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BARBEDETTE Mathilde EHESS. Master 1 d’histoire. Séminaire de Catherine Maire (2008-2009) : « L’Eglise et l’Etat des Lumières à la Révolution » Etude du chapitre « Preuves des droits du Roi » extrait de l’Histoire du droit public ecclésiastique français (1737) attribuée au marquis d’Argenson et au Père de la Motte : Antiromanisme gallican Et Anticléricalisme politique. 1

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Mathilde Barbedette, EHESS, petit mémoire de Master 1 séminaire de Catherine Maire "l'Eglise et l'Etat des Lumières à la Révolution"

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Page 1: Mathilde Barbedette, "L'histoire du droit public ecclésiastique français de d'Argenson"

BARBEDETTE Mathilde

EHESS. Master 1 d’histoire.

Séminaire de Catherine Maire (2008-2009) : « L’Eglise et l’Etat des Lumières à la Révolution »

Etude du chapitre « Preuves des droits du Roi » extrait de l’Histoire du droit public ecclésiastique français (1737) attribuée au marquis d’Argenson et au Père de la Motte :

Antiromanisme gallican Et

Anticléricalisme politique.

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Page 2: Mathilde Barbedette, "L'histoire du droit public ecclésiastique français de d'Argenson"

René-Louis de Voyer, marquis d’Argenson (1694-1757), a été secrétaire d’Etat aux

affaires étrangères sous Louis XV de novembre 1744 à janvier 1747 mais il est resté célèbre

surtout pour son traité politique que nous connaissons sous le titre de Considérations sur le

gouvernement ancien et présent de la France. En réalité, le marquis d’Argenson a beaucoup

écrit mais l’intégralité de ses manuscrits a été brûlée au moment de l’incendie de la

bibliothèque du Louvre dans la nuit du 23 au 24 mai 1871. Cependant en 1976, Marc-René de

Voyer de Paulmy d'Argenson, 9ème marquis d'Argenson, dépose les archives privées de sa

famille à la Bibliothèque Universitaire de Poitiers. Ces archives étaient auparavant conservées

au château des Ormes dans la Vienne qui appartient à la branche cadette du marquis

d’Argenson –celle issue du frère du marquis d’Argenson, Marc-René, comte d’Argenson,

ministre de la guerre de Louis XV. Elles contiennent des copies d’ouvrages majeurs du

marquis d’Argenson inédits ou en partie inédits vraisemblablement réalisées au début du

XIXème siècle par Charles-Marc-René d’Argenson, arrière-petit-neveu du marquis d’Argenson,

d’après les manuscrits originaux. Quelles sont donc les sources à notre disposition pour traiter

de la question qui nous intéresse ici, à savoir la conception du marquis d’Argenson de la

nature du rapport que devait entretenir le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel ? Tout

d’abord, le marquis d’Argenson nous a laissé un volumineux journal qu’il a tenu

régulièrement à partir du milieu des années 1720 jusqu’à sa mort en 1757. La publication la

plus fidèle aux manuscrits du marquis d’Argenson a été effectuée de 1859 à 1867 pour le

compte de la Société de l’Histoire de France par Emile-Jacques-Benoît Rathery, bibliothécaire

au Louvre où sont alors conservés les manuscrits de d’Argenson. A plusieurs reprises, dans

son journal, le marquis d’Argenson fait référence à des affaires qui concernent l’Eglise

comme par exemple l’impôt du vingtième que Machault veut imposer à tous y compris aux

ecclésiastiques mais il fait référence aussi aux libertés de l’Eglise gallicane, aux appels

comme d’abus... Dans les Mémoires pour le testament politique de Son Eminence le Cardinal

de Fleury, publié par Rathery à la fin du premier volume du journal du marquis d’Argenson,

on trouve quelques vues intéressantes à la rubrique « La Religion ». Dans les Remarques en

lisant et les Pensées sur la Réformation de l’Etat, qui n’ont été publiées que très partiellement

par l’arrière-petit-neveu du marquis d’Argenson dans le cinquième volume de l’édition de

1855-1857 des Mémoires du marquis d’Argenson, édition par ailleurs fautive, on trouve aussi

des considérations du marquis d’Argenson sur la religion.

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Page 3: Mathilde Barbedette, "L'histoire du droit public ecclésiastique français de d'Argenson"

Pour cette étude, nous nous sommes intéressés au traité de l’Histoire du droit public

ecclésiastique français. Ce traité fut composé en partie par le marquis d’Argenson dans le

cadre de ses activités au club de l’Entresol qu’il fréquenta de 1725 à 1731, date à laquelle le

club fut interdit par Fleury. Dans le journal du marquis d’Argenson, nous en apprenons

davantage sur la composition de ce traité. Le 10 décembre 1731, le marquis d’Argenson

consacre en effet un article de son journal au club de l’Entresol peu après son interdiction.

« Je fus d'abord chargé du droit public en général, sur quoi je donnai des sommaires de

matières dès la seconde séance où j'assistai ; puis, cela se trouvant trop étendu, on me

restreignit au droit ecclésiastique de France que j'ai assez avancé, et de quoi j'ai lu plusieurs

fois »1. Puis, le 12 mars 1750, il revient sur l’histoire de la composition de ce traité. « Il a paru

en 1737 un livre qui a pour titre Histoire du Droit ecclésiastique français. J'avoue que plus de

la moitié est de ma composition »2. Il explique pourquoi il s’est penché sur cette question. A

cette époque, il était chargé au conseil du roi du bureau des affaires ecclésiastiques avec

l’abbé Bignon. « Ce bureau ecclésiastique était alors comme le parlement des parlements, à

cause des affaires de la Constitution qui nous attiraient quantité d'évocations des plus grandes

affaires de cette espèce. J'étais jeune et chaud ; je me remplis infiniment l'esprit des droits du

roi sur l'Église et du peu de droit du pape »3. Après avoir bien avancé ce traité, il s’en

détourna pour se consacrer à d’autres affaires et commissions. Ce fut le Père de la Motte, qui

avait été préfet du marquis d’Argenson au collège des Jésuites de Louis le Grand, qui termina

l’ouvrage. Le marquis d’Argenson lui envoya ses manuscrits, le plan du traité qu’il avait

établi et des livres qu’il avait réunis en vue d’écrire ce traité. Le père de la Motte envoyait ses

cahiers au marquis d’Argenson au fur et à mesure. Le marquis les arrangeait et continuait à les

lire lors des séances du club de l’Entresol. Le Père de la Motte s’enfuit ensuite en Hollande et

y vécut sous le nom de M. de la Hode.

