mécanique quantifier supportés - cirad

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Article original Mécanique de l’arbre sur pied : les relevés dendrométriques classiques pour quantifier les efforts gravitationnels supportés par un tronc - leurs limites M Fournier P Langbour D Guitard P Michel J Perrin 1 IUT A, Université de Bordeaux I, laboratoire de rhéologie du bois de Bordeaux, 33405 Talence Cedex; 2 INRA, centre de recherches de Nancy, station qualité des bois, Champenoux, F 54280 Seichamps, France (Reçu le 3 avril 1990; accepté le 27 août 1990) Résumé — Le fût d’un arbre sur pied est soumis à l’action de la pesanteur, qui induit un effet de flexion sur un arbre déséquilibré. La qualification de cette action réclame donc d’évaluer non seule- ment la masse de l’arbre, mais aussi son déséquilibre, c’est-à-dire la position de son centre de gravi- dans un plan horizontal. Une méthode d’estimation de cette position à partir de relevés dendromé- triques simples (mesure d’une inclinaison du fût, de huit rayons de la projection au sol du houppier) est proposée. Appliquée à 9 peupliers, elle permet de classer les individus en trois groupes : droits, inclinés, flexueux. Confrontée aux résultats d’un essai mécanique de suppression de la masse sup- portée, elle apparaît suffisante pour estimer la direction de l’effort de flexion sur les individus de con- formation simple, droits ou inclinés, mais doit être affinée dans les cas plus complexes. L’essai comme la modélisation confirment en outre la prépondérance des effets de flexion sur ceux de com- pression, même sur des individus apparemment équilibrés. mécanique de l’arbre / dendrométrie / fonction de soutien / Populus * Correspondance et tirés à part Summary — Mechanics of standing trees: the evaluation of gravitational forces on a tree trunk from the usual tree measurements. A standing tree stem is submitted to gravity, eg bending forces on a non-equilibrated tree. To qualify gravitational effects, one must evaluate not only the tree mass, but also the "lever arm", and therefore the position of the centre of gravity in a horizontal plane, which cannot be measured in a felled tree. From a simple schematization of the tree (a right tilted stem, and a crown, fig 1), a method of estimating these co-ordinates from a few measurements in the standing tree is proposed, using the slope of the stem at breast height and 8 radii of the crown (to evaluate the magnitude and direction of its eocentricity, (fig 2). First, we applied the method to 9 poplars, and classified them into three groups: right and vertical trees, tilted trees, and twisted ones (table I). We then used this method to estimate bending moments acting on the standing trees, and compared this estimate with the experimental results of a mechanical test: the felling of the support- ed mass (fig 3). Measurements and modelling show that the effect of bending forces is always more

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Article original

Mécanique de l’arbre sur pied :les relevés dendrométriques classiquespour quantifier les efforts gravitationnelssupportés par un tronc - leurs limites

M Fournier P Langbour D Guitard

P Michel J Perrin

1 IUT A, Université de Bordeaux I, laboratoire de rhéologiedu bois de Bordeaux, 33405 Talence Cedex;

2 INRA, centre de recherches de Nancy, station qualité des bois,Champenoux, F 54280 Seichamps, France

(Reçu le 3 avril 1990; accepté le 27 août 1990)

Résumé — Le fût d’un arbre sur pied est soumis à l’action de la pesanteur, qui induit un effet deflexion sur un arbre déséquilibré. La qualification de cette action réclame donc d’évaluer non seule-ment la masse de l’arbre, mais aussi son déséquilibre, c’est-à-dire la position de son centre de gravi-té dans un plan horizontal. Une méthode d’estimation de cette position à partir de relevés dendromé-triques simples (mesure d’une inclinaison du fût, de huit rayons de la projection au sol du houppier)est proposée. Appliquée à 9 peupliers, elle permet de classer les individus en trois groupes : droits,inclinés, flexueux. Confrontée aux résultats d’un essai mécanique de suppression de la masse sup-portée, elle apparaît suffisante pour estimer la direction de l’effort de flexion sur les individus de con-formation simple, droits ou inclinés, mais doit être affinée dans les cas plus complexes. L’essaicomme la modélisation confirment en outre la prépondérance des effets de flexion sur ceux de com-pression, même sur des individus apparemment équilibrés.

