsortheDead n Medieval arrativeNew
York,
966.
5. C.
Martineau-Genieys,
e thème
e
a mort ans
a
poésie rançaise
e 1450
à
1550, aris, 978,
.
295
q.
6. Cf. P.
Zumthor,
e
masque
t
a
lumièreLe siècle es
grandshétoriqueurs
Paris,
978.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 23/163
RHÉTORIQUE
E LA PERTE
17
chanter a gloire. La Mort restehaïssable,mais elle peut être domi-
née
[...]
;
de
plus
en
plus fréquemment,
e deuil est
balayé
par l apo-
théose,
les larmes séchées
au
souffle de la Renommée .
7
La
pers-
pective synchronique
onfirme-t-elleette
description
Lorsqu Isabelle
de Bourbon mourutde la
tuberculose
e 26
sep-
tembre 465 à
l âge
de 31
ans,
ce ne fut
pas
un
grand
événement
our
la
politique
contemporaine
à
part
le fait
qu elle
n avait
donné à
son
mari
qu une
seule
fille,
Marie
(de Bourgogne),
et
pas
d héritier
mâle8. La
plupart
des
chroniqueurs enregistrèrent
e
décès,
qui
fut
précédé
de
longs
mois de
maladie,
que laconiquement9.
Pour eux
l événement e plus intéressant e la vie d Isabelle fut son mariage
avec
Charles
e
Téméraire,
n
1454. Ce
mariage
politique,
décidé
sans
l accord de son fils
par
le duc
Philippe
e Bon et
arrangé
n
cachette,
se
changea
inopinément
n une
liaison
d amour
-
«
tellement
,
comme
le
dit
Jacques
Du
Clercq
dans ses
Mémoires,
«
qu il
n estoit
point
sceu
que puis que
le comte euist
espousée
».
Il
est
bien
possi-
ble
que
cette ura du
couple
amoureux it
inspiré
es auteursdes com-
plaintes,
car aucun n oublie de mentionner amour entre
sabelle
et
Charles
-
d autant
plus que
Charles,
occupé
à des
négociations oli-
tiques après
sa victoire ans la bataille de
Montlhéry,
e
put
assister
au décès de son
épouse10.
Amé
de
Montgesoie,
dans sa
complainte,
fait contraster ortementa « triumphant ictoire de Charles et le
malheurd « avoir
perdu
du
siecle
la meilleur
(v. 44/48)11.
Et une
chanson
anonymeexprime
e
regret
Isabelle
«
sans mesure et sans
compas
/ Pour
son
mary
ui
n y
fut
pas
/
Qu elle
avoit amé
de cœur
bon
»
(v. 36-38)
2.
Cette chanson de six
couplets 48 vers),
en
annonçant
un
«
piteux
recors
,
invite
xplicitement
es auditeurs
la
compassion
et conduit
successivement
usqu aux
derniersmoments
e la
mourante.
Les
deux
premiers
iers du texte décrivent e deuil de
tous les
gens
liés à
Isa-
belle et la
perte
douloureuse
qui
touche toute a
société,
Église
aussi
bienque les « pauvresgens» (v. 25 sq.). Le dernieriers ocalise e cen-
7.
C.
Thiry,
De la mort
marâtrela mort aincue
attitudesevanta mort
dans a
déploration
unèbre
rançaise
,
dans
Death
n the
Middle
ges
H.
Braeit
et
W. Verbeke
d., Louvain, 982,
p.
239-257
cit.p.
250
.).
8. Sur Isabelle f. L.
Hommel,
arie
de
Bourgogne
u le
Grand
éritage
Bruxelles,945, p.
59-66
G.H.
Dumont,
arie e
Bourgogne,aris,
982.
9. Cf.
Olivier
e a
Marche,
Mémoires
[...],
H. Beaune
tJ.Arbaumont
d.,
Paris, 833-36,
.
ll,
p.
24. La
description
a
plus
détailléestdonnée
ar
Jacques
du
Clercq,
Mémoiresdans
Chroniques
Enguerrand
e
Monstrelet,
. A.
Buchón
éd., Paris, 826/27,upp.,
.
XV, p.
59.
10.
Sur Charles f. P.
Contamine,
es
Pouvoirs n
France
Paris, 1992,
pp.87-98.
11. T.
Walton,
Les
poèmes
Amé
e
Montgesoie
,
Medium evum
t.
2,
1933,
.
133
texte
p.
21-28)
sur
Amé,
f. articleans
e Dictionnairees
Lettres
Françaises
Le
Moyen
ge
G. Hasenohr
t M. Zink
dir.,
Paris, 992, .
55
q.
12. Chants
istoriques
t
populaires
u
temps
e
Charles IIet
de LouisXI
[...],
M. Le
Roux
de Lincy
d., Paris, 857,
.
77
q.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 24/163
18
C.
KIENING
tre des événements, n montrant omment sabelle prend congé de
sa famille
«
son
lignage
de Bourbon
»
;
v.
40),
comment lle recom-
mande ses
parents
et finalement
a fille
qui
n était
pas présente)
Dieu.
La
fin
de la
chanson
rejoint
son
début,
où l auteur avait
demandé
la miséricorde
ivine
pour
Isabelle.
Tous les
éléments
e cette
complainte
la
lamentation,
apolo-
gie,
le
regret
t la
prière
-
sont bien connus ils se subordonnent
assez
clairement
l intention e
présenter
a
fin
de
«
madame de Cha-
rolloix de
façon
authentique
t émouvante.
Avec
sa mortbien
orga-
nisée dans
le cerclede la
famille,
sabelle
offre
exemple
d une bonne
mort hrétienne,exempled un acte harmonieux e mourir en con-
formité
vec sa
vie
qui
fut consacrée
«
Sans chesser
[...]
traittier
l accord
et la
paix
»
(v.
23
sq.).
La concordance
profonde
entre es
sentiments
e
la mouranteet ceux des
conjoints
survivants insère
parfaitement
ans
le
paradigme
«
de
l humaine mortalité
(v. 8).
Ceci est aussi
la
perspective
entralede la
complainte
d Amé de
Montgesoie
qui
donne,
en
effet,
ne
description eaucoup plus
com-
plexe
des
circonstances
u
trépas.
Amé,
valet de chambre
d Isabelle,
qui
fut
présent
la mort de sa noble
dame,
enrichit e
tableau
par
un nombre considérable
de détails
historiques
oncernant
ar
exem-
ple
le
«
grief
mal
qui
trois
mois lui dura
»
(v.
59),
les
réactionsdes
gensen face d une « pertetresmaleureuse (v. 127) ou le « findrap
d or bordé de
velours noir
»
(v. 257) qui
couvrait e
corps13.
l
pré-
sente
un
«
long reportage
imé
»,
d une
prétention
ittéraire
lus
éle-
vée,
lequel
débute
par
une forte
ttaque
contre a Mort et
s élargit
enfin vers
des réflexions
lus globales
sur
la loi de la nature et la
fragilité
umaine.
Avec son
attaque
contre a
Mort,
Amé
reprend
ne
figure
héto-
rique qui
était
déjà
établie
de cette
façon
par
Eustache
Deschamps
et
Alain
Chartier,
et dont les antécédents
se laissent
poursuivre
jusqu aux
œuvres de
Chrétiende
Troyes
et aux
planh
provençaux14.
Souvent,
chez Amé
aussi,
l élaboration
figurative
e la
personnifica-tionrestepâle ; le seulélément oncret ui apparaîtdans presquetous
les
textes st
le
«
dart
»
de la
Mort. La
figure
xprimepourtant
un
phénomène
psychologique
ssentiel
5
:
d une
part
la déviation de
la
douleur en
agression
contre une
puissance
insaisissable,
d autre
part
la substitution
aradoxale
d un
Toi
perdu
par
un
Toi
«
jamais
exis-
tant
»
qui
représente
a
«
contre-force
par
excellence,
1 « Ennemie
des
œuvres de
Nature
»
(v.
3), principe
de la
destruction,
ause
de
13. Cf.
T.
Walton,
oc.
cit.,
.
32,
qui
cite n
passage
es ivres es
comptes
(«
A
Jehan
ulon,
our
voir
ait t refait
ar
deux ois
ng
ale
de
drap
or ra-
moisyresriche,ordé e veloursoir).14. E. Schulze-Busacker,La
complainte
es mortsans a littératurecci-
tane
dans
e sentiment
e la mortu
Moyen ge,
C. Sutto
d., Montréal,
979,
pp.
231-248.
15. Cf. H.
Stubbe,
ormen
er Trauer:
ine
kulturanthropologische
ntersu-
chung
Berlin,985,
.
100
q. (« Trauerzerstörung
nd
agression
).
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 25/163
RHÉTORIQUE
E LA PERTE
19
la souffrance. e double caractère e l apostrophe e la Mort se mani-
feste lairement
hez
Amé
par
l entremêlementes éléments
gressifs,
plaintifs
t
glorifiants.
Après l exposition
du
grant
dueil
excessif
(v.
31),
en
particu-
lier celui du
malheureux
poux,
Amé
conduit
ses lecteurs irectement
dans
«
la maison borbonnoise
(v.
52)
pour
mettre n
scène les der-
niers
moments
de la comtesse de Charollais.
Son récit confirme
e
que
l on
sait,
par
la chanson
nonyme,
ur es recommandations Isa-
belle et
il
ajoute
très
précisément
omment a
mourante
eçut
es
sacre-
ments,
fit lire un ars
moriendi,
baisa la croix
et
rendit on
esprit.
Les réactionssont unanimes « Sospirs cuisans, langoreusescom-
plainctes,
/ Cris
angoisseux,
effusions
e
lermes
(v.
118
sq.).
Eux
aussi,
«
ces
gens
doulans
»,
attaquent
«
la Mort
maugré
»
(v.
132),
plaignent
a
perte
d un
exemple
et
d un miroirde
vertu,
expriment
une douleur
«
sans
recueil,
/ Sans faire fais
digne
de hault louer
»
(v.
215f.).
Amé,
en
reprenant
es
lamentations,
es rend
plus
généra-
les,
faisant
référence la
natureentièred une
façon
qui rappelle
es
poèmes
sur
la mort
d Orphée
;
il
imagine
que
la Terre
transformerait
«
son
vert
(v.
197), que
les éléments
rejetteraient
out ce
«
qui
a
plaisir
sortisse
(v. 203), que
les
oiseaux
changeraient
eurs chants
mélodieux
en
coy
frenesieux
(v.
205).
Mais la
complainte
ontient
déjà des points de la consolation Amé évoque le fait qu aucune
lamentation,
ucune douleur
ne
peut
ranimer n
corps
transi,
ue
tous
les hommes tomberont
ans les
mains de la mort. C est
justement
en tournant
e
regard
vers
a
nature,
ui
semble
êtreviolemment
les-
sée
par
la
mort,
que
l auteur découvre inéluctable
régularité
e
ses
lois
(«
sa labeur
ordonnée
,
v.
233),
qu il
reconnaît
e
principe
bien
connu
de la
fragilité
umaine l homme n est
pas
autre chose
qu une
«
fleur
ui
passe
sans
duree
»
(v. 236), qu une
ombre
diminuante.
n
conséquence,
Amé
souligne
que
de
1
«
excellent
orps
d Isabelle
de
Bourbon
»
(v. 10),
couvert
par
un beau
linceul,
ne
reste
plus qu un
cadavre« pourestrehabandonné s vers» (v. 257). Et il s insère insidans une
longue
tradition hrétienne u
contemptus
mundi comme
les
plaintes
ne servent
rien,
Amé
conseille de se rendre Dieu et
il
demande
finalement e ne
pas prier
seulement
pour
l âme d Isa-
belle mais aussi
pour
la
sienne
pour qu «
amé de moult
e soye
»
(v. 270).
Ce rébus en forme
de
prière
finale
que
l on
retrouve ussi dans
la deuxièmeœuvre
d Amé,
le Pas de la
Mort)
signale
que
le
panegy-
ricus chantant a
gloire
d une
personne
morteou
vivante,
vise
égale-
ment
à
l augmentation
e la
gloire
de l auteur. Ceci
ne remet
pas
en
question
a sincérité es
sentiments,
ar la
complainte
Amé de Mont-
gesoie exprime ussi bien le deuil des parents urvivants ue sa pro-
pre
douleur,
on
«
angoisseulx esplaisir (v. 222).
Mais
le
poète oue
le double rôle du
plaignant
t du
consolateur. C est
pour
cela
qu il
tente,
en élaborant
argement
e récit du
trépas,
en
rassemblant
es
faits et des
émotions,
n
insérant irectementes
réactionsdes
parti-
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 26/163
20
C. KIENING
cipants,de généraliser arallèlementa confrontation vec la mort.
Le
modèle,
présent
n
arrière-plan,
st encore
celui de
1
rs
moriendi.
Mais
il
ne résout
plus
tous les
problèmes ui
se
posent
face à la
mort,
qui
naissent
e
l exigence
d authenticité. n
rencontre,
ans ce drame
de la
perte
itué
au
«
Parc de Dueil
»
(v.
9),
une
ambivalence atente
entre
accroissement
hétorique
u deuil et la
nécessité
hrétienne e
l abolir.
La fin
du texte étant
encore
réservée u retour
vers
Dieu,
la consolation emble
plutôt
effectuer travers e
regard
ur a nature
en tant
que principe
de vie et de
mort.
Pour
pouvoir
estimer a
représentativité
e
cette
perspective
ur
la mort, l fautprendre n considérationa troisièmeomplainte, elle
de Pierre
Michault,
e texte e
plus
long (512
vers)
et
sans doute
le
plus
orientévers des modèles ittéraires16.
ichault,
bien
qu oeuvrant
auprès
de la cour
d Isabelle,
ne fut
pas présent
ors de sa
mort.
Il
n y
a
pas
de
raison
de douter de l indication du début
de sa com-
plainte qu il
eût
séjourné
dans ce
temps-là
«
En
ung
país
loingtain-
nement distant
(v.
1),
probablement auprès
de
Charles le
Téméraire17. e fait
que
Michault ne
pouvait
connaître
a mort
de
la
comtesse
ue
de seconde main
-
par
un
«
raport
(v. 15)
et
peut-
être
par
la
complainte
Amé
qu il
a
utilisée,
emble-t-il,
ans la
partie
finale de sa
complainte
change
profondément
a forme
du récit.
La perspective est plus personnelle, lle exclutpresquetotalement
la
présence
d un
public qui
était
si
important our
les deux
autres
complaintes
our témoigner
u
caractèreuniversel e la douleur. Au
lieu
du
récit
historique
le raisonnement
ersonnel.
La nouvelle
de la
mort
d Isabelle,
considérée
galement
n tant
que
résultat
de l action
puissante
de
la Mort
(«
par
sa
rudesse
/ et
par
son dart
»,
v.
17
sq.), évoque
la réflexion.
our
Michault,
action
de la Mort
représente
ne
«
énormité
qui
n est
pensable que
si l on
admet
que
«
Dieu
n en tient
ompt
ou Raison
n y
voit
goûte
»
(v. 39).
Il
ne veut
pas accepter
a
«
difformité de la création
divine,
agres-
sion contre
a
nature,
contre e
principe
de la vertu
«
Ou
il
con-
vient oy estable nterrompre ou nouvellecreationreprendre autre
moyen
ur
ce ne
puis
entendre
(v. 62-64).
Les alternatives
ont,
bien
sûr,
rhétoriques,
mais elles
prouvent
e
déplaisir
de
supporter
a mort
de
celle
qui
était
«
en tout honneur
de
pure
vertu
sainte
»
(v. 50).
L auteur,
absorbé dans ses
pensées,
e
retire
ans
un
verger
ans
pou-
voir oublier.
Brusquement
l
lui arrive
«
en
estasie /
par trop pen-
ser et
par
ymaginer
(v.
78
sq.)
-
de voir
apparaître
deux dames
bien
différentes
evant
lui,
figurant
on
conflit ntérieur Vertu et
la Mort.
Ensuite,
l
se
développe
en 28
couplets
une altercation
ui,
16.PierreMichault,Œuvrespoétiques, . Folkart éd., Paris,1980,
pp.
143-169
texteritique
ans article
u
même uteur
«
Perspectives
édiévales
sur a mort
,
Le
Moyen rançais
t.
4, 1979,
p.
29-74).
17.
En
novembre
466 harlese retientomme secrétaire
ignant
(cf.
arti-
cle du Dictionnaire
es Lettres
rançaises
op.
cit.,
p. 1186).
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 27/163
RHÉTORIQUE
E LA PERTE
21
caractéristiqueourles altercationsmédiévales, ppose plutôtdes argu-
ments
t des
concepts
que
de véritables
igures.
Vertuaccuse d abord
la Mort d être
dure,
fausse et chétive.
Celle-ci se montre
urprise,
ne
veut
pas
s y
reconnaître
t demande des
précisions.
Vertu
se
nomme
et
s explique,
en
variant urtout es
lamentations
ur
la
perte préma-
turée
de sa
«
noble
creature
(v. 158),
sur a
«
disjuncture
t divorce/
de deux
vrays
uers
»
(v.
187
sq.).
La
position
de la Mort
est,
somme
toute,
plus
nuancée.
Elle insiste ur
son
droit,
son activité
veugle,
son
indifférence
ace aux vices aussi
bien
qu aux
vertus.
Elle
répond
aux
plaintes
navrées
vec des
phrasesgénérales,
urtout
toïques,
con-
tentevoire mbued elle-même.Et c est la Mort, enfin,qui se tourne
vers
a
gloire
de la
défunte,
ui
souligne ue
c est
par
son action
même
qu Isabelle
s inscrit
dans une mémoire
éternelle
«
en
cronique
ou
hystoire
), qu elle
reçoit
a
«
gloire
de Paradis
»
(v.
289-296).
C est
la Mort
qui,
en accentuant
a
fin
«
tres
ertueuse
,
la bonne mort
chrétienne
e la
comtesse,
donne
le
branle
à une modification
mpor-
tante
du
dialogue
:
sa dernière
éplique
se
termine
ar
la
sommation,
adressée
Vertu,
de raconter es
derniers
moments,
es
dernières
hra-
ses
de
la mourante.
Vertu
donne,
après
une brève
ntroduction,
a
parole
à Isabelle.
Par cette astuce
narrative
d une double
diffraction ans le
récit,
Michault rrive rendre résenteses circonstancesu décès sans avoir
été lui-même
résent.
On trouvedans les
paroles
finalesd Isabelle
une
sorte
de combinaison
de
deux formesnarratives es
autres
complain-
tes
:
rapportant,
omme
la chanson
anonyme,
en
discours
direct es
prières
de la
«
gisant
»,
Michault suit
en même
temps
l élaboration
plus
détaillée
de l acte
de mourir
qu avait
donnée Amé. Les
prières
elles-mêmes e
rattachent
celles,
fortement
épandues,
des livres
d heures
et des
livresde bien
mourir.
sabelle,
en insistant ontinuel-
lement ur
la
pauvreté
de
la
créature,
mplore
a miséricorde
u
Dieu,
créateur et
rédempteur,
aide
de Notre Dame et des saints.
Elle
s adresseenfin son époux absentet prendcongéde sa famille.Tousles élémentsde cettedernière
phase
sont en
parfait
accord avec la
description
Amé
: la lecture
de l ars
moriendi
le souhait des inter-
cessions
après
la
mort,
le baisement de la
croix,
etc. C est encore
l exemplarité
une mort
ui
s y
manifeste
t
qui
est
soulignée
de nou-
veau dans les deux derniers
ouplets par
la bouche de
Vertu.
Or,
la
complainte
e PierreMichaultdoit se
comprendre,
n
rap-
port
avec celle
d Amé,
en
tant
que conceptioncomplémentaire
ussi
bien
que
contrastante.
Michault n offre
pas
un
deuxième
reportage
complet
des circonstances
e la mort
d Isabelle,
mais
il
fait de néces-
sité
-
son absence
à
l événement
vertu.
l
transfère oute action
dans un espace clos qui, vide de presquetous les aspectsd un public
de
cour,
reflète a
réciprocité
e
l intérieur t de l extérieur
juste-
ment
u centrede
l altercation,
a
Mort
apprend
à Vertu
qu elle
avait
déjà
entendu
arler
de
son
aveuglement
en
ung
traictié
ar
cest
auteur
dité
»
(la
Dance
aux
aveugles
v.
210).
Ainsi Michault suit e modèle
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 28/163
22
C. KIENING
littéraire u récit llégoriquerêvé où l individu ongeant st lui-même
impliqué,
mais
il
caractérise on
apparition
expressément
et de
manière
plus
différente
ue
dans la Dance aux
aveugles
-
comme
une
«
ymagination
n
estasie
»,
pas
comme un rêve.
Quoique
l atti-
tude de Michault
face à cette
apparition,
ugée
en tant
qu aberration
des sens
(v.
80
;
«
la dure
frenesye
,
v.
77),
reste
critique,
es
ter-
mes dont
il
use manifestent
ependant exigence
d une
plus
grande
véridicité
de cette
«
ymagination que
celle d un
rêve.
Comme
Michault ne
pouvait pas dépasser
la facticité u
récit de
son
prédé-
cesseur,
l
cherchaune nouvelle authenticité
ui
se fonde
sur les
faits
connus, mais qui les insère dans un processusd expérience.
On
peut y
trouver a raison du
changement
e
registre
ssez
frap-
pant
entre e
dialogue
et
Yexemplum
8.
L altercation entre a
Mort
et Vertune résout
pas
le
problème
principal l acceptation
de la mort
d Isabelle.
Bien
que
la Mort ait
les meilleurs
rguments,
Vertu,
obs-
tinée,
ne
cesse
pas
ses
complaintes,
ar
l argumentation
est
pas
suf-
fisante
pour
faire
comprendre
et événement
ugé
inconcevable
ce
qui
est
nécessaire,
est
la
représentation
u
trépas.
C est elle
qui
con-
firme e
qui
n était
connu
d abord
que par
ouï-dire,
t c est
par
elle
que
la mort en tant
que figure
nsaisissable st
transformée
n
mort
en tant
qu événement
historique.
l
est ainsi
significatif ue
le
seul
élément ue Michaultajoute sur le plan des faits soit le derniermot
de la mourante
«
Credo
»
(v. 496).
Ce
mot
peut
être
conçu
égale-
ment omme
aveu de l auteurd avoir
accepté
ce
qui
lui
était u début
inacceptable.
Seulement la
fin
de la
vision,
se
retrouvant
eul dans
le
verger,
l
est
capable
de constater
«
j apperceux par
ce
que
lors
j oy
/
que
Mort avoit de
la
dame
joý
»
(v.
507
sq.).
Michault
s approche
ainsi
du
processus d expérience,
du modèle
dialectique
de
la
Consolatio
Philosophiae
de Boèce
(qui
est cité
par
Vertu),
sans
l atteindre.
l
ne scrute
pas
le
raisonnement
hilosophi-
que
sur
l existence
humaine,
mais la
prolongation
e la vertu u-delà
de la mort.
Pourtant
l a
saisi,
à travers a
double
diffractionu
récit,la problématique e l individuface à l événement istorique t la ten-
sion
entre es faits
«
réels
»
et
la
connaissance
personnelle
et il
a
senti,
plutôt
nconsciemment,
a nécessité
du
«
travail du deuil
»
qui
s exprime
de
plus
en
plus
souvent dans des
textes ittéraires t auto-
biographiques
du
XVe
iècle
19.
En
regardant
ensemble
des trois
complaintes,
n ne trouve
pas
de
divergences
ssentielles
ur
le
plan
des
événements,
mais
on
y
trouve,
sur
le
plan
de
l imaginaire,
différentsmodèles
littéraires e
la
consolation
qui
méritent
attention.
Le déroulement
u
trépas
est
aussi
assuré
que
la douleur
profonde que
la mort d Isabelle
pro-
ís. Pierre
Michault,
p.
cit.,
p.
150.
19. Un
exemple
xtraordinaire
n estdonne
ar
e marchandlorentiniovanni
di
Pagolo
Morelli
«
Ricordi
)
à cause e
a mort e sonfils
1406)
voir
.C.Trex-
ler,
Public
ife
n RenaissancelorenceNew
York, 980,
p.
161-186.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 29/163
RHÉTORIQUE
E LA PERTE
23
voqua dans tout son entourage.On ressentit ortementa pertede
la noble
dame,
toutefois ans tomber dans le
désespoir.
Après
des
mois
de
maladie,
sa
mort ne fut
pas
une
grande surprise.
Elle
était
«
apprivoisée par
son caractère
public
et, surtout,
ar
l absence
de
Charles
le Téméraire.
Il
se
peut que
les
complaintes
d Amé
et de
Michault s adressèrent
mplicitement,
ntre
utres,
à
Charles
pour
lui
présenter
es récits
plus
détailléset
plus
nuancés d un événement
ui
devait lui
tenir fortement cœur
;
et
il
faut
ajouter
qu un
certain
changement
humeur de sa
part
était
parfois
mis
en
rapport
avec
la mort
de
son
épouse
aimée20. Celle-ci donna
par
sa mort exem-
ple d un décès parfaitementhrétien el qu il était définipar les arts
de bien mourir
«
Avoir
conscience
de
sa
fin
prochaine,
avoir
du
temps pour
recevoir e saint
viatique,
avoir autour de
soi
assemblés
clercs
et
laïcs,
parents
et
amis,
telles
sont
les conditionsde la meil-
leure
mort
;
et
il
semble
que
les
auteurs,
avec
une
grande
unani-
mité,
se sont saisis de la chance de
pouvoir parler
d une
mort
qui
était
-
comme
peut-êtrepeu
d autres
-
conforme
au modèle21.
Mais ils n en restèrent
as
là.
En
exposant
tout un
spectre
d éléments
de
la douleur
-
tels
que
le
choc,
l agression,
identification vec la
défunte,
tc.
-
ils
ont
aussi
présenté
e
que
la
psychologie
moderne
a
découvert
en tant
que
phases
essentiellesdu deuil humain.
Il y a d autres onvergences lutôt ittérairesarmi es complaintes
-
comme celle de l accentuationde la
gloire
ou
celle de
l exigence
de l authenticité
qui pourraient intégrer
ans la tendance
ue
l on
a
appelée
«
la victoire
ur
la mort
(cf.
note
7).
Or,
la
situation st
plus
complexe.
La
perspective ynchronique
montre
que
les auteurs
ont tentéde créer authenticitéoit
par
l extériorisation,
oit
par
l inté-
riorisation
es
événements.
es
implications
de
ces deux
approches
se manifestentlairement
ne
génération lus
tard,
dans les
complain-
tes de Jean
Molinet et Olivier de
la Marche lors de la mort
de la
seule
fille
d Isabelle,
Marie de
Bourgogne22.
ean
Molinet,
commen-
çant sa complaintepar une longue description e la ville de Brugesau
jour
de l enterrementt de ses difficultés trouver n
logement,
la
termine
ar
un
dialogue
-
en latin
-
entre e
malheureux
poux,
Maximilien,
t la
défunte,
ialogue qui
ranime
momentanémente Toi
perdu
et
qui
réaliseune dernière
résence
e
l absente
«
À
cœur vail-
lant
il
n est
riens
mpossible
,
v.
400).
Olivier
de la
Marche,
quant
à
lui,
après
avoir offert ans une
première artie
plutôt
traditionnelle
les circonstances u
trépas,
clame enfin
sa
propre
douleur et
déve-
loppe
une altercation
aperçue
«
en
une
dorme-veille
-
entre
20.
Cf. L.
Hommel,
p.
cit.,
p.
66.
21. R.Chartier, Les arts emourir,450-1600, Annales SC t.31, 1976,
pp.
51-70,
n
particulier.
66.
22. Jean
Molinet,
aictz
t
dictz
N. Dupire
d.,
.
, Paris, 937,
p.
162-180
Olivier e
a
Marche,
Complainte
ur a Mort
e Madame
arie e
Bourgogne
,
dansRecueiles
hansons,
oèmes
t
pièces
n vers
rançais
elatifs
u
Pays-bas
t.
II,
Bruxelles,878,
p.
25-38.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 30/163
24
C.
KIENING
l œil, qui ne veut pas croirece qu il voit, et l âme qui confirme t
console. Les
tendancesde l extériorisationt de l intériorisation
ppa-
raissent insi
inextricablementiées. C est dans
l exigence
d authenti-
cité
que
la
documentation,
e
plus
en
plus
détaillée,
des événements
extérieurs
un
décès
rejoint
a
présentation,
e
plus
en
plus
nuan-
cée,
d un conflit ntérieur.
Mais,
en insérant a mort
dans
un
entre-
mêlement e circonstances
t de
sentiments,
n
lui rend aussi une nou-
velle
formede
présence.
C est
elle
que
l on
retrouve ans la dialecti-
que
presque
paradoxale
de
deux attitudes ace à la mort d une
part,
sur
le
plan idéologique,
a
négation
ou la
diminution e la mort
par
la renommée t la gloire,d autre part, sur le plan anthropologique,
l acceptation
du
phénomène
du deuil. Les
conséquences
de cette dia-
lectique,
touchant
profondément
l efficacité u modèle
chrétien e
la
consolation,
pparaissent éjà
en
arrière-plan
e la
bonne mortdont
parlent
es
complaintes our
Isabelle de Bourbon. Et c était
déjà l apô-
tre Paul
qui
les
anticipait
n
apprenant
ux
Thessaloniciens
ne
pas
se
plaindre
«
comme
les
autres
qui
n ont
pas d espérance
».
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 31/163
Médiévales7,automne994, p.25-36
Martine CLOUZOT
SOUFFRIR
EN
MUSIQUE
Plaisir des
sens,
a
musique paraît
oin
d'évoquer
le moindre
en-
timent e
douleur,
puisque
sa
principale
vertu
serait
d'«
adoucir les
mœurs
»*.
Néanmoins,
diverses sources
iconographiques réparties
entre e
xme
et le
XVe
iècle
témoignent
u caractère
persécuteur
e
la
musique
en certaines irconstances.
Or
il
semblerait
ue
ces deux
visages
de la
musique
face à la souffrance ont
déterminés
ar
les
instrumentse musiqueetjeurs sonorités espectives. eux-ci sont eneffet
répartis
u
Moyen Âge
en deux
grandes
familles,
n fonction
de Tintensité
e leur
volume
sonore
l'ensemble
des
«
hauts
»
ins-
truments
egroupe
eux
qui
font
beaucoup
de
bruit,
els
que
les
trom-
pettes
et les
tambours,
tandis
que
les
représentants
e
la
famillede
«
bas
»,
comme es
flûtes t les
cordes,
produisent
es sonorités
plus
douces2.
À
partir
de ces notions
acoustiques,
nous
tenterons
e
cer-
ner la
nature et
l'intensité
es relationsentre
ces
deux
familles ns-
trumentalest
la
souffrance. es incidences onoresde ces
instruments
sur la sensibilité
t
les émotionshumaines e manifestent
ans
un
pre-
mier
temps
dans les
images
mettant n
scène les
propriétés hérapeu-
tiques et apaisantesde la musique instrumentale. n revanche,nous
verrons travers
un second
ensemble
conographique
ue
les mélo-
dies
des
instruments e
musique participent arfois
de la
souffrance
des hommes.
1. Platon eliee
mot
musique
au mot
muse et
au verbe
rec
désirer
qui
ui
correspond
«
Quant
ux Muses
t à la
musique
n
général,
'est u
fait e
désirermôsthai)emble-t-il,e la recherchet de Pamoure la scienceuece nom
a été iré
,
Le
Cratyle
406a,
rad. ouis
Bédier, aris,
989,
.
84.
De là dérive-
raient muser
,
«
amuser et
«
cornemuser
,
d'après vangheliosoutsopoulos,
La
musique
ans 'œuvre e
Platon
Paris, 959,
.
6.
2.
E.A.
Bowles,
La
hiérarchiees
nstrumentse
musique
ans
'Europe
éo-
dale
,
Revue e
Musicologie
t.
42, 1958,
p.
155-169.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 32/163
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 33/163
SOUFFRIR N
MUSIQUE
27
Fig.
-
Tacuinum
anitatis,ienne, NB,
ms.nv. ser.
2644,
° 100.
la foliefurieuse,mais
cette
affection eut également e prêter une
interprétation
'ordrethéologique. L'emprisedes
passions
sur la rai-
son humainedénote en effet hez
certainshommes
d'Église
une sorte
d'abandon ou d'absence de Dieu en
Saül,
dont
seule la douceur de
la
harpe
de David
peut
rétablir
a
présence.
Dans le même
ordre
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 34/163
28
M. CLOUZOT
d'idées, si le pauvreJob,ruinéet abandonnépar les siens surun tas
de
cendre,
peut
trouver n
certainréconfort
pirituel
t
une sérénité
intérieure,
'est
parce que,
dans
un tel contexte
héologique,
es mélo-
dies discrètes
des bas instruments
ue
ses trois amis sont venus lui
jouer,
apparaissent
omme e reflet
ur
terrede l'harmoniedivine
-
la musica
mundana
-
et
de
la
musique
céleste.
En
cela,
elles seules
détiennent
e
pouvoir
de rétablir n
équilibre
moral et une
présence
divine chez les êtres souffrant
e
désespoir
et de
mélancolie8.
Fig.
-
Psautier
e la reinesabelle
'Angleterre,
près
308.
Munich,
od. Gall.
16,
f°
35
v°.
Dans
une autre
perspective,
es vertus
hérapeutiques pécifiques
des
instruments
cordes
pourraient
voir
pour origine
es connota-
tions
fondamentalementéminines
u'ils
véhiculent,
otamment
tra-
vers leurs cordes9.
La
littérature
t
l'iconographieprofanes
en don-
nent
'exemple
à
travers
e Roman de Tristan dont
plusieurs
manus-
8.
Pierre e
Nesson,
es
Neuf
eçons
e
Job
Paris, .N.,
ms.fr.
225,
°
40,
xvc
iècle,
tun Livre 'Heures
l'usage
e
Rouen, aris, .N.,
ms.
at.
1381,
°
62,
xvc
iècle.
e référeru texte
iblique
ob
1,
8 à 12.
9. Les cordes e
sont
as
es seuls lémentsémininse
ces
nstruments.
eurs
instrumentistes
ont n effetouvent
es musiciennesu fort
ouvoir
usicalelles
que
es irènes
éductricest
maléfiquesui ouent réquemment
e a
harpe
ans 'ico-
nographieesbestiaires.eplus,a féminitétde eur ersonnetde eur nstrument
à cordes 'est
as
étrangère
u milieu ans
equel
lles
voluent,
savoir'eau.Ce
thèmest
galement
ommunu Roman e
Tristant seutdans
equel
'attachement
des
peuples
rlandaisla fois la mer t
à la
harpe
st out fait
xplicite
tencore
très ctuel.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 35/163
SOUFFRIR N
MUSIQUE
29
critsdu XVe iècle sont ornésde l'image d'Iseut cherchant consoler
Tristan
de leur
séparation,
au
moyen
des mélodies
douces,
et
sans
doute
maternelles,
e
sa
harpe10.
Grâce à cette
harpe,
Iseut
est assu-
rée de
toucher
Tristan au
plus profond
de ses
émotions et de son
désespoir
d'une
part,
'instrumentst au cœur de leur
amour,
puis-
que
c'est Tristan
qui
lui a
appris
à en
jouer
;
d'autre
part,
il
est à
l'image
d'Iseut,
orné de
longues
cordes blondes comme
sa
chevelure,
et
il
est délicat et doux
comme
elle. La
harpe
de Tristan et
Iseut est
d'une certaine
manièreune
source
d'espoir
et
de
réconfort
our
leur
amour
désespéré.
Aussi,
du
XIIIe
iècle au
XVe
iècle,
l'iconographie
révèleque les instruments cordes tiennentieu de palliatifs pirituels
et
affectifs ux
désespérés
et aux
mélancoliques.
Mais cette
conographie
évèle
également ue
l'emploi systémati-
que
des instruments cordes
de
l'ensemble de
«
bas
»
en
musicothé-
rapie
serait
d'ordre,
non
plus acoustique,
mais
historique.
La con-
naissance des vertus édativesde
la
musique
remontant
l'Antiquité,
il
est effectivementort
probable que
les
penseurs
médiévaux
e sont
contentés e
reprendre
ans leurs traitésde médecine
es
instruments
à cordes
que
les
philosophes antiques
avaient cités
certainement n
connaissancede cause.
Depuis Pythagore,
ui
conseillait e
jeu
de
la
cithare
pour
calmer es
passions11
t
qui
fut
reprispar
Platon
dans
le Cratyle par Aristote ans son ProblèmeXXX12,puis par ses suc-
cesseurs
médiévaux,
'idée dominante st
qu'«
il
y
a
du
rythme
t du
nombredans
le
corps
comme
dans
l'âme
»
;
or le
rythme
t
le nom-
bre constituent
récisément
es fondements e la
musique.
Aussi une
âme est-ellemalade
quand
ses
mouvements,
es
rythmes
t
son
har-
monie ntérieurs
âtissent
'un
déséquilibre ythmique
t
harmonique.
L'influence
des
mouvements
xtérieurs
t
harmonieux e la
musique
lui
permet
de
retrouver on harmonie nitiale et
donc de
ramener
l'ordre ses
passions
déréglées.
L'action
apaisante
de
la
musique
sur
l'âme
est encorecouramment
voquée
à
travers
'expression
la
musi-
que adoucit les mœurs»...Tout en résumant vec une certaine
ustesse
les
qualités
théra-
peutiques
ttribuées
la
musique
dans
les cas de
mélancolie t
d'hysté-
rie,
un extrait
u Livre
III
des
Étymologies
d'Isidore
de Séville
indi-
que par
ailleurs
que
la
musique
ne
soigne pas
seulement
es
maladies
nerveuses,
mais
s'applique
aussi
à
celles
qui
sont de
nature
rganique:
«
La
musique apaise
les
excités,
comme on le
lit à
propos
de David
qui
débarrassaSaiil
de
l'esprit
mmonde
u
moyen
de
10.
Vienne,
.N.B.,
ms.
537,
°
103, 18,
74
v°
Paris,
.N.,
ms. r.
02,
° 134
v°, 159, t ms.fr. 03, ° 1 Bruxelles,ibl.Roy.,ms.14697,°99v°,213v°,449
v°,
vers 435
Genève,
ibl.
Univ.,
ms.fr.
189,
ers 470.
11. Cf. J.
Pigeaud,
olie t
cures e la
folie
hez
es
médecinse
l'Antiquité
gréco-romaine
Paris, 987,
.
159.
12.
Aristote,
es
Problèmes
trad.J.
Barthélemy
e
Saint-Hilaire,
aris, 891,
2
vol.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 36/163
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
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SOUFFRIR
N
MUSIQUE
31
provientmanifestementu bruit ui règne utour de lui : à sa droite,
un homme
agite
de la
main
une
énorme
cloche,
tandis
qu'à
sa
gau-
che une femme
'apprête
à lui souffler
n
coup
de
trompette
ans
les oreilles.
Cette scène donne ainsi
un
exemple
concret
d'agression
physique
de
l'oreille,
provoquée
par
le
«
bruit musical
»
des instru-
ments de
«
haut
».
Cette sensation
de douleur auditive
engendre
nécessairement ne
souffrance
morale,
dont
la valeur
émotionnelle mane
pour
une
large
part
du contexte
ocial
et
spirituel
ans
lequel
elle est endurée. C'est
principalement
vec le
développement
e
l'iconographie
profane
des
romans et des chroniquesdu XIVeet du XVe iècle que ce genrede
souffrance
n
musique
est
représenté.
l
met en
scène,
par exemple
dans
une miniature e L'Histoire
de Renaut de
Montauban
datant
du
xve
siècle15,
'annonce
publique
du
bannissement
'un homme
par
un
conseiller
municipal,qui
est
accompagné par
un
trompettiste
t
un
joueur
de
sacqueboute16.
Leurs sonneries
bruyantes
t
clinquan-
tes
participent
lors
activement u cérémonialde
la
déchéance
uridi-
que
et
morale du banni. C'est
une
façon
de lui faire
éprouver
ncore
plus
fortement on déshonneur
et de lui
signifier
a
mort civile.
D'autre
part,
le
message
sonore des deux
trompettes
'adresse
aussi,
et
surtout,
la
population
qui
ne
s'en
trouve
que plus impression-
née : c'est une manièrede garantir 'ordrepublic et la paix sociale.
Le climat
de terreurnstauré
ar
la
musique
au
cours des annon-
ces
de
bannissement
st sensiblement
dentique
celui
qui règne
ors
des exécutions
apitales.
Ce
sont
encore des
trompettes
ui accompa-
gnent
et même
amplifient
a souffrance
morale,
et bientôt
physique,
du condamné
à mort
représenté
ur
la
place publique
dans
les minia-
tures du
De Bello Judaico
de
Flavius
Josèphe
et des
Chroniques
de
Froissart17.
lus elles sonnent
haut et
fort,
plus
elles
communiquent
la douleur
personnelle
u
condamné
au
public,
tout en
suscitant a
peur.
Ainsi,
le rôle des
«
hauts
»
instrumentsiserait
décrire
cous-
tiquemente terrible pectacle auquel assiste 'ensembledes habitantsde la ville. Mais il révèle
également
a troublante
proximité
ue
ces
instruments
ntretiennentvec le
royaume
des
morts,
xpliquantpar
conséquent
a
frayeur u'ils provoquent
chez
les hommes.
L'iconographie
du charivaridu Roman de Fauvel
18
illustre
par-
faitement
a fonction e
médiateurs
ntre e monde
des enfers t celui
des
vivants
u'exercent
es instruments
e
haut.
À
l'occasion du rema-
riage
d'un veuf avec une
jeune
femme,
a bande
des
jeunes exprime
son mécontentement
ace à une
telle entorse ux
règles
de la
commu-
15. L'Histoiree Renaut e Montauban
Bruxelles,
ibl.
Roy.,
ms.
7,
f°
18v°.
16. La sacquebouteppartientla famille escuivres,lle est ancetre u
trombone.
17. Flavius
Josèphe,
e Bello
Judaico
Paris, .N.,
ms.
at.
6067,
°
58 Frois-
sart,
Chroniques
e France t
d'Angleterre
Berlin,
épôt
Breslau
,
ms. Rehd.
,
f°
44.
18.
Le
Roman
e
Fauvel
Paris,
.N.,
ms.fr.
46,
ive
iècle.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 38/163
32
M. CLOUZOT
nauté. Elle mène alors un grand tapageen frappant ur des tambours
et des chaudrons
devant
a
maison
des nouveauxmariés.Ceux-ci
ouf-
frent ertes
d'être
bruyamment
malmenés et
agressés
en
public par
le
tintamarremusical
de la
jeunesse
mécontente
ue
l'une
des leurs
ait été
prise
par
un homme mûr. Mais
le
couple
craint
plus
encore
la colère
de la défunte
ui
se
fait entendre
u
monde des
morts
par
le biais
des hauts instruments.
insi,
leur fonctionmédiatrice ntre
le
couple
et la communauté 'une
part,
et le
groupe
des
mortsd'autre
part,
s'avère
fondamentale ans
le rituel du
charivari.
La
souffrance,
a
peur,
la mort et la
musique
instrumentalee
côtoient galementur es champsde bataillede la findu MoyenÂge.
L'iconographieprofane
de cette
époque
les rattache
presqu'exclusive-
ment
au domaine de
la
stratégie
militaire t
politique.
Les scènes de
guerre
ont
nombreuses
n cette
fin
très troublée
du
Moyen
Âge
et
représentent
e
plus
souvent
ux abords
de la bataille
trois
ou
quatre
soldats
à cheval
qui
soufflent
igoureusement
ans une
trompette
droite en direction
de leur
camp.
De cette
manière,
es
ménestrels
royaux
d'une
miniature e L'Histoire
de
Charles Martel
9
signalent
à
leur
armée es différentes
anœuvresmilitaires
suivre,
t
surtout
ils
augmentent
onsidérablemente bruit
ambiant
des combats. Le
recours
fréquent
ux
trompettes
t aux tamboursde
guerre
ert ainsi
à tromper'ennemipar diverses actiquesde bruitage, u à l'effrayer
et à
l'impressionner
avantagependant
e combat.
C'est ce
qui
trans-
paraît
d'une
magnifique
miniature
de la
Bible du cardinal
Maciejowski20
fig. 3),
dans
laquelle
des soldats
à cheval
dirigent
agressivement
eurs
ongues
trompettes
roitesvers l'armée
ennemie,
terrorisée
t en déroute.
Aux souffrances
hysiques
des combattants
blessés
s'ajoute
donc la
peur panique,
avivée
par
les sonorités lin-
quantes
et
percutantes
es
trompettes.
Ainsi,
à
travers es
images
de
bannissement,
'exécution
apitale,
de charivari
t de
guerres,
e rôle essentiel
de la
musique
instrumen-
tale,
et
plus particulièrement
es
«
hauts
»
instruments
vent,
onsiste-
t-il à produireun climat sonorequasiment nsoutenablepour l'audi-
tion et
par
conséquent
émotionnellement
ngoissant.
L'iconographie
eligieuse
es
œuvres
bibliques,
iturgiques
t théo-
logiques
de
la
fin
du
Moyen
Âge
offre
quant
à elle d'autres cas
de
douleur iée
à
la
musique.
Il
s'agit
de nombreuses
eprésentations
u
Jugement
ernier
eintes
ar exemple
ans les
images
des
Heures
dites
de
Sobiesky2].
Sur fond
de crise
politique
et
spirituelle,
es
images
religieuses
nt
en commun
vec les
précédentes
es thèmes
de la mort
et
de la
peur
de
l'Au-delà dont
les
trompettes
roites
t
leurs sonori-
tés
impressionnantes
estent
ndissociables.
ans ces circonstances
ra-
19.
L'Histoire e Charles
Martel
Bruxelles,
ibl.
Roy.,
ms.
9,
f°
416
v°,
xve iècle.
20. New
York,
ierpont organ
ibrary,
s.
38,
f°
13.
21. Les
Heures e
Sobiesky
Windsor,
oyal ibrary,
°
109.
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SOUFFRIR
N
MUSIQUE
33
Fig.
3
-
Bible
e
Maciejowski,
ew
ork,
ierpontorganibrary,
s.
38,
°
13.
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34
M.
CLOUZOT
matiqueset apocalyptiques, lles sont ouées par les anges musiciens
entourant
ieu le
Père. Leur
lien
avec
la souffrance
umaine semble
inscrit
ans
l'orientation
ystématique
e leur
pavillon
vers e
bas
de
l'image,
là où les âmes des
fidèles ommencent sortirde leur tom-
beau et
à
implorer
a miséricorde
ivine. Par
leurs fortes
onorités,
claires
et
majestueuses,
ces
«
trompettes
e la mort
se font les
bruyants
nterprètes
u
Jugement
e
Dieu et
préfigurent
es terribles
châtiments
e la
damnation
ternelle.
n
instaurant insi une atmos-
phère
de
terreur
schatologique,
lles
renforcent
ensiblement
e carac-
tère
apocalyptique
du
Jugement
inal.
Celui-ci trouve son prolongement ans les représentations e
l'Enfer,
comme
par exemple
dans celle
d'une miniature e la Cité de
Dieu de saint
Augustin22.
'Enfer fait certes horreur
voir,
mais
aussi à
entendre au
milieude tant de
flammes,
e
damnés
en
pleurs,
d'instruments
e tortures
t de diablotins
icanants,
l
règne
ans aucun
doute
un
«
bruit
d'enfer
Ne voit-on
pas
un diable
soufflant ans
une cornemuse
u
frappant nergiquement
ur
un
tambour ux oreil-
les
d'un torturé
Associant souffrance
uditive t souffrance
morale,
cette
mage
rejoint
alors
la
marge
du
graduel
du xive
siècle
présen-
tée
plus
haut.
L'iconographie
religieuse
t
profane
du
xive
et du
xve
siècle
a
donc montré a fonction 'intermédiaireonorequ'exerce la musique
des
hauts nstruments
ntre es hommes
t l'ordremoral et social d'une
part,
entre es vivants
et
l'angoisse
de la mort et de l'Enfer d'autre
part.
De cette
manière,
ce
type
de
musique
instrumentalentervient
dans la souffrance
hysique
et
morale des
hommes,
non
plus pour
l'atténuer,
mais
au contraire
pour
lui
ajouter
une note
dramatique.
Déterminée
par
le contexte
olitique
et
spirituelprofondément
er-
turbé
de la
fin du
Moyen
Age,
l'iconographie
musicale de la souf-
francede
cette
époque
se
démarque par
conséquent
de celle des
siè-
cles
précédents.
Un instrumentarium part
est
également
rès
présent
dans les
borduresmarginalesdes livresd'heures, des bréviaires t des psau-
tiers
datant
principalement
u
XIVe
iècle. L'intérêt
de ces
marges
musicales
st
qu'elles
contiennent
n
paradoxe
acoustique
ié à
la dou-
leur. Parmi
les
plus
parlantes
figurent
elles
qui
bordent es
pages
du
Livre
d'Heures
de Jeanne
d'Évreux
datant
des
années
132523,
dans
lesquelles
divers
tres
hybrides rattent
vec un
plectre
u raclent vec
un
râteau
la mâchoire
osseuse
d'un
animal de
type
bovin,
parodiant
le
jeu
du luth
ou de
la vièle
à archet.
De
même,
dans
la
marge
nfé-
rieure
d'un
psautier
anglais
du
xive
siècle24,
ne femme
?),
la tête
22.
Saint
Augustin,
a Cité
e
Dieu
Mâcon,
ibl.
Mun.,
ms.
,
f°
7,
xve
iècle.
23. Les
Heures e
Jeanne
'Evreuxnluminées
ar
Jean
ucelle,
ew
ork,
lois-
ters
Museum,
s.
54.1.2,
°
149,
54 t
183,
ers 325.
24.
Oxford,
odleian
ibrary,
s.Douce
5,
f°
164.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
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SOUFFRIR N
MUSIQUE
35
dans un chaudron,frotte n grilavec une pairede pincesà feu tout
comme un
griffon
vièle
»
un soufflet
galement
vec
des
pinces
à
feu
dans
la
bordure
du Psautier
Ormesby25.
Tous ces ustensiles nt de
paradoxal
d'être
utilisés comme
des
instruments
e
musique
sans réellement
n
être. Et
c'est
en
quelque
sorte
dans cette
ambiguïtéqu'ils
se trouvent
iés à la
souffrance
t
par
là à la
mort,
puisque
les
pinces
à
feu,
le
soufflet t le
gril
ncar-
nent sans
équivoque
les instruments e torture e l'Enfer.
De
même,
les
mâchoires
nimales
feraient éférence la
douleur
physique
cau-
sée
par
la
décomposition
harnelle t la mort. Mais
surtout,
ous
ces
objets musicauxet ces instrumentse torture nt la particularité e
ne
produire
ucun
son
musical. Si l'on
songe
à
l'effrayant
intamarre
émis
par
les
instrumentse
«
haut
»,
le
paradoxe
est de taille
Disons
plus
précisément
u'il
est
organologique
t
acoustique
ces instruments
qui
n'en
sont
pas engendrent
es
sentiments
'angoisse
autrement
lus
déstabilisants
ue
les sonneries es
trompettes,
ustement arce
qu'ils
ne
produisent
ue
du
silence,
un
«
silence de mort».
Ces
représenta-
tions annoncent
n
quelque
sorte celles des
danses macabres des
XVe
et
xvie
siècles,
car
il
est
frappant
de constater
que
très souvent
es
squelettes
musiciens
ui
mènent a ronde
brandissenteurs
nstruments
au lieu d'en
jouer.
Ils entraînent insi leurs
victimes ans une
danse
macabretotalement épourvuede toutemélodie,malgré a présence
des instruments e
musique.
De ce vide
sonore naissent névitable-
ment un mal-être t une souffrancemorale.
Ce
rapide panorama
sur la souffrance t
ses relations
avec la
musique
instrumentale
met donc
au
jour
une^
reproduction arfaite
des deux
ensembles
nstrumentauxu
Moyen Âge
: les
sonorités lai-
ronnantes t terrifiantes
es
«
hauts
»
accentuent
onsidérablementa
douleur
humaine,
alors
que
les mélodies douces et
harmonieuses es
«
bas
»
au contraire
'apaisent
et
apportent
un
réconfort
moral au
souffrant. ans toutefois ystématiser outrance etterépartitionns-
trumentale,
l existenéanmoins ans
l'iconographie
e la findu
Moyen
Âge
une relation
très forteentre es
hauts
instruments
t le
monde
des morts
qui
intensifie
rofondément
e
sentiment e
peur
chez
les
hommes t
par
conséquent
eur
souffrance.Ce
rapport
particulier
u
bruit musical
des hauts
instruments
vec la
mort est
sans doute
né
de
l'omniprésence
t de
l'obsession de la mort
dans la vie et
les men-
talitésdes
hommes
de
cette
époque
de
crises.
En
revanche,
une con-
tinuité nstrumentale
e
poursuit
depuis l'antiquité
grecque
dans les
images
des
xme,
xive
et
xve
siècles. Elle
concerne
es
instruments e
l'ensemble
de
bas
qui
sont
utilisésdans le cadre
de la
musicothérapie
des maladies mentaleset organiques images idéales de l'harmonie
divine sur
terre,
es sonoritésdouces et
suaves des
instruments cor-
des servent e
remède
spirituel
t
affectif ux
âmes et aux
corps
en
25.
Oxford,
odleian
ibrary,
s.
Douce
366,
f°
24,
xive
iècle.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 42/163
36 M. CLOUZOT
souffrance.Ainsi, l'écoute du volume sonore et des timbres olorés
des instrumentsu
Moyen Âge
à
travers
'iconographie
e
révèle
être
une
manière
d'appréhender
'influence ienfaisante
u malfaisante
ue
leurs
mélodiesexercent ur la sensibilité es
hommes
de
cette
poque.