Ce traité a été publié à Londres chez Samuel Harding en 1737. Cette publication a été

suivie par d’autres éditions, toujours à Londres, en 1740, 1750 et 17514. L’édition de 1750 est

augmentée de la Dissertation sur le droit des souverains touchant l’administration de l’Eglise

de Delpech de Mérinville déjà publiée en 1734. Il s’agit en fait d’une adaptation du  Traité de

l'autorité des rois touchant l'administration de l'Église de Le Vayer de Boutigny publié en

1700. A cette nouvelle édition de l’Histoire du droit public ecclésiastique français est aussi

1 Journal et mémoires du marquis d'Argenson publiés pour la première fois d'après les manuscrits autographes de la Bibliothèque du Louvre, pour la Société de l'histoire de France, par E. J. B. Rathery, Paris, Vve de J. Renouard, 1859-1867, t.1, p. 97.2 Ibid., t. 6, p. 167.3 Ibid., t. 6, p. 168.4 Pour les différentes éditions, cf. la bibliographie p. 17 de cette étude.

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ajoutée l’Histoire du droit canonique, déjà publiée en 1729, de Jean-Louis Brunet, avocat au

Parlement de Paris et spécialiste du droit canon.

L’histoire du droit public ecclésiastique français est publiée sous le nom de Du

Boulay, avocat et canoniste à qui l’on va longtemps attribuer ce traité. Cependant, le marquis

d’Argenson écrit : « Il transpire dans le monde que ce livre est de moi, et je ne l'ai pas

absolument désavoué à quelques amis qui l'ont dit à d'autres »5. Dans son Essai sur les mœurs

et esprit des nations et sur les principaux faits de l’histoire de Charlemagne jusqu’à Louis

XIII, Voltaire – qui était l’ami de d’Argenson avec qui il entretenait une correspondance

suivie- assure que le marquis d’Argenson a collaboré à l’Histoire du droit public

ecclésiastique français6 et dans ses Questions sur l’Encyclopédie, à l’article « esclave »,

Voltaire affirme que le marquis d’Argenson a eu la meilleure part à l’Histoire du droit public

ecclésiastique français7. L’Histoire du droit public ecclésiastique prend place dans le

Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes d’Antoine-Alexandre Barbier à l’entrée

numéro 80238. Barbier y mentionne les propos de Voltaire. Dans l’ouvrage intitulé

Bibliothèque historique de la France : contenant le catalogue des ouvrages, imprimés &

manuscrits, qui traitent de l'histoire de ce royaume ou qui y ont rapport, à l’entrée numéro

6973, on apprend que la faculté de théologie de Paris a décidé le 17 août 1751, la censure de

19 propositions qu’elle avait extraite du traité ; mais cette censure n’a pas été rendue publique

car « elle contenait elle-même des choses répréhensibles ».9 Dans le fonds d’Argenson des

archives de Poitiers, on trouve un mémoire rédigé par le marquis d’Argenson intitulé

« Réflexions faites sur quelques propositions extraites du livre intitulé Histoire du droit public

ecclésiastique français et canonique et du gouvernement de l’Eglise que la Sorbonne veut

condamner ». Dans ce mémoire, le marquis d’Argenson présente en vis-à-vis de chaque

proposition que la Sorbonne veut faire censurer, « les réflexions que l’on a cru convenables

aux différentes interprétations dont est susceptible chaque proposition ».

L’histoire du droit ecclésiastique a été composée au moment de la querelle qui agite le

Parlement à propos de l’enregistrement de la bulle Unigenitus qui devient finalement loi

d’Etat en 1730. Le traité est réédité en 1750 alors que Machault d’Arnouville veut imposer

l’impôt du vingtième qui reposerait sur tous les propriétaires y compris le clergé. Dans ce

contexte, la réédition de l’histoire du droit public ecclésiastique français qui réclame

5 Ibid., t. 6, p. 169.6 Voltaire, Essai sur les mœurs, 1770 (1ère éd. 1756), t. 4, p. 306.7 Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, par des amateurs, cinquième partie, Genève, Cramer, 1771, p. 303.8 Antoine-Alexandre Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes, 2ème édition, Paris, Barrois L’aîné libraire, 1823, t. 2, p. 120.9Jacques Le Long, Bibliothèque historique de la France, Paris, Hérissant, 1768-1778, p. 468.

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justement que l’exemption de charges sur les biens ecclésiastiques soit levée, fait polémique.

Dans son journal, à la date du 12 mars 1750, le marquis d’Argenson rapporte qu’ « on dit que

cela fait beaucoup ma cour au gouvernement, qui y voit ses prétentions canonisées contre le

clergé ; mais il y a aussi à craindre les fureurs de Rome et du clergé, qui sont outrecuidés »10.

L’Histoire du droit ecclésiastique se compose de deux volumes. Sa préface, que nous

ne pouvons attribuer avec certitude au marquis d’Argenson, présente les objectifs de

l’ouvrage. Il y sera question des droits des papes et des rois ainsi que des principes sur

lesquels reposent ces droits. L’auteur revendique son impartialité sur ces questions et c’est ce

qui constitue pour lui l’originalité de son ouvrage car, avance-t-il, ceux qui ont traité de ces

matières étaient partisans de l’une ou l’autre puissance. L’auteur n’inscrit donc pas son

ouvrage dans une quelconque controverse ou polémique. Cependant, on verra qu’il n’en est

rien et que cet ouvrage prend place parmi le corpus des traités gallicans rédigés depuis le

XVIème siècle et, plus particulièrement parmi les traités rédigés en ce premier XVIIIème siècle

dans le contexte de la polémique produite par la réception en France de la bulle Unigenitus

publiée en 1713 par le Pape Clément XI  à la demande de Louis XIV afin de condamner 101

propositions tirées des Réflexions morales du janséniste Pasquier Quesnel. D’ailleurs dès la

préface, la position défendue par l’ouvrage est annoncée : « je croye pouvoir dire d’avance

que la Cause des Souverains est bien plus juste que celle des Papes ; & que les Evêques, dont

à peine on a daigné parler, sont originairement sans comparaison plus puissans, & moins

dépendans qu’ils ne le sont aujourd’hui »11.

