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MAURICE GARÇON Q ui était Maurice Garçon ? Le silence qu'il a voulu sur sa tombe après une vie vouée à la pratique, à l'art, à l'enseignement et jusqu'à l'histoire de l'éloquence, n'a pas permis à ses amis et à ses confrères de dresser ce monument provisoire du souvenir qu'on appelle un éloge funèbre. C'est dans la salle de la bibliothè- que de l'Ordre des Avocats, à l'occasion d'une de ces rentrées solennelles au cours desquelles le barreau honore ses anciens bâtonniers et les plus grands des siens que sera donné la mesure exacte de celui qui fut avant tout un avocat. En effet, quel que soit le prix qu'il ait accordé à son élection à l'Académie Française et le temps qu'il ait consacré aux séances du dictionnaire et à la pré- sidence des prix de vertu, quelle qu'ait été la place qu'il réservait au théâtre, à l'histoire, à la sorcellerie, à l'amitié, quelque impor- tance qu'ait pu avoir pour lui la vie littéraire et la vie mondaine qu'il aimait presque excessivement, il fut d'abord un avocat ; un avocat d'assises et un avocat d'affaires, un avocat lettré et l'avocat des lettres et plus encore, selon le mot de Jean-Marc Théolleyre, « une manière d'être avocat. » TVTé à Lille en 1889, Maurice Garçon est le fils d'un professeur de " droit, Emile Garçon, savant modeste dont les connaissances étaient étendues et dont le Code Pénal annoté constitue encore un recueil consulté. Son influence est décisive : c'est de son père qu'il reçoit la passion qui fut celle de toute sa vie et auprès de laquelle les autres ne sont qu'anecdotes : la défense du droit et de la justice. Il en faisait volontiers la confidence à ses amis ; « Mon père : je lui dois tout » ; il la renouvellera dans son discours de réception à l'Académie Française : « Tandis que j'entrais, il y a quelques ins- tants dans cette salle et que j'étais troublé par la pompe de votre réception, mon esprit est allé vers celui qui fut le guide de ma

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MAURICE GARÇON

Qui étai t Maurice Garçon ? Le silence qu ' i l a voulu sur sa tombe après une vie vouée à la pratique, à l'art, à l'enseignement et

j u squ ' à l'histoire de l 'éloquence, n'a pas permis à ses amis et à ses confrères de dresser ce monument provisoire du souvenir qu'on appelle un éloge funèbre. C'est dans la salle de la bibl iothè­que de l 'Ordre des Avocats, à l'occasion d'une de ces ren t rées solennelles au cours desquelles le barreau honore ses anciens bâ tonn ie r s et les plus grands des siens que sera donné la mesure exacte de celui qui fut avant tout un avocat. E n effet, quel que soit le prix qu ' i l ait accordé à son élection à l 'Académie Française et le temps qu' i l ait consacré aux séances du dictionnaire et à la pré­sidence des prix de vertu, quelle qu'ait été la place qu' i l réservai t au théâ t re , à l'histoire, à la sorcellerie, à l 'amitié, quelque impor­tance qu'ait pu avoir pour lu i la vie l i t téra i re et la vie mondaine qu ' i l aimait presque excessivement, i l fut d'abord un avocat ; un avocat d'assises et un avocat d'affaires, un avocat le t t ré et l'avocat des lettres et plus encore, selon le mot de Jean-Marc Théolleyre, « une manière d'être avocat. »

TVTé à Li l le en 1889, Maurice Garçon est le fils d'un professeur de " droit, Emile Garçon, savant modeste dont les connaissances

é ta ient é tendues et dont le Code Pénal anno té constitue encore un recueil consulté . Son influence est décisive : c'est de son pè re qu ' i l reçoit la passion qui fut celle de toute sa vie et auprès de laquelle les autres ne sont qu'anecdotes : la défense du droit et de la justice.

I l en faisait volontiers la confidence à ses amis ; « M o n p è r e :

je lu i dois tout » ; i l la renouvellera dans son discours de récept ion à l 'Académie Française : « Tandis que j'entrais, i l y a quelques ins­tants dans cette salle et que j ' é t a i s t roub lé par la pompe de votre récept ion, mon esprit est allé vers celui qui fut le guide de ma

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vie. Les morts restent vivants lorsqu'ils demeurent p résen ts dans notre souvenir. I l m'a semblé qu ' i l me précédai t et me conduisait comme un parrain invisible, heureux de son œuvre. M a pensée qui est le reflet de la sienne, m'a obligé à faire un retour sur moi-m ê m e et m'a rappelé à la modestie en m 'empêchan t d'oublier que, si je ne portais en moi la flamme qu' i l m'a transmise, je n'eusse, sans doute, jamais mér i t é d 'ê t re reçu i c i . »