mécanique de l’arbre / dendrométrie / fonction de soutien / Populus

*

Correspondance et tirés à part

Summary — Mechanics of standing trees: the evaluation of gravitational forces on a treetrunk from the usual tree measurements. A standing tree stem is submitted to gravity, eg bendingforces on a non-equilibrated tree. To qualify gravitational effects, one must evaluate not only the treemass, but also the "lever arm", and therefore the position of the centre of gravity in a horizontalplane, which cannot be measured in a felled tree. From a simple schematization of the tree (a righttilted stem, and a crown, fig 1), a method of estimating these co-ordinates from a few measurementsin the standing tree is proposed, using the slope of the stem at breast height and 8 radii of the crown(to evaluate the magnitude and direction of its eocentricity, (fig 2). First, we applied the method to 9poplars, and classified them into three groups: right and vertical trees, tilted trees, and twisted ones(table I). We then used this method to estimate bending moments acting on the standing trees, andcompared this estimate with the experimental results of a mechanical test: the felling of the support-ed mass (fig 3). Measurements and modelling show that the effect of bending forces is always more

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obvious than that of compressive ones, even in apparently equilibrated trees. The schematization isadequate for the first two groups: right and vertical trees and tilted ones (fig 5, trees 1-7), and the es-timation of crown parameters is of greater importance than the stem slope. In order to describe twist-ed trees (trees 8 and 9), one must make further measurements.

mechanics of standing trees / dendrometry / support function / Populus

INTRODUCTION

Une fonction essentielle du bois dansl’arbre sur pied est de constituer la struc-ture porteuse qui permettra à l’arbre de sesoutenir et de résister aux agressions(vents, masses additionnelles de neige, degivre). L’analyse de ces efforts extérieurset de leurs effets est un des volets étudiés

par la mécanique de l’arbre sur pied, dansle but de définir les situations critiques d’in-stabilités (chablis, casse), de proposer destests de qualification du bois dans l’arbresur pied à partir de sa réponse de struc-ture à une sollicitation artificielle (Lang-bour, 1989), et d’analyser les règles d’éla-boration du bois qui permettent à une tigede s’adapter à son environnement en as-surant sa fonction de soutien. Pour le mé-

canicien, les efforts extérieurs, tels quevents, poids..., se schématiseront, au ni-veau d’une section droite, par un "torseur",qui se traduit notamment par une flexion.L’analyse de ce torseur requiert donc deconnaître le moment fléchissant sur la sec-tion droite, c’est-à-dire l’intensité de l’effortrésultant et la position de son point d’appli-cation. Cette position dépend de la mor-

phologie de l’individu, étudiée par lesforestiers dendrométriciens, et les bota-nistes architectes de l’arbre. Notre objectifest ici de proposer, à partir de relevés den-drométriques classiques, une schématisa-tion de la tige sur pied et de son houppier,qui permette d’estimer la position de soncentre de gravité, donc le moment fléchis-sant induit à la base par le poids propresupporté. Cette schématisation sera

confrontée aux valeurs des déformations

mesurées à la surface du tronc lors du

tronçonnage de la tige.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Une schématisation de l’arbre, à partirde quelques relevés géométriques

L’arbre est schématisé par un fût rectiligneincliné qui supporte un houppier (fig 1) etest donc caractérisé par (les vecteurs figu-rés en gras) :- l’inclinaison α (angle positif, inférieur à

90°) du fût par rapport à la vertical V, et

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l’azimuth de cette inclinaison, c’est-à-direla direction H vers laquelle l’arbre penche.

Ces grandeurs permettent de définir àpartir d’une origine que l’on choisit aucentre de la section droite située à hauteurde poitrine (1,3 m) le référentiel terrestre

(O, x, H, V) et le référentiel du fût (O, x, y,z). α est l’angle de la rotation autour de Oxqui amène (O, x, y, z) sur (O, x, H, V).

