maîtriser la qualité de l’ensilage d’herbe de la fauche à

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L’ensilage d’herbe est de plus en plus utilisé dans les élevages. Ces avantages sont multiples : autonomie protéique, qualité nutritionnelle du lait ou de la viande, rotation des cultures. Mais la maîtrise de sa qualité n’est pas toujours facile : mieux comprendre les étapes clés de sa récolte permet d’éviter certaines erreurs encore fréquentes. Les enjeux sont importants : les pertes lors de la récolte et par la suite lors la conser- vation peuvent être multipliées par trois : de 10-12 % minimum à plus de 30 % dans certain cas. Ces pertes occasionnent un manque à gagner au niveau des tonnes de matières sèches distribuables mais aussi une perte nette au niveau de la qua- lité énergétique (UFL/kg MS) et protéique (MAT/kg MS). FAUCHER AU BON STADE MAIS PAS QUE… La valeur nutritive du futur ensilage d’herbe dépend en premier lieu du stade auquel la prairie va être fauchée. À partir de la montai- son, la valeur énergétique puis la valeur pro- téique chutent rapidement 1 . Déterminer la bonne date de fauche reviens à trouver le bon Maîtriser la qualité de l’ensilage d’herbe de la fauche à énergie volaille légumes lait porc bovin-viande environnement observatoire pondeuse ovin-caprin agrobiologie culture 17 avril 2020 28 herbivores compromis entre la quantité d’herbe dispo- nible et sa qualité. Traditionnellement, le stade "début d’épiaison" (10 % d’épis sortant) correspond à cette recherche de compromis. Mais de plus en plus, la qualité prend le des- sus sur la quantité : une fauche au stade "épis 10-15 cm" permet d’obtenir un ensilage satisfaisant les besoins des animaux les plus exigeants. Une fois l’herbe fauchée, tout reste encore à jouer, l’objectif est de préserver la qualité du fourrage jusqu’à la table d’alimentation. Les pertes, par la suite, peuvent être importantes, elles ont lieu au champ puis lors de la mise en conserve. QUE SONT LES PERTES SUR LE CHAMP ET COMMENT LES LIMITER ? Les pertes au champ sont de deux ordres : les pertes de feuilles (notamment pour les légumineuses) et les pertes par respiration. Si le risque de perte de feuilles est sou- vent pris en compte en limitant le nombre d’interventions mécaniques, les pertes par respiration sont très souvent sous-évaluées. Tant que l’herbe fauchée n’a pas atteint 35-40 % de MS, la plante fourragère est toujours vivante, son métabolisme consomme une partie du sucre soluble qu’elle contient. Cela entraîne une perte de matière sèche très digestible, qui sera nécessaire lors du processus de fermentation dans le silo. L’ensilage d’herbe est le mode de récolte qui permet de limiter les pertes au champ, l’herbe atteignant rapidement 35-40 % de matière sèche. Les pertes sont faibles (moins de 6-7 % MS) à condition d’avoir une vitesse de séchage rapide c’est-à-dire en 24-48 heures maximum. Il est nécessaire d’exposer au maximum le fourrage à la lumière, c’est l’élément le plus important. La lumière permet d’ouvrir les stomates (pores sur les feuilles) et ainsi, elle per- met d’évacuer l’eau de feuilles. Il est donc important, dès la fauche, de bien éparpiller l’herbe même si cela nécessite un andainage le lendemain. L'ensilage, une bonne manière de stocker l'herbe. Les grandes lignes d’un ensilage d’herbe réussi : Prendre la bonne fenêtre météo : 48h avec du soleil "breton" Faucher précocement : épi 10 cm ou début d’épiaison pour plus de volume Exposer au maximum à la lumière pour un séchage rapide : fauche à plat ou fanage dès la fauche Limiter les interventions mécaniques mais ne pas se l’interdire si nécessaire Viser 35-40 % de MS à l’ensilage en 24 h, 48 h si beaucoup de légumi- neuses Bien tassé et rapidement bâché.

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Page 1: Maîtriser la qualité de l’ensilage d’herbe de la fauche à

L’ensilage d’herbe est de plus en plus utilisé dans les élevages. Ces avantages sont multiples : autonomie protéique, qualité nutritionnelle du lait ou de la viande, rotation des cultures. Mais la maîtrise de sa qualité n’est pas toujours facile : mieux comprendre les étapes clés de sa récolte permet d’éviter certaines erreurs encore fréquentes.