Ce qu' i l disait de son père, i l le disait aussi de cet autre maî t re et témoin de sa vie d'avocat : Labori . « Labori m'a fait. » Celui-là en effet lu i donnera la leçon décisive qui allait encourager et pour une part dé t e rmine r sa vocation. E n 1912, l'ancien défenseur de Dreyfus n'est plus le paria dont ses confrères s 'étaient dé tournés , que ses clients avaient déser té . Ses adversaires d'autrefois l'ont élu Bâtonnier d'un consentement presque unanime, non pas malgré le souvenir de Dreyfus, mais à cause de ce souvenir, lé Barreau ayant voulu garder l'honneur de l'Affaire dont d'autres avaient eu le profit et montrer comment on pouvait encore ê t re quelque chose quelque part, sans s'être renié. « Vous avez été la Défense », lui dit Busson Bil laul t en accueillant son successeur à la tê te de l'Ordre. C'est devant ce Bâtonnier prestigieux, p rés idan t les tra­vaux de la Conférence du Stage, que Maurice Garçon fit ses débuts .

I l dira plus tard les réserves t rès graves qu'appelle ce concours bizarre : la Conférence du Stage, le carac tè re fictif du débat qui le constitue, le tour artificiel qu ' i l fait prendre à l 'éloquence — « Le discours tend à gagner un Tribunal inexistant en faveur d'une thèse généra lement absurde ou d'une situation théor ique sans rap­port avec la vie réelle » — les déclamat ions vaines et ostentatoires, souvent sentencieuses ou obscures et qui ne laissent rien au ha­sard d'un mouvement du cœur ou d'un emportement de l 'âme préférées à la rigueur du raisonnement, à la préoccupat ion de logi­que constructive. — « L'esprit est chatouil lé, mais la raison n'est point touchée » —

Mais, ce jour-là, Maurice Garçon est tout à son sujet — sujet si quelconque ou saugrenu qu' i l l 'oubliera — et tout au désir de convaincre et de plaire. I l parle avec un parfait naturel, une sim­plicité qui pouvait passer pour du sans-gêne, ce que lui dit son principal auditeur en le recevant, selon l'usage, après ce premier discours. E t le tutoyant d 'emblée : « Qui te crois-tu mon petit ? pour parler avec cette aisance de routier quand tu n'es qu'un blanc-bec ? Te moquerais-tu de nous ? » Mais i l ajoute : « Ceci dit, c'était t rès bien. Tu es doué, continue, et du reste pour te donner un coup de main, je vais te passer quelques affaires. »

C'est ainsi que sans avoir été Secréta i re de la Conférence, Mau­rice Garçon est commis par le Bâ tonnie r dans sa p remière affaire

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d'assises, et que sa car r iè re se trouve décidée. E n effet, le jour de l'audience, alors que l'Avocat Général requiert et que le débu­tant mobilise in té r ieurement toutes ses facultés pour se p r épa re r à plaider, i l voit entrer Labor i — le Bâ tonnie r lui-même — qui vient s'asseoir à côté de lu i : « Je suis venu voir comment tu t'en tires ». Le trac devient dé rou te quand le Bâ tonnie r s'empare de son dossier et en brouille les pages en le parcourant : « c'est par­fait, bonne présenta t ion , excellente p répa ra t ion », puis les déchire et les jette sous la banquette au moment m ê m e où l'avocat général ayant te rminé , la parole est donnée à la défense, — « Maintenant, débrouil le-toi ». I l fallut se jeter à l'eau, improviser, composer ses explications sur l 'impression lue dans le regard des ju rés , s'expri­mer librement sur un dossier connu. Rude et salutaire leçon.

Réformé en raison de son mauvais é ta t de santé, Maurice Gar­çon commence sa ca r r iè re devant les Tribunaux Militaires au cours des années 1916-1917. Ces circonstances difficiles lu i donnent la mesure de son mét ier , mais lu i valent la rancune de beaucoup d'anciens combattants qui lu i barreront l 'entrée du Conseil de l'Ordre, lorsque son âge ayant rejoint son mér i te , i l sollicitera les suffrages de ses confrères. Dès la fin de la guerre, l 'expérience qu ' i l a acquise, la répu ta t ion qu' i l a méri tée , le zèle qu ' i l a a p p o r t é à s'occuper à la demande du Bâ tonn ie r Henr i Robert des affaires de plusieurs de ses confrères mobil isés lu i donnent un cabinet impor­tant. Le p ié t inement des apprentissages lu i fut épargné.

"Pace aux grands avocats d'assises de l'entre deux guerres, César Campinchi, Vincent de Moro-Giafferri, Henry Torrès , dans la

fameuse affaire Mestorino ou en défenseur du jeune Mouvault, i l affirme et i l confirme son talent ; s ' i l n'est pas encore le plus grand — i l faudra attendre les affaires Henr i Girard, Bernardy de Sigoyer, René Hardy, Gérard Dupriez, Marguerite Marty, Denise Labbé — i l est déjà unique. Peut-on le cataloguer ? Dire quelle étai t sa « man iè re » ? « Vous classerai-je. Monsieur ? lui demandait André Siegfried en le recevant en 1948 à l 'Académie Française . Ce serait difficile. Vous êtes de ceux qui convainquent et de ceux qui renseignent, mais la magie de la parole ne vous est pas inconnue n i m ê m e certains de ses sortilèges... » S ' i l connaissait tous les genres qu ' i l a décr i ts dans son Essai sur l'Eloquence Judiciaire, i l savait en refuser certains.