L'ambivalence du
pouvoir
de la
musique
instrumentale,
a con-
naissance
et son
utilisation,
e
sont
pas
particulières
u
Moyen
Âge,
puisque
de nos
jours
la
psychiatrie
oderne
encore
recours la
pra-
tique
de
la
musicothérapie26,
andis
qu'à
l'inverse,
les sirènes de
police,
héritières irectesdes
trompettes
municipales,
aissent
planer
sur eur
passage
une
sensation
'inquiétude.
nfin,
de
façon
plus empi-
rique encore, 'instrument e musique est par lui-mêmeun véritable
instrument
e torture.
Qu'il
soit
à
vent,
à cordes ou à
percussion,
sa
pratique
assidue
suppose
en effetune contrainte t une
discipline
du
corps
et de
l'esprit qui
ne vont
pas
sans
souffrance
hysique
et
morale.
26. Dansunautre
omaine,
ertainestations
e métrot de
RER
très
réquen-
tées,
omme
es Halles
ar
exemple,
iffusent
e la
musiquelassique,
réantinsi
une
mbiance
lus
ereine
t sécurisante.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 43/163
Médiévales7,automne994, p.37-49
Piroska ZOMBORY
-NAGY
LES LARMES DU CHRIST
DANS L'EXÉGÈSE MÉDIÉVALE1
D'après
le Nouveau
Testament,
Jésus
pleura
trois fois dans sa
vie. Le dernier
pisode,
le
plus
connu,
dont le souvenir
remportera
dans
les mentalités
ommunes
de la
fin
du
Moyen Âge
jusqu'à
notre
époque,
se trouve dans
l'Épître
aux
Hébreux
(5, 7).
En
se retirant
pour prier
dans le
jardin
des Oliviers
après
la
Cène,
Jésus versa
des
larmes de douleur à la pensée de sa Passion :
«
C'est lui
qui,
aux
jours
de
sa
chair,
ayant présenté,
vec
une violente lameur t des
larmes,
des
implorations
t des
sup-
plications
celui
qui pouvait
le sauver de la
mort,
et
ayant
été
exaucé
en
raison
de
sa
piété,
tout Fils
qu'il
était,
apprit,
de ce
qu'il
souffrit,
'obéissance...
»
Cette
mage
familière
u Dieu
incarné
n
hommede
douleur dis-
tille
l'essentiel
de la
représentation hristique
de la
modernité cci-
dentale,par
contraste vec le Christ-roi
lorieux
de la
période
caro-
lingienne.Affliction t pleurss'associent ici : cettefiguredu Christ
incarne a souffrance umaine
ue
Dieu assume
pour
notre alut.
Mais
si Jésus fond en larmes trois fois lors de
sa vie
terrestre,
eules les
larmesde
l'Épître expriment
a
souffrance. xaminons
donc les deux
autres cas.
La
première
cène des
larmes du Christ selon la
chronologie
de
l'histoire ainte st relatée
par
l'Évangile
de
Jean
11, 35)
:
Jésus
pleure
avant de
ressusciter azare. Son
esprit
frémit
lors,
il
se trouble à
la
vue de Marthe et des
Juifs
n
pleurs
il
a
les larmes
aux
yeux,
il
pleure
lacrymatus
st).
Les Juifsvoient en
ses
larmes
une
preuve
de son amourpourLazare ; mais Jésusne pouvait pleurer ur a perte
de son ami
qu'il
allait
ressusciter.
l
connaissait son
pouvoir
et
son
rôle.
1. Je iens
remercierora
Berend,
lain
Boureau,
ilbert
ahan,
Véronique
Frandont
Sylvain
iron
our
eurs
énéreux
onseils,
ides
t relectures.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
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38
P. ZOMBORY-NAGY
Le secondépisode présentea mêmeparticularité prophétique .
Selon Luc
(19, 41),
Jésus
pleure
à l'entrée de
Jérusalem
ur
le
sort
futur e
la
ville,
comme
l
le dit lui-même.Le
caractère
prophétique
de
ces
pleurs,
provoqués par
un
événement
venir,
relie
es deux tex-
tes. Le Christ
pleurant
est le Dieu-homme
par
excellence le divin
qui
sait
en lui
n'empêche pas
la
partie
humaine
de
s'émouvoir.
Un travail ur les
interprétations
édiévalesdes larmesdu
Christ
conduità une
interrogation
lobale
sur
le
lien de la
souffrance t
des
larmes dans la culture hrétienne.
'emblée,
nous avons coutumede
les associer
toutefois 'affliction
'a
jamais
été la
cause
unique
des
pleurs. Il apparaît que les pleursmédiévauxdébordentdu champde
la
souffrance
t de la
tristesse
our
s'articuler
d'autres émotions
fortes,
nexprimables
ar
les mots
regret
es
péchés
ors de la
prière
et de la
pénitence
bonheur
céleste
anticipé
des saints
qui disposent
du don des larmes ou
encore
compassion
t
langueur
d'amour. Pour
explorer
ette
fortune es larmes dans l'Occident chrétien u
Moyen
Âge,
on examinera
'exégèse
des trois
passages
néotestamentairesur
les larmes
du
Christ.
Compte
tenu de
l'importance
de la littérature
exégétique
médiévale2,
'enquête
ne
peut
constituer
u'un sondage.
Ainsi le
corpus
des
sources utilisées e réduira
à
quelques
commen-
taires
médiévaux,
mportants, épandus
et facilement
ccessibles,
de
ces troisversets,produitsentre 'époque patristique3 t le XIIIe iè-
cle4.
Les scènes
bibliques qui
font
apparaître
es
larmes
fonctionnent
comme
des
séquences
narratives
hargées
de
sens
pour
leurs
exégètes.
Mais
les commentateurs
'interrogentgalement
ur
la
cause
et
le sens
des
larmes
de Jésus. Les
larmes
christiques
nt servi au
Moyen Âge
2. Pour
epérer
es
ources,
f.
F. Stegmüller
epertorium
iblicum edii
evi,
11
vol.,Madrid,
950-1980..
Spicq,
squisse
'une
histoire
e
l'exégèse
atine
u
Moyen ge
Paris,
Vrin,
944
Bibliothèque
homiste,
XVI)
pour
ne
bibliogra-
phie
de
base,
f. B.
Smalley,
he
Gospels
n
the chools .
1100-1280
Londres,
Hambledonress, 985 LeMoyen ge t a Bible G.Lobrichont P. Riché d.,
Paris,
eauchesne,
984 The
Cambridge
istoryf
the
iblevol. :
The
West
rom
the
athers
o the
Reformation
G.W.H.
ampe
d.,
Cambridge,
ambridge
niver-
sity
ress,
969 H.
de
Lubac,
'Exégèse
édiévale.es
quatre
ens e l'Écriture
4
vol.,
Paris,
Aubier-Montaigne,
959.
3. Parmies
pères
recs,
e
n'ai
pris
n considération
ue
es
plus mportants,
connus
u
Moyen ge
n Occident.
4.
Pour uc
19, 1,
'ai
utilisé
es uteurs
uivants
Origene,
aint
mbroise,
aint
Jérôme,
régoire
e
Grand, ède,
Walafrid
trabon,
runo e
Segni,
a Glose
rdi-
naire,
ierre
omestor,
ugues
e
Saint-Cher,
lberte
Grand,
homas
'Aquin
(Catena
urea
CA),
Bonaventure,
icolas e
Lyre.
ourJean
1,
5
Jean
hrysos-
tome,
yprien,
ugustin,
aint
érôme,
aterius
résumé
e
Grégoire
e
Grand),
lcuin,
Paulin
'Aquilée,
alafrid
trabon,
runo
e
Segni,
a Glose
rdinaire,
obert
e
Liège, ierre omestor,ugues e Saint-Cher,lberte Grand, homas 'Aquin
(
CatenaCommentairee
Jean),
icolas e
Lyre.
our
'Épître
uxHébreux, 7 :
Jean
hrysostome,
lcuin,
aban
Maur,
Ps.) Haymon
'Auxerre,
laude e
Turin,
Pseudo-Brunon,
anfranc,
ervé e
Bourg
ieu,
a Glose
rdinaire,
n
pseudo-Hugues
de
Saint-Victor,
ierre
omestor,
ierre
ombard,
ugues
e
Saint-Cher,
homas
d'Aquin,
icolas
e
Lyre.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 45/163
LES
LARMES
DU CHRIST
39
de modèle- rhétoriqueans doute,pratiquepeut-être à des pleurs
qu'on qualifiera
de
«
chrétiens
,
entendant
ar
là
ceux
qui prennent
sens
dans un réseau
religieux
e
significations
t
de communication.
Finalement
n
verra
que
les
exégètes
colastiques
ont
tenté de
systé-
matiser eur
analyse
des
larmes
à
partir
de
celles
que
le
Christ avait
versées.
Les
scènes
de
pleurs
L'exégèsemédiévale, ui reprend our l'essentiel 'héritage atris-
tique,
confère ne
interprétation
utorisée
ux
passages
bibliques.
Une
signification
énérale
st ainsi
attribuée
chaque
scène,
signification
qui
se
retrouve,
vec
des
variantes,
pratiquement
ans chacun
des
commentaires.
Pour les
exégètes
du
passage
de
Jean,
es larmes et
le troublede
Jésus
pparaissent
omme une ostentation
de la nature
humaine
que
Dieu a
revêtue à
part
Cyprien,
ous
avancent
cette
explication.
La
résurrection
e
Lazare,
qui
préfigure
a Résurrection
e la fin
des
temps,
met en
scène
Jésus,
à
la fois Dieu et
homme6. L'effort
pour
comprendre
es larmes de
Jésus sur
un
mort
-
de ce
Jésus même
qui enseignait a vie éternelle pousse les commentateurs voir en
Lazare le
représentant
e l'humanité entière
que
le Christ
cherche,
en
vain,
à sauver.
l
pleure
lors sur es
péchésqui
ont
rendu 'homme
mortel,
ur son échec
partiel
en tant
que
sauveur.
Les larmesde
Jésus l'entrée e Jérusalem
'expliquent
ar
l'évo-
cation
des
péchés
de la ville et de
son
aveuglement, ui
entraî-
nera
-
comme
punitionpour
la mise à mortdu
Christ
,
sa
propre
perte.
Sur la base du
rapprochement
tabli entre a
Jérusalem
isto-
rique
et
«
notre
Jérusalem
,
à savoir le
siècle
où
l'on
vit7,
a
scène
permet
a
moralisation les
péchés
de la
ville
qui
ne
se
repent pas
et ne
reconnaît
pas
son visiteur
le
fils de
Dieu) représententous lespéchés des hommes.
5. Cf.
Paterius,
iber e
Expositione
eteris
c
Novi
Testamenti
de diversis
libris
.
Gregoriiagni
oncinnatus,
L
19,
col. 1079
Walafrid
trabo,
xpositio
in
quatuorvangelia
In
Johan
em,
L
114,
ol.
910
Glossa rdinaria
dansBiblia
Sacracum
Glossa rdinaria...t
Postilla icolai irani
ranciscani
Douai, 617,
.
V,
col. 1194 Alberte
Grand,
n
Evangelium
ohannis
XI,
3335,
ans
Opera
mnia
A. Borgnet
d.,
t.
24,
Paris,
.
Vivès, 896,
.
450
Thomas
'Aquin,
uper
van-
gelium
ancii ohannis
ecturaR. Cai
éd.,
Turin-Rome,
arietti,952,
désormais
abrégé
n In
Joh.)
ap.
XI,
lectio
,
p.
497
Nicolasde
Lyre,
ostilla
op.
cit.,
t.
V,
col. 1194.
6.
Augustin,
n
Johannis
vangelium
ractatusXXIV CC
SL
36,
Turnhout,
Brepols,954, 9, 18,pp.428-9 Paterius, p.cit., ol.1079 Walafrid trabo,
op.
cit.,
ol.910 Thomas
'Aquin,
n
Joh.,
I,
op.
cit.,
.
496 Nicolas e
Lyre,
op.
cit
t.
V,
col.
1194,
tc.
7.
Cf.
Origene,
oméliesur
aint uc
38,
SC
87,
H.
Crouzel,
F.
Fournier,
P.
Périchon
d., Paris,
e
Cerf, 962,
p.
444-445.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 46/163
40
P. ZOMBORY-NAGY
Dans l'épîtreaux Hébreux, les larmes fontpartiedu dispositif
de
signes qui accompagnent
e
processus
menant la mort
de
Jésus,
preuve principale
de la
réalitéde l'Incarnation. Les
pleurs
du
jardin
des Oliviers
-
des larmes
d'agonie8
-
renvoient
directement la
souffrance
uturedu Christ. Larmes et cris s'assimilent
ux
prières
et aux
supplications
écoutées
et
exaucées
par
le
ciel,
elles
créent
un
type
d'efficacité
nouveau. C'est
pourquoi
la
prière
en
larmes
consti-
tuera une condition
privilégiée
e l'écoute céleste. Par
ailleurs,
si les
larmes
du
Christ
réfigurent
a
Passion,
elles
participent éjà
à l'acte
salvateur.
Dans
l'Épître,
Jésus e
transforme
ar
sa
prière
n une
hos-
tie recevable hostia acceptabilis)9pour Dieu. L'offrande de sa per-
sonne e
rend
digne
de
l'accomplissement
e son vœu. Le
Père
accepte
le
sacrifice,
e
don de soi
(oblatio)
10
du
Christ ncarné sa mort
se
comprend
lors
par
la
métaphore ucharistique ue
Jésusvient
d'ins-
tituer ors
de la Cène.
Les causes des
pleurs
la mort et le
péché
Le Christ
pleure
sur
la mortde Lazare
;
ses
pleurs 'interprètent,
selon saint
Cyprien
au
IIIe
siècle,
comme
l'expression
du
regret
es-
senti à l'idée de ramener azare aux misères errestres11ont il vient
d'être libéré. Cette
explication
de la cause des larmes versées
sur
Lazare subit une transformation
ensible de
l'époque patristique
u
Moyen Âge, parallèlement
l'adoucissement
raduel
de l'attitude cclé-
siastique
face au
deuil12.
l
s'agit,
tout
d'abord,
d'autoriser es lar-
mes de
deuil,
avant de
préciser
es conditions t les
causes des
pleurs
qu'un
chrétien
oit verser.Les
premiers
extes
xégétiques
utorisant
8. Luc
22,43
envoie
cette
cène
xplicitement
omme
l'agonie
cette éfé-
rence
pparaît
ussidans es
commentairesu texte es Hébreux.
9. Alcuin, xpositionepist., eb. V PL 100, ol. 1054. e passage,uitait
partie
u
premier
ommentaire
atin es
Hébreux,
st
opié
ar
Raban
Maur,
xpo-
sitio
n
Epistolam
d
Hebraeos
PL
112,
ol.
743-744,
e
(Ps.)
Haymon
'Auxerre,
Expositio
n
Epistolam
d Hebraeos
PL
117,
ol.
856,
Claude
de
Turin,
xpositio
in
Epistolas
auli
In
Epist.
d
Hebr.,
L
134
sous
e nom 'ArroN
e
Verceil),
col.
753
q.
10.
Pierre
Lombard,
ollectanea
n
Epistolas
ivi
Pauli,
n
Epistolam
d
Hebraeos,
L
192,
ol.
437
parle
e victima
le thèmeu sacrificest
présent
ans
tous escommentaires.
blatio cf.
Alcuin,
xpositio
n
epistolas,
eb.
V.,
PL
100,
col.
1054;
Raban
Maur,
Expositio...,
L
112,
col.743-744
(Ps.)
Haymon
d'Auxerre,
xpositio...,
L
117,
ol.
856.
11.
Cyprien,
pistola
d
Turasium
resbyterům,
L
4,
col.
435.
12. Cf.
entre
utres
.
de
Martino,
Morte
pianto
ituale
elmondo ntico.
Del amentoaganolpianto iMaria, urin,inaudi,958, p.322-333« La pole-mica ristiana; A.C.Rush, eath ndBurialnChristianntiquityWashington,
1941,
p.
176-184,
t sur e
Moyen ge
entral,
.
Lauwers,
a Mémoirees
Ancê-
tres,
e
souci
esmorts.onction
t
usage
u culte esmortsans 'Occident édié-
val
diocèse
e
Liège,
ie-xme
iècles),
hèse e
doctorat
'histoire
ouveau
égime,
dirigée
arJacques
e
Goff, aris, HESS,
1992.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 47/163
LES LARMESDU CHRIST 41
les pleursdu deuil datentde l'époque patristique ils mettent'accent
sur
le
comment
sur
la
façon
de
pleurer.
Pour Jean
Chrysostome,
déplorer
es défunts
emble humain son
argument
écisif
porte
sur
le
fait
que
ne
pas pleurer
erait
digne
d'une bête
sauvage,
et donc
inhumain13. ans
certaines
onditions,dit-il,
on
peut,
il
faut
verser
des larmes.
Comme
l'indique
Jean
Chrysostome,
l
convientde
pleu-
rer avec
modération,
ar
seule
la
séparation
d'avec l'être
aimé
peut
être cause
légitime
e tristesse et non
pas
la mort
elle-même,
ui
libère e défunt
u
joug
terrestre,
n attente e la Résurrection. eux
façons
de
pleurer
a mort de l'autre doivent alors être
distinguées
l'une, désespéréeet incroyante, pparentéeau péché de Yacedia et
l'autre,
modérée,
modelée
sur les larmes
du
Christ,
qui
tient
ompte
de la
Rédemption.
Ces
deux
types
de
pleurs
font
cho,
sous
la
plume
de saint
Cyprien,
ux deux tristesses selon le siècle et selon Dieu
-
mentionnées
ar
la
seconde
Épître
de Paul aux
Corinthiens
II
Cor
7>
10>-
Dans une deuxième
période,
qui correspond
u
Moyen
Âge
cen-
tral,
l
s'est
agi
pour
l'institution
cclésiastique
de
prendre
progressi-
vement n
charge
es
rituelsde deuil
qu'elle
n'avait
pas
réussi à éra-
diquer
à
part
entière.
i
Hugues
de Saint-Cher ite
encore
'argument
de
Cyprien en
l'attribuant
saint
Bernard)14,
homas
d'Aquin, puis
Nicolas de Lyre15 ui reprend on argumentation,herchent éjà à
justifier
a
douleur ressentie
la
disparition
'un
proche.
Thomas
lui-
même
s'indigne
e la cruautéde la
mort,
ntrée ans
le
monde à
l'ins-
tigation
u
Diable,
par
le
péché,
avant de défendre
onguement
a
légi-
timité
de la tristesse u deuil16.
Le
Christ,
sans
avoir
commis
ui-même
de
péché, pleure
sur la
mortalité atale des hommes
peccamineux.
Ce
sont bien la
déprava-
tion et
l'ignorance
ncarnées
par
Jérusalem,
ui
la
conduisent sa
perte.
Le
passage
concernant a ville
qui
condamne
Jésus
permet
ux
exégètes
d'actualiser
e
problèmegénéral
du
péché
(celui
de
la
chair
pour Origène,celui de l'hérésiepour JeanChrysostome).De même,on l'a
vu,
la mortde Lazare
s'interprète
omme a mortdu
pécheur.
Mais si
le
péché
est
pour
l'homme la
cause de toutes
ses souffrances
et aussi
de sa
mort,
a chute
est
également
l'origine
de
la
mission
terrestree Jésus.
Ainsi,
e Christfrémit
evant e tombeau de
Lazare
à
l'idée
même du
péché17.
Quant
au
chrétien,
l
doit
pleurer
ui-
même le
regret
permettant
'effacer
es
péchés
se traduit
par
des
larmes,
qui
contribuent insi au
processus
de
purification
e
l'huma-
nité
nauguré
par
l'avènement u
Dieu-homme18.
es
pleurs
avent
a
souillure
-
ils rendent
digne
de la
grâce.
13. JeanChrysostome,orn. 2 inJoh, PG 59,Horn. XII,4, col. 346.
14. Hugues
e
Saint-Cher,pera
mnia
Venise, 703,
n
Joh.,
.
VI, p.
357.
15. Nicolasde
Lyre, ostilla,
n
Joh.,
oc.
cit.,
.
V,
col. 1193.
16. Cf. Thomas
'Aquin,
n
Joh.,
oc.
cit.,
pp.
496-497.
17. Hugues e
Saint-Cher,
p.
cit.,
n
Joh.,
.
VI,
p.
356.
18.
L
exemplear
excellence
n est
Marie-Madeleine.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 48/163
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 49/163
LES LARMES
DU CHRIST
43
pécheurs. (Mt 9, 13)24. On comprend lors que dans le monde ins-
tauré
par
Jésus,
affliction t amour détiennent e
pouvoir
d'amoin-
drir e
poids
existentiel u
péché.
Les larmes sont
signe
d'humanitécar
elles
découlent
d'un senti-
ment. Entre
'intérioritét
le
comportement
extérieur
de l'homme
se
dessine
une
correspondance
directe. Comme
l'explique
Albert
le
Grand,
dans
son commentaire
u
passage
de
Jean,
les
pleurs expo-
sent les affects ans médiation
«
Il
frémit,
mettant u-dehors e son
de
quelqu'un qui
se
lamente. Il est troublé intérieurementlorsqu'il considère la
misèrede
la
conditionhumaine dans
laquelle [l'homme]
tombe
à cause du
péché
et de nouveau
il
pleure, parce
que
les
lar-
mes se
répandent
de
l'intérieur ers l'extérieur 5.
En
ce
sens,
es larmes
pparaissent
omme a
garantie
de la véra-
cité
du
sentiment,
arantie galement
e
l'unité de
l'homme,
composé
de
corps
et d'âme. Ce texterévèle ussi le rôle
véritable es manifes-
tations
corporelles
elles ne
peuvent
voir
qu'un
statutd'effetd'une
cause intérieure
c'est-à-dire,
pirituelle, our
les
commentateurs
médiévaux.
Les
pleurs
sont
perçus
comme des
produits
de l'âme
plu-
tôt que du corps, de cette âme que le discours et l'action du Christ
visent
à
convertir.Aussi
renvoient-ils son
enseignement.
L'enseignement
es vertus
Dès les débuts
de
l'époque patristique,
es commentaires ont
explicites
ce
propos
:
Jésus
a
pleuré pour
nous
apprendre pleu-
rer. Le vocabulaire des
exégètes
l'atteste26.Chacun
des actes du
Christ
est
exemplaire
pour
le
fidèle,
ses larmes doivent 'être
aussi.
Ce sont les Béatitudesdu Sermon sur la Montagne qui constituentla base de
l'enseignement
u Christ au
sujet
des
larmes
24.
Augustin,
p.
cit.,
.
429,
t Thomas
'Aquin,
n
Joh.,
oc.
cit.,
p.
496-7.
25.
Albert e
Grand,
n
Joh.,
I,
37,
op.
cit.,
.
24,
p.
451
Fremebat
extra
sonum
ugentis
mittens.urbatur
n
us,
miseriam
onditionisumanae
onsidérons
in
quam
nciditx
peccato
et rursus
acrymatur,
uare acrymae
e
interioribusd
exteriora
rorumpunt.
souligné
ar
'auteur ans a
citation,
DLR)
26.Augustin,p.cit., .430 Quarenim evit hristusnisi uia iere omi-
nem ocuit
,
et cet
rgument
st
repris
ar
Thomas
'Aquin, A,
In
Joh,
.
I,
p.
382 Bruno e
Segni,
omment,n
Joh.,
L
165,
ol.543-4
Glossa
rdinaria,
In
Joh.
XI,
35,
t.
V,
col.
1194
Thomas
'Aquin,
n
Joh.,
oc.
cit.,
.
497b Ori-
gene,
Homéliesur aint
uc,38,
oc.
cit.,
p.
443 Bruno
e
Segni,
omment,n
Luc,
PL
165,
ol. 438.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 50/163
44 P. ZOMBORY-NAGY
« Toutes les béatitudesdontJésusparle dans l'Évangile, il
les démontre
ar
son
exemple,
t ce
qu'il
a
enseigné,
l
le
prouve
par
son
témoignage27.
Cependant,
es
exégètes
colastiques
du
xiiie
siècle
sont les
pre-
miers
adopter
une attitude
nalytique
face au
contenude cet
ensei-
gnement.
À
leurs
yeux,
chacune des occasions
des
pleurs
christiques
offre e modèle
d'une
des vertus ssentielles
e
l'enseignement
hrétien.
Lorsqu'il
ramène Lazare à la
vie,
Jésus
fait
preuve
de
compas-
sion
et de
piété.
Sa
compassion
face à Lazare
et ses sœurs
est susci-
tée par la contagiondes sentiments es femmes n larmes puis, mû
par
la
piété,
l
prend
a
décision de ressuscitere
mort28. on huma-
nité se manifeste
omme une
sensibilité,
ne
ouverture ux
autres
mais
Jésus
perçoit
a douleur des
endeuillés
puisqu'il
est
source de
piété
29
,
de sorte
que
son amour semble être une
vertu de sa
per-
sonne
divine,
elle se
rapproche
de la
miséricorde.
Devant
Jérusalem,
es
pleurs
sont des
exemples
de
miséricorde,
de
piété
et de
compassion
à la fois mais ce
sont ses
pleurs
en
prière
dans
le
jardin
des Oliviers
qui englobent
e
plus
de vertus.
Jésus res-
sent tout
le
poids
de sa
mission,
es
pleurs
visent 'humanité
ntière.
Au-delà
de la
miséricorde,
e la
piété
et de la
compassion,
ses
lar-
mes expriment a charité, 'obéissance, l'humilité30 t la révérence
envers
e Père. Toutes ses
paroles
sont
prouvées
par
ses actes.
Les vertus insi recensées e
présentent our
les
exégètes
omme
l'extériorisation
ationalisée t
moralisée
des
sentiments31u
Christ.
Un
mot,
dont a
fréquence
st
remarquable
ans les textes u
XIIIe
iè-
cle,
atteste 'attention
ortée
aux
phénomènes
ntérieurs.
n
arrivant
à
Jérusalem,
Jésus
approche
de la ville en
y
projetant
ce
qu'il
sent
pour
elle. Comme le dit
Hugues
de
Saint-Cher,
l
y
entre
«
selon
¡'affect de
compassion
»
;
pour
Bonaventure,
ui
semble bien con-
naître le texte de
celui-ci,
«
selon l'affect de
son cœur
»
(cordis
affectu).Le mot affectus 'accompagne le plus souventd'un génitifou d'un
adjectif
qualificatif
ormé base du substantif
ésignant
a
vertu
correspondante
affectde
piété affectus ietatis)
ou
affect
de
compassion
(compassionis
affectu)
chez
Hugues
de
Saint-Cher et
Albert
sous
la
plume
de
Bonaventure,
Jésus
pleure
sur
la
ville de
Jérusalem
'une affection rès
pieuse (affectio iissima)
et
par
com-
27.
Origene,
omélies
ur saint
Luc, 38,
loc.
cit.,
p.
443 cf. aussiJean
Chrysostome,
om.
2.
in
Joh.,
G
59,
col.
347.
28.
Bonaventure,
n
Joh.,
oc.
cit.,
.
VI,
p.
402.
29.
Thomas
'Aquin,
A,
n
Joh.,
.
I,
p.
382.
30.Après ean hrysostomeuiparle e 'obéissancee Jésus sonPère, 'est
Hugues
e Saint-Cher
ui
reprend
e
premier
e thème.
31. Les
textestilisente
plus
ouvente mot
ffectus,ue
nous
ouvons
raduire,
dans e texte e
Hugues
e
Saint-Cher,
'Alberte Grand t de Bonaventureomme
«
sentiment
de quelque
hose)
;
dans e texte e Thomas
'Aquin
t de
Nicolas e
Lyre,
omme affect
.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 51/163
LES LARMESDU CHRIST
45
passion affectueuse compassio affecîuosa) 2. Mais Yaffectussans
référence des
vertus33,
u utilisé avec humānus34
exprime
un état
affectif
ui
permet
nsuite 'exercice des vertus.
L'enseignement
u
Christ
au
sujet
des larmes
devient
alors une éducation
morale et
sociopsychologique
la
fois
qui
met en relation
sentiments,
ertus
et leur
expression ppropriée partir
d'une
disposition
ffective
éné-
rale
propre
l'homme.
En
fonction u
type
de
situation ù
elles
nter-
viennent,
es
larmes,
à
l'instar d'autres
manifestations e
l'âme,
se
réfèrent lors
à
une vertu
précise.
Classifier es
larmes
Les
exégètes
colastiques
-
à
l'exception
de Thomas
d'Aquin,
qui
fait un travailde sélection
orsqu'il
construit es chaînes
exégéti-
ques
-
cherchent
dégager
un
système
rganisé
t
signifiant
es
trois
occurrences es
pleurs
du
Christ
t de
son
enseignement
ffectif.
insi
se
construit out un
dispositif
es
pleurs
et
des vertus
que
le Christ
nous
enseigne,
d'abord dans
le
commentaire e
Luc fait
par
Hugues
de
Saint-Cher,
nventeur
robable
de ce
système
puis
dans ceux
d'Albert
e
Grand et de Bonaventure
ui
le
copient.
Les trois occur-
rencesdes larmeschristiques onstituent our eux le pointde départ
de la codification
Jérusalem
our
la
compassion
envers es
péchés
des autres
la
mort
de Lazare
pour
la
misèrede la vie
d'ici-bas
;
et
le
jardin
des
Oliviers
pour
le
désir
du ciel.
Mais
Hugues
et,
sur ses
traces,
Albert et
Bonaventure,
ournissent
uatre types
différents
e
larmes,
associés à
quatre
causes et/ou
sentiments
ecommandés.Les
classifications
'Albert et de
Bonaventure
présentent
es
différences
perceptibles ar rapport
au schéma de
Hugues, qu'il
n'est
pas
lieu
d'analyser
ci
;
je
renvoie ce
propos
au
tableau
présenté
n
annexe.
En
effet,
ux causes
dégagées
dans les trois
scènes,
ils en
ajoutent
une quatrième ui ne peut toucherque les hommes le regret e ses
proprespéchés
le
Christ ncarné
yant
une nature
particulière,
assi-
bilis
sed
non
peccabilis35).
Bonaventure,
qui
n'associe
pas
directe-
ment
es
quatre types
de
pleurs
aux
quatre
affectus u'ils
exemplifie-
raient et
qui réorganise
eurs
interprétations,
voque
une
quatrième
occurrencedes
pleurs
du Christ
qui
eut
lieu dans
son enfance
«
À
noter l'on lit
que
le
Christ a
pleuré
trois
fois
pour
nous :
sur Lazare
qu'il
allait
ressusciter,
ean,
chapitre
onze :
32.
Bonaventure,
n
Lucam loc.
cit.,
.
VII,
p.
493.
33. Thomas 'Aquin,n Jon.,oc.cit.,p.497b Nicolasde Lyre, ostilla
col.943-944
t col. 1193.
34. Robert
e
Liège,
Commentario
n
Evangelium
ohannis
R. Haacke
éd.,
CC
SL,
CM
9,
Turnhout,
repols,
969,
(5,
30-32),
.
282
Albert e
Grand,
n
Joh.y
ap.
XI,
33,
op.
cit.,
p.
450.
35.
Nicolasde
Lyre,
p.
cit.,
.
VI,
col.
843.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 52/163
46 P.
ZOMBORY-NAGY
Jésus pleura ; sur la ville de Jérusalem, omme [il est écrit]
ici
; enfin,
ur
la
croix,
aux
Hébreux,
chapitre inq
: avec
des
grands
cris et avec
larmes,
et
ayant
été exaucé à
cause de sa
piété
;
par
là la
piété
du Christ nous a été
manifestée e la
manière a
plus parfaite.
Aussi
on croit
qu'il
a
pleuré
dans son
enfance,
quand
il entra dans l'état
de misère
présent,
el
que
le chante
'Église
sur lui :
L'Enfant-Dieu
resserré ans
l'étroite
prison
de sa crèche
pousse
des cris
plaintifs
36
Une
interprétation
oisine des
trois occurrencesde
larmes se
retrouve ans le commentaire e l'épître ux Hébreux de Hugues. Ici,
il ne recense
que
trois
types
de larmes sur la
gravité
du
péché
et
l'ignorance
sur la misèreterrestre sur
le
désir de la
patrie
céleste
et la faute de l'homme.
L'idée
de
la
classification
es
pleurs
nous
met
en contact avec
une
tradition ieillede
plusieurs
iècles,
ui
cherche
recenser
es
types
différents
e larmes
qu'un
chrétiendoit verser.
Depuis Grégoire
e
Grand,
il
a existéen Occident des codifications es
sentiments
t
des
pensées génératrices
e larmes37.
'originalité
u
système
e nos
exé-
gètes scolastiques
résidedans l'association
qu'ils
font
entre es
larmes
du Christ t celles des hommes.
Ainsi,
leur
classification
méthodique
- conséquencedirecte e leur souci d'enseignement sertde manuel
pratique pour
YimitatioChristi
i
chère aux
ordres
mendiants
ux-
quels
ils
appartenaient
ous38.
Pour
conclure
sa
classification,
Hugues
de
Saint-Cher
xplique
«
ce sont
les
quatre
fleuves
qui
irriguent
e
paradis,
c'est-
à-dire,
'âme,
ou
l'Eglise,
et
qui proviennent
'une seule source
la
grâce
»
39
.
Cette
comparaison,
riche
d'enseignement,
st
reprise
par
Albert
et Bonaventure.Elle situe les larmesdans le monde créé par Dieu.À
l'image
de l'eau de
pluie
et des fleuvesdu macrocosme, es larmes
36.
Bonaventure,
ommentarius
n
Evangelium
ucae,
oc.
it.,
.
493 Et
nota,
quod
Christus
egitur
er
levisse
ro
nobis
super
azarům
uscitandumIoanni ndé-
cimo
«
Et
lacrymatus
st esus
;
super
ivitatem
erusalem,
icut ic et tandem
incruce ad
Hebraeus
uinto
«
Cum lamorealido
t
acrymis
fferens,
xauditus
est
ro
ua
reverenda
;
ex
quo
perfectissime
uit ietas
hristi
anifestata
d
nos.
Creditur
dam
levisse
n ua
nfantia,
uando
ntravit
n
praesentis
tatus
miseriam,
secundum
uod
Ecclesia e
pso
antai
Vagitnfans,
nterrcta onditus
raesepia.
Le
passage
oncernant
es armes 'enfant
e Jésus
ait éférencela
fin
u
Pange
lingua
hymne
es
Matines
u
our
de
la Passion.
37.Cf.premièrement. Adnes, Larmes, dansDS t. X,col.287-303.38.
Hugues
e
Saint-Cher,
lberte Grand tThomas
'Aquin
taientomini-
cains,
onaventure
t Nicolas
e
Lyre
ranciscains.
39.
Hugues
e
Saint-Cher,
n
Lucam,
p.
cit.,
.
VI,
p.
247
Maec
unt
ua-
tuor
luminauae
rrigantaradisum,
d
est, nimam,
el
cclesiam,
uae
b uno
onte
exeunt,
d
est,
gratia.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 53/163
LES LARMESDU CHRIST 47
sont nécessaires l'âme dans le microcosme comme l'eau pour les
terres t les
plantes,
elles ont une
qualité
fertilisante
our
la nature
humaine.Elles découlent
de la
grâce
de Dieu
et,
descendant e l'ordre
céleste,
lles
viennent méliorer e sortdes
hommes ur terre n s'asso-
ciant aux vertus.
On
comprend
insi la
place
de
Jésus dans les
ours
de sa chair
«
de la mortalité t de l'infirmité
,
il avait
beaucoup
souffert les
jours
de
son
âme étaient ceux de
sa
compassion
et de
sa
piété40.
Entre les deux
coulèrent es
larmes...
♦
* *
L'étude
menée ci nous
permet
de tirerune
première
onclusion,
quant
à l'histoire
e
l'exégèse.
Même si
ses méthodes e transforment
avec
le
temps
t
atteignent
n haut
degré
de
systématisation
ussi bien
dans
l'appréhension
des textes
que
dans leurs
connaissances,
e
sens
général
conféré ux versets
de l'Écriturene
change
que
peu,
hormis
les
questions
ur
lesquelles,
un
moment u
un
autre,
'Eglise
devait
prendre
ne
position tratégique.
ans ce
domaine,
on
peut
bien
repé-
rer 'évolution des
dispositions
nstitutionnelles. e
type
de
question
est
représenté
ans
notre
corpus par
le
problème
de l'attitude
face
à la mort mais la singularité e cet exemple permetde souligner a
continuité es
interprétations
ur la
plupart
des thèmes
évoqués.
La
permanence
e
l'enseignement égagé
dans les
commentaires
u
sujet
des
pleurs
permet
e confirmer
'hypothèse
e
départ.
On
peut
en effet
parler
de larmes chrétiennes
ce
sont celles
enseignéespar
le
Christ,
recommandées ux chrétiens.
Cependant, plusieurs
ransformations otables
peuvent
être
per-
çues
au
XIIIe
iècle.
Les
exégètes scolastiques portent
une
attention
accrue à
la recherche ur l'intériorité l'affect
ui-même,
e
qui
est
ressenti
ntérieurement,
rend
une
importance
bien
plus
grande que
son expression.Une codificationminutieuse es sensations éprou-ver et des vertus orrélatives e met en
place
et
participe
l'élabora-
tion
d'un modèle de
comportement ui prend
en
charge
l'homme
entier,
orps
et âme. Ce modèle de
comportement
lobal,
élaboré
par
des
scolastiques appartenant
ux
ordres
mendiants,
oucieux d'offrir
un
exemple
Yimitatio
Christi
sert de
prototype
ans leur
enseigne-
ment
ux
fidèles.
À
l'instardes
pleurschristiques,
es
pleurs
chrétiens
peuvent
evêtir
es
significations
ariées selon les
situations,
t
s'asso-
cier à des vertus différentes.
Mais avant
tout,
aux
yeux
des
commentateurs,
es
larmes
du
Christ sont une
métaphore
de sa
souffrance toutefois
lles
partici-
pentaussi à l'efficacité ymboliquede la Passion. Larmes et sang du
Christ s'avoisinent t
peuvent
e mêler ou se
remplacer.
La
possibi-
40. Hugues
e
Saint-Cher,
n
Hebr.,
p.
cit.,
.
VII,
p.
248.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 54/163
48
P. ZOMBORY-NAGY
lité de cette transformation'offreégalement l'homme il pourra
s'épargner
de la souffrance
n
pleurant.
En
ce
sens les larmes chré-
tiennes,
i
elles
proviennent
ouvent
d'une
souffrance,
ident surtout
à la
dépasser
plus que l'expression
d'une
douleur,
elles en sont un
remède.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 55/163
LES LARMESDU CHRIST 49
ANNEXE
Les classificationses larmes ans
l'exégèse
u
xiiie
iècle
passage
Luc
19,
41
Jean
11,
35 Hébreux
,
7
Hugues
de Jésus Jésus Jésus
nous
Saint-Cher,
sur Luc
compassio
compunctio
devotio
pro
contritio
pro
pro peccatis
pro
incolatu dilatione
propriis
alienis
hujus
patriae (peccatis )
miseriae
exemple Jerem, 1 Ide 1, 15 Ide 1, 15 Ps 6, 7
irriguus irriguus
inferior
superior
Albert
e DOMINUS
IN
SEIPSO DOMINUS
IN
Grand,
ur
MEMBRIS
Luc
Causae
fletus
ex
attaediato devotio
pro compunctio
in
genere
compassione pro
miseria
casu
quo
pro peccatis
hujus
vitae cecidimus
propriis
beatitudine
patriae
exemple
Jer
9,
1
Jn
11,
35 Hebr
5,
7
Ps
6,
7
Bonaventure, ésus Jésus Jésus Jésus nfant
sur Luc
Le
19,
41
Jn
11,
35
Heb
5,
7
PAS D'ASSOCIATION
AUX PASSAGES NEOTEST
nous
nous nous nous
ex
pro
incolatu
pro appetitu
ex
compassione praesentis
felicitatis
compunctione
miseriae aeternae
exemple
lob
30,
25 Jn
16,
20 Ps
6,
7
Jer
9,
1
Ps
119,
5
Mt
5,
5
Mt
26,
75
Idc
1,
14-15
Hugues
de
Jésus Jésus Jésus
Saint-Cher,
pro peccatum ro
incolatu
pro
desiderio
sur Hébreux gravitate hujusmise- patriae culpa
ignorantia
riae miseria hominis
Nicolasde
Lyre,
sur
Hébreux ex
pietāte
pro
totius
humāni
eneris
redemptione
4
pleurs
1)
Hugues
haec sunt
uatuor
lumina
uae
irrigant
aradisum,
d
est,
ni-
mam,
vel
Ecclesiam,
uae
ab
uno fonte
xeunt,
d
est,
a
gratia.
Gen
2,
10.
2) Albert haec suntquatuorflumina aradisi, uae ex uno fonte ratiae
Dei derivantur. en
2,
6
et Gen
2,
10.
3)
Bonaventurehis modis
acrymandi
rrigari
ebet
paradisus
onscientiae.
Gen
2,
10.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 56/163
Médiévales7,automne994, p.51-58
Anne
AUTISSIER
LE
SANG DES
FLAGELLANTS
«
En
ce
temps
couroit
une commune et
générale
mortalité
par
universelmonde de
une maladie
(...)
ains
pensoientplusieurs
que
ce
fut
miracle et
vengement
e Dieu
pour
les
péchiés
du
monde. Dont
il avint
que
aucunes
gens
commencèrent aler
par
le
pays
à
grand
pénitance
t devise
par grand
dévotion
...)
et
se bastoient
quanques
ils
povoient d'estorgies
t
d'aguilles
ens
fiché,
sique
le
sane de
leurs
espaules couroient val de tous costez... »'. Cet extrait e chroniquedécrit a violence de l'
autoflagellation
ollectivedes
pénitents
ui,
en
1349,
en réaction la Peste
Noire,
firent es
processionspour
obte-
nir la
rémissionde leurs
péchés
et de ceux
de toute
l'humanité,
et
pour
calmer les effetsde la colère
divine.
Cette
pratique religieuse
es
flagellants
endait
nutile a
confes-
sion auriculaire t
son
dispensateur,
e
prêtre.
L'Église
les
condamna
en les déclarant
hérétiques.
es
arguments ortaient
ur leur
autofla-
gellation
collective le
principal
objet
de
réprobation
tait la
nature
du
sang
effusé
ar
le fouet.
Cet
angle
d'étude n'a
pas
été encoreenvi-
sagé
dans les articles es
plus
récents.Les
documents
utilisésont été
mis à jour par l'historiographie rançaise ur les flagellants t por-
tent ur
les
pays
impériaux roches
des
marchesnord-est u
royaume
de France
(Brabant-Hainaut)
et
sur la Flandre2.
1. Jehane
Bel,
Les
Vrayes
hroniques,
ans
Corpus
ocumentorum
nquisi-
tionis
aeriticae
ravitas
eerlandicae,
aul
Frédéricq
d.,
t.
2,
Gand,
J.
Vuylsteke,
1896,
.
122.
2. G.
Alberigo,
Flagellants
,
dans
Dictionnaire'Histoiret de
Géographie
Ecclésiastique
t.
17,Paris,
etouzey
t
Ané, 971,
ol.
327-336..
Bailly,
Flagel-
lants
,
dans ictionnairee
Spiritualité
t.
V, Paris,
eauchesne,964,
ol.
392-408.
Dom
U.
Berlière,
Trois
raitésnéditsur es
Flagellants
e
1349
,
Revue énédic-
tine
1908,
p.
334-358..N.
Biraben,
eshommest
a
peste
n
France
ans es
pays
européens
t
méditerranéens,
.
1
La
peste
ans
'histoire,
aris-La
aye,
.H.E.S.S.,
1975, p.65-70. .Cohn, esfanatiquese 'Apocalypse.seudo-messies,rophètes
et
lluminésu
Moyen
ge,
urin,
ottega
'Erasmo,975,
p.
111-117..
Coville,
«
Documentsur es
Flagellants
,
dans istoire
ittérairee a
France,
.
37,
Paris,
mpri-
merie
ationale,
938,
p.
390-411..
Delaruelle,
a
piété opulaire
u
Moyen
ge,
Turin,
ottega
'Erasmo,975,
p.
111-117.
.
Vauchez,
es
aïcs u
Moyen
ge
pratiques
t
expérienceseligieuses,
aris,
e
Cerf,
987,
p.
109-112.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 57/163
52
A.
AUTISSIER
Le silence des pénitents
Les Grandes
Chroniques
de
Saint-Denis
contiennent es
textes
émanant
des
flagellants,
ecueillis
t
retranscrits
ar
des autorités cclé-
siastiques
ocales. Ces
documents ont au nombre de
cinq,
trois
en
latin
et deux en
français
le
premier
e
compose
d'articles extraits
d'une
lettre
rétendument
nvoyéepar
Dieu aux
pénitents
e
Malines
pour
les
exhorter se faire
pardonner
eurs
péchés
et ceux
de toute
l'humanité
n
se
fouettant,
vitant insi
la
destruction u monde. Ces
pénitents
nt remis cette
lettre à
l'évêque
de Cambrai3.
Viennent
ensuitedeux règles ommunautaires es flagellants e Bruges, oumi-
ses
au
chapitre
de
Tournai
pour
être
approuvées4.
Les deux
textes
en
français ui
complètent
ette
érie ont deux
prières
hantées urant
leurs
processions
publiques5.
Aucun de
ces textes
ne
mentionne e
sang
versé
durant a
pénitence.
euls les chants insi
que
l'un
des
arti-
cles
d'une des
deux
règles
des
flagellants
e
Bruges
mentionnenta
dureté
des
coups
de fouet. Dans le
premier
as,
les chants
exhortent
les
pénitents
se
frapper
durement
our
obtenir
rémission
de
leurs
péchés6
dans le second
cas,
la
règleappelle
au contraire la
modé-
ration
pour
éviter a maladie voire
la mort7.
Quoi
qu'il
en
soit,
l'ensemble
de ces textes ne
fait
pas
de
l'effusion
de
sang
des
péni-
tents n argument e revendicationu de légitimationu sein des con-
fréries
l'organisation
de leur
pérégrination
t des
processions,
eur
recherche
e
légitimité
ivine aux
échos millénaristes emblent tre
leurs
principaux
oucis.
On
peut
aussi
supposer que
ces
documents
adressés
pour
trois
d'entre
eux
(la
lettre t les deux
règles
commu-
nautaires)
ux
autorités
cclésiastiques
n'abordent
pas
la
question
du
sang
effusé
pour
éviter
out conflit vec
l'Église
dont les
flagellants
semblent
rechercher
'approbation
et
la
reconnaissance.
Pourtant a
description
e l'effusion e
sang
des
pénitents
e
fla-
gellant
au cours
de la
procession
pparaît
dans
la
chronique
de Gil-
les
Le
Muisit,
abbé
de Saint-Martin
Tournai
l'auteury
narre 'arri-
vée dans sa ville de plusieursgroupesde flagellants enus des régions
avoisinantes
pour
une série
de
processionsqui
eurent ieu
à Tournai
3.
Froissart,
hroniques
K.
de
Lettenhove
d.,
t.
XVIII
pièces
ustificatives
1319-1399,ruxelles,
877,
p.
306-307.
a lettree
trouveu folio
6
v°
du manus-
crit es
Grandes
hroniques
e Saint-Denis
conservé
la
Bibliothèque
ationalee
France,
onds
rançais
598.
4.
Froissart,
p.
cit.,
pp.
308-310.
.N.,
ms.
fr.
598,
°56v°-57.
5.
Froissart,
p.
cit.,
pp.
312-315.
.N.,
ms.
fr.
598,
°
57
v°.
6. Ibid.
«
Jhésus
ar
es
trois
ignes
oms
Faynousdenozpechiezardons,Jhésusartes inqrougeslayes
De mort
oudaine
ous
eslayes.
Or
rebatonsotre
har
illainne
Que
Dieu
aulve
restienté...
7. Ibid.
p.
309
u
f°
57
v°
Item u us
lagellabit
e ad mortemel
nßrmitatem.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 58/163
LE
SANGDES FLAGELLANTS 53
entre e 15 et le 30 août 1349)8 et dans de nombreuses utreségale-
ment. Cet
aspect
spectaculaire frappé
es
contemporains.
e fouet
était utilisé
dans la
discipline scétique,
ndividuelle t
monastique
du
haut
Moyen Âge
;
cette
pratique
a été diffusée
ar
les ordresfrancis-
cain et
dominicainchez les fidèles
au
XIIIe
iècle. Mais
alors
que
le
fouet
était souvent
un faisceau
de
verges
au
contact
douloureux,
a
flagellation
es
pénitents
e
1349
se fait avec un véritable
nstrument
de
supplice.
Gilles Le Muisit décrit les fouets
appelés
en
français
«
scorgies (« escorgie, escorge
»
:
courroie de
fouet) ayant
trois
nœuds
munis de trois
pointes
n fer9. La
chronique
de
Guillaumede
Nangis indique qu'ils faisaientpénitence n se frappantviolemment,
jusqu'à
effusion
de
sang,
les
omoplates
et
les bras
avec
des fouets
munis de
pointes
0. On observe
donc une
opposition
entre es docu-
ments
des
flagellants
'exprimant
ollectivementt le
regard
des
per-
sonnes
extérieures
leur mouvement
pour
les
premiers,
'effusion
est
inexistante,
our
les
seconds,
elle
est
omniprésente.
Le statut
du
sang
Le texted'un
sermon,
prononcé
à Tournai devant a
population
et conservé dans les Grandes Chroniquesde Saint-Denisn, montre
qu'à
défaut
d'une
expression
collective
des
pénitents
ur
leur
sang
versé,
le
porte-parole
'une
communauté tenu un
discours sur
le
sens
à donner ce
sang.
Ce sermon
e trouve
galement
ans la chro-
nique
de Gilles
Le Muisit
12
: les deux documents mentionnent a
même
provenance
du
frère,
Liège,
et le même lieu de
prédication,
Tournai.
Le titredu document ontenudans les Grandes
Chroniques
est succinct
il
indique
seulement
ue
ce sont des
articles
prêchéspar
un frère e
Liège
devant es
gens
assemblés. Le Muisit
précise
es cir-
constances
dans
lesquelles
ce
sermon
fut
prononcé
le
jour
de la fête
de saintJean-Baptiste,ne communautéd'environcent-quatre-vingts
personnes,
enue de
Liège,
arriva
Tournai,
y
resta a
journée
entière
et le lendemain
ui
était
un dimanche. Avec elle se trouvaitun
frère
dominicain
ui
obtint
'autorisationdu
doyen
et du
chapitre
de
prê-
cherau monastère aint-Martin e Tournai.
À
cette
nouvelle,
a
popu-
lation se
rendit n masse au
monastère13.
a
brièvetéde
la
descrip-
tion
du
contextedans
lequel
eut lieu
le sermon aisse
penser
que
le
8. Gilles
e
Muisit,
ecueil es
chroniques
e
Flandres,
.J. met
d.,
t.
2,
Bruxelles,
841,
p.
341-361.
9. Ibid.,p.357.
10.
Chronique
atine
e
Guillaume
e
Nangis
e 1130
1300 vec es
continua-
tions
e cette
hronique
e
1300
1368,
H. Géraud
d.,
Paris, 844,
.
217.
11.
Froissart,
p.
cit.,
pp.
310-311.
.N.,
ms fr.
598,
°
57.
12. Gilles e
Muisit,
p.
cit.,
pp.
349-350.
13.
bid.,
p.
349.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 59/163
54
A. AUTISSIER
document ontenudans les GrandesChroniques e Saint-Denis st ins-
piré
de la
chronique
de Le Muisit.
Les
deux textes
s'accordent sur le nom
que
le
frèredonne aux
flagellants,
chevaliers
rouges
». Les
adjectifs
rubeus
et
rubicundus
désignent
e
sang
rouge rédempteur
t
sanctificateur
ui
donne
la vie
et
qui purifie,
celui du sauveur14.
Le
rouge
renvoie
également
à
l'Église
: en
effet,
partir
du
xnie
siècle,
cette couleur
est
de
plus
en
plus
utiliséedans la haute hiérarchie
cclésiastique.
La
papauté
a
contribué
la
développer
ans les vêtements es cardinaux.
Cette évo-
lution st due à l'exaltation roissante
u
XIIIe
iècle
pour
le
corps
san-
glantdu Christpar le culte du saintSang et l'iconographiedu pres-
soir
mystique.
Le termede
«
chevaliers
rouges
»
fait
référence ux
croisés
mais
également
l'Apocalypse
le frère
dominicain,
dans la
chronique
de Gilles Le
Muisit,
traitede
scorpions
et
d'antéchristses
autres
frères
es
ordresmendiants
ui
ne
prêchent as
cettenouvelle
formede dévotion.
Ce vocabulaire
permet
d'avancer
l'hypothèse ue
le terme chevaliers
ouges
»
fait référence u
Combat
Céleste
Apo-
calypse
19,
11-16) apparaît
à
saint
Jean,
sorti du ciel
ouvert,
un
cheval blanc
et celui
qui
le
monte
s'appelle
Fidèle et Vrai
;
il
juge
et fait la
guerre
vec
justice.
Ses
yeux
sont un feu ardent et
sur sa
tête se trouvent
lusieurs
diadèmes,
l
a un
nom
que
lui
seul connaît.
Il est vêtu d'un habit couvert de sang. Il s'appelle Verbe de Dieu.
Ces
éléments
euvent
tre
nterprétés
e deux
façons
différentes,
'une
part
comme une
appropriation
es
emblèmes
de
l'Église
et,
d'autre
part,
ce discours
à teneur
eschatologique égitime
e mouvement
es
flagellants
t
encourage
'adhésion
des autres fidèles cette nouvelle
formede
dévotion,
grâce
à
la
puissance persuasive
de
l'annonce de
l'arrivée des
temps
derniers.
Ce nom collectif ux
sens
multiples
ntroduit e
sermon
du
frère
dominicain.
