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Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe

siècle

Olivier Raveux

Éditeur : CNRS ÉditionsAnnée d'édition : 1998Date de mise en ligne : 30 septembre 2013Collection : Patrimoine de la MéditerranéeISBN électronique : 9782271078377

http://books.openedition.org

Édition impriméeISBN : 9782271055590Nombre de pages : 383

Référence électroniqueRAVEUX, Olivier. Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe siècle. Nouvelle édition [en ligne].Paris : CNRS Éditions, 1998 (généré le 01 juillet 2016). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/editionscnrs/3794>. ISBN : 9782271078377.

Ce document a été généré automatiquement le 1 juillet 2016. Il est issu d'une numérisation parreconnaissance optique de caractères.

© CNRS Éditions, 1998Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

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Au cours du XIXe siècle, une industrie de la métallurgie et de la construction mécanique

puissante, atypique et diversifiée s’implante à Marseille. Après de remarquables résultats entre

1830 et 1860 elle va s’effrondrer durant le dernier tiers du siècle et se limiter aux travaux liés à la

navigation à vapeur.

Comment une branche aussi exigeante en capitaux et en compétences a-t-elle pu se développer

dans une ville longtemps désignée comme un exemple de retards industriels et techniques ?

Quelles sont les raisons de l’échec de ce secteur à partir du milieu des années 1860 ?

Cette analyse sectorielle marseillaise s’intègre dans un double cadre de lecture : le cadre national

français et l’appartenance à un ensemble économique nord-méditerranéen dont on perçoit

aujourd’hui la complexité et la diversité. Ville des métaux et de la vapeur au XIXe siècle. Marseille

constitue un exemple emblématique de la vitalité industrielle du Sud de l’Europe et un cas de

développement original pendant la première industrialisation.

OLIVIER RAVEUX

Docteur en histoire, Olivier Raveux est chargé de cours à l'École nationale supérieure des

arts et métiers de Cluny. Membre associé de I'UMR TELEMME au CNRS, il poursuit

actuellement des recherches sur la croissance et les processus d'industrialisation dans la

Méditerranée du XIXe siècle.

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SOMMAIRE

Abréviations utilisées

PréfaceDenis Woronoff

IntroductionUne relecture de l’industrialisation nord-méditerranéenneLe renouveau de l’histoire industrielle marseillaiseLes spécificités de la métallurgie nord-méditerranéenneLes priorités de l’analyse et la question des sourcesLe cadre géographique et la chronologie

Première partie. Les héritages

Chapitre premier. L’économie marseillaise sous la RestaurationLA DYNAMIQUE COMMERCIALEUNE CROISSANCE INDUSTRIELLE ENCORE FAIBLEUNE VOLONTÉ DE CHANGEMENT

Chapitre II. La découverte de la modernité techniqueL’APPARITION D’UNE DEMANDE DE BIENS D’ÉQUIPEMENTL’ARRIVÉE DES PREMIÈRES MACHINES À VAPEUR FIXESUNE LACUNE IMPORTANTE : LA NAVIGATION À VAPEUR

Chapitre III. Le dynamisme de l’artisanatL’INDUSTRIE DU PLOMBLE TRAVAIL DU CUIVRELE TRAVAIL DU FERLA CONSTRUCTION DE MÉCANIQUES

Conclusion de la première partie. Entre l’archaïsme des structures et la dynamique humaine

Deuxième partie. La montée en puissance (1831-1846)

Chapitre IV. Les facteurs du démarrageL’ESSOR INDUSTRIEL MARSEILLAISLE DÉVELOPPEMENT DE LA NAVIGATION À VAPEURL’EQUIPEMENT DES LIGNES DE CHEMINS DE FERLA MISE EN PLACE D’INFRASTRUCTURES MODERNESLA DEMANDE : UN FACTEUR NÉCESSAIRE MAIS NON SUFFISANT

Chapitre V. Les hommesLES ENTREPRENEURS LOCAUXLES OUVRIERS QUALIFIÉS ET LEUR FORMATIONLES INGÉNIEURS BRITANNIQUES

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Chapitre VI. Les entreprisesDÉMOGRAPHIE DES ENTREPRISESL’EVOLUTION DES FORMES JURIDIQUES ET DES CAPITAUXL’APPARITION D’UN QUARTIER DE LA MÉTALLURGIE ET DE LA CONSTRUCTION MÉCANIQUE

Chapitre VII. Techniques et types de productionLES MACHINES FIXES ET AUXILIAIRES : UN APPRENTISSAGE RAPIDELES MACHINES MARINESUNE DÉPENDANCE MARQUÉE POUR LA CONSTRUCTION DE LOCOMOTIVESLA MÉTALLURGIE DE BASE

Chapitre VIII. Les marchésLES DÉBOUCHÉS LOCAUXUNE FAIBLE INTÉGRATION À L’ESPACE NATIONALL’IMPORTANCE CROISSANTE DES MARCHÉS MÉDITERRANÉENSLA NÉCESSITÉ DE TRAVAILLER AVEC LES FONTES ET LES FERS ANGLAISCOMPOSER AVEC LA POLITIQUE DOUANIERE DE L’ETAT FRANÇAIS

Conclusion de la deuxième partie. Marseille, pionnière d’une industrie de pointe enméditerranée

Troisième partie. L’apogée (1846-1865)

Chapitre IX. Crise et renouvellementsLA CRISE DE 1847-1851 ET SES RÉPERCUSSIONSLA RESTRUCTURATION DE LA MÉCANIQUE MARINEUNE NOUVELLE GÉNÉRATION D’INGÉNIEURS ET D’OUVRIERS QUALIFIÉSLES DIFFICULTÉS DE LA CONSTRUCTION MÉCANIQUE POUR L’INDUSTRIEUNE NOUVELLE REDISTRIBUTION DES ENTREPRISES AU SEIN DE L’ESPACE MARSEILLAIS

Chapitre X. L’essor de l’industrie du plombLA RAPIDE CONSTITUTION DU SECTEURAPPROVISIONNEMENTS, DÉBOUCHÉS ET STRUCTURES DE PRODUCTIONLES DIFFICULTÉS DU DÉBUT DES ANNÉES 1860

Chapitre XI. L’expansion de la métallurgie des fers et des fontesLES FORGES DE LA CAPELETTEUNE PLÉIADE D’ENTREPRISES DYNAMIQUESLES DÉBUTS DIFFICILES DE LA SIDÉRURGIE MARSEILLAISE

Chapitre XII. Un secteur prépondérant : la mécanique marineUNE CONJONCTURE FAVORABLEDES ENTREPRISES PLUS NOMBREUSESASSIMILER ET PRODUIRE DES INNOVATIONSUNE FORTE CROISSANCE

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Conclusion de la troisième partie. Le fragile succès d’une industrie renouvelée

Quatrième partie. Le déclin (1865-1890)

Chapitre XIII. Les difficultés de l’industrie du plombUN PROBLÈME D’APPROVISIONNEMENT EN MATIÈRES PREMIÈRESMOINS D’ENTREPRISES MAIS TOUJOURS DES INNOVATIONSDES DÉBOUCHÉS DE PLUS EN PLUS RESTREINTS

Chapitre XIV. La crise de la métallurgie des fers et des fontesL’EFFONDREMENT DE LA MÉTALLURGIE DES FERS ET FONTESLA RÉSISTANCE DES HAUTS FOURNEAUX DE SAINT-LOUIS

Chapitre XV. Un secteur au double visage : la construction mécaniqueLES DIFFICULTÉS DE LA MÉCANIQUE POUR L’INDUSTRIEUN MARCHÉ PORTEUR : LES COMMANDES MARINESLE DYNAMISME DES ATELIERS DE MÉCANIQUE MARINELA CROISSANCE DES MARCHÉS

Conclusion de la quatrième partie. La spécialisation d’une industrie en perte de vitesse

Conclusion

Annexes

Sources et orientation bibliographique

Index des noms de personnes et de sociétés

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Abréviations utilisées

Centres d’archives

1 ACCM Archives de la chambre de commerce de Marseille

2 ACA Archives communales d’Aix-en-Provence

3 ACL Archives communales de Lourmarin

4 ACM Archives communales de Marseille

5 ADBdR Archives départementales des Bouches-du-Rhône

6 AFB Académie François Bourdon (Le Creusot)

7 AM Académie de Marseille

8 AMT Archives de la IIIe région maritime (Toulon)

9 AN Archives nationales

10 CNAM Conservatoire nationale des arts et métiers (Paris)

11 EMP École des mines de Paris

Périodiques

12 ADM Annales des Mines

13 ASIMF Annales des Sciences et de l’Industrie du midi de la France

14 BSE Bulletin de la société d’encouragement pour l’industrie nationale

15 BSSIM Bulletin de la société scientifique et industrielle de Marseille

16 CRSICM Compte rendu de la situation industrielle et commerciale de Marseille

17 CRTCCM Compte rendu des travaux de la chambre de commerce de Marseille

18 HER Economie History Review

19 JEEH Journal of European Economie History

20 JEH Journal of Economie History

21 MPCE Minutes of Proceedings of the Institution of Civil Engineers

5

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22 PH Provence historique

23 RDDM Revue des Deux Mondes

24 RHI Revista de Historia Industrial

25 SIM Statistique de l’industrie minérale

26 RTSSM Répertoire des travaux de la société de statistique de Marseille

27 SM Le Sémaphore de Marseille

Ouvrages

28 ECM JULLIANY J., Essai sur le commerce de Marseille, Marseille, 1842, 3 vol.

29 EDBdR MASSON P. (dir.), Encyclopédie départementale des Bouches-du-Rhône, Marseille-Paris,

1914-1937, 16 vol.

30 GIR GIRAUD H., « La navigation à vapeur attachée aux divers ports français et au port de

Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de

géographie (Marseille, 1898), Marseille, 1898.

31 MIN BERTEAUT S., Marseille et les intérêts nationaux qui se rattachent à son port, Marseille, 1845,

2 vol.

32 MLV Résumé du manuscrit de Joseph Vence (Musée du Vieux La Ciotat).

33 SBdR VILLENEUVE (COMTE DE), Statistique du département des Bouches-du-Rhône, Marseille-

Paris, 1821-1834, 4 vol et 1 atlas.

34 SF Statistique de la France ; tome II : Midi oriental, Paris, 1848

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Préface

Denis Woronoff

1 Voici une thèse, au sens plein du terme. II y a eu une révolution industrielle à Marseille,

nous dit Olivier Raveux. Elle a été précoce – démarrant dès les années 1830 – intense et

fondée sur les industries métallurgiques et mécaniques. La ville et ses environs se sont

imposés pendant trente ans comme un des pôles industriels majeurs – avec Barcelone et

Gêne – du bassin occidental de la Méditerranée. Cette vision radicale s’inscrit dans un

courant historiographique de plus en plus vigoureux qui avait commencé à contester

l’image complaisante d’une ville réduite à son port et d’un port cantonné dans des

fonctions d’entrepôt. A partir des années 1890, la mémoire du lieu avait oublié cette

réussite. Les représentations dominantes n’accordaient de pouvoir d’entraînement

qu’aux industries agro-alimentaires et au capital négociant. Ce livre nous parle de

locomotives et de machines marines, de techniciens et d’artisans. La rupture

intellectuelle est d’autant plus forte que bon nombre d’historiens français en sont venus,

depuis une quinzaine d’années, à abandonner le concept même de révolution industrielle,

s’agissant de la France, au profit de celui d’industrialisation graduelle. Certains insistent

sur le rôle fondateur de la proto-industrie textile. D’autres ont montré que le bois comme

combustible et l’hydraulique comme énergie mécanique ont été, longtemps dans le XIXe

siècle, les moyens de cette industrialisation « à la française ». Chacun convient enfin que

la proximité des matières premières et du combustible minéral facilite le développement.

D’où le paradoxe de Marseille, revisitée par Olivier Raveux : la ville et sa région

contredisent point par point cette grille d’analyse.

2 On lira la démonstration précise de l’auteur qui présente la genèse, l’apogée et le déclin

des industries métallurgiques et mécaniques de Marseille, en insistant sur le rôle capital

des années 1840. Retenons ici simplement quelques acquis, parmi les plus neufs. Dresser

la liste des handicaps – « ce qui manque à Marseille » : l’énergie hydraulique, le charbon,

les techniciens… –, c’est faire fausse route. D’abord, le déficit devient un atout, lorsque,

par exemple, la vapeur est la seule énergie possible. Surtout c’est méconnaître des

chances et des capacités : les horizons internationaux d’échanges d’une ville au

croisement de plusieurs espaces, un humus d’artisans du bois et du métal qui ont

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accumulé des compétences utiles pour les professions de la mécanique, des élites

soucieuses d’innovation et de formation techniques.

3 Il ne s’agit pas de construire une légende dorée après avoir dénoncé une légende noire.

Par rapport à d’autres métropoles de la zone méridionale, Marseille accuse des retards,

ses entrepreneurs sont prudents, voire timorés. Le tout-vapeur qui s’impose au début des

années 1830 est une conquête récente ; en matière de machines à vapeur, Carthagène ou

Séville avaient précédé le port français de plusieurs dizaines d’années. Mais la force de ce

dernier sera, de la Monarchie de Juillet à la fin du Second Empire, de savoir bien adapter

les produits aux marchés. D’abord, cette industrie mécanique répondra à la demande

locale des activités agroalimentaires – minoteries, huileries – et gardera une spécialité

dans ce domaine. Puis, elle se distinguera longtemps, dans l’aire méditerranéenne, pour la

qualité de ses machines marines. En se concentrant sur des fabrications à haute valeur

ajoutée, les Marseillais minimisaient en partie le handicap d’avoir à acheter la matière

première ou de la fabriquer eux-mêmes, à coût élevé. Les techniciens locaux avaient

appris a construire des machines en réparant et en copiant les équipements importés.

Faisant de nécessité vertu, ils ont acquis une réputation de fabricants de machines

robustes, peu coûteuses, économiques d’emploi tant en eau qu’en combustible.

4 Marseille, ville ouverte. La ville et sa région ont su attirer les techniciens dont elles

avaient besoin. La figure emblématique de Philip Taylor condense l’histoire du groupe

nombreux des techniciens britanniques venus acclimater les inventions d’outre-Manche

et, pour certains, créer des entreprises. Cet espace d’initiatives et d’approvisionnement

s’articule à l’espace commercial, celui du bassin occidental de la Méditerranée, où les

entreprises françaises ont trouvé, trente ou quarante durant leur meilleur débouché.

Autre échelle, celle du littoral qui associe La Seyne, La Ciotat et la métropole phocéenne.

La ville même loge l’industrie, d’abord dans son quartier Sud-Est, puis de façon plus

difficile. Cet emboîtement de territoires, la localité, au sens fort du terme, des industries

évoquent deux démarches actuelles de recherche, même si Olivier Raveux ne les

revendiquent pas. Celle d’abord du patrimoine industriel, attentif aux implantations et à

leurs conséquences, celle aussi d’une approche de l’industrialisation qui refuse de

considérer le cadre national comme un postulat. On reconnaîtra volontiers que, dans

l’histoire de la Méditerranée, les villes et leur zone d’influence sont des cadres plus

pertinents d’étude. Mais la force de ce livre est de tenir les deux bouts de la chaîne,

Marseille en Méditerranée, Marseille en France aussi. L’essor de l’industrie phocéenne est

doublement conditionné par la situation dans l’espace et la politique de la Nation. La

protection douanière a été un élément de sa réussite. La faiblesse des communications

internes a d’autre part retardé l’unification du marché, mettant ainsi la métallurgie

marseillaise à l’abri de concurrents redoutables, comme les Stéphanois. La disparition de

ces facteurs favorables, dans les années 1860, pourrait bien expliquer l’effacement puis

l’oubli de ce beau printemps de l’industrialisation.

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AUTEUR

DENIS WORONOFF

Professeur d’histoire moderne à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

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Introduction

1 En 1873, l’État français publie les résultats de la grande enquête de statistique industrielle

menée sur l’ensemble du territoire entre 1861 et 1865. Sous la rubrique « métallurgie », le

département des Bouches-du-Rhône est classé au premier rang1. Associer la région

marseillaise à l’industrie métallurgique peut paraître surprenant. Cela relève même du

paradoxe si l’on suit les grilles de lecture utilisées généralement pour étudier le

développement industriel européen et français du XIXe siècle. Secteur emblématique de

l’industrialisation avec le textile, la métallurgie est associée aux régions du nord-ouest de

l’Europe, au Centre et à la Lorraine pour la France. L’économie marseillaise est d’abord

perçue comme commerciale et n’est reconnue comme industrielle que par la filière des

corps gras et des productions alimentaires. Le paradoxe n’est en fait qu’apparent. La

métallurgie marseillaise du XIXe siècle est très différente de celle de l’Europe du nord-

ouest. Dans les Bouches-du-Rhône, la production de fonte brute a peu compté. D’autres

activités ont dominé : la construction mécanique, la métallurgie de deuxième fusion et le

traitement des non-ferreux. Cette métallurgie, atypique et diversifiée, a véritablement été

une des grandes branches du développement industriel marseillais. Étudier l’industrie

métallurgique et mécanique marseillaise du siècle passé est donc une recherche sur un

pilier « oublié » de l’industrialisation régionale.

2 Le premier objectif de ce travail est d’analyser les structures et le poids réel de ce secteur

industriel phocéen du XIXe siècle. La seconde finalité est d’offrir un exemple d’un secteur

à forte technologie dans le sud de l’Europe et du dynamisme d’une région

méditerranéenne durant la Révolution industrielle. Sur cette base, deux interrogations

majeures se sont imposées : comment une branche aussi exigeante en compétences et

capitaux a-t-elle pu s’implanter et fonctionner dans une zone longtemps désignée comme

un exemple de retards industriels et techniques ? Quels ont été les facteurs d’ancrage puis

d’échec de ce secteur dans une ville fort peu marquée aujourd’hui par son passé

métallurgique ? Répondre à ces deux questions permet de comprendre le cas marseillais,

de le situer dans les ensembles français, européen et méditerranéen.

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Une relecture de l’industrialisation nord-méditerranéenne

3 Ce travail s’inscrit dans la nouvelle approche de l’histoire industrielle du nord de la

Méditerranée. Ce mouvement a eu pour principale origine la remise en cause de la

géographie et des modèles d’industrialisation de l’Europe du XIXe siècle. Jusqu’à la fin des

années 1970, la tendance était de partager l’Europe en deux zones bien distinctes. À côté

d’une Europe du nord incarnant tous les aspects de la modernité économique végétait

une Europe du sud archaïque, aux composantes essentiellement agricoles. Les modèles

d’analyse fondés sur le schéma de développement anglo-saxon ont longtemps contribué à

masquer la complexité et la diversité des processus européens d’industrialisation, à

fortifier des idées reçues dont la permanence s’est avérée préjudiciable pour l’histoire

industrielle méditerranéenne. L’historiographie de l’industrie marseillaise a beaucoup

souffert de cette erreur d’appréciation. Le résultat le plus direct a été la négation pure et

simple du phénomène d’industrialisation de la région. Les explications tenaient

essentiellement en deux points. Marseille n’avait pu s’industrialiser car le département

des Bouches-du-Rhône ne renfermait dans son sous-sol ni fer ni houille. La région était de

plus insérée dans le bassin méditerranéen, un espace dont la principale caractéristique

était l’impossibilité d’assimiler les nouveautés techniques de la révolution industrielle.

4 Malgré une longue persistance, la vision d’une Méditerranée du XIXe siècle sans industries

est aujourd’hui largement périmée. Le mouvement de relecture a commencé dans les

années 1960 et les interrogations nées de la crise des années 1970 l’ont considérablement

renforcé. Les pays et les régions, les grandes et les petites entreprises ont été

différemment touchés par la dépression qui frappait les tissus industriels. Les anciens

secteurs moteurs de l’industrialisation des pays du nord-ouest de l’Europe (la sidérurgie,

les industries du charbon et du textile) rencontraient de grandes difficultés alors que des

branches moins prestigieuses et les petites entreprises offraient une bien meilleure

résistance. La recherche a su tirer profit de cette double constatation. Le résultat logique

de ces nouvelles données était la remise en question des analyses fondées sur les modèles

anglo-saxons. Les critiques sur la notion d’irréversibilité du phénomène

d’industrialisation et la mise en évidence de structures économiques originales faisaient

apparaître le problème des développements masqués et oubliés2. La recherche s’est alors

efforcée d’identifier et de comprendre les différentes formes de croissance économique

dans l’ensemble de l’Europe du XIXe siècle.

5 Depuis trente ans, les multiples travaux menés par les historiens italiens, espagnols et

grecs ont fait apparaître un événement majeur. Durant le XIXe siècle, de nombreuses

régions sud-européennes ont connu un démarrage relativement précoce dans les secteurs

de la métallurgie3. Les chercheurs italiens ont, dès le début des années 1960, mis au jour

l’importance de ces branches industrielles à Turin, Milan, Naples et Gênes et ceci dès la

période pré-unitaire. Des monographies régionales ont été publiées à un rythme soutenu

jusqu’au début des années 1970, moment de l’entrée en scène de la recherche espagnole.

Avec Jordi Nadal, l’Espagne redécouvrait, elle aussi, l’importance de son passé

métallurgique. A l’étude de régions traditionnellement évoquées pour traiter l’histoire de

la métallurgie espagnole (le Pays basque et les Asturies) était adjointe celle de centres

dont le dynamisme avait été sous-estimé ou oublié (Malaga, Séville et, surtout,

Barcelone). La recherche hellénique suivait le mouvement au cours des années 1980. Les

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travaux de Christina Agriantoni et de Donald Quattaert révélaient que les villes du Pirée,

de Salonique et d’Hermoupolis avaient connu, dans la seconde moitié du XIXe siècle, une

importante croissance dans les secteurs de la construction mécanique et du traitement

des non-ferreux.

6 Le renouveau d’attention à l’égard du mouvement d’industrialisation nord-

méditerranéen est donc bien avancé mais s’avère encore insuffisant. Les zones d’ombre

demeurent importantes. Les travaux se situent le plus souvent dans des cadres régionaux

et nationaux. Il reste à faire de nombreuses études sectorielles, à inscrire ces histoires

dans un cadre géographique et chronologique plus étendu afin de donner à l’ensemble

une assise théorique permettant des comparaisons avec d’autres zones. Ce n’est qu’à ce

prix que le renouveau de l’historiographie industrielle méditerranéenne trouvera un

véritable écho hors de la communauté scientifique des régions sud-européennes.

Le renouveau de l’histoire industrielle marseillaise

7 Par rapport à l’Italie, l’Espagne ou la Grèce, la France accuse un important retard. Le

mouvement de relecture ne s’y est amorcé que dans les années 1970, période au cours de

laquelle la Marseille industrielle retrouve ses lettres de noblesse sous l’impulsion des

travaux de Louis Pierrein. Certaines idées reçues vont toutefois persister car une

chronologie erronée de l’industrialisation phocéenne s’est imposée. Pour Louis Pierrein,

son démarrage ne se situe que sous la première décennie du second Empire4. Une partie

entière de l’histoire économique phocéenne, celle de la première moitié du XIXe siècle, se

trouve ainsi gommée. L’importance des activités commerciales dans le développement

industriel de la ville a amené les historiens à s’intéresser aux secteurs de production

utilisant les matières premières coloniales. L’accent était mis sur les branches

traditionnelles (raffinage du sucre, huilerie, minoterie, fabrication des tuiles et des

briques…).

8 Depuis quelques années, l’historiographie de l’industrie marseillaise connaît un

important renouveau. Une série d’interrogations remet en cause le schéma d’analyse

traditionnel. Les travaux pionniers de Gérard Chastagnaret, Michel Lescure et Marcel

Roncayolo ont ouvert de nouvelles pistes pour la recherche. Michel Lescure s’est penché

sur le dynamisme des créations de sociétés industrielles de la première moitié du XIXe

siècle. Contrairement à ce qui était admis, les négociants et les armateurs n’ont pas

constitué les principales forces d’impulsion de l’industrialisation phocéenne5. Le rôle des

petits industriels et des artisans a été primordial dans la formation des entreprises.

D’après le nombre de créations de sociétés dans les années 1830-1840, Marseille n’a pas

manqué la première vague d’industrialisation. « Les faits tendent à confirmer que la

croissance économique qui eut lieu à Marseille après 1860 marquait une seconde phase

dans le processus d’industrialisation plutôt qu’un point de démarrage6. » Marcel

Roncayolo a étudié l’imaginaire industriel marseillais dans sa réflexion globale sur

l’économie de la ville durant l’ensemble de la période contemporaine. L’imaginaire de la

première moitié du XIXe siècle est révélateur d’une industrialisation dont le démarrage est

antérieur à la période du second Empire7. Enfin, Gérard Chastagnaret a remis à l’honneur

l’importance du travail marseillais des minerais et métaux non-ferreux. Les Phocéens ont

su compenser l’absence de minerais dans le sous-sol provençal par leur capacité à

s’insérer dans des circuits commerciaux8. Ces recherches conduisent à trois constats :

l’industrialisation marseillaise prend naissance dès la période de la monarchie de Juillet,

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l’absence de ressources minérales n’est pas une fatalité et le rôle du marchand-négociant

marseillais omnipotent n’est qu’un mythe. L’exposition de l’hiver 1991-1992 « Splendeurs

et ombres d’un grand siècle industriel », présentée au musée d’Histoire de Marseille,

constitue l’acte de reconnaissance de cette « nouvelle » histoire industrielle marseillaise.

Le colloque « Histoire industrielle de la Provence », organisé en mai 1996 par l’UMR

TELEMME et la récente parution de l’ouvrage Vapeur et révolution industrielle à Marseille9

ont permis de réactualiser une partie des connaissances et de comprendre, à l’heure où

paraissent enfin de grands travaux de synthèse sur l’histoire industrielle française10, la

profonde originalité de la région marseillaise face au modèle général de développement

observé pour l’Hexagone. Cet ensemble de travaux doit être considéré comme un point de

départ, une invitation à entreprendre les recherches nécessaires à la compréhension d’un

phénomène d’industrialisation qui reste le parent pauvre de l’historiographie industrielle

française.

Les spécificités de la métallurgie nord-méditerranéenne

9 Dans cet ouvrage, les regards se tourneront régulièrement vers une dizaine de villes du

sud de l’Europe : Gênes, Turin, Milan et Naples pour l’Italie, Barcelone, Séville, Malaga et

Valence pour l’Espagne, Le Pirée et Hermoupolis pour la Grèce. L’énumération des villes,

plutôt que celle des pays, est volontaire. L’analyse des industries méditerranéennes à

l’échelle nationale dilue trop souvent les dynamismes urbains ou régionaux. L’objectif

visé est un élargissement géographique de la problématique, la définition d’un cadre de

référence cohérent. Le choix d’une comparaison méditerranéenne rejoint en effet le cœur

même de notre démarche scientifique. Une des questions de départ était de déterminer

un cadre général d’analyse. A quel ensemble appartient la métallurgie marseillaise du XIXe

siècle ? Le nord ou le sud de l’Europe ? L’économie marseillaise s’insère sans nul doute

dans l’espace français. 11 ne s’agit pas ici de minimiser les relations que la cité phocéenne

entretient avec les différentes régions de l’Hexagone et le pouvoir central. Ce dernier, par

sa politique industrielle et douanière, détermine dans une large mesure les règles de

fonctionnement de l’industrie et des activités commerciales marseillaises. Néanmoins,

par ses rythmes et ses structures, la métallurgie phocéenne s’inscrit dans un ensemble

méditerranéen dont on perçoit aujourd’hui la richesse. Le développement de cette

branche à Marseille n’est pas un cas isolé dans le sud de l’Europe. De Séville à Salonique,

des fonderies et ateliers de mécanique se sont multipliés au cours des deux derniers tiers

du XIXe siècle.

10 Les chronologies de développement et les destins de ces industries ont été divers.

Certaines, en se renouvelant, ont perduré bien au-delà du XIXe siècle, d’autres, à l’image

de celle de Marseille, se sont effondrées. Beaucoup ont souffert d’une occultation liée à

une position géographique propice à l’oubli et à une dévalorisation de la transformation

des métaux face à la puissance des hauts fourneaux dans l’imaginaire collectif. Malgré

leurs différences, les régions du sud de l’Europe possèdent des caractéristiques communes

et partagent des problèmes similaires dans les domaines de la métallurgie et de la

construction mécanique. Les métallurgies méditerranéennes ont dû trouver des réponses

aux difficultés posées par l’assimilation de technologies importées et ne pouvaient

connaître la réussite qu’en adaptant les techniques nord-européennes à des ressources et

à des besoins proprement méditerranéens. Pour naître et se développer, la métallurgie et

13

Page 16: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

la construction mécanique du sud de l’Europe devaient offrir des biens d’équipement

ajustés à la demande des trois secteurs leaders de l’industrialisation méditerranéenne (le

textile, les industries secondaires et la navigation à vapeur). Elles devaient gérer, selon les

cas, le manque de charbon, l’absence de minerais, parfois les deux, ainsi que l’incapacité

de produire une fonte susceptible de concurrencer par son prix celle des maîtres de

forges britanniques. Enfin, l’importance des différentes régions métallurgiques

méditerranéennes ne peut se mesurer par la production de fonte brute. De Séville à

Salonique, la métallurgie de deuxième fusion des fers et des fontes, le travail des non-

ferreux et la construction mécanique sont les éléments de base du secteur. Ces

constatations indiquent clairement que l’industrie métallurgique marseillaise appartenait

à un ensemble fondamentalement distinct de celui du nord de l’Europe. Il était donc

difficile d’analyser cette industrie dans un cadre conceptuel et théorique nord-européen,

où cette dernière était condamnée à être décrite par ce qu’elle n’était pas plutôt que

parce qu’elle était réellement. La perspective méditerranéenne n’est pas une

revendication du droit à la différence mais un constat d’originalité de l’objet.

Les priorités de l’analyse et la question des sources

11 L’ampleur de la période étudiée et l’importance de la métallurgie marseillaise

interdisaient une approche en profondeur de la totalité des sujets. Ce travail comporte

donc des limites. Certaines procèdent de la volonté de ne pas aborder des questions déjà

bien défrichées. D’autres sont liées à un problème de documentation. L’absence d’archives

sur certains thèmes et sur le dernier tiers du siècle nous a fermé ou restreint plusieurs

directions de recherche. Les limites portent essentiellement sur trois domaines. L’histoire

des ouvriers ne pouvait pas être présentée car elle appelait une recherche spécifique dans

le cadre d’une problématique autonome. De plus, des recherches de qualité ont déjà été

menées au cours des années 1970. Les travaux de Jacques Estrangin, William H. Sewell et

Lucien Gaillard11 ont accordé une place relativement importante aux travailleurs

spécialisés dans les activités métallurgiques et mécaniques. Deux autres thèmes faisaient

également partie de nos priorités : les sociétés et les capitaux. La consultation des

sources, souvent lacunaires, a débouché sur un constat plutôt amer : la démographie des

entreprises, les capitaux mobilisés dans le secteur métallurgique marseillais et l’identité

des actionnaires de la majorité des sociétés nous échappent en grande partie. Les actes de

formation des grandes entreprises ont été régulièrement dressés sous seing privé. De

même, les archives d’entreprises sont presque inexistantes. Seules celles de la Société des

forges et chantiers de la Méditerranée ont survécu aux vicissitudes du temps, mais

l’analyse de cet unique corpus était irréalisable pour un chercheur isolé12. L’histoire

juridique et financière des sociétés est pourtant essentielle. Elle sera donc abordée même

si le corpus est restreint.

12 Le choix des grands axes de l’étude a été guidé par la volonté d’ancrer la recherche sur

des thèmes essentiels à la compréhension du sujet : le rôle de l’État et des institutions

locales dans les processus de croissance industrielle, la mise au point d’une production

moderne et variée, les problèmes de transfert d’une technologie de pointe, la formation

d’une classe de techniciens autochtones, l’approvisionnement en combustibles et en

matières premières ainsi que la recherche et le contrôle des marchés. Opérant dans ces

nombreuses directions, cinq points importants se sont détachés et ont ainsi retenu notre

attention : les hommes, les entreprises, la technique, les productions et les marchés.