L’introduction de l’ouvrage expose les droits des trois puissances – le Souverain, le

pape et les évêques. Un chapitre introductif établit quels sont les droits du roi puis l’ouvrage

retrace l’histoire de l’exercice de ces droits. Cette histoire est divisée en quatre parties. Le

livre premier couvre la période qui s’étend de l’établissement de la monarchie française

jusqu’au pontificat de Grégoire VII (1073-1085) ; le livre second couvre les règnes des rois de

France de Louis VI ( 1108-1137) jusqu’à Philippe le Bel (1285-1314) ; le livre troisième va

de la mort du pape Boniface VIII en 1303 jusqu’au Grand Schisme qui eut lieu de 1378 à

1414 ; enfin, le quatrième livre couvre la période qui s’étend du Grand Schisme jusqu’à la

proclamation de la Bulle Unigenitus. Certaines questions plus complexes car plus discutées

font l’objet de dissertations particulières. Placées à la suite du livre premier, la première, la

deuxième et la troisième dissertations traitent respectivement « De la Supériorité des Evêques

10 Journal et mémoires du marquis d'Argenson...., op .cit ., t.6, p.169.

11 René-Louis de Voyer, marquis d’Argenson, et Yves-Joseph de La Motte, Histoire du droit public ecclésiastique français, Londres, Samuel Harding, 1750, t. 1, p. 4.

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de Rome », « De l’autorité des Papes sur le Temporel des Rois & des Eglises » et « Du droit

des Souverains par rapport à l’Investiture des Evêchés & des Abbayes ». La quatrième et la

cinquième dissertations viennent après le livre second et traitent « Des excommunication &

des Interdits » et « De l’Etat Religieux & de ses privilèges ». A la suite du livre troisième, la

sixième dissertation traite « De Schisme & des Appels au futur Concile » et la septième « De

l’Inquisition & des Appels comme d’abus ». Enfin, la huitième, neuvième et dixième

dissertation viennent après le livre quatrième et s’intitulent « De la manière de procéder en cas

de pluralité des Papes », « Des avantages & des désavantages du Concordat, de sa Légitimité,

& des droits de ceux qui le firent » et « Des indulgences ». L’Histoire du droit public

ecclésiastique se clôt par une « Vie du pape Alexandre VI » et une « Vie du pape Léon X ».

L’Eglise : un gouvernement de nature aristocratique

Dans l’introduction de l’ouvrage sont définis les droits des rois, du pape et des

évêques. Ce qui nous intéresse ici ce sont les droits attribués au pape et aux évêques –nous

viendrons ensuite aux droits du roi avec l’étude du chapitre intitulé « Preuves des droits du

roi ». L’établissement des droits de chaque puissance amène l’auteur –nous ne pouvons

déterminer s’il s’agit du marquis d’Argenson ou du Père de La Motte- à envisager les

relations que doivent entretenir chacune des puissances et en particulier, celles du Pape avec

les évêques.

Le Pape a, en tant que chef de l’Eglise, un droit d’inspection sur toute l’Eglise. Il est

en quelque sorte chargé de « l’Intendance générale » de l’Eglise. Ce qui regarde la Foi, ce

qu’on appelle le « spirituel », est de son ressort. Il préside les conciles œcuméniques. Il peut

dispenser les mariages que les circonstances interdisent. Il doit œuvrer à la conversion des

Etats hérétiques, il a ainsi le droit d’y nommer les évêques. Il a le pouvoir de confirmer les

ordres religieux. Enfin, c’est à lui que revient le pouvoir de canoniser les saints.

Il s’attribue la qualité d’ « évêque universel » mais en vertu de cette qualité, il pense

pouvoir restreindre le pouvoir des évêques, or, il n’a pas ce droit. Le Pape n’est pas « le

monarque de l’Eglise », il ne détient pas un pouvoir absolu et arbitraire sur ses ministres. Le

Pape n’est pas le centre de l’autorité mais celui de l’unité de la Foi. Le gouvernement de

l’Eglise n’est donc pas monarchique mais aristocratique. Si la majorité des évêques

n’acceptent pas les décrets de Rome, le Pape doit les réunir car il est comme chacun d’eux

soumis au corps épiscopal.

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Les évêques sont de droit divin. Comme le Pape, ils ont reçu le pouvoir de lier et de

délier et les clefs du Royaume des cieux leur ont été confiées. Ils sont les juges de la Foi en

première instance. Ils doivent surveiller le clergé de leur ressort épiscopal. Or, le jugement des

supérieurs des ordres religieux relèvent directement du Pape, ce qui va à l’encontre du droit

du souverain et de ceux des évêques. S’ils sont maître de décider des questions relatives à la

religion dans leur diocèse, ils se doivent cependant de se plier aux lois de l’Etat et ne peuvent

ordonner quoi que ce soit de contraire à la loi du Roi. Sinon, le Roi doit pouvoir ordonner la

réformation de ces règlements et le particulier a le droit d’en appeler comme d’abus.

Le Pape n’a qu’un droit limité sur les évêques qui sont en premier lieu les sujets du

Roi. Au temporel, le Pape est considéré comme une puissance étrangère, c’est pourquoi, les

évêques doivent entretenir des relations limitées avec le Pape.

Les Papes ont cherché à réduire les prérogatives des évêques mais c’est par la faute

des évêques qui n’ont pas défendu leurs prérogatives et qui n’ont pas veillé à s’en tenir aux

anciens usages. Il a ainsi été décrété que les curés seraient inamovibles ce qui réduit la marge

de manœuvre des évêques envers les curés qui ne seraient pas exemplaires. Par ailleurs, les

évêques doivent fournir un refus motivé au cas où ils s’opposeraient à la nomination de tel

curé.

Comme Richer dans son ouvrage De ecclesiastica et politica potestate libellus publié

en 1611, le marquis d’Argenson valorise le corps de l’Eglise au détriment de ses représentants

et met les évêques et le pape sur le même plan, ce sont des ministres, serviteurs du corps. La

police de l’Eglise est de nature monarchique. Jésus-Christ est le seul véritable chef de l'Église

et il conduit un gouvernement de type aristocratique.