- les coordonnées polaires de la projec-tion du centre de gravité du houppier dansle plan (O, x, H) : l’excentricité de la cime eet sa direction δ.

Nous nous proposons de qualifier cesgrandeurs, H, α, e et δ par des mesures

dendrométriques relativement simples et

conventionnelles :

- la direction H et l’inclinaison α sont

évaluées à l’aide d’un fil à plomb de lon-gueur L (on choisira ici L = 1 m) monté àl’extrémité d’une canne appuyée sur l’arbreà une hauteur de 2,3 m. Une règle gra-duée joignant le bas du fil à plomb à l’arbretangentiellement au tronc permet la me-sure de la distance horizontale D (fig 2).Cette mesure étant répétée (sur la face in-

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férieure où elle est possible) en appuyantla canne successivement en plusieurspoints de la circonférence; H est la direc-tion mesurée à la boussole, où D est maxi-mum (D = D max), tgα est alors égale àDmax/L (Langbour, 1989). La décroissancedu diamètre entre le bas et le haut du fil àplomb est négligée.

- e et δ sont estimées par la surface

projetée au sol du houppier. La dendro-métrie classique conseille une approxima-tion de l’aire de cette surface par celle re-

présentée sur la figure 2, définie à partirde la mesure de 8 rayons Ri dans 8 direc-tions i = 1, 2, ..., 8 à 45°, à partir du piedde l’arbre O’ (Pardé et Bouchon, 1988).Nous utiliserons ces mêmes mesures enadmettant qu’une bonne estimation de e etδ est donnée par la position du point A,centre géométrique de la précédente sur-face, tel que :

2 Σ Ri i

O’A =

Le calcul des coordonnées polaires e’, δ’de A dans (O’, x, H, V) conduit alors à :

En assimilant la projection horizontale dupoint O’ (au pied de l’arbre) à celle de O (à1,3 m), e’ et δ’ sont directement les gran-deurs e et δ recherchées.

Torseur des efforts induit par un poidssur le fût

L’arbre supporte une distribution de massequi transmet un effort au niveau de la sec-tion droite médiane d’un billon cylindriqueélémentaire proche de l’empattement. L’ac-tion d’un poids P = -PV, se schématise auniveau de la section droite, avec les

concepts généraux de la théorie des

poutres par un torseur (Laroze, 1980).Nous n’analyserons ici que l’effet des mo-ments de flexion MFx et MFy et de l’effortnormal de compression N, dont la variationest susceptible de produire des déforma-tions longitudinales ϵzz.

La connaissance de ces grandeurs (N,MFx et MFy), à un instant donné, permetd’écrire, sur les champs de contraintes σzzdans la section droite, des conditions inté-grales d’équilibre. Elle ne donne par contreaucune indication sur la répartition de cescontraintes, qui dépend de toute l’histoirede la croissance de l’arbre et de ses char-

gements, externes (poids) ou internes (ma-

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turation) (Fournier, 1989). Il faut donc évi-ter d’employer les termes de «face ten-due» ou «comprimée» en référence à la di-rection supposée du moment fléchissant.

L’effort supporté et la réponse, en

termes de déformations ϵzz, du tronc àune suppression ou modification de cet ef-fort ne dépendent, localement (au niveaude la section droite), que de la partie del’arbre située au-dessus de cette section.C’est pourquoi, il n’a pas été tenu comptede la nature de l’encastrement dans la mo-délisation. Comme souligné par Langbour(1989), le rôle des racines (la nature del’encastrement) devra être envisagé ulté-rieurement pour aborder la qualificationdes déplacements du tronc (mesures deflèches) et des situations d’instabilité encas de surcharge (masse de neige, degivre...).

En s’appuyant sur la schématisation

géométrique du chapitre précédent, l’effortnormal de compression et les moments flé-chissants exercés par le poids propre sup-

porté dans la bille de pied vont être éva-lués au niveau d’une section droite de réfé-rence située à hauteur de poitrine I0 =1,3 m.