14

Page 17: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

13 Une des grandes difficultés de la recherche a été la collecte de données quantitatives et la

constitution de séries chiffrées sur la longue durée. Le dépouillement des enquêtes

industrielles locales et nationales a permis d’établir des séries sur la production des

métaux. Mais ces séries, sauf en de rares exceptions, ne couvrent qu’une partie du XIXe

siècle. Souvent, elles ne peuvent être dressées qu’à partir du second Empire. Dans le

domaine de l’industrie de la construction mécanique, le flou est total. Pour la période

1831-1860, aucun corpus n’a pu per.

Le cadre géographique et la chronologie

14 Marseille constitue le point central des recherches, mais il était également indispensable

d’inclure les entreprises localisées à La Ciotat et à La Seyne-sur-Mer. Ces deux autres

centres sont indissociablement liés à Marseille. Les grands entrepreneurs des années 1840

ouvrent indifféremment des ateliers à Marseille, à La Ciotat et à La Seyne-sur-Mer. Ces

hommes créent ainsi entre les trois localités une interdépendance qui se maintient au

cours du siècle. Si le choix de l’espace n’a pas posé de problèmes majeurs, il n’en a pas été

de même pour le cadre chronologique. Il était facile d’assigner à cette étude un point de

départ précis. Pour Marseille, comme pour le reste de la France, l’année 1815 est une

année cruciale aussi bien d’un point de vue politique qu’économique. La reconstruction

des réseaux commerciaux et la volonté de rattraper les retards industriels marquent les

débuts de nouvelles orientations économiques. Le choix de la borne finale a été plus

difficile et demande des explications. Pourquoi 1890 ? Après cette date s’ouvre une mettre

l’établissement de séries de productions annuelles, en valeur comme en volume. Pour le

dernier tiers du siècle, quelques chiffres sont disponibles mais restent nettement

insuffisants. L’étude de l’histoire de la métallurgie marseillaise, surtout pour la première

moitié du XIXe siècle, souffre donc d’une carence importante de données chiffrées. Les

sources disponibles ont fortement déterminé la manière de traiter les quatre périodes de

l’histoire de la métallurgie marseillaise. Si les chiffres manquent pour la première moitié

du siècle, on dispose en revanche d’un nombre considérable de documents sur la vie des

entreprises, les hommes qui les dirigent et les problèmes techniques. Pour le demi-siècle

suivant, les données statistiques permettent de comprendre l’évolution des valeurs et des

volumes des productions, des effectifs ouvriers, de la quantité des matières premières

importées et travaillées, mais les autres types de sources font souvent défaut. Si les

raisons expliquant l’évolution générale des divers indicateurs sont connues, il manque les

exemples permettant de saisir le fonctionnement des entreprises.

15 Le dernier obstacle a été celui d’un manque de sources pour traiter la dernière partie de

notre travail. L’abondante documentation de la première moitié du siècle fait place à un

corpus lacunaire pour les années 1850-1870 et très restreint pour le dernier tiers du

siècle. Seul un panorama très général du déclin de l’industrie métallurgique et mécanique

marseillaise a été présenté. Ce regrettable effondrement documentaire est en lui-même

révélateur : la vitalité de l’industrie métallurgique marseillaise peut se mesurer aux

volumes d’archives qui lui sont consacrés. nouvelle histoire dont les éléments principaux

se rapportent à la seconde révolution industrielle, période que Marseille n’a pas su

négocier avec succès13. Dans les années 1880-1890, la généralisation de l’emploi de l’acier,

l’apparition de l’électricité comme source énergétique et le démarrage, à l’extrême fin du

siècle, de l’industrie automobile ont considérablement modifié les données. L’histoire

industrielle marseillaise devient celle d’une inaptitude à s’adapter aux profonds

15

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changements qui s’opèrent dans de nombreuses régions françaises. L’échec trouve certes

ses racines dans le XIXe siècle, mais il est surtout le fruit de la mauvaise adaptation de

l’industrie phocéenne aux nouvelles logiques de fonctionnement.

16 L’histoire de l’industrie métallurgique et mécanique marseillaise devait être présentée de

manière chronologique. Elle ne peut être comprise que par l’analyse successive des

différentes étapes de son évolution. Si nous avions opté pour une présentation

thématique, les changements de nature, les moments de crise et l’importance des

générations auraient manqué de lisibilité. Les quatre périodes de l’évolution générale

s’articulent autour de trois dates clés : 1831, 1846 et le milieu des années 1860. Le demi-

siècle précédant la monarchie de Juillet est celui des préparatifs. La métallurgie et la

mécanique n’existent que sous une forme artisanale. Les modifications sont peu

nombreuses mais forment un ensemble de départ qui est parfois prometteur. L’année

1831 constitue la première rupture importante. Avec l’apparition de la navigation à

vapeur et du premier atelier de construction mécanique, elle marque l’entrée véritable de

Marseille dans l’ère de la vapeur. Une place toute particulière a été accordée aux années

1831-1846. C’est au cours de cette période que la ville entre dans sa première phase

d’industrialisation. Il s’agit ici d’étudier la nature et les modalités des relations entre ce

développement économique et l’apparition puis la croissance de l’industrie métallurgique

et mécanique. L’année 1846 est le début d’une autre phase. Jusqu’au milieu des années

1860, la métallurgie marseillaise subit une série de changements profonds. La gamme des

productions s’élargit et les applications des nouvelles techniques se multiplient. Même si

l’on peut déceler des éléments d’une grave fragilité, cette période est véritablement celle

de l’âge d’or de la métallurgie marseillaise. Faut-il voir dans cette réussite une suite

logique du mouvement qui s’est amorcé au cours de la période précédente ? Ce succès est-

il durable ? Le milieu des années 1860 amène rapidement la réponse. Les premières

grandes difficultés apparaissent. Jusqu’à la fin des années 1880, les faillites d’entreprises,

les pertes de marchés et l’abandon de nombreuses productions s’accumulent. En 1890, la

métallurgie est devenue un secteur industriel marginal où seuls les travaux liés à la

navigation à vapeur restent importants. Cette dernière partie invite à s’interroger sur les

raisons de la spécialisation forcée de cette industrie marseillaise dans des activités

fondamentalement différentes de celles du secteur à ses origines et qui correspondent

plus étroitement à l’imaginaire économique phocéen.

17 L’histoire de l’industrie marseillaise de la métallurgie et de la construction mécanique est

celle d’une réussite de moyenne durée. L’échec final ne doit pourtant pas masquer

l’importance et l’originalité d’un mouvement qui a une valeur exemplaire à double titre.

Cette histoire est un parfait révélateur du dynamisme industriel des régions du nord de la

Méditerranée dans un secteur de pointe et de la vigueur d’une métallurgie basée sur la

transformation des métaux au cours du XIXe siècle. Comme Barcelone et Gênes, Marseille

a été une ville du fer et de la vapeur durant la première révolution industrielle.

16

Page 19: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

NOTES

1. Statistique de la France, Paris, t. XIX, p. 1873, p. 787.

2. CHASTAGNARET G., « La Méditerranée ou l’industrialisation masquée », Alliages, n° 24-25, 1995, p.

295-306.

3. Cf. bibliographie.

4. PIERREIN L., Industries traditionnelles du port de Marseille : le cycle des sucres et des oléagineux,

1870-1968, Marseille, 1975, p. 32.

5. LESCURE M., « Companies and Manufacturers of the First Period of Industrialisation of

Marseilles » dans JOBERT P., MOSS M. (dir.), The Birth and Death of Companies : an Historical Perspective

, New Jersey, 1990, p. 105-120.

6. Ibid., p. 117.

7. RONCAYOLO M., L’Imaginaire de Marseille : port, ville et pôle, Marseille, 1990. Cette idée est déjà

présente dans sa thèse avec la notion de rapidité du mouvement (cf. Les Grammaires d’une ville.

Essai sur la genèse des structures urbaines à Marseille, Paris, 1996, p. 142).

8. CHASTAGNARET G., « Marsella en la economia internacional del plomo », RHI, n° 1, 1992, p. 11-38.

9. DAUMALIN X., COURDURIÉ M., Vapeur et révolution industrielle à Marseille, Marseille, 1997.

10. Cf., en bibliographie, les ouvrages de D. Woronoff et de M. Levy-Leboyer.

11. Cf. bibliographie.

12. Plus de 500 mètres de documents rien que pour la série 137 AQ des Archives nationales.

13. Cf. CHASTAGNARET G., TÉMIME E., « L’âge d’or de l’industrie à Marseille » dans Marseille au XIXe

siècle, Paris-Marseille, 1991, p. 109-113.

17

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Première partie. Les héritages

18

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Chapitre premier. L’économiemarseillaise sous la Restauration

1 Depuis toujours, la santé de l’économie marseillaise est liée aux activités du port. Celles-ci

étaient florissantes au cours du XVIIIe siècle. Les années 1790 avaient été moins heureuses.

Les guerres des débuts de la période révolutionnaire avaient plongé le négoce dans un

profond marasme. La tentative d’asphyxie de l’économie britannique menée par

Napoléon au moyen du blocus continental et le blocus de la Méditerranée par la flotte

anglaise avaient aggravé une situation déjà désastreuse. L’accès au port de Marseille était

verrouillé. Les approvisionnements en matières premières ou en objets manufacturés, la

redistribution de denrées importées s’effectuaient avec les pires difficultés. Aussi, c’est

avec joie que Marseille accueille, en 1814, la nouvelle de l’effondrement de l’Empire.

2 Cette période mouvementée a considérablement modifié le visage du grand port

provençal. Au début de la Restauration, Marseille « apparaît nettement et plus que jamais

sous le triple aspect industriel, royaliste et catholique1 ». Industrielle, la ville l’est

devenue un peu malgré elle, à cause de l’effondrement de ses activités commerciales. Seul

l’établissement de nouvelles fabrications pouvait remédier à l’absence de produits

habituellement importés. En revanche, c’est avec détermination que ses habitants se sont

rangés dans le camp des ultras. Avec le massacre des mamelouks par la population sur le

cours Gouffé, Marseille liquide son passé napoléonien dès le retour des Bourbons. Le

monde du négoce tourne le dos à un régime responsable de la décomposition du

commerce maritime. À l’heure du bilan, une question se pose. Les Marseillais sont-ils

capables de sortir leur économie de l’enlisement afin de retrouver la prospérité du XVIIIe

siècle ? Dès 1815, l’hésitation est profonde sur la marche à suivre. La réussite passe-t-elle

par le rétablissement du système économique prérévolutionnaire ou, au contraire, par la

transformation des contraintes de la période impériale en dynamiques industrielles ?

LA DYNAMIQUE COMMERCIALE

3 Malgré les espérances placées dans le retour à une stabilité propice aux échanges, la

reconstitution des réseaux commerciaux marseillais s’effectue timidement durant les

premières années de la Restauration. La principale difficulté est le problème du choix du

19

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statut du port. Les milieux économiques avaient rapidement opté pour un retour de la

franchise, mais la redéfinition des espaces commerciaux et l’apparition de nouveaux

secteurs industriels sont devenues des réalités incontournables. Les Marseillais doivent

repenser leur système portuaire à la lumière des deux processus enclenchés sous

l’Empire : les liens importants tissés avec l’espace national et le développement d’une

industrie restée jusque-là sans grande envergure. Les milieux d’affaires de la ville

comprennent qu’un simple retour au passé est devenu utopique. L’avenir réside dans le

régime de l’entrepôt, décrété pour le port par l’ordonnance de novembre 1817.

La reconstruction des réseaux commerciaux

4 Sur cette nouvelle base, les affaires reprennent mais lentement. La crise persiste dans une

ville « …mal à l’aise dans deux schémas opposés, l’un qui est étroitement national, l’autre

plus ancien, qui est celui d’une vocation purement maritime2 ». La véritable reprise,

malgré de nombreux problèmes douaniers qui gênent le bon fonctionnement du régime

de l’entrepôt, n’intervient qu’au cours de la première moitié des années 1820 et, surtout,

à l’extrême fin de la Restauration, période durant laquelle Marseille fait son choix et cesse

véritablement de se retourner sur son passé. Le dynamisme commercial peut s’installer.

Le port attire de plus en plus les peaux, les cotons. Il retrouve et amplifie sa grande

spécialité : la distribution de denrées alimentaires. Déjà, certaines réussites industrielles

apparaissent. La minoterie commence à se moderniser avec les travaux occasionnés par

l’arrivée massive des blés de Russie. Ces matières premières, travaillées dans des moulins

à vapeur grâce au système de l’entrepôt fictif, sont exportées par la suite vers de

nombreux pays méditerranéens. Bientôt, les importations sans cesse croissantes de

sucres bruts et de graines oléagineuses exotiques apporteront les modifications aptes à

susciter un véritable développement industriel.

5 Le bilan des activités commerciales marseillaises de la Restauration montre, avant tout, la

réinsertion de la ville dans son espace naturel d’échanges : la Méditerranée. En 1830,

Marseille effectue la majeure partie de ses transactions commerciales dans le bassin

méditerranéen. Plus des deux tiers du tonnage des marchandises gérées par le port

proviennent des relations maritimes que la ville entretient avec les différentes régions de

cet espace, essentiellement celles des rives nord3. Il ne s’agit pas d’une nouveauté. La ville

reconstruit simplement une des bases de son commerce de la période prérévolutionnaire.

En une quinzaine d’années, les lignes et les réseaux d’échanges se sont constitués ou

reconstitués de manière durable entre Marseille et les différents centres du bassin

méditerranéen. Dans le domaine de l’exportation de produits manufacturés, les liens les

plus forts sont ceux qui ont été tissés avec l’Espagne et l’Italie. Pour l’essentiel, il ne s’agit

que d’objets de fabrication française. Les Marseillais arrivent néanmoins à tirer profit de

l’installation de secteurs manufacturiers qui ont commencé à donner à leur port une

petite fonction industrielle. Quelques produits mis en œuvre sur place commencent à

trouver des débouchés méditerranéens. Ainsi, les farines de blé, les peaux tannées, les

sucres raffinés et quelques produits métallurgiques s’exportent en quantités parfois

importantes dans les royaumes italiens, en Espagne et en Égypte4.

20

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La place des minerais et des métaux

6 Dans le mouvement général du commerce marseillais, la métallurgie occupe une place

restreinte. Entre 1815 et 1825, les négociants phocéens importent et exportent

relativement peu de minerais ou de métaux. Ces marchés retiennent toutefois l’attention

des hommes d’affaires de la région. Le port est le lieu de passage naturel des produits

métallurgiques d’exportation de la région stéphanoise5. En 1817, la chambre de commerce

de Marseille épaule celle de Saint-Étienne dans la lutte contre les maîtres de forges

français responsables de l’établissement des droits de douanes exorbitants sur les fers

étrangers. L’économie marseillaise soutient logiquement les centres qui lui fournissent

les éléments de son commerce. L’institution consulaire phocéenne intervient auprès du

ministère de l’Intérieur pour demander l’abaissement des taxes sur les fers importés en

signalant que les fabricants de la ville de Saint-Etienne « sont réduits à ne pouvoir

employer que des fers, dont les propriétaires, à couvert de toute concurrence, élèvent le

prix à leur gré sans aucune proportion avec ceux que l’on peut mettre aux ouvrages qui

sortent de leurs fabriques6 ». En 1829, lors de l’enquête préparatoire du gouvernement

pour la révision des tarifs douaniers, les négociants marseillais réitèrent leurs

observations : « Les négociants de Marseille demandèrent […] que le droit sur

l’importation des fontes en gueuses fût réduit à l’ancien taux de 2 francs 20 centimes les

100 kilos, décime compris ; le droit était alors de 9 francs 90 centimes. Cette réduction

aurait eu pour résultat une diminution de 20 % environ du prix des fontes et de 10 % sur

celui des fers7. » Le combat contre les producteurs français de fonte s’est installé. Il

deviendra une constante lors des deux décennies suivantes.

7 Un important changement s’opère entre 1825 et 1830. L’absence des matières premières

et produits métallurgiques dans les mouvements commerciaux est en passe d’être

comblée. Même si les minerais et les métaux comptent peu dans le volume global des

transactions, la ville détient une part non négligeable des relations entre la France et les

nations étrangères dans le domaine des métaux. Avec 91,1 % des plombs bruts, 39,9 % des

plombs épurés et 24 % des cuivres, le commerce des non-ferreux connaît même une

importance marquée. Les fabricants de grenailles, de tuyaux et d’alun s’approvisionnent

dans des proportions croissantes en Espagne. Ce commerce est une vieille tradition

marseillaise8. Il commence à retrouver un second souffle dans les années 1820 avec les

plombs d’Andalousie, amenés à Marseille sous l’influence d’un afrancesado réfugié dans la

ville, Luis Figueroa. Cet homme d’affaires est l’un des premiers à « avoir compris les

opportunités offertes par la situation de Marseille : la ville est au confluent de deux

marchés, français et méditerranéen, touchés par les progrès des usages industriels et

urbains du plomb9 ». Marseille ne fixe pas encore ce type de marchandises par des

travaux permettant d’adjoindre une valeur avant réexportation. Sur les marchés des

métaux, la ville reste essentiellement une place de transit. En 1830, l’industrie

métallurgique phocéenne en est à ses balbutiements, mais le dynamisme du commerce a

déjà jeté les bases du fonctionnement ultérieur de ce secteur. Les réseaux

d’approvisionnement nord-européens en fer et en fonte (Angleterre, Suède, Allemagne),

en métaux non-ferreux italiens et espagnols et ceux des réexportations dans le bassin

méditerranéen sont en place. Dans les années 1820, une poignée d’artisans marseillais

s’est même lancée dans la fabrication et l’exportation de produits métallurgiques. La

grenaille de plomb, les cercles de barrique, les clous et les ustensiles domestiques en fer

forgé partent de Marseille vers l’Italie, l’Espagne ou les Barbaresques10. Même si les

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quantités sont minimes, la voie est tracée. Il reste encore à la ville à donner de l’ampleur

et de la vigueur à ces routes maritimes crées ou retrouvées. La stabilisation des routes

commerciales et l’avance que prendra Marseille, dans les années 1830, sur les autres villes

méditerranéennes dans le secteur de production de biens d’équipement permettront

d’allonger la liste des produits. Pour l’heure, le développement industriel, même s’il

paraît prometteur, est encore faible. Il n’a pas engendré d’effets d’entraînements

susceptibles de pousser à la création d’un secteur métallurgique moderne.

UNE CROISSANCE INDUSTRIELLE ENCORE FAIBLE

8 Il est difficile d’évaluer les niveaux de la production industrielle marseillaise à la fin de

l’Empire. Une seule certitude : la période révolutionnaire est marquée par un

effondrement important. Dans son Encyclopédie départementale, Paul Masson estime que

cette valeur a diminué des trois quarts entre 1789 et 1813. La production annuelle serait

passée de 50 à près de 11,5 millions de francs11. Les difficultés de l’industrie marseillaise

sous la Révolution et l’Empire ont toutefois été moindres que celles rencontrées par les

activités commerciales. Durant les dures années de la dépression, la bonne résistance du

secteur secondaire a pu préserver les emplois grâce à un recentrage vers les débouchés

intérieurs.

L’industrie marseillaise sous l’Empire

9 Si les conséquences des guerres et des blocus de la période 1789-1815 ont été désastreuses

pour les activités commerciales, elles ont été parfois bénéfiques pour les secteurs de

production. Elles ont eu en effet le mérite de provoquer un important changement.

L’industrie, très artisanale et disposant de faibles capitaux, n’avait guère évolué durant

l’ensemble du XVIIIe siècle. À la veille de la Révolution, les nouvelles fabrications étaient

rares, l’archaïsme des structures de production marqué. L’industrie marseillaise avait

besoin d’un bouleversement pour se lancer dans une série de modifications. Ce

bouleversement allait venir des conditions économiques créées par la guerre. Durant la

période du blocus, l’économie marseillaise était confrontée à un problème aigu. Il lui

fallait trouver des produits de substitution aux matières premières, aux denrées

coloniales et aux produits manufacturés habituellement importés. Les tentatives ont été

nombreuses (essais de fabrication de l’alun artificiel, du raffinage du sucre de betterave…

). Certaines initiatives se sont soldées par des échecs. D’autres, en revanche, ont été

couronnées de succès et sont promises à un bel avenir.

10 La production de la soude artificielle est incontestablement la plus grande réussite.

Importée traditionnellement d’Espagne et d’Italie, la soude végétale ne parvenait plus

jusqu’au port de Marseille. Son absence paralysait la vie économique phocéenne. La soude

était en effet un des éléments essentiels à la fabrication du savon. La ville dut trouver des

solutions de remplacement. En 1804-1810, avec le soutien du gouvernement impérial, les

premières usines de fabrication de soude artificielle selon le procédé mis au point par

Leblanc en 1789 s’établissent à Marseille et dans sa banlieue, à Septèmes-les-Vallons12. Les

implantations de manufactures de produits chimiques se succèdent avec rapidité et

provoquent certains changements en aval.

« C’est alors que s’ouvrirent les fabriques de soude factice, d’acide sulfurique,d’alun, de sels de soude et de plusieurs autres produits chimiques. Cette nouvelle

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branche d’industrie donna une plus grande activité aux savonneries. Les tanneriesprofitèrent aussi des recherches chimiques sur le tanin et améliorèrent leursprocédés. »

11 En 1813, avec 72,5 % de la valeur totale des productions manufacturières de la ville, la

fabrication de produits chimiques et celle des savons forment l’essentiel de l’industrie

marseillaise13.

L’évolution sous la Restauration

12 Dès la fin du règne de Louis XVIII, Marseille a récupéré l’essentiel de ses anciennes

fabrications. Il faut désormais y ajouter les nouvelles, nées sous l’Empire, qui continuent

de se développer. Par ordre d’importance en valeur de production et en dynamisme, trois

secteurs dominent l’industrie locale en 1830 : la chimie, le textile et les industries agro-

alimentaires14.

13 La savonnerie a retrouvé dès la fin de l’Empire son importance passée. Elle reste la

première des activités productives. En 1830, les 43 usines de la ville fournissent du travail

à 700 ouvriers15. L’utilisation de la vapeur dans les procédés de fabrication s’est

généralisée. Les pionniers avaient été, au cours des années 1808-1810, les frères Gède à La

Ciotat et les Girard à Marseille, dans une fabrique montée sur les ruines de l’abbaye Saint-

Victor16. A côté de la savonnerie, la fabrication de produits chimiques continue de se

développer17. En s’appuyant sur les marchés locaux et, dans une moindre mesure, sur le

débouché intérieur de la verrerie, l’industrie de la soude progresse de manière

conséquente. Sa production atteint 20 000 tonnes en 1822. En amont, les effets

d’entraînement sont importants. La production de 1822 a nécessité l’emploi de 13 300

tonnes de sel marin. Avec une telle demande, les salines se sont développées autour de

l’étang de Berre. Quatorze établissements sont en activité à la fin des années 1820.

Environ 1 200 ouvriers y travaillent.

14 Les industries alimentaires sont dominées par le raffinage du sucre, qui s’affirme comme

une industrie prometteuse dès le début des années 1820. En 1823, l’industrie française

adopte les procédés anglais de cuisson sous pression atmosphérique en employant la

vapeur comme véhicule de la chaleur, en remplacement de l’action directe des flammes

sur les cuves. L’appareil Howard, repensé par le mécanicien marseillais Elzéard Degrand,

est introduit pour la première fois en France dans la raffinerie marseillaise des frères

Reybaud18. Une seconde innovation, l’adoption des filtres mis au point par l’Anglais Philip

Taylor, améliore encore les produits. Désormais, avec l’application de ces nouveaux

procédés, « les sucres raffinés de Marseille peuvent rivaliser avec les plus belles qualités

sorties des raffineries de France ». En 1829, les dix-sept établissements phocéens et leurs

600 ouvriers traitent plus de 10 000 tonnes de sucre brut. Outre le traitement des sucres,

de nouvelles productions liées à l’alimentaire s’établissent sous la Restauration,

principalement dans le secteur des blés. Depuis 1818, des moulins à vapeur travaillent les

blés admis sous le régime de l’entrepôt et livrent des farines à l’exportation. Ces progrès

restent encore limités. Gênés par le système de l’échelle mobile décrété par Decazes, les

Marseillais sont bloqués pour les approvisionnements et ne peuvent donner l’ampleur

désirée à cette industrie. L’archaïsme des structures et des équipements domine encore.

Pour les deux minoteries à vapeur fonctionnant à Marseille en 1829, on compte 40

moulins à eau et 22 à vent. Les blés ont surtout donné naissance à la fabrication de

nouveaux produits (pâtes d’Italie, viande de pâte, vermicelles, macaronis…). Vers 1830, les

23

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Bouches-du-Rhône produisent 788 tonnes de pâtes. Près de 15 % de cette production est

exporté pour une moitié à l’étranger, pour l’autre dans les colonies. La ville possède

également quelques fabriques d’amidon, qui trouvent leurs débouchés sur le marché local

et intérieur. Ces manufactures travaillent principalement les blés importés de Sicile

« lorsque l’entrée est permise ».

15 L’industrie textile est le dernier secteur d’importance, essentiellement par le nombre de

travailleurs qu’elle emploie. En 1829, le comte de Villeneuve annonce un chiffre proche de

2 500. Les premières modernisations des procédés de production ont été l’œuvre

d’entrepreneurs aixois. En 1790, Viollier installe dans sa fabrique les premières machines

à carder et à filer du département19. La même année, Paillasson fonde l’usine qui va

recevoir en 1811 la première machine à vapeur installée dans les Bouches-du-Rhône20.

Sous la Restauration, le développement de cette industrie est encore timide et s’effectue

sans véritable renouvellement de l’appareil productif. Certains secteurs comme celui de la

fabrication des bonnets de Tunis, dominé par la personnalité d’Alexis Rostand,

appartiennent encore à la forme du domestic System : 2 000 ouvrières travaillent les

produits textiles à domicile et non dans le cadre de l’usine. Dans le département,

Marseille reste un peu à la traîne non seulement dans le domaine technique mais aussi

par le petit nombre de ses usines et de leurs effectifs ouvriers. Dans les spécialités les plus

importantes, la teinture et la filature du coton, la cité phocéenne est surclassée par Aix-

en-Provence et La Ciotat. Malgré son retard, cette industrie vient de naître. Les espoirs de

développements futurs des entreprises textiles sont une constante de l’imaginaire

industriel marseillais de la fin des années 1820. Les milieux intellectuels et économiques

de la ville pensent que la région pourra connaître une révolution industrielle sur le

modèle britannique, incarnée par la réussite du port de Liverpool21. Le textile en sera

donc le moteur.

Le bilan

16 Un progrès industriel est donc apparu à Marseille et dans sa région. Il est encore limité,

mais les résultats ne doivent pas être négligés. Le produit brut des manufactures du

département approche 200 millions de francs en 1829, soit quatre fois le chiffre de 1789.

Cette première croissance de la Restauration se base sur le dynamisme de petites

entreprises fondées par des ouvriers, des artisans ou de modestes industriels22. Ces

hommes disposent de peu de capitaux et ne peuvent encore lancer une véritable

modernisation industrielle. Les biens d’équipements modernes représentent pour eux des

investissements trop importants. La relative faiblesse des débouchés ne justifie pas une

profonde modification des structures de production. Seuls les armateurs et négociants

peuvent provoquer, par une dynamique commerciale et un apport de capitaux, un

changement d’échelle des marchés rendant nécessaire la modernisation du tissu

industriel marseillais. Les marchands ne représentent qu’un peu moins de 10 % des

actionnaires connus des sociétés industrielles en 1820-1825.

17 À ce facteur interne de blocage du développement industriel il faut ajouter un obstacle

extérieur à la ville : la politique douanière de l’État français. Marseille est en marge des

intérêts économiques de son cadre national d’appartenance. La politique protectionniste

imposée par les agriculteurs, les maîtres de forges et les industriels travaillant les

matières premières nationales dessert la logique de fonctionnement de l’industrie et du

commerce marseillais. Il faudra attendre la première moitié des années 1830 pour que

24

Page 27: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

soient réunies toutes les conditions permettant aux négociants et aux artisans de la ville

d’investir de manière massive dans la fonction industrielle de leur port. Mais si Marseille

reste une ville peu développée par rapport aux autres grandes régions économiques

françaises et à de nombreuses autres villes nord-méditerranéennes (Barcelone, Séville,

Milan…), la situation est déjà remarquable au niveau des mentalités. Sous l’Empire et la

Restauration, les milieux économiques de la ville ont pris conscience de la nécessité d’une

modernisation de leur industrie.

UNE VOLONTÉ DE CHANGEMENT

18 Pour les milieux intellectuels, politiques et économiques marseillais de la Restauration,

l’essor industriel est devenu une priorité. Les années sombres de l’Empire ont montré la

fragilité du commerce et la nécessité de développer d’autres activités. L’exemple du

développement industriel britannique s’impose petit à petit comme une référence, une

voie dans laquelle la cité phocéenne doit s’engager23. Sous la Restauration, l’industrie

marseillaise est encore majoritairement artisanale. Au début des années 1820, la grande

entreprise, la présence de la machine à vapeur dans les usines et les procédés modernes

de fabrication sont encore très rares. Seules les applications des nouvelles technologies et

les volontés d’innovation peuvent entraîner un changement de nature des différents

secteurs industriels de la ville. Ces changements ne sont toutefois possibles qu’à deux

conditions. Les marchés des entreprises marseillaises doivent croître jusqu’à provoquer

une modification des échelles de production pouvant pousser à la modernisation d’un

appareil productif devenu insuffisant. Une prise de conscience et un changement de

mentalité doivent s’opérer parallèlement chez les entrepreneurs souvent hésitants face à

l’achat de biens d’équipement. Si le véritable mouvement de croissance des productions

ne voit le jour que sous la monarchie de Juillet, le changement de mentalité et la volonté

de modernisation s’installent dès la Restauration dans les milieux intellectuels et

politiques de la ville. La ville s’inscrit dans un mouvement qui touche plusieurs régions

françaises. Avec des organismes tels que la société d’encouragement pour l’industrie

nationale, fondée en 1802 par Jean-Antoine Chaptal, et le Conservatoire des arts et

métiers, où est déposé un échantillon de machines et mécaniques modernes, l’État

français de la Restauration s’efforce avec grande volonté de combler les retards

techniques accumulés sur l’industrie britannique. « Le phénomène n’est pas limité à une

branche ou une région, il est une affaire nationale…24 ». Des concours avec primes sont

établis pour inciter à la recherche dans tous les domaines industriels. Depuis les débuts de

l’Empire, Paris est le lieu de grandes expositions industrielles au cours desquelles les

entrepreneurs de l’ensemble du territoire viennent présenter les produits et observer les

améliorations techniques survenues dans leurs secteurs.

Le rôle de la société de statistique et du comte de Villeneuve

19 À Marseille, la force de ce mouvement est essentiellement incarnée par le triangle formé

par la préfecture, la mairie et la société de statistique. Les trois principaux fondateurs de

cette dernière, en 1827, sont Jules Julliany, Augustin Fabre et le comte de Villeneuve25.

Cette société, qui va perpétuer jusqu’à la fin du second Empire l’œuvre du comte décédé

en 1829, est le pivot des actions menées pour faire comprendre la nécessité de développer

une industrie puissante et moderne. Elle obtient les faveurs des pouvoirs publics.

25

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L’institution est déclarée d’utilité publique en 1832. Lieu d’expression reconnu, la société

propage ses idées par des conférences et des écrits. Les études et comptes rendus de

séances sont publiés dans les Répertoires des travaux de la société de statistique de Marseille.

Dès 1830, elle fait paraître un second périodique, d’une tonalité plus technique et

s’intéressant de près aux problèmes de la métallurgie et de la mécanique : les Annales des

Sciences et de l’Industrie du Midi de la France. Au sein de cette association, le rôle du préfet

des Bouches-du-Rhône, le comte Christophe de Villeneuve Bargemont, est capital. La cité

phocéenne a la chance de posséder entre 1815 et 1848 une administration préfectorale de

tout premier ordre. Outre le comte de Villeneuve, les préfets Thomas et Delacoste se

révèlent d’excellents administrateurs dans les domaines économiques.