Etude du chapitre « Preuves des droits du Roi »

Nous proposons maintenant de nous intéresser plus particulièrement au premier

chapitre introductif de l’ouvrage intitulé « Preuves des droits du Roi, Par rapport aux

Personnes et aux affaires Ecclésiastiques ». Dans la préface de l’Histoire du droit public

ecclésiastique français, il est dit que ce chapitre est l’occasion d’insister sur les droits du

souverain cela étant nécessaire car « c’est à les détruire & à les affaiblir que les deux autres

Puissances se sont attachées »12. Ce chapitre nous semble être incontestablement l’œuvre du

12 Ibid., p. 4.

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marquis d’Argenson. Nous y reconnaissons son style et au-delà, la construction de son

raisonnement qui comme dans ses Considérations s’appuie sur l’histoire ou encore sa

conception de la souveraineté du roi qu’il développe longuement dans ses Considérations.

I). L’histoire comme légitimation des droits du roi

Selon le marquis d’Argenson, les droits du roi sur les ecclésiastiques et leurs biens

sont « naturels » et « inaliénables », ils sont constitutifs de sa souveraineté. Ne pas lui

reconnaître ces droits, c’est minimiser sa souveraineté. Pour apporter des preuves aux droits

du Roi, le marquis d’Argenson s’appuie sur des faits historiques : il fait référence à l’histoire

de l’Eglise et à celle du Royaume de France.

Il remonte à l’Empire romain et au règne de Constantin qui a fait du catholicisme la

religion de son Empire. Dès lors, « le Prince entra fort avant dans la souveraineté de

l’Eglise »13. En tant que protecteur de l’Eglise, les Empereurs ont un droit de regard sur les

affaires religieuses. Vis-à-vis de l’Eglise « ils ne s’en déclarèrent pas les Chefs, mais ils s’en

firent les Protecteurs et regardèrent ce titre comme une partie essentielle de leur

souveraineté »14. En matière de religion, ils ne décident pas mais rien ne se fait sans leur

consentement. Ce sont eux qui ordonnent aux évêques de s’assembler. Ils assistent à ces

assemblées ou y envoient des représentants. Les lois ecclésiastiques préparées par ces

assemblées deviennent loi d’Etat qu’après avoir été approuvées par l’Empereur qui les fait

enregistrer par un édit. Les empereurs ne nomment pas directement aux évêchés mais pour

que la nomination d’un évêque soit effective, il faut qu’elle soit approuvée par l’Empereur.

Les évêques n’ont pas contesté cet état de fait, ils ont même fait appel à Constantin pour qu’il

leur apporte son aide dans la lutte contre l’hérésie. Pour montrer le pouvoir qu’a alors

l’Empereur, le marquis d’Argenson choisit l’exemple du concile d’Arles. Dans le diocèse de

Carthage, deux partis opposés ont nommé chacun un évêque. Le Pape rend son jugement mais

l’évêque qui est désapprouvé par le Pape en appelle à l’Empereur. L’Empereur organise alors

la tenue d’un concile à Arles et envoie une lettre circulaire à tous les évêques de Gaule pour

les y convoquer. Aucun n’en appelle à une quelconque infaillibilité du Pape. Le jugement du

Pape est révisé par le concile puis par Constantin en personne qui juge en dernier ressort. La

tradition instaurée par Constantin est ensuite reprise par ses successeurs : les évêques ne

s’assemblent que sous leurs ordres. Les évêques de Rome, souligne le marquis d’Argenson,

13 Ibid., p. 36.14 Ibid, p. 35.

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n’ont pas alors d’autres prérogatives que celles qui s’attachent au ressort de leur évêché et ne

dominent nullement les conciles.

Le marquis d’Argenson estime qu’on peut commencer à parler de « droit public

ecclésiastique français » lorsque Clovis, se convertit au catholicisme et décide de faire de la

religion catholique la religion de son Royaume. La maxime alors en vigueur est que la

religion ne doit pas affaiblir les droits du Roi. Les affaires religieuses sont devenues des

affaires d’Etat, elles doivent être traitées sous l’autorité du Roi. Le Roi intervient au temporel

et au spirituel. Ainsi, le Roi nomme aux évêchés, les réunions des évêques se font sous ses

ordres et pour pouvoir s’appliquer, les décisions prises par ces assemblées doivent être

confirmées par le Roi, le consentement du Pape n’étant pas nécessaire. Le Pape n’intervient

qu’au spirituel mais ses jugements en matière de Foi sont respectés.

Sous le règne de Clovis comme sous les Empereurs romains, l’Eglise n’a aucun droit

sur les sujets du Roi de France. Les successeurs de Clovis suivent cet usage mais viennent des

Papes plus puissants qui contestent les droits du Roi en matière religieuse et qui parviennent à

les restreindre. Les premiers Rois convoquent les Conciles, décident de l’ordre du jour de ces

assemblées, y assistent et les jugements des Conciles sont publiés sous forme de décrets et

d’ordonnances. Les Rois de France n’ont accepté que dans une certaine mesure les jugements

des conciles de Bâle (1431-1449), de Constance (1414-1418) et de Trente (1545-1563). Ils ont

réglé eux-mêmes le problème calviniste. Les rois sont donc toujours intervenus dans les

affaires ecclésiastiques. Cependant, et c’est la seule restriction aux droits du roi sur les

affaires ecclésiastiques, le Roi ne peut intervenir sur les questions qui concernent la Foi. Dans

ce domaine, il doit lui-même se soumettre aux décisions prises par le pouvoir spirituel et

employer son autorité pour que ses sujets s’y soumettent également.

Mais désormais, un nouvel usage prévaut car les princes chrétiens ont abandonné au

Pape la décision de réunir des conciles. Cependant, le marquis d’Argenson estime que c’est au

souverain de décider de la tenue d’un concile car « il n’appartient qu’au Souverain de

convoquer les Assemblées qu’il juge nécessaire pour calmer, pour fixer les esprits de ses

sujets, pour établir l’ordre, pour rétablir l’union et la paix ; c’est que le Prince est le premier

Père et le premier Pasteur de ses peuples, par conséquent qu’il est intéressé à tout ce qui les

intéresse »15. Aucun règlement, aucune loi ne peut être fait sans la permission, la participation

et la confirmation du roi. Constantin et ses successeurs puis des princes de différents Etats ont

15 Ibid., p. 42.

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respecté cet usage. C’est, pour le marquis d’Argenson, une preuve solide de la légitimité de

ces droits.