Les enjeux sont importants : les pertes lors de la récolte et par la suite lors la conser-vation peuvent être multipliées par trois : de 10-12 % minimum à plus de 30 % dans certain cas. Ces pertes occasionnent un manque à gagner au niveau des tonnes de matières sèches distribuables mais aussi une perte nette au niveau de la qua-lité énergétique (UFL/kg MS) et protéique(MAT/kg MS).

FAUCHER AU BON STADE MAIS PAS QUE…

La valeur nutritive du futur ensilage d’herbe dépend en premier lieu du stade auquel la prairie va être fauchée. À partir de la montai-son, la valeur énergétique puis la valeur pro-téique chutent rapidement 1 . Déterminer la bonne date de fauche reviens à trouver le bon

Maîtriser la qualité de l’ensilage d’herbe de la fauche à la table d’alimentation !

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17 avril 2020

17 avril 202028 énergie volaille légumes lait porc bovin-viande environnement observatoire pondeuse ovin-caprin agrobiologie culture herbivores

compromis entre la quantité d’herbe dispo-nible et sa qualité. Traditionnellement, le stade "début d’épiaison" (10 % d’épis sortant) correspond à cette recherche de compromis. Mais de plus en plus, la qualité prend le des-sus sur la quantité : une fauche au stade "épis 10-15 cm" permet d’obtenir un ensilage satisfaisant les besoins des animaux les plus exigeants.Une fois l’herbe fauchée, tout reste encore à jouer, l’objectif est de préserver la qualité du fourrage jusqu’à la table d’alimentation. Les pertes, par la suite, peuvent être importantes, elles ont lieu au champ puis lors de la mise en conserve.

QUE SONT LES PERTES SUR LE CHAMP ET COMMENT LES LIMITER ?

Les pertes au champ sont de deux ordres : les pertes de feuilles (notamment pour les légumineuses) et les pertes par respiration. Si le risque de perte de feuilles est sou-vent pris en compte en limitant le nombre d’interventions mécaniques, les pertes par respiration sont très souvent sous-évaluées. Tant que l’herbe fauchée n’a pas atteint 35-40 % de MS, la plante fourragère est toujours vivante, son métabolisme consomme une partie du sucre soluble qu’elle contient. Cela entraîne une perte de matière sèche très digestible, qui sera nécessairelors du processus de fermentation dans le silo.

L’ensilage d’herbe est le mode de récolte qui permet de limiter les pertes au champ, l’herbe atteignant rapidement 35-40 % de matière sèche. Les pertes sont faibles (moins de 6-7 % MS) à condition d’avoir une vitesse de séchage rapide c’est-à-dire en 24-48 heures maximum. Il est nécessaire d’exposer au maximum le fourrage à la lumière, c’est l’élément le plus important.La lumière permet d’ouvrir les stomates (pores sur les feuilles) et ainsi, elle per-met d’évacuer l’eau de feuilles. Il est donc important, dès la fauche, de bien éparpiller l’herbe même si cela nécessite un andainage le lendemain.

L'ensilage, une bonne manière de stocker l'herbe.

Les grandes lignes d’un ensilage d’herbe réussi :

Prendre la bonne fenêtre météo : 48h avec du soleil "breton" Faucher précocement : épi 10 cm ou début d’épiaison pour plus de volume Exposer au maximum à la lumière pour un séchage rapide : fauche à plat ou fanage dès la fauche Limiter les interventions mécaniques mais ne pas se l’interdire si nécessaire Viser 35-40 % de MS à l’ensilage en 24 h, 48 h si beaucoup de légumi-neuses Bien tassé et rapidement bâché.