20 Le comte de Villeneuve entraîne dans son sillage un groupe d’intellectuels issus

principalement des milieux administratifs et politiques de la ville. Ces Marseillais de

souche ou d’adoption vont multiplier les actions en faveur du développement

économique phocéen, d’abord individuellement, à partir de leurs postes de travail, puis

collectivement au sein d’organismes qu’ils animent, comme la société de statistique ou

l’académie de Marseille. Pour ces hommes habités d’une foi saint-simonienne et se

sentant investis d’une véritable mission, le but est simple : développer l’industrie

marseillaise au nom d’un progrès considéré comme source de richesses économiques et, à

un degré moindre, sociales. Ils entendent pousser l’industrie vers le modernisme

technique et scientifique et appellent à une mobilisation générale des Marseillais.

Un objectif majeur : favoriser le progrès technique

21 Le premier objectif est de favoriser l’accès aux connaissances techniques, de développer

leurs applications dans les entreprises. Dès 1779, un négociant marseillais, Pierre Conte,

avait déjà souligné l’importance de l’utilisation des mécaniques modernes dans les divers

processus de production :

« La méchanique, aidée de la physique, a produit des machines de tous les genrespour féconder ou augmenter les produits de l’agriculture, et pour animer oufaciliter les arts […] C’est avec son secours que l’industrie prépare la farine, foule lesétoffes, extrait l’huile des végétaux, dessèche les marais, ouvre la terre pour obtenirles récoltes abondantes, ou pour en arracher les métaux ou les minerais qu’ellerenferme26. »

22 Peu favorisé par les guerres de la Révolution et de l’Empire, le discours de Pierre Conte ne

va trouver des échos qu’une trentaine d’années plus tard. Timide sous l’Empire et le règne

de Louis XVIII, la volonté de propagation des techniques modernes prend une importance

accrue au début des années 1820. Le comte de Villeneuve multiplie les décrets

préfectoraux pour encourager les applications d’innovations dans les domaines

industriels. Il s’adresse au maire, le marquis de Montgrand, afin d’être aidé dans certaines

de ses actions. Pour développer la présence marseillaise dans les concours de la société

d’encouragement, il sollicite le secours du premier magistrat de la ville :

« Je ne saurais trop vous recommander, Monsieur, de faire donner toute la publicitépossible à ces programmes ; il suffira, je pense, pour exciter votre zèle à cet égard,de vous annoncer que vous seconderez par là les vues de la sociétéd’encouragement et les intentions particulières de son Excellence le ministre del’Intérieur qui compte également sur le concours de vos moyens27. »

23 La même année, toujours pour le même destinataire, le secrétaire général de la

préfecture, le baron d’Urre, demande, sur les ordres de son supérieur, de faire une large

26

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publicité pour le cinquième volume des brevets d’invention qui viennent de tomber dans

le domaine public :

« Je n’ai pas besoin d’insister sur l’utilité de cet ouvrage pour vous engager àdonner la plus grande publicité à cet avis [l’avis de dépôt], m’en rapportant à cetégard sur vos soins et votre zèle accoutumé dans l’exécution des mesures dugouvernement, qui tendent au progrès et au perfectionnement des arts utiles28 ».

24 Ce type d’action est régulièrement effectué par les hommes de la préfecture. L’annonce,

en 1825, de l’avis de dépôt du huitième volume est particulièrement intéressant. Le comte

de Villeneuve et le baron d’Urre sélectionnent un échantillon de brevets susceptibles

d’intéresser les Marseillais29. On peut y retrouver la volonté de modernisation

industrielle. Sur les trente-deux brevets sélectionnés, cinq touchent à la machine à

vapeur ou à l’usage de la vapeur dans les procédés de fabrication, dix à divers types de

mécaniques, trois à l’industrie métallurgique et un à la préparation des combustibles

végétaux. Enfin, le préfet agit par les nominations. Quand le comte de Villeneuve choisit

les membres du jury chargé de prononcer l’admission des produits manufacturés à

l’Exposition de Paris de 1824, il tient à y faire figurer Elzéard Degrand, un mécanicien apte

à sélectionner les innovations dignes d’intérêt.

Une foi inébranlable dans les progrès de la science

25 Les actions sont également dirigées vers les progrès de la science. Les pouvoirs publics

ont très tôt compris l’intérêt de l’application des découvertes scientifiques dans les

procédés de la production industrielle. Progrès, science et développement sont pensés

comme inextricablement liés. Les industries doivent veiller à appliquer régulièrement les

apports des découvertes scientifiques :

« Il faut et il faut absolument que leur procédé de fabrication soit perpétuellementprogressif. La loi du progrès est, en industrie, aussi vraie, aussi bien établie, quel’est en physique la loi de la pesanteur… Au milieu du mouvement universel deprogression, ceux qui restent stationnaires se trouvent placés comme s’ils avaientreculé […] Le progrès, tel est donc le résultat nécessaire de la libre fabrication ; leprogrès, tel est la loi qu’on ne peut enfreindre sans perdre tous les biens auxquelson tenait30. »

26 Des cours publics de chimie et de physique sont créés au Collège royal en 1820 par la

municipalité de Marseille. Le professeur Péclet est chargé de les dispenser. On peut déjà y

noter la présence d’industriels31. Péclet est un homme de valeur. Outre les prix et les

attributions qu’il se voit attribuer, c’est un membre essentiel du jury local des grandes

expositions parisiennes. Ses compétences lui permettent de désigner les entrepreneurs

marseillais méritoires. Ses efforts, portés sur la propagation des idées scientifiques et

leurs applications dans l’industrie, sont d’autant plus importants qu’ils ont déjà montré

leurs effets bénéfiques dans la fabrication des produits chimiques, branche la plus

moderne de l’industrie marseillaise. Hippolyte de Villeneuve cite en exemple l’esprit de

collaboration des entrepreneurs de l’industrie de la soude « qui se sont mutuellement

permis de visiter leurs ateliers32 ».

27 Le préfet et le maire tiennent enfin à s’assurer le soutien de courroies de transmission

efficaces. « Le département et les villes principales, en dotant des académies, leur

imposent l’obligation d’employer les fonds qu’ils allouent à des travaux d’utilité publique

et en encouragements aux sciences, lettres et arts. Une partie est donc destinée et

employée à faciliter les progrès de l’industrie, dans des concours ouverts sur des sujets

27

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propres à mettre en lumière des procédés de fabrication et les perfectionnements fondés

sur le progrès des sciences. » Les autorités locales et les sociétés savantes du département

comme les académies d’Aix et de Marseille distribuent ainsi primes et médailles aux

entrepreneurs et aux scientifiques capables d’innover, récompensent les publications

importantes « dont l’industrie locale a pu tirer profit ». A la fin des années 1820, ce rôle

joué par les sociétés savantes est pris en charge par la société de statistique de Marseille :

« Une tâche glorieuse lui a été offerte : exciter parmi les fabricants et lesmanufacturiers une louable émulation et seconder par là l’élan du génie industriel,c’était évidemment être utile au pays. Dès lors notre société entre dans cette voie,elle a institué des prix d’émulation, elle a distribué des médailles, des mentionshonorables aux hommes qui avaient importé à Marseille une nouvelle industrie ouamélioré les fabrications, les manufactures déjà existantes33. »

Un mouvement méditerranéen

28 Ces actions menées pour susciter un changement de mentalité chez les entrepreneurs ne

sont pas uniques dans le sud de l’Europe. Marseille n’est pas pionnière. Toutes les régions

nord-méditerranéennes ayant connu un développement industriel sont passées par une

phase semblable. Des différences existent toutefois. La première est d’ordre

chronologique, la seconde relève du niveau d’intensité de ces mouvements différents

aussi bien dans leur fonctionnement que dans leur composition. Il n’y a pas ici de modèle

proprement méditerranéen.

29 Dès la fin du XVIIIe siècle, avec l’aide d’un ingénieur de Tenerife, Agustin de Béthancourt,

l’État espagnol a monté le Gabinete de Màquinas del Buen Retiro à Madrid destiné à montrer

aux industriels ibériques les machines et mécaniques modernes34. Sur le modèle

madrilène, la chambre de commerce de Barcelone ouvre, en 1804, une exposition

permanente à la Llotja35. Quatre années plus tard, Francesc Santpons, constructeur durant

la même période des premières machines à vapeur catalanes dont une à double effet,

fonde des cours pratiques de mécanique. L’initiative est bloquée à cause des guerres

napoléoniennes36. La reprise d’une formation technique ne se fera qu’en 1832, quand les

écoles de la chambre de commerce mettent sur pied la chaire de mécanique théorique-

pratique sous la direction d’Hilaire Bordege37. Même si la Catalogne tarde à mettre en

place un véritable secteur de construction mécanique, ses actions du début du siècle sont

d’une remarquable précocité. À Paris, le Conservatoire des arts et métiers ne monte son

dépôt d’exposition de machines qu’en 1819. La formation de techniciens dans un cadre

institutionnalisé est, par exemple, absente de la région marseillaise avant 1843, date de la

création de l’école des arts et métiers d’Aix-en-Provence.

30 Pour les royaumes italiens, le duché de Milan, encore sous domination autrichienne, est

l’exemple le plus achevé de la volonté de bouleverser les mentalités des entrepreneurs

industriels. Milan s’appuie d’abord sur deux sociétés d’encouragement. La première a été

fondée en 1807 et compte trois sections au cours des années 1840 (économique, technique

et médicale). La seconde, la Caisse d’encouragement des arts et métiers, est créée en 1838

« dans l’intention de favoriser toujours plus l’industrie nationale38 ». Avec 430 sociétaires

dès sa première année d’existence et des distributions de médailles pour tous les

industriels améliorant les procédés de fabrication39, la société acquiert dès ses débuts une

importance marquée. Elle prend le relais du gouvernement qui, en 1817, avait instauré les

premières récompenses annuelles40. Les membres de la société s’activent en faveur du

progrès économique et technique. Ils publient dans un grand nombre de journaux et leurs

28

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articles se multiplient dans des périodiques de renom (Annali Universali di Statistica, Il

Crepùscolo et Il Politecnico). Il est remarquable de noter l’intérêt précoce que portent les

ingénieurs, les industriels, et les hommes d’affaires milanais ou d’origine étrangère à

cette institution. Les plus grands entrepreneurs de la ville (le comte Lambertenghi, le

prince Soresina, les frères Kramer ou Enrico Mylius) adhèrent à la société et dispensent

des cours gratuits de technique et de chimie industrielle à l’instar des Mechanic’s Institutes

de Leeds ou de Newcastle du début des années 1820. Dans les années 1830, le

gouvernement du duché de Milan a fondé, comme à Madrid et Barcelone, un cabinet

technique où sont exposées les machines utilisées dans les usines françaises et

britanniques et entend développer un enseignement technique, qui s’organise

rapidement41. Les autres États italiens s’engagent également dans cette voie. Naples

organise sa première exposition industrielle en 1818, Turin en 182942. Entre 1832 et 1836,

des organismes officiels de statistiques s’établissent dans ces mêmes villes. Le progrès

peut être observé, quantifié43. Les publications fleurissent dans le royaume des Deux-

Siciles44.

31 Dans le sud de l’Europe, la Grèce est le pays qui entre le plus lentement dans ce type

d’action. Les raisons de ce retard sont simples. Le processus de développement industriel

s’y opère avec un décalage chronologique et une intensité moindre. Certaines régions

espagnoles ou italiennes ont connu une industrialisation favorisée par un héritage

matériel important en s’appuyant sur un groupe d’hommes déjà sensible à la notion de

modernité industrielle. Le cas de la Grèce est fondamentalement différent. En 1837, le

gouvernement hellénique fonde l’École polytechnique, qui dispense des cours aux

artisans afin de favoriser le développement industriel du pays. La première loi

d’encouragement à l’industrie est promulguée la même année45. Au cours des années

1830-1840, l’établissement d’une exposition périodique est même décidé46. L’idée reste

longtemps en gestation. La première exposition nationale industrielle se déroulera à

Athènes en 185947. Elle devient quadriennale et reçoit au cours des années 1870 un local

grandiose, le Palais des Expositions, financé par le mécène Evangheli Zappa48. La lente

maturation du projet montre que la Grèce n’est pas prête à accepter le changement. Le

tissu industriel est presque inexistant jusqu’au début des années 1860, moment où les

premiers signes de développement apparaissent. L’État grec s’occupe en premier lieu de

développer le commerce et la navigation49. Le pays balkanique connaît en effet une

originalité marquée. Son industrie, contrairement à celle des autres pays nord-

méditerranéens, a été créée ex nihilo. Il ne s’agit donc pas d’un changement mais d’une

véritable création de mentalité industrielle. Avant 1860, la classe des entrepreneurs est

encore très limitée en nombre et en qualité. Les actions menées par les différents

gouvernements ne trouvaient donc aucun point d’appui pour provoquer une volonté de

modernisation industrielle.

32 La différence entre Marseille et ces régions méditerranéennes repose surtout sur

l’absence d’expositions temporaires ou permanentes en Provence. En ce domaine, la

première initiative marseillaise n’aura lieu qu’en 1838 et ne débouche sur rien de concret.

En 1845, une nouvelle tentative est lancée. Joseph Loubon, adjoint au maire de Marseille,

présente le projet aux membres de la société de statistique :

« Pourquoi ne formerait-on pas un Muséum d’histoire industrielle ? Là devrait êtremis et placé par ordre tout ce que l’art a créé, tout ce que les manufactures et lesfabriques ont enfanté, tout ce que l’industrie produit. Là seraient déposés desmodèles de toutes les machines, levier obligé de la plupart des manufactures. Cecabinet serait un monument digne de notre siècle50. »

29

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33 Ce projet n’aboutira pas sans que l’on puisse en découvrir les raisons exactes. Les

industriels se sont peut-être montrés réticents à offrir l’argent. Le remarquable dépôt du

Conservatoire des arts et métiers et les nombreuses expositions industrielles parisiennes

permettent aux entrepreneurs marseillais de s’informer sur les différents types de

machines et de mécaniques en fonctionnement en France et en Grande-Bretagne. Pour

l’acquisition de connaissances techniques, Marseille peut s’appuyer sur les travaux

effectués dans la capitale et dans d’autres régions françaises. A l’inverse, Barcelone,

Milan, Turin et Naples sont respectivement les villes industrielles les plus avancées de

l’Espagne, du duché de Lombardie-Vénétie, et des royaumes de Piémont-Sardaigne et des

Deux-Siciles. Ces différents centres bénéficient donc d’importants soutiens de la part de

leur gouvernement, qui voient dans leur développement une opportunité aussi bien

économique que politique. Les lieux d’exposition sont des vitrines de la modernité

industrielle. Ils constituent également un élément de prestige pour des États soucieux de

montrer leur intérêt pour le progrès.

***

34 La prospérité de l’économie marseillaise sous la Restauration relève de deux logiques bien

différentes. Elle se fonde aussi bien sur la reconquête de sa puissance commerciale du

XVIIIe siècle que sur le développement de nouvelles bases d’activité. Les modifications

provoquées par les deux dynamiques sont toutefois peu profondes et les résultats, très

ambigus. Le mouvement industriel né des opportunités de la période impériale n’est pas

susceptible d’amorcer une véritable croissance ou de transformer les structures de

production, qui restent traditionnelles et parfois même archaïques. La vitalité

commerciale est réelle mais peu prometteuse dans plusieurs domaines. L’omniprésence

de la marine à voile a ici une valeur exemplaire. Marseille ne reçoit ses deux premiers

vapeurs qu’en 1831. Les Espagnols, les Sardes, les Napolitains et surtout les Britanniques

ont déjà compris depuis longtemps que ce type de navigation représente l’avenir aussi

bien sur les fleuves que sur les mers.

NOTES

1. BOUDIN E., Histoire de Marseille, Paris-Marseille, 1852, p. 569.

2. DÉMIER F., « Nation, marché et développement dans la France de la Restauration », thèse de

doctorat d’État, Paris X-Nanterre, 1991, t. III, p. 2179. Pour le système douanier du port et les

problèmes du régime de l’entrepôt, cf. t. III, p. 2178-2181.

3. 70,7 %, ibid., p. 174-175 (sauf indication les données de ce chapitre sont extraites du t. IV de la

SBdR et du t. VIII de l’EDBdR).

4. LAUTARD L., Mémoire sur les questions de déterminer le moyen le plus efficace pour procurer au

commerce les avantages nécessaires, Marseille, 1824, p. 94-95

5. AN F 12 2529.

6. Ibid.

30

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7. ECM, t. III, p. 372.

8. CHASTAGNARET G., « Marsella… », op. cit., p. 11-38.

9. CHASTAGNARET G., « De Marseille à Madrid, du plomb à la noblesse et au pouvoir d’État : la

construction de la fortune de la casa Figueroa », Cahiers de la Méditerranée, n° 46-47, 1993, p. 126.

10. L’Hermès marseillais ou guide des étrangers à Marseille, Marseille, 1826, p. 260.

11. EDBdR, t. VIII, p. 65 et ACM 22 F 1.

12. ADBdR XIV M 10/3.

13. Plus de huit millions de francs (ACM 22 F 1).

14. Cf. LESCURE M., « Companies… », art. cit., p. 109 et 118.

15. BOSQ P., Marseille et le Midi à l’Exposition universelle de 1878, Paris, 1879, p. 15

16. AM, GÈDE FRÈRES, Mémoire sur l’emploi de la vapeur de l’eau bouillante dans la fabrication du savon,

1812, p. 3 et DESCLOSIERES G., Vie et inventions de Philippe Girard, Paris, s. d. p. 32-33.

17. Cf. CHAPTAL J., De l’industrie française, Paris, 1819, t. II, p. 36-112 et DUPIN C, Forces productives de

la France…, Paris, t. II, p. 45.

18. VILLENEUVE H. de, « Des appareils pour évaporer les dissolutions de sucre à l’abri de la pression

atmosphérique et du procédé nouveau inventé par M. Degrand », ASIMF, t. III, 1834, p. 329-334.

19. ACA 24 F et SBdR, t. IV, p. 591-592 et 668.

20. ACM 23 F 31. L’usine compte plus de 8 000 broches en 1812, CHAPTAL J. A., De l’industrie

française…, op. cit., t. II, p. 12.

21. JULLIANY J., Discours sur Marseille, ville manufacturière et sur les filatures de coton, Marseille, 1828,

p. 5.

22. Ils sont fondateurs, pour les deux tiers, des sociétés industrielles de la première moitié des

années 1820, LESCURE M., « Companies… », art. cit., p. 114.

23. JULLIANY J., Discours sur Marseille…, op. cit., p. 16.

24. DÉMIER F., Nation, marché…, op. cit., t. III, p. 1980.

25. Jules Julliany (1802-1862), commerçant et homme de lettres marseillais proche de Michel

Chevalier. Augustin Fabre (1797-1870), avocat marseillais (biographies des trois personnages dans

EDBdR, t. XI, 1914, p. 190-192, 278-279 et 543-544).

26. CONTE P., Vues utiles à l’économie publique à l’établissement de diverses manufactures et à

l’augmentation du commerce de la Provence et de Marseille, s. 1., s. d., 1779, p. 8.

27. Recueil administratif, année 1823, Marseille, 1823 ; bulletin n° 8, lettre du 4 mars 1823.

28. Ibid., année 1823, bulletin n° 40, lettre du 1er décembre 1823.

29. « Nous signalerons ceux qui ont paru plus directement approprié à nos localités », ibid., année

1825, bulletin n° 24, lettre du 31 mars 1825.

30. VILLENEUVE H. de, « Sur quelques préjugés des industriels », ASIMF, t. I, 1832, p. 10-11.

31. SBdR, t. I, p. 548.

32. VILLENEUVE H. DE, « Sur quelques préjugés… », art. cit., p. 10-11.

33. « Rapport fait par M. J. Loubon, adjoint au maire, pour l’institution à Marseille d’une

exposition périodique des produits manufacturés des fabriques des Bouches-du-Rhône », RTSSM,

t. IX, 1846, p. 74-75.

34. NADAL J., El fracaso de la Revoluciôn industrial en España, 1814-1913, Barcelone, 1975, p. 123-124.

35. GARRABOU R., Enginyers industrials, modernitzaciô econômia i burgesia a Catalunya, 1850-inicis del

segle XX, Barcelone, 1982, p. 23.

36. Ibid., p. 23.

37. NADAL J., Moler. tejer v fundir. Estudios de historia industrial, Barcelone, 1992, p. 143.

38. « Tableau de l’industrie milanaise », RTSSM, t. IX, 1846, p. 441.

39. DALMASSO E., Milan, capitale économique de l’Italie, Gap, 1971, p. 130.

40. ROMANI M., Storia economica d’Italia nel secolo XIX, Milan, t. I, 1968, p. 15.

41. ZANINELLI S., « Attività manufattura lombarda nel 1840 », Archivio Storico Lomhardo, 1963.

31

Page 34: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

42. De Rosa L., lniziativa e capitale straniero nell’industria metalmeccànica del Mezzogiorno, 1840-1904,

Naples, 1968, p. 6.

43. ROMANI M, Storia economica…, op. cit., p. 161-162.

44. La revue la plus importante : Il Progresso (Naples, 1832-1846).

45. PANAYATOPOULOS V., « La révolution industrielle et la Grèce, 1832-1871 », Études Balkaniques,

1977, n° 3, p. 92.

46. MANSOLAS A., Renseignements statistiques sur la Grèce, Athènes, 1867, p. 103-104.

47. Cf. MORAITINIS P., La Grèce telle qu ‘elle est, Paris, 1877, p. 344 et BURNOUF E., « La Grèce et la

Turquie en 1875 », RDDM, septembre 1875, p. 44.

48. Ibid., p. 344

49. MANSOLAS A., La Grèce à l’Exposition universelle de Paris en 1878, Paris, 1878, 2e éd., p. 55.

50. « Rapport fait par M. J. Loubon… », art. cit., p. 76 et ACM 22 F 7, Société de statistique de

Marseille. Séance du 3 juillet 1845.

32

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Chapitre II. La découverte de lamodernité technique

1 Entre 1780 et 1830, la vapeur trouve de nouveaux domaines d’utilisation et son emploi

commence à se généraliser. Le mouvement a d’abord été lancé en Grande-Bretagne pour

s’étendre par la suite à l’Europe continentale. La nouvelle source d’énergie, jusqu’alors

essentiellement réservée à l’élévation des eaux de galeries de mines, s’emploie désormais

dans la grande majorité des secteurs industriels et connaît ses premières applications

dans la navigation et les chemins de fer. Plus globalement, un nouveau système technique

apparaît, fondé sur les machines à vapeur, le charbon, le fer et la fonte. Il commence à se

substituer à l’ancien, reposant sur les énergies naturelles et la force motrice animale. Par

ailleurs, la croissance industrielle qui s’opère avec rapidité en Grande-Bretagne et avec

une plus grande timidité en France provoque un développement de la demande de biens

d’équipement. Le changement d’échelle des fabrications nécessite la mise en place de

nouvelles structures productives. Les machines deviennent plus nombreuses dans les

ateliers et sont généralement construites en fer ou en fonte, contrairement aux

« mécaniques » en bois du XVIIIe siècle. Ces deux caractéristiques poussent à l’émergence

d’une industrie moderne de la métallurgie et de la construction mécanique, dont les plus

grands symboles sont l’atelier de Soho pour l’Angleterre et celui de Chaillot pour la

France.

2 L’industrie phocéenne reçoit ses premiers appareils à vapeur et commence à renouveler

une partie de son matériel de production dès l’Empire. En 1831, le grand port provençal

accueille ses deux premiers navires à vapeur. Le mouvement évoqué plus haut touche

donc Marseille dès le premier tiers du XIXe siècle. Il faut toutefois se demander si la ville

est en marge ou au cœur de ce mouvement. Les changements sont-ils assez profonds pour

rendre obsolètes les systèmes traditionnels de production industrielle, permettre à la

navigation à vapeur de s’implanter véritablement et entraîner l’apparition d’une

industrie métallurgique et mécanique moderne ?

33

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L’APPARITION D’UNE DEMANDE DE BIENSD’ÉQUIPEMENT

3 Sous la Restauration, les techniques de production de l’industrie marseillaise sont à forte

dominante traditionnelle. Les sources énergétiques et les procédés de fabrication utilisés

sous l’Ancien Régime n’ont guère changé, tout comme la physionomie générale des biens

d’équipement. L’homme et l’animal, l’eau et le vent constituent les principales forces

motrices employées dans les ateliers. Dans les mines de lignite, jusqu’aux années 1830, les

procédés d’extraction restent d’une extrême simplicité1. On utilise des manèges mus par

des chevaux ou des ânes dans les filatures de coton et dans les fabriques de pâtes2. Parfois

même, ces manèges « sont suppléés par des cabestans mus à bras d’homme3 ».

L’archaïsme des équipements est encore plus marqué pour les huileries. Dans ce secteur,

la force de l’homme est majoritairement employée. Les presses à vis sont actionnées par

les ouvriers à l’aide d’un long bâton. La seule innovation notable dans cette industrie est

le remplacement progressif, sous la Restauration, de l’homme par le cheval4. Dans toutes

ces activités, la faiblesse de la demande dissuade toute volonté de modernisation. Au sein

de cet ensemble industriel marseillais, marqué par la médiocrité, quelques secteurs

enregistrent toutefois certaines modifications.

Les premières modifications du système technique

4 Sous l’Empire, poussée par la nécessité d’approvisionner la savonnerie, l’industrie

chimique et ses secteurs annexes avaient dû abandonner leurs anciens procédés de

fabrication à cause du blocus maritime. Les fabricants de soude avaient opté pour de

nouvelles techniques de production (la soude artificielle). Les salines adoptaient

parallèlement des machines atmosphériques afin d’augmenter leur productivité. Ces deux

industries avaient montré la voie. Le mouvement gagne en intensité sous la Restauration.

L’apparition de nouvelles industries et la croissance de certaines activités plus anciennes

entraînent des changements, essentiellement à partir des années 1820. Ces modifications

sont d’autant plus nécessaires que les composantes classiques du système de production

marseillais posent d’énormes problèmes quand la nécessité apparaît de passer à un stade

de fabrication soutenu et régulier. L’exemple de la minoterie est significatif. Les débits

des principales rivières de la région sont souvent insuffisants et même inexistants durant

les mois d’été. Quand la production change d’échelle et commence, à la fin des années

1810, à traiter de grosses quantités de blés, il lui faut obligatoirement utiliser la vapeur,

seule source d’énergie capable d’actionner les meules durant la totalité de l’année. Le

projet d’établissement du moulin à vapeur d’Armand et des frères Barlatier est suivi en

1818 avec la plus grande attention. « Ce secours sera réellement précieux, en raison de

l’extrême sécheresse dont nous sommes affligés depuis plus de deux ans »5. Les

propriétaires de minoteries à vapeur sont les premiers à prêcher pour l’utilisation des

machines à vapeur dans leur propre secteur, mais aussi dans les autres domaines

industriels :

« Ce puissant moteur a besoin d’être connu dans le Midi. En donnant le goût à seshabitants, c’est préparer l’établissement d’usines dont ils manquent et dontl’absence est un si grand mal. En aucune contrée de la France, il n’est plus impératifde familiariser ces machines que dans un pays sec et aride où aucun cours d’eau nevient prêter son appui à l’industrie. »6

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5 Entre 1818 et 1825, trois moulins marseillais sont équipés de machines à vapeur.

6 L’industrie textile est le second secteur qui doit faire face à la fois aux problèmes posés

par une production en hausse et à un système technique traditionnel inadapté aux

besoins locaux. Localisée dans le triangle Aix-Marseille-La Ciotat, cette branche

d’activités s’est développée dès la fin de l’Empire et s’équipe au cours de la Restauration

en machines et mécaniques permettant de faire face à la nécessité d’accroître les

rendements. Amorcée sous l’Empire, l’installation des mulle-jennies, des jeannettes et

jennies se développe dans les années 1820, mais lentement. Comme pour l’industrie de la

minoterie, des entreprises du textile font l’acquisition de machines à vapeur. Entre 1811

et 1827, trois appareils – peut-être cinq – sont installés dans des teintureries ou des

filatures. Ces deux exemples portent certes sur des modifications importantes, mais ils

restent exceptionnels et ne sont nullement révélateurs d’une arrivée en force de la

machine à vapeur dans l’ensemble industriel marseillais. La cité phocéenne participe dans

une faible mesure au mouvement général de modernisation qui touche alors plusieurs

régions françaises. La Restauration n’est pour Marseille ni l’heure de la machine à vapeur

ni celle de la mulle-jenny. Toutefois, dans d’autres composantes du système productif

marseillais, des efforts ont été engagés dans le domaine des biens d’équipement. Ils n’ont

pas le prestige de l’introduction de la machine à vapeur, mais ne doivent pas être sous-

estimés. Les nouveautés portent essentiellement sur deux domaines : les chaudières

calorifères, les cuves et chaudrons.

Les biens d’équipement dominants

7 Sous la Restauration, les cuves et les chaudrons sont abondamment employés par

plusieurs industries marseillaises. Ces équipements se retrouvent dans le raffinage du

soufre et du sucre. La savonnerie en emploie le plus grand nombre. Ces cuves de cuisson

sont désignées sous le nom de chaudières, mais il s’agit en fait de gros chaudrons de

cuivre où les flammes attaquent directement la paroi pour cuire le contenu. En 1830, les

43 savonneries de la ville possèdent 208 chaudières d’un poids moyen de 100 quintaux de

cuivre7. L’usage de cuves dont la partie inférieure est en fonte ou en tôle de fer ne semble

pas s’être développé.

8 Les informations disponibles sur le nombre et la fonction des chaudières à vapeur

utilisées par l’industrie marseillaise avant 1830 sont peu nombreuses. Les chaudières

calorifères ont d’abord servi à la fabrication de produits chimiques. Les dix fabriques de

soude marseillaises de 1819 en possèdent 38. La même année, six nouvelles sont en

construction8. La production d’acide sulfurique et celle des sucres raffinés demandent

également l’utilisation de chaudières calorifères. L’acide sulfurique prend naissance dans

les chambres de plomb grâce à l’injection de vapeur, et un processus du même type est

mis en œuvre pour l’obtention de la fleur de soufre. La savonnerie a suivi dès la fin des

années 1810, grâce à l’exemple offert par les frères Gède à La Ciotat et les Girard à Saint-

Victor. Les années 1820 voient l’apparition de ce type d’appareil dans le raffinage des

sucres. L’utilisation de la vapeur améliorant nettement la qualité des productions, le

nombre des chaudières employées par cette branche est certainement important. Au

total, l’usage de ces appareils semble avoir été assez répandu à Marseille dès la fin de la

Restauration. L’inquiétude du comte de Villeneuve, quand le ministre du Commerce

songe en 1828 à classer les chaudières calorifères dans les mêmes dispositions

d’autorisation que les machines à vapeur, sous-entend une utilisation massive de ces

35

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chaudières « qui sont aujourd’hui employées à la fabrication du sucre de betteraves, à la

teinture, à l’extraction de la soude, à la filature de soie, de branches d’industries fort

importantes qu’on risquerait peut-être d’entraver sans aucun avantage réel pour la

sûreté publique9 ».

Les brevets d’invention

9 Le souci de moderniser l’appareil productif se mesure aussi par l’étude des importations

et des dépôts de brevets d’invention. Les premières importations intéressantes

apparaissent à la fin de l’Empire essentiellement sous l’impulsion Elzéard Degrand10. Ce

mécanicien multiplie les achats dans des domaines très variés. En 1810, il importe le

brevet d’une machine à rayer les papiers, d’autres pour des mécaniques afin de pulvériser

les bois de teinture, de raser et de crépir les peaux. L’année suivante, Degrand fait

l’acquisition de brevets pour une presse à imprimer et pour un laminoir combiné avec

une fonderie.