Dans
la
chronique
de Gilles Le
Muisit,
l
compare
e
sang
du
Christ
celui des
pénitents
depuis
l'écoulementdu
sang
du
Sau-
veur,
l
n'y
avait
pas
eu d'effusion
de
sang
aussi noble
que
celle des
flagellants5. Cette affirmatione trouveégalementdans la version
du sermon
ontenue
dans les Grandes
Chroniques
6.La
pratique
des
flagellants
st
conçue
par
le frère
prêcheur
omme
un
sacrifice
ui
rend
hommage
à celui
du Christ
en le
reproduisant.
i cette démar-
che
valorise es
pénitents
n créantun
rapportprivilégié
t
direct vec
14. M.
Pastoureau,
Ceci
st
mon
ang,
e christianismeédiéval
t a cou-
leur
ouge
,
dans
e
pressoir
ystique
colloque
e Reclosesu
27
mai
1989
Paris,
Le
Cerf, 990,
p.
43-56.
15.Gilles
e
Muisit,
p.
cit.,
p.
349-350
(...)
comparons
tiam
anguinem
llo-
rum uosvocabantúbeosmilites,routmultintellexerunt,anguiniomini ostriJesu hristidicens
uod,
ost
missionem
anguinis
alvatorisostrinon ueratam
nobilis
ffusio
anguinis
sicut rat
llorum,
uam
e verberandomittebant.
16.
Froissart,
p.
cit.
p.
310.
B.N.,
ms
fr.
598,
°
57 Item
raedicavit
t
dixit
idem
raedicator
uod ost
ffusionemanguinis
hristi
actam
ie venerisnon
uit
tam
retiosus
ffusus
icut
anguis
storum
li um.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 60/163
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 61/163
56
A.
AUTISSIER
s'il a lu le sermondu frèredominicainet les autres documentsdu
dossier,
selon
l'hypothèse
de
Coville. Le fait
qu'il
ne
fasse mention
ni
du
sermon,
ni
des
arguments
u'il
contient
uggère
une
réponse
négative.
À
moins
que
du
Fayt
ne
l'ait
pas jugé
suffisamment
erti-
nent
pour
être utilisé dans son sermon
devant le
pape19.
Il
semble
plutôt
qu'il
se soit servi
de cette
question
de la nature
du
sang
des
flagellants
ous une
forme
différente,
lus adaptée
à
son souci de les
faire condamner.
En
effet,
un document atin sur les
«
Cérémonies et
supersti-
tions
»
des
flagellants
0
contenu dans les Grandes
Chroniques
de
Saint-Denis et le sermonde Jean du Fayt mettent 'accent sur la
croyance
des
pénitents
n la
possibilité
de
faire des
miracles21.
à
encore le
point
de
départ
est
la
chronique
de Le
Muisit
où
l'auteur
indique
seulement,
e
façon
succincte,
ue
lui
«
fut
rapportéqu'en
plusieurs
ieux,
es
flagellants rétendaient
aire
des miracles
par
leur
pénitence
22.
Dans
le documentcontenu
dans les Grandes Chroni-
ques
ce
point
est
développé
à
propos
de la nature
du
sang
des fla-
gellants
«
en de
multiplesvillages,
les
pénitents
e
frappaient
t
quelques-uns mprégnaient
es
morceaux 'étoffes e
lin
avec leur
sang,
comme si elles
étaientdes
reliques
de
saints. Des hommes
t
des
fem-
mes
prenaient
es
linges
et s'en frottaientes
yeux
». Le document
ajoute que « les pénitents roclament ue Dieu fait des miraclespour
eux
»23.
Du
Fayt,
dans son
sermon,
reprend
cet
argument
son
compte
puisqu'il
se déclare
témoindes événements
u'il
décrit
«
les
gens
croient
que
les
flagellants roduisent
des miracles
par
la
péni-
tence
»
24
. Du
Fayt
écrit avoir surtout
vu
que
«
les malades étaient
attirés
par
les
flagellants
pour
recouvrer a santé.
Certains
simples
d'esprit
taient ombésdans
une telledémence
u'ils
vénéraient
e
sang
effusé
de la
flagellation
omme
des
reliques
des vieilleset des sim-
ples
essuyaient
e
sang
avec un
morceau
d'étoffe
n
lin et
appliquaient
ces
reliques
sur
leurs
yeux
et sur ceux des
autres»25.
19. P.
Frédéricq,
Deux
ermonsnéditse Jean u
Fayt
,
Bulletine 'Aca-
démie
oyale
e
Belgique
classe
es ettres
1903,
p.
688-718.
20.
Froissart,
p.
cit.,
p.
311-312.
.N.,
ms.fr.
598,
°
57 Istae unt eri-
moniae,
uperstitiones
t
fraternitates
orum,
uae
visae
unt
ieri
n multisocis.
21. Paul
Frédéricq,
Deux ermons...
,
loc.
cit.,
p.
700.
22. Gilles
e
Muisit,
p.
cit.,
p.
353.
23.
Froissart,
p.
cit.,
.
311
Visumst n multisillis
uod
dum ieti
œm-
tentese
verberabant,
liqui
abebant
anniculos
ineost os
tangebant
n oruman-
guine,
t
quasi
ssent
anctorum
eliquiae,
liqui opulares
amviri
uam
mulleres
petebant
llos
anniculos,
t
aliqui
orum
etebant
lis
anniculis
culos ibi
angi,
et ta
fiebat.
tem icunt
t
publicant
uod
Deus
facit
ro psis
miracula
...)
24. P.
Frédéricq,
Deux
ermons...
,
loc.
cit.,
.
700
Credunttiam
uius-
modi lagellatoresanctitatemuiusmodienitentieiraculaperari.25. Ibid. Vidi
tique,
uod
dhuiusmodi
lagellatores
dducebantur
nfirmi,
t
sanitatem
aberent
...)
quidam
implices
d tantamementiam
euenerunt,
uod
an-
guinem
er
huiusmodi
lagellationemffusum
ro eliquis
enerantur.
...)
quedam
etule
et alii
impliceseciis
anni
inei
etergebant
uiusmodi
anguinem
t
psum
uis
t
aliorum
culis
uasi
reliquiaspponebant.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 62/163
LE
SANGDES FLAGELLANTS 57
L'analogie entre e textedu document des Grandes Chroniques
et
celui du sermon
de Jean du
Fayt
peut
laisser
penser
que
l'un
des
deux est
inspiré
e l'autre mais
il
est
difficile
e savoir
equel
:
l'hypo-
thèse de
Coville sur le dossier
d'enquête envoyé
à la facultéde
théo-
logie
auquel
Jean du
Fayt
aurait
pu
accéder,
ne
s'applique qu'aux
textes
qui proviennent
e Tournai. Cette
croyance
des
flagellants
n
l'élévation
de leur être
et donc de leur
sang
vers la
saintetéest
un
argument
e condamnation
xploité par
les
autorités
cclésiastiques.
Pour ces
dernières,
n
effet,
oute effusion e
sang
humain
reste
une souillure.
Gilles Le Muisit
quitte
sa
place
d'observateur
dans sa
chroniquepour prendre articontre 'effusionde sang des pénitents.
Il
invoque
le droit
canonique
concernant
a
conservation e
l'intégrité
des
lieux sacrés les
flagellants
ne
peuvent
faire couler de
façon
violente
e
sang
en
pratiquant
eur rite dans des
lieux
sacrés comme
les
monastères,
es
églises
»26. Jean
du
Fayt s'appuie
sur
la Bible
pour
condamner
e
ritedes
flagellants
u'il
associe
à
celui,
païen,
des
prêtres
de Baal
(Rois
:
I,
18) par analogie
:
ils sont
sanglants
tous
les
deux.
Il
ajoute
que
le
sang
humain attire es démons27.
Outre
cette
attaque,
les
flagellants
ont accusés
de verser
par
la violence e
sang
des
autres,
en l'occurrence
celui des
Juifs.
En
effet,
Jean
du
Fayt
attribue ux
pénitents
es
massacres
de
Juifs28.À ses yeux, les pénitents nt mal interprété n passage de
l'Épître
de
saint
Paul aux
Romains
(XI, 25-26)
:
l'Église
entend a
conversion
t non l'extermination es Juifs
la
fin
du monde. Tou-
tefois,
cet
argument
ontredit
n article de la lettre
éputéeenvoyée
par
Dieu
aux
pénitents
e Malines et dont le texteest
conservé
dans
les
Grandes
Chroniques
il
y
est
spécifiéque
les Juifs célébreront
le
dimanche
,
c'est-à-dire e
convertiront29. e
surcroît,
du
Fayt
prête
ux
flagellants
es accusations raditionnelles
nti-j
ives
d'empoi-
sonner 'eau
des
puits
et des fontaines
uand
se déclarentdes
épidé-
mies
de
peste.
Ces deux
arguments ermettent
du
Fayt
de décrire
les agissements es pénitents omme des erreurs ommises rencon-tre de la Bible dont seule
l'Église
détient a véritable
nterprétation,
et comme des
superstitions
ux
conséquencesdangereuses our
l'ordre
public.
Le lien entre es
flagellants
t
les Juifs st
créé
de
toutes
piè-
ces
par
Jean du
Fayt pour
associer ces confréries e
pénitents
la
violence et à l'effusion meurtrière e
sang,
la
plus
négative.
Sa
démonstration
ut d'ailleurs suffisammentonvaincante
pour persua-
der Clément
VI
de les condamnerdans sa bulle
Inter sollicitudines0.
26. Gilles
e
Muisit,
p.
cit.,
p.
353.
27. P. Frédéricq, Deux ermons..., loc.cit.,p.704.
28.
Ibid.,
pp.
706-707.
29.
Froissart,
p.
cit.,
.
307.
B.N.,
ms.fr.
598,
°
56
v°
Item
uod
Judaei
celebrabunt
iem
ominicain.
30. J.D.
Mansi,
acrorumonciliorum
ova
t
amplissima
ollectio,
.
25,
Paris-
Leipzig,
927,
ol. 1153-1155.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 63/163
58
A.
AUTISSIER
L'étude de la questionde l'effusionde sang chez les flagellants
montre
u'elle
fut avant tout un discours de condamnation
onstruit
et entretenu
ar
les
autorités
cclésiastiques ui,
en le faisant
remon-
ter
usqu'au pape,
réussirent
faire
déclarer
ce
mouvement
héréti-
que.
Ses
arguments
e
concentrent utour de la nature
du
sang
versé
par
les
flagellants
à leurs
propres
yeux,
leur
pratique pénitentielle
assure
la
sainteté
de ce
sang,
mais leurs
détracteurs
eur
prêtent
e
pouvoir
de faire des
miracles,
pour
classer
cette
croyance
parmi
les
superstitions
t s'en
servircomme
argument
de condamnation. En
effet,
our l'Église,
toute effusion e
sang
humain
est une
souillure,
d'autantplusgrave i elle est liéeau meurtre c'est pourquoi es auto-
rités
ecclésiastiques
éprouvent
e
sang
versé
par
les
flagellants
t
les
accusent
de massacrer es Juifs.
Pourtant,
dans les
documents,
es
points
sont secondaires
par rapport
leur
hétérodoxie,
rovenant
es
implications
acramentelles
e
l'autoflagellation
ollective. Ce
n'est
qu'au
début
du XVe
iècle,
en
1417,
avec le
Traitécontre a secte
des
Flagellants
de Jean Gerson31
ue
la
maturité
u
discours sur le
sang
versé
par
les
pénitents
st atteinte tous les
arguments
e
cette
nalyse
sont
regroupés
ans ce texte
provoqué par
la recrudescence es
mou-
vements de
flagellants
u début du
xve
siècle et
par
le
désir de
l'auteur de voir
l'Église garder
sa cohésion face à ce
phénomène.
31. Jean
Gerson,
uvres
omplètes
t.
X
Œuvre
olémique
P.
Glorieux
d.,
Paris,
esclée t
Cie,
1973,
p.
45-51.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 64/163
Médiévales7,automne994, p.59-66
David
EL KENZ
L'HOMME
DE
DOULEUR
PROTESTANT,
AU TEMPS DES GUERRES DE RELIGION
Dans
les années 1550 se
développe
un discours calviniste ur la
souffrance
eligieuse1.
l
prend
la forme
d'un
récit
hagiographique
dont
'objet
est la
patience
des fidèlesdevant
a
répression.
ette atti-
tude est révélatrice
e
la
formationd'une sensibilité
ui prend
en
compte
des
impératifs
la fois factuels
persécutiond'État), politi-
ques (résistanced'une minorité),religieux confessionalisation 'un
groupe)
et
anthropologiques seuil
de tolérance à la douleur et à la
mort)3.
À
partir
d'un traité
d'Antoine de la
Roche-Chandieu
,
ministre
ui présida
à
l'organisation
de
l'Église
réformée
e
France,
nous
verrons n
quoi
la
séquence
1557-1563 st une
période
de
crise
radicale
pour
le
peuple
réformé.
Comment,ensuite,
e
constitue
une
interprétationésangoissante
ace aux
tentatives
e
marginalisation
e
1.
Trop ongtemps
ous-estimée
ar 'historiographieui
veut oir
ans e calvi-
nisme ne
religionositive
u dans es
persécutions
u
xvie
ièclea
violenceanati-
quede 'obscurantismeléricaltétatique,a souffrancee a nouvellegliseutmino-
rée.Les
récents
ravaux
e Denis rouzet
nt
montré,
n
revanche,
ombienesvio-
lences
taient
orteuses
e
sens.
hez
es
atholiques,
a
violence'exerceans n
désir
d'union
mystique
t
d'avancement
essianique
lors
ue,
hez es
protestants,
a vio-
lence e
veut
e-formation
u
temps
u
premier
hristianisme.
f. Les
Guerrierse
Dieu.La violenceu
temps
es
troubles
e
religion.
ers 525-Vers610
Mayenne,
1990,
t.
Ici,
nous
oulons
nalyser
a
réaction
uguenote
ux
premièresgressions
royales
u
Temps
es
feux.
2.
Il
existe ne
héologie
alvinisteu
martyre
ur
aquelle
ous ravaillons
ctuel-
lementans e cadre 'une hèse
Les
martyrs
atholiques
t
protestants
u
xv/e
iè-
cle,
n
France.
tude
partir
es
pamphlets
t
occasionnels.
3. Jean respin ait n
premier
ecensementes
protestants,
orts
our
eur oi.
Cf.Livre es
Martyrs
qui
estunrecueile
plusieurs artyrs
ui
ont
nduréa mort
poureNom e Nostreeigneuresus hristdepuis ean us usques ceste nnée
presente
.D.
LIII,
Genève,
554.
4. Cet
ouvrage
st
representatit
e la
production
artyrologique.
f. A. de a
Roche-Chandieu,
istoire
es
persecutions
t
martyrs
e
'Eglise
e
Paris
epuis
'an
1557
usques
u
temps
u
Roi Charles
eufviemme,yon,
563,
42
p.
et
epistre
LXXVII
.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 65/163
60
D.
EL RENZ
l'Église nouvelle5 t quelles sont les significations'un tel imaginaire
de la
souffrance.
«
Que
noz
adversitez
passées
soient
marques,
que
le
temps
ne
puisse
jamais
effacer
pour
la confirmation e nostre salut
»
6
Antoinede la Roche-Chandieu
publie
son traité u lendemainde
l'édit
de
pacification
'Amboise
(19
mars
1563)
:
une victoire imitée
des
huguenots7
ui
assure
cependant
a
survie
de
l'Église.
Il
relate
les violences contre es calvinistes epuis le pogrom catholiquede la
rue
Saint-
acques
(4
septembre
1557)
jusqu'à
la mort
du roi Fran-
çois
II
(5
décembre
1560).
En
revanche,
l
fait
silence sur le
premier
essai de tolérance
dans
l'année
1561 et sur
la
première
uerre
e Reli-
gion.
Le traité
met
donc
en évidence deux
phases
successives t con-
trastées une
première équence (1557-1560) pendant aquelle
domi-
nent
es
persécutions
l'édit
d'Écouen du 2
juin
1559
condamne
mort
tout
protestant
n
fuite,
comme criminel de
lèse-majesté)
et une
seconde
séquence (1559-1563)
au cours de
laquelle
le
calvinisme st
définitivement
rganisé
synode
de
Paris
qui adopte
la
confession t
la
discipline
de
Genève)
et se révèle
gressif
ans les terres
onquises
(protection rméedes Bourbon-Condé,vague iconoclasteet rébellion
en
1560
puis
1562-1563).
Durant ces six
années,
la douleur
constitue
une
épreuve initiatique,
une
païdeia
historique
de la
persécution
l'élan victorieux.Ces afflictions
nt un
sens
qu'un
Écrit doit
inscrire
et
propager
«
Voilà donc une autre
cause,
explique
Antoine de
la
Roche-Chandieu,
pour laquelle
la lecturede ceste histoirevous
sera
proffitable quand
elle vous
remettra evant les
yeux
voz
persecu-
tions,
et fera
revivre n voz cœurs le sentiment e l'amour de
Dieu,
qui
vous a aussi
exercezcomme ses chers
enfans,
elon
sa coutume...
Ce sera
plustost
pour
vous
resjouir,
et esmouvoir louèr
Dieu,
qui
vous a
fait
part
en
quelque façon
de la croix et
afflictions,
e nostre
Seigneur
Jesus Christ,comme ses membres et freres 8. Ainsi, la
paix
d'Amboise est-elle
acralisée
par
les
premiers upplices,
comme
le fut la
paix
de Constantin
par
les
premiers
martyrs
hrétiens.
5.
Alphonse
upront
montré
ue 'objet
e Yhomo
eligiosus
taita tension
vers 'Autre
pèlerinage,
ulte es
aints,
roisade,
tc.).
Cf. Du
sacré.
roisadest
pèlerinage.magest angages,aris, 987, .59.Lemartyreuguenotst nemodalité
pour
onnerens une ituationù
apparemment
ieua abandonnées fidèles.
6.
A. de a
Roche-Chandieu,
istoire
es
persecutions
t
martyrs
e
'Eglise
e
Paris,
p.
cit.
p.
Vili.
7. La liberté
e culte ecule
arrapport
l'édit
e
anvier
e 1562.
8. A. de
a
Roche-Chandieu,
p.
cit.,
p.
V11I-IX.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 66/163
L'HOMME
DE
DOULEURPROTESTANT
61
« Voici marcherde rang par la porte doree,
L'enseigne
d'Israel dans le
ciel
arboree
»9
Antoine
de la Roche-Chandieudécrit
rente-cinqmartyres.
ha-
que
récit e
compose
de trois
tapes
l'arrestation,
a
prison
t le
pro-
cès
(où
le calviniste
prouve
sa cause
en
privé
et
en
public)
et, enfin,
le
supplice.
Ainsi,
une
dramaturgie
e l'arrestation
usqu'à
la
mort
du
martyr
met
en scène
a
souffrance u fidèle.
l
convient 'en
analy-
ser
les ressorts fin
de
comprendre
es
représentations
e la
souffrance
huguenote.
L
'
arrestation
15 %
des arrestations
ésultent 'un
comportement
rosélyte.
es
autres
cas sont la
conséquence
du
refus d'observer es rites catholi-
ques,
à moins
qu'on
ignore
es circonstances.
Marin
Rousseau,
com-
pagnon
orfèvre,
t
Philippe
Parmentier,
ompagnon
ordonnier,
urent
ainsi
démasqués pour
ne
pas
avoir
eu
le
comportement
u
plus grand
nombre,
ors
d'une fête
catholique.
«
Cars les festes ls
avoyent
este
coustume,
au lieu
que
les
autres
s'amusent
à
boire,
et
follâtres,
de
se trouver nsemblepour se resouïr en Dieu, chanterpseaumes, et
faire
prieres.
Le
diable,
mal content de
cela,
leur
suscita un
traistre10.
Le
martyr
est donc avant tout l'innocente victime
(l'agneau christique), ersécutée
ar
la
haine
populaire
t
par
une
légis-
lation
nique.
L'ouverture u
martyre
rotestant
e
place
sous le sceau
d'une
pratique pieuse
non
dissimulée,
lective ans
pour
autant être
militante
1
.
La
prison
et le
procès
La
prison
et sa face
publique,
le
procès,
sont des lieux fonda-
mentauxdans la
geste
du
martyre.
Aux
prisons,
écrit
'apologiste,
on
cognoit
Dieu
estre veritable
en
ses
promesses...
Là
il
leur
[les
martyrs]
onne force
pour
surmonter es
tenebres,
a
puanteur,
es
liens,
la
faim,
la
soif,
le
froid,
es
injures, mocqueries,
batures,
et
subtilitezdes ennemis de
vérité,
es
tourmens,
ourtures,
uestions,
et autres
choses
que
tous les
jours
leur sont
opposés.
Brief
ces
pri-
sons sont
eux
d'escrime,
ou on
cognoist
tous les
coups que
sçavent
ruer a
chair,
e
Diable,
le monde et
y apprend-on
e
du
grand
mais-
9. A. d'Aubigné,esTragiques(lre d.1616), . Bailbé d.,Paris, 968, . IV,
Les
Feux
v. 1-2.
10. A.
de a
Roche-Chandieu,
istoirees
persecutions
t
martyrs
e
l'Église
de
Paris,
p.
cit.,
p.
345.
11.
Dans e
programme,
n retrouvela
fois a
condamnation
alvinisteu nico-
démismet
'exigence
e la
prudence
e la
part
es
Églises rançaises
éformées.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 67/163
62
D.
EL KENZ
tre,qui nous donne le vouloir, a science et le pouvoir,à les repous-
ser.
Que
personne
donc ne
craigne
plus
d'estre emmené en
prison,
veu
que
c'est
le
lieu,
ou
Dieu
desployepleinement
es
graces
».
12
La
prison
est
l'épreuve ndispensable
u chemindouloureux
vers
a
grâce
divine.C'est
là
que
la douleur errestree trouve
oulagée par
le divin.
Le
martyr
evient lors
un athlètede la foi.
Il
résiste la
maladie,
à la torture
hysique
et morale13.
Ainsi,
Jean
Amalric,
très affaibli
par
l'enfermement,
eprend-il igueur
ar
la
grâce
de
Dieu,
pour dépo-
ser
au Parlement.
«
Il
estoit desia tirant la
mort,
et
ne se
povoit
soustenir
u'à
grand'pene,
quand
on
l'appela pour
aller
devant Mes-
sieurs.Lors il commença reprendrees forces, t s'en alla tout deli-
beré
à la
Tournelle,
t
parla
si
franchement,
u'on
ne
l'estimoit
oint
malade
: et
disoit
qu'il
ne sentit ucune douleur
pendant qu'il
fut
là
»
14
Le
supplice
Le
supplice
est
le couronnement u
martyre.
ors
du
séjour
en
prison,
'homme
garde
ses faiblesses
t
peut
succomber.
l
dialogue
avec le Dieu secourable
mais
il
n'est
pas
encore uni à Lui ou
possédé
par Lui. En revanche, ors de l'exécution, 'écart disparaîtentre a
condition
humaine et l'action divine.
L'homme
supplicié
n'est
plus
homme
mais
le
Christ
vivant.
«
Magnifions, roclame
e
panégyriste,
celuy
qui
a vaincu
et surmonté
n eux.
»15
Le
crime d'hérésie est
puni par
le
supplice
du
bûcher,
vec
étranglement
u non.
À
travers
la
description
e
la
peine
se dessine
e
topos
du Christ sur la croix.
Le
supplice
se construit
n deux
étapes
le chemin
usqu'au
bûcher
puis
l'exécution
proprement
ite.
Dans
le tombereau
menant
u
bûcher,
e condamné
paraît
trans-
figuré.
l
est
oyeux,
recouvremiraculeusement
a
santé
et
se
pare
de
toute sa beauté. La demoisellede Luns
«
assise devant e tombereaumonstroit ne face vermeille, t d'une excellentebeauté. Elle avoit
au
par-avant
loré
son
mary,
t
porté
e
deuil,
habilléede
linges
blancs
à
la
façon
du
pays
: mais alors
elle avoit
posé
tous ces habillemens
de
vevage,
et
reprins
e
chapperon
de velours
et autres accoutremens
de
joïe,
comme
pour
recevoir
est
heureux
triomphe,
t
estre
ointe
à
son
espous
Jesus
Christ
16.
Quand
leur
langue
n'est
pas coupée
12.
A.
de a
Roche-Chandieu,
istoire
es
persecutions
t
martyrs
e
l'Église
de Paris
op.
cit.,
pp.
254-255.
13.20 7o esmartyresommencentarun reniementais ussitôtnnulé arunretourlavraie
oi,
près ue
des
ompagnons
ecellulent dmonestées
postats.
14.
A. de
a
Roche-Chandieu,
istoirees
persecutions
t
martyrs
e l
Eglise
de
Paris,
p.
cit.,
p.
146.
15.
bid.,
p.
XXXIV.
16.
bid.,
p.
86.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 68/163
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64
D.
EL KENZ
comme es autresmartyrs,efuse la croixde bois toutepoudreuse
qu'on
lui
apportait,
«
disant
qu'il
l'avoit
imprimée
dedans son
cœur »21.
«
Tant
de
sang
que
les Rois
espanchent
ruisseaux
S'exhale en douce
pluye
et
en fontainesd'eaux
»
22
La
souffrance
rocède
de
Yimitatio
hristi
Aussi est-elle
n
sacri-
fice. Par
l'immolation de
l'agneau,
la victime
nstaure un
langage
sacré. Elle constitue n ensemblede sacra et de signa que l'historien
doit décoder23.
Le
discours
udiciaire
La souffrance
du
corps
doit être resituée au
sein
d'un
rituel
juridique24.
Jusqu'à
l'édition de 1570 du Livre
des
martyrs
Jean
Crespin
et à sa suite Antoine
de la
Roche-Chandieu
xigent
ne
pro-
cédure officielle
pour que
le condamné
réponde
aux
critères
du
martyre.
es
pièces uridiques
doivent uthentifier
a mortvolontaire
pour l'Église et ainsi la dissocierd'une condamnationpour sédition.
Une fois
que
l'historien scellé
par
des
archives
la
geste
du
martyre,
l
met
en
place
une
rhétorique
de l'inversion.
Plus
la
vic-
time est
martyrisée ar
le
pouvoir
terrestre,
lus
elle récoltera
de
récompenses
ivines.
Cette
stratégie
e
calque
sur
celle du
Christ la
passion
du crucifié
nourrit a
plénitude
de la
résurrection ivine.
La
souffrance,
xe du
monde
renversé
TERRE HUGUENOT
SUPPLICE
JUSTICE ROYALE
CONDAMNÉ MORT
INVERSION
CIEL
ÉLU
ÉTERNITÉ
JUSTICE
DIVINE
21.
Ibid.,
p.
202.
22. A.
d'Aubigné,
es
Tragiques,p.
cit.,
.
III,
La chambreorée
v. 659-660.
23. Les acra
ésignent
esoutils
our
ntrern
contactvec e divin lors
ue
les ignaont esmanifestationsmmanentese Dieu.Cf.O. Herrenschmidt,Reli-
gion
, dansP. Bonté tM. zarddir., ictionnaireel'ethnologietdel'anthro-
pologie,
Paris,
991,
.
624.
24.
François
estringant
identifiéa mentalité
uridiqueui
prévaut
ans e
martyrologe
e Jean
respin
tdans
es
Tragiques'Agrippa'Aubigné.
f.
La Cause
des
martyrs
ans es
Tragiques'Agrippa
'Aubigné
Mont-de-Marsan,
991.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 70/163
L'HOMME
DE
DOULEUR
PROTESTANT 65
Ainsi,par l'agirdivin, e discours égitime-t-ila protestationace
à
la
géhenne
royale.
Au
sacré
de la
Rex Lex le
martyr
ppose
un
sacré
supérieur l'immanence
de
Dieu) qui prend
formedans la souf-
france
de son
corps.
Il
disqualifie,
par conséquent,
ses bourreaux.
Le discours
confessionnel
Le
martyre
st
aussi destiné à
la communauté
des
réformés.
l
sert
à encadrer
a nouvelle
Église
et à la
justifier
par
sa souffrance
sacrificielle. a communauté ait e don de l'un de ses frères u Sei-
gneur.
Le
condamné,
en
effet,
'offre
n sacrifice
arce qu'il
suit les
règles
dictées
par
la loi
de Dieu.
Il
instaure insi
un
rapportprivilé-
gié
et intime ntre
ui et
le
divin.
Mais comme
il
représente
a com-
munauté,
l
devient
ussi un médiateur
ntre lle et
le
souverain éleste.
Il
est à
la fois
l'expression
ollectivede
l'Église
et la
grâce
de Dieu.
Ce lien
sacral,
établi
par
le
martyr
ntre a communauté éformée t
Dieu,
doit être
préservé
t mis
à
profit ar
les
croyants.
Ainsi,
a
geste
du
martyr révient-elle
es
trahisons,
ntretient
t
encourage
a foi.
Cependant,
par
cette
communion
acrificielle,
e
groupe
se fait
égale-
ment créancier
du Dieu souverain.
«
Il
attend,
explique Roger
Cail-
lois, que les puissancesqu'il révère 'acquittent n exauçantses vœux
de la
dette
qu'elles
ont
contractée son
égard25.
Sûre du
sacrifice,
la communauté
cquiert
a certitude
u soutien divin
qui précipitera
sa
victoire ontre es
ennemis.
L'apologiste
protestant eut
ainsi
affir-
mer
que
la cruauté
des
catholiques
a tellement
ervi
pour
faire
place
au
regne
de nostre
Seigneur
Jesus
Christ,
et à son
Evangile,
que
la
Papauté
s'en
va
tresbucher
u tout
et ce
qui
estoit
couvert t caché
entre
peu
de
personnes,
t en
quelques anglets
de
la
France,
mainte-
nant est
respandu par
tout
et en
pleine
lumière
26.
Au-delà de la
souffrance
Toutefois,
u
martyre
ncore
civilisé,
'oppose l'éruption
u chaos
de
la
guerre
civile et de la violence hors-norme.
Le
martyrologe
s'achève
par
la
description
des victimes du Tumulte
d'Amboise
(17
mars
1560) qui évoque
une effusion acrificielle
auvage.
Bien
que
l'auteur
souligne
eur
constance,
es victimes e
reçoivent
as
explici-
tement
a
couronne
du
martyre27.
eur
rapport
u
sang
et à
la souf-
france
xplique
ce nouveau statutde l'homme de douleur.
«
Il
y
en
25. R.
Caillois,
L'homme
t e
sacré,
aris, 988,
.
34.
26. A.
de a
Roche-Chandieu,
istoire
es
persecutions
t
martyrs
e
l'Eglise
de Paris
op.
cit.,
p.
LXIII.
27. N'étant
aspassées ar
a
procédureuridiquendispensable
u
martyre
ffi-
ciel,
es victimese
peuvent
énéficiere ce
privilège.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 71/163
66
D.
EL KENZ
eut un entre es autres,nous relate Antoine de la Roche-Chandieu,
lequel
estant monté sur
Péchafaud,
trempa
es mains au
sang
de
ses
compaignons,
ui
avoient esté sur
l'heure
decapitez,
et
les éleva vers
le ciel tant
qu'il peut,
s'escriant n semblables
aroles
Seigneur
oicy
le
sang
de tes
enfans,
tu en
feras la
vengeance
28.
Ici,
le
sang
se
présente
l'état brut29.
Le faire couler
est
une
grave transgression.
Le
précieux
liquide
30
constitue une souillure
qui
demande une
purification31. longer
les mains dans le
sang
est le
témoignage
de
cet affront t de ce bouleversement
es valeurs
les
victimes ont des
nobles et sont exécutées ans
jugement).
Le retour
l'ordre
des
cho-
ses ne peut advenirque par l'interventionengeresse e l'ire divine
contre
e
responsable,
urdéterminé
égativement.
insi,
e
chancelier
Olivier,
coupable
de ce
crime,
«
fut
frappé
d'une
maladie
estrange,
et en mourut.
l
jettoit
de si horribles
ris,
qu'ilz
estoient
ntendus
de toute a courtdu
chasteau.
l
souspiroit
tous les
coups,
et
disoit
va
cardinal
Charles
de
Guise,
cardinalde
Lorraine],
u
nous fais tous
damnés
»
32. La mort de
François
I
est aussi
interprétée
omme
une
«
délivrancemiraculeuse 33. L'écriturede la
souffrance u
peu-
ple protestant,
l'aube des
guerres
e
Religion,
st donc riche
de sens.
À
la
fois
légitimation olitique,
fédératrice 'une
communauté,
lle
prépare
'insubordination evant
e
scandalon des
massacres à venir.
L'esquisse de l'homme de douleurprotestant ermetde nuancer
fortementa
rupture
des
sensibilités
u'aurait provoquée
la réforme
calviniste. e
peuple
huguenot artage
a
culture e la
souffrance hré-
tienne. S'enracinant ux
origines
de
l'Église
primitive,
l
retrouve a
vocation de
la
mort
pour
la foi.
Mais
plus
encore,
il
traverse
ette
religiosité
pécifique
des
renouveaux
mystiques
du
XVIe
iècle,
où
la
possession
de Dieu se
passe
des médiateurs léricaux t
royaux,pour
vivredans la
passion
du
Christ. Les
Tragiques d'Agrippa d'Aubigné
s'achèvent
insi
«
Tout
meurt,
'ame
s'enfuit,
t
reprenant
on lieu
/
Exstatique
se
pasme
au
giron
de son Dieu »34.
Réponse
à la très
catholiqueThérèsed'Avila :
«
Mouriret souffrir,elsdoivent trenosdésirs 35.
28. A.
de a
Roche-Chandieu,
istoire
es
persecutions
t
martyrs
e
l'Église
de Paris
op.
cit.
p.
436.
29. Ce n'est
as
un
hasard
i
'apologiste
voque
es
décapitations
tnon es
pen-
daisons
ui
eurent
ieu,
u même
moment,
u
château 'Amboise.
30. Dans a
Bible,
e
sang ignifie
âme,
oufflet
respiration.
f. J.-P.
Roux,
Le
Sang.
Mythessymboles
t réalités
Paris,
988,
.
48.
31.
bid.,
pp.
36-39 t
pp.
102-106.
32. A.
de a
Roche-Chandieu,
istoirees
persecutions
t
martyrs
e l
Eglise
de Parisop. cit. p.437.33.
bid.,
.
442.Dans es
pamphletsrotestants,
loccasionesmortse HenriI
et
de Charles
X,
on
retrouvee thèmee a malédictionivine
ui
frappe
es ouverains.
34. A.
d'Aubigné,
es
Tragiques
op.
cit.,
L.
VII,
Jugement
v. 1217-1218.
35.
Thérèse 'Avila
trad.
M.
Auclair),
Pensées
t
sentences
dansŒuvres
complètes
Paris, 964,
.
1063.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 72/163
Médiévales7,automne994, p.67-74
Valentin
GROEBNER
LA VILLE
ET LE
CORPS.
LA PERCEPTION DU CORPS BLESSÉ
À
NUREMBERG
À
LA
FIN
DU
XVe
SIÈCLE
Les témoins
oculaires sont-ils érieux
Dans les
années
quatre-
vingts
du
xve
siècle,
Heinrich
Deichsler,
brasseur et
citoyen
nurem-
bergeois
isé,
entreprend
écrire a
chronique
de
sa
ville,
mi-récit es
événements
olitiques,mi-journal
ersonnel.
Au
travers es
pages,
elle
se
présente
omme une suite
nterminable
e
rixes
anglantes,
homi-
cides et de châtiments orporels.En 1493, l auteur note sans com-
mentaire
u on
a
poignardé
inq
hommes
dans la ville entre e 26 mai
et le
24
août,
sans
qu on
ait
pu
saisir
aucun des
agresseurs.
a même
année,
un
homme rmé tue sans raison
apparente
n écolier
ui
chante
dans la rue
en
quête
d aumônes. Encore
en
1493,
un
certainAnton
Schetzel
guette
rmé de son
couteau une femme nceinte
ui
se rend
à
l église,
lui
coupe
les
tendons au niveau des
genoux
et
la
frappe
au
visage
si
violemment
u elle
meurt e
jour
même1.
Ce
qui
étonne
dans la
description
e
Deichsler,
ce
n est
pas
seu-
lement a
répétition réquente
e ces
faits,
mais encore a manière aco-
niqueet concisedont ls sontprésentés. emaineaprèssemaine l enre-
gistre,
ans émotion
pparente,
es oreilles
coupées,
les crânesenfon-
cés et les
victimes ventrées.
Cette
«
cruauté
»
a fait
partie
des lieux
communs
à
partir
desquels
se construitnotre
perception
du
Moyen
Âge
: dans la littérature
istoriographique,
a
population
urbaine
de
la
période
est
présentée
omme
violente,
anguinaire,
ndifférenteux
douleurs du
corps
tourmenté,
oire comme
«
hébétée
. La
violence
quotidienne
dans les villes
du bas
Moyen
Âge
a été
interprétée ajo-
ritairement
omme un
symptôme
e
crise,
comme une manifestation
de tensions
ociales,
du
«
déracinement
,
de la
«
dissolutionde liens
traditionnels
2.
Certains
travaux
récents,
n
revanche,
renoncent
1
Die
Chronik
esHeinricheichslers
488-1506,
ans ie
Chronikener euts-
chen tädte om 4. bis
ns
16. JahrhundertK.
Hegel
éd.,
vol.
11,
Leipzig,
872,
dp.
574-575.
2.
N.
Gonthier,
risde haines t rites
unité
la
violenceans es villes
xnie-xvi
iècles,
urnhout,992,
.
191. Crise
et
«
déracinementchezB. Gere-
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 73/163
68
V. GROEBNER
rattacher etteviolenceaux phénomènesde la « crise». Quand les
sources
permettent
e
préciser origine
sociale
des
agresseurs
t
des
victimes,
n constate
que
les
premiers
ne sont
que
dans
une
faible
mesure
des éléments
déclassés ou
marginalisés
de la
société. Entre
autres,
les
provocations
et les rixes dans les rues semblent ervir
la consolidation
d une hiérarchie
ociale,
tout
en
fixant
chaque
fois
un
«
pecking
order
»
nouveau : elles renvoient l existence d un
système
ui réglemente
équilibre
précaire
de l honneur ndividuel t
général,
honneur
ui,
d une
part,
doit être
protégé
t
imposé
-
fût-
ce
au
prix
du
sang
-
,
et
qui,
de
l autre,
doit être
préservé
t main-
tenu pour assurer ordre et la paix municipale3.
L exposé
suivant
porte
sur
la
perception
t la
réglementation
e
la
violence
physique
dans une
grande
ville allemande à la fin
du
XVe iècle.
À
l époque, Nuremberg, qui compte
environ
40 000
habitants,
st
un des
grands
centres
ommerciaux e
l Europe
centrale,
ne
ville autonomeet
puissante.
Ville
d Empire,
elle est
gou-
vernée
par
un conseil
dominé
par
les
grandes
famillesmarchandes t
banquières, désigné
par
la suite comme
«
le
conseil
»
(«
der Rat
»).
Un
voyageur
allemand
du
XVe
iècle
rapporte qu on
disait
à
Venise
que
toutes les
villes
allemandes étaient
aveugles
il
n y
avait
que
Nuremberg
ui voyait
d un
œil4. Dans l œil de cette
ville,
de
quelle
manièrese reflétaita violence? Comment décrire es attitudesdes
citadins de
Nuremberg ar rapport
au
corps
blessé
et mutilé
La violence
au
quotidien
?
Dans les lois
et les
ordonnances
enregistrées ar
le
conseil
de
Nuremberg
urant
es dernières écennies
du
xve
siècle,
il
est
ques-
tion
de manière
roissante
e la violence dans les rues
de la ville.
En
1471,
le conseil
déclare
que
celui
qui
a
coupé
les
doigts,
les
mains
ou d autresmembres
d un
adversaire,
era
puni par
la
perte
de ses
mek,
es
marginaux
arisiens
ux
xiv et
xv
siècles,
aris, 976,
t
J.
Chiffoleau,
«
La
violence
u
quotidien.
vignon
u xive iècle ans es
registres
e la cour em-
porelle
,
Mélanges
e Ecole
rançaise
e Rome
Moyen ge/Temps
odernes)
2,
1984,
p.
325-371.
3. S.
Burghartz,
Disziplinierung
der
Konfliktregelung
ZurFunktion
täd-
tischererichte
m
Spätmittelalter
Das Zürcher
atsgericht
,
Zeitschriftür
histo-
rische
orschung
6,
1989,
p.
385-407
P.
Maddern,
iolence
nd ocial rder.
ast
Anglia
422-1442
Oxford,
992
Cl.
Gauvard,
De
grace special
. Crime
État
et
Société
n France
la
fin
du
Moyen
ge
2
vols, aris,
991.
u
mêmeuteur
voir
ussi
Violenceitadine
t
réseauxe
solidarité.
exemple
rançaisux
xive
t
xv» iècles,AnnalesSC 1993, ,pp.1113-1126,vec uelques énéralisationsansladéfinitione a« criminalitéetdes criminelsdu bas
Moyen
ge
ui
me em-
blent
roblématiques
«
Lescriminels
e recrutentans ne
opulation
xogène,
ais
familière
es ieux
rbains
u elle
réquenteégulièrement.
-
ibid.
p.
1115.
4. Voir
Nürnberg.
eschichte
iner
uropäischen
tadt,
.
Pfeiffer
d.,
Munich,
1971,
t W.
von
Stromer,
berdeutsche
ochfinanz
350-1450,iesbaden,
970.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 74/163
LA VILLE ET LE
CORPS 69
membres orrespondants l homicidepar une amende et dix ans de
bannissement
u
par
la
peine capitale.
En
1482,
tous ces
châtiments
sont
alourdis,
le nombre
de
sbires
et de
sergents
e ville
multiplié5.
Comme dans d autres
villes
médiévales,
e conseilde
Nuremberg
ssaie,
à
coups
d ordonnances
répétées,
e
proscrire
u au
moins de restrein-
dre
le
port
d armes
dans la ville6. De
temps
à
autre,
les sources
nous
renseignent
ur
a
résistance
pposée
aux
sergents
ors
de
la con-
fiscationd armes mais
la
discipline
des
forces
de
l ordre elle-même
laisse
à
désirer.
En 1471
et à nouveau en
1480
et en
1490,
tous les
sergents
ont sermonnés
our
avoir malmené
ans cause les
bourgeois
et les gens dans la rue ; dans les dernièresdécenniesdu XVe iècle,
un
bon nombrede ces
sergents
st
congédié.
Leur
corruption
t leur
brutalité ont
proverbiales
dans un dit
satirique,
e
poète
nurember-
geois
Hans
Rosenpliit
ompare
a bonne foi des
sergents ui
font han-
ter et maltraitentes
gens qu ils
seraientcensés
protéger,
l amour
et la fidélité
«
die lieb und trew
-
entre
prostituées
t
soute-
neurs ou entre
uifs
et chrétiens7.
Malgré
l abondance des archives
municipales,
es
registres
rimi-
nels
de la ville
qui
pourraient
ous
renseigner
ur
l application prati-
que
des lois sont
perdus.Cependant,
l
existeun autre
groupe
de
sour-
ces
jusqu à présent
mal étudié. Les Libri conservât
rii,
registres
e
la basse justicemunicipale, nregistrenton seulementes plainteset
les arrêts oncernantes
dettes,
es
loyers,
aisies,
héritages,
mais reflè-
tent
galement
es
procédures
e la
juridiction
non
obligatoire,
est-
à-dire des actes
privés
reconnaissances e
dette,
héritages,
ontrats
de
travail, et,
surtout,
de
dommages-intérêts8.
Dans
une de ces
inscriptions,
e
boulanger
Cuntz
Rosenzweig
on-
firme e 22 octobre
1485
avoir
payé
dix Gulden
pièces d or)
aux
repré-
sentants
d Endres
Wagner
que
son fils avait
blessé
-
en
dédomma-
gement
de ses blessures
t
du salaire du médecin.
En
1486,
le
frère
de Heintz
Hutler,
victime un
homicide,
tteste voir
reçu
35
Gulden
des deux famillesd agresseurs titrede compensation9.Entre 1485et
1498,
les Libri conservatorii
nregistrent
9 de ces contrats de
dommages-intérêtsour
homicides,
es
doigtscoupés,
des
coups
reçus
au
dos,
au
bras
etc.
Compte
tenu de la violence
quotidienne
dans les
5.
Nürnbergerolizeiordnungen
es 14. und15.
Jahrhunderts,
. Baader
éd.,
Stuttgart,
861,
p.
41-46 t 49-51 H.
Knapp,
Das alte
Nürnberger
riminalver-
fahren
,
Zeitschriftür
die
gesamtetraf
echtswissenschaft
2,
1892,
p.
201-276t
437-552,
n
particulier.
267.Voir ussi
taatsarchiv
ürnbergep.
60
b,
Ratsbü-
cher
désormais
brégés
n
«
RB
»)
2,
f°
79
r°,
RB
6,
f°
113r°.
6.
Nürnbergerolizeiordnungen,
p.
cit.,
pp.
51-52 RB
5,
f°
262
v°
RB
6,
f°
41 v°.
7. RB2,f° 19v° RB6,f°48v° Hundertoch ngedruckteriamelnes15.
Jahrhunderts,
.
Euling
d.,
Paderborn/Münster,887,
.
87.
8.
Stadtarchiv
ürnberg
14
/
I,
Libri
onservatorii
désormais
brégés
n
«
Lib.
ons.
).
Voir
V.
Groebner,
konomiehne
Haus. Zum
Wirtschaften
rmer
Leute n
Nürnberg
m
Ende
des 15.
Jahrhunderts
Göttingen,
993.
9. Lib.
ons
D,
f°
121 °
et
155
°.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 75/163
70 V. GROEBNER
rues, cela semblepeu. Mais évidemment,eule une petite partiede
ces accords sont inscrits ans les dossiers
udiciaires.
Dans les chro-
niques
des années 1480 et
1490
et dans
les
procès-verbaux
es séan-
ces
du
conseil
de cette
période,
l
est souvent
question
de
cetteforme
de
règlement,
ans
que
les cas
apparaissent
dans
les Libri conser-
vatorii 0.
Encore
plus fréquemment,
es
indemnités
ont
leur
apparition
dans les
fragments
e
registres
es
punitions
t
amendes de la ville
conservés
ux archives
de
Nuremberg
ans les
«
Differentialakten.
Ils datentdes années trente u
xvie
siècle et ont
pour
origine
un
con-
flit pposant a ville de Nuremberg son puissantvoisin, e margrave
de
Brandenburg-Ansbach,ortant
ur
les droits
de
juridiction
de
la
ville dans son territoire. ans ces dossiers
figurent
es
transcriptions
des
registres
riminels oncernant
niquement
es habitants e la
région
dont la
juridiction
st contestée
la ville
par
le
margrave
cela
expli-
que
le
fait
qu ils
ne contiennent
u une partie
nfime
des
jugements
prononcés par
les autoritésurbaines.
Mais ils
peuvent
nous
rensei-
gner
sur
la
gradation
entre
châtiment
ublic
et
règlement
l amia-
ble.
Les actes concernantes années
1483
à
1499
enregistrent
1
arrêts,
dont 10 cas de vol : sur les
21
cas subsistants
homicides,
plus
des
deux tiers
15)
ont
été
arrangéspar
un
paiement
de
compensation11.
Dans d autres cas de lésioncorporelle,de telsrèglements ar indem-
nité
augmentent
ncoreen nombre
t
fréquence.
Nos sources
désignent
cette forme
de
dédommagement
ar
un terme
particulier,
savoir
«
Taidigung
ou
«
taidigen
:
négocier,
se
mettre
d accord. Ces
«
Taidigungen
constituent la
fin
du
XVe
iècle à
Nuremberg
e
pro-
cédé normal et
ordinaire
pour
régler
es
coups
et
blessures et les
homicides.
Le
prix
du
corps
châtiment
t
règlement
l amiable
Dans le même
temps,
Nuremberg st une ville gouvernéede
manière
rigoureuse
non
seulement
lle
promulgue
des ordonnances
très
détaillées, mais,
de
plus,
elle
entretient n
système
de
sécurité
étendu.
Les
formes e
règlement
l amiable et les accords de dédom-
magement
écrits emblent
eu compatibles
vec les châtiments ra-
coniens
du conseil sur
le
port
d armes,
es
rixes t les homicides.Mais
contrairement
ux ordonnances
qui
n en
parlent qu en marge,
les
«
Taidigungen
sont souvent
mentionnées
ans
les
procès-verbaux
es
séances
du
conseil
elles sont
encouragées ar
les
autorités,
t,
en cas
de
refus,
on n hésite
pas
à les
imposer
par
la contrainte.
n
1516,
il y estmême ordonnéqu on accordeun contratde dédommagement
favorable
un
agresseur,
condition
qu il
se déclare
prêt
à
prendre
10. Voir
Die Chronik
es Heinricheichslers
op.
cit.,
pp.
384
et 562.
11. Staatsarchiv
ürnberg,
ifferentialakten
3b,
f°
18r°-26 °.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 76/163
LA
VILLE ET LE
CORPS 71
soin du pèrede la victime 2.Ces règlements privés de la violence
sont
placés
sous le contrôle
rigoureux
u
conseil toutes es réconci-
liations ont besoin de son autorisation
pour
être valides. Le conseil
se met en scène comme arbitre
ui organise
e contrat t
l abandon
de la
vengeance
t
qui,
surtout,
onne
son autorisation la réconci-
liation,
tout en se faisant
payer
ses
services
en
argent
comptant.
Dans d autres
cas,
ces
négociations
ont
interdites
une
ordon-
nance de
1474
défend
xpressément
une
veuve de trouver n accord
avec les
assassins
de son mari13. De
plus,
il
n y
a
pas
de
«
Taidi-
gung
»
dans les affaires
épertoriées ar
les autorités
omme
meurtre
(« Mord ») et non comme homicidevolontaire « Todslag »). La dis-
tinction fficielle
ntre un et l autre
est floue ce ne sont
pas
telle-
ment es circonstances
action
préméditée
u
non,
légitime
éfense
tc.)
qui
sont
prises
n
compte,
mais
plutôt
a
personnalité
es
participants.
Pour les meurtres
pectaculaires,
es conflitsmeurtriersntre
époux
ou
parents,
et
pour
la
plupart
des cas
qui
concernent es
membres
des
familles
du
conseil,
es
procès-verbaux
t
les ordonnances
parlent
tout de suite de
«
mord
», meurtre,
our lequel
n existe aucune
pos-
sibilité
d arrangement
l amiable.
Dans ce
cas,
de
fortes
écompen-
ses
sont
promises
t criées
pour
l arrestation es auteurs du crime
on ferme es
portes
de
la ville et on
organise
une
véritable hasse aux
coupables silon arrive les arrêter, ensuivent e spectacle udiciaire
et celui de l exécution
publique14.
Si la
distinction ntre meurtre t
homicide
volontaire
reste
mal
définie,
a limite entre ce
dernieret
l accident n en est
pas
mieux tracée.
Dans
une
inscription
ux dos-
siers
udiciaires
de
1501,
un certain
Hanns
Reuter
s engage
à
payer
aux
parents
Albrecht
tenngel,
u il
a tué accidentellement
ors d un
concoursde
tir,
a
sommeconsidérable
e 200
Gulden. Comme
garan-
tie
pour
les héritiers
e
Stenngel,
l
est
contraint
e donner
sa
mai-
son en
gage15.
Cet accord
est
passé
exactement
ans les mêmes ter-
mes
et
les mêmes formulations
uridiques que
ceux dont
se servent
nos « Taidigungen . Afinde régler es conséquencesde la violence,les contractantsouscrivent la fiction elon
aquelle
es blessuresnfli-
gées
à la
victime,
voire
sa
mort,
n étaient
pas
le
résultatd une
pré-
méditation. eulement ous ces conditions accord
devient
possible.
Si la violence
dans les rues de
Nuremberg
st
quotidienne,
lle
n en coûte
pas
moins très cher aux
coupables.
Dans un
contratde
1498,
Hans Lebendter et
Hans
Grym
se font un devoir
de rendre
12
Gulden à Erhard Tofel
qu ils
avaient blessé
dans un autre de
1490,
le
prix
d une
main
coupée
se monte à
27
Gulden en
1506,
les
12. RB
11,
f°
86r°.
13. H. Knapp, DasalteNürnbergerriminalverfahren, op.cit., .507 voir
aussi
p.
254.
14. Voir
ar xemple
ie
ChronikesHeinrich
eichslers,
p.
cit.,
p.
582,
90,
602.
15. Stadtarchiv
ürnberg,
14/1,
ibri
itterarum
7,
f°
190
°
cf.Die
Chro-
nik
des
Heinricheichslers
op.
cit.,
p.
375.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 77/163
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LA VILLE ET LE
CORPS
73
ment Cuntz Schott,noble franconien n conflit vec la ville, coupe
la main de son
prisonnier,
e marchand
nurembergeois
WilhelmDer-
rer
-
description
troce,
qui
dépeint
comment chott force
Derrer
mettre a main sur
e
billot.
Derrer ui
demande
grâce,
en vain.
Il
pose
finalement a main
gauche
sur le billot Schott e menace de le tuer
sur-le-champ
il
n y pose pas
sa main droite.
Ensuite,
il
donne un
coup
de
son
épée
-
mais,
Derrer
yant essayé
de retirer un
mouve-
ment
brusque
sa
main,
épée
n atteint
ue
les
doigts.
Schott
aisit
une
hache et
frappe
à nouveau. Cette
fois-ci,
a victime
retire ncore sa
main,
et le
coup
tranche a main au
milieu,
de
façon
à ce
que
le
pouce
ne tienne lus qu à un lambeaude peau, commenous le décrit e chro-
niqueur.
«
Avec
ça
tu
n écriras
plus
de
lettres
,
lui
recommande
Schott,
cynique
«
Rapporte
ta main à
tes
seigneurs.