Notons Ph le poids du houppier, décom-posons le fût en une bille de pied de lon-gueur 2,5 m et n billons élémentaires, depoids Pi (i = 1...n), de longueur I = 2,5 m(fig 3).

L’effort normal N et les moments flé-chissants MF1x et MF1y exercés par le houp-pier seul sur la section droite considérée,sont, tous calculs faits (Fournier, 1989) :

En ajoutant l’action des n billons du fûtincliné, les efforts totaux N2, MF2x et MF2ysont :

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L’angle α, la direction x (ou H), l’excen-tricité du houppier e et sa direction δ, ontété définis au chapitre précédent et doi-vent être mesurés sur l’arbre sur pied.Toutes les autres données utiles (lesmasses et les longueurs de chaque billon,la masse du houppier) sont évaluables surl’arbre abattu et tronçonné.

Validation de la schématisation

géométrique par un essaide suppression du poids supporté.Principe et protocole

Principe

Plus haut, nous avons proposé quelquesgrandeurs dendrométriques pour estimerles paramètres déterminant les efforts in-duits par le support d’un poids et indispen-sables à mesurer sur l’arbre debout avant

abattage et tronçonnage. Le bien fondé dela schématisation est maintenant testé parla mesure, en termes de déformations lon-

gitudinales, de l’effet de la suppression dece poids.

La variation d’état mécanique étudiéeest due au tronçonnage de l’arbre à 2,5 mdu sol, qui impose un torseur opposé àcelui initialement supporté. Entre l’état ini-tial où l’arbre est debout et l’état final aprèstronçonnage, le bois de la section droiteest le siège d’un champ de déformationsdont on se propose d’évaluer la compo-sante longitudinale ϵzz (r, &thetas;), en fonctionde l’effort supprimé, de la géométrie de lasection droite, des propriétés du matériau

bois. Ce matériau est assimilé à un maté-riau élastique, dont le comportement nedépend de l’humidité qu’au-dessous du

point de saturation des fibres.Le matériau est anisotrope, en première

approximation orthotrope cylindrique dansle référentiel du tronc : on remarque (Four-nier, 1989) que la résistance des maté-riaux classique (établie pour des poutresisotropes transverses) donne une excel-lente approximation des déformations lon-gitudinales (différences inférieures à

0,05%) d’un tronc orthotrope cylindriquesoumis à un effort de traction-compressionou de flexion pure, à condition de prendrepour module d’élasticité E du matériau lemodule longitudinal du bois EL.

La section droite d’un tronc d’arbre estgénéralement hétérogène (présence debois juvénile, de bois de réaction, d’une al-ternance bois initial-bois final...). L’étudede l’influence de ces hétérogénéités sur laréponse de la structure à une flexion pure,entreprise par ailleurs (Fournier, 1989)montre que :- la présence d’une hétérogénéité ra-

diale E(r) conduit à définir E comme unmodule homogène équivalent, caractéristi-que de la section droite

essentiellement gouverné, du fait de la

pondération par r2, par le comportementdes parties externes du tronc (les plus sol-licitées par l’effort de flexion);- la présence d’une face plus rigide (hé-

térogénéité circonférentielle classique dela présence de bois de réaction), entraîneun déplacement de la fibre neutre vers

cette face. L’expérience montre toutefoisque compte tenu des ordres de grandeurmesurés de cette hétérogénéité (variationde module de l’ordre de 10%), la résis-tance des matériaux classique des poutres

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homogènes donne une bonne approxima-tion des déformations ϵzz (à quelques %de la valeur maximale), en prenant commemodule élastique de la section droite E, lemodule moyen du bois sur la circonfé-rence.