II). Les droits du roi sur les gens et les biens d’Eglise

Les droits du roi s’étendent à la fois aux biens et aux gens d’Eglise. Les

ecclésiastiques ont des immunités mais ils ne les doivent qu’au roi qui les leur a octroyées.

Ces immunités ne sont dues en aucun cas à leur condition même d’ecclésiastique. Le marquis

d’Argenson remet en cause ces immunités. Avant d’être des ministres de l’Eglise, les

ecclésiastiques sont des sujets du roi, estime le marquis d’Argenson, c’est pourquoi, le roi

devrait pouvoir les juger en premier ressort alors qu’ils ont le privilège d’être jugés par le

tribunal ecclésiastique de l’officialité. Le marquis d’Argenson cherche alors des preuves dans

les Evangiles. Nulle part Jésus-Christ n’exempte les apôtres de se soumettre aux lois des

Nations. De même, l’exemption du devoir de combattre dont jouit le clergé lui est accordée

par le roi mais elle ne lui est pas due. Leur qualité de ministre de l’Eglise ne peut les dispenser

d’obéir au roi et de le servir. Tous les sujets doivent contribuer à la défense de l’Etat et à sa

conservation. D’ailleurs, remarque le marquis d’Argenson, on a vu plusieurs fois dans

l’histoire le clergé prendre les armes comme par exemple au temps de la Ligue ces clercs qui

constituèrent une sorte de corps armé. Cette exemption de combattre accordée au clergé a été

définie par un règlement ecclésiastique accepté par le roi mais ce dernier peut, s’il lui plaît,

revenir sur cette décision.

La puissance du roi s’étend sur les biens ecclésiastiques qui sont de deux sortes : les

biens possédés par l’Eglise et les biens qui doivent lui être donnés. C’est au roi seul qu’il

revient de donner les biens d’Eglise. Et même une fois qu’ils sont entrés dans la possession de

l’Eglise, le roi a sur eux les mêmes droits que sur les autres domaines de son royaume. Rien

n’explique donc que les biens ecclésiastiques soient exemptés de charges. C’est, une fois de

plus, de la seule bonne volonté du roi que l’Eglise tient ce privilège. Quant aux biens donnés à

l’Eglise par les fidèles, des charges reposaient sur eux avant qu’ils n’entrent dans le domaine

de l’Eglise et ils n’ont pas changé de nature par ce transfert. Le clergé estime que ses biens ne

sont pas de même nature que les biens séculiers, ils seraient revêtus selon lui d’une dimension

sacrée. Le marquis d’Argenson juge cette idée ridicule et ajoute que même si ces biens étaient

sacrés, cela n’empêcherait pas qu’ils puissent servir aux intérêts de l’Etat.

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Pour pouvoir se consacrer aux affaires du culte, il faut que les clercs puissent vivre

dans une certaine tranquillité et ne pas être inquiétés par le besoin. Cependant, les biens des

ecclésiastiques ne cessent de s’accroître de sorte que certains vivent dans l’opulence. Sans

cesse le clergé fait revivre de nouveaux droits et saisit les tribunaux pour qu’on lui

reconnaisse ces droits. Cela fait des ecclésiastiques des sujets turbulents et vindicatifs en ce

qui concerne la défense de leurs droits ou de ce qu’ils croient être leurs droits.

Les charges dont les ecclésiastiques sont exemptés retombent sur les laïcs alors que

tous font partie du même corps et ont le même intérêt à la défense et à la gloire de l’Etat. Le

marquis d’Argenson remet en cause les privilèges octroyés au clergé : « Quel soulagement ne

recevraient pas les peuples, si ces odieux Privilèges étaient retranchés [...] ? »16. Il critique

aussi la richesse de l’Eglise et de ses ministres : « Quel renversement, que ceux qui doivent

être les plus détachés des Biens de la terre, en jouissent plus abondamment et plus

tranquillement ! »17. Le clergé se consacre au service de Dieu et c’est en vertu de cette

fonction qu’il jouit de privilèges. Le marquis d’Argenson réduit, non sans ironie, la fonction

du clergé à celle de « chanter au chœur » et se demande, à propos des ecclésiastiques,

« seraient-ils moins en état de chanter comme ils font, si par de justes contributions on

diminuait leurs trop gros Revenus ? »18.

III). De la nomination aux bénéfices ecclésiastiques

Le marquis d’Argenson estime que c’est au roi qu’il revient de conférer les bénéfices

ecclésiastiques car c’est lui seul qui possède le pouvoir d’attribuer les charges. Certes, le roi

ne peut donner le caractère sacré qu’il faut avoir pour occuper une fonction de clerc. Le

marquis d’Argenson distingue dès lors le droit spirituel du droit temporel. Le droit spirituel

est conféré par la cléricature mais le roi peut légitimement donner le droit temporel à ceux qui

ont déjà reçu le droit spirituel sur les biens ecclésiastiques. Il en va du domaine ecclésiastique

comme des autres domaines ; le roi élève aux charges ceux qui ont la qualité pour y prétendre.

C’est du Roi que les sujets doivent tenir leur place qui les distingue des autres. Le marquis

d’Argenson ajoute que le roi concédant à l’Eglise des terres dont il est le seigneur temporel, il

est légitime qu’il nomme à l’office qui s’y rattache et il doit pouvoir transmettre ce droit à ses

descendants. Le Pape n’est en rien le maître des biens de l’Eglise, ils ne lui appartiennent pas. 16 Ibid., p.66.17 Ibid., p.67. 18 Ibid., p. 68.

11

Page 12: Mathilde Barbedette, "L'histoire du droit public ecclésiastique français de d'Argenson"

Sa primauté repose sur sa fonction de veiller à la conservation des biens de l’Eglise. Accorder

le droit de nommer aux bénéfices au Pape reviendrait à abandonner à une puissance étrangère

une partie des prérogatives royales. En outre, si le Pape avait le pouvoir de nommer aux

bénéfices alors il deviendrait pour les ecclésiastiques le seul canal des grâces. Les

ecclésiastiques seraient alors en quelque sorte attachés à lui et le reconnaîtraient comme leur

seul souverain. Une telle pratique s’avèrerait nuisible à la souveraineté du roi car il en

résulterait l’émergence d’un Etat dans l’Etat d’autant plus dangereux que les ecclésiastiques

gouvernent la conscience des peuples. Si le Pape veut faire valoir de telles prétentions, du

reste infondées, c’est pour pouvoir assurer une « monarchie universelle ». Ainsi, « on devrait

même regarder comme les ennemis les plus dangereux de l’Etat, ceux qui tiennent, et

s’appliquent à répandre les Maximes Ultramontaines »19.