Connaissance approfondie du dossier, p répa ra t ion minutieuse, voire maniaque, logique caustique épr ise d' idées claires, heureuse élocution, l 'élocution é tan t prise dans son sens exact, c'est-à-dire art de choisir les mots et de les assembler, simplicité de ton dont

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l'inoffensive apparence donne à son propos une grande au tor i té , sont les dominantes de ce que l'on appelle le talent et qu ' i l vaut mieux appeler sa présence. Maurice Garçon avait à la barre une présence imposante jusque dans ses silences dont i l avait le don de savoir jouer et qu'i l faisait durer comme à plaisir, jusque dans sa man iè re de ne pas achever une pensée ; imposante et redoutable pour l'autre, fût-il le confrère ou le min i s tè re public, et, laissons Madeleine Jacob le dire, « fût-il au besoin le magistrat p rés idan t l'audience ».

I l n 'é tai t pas un tribun ; i l n'avait n i le physique de Danton, ni les saillies de Tixier. D'une élégance à la fois p résen te et invisible, d'une nonchalance appliquée, i l étai t toujours maî t r e de lu i . Hau­tain, lointain, i l étai t d'un grand sang-froid qui n 'é ta i t pas sans procédé : i l tendait à intimider l'auditeur. A u besoin, à l'audience i l feignait de somnoler ou brossait de rapides aquarelles sous le regard navré du Président pour « casser » les effets de l'adver­saire. Tandis qu ' i l se réservai t ainsi, r ien ne lu i échappai t ; i l é tai t p rê t à déployer brusquement sa longue et mince silhouette pour laisser tomber une ironique ou dédaigneuse intervention, dont bien des officiers de police et bien des experts ont fait les frais et qu'i l terminait parfois d'un « sortez, Monsieur ! » qui chassait le témoin de la barre. Mais ses apostrophes n 'é ta ient jamais des incartades incontrôlées ou des imprécat ions vaniteuses, car lu i n'oubliait pas que la personne du défenseur est secondaire dans un procès et qu' i l doit se sacrifier p lu tô t que de chercher un succès aux dépens de son client. I l a fait lu i -même la théor ie de ce procédé oratoire qu'on appelle en langage d'avocat un incident :

« L'orateur n'a jamais droit qu'à une colère feinte ou à une violence dont i l restera capable d'apprécier la portée et d'arrêter le cours. La colère est une faiblesse, la colère feinte une habileté et le calme une force. L'incident bien mené peut revêtir les apparences de la colère, mais ne doit pas amener à perdre le contrôle de la raison. Aussi, est-ce une erreur de croire qu'il est possible de créer un incident sans avoir, fût-ce dans un éclair, apprécié son opportunité, compris ce qu'on en tirera, et déterminé la limite qu'on ne dépassera pas. Un incident est nuisible pour celui qui le provoque, lorsque l'adversaire conserve son sang-froid, aperçoit immédiatement la faiblesse de l'aboutissement, laisse passer l'orage, et observe sèchement, lorsque l'avocat est exténué, que toutes ces clameurs étaient inutiles et ridicules. »

« Inexorable », dit encore Madeleine Jacob en cherchant l'épi-thè te lu i convenant le mieux quand i l é ta la i t les expressions de son mépr i s : plaidant pendant l'occupation allemande contre un collaborateur notoire, plagiaire d'occasion, i l avait lancé : « Cer­taines gens, comme celui-ci, qui croient recouvrer leur honneur à la faveur des malheurs de la patrie. »

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Plaidant pour Marguerite Marty, r épondan t devant les assises de Perpignan de l'empoisonnement de son mari , dans une audience dramatique où la défense devait s'attaquer à une coalition locale qui couvrait les bruta l i tés policières dont l 'accusée avait é té la victime, i l avait pour contradicteur, au banc de la partie civile, une nouvelle fois, René Floriot. Floriot avait plaidé, terrible d'effi­cacité comme à l'ordinaire. Appelé dans le Nord, i l n'avait pu écouter Maurice Garçon, mais i l avait annoncé qu ' i l reviendrait pour lui r épondre . Cela n'est pas dans les usages. Quand i l eut terminé , on vit Maurice Garçon se lever, frapper la table devant lu i de son dossier fermé, et ce fut, dans un silence qui est la récompense de l'avocat, l'apostrophe vengeresse qui p récéda l'acquittement : « Cin­quante ans de carrière, je n'avais encore jamais vu ça ! Or ça, pour qui vous prenez-vous donc ? pour le collaborateur de l'exécuteur des hautes œuvres ? »

On pourrait multiplier les exemples, dans les petites comme dans les grandes causes, de cette façon sèche ou ironique d'humi­lier l'adversaire et dont l'efficacité n'est plus à démont re r .