ϵzz (r, &thetas;) est donc estimé en utilisant lesformulations classiques de la résistancedes matériaux (Laroze, 1980), soit :

où E est le module d’élasticité de la sectiondroite. E sera estimé par des essais quasi-statiques conventionnels dans la directionlongitudinale (Guitard, 1987) (dont la duréeest comparable à celle des essais in situ),sur éprouvettes de bois vert, débitéesdans les parties externes du tronc, en fai-sant la moyenne des valeurs mesurées surla circonférence. r, &thetas; sont les coordonnées

polaires d’un point de la section droite,supposée circulaire, de rayon R; s = πR2est l’aire de la section droite, i = πR4/4 estson inertie à la flexion. Dans ce qui suivraϵzz, qui représente une élongation ou unecontraction relative (Δλ/λ, λ est la longueurde la base de mesure), sera exprimé enmicrodéformations (ϵzz x 10-6, abréviationμdef).

Deux schématisations seront envisa-

gées :- la plus simple considère que, compte

tenu des ordres de grandeurs des masseset excentricités des billons, l’action du seul

houppier est prépondérante sur celle dufût, et donc N = N1, MFx = MF1x et MFy =

MF1y;- la plus complexe prend en compte les

efforts exercés par le houppier et le fût

supposé rectiligne, incliné, soit N = N2, MFx= MF2x et MFy = MF2y.

La figure 4 montre l’allure d’une distribu-tion théorique de ϵzz calculée en tout point(R, &thetas;) de la surface du tronc r = R, en pre-nant en considération, l’action du houppierseul dans un premier temps, l’action glo-bale du houppier et du fût ensuite, repré-sentée en fonction de la coordonnée angu-laire &thetas; qui repère un point de lacirconférence.

On s’attend donc à enregistrer à la péri-phérie du tronc, une déformation longitudi-nale, de valeur moyenne positive (l’effortnormal est une tension égale à la résul-tante des poids supprimés) et évoluant defaçon sinusoïdale sur la circonférence dufait du moment fléchissant supprimé. Si lefût est vertical (α = 0), le moment n’est dûqu’au poids du houppier excentré (MF =

MF2 = MF1) et est donc perpendiculaire à ladirection δ qui devient l’axe des déforma-tions maximales. Dans le cas général où lehouppier excentré est développé dans uneautre direction que celle de l’inclinaison dufût qui participe au moment (δ ≠ ± π/2), il ya suppression du moment dû au poids du

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fût, porté par x, et de celui dû au houppier.L’axe des déformations maximales estalors intermédiaire, entre Oy et la directionδ.

Protocole expérimental

La campagne a été menée au cours de l’été1987. Les individus sont issus du populetum deVelaine-sous-Amance (Meurthe-et-Moselle),plantés avec un espacement de 3,5 m x 3,5 mou 7 m x 7 m. Ils ont un âge moyen de 30 ans(plantation de 1957 à 1961) et proviennent deplants (0-2 ans en pépinière) issus de graines(croisements contrôlés). La hauteur moyennedes arbres était de 24,5 m; leur circonférencemoyenne à 1,30 m de 76 cm. L’origine de cha-que individu est détaillée sur le tableau I.

Mesures dendrométriquespréliminaires (tableau I)

L’excentricité du houppier e et sa direction δsont préalablement déterminées selon la mé-thode décrite précédemment, de même que l’in-clinaison α et la direction H, sur une base demesure L = 1 m.

Extensométrie

Quatre jauges extensométriques (de type Tech-dis PR 10, longueur 10 mm) sont collées enquadrature sur la circonférence à hauteur depoitrine sur le bois de l’arbre sur pied juste sousle cambium (après écorçage et préparation dela surface) et sont reliées à un pont d’extenso-métrie de chantier. Une fois la référence prise,l’arbre est tronçonné à 2,5 m, puis, les déforma-tions résultantes sont immédiatement relevées.L’utilisation de jauges extensométriques sur

bois vert, et en forêt, a surtout été utilisée (Ar-cher, 1986) pour l’étude des contraintes decroissance, dans le but de mesurer des défor-mations de l’ordre de ϵ = 1000 μdef, avec unesensibilité utile d’environ 100 μdef. Ici, notam-ment parce que l’ordre de grandeur de ϵzz me-

suré est de 100 μdef, la technique a fait l’objetde mises au point et d’essais préalables au la-boratoire où la sensibilité des mesures est por-tée à Δϵ = ± 10 μdef.