20
Cette
description
ne
manque pas
de
produire
un certain
effet
même
pour
le lecteur u
XXe
iècle. L événement essemble un
mas-
sacre
grossier,
out en suivant es
règles
d une
dramaturgie
articu-
lière
-
néanmoins,
e
rang
social du marchandDerrermutiléne
suf-
fit
pas
à
justifier
ette
abondance
de
détails.
Pour
Deichsler,
cette
main a été
coupée
de manière
llégale
et
illégitime,
ontrairementux
mains tranchées
par
le bourreau de
Nuremberg
ors d un
jugement
légal,
et contrairementussi aux mains blesséesdans les rixes
qui peu-ventfaire objet d une « Taidigung . Le chroniqueur est rienmoins
qu indifférent
la violence
il
la
perçoit
de
manière
précise.
Pour
lui,
ce ne sont
pas
les mutilations
u
les douleurs
infligées
n tant
que
telles
qui
sont
cruelles,
mais seulement elles
qui
sortent un cer-
tain
cadre,
qui
mettent mal l ordre
la
cruauté,
c est le
renverse-
ment des
règles.
La
juridictionpénale
du conseil de
Nuremberg
bonde en
élé-
mentsthéâtraux t
qui
renvoient cette notion
d une violence
uste
reflétant
ordre,
organisée
comme une
mise
en
scène21.
l
semble
que
les
contemporains
nterprétaient
es
manifestations e la
justice
littéralementommedes spectacles dans un poèmedu nurembergeois
Hans
Folz,
imprimé
n 1480
sous le titre
Dialogue
du Riche et du
Pauvre
»,
le
pauvre déplore
a
persécution
e tant
d innocents
par
la
juridiction
rbaine.Son interlocuteurui
oppose que
ces
procédés
ont
nécessaires
il
faut
bien
attraper uelqu un.
Si on
ne
pendait
pas
les
gens
sur un
simple
doute,
on ne
pourrait
plus pendre personne
or
il
faut
pendre22.
De
telles mises
en
scène de la
justice
et du
châtiment ont
de
véritables
shows
»
:
il
faut es
arranger
e la
manière a
plus
spec-
20. Ibid.p.598.21. En
conséquence,
e conseil e tolère
as
que
ses
spectacles
oient
érangés
il
menaceous
eux
ui
nsultent,
ttaquent
u
maudissente bourreau
e
peines
évè-
res
RB
e,
f°
98 r° Die
Chronikes
Heinrich
eichslers,
p.
cit.,
p.
671 t
680.
22.
«
DerArme nd
erReiche
,
dansH.
Folz,
Die
Reimpaarsprüche,
.
Fis-
cher
d., Munich,
971,
.
217.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 79/163
74
V.
GROEBNER
taculaire, finque les spectateurs e puissentpas détourner es yeux
-
car,
dans
la
plupart
des
cas,
les autoritésde la ville n ont
pas
les
moyens
de
saisir les malfaiteurs
n fuite. S il
veut exercer
on droit
de
justice
avec
succès,
le conseil a besoin de la
coopération
de
tous
les
deux,
auteurset victimes u crime. Ses
pouvoirs
de
dénomination
-
«
mord
»
ou
«
todslag
»,
justice exemplaire
u
règlement
l amia-
ble
-
et
son rôle
d arbitre
dans les
«
Taidigungen
sont
les seuls
moyens
dont
dispose
le conseil
pour réglementer
a violence.
Ces
moyens
doux
s associent
à la terreur t à
l exemplarité
es
exécutions
publiques.
Dans ce
contexte,
a
corruption
t la
brutalité es
sergents
de ville ne peuventplus êtrequalifiéesde « dysfonctionnelles. Au
contraire,
lles sont nécessaires t contribuent
u maintien e
l ordre.
Leur nombre elativement
estreint
t
leurs
moyens
n
réalité rès
imi-
tés forcent es
sergents agir
de manière
démonstrativement
iolente
pour
incarner t
représenter
e
façon
convaincante e
pouvoir
et la
force de la ville.
Les
inscriptions téréotypées
ans les
dossiers
uridiques
nous
fournissent
eu
de
détails sur
le
déroulement es
«
Taidigungen
.
Mais
on
peut
en retenir
ue
ces
conciliationsritualisées
ssument
a
même fonction
ue
les exécutions
ui,
elles,
sont bien
documentées
ce
sont des
systèmes ui,
en
classant
et
distinguant
es
délits,
créent
l ordre en le rendantvisible. Cette structuration u monde est puis-
sante. Le rituel uivi
régulièrement
ait
disparaître
a violence
physi-
que
et
ses
conséquences
derrière
ordre,
et ce n est
que
la
perturba-
tion
du
rite u
de
son déroulement
ui
les
rend
visibles.
À
ce moment-
là Deichsler
rapporte
e
sang,
les
cris,
le
gémissement,
est là
qu il
décrit
de manière i détaillée es sursauts
de la victime t le
lambeau
de
peau
qui
rattache a
main au bras.
Seuls les rituels
dérangés
don-
nent à voir le
corps
blessé
et
tourmenté.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 80/163
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 81/163
76 B. SCHUSTER
Les prostituées ans le droit
Je ne
parlerai
ni
du droit
canonique
ni
du droit romain.
Jusqu'à
la fin
du
XVe
iècle,
dans les villes
allemandes,
les
allusions
à
ces
droits savants restentdes
emprunts
solés et
théoriques
sans
effets
durables2. Les statuts
du
faubourg
de Vienne
de
1241,
par
exemple,
stipulent
ue
le salaire d'une
prostituée,
omme le
gain
d'un
joueur
professionnel,
e
peut pas
être
revendiquépar
une
plainte
devant e
conseil
municipal, parce que l'argent
a été
gagné par
un acte
immoral3.
Cette
clause se réfère une
discussion
universitaire u
XIIIe iècle, qui tourne autour de la question du droitde la prosti-
tuée à son salaire4. Mais même si
nous trouvons un
statut
équiva-
lent au
xve
siècle à
Bâle5,
nous
ne
pouvons prouver
u'il
a vraiment
affecté es relations ntre
prostituées
t
clients. Ces deux
décretsres-
tentdes cas isolés et
signifient lutôt
une mise à
l'écart
symbolique,
proche
d'autres mesures
diffamatoires,
ont
je parlerai plus
loin. À
ma
connaissance,
un
client,
qui
ne
voulait
pas payer
dans un
bordel
municipal,
devait
partout
'attendre être
puni.
Un
exemple
encore
plus
convaincant
du
décalage
entre e droit
urbain et le droit
romain
nous
est fourni
par
le
Sachsenspiegel
cette rédaction
du droit
coutu-
mierdu XIIe
iècle
qui
a
profondément
nfluencé e
développement
u
droitdans l'Allemagnedu Nord usqu'aux tempsmodernes.Eike von
Repgow,
'auteur de cette
collection,
roclamequ'une
femmene
peut
pas
être
déshéritée
cause
de
ses mœurs.
l
distingue
ettement'hon-
neur et le droit en disant
«
Une femme
peut
détruire
on honneur
par
son
impudicité,
mais
elle ne
perdra
ainsi
ni
son droit
ni
son héri-
tage
»6.
Le droit
canonique,
en
revanche,
influencé
par
le droit
romain,
interdisait
a
capacité
testamentaire es
prostituées7.
Néanmoins,
a
présence
de
prostituées
e
préoccupaitpas
seule-
ment es clercs
éruditsmais aussi les autorités
ocales,
selon un
point
de vue tout
à fait différent.
n
ses
débuts,
e droit
municipal
procé-
dait d'une association
de
citadins,qui s'étaient mis d'accord contrele
seigneur
e la ville et
s'obligeaient
régler
acifiquement
eurs
que-
2. Pour
a
réception
ardive
u droit omain ans es villes llemandesoir
E.
Isenmann,
ie deutschetadt
m
Spätmittelalter
250-1500.
tadtgestalt,
echt
Stadtregiment,
irche,
esellschaft,
irtschaft,tuttgart,
988,
.
144.
3. G.
Winter,
Das WienerNeustädter
tadtrecht
es13.Jahrhunderts
,
Archiv
für
österreichische
eschichte
t.
60, 1880,
p.
230-31.
4. J.A.
Brundage,
aw,
ex
ndChristian
ociety
nMedieval
urope,
hicago,
1987,
p.
393,
523.
5.
Rechtsquellen
onBasel
tadt ndLand
J.Schnell
éd.,
t.
1,
Bàie,1856,
d.23.6.
Sachsenspiegel
Landrecht),
.A. Eckhardt
d.,
Göttingen,
955,II,
15
§ 2,
p.
77.
7. J.A.
Brundage,
p.
cit.,
pp.
30,
46 J. A.
Brundage,
Prostitution
n
Medieval
anon aw
,
dansV. L. Bullough t J. A. Brundage
ir.,
exual rac-
tices
nd
theMedieval
hurch,
ew
York,
982,
p.
149-160,
ci
p.
154.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 82/163
L'IMAGINAIRE
E LA
PROSTITUTION
77
relies,en les déférant un tribunal rbitralconstitué ntreégaux8.
Ce
règlement
tait
suffisamment
fficace
pour empêcher
es
hostilités
entre es
familles
ésidentes,
même s'il ne
pouvait pas
mettre
in
aux
affrontements
ntre
particuliers
ans une cultureoù l'honneur
mas-
culin
reposait
ur une démonstration e forceet
d'agressivité9.
'éta-
blissement
de
la
paix
reste
une
préoccupation
des
villes
jusqu'aux
temps
modernes.
Les
étrangers
ui
venaient n ville
-
dont
beaucoup
de femmes
-
constituaient
n
problèmepour
les
communautés rbaines
des
xnie
et
xive
siècles.
Le droit communal de Vienne de 1278
par exemple
refuse e parlerde communibusmulieribus,uia indignumsset, psas
legum laqueis
innodare
10. Ici l'idée de
communauté urbaine
s'exprime ar
la
métaphore
u filet enduentre es
hommes
de
la
ville.
La version
vernaculaire u droit de Vienne
rédigée
en 1340
explique
l'indignité
es femmes ommunes
e
façon
plus
explicite.
e textenote
qu'il
serait
indigne
et
inapproprié
de
les
forcerà
se marier11. es
femmes ans relation exuelle exclusive
posaient
un
problème,parce
qu'elles
ne
faisaient
as partie
d'une famille.
Mais
il
était
quand
même
indispensable
e trouver
n
statut
pour
«
les femmes
ibres
12,
une
expression
qui
reflète
eur
position
à
l'écart du réseau
judiciaire
et
familial.
La solution ui s'imposait tait imple. l fallait rouver uelqu'un
qui
fût
responsable
d'elles. Au
début,
toute la
communauté es
pre-
nait en
charge.
Tout homme
pouvait plaider pour
une
prostituée
devant e
conseil,
si elle
avait
été
agressée13.
t
si
les femmesmena-
çaient
la
paix,
chaque
homme
pouvait
les
punir
comme
il
punirait
sa
servante,
a fille
ou
sa
femme14.
ette
responsabilité
ommunede
la
paix
est un
signe
de la
territorialisationu droit en ville.
La
dési-
gnation
des
prostituées
omme
«
femmes ommunes
,
qui apparaît
assez
tôt,
montre
que
les
fondementsdes
communautés urbaines
étaient en train de
changer.
Mais la responsabilténdividuelle es habitantsne s'affirmapas
longtemps.
Au furet à mesure
que
le conseil
municipal
'institution-
8. E.
ISENMANN,
p.
Cit.
p.
74
S.
9. S.
Burghartz,
Disziplinierung
der
Konfliktregelung
Zur
Funktion
tädtis-
cherGerichte
m
Spätmittelalter.
as Züricher
atsgericht
,
Zeitschrift
ür
historis-
che
Forschung
t.
16,
1989,
p.
385-407,
ci
pp.
394-5.
10.Die Rechte ndFreiheitener Stadt
Wien J. A. Tomaschek
d.,
t.
1,
Vienne,877, . 46, §
26.
11.
Tomaschek,
p.
cit.,
p.
108.
12. Pour es
expressions
ourantes
ésignant
es
prostituées,
oir
.
Bloch,
Die
Prostitutiont.
1, Berlin, 912,
p.
733-737
pour
a
conception
édiévalee la
« libertévoir . Schmugge,Mobilitätnd reiheitmMittelalter, dansJ. Fried
dir.,
ieabendländischereiheitom 0.bis
um
4.Jahrhundert.er
Wirkungszu-
sammenhang
on deeundWirklichkeitm
uropäischen
ergleich
Sigmaringen,
991,
pp.
307-324,
ci
pp.
323-4.
13.
Cf.
G.
Winter,
oc.
cit.,
p.
231.
14. Landshuter
rkundenbuch,
.
Herzog
d.,
Neustadt/Aich,
963,
.
70.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 83/163
78
B. SCHUSTER
nalisait, l s'occupait lui-mêmedes femmes ommunes. Et à la lon-
gue,
cette
tâche fut
déléguée
à des officiers e
la
ville,
aux
baillis
ou
aux
bourreaux15.
es femmes ans hommes furent
ar
la suite con-
traintes
'habiter
près
de ces
officiers,
t
quelquefois
dans la même
maison
qu'eux.
On
les
obligeait
aussi
à
rémunérer
eurs
protecteurs.
Cette
taxe,
qui
pouvait
se
rapprocher
e la dot
des
femmes
mariées,
devait être
payée
en
petites
ommes,
régulièrement,
arce que
le
rap-
port
entre es
prostituées
t les
«
fonctionnaires de la
ville
restait
provisoire.
Car les
prostituées
e la
«
première
génération
étaient
des femmes
rrantes,
onstamment
n
route à la
recherche e
clients
qui leur permettaient e vivre.
Ce ne
fut ni
l'ambition
personnelle
es
conseillers
ni
la
bureau-
cratisation
ui,
à
partir
de la
fin
du
xive
siècle,
poussèrent
l'insti-
tutionnalisation
e la
prostitution
ans une
maison
qui appartenait
à la ville. Le
développement
'une administration
rbaine,
comme
e
droit,
procédait
du souci de
garantir
a
paix.
Les
protocoles
udiciai-
res
montrent
ue
les actes
violents
ontre
es
prostituées
osaient
un
problème
réel dans
la vie
quotidienne.
On
les
agressaitfréquemment,
et la nature de la violence révèle
que
la
société urbaine ne
reposait
pas
seulement
ur un droit communmais
aussi sur des
valeurs
parta-
gées.
On
coupait
les
cheveux
des femmes
libres16,
on
les
déshabillait17,n détruisait es fenêtres e leur résidence u bien on
en enlevait es
portes18.
ace à une telle
hostilité,
ne
prise
en
charge
de ces femmes
ar
le
conseil onstituait
n
moyen
de
pacifier
a
société
urbaine.
La
protection
es faibles est
un
aspect
de la
responsabilité
du
souverain
médiéval. Les conseils suivaient insi
l'exemple
du
roi.
Et
il
est
frappant
de voir comment
es ritesde la cour
persévéraient
dans
ce nouveau contexte de
la
prostitution.
Nous
savons
qu'au
XIIIe
iècle
les
prostituées
e
la cour
française
ffraient
haque
année
un
bouquet
de
fleurs
au
souverain19,
este qui exprimait
eur lien
direct avec
lui. La même coutume
nous
est
rapportée
à
Francfort,
où, jusqu'au
xvie
siècle,
les
«
femmes ommunes offraient
e don
au conseil20.
15.Das Stadtbuchon
Augsburg
C.
Meyer
d.,
Augsbourg,
872,
.
71
Frank-
furter
mtsurkunden
K. Bücher
d.,Francfort,915,
.
63
. Cette
ratique
st rès
répandue
n
Allemagne
t ailleurs.our ne numération
omplète,
e
renvoie ma
thèse Die unendlichen
rauen à
paraître
n 1995. ans e
cadre
e cet
rticle,
e
me imiteci
et dans a suite
quelquesxemplesignificatifsour
e
pas multiplier
les
annotations.
16. Archives
unicipales
e
Constance,1/1,
28
1378)
B
1/5,
39
1429).
17.
D.O.
Hughes,
Distinguishing
igns Earrings,
ews nd
Franciscanhe-
toric
n talian enaissance
ity
,
Past nd
Presentt.
112,
986,
p.
3-59,
ci
p.
30.
18. K.D. Bechthold, unftbürgerschaftndPatriziat.tudienurSozialges-chichteer tadt onstanzm 14. und15. Jahrhundert
Sigmaringen,
981,
.
238.
19. J.
Rossiaud,
a
prostitution
édiévale
Paris, 988,
.
78,
p.
255note 1.
20. A. A.
von
Lersner,
achgeholte
vermehrte
nd
ontinuierte
hronica
er
weitberühmten
eichs
,
Wahl- ndHandelsstadt
ranckfurth/Main,
rancfort,734,
p.
693.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 84/163
L'IMAGINAIRE
E LA
PROSTITUTION
79
L'imaginairede la prostitutionmunicipale
Mais si
une morale
rigiderégnait
n
ville,
pourquoi y
admettait-
on la
prostitution
Ce
problème
nous
oriente
vers a clientèle t
ses
attentes.
Le droit communal
d'Augsbourg,
qui
date de
1276,
défend
aux femmes rrantes
oute
mpudicité
ans
la ville
et
oblige
le bour-
reau à les chasser
en dehors des murs21 cette
mesurene fait
pas
de
distinction
ntre
a
communauté
de droit et la
communautéurbaine.
Mais
je
doute
que
l'on
puisse
interpréter
e textecomme une
prohi-
bition
de la
prostitution,
ar le même droit
parle
d'une taxe
des fem-
mes à verser u bourreau,ce qui suppose que les prostituées taient
tolérées.
La contradiction
isparaît
i
on tient
compte
d'un fait
rap-
porté
à Bâle et à Sélestat les
prostituées
ivaienten
dehors de la
ville,
dans les
faubourgs, armi
d'autres
gens marginaux,
éparées
mais
toujours
accessibles
2
;
car
il
y
avait des
occasions
où leur
présence
était
ugée
indispensable.
a loi
d'Augsbourgprévoit u'elles
peuvent
entrer
l'intérieur es
murs,
i des nobles visitent a ville23.
D'autres
indicesnous
font
upposerque
la
prostitution
aisait
partie
de la cul-
ture des nobles.
Une
chronique
de
Magdebourg
rapporteque
le
prix
d'un
tournoi ocal au
xme
siècle
était une
«
femmebelle ». La suite
de
l'histoire
montre
u'il s'agissait
d'une
prostituée
u
sens
large
du
mot. Le vainqueur,un marchandde Goslar, renonça à la garderà
son
service.
l lui
paya
une
dot,
afin
qu'elle
pût
se marier t
quitter
sa
vie
déshonorante24.
ette
femme, emble-t-il,
'avait
pas
de valeur
proprepour
le
gagnantqui
était marié. Le
prix
de la
compétition
ui
offrait eulementa
possibilité
e
manifester
a
charité hrétienne. ais
que
se
serait-il
produit
si
un
jeune patricien
élibataireavait été le
vainqueur
En
aurait-il sé d'une
autre
manière Avant 'institution-
nalisation
de la
prostitution,
a
possession
d'une
«
belle
femme
sem-
ble avoir été un
signe
de richesse t de
puissance,
un
étalon
social.
La culturede la
bourgeoisie
e
modèle
selon un
style
de vie noble.
Quand des aristocrates isitaienta ville,on les recevait e façonnobleen invitant es
prostituées participer
u
banquet
à l'hôtel de ville25.
Plus
tard,
au
XVe
iècle,
lors
d'une
visite
de
l'Empereur,
on
permet-
tait
à sa suite
de boire du
vin
pris
aux caves
municipales
t de
s'amu-
ser dans le bordel aux frais de la ville26.
21.
Meyer,
p.
cit.,
p.
71.
22. Rudolf
on
chlettstadt,
istoriae
emorabiles.
ur
Dominikanerliteratur
und
Kulturgeschichte
es
13. JahrhundertsE. Kleinschmidt
d.,
Cologne,
974,
p.
43
D.
A.
Fechter,
Topographie
it
erücksichtigung
erCultur-
nd
ittenge-
schichte
,
dansBasel
m
14.
Jahrhundert,
àie,1856,
.
112.
23.
Meyer,
p.
cit.,
p.
190.
24.Die Chronikener eutschentädte om 4-16. ahrhundertt.7,Magdeburg
1,
Leipzig,
869,
.
168 .
25.
A
Francforta coutumee a
participation
es
prostituées
ux
dînersu con-
seilfut bolie n 1529
A.
A.
Von
Lersner,
p.
cit.,
p. 693).
26. P.
Etterlin,
ronica on er öblichen
ydtgenoschaft
r
harkomennd
ust
seltsamtrittennnd
geschichten,
àie,
1507,
°
63.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 85/163
80
B.
SCHUSTER
La fête vaitdans la ville non seulement on lieu social maisaussi
son
temps propre.
Pendant les foires et les
grandes
fêtes,
es
règles
qui
assuraient
'ordre du
quotidien
perdaient
de leur force.
À
cette
occasion,
les
prostituées
t leurs
compagnons,
es ruffians
ouvent
experts
n
jeux,
affluaient. ertaines
hroniques
notent e
nombrede
femmes
ubliques
présentes
ors d'un tel événement. e chiffree
plus
extraordinairee
repère
ors
du Concile de
Constance,
de
1414
à
1418,
où
700
prostituées
nt été
comptées par
le
chroniqueur
fficiel,
ui
enquêtait pour
l'un
des
responsables
de
l'organisation
du concile27.
Cette information
lottedans toutes les
chroniques
de la
région
du
xvesiècle28.Certes, l'intérêtpour la présencedes prostituéespeut
être
ambivalent,
ar tout un discoursclérical sur
le
Concile de Cons-
tance voulait
prouver
une
dégénérescence
morale
par
l'afflux des
prostituées29.
Mais les
prostituées
uscitaient
a rumeur
plutôt par
leur
prix
exorbitant
t
par
le succès matériel de certaines d'entre
elles30.
L'indignation
morale restait imitée.
Pendant
les
fêtes,
es
conseils,
oin de défendre a
présence
des
femmes ibres
en
ville,
prenaient
oin de les
héberger31,
ls
organi-
saient
des
jeux,
souvent des
courses dotées de
prix32,
e
qui
consti-
tuait
une véritable
nvitation. ette exaltation
de
la fête
marque pro-
fondément
'imaginaire
e la
prostitutionusqu'au
XVe
iècle.
Les
fem-
mes communes sont souvent appelées « femmes uxurieuses ou
«
femmes
elles
»
:
par
leur
manière e vie et
par
leur
apparence,
lles
étaient
proches
des femmes
iches. Par souci d'éviter une confusion
entre ces
deux
catégories,
e conseil
s'efforçait
de
placer
les
prosti-
tuées
à une certaine
distance
de
«
la
société
». On leur défendaitde
vivredans
les
quartiers
des
privilégiés
t de
porter
des robes
précieu-
ses
ou on
leur
prescrivait
e
porter
un
signe
révélant eur statut
particulier33.
e ne crois
pas que
ces mesures
'expliquent
eulement
par
leur
portée
symbolique
elles se référaient
une
réalitéévidente
pour
les
contemporains.
'idée de
luxe entourait a
prostitution,
t,
après l'institutionnalisation,
onnait
aux
clients,qui
se
recrutaient
27.
Ulrich
von
Richenthal,
hronikes
Constanzeronziis
414-1418M.
Buck
d.,
Hildesheim,962,
.
215.
Un
témoignage
lus
détaillé
'après
ne utre
rédaction
u texte
stdonné
ar
H.
vander
Hardt,
Magnum
cumenicumons-
tantienseoncilium
e universali
cclesiae
eformatione
unionet
fide,
.
5,
Helms-
tedt,
699,
.
20.
28. W.
Matthiesen,
Ulrich ichentals
hronik
es Konstanzeronzils. tu-
dien
ur
Behandlung
ines niversalen
roßereignisses
urch ie
bürgerliche
hronis-
tik
,
Annuarium
istoriae
onciliorum,
.
17,
985,
p.
71-191,
p.
323-455,
ci
p.
185.
29. Johannes
ider,
e visionibus
c
revelationibus,
.
vander Hardt
ed.,
Helmstedt,
692,
.
618
.
30. On
rapportait
u
une
femme
uraitinsi
agne
a
sommexorbitante
e
800
fl. H.VanderHardt,Conciliumop. cit.,p.52.31. Chroniken
op.
cit., .22,1892, .232.
32. W.
Schaufelberger,
er
Wettkampf
n der lten
idgenossenschaft.
ur
Kulturgeschichte
es
Sports
om 3-18. ahrhundert
Berne, 972,
.
90.
33. On trouvees
mesuresans
toute
Europe
voirJ.
Rossiaud,
p.
cit.y
p.
238,
note
3.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 86/163
L'IMAGINAIRE E LA PROSTITUTION
81
désormaisparmitoutes es couchessociales, l'illusiond'échapperaux
restrictions
e la vie
quotidienne.
Mais
bien
qu'on
mît
ainsi des fem-
mes communes
la
disposition
de
tous,
la
distinction
ntre
femmes
riches t
femmes
auvres
gardait
oute sa réalité.
Quand
les
patriciens
visitaient
a
maison
commune,
ls le faisaient n
qualité
de
représen-
tants
du
conseil,
chargés
de
l'organisation
de la
prostitution34.
ans
leur vie
privée,
ls
préféraient
encontrer
es concubines
ui
leur étaient
propres.
La démarche
'une entremetteusee
Nuremberg
u
XIVe
iècle est
révélatrice
e
l'imaginaire
e la
prostitution
cette
époque.
Elle
pro-
mettait ses clientsétrangers e leur procurerdes femmes u filles
patriciennes,
ui
n'étaienten fait
que
des
prostituées éguisées.
Elle
fut finalement
unie parce que
les
hommes dans leur
propre
cité se
vantaient e leurs
exploits
exuels,
ce
qui
revint ux oreillesdes con-
seillers
nurembergeois35.
ette entremetteuseavait ce
que
les hom-
mes recherchaientans
la
prostitution
l'illusionde
faire
partie
d'une
société
de
riches
dont ils étaient exclus. Les
relations exuelles avec
des femmes iches
ugmentaient
'honneur
masculin
et
offraient ne
occasion de se
vanter.Mais
«
coucher
»
avec les
filles
ou
les femmes
de l'élite
sociale
de la ville constituait
lus
qu'une
aventure
exuelle
ce rêve constituait ne
attaque
contre a
morale féminine es
couches
supérieures, onçue commeun privilège ocial, puisque les fillespau-
vres,
obligées
de
gagner
eur
vie,
échappaient
argement
u
contrôle
de leurs
parents.
Mais,
même
si
l'égalité
sociale
en ville
restait n
mythe,
es
mai-
sons
communesconservaient ne
atmosphère
de
luxe. Elles ressem-
blaient à des
foyers respectables,
vec un
jardin,
quelquefois
des
bains
le toit était recouvert e tuileset les
fenêtresvaientdes
vitres.
Les murs
et
les
meubles
étaientdécorés
avec
des
peintures,
t
chaque
chambre
tait chauffée36. n
y
mangeait
bien.
Un
statutd'Ulm
parle
de trois
plats obligatoires,
deux
plats
de
viande ou de
poisson pour
le tempsdu carême,accompagnésde vin, de fromageet de fruits.Et il ne
s'agit
là
que
du
repas moyen,
car le statut
précise que
cha-
que
femme
peut
se
faire
payer
un
supplément.
Ces
repas,
nous le
savons,
étaient n
généralpartagés
et
payés
par
les
clients.
Le
même
statut
voque
les
vêtements es femmes ils
appartenaient
u tenan-
cier
et,
s'il voulait en vendre
uelques-uns
ux
femmes,
n
demandait
la
présence
'un tailleur
apable
d'estimer eur
valeur.
l
s'agit,
semble-
t-il,
de
robes de
luxe,
nécessairesau métier37. a
visite au
bordel
34.
E.
Schubert,
aunerDirnen ndGelichter
n den
deutschen
tädtenes
Mittelalters,ansC. MecksepertE. Schraut ir.,MentalitätndAlltagmSpät-mittelalter
Göttingen,
985,
p.
97-128,
ci
p.
118.
35. bid
,
p.
113.
36.
Ibid
,
p.
119.
37. T. L. U.
Jäger,
uristisches
agazin
er
deutschen
eichsstädte,
.
2, Ulm,
1791,
p.
209-211.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 87/163
82
B. SCHUSTER
permettaite vivre uelquesheuresdans un autre monde. Une femme
prête
à comblertous les désirs
faisait
partie
de ce
rêve. Mais on
n'y
cherchait
as
exclusivement n
plaisir
sexuel. Les
bains
présents
ans
les
bordels ou
aux
alentours
et
l'existenced'étuves
spécialisées
dans
la
prostitution
ontrent
ue
l'ensembledes
plaisirs
orporels
taitvisé
lors
d'une visite chez les
prostituées38.
lles n'étaient
pas
seulement
des
partenaires
exuelles,
mais des
compagnes
de
plaisir
et
d'amuse-
ment. On
mangeait
nsemble,
n
buvait,
on
se
baignait,
on
dansait,
bref,
on observait
ce
qu'une chronique
du
XVIe
iècle
appelle
un
«
jour
de
corps
»
39. Cet
aspect
de la
prostitution
rienta
'interpré-
tation cléricaledu phénomène.
Les
discours
religieux
ur la
prostitution
Il
y
a au
Moyen
Âge
plusieurs
discours cléricaux
qui intégraient
l'image
de la
prostituée.
es
prédicateurs
vaient une attitude
igou-
reuse envers es
femmes.
En
se référant leur
désignation
e
«
fem-
mes
communes,
ubliques,
belles
etc.
»,
Berthold
e
Regensbourg ro-
posait
par exemple
de les
appeler
«
peaux
mauvaises
»,
afin de les
priver
d'un titrehonorable40.
l
leur
promettait
'enfercomme
puni-
tion,parce qu'elles ne se contentaient as de gâcher eurproprevie,
mais
entraînaient
eurs clients dans la débauche41.De
même,
beau-
coup
ďexempla
racontentdes
histoires d'hommes
pieux qui
sont
séduits
par
une femme belle et
méchante
envoyée
par
le
diable42.
Mais la
portée
de cette
représentation isogyne
es
relations exuel-
les,
qui
fait des
femmes es seules
responsables
de la
débauche,
reste
limitée. es
prédicateurs
menaient es
croisades
pour
le salut des
gens.
Pour les
convertir,
ls utilisaient
es
images
apocalyptiques.
On ne
peut
pas
réduire
'expression
de
l'attitude de
l'Église
vis-à-visdes
prostituées
ce discours
pédagogique.
L'image
de la
femme éduc-
trice et diabolique était
contrebalancée
ar l'image
de la
pécheresse
exemplaire
t sainte. J'en prendraicomme exemplele discoursqui
s'attache
à sainte
Marie-Madeleine43.
38. Le mot
nglais our
ordel,
stew
,
qui signifie
u
départ
bain
,
témoi-
gne
du lien ntre
es étuves
t a
prostitution
J.
de
Cleugh,
oveLocked ut.
A
Surveyf
Love,
icencend
Restrictionn the
Middle
ges
Londres,963,
.
163).
39.
Zimmerischehronik
P.
Herrmann
d.,
t.
4,
Meersburg,eipzig,
.
207.
40. Berthold
on
Regensburg,
ollständigeusgabe
einer eutschen
redig-
ten
F. Pfeiffert
J. Strobl
d.,
t.
2,
Vienne, 880,
.
148.
41.
Ibid.,
.
1,
p.
207 t.
2,
pp.
148, 87,
08.
42. F. C. Tu ach,ndexxemplorum.HandbookfMedievaleligiousales,
Helsinki,
969,
.
193n°
2444,
.
194n°
2452,
.
195n°2461,
.
276 n° 3566.
43. Sur e
discours
t
'image
e la sainte oir
Marie-Madeleineans a
mysti-
que,
es rts
t es ettres.
ctes u
colloque
nternational.
vignon
0-22
uillet
988,
E.
Duperray
d.,
Paris, 989,
t a collection
'articlesur e
sujet
ans esMélan-
ges
de l'École
rançaise
e
Rome.
Moyen
ge,
.
104,
1992.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 88/163
L'IMAGINAIRE
E LA PROSTITUTION 83
Sainte Marie-Madeleine st un hybride onstruit ar une identi-
fication
aite
par Grégoire
e Grand entre rois
personnages
ibliques
la
pécheresse
onvertie
par
Jésus,
la
sœur
de Marthe et
Lazare,
et
Marie de
Magdala, premier
émoinde la résurrection u Christ. Elle
fut
rapidement
onfondue
vec
Marie
l'Égyptienne,
rostituée epen-
tie de
l'Antiquité
tardive,
qui
se
réfugia,
près
sa
conversion,
dans
le désert t vécut
une vie
ascétique.
Le culte de sainteMarie-Madeleine
connut
un
essor
formidable
partir
de la
réforme
régorienne.
lle
devint
une
figure
mblématique
ans
la
prédication
es Dominicains
et
des Franciscains.
Sa
représentation
ans les
images
et la mise
en
scène dramatiquede la Passion du Christà Pâques, où elle jouait
souvent
un rôle
important,
montrent
u'elle
était dentifiée
l'Église
ou
la
Chrétienté,
ombées dans
le
péché
à cause de
leurs
liens avec
le monde.
Sainte Marie-Madeleine
ervait aussi
d'exemple
aux fidè-
les,
en raison
de sa contrition
t de sa conversion. Le
choix d'une
femme omme
figure
mblématique
e
la conditionhumaine
s'expli-
que par
la conviction
es clercs
que
leur sexe rendait es femmes
lus
faibles
que
les
hommes,
t
qu'elles
se laissaient
donc
plus
facilement
séduire
par
les
joies
du
monde. Dans la
Légende
dorée et dans les
représentations
lastiques,
on faisait de
Marie-Madeleineune femme
noble
et riche
qui
succombait
aux tentationsd'une vie facile en
oubliant on salut éternel. es images a montraient,usqu'au xvesiè-
cle,
avec les attributs
conographiques
de la
superbia
et de la
luxu-
ria : les
cheveux
ongs
et
bouclés,
un miroir ntre es
mains,
une robe
luxueuse
et des
bijoux précieux
faisaientd'elle le
type
de la
femme
prise
dans
le monde. Les affinités
ntre
es
conceptions cclésiatiques
et
laïques
de la
prostitution
araissent
alors évidentes.
Mais
d'autres discours
s'attachaient Marie-Madeleine. Dès le
XIIIe
iècle,
une nouvelle
représentation
e
la
prostituée
pparut
en
milieu urbain.
Certains
prédicateurs
aisaientde la conversiond'une
femme
publique
une
réalité n fondantdes asiles
pour
les
prostituées
converties44. ne de ces initiatives ut l'appui du Pape et conduisità la fondationde l'ordrede sainteMarie-Madeleine. La
légende
de
la
fondationde cet
ordre raconte
que
Rudolf de
Worms
rencontra
des femmes
ui
attendaient es clients un carrefour.
l
les insulta
à cause
de leur vie de
débauche,
mais elles se
défendirent n
disant
qu'elles
étaient ontraintes
gagner
eur vie de cette manière
cause
de
leur
pauvreté.
e
clerc
e
montra
ompréhensif.
our leur
permettre
de se
convertir,
l
collecta des aumônes et acheta avec cet
argent
une
maison en
ville où
elles
purent
désormaisvivre
ans
souci
matériel45.
Cette histoire
présente
ne
image
très différente e la
prostituée.
La
femme
uxurieuse,
ictimede
son
goût
de
luxe,
devientune victime
de la pauvreté.
44.
L. L.
Otis,
op.
cit.,
pp.
72-73.
45. MGH SS t.
17, Hanovre, 861,
.
234. Sur 'histoire
e l'ordre oirA.
Simon,
'ordre esPénitentese sainte arie-Madeleinen
Allemagne
u
x/iie
iècle,
Fribourg,
918
J.
Schuck,
ie
Reuerin,
aderborn,
927.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 89/163
84
B. SCHUSTER
L'ordre de sainteMarie-Madeleine, 'abord dirigé ontre es dan-
gers
moraux
de la
pauvreté,
ne
pouvait pas
trouver a
place
dans
le
cadre de
l'Église
traditionnelle. ès
1251,
l'ordre
décréta
que
seules
des femmes
honorables
pouvaient
désormais
y
être
admises46,
uivant
ainsi les chemins
raditionnels
e
l'Église, qui
conférait ux femmes
chastes
e rôle de
prierpour
le
salut
du monde.
Mais les citadins ffir-
maient eur
propre
conception
de
la
piété.
Des
bourgeois
richesfon-
daient
d'autres asiles
pour
les femmes
auvres,
et le
conseil
garantis-
sait
souvent
eur fonctionnement
u-delà de la
mort
du
fondateur47.
La dotation de femmes
tait encore
plus répandue48.
Une telle fon-
dation visait à réintégreres bénéficiaires ans le monde bourgeois
par
le
mariage,
n combinant
a charité vec le
souci d'assurer 'ordre
social en
ville.
Même
si les
deux traditions
eligieuses
n'étaient
pas
incompatibles, uisqu'il
existait ussi
des
cloîtresféminins
n
ville,
a
pratique
charitabledes
bourgeois signale
un
tournantdans l'histoire
de la
prostitution.
a
représentation
e la
prostituée
n femme
pau-
vre
est
liée aux
changements
u milieu urbain.
La définition
e la
prostitution
u bas
Moyen
Âge
L'essor économiquedes villesdepuis le XIIIe iècle modifiait ro-
fondément
eur structure
ociale.
En
espérant
trouverune condition
de vie
meilleure,
es femmes
t des hommes
de la
campagne
envahis-
saient
les centres
urbains. Les
jongleurs
et
les
prostituées
n'avaient
été
que
les
précurseurs
e cette
migration.
Cette évolution ffecta a
réalité
de la
prostitution.
Au
xiic
et au
xiiie
siècle,
une
séparation
entre
a
société
et les
femmes
ituées hors
de l'ordre matrimonial e
semblait
pas
impossible,
ar les
prostituées
taient
pour
la
plupart
des
femmes
rrantes.Mais
la
présence
permanente
t massive
de
femmes
pauvres
sans liens
familiaux
posait
un
problème
nouveau49. Leur
mode
de vie se
différenciait
ondamentalement
e celui des
bourgeois.Elles cherchaient gagner eurvie par tous les moyens de petits ra-
vaux sur le
marché
ou dans
le
bâtiment,
e
petits
ommerces
t ser-
vices assuraient
une survie
toujours
précaire.
Pour
des raisons maté-
rielles
mais certainement
ussi
psychologiques,
es femmes
ormaient
46.
N.
Backmund,
ie kleineren
rden
n
Bayern, ürzburg,
974,
.
72.
47.
L'exemple
e
Viennest ci
ignificatif.
oir .
Schrank,
ie
Geschichte
er
Prostitution
n Wien
t.
1,
Vienne,
886,
p.
79-80,
7.
48. G.
Lammert,
urGeschichte
es
bürgerlichen
ebens ndder
ffentlichen
Gesundheitspflege
sw. n
Süddeutschland
Ratisbonne,880,
.
97 O. Winckel-
mann,asFürsorgewesener tadttraßburgor ndnach erReformationis umAusganges16. JahrhundertsLeipzig,922, p.96-97194 R. Kiessling,ürger-
liche
Gesellschaft
ndKirche
n
Augsburg
m
Mittelalter,
ugsbourg,
971,
.
224.
49. Pour
a situation
éminine
ans es
villes oir
.
Opitz,
Contraintest
iber-
tés
,
dans
G.
Duby t M.
Per
ot
éd.,
Histoire
es
emmes
n Occidentt.
2, Paris,
1991,
p.
277-335.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 90/163
L'IMAGINAIRE E LA
PROSTITUTION
85
avec d'autres des communautés e vie et d'entraide.Elles étaient ou-
vent
accompagnées
de
journaliers,
ux
aussi exclus du
cadre familial.
Personne
ne
pouvait
es forcer
préserver
eur
virginité.
haque
liaision sexuelle offrait ne chance de
trouver n
homme
susceptible
de
les
protéger
t de
les
aider
par
des cadeaux ou
par
un
soutien
maté-
riel
permanent.
e
concubinage,
rès
répandu parmi
elles,
nourrissait
leur
espoir
de devenir
n
jour l'épouse respectable
'un
artisan. Mais
les hommes t les
femmes
auvres
taient
ontraints la
mobilité
our
survivre.Leur mode de vie ne
permettait uère
l'existencede
com-
munautés stables.
En raison de ces liaisonssexuelleséphémères,a différencentre
ces
femmes
pauvres
et les
prostituées
araissait
faible
une
grande
partie
d'entre lles était
probablement rête
se
prostituer.
ésignées
comme
«
unendlicheFrauen
»,
les femmes
ans
fin
(expressionqui
signifiait u'elles
ne se limitaient
as
dans leurs
relations
sexuelles)
n'étaient
pas perçues
comme une
catégorie
à
l'écart,
mais
plutôt
comme
des femmes
qui
avaient
trop
de
contacts
avec les
hommes.
La différence
ntres
lles et
les femmes
auvres
était
plutôt
de
degré
que
de nature50. n
outre,
a conviction
ue
l'indigenceforçait
une
femme la
prostitution
réait un lien
entre
es
femmes
pauvres
et
celles femmes
ui
vivaient
dans
le
bordel.
Les
deux
catégoriesparti-
cipaient ux mêmesrituels. es prostituéesmunicipales ouvaient spé-
rer,
comme les autres
pauvres,
des
aumônes51,
t
elles
connaissaient
bien les
formes raditionnelles
'extorsion.
Quand
l'Empereur
vint
à
Nuremberg
n
1471,
les
femmes
publiques
l'enchaînèrent,
usqu'à
ce
qu'il
se
libérât
par
un don
d'argent52.
Les
prostituées
municipales
usaient
là
d'un rituel
caractéristique
es
pauvres.
Autre
exemple
de
la
mise en scène
partagée par
les
prostituées
t
les
femmes
pauvres
dans la ville au
XIIIe
iècle,
on
se
plaignait
à
Bâle de la
coutume
des
servantes,
ui
saisissaient es
chapeaux
des
hommes
pour
les for-
cer à
donner une aumône
or,
au
xve
siècle,
e
même
comportement
est rapporté à propos des prostituées,qui racolaient ainsi desclients 3.
Mais
la
confusion ntre
femmes
pauvres
et
prostituées
e
heurta
au
XVe
iècle à des limites. La
mobilité
ociale fut
restreinte
ar
les
corporations ui
exigeaient ue
leurs futurs
membres
ne
se
marient
50.
Même ans e droit
anonique,
a
prostitution
tait
éfinie
ar
a
promiscuité.
Les
imitesu
nombree contacts
exuels
ui
faisait
'une
emmeon
mariée
ne
prostituée
ifféraient
elon
'opinion
es
canonistes
cf.
J.
A.
Brundage,
aw
op.
cit.,
pp.
248,390,
64-5).
51. Le
conseil e
Constance
ssaya
n
1388 e
mettrein
la
coutumees
pros-
tituéesechantere ourduNouvel ndans esmaisonsesbourgeoisour btenirune umône
Archives
unicipales
e
Constance,
I/ 195
1388]).
52.
Chroniken,
p.
cit.,
.
10,
1872,
.
328.
53.
Fechter,
p.
cit.,
p.
112
R. C.
Trexler,
La
prostitution
lorentineu
xvc
iècle.
atronages
t
clientèles
,
Annales
.S.C.
t.
36,
1981,
p.
983-1015,
ci
p.
996.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 91/163
86
B. SCHUSTER
pas avec une femme éshonorée.Les couchesmoyennes aisaient res-
sion
sur
'élite urbaine
n vue de différencieres
prostituées
t
les fem-
mes
pauvres
mais
honorables.
Le conseil
obligea
alors
de
nouveau les
prostituées
porter
un
signe
sur leurs
vêtements
t à
habiter
dans
des
quartiers
éservés.
Mais,
cette
fois-ci,
e
gouvernement
ut
déter-
miner
qui
ces mesures
'appliquaient.
On
avait, semble-t-il,
u mal
à
définir
'honneurdes femmes54. ssez
souvent,
on
distinguait
ntre
les femmes
uvertement
rostituées,
onnues dans toute la
ville,
qui
ne
vivaient
ue
de leurs
iaisons
sexuelles,
et les
prostituées
achées,
qui
se
prostituaient
e
temps
en
temps
ou vivaientdans des
relations
changeantes.Les unes étaientobligéesde vivredans le bordelmuni-
cipal
ou bien dans
un
quartier
éservé,
es autresétaient
olérées,
ant
qu'elles
ne
dérangeaient
as
leurs
voisins55.
Le
problème
de
la définition e la
prostitution
e reflétait ans
des
rituels.
À
Hambourg
et à
Cologne,
le conseil
organisaitréguliè-
rement n
cortègequi
parcourait
es rues de la ville et
conduisait es
femmes
uspectes
au bordel
municipal56.
On
peut supposer que
ces
mesures
reposaient
ur
les
plaintes
d'habitants
qui
se scandalisaient
du
comportement
e leurs voisines.
La
publicité
de cette
cérémonie
était
forte les
baillis de
la ville
portaient
es
drapeaux municipaux,
au son
du
tambour. Les
signes religieux
n'apparaissaientpas
lors de
cettemanifestationla diffamation es femmes 'inspirait 'une mora-
lité urbaine
et
non de la
morale
ecclésiastique.
La
punition
suivait
une
logique
strictement
ociale.
L'attention des habitants tait ainsi
dirigée
ur
les femmes
ui
avaient
transgressé
'ordre de
la ville. On
les
jugeait
et le
jugement
onstituait
n lui-même a
punition,
ar les
femmes
qui
subissaient
ce
rituel
changeaient
insi de
catégorie.
La
publicité
es
excluait
de
la vie normaledes
quartiers
mixtes, ar,
punie
de cette
manière,
une
femme
rrivait arement
échapper
à
son
des-
tin de
femme
publique57.
Nous
le
savons
parce
que
les
clercs criti-
quaient
cette
pratique
en disant
qu'une
punition
devait mener une
conversion
t non sceller
une
exclusion sociale58.
54. Une des
revendications
es
artisans
ui
se révoltentontree conseil
u
xve iècle tait ouvent
'introduction
'unnouveau
odevestimentaire
our
es
pros-
tituéesans
a
ville,
insi
Hambourg
n
1483
Hamburgische
hroniken
n nieder-
sächsischer
prache
J. M.
Lappenberg
d.,
Hambourg,
861,
.
363),
Brunswick
en
1487Chroniken
op
c/7.,
.
35.1, 928,
. 34)
et Osnabrück
n
1488. ne han-
son
populaire
ous
nformeur e
dernier
ncident.
lle llustrees
positions
orales
différentes
u conseil
t des rtisans
Die
historischen
olkslieder
erDeutschenom
13.
bis 16.
Jahrhundert
R.
Liliencorn
d.,
t.
1,
Leipzig,
865).
55.
Pour
es différentes
efinitions
u conseil
e Francfort
oirG. L.
Kriegk,
Deutsches
ürgertum
mMittelalter.
eue
Folge
Francfort,
871,
.
384.
56.
G.
Schonfeldt,
eitrage
ur
ueschichte
es
Hauperismus
naaer
Prostitu-
tion n
Hamburg,
ambourg,
897,
.
99 Chroniken
op.
cit,
.
14,
1877,
.
911.
57. J.Rossiud,op.cit., .43,pouresviols ituelsommisar es bbayeses
jeunes ens
ans esvilles
rançaises.
e droit e la ville 'Ofen éfendette rati-
que,parce
ue
es
femmes
insi
raitéesvaient
ouventécidé
e devenir
femmes
publiques
au lieu
e se
repentir
Das Ofener
tadtrecht.
ine
eutschsprachige
echts-
sammlung
es 15. Jh.
us
Ungarn,
.
Mollay
éd., Weimar,
959,
.
155
.).
58.
Ainsi
Hambourg,
oirG.
Schonfeldt,
p.
cit.,
p.
110.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 92/163
L'IMAGINAIRE
E LA
PROSTITUTION
87
Dans d'autresvilles,on permettaitu tenancier u bordel muni-
cipal
ou à ses
habitantes e
mener
des femmes
mpudiques
dans leur
maison59.Mais
cette
délégation
posait
souventdes
problèmes,
ar la
définition
u conseil
ne
correspondait as
toujours
à celle
des fem-
mes ou du
tenancier.Ce dernier
profitait
e
son
privilège our
kid-
napper
des
femmes,
u'il
vendait
grand profit
ans le bordel d'une
ville voisine60.
Non seulement e
tenancier,
mais aussi
les
femmes
publiques
avaient ntérêt
propager
des critères
igides,
ar
elles
pou-
vaient ainsi
souligner
eur
importance
ans le maintiende l'ordre en
ville.
Les
pétitions
es
prostituées
oumises
au
conseil,
dans
lesquel-
les elles se plaignaient e la concurrence,montrent ne nouvelle con-
ception
de la
prostitution
les
prostituées ubliques
se
plaignaient
e
ne
plus pouvoir
se nourrir cause de la concurrence
es autres
pros-
tituées,
ui
n'étaient
as
contraintes,
omme
elles,
de
refuser es
Juifs,
les clercs
et les hommesmariés.
Le rôle de
femme
pauvre
eur
faisait
revendiquer
ne
fonctionmorale61.
Les
prostituées
municipales
avaient
leur
propre
idée
sur
leur
métier.
À
leur
avis,
tous les contacts sexuels hors
de
l'ordre matri-
monial étaient
llicites,
e
que
montreun incident
urvenu Nurem-
berg
au
xvie
siècle. Un
jour,
un
jeune employé
de la ville
mena sa
maîtresse u
bordel
pour passer
la nuit avec elle
;
or,
le
lendemain,
les femmesdu bordel la recrutèrent ans leurs rangsen l'accompa-
gnant
en
cortège
à la fontainede la
place
du marché.
Là,
elles lui
mirent ne couronne de
paille
sur
la tête
et la
forcèrent boire une
coupe
de vin.
En
imitant
es
coutumes
des
artisans,
elles donnèrent
au
public
l'impression
e constituer ne
corporation,
ont les
privilè-
ges
étaient
protégés.
Elles affirmaientinsi leur droit
exclusif ur la
sexualitémasculine n dehorsdu
mariage.
Et même
si elles semblaient
accepter
leur
déshonneur,
n
adoptant
le
signe
de la
couronne de
paille,
elles
affirmaient,
ar
ce
symbole,
un
parallélisme
ntre 'ordre
matrimonial t la
prostitution62.
ais la
définition
urement
exuelle
de la prostitutiontait oin d'êtreacceptée par tous. La jeune femmemanifesta on
désaccord,
essaya
de fuir n
pleurant,
t un
groupe
de
journaliers
a
libéra. Les
jeunes
gens
de la
ville,
eux
non
plus, n'accep-
taient
pas
le
monopole
des
prostituées
ur leur
sexualité ils voulaient
garder
e droit d'avoir
une maîtresse u de
vivre vec une
concubine.
Et le
conseil
prit
eur
parti
il
punit
e fonctionnaire
our
avoir
livré
sa
maîtresse
ux
prostituées.
59. B.
Schuster,
Frauenhandel
nd
Frauenhäuser
m
15.
und
16.
Jahrhun-
dert
,
Vierteljahrschriftür
ozial-
nd
Wirtschaftsgeschichte
t.
78,
1991,
p.
172-189,
ici
p.
181.
60. Ibid.,p. 180.61. G.L.
Kriegk,
p.
cit.,
p.
305,
89n. A. A. von
Lersner,
p.
cit.,
p.
683,
689 J.F.
Malblank,
Geschichte
er
peinlichen
erichtsordnung
aiser
arls
V.,
Nuremberg,
783,
p.
50-52
texte
ntégral
'unetelle
étition
es
prostituées
e
Nuremberg).
62.
Chroniken,
p.
cit.,
.
11, 1872,
.
645.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 93/163
88
B. SCHUSTER
Mais la sexualisationde la prostitution e tardapas à influencer
le statut
du bordel
municipal
et des
femmes ommunes. Les
prosti-
tuées
furent
xclues
progressivement
e toutes es cérémonies
fficiel-
les
au cours
du
XVe
iècle
et c'est
précisément
a
raison
pour laquelle
elles
s'efforçaient
e
souligner
eur
mportance ar
la diffamation es
femmes
vivant en dehors
du bordel.
De nouveaux statuts
réglèrent
les
relations
ntre
e tenancier
t
ses
femmes,
n en
faisant
une rela-
tion
purement
conomique.
Mais l'idée
de la conversion
ropagéepar
l'Église
restait
oujours présente.
e conseil
imitait 'endettement es
femmes
ubliques
chez
le tenancier
t,
si une femmedéclarait
qu'elle
voulaitse repentir,l lui offrait es aides. Le commercede femmes,
jusque-là
accepté
comme
pratique
courante du
métier,
faisait
scandale63, t,
en dehors
de la
prostitution
fficielle,
n accusait les
entremetteuses
'être
responsables
de la
dégradation
morale
des
fem-
mes
pauvres64.
Les
prostituées
evenaient insi
aux
yeux
du
public
les
victimesdes
machinations
d'hommes
et de femmes
upides.
La
faiblesse
des
prostituées
ssumait
une
interprétation
ouvelle elles
étaient,
ux
yeux
de
leurs
contemporains,
a
proie
de la violence de
certains.
En
raison
de
la ferveur
morale
de la fin du
XVe
iècle,
le
con-
seil se
sentit
bligé
de
légitimer
on
rôle
comme
organisateur
t
pos-
sesseurdu bordelen se référant la théoriedu mal nécessaire labo-
rée
par
la
scolastique.
Le bordel
constituait
désormais
un
moyen
d'assurer
'ordre
sexuel
en
ville en offrant es
femmes ccessibles
ux
hommes
célibataires65.
ertes,
dès
le
début,
on avait
interdit ux
hommes
mariés
t aux
clercs
d'aller chez
des
prostituées,
mais les
pro-
tocoles
udiciaires
prouvent
ue
ce n'est
qu'à
la
fin
du
XVe
iècle
que
l'on
fit des
efforts
pour
mettre es statuts
en
pratique.