10 Après le temps des importations vient celui des dépôts de brevets, signe d’une implication

plus grande de l’artisanat local. Ces inventions de mécaniciens marseillais ne sont

désignées que par de très courts libellés. Difficile donc de juger de la qualité de leurs

travaux. On peut toutefois penser qu’il s’agit pour l’essentiel de modifications de détails

ou d’ajustements à des particularismes locaux. Cette conclusion n’est pas une sous-

estimation mais plutôt un constat de l’importance des modifications de détails, bien

connue pour l’histoire des techniques. Elle souligne également les limites des

connaissances de ces hommes. Un exemple significatif est offert par le modèle de

chaudière calorifère élaboré par Elzéard Degrand pour la cuisson des sirops de sucre dans

les opérations de raffinage. L’appareil est en tout point identique à celui mis au point par

les Britanniques quelques années auparavant. La seule nouveauté, celle qui permet la

prise du brevet, est l’invention d’un système qui permet à la chaudière d’être basculée

pour la récolte des sirops11. Les réalisations techniques relèvent donc plus du savoir-faire

de praticiens que de réflexions scientifiques originales. La croissance de la demande de

biens de production est encore modeste et ne peut donc avoir que de faibles

répercussions sur l’industrie métallurgique et mécanique locale. Les machines, les

mécaniques et les pièces de métaux, surtout quand elles sont en fer ou en fonte, sont

encore fournies par les entreprises parisiennes et celles du Centre de la France. Marseille

a toutefois pris contact avec la vapeur par l’utilisation de chaudières calorifères et de

quelques machines à vapeur.

L’ARRIVÉE DES PREMIÈRES MACHINES À VAPEURFIXES

11 La machine à vapeur symbolise au mieux la modernité technique. A Marseille, la première

tentative d’installation est ancienne. Datant de la période pré-révolutionnaire, elle est

même très précoce. L’usage de la vapeur comme force motrice industrielle est encore rare

à cette époque, même en Grande-Bretagne. L’initiative en revient à Pierre Conte et se

développe quelques années avant la Révolution. À la fin des années 1770, l’académie de

Marseille publie le mémoire d’un dénommé Bernard concernant l’importante richesse de

la Provence en charbon12. Pierre Conte partage les vues de l’auteur et voit dans ce

charbon la future source d’énergie de l’industrie marseillaise. En 1779, il projette

36

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l’installation de six moulins à farine au Pharo13. Les meules devaient être actionnées par

une roue hydraulique, alimentée en eau de mer par une pompe à feu. Le projet est

important. La machine atmosphérique, à balancier et dont le cylindre a un diamètre de 40

pouces, est du type « Newcomen ». Le prix de l’appareil est élevé. Posée, la machine

revient à 18 950 livres. Les frais annuels de fonctionnement sont estimés à plus de 30 000

livres. Près de la moitié de la somme doit servir à l’approvisionnement en combustible

minéral. Pour des raisons obscures, l’entreprise n’aboutit pas malgré la construction des

bâtiments sur la plage du Pharo. On peut penser que l’homme d’affaires a eu des

difficultés à trouver les capitaux nécessaires à la réalisation de son projet. Pierre Conte

devait trouver des partenaires financiers pour réunir les 40 000 livres destinées à la

formation du capital de la société. Les risques ont sans doute dissuadé les actionnaires

potentiels. Les difficultés techniques que posaient l’installation de la machine et, surtout,

son fonctionnement avec de l’eau de mer rendaient l’opération hasardeuse14. Plus de

vingt années de silence suivent cette première tentative.

Les premières installations sous le Consulat et l’Empire

12 Il faut attendre les toutes premières années du XIXe siècle pour que les premières

machines atmosphériques apparaissent dans les Bouches-du-Rhône. Sous le Consulat et

l’Empire, des appareils d’épuisement type Newcomen sont installés dans des salines du

pourtour de l’étang de Berre. La Compagnie de Rassuen s’est lancée depuis 1801 dans

d’importants travaux pour extraire le sel des eaux de l’étang de Valduc. « C’est cette

compagnie qui la première a établi une pompe à feu dans le département des Bouches-du-

Rhône, et même dans toute la ci-devant Provence15 ». Mis en service en 1804, l’appareil

permet l’accélération du processus d’évaporation. Une seconde machine d’épuisement est

installée en 1806 pour l’exploitation des salines de l’étang de Citis16. Il faut attendre

encore cinq années pour que la première machine à vapeur motrice arrive dans le

département. Elle n’est toujours pas installée à Marseille, mais plus au nord, à Aix-en-

Provence, dans la filature de coton de Paillasson. Cette machine, à basse pression et d’une

force de huit chevaux, a été fabriquée dans les ateliers Martin, à Paris17.

13 À Marseille, le premier spécimen n’arrive qu’en 1818, année durant laquelle les frères

Barlatier et Pierre-Charles Armand installent un appareil à basse pression de huit

chevaux afin d’actionner les meules de leur minoterie située dans le faubourg du Bon

Pasteur18. A l’instar de l’initiative de Pierre Conte, l’opération est ambitieuse. Le moulin

doit traiter 225 hectolitres de blé par jour et fournir ainsi en farine l’équivalent du tiers

de la consommation de la ville19. Face à un tel investissement, les propriétaires exigent

des garanties des pouvoirs locaux en essayant d’obtenir « l’assurance qu’on ne

permettrait, pendant dix années dans la commune de Marseille, la construction d’aucun

établissement de ce genre autre que le leur ; la concession gratuite de trois deniers d’eau

de l’aqueduc public […] et enfin, qu’un peseur commissionné par la commune fût attaché

à leur établissement20 ». La Mairie de Marseille accepte les trois requêtes, mais le

ministère de l’Intérieur lui ordonne de n’accorder que la concession gratuite de l’eau. En

novembre 1819, une année seulement après sa mise en route, l’usine ferme ses portes.

Quelques mois avant, l’entreprise, en proie à de grandes difficultés, avait passé un contrat

avec le syndicat des boulangers et la mairie de Marseille pour augmenter le prix de la

mouture des charges de blé. Le préfet suspend la décision, ne pouvant accepter que

l’augmentation soit à la charge des consommateurs. Les propriétaires du moulin se

37

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retournent en justice contre la Mairie de Marseille pour le non-respect du contrat établi.

L’affaire dure près de dix ans. Entre-temps, le moulin à vapeur n’a pas pu reprendre ses

activités et ne les reprendra jamais.

Le retard marseillais face aux villes nord-méditerranéennes

14 Dans le bassin méditerranéen, d’autres villes ont devancé la cité phocéenne dans

l’application de la vapeur à des usages industriels. L’Italie a déjà connu plusieurs

réussites. À Turin, les premiers essais sur l’emploi de la vapeur sont menés en 180721. Ils

débouchent sur des initiatives plus audacieuses quelques années plus tard, mais celles-ci

n’ont pas lieu dans le Piémont. A Milan, en 1815, le comte Lambertenghi utilise la vapeur

pour sa filature de soie22. Dans le royaume des Deux-Siciles, l’abbé Giuseppe Conti est

parvenu à réaliser un prototype de machine d’épuisement dans la première moitié des

années 182023.

15 L’Espagne fait mieux. Au début du XIXe siècle, elle s’est déjà imposée comme le principal

utilisateur d’appareils à vapeur dans le nord de la Méditerranée. Plusieurs villes ibériques

se sont dotées de machines à vapeur dès la fin du XVIIIe siècle. Carthagène et La Carraca,

respectivement en 1773 et 1785, ont reçu les deux premières unités24. Il s’agit de pompes à

feu, à pression atmosphérique. Entre 1790 et 1799, les mines de mercure d’Almaden

s’équipent d’une machine à vapeur simple effet pour l’exhaure des eaux. Cet appareil

aurait été construit par Agustin de Béthancourt, l’homme qui avait dérobé à James Watt

le secret de la fabrication de sa machine à vapeur en observant les installations d’Albion

Mills25. Mais ce sont surtout les villes de l’extrême sud de l’Espagne qui se révèlent à la

tête du progrès dans l’introduction de l’énergie vapeur. En 1800, Cadix compte cinq

machines à vapeur double effet. Deux d’entre elles ont directement été fournies, en 1789,

par l’entreprise Boulton & Watt26. Les trois autres ont été vendues par le constructeur

« pirate » John Wilkinson27. Séville a suivi le mouvement. La tannerie du Britannique

Nathan Wetherell s’équipe d’une machine double effet d’une puissance de huit chevaux

en 179528. A l’orée du XIXe siècle, la situation de la basse Andalousie est remarquable non

seulement pour le bassin méditerranéen mais aussi pour l’ensemble de l’Europe

continentale. L’Espagne se distingue également par ses initiatives dans la construction de

machines à vapeur. En 1805, à Barcelone, Francesc Santpons, directeur de section de la

Reial Acadèmia de Ciènces Naturals i Arts, fabrique trois machines à vapeur dont une de

petite puissance installée dans la filature de Jacint Ramon et destinée à amener l’eau pour

les roues hydrauliques actionnant des métiers à tisser29. Face à l’impressionnant tableau

espagnol, Marseille accuse un retard certain.

Le timide démarrage des années 1820

16 Les industriels phocéens achètent relativement peu de machines sous la Restauration.

L’écart entre Marseille et les villes espagnoles se réduit toutefois de manière progressive.

Après l’apparition des premières machines en 1804-1811 et la fondation de la minoterie à

vapeur du faubourg du Bon Pasteur en 1818, les documents font apparaître cinq nouvelles

installations de machines à vapeur dans les Bouches-du-Rhône30. La première d’entre elles

a eu lieu à La Ciotat, les trois suivantes à Marseille, la dernière de nouveau aux abords de

l’étang de Berre : une machine à basse pression pour la filature de coton de Laurent Masse

en 1824 ; une anglaise en 1825 d’une force de 20 chevaux pour la minoterie des frères

38

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Barré ; une, la même année, sortie des ateliers de Chaillot pour la minoterie d’Emmanuel

Marliani ; une, en 1827, d’origine et d’utilisation inconnues, à basse pression et d’une

force de douze chevaux ; la dernière, enfin, en 1830, de dix chevaux installée pour

l’épuisement des mines de lignite de la concession des Martigues31. Au moins huit

machines ont donc fonctionné dans le département sous la Restauration. Trois autres

installations d’appareils sont signalées par d’autres documents. Les services de la

préfecture font état de deux demandes d’autorisation à Marseille en 1824 et 1827. La

première concerne une teinturerie rue Sylvabelle. La seconde demande est formulée par

Paillasson, pour sa filature de coton d’Aix, afin de remplacer sa « vieille machine à feu et à

basse pression de huit chevaux par une machine d’une force doublée et à haute pression32

». Paul Masson a également noté la présence, en 1819, d’un appareil moteur dans une

filature de soie de Brest à Roquevaire33. Aucun document n’est venu confirmer

l’installation effective de ces trois machines. Comme les autres régions du sud de

l’Europe, la Provence n’est pas encore prête pour l’adoption massive de l’énergie vapeur.

Les cas de l’Andalousie et de la Catalogne sont révélateurs de cette « immaturité »

économique.

17 À Séville, les installations des premières machines à usage industriel et l’apparition de la

navigation à vapeur ont suscité quelques initiatives en amont. Des industriels misent sur

la modernisation continue des entreprises andalouses. En 1818, Juan Wetherell, fils du

tanneur anglais installé depuis longtemps dans le sud de l’Espagne, forme avec deux

associés britanniques une société pour la fabrication de pièces de fer coulé et de cuivre

laminé, pour la réparation des chaudières et des machines motrices34. Cette entreprise ne

connaît pas de succès. Après 1800, le nombre de machines à vapeur fonctionnant en

Andalousie augmente peu. À Barcelone, la fabrication et l’installation de machines

restent, après les travaux de Santpons, inexistantes jusqu’aux années 1830. La

modernisation des entreprises par l’adoption de nouveaux biens d’équipement ne

commence qu’en 1832, date de l’installation d’un appareil à vapeur de trente chevaux

dans l’usine textile de Bonaplata35. La construction de machines ne semble avoir débuté

qu’en 1837 avec les travaux effectués par les ateliers d’El Nuevo Vulcano, filiale de la

Compañia Catalana de Navegación36. Durant le premier tiers du XIXe siècle, les marchés sont

alors trop étroits pour rentabiliser le remplacement des biens de production

traditionnels. La même situation se retrouve dans le royaume de Piémont-Sardaigne.

C’est seulement en 1840 que les premières machines à vapeur piémontaises sortent des

ateliers des frères Benech, deux anciens élèves de l’école de Châlons-sur-Marne37. À

Marseille, le niveau de développement industriel de la ville n’exige pas encore

d’importants investissements dans des moyens de production modernes. L’énergie

hydraulique, éolienne et même les manèges à traction animale suffisent à la fabrication

des huiles ou des farines. Les entrepreneurs sont peu favorables à la modernisation,

d’autant que dans les années 1820 « l’investissement dans la machine à vapeur représente

une valeur qui peut varier de 10 à près de 30 % de la valeur de l’entreprise38 ». Seule la

minoterie, grâce au système de l’entrepôt, et le secteur du textile ont connu un essor

suffisant pour justifier l’application de la machine à vapeur. Pour le reste, il s’agit de cas

isolés. Le moment de l’adoption systématique de l’énergie vapeur n’est pas encore venu.

Pourtant, même si elle est peu importante, la présence de ces machines est déterminante

pour la future industrie de construction mécanique de la ville. L’acquisition de la

technologie de la vapeur par les artisans marseillais est facilitée par la présence de ces

unités. Les machinistes, les forgerons et les chaudronniers ont à portée de main ces

39

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machines dont ils peuvent observer les moindres détails. Ces hommes pourront mettre en

pratique le schéma classique d’apprentissage : réparation de pièces défectueuses, copies

de machines de plus en plus élaborées et, enfin, apports personnels dans des

constructions originales.

UNE LACUNE IMPORTANTE : LA NAVIGATION ÀVAPEUR

18 Si Marseille a rattrapé son retard sur ses voisines méditerranéennes dans le domaine de

l’importation de machines à vapeur industrielles, l’application de cette technologie aux

moyens de transport reste absente en Provence sous la Restauration. Si la situation est

compréhensible pour les chemins de fer – les voies ferrées sont encore inexistantes en

Europe méditerranéenne –, celle de la navigation à vapeur est, en revanche, des plus

préoccupantes.

Une nouvelle fois, un profond retard

19 Au cours des années 1820, la chambre de commerce avait envisagé l’achat de

remorqueurs à vapeur pour lutter contre l’encombrement du Vieux-Port. La première

tentative date de septembre 1827 quand le sieur Plantin, homme d’affaires résidant à

Marseille, soumet à l’approbation de la chambre de commerce un projet d’établissement

dans le port d’un service de remorqueurs à vapeur au nom d’une compagnie anonyme

dont il est l’agent39. Cette compagnie s’engage à mettre en service au moins deux bateaux

munis de machines d’au moins 40 chevaux. La chambre approuve rapidement le projet

mais, sans que l’on puisse en connaître les raisons, celui-ci ne prendra pas forme. En 1829,

deux nouveaux projets de navigation à vapeur font leur apparition. Ils sont plus

ambitieux puisque la haute mer est maintenant visée. La première initiative est celle des

frères Aynard, deux Lyonnais qui ont acquis une bonne expérience dans la navigation sur

la Saône et le Rhône40. Associés à des négociants marseillais, les Salavy, ils pensent établir

un important service de lignes en Méditerranée41. L’entreprise ne prit jamais l’ampleur

désirée par les promoteurs du projet. L’offre paraissait pourtant alléchante. La chambre

de commerce de Marseille était même disposée à y placer des fonds, mais le ministre

Saint Cricq s’y était opposé en expliquant que les capitaux dont elle disposait n’avaient

pas à « être employés dans une spéculation de particuliers, quel qu’en soit le but42 ». Un

seul navire fut finalement affecté à la compagnie en 1831. Le second projet, mené par

André Ferrier & cie, connaît encore moins de réussite et ne débouche sur aucune

réalisation.

20 Face à la nécessité d’engager d’importantes sommes d’argent, les armateurs marseillais

hésitent. L’investissement pour faire l’acquisition d’un vapeur, même de seconde main,

est encore très lourd. Le Real Ferdinando, navire italien mis en vente en août 1827, est

estimé à 25 0000 francs43. La chambre de commerce de Marseille se charge d’annoncer la

nouvelle, mais aucune société de navigation ne manifeste un intérêt pour l’acheter. A

l’apport initial, déjà dissuasif, engendré par l’achat de navires, il faut ajouter les frais de

réparation et surtout de fonctionnement. La crainte des armateurs marseillais d’investir

dans des lignes de navigation à vapeur se mesure aisément. Les comptes d’exploitation

des deux vapeurs de la Compagnie Bazin qui effectuent la liaison entre Marseille et les

ports italiens à partir de 1831 révèlent que les dépenses s’élèvent à plus de 11 0000 francs

40

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pour le second trimestre 1831 (seize voyages aller-retour)44. Les achats de combustible

représentent plus du tiers de la somme45. Durant les quinze années de la Restauration,

aucun bateau à vapeur ne sera attaché au port de Marseille. La ville se contente de

regarder les remarquables progrès effectués par Gênes, Naples et Séville.

L’avance des ports italiens et espagnols

21 Si le sud de l’Espagne a montré la voie dans l’introduction des machines fixes, ce sont les

États italiens qui vont initier le sud de l’Europe à la navigation à vapeur. Le premier

vapeur utilisé par un pays méditerranéen est toutefois sévillan. Son utilité est d’une

importance limitée puisqu’il ne sert qu’à la navigation fluviale. La Compañía de Navegación

del Guadalquivir en est le propriétaire. Ce navire, le Real Fernando, effectue des voyages

entre Séville et Cadix à partir de juin 181746. Parmi les directeurs de la compagnie on

retrouve Nathan Wetherell, l’industriel anglais qui avait équipé vingt ans plus tôt sa

tannerie de Séville d’une machine à vapeur. Le Britannique, encore en relations avec de

nombreux entrepreneurs de sa nationalité, est chargé de l’achat de l’appareil moteur en

Angleterre, peut-être à la société Gregg & Hodson de Manchester47. La navigation à

vapeur sur le Guadalquivir connaît un franc succès. Sur la même ligne, la Compañia de

Navegación del Guadalquivir lance, en 1818, un autre navire, l’Infante don Carlos propulsé par

une machine de vingt chevaux, et cinq années plus tard, un troisième (l’Hernán Cortés)48.

Une seconde compagnie de navigation a même été créée en 1823. Dans ce domaine de la

navigation fluviale, le duché de Lombardie-Vénétie a rapidement suivi l’exemple. En 1819,

l’Eridano est mis en service par un groupe d’hommes d’affaires milanais pour relier Venise

à Pavie49. Tout au début des années, la société du britannique Allen effectue la liaison

entre Venise et Trieste, au moyen d’un petit vapeur, le Carolina.

22 L’établissement des premières lignes de navigation à vapeur de haute mer s’effectue

parallèlement. Le premier bateau de ce type à prendre son service en Méditerranée est le

Ferdinando I. Attaché au port de Naples et muni d’une machine de 50 chevaux, le navire

effectue son premier voyage en 1818. Il a été construit, coque et machine, en Angleterre50.

L’idée venait de Pierre Andriel, un capitaine au long cours montpelliérain, qui avait

trouvé le soutien du roi Ferdinand Ier et de l’aristocratie napolitaine. Le royaume des

Deux-Siciles développe sa flotte dans les années 1820. Le roi subventionne la société

Paccheti a Vapore delle Due Sicile qui se constitue à Naples en 1823. Cette société n’exploite

au départ qu’un seul bâtiment, le Real Ferdinano. Deux années plus tard, elle trouve des

actionnaires à Marseille et arme deux autres navires, le Francesco I et le Columbo. Avec ses

nouveaux moyens, cette société met sur pied la première ligne régulière reliant le port

phocéen à Naples, Livourne et Gênes51. La même année, toujours dans la même ville, se

fonde la première société italienne de navigation avec des capitaux entièrement privés, la

Sicard, Benucci e Pizzardi. Le royaume de Piémont-Sardaigne suit le mouvement avec

notamment, en 1830, la création d’une importante société de navigation à vapeur, la

Società Sarda52. Entre-temps, l’Espagne est entrée dans la navigation de haute mer. En

1825, la Compañia de Navegación del Guadalquivir relie Cadix à Barcelone avec le Reina Amalia53.

23 À la fin des années 1820, une grande partie des ports sud-européens possèdent au moins

un navire à vapeur. Le port de Marseille est en retard. Quelques hommes d’affaires

phocéens ont investi des fonds dans l’affaire italienne du Real Ferdinando en 182554, mais la

situation n’évolue pas. À la différence des États italiens, les armateurs locaux ne peuvent

41

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pas compter sur un soutien financier de l’État. L’absence de compagnies de navigation à

vapeur à Marseille se répercute sur les types de production des chantiers de la région.

Ceux de Marseille ou des environs ne construisent pas de navires à vapeur avant 1836. Les

Espagnols et surtout les Italiens ont déjà acquis en ce domaine une certaine expérience.

Le premier navire à vapeur fabriqué dans le bassin méditerranéen est le Real Fernando. La

coque est l’œuvre des chantiers sévillans de Los Remedios de Triana. L’appareil est

britannique. Il est amené en Andalousie en 1816 avec un ingénieur anglais, Smith, chargé

de son installation55. Malgré cette réussite, les chantiers navals espagnols cessent de

construire des vapeurs pendant une vingtaine d’années. L’expérience italienne est plus

complète et plus durable. À Naples, la construction du Ferdinando I, en 1817, est une

double nouveauté. Il s’agit du premier vapeur italien et méditerranéen de haute mer. Les

progrès vont se poursuivre dans le royaume des Deux-Siciles. En 1834, les chantiers

napolitains de Castellamare sont capables de construire trois corvettes à vapeur avec des

machines anglaises de 300 chevaux. Les chantiers génois se montrent aussi entreprenants

et s’affirment en 1830 comme le principal centre de construction de navires à vapeur avec

La Seyne, dans le Var. En une dizaine d’années, ils ont monté plusieurs machines

anglaises sur des coques sorties de leurs ateliers56. La première réalisation est l’Eridano57.

Effectuée en 1819, cette construction est également précoce. Ce navire muni de roues à

aubes, réalisé dans les chantiers de Foce, a été conçu par des constructeurs génois avec

l’aide de techniciens britanniques délégués en Italie par l’entreprise de Boulton & Watt.

En 1830, les chantiers de Recco construisent trois navires à vapeur. D’autres chantiers

italiens vont rapidement se lancer dans ce type de production. À Venise, on réalise le

Carlo Felice, vapeur acquis par le royaume de Piémont-Sardaigne en 1829.

Le dynamisme des chantiers voisins de La Seyne

24 Si des chantiers de constructions navales pour la navigation à vapeur n’ont pas pu

s’établir à Marseille, la Provence a déjà connu une réussite en ce domaine avec les

chantiers varois de La Seyne. Créés en 1818 par l’Américain Edward Church, ils ont

commencé la construction de navires à vapeur dès leur première année de

fonctionnement avec la réalisation d’un petit bateau de 50 chevaux, le Triton, chargé de

relier Le Havre à Honfleur58. Aidée de trois collaborateurs britanniques (Barnes et les

frères Evans), l’entreprise de La Seyne acquiert sous la Restauration une réputation

grandissante dans le secteur de la navigation fluviale. « C’est grâce à Church que les

acquisitions de la technique américaine, la plus développée alors en matière de bateaux à

vapeur, vont pénétrer en France59 ». Les commandes affluent sous l’influence de Church,

qui a joué un grand rôle dans l’établissement des compagnies de navigation sur la Saône

et le Rhône. En 1829, les chantiers prennent de l’ampleur et sont capables de construire

simultanément quatre vapeurs de 50 chevaux destinés à la Compagnie de navigation sur

le Rhône60. L’entreprise d’Edward Church se borne à fabriquer les coques. Comme en Italie

et en Espagne, les machines sont anglaises. Elles sont principalement fournies par la firme

londonienne Barnes & Miller61. Le port de Marseille ne possède ses premiers vapeurs

qu’au tout début de la monarchie de Juillet. En 1830, les Bazin, négociants d’origine suisse,

décident de créer une ligne de navigation à vapeur à destination de l’Italie. La réalisation

des deux navires ne peut être assumée par les chantiers marseillais ou ciotadins. Elle est

confiée aux chantiers d’Edward Church. D’étroites relations s’établissent ainsi entre

Marseille et La Seyne pour la navigation à vapeur.

42

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***

25 Marseille participe de manière marginale au mouvement d’apprentissage de la modernité

technologique qui touche pourtant d’une façon sensible plusieurs villes de l’espace

méditerranéen. Les résultats sont médiocres dans l’industrie. Ils se cantonnent dans de

modestes proportions, ne modifient guère la physionomie générale des activités et des

structures de production mais ont toutefois le mérite d’exister. Par son apparition si

tardive, la navigation à vapeur pose un problème plus important. Bien avant les

armateurs phocéens, des Italiens et des Espagnols se sont lancés dans l’aventure de la

vapeur. Le port de Marseille risque de perdre sa domination commerciale en

Méditerranée. Au total, cet ensemble de modifications technologiques n’est pas

susceptible d’entraîner des effets en amont. L’industrie de la métallurgie et de la

construction mécanique ne peut se développer sur des bases si limitées. Il n’est pourtant

pas sûr que la situation soit l’amorce d’un retard irréversible. La lenteur des maturations

et l’indigence des marchés peuvent expliquer la timidité des initiatives marseillaises.

NOTES

1. EDBdR, t. IX, 1914, p. 23 et AN F 14 3829.

2. SBdR, t. IV, p. 608 et 762.

3. Ibid.

4. BOSQ P., Marseille et le Midi…, op. cit., p. 55.

5. Le Moniteur universel, 10 novembre 1818.

6. ACCM MP 3011.

7. BOSQ P., Marseille et le Midi…, op. cit., p. 15.

8. ADBdR 6 M 27.

9. ACCM MP 3621.

10. SBdR, t. IV, p. 808-809.

11. VILLENEUVE H. DE, « Des appareils… », art. cit.

12. BERNARD, « Les avantages et les inconvénients de l’emploi de charbon de pierre… », dans

Recueil de l’académie de Marseille, Marseille, 1779-1780.

13. CONTE P., Vues utiles…, op. cit.

14. En 1783, la Compagnie des moulins à vapeur de Nîmes, dirigée par l’abbé d’Arnal, met en

marche une minoterie à vapeur (Ballot C, L’Introduction du machinisme dans l’industrie française,

Paris, 1923 et Payen J., Capital et machine à vapeur au XVIIIe siècle, Paris, 1969, p. 122). La similitude

de l’objet et la formation d’une société au capital identique laissent à penser que l’abbé d’Arnal

connaissait le projet de Pierre Conte et s’en est fortement inspiré.

15. ADBdR VIII S 6/1.

16. Ibid., et 187 U 6, Acte n° 153.

17. ACM 23 F 31.

18. BOSQ P., Marseille et le Midi…, op. cit., p. 148.

19. Le Moniteur Universel, 10 novembre 1818.

43

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20. Pour l’histoire du moulin Armand & Barlatier, cf. ACM 67 O 1.

21. MORANDI R., Storia della grande industria in Italia, Turin, 1966, p. 70-71.

22. CAIZZI B., L’economia lombarda durante la Restaurazione, Milan, 1972, p. 160.

23. Il reçoit pour cette fabrication une médaille d’or lors de l’Exposition de Naples en 1824 (cf. DE

ROSA L., Iniziativa e capitale…, op. cit., p. 14.

24. FERNANDEZ PEREZ J., GONZALEZ TASCON I., Descripcion de las màquinas del Real Gabinete, Madrid,

1991, p. 55 et sq.

25. Béthancourt avait été envoyé en Angleterre en 1789 par le Cabinet des machines de Madrid.

L’ingénieur de Tenerife, à son retour, a présenté ses observations à Paris. Les frères Périer ont pu

construire, grâce à ces renseignements la première machine Watt sur le continent (cf. PAYEN J.,

Capital et machine à vapeur au XVIIIe, Paris, p. 169 ; BOGLIUBOV A., Un hèroe espanol del progreso :

Agustin Béthancourt, Madrid, 1973 et NADAL J., El fracaso…, op. cit., p. 123).

26. Cf. NADAL J., Moler…, op. cit., p. 55.

27. La firme Boulton & Watt détient un brevet d’exclusivité jusqu’en 1799. Les deux hommes

parviennent à faire respecter leurs droits en Grande-Bretagne. Le contrôle des ventes de copies à

l’étranger est beaucoup plus délicat.

28. TANN J., BRECKIN M.-J., « The International Diffusion of the Watt Engine, 1775-1825 », The

Economic History Review, 1979, p. 561.

29. GARRABOU R., Enginyers industrials…, op. cit., p. 23.

30. Pour les installations, cf. AN F 14 4233, ACM 23 F 31 et ADBdR XIV M 12/179.

31. ADBdR VII S 6/5.

32. ADBdR XIV M 12/179.

33. EDBdR, t. IX, p. 4.

34. ALVAREZ PANTOJA M. J., « Los origenes de la industrializaciôn sevillana. Las primeras máquinas

de vapor (1780-1835) », dans Andalucia Contemporànea (siglos XIX y XX). Actas del I Congreso de Historia

de Andalucia, Cordoue, 1979, t. I, p. 16-17.

35. FIGUEROLA L., Estadistica de Barcelona en 1849, Barcelone, 1849, p. 162.

36. L’atelier possédait une machine de cinq chevaux de puissance, fabriquée par ses propres

soins. Elle portait l’inscription « La primera de España ». Cf. GARRABOU, Enginyers…, op. cit., p. 162 et

CABANA F., Fabriques i empresaris. Els protagonistes de la Revolució Industrial a Catalunya. I :

Metal.lurgics i quimics, Barcelone, 1992, p. 51.

37. GIULIO C. L, Guidizio délia R. Caméra di Agricultura e di Commercio di Torino e notizie sulla patria

industria, Turin, 1844, p. 385.

38. Une machine de dix chevaux coûte entre 30 et 35 000 francs, une de trente entre 50 et 55 000

francs. Cf. DÉMIER F., « Nation, marché… », op. cit., t. III, p. 1990-1991.

39. ACCM, Registre des délibérations de la CCM n° 20, Bureau du 25 septembre 1827.

40. RIVET F., La navigation à vapeur sur la Saône et le Rhône, 1783-1863, Paris, 1962, p. 91-95.

41. La société prévoyait l’utilisation de cinq bateaux à vapeur (cf. SM, 9 avril 1829).

42. ACCM MR 44628.

43. ACCM, Registre des délibérations de la CCM, n° 20, Bureau du 10 août 1827. Le prix d’un

appareil de 80 chevaux, transporté de Paris à Marseille et placé sur un navire, est de 130 000

francs (Service de paquebots à vapeur sur la Méditerranée, Marseille, 1829, p. 7).

44. PAYEN J., « La technologie de l’énergie vapeur en France dans la première moitié du XIXe

siècle », thèse de doctorat d’État, université Paris I, 1972, t. II, p. 74. En 1832, la consommation

journalière d’un navire de 160 chevaux est de 845 francs (BAUDE J. J., « La navigation à vapeur

dans la Méditerranée », Annales maritimes, 1832, p. 5).

45. PAYEN J., « La technologie… », op. cit., t. II, p. 74.

46. Alvarez Pantoja M. J., « Los origenes… », art. cit., p. 10-11 et du même auteur Compañias de

navegaciôn y barcos de vapor a El Rio. El bajo Guadalquivir, Madrid, 1965.

44

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47. Cf. ALVAREZ PANTOJA M. J., « Nathan Wetherell, un industrial inglés en la Sevilla del antiguo

regimen », Moneda y Crédito, 1977, n° 143, p. 133-186.

48. ALVAREZ PANTOJA M. J., « Los origenes… », art. cit., p. 12-13.

49. GROPALLO T., Navi a vapore ed armamenti italiani dall 1818 ai giorni nostri, Cuneo, 1958, p. 23.

50. Le Mémorial encyclopédique, n° 52, avril 1835, p. 210.

51. ALBERTI G., « La vita economica a Napoli nella prima metà dell’ottocento » dans Storia di Napoli,

Naples, t. IX p. 604 et EDBdR, t. IX, p. 32b.

52. Sauf précision, les renseignements pour Naples et Gênes sont extraits de « Nave » dans

Enciclopedia italiana di scienze, lettere ed arti, Rome, XIII, 1934, p. 365.