Plaidant pour Jacques Boulenger qui, pour avoir donné la liste approximative des amants de George Sand, baronne Dudevant, celle que Sainte-Beuve appelait une Christine de Suède de l'esta­minet, avait é té assigné en diffamation envers la mémoi re de l 'aïeule par sa petite-fille, i l feint d'avoir dû réconfor ter son client fort é m u parce que

« savant chartiste et scrupuleux historien, i l n'imaginait pas, qu'at­tribuant un fait historiquement vrai à un personnage illustre, i l pût être poursuivi par le téméraire héritier de ce personnage sous le pré­texte que l'histoire vraie ne peut être dite, et que l'inexactitude est un devoir de la critique littéraire » ...

« En vérité, l'émotion de monsieur Jacques Boulenger venait de ce qu'il a une telle opinion de la justice, qu'il n'imagine pas qu'un plaideur peut être assez audacieux pour présenter devant un Tribunal une récla­mation impossible. I l pensait donc que son adversaire avait établi son assignation sur des bases solides, et invoquait contre lui des principes juridiques et sérieux. Je l 'ai rassuré en lui expliquant que nombreux sont, hélas ! les procès insensés qui vous sont soumis. N'est-il pas vrai que certains plaideurs manquent assez de jugement pour prendre leurs rêveries pour des réalités, et que d'autres, ennemis de l'obscurité, pen­sent qu'un procès perdu fait encore assez de bruit pour forcer l'atten­tion de la foule ? Votre barre procure la publicité la moins coûteuse de toutes, en dépit de l'augmentation des tarifs judiciaires, et cette obser­vation liminaire, digne d'expliquer beaucoup de procès parisiens jus­tifie seule la présente instance. »

« I l possédai t de réelles qual i tés oratoires. I l les fit constater, puis i l s 'aperçut que l 'autori té se conquiert lentement. » Comme Suret-Lefort, le jeune député du roman de l'Energie Nationale de Maurice Bar rés , Maurice Garçon découvri t bien vite et en fit une règle de vie que l 'autori té de l'orateur ne réside pas moins dans

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son carac tè re que dans son talent. C'est ce carac tère que Maurice Garçon manifestera surtout dans les temps troubles où la politique envahit et asservit la justice, qui lu i donna cette sorte de judica-ture morale — et m ê m e parfois moralisatrice — qu' i l exercera par la plume et par la parole. I l savait refuser des causes et aussi les choisir comme par exemple lorsqu'il accepta de plaider en sep­tembre 1943, devant le Tribunal d'Etat de Poitiers, pour cinq étu­diants accusés du meurtre d'un collaborateur local ; la gestapo siégeait dans son dos.

Distinction, présence, hauteur, carac tère — et ajoutons avec ses amis le Bâtonnie r Toulouse, Jé rôme Carcopino et Henr i Jeanson : générosi té — ce sont là les traits essentiels d'une première esquisse. Elle ne pourrait p ré t endre à la ressemblance si on n'ajoutait la conscience professionnelle poussée jusqu'au scrupule et le scru­pule ju squ ' à l 'excès. Ceux qui ont été ses collaborateurs ou ses contradicteurs dans des affaires pénales, mais aussi civiles et commerciales, ou dans ces procès l i t téraires qu'i l affectionnait — La Justice au Parnasse — savent le soin avec lequel i l é tudiai t un dossier, choisissait les pièces à produire — pour les avoir toujours à por tée de la vue, i l les attachait par des pinces à linge à des ficelles qui pendaient au plafond — recopiait lui-même les pièces importantes communiquées par l'adversaire ou produites par le minis tè re public, rédigeait ses conclusions de longs mois à l'avance et calligraphiait ses notes de plaidoirie d'une écr i ture dont l'élé­gance traduisait celle de sa personne. « Dans son cabinet de la rue de l 'Eperon, où les édit ions rares s'empilent à m ê m e le plan­cher, rapporte Jean-Paul Lacroix, dans son Palais Indiscret, i l répond lui-même au téléphone, recopie lui-même toutes les cotes de ses dossiers à la main, et en regrettant qu'on ne trouve plus de plumes d'oie. Mon genre, dit-il , c'est l'artisanat. » Tous ses clients — ce sont les juges les plus in tolérants — ont rendu hom­mage à cette minutieuse p répara t ion qui ne laissait rien au hasard. J é rôme Carcopino évoquant à la radio le souvenir de celui qui fut son avocat lorsqu'il fut inculpé devant la Haute-Cour et incarcéré à Fresnes, avant de bénéficier d'un non-lieu, a confié avec une gra­titude é m u e qui suffirait à enorgueillir la vie d'avocat qui l'aurait mér i té : « J'ai appris alors ce qu 'é ta i t un vér i table avocat. »