Le bordel
devint
ainsi
un
lieu réservé
ux
jeunes
hommes
non mariés
dont la
sexualité
était
susceptible
de
menacer
l'ordre urbain66.
Pour éviter
qu'ils
ne s'en
prennent
ux
filles
t aux femmes
e leurs
maîtres,
n
leur
concédait
le
droit de
fréquenter
es
prostituées.Mais,
dans les
corporations, es liaisons étaientstrictementestreintesu domaine
sexuel.
Toute
forme
de sociabilité
entre eurs
futurs
membres t les
femmes
déshonorées
était
interdite67.
63.
B.
Schuster,
oc.
cit.,
assim.
64.
L.
Roper,
Mothers
f
Debauchery
Procuresses
Reformation
ugs-
burg
,
German
istory
t.
6,
1988,
p.
1-19.
65. Cette
onception
e
reflèteans
a
peur
u conseil
e Baie
ue
es
ournaliers
puissent
oycotter
a
ville
près
a fermeture
u bordel
Voir
'avis es
lercsur
ette
question,
ublié
ans
Aktensammlung
ur
Geschichte
erBasler
eformation
n den
Jahren519 isAnfang534P. Roth d,t.6, Bále,1950, p.137-140).66. Cen'est u'à la fin uxve iècleue e conseilait es ffortsystématiques
pour
unir
es
hommes
ariés
ui
allaient
u
bordel
municipal
Pour
UlmvoirG.
Geiger,
ie Reichsstadt
lm
vorder
Reformation,
lm,
971,
p.
173-4.)
67.
W.
Reininghaus,
ie
Entstehung
er
Gesellengilden
m
pätmittelalter,
ies-
baden,
981,
.
99.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 94/163
L'IMAGINAIRE
E LA
PROSTITUTION
89
« Hurerei und Unzucht : la conceptionde la prostitution endant
la Réforme.
Ce nouvel ordre
qui
faisait des
prostituées
ne
soupape
sexuelle
ne se
maintint
as
longtemps.
endant a
Réforme,
es
maisons
publi-
ques
furent
ermées.
our
Luther,
ui s'appuyait
ur 'Écriture
ainte,
il
semblait
ossible
de
restreindre
a
sexualité
xclusivement
u
mariage
si l'on
permettait
chacun de
se
marier
ôt68.
Mais,
malgré
sa con-
viction
profonde,
l était
conscient
qu'on
ne
pouvait
pas changer
e
monde nstantanément.
l
plaidait pour
la
patience,
n
conseillant ux
réformateurs 'influencer 'opinion publique par leurs sermons afin
de
préparer
e
changement
es
mœurs69.Mais le zèle
des
prédica-
teurs
ne
s'arrêtait
pas
là. En
raison
des troublesde la
Réforme,
es
conseils
craignaient
es
révoltes,
insi
était-il
facile
pour
les
prédica-
teurs
de faire
pression
ur les
autorités ocales
et,
dans
la
plupart
des
cas,
le conseil céda.
L'abolition
du
bordel devint
insi le
symbole
du
protestantisme,
ans
qu'il
fût
amais question
de
faciliter e
mariage
des
journaliers
malgré
es
suggestions
e Luther.
Mais la
rupture
vec
la tradition e se fit
pas
sans contestation.
l
est évident
ue
les con-
seils avaient
peur
de
l'opinion publique,
car
ils
prirent
a
peine
d'orga-
niser des débats officiels ntre
uristes
et
théologiens
fin de
légiti-
mer leur décision70.Quelques villes fermèrenteursbordelspour les
rouvrir
uelques
années
plus
tard et
les refermer
nsuite71.
Mais
au
cours
du
xvie
siècle,
tous les
bordels
municipaux
disparurent
'Alle-
magne.
Je ne crois
pas que
cette
volution
oit
e
résultat
ogique
du
déve-
loppement
observé
depuis
le XVe
iècle.
L'exemple
de
l'Espagne,
où
les bordels
municipaux
e maintinrent
usqu'au
xviie
siècle72,
montre
qu'il
aurait été
possible
de
garder
une
prostitution
fficielle tricte-
ment
ontrôlée u sein d'une
communauté
lus
réglementée.
a muta-
tion,
en
Allemagne,
fut
marquée par
la
personnalité
e Luther
d'un
côté et par le dynamisme évolutionnaire e la Réformede l'autre.L'exclusion des
protestants
e
l'Église
catholique
provoqua
leurextré-
68. Cf. R.
Seeberg,
Luthers
nschauung
ondem
Geschlechtslebennd
der
Ehe
und
hre
eschichtliche
tellung
,
Luther-
ahrbuch,
.
7,
1925,
p.
77-122.
69. Martin
uther,
riefe,
.
10,Weimar,
947,
.
396.
70. M.
E.
Wiesner, irth,
eath nd
thePleasures
f Life.
Working
omen
in
Nuremberg
480-1620
Wisconsin-Madison,979,
p.
279-281
Roth,
op.
cit.,
pp.
135-141,
°
171.
71.
Ainsi
ucerneermaon
bordeln
1572,
e
rouvritn
1576,
our
e
refermer
ensuiteéfinitivement
n 1576
Th.
von
Liebenau,
as alte
Luzern.
opographisch-
kulturgeschichtlich
eschildert,
ucerne,881,
. 82).
À
Fribourg-en-Saxe
n
pensait
aussi érieusementuneréouvertureubordelC.F. vonPosern-Klett,Frauen-häuser ndfreierauennSachsen
,
Archiv
ür
ächsischeeschichtet.
12, 1874,
pp.
63-89,
ci
p. 87).
72. M.
Perry,
Deviant
nsiders
Legalized
rostitution
nd
Consciousnessf
Womenn
Early
Modern
eville
,
Comparative
tudiesn
Society
nd
History
t.
27,
1985,
p.
138-158.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 95/163
90
B. SCHUSTER
misme.Avec la rigidité e leurmorale, ls prirenteursdistances nvers
les
pratiques
des
catholiques,
en
soulignant
eur ambition de réfor-
mer
e monde.
Des
reproches
mutuels
d'impudicité
aisaient
artie
de
la
polémique
confessionnelle
u
xvie
siècle73. es villes
catholiques
n
Allemagne
se
sentaientforcées
de suivre
'exemple
des villes
protes-
tantes
pour
mettre
in
à
la
diffamation,
on sans
hésiter,
ar
l'argu-
ment du
moindre mal issu
de la tradition
cclésiastique
n'était
pas
encore
oublié74.
De nouveaux
mots
à la mode
au
xvie
siècle
témoignent
'un
changement
rofond
de
l'ordre urbain.
Il
s'agit
d'abord de
«
Hure-
rei», expression ouventutiliséepar Lutherpour critiquer'immora-
lité
régnante.
Pour
lui,
«
Hurerei
désignait
out
ce
qui
s'opposait
à
l'ordre
matrimonial ans
le domaine de la sexualité l'adultère et
la sexualité
avant le
mariage,
le
concubinage
des clercs.
Quand
les
réformateurs
e servaient
e ce
mot,
ls cristallisaient'anciennedénon-
ciation
de
la
prostitution.
Autre mot encore
plus
révélateur
«
Unzucht
»
-
l'absence
de
pudicité.
Mais
«
Zucht
»
signifie
avan-
tage
que pudicité
c'est
un
mot
qui appartient
u domaine de l'édu-
cation
il
est
très
proche
de
«
erziehen
,
«
élever
ou
plutôt
«
édu-
quer
».
Cette
expression
raduit a
représentation
e la ville comme
famille,
mage
répandue
depuis
la
fin
du
xve
siècle.
Le
conseil assu-
mait le rôle du père, dans une communautéqui était responsable
envers
Dieu du
comportement
es
citadins,
omme es
pères
de famille
étaient
esponsables
u
comportement
es
femmes t des enfants.Au-
dessus
du
conseil
trônait
Dieu,
qui
lui aussi
veillait
ur
la morale des
villes.
Le châtiment
divin
était
au
xvie
siècle d'autant
plus présent
qu'il
servait
légitimer
e
pouvoir élargi
des
autorités
ui
avaient
pris
en
charge
les institutions
cclésiastiques
pendant
la Réforme75.
La
représentation
e la ville comme
communauté
morale ne
pou-
vait
plus
admettre
a
prostitution
n
ville,
car,
selon
les
réformateurs,
les
prostituées
ffriraient
lors
un mauvais
exemple
tous
et,
en
par-
ticulier, ux femmes t aux jeunes gensqui risquaient
d'être corrom-
pus
par
l'habitudede la débauche. Ce n'étaitplus la paix sociale qui
préoccupait
es
conseils,
mais
l'ordre sexuel
qui,
à
leurs
yeux,
ne
pou-
vait être
assuré
que
par
une éducation
attentive.
Le
mariage,
qui,
depuis
le
xme
siècle,
avait
garanti
a
paix
sociale
devenait,
dans
cette
perspective,
a seule institution
ui
pût
maîtriseres
tendances
dange-
reuses
de la
nature
humaine.
73. R.
W.
Scribner,
opular
ulture
nd
Popular
Movement
n
Reformation
Germany
Londres,
987,
assim.
74. Voir 'avis esclercseCologneoncernanta fermetureubordel,ncoreinédit
Archives
unicipales
e
Cologne,
erf. ndVerw.
181).
75. B.
Mœller,
Reichsstadt
nd
Reformation,
erlin, 987,
pp.
11-12
H.C.
Rublack,
Politicalnd
Social
Norms
n Urban ommunities
n
the
Holy
Roman
mpire
,
dansK.
Greyerz
ir.,
Religion
PoliticsndSocial
rotest. hree
Studies n
Early
Modern
ermany
Londres,
984,
p.
9-36.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 96/163
L'IMAGINAIRE
E LA
PROSTITUTION
91
Les descriptions es prostituées hangèrent e façonsignificative
après
le début du
xvic
siècle.
On
les
imaginait
n
véritables
profes-
sionnelles,
e
s'intéressant
u'à l'argent
de
leursclients t voulant
pro-
fiter e la séduction
de leur
corps pour
dominer es
hommes.
On
fai-
sait
d'elles des menteuses
ui captaient
es hommes en faisant
sem-
blant
de
les aimer.
Dans ce
climat,
es
images misogynes
e la tradi-
tion
cléricale se
répandent
ans les milieux
populaires.
La
responsa-
bilité
de
l'impudicité
etombait,
our
les
autorités,
ur les seules
épau-
les
des femmes.
Dans
l'imaginaire
de la
prostitution,
e sexe faible
devenait e sexe
fort
qui
menaçait
es fondements
e
l'ordre social.
Mais bien qu'on investît es femmesd'un pouvoir sexuel immense,
elles
perdaient
dans
l'imaginaire
eur sexualité
propre, simple moyen
stratégique
dans une
guerre
des
sexes,
tandis
que
la forte
sexualité
des
hommes
menaçait
constamment
eur
raison.
Désormais,
les hom-
mes
qui parvenaient
mal à maîtriser eur
nature,
assumaient e rôle
de
victimes,
rompés par
les
ruses des femmes76.
De nouvelles
figures
mblématiques
irent eur entrée n
scène
au
xvic
siècle. Elles
n'offraient
lus
des
exemples ositifs,
mais des
repré-
sentations
repoussantes,
ar on se fondait sur l'idée d'une identité
sexuelle
différentees deux sexes.
Le fou devenait
'emblème es
hom-
mes. Les humanistes
llemands 'avaient
popularisé,
n
s'appuyant
ur
une tradition laborée depuis la deuxième moitiédu XVe iècle dans
le théâtre
arnavalesque
et
dans
la
gravure
ur bois. Le fou
représen-
tait un
homme dominé
par
ses
passions.
Sa
punition
ne se faisait
pas
attendre,
mais elle
ne venait
pas
de Dieu
:
bien avant sa mort et le
Jugement
ernier,
l
perdait
son
honneur,
c'est-à-dire 'estime
des
autres,
et sa
puissance
économique, puisque
les femmes
profitaient
de sa
faiblesse
pour
s'enrichir77.
ne
image
très
répandue
décrivait
la
relation ntre es sexes
comme une chasse aux oiseaux78.
Dans
de
nombreuses
ravures
insi
que
dans
le
théâtre
éformateur,
es hom-
mes se laissaient
prendre
par
le sexe
opposé, grâce
à des
cages,
des
pièges ou de la glu. Thomas Murnerexploitacettemétaphoredans
le traité
Gouchmat de
1519,
en
construisant
une
fresque
anthropologique79.
l citait
tous les
exemples
historiques
de
femmes
méchantes
ans des
couples
célèbres,
Alexandreet
Thaïs,
Aristote
t
Phylis,
David et Bethsabée
et
d'autres,
selon
une
série
déjà
établie
par
des clercs médiévaux
pour propager
a
chasteté. Cette série con-
nut un formidable uccès
dans la littératuret les
images
du
xvie
siè-
76. L.
Roper,
Männlichkeitndmännlichehre
,
Journal
ür
Geschichte
1991,
p.
28-37.
77. N.
Jörgensen,
auerNarr nd
faffe.rototypische
iguren
nd
hre unk-
tion n derReformationsliteraturLeiden, 988, .21 E. Kimmnich,es Teufels
Werber.
ittelalterliche
asterdarstellung
nd
Gestaltungsformen
er astnacht
Franc-
fort, 986,
.
255.
78.
J.
Müller,
chwert
nd
cheide.
er
exuellend
katologische
ortschatz
im
Nürnbergerastnachtspiel
es 15.
Jahrhunderts,
erne, 988,
p.
59-60.
79.
Thomas
Murner, euchmatt,
. Fuchs
d.,
Berlin,
931.
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http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 97/163
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L'IMAGINAIRE
E LA
PROSTITUTION
93
d'assurer l'ordre. Condamnée pour la premièrefois, une prostituée
était battueavec des
verges
si
elle
récidivait,
n
la
mutilait,
fin
que
tout e monde sût
à
qui
on avait affaire. a
méchanceté evenait nef-
façable
une telle femmen'avait
plus
de chances de
s'intégrer
ans
l'ordre social84.
Son exclusion
passait
de
l'imaginaire
à la
réalité.
Dans les
registres
udiciaires
du
XVIe
iècle,
la
prostitution
ccompa-
gne presque toujours
la
délinquance
criminelle.
es
prostituées
ont
désormais
partie
des
groupes
d'errants chassés de ville en ville
par
les autorités
ocales.
84. E.
Schubert,
Mobilitäthne hance die
Ausgrenzung
esfahrendenol-
kes
,
dans
W. Schulze
dir.,
tändische
esellschaft
nd
Mobilität,
unich,988,
pp.
113-164,
ci
pp.
144-148.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 99/163
Médiévales7,automne994, p.95-105
Patrick BOUCHERON
DE LA
CRUAUTÉ
COMME PRINCIPE
DE
GOUVERNEMENT
Les
princes
«
scélérats
de
la
Renaissance
italienneau
miroir
du romantisme
rançais1
«
Chose
singulière
L'époque
brillante e
l'Italie finit u moment ù les
petits yrans
sanguinairesurentemplacésardes monar-
ques
modérés.
Stendhal,
ome
Naples
et
Florence
Parcourant
avidement es
chroniques
médiévales
pour composer
son
Histoire
de la
peinture
n
Italie Stendhal
n'y
trouvait
u'assas-
sinats
politiques
et ambitions
meurtrières,
engeances, supplices
et
cruauté.
Il
ne s'en scandalisait
pas,
goûtant
'étrange
aveur
de cette
litanie de crimes
«
intéressante omme
Walter Scott
»,
se refusant
refouler
a trouble ttirance
our
la
tyrannie u'il
partageait
vec nom-
bre de ses
contemporains.
l
y
aurait donc deux
Renaissances,
celle
des artistes t des humanistes,u'il fautadmirer, t cellede leursprin-
ces
scélérats,
qu'il
convientde
réprouver2
Stendhal se
refusait ce
clivage,
et
l'historien
non
plus
ne
peut
s'en satisfaire.
l
faut bien se rendre
l'évidence
si les crimes nces-
sants,
la violence
débridée,
a
brutalité
anguinaire
ncombrent
es
récitsd'une Renaissance
qu'on
voudrait
plus
clémente,
n ne
peut
se
contenter e
l'expliquer
par
la débilité ou la
malignité
des familles
1. Cet rticle
eprend,
n e modifiant
égèrement,
e
texte 'une ommunication
prononcée
la Maison es ciencese 'hommee
Bordeaux
n
février
993
ans e
cadre u
colloque
nternational
mages
u
pouvoirrganiséar
e
laboratoire
luri-
disciplinairee recherchesur 'imaginaireppliquéesla littérature.l estpubliéci
avec 'aimableutorisationes
diteurs
es ctes u
colloque
à
paraître
rochainement).
2.
Stendhal,
Rome,
Naples
t
Florence
1826),
aris,
987, olio,
.
86. Sis-
mondi,
uteur 'uneHistoirees
républiques
taliennes
rès
argement
ise contri-
bution
ar
Stendhal,,
dans es
premières
nnées u
xixe
iècle,
onné e ton u
chœur
es historiensibéraux
ffrayés
ar
es
turpitudes
taliennes.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 100/163
96 P.
BOUCHERON
princièrestaliennes.Comment 'Italie du Quattrocento,e laboratoire
politique
où se sont élaborées es
techniques
es
plus
modernes e
gou-
vernement,
-t-elle
pu
rester i
longtemps
la mercide la
cruautédes
princes
Et
pourquoi
cette
tyrannie
brutale a-t-elle exercé
pareille
séduction
ur les
penseurspolitiques
et
sur les historiens
rançais
du
XIXe
iècle
? En menantde front es deux
interrogations,
éférant ne
pratique
déréglée
de
gouvernement
la
fascination
aradoxale qu'elle
inspire
des siècles
plus
tard,
on
tente
d'approcher
es
fondements n-
thropologiques
du
pouvoir
autoritaire.
«
Partout des
passions
ardentesdans leur
sauvage
fierté
3
Découragé
par
la veuleriede son
temps,
Stendhal
cherchait
ar-
tout cette
énergie qu'il
avait définie omme
foyer
de
toutes es
pas-
sions et de toutes es créations.
En
France,
l
la trouvait
arfois
dans
la vie
des
grands
criminels.Mais
l'Italie,
seule,
est la
patrie
de
l'éner-
gie.
Il
y
faut
tout
admirer,
n bloc :
les
œuvres d'art comme
e
gou-
vernement
es
princes.
tendhal
e délectedonc de
l'histoire
es
tyrans
du
Nord,
et
singulièrement
es
Visconti,
dont
il
se
plaît
à
réciter a
longue
istedes
méfaits,
es tortures t des
assassinats.
«
Les
passions
gigantesquesdu Moyen Âge éclatentdans toute leur féroceénergie
nulle affectation e vient
es
masquer.
Il
n'y
avait
pas
de
place pour
l'affectation ans
ces âmes brûlantes4.
La
fascination
tendhalienne
our
cette
nergie
ruelle
puise
donc
à la
source
de
sa
propre
théorie
de
la création.
Ce
qu'il
admire
dans
la
tyrannie,
'est
l'expression
ans
retenuede la violence
d'une
pas-
sion.
Ce
faisant,
Stendhal ne
nous livre
pas
que
son
impression
e
«
touriste
,
mais bien
celle
du lecteur assidu de
Matteo
Villani,
Machiavel ou
Guichardin,
héoriciens e
l'idée
de
tyrannie.
Celle-ci
fut définie
par
Aristote omme déviation
despotique
de la
royauté,
de même
que l'oligarchie
dérivede
l'aristocratie,
t
la démocratie
e
la république.Mais la tyrannie, arce qu'elle dévie de la royauté ui
est
cette formedivine rassemblant es vertusde
tous les
principes
e
gouvernement,
éunit
galement
ous
les vices
de
l'oligarchie
t de
la
démocratie.
Ainsi,
«
la
tyrannie
n'a
jamais
en
vue le bien
général,
si
ce n'est
pour
sa
propre
utilité.
Le but du
tyran,
'est
le
plaisir
5.
La
tyrannie
e connaît
pas
de
loi,
qui
est,
selon la formule
ristotéli-
3. C'est insi
ue
Stendhaléfinissaite
Quattrocento
talien
«
De
l'esprit,
e
la
superstition,
es
mascarades,
es
poisons,
es
ssassinats,
uelques
rands
ommes,
un nombre
nfini
e scélérats
abilest
cependant
alheureux,
artout
es
passions
ardentesans outeeurauvageierté voilà exvciècle., Id.,Histoiree apein-ture n talie1817,.1,
p.
15, ité
ar
L. Febvre, ichelett aRenaissance
Paris,
1992,
.
290,
ui
consacre
uelques
elles
ages
la fascination
omantiqueour
es
tyrans
taliense la Renaissance.
4.
Ibid.,
p.
87.
5.
Aristote,
olitique
Livre
,
1310
40s.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 101/163
DE LA CRUAUTÉ OMMEPRINCIPE
DE
GOUVERNEMENT 97
cienne,« la raison libérée du désir »6. Au contraire, a seule loi de
la
tyrannie
st la
jouissance
sans
limite du
tyran.
Jouissance,
t violence débridée. Les
chroniques
médiévales ta-
blissaient
onstammente
parallèle
entre a cruautédes
princes
t leur
appétit
sexuel. Ainsi
à
Milan,
au tournant
du
XIVe
iècle,
lorsque
les
troisfrères
Galeazzo,
Bernabò
et Matteo Visconti e
partagent
e
pou-
voir en rivalisant e brutalité.
Le
plus jeune
et le
plus
redouté,
Mat-
teo,
a mis au
point
un
système
e terreur
ar
la
débauche. Tous les
soirs,
l
fait
venir n son
palais
une
vingtaine
e
jeunes
filles t
d'épou-
ses
de riches
citoyens
milanais
pour
leur faire subir les
outrages
de
son effrayanteubricité.Décrivant es scènesorgiaques- avec d'ail-
leurs
quelque
complaisance
dans les détails
-
l'historienMatteo
Vil-
lani,
Florentin
pris
de
libertés,
y
voit rassemblés ous les vices
de
la
tyrannie
milanaise7.
La
puissance
sexuelle
du
prince
est
à la mesure de
sa
malignité
et
toutes es tortures
u'il
inflige
ses
sujets
ne font
que
redoubler
son
excitation
ibidineuse.
l
faut
en effet
maginer
hez Galeazzo Vis-
conti
une
jouissance
dans la
cruauté
proprement
adique pour
com-
prendre
e soin
avec
lequel
il
réglait
e déroulement
es
supplices
de
ses
prisonniers.
Ainsi
les faisait-il
oigner par
ses
chirurgiens près
chaque journée
de tortures
our qu'ils
puissent
urvivre
leur tour-
mentquarante ours, et subirencorele quaranteet unième our une
mort violente8.
Au cœur
de la
tyrannie
onctionne
onc une machine de cruau-
tés,
alimentant
ans cesse
la
jouissance
du
prince,
elle-ci
ne connais-
sant
pas
de
limite
inon
sa
propre perte.
Le
tyran
ne
peut
donc
gou-
verner
ue
dans
l'excès,
et cette
dimension ssentiellement onstrueuse
de la
tyrannie
été
précocement
énoncée
par
les
«
républicains
ita-
liens de
la
fin
du
Moyen Âge.
Parmi
eux,
Albertino
Mussato,
né
en
1261,
fréquentant
e
milieu des lettrés
t
des
juristes
de l'Université
de
Padoue.
Étudiant
énèque,
écrivant
ombre
d'ouvrageshistoriques,
il donne en 1314 la première ragédie politique» de l'histoiredra-
maturgique
uropéenne,
Ecerinis.Celle-ci connutun succès considé-
rable
et
immédiat,
la mesure
des
enjeux
politiques u'elle
soulevait.
La
pièce
décrit es
turpitudes
'Ezzelino
da
Romano,
gendre
t vicaire
de
Frédéric
I,
mort n
1259.
Or,
on racontait Padoue
que
ce
tyran
sanguinaire
'était réincarné
ans
le
seigneur
e
Vérone,
Can Grande
della
Scala,
qui
menaçait
alors les libertés
de la ville. Ecerinis était
6.
Ibid.,
Livre
II,
1287 .
7.
M.
Villani,
Cronica
F.
Gherardi
ragomanni
d., Florence,846,
.
1,
pp.459-460.our ne utre escription,ilanaiseelle-ci,esviolencesexuellese
Matteo,
oirB.
Corio,
toria i MilanoA.
Morisi
Guerra
d., Turin, 978,
.
1,
p.
791.
8. P.
Azzario,
iber
estorům
n
Lombardia
F. Cognasso
d.,
Rerumtaiica-
rum
criptores
XVI,4,
Bologne,
939,
.
301.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 102/163
98
P.
BOUCHERON
donc une œuvre« à clefs», où Mussato prenaitpositiondans le con-
flit
politique
qui
déchirait on
temps9.
La
pièce
s'ouvre
sur
un
dialogue
entre e
tyran
t
sa mère.Celle-ci
se
décide à confier
Ezzelino
sa
diabolique origine.
Loin d'en être
effrayé,
e dernier
écoute avec
intérêt
«
Parle, mère,
il
me
plaît
d'entendre es choses
merveilleuses t atroces
»).
Ezzelino
n'est
pas
né de son
père,
mais
d'un animal
monstrueux,
orti des fumantes
entrailles
de la terre
pour
féconder a mère du
tyran.
Alors décrit-
elle,
avec force
détails,
comment lle fut
possédée par
un taureau
hir-
sute
et
écumant,
l'haleinefétide t aux
yeux
exorbités,
t avec
quelles
souffrances lle porta dans son ventre les fruits de ces amours
monstrueuses10.
n sait
que
le taureau
est,
dans
le
bestiaire
médié-
val,
le
symbole
de la
puissance
sexuelle et de la force
débridée.
Il
est
ici le monstre bsolu
qui
engendre
a
tyrannie,
ondamnant ce
régime
ne
pouvoir
se
survivre
ue
dans
Yubrisd'une
passion
déchaî-
née.
Machine
à
jouir,
la
tyrannie
st animée
d'un
mouvement
erpé-
tuel
(au
sens
classique
:
parce que
l'effet
y
est
plus
puissant
que
la
cause) qui
se nourrit e
cruautésnécessairement
xcessives,
e bruta-
lités nécessairementmonstrueuses.Mais la
tyrannie
st aussi cette
machine
qui
travaille
sa
propreperte,
omme e savait
déjà
Matteo
Villani « De mêmeque les tyrannies'élèvent,grandissentt se con-
solident,
e même
grandit
n
silencedans leur
sein e
germe
fatal d'où
sortiront
our
elles le trouble et la ruine»n.
Princes
cruels,
princes
redoutés
Lorsque
les deux frères e Matteo Visconti e
surprirent
ans son
palais
un
jour
de
débauche où
il
obligeait
des femmesde la
notabi-
lité
milanaise
à se donner à
lui,
ils
comprirent
ue
«
l'État était en
granddanger
»
et décidèrent e l'empoisonner, uelques jours plustard,
pendant
une
partie
de chasse12.Le discours
romantique
ur la
tyrannie
e doit
pas,
en
effet,
ous
égarer
les
tyrans
'Italie du Nord
étaient d'abord des créateurs
d'État,
soucieux
de
sa stabilité. D'où
la contradiction
majeure, qui
rend 'histoire
des deux derniers iècles
du
Moyen Âge
si
chaotique
en Italie
:
de
puissantes
forces sociales
et
politiques
aspirent
la
consolidation
d'un État
territorialdminis-
9. G.M.
Gianola,
VEcerinisi Albertinoussatora zzelino
Cangrande
,
dansG. Cracco
éd.,
Nuovi tudi
zzeliniani
Rome, 992,
oi.
,
pp.
536-574.
e
remercieérard
ippe
e m'avoir
ignalé
ette
éférence.
10. A.Mussato, zzelinideL. Motta d.,Bologne,900. our ituerette u-vre ans 'histoireu
théâtre,oir,
ar xemple,
.
Doglio,
l teatro
ragico
taliano
Parme,
960,
p.
6-17 t
pp.
39-49.
11. M.
Villani,
p.
cit.,
ité
ar
J.
Burckhardt,
a
civilisatione la Renais-
sance n talie
Paris, 958,
.
1,
p.
14.
12. M.
Villani,
op.
cit.,
p.
460.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 103/163
DE
LA
CRUAUTÉ OMMEPRINCIPE
DE
GOUVERNEMENT
99
tratif t centralisé endant que les principesde gouvernement yran-
nique
semblent
mettre onstamment ette construction
olitique
en
péril.
Lorsque
cette
contradiction evient
nsupportable,
e
tyranni-
cide
apparaît
politiquement
égitime.
Ainsi la cruautédes
princes
e retournait isément ontre
eux-là
même
qui
en
jouissaient.
La
Storia
di
Milano
de BernardinoCorio
en
porte
abondamment
témoignage.
ssu
d'une
grande
famille de
l'ancienne
oligarchie
milanaise
ui joue
la cartede
la
fidélité
ux
prin-
ces
depuis
Francesco
forza,
Corio est
un familier e la cour de Ludo-
vic le
More13.
Pourtant,
orsqu'il
écrit 'histoire écente e l'État des
Visconti-Sforza, orio ne cherchenullement taire es turpitudes es
prédécesseurs
e son
protecteur.
l
fait
même de l'excès de cruauté
de
certainsducs
de Milan
la
raison
explicative
e la
plupart
des aléas
politiques
de cette
période.
La crise
profonde
du duché milanais
en
1412 n'est
que
la
juste
conséquence,
selon
Corio,
de la
scélératesse
de
Gian Maria Visconti.
La violence
aveugle
avec
laquelle
il
répri-
mait les
émeutes
en arrivait ébranler
a
stabilité
de l'État.
Corio
décrit
omment,
l'issue
d'une insurrection
menée
par
Giovanni da
Pusterla,
celui-ci vait
été
exécuté,
démembré,
t ses restes
parpillés
aux
portes
de
la ville. Mais
le
désir
de
vengeance
e Gian Maria n'était
jamais
assouvi
:
il fit venir un
des fils de
Giovanni,
âgé
de douze
ans, pour le faire dévoreren public par ses chiensenragés14. t là,
poursuit
Corio,
intervint
n véritable
miracle. La
meute,
pourtant
habituée
mettre
n
pièces
es
ennemis u
duc,
s'arrêta
devant e
jeune
garçon
et refusa
de
le mordre.
Le duc fit alors venir
Guerzo,
le
plus
féroce
de ses
chiens,
ui
lui aussi
épargna
a victime.
e
jour-là,
même
les
chiens
du
prince
ressentirent
e
dégoût
du
sang15.
Xénophon
l'a dit
depuis
fort
ongtemps
il
n'y
a
pas
de
tyran
heureux
6.
C'est
au moins
une consolation
pour
les
moralistes,
el
Savonarole dans
la Florence
médicéenne
e
1495,
décrivant
e
prince
tyrannique
ui
«
du fait
de
ses
nombreux
aprices,
de sa malfaisance
et des craintesqui toujours le rongent est voué à la solitudeet à
l'angoisse17.
Les
chroniqueurs
milanais décrivent
omplaisamment
es
13. Sur e
personnage
t 'œuvre
e
Corio,
oir
G. Soldi
Rondinini,
Spuntier
un'interpretazione
ella Storia
i Milano
di
Bernardino
orio
,
dans
d.,
Saggi
di
storia
storiografia
isconteo-sforzesche
Bologne,
984,
p.
205-220.
14. Les chiens
pparaissent
ouventans
'histoireesVisconti.n raconte
ar
exempleue
Bernabò
aisaitntretenir
ar
on
peuple
remblantnemeute e
cinq
mille hiens estinée
la chasse ux
sangliers.
t malheur celui
ui
ose
empiéter
sur e
privilège
ucal
il
est
promis
ux
plus
troceses
upplices.
.
Corio,
p.
cit.,
t.
1, p.
791.
15. B.
Corio,
op.
cit.,
pp.
1019-1020.
16.
«
Or,
craindrea
foule t craindrea
solitude,
raindre'absence e
gardes,
mais raindreussi esgardesux-mêmes,epasvouloirtre ntouréegens ans
armest ne
pas
esvoir
olontiers
rmés,
'est-ce
as
une ondition
énible
»
Hié-
ron
VI,
4. Voir 'éditiont e commentaire
u'en
donne .
Strauss,
e la
tyrannie
trad,
ranç.,
aris,
954.
17. Traité
e
frère
érôme
e Ferraree V rdre
esPrêcheursur
a
façon
e
régir
t de
gouverner
a
cité
e FlorenceTraité
econd,
hapitre
eux,
De la
mali-
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 104/163
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 105/163
DE LA
CRUAUTÉ
OMMEPRINCIPE
DE
GOUVERNEMENT 101
et sous le contrôle nvisiblemais omniprésent es agentsde la Séré-
nissime.
De même dans
Lucrèce
Borgia
où l'on
passe
du bal véni-
tien ouvert au
palais
du
duc de
Ferrare,
et de celui-ci au
palais
Negroni,
'espace
se refermant
ur
ui-même,
omme se resserre
e lacet
sur
le cou
du condamné.
Le
prince,
virtuose
des cruautés
La liste des
tyrans
battus est
presque
aussi
longue que
celle de
leursturpitudes, t Stendhalprendapparemment n vifplaisirà les
énumérer
«
Matteo
1er,
elui
qui
se
fit
souverain,
mourut du cha-
grin
que
lui causèrent
es
excommunications
u
pape
;
Galéas
1er,
on
fils,
périt par
suite
des mauvais
traitements oufferts
n
prison
ce
fut
le
poison
qui
termina es
jours
de Stefano
Marco fut
eté
par
la fenêtre
Luchino
empoisonné ar
sa
femme Matteo
II
périt
ssas-
siné
par
ses frères
Bernabò
finit
par
le
poison
dans
sa
prison
à
Trezzo
;
et
Jean-Marie
fut
percé
de
coups
comme
il
se
rendait à
l'église.
Voilà les morts
rrivés
dans une seule
famillede
princes,
t
cela en
moins de
cent ans
»23.
On
ne saurait
mieux dire la
fragi-
lité d'un
pouvoir
tyrannique
eposant
sur
la contrainte
t la terreur.
Cette nstabilitéhronique roublaitJacob Burckhardt,ui tentait, n
1860,
dans sa
Civilisation
de la Renaissance
en Italie de décrire
«
l'État considéré
omme
œuvred'art
». Ce
que
l'historien
uisse cher-
chait dans
l'histoire
des
tyrannies
taliennes
par
laquelle
s'ouvre son
livre)
c'est,
comme
Stendhal,
la manifestation
'une
énergie
sans
entrave,
mais
c'est aussi
l'invention
d'un nouveau
mode de
gouver-
nement,
ppuyé
sur
la rationalité.
Là est
un des
paradoxes
qui
fon-
dent
a
philosophie
olitique
moderne.Des
tyrans
e la
fin
du
Moyen
Âge,
Burckhardt
dmet
sans difficulté
ue
«
leurs méfaits étaient
monstrueux
-
et les
descriptions u'il
en donne
le
montrent
loi-
sir -, mais il n'oublie pas pour autant que ces tyranspratiquèrent
également
« le calcul raisonné de tous les
moyens
24. Ainsi en
arrive-t-il
distinguer
une
tyrannie
criminelle et
passionnée
au
xive
siècle,
d'une
tyrannie ui,
au
XVe
iècle,
mesure ses méfaits
et
rationalise
a cruauté
naturelle
«
En
somme,
grands
et
petits yrans
sont
désormais
obligés
de
se
donner
plus
de
peine,
de
joindre
l'intel-
ligence
et
le calcul à
la
force,
et de s'abstenir
de cruautés nutiles
ils
ne
peuvent
plus
commettre 'autres méfaits
ue
ceux
qui
leur
per-
mettent 'arriver
leur but
; ceux-là,
les
juges
désintéressés ans
la
question
les
leur
pardonnent
25.
Commettre es
méfaits
pour
arriver son
but : voici au fond
la marquedu vrai chef d'État. Écrits dans les années 1470, les Corn-
il.
Stendhal,
p.
cit.,
pp.
246-247.
24.
J.
Burckhardt,
p.
cit.,
.
1,
pp.
7-8.
25.
Ibid.,
p.
21.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 106/163
102
P.
BOUCHERON
mentaires u célèbre humanistemilanaisGiovanni Simonettaenten-
dent
retracer,
sur le modèle
césarien,
la
carrière de
Francesco
Sforza26. L'ancien
«
condottiere
qui
s'est
emparé
du
duché de
Milan était ncontestablement
omme de
«
fortuna
;
raison de
plus
pour
faire ressortir vec éclat toute
sa
«
virtù .
Faire
l'éloge
de
Sforza,
ce n'est donc
en
aucune manière
brosser le
portrait
d'un
homme
épris
de
justice
et de
bonté,
mais
bien
d'un froid
alculateur,
qui
doit son
pouvoir
à
ses
qualités propres
et non à
des
circonstan-
ces
hasardeuses27.
Voilà
pourquoi
Simonetta
met
constamment n
avant
l'intelligence
actique
de
son héros
rei
militaris
cientia
cons-
tantia,celeritas),et, plus largement, a parfaitemaîtrisedes choses
et des
esprits.
Dans
cette forme
d'exaltation du
pouvoir,
la
cruauté
n'a
pas
à être
niée,
pourvu qu'elle
soit
au
serviced'un
intérêt
upé-
rieur.
Simonetta
n'est donc
pas
avare de
détails sur
la
brutalité vec
laquelle
Francesco Sforza menait sa
guerre
de
sièges,
semant
parfois
terreur t désolation28.C'est la
marque
d'un homme
droit,
qui
ne
plie pas
devant
les dures
exigences
de
la
guerre.
De
même,
la
des-
cription
es
supplices
nfligés
ux
déserteurs29
st
pleinement
ustifiée
en
tant
qu'elle
participe
à une
«
politique
de
l'effroi
30,
qu'elle
manifeste vec éclat la forcedu
prince
et
l'obéissance
qu'on
lui
doit.
Le
prince
de Simonetta st admirable
parce qu'il
maîtrise
arfai-
tement es techniquesde gouvernementt le maniement es esprits.
Ainsi,
a cruauté vec
laquelle
il
assiège
et
affameMilan
doit-elle
tre
portée
à son
crédit,
«
à
partir
du moment
où
il
était
convaincu
qu'aucun
autre
moyen
ne
pouvait
faire
plier
les
Milanais »31.
Lors-
que
Sforza
entre nfin
dans
la ville
en
triomphateur,
'est
pour y
dis-
tribuer
pleines
brassées
du
pain
et
des victuailles l'affameur
'efface
aussitôt
derrière e sauveur. Simonettane
célèbre
pas
ce
miracle,
l
loue
l'habileté de son
héros
dans la
manipulation
e
l'opinion32.
De
même
lorsqu'il présente
e futurduc de
Milan,
attendant
ranquille-
ment e
27
mars,
our
de
l'Annonciation,
pour
faire
son entrée
dans
la ville33.Comme l'écriraplus tard un autreadmirateur e FrancescoSforza,Machiavel, le princemodernedoit pouvoirallier« virtù et
«
sceleratezza
.
26. G.
Simonetta,
e
rebus
estis
rancisci
fortiae
ommentarti,
. Soranzo
éd.,
Rerumtalicarum
cripîores
XXI, 2,
Bologne,
932-1959.
27.
Sur es
problèmes,
oir .
Ianziti,
umanistic
istoriography
nderhe
f
r-
zas.
Politicsnd
Propaganda
n
Fifteenth-century
ilan
Oxford,988,
otamment
pp.
184-193.
28.
À
titre
'exemple,
oir e sac de Piacenza
G.
Simonetta,
p.
cit
,
p.
211),
de Mercato
ibid.,
.
304)
ou de Pontevico
ibid.
.
388).
29.
bid.,
p.
377.
30. Telle
ue
a
définit .
Foucault
«
Rendreensible
tous,
ur e
corps
u
criminel,a présenceéchaînéeu souverain.e supplicee rétablissaitas a jus-tice ilréactivaite
pouvoir
,
dans urveillert
punir.
aissancee a
prison,
aris,
1975,
.
53.
31. G.
Simonetta,
p.
cit.,
p.
335.
32.
bid.,
p.
335.
33.
bid.,
p.
342.
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http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 107/163
DE
LA
CRUAUTÉ OMMEPRINCIPE
DE
GOUVERNEMENT
103
Faire le mal pour le bien de l'État : si le princedoit s'abstenir
de
«
cruautés nutiles
,
selon
l'expression
de
Burckhardt,
'est
pour
rendre
plus
efficace on
pouvoir
de contrainte.
es
progrès
de
l'État
ne consistent
as
en
l'adoucissementde ses
moyens
d'exercice,
mais
dans
la
rationalisation
ontinue
de
la
coercition.
Dans son
Trattato
di
Architettura
Filarete,
architecte
personnel
de
Francesco
Sforza,
dresse
e
plan
d'une
cité
idéale,
c'est-à-dire 'une
ville où le
pouvoir
s'exerce
idéalement34.
ux
portes
de
cette
Sforzinda
est un
inquié-
tant
pénitencier,
ommé
Ergastolon
où
toutes les
techniques
de
la
torture ont mises au service de la
raison d'État35.
Filarete
décrit,
avec une précisionpresquehallucinée,tous les supplicesqu'on doit
y pratiquer.
Selon la nature de son
crime,
e
prisonnier
e
voit
assi-
gner
l'une
des
quatre
tours,
chacune étant
spécialisée
dans un
type
de
tourment.Les traîtres t les voleurs sont
traînés dans la
Stenta-
mente),
ù ils subissent la force
»,
pendant que
des malheureux
e
font
briser
a tête
dans
la
Martoriata. Les
parricides
ont
placés
dans
Y
Affamata
et ceux
qui
méritent
e feu finissent
ans
la
Senza
Pace.
L'ensembleest savamment ationalisé
t
tenteun
compromis
ntre ne
certaine
discrétiondans
l'art de faire
souffrir
les
prisonniers
ont
enfermés ans ces tours
aveugles
où
l'État,
monstre
froid,
assouvit
seul son désir de
vengeance)
t
le
maintiend'une
cérémoniedes
sup-
plices propreà frapper es esprits avant d'y disparaître, es prison-
niers ont hissés
en haut des toursoù ils
subissent
n
simulacre 'exé-
cutions
capitales).
Même
assagie,
même
modernisée,
a
tyrannie
ne cesse
jamais
d'être monstrueuse.
n
elle
s'exprime
un
principe
qui
n'est
pas
de
l'ordre du
politique,
mais
simplement
u
pouvoir,
dans sa brutalité
et dans son dénuement c'est-à-diredu désir. Étudiant
le rôle
qu'a
joué
la fictiondu
despotisme
siatique
dans la
philosophiepolitique
de
l'Occident
classique,
Alain
Grosrichard crit
qu'il
réintroduit ce
que
la théorie
politique
n'a cessé de
rejeter,
de
refuserde
penser
comme politique,et qui pourraitbien être,plus fortque la force,
plus
séduisant
ue l'idéologie, plus
entraînant
ue
l'intérêt,
e
ressort
même du
pouvoir politique
l'amour
»
36
.
Pourtant,
en confrontante
système
monarchique
à celui de la
tyrannie
talienne,
es
penseurspolitiques
français
de la
fin
du
Moyen
Age
étaient
parvenus
une formulationrès
précise
de ce
ressort
oli-
tique
essentiel. a
vigueur
de
l'autorité
yrannique,
a
troublante ffi-
cacité ne les
laissaient ertes
pas
indifférents,
ais
l'illégitimité
e ce
34. P.
Boucheron,
De la ville
déale
l'utopie
rbaineFilaretet
Purbanisme
à Milan u tempses Sforza, dans déesde villesvillesdéalesParis« Cahiers
de
Fontenay
,
n°
69-70),
993,
p.
53-80.
35. A. Averlino
dit le
Filarete,
rattato
i
ArchitetturaA.M.Finou
et
L. Grassi
d.,
Milan, 972,
ol.
1,
lib.
XVII,
fol. 40-42.
36. A.
Grosrichard,
tructure
u
sérail. a
fiction
u
despotisme
siatique
ans
l'Occident
lassique
Paris, 979,
.
16.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 108/163
104
P. BOUCHERON
pouvoir en constituait pour eux la tare originelle37.Ainsi en
arrivaient-ils
cettedistinction
onstitutive le
tyran, rince
redouté,
est
plus
craint
qu'aimé.
Gian Galeazzo
Visconti,
crit
Froissart,
se
fist cremir
trop plus qu'amer
»38,
et
Christinede Pizan
présentait
ainsi
les Visconti
«
L'un avoit nom Galiache
L'autre Bernabò on nommait
Que
l'on
craignaitplus
qu'on
aimait.
»39
Les fondements nthropologiquesdu pouvoir tyrannique ont
donc radicalement ifférents
e ceux
que
la monarchie
rançaise
ntend
alors se
donner,
autour du roi comme
incarnationdu
corps
social.
Ne
pouvant prétendre
cette
ncarnation,
e
tyran
ne
recherche
as
l'amour de ses
sujets40.
La cruauté ui est donc
principe
de
gouver-
nement,
t
peut-être
même
principe
e
légitimité.
omme
'écritMarcel
Gauchet dans
une réflexion
ur
la
postérité
du
modèle de Kantoro-
wicz,
«
Plus
le
hiérarque suprême
aspire
à la
grandeur,
mbitionne
l'accroissement e son
pouvoir,
plus
il
lui faut
se montrer
issembla-
ble d'essence
par rapport
u commundes
hommes,
nhumain,
urhu-
main,
au-delà de
l'humain,
que
ce
soit en accusant
l'écart de nature
en généralentre maîtres t sujets, en se faisantreconnaître omme
participant
es
puissances
de
l'invisibleou en
exerçant
une violence
sans
merci.
»41
Admirer a
tyrannie,
e n'est
pas
lui trouver
es
excuses,
t
encore
moins
en
gommer
es excès.
Ce
qui
est
désirable,
au
fond,
dans
la
tyrannie,
'est
l'affirmation 'un
pouvoir
distant et
détesté.
l
faut
revenir,
ne dernière
ois,
à
Stendhal,
ui,
en
une formule
aisissante,
dit l'essentiel
«
Au lieu de la
profonde
méfiance
ui,
de
tout
temps,
en
Italie,
sépara
le
prince
t
les
sujets, depuis qu'il y
a
des
bourgeois
de
Paris,
nous les
voyons
aimer le roi.
»42
Voilà l'alternative
ssen-
tielle.Et voilà
pourquoi,
u moment ù
il
faut
faire e deuil de l'incar-
nationmonarchique, u momentoù l'on comprendque ce deuil est
37. Surcette
uestion,
oir .
Gilli,
«
Politiques
taliennes,
e
regard
rançais
(c. 1375-1430)
,
Médiévales
10,
1990,
p.
109-123.
38.
Froissart,
hroniques
K.
de Lettenhove
d.,Bruxelles,872,
.
15,
p.
259,
cité
par
P.
Gilli,
loc.
cit.,
p.
118.
39. Christine
e
Pizan,
e livre e mutacióne FortuneS. Solente
d.,
Pans,
1961,
.
2,
v.
23463-23466,
ité
par
P.
Gilli,
loc.
cit.,
p.
118.
40.
Il va de soi
que
nousnous ituons
cien
deçà
d'une
pproche
sychanalyti-
quequineverraitasde contradictionssentiellentre'amourt a crainteutyran
(voir
es ravauxe P. Legendre,tnotamment'amour ucenseur.ssai ur 'ordre
dogmatique
Paris,
974).
41. M.
Gauchet,
Des deux
orps
u roi u
pouvoir
ans
orps.
hristianisme
et
politique
,
Le Débat
14, 1981,
p.
133-157,
.
144.
42.
Stendhal,
p.
cit.,
p.
247.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 109/163
DE LA
CRUAUTÉ
OMME
PRINCIPE
DE
GOUVERNEMENT
105
plus difficile u'on ne l'avait cru43,Stendhal,Hugo, tant d'autres,
se
tournent,
ascinés
et
inquiets,
vers ces
figures
monstrueuses
es
tyrans
célérats
d'Italie du
Nord,
cherchant
percer
ce
qui
consti-
tuait,
pour
Michelet,
e seul véritable
mystère
e l'histoire e
France
pourquoi
avons-nous tant
aimé nos rois
?
43.
Voir,
ur e
sujet,
.
Gengembre,
a
contre-révolutionu
l'histoireéses-
pérante,
aris,
989.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 110/163
Médiévales7,automne994, p.107-120
Christiane
MATTKE
VERGES
ET DISCIPLINE
DANS L ICONOGRAPHIE DE L ENSEIGNEMENT
«
Ne renonce
pas
à châtier
ton
fils,
mais ne va
pas jusqu à
le
faire mourir.
(Prov.
XIX,
18)
«
La folie est ancrée dans
le cœur
du
jeune
homme,
et
le
bâton
de la
discipline
a chassera.
»
(Prov.
XX,
15)
«
Baguette
et
réprimande rocurent
a
sagesse,
le
jeune
homme
livré à ses envies
fait honte à sa
mère.
»
(Prov.
XXIX,
15)
*.
Ces
préceptes
ourraient
hoquer
des éducateurs
ontemporains.
Ils
n ont
cependant
heurté
ni
les
pédagogues
antiques
ou
médiévaux,
ni
les
professeurs
e
l âge
moderne.
En
effet,
n châtiait es
enfants
et les élèves
au
Moyen
Âge.
Certaines sources
écrites,
narratives u
normatives,
arlent
de la nécessité
e
punir
physiquement
es élèves
d autres
textes
critiquent
e châtiment u
expriment
a
position
des
victimes
e la correction2.
i ces différents
ypes
de
témoignages
ont
bien
connus
pour
le haut
Moyen Âge,
ils le sont moins
pour
les
pério-
des suivantes.
Les
transformations
ui,
à
partir
du
XIIe
iècle,
tou-
chent es
écoles
en milieu
urbain,
comme a naissance des Universités
au XIIIesiècle et les bouleversementses systèmes e pensées qui les
accompagnent,
nt conduit es historiens
étudier es
institutions,
es
1. La
Vulgate
onne
our
es
passages
XIX,
18 Erudi lium uum e
despe-
res d
interfectionem
utem
iusne
ponas
nimamuam
XXII,
15 Stultitiaonli-
gata
st
n
corde
ueri
t
virga
isciplineugabit
am
XXIX,
15
Virgatque
or-
reptio
ribuet
apientiamuer
utem
ui
dimitturoluntatiuae
onfundet
atremuam.
Ces
versetsont ités
arexemple
ans e
De
eruditione
iliorum
obiliume
Vin-
cent
e
Beauvais
vers 247-1250),
exte ù l auteur
appuie
ur e très ombreuses
citations.
insi u
chapitre
XV
De
la
punition
es
nfants)our
XIX,
18et
XXII,
15,
t u
chapitre
X
VII
Pourquoi
a
discipline
oit tre ubie e bon
ré) our
XIX,
15.
A.
Steiner
d.,
Cambridge
Mass.),
938,
p.
90,
91
et
98).
2. De nombreuseséférencesans . Riché, coles tenseignementans e Haut
Moyen ge
Paris,
979
rééd. 989).
omme
xemple
un
émoignageritique
n
peut
iteres
paroles
e Guiberte
Nogent
«
...
presque
haqueour étais
apidé
par
unefurieuse
rêle
e souffletst de
coups
e
fouet,
et
homme e
ontraignant
à
étudiere
qu il
vait té
ncapable enseigner.(Autobiographie
E.-R.Lab nde
éd.
et
trad., aris,
981,
.
33).
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 111/163
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
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http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 113/163
110 C.
MATTKE
Le mondemonastiquemédiéval constitue e second domaine où
les
verges ouent
un rôle aussi bien réel
que figuratif.
lles intervien-
nent dans le
système
e
répression
monastique,
où
elles
représentent
l instrument e
discipline
par
excellence10. a
spiritualité
monastique
a
par
ailleurs accordé
une
place privilégiée
la
mortification
ar
le
fouet
ou
les
verges11.
n trouveenfincet
objet
comme
attribut co-
nographique
du moine. De telles
mages
apparaissent
u
xnie
siècle
dans des manuscrits
ui
n offrent
as
forcément
es textes en
rap-
port
direct
avec
les
idéaux
monastiques.
Ainsi
les
abondantes illus-
trations
de la Bible
Moralisée
présentent
e
nombreux
xemples
de
moinespénitenciersu pénitents12.e type conographique u moine
disciplinaire impose
aussi dans
la
figuration
un
miracle de saint
Benoît. Alors
que
le texte
des
Dialogues
de
Grégoire
e
Grand
relate
que
le saint
«
donna seulement n soufflet
à
un
moine
possédé
par
le
démon
pour
chasser
celui-ci
(solummodum
alapam
dédit)
13
,
on
trouve
des
images
qui interprètent
ette
histoire
ar
la
figure
u saint
flagellant
e moine14.
On
peut
donc
supposer que
toute
figuration
es
vergesrappelle
autant les
représentationsui
s attachent la
tradition
conographi-
que
de la Grammaire
ue
les
pratiques
et
images
monastiques.
C est
sur cet
arrière-plan ue
l on
peut
chercher
comprendre
utilisation
plus importante u motifdes vergesdans les images du xiiic siècle.
À
cette
époque,
on
assiste
en effet la
diversification
es
contextes
iconographiques
ans
lesquels
elles
apparaissent.
Cette
diversification
affectemoins
es
types
de
personnages eprésentés
le
plus
souvent
10.
«
Règle
e saint enoît
,
dans
Règles
es
moinesP. Guéranger
rad.,
.P.
Lapierre
d., Paris, 982,
.
94,
cap.