De la naissance de l’Eglise jusqu’à la conversion des empereurs, les évêques étaient

élus par le peuple et le clergé puis par le clergé seul. Ces élections étaient confirmées par le

prince et le Pape ne s’en mêlait pas. Le roi a donc légitimement le droit de nommer aux

bénéfices mais il n’exerce pas ce droit : certains ecclésiastiques ou communautés

ecclésiastiques le font. Mais la nomination aux évêchés doit être regardée comme « un droit

inséparable de la Couronne »20. Or, le Pape a étendu ses prérogatives aux dépens de celles du

roi et de l’épiscopat – il peut par exemple nommer aux bénéfices vacants, aux bénéfices de

ceux qui meurent en Cour de Rome. Le marquis d’Argenson propose que le roi puisse, par un

édit, annuler les nominations faites par un autre que lui. Il rentrerait ainsi dans son droit et

conserverait de grosses sommes d’argent qui reviennent injustement au Pape.

IV. Un antiromanisme gallican

Les rois ont donc renoncé à une partie de leurs droits par ce que le marquis

d’Argenson appelle « une piété mal-entendue », « celle qui regarde comme essentiel à la

Religion ce qui n’a point avec elle de rapport nécessaire »21. Les rois de France en tant que

seigneurs souverains de la plupart des biens ecclésiastiques et protecteurs et défenseurs de la

religion, auraient dû exiger une forme de dépendance et de reconnaissance des Papes. Peut-

être ont-ils renoncé à ces droits par piété mais ils ne pouvaient accepter qu’une puissance

étrangère ne s’approprie les droits qu’ils abandonnaient. Ainsi, les rois ont laissé croître la 19 Ibid., p. 75.20 Ibid., p. 78.21 Ibid., p. 65.

12

Page 13: Mathilde Barbedette, "L'histoire du droit public ecclésiastique français de d'Argenson"

puissance du Pape, ils ont contribué à sa puissance par leurs libéralités car « le respect des

peuples pour son autorité spirituelle, les a contraints de céder à son autorité temporelle »22 et

le Pape a peu à peu « fait de son Sacerdoce un Royaume temporel, une Domination toute

profane et toute Séculière »23. La puissance du Pape s’est constituée grâce aux fonds qu’il est

parvenu à s’attribuer, le marquis d’Argenson cite notamment le « trafic des Indulgences » et

les ventes de bénéfices. Mais le Pape s’est aussi gagné des partisans, des « créatures » dans

chaque Etat notamment grâce au Cardinalat. Ces sujets dépendent du Pape et œuvrent

directement dans son intérêt. Il y a donc eu confusion entre le pouvoir spirituel et le pouvoir

temporel. C’est par la faiblesse, la piété et le manque de clairvoyance des princes que les

Papes ont acquis tant de pouvoir. Si, au moment où écrit le marquis d’Argenson, le pouvoir

des Papes est diminué, il est encore très grand. Le marquis d’Argenson émet l’hypothèse que

les Papes pensent peut-être à faire revivre les droits de l’Empereur romain sur tous les peuples

qui lui étaient soumis. Pour restreindre la puissance de l’Eglise à l’intérieur de l’Etat, il

faudrait que les évêques aient davantage de pouvoir, que les ecclésiastiques soient jugés par

les tribunaux ordinaires, qu’ils payent des impôts et qu’ils soient nommés par le roi.

On peut noter que le marquis d’Argenson rejoint sur de nombreux points les idées que

Lévesque de Burigny expose dans son Traité de l’autorité du Pape dans lequel ses droits sont

établis et réduits à leurs justes bornes et les principes des libertés de l’Eglise gallicane

justifiés qui a été publié en 1720 peu avant que d’Argenson ne commence à rédiger l’Histoire

du droit public ecclésiastique français. Lévesque de Burigny estime que la primauté du pape,

« l’évêque de Rome » n’est que « de droit ecclésiastique ». Il conteste aussi le droit du Pape à

nommer aux dignités ecclésiastiques. Le Pape n’a pas selon lui le monopole de la convocation

des conciles : le roi peut convoquer un concile national sans le consentement du Pape. Les

Bulles ne peuvent être appliquées si elles ne sont pas accompagnées d’un décret. Pour

Lévesque de Burigny, le Pape ne peut imposer un tribut sur l’Eglise que le marquis

d’Argenson qualifie par ailleurs de tribut « injuste » et « odieux » mais le prince peut exiger

du clergé tous les biens dont il a besoin.

Conclusion :

22 Ibid., p. 86.23 Ibid., p.81

13

Page 14: Mathilde Barbedette, "L'histoire du droit public ecclésiastique français de d'Argenson"

Cet ouvrage s’inscrit dans la tradition des traités gallicans. Le marquis d’Argenson

prend partie pour la souveraineté du roi de droit divin contre le pouvoir direct ou indirect du

pape mais il défend aussi les libertés conciliaires. Il se fait donc le champion de ce qu’on

appelle le gallicanisme politique et le gallicanisme ecclésiastique.

Ce qui est original chez d’Argenson, c’est sa façon de remettre en cause sans détour

les privilèges du clergé et de plaider pour leur abolition. Les controverses qui accompagnent

la réception en France de la Bulle Unigenitus vont contribuer au développement d’un

sentiment anticlérical et de l’impiété. Cependant, la critique des privilèges du clergé se répand

surtout au cours de la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Le marquis d’Argenson apparaît

sur ce point en avance sur son époque comme c’est le cas avec certains de ces projets

politiques qu’il développe dans ses Considérations.

Annexe : Le marquis d’Argenson et son œuvre dans l’historiographie

14

Page 15: Mathilde Barbedette, "L'histoire du droit public ecclésiastique français de d'Argenson"

En ce qui concerne le marquis d’Argenson en lui-même, les historiens se sont surtout

intéressés à sa pensée politique. Cependant, aucun ouvrage ne fait référence sur cette question

et la pensée politico-religieuse du marquis d’Argenson n’a pas été étudiée.