Cette p répa ra t ion fait de lu i un modèle de labeur consciencieux ; aucun diable ne le dé tourna i t en effet du cours régulier de son travail. Je l 'ai entendu dire que les vacances n 'é ta ient pour lui que l'occasion de se consacrer à d'autres travaux — comme de compo­ser des Plaidoyers Imaginaires pour Electre, Julien Sorel ou Laf-cadio — et qu ' i l ne comprenait pas les vacances de l'esprit. Aussi le jour de l'audience n'était-il jamais pris en défaut : i l avait tout

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lu , tout étudié, tout prévu. I l se contraignait aussi à l'exactitude verbale et i l évitait l 'écueil ordinaire des avocats trop diserts qui est la confusion. I l débuta i t souvent par une formule qui piquait la curiosi té qu ' i l devait ensuite soutenir : « C'est un é t range pro­cès que celui-ci... » ; i l entreprenait alors d'une voix égale, douce, et charmante, soutenue par un regard t rès bleu qui cessait enfin d 'ê t re indifférent, une argumentation toujours complè te dont i l savait varier le ton pour soutenir l ' intérêt et qui donnait à ses auditeurs le sentiment qu' i l la développait sans effort, car i l n'imposait aucun effort à ceux qui l 'écoutaient . Des gestes d'es­crimeur, des mains de prestidigitateur donnaient parfois sa forme, en la modelant, à l 'idée qu' i l créait , mais à la différence de beau­coup de petits ma î t r e s qui déambulen t autour de la barre, se tour­nant plus volontiers vers la presse que vers le Tribunal, i l ne quit­tait jamais sa place et ne plaidait, avec beaucoup de déférence, que pour les magistrats et les ju rés , réservant ses dédains à ceux qui le contredisaient.

Chaque fois qu ' i l le pouvait, i l prenait un plaisir, qu ' i l faisait partager, à raconter l'histoire de la règle de droit ou du délit qui étai t l'occasion du procès ou des poursuites. C'est ainsi que plai­dant pour trente-sept artistes contre Samedi-Soir qui avait publ ié « un petit dictionnaire des liaisons « peu dangereuses » du ciné­ma », élevant le débat , i l prononce un plaidoyer particulier à ses clients, mais général dans ses intentions pour la défense de la vie privée. Plaidant pour les hér i t iers d 'André Gide, c'est le fonde­ment du droit d'auteur qu ' i l analyse. Pour la succession Bonnard, après une interminable p rocédure , i l fait reconnaî t re le droit du c réa teur d'une œuvre de l'esprit de conserver comme propres sur lesquels la c o m m u n a u t é légale est sans droit, les ébauches , esquis­ses, dessins, toiles signées ou non qui n'ont pas été mis dans le com­merce. Pour l'Académie Goncourt, dont i l fut l'avocat après Ray­mond Poincaré et Léon Bérard , i l fait triompher la volonté des testateurs contre les hér i t ie rs de Léon Daudet qui s'opposaient à la publication intégrale du Journal. Pour la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, i l fait juger par la Cour de Bruxelles contre le metteur en scène Béjard, que celui-ci a commis une faute engageant sa responsabi l i té en déformant l'esprit de la « Veuve Joyeuse » par la maniè re caricaturale dont cette œuvre avait été représen tée . Plaidant pour un édi teur qui se proposait de publier la s ténographie intégrale d'un procès contre un autre édi teur , qui, ayant acquis d'un avocat le droit exclusif de publier sa plaidoirie, s'opposait à la reproduction de cette plaidoirie dans la publication s ténographique , c'est pour la publicité de la Justice qu ' i l plaide quand i l soutient, avec succès, que pour ê t re protégée par la légis-

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lation du droit d'auteur, la plaidoirie doit ê t re présen tée sous une forme autonome et qu'elle n'est pas protégée lorsqu'elle ne cons­titue qu'un é lément des débats judiciaires et est publiée avec l'en­semble des dits déba t s .

On trouve une heureuse application de cette mé thode propre à Maurice Garçon dans une plaidoirie pour un libraire. L a police avait t rouvé dans sa boutique un livre placé dans une armoire vitrée, l ivre qui n'avait pas été condamné et qu' i l n 'é ta i t pas inter­dit de vendre, mais qu ' i l étai t défendu d'exposer aux regards par une décision arbitraire et souveraine du Ministre de l ' Intér ieur . Le Tribunal Correctionnel saisi étai t obligé de condamner, puisque les tribunaux n'ont plus à juger le carac tère pernicieux ou non du livre mais seulement à prononcer une peine sur la simple constatation que le livre a été mis à l'index par a r rê té du Ministre.