Mesures complémentaires aprèsabattage : masses, caractéristiquesde la section droite et du matériau

L’ensemble de la tige abattue est immédiate-ment pesé; les données conservées sont les

poids des quatre billons de 2,50 m formant le fûtet le poids cumulé du reste de la tige et desbranches constituant le houppier (les arbres ontune hauteur totale de 20-25 m, les premièresbranches vivantes se situent entre 10 et 13 mde haut).

Le tronçon de tige qui reste debout est en-suite abattu, et 2 rondelles sont découpées justeen dessus et en dessous de la section des me-sures. Leur contour est décalqué sur papier,puis découpé; l’aire s de la section est alors éva-luée par pesée en utilisant le grammage du pa-pier (préalablement vérifié). Le rayon moyen Rs’en déduit (R2 = s / π).

Enfin, le module d’élasticité de la sectiondroite E est estimé à partir de la rigiditémoyenne de 8 éprouvettes de bois vert de di-mensions normalisées testées en flexion 3

points [E étant évalué dans les conditions de lanorme NF B51008, sans tenir compte de l’in-fluence du cisaillement (Guitard, 1987)]. Ceséprouvettes sont débitées immédiatement au-dessus de la section des mesures, extraites del’aubier en 4 zones de la circonférence en qua-drature (fig 3).

RÉSULTATS

Morphologie des individus

Le tableau I montre les valeurs estiméesde l’inclinaison α, de l’excentricité de lacime e, et de sa direction δ, pour chaqueindividu. Il apparaît que :- pour les 5 individus (1, 2, 3, 6, 7) qui ontl’excentricité la plus marquée (> 0,70 m), ladirection de cette excentricité δ accom-

pagne la direction H (90°) de l’inclinaisonlocale de l’arbre : ces individus sont quali-fiés d’inclinés;

- un individu (9) présente une excentri-cité relativement importante (0,66 m), dans

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une direction -40° qui n’a rien à voir avecla direction 90° de l’inclinaison locale. Cetarbre a été qualifié de flexueux;- l’individu (8) présente une faible ex-

centricité (0,34 m) dans une direction -64°quasiment opposée à la direction H, maisune forte inclinaison locale (tg α = 0.065).Pour ces raisons (différentes du cas pré-cédent), il est aussi qualifié de flexueux;- les 2 individus (4,5) restants présen-

tent une faible excentricité e et une faibleinclinaison α, ils obtiennent le titre d’arbre"droit".

Ces qualificatifs, justifiés ici par desconsidérations quantitatives sur les quel-ques grandeurs dendrométriques mesu-rées, avaient été utilisés a priori sur le ter-rain, au vu de la physionomie généraledes arbres (tige et houppier).

Déformations ϵzz

Les déformations théoriques sont calcu-lées et représentées sur la figure 5 en toutpoint (R, &thetas;) de la surface du tronc pourchaque individu. Ces valeurs sont super-posées aux quatre déformations mesu-

rées.

Les déformations mesurées ou théori-

ques n’ont jamais le même signe sur lesquatre points en quadrature de la surfacedu tronc et montrent donc une face

«comprimée» qui «s’allonge» (où ϵzz est

positive) opposée à une face «tendue» qui«se raccourcit» (où ϵzz est négative). Lathéorie prédit que la valeur moyenne desdéformations en quatre points en quadra-ture, qui résulte de l’effort normal, est posi-tive de l’ordre de 20 à 50 μdef. Cette va-leur (calculée en prenant en compte le

houppier et le fût, et représentée sur les fi-gures en trait fin continu) est donc prochede l’incertitude expérimentale; la sensibilitéde la mesure de ϵzz est de ± 10 μdef et la

position angulaire des jauges est estiméeà quelques degrés près. La valeur

moyenne des quatre déformations mesu-rées, représentée en trait gras continu, estpositive ou négative, inférieure en valeurabsolu à 60 μdef excepté sur les individus1 et 6.