53. ALVAREZ PANTOJA M. J., « Los origenes… », art. cit., p. 12.

54. MIN, t. II, p. 352.

55. ALAVAREZ PANTOJA M. J., « Los origenes… », art. cit.

56. MARCHESE U., L’industria ligure delle costruzioni navali dal 1816 al 1859, Turin, 1957, p. 35.

57. ABRATE M., L’industria siderurgica e meccanica in Piemonte dal 1831 al 1861, Turin, 1961, p. 188.

58. CONSTANT E., « Le département du Var sous le second Empire et au début de la Troisième

République », thèse de doctorat, université de Provence, 1977, t. I, p. 300-301.

59. PAYEN J., « La technologie… », op. cit., t. II, p. 53.

60. Association Sillages, I : Les Pionniers, op. cit., p. 141.

61. CNAMS 92 et 96.

45

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Chapitre III. Le dynamisme del’artisanat

1 Au tout début du XIXe siècle, la métallurgie est un secteur d’activité très marginal à

Marseille. La ville a un passé médiocre dans le travail des métaux et se trouve frappée par

des handicaps difficilement surmontables. Le sous-sol de la région est pauvre en minerais

et le bois nécessaire à la production de fonte est rare. Le débit des rivières est peu

important, voire inexistant durant les mois d’été. Il est incapable d’offrir une force

motrice suffisante aux forges ou martinets. Enfin et surtout, la demande en produits

métallurgiques reste très faible. Les divers types de métaux ont des niveaux d’importance

très différents. Depuis toujours, le fer et le cuivre se travaillent peu. Pour les produits

fabriqués à partir de ces métaux, Marseille se fournit à l’extérieur de son territoire, en

France ou à l’étranger. Seul le plomb a une histoire plus consistante. Il a donné naissance

à un commerce actif sous l’Ancien Régime. Une industrie de la grenaille est apparue à la

fin du XVIIe siècle et l’artisanat local est parvenu à acquérir en ce domaine un savoir-faire

reconnu. Si faible soit-elle, la métallurgie marseillaise existe. Ce n’est pas le cas de la

construction mécanique, absente à Marseille avant la première décennie du XIXe siècle,

même au niveau artisanal le plus élémentaire. Il faut attendre l’Empire pour trouver

mention des premiers mécaniciens et voir l’apparition d’une classe de machinistes,

artisans véritablement spécialisés dans la construction de « mécaniques » en bois.

2 Les changements intervenus dans l’industrie sous l’Empire et la Restauration n’ont pas

provoqué une demande suffisante en biens d’équipement pour entraîner une mutation de

l’artisanat métallurgique et mécanique. Cela ne signifie pas qu’il faille d’emblée conclure

à l’immobilisme. Aussi mince soit-elle, la métallurgie possède une dynamique propre dont

il est important d’apprécier les limites et les virtualités. Par ailleurs, même s’ils sont

modestes, les changements qui se sont opérés dans l’industrie suscitent des besoins et

sont donc un appel à l’apparition d’un premier artisanat spécialisé. Ce chapitre n’est donc

nullement l’étude d’un démarrage mais vise à voir comment des évolutions prometteuses

peuvent se poursuivre ou surgir dans des structures très traditionnelles.

46

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L’INDUSTRIE DU PLOMB

3 En 1829, dans les Bouches-du-Rhône, l’artisanat du fer dépasse celui des non-ferreux par

la valeur de sa production1. Le chiffre est toutefois trompeur. Si l’on prend en

considération la valeur ajoutée par les travaux, il faut inverser l’ordre du classement. La

fabrication des produits en fer est le plus souvent basée sur l’assemblage de pièces

importées, déjà mises en forme. Pour les non-ferreux, le travail est plus complet. Les

opérations de fonte de métaux bruts fournissent une plus-value bien supérieure. Parmi

les non-ferreux, l’industrie du plomb occupe une place dominante, mais elle se

caractérise par des structures vieillissantes, un matériel traditionnel et un éventail de

fabrications limité. Le cas marseillais est un exemple significatif d’une situation qui

touche plus largement l’ensemble du sud de l’Europe. Durant le premier tiers du XIXe

siècle, l’industrie du plomb n’a connu que peu de modifications dans cet espace. Le

traitement des minerais ainsi que les opérations de deuxième fusion s’effectuent dans de

petits ateliers imperméables au changement technique. Seuls quelques entrepreneurs

andalous, poussés par la richesse du sous-sol espagnol, se sont lancés dans une initiative

d’importance. En 1822, des commerçants de Malaga montent une fonderie à Adra, près

d’Almeria, pour exploiter les galènes de la Sierra de Gador2. Les vieux fours castillans sont

rapidement remplacés par de nouveaux modèles de conception anglaise. En 1827, une

machine à vapeur est même installée dans les ateliers. Hors de cette zone, les activités de

type artisanal dominent.

Une vieille tradition

4 À la fin de l’Ancien Régime, le commerce du plomb a déjà une longue histoire à Marseille3.

Entre le dernier tiers du XVIIe siècle et la période révolutionnaire, la ville a occupé une

place importante dans la redistribution des plombs britanniques en Méditerranée. Les

guerres de la Révolution et de l’Empire ont constitué une période de rupture. Par manque

d’approvisionnement, Marseille perd en une trentaine d’années le contrôle de ce

commerce. Sous le règne de Louis XVIII, la ville n’est pas parvenue à retrouver la place

acquise sous l’Ancien Régime. Les Anglais se passent désormais d’intermédiaires. Ils

approvisionnent directement les pays méditerranéens tels que l’Italie ou la Turquie.

5 Lentement, les mutations du premier tiers du XIXe siècle vont toutefois permettre à

Marseille de constituer un secteur artisanal de fabrication de produits plombifères. Les

progrès de l’industrie et de l’urbanisme ont amené un usage croissant du plomb. Le métal

sert à la fabrication des tuyaux pour la distribution des eaux ou du gaz. Ce type

d’application à des usages domestiques ne va toutefois connaître qu’une expansion

limitée. L’utilisation du plomb subit progressivement la concurrence du cuivre. Au début

de la Restauration, le principal secteur de consommation de ce métal est l’industrie

chimique. Deux types de fabrication emploient des quantités croissantes de plomb : le

blanc de plomb et l’alun (produits liés à la coloration des textiles). Les effets

d’entraînement sur l’artisanat métallurgique sont pourtant minimes. L’industrie

métallurgique ne traite pas le minerai de plomb. Les tentatives d’exploitation de

gisements provençaux sont rares. Bien que soutenues par la perspective du marché

marseillais de l’industrie chimique, elles ne trouvent jamais de concrétisation. Les

négociants phocéens n’ont pas encore établi de réseaux commerciaux pouvant amener

47

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vers leur port les minerais espagnols ou italiens. Les plombs bruts sont donc achetés en

France ou à l’étranger. Dans le secteur chimique, seule la fabrication de l’acide sulfurique

est susceptible de donner du travail aux ateliers locaux, qui ne pratiquent qu’une mise en

forme de produits semi-finis. Elle demande en effet l’emploi de nombreux tuyaux de

plomb.

Deux productions dominantes : les tuyaux et la grenaille

6 En 1828, la liste des produits en plomb issus des ateliers marseillais est longue (« ...tuyaux,

plomb de pêche, plomb coulé pour la marine, balles, lingots pour stampettes, plomb de

douane et autres emplois pour sceller les fers, contrepoids de balance... ») mais les

quantités fabriquées sont dérisoires. Dans cet ensemble, deux productions se distinguent :

les tuyaux et la grenaille. La fabrication de la grenaille, vieille de plus d’un siècle, reste la

principale activité de la petite métallurgie du plomb. Ce secteur est parvenu à effacer la

concurrence des producteurs montpelliérains. « Pendant quelque temps les fabricans de

Marseille ont livré leurs produits sans bénéfice pour obtenir ce résultat ». La confection

de la grenaille connaît peu de bouleversement sous la Restauration. Les procédés et les

niveaux de production n’évoluent guère jusqu’en 1829. A cette date, 4 000 quintaux de

grenaille sortent des ateliers. « Le département consomme environ un sixième des

produits ; le reste est expédié dans l’intérieur, en Corse, dans les Colonies et en Italie. »

7 La fabrication de tuyaux de plomb a débuté à Marseille dès les débuts de l’Empire sous

l’impulsion de Léonard Cavallier. L’entreprise acquiert rapidement une bonne réputation.

Elle est récompensée lors des expositions de l’industrie française de 1819 et 1823 pour sa

fabrication des tuyaux de plomb sans soudure. L’établissement a pris de l’ampleur. Ses

locaux deviennent trop étroits. En 1819, Léonard Cavallier transfère son usine du

boulevard du Muy vers le bas Canet4.

Le développement de la fin des années 1820

8 La situation de l’industrie marseillaise du plomb se modifie à l’extrême fin de la

Restauration. En seulement deux années, la fabrication de la grenaille connaît un essor

important. En 1829, les six ateliers ont une production annuelle totale de 4 000 quintaux.

En 1831, le chiffre a plus que triplé et passe à 14 000. Les exportations vers l’Italie se

développent. La Statistique explique ce développement par deux facteurs. Le premier

trouve son origine dans « ...le perfectionnement des procédés, qui a réduit à 2 francs 50

pour 100 kilos les frais de fabrications qui étaient autrefois beaucoup plus élevés ». La

documentation n’a pas permis de déterminer la nature de ces perfectionnements. La

seconde cause paraît bien plus importante. Les plombs importés de l’étranger sont

lourdement taxés à leur arrivée sur le territoire français. La loi d’avril 1816 impose cinq

francs de droits de douane par quintal pour les navires français, sept francs pour les

navires de pavillon étranger. Le problème est clairement énoncé par les fabricants

marseillais5. Les coûts de production s’en trouvent augmentés de manière notable. Les

marchés locaux et même nationaux, protégés de la concurrence étrangère, ont peu à

souffrir de la situation. Cela pose en revanche un obstacle majeur aux possibilités

d’exportations en Méditerranée. Avec un approvisionnement en matières premières aussi

coûteux, les Marseillais ne peuvent rivaliser avec leurs concurrents britanniques. En 1820,

une pétition des fabricants de grenailles et de plomb laminé révèle l’étendue du problème

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causé par le tarif douanier : « [...] il présente [...] une augmentation d’environ 14 % sur la

valeur réelle des plombs. Il est donc bien évident que si le fabrican envoie les plombs

ouvrés à l’étranger, grevés de ces 14 % de plus, il ne peut soutenir la concurrence avec les

autres nations qui, dégagées de toute espèce de droit, peuvent donner à un prix inférieur

de ces 14 %6. » Dans cette lettre, les fabricants marseillais demandent le remboursement

des droits d’entrée des plombs étrangers et des primes à l’exportation. Ils essuient un

refus du Bureau du Commerce, qui doute de la réalité des exportations7. Leur requête ne

trouve une issue favorable que neuf années plus tard. En 1829, l’État « accorde une prime

de 5 francs 50 par quintal métrique à la sortie ».

9 Le traitement des minerais de plomb n’est pas encore établi à Marseille, mais les

productions grandissent et certaines activités font leur apparition. Néanmoins, le

laminage est presque inexistant avant l’établissement de la monarchie de Juillet. Charles

Duterreault semble avoir été le premier entrepreneur marseillais à s’orienter vers cette

spécialité en demandant l’autorisation d’ouverture d’un « atelier de fonte et de laminage

du plomb » rue Périer en 18208. L’absence de documents sur le fonctionnement de cet

atelier laisse supposer que l’entreprise n’a pas pratiqué ce type d’activités. Le témoignage

du comte de Villeneuve peut confirmer cette hypothèse. En 1829, le Préfet déclare en

effet qu’« aucun atelier de laminage n’est établi dans le département. Les feuilles de

plomb, de cuivre et de zinc sont tirées des départements de l’intérieur ». Il faut attendre

1830 pour que Fouilloux aîné, fondateur d’une fabrique de grenaille l’année précédente,

s’engage dans la fabrication de plomb laminé.

LE TRAVAIL DU CUIVRE

10 L’utilité de travailler le cuivre et les opportunités que cette activité peut offrir à

l’industrie locale ont été soulignées par Pierre Conte quelques années avant la

Révolution :

« Nous recevons dans nos ports les cuivres bruts de l’Afrique, de l’Espagne et duLevant. Ils sont transportés ailleurs pour y être affinés, tandis que la Suède et laHollande nous font passer du cuivre de rosete, en planche, pour notre usage et celuide nos voisins. Si l’art du laminage était introduit chez nous, nous aurions la facilitéde doubler nos vaisseaux en cuivre : cette précaution préviendrait les fraisinfructueux et réitérés de leur doublage en bois ; il les conserverait plus longtemps :cet usage favorise la marine anglaise, et nous ne pouvons l’imiter9. »

11 L’argumentation de Pierre Conte est solide. Les initiatives ont pourtant été peu

nombreuses. En 1813, à Marseille, l’artisanat du cuivre est réduit à sa plus simple

expression. Les travaux de chaudronnerie de la ville sont effectués par trois petits

ateliers. Ces hommes travaillent 4 240 kilos de vieux cuivres. La valeur brute de ces

fabrications s’élève à 26 900 francs10. L’extrême faiblesse de cette industrie à Marseille

s’explique par deux faits majeurs : l’absence de cours d’eau suffisant à faire fonctionner

des moulins hydrauliques et l’étroitesse des marchés.

Les martinets du département

12 Le travail du cuivre a connu un léger développement hors Marseille. Quatre martinets

sont en fonction dans les Bouches-du-Rhône sous l’Empire et durant les premières années

de la Restauration. Ils sont installés à Ventabren et Roquefavour, deux petits villages

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situés à l’ouest d’Aix-en-Provence, ainsi qu’à Gémenos et Auriol, deux localités des

environs d’Aubagne. Le premier cité a été fondé sous le Directoire et appartient en 1820 à

un dénommé Jean-Baptiste Blanc11. Cet établissement disparaît sans doute au cours des

années 1820. Celui de Roquefavour a fonctionné de 1819 aux environs de 1835. Une

nouvelle fois, les documents sont rares et l’histoire de l’entreprise reste obscure. Le

troisième martinet, celui de Gémenos, existait avant la Révolution et appartient encore, à

la fin de la Restauration, à un noble, le marquis d’Albertas12. La date de fondation du

dernier établissement, celui d’Auriol, est inconnue. Dans les années 1820, il est dirigé par

Jean-Baptiste Robe13.

13 On pratique dans ces ateliers le forgeage du cuivre au moyen de marteaux mus par des

roues hydrauliques. Ils sont donc situés en bordure de rivière : les martinets de Gémenos

et d’Auriol sur l’Huveaune, ceux de Ventabren et de Roquefavour sur l’Arc. Ces

entreprises sont confrontées à deux difficultés. La première concerne les dispositions de

l’octroi de la ville de Marseille. En 1816, le propriétaire du martinet de Gémenos se plaint

de cette législation. Son entreprise travaille les vieux cuivres des chaudronniers phocéens

et les retourne après une mise en forme dans ses ateliers. Rentrant à Marseille, le cuivre

est frappé d’une taxe qui provoque un surcoût de production, jugé intolérable par les

propriétaires de martinets, et des inquiétudes pour les chaudronniers redoutant de

perdre un débouché pour les déchets de leurs ateliers14. Ces derniers demandent la

suppression de l’octroi pour les cuivres qui ont déjà été taxés à leur entrée à Marseille ou

que la taxe ne porte que sur le déficit du poids entre la quantité de vieux cuivres refondus

et les produits sortis des ateliers. À la suite d’une pétition, ce premier obstacle est levé. Le

directeur général des Douanes ordonne, en 1816, à la mairie de Marseille « de faire cesser

ces difficultés15 ». La seconde gêne est, en revanche, difficilement surmontable car elle est

liée aux irrégularités du climat méditerranéen. L’impossibilité de travailler de manière

continue frappe l’ensemble des martinets de la région. Le débit des rivières ne permet pas

d’actionner les roues hydrauliques toute l’année. En 1812, le martinet de Gémenos ne

peut travailler, par exemple, que deux mois par an.

Un véritable contraste entre productions et marchés

14 Les chiffres de production sont faibles. À la fin de la Restauration, les chaudronniers de

Marseille fondent seulement 300 quintaux de cuivre pour la fabrication de chaudrons et

de petites chaudières. En 1827, les deux martinets en activité ne traitent que 212 quintaux

de cuivre par an. On compte onze ouvriers à Auriol, six à Gémenos. L’équipement est

réduit au minimum : un fourneau pour chauffer le métal et un martinet pour le forger par

entreprise16. La production est composée de chaudrons et de petits bassins pour les

balances. Les seules grandes pièces fabriquées sont les fonds de chaudières pour la

fabrication du savon. En 1830, un seul établissement, celui d’Auriol, reste en fonction. Le

martinet de Roquefavour semble avoir cessé momentanément ses activités. En 1828, celui

de Gémenos a fermé ses portes et ses ouvriers ont été transférés à Auriol.

15 La métallurgie du cuivre s’est donc établie de manière peu convaincante à Marseille et

dans sa région entre 1815 et 1830. L’indigence de l’éventail des productions marque les

limites de cette branche. L’absence la plus importante est celle de la fabrication de

plaques laminées. La demande pour ce type de produits existe dans la région depuis le

XVIIe siècle et s’avère désormais importante. Les chantiers navals de Marseille et de La

Ciotat construisent en moyenne 15 vaisseaux par an en 1825 et 1830. En 1827, pour les

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seuls chantiers de Marseille, plus de 10 000 planches de cuivre s’utilisent pour le doublage

des coques des navires. L’essentiel des planches de cuivre est alors importé d’Angleterre.

Plus que des limites techniques, le laminage étant une technique relativement simple, il

faut peut-être voir dans cette absence la réticence des entrepreneurs locaux à investir

d’importantes sommes dans ce type d’industrie et la difficulté de trouver des partenaires

financiers. Outre l’achat du laminoir, les entreprises doivent obligatoirement s’équiper

d’une machine à vapeur propre à entraîner de manière continue les installations des

ateliers. L’investissement est donc lourd et la possibilité de faire concurrence aux

producteurs français ou anglais, très aléatoire.

LE TRAVAIL DU FER

16 En 1815, contrairement à certaines régions du sud de l’Europe comme les provinces

basques, le Piémont ou la Ligurie, Marseille n’a aucune tradition sidérurgique. Le haut

prix du combustible, l’absence de minerai dans le sous-sol provençal et l’étroitesse des

marchés pour ce type de produits ont empêché, au cours du XVIIe siècle, la création de

hauts fourneaux. La métallurgie de deuxième fusion, même au niveau le plus artisanal, est

également absente.

Un secteur longtemps inexistant

17 L’idée de la création d’une métallurgie moderne à Marseille prend forme à la fin du XVIIIe

siècle. Une fois encore, il faut souligner le discours précurseur de Pierre Conte. Ce dernier

observe, dès 1779, l’intérêt de l’établissement qu’il se propose d’établir au Pharo. La

pompe à feu qu’il compte utiliser est susceptible d’offrir de grandes possibilités. Elle est la

mécanique « qui fera mouvoir facilement les marteaux de toutes grosseurs pour

l’extension du fer et du cuivre17 ». Pierre Conte souligne, comme il a pu le faire dans ses

observations sur le secteur du cuivre, l’existence d’un marché porteur à Marseille et dans

l’ensemble du bassin méditerranéen :

« Les Génois achètent dans tous les ports de la Méditerranée les vieux fers fondusou forgés pour les transporter en Italie ; ils nous les renvoient ensuite après avoirété mis en œuvre : nous payons à ces étrangers le prix de la main-d’œuvre, lebénéfice du travail, le double fret et les assurances, tandis que nous possédons lamatière première, l’intelligence pour l’exploitation, le charbon nécessaire pour cestravaux et que la méchanique nous offre les moyens de mettre en mouvement lessoufflets et les marteaux les plus lourds pour faciliter ces opérations. Pourquoiabandonner cette branche de l’industrie à nos voisins, dès que nos moyens sontsuffisants pour l’exploiter nous-mêmes ?18 »

18 La crise sévère qui frappe le département sous la période révolutionnaire empêche la

concrétisation de ce premier projet. Au début du XIXe siècle, le bilan de la métallurgie du

fer est médiocre. La statistique de 1809 ne recense qu’un seul forgeron19. Le seul type de

travail qui retient l’attention des pouvoirs publics est celui effectué par les marchands de

fer qui, sans patente, fondent et forgent de manière illégale des objets en fer de

provenances douteuses : « Il se commet fréquemment des vols d’effets en cuivre, fer,

plomb et autres métaux... D’après la notoriété publique, la plupart de ces objets sont

portés chez des marchands de vieux fers où ils sont dénaturés et fondus dans les forges

que ces revendeurs ont chez eux.20 » Cet approvisionnement par le vol est peut-être une

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des conséquences de la pénurie provoquée par le blocus mené par les Anglais en

Méditerranée.

L’évolution de la fin de l’Empire à 1830

19 La situation évolue timidement à l’extrême fin de l’Empire, époque durant laquelle un

embryon d’artisanat du fer commence à se mettre en place. La statistique de 1813 est le

seul document disponible pour l’analyse du phénomène21. Malgré un important cortège

d’erreurs et d’omissions, l’enquête révèle la présence d’un ensemble d’établissements

inexistants quelques années auparavant. On peut compter deux ateliers de taillanderie,

onze de serrurerie, quatre clouteries, sept de coutellerie et un d’armurerie. Les 29

maîtres-artisans n’emploient que 26 ouvriers. La valeur de la production dépasse tout

juste 15 000 francs Sous la Restauration, un ensemble de fabrications qui existent déjà

prend un certain volume. Tout au long de la période, les créations d’ateliers travaillant le

fer se multiplient dans des domaines aussi variés que la taillanderie, la clouterie, la

serrurerie et la coutellerie. Les taillandiers fournissent les outils pour l’agriculture et la

grosse coutellerie (haches, faucilles...). Les couteliers sont toutefois les seuls fabricants de

produits en fer marseillais à posséder une petite réputation. Degrand en 1819 et Ladite en

1823 ont tous deux reçu une mention honorable pour les articles qu’ils ont présentés lors

des expositions nationales parisiennes. Par ailleurs, de nouvelles activités apparaissent.

Les forgeurs et forgerons produisent les essieux de voiture et les socs de charrue, et les

ferrailleurs refondent les vieux fers de la ville pour un usage local. Il semblerait même

qu’un atelier d’Aubagne, placé sur l’Huveaune, ait travaillé en 1819-1820 les fontes et les

ferrailles au moyen d’une forge et de deux marteaux22. L’esquisse d’un changement est

présent. Le fer commence à être fondu de manière plus fréquente. Cet essor, nettement

perceptible à la fin de la période, est essentiellement dû à la volonté des Marseillais de se

substituer aux fabricants du centre de la France qui assurent l’approvisionnement, en

Provence, de la majeure partie des produits métallurgiques en fer.

20 Le bilan de la fin du règne de Charles X contraste donc fortement avec celui de l’année

1813. En 1829, 180 ateliers et 400 artisans travaillent le fer dans les Bouches-du-Rhône

pour une production d’une valeur dépassant 1 500 000 francs La part occupée par

Marseille semble importante. Elle représente peut-être les deux tiers de la production du

département23. Néanmoins, bien que de réels progrès soient enregistrés, il faut relativiser

l’importance de ce développement. Les produits en fer ne reçoivent « qu’une sorte de

remaniement qui ne porte que sur l’assemblage, l’assortiment ou sur le conditionnement24 ». Marseille reste une ville où l’industrie du fer est de peu d’importance. Il n’existe

aucune fonderie moderne de deuxième fusion avant la fin des années 1820. Dès qu’une

masse de fer à travailler devient importante, les entrepreneurs locaux doivent

obligatoirement s’adresser à des fabriques de l’intérieur ou même parfois à l’étranger. Le

cas des ancres de navires, qui doivent être fondues et mises en forme en Avignon ou à

Gênes, est un exemple des plus significatifs.

21 Les documents ne permettent pas d’établir avec précision la chronologie et la liste des

premières fonderies de fer marseillaises qui ont accédé au stade industriel. Les archives

de la préfecture des Bouches-du-Rhône contiennent trois demandes d’autorisation

d’ouverture de ce type d’établissement dans le département avant 183025. Les trois

demandes sont effectuées pour Marseille. Les deux premières, déposées en 1826 et 1827,

reçoivent des réponses positives : Vial pour une fonderie de fer au creuset cours Gouffé,

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et Duphot pour une fonderie de fer et de cuivre, située au nord de la ville et munie de

quatre fourneaux à réverbères. La troisième et dernière demande, celle de Pierre-Joseph

Baudoin pour la création d’une fonderie de fer également cours Gouffé, est refusée en

1829 pour des raisons de salubrité publique. Tout au début des années 1830, la fonderie

des frères Puy est en activité rue d’Aubagne, mais la nature des travaux opérés dans cet

établissement reste incertaine26. Il est impossible de savoir si ces établissements ont été

montés et si, comme leurs propriétaires le désiraient, ils ont pratiqué des travaux de

deuxième fusion avec des techniques et des équipements modernes. Seule certitude : un

seul établissement marseillais exerce ce type de travail en 1829-183027. Là encore, il est

difficile de connaître ce qui est mis en œuvre dans cette usine mis à part des pièces pour

chaudières. Il suscite néanmoins de nombreux espoirs :

« Cet établissement pourrait devenir très utile […] Il est toujours avantageux à uneville commerciale et qui peut se dire industrielle de posséder un établissement oùles acheteurs puissent faire confectionner sous leurs yeux les objets dont ils doiventse servir et donner à l’ouvrier les indications d’où dépendent les améliorations etles perfectionnements projetés. »

22 Un second établissement apparaît peut-être en 1832 avec l’ouverture d’une forge de

pièces de fer établie par François Denegon, un ancien forgeron28. La métallurgie de

deuxième fusion du fer tarde à décoller. Le préfet pousse à la création des fonderies de fer

et entend faciliter les autorisations d’ouverture :

« On voit que nous manquons de grands établissements pour la fonte et le laminagedes métaux, et cependant les nombreuses manufactures de la marine en emploientdes quantités très considérables, dont le prix de fabrique est augmenté de celui dutransport, qui devient très coûteux sur des matières aussi pesantes... »

23 Au début des années 1830, deux facteurs bloquent encore le développement de la

métallurgie de transformation des fers et des fontes : les compétences techniques des

Marseillais restent limitées et le prix des fontes est dissuasif. La politique protectionniste

des gouvernements de la Restauration a rendu les importations impossibles. Les pièces de

métaux continuent d’être achetées en majorité à des entreprises du centre de la France.

Les coûts de transport sont importants. Hippolyte de Villeneuve constate en 1830 que

« ...l’industrie provençale est tout entière arrêtée par le prix des fontes. Les fonderies

pour moulage ne peuvent être établies ici à cause de ce haut prix29 ». Enfin et surtout, la

faiblesse persistante des marchés n’incite pas encore les artisans à investir ou à

rechercher des capitaux pour se lancer dans des entreprises d’envergure. La Provence est

loin de connaître les améliorations qui se produisent en basse Andalousie et dans

certaines régions italiennes.

Les efforts de modernisation en Italie et en Espagne

24 Arrivés de Savoie en 1816, les Frèrejean ont introduit dans le Piémont le travail sur le

modèle anglais avec la houille dans des fours à réverbère30. Dans cette même région, le

procédé du puddlage est apparu au milieu des années 1820 en même temps que l’usage des

laminoirs pour étendre les fers31. D’autres zones, comme la Ligurie et la Lombardie,

imitent rapidement cette première initiative32. Dans le sud de l’Espagne, Manuel Agustín

Heredia procède à l’établissement d’une sidérurgie moderne pour exploiter les gisements

de fers magnétiques d’Ojen à la fin des années 1820. « Soucieux de développer sa

production et de comprimer les coûts par l’innovation33 », il s’appuie sur les compétences

d’un officier d’artillerie, Francisco de Elorza, qui a étudié l’industrie du fer en Angleterre,

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en Belgique et dans le Hartz34. Sur le Rio Verde, près de Marbella, Heredia élève les

installations de La Concepción où l’on obtient la fonte au charbon végétal. Les fontes sont

affinées à la houille et laminées près de Malaga, dans l’usine La Constancia. L’entreprise

suscite des initiatives similaires. La même année, des hauts fourneaux, également

installés par Elorza, s’élèvent à proximité. Le Catalan Joan Giró a imité Heredia en créant

des installations identiques sur les mêmes sites (hauts fourneaux à Marbella et entreprise

d’affinage à Malaga35).

25 Les changements qui s’opèrent dans ces régions espagnoles et italiennes sont ponctuels et

dérisoires par rapport à ceux engagés à la même époque dans le nord de l’Europe.

Certains centres ont, de plus, bénéficié de circonstances politiques bien particulières.

Ainsi, le développement de la sidérurgie andalouse n’est permis que par les difficultés des

forges du nord de l’Espagne au cours des guerres carlistes. Il n’en reste pas moins que ces

modifications témoignent de la volonté de quelques entrepreneurs de vouloir amorcer un

processus de transfert des technologies modernes pour modifier les structures

traditionnelles de leur secteur.

LA CONSTRUCTION DE MÉCANIQUES

26 Au milieu des années 1820, l’industrie de la construction mécanique en est à ses premiers

balbutiements dans les Bouches-du-Rhône. On ne compte aucun atelier spécialisé dans la

fabrication de machines ou de mécaniques. La grande majorité des machines employées

par l’industrie marseillaise, que ce soit des appareils à vapeur ou des mécaniques en bois,

provient d’ateliers français, et plus généralement parisiens36. Toutefois, l’absence

d’entreprises spécialisées dans la construction de mécaniques dans la région et le recours

à l’importation ne signifient pas que tous les artisans marseillais soient restés inactifs en

ce domaine. Certains d’entre eux, même si cela n’est pas leur activité dominante, se sont

engagés dans des opérations de construction.

27 Les résultats de l’enquête nationale lancée par le ministère du Commerce en 1825 sur

l’équipement en machines de l’industrie française permettent de mettre en évidence les

activités embryonnaires des artisans-mécaniciens marseillais. Le conseil des

prud’hommes de Marseille, responsable de l’enquête au niveau local, confirme l’absence

de la fabrication de machines motrices, mais tient également à souligner que dans la ville

de Marseille « ... on construit, dans un autre genre, suivant les usages et les besoins

locaux, des machines pour le filage, le tissage des laines, soies et cotons, pour les

papeteries et pour une infinité d’établissements manufacturiers qui obtiennent leurs

produits industriels par des procédés mécaniques ». Cet ensemble de construction est

l’œuvre d’ouvriers qui se sont formés par la réparation puis la copie de mécaniques

importées37.

Une région peu attractive

28 Les ateliers de construction de mécaniques apparaissent à l’extrême fin de la

Restauration. La Statistique du comte de Villeneuve recense, pour 1829, huit ateliers de

machinistes (dont cinq sont patentés à Marseille) employant une quarantaine d’ouvriers.

Le type de mécaniques sorties de ces ateliers est encore très traditionnel et ne demande

que rarement l’utilisation de fer ou de cuivre. Pour l’essentiel, il s’agit de fabrication

d’engrenages, de poulies, marteaux et leviers à partir de pièces de chênes. Les

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machinistes souffrent de la concurrence d’autres métiers qui pratiquent également la

construction de mécaniques : « ... Des menuisiers, des charpentiers et des charrons

perfectionnent, concurremment avec les machinistes proprement dits, les machines,

rouages et engins. » En 1829, la valeur de la production est dérisoire. Elle approche à

peine 200 000 francs Dans le monde des mécaniciens, rares sont les hommes qui se

distinguent par des capacités techniques autres que celles concernant le travail du bois.

La région possède toutefois certains personnages aux remarquables qualités, mais le

faible développement industriel du sud-est de la France provoque l’exode de ces talents

vers d’autres régions françaises. Le cas de Philippe Girard, originaire de Lourmarin

(Vaucluse), est ici particulièrement représentatif.