A l'occasion du procès fait à ce libraire, c'est un véri table réqui­sitoire contre la censure que Maurice Garçon prononce. A u travers d'une infraction à une réglementa t ion relative au commerce des livres qui se p résen te sur une forme quasi conventionnelle, c'est une l iberté essentielle qu' i l défend :

« Où allons-nous ? Si Flaubert vivait aujourd'hui et si Madame Bovary déplaisait à quel­

que censeur un peu prude, on se garderait bien de soumettre l'ouvrage à la censure d'un tribunal qui comme celui de 1857 acquitterait. On se contenterait d'en interdire l'exposition même à l'intérieur des maga-gins, on poursuivrait l'éditeur qui se permettrait d'en inscrire le titre à son catalogue. Sans faire condamner l'ouvrage, on l'étoufferait et la littérature française serait privée d'un chef-d'œuvre.

La censure est toujours absurde. Ce qu'on a voulu, c'est faire régner un « ordre moral » pire qu'au

temps de l'Empire et de la Restauration, avec l'hypocrisie en plus, puis­qu'on a pris un moyen détourné pour rétablir une censure dont per­sonne n'oserait proclamer la légitimité. La liberté de penser et d'écrire est outragée. La vérité est que l'on a substitué l'arbitraire à la Justice. Si l'on déférait la plupart des ouvrages interdits aux tribunaux, ceux-ci refuseraient de condamner des écrits qui ne tombent sous le coup d'aucune loi pénale et c'est par crainte de voir décevoir les espérances des cafards de la vertu qu'on prive les justiciables d'être traduits devant les juges...

...Aujourd'hui, les tribunaux se voient retirer le privilège d'apprécier la moralité des écrits. Ils ne peuvent que sanctionner les infractions à des décisions arbitraires.

Jusqu'à présent on n'a parlé que de prétendus outrages aux mœurs qui ne doivent pas être bien graves, puisqu'on n'ose pas en soumettre l'appréciation aux magistrats. Demain la censure s'étendra à des écrits politiques. I l sera facile de soutenir que telle ou telle doctrine sociale est de nature à pervertir les esprits et de défendre, non de vendre, mais d'exposer en librairie des livres d'auteurs qui s'en font les apologistes.

Nous sommes revenus au temps où la pensée n'était plus libre et l'ordonnance du 23 décembre 1958 perfidement insérée dans la loi du 16 juillet 1949, est un outrage à la Justice, puisqu'elle montre qu'on entend soustraire les justiciables à leurs juges naturels pour les sou­mettre à un intolérable despotisme.

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E n l'état de la législation, les juges qui ne peuvent que la désap­prouver, sont pourtant obligés de prononcer des peines. Ils doivent condamner des éditeurs et des libraires pour avoir exposé des ouvrages qu'ils ne condamneraient pas s'ils étaient appelés à les juger. Serviteurs de la loi, i l ne leur est pas permis de refuser d'en appliquer les sanc­tions.

Pourtant, Messieurs, i l n'est pas possible que la longue tradition de liberté de conscience, dont vous êtes les dépositaires, ne vous amène pas à éprouver quelque répugnance à punir en vertu d'un texte qui ne peut pas ne pas vous paraître injuste. C'est la loi dont i l faut obtenir l'abrogation.

Pour nous, justiciables, nous nous y emploierons en faisant appel à l'opinion publique et en l'ameutant s'il en est besoin.

Pour vous, i l est un moyen de nous aider : c'est, dans l'obligation où vous êtes de prononcer des condamnations qui ne peuvent satisfaire personne, de marquer votre désapprobation en condamnant ceux qui vous sont déférés à des peines si dérisoires que par le ridicule des sanctions — le ridicule tue quelquefois — vous montriez que vous n'ad­mettez pas qu'on vous ait dessaisis du pouvoir de juger. Les magistrats, juges impartiaux, ont seuls qualité, en respectant d'ailleurs les droits de la défense, pour apprécier si une création de l'esprit constitue une violation de la loi pénale. En n'appliquant que des peines dérisoires, vous montrerez que vous refusez de vous associer à un attentat contre la liberté. »

Le libraire fut condamné à 300 F d'amende, ce qui démon t r e que son avocat fut entendu des magistrats qui l 'écoutaient . Mais l'avocat de l 'Académie Goncourt, de la Société des Auteurs, de la Caisse Nationale des Lettres, M e Maurice Garçon, de l 'Académie Française , n'a pas encore été entendu des législateurs.

T l fut sans conteste l'avocat de la l iber té », a écrit Henri Jean-son au lendemain de sa mort. Quand le souvenir de ses gran­

des affaires d'assises — Henr i Girard, René Hardy — de ses grands procès — pour les enfants Finaly, contre Naundorf — ce sera es­tompé , car les paroles des avocats ne laissent qu'un souvenir dans le cerveau oublieux de ceux qui les ont entendues, on s'apercevra mieux que le principal et le meilleur de son œuvre fut la défense de la l iberté . Les écri ts après les plaidoyers en témoignent . Des chroniques nombreuses marquent son obstination à rappeler les principes et défendre l 'héri tage libéral du X I X ' siècle ; certaines ne furent pas é t rangères à des réformes.