Bien que nous ayons pris soin de tron-çonner loin de la section des mesures (àenviron 4 diamètres), l’enregistrement de

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retraits moyens relativement importantscomme sur l’arbre 1 (où la valeur moyennedes déformations mesurées est de -125

μdef) pourrait être le fait d’un début de libé-ration de la forte tension interne périphéri-que de maturation présente dans tous les

arbres. Cette tension est de fait connuepour entraîner des retraits globaux impor-tants (supérieurs à 1 000 μdef) près de lasurface tronçonnée, dont les effets ne sonten principe plus visibles (à 5% près) à 2diamètres de cette extrémité (Archer,

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1986; Fournier, 1989). Les trois élonga-tions positives observées sur l’arbre (6)sont plus difficilement explicables.

L’essai ne permet donc pas la mesuredes effets de la masse seule, mais carac-térise le moment fléchissant supporté, quiintègre la masse et son bras de levier.Même sur les individus qualifiés de droit,l’effet du moment fléchissant est prépon-dérant sur celui de l’effort normal : l’arbreétant une structure très élancée, le sup-port du poids se traduit essentiellement

par un effort de flexion. Des résultats ana-

logues ont déjà été mesurés par Guéneau(1974), Okuyama et al (1983), ou Yama-moto et al (1989).

Les courbes théoriques suggèrent quel’action du houppier est prépondérantesur celle du fût incliné (les deux cour-bes sont très proches, en intensité, et enphase). Les valeurs expérimentales ne

sont pas plus proches de la courbe pro-venant de la schématisation la plus com-plexe «houppier + fût incliné» que de cellen’intégrant que l’action du seul houppier.

La face «comprimée» s’écarte parfoissensiblement de la direction 90° de l’incli-naison basale α du fût mesurée à 1,3 m,et est essentiellement gouvernée par la di-rection δ de l’excentricité du houppier :pour évaluer l’effort de flexion dû au poidstotal supporté, l’analyse de la morphologiede la cime qui ne se développe pas forcé-ment dans la direction vers laquelle la billede pied s’incline, est un meilleur indicateurque les mesures d’inclinaison à la base del’arbre. Par exemple, sur l’individu où l’ex-centricité du houppier est mesurée dans ladirection 267° (tableau I), la face situéedans la direction d’inclinaison (au demeu-rant très faible) de la bille de pied, est

«tendue». Sur l’individu (1), pour lequel δ =

44°, l’élongation maximale mesurée se

trouve décalée entre 0 et 90°. Sur l’indivi-du 2, pour lequel δ = 128°, elle se situeentre 90 et 180° plutôt que centrée sur90°.

Sur les 7 premiers individus, droits ouinclinés, les positions des faces «tendues»et «comprimées», évaluées par les critèresgéométriques choisis et les masses mesu-rées, coïncident assez correctement aveccelles observées. Malgré l’estimation gros-sière du centre de gravité du houppier parson assimilation au centre géométrique desa projection, l’évaluation par le modèle del’amplitude maximale des déformations estbonne, et permet a priori d’associer desdéformations maximales de l’ordre de 500

&mu;def à de fortes excentricités e > 1,5 m(arbres 1 et 2) et des déformations maxi-males inférieures à 200 &mu;def à des excen-tricités e < 0,8 m (individus 2, 4, 5, 6).

Par contre, sur les individus «flexueux»

(8 et 9), les résultats expérimentaux sonten désaccord complet (écart d’environ

180°) avec les prévisions. La compréhen-sion de la réponse de ces individus ré-clame à l’évidence une analyse de laflexuosité de la tige et une meilleure défini-tion du centre de gravité du houppier.

CONCLUSIONS

Le poids propre supporté par un arbre,structure très élancée, agit essentiellementen flexion, même sur un arbre apparem-ment droit. La connaissance de la masse

supportée n’est donc pas une donnée suffi-sante; il est nécessaire, pour évaluer le

moment fléchissant résultant sur la sectiondroite, de connaître également le bras delevier, c’est-à-dire la position du centre degravité qui ne peut être estimée qu’en réfé-rence à l’arbre sur pied.