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29 nouveaux marchés vie des stations énergie volaille légumes lait porc bovin-viande énergie volaille légumes lait porc bovin-viande pondeuse

L’ENSILAGE ET LA MISE EN CONSERVE : DES ÉTAPES CLÉS

L’ensilage est aussi la méthode qui a les pertes les plus élevées en cours de conserva-tion. Il faut savoir que les pertes visibles dans le silo ne représentent qu’une faible part des pertes au silo : la majorité des pertes sont invisibles ! Pour comprendre, il est nécessaire de se remémorer les étapes par lesquelles passe l’ensilage d’herbe une fois dans le silo 2 .Une fois le silo bâché, la première étape est une phase aérobie (en présence d’oxygène), cette phase doit être la plus courte possible (moins de 24 h). L’acidifi cation nécessaire du silo par les bactéries lactiques ne peut avoir lieu qu’en l’absence d’oxygène (anaérobie). L’oxygène doit donc être consommé, cela se fait majoritairement par la respiration de plantes débutée aux champs qui se poursuit dans le silo. Un début de fermentation par les entérobactéries et les levures commence. L’odeur piquante de vinaigre présente dans les ensilages est produite à ce moment-là, si elle est très forte cela veut probablement dire que cette phase a durée trop longtemps.Il est donc important de chasser l’air au maxi-mum lors de la conception du silo. Une coupe fi ne (entre 3 et 7 cm) et une matière sèche ne dépassant pas 45 % permettent de faciliter le tassage. Le tas doit être couvert dès la fi n du chantier d’ensilage.Une fois l’oxygène consommé, la phase de fermentation lactique va commencer, elle dure généralement 2 semaines. Les bactéries lactiques consomment une partie des sucres solubles disponibles pour produire de l’acide lactique. Cet acide lactique diminue le pH du fourrage et permet sa conservation sur la durée. À noter que plus un fourrage est humide et riche en MAT, plus il sera diffi cile à acidifi er. C’est pourquoi il est nécessaire d’at-teindre 30 % de MS minimum au moment de l’ensilage. Si cette teneur en matière sèche n’est pas atteinte, l’utilisation d’un conserva-teur sera probablement nécessaire. Les légu-mineuses, de par leur teneur en MAT élevée, et leur richesse en calcium, ont un pouvoir tampon élevé ce qui freine la baisse du pH. À l’inverse, l’acidifi cation est plus rapide avec un fourrage riche en sucres solubles, c’est le cas pour les graminées et pour les fauches précoces.Si le pH est descendu suffi samment bas (pH inférieur à 4,3 à 30 % de MS et pH inférieur à 4,7 à 50 % de MS), les fermentations s’ar-rêtent. Et tant que le silo reste hermétique, le fourrage reste stable jusqu’à l’ouverture. Si le pH n’est pas assez bas, les fermentations, notamment butyriques, peuvent démarrer et occasionner des pertes importantes. C’est

Maîtriser la qualité de l’ensilage d’herbe de la fauche à la table d’alimentation !

Benoît PosséméChargé d'études fourrages

Feuillu

Végétatif Végétatif Début bourgeonnement

FloraisonDébut montaison Début épiaison(10 épis/m linéaire)

Bourgeonnement(50 % des bourgeons

formés)

Floraison

Épiaison(50 % des épis sont sortis)

LES LÉGUMINEUSES

LES GRAMINÉES

t MS/ha

MAT/kg MS Graminées

UF/kg MS Graminées

MAT/kg MS Légumineuses

MAT/kg MS Légumineuses

1 Quand faucher ? La recherche du compromis quantité/qualité

Feuillu

Végétatif Végétatif Début bourgeonnement

FloraisonDébut montaison Début épiaison(10 épis/m linéaire)

Bourgeonnement(50 % des bourgeons

formés)

Floraison

Épiaison(50 % des épis sont sortis)

LES LÉGUMINEUSES

LES GRAMINÉES

t MS/ha

MAT/kg MS Graminées

UF/kg MS Graminées

MAT/kg MS Légumineuses

MAT/kg MS Légumineuses

2 Évolution normale d’un ensilage étapes par étapes (d’après Pitt et Sniffen, 1985)

Phase aérobie

Niv

eau

Phase transitoire

Phasede fermentation anaérobique

Phasede stabilisation

Bactéries Lactiques

Entérobactéries,levures

Oxygène

pH

0 1 2 14 Temps (jours)

souvent le cas pour des ensilages d’herbes trop humides.À l’ouverture du silo, l’oxygène est de nouveau disponible au niveau du front d’attaque et les fermentations reprennent, il faut donc avan-cer suffi samment vite pour limiter les pertes.

L’ensilage d’herbe est certainement une des meilleures façons de faire du stock d’herbe en Bretagne. Mais il est important de respecter

certaines règles (lire encadré). Il ne suffi t pas de faucher au bon stade, encore faut-il que la qualité de l’herbe fauchée se retrouve sur la table d’alimentation en quantité suffi sante.