Succédant sous la Coupole à Paul Hazard dont l'ouvrage capital est consacré à la « crise de la conscience européenne », i l avançai t dans son discours de récept ion que c'est de cette crise de conscien­ce qui tourmenta le X V I I I e siècle qu'est sortie la notion claire de la légitimité de la l iber té humaine :

« Assurer à tous la liberté dans une nation libre, chasser l'arbitraire, faire affirmer et sanctionner cette liberté par une justice libre, voilà l'idée morale dont les premières notions sont nées au cours de la crise de conscience étudiée par celui auquel vous me faites l'honneur de succéder. »

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Voilà aussi l'axe, et la ligne, et l'élan et la noblesse de l'œuvre de Maurice Garçon.

C'est en dehors de toute obédience politique, sans jamais s'at­taquer aux personnes, qu'ils condamnait les actes des gouverne­ments quand ils portent atteinte aux institutions qui garantissent la liberté individuelle. Relevons presque au hasard quelques-uns de ses jugements :

Sur la garde à vue : « Le Parlement a rétabli le système de procédure de l'ordonnance de

1670 : pendant dix jours le suspect est présumé coupable, 1 innocent est traité comme le coupable, il ne connaît pas les charges portées contre lui, il est mis au secret, n'est assisté d aucun défenseur et est livré à l'arbitraire sans qu'il puisse s'exercer aucun contrôle réel.

Cette procédure exorbitante constitue une régression sur plus d'un siècle d évolution libérale, tille permet de comprendre pourquoi notre pays n a pas ratifié la Convention européenne des Droits de l'Homme qui ne permet pas un pareil retour à aes pratiques depuis longtemps condamnées. »

Sur la Cour de Sûreté de l'Etat : « On peut dire que la Cour de Sûreté de l'Etat est une juridiction

permanente composée de magistrats d exception, ce qui, pour conclu­sion, ressemble étrangement a une juridiction d'exception. La Cour de bureté est dès l'origine entachée d'un vice en ce que 1 indépendance des magistrats n'est pas assurée. Désignés par décret, pour une durée déter­minée, pour juger une catégorie d'affaires particulières, leur maintien ou leur disgrâce peut dépendre de l'opportunité de leurs sentences. »

Sur les magistrats de la Cour de Sûreté : « Elevés à des fonctions temporaires, privés de la sécurité que donne

1 inamovibilité, menacés d'être privés des indemnités particulières sur lesquelles on étend un voile prudent, ils devront avoir assez de force d âme et de courage pour comprendre que la justice ne rend que des jugements et jamais des services. »

Sur le droit au silence : * Personne ne songe à rétablir la torture, aussi le justiciable doit-il sa­

voir qu'il a le droit de se taire et que la garde à vue est un expédient effi­cace, si on lui oppose le silence. Il doit se borner à demander à être con­duit devant son juge sans céder à aucune séduction ni tentation de par­ler. Là seulement, il est certain d'avoir des garanties. Si le juge estime qu'il possède des charges suffisantes, il l'inculpe et le suspect, à l'abri de 1 arbitraire, est sous la protection de la loi.

Contre un texte qui viole les Droits de l'Homme, il n'existe pas d'au­tre ressource et le silence est un droit. Il faut faire l'éducation du ci­toyen, car tout citoyen peut, du fait de circonstances imprévues, de­venir suspect. Il faut qu'il sache, quoiqu'on lui promette ou dont on le menace, qu'il a le droit de se taire et de faire ainsi échec à une loi mauvaise et dangereuse qui, en instaurant l'arbitraire, porte gravement atteinte à la liberté individuelle. »

Sur les tribunaux d'exception : " « Qu'on appelle ces juridictions tribunaux révolutionnaires, cours

prévotales, tribunaux mixtes, tribunal d'Etat, cour de justice, tribunal spécial ou haut tribunal militaire, aucun n'a laissé un souvenir estima­ble. Leur rôle a été de donner une couleur de justice à ce qui n'était que l'exercice d'un ordre plus ou moins précis de condamner. »