Nous avons choisi d’estimer ce bras delevier à partir d’une schématisation simplede l’arbre (fût rectiligne incliné et houppier)qualifiable à partir de relevés géométri-ques usuels : l’inclinaison du fût à hauteurde poitrine, et la mesure de la projectionhorizontale du houppier par huit rayons,

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qui permet habituellement de déterminerl’aire de la surface projetée, et qui a été iciutilisée pour estimer une donnée supplé-mentaire, la position du centre géométri-que de cette surface. L’analyse des résul-tats a fait apparaître une typologie desindividus en trois classes de conformations«inclinés», «droits» ou «flexueux».

L’expérimentation sur 9 peupliers a

alors montré que l’interprétation nécessitel’estimation de l’excentricité du houppier etde sa direction, informations plus perti-nentes que la mesure de l’inclinaison de labille de pied. Cette interprétation est clairedans le cas d’individus de conformation

simple «inclinés» ou «droits», plus délicatepour les individus «flexueux». Lorsqu’ons’intéressera spécifiquement à l’étude d’es-sences présentant un port et une confor-mation sinueuse, d’individus dominés oud’arbres de lisières, qui se tordent, se pen-chent et se redressent, la schématisation

géométrique devra être affinée, en adjoi-gnant d’autres critères morphologiques,évaluables sur le terrain ou à partir de pho-tographies traitées au laboratoire. Desétudes complémentaires, utilisant commematériel d’étude le pin maritime, sont encours au laboratoire de rhéologie du Boisde Bordeaux.

Enfin, les résultats de cette étude de

qualification «statique» des efforts induitspar un poids sont un pré-requis pour abor-der les problèmes soulevés en introduc-tion :

- pour expliquer et interpréter l’appari-tion de bois de réaction (tension ou com-pression) et de niveaux de contraintes in-ternes élevés sur les feuillus, il est utile de

qualifier les variations de ces efforts gravi-tationnels de flexion et les réponses suc-cessives de l’arbre au cours de sa crois-sance à ces variations (Okuyama et al,1983; Fournier, 1989; Yamamoto et al,1989);

- la compréhension des états limites del’arbre (casse du tronc ou des racines, ar-rachement) soumis à une surcharge (poidsde neige, de givre, vent) demande de qua-lifier le chargement additionnel dû au poidspropre supporté : cette masse ajoute eneffet un effort supplémentaire dans le do-maine des grands déplacements (Lang-bour, 1989); d’autre part, la qualification ducomportement dynamique de l’arbre (ba-lancement, modes propres de vibration) ré-clame celle de la répartition des masses.

RÉFÉRENCES

Archer RR (1986) Growth stresses and strainsin trees. (Timell E, ed) Springer Verlag

Fournier M (1989) Mécanique de l’arbre sur

pied: maturation, poids propre, contraintes

climatiques dans la tige standard. Thèse INPLorraine

Guéneau P (1974) Contraintes de croissance.Méthode de mesure sur pied, échantillon-

nage, premiers résultats. Rapport 1, CentreTechnique du Bois

Guitard D (1987) Mécanique du matériau bois etcomposites. Cépadues Editions, collectionNabla

Langbour P (1989) La rigidité de l’arbre sur pied,indicateur de l’élasticité longitudinale desbois. Application aux peupliers. Thèse INPLorraine

Laroze S (1980) Résistance des matériaux etstructures. Tome 2 : Théorie des poutres. Ey-rolles, Masson

Okuyama T, Kawai A, Kikata Y (1983) Growthstresses and uneven gravitational-stimulus intrees containing reaction Wood. MokuzaiGakkaishi 29, 190-196

Pardé J, Bouchon J (1988) Dendrométrie. 2e ed,ENGREF Nancy

Yamamoto H, Okuyama T, Iguchi M (1989)Measurement of growth stresses on the sur-face of a leaning stem. Mokuzai Gakkaishi35, 595-601