Edgar Zevort est le premier à étudier le ministériat des affaires étrangères du marquis

d’Argenson. Il a compulsé les volumineuses correspondances du marquis conservées au dépôt

des archives des Affaires étrangères. Avec son ouvrage publié en 1880, Le marquis

d’Argenson et le ministère des affaires étrangères : du 18 novembre 1745 au 10 janvier 1747,

il met en évidence l’action personnelle du marquis d’Argenson au sein des ressorts

compliqués de la diplomatie.

Jusqu’à l’avènement de la génération des historiens positivistes dans les années 1870,

les historiens exploitent les mémoires comme des sources qu’ils considèrent être des

témoignages sur leur époque. Ainsi, Sismondi pour son Histoire des français écrite entre 1821

et 1844, Henri Martin pour son Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en

1789 écrite entre 1833 et 1835 ou encore Hervé de Tocqueville pour son Histoire

philosophique du règne de Louis XV publié en 1847 se sont servis notamment des mémoires

du marquis d’Argenson pour reconstituer l’histoire du règne de Louis XV. Puis, viennent les

historiens positivistes qui remettent en cause la subjectivité des mémoires et ces textes ne

deviennent vite que des sources parmi d’autres. Les mémoires du marquis d’Argenson n’en

restent pas moins exploitées par les historiens. Pour son Louis XV publié en 1989, Michel

Antoine s’est appuyé sur une très grande quantité de sources de nature différente. Dans sa

bibliographie, il cite le journal du marquis d’Argenson mais il ajoute cette note : « L’auteur

est un esprit chimérique et un homme d’humeur, qui n’en est jamais à une contradiction près.

Son témoignage sur les temps postérieurs à 1747 est celui d’un ancien ministre aigri par sa

disgrâce. Il est mieux informé et plus serein lorsqu’il traite des années antérieures. L’édition

est parfois fautive »24.

D’après Bernard Hours, c’est en partie à la lecture que les historiens du XIXème siècle

ont faite des mémoires du marquis d’Argenson que l’ont doit la traditionnelle représentation

négative de la cour de Louis XV qui serait livrée à des coteries face auxquelles un roi faible

n’arriverait pas à s’imposer. En effet, cette représentation s’est élaborée, selon Bernard Hours,

sous la plume des mémorialistes de l’époque de Louis XV et en particulier sous celle du

24 Michel ANTOINE, Louis XV, Paris, Hachette Littératures, 1991 (reed, Fayard, Paris, 1989), (« coll. Pluriel »), p. 1000.

15

Page 16: Mathilde Barbedette, "L'histoire du droit public ecclésiastique français de d'Argenson"

marquis d’Argenson. La proximité du marquis d’Argenson avec le pouvoir accrédita son

discours d’une grande lucidité en oubliant que souvent l’analyse et la critique l’emporte sur le

récit dans ses Mémoires. De Pierre de Nolhac jusqu’à Michel Antoine, des corrections

importantes ont été apportées à ce schéma. Bernard Hours, dans le quatrième chapitre de son

ouvrage Louis XV et sa Cour publié en 2002, essaie de reconstituer les grilles de lecture du

marquis. L’examen des partis à la Cour que mène Bernard Hours le conduit en effet à

privilégier les Mémoires du marquis d’Argenson car ce dernier évoque les partis au point d’en

faire son unique grille de lecture de la vie de Cour. Le marquis d’Argenson esquisse les

schémas des réseaux de la Cour à différents moments du règne de Louis XV. Mais la

représentation du marquis d’Argenson est entachée par sa hantise du complot dévot qu’il croit

déceler plusieurs fois et cette idée sera reprise par Michelet. Selon Bernard Hours, il faut

plutôt y voir « un concept nécessaire à la cohérence d’un imaginaire politique que le résultat

d’une observation lucide et impartiale »25. Chaque fois qu’il évoque les partis de la Cour, le

marquis d’Argenson en distingue deux. C’est cette tendance que Bernard Hours qualifie

d’ « obsessionnelle ». Il y voit déjà un affrontement entre l’ordre et le mouvement, la réaction

et le progrès, la droite et la gauche. Avec cet ouvrage, Bernard Hours se propose de montrer

que Louis XV a mis en œuvre une stratégie de contrôle de sa Cour qui suit tout à fait la

logique louisquatorzienne. Pour ce faire, il adopte la méthode établie par Christian Jouhaud

dans La Main de Richelieu ou le pouvoir cardinal publié en 1991 : « le postulat…c’est que le

pouvoir se livre tout entier comme pouvoir, dans l’accomplissement de chaque coup de force

même minuscule »26. Il s’agit de s’arrêter sur le récit en apparence anecdotique et voir

comment il peut s’inscrire dans l’histoire plus générale. Bernard Hours appelle ainsi à une

relecture plus méthodique des mémorialistes et en particulier des mémoires du marquis

d’Argenson.

Bibliographie

25 Bernard Hours, Louis XV et sa Cour, Paris, PUF, 2002, p. 252.26 Christian Jouhaud, La main de Richelieu ou le pouvoir cardinal, Paris, Gallimard, 1991, p. 106, cité par Bernard Hours, op cit., p. 14.

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Page 17: Mathilde Barbedette, "L'histoire du droit public ecclésiastique français de d'Argenson"

1). Les différentes publications des manuscrits du marquis d’Argenson (classées par

ordre chronologique).

- Editions de l’Histoire du droit public ecclésiastique français

Histoire du droit public ecclésiastique françois : où l'on traite de sa nature, de son

établissement, de ses variations et des causes de sa décadence ; On y a joint quelques

dissertations sur les articles les plus importans... par M. D. B. [N. Du Boulay]. Londres, S.

Harding, 1737. 2 vol. ; in-8°.

Histoire du droit public ecclésiastique françois ; On y a joint quelques dissertations sur les

articles les plus importans... par M. D. B. [N. Du Boulay]. Londres, S. Harding, 1740. 2 vol. ;

in-8°.

Histoire du droit public ecclésiastique françois...; On y a joint quelques dissertations sur les

articles les plus importans... par M. D. B. [N. Du Boulay]. Londres, S. Harding, 1750. 2 vol. ;

in-8°.

Histoire du droit public ecclésiastique françois, où l'on traite de sa nature, de son

établissement, de ses variations et des causes de sa décadence. On y a joint quelques

dissertations sur les articles les plus importans et les plus contestés, par M. D. B. [N. Du

Boulay.]. Londres, S. Harding, 1751. 2 vol. ; in-12.