XXIX,
1
«
Si un
frère été
ouvent
epris
pour
ne aute
uelconque,
i Ton été nversui
usqu à
excommunicationt
qu il
ne e soit
as
mendé,
l
faudra
ui
nfliger
ne
orrection
lus
ude,
est-à-dire
ro-
céder
ontreui
par
e châtimentes
verges.
11. Voir ce propose recueil e textes e C. Vogel,Le pécheurt a péni-
tenceu
Moyen ge
Paris,
969.
l
faut iter
ierre
Damien,
ui
a
écrit n traité
sur
L excellencee la
flagellation
{PL
145,
ol.
679-686),
omme
e
plus
ervent
défenseur
e la mortification.
12. Dans a BibleMoralisée
Oxford,
odleian
ibrary
s.270b t
Paris,
N,
ms. at.
11
560)publiée ar
A.
de Laborde
a Biblemoraliséellustrée
onservée
Oxford
Paris tLondres
Paris 911-21
4 vol.),
n trouve
nze ois esmoines
éni-
tenciers.
uatre
ois ls
flagellent
eurs onfrères
planches
4
Oxford
°
94)
273, 11,
419
BN
f°
49v°, 7v°,
95v°)
ixfois lsdonnent
a
pénitence
des aïcs
planches
5,
19,
17
Oxford
°
5v°,19v°,
17v°),
09,
34
Paris
°
85v°,
10)
t 596
Oxford
f°
125)
unefois un
roi
planche
51
Paris
°
27v°).
13.
Dialogues
A. de Vogüe t
P. Antin
d.,
t.
II, Paris,
979
Sources
hré-
tiennes),
ib.
I,
cap.
XXX.
14. Unbel xempleuxiveieclevers387,ttribuéSpinelloretino)e trouveau sein u
cycle
e
fresques
onsacré saint enoît ans a sacristiee
église
an
Miniatol
Monte,
ais n
peut
aire emonterettedée
conographique
la
2e
moi-
tiédu
xie
iècle,
ù on
a trouveans e
cycle
llustranta Vita enedictiu
ms. at.
1202,
°
30
v°
de a
B.A.V.,Rome,
mêmei cettecène exorcisatione
montre
as
les
verges,
ais a
baguette
ypique
e la
représentaion
es miracles
hristiques.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 114/163
VERGES
T
DISCIPLINE
111
des moines- que les textes ccompagnéspar ces images. Plusieurs
manuscrits
es
écritsd Aristote
par exemple comportent
es initiales
qui
montrentdes
moines-disciples
devant
un
maître tenant des
verges15.
Ce sont
notamment
V
thique
et P
Analytique
Postérieure
dont les
incipit respectifs
noncent
une
situation
d enseignement
Omnis ars et omnis
doctrina..
et Omnis
doctrina t omnis
disciplina
..
Un
textedestiné ux
étudiants t très diffusédans le monde scolaire
comportant
ans son
titremême e terme
disciplina
est
présenté
vec
une
scène
de correction dans
la
seule
initiale
historiée
du
manuscrit16.
our
comprendre
es raisons de cette
plus
large
utilisa-
tion iconographiquedes verges l est opportund analyserun échan-
tillon
représentatif
images.
Ad sciendam
sapientiam
et
disciplinam
7
Les initialesdes
Proverbes
dans les Bibles
du
xiiie
siècle
adop-
tent rès ouvent
une
composition
ypique
des scènes
d enseignement
le maître
gauche
dont
l importance
st
signifiée ar
sa
taille et
par
ses
attributs,
élève
à droite. Elles
font
également
ntervenir attri-
but
des
verges.
Dans ces
initiales,Salomon,
portant
une
couronne,
trône fig. 1, 2, 3). Il tient es vergesdans l une de ses mains,tandis
que
l autre
main
présente
index levé ou
pointé
vers son
fils-disciple
(fig.
2).
Salomon
peut
de même montrer
u
doigt
le livre ouvert ou
fermé
ue
l élève tient
fréquemment
u
simplement oser
sa main sur
son
genou
(fig.
1).
Le
fils,
souvent
à moitié
dénudé,
est tantôt assis
par
terre,
tantôt assis
sur un
siège
et
accompagné
d autres élèves.
On
peut présenter
ette
conographie
ariable travers
eux exem-
ples
offrant es
caractéristiquespposées.
La scène
qui
illustree début
des Proverbes
dans
la
Bible
Moralisée
(fig.
2)
met
bien
en
évidence
l emploi symbolique
des
verges18.
alomon et
Roboam
sont
plasti-
quementséparés par des éléments rchitecturaux,es vergesne tou-
15. Par
xemple
n
manuscrit
e
Y
thique
Avranches,
ibliothèqueunicipale,
ms.
22,
°
1,
un utre e
Y
Analytique
ostérieure
Oxford,
alliol
ollege,
s.
53,
f° 211v°. Dans
iconographie
iblique
n
peut
iter ne
mage xceptionnelle
une
initiale
u
psaume
antate omino
montree
psalmiste
endanta
verge
un
moine
à moitié
énudé
isant,
lors
ue
a main e Dieusort e la nuée. llustration
are
pour
e
psaume,
u il
faut
ansdoute
xpliquerar
a traditionssociantn
ensei-
gnement
rimaire
u motif es
verges
la
grammaire
st a
discipline
esdébutants
et e
psautier
onstituee
premier
exte
apprendre
n
atin.
aris,
ibliothèque
ainte-
Geneviève,
s.
1273,
° 112.
Des
vergesgalement
ans e
Psautier
ilton,
°
161
(Londres,
ibrary
f the
Royal
ollege
f
Physicians).
16.Paris, ibliothèqueationale,s. at.16082,°353. ls agit un extettribué
à cette
poque
Boèce,
intitulant
e
Disciplina
colarium
O.
Weijers
d.,
Leyde,
Cologne, 976).
17. Prov.
,2.
18. Surtouti on la
compare
ux scenes e
pénitence
ans e
meme
manuscrit,
cf.
upra
note
2.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 115/163
112
C. MATTKE
Fig.
1
-
Bible,
nitiale u
livre es
Proverbes.
eaune,
Bibi.
mun.,
ms.
12,
f°
1, France,
ébutdu
xmc
siècle.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 116/163
VERGES T DISCIPLINE
113
Fig.
2
-
Bible
Moralisée,
médaillon ssocié u livre
des Proverbes.
aris,
Bibl.
Nat.,
ms. lat.
11560,
f°
40, France,Paris,
vers 1250.
Fig.
3
-
Bible,
nitale es Proverbes.
lençon,
ibl.
mun.,
ms.
54,
f°
191,
France,
nie
siècle.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 117/163
114 C.
MATTKE
chentaucunement e fils, qui est d ailleurs habillé. La figure en
revanchemontre
une
image
qui
s apparente davantage
à une scène
de correction.
Salomon tient es
verges
nettement levées dans
une
main,
alors
que
l autre
main
est
posée
sur la tête de Roboam. Ce
contact
physique
ntre
ère
et
fils emble
préfigurer
elui
que
les
verges
vont
prendre
avec l échiné dévêtue
du
fils.
Celles-ci sont
en
effet
recourbées
t
dépassent
e tracé de
l initiale,
ce
qui
leur confère
un
aspect dynamique.
Mais ce
type
de
figuration
este rare19.La
figure
1
montre e
type
d image qui
semble e
plus
universel20. e
geste
de
Salomon
met en valeur les
verges,
très droites
au-dessus de la tête
de Roboam, au centrede la composition.Aucun élémentde celle-ci
n indique
leur
emploi
actif.
La
figure
e Roboam n est
pas
touchée
il
est
penché
sur sa
lecture. Son
corps
à
moitié dénudé et les
verges
ne mettent
onc en
scène
que
la virtualité une
correction,
t non
son exécution mmédiate.
Le choix de
ce
type
de
représentation
st déterminé n
partiepar
le matériau
conographique
dont
disposent
es créateurs
d images
et
en
partie par
les
significations ue
ces derniersveulent donner à
la
figuration.
n
peut
en effet etrouveres
point
communs
qui
relient
cette
conographie,
sant de nouveau du motifdes
verges,
ux
domai-
nes
précédemment
raités,
ù ce motif ntervenait
éjà.
L auteur des
Proverbes,dans lequel la tradition toujoursvoulu reconnaître alo-
mon,
s adresse dès les
premiers
ersets
son
fils Roboam
selon la
généalogie
biblique.
Le contexte
conographique
résuppose
donc une
relation
parentale
t éducative
galement ignifiée
ans la
composition
plastique
et
iconographique
e
l image.
Cette
relation st la même
qui
unit
a Grammairemater actans
à
ses élèves et
l abbé
à
ses moines21.
19. Par
type
on ne
comprendas
ciunmodèle
ermettant
ne lassification
typologique
bsolue. es
variantese détail ntrees
mages
estentssez
mportantes.
Il
serait
éanmoinstile e chercherétablire lien ntreertains
ypes images
t
des teliers
enluminureonnus.
ais e
serait
à un
travail histoirees
tyles
t
des
productions
images
ui
dépasse
a
problématique
e cet
rticle. es
«
types
définisci ndiquentlutôtespossibilitésormellesans a compositiones nitiales.
La
répartition
uantitative
es
ypes
st
nterprétée
ommeévélatrice
une endance
iconographique,
émoine
interprétation
édiévaleesProverbestde a notion e
disciplina
20. Pour e
xme
iècle
l
est
possible
e
recenser,
ur n échantillone 68 nha-
les des
Proverbese toutes
es
origines,
5
exemples
u
type
e la
figure
où les
verges
ont
igurées
ansune
position
rès
erticale,
images
u
type
e la
figure
3
avec
a mise n
évidenceu contact
hysique,images
u
type
e a
figure
avec
une
éparation
patiale lus
u moinsffirmée.es
24 autresnitiales
résentent
es
types lus
mbigus
vec
des
verges
elativementnclinéesu au contrairebsentes.
21.
Alain e
Lille
op.
cit.,
.
394-96)
écrit ctivité aternellet nournciere
de la Grammaire
sunt
arnenn multoactis orrenteotantes
mammesubducti
mentite
amna
udoris
dum
uspirai
dhucactantisd uberamatris
nfantem
ibai
isteiquidoqueouetur.ans arèglee saint enoît,e rôle e abbé st éfiniomme
paternel
téducateur.a
signification
umot bbas
père)
st
rappelée
u début u
chapitre
ur abbé
op.
cit.,
.
59,
ap.
I,
3)
«
Ainsi
l
doit arier
a manière
agir
selon es
momentst es
circonstances,
oignant
es caressesux
menaces,
ontrant
tantôta sévéritéunmaître
ttantôta tendresseun
père (ibid.
p.
61-62,
ap.
II,
24).
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 118/163
VERGES T
DISCIPLINE
115
Comme la grammaire, remière isciplinedu curriculummédiéval, a
matière
nseignée
ans les Proverbes st destinée ux
débutants.Ainsi
le concevaient est
héologiens
médiévaux onsidérant es livres
apien-
tiaux commeune suite
ogique
où les
Proverbes,
Ecclésiaste
t
le Can-
tique
des
Cantiques
formaient n
parcours
éducatif22. e texte
des
Proverbes
ui-même, nfin,
ccorde une
place importante
ux
recom-
mandations
ui
mettent n
garde
contredes
tentations
hysiques.
La
contrainte t la maîtrise u
corps,
ndissociables e la
flagellation ue
les
verges
voquent,
e trouvent onc associées à une
image qui
semble
les
évoquer
de manière
ymbolique,
voire
emblématique23.
Quand on s interrogeurla naissancede cette conographientro-
duisant
es
Proverbes,
n constate
u auparavant
es
enlumineurs
ou-
vaient se contenter e la seule
représentation
e Salomon
affubléde
ses attributs
oyaux
et d un livre.
Si
le
personnage
du
fils s introduit
dès le
XIIe
siècle
et
transforme
image
d auteur
en
scène24,
attribut
des
verges
se
généralise
eulement
hez
les enlumineurs
rançais
du
XIIIe
iècle.
Une tentative
d explication
de ce choix
iconographique
devra tenir
compte
des lois du
genre que
sont les
Bibles enluminées
du
XIIIe
siècle,
en
grande partie d origine parisienne.
Les
changements ue
connaît
a
fabrication es
livres
notam-
ment
des
Bibles
-
avec le
développement
es écoles urbaines et la
créationde l Universitéde Paris, sont bien connus25. Si les Bibles
22.
Honorius
ugustodunensis,
uaestiones
nProverbia
t
Ecclesiasten
explique
les
bjectifs
e instruction
alomonique
InProverbiaocet
arvulum,
t
er
ariasen-
tentiasnstruit
quasi
lium.n Ecclesiasteero
amperfectae
etatis irummbuii
.
J
In Canticoanticorum
am
virum
onsummatum,
tque
n mnibust
variisxornatum
virtutibus
ponsi
omini
ostri
esu
ungit
mplexibusPL
172
ol.
311-312).
ugues
de
Saint-
ictor
ans on ommentaire
ur
Ecclésiaste
In
Proverbiisalomon
uasi
meditandoncessit.
n
Ecclesiasted
primůmradumontemplationis
scendit.n
Can-
tico anticorum
d
supremum
e transtulit
PL
175,
ol
117
B).
La
question
e savoir
si
iconographie
ssociée ces
ivres
ibliques
elève
ece
type exégèse
ériteraitne
étude
part.
23.
Il
faut oter
ue
initialee
Épître
Tite
résente
réquemment
ne om-
positionrochee celle e la figure. Unmaîtreemblebattreesvergesurun
jeune
moitié
énudé,
nefemmet saint
aul
assistentla scène. .
Eleen,
The
illustration
f
the
auline
pistles
n Frenchnd
English
ibles
f
the
Twelfth
nd
Thirteenthenturies
Oxford,982,
p.
143-144,
ig.
17
321,
xplique
ette
cono-
graphie
ar
a teneur
édagogique
e
épître.
aint aul nvite
évêque
ite accom-
plir
a mission
enseignement
is-à-visesdifférents
roupes âge
t des
catégories
sociales.
l
s agit
onc un
messagenalogue
celui e a suite es
ivres
apientiaux
(cf.
note
2)
et un motif
conographiquedentique
celui es
Proverbesontribue
l exprimer.
24. Ce sont
majoritairement
es
bibles
nglaises
Rome,
iblioteca
postolica
ati-
cana,
ms.Vat. at.
12958
,
f° 208v°
Oxford,
odleian
ibrary,
s.
Laud.Misc.
752,
° 249
v°
Paris,
ibliothèque
ainte-Geneviève,
s. -10
I,
f°
238
Cambridge,
Corpus
hristi
ollege,
s.
3-4,
I
f°. 43
Paris,
ibl.
Chambrees
Députés,
s.
2, f° 189v° Troyes,ibliothèqueunicipale,s.458 I, f°23v°,« Bible e S.Bernard
;
Lyon,
ibliothèqueunicipale,
s.410-411
,
f° 193v°
Winchester,
Cathedral
ibrary,
ible,
II,
f°
260
Paris,
ibliothèque
ationale,
s. at.
11534-35,
II,
f°
54
Durham,
athedral
ibrary,
s.
A II
1
III,
f°
4.
25. Voir
lus pécialement
.
de
Hamel,
Glossed ooks
f
theBible nd the
Origins
f
ParisBook
rade,
Woodbridge,
984.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 119/163
116
C.
MATTKE
universitaires e reçoivent as ou peu de décoration26, ne clientèle
suffisamment
isée a
cependant
ommandédes
manuscrits
lus
riche-
ment ornés
dont
il
restede nombreux
xemplaires27.
es Bibles
pos-
sèdentdes
initialeshistoriées
ccompagnant haque
livre
biblique
sui-
vant une
iconographie
elativement
téréotypée.
armi celle-ci
figure
Salomon instruisant
oboam28. Ces initiales
bibliques
illustrent
itté-
ralement
es
premiers
ersets i
elles ne font
pas
référence un
épi-
sode
plus
marquant
du livre en
question.
Pour
mieux
comprendre
a
composition
téréotypée
es initiales
des
Proverbes,
l faut
les
confronter la
structure u
prologue
de
ce livre biblique29. Celui-ci est articulé autour des deux thèmes
«
sagesse
»
et
«
discipline
. Ils forment es
objectifs
de
renseigne-
ment
proposé, assignés
comme tels
par
la
préposition
d. À
ces deux
objectifs
s associent
deux
procédés
d apprentissage,
différenciés
ar
les
formules
ntelligere
erba
et
suspicere
eruditionem Le
texte dis-
tingue
ussi deux
types
d élèves
:
adulescenti
t
parvuli.
Deux
ensei-
gnements,
istinctsmais
parallèles,
emblent insi
proposés
au
lecteur.
Le
premier
adresse
à
l intellect
t
suppose emploi
privilégié
e
paro-
les,
il
concerne
es
jeunes gens.
Le second
s adresse aux
«
petits
,
aux enfants. Les
termes hoisis dans la
Vulgate
font référence
ous
leur
acception figurée
des
notions
corporelles
suspicere «
élever
sa pensée ») sous-entend activitévisuelle, ruditio l instruction,ait
appel par
l étymologie
l action de
dégrossir30.
ux
jeunes
hommes
sont ainsi données
a
science
et
l intelligence,
ux
petits
un
savoir
plus
pratique,
astuce,
le
savoir-faire.
e
prologue
définit
ncore e
champ
d application
de
l enseignement
ntre a
sagesse
et le
gouvernement
équitable
avant
de conclure
sur
le
début
et le
principe
même de
l apprentissage
la
crainte
de Dieu.
Cette structure
arallèle
ne
semble
pas
avoir
échappé
aux
créa-
teursde
la nouvelle
conographie.
a
plupart
des
images
sont
en
effet
organisées
selon
un
croisement
mbivalent des
attributs.
alomon,
l enseignant,
êtu et
couronné,possède déjà
la
sagesse qui s exprime
26. VoirM.
Mentre,
L iconographie
esbibles niversitaires
arisiennes
u
xmc
siècle
,
dansD.
Poirion
ir.,
Milieux niversitaires
t
mentalitérbaineu
Moyen
Âge
Paris,
987,
p.
69-81
Cultures
t Civilisationédiévales
).
27. R.
Branner,
anuscript
ainting
n Paris
uring
he
Reign f
S. Louis.
A
Study f
Styles,
erkeley,
os
Angeles,
977.
28. Lesétudes
ur es llustrations
ibliques
ettentnévidencees
conographies
stéréotypéesar
des ableaux
omparant
es
ycles
llustratifsesdifférents
anuscrits,
comme
hez
R.
Branner,
p.
cit.,
u E.J.
Beer,
Liller
ibelcodices,
ournai nd
die
Scriptorien
er tadtArras
,
Aachener
unstblätter
43, 1972,
p.
190-226.
29.
Parabolae
alomonis
ilii
avid
egis
srahel ad sciendam
apientiam
t
dis-
ciplinam
ad
intelligenda
erba
rudentiae
t
suscipiendam
ruditionemoctrinae
iustitiamt udiciumtaequitatemut deturarvulisstutiadulescenticientiatintellectusaudiensapiensapientiorrit t ntelligensubernaculaossidebitani
madvertet
arabolam
t
nterpretationem
erba
apientium
t
enigmata
orum
timor
domini
rincipium
eieniae
apientiamtque
octrinam
tuli
despiciuntvv. 1-8).
30.
Par a racine
udis
grossier,
rut)
t e
préfixe
x,
rudire
ignifie
aireortir
d un tat
rut,
onc
égrossir
u faireortire
l ignorance,
onc
nstruire,
ormer.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 120/163
VERGES
T
DISCIPLINE
117
par son discoursvirtuel t se manifeste ar son pouvoirroyal,mais
il
tient
a
verge
comme
un
rappel
des
origines
ndispensables
de
sa
vertu.
Le
disciple,
qui
a encore
tout à
apprendre,
commencer
ar
l instruction
u
corps,
tient e livre
prometteur
e sa
sagesse
future.
Cette
nterprétation
eut
expliquer ourquoi
a
composition
e
ces
ima-
ges
renonce
a
plupart
du
temps
à
une mise en scène
qui
favoriserait
l interprétation
es
gestes
dans
un sens actif.
Une telle mise en scène
perturberait
ne lecture
claire du
texte et de
l image, risquerait
d esquisser
une anecdote
derrière
ne
image
qui
doit être emblémati-
que.
Mais
cela
n explique pas
encore
pourquoi
il
a été nécessaire
de
mettre accent sur les vergesdu maître t souventde montrer e dis-
ciple
à moitié
dénudé,
comme
un
pénitent,
lors
qu au
XIIe
siècle
on
se contentait
e
figurer
e
«
dialogue
»
entre
Salomon et
son
disci-
ple.
Il convientdonc
de s intéresser
un
peu plus près
à
cet
aspect
de
l enseignement
ue
les
Proverbes
ntroduisentous le
nom de
dis-
cipline
et
joignent
de manière
ndissociable au
terme de
sagesse.
Apprendre
a
Discipline
Il
convient
de noter
ci
que
le mot
disciplina
a
pu désigner
es
verges, n particulier ans le domainemonastiqueet au termed une
évolution
émantique
ontinue.Dès
le
XIIe
iècle,
ce terme
peut signi-
fier a
flagellation,
t
parfois
même instrument e
discipline
n tant
que
tel31.
Or,
ce
mot est
profondément
mbivalent.
D un
côté,
il
a
acquis
un sens
qui
concerne
plus
directement
e
corps
par
son asso-
ciation
u châtiment
unitif
e
la
flagellation.
un autre
côté,
l
garde
un sens
très
arge, qui
l associe
au
savoir
et à la
sagesse
ainsi
qu à
la vie chrétienne
déale
et aux
règles
pratiques
et
spirituelles rescri-
tes
par l Église32.
l
semble donc
possible d interpréter
e motif co-
nographique
des
verges,
notamment
ans les
images
du
xiiie
siècle,
comme a traduction igurative e cetteambivalence.Les vergesdési-
gnent
des réalitésconcrètes t
imaginaires
elles
rappellent
un
type
de
punition mplement
pratiqué
et
qualifient
elui
qui
a
le
pouvoir
de
l infliger.
Mais elles
symbolisent
ussi ce à
quoi
le châtiment oit
mener la vertu et
le savoir
auxquels
on
peut
faillirou
parvenir.
Pour
comprendre
omment ette ssimilation es
verges
u terme
disciplina
a
pu s opérer
et
préparer
insi la fortune
conographique
de
ce
motif,
l
est intéressant
e revenir ur l évolution
de
la vie intel-
lectuelle u
XIIe
siècle.
Il faut
signaler
d abord
que
la
signification
la fois
pratique
et morale
que
le motif et le
mot
ont
acquise peut
31.Du
Cange,
Glossariumvol.
ll,
p.
130.
32. L évolution
émantique
u termest
notamment
etracée
ar
H.I.
Marrou,
«
Doctrinat
disciplina
ans e
langage
es Pères e
l Église
,
Bulletinu
Cange
19, 1934,
p.
5-25.Voir ussiJ.
Leclercq,
Disciplina
dansDictionnairee
Spiri-
tualité
Paris,
957,
ol.
II,
col. 1291-1302.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 121/163
118
C.
MATTKE
être miseen parallèleavec le développement e la grammaire omme
discipline,
dont
la
personnification
associait
déjà
aux
verges.
Au
cours du
xiic
siècle
en
effet,
ette
discipline
e transforme. lle ne
vise
plus
uniquement inculquer
e maniement orrectde la
langue
latine mais inclut
de
plus
en
plus
un
enseignement thique
à
partir
des auteurs
classiques qui
formaient es manuels
de
lecture33.
Il
faut se tourner nsuitevers les
milieux
victorins
our
trouver
une réflexion
plus approfondie
sur les notions de
discipline
et de
sagesse.
L œuvre
philosophique
e
Hugues
de Saint-Victor
st
en effet
dominée
par
la notion de
sagesse34,
mais
elle
intègre
ussi un
souci
didactique mportant, ue l on découvre à traversdifférentscrits
caractère
édagogique,
notammente célèbre
Didascalicon
et le De Ins-
titutione ovitiorum
5
. Chez cet
auteur a
notion de
disciplina
nter-
vient à
plusieursreprises
pour
désigner
des attitudes tant
corpo-
relles
que
morales
-
inhérentes l éducation de tout moine et étu-
diant,
attitudes
ndispensables
la
poursuite
heureusede la voie
dans
laquelle
ceux-ci se
sont
engagés36.
Dans
le
De
Institutionen
e terme
disciplina
e
trouve
étroitement
lié
au
système
des vertus
que
le futur
religieux
doit
acquérir
et
qui
le mènerontà
la béatitude37.La
discipline requiert
des exercices
incessants38
un
chapitre
ntier
st
consacré à
sa définition t
à
son
utilité.Le textemet en évidence e caractère ssentiellementorporel
de
la
discipline.
Avant d énumérer e manièredétaillée es
façons
de
tenir
t de maîtriser
e
corps,
l auteur établit
que
l usage
de la disci-
pline,
dont
les
manifestationsont
extérieures,
orrespond
ntérieure-
ment à la vertu
de l âme39. La
discipline
est donc bien
considérée
comme un
moyen
et
non
pas
comme une
fin
mais son
acquisition
33. Cf.
P.
Delhaye,
L enseignement
e a
philosophie
oraleu
xne
iècle
,
Medievaltudies
11, 1949,
p.
27-99,
t
«
Grammaticat Ethica u
xiie
iècle»,
Recherches
e
Théologie
ncienne
t
médiévale
25, 1959,
p.
58-110.
34. Cf.
R.
Baron,
cience
t
sagesse
hez
Hugues
e Saint-Victor
Paris,
957.
35. Hugues e Saint-Victor,artde lire.DidascaliconM. Lemoined. et
trad.,
aris,
991
Id.,
De institutioneovitiorum
PL
176,
ol.
925-952.
ourun
aperçu
es
préoccupations
édagogiquesHugues,
f. es itationsommentéese ses
divers
crits
ar
P.
Sicard,
Hugues
e Saint-Victort on cole
Turnhout,991,
p.
62-73.
36. Cette
tilisationest
videmment
as
a
seule,
auteur
mploie
ussi autres
acceptions
e référant
u domaine
péculatif,
ù
il
signifie
a science
un
point
e
vue
héorique,
ar
rapport
la science
ratique
ars
-
qui
en est
application.
37. Usus nim
isciplinae
d
virtutemnimum
irigit
irtusutem
d beatitudi-
nem
erducit
extrait
u
prologue
u
traité e institutioneovitiorum
PL
176,
ol.
925
B).
38.
n
nullo
oco
disciplinam
uam
homo eserereebeat
ibid.,
ol.
927)
les
plus ages
cquièrent
eur
ertu
niquementer ongumisciplinae
xercitium
ibid.,
col.930) l auteurhercheintéresseres novices la viadisciplinaequaevosperexercitiumoni peris ucat d consummationemoniats (ibid., ol. 931A).
39.
Paulatimque
adem
irtutis
orma ar
onsuetudinem
enti
mprimitur,
uae
foris erdisciplinam
n
habitu
orporis
onservatur.
.-C.
chmitt,
a raison
es
ges-
tes
ans Occident
édiéval
Paris,
990,
p.
174-184,
ropose
ne
nalyse
e ce texte
par apport
u
système
e classificationes
gestes
laboré
ar
Hugues
e Saint-Victor.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 122/163
VERGES
T
DISCIPLINE 119
première t son maintienpermanent ont indispensables celui qui
veut aller
plus
loin dans la vie
spirituelle.
Dans un
domaine
plus
intellectuel,
e Didascalicon revient ur la
nécessité
une
vie morale comme condition ssentielle une
existence
consacrée
à
l étude40.
Le
parallèle
avec la
discipline
des
moines
est
d autant
plus
évident
que
les
qualités égrenées
ors
de la
description
de
la
discipline
e l étudiant essemblent
eaucoup
aux
vertusmonas-
tiques
même
si
elles n en
empruntent as
les termesexacts41.Cela
paraît
clairement
orsque
l auteur
revendique
a
pauvreté
pour
la vie
d étude.
Ce
type
de vertusreconnues
ui
sert
à
dénoncer es
frasques
de ses contemporains42. ugues adopte ainsi une position intermé-
diaire entre es
auteurs
monastiques, ui
décrient
a
ville et ses écoles
en les
opposant
au
cloître,
t les auteurs
spéculatifs
il
défend
néces-
sairement
a
position
d un maître
qui enseigne
à
trop
grande
proxi-
mitédes écoles urbaines
pour
condamner
elles-ci,
mais
qui
reste ssez
distant
pour
en
corriger
es défauts43.
our
Hugues
de
Saint-Victor
la
discipline
est l instrument
pirituel
de cette correction. Définie
comme
exercice es
vertus,
lle
est
la condition une vie
morale ndis-
pensable
à tout exercice
ntellectuel elle a une finalité
apientiale.
Elle
s oppose
ainsi
positivement
ce
que
le
penseur
victorin ombat
les tentations
une vie
intellectuelle
ui
subit
et accueille
trop
volon-
tiers es attraitsde la ville44.
40.
«
Trois hoses ont écessairesceux
ui
étudient
la
nature,exercice,
a
discipline
...] pour
a
discipline,
u il l étudiant)
ccordea conduitevec on avoir
en
menantne xistenceonorable
.
Hugues e
Saint-Victor,
idascalicon
op.
cit.,
p.
13,
cap. 6)
8.
41. Dans e
chapitre
2
consacré la
discipline,ugues
iteJean e
Salisbury,
prêtant
es
paroles
uivantesBernarde Chartres
«
Un
esprit
umble,
e
applica-
tion la
recherche,
ne
vie
ranquille,
ne
nvestigation
ilencieuse,
a
pauvreté,
ne
terre
trangère,
oilà e
qui,
normalement,
end ccessibleu
grand
ombre
e domaine
obscur e l étude.
(ibid.,
.
144).
Peu
après, ugues
ffirme
ue
«
le
principe
e
la disciplineonsisteans humilité(ibid., . 145).Certainesesvaleursxposées
dans ette
escriptioneuvent
tre
nterprétées
ommeesréférencesux
vœux e sta-
bilité,
humilité,
e
pauvreté
t de silence
monastiques.
42.
«
On
a voulu
ersuader
es tudiantse
pratiquer
a
pauvreté,
est-à-diree
pas
courir
près
e
superflu
cela
regarde
u
plus
haut
oint
a
discipline.
n
ventre
gras,
ce
qu on
dit,
n engendreas
a
pensée
ine.Mais
ue
ne
manqueront
as
de
répondre
cela es colierse notre
emps [...]
ls
emploientparaître
iches,
ien
au-delà e ce
qu ils
ont n réalité. hacun e
vante e ce
qu il
a
dépensé,
as
de
ce
qu il
a
appris.
Mais
peut-être
eulent-ilsout
implement
archerur es
pas
de
leurs
rofesseurs,
ont
e
ne trouveien
ui
vaille a
peine
être it.
(ibid.,
p.
153-54).
43.
P.
Delhaye,
L organisation
colaireu
xne
iècle
, Traditio,
, 1947,
pp.
211-268,
ite bondammentes
deptes
e
cesdifférentes
endances.
attitude
a
plus roche HugueseSaint-Victorst elle e Jean eSalisbury,ontepremier
s inspire
n effet.
44.
Il
faut oter
ue
a
pensée
édagogiqueHugues
e Saint-
ictor
embleer-
vir
de référence
celle
u xme
iècle.
n
peut
n
effet énombrer
1
citations
u
Didascalicontdu De Institutone
ans e
De
eruditionee Vincent
e Beau
ais,
ui
cite
ar
illeurs
opieusement
es Proverbes
t Ecclésiaste
op.
cit.,
p. 229).
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 123/163
120
CHRISTIANE
MATTKE
Alors que l on croit la correctionpédagogique violente et fré-
quente
dans
la
pratique
éducative
médiévale,
elle
n est
évoquée
dans
les
images
de
l enseignement ue
d une manière
ndirecte,
ar
le seul
attribut es
verges.
Une
allusion
plus marquée
à l action du châti-
ment est
rare.
Cette absence
d expressivité
st certes
propre
à l art
médiéval
usqu au
XIVe
iècle mais semble aussi
renvoyer
ux
concep-
tions mentales
qui permettaient appliquer
et de
supporter
e châti-
ment. Celles-ci
intègrent
a correction
t
ses
conséquences
au com-
mencement
un
parcours
pédagogique qui
débute très naturellement
avec l éducation
du
corps
et au sein
d une relation
parentale.
Cette
instructionembledominée,voire résumée ar la notion argeet ambi-
guë
de
disciplina
Par son
caractère mbivalent t
général,
ettenotion
peut
être mise
en
parallèle
avec le
symbole
des
verges qui évoquent
également
un
objet
concret
mais
signifient
ussi la
manière
et
les
méthodes
d un
enseignement.
La
notion
de
disciplina
comme e motif
conographique
des
ver-
ges
sont au-delà
de leurs
significations ermanentes ujets
à l évolu-
tion
historique.
Les
XIIe
et
XIIIe
siècles voient un intérêt enouvelé
pour
les deux : réflexion
ur
l un,
extensionde
l emploi
iconographi-
que
de l autre.
Les
changements rofonds ui
affectent
lors
les lieux
et le
système
enseignement
ont sans aucun
doute à
l origine
de
ces
transformations.ais les imagesde Salomon instruisantoboam, ico-
nographie
ont a naissance
et le
développement
nt
pu
servir exem-
ple pour
ce
changement,
envoient ussi
aux
mutations ociales
qui
pourraient
tremises
en relation
vec
cette
figuration.
es
verges
ont
aussi
le
symbole
du
pouvoir uridique
royal qui
recommence
pren-
dre de
l ampleur
sous les souverains
français
du
xme
siècle45. La
place
de la
flagellation
u sein
du
systèmeuridique
et
pénal
de l État
naissant,
comme la
valeur héréditaire es lois
et du
pouvoir royal,
ainsi
que
l intervention
e ces
valeursdans l éducation
princière
ons-
tituent
utant
de
pistes
de
recherche
exploiterpour
mieux mesurer
la
portée
de
cette
nouvelle
iconographie*.
45. P.E. Schramm,erKönig on rankreich.as Wesen erMonarchieom
9. bis
um
6.Jahrhundert
Weimar,939,
.
211,
ouligne
neffet
ue
e mot
irga
signifiait
e
sceptre
ès e couronnement
e Louis
VI
(1108).
*
Je emercie
adame
iliane
padavecchiaour
a réalisationes
squisses,
igures
2
et
3.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 124/163
Médiévales7,automne994, p.121-123
ABSTRACTS
Christian
iening,
The Rhetoric
f Loss
The fifteenth
entury
vidences,
n
a
variety
f diverse
ways,
o a
growing
interestn affectivehenomenonsnd theiriteraryndfigurativeepresen-
tations. he author as
chosen,
rom
mong
hevastnumber f laments
n
which veritable
henomenology
f
mourning
s
developped,
hree exts hich
refer
o the ameevent thedeath f Isabel of Bourbon
1465).
These
exts
throw
ight
n the
relationship
etween istorical act nd
literary
magina-
tion
as well as on the
(anthropological)
ension etween
mourning
nd
consolation.
Martine
louzot,
Suffering
o
Music
Although,n its relation o suffering,usic s generallyeputed orposses-
sing herapeutic
irtues,
everal
conographie
nd writtenources
ating
rom
the hirteentho
the
fifteenthenturiesttributeharmfulnfluence
o music.
This ambivalence as based on thecorrelation
etween he
ntensity
f suf-
fering
nd that f the onorous
uality
f
musical
nstruments,
hich n
the
Middle
Ages
were ividednto wo
great
amilies
n
accordance o the
ound
volume
hey
roduced.
onsequently
t
was
according
o their
igh
nd stri-
dent r
low and soft onoritieshat he
nstrumentsere
hought
o act on
suffering,
ither
mplifying
t or
alleviating
t.
Piroska
Zombory-Nagy,
he Tears of
Christ
n
the
Medieval
xegesis
According
o theNew
Testament,
esus
wept
hree
imes
uring
is
lifetime,
yetonly
once does the
shedding
f tears
xpress
His
suffering.
his
paper
purposes
o
examine he
xegesis elating
o
these hree
ccurrences
n
Christ s
terrestrialife
by exploring
corpus
f texts
educed o their
most
mportant
commentaries,
hichwere
widely
iffused rom
atristic
imes o the
thir-
teenth
entury.
wo
questions
rise what s
the
relationship
etween
he
uf-
fering
nd thetears f
Christ,
nd what
ignificance
id
thetears f
Christ
hold for hemanof the
Middle
Ages,
who
aspired
o
imitate im?
Despite
the
growingystematization
f
exegetic
ethods,
he
nterpretation
f the
hed-
ding
f the
ears f Christ as
changed
ittle
with ime.
The tears
were on-
sidered
y
the
commentatorss
a
sign
of
Christ s
umanity
s well
as an
expressionf His virtues. s a metaphorf suffering,he tearsof Christ
also
add to the
ffectivenessf the
Passion.The
tears nd
theblood
of Christ
have
reciprocal
oles,
hus
ffering
an the
possibility
f
sparing
uffering
by
shedding
ears.
The tears
ppear
as a
remedy
o
suffering,
ather han
as the
expression
f it.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 125/163
122 ABSTRACTS
AnneAutissier,The Blood of theFlagellants
In
1349,
o avert heBlack
Death,
penitents
alked
n
procession
hile la-
gellating
hemselveso
«
appease
thewrath f God
»,
notably
n
the
mpe-
rial countries ear
the
Marches
f thenortheastern
ingdom
f
France nd
in
Flanders.
hey
were ondemned
y
the
Church,
ho
deemed hat hefla-
gellants
ere
nvesting
heblood
they pilled
with
miraculous
ignificance.
Surprisingly,
hedocumentseft
y
the
penitents
hemselveso
not mention
this ondemnation.
et theChurch onstituteddossier f
proscription
en-
dered ffective
y
a
papal
bull
which esultedn the
disappearance
f
the
flagellant
ovement.
David
El
Kenz,
The Protestant an
of
Suffering
n
theTimes f
theWars
of
Religion
In the
ge
of
religious
pheavals, uffering
as a
recurrentheme
n
Refor-
med
pologetics.
ntoine e la Roche-Chandieu s
reatise,
ublished
oon
fter
thefirstWarof
Religion,
xpounds
discourse hich
ustifies
he
rials ndu-
red
by
Protestantsince
1557. His model s the Calvinist
martyr,
nd the
account f
giving
ne s ifefor ne s
faith,
rom rrest o
execution,
s
orga-
nized
n
correlation
o themanifestationf Christ-God. his
«
sacred hea-
tre strives
o
disqualifyoyal ustice,
o attest o the
divine
resence
t the
side ofthenewChurch,nd to legitimizehefirstebellions. hus a Refor-
med ulture f Christian
uffering
id
ndeed
xist,
whose xiswas the
divine
union
hrough
aith.
Valentin
roebner,
Violence
n
the
City
A
Few Observationsn thePer-
ception
f the
njured
ody
n
Nuremberg
t theEnd of the
Fifteenth
entury
The
paper
examines
every-day
violence
n
a
largecityduring
he
ate
Middle
Ages
and how t
was
perceived
n
the
chronicles,
unicipal
rdinan-
ces,
and
private
ontracts
ealing
with
amages
nd
compensation
these
last
having
een
heretoforeittle
nown r
explored.
he
compensations
or
injurynd homicidesepresentonsiderableums,yetneitherhe hroniclers
northe
municipal
uthoritieseemed
o consider iolence s a threat o the
city,
nd
still ess as the
symptom
f a
«
crisis
. The
perception
f
bodily
injuries
nd homicide
ases,
and the aws
regulating
hem,
all within
he
system
f
signs
representing
ocial and
political
rderwhich
distinguishes
«
just
violence rom
unjust/false
violence.
hisrule f
proceeding
esults
in
the
dissembling
f
physical
iolence nd its
consequences
ehind
rder,
and t s
only
hrough
he
momentary
isruption
aused
by
theviolent ccur-
rence tself hat
he wounded
nd
suffering
ody
becomes isible.
Beate
Schuster,
The
Representations
f Prostitution
nd its
Perception
n
the UrbanSocietyn GermanyXHIth-XVIthenturies)
The
image
of the
prostitute
n
German
ities
during
he ate Middle
Ages
was
essentiallynspired
y
ecclesiastical
radition,
hich
sed
representations
of such
women
o
exemplify
umanfate. Prostitutes ere considered
s
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 126/163
ABSTRACTS
123
« free and« poor» women eprivedfprotection,r as women educed
by
the
material
orld.Their
weakness endered
he
communityesponsible
for
heir are.
However,
t
the
end
of the
Middle
Ages,
new
mage
born
of a
morality
ndependent
f
religious
radition
revailed
the
prostitute
as
considered
s a
whore,
sing
her
power
o abuse
men. This
interpretation
reflects
new
anthropological
nd
communityonception
n the
cities,
nd
one
which
ustified
he
expulsion
nd themutilation
f womenwho
did
not
comply
with
he ethics
f urban
morality.
Patrick
oucheron,
Of
Cruelty
s
a
Principle
f Government.he
«
Ini-
quitous Princes f the talianRenaissanceeflectedntheMirror f French
Romanticism
This
paperproposes
study nterrelating
wo
subjects
the
anthropological
structure
f
the
yranny
f the
talian
rinces
t the lose f the
Middle
Ages,
and the
fascination
hey
nspired
n several
nineteenth-century
rench
wri-
ters.
tarting
ith tendhal s
orks,
he
tudy
ndeavors
o define
hecruel
energy
xerted
y
the
talian
princes,
hose vil deeds
were
onlyequal
to
their
ebauchery.
triving
olely
oward heir
wn
pleasure, yrannies
or-
ked
toward
heir wn
ruin
the dreaded
rince
was thus
prisoner
f
his
own
power.
Nor
did the
calculatingrince
f
the fifteenth
entury
ease to
be cruel
although
e cast aside
futile
urpitudes,
e stillused
cruelty
or
thegoodof theState.Whatfascinatedtendhalnd VictorHugowasthe
distant,
bhorred
ower
f the
yrants.
n this
hey
re the nheritors
f the
late
Middle-
ge
French
hinkers,
ho had
already
made
thedistinction
et-
ween
fearof
the
tyrant
nd
love of the
king.
Christiane
Mattke,
Discipline
nd
the Switch
n
the
Iconography
f
Pedagogy.
The switches
hown
n medieval
mages epicting
ducation
eem o indicate
that
orporal
unishment
as
customary.y
means f
an
iconographie
naly-
sis
of the
nitial etters
n the lluminated
hirteenth
entury
anuscripts
f
theProverbs ible, epresentingolomon eachingisson,this tudytrives
to
demonstrate
hat
he witches
ave he
mbiguousignificance
f an
object
at
once
praticai
nd
symbolic.
his
significance
inds ts
equivalent
n the
notion
f
disciplina
s elaborated
y
themedieval
edagogical
hought
rom
the
twelfth
entury
nwards.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 127/163
Médiévales7,automne994, p.125-154
NOTES
DE
LECTURE
Savon
róle,
Sermons
écrits
olitiques
t
pièces
du
procès
Textes raduits
de
l italien,
résentés
t annotés
ar
Jean-Louis ournel
et
Jean-Claude
Zancarini, Paris,Le Seuil, 1993,318p. (« LibreExamen ).
Les textes éunis ans ce volume
ont,
dans leur
quasi-totalité,
nédits
en
français.
eur raductiont eur
présentation
ont ssues es
travaux
ffec-
tués
par
le Centre e rechercheur a
pensée
politique
talienne e
l École
Normale
upérieure
e
Fontenay-Saint-Cloud,qui
Ton
doit
déjà
un
recueil
de textes e GuichardinAvertissements
olitiques
traduitst
présentésar
Jean-Louis ournel t Jean-Claude
ancarini, aris,
Le
Cerf,
1987).
La
premièreartie
u livre st
consacrée
un
choixde sermons
les pre-
mier, uitième,
reizièmet
vingt-troisième
ermonsur
Aggée p. 51-121) ue
Savonarole
prononça
n novembre-décembre494.
Depuis
l Avent
1482,
l ancien ecteur e Ferrarerêcheux Florentinst,déjà, le petitmonde eslettrésui se presse la courde Laurent e Magnifiquea affublé u sobri-
quet
de
predicatore
ei
disperati.
ar la
rhétorique
e ses
sermons
gnore
les
catégories
abituelleses
prédicateurs
Savonarole utilise i
es raffine-
ments
colastiques
e la
prédication
ominicaine,
i
les
anecdotes
e
celle
des franciscainssa
parole
fiévreusest
tout entière endue ers on
but,
émouvoir
on
auditoire,
est-à-direébranlermoralement
our
e mettre
n
mouvement. où le
recours,
e
plus
en
plus
affirmé
partir
e
1494,
la
prophétie
omme
rme
olitique,ui
fait e
Savonarole
interprète
es
signes
de
Dieu et le
messager
e ses desseins.
Cette nnée
1494
voit a rencontrentre ne
parole
t un
moment. ierre
de
Médicis,
ncapable
e
réagir
l avancée es armées
rançaises,
st chassé
de la ville. La vacancedu pouvoiraisse es Florentinsésemparés,ant l
est
vrai
que
la
seigneurie
édicéenne,
yant
touffé outevelléité
e débat
politique,
vait
réussi rendre
mpensable
alternative
nstitutionnelle.evant
la montée es
périls,
avonarole
ropose
a
prédication
ésangoissante,
nnon-
çant
ue
Florence st a nouvelle érusalem.
urtout,
l
ouvre e débat
politi-
que,
en
appelant
e ses vœux une
triple
éformation,
es
comportements,
de
l Église
t de l État. Le choix
udicieux
es sermons
roposés
ans e livre
permet
u lecteur e
suivre
es
glissements
un
ordre e réalité
un autre.
La réformees mœurs oit
œuvrer la concorde t
à
la
communion,
t ne
devient
ossible ue
si elleest
relayée ar
une réformee
l Église.
Cela
signi-
fie,
pour
e
prieur
e San
Marco,
ppuyer
n
premier
ieu es
aspirations
e
son
ordre,
utorisé
ar
un
bref
apal
de mai
1493
se
séparer
e la
congré-
gation ombarde.Mais, à partir e San Marco,c est ensemble e l Église
qui
doit être
flagellée
,
sans
que
l on
puisse
rouver hez
Savonarole a
moindre
éviance is-à-vis e
l orthodoxie
octrinale.
nfin,
e
renouvelle-
ment
ndividuel
t
communautairee
la citédoit
rencontrer
ne
traduction
politique
t
nstitutionnelle,t,
pour
a
première
ois
e
7
décembre
494,
avo-
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 128/163
126
NOTES
DE
LECTURE
narole voque e modèle énitienu GrandConseil ommeolution la crise.
La
proposition
st certes
nédite,
maiselle s inscritn
pleine
ontinuité
vec
la traditionommunale
ui
domine lors toutes es réflexions
olitiques,
t
elle
permet
u fond
e
maintienu
pouvoir
e
l oligarchie
lorentine.
Les écrits
politiques
e Savonaroleformenta
deuxième
artie
de
l ouvrage.
efusant e faire dhérer
lorence
la
Ligue nti-française,
rère
Jérôme est attiré
opposition
es
Arrabbiati
ces
«
Enragés
frustrés
e
vengeance.
accélération
e l histoire échire
illusion e concorde
ue
la
parole
du
prédicateur
vait un
temps
ntretenue. la
fin
de l année
1495,
Savonarole sous le
coup
de
l interdiction
ontificale
n a
plus
e droit
de
prêcher
d où le recours
l écrit,
ui
lui
permet
e
poursuivre
on
effort
propagandiste.est d abord a lettre un ami où Savonarole e défenddes accusationsont l fait
objet
l hérésie,
e
schisme,
a fausse
rédica-
tion,
e
gouvernement
e la
plèbe
pp. 125-138).
Mais
au-delà
e
ce
plaidoyer,
le texte
ose
une
question
une
portée
lusgénérale que
faire
e ses enne-
mis La
réponse
st d une
mplacable igueur.
eux
qui
ne se
plient
as
à
la
vérité ne sont
pas
dignes
e
vivre ur
terre
.
La
radicalisationu dis-
cours avonarolien
e lit
également
ans e
Traité e
frère
érôme e
Ferrare
sur
a
façon
de
régir
t de
gouverner
a
citéde
Florence
composé
u début
de l année
1498
pp. 139-182).
omme on
titre
indique,
e
texte e
Savo-
narole e
prétend as
faire a
théorie u
gouvernement
déal,
t encore
moins
de la théocratie es
prêtres.
l
s agit
«
non d écrire
ur es
gouvernements
des
royaumes
t cités n
generali
mais de traiter
n
particulier
u
nouveau
gouvernemente la citéde Florence (p. 139).C estbiencette iséeparti-
culière
ui
fait out intérêt
un
texte,
éférant
onstamment
a forme
oli-
tique
de
la
cité
le
Grand
Conseil,
u il
faut
défendreontre
es
ennemis)
à son
histoire,
es alliances t ses fractures.
où
la
composition
u traité
en
trois
emps quel
est le
meilleur
ouvernement
Quel
est le
pire c est
évidemmenta
tyrannie,
ont avonarole
ropose
ne
remarquable
héorisa-
tion)
Quels
sont es
moyens
éviter e
pire
La troisièmet dernière
artie
u
livre,
ui
est sans
doute a
plus
atten-
due,
propose
ne reconstitutiones
pièces
du
procès
de Savonarole
avril
1498.Ces
textes,
ubliés
mmédiatement
ar
es ennemis
u
frère,
ont vi-
demment
estinés déconsidérera mémoire.
avonarole e renie ien e ses
choix
politiques
mais l ne
peutempêcher
es
juges
de mener
interroga-
toire ur e terraines luttes e faction,entant e le faire asserpourun
chefde
parti.
La
question
e
l inspiration
ivine,
ue
Savonarole
evendi-
que,
avant
abjurer
ous a
torture,
ourrit
es
passages
es
pluspathétiques.
Car,
perçant
a
gangue
es falsificationse la
procédure
udiciaire,
estbien
la voix d un homme
aincu,
risé
par
les souffrances ais sûr de sa
mis-
sion,
qui
se faitentendre
usqu à
nous.
Le choix
des textes t
l appareil ritique ui
les éclaire nt
d abord e
grand
mérite e
replacer
e moment avonarolien ans l histoire lorentine
de la
fin
u
Quattrocento.
ne ntroduction
récise
t
dense,
n solide
ppareil
de
notes
t d utiles
nnexes
chronologies,
ises u
pointhistoriques,
is-
toire es textes
t de leurs
nterprétations,p. 259-309)
esituentfficacement
la
pensée
t action
e Savonarole ansson contexte
istorique.
i le tableau
des nstitutionslorentineseut embler ien lassique, n apprécieespages
fort clairantes
ur La Florence e Savonarole
(pp. 286-296) ui
définissent
une
géographie
rbaine es adhésions t des résistances
la
parole
de frère
Jérôme. n
y distingue
es lieux avonaroliens
Orsanmichele,
an
Lorenzo,
San
Marco),
les lieux
d opposition
la réforme
Santa
Maria
Novella,
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 129/163
NOTES
DE
LECTURE
127
SantaCroce) t es ieuxdisputésSantaMaria delFiore, e palaisde la Sei-
gneurie).
ans doute urait-on
u
y ajouter,
ans une
synthèse
artographi-
que,
les itinéraires
rocessionnels
es
fanciulli
el
frate qui
ont tant
ontri-
bué à
la
«
légende
oire
de
Savonarole,
mais dont es
travaux e Richard
Trexler nt montré
u ils
s inséraientans la continuitée la
«
révolution
rituelle
de la
fin
du
xve
iècle,
aisant
articiper
emmest
enfants des
processionsyant
a villeentière
our
théâtre. e ce
point
de vue comme
de bien
d autres,
a
pensée
t l actionde Savonarole
inscrivent
ans
rup-
ture
majeure
ans les
aspirations
t les
angoisses
e son
temps,
ontraire-
ment
ce
qu une
tenace
radition
istoriographique
éritée e Burckhardt
continue
faire
roire.
Si les auteurs u volume éussissent éclairer rès ûrementes textesde frère érôme
ar
e contexte
istorique
mmédiat e leur
production,
eur
ambition
st usside
mieux éfinire
«
momentavonarolien dans e mou-
vement
lus
arge
de
la
pensée olitique
talienne u
xive
u
xvic
iècle.
La
publication
e ce volume ans
a collection Libre xamen dità elle seule
cette
volonté.
Bien oin d une tentative
e réhabilitation
les
auteursmon-
trent ort ucidement
ombienes
interprétations
ontradictoirese l aventure
de Savonarole
oivent ux
préoccupationsolitiques
e ceux
qui
les énon-
cent),
l
s agit
au
fondde mieux
omprendre
n
quoi
la
pensée
avonaro-
lienne
pu
contribuer,
aradoxalement,
fonder ne forme e rationalité
politique.
a
portée énérale
e cette
ensée
st définie ès l introduction
«...
par
cette istinction
u
temps
e l homme t du
temps
e
Dieu,
l
incite
la réflexionolitique prendren compte articulatione la conjoncture
et de
la
réforme,
u
présent
t
de l avenir
(p. 42).
Cette
xigence
e litdans
tous es
textes
roposés
notre
éflexion,
es
premiers
ermons
e
1494
ux
réponses
u
procès
de
1498,
t faitdu
gouvernement
élément ssentiel e
la définition
e
l État. Mais la réflexion
ur es fins ute ur u moins rois
pierres
achoppement
la
question
u
chef, abord,
amais
otalementéso-
lue dans
e discours
avonarolienla
question
e l état
d urgence
nsuite,
ui
demeure lle
aussi ouverte
cellede
la violence
nfin,
roprementmpensa-
ble
pour
e
prieur
e San
Marco. Dans ces brèches
iendront
engouffrer
Machiavel
t
Guichardin,
t tousceux
qui,
en
Italieou
ailleurs,
pprofondi-
ront
a
question
e
la raison
d État.