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ous avons dit que Maurice Garçon fut avant tout un avocat. x 1 Fut- i l m ê m e autre chose ? S ' i l fut de l 'Académie française,

n'est-ce pas en vertu d'une de ses traditions qui veut qu'elle ré­serve un siège à un membre éminent du barreau ? S ' i l écrivit d'au­tres livres que ses recueils de plaidoyers et ses essais sur l'élo­quence, la justice, le droit ou la profession d'avocat, n 'était-ce pas encore une maniè re de plaider ? de prolonger dans les causes mau­dites ou curieuses du passé le combat qu ' i l menait parmi les v i ­vants : comme les fausses Jeanne d'Arc, le faux Louis X V , les faux Louis X V I I . Ce sont les hasards de sa car r iè re qui avaient fait de lu i un amateur amusé et curieux de la sorcellerie. Après avoir plaidé au lendemain de la Première Guerre mondiale plusieurs affaires d 'envoûtement , et notamment celle qui fit grand bruit à l 'époque de Marie Mesmin, chef d'une petite secte de dévotes ido­lâ t res d'une statue larmoyante de la Vierge, au nom de laquelle elles al lèrent fustiger un curé, i l se mit à é tud ie r sér ieusement la sorcellerie. I l devint bien vite expert en droit infernal ; c'est le dos­sier fantastique du diable, avec ses pièces, les déclarat ions des accusés et celles des juges, qu ' i l avait r éun i chez lu i sous la forme d'une b ib l io thèque de sorcellerie ; ayant « renoncé au diable », i l se décidera, i l y a quelques mois, à la vendre aux enchères publi­ques, comme Patru, le premier avocat à siéger à l 'Académie, mais Patru trouva à la fin d'une vie glorieuse qui ne l'avait pas enrichi un Boileau pour lu i acheter sa b ib l io thèque et lu i en laisser la garde.

L'exercice de cette profession, i l le voulait indissociable de la recherche continuelle de solutions morales. « Sans elles, l'avocat ne tiendrait qu'un comptoir où i l brasserait des affaires. » C'est une morale de la rigueur qu ' i l pratique et qu ' i l défend ; seule, disait-il, elle justifie l ' autor i té qu'on accorde à l'avocat, seule elle donne droit à une l iber té sans laquelle i l ne peut exercer. Recevant du barreau son épée d 'académicien, dans cette salle de la Bibl io­thèque de l 'Ordre, où sont p roc lamés élus les Secré ta i res de la Conférence et les Bâtonniers , et où son nom n'avait jamais été prononcé , i l dit, après avoir remerc ié ses Confrères :

« C'est le crédit dont vous jouissez qui m'a valu l'élévation que vous célébrez aujourd'hui. »

I l leur promit que lorsque le mot « avocat » reviendrait en discussion au cours des travaux du Dictionnaire, i l demanderait au Bâtonnie r de réun i r les colonnes pour dél ibérer de la définition du mot qui sert à définir leur profession.

« Vous verrez combien i l est malaisé de faire tenir en quelques lignes tout ce que nous aurons à dire pour exprimer notre orgueil de colla­borer à l'œuvre de justice en demeurant des hommes libres, si jaloux

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de leur indépendance que leur parole ne supporte aucune contrainte et qu'aucun gouvernement ni aucun parti ne peut faire taire lorsqu'ils ont proclamé la vérité. »

Cet orgueil qui — dit-on — ne serait plus de notre temps, fait écho à ce que proclamait deux siècles plus tôt , dans la m ê m e biblio­thèque, Hanrion de Pansey faisant l'éloge de Desmoulin : « Libre des entraves qui captivent les autres hommes, trop fier pour avoir des protecteurs, trop obscur pour avoir des protégés , l'avocat serait l'homme dans sa dignité naturelle si un tel homme existait encore sur la terre. »

Aussi est-ce avec chagrin et mélancolie qu' i l assistait à l'évolu­tion du barreau qui lu i apparaissait comme une dégradat ion . I l ne voyait dans ses réformes et ses accommodements avec le siècle que des transactions péri l leuses ; dans son inquié tude, i l annonça i t que si les avocats persistaient, i l se pourrait qu'ils augmentent leurs ressources matér ie l les , mais aussi qu'ils r amènen t le barreau à ce moment de la Révolution où l'Ordre dissous, la meute des défen­seurs officieux envahit les pré to i res et déshonora la défense.

« Il n'est pas impossible de prévoir que ce jour-là i l se formera au sein du barreau une entente entre ceux qui demeureraient fermement attachés à la vraie tradition de leur Ordre, pour refuser de se consa­crer à toute autre activité qu'à l'assistance de leurs clients, c'est-à-dire à la consultation et à la plaidoirie. Les justiciables trouveraient près d'eux des sûretés d'indépendance qui peut-être formeront contraste et leur assureront un prestige que les dérogations accumulées risquent de faire perdre à la profession. »

Qui était vraiment Maurice Garçon ? Répondre à cette ques­tion appartient au jeune stagiaire, premier Secré ta i re de la

Conférence qui choisira de prononcer son Eloge — et qui choisira de lu i ressembler.

E t i l restera à ajouter un chapitre au Tableau de l'Eloquence Judiciaire (1), celui que Garçon a i l lustré.

J E A N - M A R C V A R A U T

( 1 ) Maurice Garçon, Tableau de l'éloquence judiciaire, Corrêa ; chez le même éditeur : Essai sur l'éloquence judiciaire. — L'avocat et la morale. I . A nr .vuF. N * I ;i