29 Philippe Girard, essentiellement connu pour ses travaux sur la filature mécanique du lin,

s’est intéressé de près à la machine à vapeur sous l’Empire. Aidé de ses frères Frédéric et

Camille, il remporte, en 1809, la médaille d’or d’un concours lancé par la société

d’encouragement38. Le but de ce concours était de présenter un modèle de machine à

vapeur économe en combustible « qui puisse exécuter le travail d’un fort cheval – élever

en douze heures six millions de livres à un pied – [...] et qui, dans cet espace de temps, ne

dépense que 6 francs 15 centimes39 ». L’appareil réalisé par les Girard est doté de deux

caractéristiques techniques nouvelles en France. Le système du balancier a été supprimé,

et le principe de la détente de la vapeur dans le même cylindre est utilisé pour réduire la

consommation de charbon40. La construction en grand de ce type d’appareil pose de

grandes difficultés à Philippe Girard41, mais l’entreprise démontre néanmoins ses qualités

de mécanicien. Suite à la réalisation de ce petit modèle de machine à vapeur, il songe soit

à fonder avec ses frères une fabrique de machines à vapeur soit à vendre son brevet à un

mécanicien expérimenté mais ses projets ne concernent pas la Provence. Philippe Girard

sait qu’il lui faut trouver des fonderies à proximité et des constructeurs suffisamment

compétents pour se lancer dans ce type de production42. Marseille et sa région n’offrent

aucune de ces deux conditions. Philippe Girard restera peu de temps dans la région

marseillaise, où il s’occupait, parallèlement à sa profession de savonnier, de divers

travaux de mécanique43. Il quitte la Provence en 1811 pour Paris puis, pour raisons

politiques, l’Autriche et la Pologne, pays dans lesquels il travaille dans des secteurs aussi

divers que les mines, la navigation et l’industrie textile. La Provence perd un mécanicien

de valeur mais n’avait pas, de toute manière, de réelles opportunités à lui offrir pour le

retenir. Son frère Frédéric continuera de travailler à Marseille. Il est vraisemblablement,

en 1818, le monteur de la machine de la première minoterie à vapeur marseillaise ; mais

meurt l’année suivante44. La mécanique marseillaise perd, une nouvelle fois, un homme

d’importance au moment même où les industries de la région commencent à s’équiper en

machines à vapeur.

Les premiers mécaniciens

30 Sous l’Empire, les hommes affectés à l’entretien et au fonctionnement des machines à

vapeur sont recrutés hors de la région. En 1806, les trois salariés de la pompe à feu de

l’étang de Citis viennent de départements éloignés : J.-F. Lenoir est natif de la Meurthe ; le

chauffeur, J.-B. Margela, est originaire de l’Ain ; Cartier était forgeron en Isère45. Sous la

Restauration, des Marseillais se sont formés pour construire des machines, mais leurs

capacités sont réduites. Seuls deux noms émergent : Michel Grand et Elzéard Degrand. Le

premier exerce ses activités sur les machines motrices. En 1827, il prend un brevet pour

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une machine dénommée « balancier moteur » qui suscite l’admiration des milieux

locaux :

« Par une habile application des principes mécaniques les plus récents, cetinventeur est arrivé à produire une force initiale pouvant remplacer, avec la plusgrande économie, les moteurs les plus puis-sans employés jusqu’ici. On sent dequelle importance cette découverte peut devenir pour un département tel que lenôtre, où les chutes d’eaux sont rares et le combustible et les fourrages sont à desprix si élevés46. »

31 En fait, l’apport de cette invention est minime. Les documents révèlent l’absence de ce

type d’appareil dans les ateliers marseillais après le dépôt du brevet.

32 Le premier Marseillais à pouvoir véritablement prendre le nom de constructeur-

mécanicien est Elzéard Degrand. Ses origines et sa formation restent obscures. Sous

l’Empire, Degrand possédait une fabrique de clous et avait proposé à Philippe Girard, sans

succès, une association47. On le retrouve au cours des années 1820, période durant

laquelle il est déjà reconnu et bénéficie d’un réel prestige. Il possède l’estime du comte de

Villeneuve, qui le place comme spécialiste des questions techniques dans les jurys locaux

des expositions nationales et le choisit comme collaborateur pour la partie industrielle de

sa Statistique. Elzéard Degrand semble être le seul mécanicien marseillais capable de

réfléchir et d’innover dans le domaine de la vapeur. En 1820, il dépose un brevet pour un

modèle de « pompe à feu » et construit, en 1823, une chaudière calorifère pour l’industrie

du raffinage du sucre48. Ce type de chaudière est à la pointe de la technologie. Il s’agit

d’une copie de l’appareil mis au point par le Britannique Charles Edwards. Grâce au

travail d’Elzéard Degrand, la raffinerie des frères Reybaud est la première entreprise

française équipée de ce type de chaudière. L’appareil connaîtra une longue carrière et

sera même exporté. A Milan, dans les années 1840, une des deux raffineries de sucre de la

ville utilise la chaudière Degrand49. Au niveau national, ces succès demeurent modestes.

Ses inventions et ses constructions sont d’un niveau relativement médiocre, dans une

France de la Restauration qui voit les grands ateliers de constructions mécaniques

apparaître à Paris et à Mulhouse notamment. Les réalisations de Degrand témoignent

toutefois des qualifications techniques d’un homme dont les honnêtes compétences

restent inconnues de l’ensemble artisanal marseillais.

33 On observe dans l’industrie de la construction mécanique une grande médiocrité

d’ensemble. L’absence presque totale du travail des métaux et donc de la production

d’appareils à vapeur est le signe le plus manifeste de cette faiblesse. L’étroitesse des

effectifs d’un point de vue qualitatif comme quantitatif n’est en fait que le reflet du

niveau d’industrialisation de la région. En 1830, aucune entreprise marseillaise spécialisée

dans la construction ou la réparation d’appareils n’a encore été établie. En Provence,

seule la ville de Toulon est dotée d’un établissement de ce type. Grâce aux marchés créés

par la modernisation des équipements de l’arsenal, les cousins Peyruc ont fondé un

atelier de mécanique touchant à la réparation et à la construction de chaudières en

cuivre. Les deux hommes ont reçu leurs premières commandes en 182950.

***

34 En 1830, l’artisanat métallurgique et mécanique des Bouches-du-Rhône est surtout

concentré dans l’ouest du département autour de Marseille, Aix-en-Provence et Aubagne.

Si l’on exclut les résultats de l’hôtel des Monnaies de Marseille et des établissements dans

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sa dépendance, la valeur totale de sa production ne représente que 2,33 % du produit

industriel des Bouches-du-Rhône en 1829. Ce qui domine avant tout, ce sont les

archaïsmes des structures, des équipements et des techniques de production. Mais

derrière cette médiocrité, derrière ce retard important se cachent plusieurs promesses.

La première est l’acquisition de compétences liées aux nouvelles productions. Certes,

Marseille ne produit pas de fonte, ne l’affine toujours pas. Elle ne fabrique pas de

machines à vapeur ou de chaudières motrices, ne lamine ni le cuivre ni le fer. La ville

connaît pourtant certaines réussites dignes d’intérêt. La métallurgie du cuivre et du fer

existe. Elle prépare doublement l’avenir. Les deux types d’activité jouent un rôle

pédagogique décisif pour la maîtrise des techniques métallurgiques modernes. Ensuite, le

fer et le cuivre servent à fabriquer les éléments essentiels des appareils à vapeur. Les

mécaniciens marseillais commencent d’ailleurs à apprivoiser cette nouvelle source

d’énergie en fabriquant des chaudières calorifères et en pratiquant divers travaux de

réparation sur les machines importées. Le second aspect est d’ordre financier. Le

développement de cet artisanat métallurgique marseillais et la croissance des commandes

ont permis l’accumulation d’un volume de capitaux certes modeste, mais suffisant pour

soutenir un premier investissement.

35 La dernière richesse concerne les hommes. Le développement de l’artisanat

métallurgique et mécanique sous la Restauration forme un nombre croissant d’artisans et

d’ouvriers aux techniques de travail des métaux et de la construction de machines. Un

groupe d’hommes rompus à ce type de travaux s’est constitué dans la ville et dans sa

proche région. Marseille s’est forgé en une quinzaine d’années un capital humain dans

lequel sa future industrie métallurgique trouvera un point d’appui. Aussi faibles que

soient leurs techniques, ces hommes ont acquis des compétences de base. La fabrication

de mécaniques en bois demande, comme pour celle d’appareils en fer, des connaissances

précises sur les forces de transmission, la résistance des matériaux ; il faut penser les

engrenages, les poulies, les courroies et les arbres, l’agencement général d’un système

moteur au sein des ateliers d’une entreprise. L’artisanat des métaux a également

développé des qualités qui deviendront précieuses. Les liens entre l’artisan de la petite

métallurgie et le mécanicien ou le fondeur sont étroits. Il faut le tour de main du serrurier

ou du taillandier pour ajuster une pièce de machine à vapeur, la précision d’un horloger

ou d’un machiniste pour aléser un cylindre, la compétence du chaudronnier ou du

forgeron pour fondre les métaux et les convertir en pièces de toutes formes. Quand

l’heure du développement d’une métallurgie moderne sonnera à Marseille, l’industrie

puisera dans ce réservoir pour trouver ses entrepreneurs, ses techniciens et ses ouvriers.

NOTES

1. Près de 1 500 000 francs pour le fer pour 1 190 000 francs pour les non-ferreux (sauf indication,

les informations de ce chapitre proviennent du t. IV de la SBdR).

2. Cf. CHASTAGNARET G., « Le secteur minier dans l’économie espagnole au XIXe siècle », thèse de

doctorat d’État, université de Provence, 1985, t. I, p. 299-302.

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3. CHASTAGNARET G., « Marsella... », art. cit., p. 12-15.

4. ACM 23 F 17.

5. ACCM MP 3611, Pétition des fabricans de grenailles et de plomb laminé, février 1820.

6. Ibid.

7. ACCM MP 3611, Lettre du ministre de l’Intérieur à la chambre de commerce de Marseille, 17

mai 1820.

8. ACM 23 F 17.

9. Pierre Conte voit dans la pompe à feu qu’il se propose d’installer en 1779 le moyen de laminer

les fers et les cuivres, CONTE P., Vues utiles..., op. cit., p. 32 et 35.

10. ACM 22 F 1.

11. AN F 14 4313.

12. EDBdR, t. VIII, p. 85.

13. AN F 14 4313.

14. ACCM MP 3611.

15. ACCM MP 3611.

16. ADBdR XIV M 10/8.

17. CONTE P., Vues utiles..., op. cit., p. 35.

18. Ibid., p. 29-30.

19. ACM 22 F 1.

20. ACM 24 F 13.

21. ACM 22 F 1.

22. EDBdR, t. VIII, p. 85.

23. Jules Julliany l’estime à environ un million de francs en 1830 (cf. ECM, t. III, p. 386).

24. L’Hermès marseillais..., op. cit., 1826, p. 260.

25. Pour les trois demandes, cf. ADBdR, XIV MEC 12/71.

26. En 1835, l’établissement est équipé de fourneaux à réverbère (ADBdR XIV MEC 12/71) mais

vers 1830, les annuaires professionnels classent cet atelier comme « fonderie de cloches » (cf.

Guide marseillais ou véritable indicateur marseillais, Marseille, 1830, 1831 et 1832).

27. ECM, t. III, p. 380 et SBdR, t. IV, p. 764.

28. ADBdR 548 U 3.

29. ADBdR VII S 6/5.

30. ABRATE M., L’industria siderurgica e meccànica in Piemonte dal 1831 al 1861, Turin, 1961, p. 103.

31. BULFERETTI L., « Notes pour l’étude de l’acquisition des techniques sidérurgiques et

énergétiques anglaises par le Piémont et la Ligurie au XIXe siècle », dans L’Acquisition des

techniques par les pays non initiateurs, Paris, 1973, p. 465.

32. Mondella F., « Scienza e tecnica... », art. cit., p. 655.

33. Chastagnaret G., « Le secteur minier... », op. cit., t. I, p. 288.

34. NADAL J., El fracaso..., op. cit., p. 167.

35. Ibid., p. 168.

36. « Beaucoup de ces machines ont été construites à Paris ou dans d’autres villes du royaume

d’où on les fait arriver à Marseille. » ACM 23 F 31, Enquête du conseil des prud’hommes sur les

machines à vapeur du département des B-d-R. Rapport du 4 octobre 1825.

37. Ibid. : « C’est sur leurs modèles que nos ouvriers en construisent de nouvelles, les réparent ou

les approprient aux usages locaux. »

38. AML, 4 Z 10.

39. Ibid.

40. En Angleterre, Arthur Woolf travaille sur le principe de la double détente depuis 1803. Henry

Maudslay a supprimé le balancier depuis 1807 en adoptant la bielle articulée.

41. En 1811, la machine n’est toujours pas au point (ACL, 4 Z 10).

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Page 61: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

42. Ibid.

43. Philippe a procédé à quelques travaux comme la réparation de la machine d’épuisement, qui

avait été installée par la Compagnie de Rassuen dans les salines de l’étang de Valduc (ibid.).

44. ACL 4 Z 14.

45. ADBdR 187 U 6.

46. Le Messager de Marseille, avril 1828.

47. Philippe Girard avait inventé une machine à fabriquer les clous mais ne pouvait exploiter

directement cette invention, car Elzéard Degrand détenait le privilège de production. Girard

refusa l’association, ayant trop peu à gagner (ACL 4 Z 10).

48. DAUMALIN X., COURDURIÉ M., Vapeur et Révolution industrielle à Marseille, Marseille, CCIM, 1997, p.

62-64 et VILLENEUVE H. (DE), « Des appareils... », art. cit., p. 329-334.

49. « Tableau de l’industrie milanaise », RTSSM, t. IX, 1846, p. 499.

50. AGULHON M. (dir.), Histoire de Toulon, Toulouse, 1980, p. 215.

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Conclusion de la première partie. Entrel’archaïsme des structures et ladynamique humaine

1 En 1830, contrairement à ce que l’on peut observer pour plusieurs régions

méditerranéennes, les prédispositions marseillaises permettant d’établir dans la ville une

industrie moderne de la métallurgie et de la construction mécanique sont présentes mais

dans des proportions limitées. Le système technique en place, solidement ancré, est

encore archaïque. Les minerais de toutes sortes font défaut, tout comme les gisements de

houille. Tous les éléments qui pourraient concourir à donner naissance à des marchés

potentiels sont encore absents, ou frappés par un état de croissance si faible qu’ils ne sont

pas susceptibles de provoquer des bouleversements suffisants. L’industrie a certes

progressé, mais d’une manière trop lente. Les premières commandes de biens

d’équipement (machines à vapeur, chaudières motrices et calorifères, pièces de métaux

en fer ou en cuivre) sont apparues. Elles sont néanmoins très irrégulières et représentent

un marché trop restreint. Les entreprises ont donc recours à l’extérieur pour

s’approvisionner. Dans le domaine des transports, aucune sollicitation n’est intervenue.

La navigation à vapeur est absente ou aux mains de compagnies étrangères. Le réseau

ferroviaire est inexistant. Dans ces deux domaines, les projets existants sont abstraits et

ne vont trouver une réalisation concrète qu’au cours de la monarchie de Juillet.

2 L’économie marseillaise possède toutefois plusieurs atouts. Sous la Restauration, les

mentalités ont changé. Les élites intellectuelles et les divers pouvoirs locaux ont compris

l’intérêt du développement industriel. Sous l’impulsion du comte de Villeneuve, ils

s’appliquent à le promouvoir. Un artisanat métallurgique s’est développé. Il a permis à

des hommes d’accumuler des capitaux, d’ouvrir les yeux sur les opportunités qu’offre le

travail des métaux. Des ouvriers ont pu se former dans les ateliers où ils pratiquent la

fonte et la mise en forme du plomb, du cuivre et du fer. En 1830, l’artisanat attend des

changements radicaux dans l’économie marseillaise, des initiatives propres à débloquer la

situation et à engendrer des opportunités dans le secteur de la métallurgie et de la

construction mécanique. Sa patience n’est guère sollicitée. L’année 1831 est le point de

départ d’un mouvement qui secoue Marseille en profondeur. La ville amorce sa révolution

industrielle.

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Deuxième partie. La montée enpuissance (1831-1846)

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Chapitre IV. Les facteurs du démarrage

1 Créer une fonderie ou un atelier mécanique suppose un investissement de départ

relativement lourd. Les entrepreneurs attendent généralement la constitution d’une

demande suffisamment forte et régulière avant de se lancer dans une initiative où le

risque financier est important. L’exemple de James Watt, auteur d’une remarquable

anticipation sur le marché des machines pour les exploitations minières, est

exceptionnel. Comme l’a montré le timide développement de la Restauration, l’industriel

marseillais est prudent. Il construit toujours sa réussite sur l’existence préalable de

marchés importants. Jusqu’en 1830, la demande marseillaise en produits métallurgiques

et en machines était faible. L’absence certaine de débouchés suffisants s’ajoutait donc à la

prudence locale dans le domaine des activités de fabrication pour dissuader toute

initiative de création de fonderies ou d’ateliers modernes de mécanique.

2 Le panorama change en profondeur avec la monarchie de Juillet. Marseille entame sa

révolution industrielle. Les productions s’accroissent avec rapidité. Les transports à

vapeur font leur apparition et se développent. Enfin, la ville se dote de nouvelles

infrastructures nécessitant de grands travaux. Ce triple mouvement permet-il de donner

naissance à une demande capable d’entraîner à son tour la création d’une industrie

moderne de la métallurgie et de la construction mécanique ? Même si la réponse est

affirmative, il faut également voir que la demande n’est qu’un élément du démarrage.

Marseille doit se montrer capable de mobiliser les capitaux et les compétences

nécessaires.

L’ESSOR INDUSTRIEL MARSEILLAIS

3 Marseille n’attend pas le second Empire pour connaître sa première période de croissance

industrielle. De récentes études dont celle de Michel Lescure démontrent de façon

incontestable que les deux décennies de la monarchie de Juillet constituent la phase

initiale de la révolution industrielle dans les Bouches-du-Rhône1. Les créations

d’entreprises sont nombreuses et composent un paysage industriel varié. En 1830, la

valeur de la production des industries marseillaises est d’un peu plus de 136 millions de

francs. En 1842, le chiffre dépasse les 190 millions, soit une augmentation de près de 40 %2

. En une quinzaine d’années seulement, les changements sont rapides, profonds et

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durables. L’économie marseillaise offre l’exemple parfait d’un take-off selon les modèles

décrits par W.W. Rostow et A. Gerschenkron3. L’industrialisation est brutale et ne

s’apparente que faiblement aux composantes de la période précédente car il n’y a dans ce

mouvement aucune modification graduelle ou linéaire. Il n’y a pas de phase préalable de

proto-industrialisation. Les deux exemples les plus significatifs de cette absence de

filiation nous sont donnés par le textile et la savonnerie, les deux grands secteurs de la

Restauration qui auraient pu connaître une croissance sur des acquis de base importants.

4 La filature des cotons, branche préexistante qui offrait les plus sérieux espoirs de

développement, a fortement déçu. Ses activités ont périclité à cause de l’établissement

d’une législation douanière peu favorable à l’importation de matières premières. La

production s’effondre à partir de la fin des années 18204. L’industrie du savon connaît des

problèmes liés à la concurrence que les producteurs anglais et américains lui livrent à

l’exportation et doit se recentrer sur le marché national. Hormis ces industries en déclin,

le mouvement de croissance est général et de nouveaux secteurs de production sont

apparus. Une rapide analyse des trois secteurs moteurs de l’industrialisation marseillaise

(la minoterie, le raffinage du sucre et l’huilerie) permet de saisir l’ampleur des

changements et les répercussions sur la demande de biens de production.

Les grands secteurs de l’industrialisation

5 Malgré des problèmes de douanes non négligeables, la minoterie à vapeur, apparue sous

la Restauration, amorce une croissance marquée surtout à partir des années 1840. Les

négociants marseillais, notamment ceux d’origine grecque, parviennent à attirer des

quantités considérables de blés de la mer Noire. Dans la ville, en 1830, on ne compte

encore que deux établissements équipés de machines à vapeur mais trois nouvelles usines

apparaissent entre 1831 et 1835. Au total, six sont en activité en 18415, au moment où se

développent des industries annexes comme la semoulerie et la fabrication des pâtes

alimentaires.

6 L’industrie sucrière progresse également. Les importations marseillaises de sucres bruts

des colonies françaises doublent de 1826 à 1841 et représentent alors 32 % du total

français6. Cette croissance commerciale s’accompagne de créations d’entreprises ainsi que

d’une modernisation de l’appareil productif. En 1835, seules les raffineries de Grandval et

Reybaud fonctionnent au moyen de machines à vapeur. En 1845, le changement est

important. Onze nouveaux appareils moteurs ont été installés en l’espace de dix ans7.

7 Enfin, l’huilerie présente le même visage d’une croissance vigoureuse depuis que les

graines exotiques ont fait leur apparition sur les quais du vieux port. Ce secteur offre très

certainement l’exemple le plus remarquable de la progression de l’industrie locale sous la

monarchie de Juillet. Les quantités de graines de coton, de lin, de ravison et surtout de

sésame arrivent dans des proportions toujours plus considérables. Sous l’impulsion des

frères Régis, les arachides des côtes d’Afrique font leur apparition au début des années

1840. Le total des importations de graines oléagineuses passe de 1 050 tonnes en 1835 à

44 090 tonnes en 18508. Une seule entreprise fonctionne à l’aide de la vapeur en 18359.

Sept années plus tard, c’est le cas de 20 usines sur les 36 existantes10.

8 Cette croissance industrielle générale a des effets sur la demande de biens de production :

le besoin se fait sentir de s’équiper notamment en machines motrices propres à faire

fonctionner les installations avec de meilleurs rendements. Marseille présente en ce

63

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domaine une forte originalité dans une France où « …les roues et les turbines ont assuré

la marche de la plupart des installations jusque vers 186011 ».

Le choix de la machine à vapeur

9 La machine à vapeur est adoptée à Marseille parce qu’elle répond à des contraintes

précises. Deux raisons principales expliquent le choix des entrepreneurs. La première

concerne la faiblesse du débit des rivières de la région. Cette lacune n’est compensée que

très partiellement par la mise en fonction du canal de Marseille en 1849. Comme il était

prévu, les eaux de la Durance offrent aux entreprises une puissance de 7 000 chevaux12.

Elles arrivent trop tard. Les entrepreneurs ont déjà fait leur choix. La machine

hydraulique restera longtemps marginale à Marseille13.

10 La seconde raison réside dans le fait que les coûts d’utilisation du combustible minéral

n’ont nullement pénalisé les entreprises de la région marseillaise. Les Bouches-du-Rhône

possèdent d’abord d’énormes ressources en lignite. On ne peut certes pas le transformer

en coke pour la métallurgie mais ces lignites, comme le note un élève ingénieur des Mines

en 1847, « …sont de très bonnes qualités !… Ils brûlent avec une très longue et très belle

flamme qui répand beaucoup de clarté : cette propriété la rend très propre au chauffage

des machines14 ». La houille, quant à elle, arrive facilement à Marseille et à un prix

relativement peu élevé. Les relations maritimes avec la Grande-Bretagne sont bonnes et

constituent le moyen de transport le moins onéreux de l’époque. L’approvisionnement

peut également être français. Les charbons du département voisin du Gard, provenant des

mines de La Grand’Combe, arrivent à un prix en nette diminution à partir de 1839,

moment de la mise en service de la première ligne de chemin de fer dans le Languedoc.

Trois étapes essentielles ont constitué l’histoire de l’utilisation des charbons dans les

usines marseillaises sous la monarchie de Juillet15. Dans un premier temps, entre 1835 et

1839, la présence des charbons britanniques, dont l’arrivée est facilitée par une

importante baisse des droits de douanes, constitue l’approvisionnement principal des

entreprises avec les houilles du bassin de Saint-Etienne et Givors16. À partir de 1841, la

houille de La Grand’Combe détrône celle qui était amenée des régions du Centre. Dès la

mise en service du dernier tronçon de la ligne Alais-Beaucaire, le prix du charbon gardois

livré à Marseille passe de 45 à 25 francs la tonne17. Les Phocéens ont alors le sentiment de

posséder leur « Pays de Galles »18. En 1847, les courtiers de Marseille notent que depuis

1843 une nouvelle phase s’est engagée. Ils ont pu observer « la substitution des lignites

aux charbons d’Alais dans presque toutes les raffineries et beaucoup d’huileries ».

L’approvisionnement devient donc essentiellement local et régional. Les charbons anglais

s’effacent. Ils ne représentent plus que 15 % de la consommation totale des Bouches-du-

Rhône en 184719.

11 Dans l’ensemble français et européen, le cas de l’industrie marseillaise est original. Les

divers foyers industriels de la première moitié du XIXe ont généralement opté pour des

sources énergétiques hydrauliques. Rares sont les régions à avoir choisi exclusivement la

machine à vapeur. Même pour le cas britannique, les historiens ont aujourd’hui tendance

à minimiser le rôle de la machine à vapeur au profit d’une revalorisation de l’énergie

hydraulique20. De même, dans le sud de l’Europe, de nombreuses régions ont longtemps

refusé l’emploi de la machine à vapeur. Le sous-sol étant dépourvu de charbon, leurs

entreprises ne pouvaient se permettre des dépenses trop élevées en combustible. Par son

faible coût de fonctionnement, l’énergie hydraulique constituait alors une excellente

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alternative. En 1863, les déclarations de la commission industrielle de Turin sont

particulièrement explicites sur ce point : « La machine à vapeur ne peut pas être pour

nous l’instrument universel de force et de puissance qu’elle est pour les autres peuples…

Le cheval vapeur revient cinq fois plus cher que la force hydraulique21 » Au cours de la

première moitié du XIXe siècle, les installations de machines à vapeur dans les usines de

Lombardie restent exceptionnelles. Vers 1840, trois unités seulement fonctionnent dans

la région milanaise22. Dans le Piémont, on note également une utilisation massive de la

force hydraulique, notamment dans l’industrie lainière. L’application des nouvelles

technologies est représentée ici par l’emploi des turbines Fourneyron23. Ce privilège de

l’eau s’explique surtout par le fait que ces régions n’ont pas le même problème que

Marseille. L’eau est présente en quantité suffisante pour alimenter les roues et les

turbines. La Doire à Turin, le Ter ou le Llobregat en Catalogne fournissent une énergie

fiable et peu coûteuse. L’implantation des usines aux abords des cours d’eau marque

profondément la géographie des entreprises catalanes, lombardes ou piémontaises ainsi

que la structure de leurs équipements. A Turin, en 1862, l’industrie utilise 40 machines à

vapeur pour 100 machines hydrauliques24. Les centres industriels qui peuvent appuyer

leur croissance sur la machine à vapeur sont situés en bord de mer. Le cas du nord de la

Grèce dans le dernier tiers du siècle est exemplaire à cet égard. Les usines de la

Macédoine intérieure ont choisi l’énergie hydraulique alors que celles qui sont situées à

Salonique ont opté pour la vapeur grâce aux charbons étrangers qu’elles peuvent recevoir

à moindre coût par la mer25. La Catalogne offre le même cas de figure. Les installations

industrielles situées à l’intérieur des terres ont choisi l’énergie hydraulique alors que la

capitale possède un nombre important de machines à vapeur.

12 Le cas barcelonais présente des similitudes avec celui de Marseille. Cependant, à la

différence du cas phocéen, Barcelone a fait son choix plus par volonté que par nécessité.

Entre 1833 et 1860-1865, avec l’espoir de pouvoir s’approvisionner avec des charbons de

l’intérieur du pays (houille de San Joan de les Abadesses, lignites de Calaf), les

entrepreneurs barcelonais misent sur un développement fondé sur la machine à vapeur26.

Dans la seconde moitié du XIXe, les Catalans sont contraints de dresser un constat amer.

Les exploitations minières sont trop coûteuses et les gisements sont éloignés des sites

industriels. Les charbons sont de plus friables et supportent mal le voyage27. Si Barcelone

peut se replier sur les houilles britanniques, l’intérieur doit revenir sur ses positions.

L’énergie hydraulique finit par triompher sur le Llobregat. La Catalogne a surestimé ses

capacités à faire fonctionner son industrie avec la machine à vapeur.

Le rythme et la répartition sectorielle des installations d’appareils à

vapeur

13 Il est difficile de suivre avec exactitude les phases et les rythmes d’équipement des

entreprises marseillaises en machines à vapeur, chaudières motrices et calorifères. La

seule série complète en notre possession est celle dressée par les ingénieurs des Mines,

chargés dans les départements de la surveillance de la conformité des appareils à vapeur28

. Si ces deux séries de chiffres traduisent une progression marquée bien réelle, elles sous-

estiment de manière importante la réalité de la situation : « Les statistiques de l’industrie

minérale sont à la fois administratives et déclaratives. Elles sont administratives en ce

sens qu’elles n’admettent un fait, dans cette matière en principe soumise au contrôle de

l’État, que lorsque l’autorisation officielle a été donnée. Les chiffres, en particulier de

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production et les valeurs, proviennent des déclarations des industriels. Sans doute doit-

on tenir compte d’une marge d’hésitation29. » Les entrepreneurs se méfient en effet des

enquêtes qu’ils associent trop souvent à un projet fiscal. Leurs déclarations ne reflètent

donc pas la réalité. Les chiffres collectés par les ingénieurs des Mines ne deviendront

véritablement fiables qu’au milieu des années 1860. Deux facteurs ont contribué à

améliorer les conditions d’enquête. A partir des années 1855-1856, le service des Mines

effectue un important travail de mise à jour auprès des établissements fonctionnant sans

autorisation30. Plus déterminant encore, la législation sur l’installation des appareils

s’assouplit de manière considérable. L’ordonnance de juin 1865 a transformé les

demandes d’autorisation en simples déclarations31.

14 Pour toutes ces raisons, les données rassemblées par les ingénieurs des Mines présentent

une vision erronée des rythmes d’installation de machines à vapeur et de chaudières dans

l’industrie des Bouches-du-Rhône pour la période 1835-1865. Les taux de croissance

particulièrement élevés du second Empire — entre 10 et 20 % par an — ne sont en fait que

le reflet des enquêtes de régularisation et de la déclaration systématique des appareils

par les entrepreneurs qui n’ont plus rien à redouter. Le nombre des installations doit

être, en fait, réparti de manière plus uniforme sur l’ensemble de la période en émettant

l’hypothèse que les taux de croissance les plus élevés correspondent à la période

1830-1846, phase initiale de l’équipement de l’industrie marseillaise32. Cette hypothèse est

étayée par la seule série de chiffres à peu près fiable : les données de la grande enquête de

statistique industrielle des années 1841-1845. Les industriels ont été rassurés par la

circulaire du 17 septembre 1839 « où il était fortement spécifié pour la sûreté des

déclarations que cette investigation est étrangère à toute vue fiscale33 ». Ils ont dans

l’ensemble fourni les renseignements demandés sans trop faire de difficultés. En

1843-1844, l’industrie marseillaise emploie au moins 90 machines à vapeur34. Au même

moment, les ingénieurs des Mines n’avaient recensé que 55 unités.

15 La caractéristique principale de l’équipement des entreprises marseillaises en machines à

vapeur est la profonde différence des affectations par secteurs par rapport à la moyenne

nationale. Vers 1850, 42,2 % de la puissance des appareils sont affectés en France aux

activités minières et métallurgiques et 29,5 % aux industries textiles35. Ce qui domine à

Marseille, dès 1835, c’est la minoterie, secteur qui emploie le plus de machines à vapeur (5

sur 14 unités36). En 1843-1844, sur les 80 machines recensées par l’enquête nationale, les

usines de graines oléagineuses (21 unités), la fabrication des produits chimiques (13), le

raffinage du sucre (12), la minoterie et ses industries annexes (9) en abritent le plus grand

nombre. Les quatre grandes branches industrielles marseillaises totalisent 68,75 % du

total. La mine et la métallurgie, tout comme le textile, ne représentent qu’une part très

faible de l’ensemble. Cette situation est le résultat d’une industrialisation phocéenne aux

composantes originales pour l’espace français.