- Editions des Considérations

Considérations sur le gouvernement ancien et présent de la France par M. le marquis d'

Argenson.  Amsterdam, M.-M. Rey, 1764.

Considérations sur le gouvernement ancien et présent de la France comparé avec celui des

autres états, suivies d'un nouveau plan d'administration, par M. le marquis d'Argenson. 2e

édition, corrigée sur ses manuscrits (par M. le Mis de Paulmy). Amsterdam, s.n., 1784.

17

Page 18: Mathilde Barbedette, "L'histoire du droit public ecclésiastique français de d'Argenson"

- Editions des Essais

Essais dans le goût de ceux de Montagne, composés en 1736, par l'auteur des

"Considérations sur le gouvernement de la France" (le Mis d'Argenson) publiés par son fils,

le Mis de Paulmy. Amsterdam, s.n., 1785.

Les Loisirs d'un ministre, ou Essais dans le goût de ceux de Montaigne (par le Mis

d'Argenson, publiés par le Mis de Paulmy). Liège, Plomteux, 1787.

Les Loisirs d'un ministre, ou Essais dans le goût de ceux de Montaigne (par le Mis

d'Argenson, publiés par le Mis de Paulmy). Bruxelles, s.n./Paris, Buisson, 1788.

 Essays, civil, moral, literary and political written after the manner of M. de Montaigne,

interspersed with characters, portraits and anecdotes, by the marquis d'Argenson, translated

from his valuable manuscripts. Worcester, Thomas son and Thomas, 1797.

Mémoires du Mis d' Argenson, Avec une notice sur la vie et les ouvrages de l'auteur, publiés

par René d' Argenson. Paris, Baudouin frères, 1825. (« Coll. des Mémoires relatifs à la

révolution français »).

Mémoires de Mme de Staal-Delaunay, de M. le marquis d'Argenson et de Madame, mère du

Régent. Suivis d'éclaircissements extraits des Mémoires du duc de Saint-Simon avec avant-

propos et notices, par M. Fs. Barrière. Paris, Firmin-Didot frères, 1846. (coll. « Bibliothèque

des mémoires relatifs à l'histoire de France pendant le 18e siècle »), 1.

- Editions du journal du marquis d’Argenson

Mémoires et Journal inédit du marquis d'Argenson, publiés et annotés par M. le marquis

d'Argenson. Paris, P. Jannet (coll. « Bibliothèque elzévirienne » ; 43), 1857-1858. 5 vol. ; in-

12.

18

Page 19: Mathilde Barbedette, "L'histoire du droit public ecclésiastique français de d'Argenson"

Journal et mémoires du marquis d'Argenson publiés pour la première fois d'après les

manuscrits autographes de la Bibliothèque du Louvre, pour la Société de l'histoire de France,

par E. J. B. Rathery. Paris, Vve de J. Renouard, 1859-1867. 9 vol. in-8 _.

La France au milieu du XVIIIe siècle (1747-1757) d'après le journal du marquis d'Argenson.

Extraits publiés avec notice bibliographique, par Armand Brette et précédés d'une

introduction par Edme Champion. Paris, A. Colin, 1898.

Journal and Memoirs of the Marquis d’Argenson published from the autograph Mss in the

Library of the Louvre by E-J-B Rathery with an introduction by C-A Sainte-Beuve. Translated

by Katharine Prescott Wormeley. Boston, Hardy, Pratt & Company, 1902.

Journal du marquis d’Argenson. Clermont-Ferrand, Paléo, 2002-06. 11 vol. (coll. « Sources

de l’Histoire de France »).

- Les Notices sur les œuvres de théâtre

Notices sur les œuvres de théâtre, publiées par Henri Lagrave. Genève, Institut et musée

Voltaire  les Délices (coll. «Studies on Voltaire and the eighteenth century ; 42-43»), 1966. 2

vol.

2). Recensement de quelques ouvrages consacrés entièrement ou en partie au marquis

d’Argenson

ALEM, André. Le marquis d’Argenson et l’économie politique au début du XVIII° : pratiques

mercantiles et théories libérales. Paris, A. Rousseau, 1900.

19

Page 20: Mathilde Barbedette, "L'histoire du droit public ecclésiastique français de d'Argenson"

AUBERTIN, Charles. L’Esprit public au XVIII°, étude sur les Mémoires et les

correspondances politiques des contemporains. Paris, Didier, 1873.

BALAZS, Peter. La philosophie politique et morale du marquis d’Argenson (1694-1757).

Thèse sous la direction de Jean-Fabien SPITZ et Olga PENKE. Paris 1 et Université de

Szeged. 2004.

BROGLIE, duc de. Maurice de Saxe et le marquis d’Argenson. Paris, Calmann-Lévy, 1891.

HOURS, Bernard. Louis XV et sa Cour : Le roi, l’étiquette et le courtisan. Paris, PUF, 2002.

(coll. « Le nœud Gordien »).

JOHNSON, Neal R. L’idéologie politique du marquis d’Argenson d’après ses œuvres

inédites. Bruxelles, éd. De l’Université de Bruxelles, 1984. Est un tiré à part du Vol. 11 des

Etudes sur le XVIII° : idéologie de la noblesse.

LAMSON, Jean. Les idées politiques du marquis d’Argenson. Thèse de droit. Université de

Montpellier. Montpellier, imprimerie de la Charité, 1943.

LARRERE Catherine. Mirabeau et les physiocrates : les origines agrariennes de la

civilisation in BINOCHE Bertrand (dir.). Les équivoques de la civilisation. Paris, Champ

Vallon, 2005. (« Coll milieux »).

OGLE, Arthur. The Marquis d’Argenson : a study in criticism : being the Stanhope essay.

Oxford, t. Fisher Unwin, 1893.

OZANAM, Didier. Le Marquis d’Argenson, l’abbé de la ville, et le renversement des

alliances (janv-oct 1756). Paris, publications de la Sorbonne, 197 ?.

SEE, Henri. Les idées politiques en France au XVIIIe siècle. Paris, Hachette, 1920. pp. 51-61.

VILLERS, Robert. Un « Républicain » malavisé : le marquis René-Louis d’Argenson (1694-

1757). Dijon, Faculté de droit et science politique, 1971.

ZEVORT, Edgar. Le marquis d’Argenson et le ministère des affaires étrangères : du 18

novembre 1745 au 10 janvier 1747. Paris, Librairie Germer Baillière, 1880.

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