PatrickBoucheron
Éducation
apprentissages,
nitiationu
MoyenÂge
Les Cahiers u
CRISIMA
(Centre
e Recherche
nterdisciplinaire
ur a Société t
Imaginaire
u
Moyen
Age),
Actes u
premierolloque
nternationale
Montpellier,
niversitéaul-
Valéry,
ovembre
991,
Montpellier,
ovembre
993,
2
vol.,
527
p.
Ces
actes
regroupent
rente-deux ontributions
entrées sur les
xne-xve
iècles
un
article eulement
ortant
ur e Haut
MoyenÂge)
et sur
le domaine rançaisvingt-cinqontributions).eur ecturenvite s interro-
ger
ur a
significationrécise
es trois ermes
ui
figurent
ans e titre u
colloque.
En
suivantMarie- nne Polo de
Beaulieu,
on
peut
dire
que
«
Apprentissage,
nitiation,
ducation renvoient
à un
mode
particulier
e
transmissione connaissancest
d expériences (p. 397).
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 130/163
128
NOTES
DE LECTURE
L'apprentissageraduit es modesde transmissione connaissancesu
de
savoir-faire,
l'intérieur
'un
groupe,
'un
métier,
des fins ssentielle-
ment
rofessionnelles.
our ce
qui
concernees métiers
manuels
,
cette
notion
st
llustrée
ar
a contribution
e
Philippe
ernardi
pp. 69-79),
ui
se
penche
ur
des contrats
'apprentissage
t de
louage
passés
de 1401
1550
à
Aix-en-Provence
ans les métiers u
bâtiment,
t
par
celle de
Françoise
Michaud-Fréjavillepp. 297-308) ui
s'intéresse,
our
a ville
d'Orléans u
xvc
iècle,
l'apport
rofessionnelue
les
maîtres
ispensent
ux
orphelins
qu'ils
accueillent.
Un
des intérêts e ce
colloque
été de
proposer
es
réflexions
ur
a
notion
d'apprentissage
n dehors du monde
artisanal
Georges
Jehel
(pp. 173-190)tudie, ourGênes la finduMoyenÂge, a transmissionesconnaissances
uridiques,
es
techniques
inancièrestcommerciales.
égine
Lé
Jan-Hennebicquepp. 213-232) nalyse
es
trois
iliers
e
l'éducation
mili-
tairedu
jeune
noble
l'équitation,
a
chasse t le maniement
es
armes)
u
Haut
MoyenÂge. SergeLusignanpp. 249-262)
tudie
ommentes savoirs
juridiques
t les
arts
épistolaires
e
transmettentu sein
de
la
chancellerie
royale
rançaise.
laudeThomasset
pp.
513-524)
montre,
partir
u Lilium
medicinae
1305-1311)
e Bernard e
Gordon,
ombien e médecin
montpel-
liérain su être
un
grandpédagogue
is-à-vis es
praticiens
uxquels
l
s'adresse,
n utilisant la
"Question
isputée"
omme
lément 'une straté-
giedidactique
n
angue ulgaire
.
Annette ossut
pp. 95-107)
tudie,
partir
de la
législation
ranciscaine
t des
biographies
fficiellese saint
François,
les transmissionse la conceptione la pauvreté l'intérieure l'ordre es
frèresmineurs.
Si
l'apprentissage
envoie ce
qui
touche de
près
ou de
loin aux
«
métiers
et,
par conséquent,
ntéresse
'abord es
historiens,
'initiation
la
faveur
es littéraireselle est le
propre
u
héros
de romandes xiic
et
xnie
iècles
qui
l'on révèle ne
connaissanceu une
pratique
articulière.
BegoñaAguirianopp.
9-22), 'appuyant
ssentiellementurdes
théoriesla-
borées
par
Mircéa
Eliade, dévoile,
ans es romans e
Chrétien e
Troyes,
des
images
de
la
«
mort-naissance
nitiatique
. Dans
certains
pisodes
de
Chrétien,
a mort
ymbolique
l'enfermement,
a
folie u
l'oubli)
n'est
amais
une
fin
maisun
passage,
ne naissance une vie nouvelle. e héros
st lors
comme n être
fœtal,
n train e
naître u
nouveau-né,
'où
la
multitude
d'imagese rapportantces« moments : le héros stenferméans« l'uté-
rus
tellurique
(un
bois,
un
cimetière,
ne tour
de
pierre)
ù
il
existe ou-
jours
une ouverture
ui permet
a
nutritiont une
«
accoucheuse
qui
per-
met a
«
renaissance du héros.Cette
nitiation-passage
st
également
tu-
diée
par
CarolineCazanave
pp. 109-128) ui
se
demande i la Chanson
ďEsclar
monde,
ui
se veutune suite e Huon de Bordeaux
peut
tre
uali-
fiée
d'initiatique.
ertes,
omme
a
légende
e saint
Brandan,
laquelle
e
récit
mprunte
eaucoup,
e héros
reçoit
ne série
d'épreuves
nvoyées ar
Dieu
perigrinatio
aritime
erveilleuse,
encontresnsolites
vec
Judas,
aïn
ou
avec des
anges,
ccès
au Paradis
errestre).
ais,
contrairementBran-
dan,
Huon est
un être
passif, ui
subit 'action
plus qu'il
ne la
provoque,
ayant
peu
conscience
es événements.ussi CarolineCazanave
pense-t-elle
que ce récit, refféur un schémanitiatique,ache un conteféérique,ne
«
littératuree
voyage qui
cherche vant out divertir.
omme n
peut
le constatervec cette
ontribution,
n
littérature,
a réflexionur 'initiation
nourrit
galement
'interrogation
ur le
«
genre
. Pour Isabel de
Riquer
(pp. 481-494)
'initiationst aussi très
présente
ans es
cantigas
a romaria
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 131/163
NOTES
DE
LECTURE
129
ibériques,extes ui non seulementisente voyage pirituelu'accomplis-
sent es femmes
n se rendant
u
pèlerinage
ocal,
mais
ont
galement,mpli-
citement,
ne
nvitationu
voyage
moureux
t
une
nitiatione la femme
à l'amour.
Comme
e
rappelle
harlesRidoux
pp. 469-479),
'initiation
st
donc
bien,
vant
out,
l'ouverture une
Connaissance
(p. 470),
elle
est
du domaine
pirituel.
e dernieruteur echerche
a
signification
es éléments
initiatiquesrésents
ans le
Lancelot n
prose
et dans la
Queste
del saint
Graal.
Contrairement
Lancelot,
es enfances e Galaad sontoccultées t
les aventures
nitiatiquesu'il
rencontreans
sa
quête
ne sont
amais
des
épreuves.
alaad
a
déjà
accès
aux valeurs
pirituelles.
l est
déjà
initié t ne
fait,
u coursde son
voyage, u'approfondir
es connaissances
u
mystère
du Graal,alorsque Lancelotdoit es acquérir.Le troisième
oncept,
'éducation,
ffree
plus
de
contributions,
ertai-
nement
arcequ'il s'agit
d'une
notion
lus arge, ui englobe
ussi 'ensei-
gnement,
'instruction
rofane
u
religieuse.
icheline e Combarieu u Gres
(p. 138),
Françoise
ichaud-Fréjavillep. 303)
et
Marie-Françoise
otz
p. 348)
nous
rappellent
'étymologie
u verbe ducere
«
conduire ors
de ». En ce
sens,
pour
Micheline
e Combarieu
u
Gres
pp. 129-153),
a mère
e Perce-
val,
qui
cherche
«
garder
son
fils,
n'éduquepas.
Au sortir u manoir
maternel,
elui-ci
st
un êtrenon
socialisé,
ui
souffre,
omme ous
e
rap-
pelle
Jean-Marc
astré
pp.
359-368)
our
e
Parzival
e Wolfram
onEschen-
bach,
d'une
triple
arence ducative
la
femme,
es
armes t Dieu. Par con-
tre,
a Dame du
lac ou
la Dame
des Belles
Cousines
étudiée
ar
Marie-
Françoise otz,pp.347-358) onnent,espectivement,Lancelot t au petit
Jehan
e
Saintré,
ne éducation
hevaleresque
rès
oignée ui
va leur
per-
mettre
ne
intégration
éussie
u monde
dulte.
Yves
Ferroul
pp.
155-164)
st e seul
auteur nous
rappeler ue
l'édu-
cation
asse également
ar
'amour
t la
vigilance
'une
mère
u
d'un
père,
condition
ndispensable
la structuration
'une
personnalité
apable
de se
conduire
er
se dans
e
monde,
'est-à-dire,
'être bien
éduquée
. Le cas
de
Guibert e
Nogent
st
exemplaire.
n
ne
peut
devenirdulte
u'en
vivant
et en
décidant
es
«
renoncements
écessaires
(je
reprends
ci le titre e
l'ouvrage
e
Judith
iorst,
ecessary
osses
1986).
Yves
Ferroul,
ans une
des
meilleures
ontributions
u
recueil,
montre
ue
Guibert 'est
amais
par-
venu à
une
vraiematuration
ar
les
«
passages (naissance,
ndépendance
alimentaire,inde l'oppressionaternelleu de celledumaître)ui onttou-
jours
été
mposés.
es libérations
uccessives,
ui
«
éduquent
en nous fai-
sant
passer
ar
a
perte
t e deuil
pour
nous
permettre
'investir
nouveau
la suite
e notre
ie,
ont
manqué
Guibert
our
devenir
dulte.
inalement,
éduquer
n
enfant'est
e tuer
C'est fairemourir
n ui ce
qu'il y
a d'enfant
en
l'extirpant
e son
état
pour
en
faire
n
adulte.
Une éducation
ienréus-
sie est
une mort
cceptée.
Comme
n devait
'y
attendre,
ne
grande
lace
est
faite,
ans
ces
actes,
aux traités
idactiques
t aux
exempla
DanièleAlexandre-Bidon
pp. 23-24)
étudie
'emploi
es
proverbes
ans
des livres ducatifs
u
xve
iècle
abécé-
daires,
raités e
pédagogie,
Miroirs
ux
princes,
ivres
'Heures) ui
fonc-
tionnent
comme
une
«
parole
d'autorité
. Danielle
Régnier-Bohler(pp. 449-467) e penche urce « père nseignantqu'est e Chevalier e la
Tour
Landry
Livre
our
'enseignement
e ses
filles
crit
n
1372)
t mon-
tre 'habileté
vec
aquelle
e Chevalier
ntègre
es
exempla
son discours
n
les
personnalisant.
arie-
nne Polo de Beaulieu
pp. 397-410)
nalyse
es
exempla
onsacrésux devoirs
iliaux ans
a Scala coelide Jean
Gobi
com-
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 132/163
130
NOTES
DE
LECTURE
poséedans es années1324-1330),ourmontrerue ces histoiresdifiantes
transmettent
lusieurs
iveaux e connaissances
l'autorité,
es
leçons
t
le
récit
ui-même
onctionnantomme
un véritable bécédaire e la foi».
Christiane
aynaud pp.
429-447)
it es
images
'un
manuscrit
e la
fin
du
xivc
iècle,
omportant'enseignement
es
princes
e
Guillaume
eyraut
t
Le
Livredu Gouvernement
es
Princes e Gillesde
Rome,
pour
nous mon-
trer
toute
r
mportance
onnée
au
maître,
alors
que
Michel Moulis
(pp.
333-346)
tudie
es
moyens édagogiques
tilisés
ans
e
Dialogue
e
Pla-
cide
et Timeo
deuxième
moitié u
xnie
iècle) exempla symbolisme,
llé-
gorie, tymologies,
enre dialogue
et
langue
ernaculaire. arie-Thérèse
Lorcin,
uant
elle,
s'intéresseux conseils
ue
les
pédagoguesle
Cheva-
lierde la TourLandryt 'auteur uMénagier e Paris à la finduxivc iè-
cle)
distillentux
jeunes
femmes
our
en fairedes
épouses
modèles.Cette
intention
idactique
e retrouveans es romans atins e la
fin
du
xiic
iè-
cle,
comme
e
signaleMary
ène
Possamaï-Perez
pp. 411-428),
n étudiante
De
Nugis
Curialium
e
Gautier
Map
et
Y
Alexandréidee
Gautier e Châtil-
lon
qui
abondent
n conseils ur
a
manière e bien
éduquer
es enfants.
L'éducationmédiévale
end,
ien
entendu,
ers
un but ultime
«
faire-
croire
. Cette ransmission'un
message
hrétien
mprunte
es
canaux rès
divers
GuyBorgnet
pp.
81-93),
n étudianta
Passion
ď
Alsfeldreprésen-
tée
pour
a
première
ois en
1501),
nous
rappelle 'importance
u théâtre.
À
l'automne u
MoyenÂge,
cette assion
pour
butde
faire
eur
u
chré-
tien,
de
lui
démontrer
ue
sans une
introspection
ndividuellet
en dehors
de l'Église,pointde salut FrançoiseRobin pp.495-512), n étudiante
thème
conographique
'Anne t de la
Vierge
ducatricesu
XVe
iècle t
Yve-
line
Fumât
pp.
165-172),
n
analysant
eluide la
Vierge
l'Enfant
ans es
derniersiècles
médiévaux,
nsistentur
'image
omme
upport
édagogique
entre
es mainsde
l'Église.
Le
message
hrétien la
fin
du
MoyenAge,
en
France,
lors
que
s'affirme
a
monarchie,
st difficile isoler 'un
message
«
royal
,
les deux
se
superposant,
ant
et si
bien
que
Hervé Martin
(pp. 263-273)
ousdittoute a difficulté
déceler,
ans es sermons es
pré-
dicateurs
u
règne
e
Charles
I,
ce
qu'il
y
a de
religieux
t ce
qu'il y
a
de
politique,
iscours
ui
cherche formerutant es fidèles
ue
des
sujets.
Le
jeune
à
éduquer,
our
es
littéraires,
'est surtoute
jeune
chevalier
qui conjugue
a démesure Cristina
lvares t
Américo
iogo
(pp. 45-58),
étudientes relationsui se nouent ntre e jeunevassal, a femme u sei-
gneur
t le suzerain
t affirment
ue
la
fin'amors ossède
n rôle
pédagogi-
que
essentiel,
ui apprend
a modérationux
«
jeunes
. La femme st un
instrument
édagogique
ntre es mainsdu
seigneur
ui
cherche testera
capacité
u
eune
à
maîtriseron désir exuel.
Ce
jeu
interactifn
triangle
nous
plonge
n
paysœdipien
le
eune
admire
'époux
de la
dame,
omme
un
père uquel
l
s'identifie,
t doit
respecter
a femmenterdite
ui
l'édu-
que
comme ne
mère.Cette
éducation-apprentissage
aide à renforceres
liens
assaliques
t e
pouvoir
u
seigneur,
articipant
la défense e l'ordre
établi.
AlainLabbé
pp.
191-210)
tudie
'image
mbivalente
u
eune
cheva-
lier
dans Gir rt de
Roussiion
«
protecteur
protéger
e lui-même
t
des
péchés quoi
'expose
a
latente émesure
(p. 194),personnage
mbigu
ar,
parsa fonction,l estgarant e l'ordre,maispar son âge, il menace ans
cessede
transgresser
etordre. ans ce milieu
hevaleresque,
es
moyens éda-
gogiques
e
manquent as
:
Joseph
Morsel,
ans une
trèsbelle ontribution
(pp.
309-33
,
étudie
e rôle du tournoi ans e sud de
l'Allemagne
la fin
du
Moyen
Age,
véritable
ièce
maîtresse u
modèle
hevaleresque.
e
for-
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 133/163
NOTES
DE
LECTURE 131
midable utilpédagogiquest ci« un moded éducation e la société oliti-
que
». Il
éduque
a
noblesse,
es
princes
t les
citadins,
a
première
n défi-
nissant vec
précision
n code de valeurs
t un
déal,
es seconds n leurfai-
sant
omprendre
u ils appartiennent
la noblesse t
qu ils
ne sont
pas
au-
dessus
elle,
es troisièmesn eur
ignifiant
eur xclusione ce
eu-instrument
de
reproduction
e
la noblesse llemande.
L intérêt e ce
colloque
donc
été de montrera
diversité,
on seule-
ment
es
supports,
es
nstruments
t des méthodes
édagogiques,
ais
ga-
lement
e la nature
t des motivations
es émetteurst des
récepteurs
u
discours
édagogique.
l me
paraît
ussi tout
fait ntéressantavoir
privi-
légié,
onsciemment
u
non,
a transmission
e connaissancesn dehors
u
cadre scolaire (unpeumieux onnudesmédiévistes),avoir clairé esvecteurs buissonniers
(la
mère,
a
langue
vernaculaire,
image,
e théâ-
tre)
ui
sont
ongtemps
estés
ans ombre
t
qui,
en cette
inde
xxc
iècle
(qu on pense
la récente
eligion
e ma mère ous
a direction
e JeanDelu-
meau, Paris, Cerf,
1992)
trouvent
es historiens.
On
regrettera
outefois,
e classement
es articles
ar
ordre
lphabétique
des auteurs
un
regroupement
ar
thème urait té
sans
doute
plus udicieux),
trois ontributions
la
limite u
sujet dont
une sur
es
modistes,
ourtant
tout
fait
passionnante),
absence
étude
ur éducation
es saints t
plus
généralement
e l utilisation
e
l hagiographie,
t e
peu
d informations
ppor-
tées
sur éducation
es
filles.
Malgré
es dernières
emarques,
es rencontres
nt été d une
extrême
richesse,omme ontétécelles ui ontporté ur« Conformitéstdéviances
au
MoyenÂge
»,
en novembre
993
deuxième
olloque
du
CRISIMA)
et
comme
e
seront,
ouhaitons-le,
elles
ui
se
tiendront,
oujours
Montpel-
lier,
n novembre
995 t
qui
seront onsacrées
«
Félonie,
rahison,
enie-
ments u
MoyenÂge
».
Didier
Lett
Neithard
ulst,
Die
französischen
eneralstände
on 1468 und 1484
Pro-
sopographischentersuchungenu denDelegiertenSigmaringen,anThor-
becke
Verlag,
992,
95
p. (Beihefte
er
Francia,
herausgegeben
om Deut-
schen
Historischen
nstitut
aris,
Band
26).
Voici
un
livre
ui
renouvelle
onsidérablement
histoire es
assemblées
représentatives
n
France. a méditation
ur échec
des états
énéraux
ran-
çais
mis en
parallèle
vec
la fortune
istorique
u
parlement
nglais
n a
longtemps
ormé âme.
Neithard
ulst,
on
ans
vaillance,
choisi e
changer
ce
point
de vue rebattu
n se
plaçant
u
côté des acteurs t
en
appliquant
systématiquement
leur tude
es méthodes
e la
prosopographie
ont
l
est
devenu
un des meilleurs
pécialistes.
Il
a
exploité
outes es ressources
une
bibliographie
peu près
xhaus-
tive, ouillé,utrees fonds esArchivest de la Bibliothèqueationale,lus
de
soixante-cinq
utres,
ant
départementaux
ue
communaux
urtout,
our
présenter
n
détail e
personnel
es
deux ssemblées
états
énéraux
éunies
à
Tours,
une
par
Louis
XI
en avril
1468,
autre,
plus
célèbre,
u lende-
mainde sa
mort,
n
janvier-mars
484.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 134/163
132
NOTES
DE
LECTURE
De ce fait,Pessentiel u volume st formé ar la centaine e notices
qui
formentes
deux
chapitres
entraux.
fin
de faciliteres
comparaisons,
toutes es bonnes illes
onvoquées
n
1468
nt
étécitées
après
état
dressé
par
JeanLe
Prévost,
e
greffier
es
états,
bien
que
les
informationsan-
quent
otalement
ourplus
de la
moitié
entre
lles la liste
des
grands
ei-
gneurs
t
prélats, onvoqués ersonnellement
lors elon
usage
raditionnel,
est
ointe
n
appendice.
ans ces notices outes
opieuses,
on trouve
our
chaque
circonscription
a
procédure
lectorale éellement
uivie t
pour
cha-
que député
a
position
ociale t ses attaches amiliales. es
détails
iquants
ne
manquentas
voici n 1484 e
chanoine
uy
Petit,
éputé
u
clergé our
la
sénéchaussée
Anjou,
mis en
prison our
dette ès
son arrivée
Tours
ou encorea délégationOrléansuipréfèremenera provisione vinplutôt
que
de se fier ux crus de Touraine.
L ouvrage
vec ses
annexes,
on index t ses
trente
ièces
ustificatives
est donc un outilde référence
récieux
t
une minede
documentation
our
l histoireociale.Mais
il
y
a
plus.
N. Bulst
enchâssé ette
rosopographie
si
largement
onçue
ntre ne
ntroductiont une
conclusion
galementmpor-
tantes.
l
y
fait e
point
ur
a
conjoncture
es deux
ssemblées,
ur es
pro-
cédures
lectorales
tilisées,
ur a
rémunérationes
députés,
ur es
réseaux
familiauxt
politiques
ui
les
unissent,
nfin ur a
portée
istorique
es deux
assemblées.
On retiendra
articulièrement
ans es
deuxcas la
parfaite
omogénéité
sociale
des
délégations,
ant n 1468
qu en 1484,
élues
pourtant
elon des
modalitésifférentes,napparenceumoins.Cesdéputésppartiennentous
au milieu
es
oligarchies
e bonnes illes ù se
retrouvent
vec
quelques
ares
marchands,
es hommes e
loi,
des officiers
oyaux
t des
chanoines
ra-
dués des
universités,
nis
entre
ux,
et
aussi,
bien souvent
n ce
qui
con-
cerne
474,
vec es
députés
lus de la noblesse
moyenne,ar
eurs
ttaches
territoriales,
eurs iens
de
parenté
t eurs
ntérêtsommuns.
e
changement
de
procédure
lectoralen
1484,
manœuvreabile t
réussie es
Beaujeu
pour
neutraliseres clientèles es
princes,
eurs
nnemis,
enforcencore a
pré-
sencedes officiers
oyaux
t donc
aussi
a
tendance
ommune.
u
coup
es
étatsde 1468
n apparaissent
lus
comme ne
simple
hambre
enregistre-
ment
i
ceuxde
1484
omme e
naufrage
une
expérience
arlementaire.
e
comportementolitique
e
tous es
hommes,
lercs t
aïcs,
stdicté
ar
atta-
chementu ils portentgalementl unité uroyaumessurée ar a monar-
chie,
u roi
qui
ls s en
remettent
our
n faire a
réformationt
à
la
défense
des ntérêts
articuliers
e leurs
ropres ays.
l
reste
ue, pour
ux
comme
pour
es théoriciens
e la
monarchie,
es
deux
ssemblées,
t
surtoutellede
1484,
restèrentne
référence,
ixant
our
des
siècles out la fois
une
pro-
cédure tilisable
t une
traditionnstitutionnelle.ans la
mémoire omme
dans
e
droit,
es états
généraux
éunis
ar
le roi
restèrent
résents
omme
la
suprême
oie
de recours n
temps
e crise.
Parfaitement
dité,
mise
part
une fâcheuse
aute
impressionui
gâte
la listedes
convoqués
titre
ersonnel
n
1468,
e livredu
professeur
e
l universitée Bielefeld
mérite
randement
e
figurer
ans toutes os biblio-
thèques.
on ne
peutque
se félicitere voirune
telle ontributionl his-
toire rançaise, comprisa plus ocale,donnée arun historienllemand.
Quand
verra-t-on
emblable
ravail ait
par
un
français
ur e
Reichstag
u
sur
quelques
Landtage
médiévaux
Bernard
hevalier
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 135/163
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134
NOTES
DE
LECTURE
mitán u xive iècle ur a vie culinairetgastronomiqueesnantis e cette
époque.
A.
Grieco,
onfrontantes
comptes
e la Mensa della
Signoria
e
Florence
ux traités
ulinairestaliens
ontemporains,
n conclut
ue
selon
toute
vraisemblance
es recettescrites u
xivc
iècle
orrespondaient
ien
une
véritable
ratique
ristocratique.
.
Laurioux,
e son
côté,
explore
ne
ordonnance
rise ar
e
Dauphin
Humbert
I
du
Viennois
ors
de son
règne
(1333-1349), églementant
e service es
repas
de sa cour
pour
une semaine
et
proposant
ne
érie e menus
révisionnels.
analyse
e ce
documentévèle
que
la différenciationociale
exprimait
ansun véritable
ystème
e valeurs
des aliments
ont e code subtil taitdéchiffré
ar
es
participants
dans e
tableau
ue propose
B.L.
en fin
d article,
haque
aliment,
haque type
de
préparationstmarqué unsigne lusou moins ositifn fonction u sta-tut ocialde sondestinaire.n retrouveà l échelle es aliments ise n évi-
dence
par
A. Griecodans sa
thèse2,
e
chaponreprésentant
ci le
meilleur
du
meilleur,
amais
servi ux
catégories
es
mangeurs
es
plus
basses,
andis
que
le
fromageccupe
a
position pposée.
Les
types
e
plats
ont
ux aussi
révélateursu statut ocial des convives. i le
potage
st commun
tous,
il
contient
lus
de
viande alée
orsqu il
st servi la
«
tablehaute
où l on
jouit
à l ordinaire
e
tourtes
t de
pâtés
auxquels
n ont
amais
droit eux
de la
partie
assede la salle de même
ue
l entremetsest ci
donné
u au
souverain,
e
qui marque
e manièrendiscutable
es
prérogatives
e monar-
que.
L entremets,
ette
atégorie
ulinaire
mbiguë
t
controversée,
std ail-
leurs e
sujet
d une véritabletude
par
A.
Lafortune-Martel.ets
courants
dont es recettese trouvent ansquasimentous es traités,es entremets
sont ussi des
«
chefs-d œuvre
e
figuration
,
comme es merveilleux
ola-
tiles êtus e leur
plumage,
rachant u
feu
par
e
bec,
dont
apparition
ors
de festins
oyaux rolonge
a tradition omaine es
pièces
ruquées
t des
surprises.ependant
e
MoyenÂge
nnove
orsque
es
entremets,
ppelés
de
paintrerie
,
deviennent
es véritables
supports
des
projets
e
propagande
politique
.
Conçus
comme
es scènes
llégoriques
ontant ne
histoire u
un
projet
ux
convives,
ls nécessitent
lors
pour
eurfabrication
ussi bien
le savoir-faire
u
cuisinier
ue
celuidu menuisiert du
peintre.
es
sources
iconographiques
ttestente ces fastes n donnant ouleurs t formes
ux
descriptions
es
chroniques
t aux
njonctions
es recettes..
Alexandre-Bidon
explique
omment
tiliser
image
t combien on
analyse omplète
elledes
traités ulinairesour appréhenderes finesses esmanièrese table,de la
disposition
u
couvert,
e la
présentation
es mets u des
gestes
u
service...
Du
manuscrit
la table
ffre ncore iend autres écouvertesont
nous
ne citerons
ue quelques-unes
la
présentation
ar
J.
Van Winter un traité
culinaire éerlandais
u xvie iècle évélant ne nette nfluence
rançaise
les
sourcesmédiévales
e la cuisine
u Danemark
ar
B.
Skaarup
les saveurs
de la
Méditerranéeu
Moyen
Âge par
B. Santich un
aperçu
des
goûts
de
la cuisine
hispano-arabe
es
xiie-xnic
iècles
partir
un manuscritrabe
dont
R.
Grewe
ous
promet
a traduction
rochaine
un nventaireommenté
des
épices
et
condiments
ités dans les traités
ulinaires llemands es
2. Allen .Grieco, lassesociales,ourriturest imaginaireslimentairesn Italie(xiv-xviècles),hèseedoctorate3e ycle,cole esHautestudesn ciencesociales,aris,
1987,
hap.
«
les olailles
.
Signalons
ue
ettedée unechellees limentsommence
connaîtren ertain
uccès,
i
on n roita référence
ue
Jean-Marieelt ui
onsacreans
les
premières
ages
e un e es erniers
uvrages,
onsacrées
l histoireDes
égumes,
aris,
Fayard,
993).
.
Griecost
même
ité,
inon ce
proposrécis,
ais
uelquesigneslus
oin
lorsque
elt aconte
uelque
istoire
taliennemusante.
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NOTES
DE
LECTURE
135
xivc-xvieiècles, ui selon M. Ballard uggère ue les Allemands en tien-
nent une cuisine
uelque
peu
«
archaïque
en
privilégiantoujours
e
poi-
vre
quand
e reste e
F
Europe
ccidentalet méridionalee
trouve
éjà
gal-
vaudé une
histoire
ar
J. Allarddu
premier
ivrede
cuisine
spagnol,
e
célèbre
ibredel cock
de
Robert
e Nola datant u débutdu
xvic
iècle t
qui
fut oublié
usqu au
xixe
iècle
une
comparaison
e la
structurees
menus
nglais
t
français
ar
J.-L.
Flandrin...
Les
thématiques
es deux
derniers
hapitres
e ce
recueil,
onsacrés es-
pectivement
ux contraintes
esant
ur a cuisine t aux
sucreries,
nt une
importance
articulièreour
a
période
onsidérée. e
MoyenÂge
est
pro-
bablement
époque ui
cumule
e
plus
de contraintes
esant
ur activitéuli-
naire l alternanceras/maigremposée ar le cycle iturgiquetait tricte-ment espectée,til n était uère ossible échapperuxdéterminismesli-
matiques
t saisonniers.
ontrairement ce
qu on
aurait
pu supposer,
T.
Scully
stime
u on
se débrouillait
ortbien dans les bonnes
maisons,
comme
e montrea reconstitution
u calendrierlimentaireu
Menagier
e
Paris
dans
equel
même
hiverne
paraîtpas
êtreune
période
e
gêne.
De
là à le suivre
anssa conclusion
ptimiste
ur la connaissanceu
cycle
li-
mentaire
qui]
pouvait ermettre
une
ménagèrearisienne
offrir sa
mai-
sonnée
es
repas
ntéressants,
ariés t nourrissants...
Il
est à craindre
ue
cette isance
ne concerne
u une
minorité ans le Paris du
xive
iècle et
qu elle
suppose
n
outre
n ravitaillement
égulier
ans une France oute e
paix
et de
quiétude.
.
Lambert,
uant
à
elle,
explique
u contraireom-
bien e cuisinierevait aire ppelaux ressourcese son imaginationour
pouvoir
atisfaireon
maître t ses hôtes
toutmoment e
l année,
lors
que l approvisionnement
tait
ouvent
apricieux
u
que
le
temps mposait
de faire
maigre.
es
réceptaires
llustrent
ien es difficultésar eurs uteurs
laissent
ouvent oute
atitude
uant
au
choixdes
espèces
nimales cuisi-
ner,
oit
proposant
ne sériede
possibilités
oit au contraireccordant u
cuisinier
e loisir e
décider elon e
que
renfermentes viviers u ses enclos.
De nombreuses
ecettes
onnaissent ailleurs
ne version n
maigre
t de
Carême
ndiquant
omment
emplacerar
d autres
ngrédients
a viande
u
les
produits
nimaux nterdits.
ul doute
que
ces contraintesient timulé
l imagination
réatricees chefs
usqu à
favoriser
art
de la
contrefaçon,
xer-
cice
qui rejoint
n
quelque
orte eluide la
surprise
t de la
feinte,
aracté-
ristique,ommenousl avonsvu, des extravagancese l entremets3.
Le dernier
hapitre
e ce volumineuxecueil ous éclaire e
façon
ns-
tructive
ur es
premiers
as
de
l histoire u sucre n Occident. .
Plouvier,
en
traquant origine
u
«
lectuaire ou
de
«
l électuaire
jusque
dans es
traités es médecins
e
l Antiquité,
. Bolens
en
tentant e définire rôle
du sorbet ans
a civilisation
rabo-andalouse,
t M.
Hyman
n
analysant
a
fonction
es
«
confitures
dans la France
du
xvie
iècle nous
expliquent
commente
sucre,
e médicamentu
excipient,
eviendraliment e
plaisir
délectable.
e mot
«
confiture
qui désignait
n France ous es
éléments
salésou
acides,
els
moutardesu
cornichons,
ermettant
ne correctionié-
tétique
es aliments e
base,
ainsi
que
les
dragées
t les
épices
onfites
u
3. On
peut
egretterue
C. Lambert
ait
as
récisé
our
es ecteurs
ui ignoreraientue
la
«
purée
e
pois
à mêmee
remplacer
e bouilloneviande
tait
ans
es raités
édiévaux
de
«
l eau ecuissone
pois
et
non
as
e
qu on
ntend
ujoud huiar
e terme
purée
.
Le
verbe
purersignifiaitégoutter
.
Voir titre
illustration
emploi
e everbe
la sec-
tion cuissones èves
dans e
Menagier
eParis
J.
ICHON
d.,
Paris, 843,
.
I,
p.
138.
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136
NOTES
DE
LECTURE
sucre ervies n finde repaspour« fermer estomac , finira ar s appli-
queruniquement
ux confectionsucrées base de
fruits.
usage
des
épices
comme boutehors
digestif
isparaîtra,
ais e sucre
ui
les
enrobait t
sa saveur
marquerontlus
tard a
fin
du
repas
transformante
service e
«
desserte en un
«
dessert
,
qui,
au
fil
des
siècles,
e sera
plus
composé
que
de mets ucrés.
u
manuscrit la
tablene
pouvait
e conclure ur
ce
dessert
rop
moderne.
l
suit
a
modemédiévale n
nous
parlant
ncore
es
épices,
ui,
au
MoyenÂge,
étaient
ussi des
aphrodisiaques
t
qui
suscitent
une subtile éflexion e la
part
de
B.
Roy
sur le
«
bonheur
limentaire
qu elles promettentar
leur
«
plus-value
ustative
.
Du manuscrit la
table
st
un
livre
ans
reproche ui
associe
plaisir
e
la lecture t oie de connaître,râce uxbons soinsdeCaroleLambert. lle
offre insiun
ouvrage
e
référence
t
un outil
ndispensables
ux
médiévis-
tes et aux
spécialistes
es études ur
alimentation.
Françoise
abban
Jérôme
aschet,
Les
ustices
e
l au-delà.Les
représentations
e
l enfer
n
France
t en Italie
xne-xveiècle).
Préf.de
J. Le
Goff,
Rome
École fran-
çaisede Rome,1993,687p., 8 pl. coul., 168 ll. n/b., ndexnoms, ieux).
Dans
le
courant
istoriqueui
s attache
explorer
histoire es com-
portements
t des
mentalités,
intérêt
our
imaginaire
édiéval
t ses
repré-
sentationsestrécemment
éveloppé. près
es
études e
Jean
Delumeau ur
la
peur
et le
paradis,
elles
de
Jacques
Le Goff ur
imaginaire
édiéval
et e
purgatoire,
a vaste echerchee Jérôme
aschet ur
es
représentations
de l enfer
omplèteudicieusementanalyse
es
visions e
l au-delà
ui
ont
durant es
siècles
hanté a
chrétienté
édiévale.
Étuded autant
lus
aptivanteu elle
nalyse
es
mages
ue
se
sont on-
nés nos ancêtres
our
enter e montrer
l indescriptible
,
l enfer.
Un des
principauxntérêts e l histoire e l imaginairest en effet ainsique le
souligne
. Le Goffdans
a
préface
,
de
s incarner ans des
images
t de
fairede ces
images
es documents
histoire.
Tympans, resques,
mosaï-
ques,
enluminures
e France
t du nord de l Italie
offrentne
somme e
représentations
aisissantes ont J. Baschet
nalyse
évolution u
xiie
au
xve
iècle n
procédant ar
un
dynamique
a-et-vient
ntre es
textes,
rofa-
nes ou
religieux,
t es
mages.
rèsde
180
nfers nt insi té
étudiés
repro-
duits
n
annexe),
crutés,
isités erait-onenté e
dire ant es
descriptions
qu en
fait auteur
ont
minutieuses.ar une
analyse
conographiqueui
échappe
u
langage
ouvent
ermétique
e la
sémiologie,
érôme aschet va-
lue
l importance
e
chaque représentation
ans son
environnement
monu-
ment,
manuscrit),
écompose
a structuret
nterprète
e
rôledes
protagonistes.
Mais avantd inspireres artistes,au-delà nfernal étéévoquédans
les texteses
plus
anciens. idée d un châtiment
ternel
tteignant
es
païens
après
eur
mort
pparaît
rès ôt dans l Ancien t le
NouveauTestament
de la valléede la Géhenne
l Apocalypse
e
Jean,
es
allusions ont
multi-
ples
t seront
omplétées,
étaillées,
nrichies
ar
es
apports
e saint
Augustin,
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 139/163
NOTESDE
LECTURE
137
deGrégoiree Grand, e saintThomas, ntreutres. n les mettantnpers-
pective,
auteur
récise
omment élabore a
conception
hrétienneu châ-
timent
es morts.
Égliseparvient
insi
progressivement
ménager
n
équi-
libre
rédible ntre a
justice
divine
engeresse
t la
miséricordee
Dieu,
à
démontrer
ue
les
âmes,
d essence
pirituelle,euvent
tre ourmentées
ar
le feude
l enfer,
t
surtout,
affirmeréternitéu
châtiment.es
«
visions
recueillies
usqu au
xiiie
ièclevont nsuite
ompléter
t
détaillere déroule-
ment e cettedamnation. ne
catégorisation
es
peines pparaît, ariable,
instable,
romettant
ouvent
chaquetype
e
péché
un
supplice
pécifique.
Au feu
t
au
froid,
ux
serpents,
renouilles
t
monstres,
ajoutent rogres-
sivement
es
peines
instrumentales
,
faisant
ppel
à
la
thématique
uli-
naire marmite,roche, uisson). i le triompheu supplice affirme ansces
visions,
Jérôme aschet
y
décèle ussi
émergence
e la
conception
e
l enfer omme
ystèmeudiciaire,
otamment
ar
l évocation
u
Jugement
dernier.
ar la
suite,
a littératureorale t es
prédictions
e font es média-
trices e
ces théoriest vont ontribuerdiffuseransun
public
vulgaire
la
peur
de l enfer.
a
porte
st alorsentrebâillée
urun
enfer ncore
mysté-
rieux,
mais reconnu
t
«
validé
pourrait-on
ire
par
l Église
même,
orte
par
laquelle
va
pénétrer
oute
imagination
es artistesmédiévaux.
«
Impensable,
ndicible,
nfigurable
,
l enfer
n est
pas
véritablement
représenté
vant
e
IXe
iècle t c est seulementur es
portails
omans,
n
France
urtout,
ue Jugement
erniert enfer ont
pparaître
ux
yeux
des
chrétiens.
es
tympans
omans
Arles,Beaulieu,
Autun, aint-Denis,aon,
Conques urtout,ffrentesreprésentationsù le rôleduChrist evientetit
à
petit
eluidu
juge
et
permet
insi affirmationadicale u
principe
udi-
ciaire.
La
représentation
e
Conquespermet our
a
première
ois identifi-
cation u
statut ocialdes
damnés t donne insi
ieu,
elonJérôme
aschet,
à
la dénonciation
excès
ue
ne
peuventupporter
es trois rdres
irigeants
la nouvelle
uissance
t
l indépendance
u
clergé égulier,
abus de la féo-
dalité
ui empiète
ur e
pouvoir oyal
t e
développement
larmant e
nou-
velles
atégories
ocio-professionnelles
marchands,
rtisans).
Avec a série
homogène
es
portails othiques
u
xiiic
iècle,
enfer e
fait
lus
discretu
profit
u rôle
udiciaire
u Christ
Laon,
Chartres,
eims,
Pariset surtout
ourges).
Jérôme aschet voit a
transposition
un
équi-
libre ocial
retrouvéu débutdu
xiiie
iècle
lorsque
e
monde
urbain,
a
monarchiet e clergééculierélèbrenteurgloire t eurunitédéales utour
des
cathédrales.
Dans ce
premier roupe images
ca
1100-ca
330)
un thème
écurrent
-
du moins
n
France
accompagne
a
représentation
nfernale
la
gueule
d enfer. lle
permet ar
une
métaphore
e
transformern
partie
e
tabou
d infigurabilité
e l enfer.
ymbolique
un
fantasmee
dévoration,
lle dési-
gne
e
lieu,
out n ne le dévoilant
as
dans sa totalité t en
préservant
insi
son
inquiétant ystère.ynonyme
e
passage,
de
franchissement
ternelle-
ment
ecommencé,
a
gueule, uissance
ostile t
dévoratrice,
ymbolise
hor-
reurde
la
damnation.
En
Italie,
enfer rouve ans es
fresques
t es
mosaïques
es revers
es
façades églises
es ieux
privilégiés
e son
épanouissement.
ux
mages
on-
datrices e Torcello, e Sant AngelonFormis ajoutentnsuitees chaires
sculptées
e
Toscane,
es
fresques
e
Giotto,
avallini,
uscani,
ui permet-
tent
l auteur e
souligner
a cohérence u
modèle
talien,
ssu du
modèle
byzantin. l image
rançaise
ixée
ur a scène u
partage
ntre
lus t damnés
s oppose
en
effet n modèle talien
ui
consacre e
Christ
toujours
uge
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 140/163
138
NOTES
DE
LECTURE
- mais de plusRoi de Péternité.e modèle rançais rivilégieraitn quel-
que
sorte
e moment lors
que
le modèle
talien
voque
Péternité
ui
va le
suivre
la
rencontre
u
temps
t de
Péternité).
u
seuildu
XVe
iècle,
es con-
ditions emblent éunies
our qu au-delà
d une
représentation
u
jugement
dernier
e
développe
ne
thématique
nfernale,
ontrant
lus
explicitement
P
nfer
omme ieu de châtimentes
pécheurs.
La
rupture
urvient
n Italie.
À
Pise,
Buffalmacco
eint
n
1330
n
gigan-
tesque
nfer
ont a valeur
exception
érite être
pprofondie.
érôme as-
chet
y
découvre
n effetes frémissementsune
conception
moderne de
l enfer. a
représentation
es
supplices
connaît n essor
décisif t l enfer
devient le théâtre ù s exhibenta diversitét a
cruauté es
tortures. Le
principe,bauché u cours es siècles récédents,onsistantadaptere châ-timent u délit
puni,
devient
ystématique.
ne volonté otalisante e tout
montrer,
e tout
rganiser
impose
ci. La
répartition
es
supplices
ansune
grille ui correspond
une énumération
ommaire es
sept
péchés apitaux
(les
coléreux e battent ntre
ux,
es
gloutons
ubissente
supplice
e Tan-
tale,
es avares ont
gavés
de
pièces
n
fusion)
nvite
e
spectateur
s inter-
roger
ur
ui-même. auteur
perçoit
influence
u rôle
pirituel
es Domi-
nicains ceux-ci ntcertainementuscité ne réflexion
ur e
péché
t
a con-
fession
ui peut
voir bouti cetteœuvre
xceptionnelle.
a
représentation
de
l enfer,
effroi
u elle
suscite
ar
l identification
ette es
peines,
onc
des
péchés,
iennentinsi n renfort
es sermons es
frères
rêcheurs.
om-
ment
faire roire ceux
qui
vivent ans
insouciance,
ommentaire
eur
surtout t rendre écessairee recours la confession,i ce n esten impo-
sant à chacun
par
la visiondu
péché
d un
«
autre
-
un
examen
e
conscience
Dans une
ogiquedidactique,
enfer e
Pise
«
accomplit
inté-
gration
e
l enfer ans un
système
acculturation
eligieuse
.
Ce modèle
de
représentationompartimentéesepténaire)
a se
développer
ès le
milieu
du
xive
iècle ur axe
Pise-Florence,
uis
s étendre vec des
variantesux
autres entres
rbains
râce
ux talents e
grands
rtistes
Fra
Angelico,
ia-
zaci,
Canavesio).
Mais cette
upture
e sera
perceptible
n
France,
t dans
une
moindre
mesure,
u un
siècle
lus
ard,
ue
ce soitdans a miniature
u dans a
pein-
turemonumentale
Albi, Digne).
Toutefois
n
détour
ar
les
textes
ermet
à
Jérôme aschet
e confirmer
ue
le
développement
e
l enfer ux
xive
t
xvc ièclesn est pas propre l iconographie.e théâtre t la littérature
(Dante,
J. de La
Motte,
. de
Diguleville)
ententu même
momente décrire
les lieux
nfernaux.
l
y
a donc bien eu une mutation
mportante
partir
du milieu
u
xive
iècle,
ui
consiste décriree
plus
finement
ossible
au-
delà
et,
selonJérôme
aschet,
ransformelors e véritable
bjet
de
l image.
Est-ce
e bâtiment
ue
l on veutmontreru
plutôt
e
qu il désigne,
est-à-
dire e
péché
Et
devant
a
complaisante
xhibitione tous es
supplices y
a-t-il
as
lieu de
s interroger
ur
a
portée sychologique
e
ces
images
ur
le
spectateur
Faisant
ppel
à
la
psychanalyse,pportunément
evenue cience uxi-
liaire
e
l histoire,
érôme aschet
ntreprend
ans a dernière
artie
e
son
étude,
ne
description
e
l enfer omme lieu
d émergence
un
pan
d ima-
ginaire. À traversesreprésentationsesgueules enfer, esmonstresux
dents
cérées,
es Satan à
gueule
entrale,
e
faut-il
as
voirune
expression
du fantasme
e
l oralité
évorante
ui
entraîne ès le
plus
eune âge
chez
l enfant
ngoisses,
ulpabilité
t crainte u
châtiment
Quant
aux
serpents
et vers
grouillants évoquent-ilsas
à
la
fois
excrémentst
phallus
Mais
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 141/163
NOTES
DE
LECTURE
139
ce serait moindrira pensée e Jérôme aschet t le souffle e sonpropos
que
de s'en tenir une énumération
éductrice,
t
il
convient
e se
reporter
à la
correspondanceu'il
établit ntre es
pénalités
antastiques
t nos
angois-
ses
pour
omprendre
a cohérence
'un
imaginaire
ont es racines ont
pro-
fondément
ncrées n
chacun
de
nous. Pulsions estructricese
retournant
en
angoisses,
oi du talion
mniprésente
ans
'inconscient,
ision
errifiante
de ce
passage
ant edouté
u'est
a
mort,
'enfer
sttout ela.
Mais,
en nous
permettant
e
«
visionner toutes es
angoisses,
e nous en libère-t-il
as
dansune
certaine
esure
En
ce
sens,
ffirmeérôme
aschet l'enfer
ppa-
raît omme ne occasion e
compromis,
ui
combinea réalisation
e la
pul-
sion et la défense ontre on caractère
menaçant
. Aux différents
nfers,
le chrétieneuplé e démons,e « sartriencomposé esautres, érôme as-chet n
ajoute
un
nouveau,
miroir
ui
nous renvoiendividuellementnos
pulsions
es
plus culpabilisantes,
ù
«
l'angoisse
e
négocie
irectementans
un face
à
face entre 'individu t
l'image
.
Mais
il
constitue ussi
pour
les hommes t les femmes es
xive
et
xve
iècles,
un
modèlede
justice,
une
pénalité xemplaire
parfois
non
dénuée
'indulgence
uisqu'il
rrive
u'on puisse
n
réchapperDagobert
auvé
par
saint
Denis,
Gillesde Rais se
repentant)
et
qui,
tout
compte
ait,
apporte arfois
éconfort
ux classesdominées.
Dans
un
MoyenÂge
dominé
ar
a
mort,
'enfer onstitue
endant
ne
période
e courte
urée,
n lieu de rétablissemente la
justice,
e visibilité
autorisée
'un
«
grand
pectacle
e haineet de
vengeance
qui s'épuisera
de lui-mêmevec« l'émergencee l'individu,e l'État,de la modernité.
Au-delà e son ndéniable
pport l'anthropologieeligieuse,'originalité
e
l'étude e Jérôme aschet
ient ussià un recours fficace la
psychanalyse
(assez
rarementtilisée
usqu'à présent
ar
es historiens
es
mentalités)ui
nous
permet
e
dépasser
e
voyeurisme
nhérentux
mages
es
supplices
nfer-
naux. Cette
ongue
descente
ux
enfers,
ù les mentalités
édiévalest la
psychanalyse
ontemporaine
e
télescopent,
e laisse
pas
insensible.
Agnès
Rogeret
L'atelier u
médiéviste
1
:
Identifier
ources t
citationssous a dir.de Jac-
ques
Berlioz, Turnhout,
repols,
994,
336
p.,
index
matières, ibliogra-
phique).
Inaugurant
necollection
'instruments
e
travail
oliment
ntitulée'ate-
lier
du médiévistecet
ouvrage
e
propose
e
repérer
es sources t
d'identi-
fier es citations
ui
émaillentes textes t documents
u
Moyen
Âge.
C'est
du moins e
que prétend
on maître
'œuvre,
Jacques
Berlioz.Mais
il
ne
faut
as
l'en
croire,
ar c'esten réalité tout e
«
mielun
peu
âcre
de
l'éru-
dition
-
selon a belleformule'Anatole
rance
eprise
n
introduction
que
ce
petit
mais dense
volume
ermet
'accéder.
En effet,our hacun es domainesu'ilaborde ontnon eulementour-
nis
es
répertoires
t la
bibliographie
e
base,
mais aussi
repérés
es
problè-
mes
d'interprétation,
dentifiés
es
pièges, osés
es
problèmes
e
méthode,
énuméréses centres e
documentation,
épondant
insi aux
objectifs
e
la
collection
«
transmettre
avoir,
xpérience,
oursde mainet
secrets ate-
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 142/163
140
NOTES
DE
LECTURE
lier . Une telle omme,isible, ommode t ntelligente,anquaitncore n
France,
ù
1'
n
préfère
ouvent es hauteurs thérées t
confortablese la
théorie ux
nécessités
eu
gratifiantes
universitairement
'entend de la
rechercherudite.
ce titre
'ouvrage irigé ar Jacques
erlioz
evrait
igurer
dans toutes es
bibliothèques
'universitét l'achat n être
mposé
tous
es
apprentis-médiévistes
cela leur viteraitien des
impasses,
es
cafouillages
ou des
désappointements.
Les différentes
ubriques
e
l'ouvrage
eflètentien es
principales
rien-
tations e la
«
médiévistique
française
tout u moins
dans son versant
«
livresque
,
la
diplomatique
aisant
'objet
d'un autre
olume. e
domaine
religieux
entenduu sens
arge s'y
taille a
part
du
lion,
depuis
a
Bible
et les textesiturgiquesusqu'auxsermons,uxprières,uxviesde saints taux canons onciliaires.es mises u
point
ypologiques
ont 'œuvre e
spé-
cialistes hevronnés
Nicole
Bériou,
e
père
Bataillon,
oseph
Avril,
tc.).
Il
en estde même u
droit,
omain
ussibien
ue
canonique, our equel
Gérard
Giordanengo
conçu
une véritable
ntroduction,
ourmillant
'informations
et
ouverte des
problématiques
amilièresux
historiens.
acques
erlioz
rédigé
ui-même
e
chapitre
édié ux
encyclopédies
t bestiaires
t s'est
hargé
des enfants héris e
l'anthropologieistoriqueue
sont es
exempla
c'est
aussi à sa
plume ue
l'on doit es
développements
inattendus
ais
fort
utiles
consacrés
ux
lieux ommuns
t
proverbes
t
surtoutux
méthodes
pour
retrouveres citations
'auteurs u
d'anonymes.
Laurence
obis-Sahel,
enfin,
été confiéea tâchedélicate e
nous
guider
ans
'iconographie,ui
fait ctuellement'objetd'une i vive ttentionansque le commun esmédié-
vistes ache bien
toujours 'y
repérer.
Restait traitere
problème,
ifficile ais
central,
es
traductions,
on-
fié
à Gilbert
ahan.
Sans
le
dire
xplicitement
ce
qui
eût été bien
utile
au
lecteur
rofane
l'auteur
imite on
propos
ux
œuvres
hilosophiques.
Tout au
plus
avoue-t-il e
pas
tenir
ompte
es
textes
cientifiques,
u
motif
qu'ils
«
posent
es
problèmes articuliers
.
Voilà
qui
est
dommage,
ar
en
la
matièrees traducteursurent
égion
t leurs
œuvres urent
tilisées ien
au-delà e leurs
hamps isciplinairesespectifs.
l
est
vraiment
urieux,
ar,
exemple,
e
voirAvicenne ité
uniquementour
son
Šifā>
t de
n'entendre
pas parler
u Canon
qui
eut
pourtant
ne
importanceomparable
our
e
MoyenÂge
chrétien.
e renvoi
u
livre e
Sarton t au
catalogue 'incipits
de Thorndike e sauraitmalheureusementemplacerne mise u point,ne
fût-ce
ue
sommaire,
ur un domaine ertesmoins
porteur
,
mais
dont
les étudiantse voient insientièrementxclus.Même i
aucundes
volumes
prévus
e semble ouloir
'aborder,
ageons ue
cette acune era
bientôtom-
blée
par
une
collectionont es médiévistesuront se servir
uotidiennement.
Parmi es services
ue
leurrendra e
volume,
e
moindre 'est
pas
un
«
index es ndex
de la
Patrologie
atine véritable ibledes
étudesmédié-
vales
qui
est
cependant
oin d'êtreutilisée u maximum e
ses
possibilités.
À côtéde ce
classique,
e
chercheur
rouvera es
nformations
jour
sur
es
banques
de données
ui
formeronton horizon ans es décennies venir
atelier
u médiéviste
ertes,
mais
nullement
asséiste
BrunoLaurioux
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 143/163
NOTES
DE
LECTURE
141
Dominique arthélemy, a société ans e comté e Vendôme e l'an mil
au
xive
iècle,Paris,
Fayard,
1993,
1 110
p.