16 Au total, le développement industriel de la région marseillaise a engendré l’émergence

d’une importante demande de biens d’équipement. Entre 1831 et 1846, plus d’une

centaine de machines et environ deux cents chaudières motrices et calorifères sont

commandées par les entreprises marseillaises. A ce chiffre déjà impressionnant, il faut

ajouter les besoins en cuves, chaudrons, tuyaux ou presses hydrauliques. L’ensemble de

ces biens d’équipement engendre en amont des travaux métallurgiques de deuxième

fusion. L’industrie marseillaise de la métallurgie et de la construction mécanique est

directement née de ces opportunités, mais le déterminisme ne joue pas ici de manière

évidente. La seule industrie mécanique et métallurgique locale réellement indispensable

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est celle de la réparation, car l’attente de pièces pour réparer les machines est un obstacle

aux capacités productives des entreprises. Pour l’acquisition d’appareils à vapeur, les

entrepreneurs marseillais peuvent continuer de se satisfaire des achats effectués auprès

d’entreprises extérieures à la région.

LE DÉVELOPPEMENT DE LA NAVIGATION À VAPEUR

17 Le dynamisme des compagnies de navigation à vapeur des États italiens se poursuit en

Méditerranée après 1830. Aux navires de la société napolitaine Paccheti a Vapore delle Due

Sicile il faut désormais ajouter l’activité de la flotte sarde, forte de trois unités37. Symbole

de cette domination, les liaisons entre Marseille et Toulon, pendant les préparatifs de

l’aventure algérienne, ont été réalisées avec l’appui de deux vapeurs venus de Sardaigne38.

En Provence même, le port de Toulon s’affirme comme un dangereux adversaire puisque

la Compagnie Gérard relie le sud de la France à la Corse depuis 1830. Très rapidement,

l’Espagne entre en compétition. Les Catalans arment, en 1834, leur premier bateau à

vapeur, El Balear39. Marseille se devait donc de réagir sous peine de ne plus pouvoir

contrôler ses flux de passagers et marchandises. L’exemple italien a sans aucun doute

permis aux milieux économiques de la ville de Marseille de prendre conscience de leur

retard.

Le développement des compagnies marseillaises de navigation à

vapeur

18 En 1831, le port de Marseille voit enfin arriver ses deux premiers bateaux à vapeur : le

Henri IV et le Sully. La mise en service de ces unités est due aux cousins Bazin, qui ont

décidé de livrer une concurrence aux compagnies italiennes. A la fin de l’année 1831, le

port de Marseille n’est encore fréquenté que par six navires à vapeur. Trois sont

marseillais. Le Scipion, armé par les frères Aynard, est venu s’ajouter aux bâtiments des

Bazin. Les premiers temps de la vapeur sont difficiles. Le passage de la marine à voile à

celle à vapeur s’effectue très lentement. Les hésitations des milieux locaux sont fortes. Le

coût de fonctionnement et l’immobilisation d’une masse importante de capitaux effraient

encore armateurs et négociants. À cela s’ajoutent les décisions de l’État, souvent

contraires aux intérêts marseillais. En négligeant le transport des marchandises et en

refusant des subventions aux compagnies privées, les pouvoirs publics bloquent les

initiatives des milieux d’affaires de la ville. Marseille subit plusieurs déceptions. La

première concerne l’établissement d’une ligne que la conquête de l’Algérie avait laissé

espérer. L’État avait décidé que les services de l’administration des postes entre la

métropole et Alger seraient assurés par les navires de la marine royale. La chambre de

commerce de Marseille avait demandé, dès 1832, l’utilisation de son port et de sa flotte

« par contrat et moyennant une rétribution déterminée par l’adjudication40 ». L’État avait

refusé. Le port d’attache de la flotte serait Toulon. Le service débute en 1833. Marseille

était court-circuitée.

19 Les milieux d’affaires marseillais ne renoncent pas et se lancent dans une seconde

tentative en 1835. Il s’agit de la première grosse initiative locale. Cette année-là, un projet

est monté pour la constitution d’une Compagnie marseillaise de la Méditerranée pour la

navigation à vapeur. Le capital de la société est considérable (6 millions de francs)41.

L’entreprise est présidée par Alexis Rostand, ancien maire et président de la chambre de

67

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commerce. Les quatre autres membres du conseil sont issus des milieux influents de la

ville (Jean Luce, Louis Benet, Jules Julliany, Alexandre Clapier). Le premier objet de la

société est de relier Marseille à Alger au moyen de trois vapeurs de 160 chevaux. Ce projet

ambitieux demande de lourds investissements. Il ne peut se réaliser financièrement sans

l’aide des pouvoirs publics. Les Marseillais essuient un refus. L’État refuse à la Compagnie

la subvention vitale d’un million et demi de francs42. L’affaire ne se réalise pas. En 1840, la

majeure partie de ces hommes montent un nouveau projet, cette fois pour des lignes

transatlantiques. Une nouvelle fois, l’État ne suit pas. La société méditerranéo-

transatlantique reste à l’état de projet43. Les pouvoirs publics désirent assumer la fonction

du service postal et inaugurent notamment en 1837 les lignes régulières vers le Levant

décidées par la loi de mars 1835. Quelques années plus tard, l’État prend également en

charge les services postaux vers l’Égypte et la Corse. Dans cette conjoncture peu

favorable, le développement de la navigation à vapeur privée marseillaise s’effectue dans

des proportions modestes jusqu’en 1846.

20 « L’Algérie et le Levant fermés, restait le cabotage sur les côtes de France, d’Italie et

d’Espagne44 ». En 1834-1835, deux nouveaux vapeurs sont attachés au port de Marseille.

L’entreprise est le fait d’hommes d’affaires étrangers à la ville de Marseille (Cartairade &

cie, de Paris). Leurs navires assurent le cabotage sur la Côte d’Azur et les côtes italiennes

jusqu’à Naples. La navigation à vapeur marseillaise prend une certaine importance au

cours de la seconde moitié des années 1830. En 1837, la Compagnie Thérond et celle des

frères Chancel créent des lignes vers le Languedoc. L’année suivante, la société Segur

frères & Louis Roujon établissent le même type de services. La compagnie de Théophile

Périer dessert l’Espagne en 1838. À partir de 1842, la compagnie André & Abeille rejoint le

groupe des armateurs assurant les liaisons avec l’Italie45. La flotte des vapeurs augmente

parallèlement à ce mouvement, mais les voiliers exercent encore une écrasante

domination.

21 Le grand tournant se produit en 1846. La maison Fraissinet étend ses activités vers

l’Espagne et le Portugal. La Compagnie des bateaux à vapeur du Levant, fondée l’année

précédente par Albert Rostand, lance ses trois navires vers les Échelles du bassin oriental

de la Méditerranée et concurrence ainsi les huit bateaux italiens et surtout les paquebots

postes de l’État français qui effectuent déjà ces liaisons. La même année, les Bazin

absorbent la compagnie de Théophile Périer et peuvent ainsi augmenter leurs prestations

à destination de Tripoli, Alexandrie et Beyrouth. Dans le domaine de la navigation à

vapeur, le port de Marseille rattrape petit à petit celui du Havre, qui reste encore le

premier46.

La constitution d’un marché important

22 La demande de navires et de machines marines pour les compagnies marseillaises se

développe donc fortement durant les années 1840. En 1841, 20 navires à vapeur

appartenant à des sociétés locales sont attachés au port de Marseille47. En 1846, d’après

les relevés des ingénieurs des Mines, le chiffre est passé à 52 unités munies de plus de 70

machines48. Le chiffre de vapeurs présents dans les Bouches-du-Rhône est en fait

beaucoup plus important car deux autres éléments doivent être pris en compte : la

navigation fluviale sur le Rhône et la flotte de l’État. La flotte des bateaux de navigation

fluviale est imposante même s’il s’agit de bâtiments de moindre puissance. Les diverses

compagnies utilisent 36 unités en 1846 pour le service reliant Arles à Lyon49. Plus

68

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importante encore est la demande de l’État, qui s’est lancé dans une politique

d’équipement de la marine de guerre et du service postal. En 1842, 37 bâtiments à vapeur

sont en service dans la marine de guerre, 10 attendent leur lancement. La construction de

23 nouvelles unités a été programmée pour agrandir la flotte. Le service postal possède,

lui, 10 vapeurs. Plus d’une trentaine de nouveaux bâtiments sont donc en construction ou

programmés50. Ce marché de la marine royale fort de 110 navires et d’environ 200

machines motrices d’une puissance totale de 49 460 chevaux accompagnées de leurs

chaudières constitue un marché potentiel énorme pour les entreprises françaises51. Une

grande part de la flotte de l’État concerne directement les eaux méditerranéennes,

comme les paquebots-poste pour le Levant, l’Égypte ou la Corse. En 1845, 21 navires à

vapeur de l’État desservent le port de Marseille52. Au total, en 1846, 90 unités et plus de

150 machines marines sont présentes dans le port de Marseille. La ville est véritablement

entrée dans l’ère de la navigation à vapeur. Un marché considérable s’offre aux

entrepreneurs de la région s’ils parviennent à acquérir la technologie de la vapeur et à

concurrencer les Britanniques.

L’EQUIPEMENT DES LIGNES DE CHEMINS DE FER

23 La mise en service des premières lignes de chemins de fer dans le Gard et les Bouches-du-

Rhône s’effectue entre 1839 et 1848. Ces voies ferrées ont deux visées principales. Pour le

Gard, l’enjeu est d’offrir un accès à la Méditerranée au bassin houiller de La Grand’Combe

en le reliant au Rhône et, de là, par la navigation fluviale et maritime, à Marseille et

Toulon. L’objet de la ligne Marseille-Avignon est de faciliter l’augmentation des tonnages

de marchandises empruntant le couloir rhodanien. Les deux réalisations ont été l’œuvre

de Paulin Talabot, défenseur précoce du système de concessions des lignes ferroviaires

par l’État à des compagnies privées.

La mise en place des lignes du Gard et des Bouches-du-Rhône

24 La concession de la ligne de chemin de fer Alais-Beaucaire est obtenue en juin 183353.

Paulin Talabot, directeur des mines de la Grand’Combe et de l’exploitation de la ligne,

multiplie les contacts auprès des Davillier et de la maison Rothschild54. Avec ses appuis et

après une première initiative, une société en nom collectif par actions est constituée en

1837. Outre Paulin Talabot et sa famille, on trouve parmi les sociétaires les grands

hommes d’affaires marseillais dont beaucoup sont également impliqués dans le

développement de la navigation à vapeur. Certains d’entre eux sont proches de la maison

Rothschild (Jean Luce, Marc Fraissinet, Joseph Roux)55. Les bailleurs de fonds les plus

importants sont l’État (prêt de 6 millions de francs) et la maison Rothschild, qui investit la

même somme dans l’opération. La ligne Nîmes-Beaucaire est ouverte en juillet 1839, celle

de Nîmes à Alais en août 184056.

25 Les lignes du Gard achevées, Paulin Talabot et le groupe d’affaires marseillais qui l’avait

soutenu dans cette affaire57 se lancent dans la réalisation du tronçon Marseille-Avignon.

Après de nombreuses vicissitudes, la concession de la ligne est accordée à Paulin Talabot

en février 1843. La société est formée en avril de la même année. L’État apporte une

subvention de 32 millions et se charge de l’acquisition des terrains. Le capital est

considérable (20 millions de francs répartis en 40 000 actions). La maison Rothschild a été

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sollicitée dès 183858. Elle participe de nouveau à l’opération en souscrivant pour 4 000

actions, soit deux millions de francs59.

Le marché des locomotives

26 Comme pour l’industrie et la navigation à vapeur, les marchés sont importants. La phase

initiale de développement suppose un premier approvisionnement massif. Entre 1839 et

1846, les compagnies chargées de l’exploitation des voies ferrées de l’Hérault, du Gard et

des Bouches-du-Rhône commandent 123 locomotives60. Uniquement pour le tronçon

reliant Marseille à Avignon, la compagnie de Paulin Talabot décide, en octobre 1843,

d’acheter au moins 30 locomotives. Le chiffre pouvait même être porté à 40 unités suivant

les besoins61. À ce chiffre, il faut ajouter le reste du matériel roulant (tenders, wagons,

essieux, roues). Pour la ligne Marseille-Avignon, le conseil de la compagnie vote, en

novembre 1843, une adjudication pour la fourniture de 1 000 essieux et de 2 000 roues

pour wagons62. Enfin, un autre type de commandes, d’une nature différente, apparaît

parallèlement : les rails. L’ensemble des marchés représente une somme importante de

travaux pour l’industrie mécanique, la sidérurgie et la métallurgie de deuxième fusion.

Les commandes peuvent même se poursuivre une fois la ligne Marseille-Avignon équipée

puisqu’en 1845, la compagnie émet le projet de construire un embranchement vers Aix.

L’année suivante, une enquête est ouverte pour un projet de ligne entre Marseille et

Toulon.

LA MISE EN PLACE D’INFRASTRUCTURESMODERNES

27 La grande période des travaux d’aménagements urbains et portuaires se situe à Marseille

sous le second Empire. Elle s’inscrit néanmoins dans une continuité. Au cours des années

1830-1840, de nombreuses actions ont été engagées afin de doter Marseille

d’infrastructures modernes. La construction du canal de Marseille, la réalisation de la

voie ferrée Marseille-Avignon, l’assainissement et l’agrandissement du port ont été, sous

la monarchie de Juillet, les trois plus importants travaux réalisés.

Le canal de Marseille

28 Après divers conflits entre Marseille et le département, la ville reçoit l’autorisation de

construire le canal à ses frais par la loi du 4 juillet 183863. Elle lance l’année suivante un

emprunt de dix millions de francs. Les travaux ont été engagés dès octobre 1838.

L’opération a nécessité un nombre élevé d’ouvrages d’art. Sur les 82 654 mètres entre la

prise de l’eau de la Durance et l’arrivée au nord de Marseille, à Saint-Antoine, pas moins

de 41 percées ou galeries et 16 ponts aqueducs ont été nécessaires64. Pour les réaliser, les

appareils à vapeur sont massivement utilisés. Une machine d’environ 80 chevaux est

employée au percement des souterrains du canal65. Pour l’aqueduc de Roquefavour,

l’ouvrage d’art majeur du trajet, « on dut créer un chemin de fer qui reliât les carrières au

pont aqueduc et établir en même temps sur les piles de puissantes machines pour

soulever et poser les plus fortes pierres66 ». La construction commence en 1839 et se

termine sept années plus tard. Les travaux ont demandé 15 400 mètres de rails pour le

chemin de fer et l’utilisation de sept machines à vapeur67. La plus puissante d’entre elles

70

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soulève les blocs à une hauteur de 80 mètres68. La réalisation du souterrain des Taillades a

également nécessité de nombreux appareils à vapeur. La construction est rendue difficile

par les eaux qui ne cessent de s’écouler. L’épuisement se fait d’abord par des manèges à

bras. Les ingénieurs comprennent rapidement la nécessité d’utiliser la vapeur, seule force

capable d’évacuer rapidement les eaux. En 1840-1841, sept machines de six chevaux sont

installées. L’année suivante, un appareil d’environ 100 chevaux est mis en marche69.

Les aménagements portuaires

29 La seconde série de travaux concerne l’espace portuaire. Au début des années 1830, les

infrastructures du port de Marseille restent médiocres face à celles du Havre. Les eaux

renouvelées avec difficulté, l’encombrement des quais et du bassin, les problèmes de

déchargement des marchandises, de curage des fonds et l’absence d’un bassin de

carénage suffisamment grand constituent les principaux maux du port de Marseille. Avec

les années, le problème devient de plus en plus aigu, car l’accroissement du mouvement

maritime s’accélère dès les années 1830. En 1827, le port ne gère qu’un peu plus de

840 000 tonnes de marchandises. Ce chiffre est doublé en 1841 et atteint plus de deux

millions de tonnes trois années plus tard70. Les travaux réalisés sous la monarchie de

Juillet vont être importants. Le bassin de carénage est construit dans les années 1830 à

l’ouest du quai de Rive-Neuve. Il est équipé de machines à épuisement en 1836, de

plusieurs grues et d’une nouvelle machine à mater. A partir du début des années 1840, on

s’occupe « de la réparation du vaste bassin de la ville et de son élargissement71 ». Pour

l’assainissement du port, on installe une machine à vapeur en remplacement des

« maries-salopes »72. L’aménagement le plus important est celui d’un port annexe. Après

de longues discussions sur la localisation — on hésite longtemps entre les quartiers des

Catalans, d’Endoume et de La Joliette —, la construction d’un bassin spécialement destiné

à accueillir les bâtiments à vapeur est décidée en 1842. Il sera réalisé au nord de ce qui

sera désormais le Vieux-Port.

La construction des lignes de chemins de fer

30 À tous ces grands travaux, il faut enfin ajouter ceux occasionnées par l’établissement de

la voie ferrée entre Marseille et Avignon. Comme celle du canal, la construction de la

ligne a demandé des percées et des ouvrages d’art le long des 122 kilomètres de voies : le

tunnel de la Nerthe, le viaduc de Saint-Chamas et celui de Tarascon, long de 591 mètres et

au tablier de fonte, destiné à relier le réseau du Gard à celui des Bouches-du-Rhône par

Beaucaire73. Les appareils à vapeur ont été également employés en grand nombre. Il est

délicat d’évaluer les équipements nécessaires à ces travaux, mais plusieurs exemples

permettent d’en souligner l’ampleur. Une adjudication est votée par le conseil de la

compagnie en 1844 pour l’achat de six pompes d’épuisement destinées à la construction

du souterrain de la Nerthe74. Paulin Talabot a demandé l’autorisation d’établissement de

trois machines à vapeur en 1845-184675. Une de ces machines est destinée au service des

briqueteries de la compagnie. L’usage des deux autres, employées au domaine de la

Féline, n’est pas mentionné. En 1845, les travaux de fondation du Viaduc entre Tarascon

et Beaucaire demande « l’emploi de machines à vapeur pour le pilotage et le dragage76 ».

71

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LA DEMANDE : UN FACTEUR NÉCESSAIRE MAIS NONSUFFISANT

31 À Marseille, entre 1831 et 1846, la croissance industrielle, la multiplication des grands

travaux d’infrastructures, l’apparition de la navigation à vapeur et des chemins de fer ont

provoqué une utilisation massive des appareils à vapeur et des produits métallurgiques

en fer et en fonte. Aucune autre région de l’Europe du sud n’a connu une telle conjugaison

d’éléments propres à constituer une demande en biens d’équipement aussi importante.

Cette demande est un préalable nécessaire à la naissance de l’industrie métallurgique et

mécanique. Néanmoins, celle-ci ne constitue pas une condition suffisante. Dans le sud de

l’Europe, les cas pour le démontrer sont particulièrement nombreux.

Les effets de l’industrialisation dans les pays du sud de l’Europe

32 Au cours du XIXe siècle, plusieurs centres nord-méditerranéens ont connu une croissance

industrielle génératrice d’importantes commandes de biens d’équipement. Pour les

installations de machines à vapeur, Barcelone et la Grèce offrent ici des exemples

particulièrement significatifs. La Catalogne a connu un démarrage industriel

particulièrement vigoureux entre 1833 et 1860. À la différence de Marseille, il s’effectue

principalement sous l’impulsion du secteur textile77. En 1833, Josep Bonaplata installe, à

Barcelone, une machine à vapeur dans son entreprise textile. Entre 1836 et 1840, 33

appareils sont installés dans les usines de la province78. Huit années plus tard, la ville en

compte 69, la province 135 pour une puissance totale de 2 414 chevaux79. Avec deux

centres principaux, Le Pirée et Hermoupolis, la Grèce suit le mouvement avec un décalage

chronologique d’une trentaine d’années. Les deux ports participent activement à

l’émergence d’un secteur industriel qui prend un essor important. Comme à Marseille, les

secteurs de l’alimentaire et des huiles dominent largement80. Le pays possède une

vingtaine d’établissements à vapeur en 186781. Ce chiffre est multiplié par sept en huit

années seulement82. Il culmine à 220 en 1900.

33 Ces chiffres reflètent l’ampleur des marchés de biens de production apparus en

Catalogne, au Pirée et à Hermoupolis lors de ces phases initiales de développement. Les

opportunités de créer un secteur de la métallurgie et de la construction mécanique dans

ces deux régions étaient donc importantes. Des entreprises de mécanique sont nées à

Barcelone, au Pirée et à Hermoupolis mais se sont développées tardivement, longtemps

après la phase initiale d’industrialisation. Elles ont rencontré au départ de grandes

difficultés et n’ont obtenu qu’une part réduite des commandes adressées par les

entreprises des différents secteurs industriels. Entre 1833 et 1848, sur les 130 machines à

vapeur installées en Catalogne dont l’origine est connue, les ateliers de Barcelone et de sa

région n’en ont fabriqué que douze, soit à peine plus de 9 %83. En Grèce, la situation est

identique. Les constructeurs locaux bénéficient de quelques commandes, mais les divers

industriels continuent de s’adresser à des constructeurs français et britanniques84. À

Hermoupolis, en 1881, les six minoteries à vapeur en fonction ont été équipées et

installées par des constructeurs français85.

72

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Un constat identique pour les chemins de fer et la navigation à

vapeur

34 Ce qui a été observé sur les répercussions de la croissance industrielle est également vrai

pour celles engendrées par l’établissement des voies ferrées. L’échec de l’entreprise de

Taylor & Prandi à Gênes est révélateur de la difficulté d’obtenir les commandes. Cette

société a été créée en 1845 avec l’aide financière du gouvernement sarde pour les travaux

de réparation des locomotives de la ligne Turin-Gênes. Philip Taylor voit plus grand et

espère non seulement réparer mais aussi construire les machines. Les ateliers sont

organisés en conséquence mais l’Azienda delle Strate Ferrate refuse de passer ses

commandes à l’entreprise génoise et s’adresse à l’industrie britannique86. Les travaux

confiés par l’État ne sont plus proportionnels aux dimensions de l’entreprise et aux

capitaux qui y ont été investis. Déçu, Philip Taylor abandonne la société 185187. On peut

dresser le même constat pour les entreprises catalanes. La Maquinista Terrestre y Maritima,

société barcelonaise, essaie, au début des années 1860, de se lancer dans la construction

de locomotives. Elle offre ses services à la Compañía del Ferrocarril Zaragoza-Barcelona, en

1863, et à l’Empresa del ferrocarril de Tardienta, l’année suivante88. Les marchés lui

échappent et sont également confiés à des constructeurs étrangers. L’entreprise devra

encore atteindre vingt ans pour se lancer dans la construction de locomotives en séries. A

l’image de la Maquinista Terrestre y Maritima, les entreprises espagnoles ne vont bénéficier

que dans une faible mesure des commandes des compagnies ferroviaires non seulement

dans le domaine du matériel roulant mais aussi dans celui, considérable, des rails. Les

hauts fourneaux, fondés sur les espérances provoquées par la construction des lignes, ne

parviennent pas à obtenir les marchés des compagnies ferroviaires. Celles-ci sont

exigeantes et ne peuvent se permettre d’attendre l’établissement d’une sidérurgie

nationale capable de répondre à leurs besoins. Les commandes sont adressées à des

entreprises étrangères. « Seule l’importation pouvait fournir le matériel nécessaire dans

des conditions de délais et de coûts acceptables par les compagnies89. »

35 Cette difficulté à mettre en adéquation, au niveau local, la demande et l’offre se retrouve

enfin dans le domaine de la navigation à vapeur. L’Espagne, l’Italie et la Grèce sont des

pays qui ont tous connu, dans les deux derniers tiers du XIXe, une grande période de

croissance de leur flotte de vapeurs commerciaux et militaires. Là encore, les contrats

passés avec les constructeurs français et anglais resteront longtemps les plus nombreux.

Pratiquement tous les navires qui ont été construits par les chantiers de la côte ligure

entre 1819 et 1859 sont équipés de machines étrangères. Seuls deux bâtiments ont reçu

des appareils fabriqués localement90. En Espagne, jusqu’aux années 1880, les chantiers

navals, les ateliers de mécanique et les entreprises métallurgiques doivent se contenter

de maigres travaux. Les sociétés britanniques et françaises fournissent l’essentiel des

coques et des machines. Avant 1860, les chantiers catalans n’ont construit que huit

navires à vapeur dont deux seulement étaient équipés de machines motrices fabriquées à

Barcelone91.

***

36 Les demandes de machines et de produits métallurgiques des compagnies ferroviaires, de

navigation à vapeur et des industriels n’ont donc pas automatiquement provoqué le

73

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développement d’entreprises prenant en charge, au niveau local, l’ensemble de ces

fabrications. Les raisons expliquant les échecs ou semi-échecs seront analysées plus loin.

Il faut ici simplement constater qu’il n’existe aucun déterminisme. La réunion de

plusieurs autres facteurs s’avère nécessaire. A Marseille, outre la demande, quatre autres

conditions doivent être réunies pour permettre l’émergence et l’enracinement d’un

secteur de la métallurgie et de la construction mécanique. Il faut d’abord trouver des

entrepreneurs locaux ou extérieurs prêts à prendre des initiatives dans cette branche.

Marseille peut aisément remplir cette condition. Les trois autres posent plus de

difficultés. Pour connaître une croissance, le secteur doit faire appel à l’extérieur aussi

bien pour le financement de grandes sociétés que pour l’obtention des marchés. Très vite,

les entrepreneurs devront raisonner sur des réseaux. Ensuite, Marseille doit importer une

technologie et parvenir à la maîtriser pour devenir autonome. Elle doit enfin s’assurer le

concours de l’État pour faciliter les initiatives au moyen d’actions indirectes

(autorisations d’installation, privilèges, législation douanière adaptée au secteur en

formation) ou d’interventions directes (cautionnement d’emprunts, prêts de capitaux à

des taux avantageux).

NOTES

1. LESCURE M., « Companies… », art. cit., p. 105-120.

2. ECM, t. III, p. 391-392.

3. Cf. GERSCHENKRON A., Economie Backwardness in Historical Perspective, Cambridge, 1962 et Rostow

W. W., Les Etapes de la croissance économique, Paris, 1963. Ces grilles d’analyse ont été et sont

fortement critiquées (cf. COCHET F., HENRY G. M., Les Révolutions industrielles. Processus historiques.

Développements économiques, Paris, 1995 ; LOUAT A., SERVAT J.-M., Histoire de l’industrie française

jusqu’en 1945 : une industrialisation sans révolution, Paris, 1995 et WORONOFF D., Histoire de l’industrie

en France du XVIe siècle à nos jours , Paris, 1994). Il ne s’agit pas de relancer le débat entre

gradualistes et partisans de la rupture. Nous avons simplement utilisé la grille de lecture la plus

propre à appréhender le développement industriel marseillais : « The more backward a country’s

economy, the more likely was its industrialization to start discontinously as a sudden great spurt

proceeding at a relatively high rate of growth of manufacturing output » ( GERSCHENKRON A., Economic

Backwardness…, op. cit., p. 353).

4. De 179 tonnes en 1821 à 150 en 1830 et 60 en 1848 (cf. ACM 22 F 3, et AN C 947).

5. ECM, t. III, p. 157.

6. Ibid., p. 218-219.

7. SF, p. 211.

8. DAUMALIN X., Marseille et l’ouest africain, l’outre-mer des industriels (1841-1956), Marseille, 1992, p.

38.

9. AN F 14 4233.

10. ECM, t. III, p. 303.

11. WORONOFF D., Histoire de l’industrie…, op. cit., p. 204.

12. MIN, t. II, p. 369.

13. RONCAYOLO M., L’imaginaire de Marseille…, op. cit., p. 36.

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14. EMP J 1847 (114).

15. Cette chronologie s’appuie sur la note de février 1847 remise à la chambre de commerce de

Marseille par Dupasquier, un courtier de commerce (ACCM MP 352).

16. Marseille importe 562 quintaux de houilles britanniques en 1831, 196 000 en 1837 et près de

400 000 en 1841. Le droit d’importation de ces houilles est relativement faible : 30 centimes les

100 kilos par navire français, 80 par bâtiments étrangers en 1837 (ibid. et ECM, t. III, p. 33-34).

17. Cf. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes et l’industrialisation internationale dans la première

moitié du XIXe siècle, Paris, 1964, p. 319.

18. SM, 24 juillet 1839.

19. SIM, 1847.

20. Cf. VON TUNZELMANN G. N., Steam Power and British Industrialization to 1860, Oxford, 1978.

21. Déclaration du Major Porro dans GABERT P., Turin, ville industrielle, Paris, 1964, p. 86.

22. CAIZZI B., L’economia lombarda…, op. cit., p. 161.

23. CASTRONOVO V., L’industria laniera in Piemonte nel secolo XIX, Turin, 1965, p. 251-252.

24. GABERT P., Turin…, op. cit., p. 86.

25. QUATTARET D., « Les premières fumées d’usines : 1880-1914 » dans VEINSTEIN G. (dir.), Salonique

(1850-1914) : le réveil des Balkans, Paris, 1992, p. 182-183.

26. NADAL J., Moler…, op. cit., p. 86.

27. Ibid., p. 90.

28. Cf. annexe 1 in fine.

29. GILLE B., Les Sources statistiques de l’histoire de France, Paris, 1964, p. 174.

30. Cf., par exemple, le travail de régularisation mené par Sentis, ingénieur des Mines, pour les

usines métallurgiques des Bouches-du-Rhône à partir de 1858 (AN F 14 4313).

31. SIM, 1865. La crainte des explosions des appareils s’efface. Les progrès de la

thermodynamique ont permis la construction d’appareils plus sûrs.

32. Les chiffres énoncés pour les Bouches-du-Rhône concernent en fait la région marseillaise.

L’arrondissement d’Arles ne possède aucune machine à vapeur en 1843-1844 (cf. SF, p. 211).

33. GILLE B., Les Sources…, op. cit., p. 200-201.

34. Pour les Bouches-du-Rhône, l’enquête a été menée en 1843-1844 (ACM 22 F 5). Elle recense 80

machines à vapeur, mais il manque les appareils de plusieurs fonderies et ateliers de mécanique

(probablement quatre ou cinq appareils ; cf. ECM, t. III, p. 380-385 et ADBdR XIV M 12/179), celles

de quatre minoteries marseillaises (l’enquête n’en recense que deux) ainsi qu’une ou deux

machines d’épuisement pour des mines.

35. LANDES D. S., L’Europe technicienne ou le Prométhée libéré. Révolution technique et libre essor

industriel en Europe occidentale de 1750 à nos jours, Paris, 1975, p. 252.

36. AN F 14 4233.

37. GIR, p. 73.

38. Ibid., p. 70.

39. EDBdR, t. IX, p. 356.

40. GIR, p. 71.

41. SM, 19 et 21 mars 1835.

42. GUIRAL P., Marseille et l’Algérie, 1830-1841, Gap, 1956, p. 123.

43. Cf. BARAK M., « Intérêts régionaux, haute banque parisienne et pouvoir d’État », Revue

historique, 1974, p. 331-372.

44. GIR, p. 76.

45. Pour toutes ces compagnies, cf. Bois P., Armements marseillais. Compagnies de navigation à vapeur

(1831-1988), Marseille, 1988, p. 60-62

46. EDBdR, t. IX, p. 355.

47. SIM, 1841.

75

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48. Ibid., 1846.

49. Ibid., 1846.

50. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 372.

51. Ibid.

52. MIN, t. II, p. 361.

53. ERNOUF BARON (D’), Paulin Talabot, Paris, 1886, p. 33.

54. GILLE B., La Banque et le crédit en France de 1815 à 1848, Paris, 1959, p. 207.

55. ERNOUF BARON (D’), Paulin Talabot…, op. cit., p. 35-36. Une première société, au capital de 6,5

millions de francs, a été formée en 1833. C’est dans la seconde, fondée en 1837 et au capital de 16

millions de francs, que l’on relève les noms de Jean Luce, de Marc Fraissinet et de Joseph Roux

(Roux de Fraissinet & cie à partir de 1837), correspondant de la maison Rothschild à Marseille.