À
r
époque
médiévale,
es cent
cinq paroisses
u comtéde Vendôme
s'étendentur
quatre
erritoires
isparates
le
Val de Loir aux
cultures iver-
ses,
zone inondable ù
alternentes
prairies,
es
emblavurest
les
vignes
la
Beauce
imoneuse,
iche n
blé
le Perche t la
Gâtine,
ux sols
argileux,
plus
répulsifsl'agriculture.
ntre
an
mil
t
1150,
a
grande ague
es défri-
chements
'abat
sur
a
région.
e
paysage
n est
bouleverséaux lisières
es
bois,
es habitants
es hameaux-ruest des
villages
valaires,
écemment
on-
dés,
font eculer
a forêt. e comte t
quelques
iresde la
périphérie
e la
principauté,ommees Montoire u lesLavardin,ontrôlentette roissance,
empêchant
'érection e forteressesur es corniches es
plateaux.
ls sont
cependantncapables
e
s'opposer
la construction
e châteaux
rivés
ans
les
régionsmarginales
ui
bordent
e bois
c'est de là
que
les sires orestiers
de
Mondoubleau,
réteval u Château-Renaud
nnexent
es
paroisses
oisi-
nes. Tous ces
grands ersonnages
rofitentargement
e l'essor
agricole.
Ils acheminenters
a ville e
prélèvementpéré
ur es
campagnes.
en-
dôme
st e
siège
du
principal
hâteau
omtal.Bien vant
a constructione
ses
remparts
n
1230,
a
cité,
où
règne
a
paix
du
prince,
st un
lieu sûr.
Protégé,
on
marché ttirea
production
ocale. Par l'enchâssemente
l'éco-
nomique
ans le
politique,
out ieu de
pouvoir
evient lors une
plaque-
tournante
es
échanges.
a villene doit
pas
attendree succès
du
pèlerinage
de la sainteLarme, ttesté, peine, la findu xne iècle,pourconnaître
son
décollage
ommercial.
La
dynastie
omtale
st issue de Bouchard
er
t 1005), compagnon
d'Hugues
Capet,récompenséar
le
nouveau
oi avec a donation
es com-
tés de Paris t de Corbeil.
À
l'ombre e la
protectionapétienne,
l
s'affirme
dans
le
Vendômois,
'où
rayonne
a
puissance égionale.
es
descendants,
combattus
ar
Geoffroi
artel,
nstigateur
u Grand
Anjou,
'engagent
ans
d'innombrables
uerres
u milieu u
XIe
iècle.Leurscombats e sont
pas
aveugles
i
anar
hiques
ils
présentent
n
souci vident 'autolimitationce
contrôle
mitige
'escaladede la violence. hevauchées
rudentes,
scarmou-
ches
ntermittentes,
mbuscades
imides,
uses ans
endemaint
maigres
az-
zias sont
préférées
ux
batailles
angées.
es
unités
homologues
t
rivales
coexistentar e jeu desguerresicinales,ui ustifientn ordre eigneurial
au
profit
es
quelques
hâtelains endômois. oin de
déchirere tissu
ocial,
cette iolence
ndémique
aintientes iens
ondamentauxe la solidaritéin-
dicatoire
es
parentèles
t de la cohésionmilitaire es
garnisons
astrales.
Les sires hâtelains
u
comtéde Vendôme
omptent,
n
effet,
ur un
réseau tendu
e fidèles1. a
féodalité,
uère
ouchée
ar
es
apports
avants
de Fulbert e
Chartres,
st des
plus
contraignantes
our
les
vassaux.En
échange
e
quelques
énéfices,
ispersés
ans 'ensemble
u
comté,
es
guer-
riers oivent n servicemilitairessez
ourd,
omprenant,
otamment,
a
garde
des châteaux
endant
n mois
d'hiver, ttestée,
e
façon
remarquable,ar
la liste es coutumes
erçues ar
Boucharder
ur es villes
oisines e Ven-
1. L'auteurffirme
ue
'utilisationu erme
idelis,lutôtue
assus,
anses hartes
épond
à des ritères
e
distinctionu
de
classe
(p.557),
uipoussent
es
cribesattribuere
plus
prestigieux
e es eux
pithètes
ux
uerriers.
efaudrait-il
as
oir
anse erme
fidèleune
allusion
la foi
u ermente
fidélité,
ite
lus
galitaire
t
moinsumiliant
ue
'hommage
éodo-
vassaliqueuquel
st iévassus
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 144/163
142
NOTES
DE
LECTURE
dôme. Ils risquenta commise, ocumentée plusieurs eprises ans ce
XIe
iècle
ux
loyautés
mouvantes. ertainsmeurent
our
eur
eigneur.
ers
1040,
ne
charte,
églant
es
rapports
ntre
alomon
er
de Lavar in
et Gau-
tier e
Jeune,
mentionnea
ligesse our
a
première
ois
en
Occident.
Au
XIe
iècle,
'avance
echnique
e la féodalité
endômoise
ermet
u
maître es
châteaux
'avoir es
guerriers
n main.
Honorables u
sommet e
la hiérar-
chie ociale ù
trône
e
comte,
es relations
éodo-vassaliques
eviennentndi-
gnes
la base de la
noblesse,
ù
campe
e
«
ministérial
uppé,
mais
nter-
lope (p. 564)
».
C'est sous
l'emprise
oute-puissante
u
seigneur
ue règne
l'ordre
féodal.
«
Liberté, llodialité,
énérosité
(p.
509)
»,
telle
est la
devisede la
noblesse uXIe iècle.Comme ans 'Empireotharingien,a ligne e démar-cation ntre obles t roturiersépare es libres es serfs, euxqui peuvent
facilement
chapper
la
justice,
e
ceux
qui
relèvent
irectementu
tribu-
nal
seigneurial
l'aversion es
guerriersour
e
plaid
se
manifeste
ans eur
gestion
u
conflit,
ù
protestations
ubliques,médiations,
emandes
'orda-
lie,
duels u
bâtonet
stratégie
e la
tension
raduée
ésamorcente
débat.
Les alleux
paysans
n'existent
as2
en
revanche,
'allodialité
hevaleresque
connaît es beaux
ours
ous des traits
argement
éodalisés
«
l'alleutier
st,
en
somme,
e
seigneur
n fief
p. 356)
». La
prodigalité
nverses
monastè-
res de
la
Trinité t de Marmoutier
aractérisea
noblesse.
Au sein
de
cette
catégorie,
es valeurs
hevaleresques
e diffusentu
sommet es
plus
puis-
sants la
base des
plusdépendants.
ne
«
chevalerie
égnante
domine insi
une« chevalerieervante, maistoutes euxne sontpasmoins ormées etrès nciennes amilles.
Les taxes
qu'elles
exigent
ur
a
paysannerie
elèvent
urtout
e la sei-
gneurie
anale,
de
leur
pouvoir
e
commandert
de
contraindre.a
com-
mendise,
ne amende norme
erçue ar
e
tribunal
eigneurial,
a
corvée
u
charroi,
'impôt ublic
du
cens
ou
le banvin ont
bien
attestés
u
xic
iècle.
Au
xnie
iècle,
a
châtellenie
égularise
es
prélèvements
n
formalisant
es
gîte,
aille,
an et taxes
d'usage.
Autour e l'an
mil,
a
servitudeait
'objet
d'un rituel
articulier,
ù les chartes ontdes
instruments
iturgiques
ssen-
tiels c'est sur 'acte
d'affranchissement,
osé
sur
a tête
de
l'ancien
erf,
que
les
propriétaires
ont a
croisade,
es
signes
e croix
ymbolisant
a
manu-
mission. 'autodéditionux
monastèresst
courante elle se
fait a
corde
du clocher u cou et lesquatredeniers u chevage ur a tête.Ce langage
gestuel
raduit,
ux
yeux
de
tous,
a
soumission Dieu
et aux
moines.
À
l'opposé
de
l'échelle
ociale,
es membres
u
groupe
nobiliaire
ré-
sententne forte ohésion
ignagère
t une
profonde
onscience
e la
parenté
jusqu'auquatrièmeegré
e la
computation
omaine,
ommee
montre'étude
du vocabulaire3. e
rapport
ntre
e
père
t l'aîné est
des
plus
étroits,
ans
un
milieu
ù
la
primogéniture
st écrasante le
passage
du
flambeau e va
pas,
cependant,
oujours
ans
heurts
la
longévité
u
père,
'empire
e la
veuve u la convoitisees
proches arents
ttisentes
conflits
ntrafamiliaux.
La solidariténtre rèresst
un
fait ocial
marquant,
out
omme e rôledes
2. Sur e
point,
'auteuruites echercheseC.
Amado,
L'alleu
aysan
-t-il
xisté
n
France éridionale
utour
e
'anmil
»,
dans a Francee
'art
il,
.Delort
d.,
aris,990,
pp.
42-161.
3. Cf. e ableau
.
516,
Vocabulaire
e a
parenté
,
qui
urait,
eut-être,
û ccueillir
ri-
vinus,
beau-fils
,
cité ans ndocumente
'époque
p.
546).
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 145/163
NOTES
DE
LECTURE
143
bâtards, lacés encontrebases fils égitimes,ais out e même n réserve
du
lignagep.
539)
».
Le
mariage
st
principalementsogame64
°/o
es unions
matrimoniales
tudiées
our
es
XIe
t
xiie
iècles),
vec une
nette endance
à
l'hypergamie
26 %)4.
En
définitive,
es structures
arentélaires
ont la
noblesse
e
que
les structureslientélaires
ont
à
la
chevalerie.
Reprenant
n modèle
développé,
l
y
a
dix
ans,
pour
a
seigneurie
e
Coucy,
n
Picardie5,
.
Barthélemylace
a
mutation
a
plus
radicale
e la
noblesse
endômoiseutour
e 1150.
Jusqu'alors
es chevaliers
emeuraient
à
l'intérieures
remparts
u château u maître les
Rouperon
u
les Joscelin-
Fulcrade
taient,
ar exemple,
ien
mplantés
ans e vicus
u la rua vassa-
lorum e
Vendôme. ls descendent
ésormais ers e
plat
pays
où
ils
bâtis-
sentdes forteressesecondaires.es membres esgarnisonshâtelaines,es
guerriers
e basse-couru ces vassauxde second
rang
désertenta vaste
demeure e leur
maître
our
'installerans eurs
ésidences
urales. a
por-
tée sociale
de cette ranslation
st
grande.
a fonction es mesnies astrales
change,
une
époque
ù les
conflitsicinaux
'estompent
ceux-ciont
elayés
par
a
grande
uerre
ntre
apétiens
t
Plantagenêtsui
se
concrétise,
u
cœur
même u comté e
Vendôme,
ans a
célèbre ataille e Fréteval
1194).
C'est
au
finfonddes
campagnes
ue
l'on trouve ésormaises
chevaliers,
arés
du titre
eigneurial,
vavasseurs
lus
ou moins
ossus,
hevaliers la
retraite,
prud'hommes
loignés
es courset
quelque peu
récréants
p. 762)
». Dans
un
imaginaire
euplé
de chevaliers
rrants,
ui
font es châteaux uraux e
gîte
e leurs
tapes,
e roman rthurien
eproduit
ette
ouvelle
éalité ociale.
En quittanta ville, es guerriersgissentontre e sens de l'histoire
ils deviennent
uraux u
temps
de l'urbanisation.
es nouvelles litesdu
xiiie
iècle
e constituent
ans es
cités.
Légistes
t
bourgeois,
eprésentants
d'un
patriciat
rbain ans
ibertés
ommunales,
ont
eur
fortune ces
par-
venus
cquièrent
es
fiefs obles. ar contrastevec
a
prospérité
e ces nota-
bles
citadins,
e monde
ost-chevaleresque
'engouffre
ans une obsolescence
que
l'auteur
'hésite
as
à
qualifier
'appauvrissement.
ne
plèbe
nobiliaire,
toute
vavassorale,
st confinée
l'armigérat
l'adoubement
st
abandonné
à
partir
e
1240,
parce ue
trop
oûteux de nombreux
uerriers
ttendent,
en tant
qu'écuyers,
ne chevaleriencertaine.
lusieurs
amilles,
t
pas
des
moindres,
ombentn
quenouille
ces
naufrages
mpêchent
es
Lisle
ou les
héritierses
prévôts
e
Vendôme,
e franchire
cap
difficilees années 300.
La fiscaliténgevinest,en partie, esponsablee ce malaise hevale-
resque.
À l'imitationes
Plantagenêts,
harles
er
perçoit
es revenusur es
fiefs es
orphelins,rive
eurs
parents
e la tutelle u encaisse e relief e
façon
busive.
l
fait
mprisonner
'un des
principaux
embrese la famille
de
Montoire,
éritière
e la baronnie omtale e Vendôme
partir
e
1219
parce
ue
celui-ci vait
ontesté ne de ses décisions evant aintLouis. On
est heureux
e constater
ue
le
caractère
utoritaireu
gouvernement
t
de
l'administratione
Charles
er
n'est
pas
un thème
orgé
e toutes
iècespar
la
propagande ibeline
n Méditerranéeles récriminationses scribes
ata-
lans,
des troubadours
rovençaux
t des
chroniqueurs
iciliens rouvent
eur
pendant
n
Val de Loir. Si les nouveaux omtes e Vendôme
iennent
on
4.
Undesmérites
e
ettetude
p.543)
st 'avoir
aitntrern
igne
e
ompte
e statut
d'héritière
our
esfilles
t a
différence
ntre
înés
t
adets
our
es
garçons,
e
qui
hange,
évidemment,
a natureocialees
mariages.
5.
Les eux
ges
e a
seigneurie
anale.
oucyxf-xnt*iècle),
aris,
ublicationse a
Sor-
bonne,984,
otamment
hapitre
I.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 146/163
144
NOTES
DE
LECTURE
face u roi de Sicile, panagé ur eurs erres,e n'estpas seulementn rai-
son
des entraves
ises
ar
saintLouis à son
cadet
trop ntreprenant.
'est
aussi
grâce
leur
fidélitéu
systèmeignager,
andis
ue
l'observance e la
primogéniture
st
encouragée
ar
e nouveau roit éodal l'absence e rami-
fications
t
de
branches
ollatéraleseur
permet
e conservera baronnientè-
gre
et
indivise. 'est là
une moindre onsolation
our
cette
ynastieyant
perdu
une
partie
onsidérable
e sa
puissance
t de son
prestige
'antan
Le récit
ontinu,
ue
nous avons
mené,
bon
escient,
ans es
lignes
qui précèdent,
rahit
ertainement
a
pensée
t,
surtout,
a méthode
mployée
par
'auteur
ans a rédaction
e
l'ouvrage.
a société ans e comté e Ven-
dômene
répond
as
à
la démarche
inéaire
u'imposerait
n
plan préconçu.
Son agencementait, u contraire,essortires lacunes e la documentationutilisée.l met nreliefes deux emps orts es sources endômoisesceux
du
«
nouveau
tyle
et du
«
style
avant
. Le
premier
e situe ahs es années
1040-1070,
ienéclairées u
lendemain e
la
confectiones
grands
artulai-
res
monastiques
e la Trinité
t de Marmoutierles
chartes-notices,
ans es-
quelles
es scribes
arlent
u
passé
t
à
la troisième
ersonne,
aisant e l'his-
toire
ans e
savoir,
émoignent
e
l'irruption
e la
narrativitéu milieu u
XIe
iècle. La deuxième
ériode
ntervienters 1230 un rôle
accru
est
accordé l'écrit
ans es relations
ociales le
triomphe
u droit
avant,
e
la norme
t du
stéréotype,
fface,
ependant,
es charteseur
pontanéité
t
leur
précision assées.
En
l'absence
e notariat u de
tabellionage,
es actes
sont curieusement
oinsbien conservés
u
xiiie
iècle.
Une réflexionur a productiones sources t sur a nature e l'écriture
médiévale onde
a thèse
principale
e ce livre l'an
mil
n'a
pas
connude
mutationéodale.
out au
plus
un
changement
ans a rédaction es
chartes
intervienters
1050,
reflétant
avantage
'évolution es mentalités onasti-
ques
que
de
prétendus
ouleversements
ociaux.
l
n'y
a donc
pas
eu de
«
révolution
,
mais
une
«
révélationéodale
. D.
Barthélemy
'hésite
as
à
qualifier
a méthode
e nominalisme
u de
néo-positivisme.
u'on
nous
permette
e mesurerci
es
risques
'une dérive
ers
'immanentisme,
ù tout
serait
ntérieur
tout t où l'au-delà
e la charte erait
mpensable,
insi
ue
vers
'inter-textualité,
ù le document
e suffirait
lui-même,
ndépendam-
ment
u contexte.
l
n'empêche ue
les
prises
e
position
e l'auteur ont
toujours
ien
rgumentées
t
que l'esprit
e cet
ouvrage
ouffleur oute ne
jeune génération'historiensui fontde la « nouvelle rudition le point
clef
de leurs
recherches6.
Aux
yeux
e
l'auteur,
lusieurs
lémentsu
système
utationniste
éri-
tent 'être
econsidérés.
ls
procèdent,
n
effet,
avantage
u
travers
es his-
toriens
privilégier
'innovation
ur a
continuité
ue
d'une
exploitation
es
sources
ttentive
ux conditions
e leur
élaboration le chercheurst
trop
avide
de découvrir
es années
harnières
ui organiseraient
ationnellement
le
plan
de ses
publications.
'apparition
ubite
e
l'agressivité
ncontrôléee
l'aristocratie
n
l'an
mil
est,
somme
oute,
e fruit
'un
mirage
ocumen-
taire.
lle coïncide
vec
a narrativité
es
chartes-notices,
arcies e
ugements
de
valeur,
ù,
pour
a
première
ois,
'accent st mis sur es voies de
fait
utilisées
e
longue
date
par
la noblesse
our augmenter
on
patrimoine
u
détrimente clercs t de paysans. es calumnie u réclamationsormulées
6. Nous
ensons,
otamment,
uxthèses
'historiographie,
outenuesn
anvier
994,
d'I.Heullant-Donat
ures
hroniques
niverselleses ranciscainsmbriens
tdeF.
Collardur
Gaguin.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
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NOTES
DE
LECTURE
145
par es nobles ontre es aumônes ccordées ar eurs arents ropgénéreux
recouvrent,
e
même,
ien
plus
des
tractationsifficiles
u'une
quelconque
montée e la violence. a Paix de Dieu ne saurait tre
nterprétée
omme
une réaction u déclenchement
e la
guerre rivée,
mais
comme a
prise
de
conscience e la nocivité
e
pratiques taviques ar
un
clergé
ue
les
réfor-
mes
monastiques
u
Xe
iècle uraient endu
plus ntransigeant.
a réussite
socialedes milites 'extraction
odeste,
enus
rossir
es
effectifses
garni-
sonscastrales
n
pleine
roissance,
erait
galement
ne vue de
l'esprit
plus
prestigieux,
e titre
hevaleresqueemplace l'époque
'épithète
obiliaire,
ussi
bienau sein
de la
très
hautenoblesse
ue
de la
noblesse
ui
lui est subor-
donnée t cette volution
e la
titulature donné ieu à biendes malenten-
dus les alleutierse sontpas despaysansibres triches, romis une rré-sistiblescension,mais dea noblesfieffés. ienne
permet,
nfin, e faire
intervenirutour e l'an
mil
a
genèse
es structures
ignagères.
n
somme,
la
critique
u modèle
e la mutationemet n causebien
des
acquis
de l'his-
toriographie
rançaise
es
dernières écennies.
Les
critiques
e D.
Barthélemy
nsistentur a
modestie t sur a
pru-
dence nhérentesu métier
u
médiéviste,
rop
ouvent nclin
prendre
u
premieregré
es données xtraites
es
chartes
t
des cartulaires.
lles
se fon-
dent urune
approche riginale,
ubtile t
pondérée
es
sources,
clairées 'un
jour
nouveau. lles
n'emportent
as toujours
'adhésion u lecteur.
on
corpus
est
trop
réduit
our
e
Xe
iècle7 les neuf ctesdu comté e Vendôme ont
bien
pâle figure
n
comparaison
vec es
quelque
mille
hartes,
es
originaux
pour a plupart,ueP. Bonnassie puutiliserour a même érioden Cata-
logne.
Est-il,
ès
lors,
uste
de
parler
e
révélation,
u
xic
iècle,
'une vio-
lence
ui
aurait
éjà imprégné
es structuresociales
d'un
xc
siècle,
u
sujet
duquel
a documentationendômoisee nous
pprend as grand-chose
Peut-
on,
de
même,
ffirmer'anciennetée la noblesse e familles
hevaleresques
sur
esquelles
n ne sait rien vant
'an mil8 En
outre,
à où
ellesont été
systématiquement
xploitées,
es archives u sol confirmenta
portée
e la
révolutionastrale
u
xic
iècle les
prospections
rchéologiques
oire es
fouilles
enées n Charentet dans e comté
auphinois
e
Sermorens,
ppor-
tent
lutôt
e l'eau
au moulin
mutationniste9.
ourquoi,
'ailleurs,
aire
i
de
la diversité
égionale,
lors
qu'on
sait
e rôle
que
des
circonstances
oliti-
ques
spécifiques,
troitement
iées
à telleou tellefamille
rincière,
nt
pu
jouerdans le déclenchement'un cyclede violence
Ces
quelques uestions
montrentout
'intérêt es discussions
ctuelles
autourde la
mutation
e l'an
mil10,
ans
lesquelles
D.
Barthélemy
'est
engagé
vec
passion11.
une
époque
de
consensualisme
rénique,
e
débat
7.
Il
est,
n
revanche,
enseu débutu
xn<
iècle,
ériode
ù
es hartesonterriblement
défaut
nOccitaniet n
Catalogne.
'est
a
qualité
e es ources
our
ette
ériodeui ermet
à D.
Barthélemy
e
démontrer,
vec
orce,
a descentees
hevaliersu hâteau
ers
e
plat ays.
D'après
'auteur,
es
26
ctes e a
première
oitiéu
xi<
iècleeraient
uffisants
our
efaire
une dée e a sociétévanta crise
ue
d'aucuns
lacent
utoure 1060.
8.
Cf. .
Bonnassie,
Une amillee a
campagne
arcelonaiset
es ctivités
conomiques
aux lentourse 'anmil
,
AnnalesuMidi
1964,
p.
61-283,
vec
'exemple
e
'ascension
sociale
es
Vivas
e
Provençais,
ne
ignée
emilitesien
ocumentée,
ar
ontraste,
anses
sourcesatalanesux< iècle.9. A.Debord,The astellanevolutionnd he eace fGod nAquitania,The eace
of
God n
Aquitania
Th. H.
Head,
R.
Landes,d.,
thaca-Londres,
992,
p.
35-164
M.
Colardelle,
.
Verdel,
hevaliers-paysans
e
'an
mil
u acde
Paladru,aris,
993.
10.
Faut-il
appeler
ci e
numéro
1de
Médiévales
entièrement
onsacréce débat
11.
La mutation
éodale-t-elleu ieu
(Note
ritique)
,
Annales.
conomie.ociété.ivi-
lisation,992,
p.
67-777.
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146
NOTES
DE
LECTURE
provoque e sainesremisesn question. ncorefaudrait-ile dépassionner,
en reconnaissant
ue
sa dimension
déologique
'est
pas
si étendue
u'on
le
prétend arfois.
l est
artificiel
e trouver es
mplicationsolitiques
u
phi-
losophiques
la
chronologie
e la mise n
place
des
structures
ites
féoda-
les,
qu'elles
oient
pparues
entementans e
temps
ong
d'une
transition,
s'étalant
ntre 'effondrement
e
l'Empire
omain t l'an
mil12,
u
qu'elles
aient
ubitementransformées relationsocialesdans e
temps
ourt e la
proclamation
es
capitulairesarolingiens
telle emble
tre,
la
suitede
M.
Bloch,
a
position
e D.
Barthélemyp. 364)
-
ou de la crise
hâtelaine
de l'an
mil.
Cet
ouvrage
uscite 'admiration.
'ampleur
u travail ourni
st exem-
plaire il se fonde ur undépouillementinutieuxt exhaustifesarchiveset surune ecturexigeantee leurs ocuments.es méthodesmployéesont
fort iverses ans une étude ù
l'exploitation
u
cadastre
ôtoie,
vec bon-
heur,
'établissemente la
généalogie,
a
transcription
'une chartemal édi-
tée ou
l'analyse
e
changementsnthroponymiques.
a
profondeur
t a lar-
geur
des
problématiques
st issue d'une connaissance
ritique
e la
biblio-
graphie
a
plus
récente,
ussibien
historique
u'anthropologique
u sociolo-
gique.
Faut-il
our
autant aire es défaillances
'un
style
ù
sous-entendust
allusions
oiléesne
manquent as,
rendanta
lecture
e
La
société
ans
e
comté
e Vendôme i ardue
En
dépit
de
quelques
formules
eureuses,
e
livre,
ux subtilités
t aux nuances éroutantes
3,
ne
brille
as par
sa clarté.
Si les théories e G. Duby- qui démontra,e premier,a naissance ubitedes châtellenies
ndépendantes
utour e l'an mil 4
,
de P. Toubert
qui
mit ur e
compte
e
la contrainte
eigneuriale
'incastellamento,
e
regroupe-
ment es
paysans
ans les habitats e
hauteur15 et de P.
Bonnassie
qui systématisa
es modèles utourde la notionde
mutation16
prêtent
aujourd'hui
e flanc la
critique,
'est,
en
partie,
arcequ'elles
vaient
té
limpidement
xposées
leurs
onclusions
e
connaissaient
as
ce
clair-obscur
dont
'ambiguïtémpêche,rop
ouvent,
e donner
rise
ux
arguments
es
détracteurs.
ais,
en
l'occurrence,
es
défauts
ormels
u livre e D.
Barthé-
lemy
ont
nsignifiants
u
regard
'un fond
dont e caractère
ovateurlève
le Vendômois
u
rang
des
principautés
ui,
comme e
Mâconnais,
e Latium
ou
la
Catalogne,
marquent,
e
façon
écisive,
oute
ne
génération
e médié-
vistes.
Martin
Aurell
12.Cf.notamment.M.Salrach,lprocèse eudalitzaciseglesII-XII),arcelone,987.13.L'on emarquera,ureplanypographique,enombrelevé eguillemets,ransformant
le
sens
riginel
'un
mot,
u de
points
e
uspension,
rahissantn
raisonnementnachevé.
14
La sociétéux
i'
et
xn<
ièclesartsa
région
âconnaise
Paris,
971
2e dition).
15.Les tructures
u
Latium édiéval
Rome,
973.
16. a
Catalogne
umilieuu
x*
la
fin
u
xr
iècle.
roissance
t
mutations'une
ociété,
Toulouse,
975.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
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NOTES
DE
LECTURE
147
Jean-Claudechmitt, es revenantsLes vivantstles morts ans a société
médiévale, aris,
Bibliothèque
es
Histoires, allimard, 994,
306
p.
Les revenants
euplent
otre
maginaire
u
MoyenÂge.
Les folkloristes
déjà,
dans a
première
oitié e ce siècle
en particulier
ierre
aintyves),
et,
plusprès
de
nous,
des historiens
omme laude Lecouteux1e sont nté-
ressés cet
aspect
out
fait
fondamental
e
la
culture
médiévale. e beau
livre e Jean-Claude
chmitt inscrit
ans une
perspective
utre.
ntégrant
certes es
apports
es études
nthropologiques
es
plus
récentes
ui permet-
tentde
révéler e
qu il
y
a de
profondément
humain dans
1
pparition
des
morts,
l
s attache abord
montrer
commentes
croyances
t l ima-
ginaire épendentvant outdes structurestdu fonctionnemente la sociétéet de la culture une
époque
donnée . Cette
poque
c est le
Moyen
Âge
dans
son
ensemble,
ais
vec un
éclairage rivilégié
ur e
«
MoyenAge
cen-
tral
. Comment
onc es vivants
u
MoyenÂge
ont-ils herché se souve-
nir de leurs
défunts
t surtout les
oublier
«
Les
revenants...
existent
ue
par
la force de
l imagination
es
vivants
(p.
75).
Ils
apparaissent,
leurs
rochesconfinibus
t
amicis), en-
dant
a
période
e deuilou
pendant
es
grandes
êtes
iturgiques
Noël
et les
Douzes
Jours)
u encore
e
lundi,
our
des
morts,
urtout
a
nuit,
près
de
leur
ieu de
sépulture,
ans es
cloîtres,
ans leur
maison,
orsqu ily
a eu
un
dysfonctionnement
u
«
rite
e
passage
de l ici-bas
l au-delà,
orsque
les rites
e funérailles
t
de deuil
liés
au
péché,
la
pénitence
t au
salut),
pourdiversesaisons, ontpas pu se faire u se sontmalfaits.Les reve-
nants
ont
un
«
produit
xacerbé
une mémoire
vif
(p.
248).
Ils sont
souvent,
malgré
a
conceptionugustinienne
spiritualiste
de
l âme,
d une
grande
corporéité
,
impression
e
présence
enforcéencore
ar
e discours
en
style
irect
u on
leur
prête,
ien
ouvent
éponse
un
interrogatoire
u
bénéficiaire
e la vision.
Grâce
l utilisation
e
l iconographie,
ean-Claude
chmitt
eut
dresser
une
typologie
es
modesde
figuration
es revenants
pp. 234-243) type
e
Lazare
le
revenant-ressuscité),
ype
du
vivant,
ype
de
l âme,
type
du fan-
tôme
qui
naîtà
la fin
du
xnie
iècle t
qui
reste
are), ype
macabre
cor-
respondant
ux
«
crises
u
MoyenÂge »)
et
présence
nvisible. e
gisant
e
la fin u
MoyenÂge
présenteuelque
nalogie
vec e revenant
il est
image
d unmort t contribuemaintenira mémoireil ressembleu vivant u il
estcensé
eprésenter
mêmes
raits u
visage,
mêmes
êtements)
il
a les
gestes
de la
prière,
n
signe
attente
es
suffrages
es vivants. es revenantesont
rares.Les
revenantses
plus
nombreuxont es défunts
ui
viennent
isiter
leur veuve
pour
s assurer
e leur succession.
Il existe u
MoyenÂge
deux
ypes
énonciation
es
récits
e
revenants.
La
grande
majorité
ont
des récits
apparition
ransmisralementt trans-
crits
ar
un
clerc,
ui
relatent,
a
plupart
u
temps,
a vision veillée
autrui
(plus
crédible
ar moins iscréditée
ue
le
rêve).
Le second
ype
oncerne
es
récits
utobiographiques
ui
racontent,
e
plus
souvent,
ne
apparition er-
sonnelle
ontenue ans un rêve.Dans
le second as le revenant
pparaît
ous
une forme
ncertaine,
lors
que
dans
e
premier
as sa
forme st
plus
claire,
1
Pierre
aintyves,
n
marge
e a
égende
orée,
onges
miraclest urvivances.ssai ur
la
formation
e
uelques
hèmes
agiographiques
1930,
ééd. obert
affont,
ollection
ouquins,
Paris,
987. laude
ecouteux,
antômestrevenantsu
Moyen
ge,
aris,
mago,
986.
ean-
Claudechmitt
onneenombreux
léments
ibliographiques
ur
e
sujet
nnote
p.
259.À
la
ligne
decette
ote,
l fautire tudesurales
tnon
thnologie
urale.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 150/163
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 151/163
NOTESDE
LECTURE
149
à unechristianisationesapparitionserevenants,ême i Tontrouvencore,
en
plein
xve
iècle,
es
«
traditions
olkloriques
es
plus
sauvages
(p. 174).
L ouvrage
e Jean-Claudechmitt era
date car
il
marque,
ncontesta-
blement,
n tournant ans l avancéede
l anthropologieistorique
grande
méfiance is-à-vis u substrat
réchrétien
utant
ue
vis-à-vis es éléments
«
folkloriques
;
attitude
rudente
ui
montre e
refusde deux
types
de
recherche
la recherche un
symbolisme
niverselt la
recherchees
origi-
nes. Même i
beaucoup
e
pratiques
t de
croyances
elativesux revenants
révèlenta nature e l homme t sont ntérieuresu
christianisme,
llesont
trouvéeur
place,
n se
modifiant,
ans es
représentations
hrétiennes.ean-
Claude
Schmitt
tudie
eulement
et
c est
déjà
beaucoup)
e revenant
édiéval.
DidierLett
Jean
Gobi,
Dialogue
vec un
fantôme
dossier
tabli,
raduit t annoté
ar
Marie- nne
Polo de
Beaulieu,
Les Belles
Lettres,
a roue à livres/Docu-
ments, aris, 1994,
185
p.
À
Noël
1323
ou 1324),
une femme Alès vient
rapper
la
porte
du
couvent
es dominicainst affirme
u elle
entend a voix de
son
mari,
Gui
deCorvo,décédéhuitours uparavant. eanGobi,prieuru couvent omi-
nicain
Alès,
décide lorsd assister
a
veuve t de mettre
ar
écrit événe-
ment.
Accompagné
e
religieux
t de
notables e
la
ville,
l
réussit
engager
un
dialogue
vec le
défunt,
ntre
e 27
décembre t
l Épiphanie.
Qui
pouvait
tremieux
lacéque
Marie-Anneolo de
Beaulieu
our
di-
teret commenter
e document e toute
premièremportance1
Le dossier
qu elle
nous
propose omprend
es traductionsu
procès
verbal
édigé eu
de
temps près
es événements l intentionu
pape
Jean
XXII,
du dossier
épistolaire,
u traité e
spiritu
uidonis
rédigé
ers
1334)
t
de six
exempla
issus
de la Scala Coeli relatifsux revenants.a
pièce
maîtressee ce dos-
sier est le
traité,
crit n
latin
dont
Jean Gobi n est
pas
nécessairement
l auteur), ui
se
présente
ous
a forme
e
38
questions, apparentant
une
disputadocolastique. e texte connu,grâce n grande artie la proxi-
mité
un
public
vignonnais
cquis
d avance,
n
réel uccès la fin u
Moyen
Âge.
En
introduction
pp.
3-47),
Marie- nnePolo de
Beaulieu etracea
récep-
tiondu
texte,
ndique
es
multiplesjouts
au
coursdes siècles
t cherche
savoir
uelles
nt té es sources u traité les
questions
9
à
74
de
la
Somme
théologique
e saint homas
Aquin ui portent
ur e
Purgatoire,
e livre II
du
Livre
des Merveillese Gervais e
Tilbury,
elatant histoire u
revenant
de Beaucaire
début
du
xnie
iècle)
t les livrets
exorcismet le
Rational
de Guillaume
urandde Mende
fin
du
xiiie
iècle).
Elle nous
aide ainsi à
mieux avoir
uel
sens donner ce
«
dialogue
d outre-tombe. Le but de
JeanGobi est clair informeres
contemporains
ur
au-delà.
l
interroge
l esprit e Gui de Corvo sur a localisation u Purgatoire,ur es démons,
sur
es
prières
ux défunts u sur a vision
éatifique.
e
Dialogue
st
écrit
1.
Marie-Anneolo e
Beaulieu,
a
Scala oeli
e
Jean
obi
Paris,
991.
ompte-rendu
dans
Médiévales
°
26,
printemps
994,
p.
42-143.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 152/163
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 153/163
NOTES
DE
LECTURE
151
l anonymat,ans être a règle, tait réquemmente lot.Or, le premierans
le domaine e la littérature
rançaise,
hrétien e
Troyes
manifesténe
véritableonscience
auteur t sa
production
e
distingue
ntre utres
ar
la
place qu y
prend,
omme
écritD.
Poirion,
le nom de l artisan
u
texte
.
Chrétienffiche e fait on
nom n trois
ndroits e son
œuvre,
t
c est
là somme
oute
peu près
out
e
que
nous connaissons e ce
personnage.
On situe on
activitéittérairentre
170
t
1185
t l on
peut
upposer u il
avait
cquis,
u
moins
our
a rédaction e ses deuxdernières
randes
œu-
vres,
Lancelot u
le Chevalier e la Charrettet
Perceval u le Contedu
Graal
le statut écrivain e cour la
première
ui
fut ommandée
ar
la
comtesseMarie de Champagne, illed Aliénor Aquitaine, t la seconde,dont n sait a fortune
pas
moins e quatre ontinuationse ce roman irent
le
jour
dès le
premier
iersdu
xine
siècle),
fut
composéepour
Philippe
d Alsace,
mi
de la comtesse. hrétien e
manquepas
d inscrireon nom
dans
es
prologues
e
ces deux
«
romans
,
maisc est dès le
prologue
e sa
première
uvre,
rec et Enide
premier
oman
français
u
cycle
rthurien
dontHartmannon
Aue donnaune
daptation
ourtoiseers
185,
ue
Chré-
tien e
présente
u lecteurn
ndiquant
on
origine
éographique
en se
nom-
mant de Troies
,
Chrétien
aisse ntendre
u il
est lors
loigné
e sa
ville,
tout
comme,
la même
poque,
a
mystérieuse
arie de
France,
vraisem-
blablement
nstallée la cour de
Henri
I
Plantagenêt qui
elle dédia ses
célèbres
ais
rappelle galement
où elle vient la
fin
du
recueil
e ses
Fables « Marie ai nun,si sui de France.
Ce n est
pas
le seul
point
ommun
e Marie
de France t Chrétien e
Troyes
tousdeux e nourrissentn
effet e contes u de lais
«
celtiques
,
et tous deux
e
prétendentupérieurs
ux
simples
onteurs
mais,
andis
ue
Marie e
présente
vant out omme n traducteuroulant
mpêcher
es textes
de
sombrer ans
oubli,Chrétien,ui,
puise
dans
adite matière e Breta-
gne
la substance e ses
«
romans
,
terme
ui, après
voir
aractériséne
langue,
e
français,
uis
touteœuvre crite ans cette
angue, ésigne
ette
nouvelle orme
ittéraire
ui s épanouit
u
xiie
iècle t dontChrétien
ppa-
raîtcomme e
pionnier,
marquant ar
son
art,
toujours
elon D.
Poirion,
«
une
étape
décisive ans a création une ittératuree
langue
rançaise
.
Chrétien
uteffectivementort
roductif,
t
encore outes es
œuvres
n ont-ellesas traversées siècles desécritsu il revendiqueour iens ans
le
prologue
e
Cligès
trois
daptations
Ovideen
français
les
Commande-
ments Ovide
YArt
d Amour t
La
Morsure e
l épaule,
et un
poème
nti-
tuléLe
Roi Marc et Yseut a Blonde ont
ujourd hui erdus.
rec et Enide
est a seule œuvrementionnéeans
ce
prologue ui
ait été
conservée,
vec
La
Métamorphose
e la
huppe
de l aronde t du
rossignol
autre exte ns-
piré,
omme a Morsure e
l épaule
du livreVI
des
Métamorphoses
et
par-
venu
usqu à
nous sous
le titre e
Philomena.
Le
présent
ecueil
ontient
insi,
utre
es
cinqgrands
omans ont attri-
bution Chrétien e
Troyes
stdéfinitivement
cquise,
des écritsmoins on-
nus,
que
la
tradition
pourtant lacés
ous son autorité t
qui
devaient ès
lors rouverussi eur
place
dans un
volume assemblantes
œuvres
omplè-
tes, omme hilomenaGuillaume Angleterretdeuxchansonsourtoises.
Là
encore,
édition
roposée ar
D. Poirion t
ses collaborateurse
distin-
gue par
deux
partis ris
novateurs tout
d abord,
ordredans
lequel
sont
présentés
es
romans es
plus
fameux e Chrétien
e
Troyes
a contre
ertai-
nes habitudes
eçues
t,
après
Erec et Enide
et
Cligès,
n voit ci
Lancelot
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 154/163
152
NOTES
DE
LECTURE
succéder,u nom d uneplusgrande raisemblancehronologique, Yvain
ou le Chevalieru Lion roman
u il précède
ans a
plupart
es autres
di-
tions Perceval
pour
sa
part,
lôt normalementa série.
Viennentnsuite es œuvres
iverses,
armi
esquelles
es
éditeurs nt
choisi
de faire
igurer
uillaume
Angleterre
un
texte
ybride,
ntre a vie
de saint t le roman
aventures,
onservé ans deux
manuscrits
eulement,
et
que
n a
pas
retenu
ar exemple,
malgré
a
mention
u
nom de
Chrétien
dans e
prologue
e
cette
œuvre,
édition es Romans e
Chrétiene
Troyes
parue
hez Hachette ous
a direction e
Michel ink. Anne
Berthelot
end
compte
e la
présence
e
ce
Guillaume
Angleterre
u sein
des Œuvres
om-
plètes
de Chrétienn
expliquantue
«
cetteœuvre
été
considérée
endant
des années, oiredes siècles, omme aisant artie es œuvres e ChrétiendeTroyes etqu « à ce titre,a placedans ce volume e justifie, e serait-
ce
que
par
défaut . Ce texte u demeurantout
fait ntéressant
aitdonc
figure
e
pari, pris
au nom du souci
d exhaustivité.
La même olonté e montrerart de
l auteur ans sa
globalité
d ail-
leursmotivé
e choixdes manuscrits
ur
esquels
e
fonde a
présente
di-
tion,
ui
ne
prive as pour
utant e lecteur e
nombreuses
ariantest on
ne
peutque
se
réjouir
avoir
ntre es mains
n volume
mariantussi
har-
monieusement
rudition,
xhaustivitét isibilité
non seulement
e lecteure
repère
rès isément ans es différentsomans e
Chrétien
râce
ux
titres
courants
ntroduits
ar
éditeur,
ui indiquent
rièvement
e contenu u
texte
en tête es
pages mpaires,
ais
chaque
œuvre ait
objet
d un
copieux
os-
sier omprenantneNotice, neBibliographie,ne Notesur e texte tsur
la
traduction,
t les Notes et variantes.
Traditore traduttoreest videmmenta
question ue
l on
peut
e
poser
à
propos
e toute
ntreprise
e ce
genre,
t
d aucuns
pourront
egretterue,
dans cette dition
ilingue,
e texte
riginal
oit
relégué
n
pied
de
page
et
dans
un caractère
lus petit ue
celuide la
traduction,
u
que
la
traduction
elle-même,
yant
délibérément
ésolude ne
pas
privilégier
e rendu
ittéral
au détriment
e
l aspect
ittéraire,
isqueparfois
e
tomber ans une
prose
privée
e
sa
saveur
riginelle.
ais,
à
encore,
n ne
peut
que
saluer hon-
nêteté e l éditeur
cientifique
t de ses différents
ollaborateurs,
ui
rendent
systématiquement
t
scrupuleusementompte
es
partis rispour
a
traduc-
tionde
chaque
exte,
t des raisons
ui
les ont
poussés adopter
u au con-
traire fuir elle u telle ttitude.a plupart entre ux ontvoulu écarter
du vocabulaire
gothique
et évitere
«
style
roubadour
,
mais a
spécifi-
citédu
lexique
e Chrétien e
Troyes
est
pas pour
autant
ommée, uis-
que
grand
ombre
e termest de notions ontrassemblést
expliqués
ans
un riche
Répertoire
la
fin
du volume.
n
définitive,
l
y
a dans
ces Œu-
vres
omplètes
e
quoi
satisfaire
t ntéresserous es
amateurs
e
littérature,
quel que
soit eur
degré
e connaissanceu
français
u du monde
médiéval,
et l on ne
peut que
faire
ien,
à
propos
de cet
ouvrage,
e vœu émis
par
D. Poirion
u
sujet
de Chrétien
e
Troyes
«
qu il
trouve a
place
dans
es
bibliothèques
e tous
es lettrés.
LaurenceMoulinier
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 155/163
NOTES
DE
LECTURE
153
Émilevan Balberghe, Les manuscrits édiévaux e l abbayede Parc
Bruxelles,
992 AlainFerratorit ÉmileVan
Balberghe,
ibraires
Documenta
et
Opuscula
n°
13),
189
pp.,
12
pl.,
index
noms
de
personnes,
anuscrits).
Dans une
préface
avoureuse
et sur
aquelle
ousreviendrons Jean-
François
Gilmont étonne vec
perfidie u Émile
Van
Balberghe
ait
pas
intituléon
ouvrage
nalecta
«
mot atin
qui]
renvoie ux miettes
t ramas-
seursde
miettes. Faute de
pouvoir
éalisera somme
ue
suggère
e
titre
de son
livre,
auteur,
niversitaireevenu
ibraire,
en
effet assemblées
articles
u il
a
consacrés,
ntre
969
t
1974,
l important
onds
manuscrit
détenu
u
Moyen
Âge
par abbaye
norbertinee Parc en
Belgique.Malgré
leur ge,cestravaux,omplétés ardes notulesnédites,onstituente véri-tablesmodèles u
genre,
méditer
ar
tousceux
qui
se
piquent
e codicolo-
gie
ou
de
philologie,
ans
toujours
ien
oupçonnerampleur
es recherches
que
supposent
es
disciplines.
Une
première
ériede
mises u
point
st dédiée
ce
que
l on
pourrait
appeler
l archivistique
es manuscrits
,
c est-à-dire,
elon
la
définition
reprise
e Gilbert
uy,
la
disciplineui
a
pour bjet
a
reconstitutiondéale
ou
matériellees fonds
e
manuscrits
ispersés,
u la
conservation
es
fonds
ayant chappé
u démembrement.
Il
faut ire
ue, pour abbaye
de
Parc,
la tâche st rude
malgré
ne fondation
récoce en
1129),
on
ne
dispose
en effet
aucun
catalogue igne
e ce nom avant elui
que publia
n 1643
Sanderus
ans sa Biblioteca
elgicamanuscripta.
t encore
e
premier
nven-
taire, onclassé t souventaconique,st-il un maniementeuaisé d autant
qu au
débutdu
xviiie
iècleon
procéda
une vaste
opération
e déreliure
qui,
touten
permettant
a conservationes
livres,
ut aussi
pour
effet e
brouiller
iendes
pistes.
e
qui
amène auteur s intéresser
d autres
atas-
trophes, galement
amilièresux historienses
bibliothèques
édiévales
d abord
une
vente
ux
enchères,
laquelle
durent e résoudre n 1829
des
chanoines
boutde
souffle,
édant insi ertainse leurs
uvrages quelques-
uns des
plus
grands
rédateurs
u
temps
n
la
matière,
omme e
célèbre
RichardHeber
type
même u
«
bibliomane
croqué
deux
ans
plus
tard
par
CharlesNodier en
1914,
e
futun
incendie
ui
fit
partir
n fumée
a
vingtaine
e manuscritse Parc
récupérés ar
l universitée
Louvain.
Confronté
l indigence
es
catalogues
nciens,
mile
Van
Balberghe
dûdéfinir,partire manuscritsubsistants,es critèreseprovenance.râce
à l examen e la
reliure,
es
armoiries,
es cotes nciennes
t des mentions
de bibliothécaires indices
lassiques
mais
que
l auteurmanie vec une
rare
rigueur
il a
pu
ainsi établir ne liste de 264
manuscrits
rovenant
e
l abbaye
de
Parc,
dispersés
ntre ne trentainee
bibliothèques,
ubliques
ou
privées,
es
États-Unis
la
Nouvelle-Zélande.
Mais en bon historienu
livre,
auteur e se limite
as
aux inventaires
et
aux recensements.
es
notices
ouillées,
onsacrées certains
manuscrits
permettent
en
approcher
e
contenu. elui-ci st trèsvariéet
l attention
ď
ÉmileVan
Balberghe
e
dirige
lors aussi
bien vers
histoire e
l Église
-
avec un
fragment,
onservé ans un
plat
de reliure t
remontantu
Xe
siècle,
e la
Chronique
Eusèbede Césarée
raduite
ar
saint
Jérôme
que
vers e droit anon- grâce un commentaireur es Clémentineséalisé
à
quatre
mains t retrouvé
la
Bibliothèque
ationale e
Paris ou
encore
vers
humanisme à travers n extrait
e la Vita
Petrarchae e
Giannozzo
Manetti
éalisé ux
Pays-Bas
ers
450.
Quant
ux
œuvres u
théologien
our-
naisien ean
Tinctor,
lles
fournissenta
matière un
passionnant
ossier
ur
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
http://slidepdf.com/reader/full/medievales-num-27-automne-1994 156/163
154
NOTES
DE
LECTURE
la répressione la sorcellerie Arras t dans esrégionslentour ers1460,
et surtout
ur abondante
roductionémonologiqueui
a
accompagné
ette
répression.
Pour chacun
es textes
tudiés,
mileVan
Balberghe
ait
reuve
e
qua-
lités
arementéunies l attention
crupuleuse
u
manucrit,
sa
composition
matériellet à ce
que
celle-ci
ous dit aussi bien sur a
datation u témoin
que
sur a lecture e
l œuvre
mais
également
a
connaissance es travaux
des
spécialistes
ui permettent
e ne
pas prendre
el
manuscrit
our
e centre
du
monde t de lui restituer
a véritablealeur.
ette rudition
onfondante,
mise u
service un
objectif ui
peut
pparaître
omme
imité,
uscite inter-
rogation
ronique
e
Jean-François
ilmont
n y
a-t-il
pas
contradiction,
souligne-t-il,ntreemytheui ustifiea publicatione tant articles« Nuln estcensé gnorer imprimé) et le postulat ui sous-tendn appareil e
notes
oujours randissant
«
Les autres ecteurs éconnaissentn
trop rand
nombre
e
pages
mprimées)
?
«
C est
pourquoi, oursuit
ilmont,
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après
note,
e lecteur st nvité allerdécouvrir
a
ligne
de la note
14
de
la
page
144
du tome
1
444
de
je
ne sais
quel
Archiv
une Verein
uelcon-
que
».
Et
le
préfacier,
écidémentien
perfide,
e conclure
«
ce
travail e
Sisyphe,
estiné
faire onnaîtrees eldorados e
Science,
st ussitôtnfoui
dans une
autre
igne
d une autre
note15 d une autre
age...
». Souhaitons
un destin ifférentcet
ouvrage, ui peut
ffectivement
pparaître
ux
yeux
des
pluspressés
omme
n monument érudition
ratuite
les
-
nombreu-
ses
-
miettes
u il
nous
offre atisfont
ependant
avantage
appétit
ue
les ourds pensums destinés nepassurvivre la carrièree leurs uteurs.
BrunoLaurioux
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
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156
LIVRES
REÇUS
Paul Mommaers, Hadewijchd'Anvers trad.CamilleJordens, aris
Le
Cerf,
1994.
Anne
Motte Gillet
(éd.),
Conteurs
italiens
de la Renaissance
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:
Gallimard,
1994
(«
Bibliothèque
de La Pléiade
»).
Pierrette
aravy,
De la chrétienté
omaine à la
Réforme
en Dau-
phiné. Évêques,
fidèles
et
déviances
vers
1340-vers
530),
Rome :
École
Française
de
Rome, 1993,
2
vol.
(coll.
de l'École
Française
de
Rome,
183).
Régine
Pernoud,
Hildegarde
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conscience
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Olivia
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Constable,
Trade and Traders n Muslim
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Cam-
bridge
University
ress,
1994
coll.
«
Cambridge
tudies
n
Medie-
val Life
Thought»).
Simone
Roux,
Le monde
des villes au
Moyen
Âge
xie-xve
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Paris
: Hachette
Supérieur,
1994
(coll.
«
Carré
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Jean-Claude
Schmitt,
Les revenants Les vivants t les
morts
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la société
médiévale,
Paris :
Gallimard,
1994
(« Bibliothèque
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).
Société des HistoriensMédiévistes e l'Enseignementupérieur ublic,
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Moyen
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Contamine),
Paris-Rome Publications
e la
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École
Française
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Rome,
1994.
Villes et sociétés urbaines
au
Moyen Âge Hommage
à
Monsieur le
Professeur acques
Heers,
Paris
:
Presses
de
l'Université
e
Paris-
Sorbonne,
1994
coll.
«
Cultures
t civilisations
médiévales,
XI
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Jacques
Voisenet,
Bestiaire hrétien
L'imagerie
animale des
auteurs
du Haut
Moyen
Âge
(ve-xie iècle)
(préface
de P.
Bonassie),
Tou-
louse
:
P.
U.M.,
1994.
Würzburgermedizinhistorischeitteilungen, and 12, hrsg.Michael
Holler
und Gundolf
Keil,
Würzbourg Königshausen
Neu-
mann,
1994.
8/9/2019 Medievales - Num 27 - Automne 1994
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DU SCRIBE AU LIVRE
Z
LES MANUSCRITS HÉBREUX AU MOYEN AGE
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Colette SIRAT
Q
Lr «j Les ivresontes émoinsrivilégiése a vie es uifsepuises remiersièclesenotrere.
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Manuscrits
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XVe
iècle,
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e
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n
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st
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eut,
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dans
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la
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en
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st
que
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ar
dile
edon
tBer ear
Rosenberger
Pour
tan
«vísm
Les
Assises
du
pouvoir
Temps
édřévalíx,
erritoires
fricains
TEMPS
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Universitaires
e
Vincennes
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e concours
e L'UNESCO
248pages 160F
Circulant
ntre
rance,
frique
t
Portugal,nterrogeant
es récits
e la
conquête
arabe
de
l'Espagne,
e
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Kutama ans a
stratégie
u
pouvoir
u
les
voyages
de la
reine
Gerberge,
es contributionsont
e croiser erritoires
africainst
temps
médiévaux. es
auteursmontrentomment
e
pouvoir
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construit
urdes bases
matériellest se renforce
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élaboration
ntellectuelle,
fidélité
la
religion
es
pères
ou conversion
une
religion
ouvelle
et
fédératrice
ils
mettentinsi n évidence
es
stratégies
amiliales,
thniques,
territorialestéconomiques. esmythes,es religions,es plantes irculent'un
pays
à
l'autre,
onstruisant
t détruisant
es
équilibres.
u-delà
es
violences,
des
résistances,
es
échecs,
naissent e nouveauxmondes.
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SOMMAIRE
N°
27
AUTOMNE
1994
DU BON
USAGE
DE LA
SOUFFRANCE
Pour
une histoire e la souffrance
expressions, eprésentations,
usages
Piroska ZOMBORY-NAGY
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FRANDON,
en
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David
EL
KENZ et
MatthiasGRÄSS-
LIN
5
Rhétorique
e la
perte. 'exemple
de la mort 'Isabelle
de
Bourbon
(1465)
Christian IENING
15
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25
Les larmes u
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'exégèse
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