56. Le Moniteur industriel, 22 juillet 1840 ; ERNOUF BARON (D’), Paulin Talabot…, op. cit., p. 45.

57. ADBdR 548 U 4.

58. GILLE B., Histoire de la maison Rothschild, t. I : Des origines à 1848, Genève, 1965, p. 267.

59. Ibid.

60. SIM, 1839-1846.

61. AN 77 AQ 44.

62. Ibid.

63. RONCAYOLO M., L’Imaginaire de Marseille…, op. cit., p. 25.

64. ECM, t. III, p. 421.

65. AN F 14 3829.

66. GLEIZES A., « Notice sur les travaux exécutés pour la dérivation des eaux de la Durance

amenées à Marseille » dans Mémoire de l’Académie royale des sciences et belles-lettres de Toulouse, t.

III, 1847, p. 50.

67. Ibid., p. 57.

68. ECM, t. III, p. 382.

69. Cf. JASMIN C, « Le chemin de fer d’Avignon à Marseille, 1840-1852 : nouvelles questions »,

Marseille, n° 169, 1994, p. 22-31.

70. MASSON P., « Le Vieux-Port et le commerce de Marseille jusqu’en 1840 », dans Études sur

Marseille et la Provence…, op. cit., p. 65.

71. EMP, J 1842 (80).

72. ECM, t. III, p. 429.

73. EDBdR, t. IX, p. 737.

74. AN 77 AQ 44.

75. ADBdR, XIV M 12/179.

76. JASMIN C, « Le chemin de fer… », op. cit., p. 30.

77. En 1848, les entreprises du secteur du coton emploient les deux tiers des machines à vapeur.

Cf. FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 298.

78. ILLAS Y VIDAL J., Memoria sobre losperjuicios que occasionaria en España… la adopción del sistema del

libre cambio, Barcelone, 1849, p. 50.

79. FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 288.

80. On compte 35 minoteries et 10 moulins à huiles actionnés par la vapeur en 1875 (MANSOLAS A.,

Renseignements statistiques sur les établissements industriels à vapeur en Grèce, Athènes, 1876, p.

14-19).

81. MANSOLAS A., Renseignements statistiques sur la Grèce, op. cit., p. 101.

82. Sauf indication, cf. AGRIANTONI C., « Les débuts de l’industrialisation en Grèce (les années

1870-1880) », thèse de doctorat, Paris X, 1984, « Ville et industrialisation en Grèce au XIXe siècle :

l’industrialisation dans une seule ville », Villes en parallèle, 1986, n° 9.

83. FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 291.

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Page 79: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

84. Reports from Her Majesty’s Consuls on the Manufactures, Commerce of their Consulatr Districts,

Londres, 1874, p. 1370.

85. Document communiqué par Mme Christine Agriantoni.

86. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 196.

87. Ibid., p. 194.

88. NADAL J., Moler…, op. cit., p. 148.

89. CHASTAGNARET G., « Le secteur minier… », op. cit., t. II, p. 349.

90. MARCHESE U., L’industria ligure…, op. cit., p. 12.

91. NADAL J., MALUQUER DE MOTES J., SUDRIA C., CABANA F., Historia económica de la Catalunya

contemporània, segle XIX, Indústria, transports i finances, Barcelone, 1991, vol. III, p. 320.

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Chapitre V. Les hommes

1 Au début des années 1970, les travaux de Paul Bairoch ont attiré l’attention sur le rôle

majeur des artisans dans la constitution des secteurs représentatifs de l’industrialisation

de la première moitié du XIXe siècle 1. Les apports de l’artisanat – réservoir humain,

technique et financier – ne sont certes pas l’unique facteur de formation des industries

« modernes ». Ils restent toutefois un facteur préalable déterminant surtout dans les

secteurs de la métallurgie et de la construction mécanique. La transformation des artisans

et des ouvriers de la petite métallurgie en fondeurs et en mécaniciens modernes a été

mise en évidence par les études fondatrices de A. Musson et d’E. Robinson pour la région

de Manchester2 et de Maurice Daumas pour la France 3. Le phénomène est aujourd’hui

bien connu. La faiblesse des liens entre la technologie et la science, surtout dans le

premier tiers du XIXe siècle, et la nature relativement peu complexe des techniques

employées dans la métallurgie et l’industrie de la construction mécanique permettent à

un artisanat traditionnel d’opérer sa mutation sans trop de difficultés par la pratique et

l’adoption graduelle des procédés techniques modernes4. L’un des héritages les plus

marquants dont dispose Marseille dans le domaine métallurgique est un artisanat

nombreux, rompu au travail du fer et surtout des non-ferreux. La ville peut-elle exploiter

cette situation à l’instar du nord-ouest de l’Europe ? Devra-t-elle aussi faire appel à des

savoirs extérieurs pour des techniques qui deviennent de plus en plus perfectionnées ?

LES ENTREPRENEURS LOCAUX

2 Vers 1830, les artisans marseillais de la petite métallurgie, avec leurs effectifs, leur savoir-

faire et les capitaux dont ils peuvent disposer, forment un important vivier. Dans ce

groupe, les industries de la métallurgie et de la construction mécanique vont trouver des

dirigeants, des techniciens et une main-d’œuvre aux compétences techniques solides

pour assurer leur mutation. Le premier exemple est observé en Provence dès la fin des

années 1820. En 1829, l’arsenal de Toulon décide de créer dans son enceinte un atelier de

réparation pour ses appareils à vapeur. La plupart des futurs ouvriers mécaniciens sont

recrutés au sein même de l’arsenal dans les ateliers de la petite métallurgie (forgerons,

fondeurs, chaudronniers…)5. La ville de Marseille connaît également ce même processus

au cours des années 1830. Beaucoup d’artisans s’orientent alors vers les nouveaux

secteurs métallurgiques en formation.

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Page 81: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Des hommes principalement issus de l’artisanat local

3 Il est difficile de savoir si ces hommes sont de purs locaux ou des français d’autres

régions, attirés à Marseille par les opportunités qui s’offrent à eux. L’intégralité des

carrières professionnelles et l’origine géographique des fondeurs et mécaniciens

marseillais de la monarchie de Juillet sont difficilement repérables. Quelques cas peuvent

toutefois être étudiés. Jean-Baptiste Gautier est né à Marseille en 1805, tout comme

Etienne Chambovet en 18116. Jean-Baptiste Falguière, en revanche, est originaire du Tarn7

. En fait, l’origine a peu d’importance. On peut considérer la majeure partie de ces

artisans comme autochtones. Lorsqu’ils créent des fonderies ou des entreprises de

mécanique, ces hommes ont déjà un long vécu professionnel phocéen. Les secteurs de

provenance des entrepreneurs des années 1830-1840 sont multiples, mais certaines

professions de l’artisanat métallurgique ont joué un rôle crucial. C’est le cas, par exemple,

de la chaudronnerie. En 1843-1844, tous les propriétaires d’ateliers spécialisés dans la

réparation et la construction de chaudières à vapeur dont l’origine est connue (Prosper

Azémar, Jean-Baptiste Gautier et Saint-Joannis8) sont d’anciens chaudronniers marseillais9. Les forgerons ont été parmi les premiers et les plus nombreux à se lancer dans les

nouveaux secteurs métallurgiques et mécaniques. Martiny père et fils, Jean-Baptiste

Falguière et François Denegon ont tous exercé cette profession. La fonderie artisanale est

également un réservoir important puisqu’elle est la branche d’activité d’origine de

Barthélémy, de Pierre-Joseph Baudoin, d’Antoine Ferreol et des frères Puy, tous

fondateurs d’établissements durant la monarchie de Juillet. À des degrés divers, tous les

métiers de la petite métallurgie ont été concernés. Etienne Chambovet était serrurier

avant de se lancer dans la construction mécanique10, Capel a débuté comme tourneur sur

métaux. Les exemples de ce type peuvent être multipliés.

4 L’artisanat de la métallurgie a donc donné l’essentiel des dirigeants de fonderies et

d’ateliers de mécanique de la période, mais d’autres secteurs de l’économie marseillaise

ont fourni plus exceptionnellement quelques entrepreneurs et non des moindres.

Barthélémy Granier était déjà en rapport avec les métaux, mais d’une manière indirecte

puisqu’il exerçait la profession de marchand de fer avant de devenir industriel de la

métallurgie. Jean Briqueler, futur propriétaire de fonderies à Septèmes-les-Vallons,

exerce la profession de négociant au début des années 1840. Georges Danré était, lui,

directeur des usines à gaz de la Compagnie du Midi dans les années 1830 avant de se

lancer dans la production des fers. Le dernier cas est très certainement le plus

exceptionnel. Louis Benet n’est, au tout début des années 1840, qu’un petit industriel du

textile à La Ciotat11. Il n’a aucune compétence métallurgique. Il sera pourtant un des plus

grands entrepreneurs de la période. Homme remarquablement entreprenant et

clairvoyant, il palliera ses lacunes techniques en prenant soin de s’entourer de personnes

compétentes.

Un milieu d’autodidactes

5 Parmi les entrepreneurs issus des milieux locaux, pratiquement aucun n’a suivi de

formation technique théorique. La seule exception est celle de Pons Peyruc puisque cet

industriel a été formé à l’École centrale des arts et manufactures avant d’installer sa

première usine à La Seyne-sur-Mer12. Il faut toutefois souligner l’origine artisanale de sa

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famille (chaudronnier du Cantal) qui a peut-être influencé le choix de ses activités. Avec

une décennie de décalage, le cas marseillais se calque donc sur le mouvement général

français décrit par Maurice Daumas dans les années 197013.

6 Les modalités et les étapes de la transformation de ces artisans locaux en fondeurs et

mécaniciens restent obscures. Elles s’insèrent toutefois dans un cadre bien connu. Pour le

secteur de la fonderie de deuxième fusion, les techniques relatives à la fonte des métaux

ne posent guère de difficultés. Les divers types de connaissances nécessaires à la pratique

de ces opérations sont déjà en grandes parties maîtrisés par l’artisanat de la petite

métallurgie. Les modifications peuvent donc se faire graduellement en s’appuyant sur les

acquis du passé. Les techniques du moulage de pièces de métaux sont plus délicates à

acquérir, mais offrent l’avantage de n’exiger aucune compétence scientifique particulière.

Pour la mécanique, le problème est radicalement différent, car les caractéristiques

techniques de la vapeur sont totalement ignorées de l’artisanat de l’Ancien Régime. Elles

nécessitent une adaptation totale et complexe. Les artisans marseillais suivent cependant

un mouvement lancé depuis un demi-siècle. La technique voyageant avec les hommes, la

possibilité d’acquérir des connaissances au moyen d’apports externes est une solution

efficace pour résoudre ce problème. Les entreprises doivent passer par un processus

classique dont le déroulement s’articule autour de trois phases. Dans un premier temps,

les activités se bornent à des travaux de réparation qui permettent de saisir le

fonctionnement global des appareils. Les copies suivent et débouchent enfin sur des

constructions pensées par les producteurs.

7 Dès la fin de la Restauration, il paraît certain que plusieurs artisans marseillais ont

travaillé sur des appareils à vapeur avant de fonder leurs entreprises. Les industriels

locaux qui possédaient machines et chaudières ne pouvaient attendre de leurs

fournisseurs parisiens ou britanniques les pièces de rechange trop longtemps sans mettre

en danger le rythme de leur production. Ils se sont donc sûrement adressés aux

chaudronniers, fondeurs et forgerons locaux pour effectuer les travaux d’entretien,

réparer ou changer les pièces défectueuses dans des délais plus rapides. La carrière

professionnelle de Jean-Baptiste Falguière en offre un bon exemple. Dans les années 1820,

l’ancien forgeron a été recruté comme contremaître dans le moulin à vapeur d’Emmanuel

Marliani14. Il a donc pu observer avec attention les mécanismes d’une machine à vapeur et

pratiquer certains travaux d’entretien et de réparations avant d’ouvrir son atelier de

mécanique en 1831. Hippolyte de Villeneuve l’a présenté comme un autodidacte

remarquable, capable de fabriquer ses outils et sa première machine sans aucun modèle

de référence sous les yeux15. Brillant, Falguière l’était très certainement. Villeneuve a

toutefois forcé le trait puisque ses activités professionnelles lui ont déjà permis

d’observer des modèles. De plus, il semble impossible qu’il ait pu lui-même fabriquer en

totalité ses outils. Les machines d’alésage pour la réalisation des cylindres, par exemple,

sont d’une trop grande complexité pour un artisan qui commence à se lancer dans ce type

de fabrication. Au début des années 1830, la technologie de fabrication des machines-

outils n’est maîtrisée que par des techniciens britanniques et une poignée de

constructeurs français chevronnés. Jean-Baptiste Falguière possède en outre, dès le début

des années 1830, des appareils à vapeur pour le fonctionnement de ses ateliers

commandés à l’industrie mécanique parisienne16.

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Une situation originale dans le cadre sud-européen

8 Le cas de démarrage de l’industrie marseillaise de la métallurgie et de la construction

mécanique n’est ni neuf ni différent de ceux de nombreuses régions françaises ou

britanniques. En revanche, il présente un visage original dans l’espace nord-

méditerranéen. Dans ce cadre géographique, les régions qui se sont appuyées en grande

partie sur des entrepreneurs d’origine locale ou nationale et sur d’anciens artisans sont

peu nombreuses. Dans les divers États italiens, en Espagne et en Grèce, même si quelques

carrières professionnelles peuvent faire penser aux trajectoires des artisans marseillais17,

les entrepreneurs étrangers jouent un rôle prépondérant au cours de la phase initiale de

développement. La seule ville à offrir une situation identique à celle de Marseille est

Barcelone. Dans les années 1830-1840, le patronat de l’industrie métallurgique et

mécanique de la cité catalane, alors dans sa première phase de croissance, est composé en

presque totalité de personnages locaux. A la différence du cas marseillais, les hommes les

plus importants ne proviennent pas du milieu artisanal mais d’un secteur industriel bien

précis, le coton. À l’origine des entreprises de mécanique ou des fonderies (La Barcelonesa,

El Nuevo Vulcano, La Maquinista Terrestre y Maritima…) se retrouvent les grands noms d’une

l’industrie cotonnière alors en pleine expansion (Valentí Esparó, Lluis Perrenod, Salvador

Bonaplata y Corriol, Nicolas Tous y Soler, Joan Güell…)18. À Barcelone, « la preocupación de

los algodoneros, pioneros de la mecanizaciôn, por las construcciones mecánicas es obsesiva19 ».

LES OUVRIERS QUALIFIÉS ET LEUR FORMATION

9 Les milieux économiques marseillais ont pu fournir une classe d’entrepreneurs capable de

relever le défi constitué par l’installation d’une industrie métallurgique et mécanique

moderne. Cependant, un obstacle est rapidement apparu : les ouvriers manquent. Les

fonderies et les ateliers de mécanique installés dans une région à vocation métallurgique

récente connaissent des difficultés pour se constituer une main-d’œuvre de qualité

suffisante. Dans les années 1830, l’industrie marseillaise ne peut trouver dans sa propre

région les salariés dont elle a besoin. La situation est logique. La formation de base

d’ouvrier qualifié s’effectue par un apprentissage de longue durée comportant un

enseignement théorique et, surtout, une pratique en atelier.

Un enseignement technique longtemps inexistant

10 L’enseignement technique dans les Bouches-du-Rhône est presque inexistant sous la

Restauration et sous la monarchie de Juillet. Cette situation provoque l’inquiétude de

nombreuses personnalités et n’échappe pas à Jules Julliany : « Il est essentiel […] de

donner un vaste et sérieux développement à l’enseignement professionnel non seulement

pour les classes ouvrières mais encore pour les enfants de la bourgeoisie20. » Outre

l’enseignement professionnel, l’implantation dans la ville d’un lieu de culture technique

ainsi que des manifestations régulières pour encourager le développement industriel de

la région sont fortement demandées. La constitution, sur le modèle parisien, d’un

conservatoire des arts et métiers où seraient exposés des modèles de machines et

mécaniques est réclamée, tout comme l’établissement d’une exposition périodique des

produits de l’industrie21. L’ingénieur des Mines Chambovet veut développer dans la masse

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des ouvriers et des artisans la lecture des ouvrages classiques portant sur la mécanique et

lutte contre des blocages particulièrement absurdes : « Si nos municipaux avaient le bon

esprit d’ouvrir la bibliothèque les jours fériés et le dimanche, vous iriez y consulter les

excellents traités de Trégold, de Poncelet, de Bélidor, de Christian de Borgnis, l’histoire de

la vapeur par Montgeny, le grand ouvrage d’Arago sur les machines…22 ». La plupart de

ces idées ne seront pas suivies de réalisation. Seules les expositions verront le jour, mais

sous le second Empire. À Marseille, le seul projet d’envergure dans lequel s’engagent les

milieux d’affaires et industriels est celui de la création d’une école des arts et métiers

dans les Bouches-du-Rhône.

La création de l’école des arts et métiers d’Aix-en-Provence

11 L’État et tous les acteurs de la vie économique et politique du département trouvent leurs

intérêts dans cette création. Aix-en-Provence, localité prévue pour installer l’école,

espère redorer un blason terni par la perte de ses fonctions politiques de la période

d’Ancien Régime. L’État crée un centre de formation d’une grande utilité pour son arsenal

de Toulon. Les entrepreneurs de la région auront près d’eux un réservoir de qualité,

susceptible de leur fournir contremaîtres et ouvriers qualifiés.

12 Au début des années 1840, les collectivités locales et la chambre de commerce de

Marseille promettent de dégager des fonds importants. Les conseils généraux des

Bouches-du-Rhône et du Var, les conseils municipaux de Marseille et d’Aix-en-Provence

et la chambre de commerce se sont engagés à fournir les 250 000 francs nécessaires à

l’installation de l’école23. Le gouvernement est sensible à un effort qui le dispense des frais

d’installation. Avec l’appui d’Adolphe Thiers, la coalition obtient, contre la ville de Nîmes

et surtout celle de Toulouse, la préférence des députés et celle de la chambre des pairs. La

ville d’Aix-en-Provence a fourni le local, dont la valeur est de plus de 50 0000 francs24. Les

entreprises métallurgiques marseillaises prêtent elles aussi leur concours en acceptant les

élèves de l’école dans leurs ateliers pour les initier à la pratique25. Le chantier de La

Ciotat, plus grande société de la région, offre ses services sans restrictions. Il est disposé à

accueillir, avec la Marine de l’État, les élèves durant l’ensemble de leur seconde année26.

13 On ne sait comment les entreprises ont véritablement collaboré avec l’école. Une seule

certitude : les répercussions de cette création sur la formation d’une main-d’œuvre

qualifiée sont faibles pour la période de la monarchie de Juillet. Il faudra plusieurs années

pour que les premiers effets bénéfiques puissent jouer en faveur des entreprises et de la

marine. Pour son établissement et son développement, l’industrie métallurgique et

mécanique marseillaise a dû s’appuyer sur d’autres forces.

L’appel à des forces externes

14 Dès les années 1835-1846, avec la croissance du nombre des fonderies de deuxième fusion

et des ateliers de mécanique, les besoins en main-d’œuvre et en contremaîtres se font de

plus en plus pressants. Pour la seule ville de Marseille, on ne compte que 170 ouvriers

mécaniciens ou fondeurs en 183827. Quatre années plus tard, les effectifs ont pris une

dimension considérable. Près de 500 salariés travaillent dans les fonderies de deuxième

fusion, 700 dans les ateliers de mécanique28. En 1846, les ateliers de Louis Benet, situés à

Marseille, à La Ciotat et à La Seyne, rassemblent 1 000 ouvriers à eux seuls. Les

entrepreneurs marseillais font très tôt le constat du manque d’une main-d’œuvre à

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niveau de qualification suffisant. « Nos ateliers sont naissants et nos ouvriers peu habiles

encore29 », écrit Louis Benet en 1837. Les entreprises marseillaises sont obligées de

chercher dans diverses régions françaises les ouvriers qui font défaut. Pour ses ateliers,

Louis Benet fait d’abord appel aux frères Schneider, qui comptent parmi les soutiens

financiers de sa société, afin d’obtenir de bons mouleurs. Les établissements du Creusot

ne peuvent lui fournir les hommes demandés :

« Ce serait avec le plus grand plaisir que nous vous adresserions deux mouleurs dechoix si nous en avions seulement quelques uns sur lesquels on puisse compter maismalheureusement nous n’en sommes pas là […] C’est essentiellement à Paris qu’il ya une pépinière de bons mouleurs30. »

15 Sur cette indication des frères Schneider, les salariés des fonderies de Louis Benet sont

recrutés dans des établissements de Rouen ou de Paris31. Ce recours aux ouvriers du nord

de la France se poursuit jusqu’à la fin du règne de Louis-Philippe. En 1846, le personnel

qualifié de la métallurgie est particulièrement atypique dans le monde ouvrier

marseillais. Ces hommes ont le plus haut taux d’alphabétisation (86 % d’entre eux savent

lire et écrire). Ils offrent, en revanche, avec un chiffre de 37 %, le plus faible taux de

naissance marseillaise32.

16 L’absence de l’enseignement technique dans les Bouches-du-Rhône, tardivement

compensée par l’ouverture de l’école des arts et métiers d’Aix et le recours au

recrutement d’ouvriers français ne signifient pourtant pas que l’industrie métallurgique

et mécanique marseillaise n’a pas su trouver de solutions pour combler ses lacunes en

matière technique et humaine. Plusieurs documents montrent au contraire que la main-

d’œuvre locale a réalisé d’énormes progrès. Dès 1839, Philip Taylor, propriétaire du plus

important atelier marseillais de construction mécanique, peut écrire :

« Pour assurer le succès de la navigation à vapeur, des ateliers de constructionsmécaniques et des ouvriers habiles dans cette partie sont des objets de toutenécessité et c’est avec un vif plaisir que nous voyons la réussite complète de leurformation à Marseille. L’expérience nous prouve que les constructions les plusdifficiles en mécanique peuvent être parfaitement exécutées par les gens du payss’ils sont bien dirigés33. »

17 La formation des ouvriers au sein des ateliers s’est opérée d’une manière assez rapide.

Preuve de cette réussite, les mécaniciens locaux formés par Philip Taylor sont recrutés à

prix d’or par les entreprises sud-européennes34. Ce succès, l’industrie marseillaise le doit

à plusieurs dizaines d’hommes qui ont franchi la Manche et traversé la France pour

s’établir, temporairement ou définitivement, en Provence. Les contremaîtres et

techniciens britanniques, présents en nombre important dans les entreprises

marseillaises, ont encadré la main-d’œuvre locale. Au cœur des ateliers, ils ont contribué

à opérer le transfert de la technologie britannique. Le cas marseillais n’est en rien

original. Les divers centres industriels nord-méditerranéens ont été confrontés au même

type de problèmes et ont élaboré des solutions similaires. Deux différences notables

apparaissent toutefois. Les contingents de techniciens britanniques n’ont pas été de la

même importance et, dès l’apparition du secteur de la métallurgie et de la construction

mécanique en Italie et en Grèce, la formation au sein des ateliers revêt une forme

institutionnelle.

83

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Les initiatives menées dans le sud de l’Europe

18 Dans les royaumes italiens, l’État intervient directement pour faciliter la création de

centres d’apprentissage technique. Au début des années 1840, une école de mécanique est

fondée dans les ateliers de Pietrarsa, situés près de Naples, pour former les mécaniciens

du royaume des Deux-Siciles35. La formation s’est avérée efficace. En 1848, la marine

napolitaine n’utilise que des mécaniciens de bord autochtones36. Une initiative similaire

est menée dans le royaume de Piémont-Sardaigne, durant la même période, à Gênes. En

novembre 1846, l’État sarde a autorisé la création, à l’instigation de la chambre de

commerce, d’une école professionnelle technique du soir pour les adultes37. La même

année, son gouvernement a directement financé, toujours à Gênes, la constitution d’Il

Meccanico afin que cette entreprise puisse initier les jeunes locaux à la mécanique marine

et ferroviaire38. Un contrat a été passé avec les deux dirigeants de l’établissement,

Fortunato Prandi et Philip Taylor39. Les ouvriers des ateliers doivent être aux trois quarts

des autochtones et l’entreprise s’engage, chaque année, à former une vingtaine d’élèves

directement sélectionnés et envoyés par le gouvernement. L’enjeu est alors important. Le

gouvernement doit faciliter le remplacement des Britanniques, qui forment l’essentiel de

l’encadrement mécanique de la marine royale40. En 1853, l’État sarde continue son action

en fondant à Busalla, sur la ligne de chemin de fer Gênes-Alexandrie, une école chargée

de former chauffeurs et mécaniciens41.

19 La Grèce manifeste également le souci de créer un enseignement technique performant

dès les débuts de son industrialisation. La charge en revient aux entreprises privées. Dans

les années 1860, la Société hellénique de navigation à Vapeur, implantée au cœur des

Cyclades à Hermoupolis (île de Syros), prend chaque année une vingtaine d’apprentis en

formation42. Ces hommes passent des concours et reçoivent un brevet. Leur formation

n’est pas gratuite car les mécaniciens formés sont rares et donc précieux. Ils signent un

contrat les obligeant à rester au moins cinq années dans l’entreprise après l’obtention de

leur diplôme43. Enfin, des initiatives ont également été menées en Espagne. L’État, par le

décret du 22 mai 1850, a fondé une académie d’enseignement pour les ingénieurs-

mécaniciens et les mécaniciens au sein de l’arsenal du Ferrol afin de procéder à une

substitution progressive des Britanniques par des autochtones44. En Catalogne, les actions

se sont en revanche inscrites dans la durée et le succès. Le mouvement est, cette fois, pris

en charge par les institutions locales. En 1814, l’Escuela de Maquinaria est créée dans la

capitale catalane par la chambre de commerce45. De 1826 à 1840, sous l’impulsion de José

et Luis Hubert, elle poursuit ses activités de manière intense et donnera des hommes de la

valeur de Nicolas Tous y Mirapeix, futur directeur de la Barcelonesa et de la Maquinista

Terrestre y Maritima46. Dans les années 1840, des cours de pratique industrielle sont donnés

par des techniciens étrangers attirés à Barcelone « a peso de oro »47. Ce recours à des

étrangers se retrouve dans le cas marseillais.

LES INGÉNIEURS BRITANNIQUES

20 Dans le processus de formation d’une main-d’œuvre locale, le rôle des techniciens

britanniques a été primordial. Au cours du premier tiers du XIXe siècle, les techniciens

étrangers implantés en Méditerranée sont encore peu nombreux et n’exercent que

rarement leurs activités dans les secteurs de la métallurgie et de la construction

84

Page 87: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

mécanique. Leur présence ne s’affirme qu’avec les débuts du développement industriel

des régions nord-méditerranéennes, à partir du milieu des années 1830. De Séville à

Salonique, les techniciens anglais et écossais apparaissent alors et participent activement

aux phases de démarrage des industries métallurgiques et mécaniques. Les premiers cas

sont andalous et napolitains. La dernière vague d’arrivée, de la fin des années 1850 aux

années 1870, sera grecque48. Sur l’ensemble de la période, tous les grands foyers

d’industrialisation du sud de l’Europe ont vu l’installation d’ingénieurs et de

contremaîtres britanniques spécialisés dans la mécanique et la métallurgie : les frères

Westermann, Philip Taylor et Thomas Robertson à Gênes et dans sa région ; John Smith,

Thomas Guppy et John Pattison dans la région napolitaine ; les trois frères Alexander,

Joseph White et Kent à Barcelone ; Bartle et Morris à Valence ; Thomas Williams, Charles

Murphy, Thomas Vickers et White en Andalousie ; Smith à Hermoupolis et John Mac

Dowall au Pirée. Au cours de leur carrière, quelques techniciens ont travaillé

successivement ou en même temps dans plusieurs régions. C’est le cas de Philip Taylor (à

Marseille et à Gênes), de Joseph White (à Barcelone et à Séville) et peut-être des frères

Alexander (à Barcelone et à Valence). Quantitativement et qualitativement, le

mouvement est d’une importance considérable. De toutes les villes concernées, Marseille

a très certainement utilisé le plus grand nombre de techniciens britanniques. Les

documents manquent pour dresser la biographie de tous les ingénieurs anglais installés

en Provence entre 1830 et 1846. En revanche, les renseignements abondent pour deux

d’entre eux (Philip Taylor et John Barnes) et d’autres permettent de présenter quelques-

uns de leurs compatriotes.

Leur carrière en Grande-Bretagne

21 Philip Taylor a un parcours des plus surprenants. Rien ne le prédispose à travailler dans

la métallurgie. Né à Norwich en 1786, il y travaille comme pharmacien après avoir fait ses

études de médecine. Ce n’est qu’à l’âge de 29 ans qu’il décide de réorienter sa vie. Peu

passionné par sa profession médicale, il déménage et rejoint son frère John, ingénieur des

Mines et propriétaire d’une fabrique de produits chimiques à Stratford, près de Londres.

C’est dans cet établissement qu’il acquiert ses compétences techniques ainsi qu’une

grande curiosité pour tout ce qui touche aux sciences et à l’industrie. Cette ouverture

d’esprit naît des relations entretenues avec d’éminents personnages issus de milieux

divers. A Londres, grâce à ses relations familiales et à la notoriété qu’il commence à

acquérir, Philip Taylor fréquente aussi bien les grands inventeurs de l’époque (John

Macadam, Henry Maudslay, Marc et Isambard Brunei, George Stephenson…) que les

milieux intellectuels (David Ricardo, Jean-Baptiste Say, Louis-Joseph Gay-Lussac, François

Arago, Wilhem Humbolt). Rapidement, il se lance dans la recherche scientifique et

technique et dépose une multitude de brevets. Son attention se porte sur des domaines

aussi variés que la fabrication du gaz d’éclairage, la fabrication du fer par le procédé hot

blast (récupération du gaz des gueulards du four pour réchauffer l’air comburant), la force

de la vapeur et son application à haute pression dans les processus d’évaporation,

l’invention d’une chaudière spécifique au raffinage du sucre et, surtout, la mise au point

d’une machine à vapeur horizontale qui fait de lui le précurseur en la matière. Il en

dépose le brevet à Londres en 1824. « Par un simple changement de position du cylindre,

ce système a presque fait une révolution dans l’emploi des moteurs à vapeur49. » La

machine à vapeur horizontale offre les avantages de la simplicité et de la solidité, mais

l’usage de ce type d’appareil ne s’impose réellement qu’à la fin des années 1830 avec le

85

Page 88: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

développement des locomotives. L’Exposition de Paris de 1855 lui rendra hommage pour

cette innovation50. En 1821, il travaille avec Brunei et devient un des directeurs de la

Thames Tunnel Company. Quatre ans plus tard, l’inventeur devient entrepreneur. Avec John

Martineau, Philip Taylor fonde un atelier de construction d’appareils à vapeur. Il livre ses

premières machines à des manufactures londoniennes ainsi que des chaudières et des

appareils de navigation à Marc Seguin, qui travaille depuis peu pour une compagnie de

navigation à vapeur sur le Rhône51. La même année, il entre en relation avec la British Iron

Company, avec laquelle il entame une étroite collaboration.

22 L’itinéraire de John Barnes est beaucoup plus classique. Né à Newcastle en 1798, il a

grandi dans les milieux de la minéro-métallurgie. Depuis cinq générations, la famille

Barnes donne des experts en charbon d’une qualité reconnue dans le nord de

l’Angleterre. Son père, Thomas Barnes, a entretenu une importante correspondance avec

Matthew Boulton et James Watt sur les possibilités offertes par la vapeur. John Barnes est

d’ailleurs le filleul de Watt. Agé de quinze ans, il fait son apprentissage dans les célèbres

ateliers de Soho. En 1815, il part pour l’Université d’Édimbourg avec des lettres

d’introduction fournies par son parrain. En Écosse, grâce aux orientations scientifiques de

son université fortement représentative de cette société néo-calviniste à haut degré

d’alphabétisation, il se bâtit une solide formation scientifique. Sa carrière professionnelle

commence réellement au début des années 1820. Après avoir refusé un poste d’ingénieur

au Mexique, il trouve les capitaux pour fonder en 1822, avec Joseph Miller, une entreprise

de construction d’appareils pour la navigation. Barnes et Miller font partie des

précurseurs dans la construction de machines marines en Angleterre. Leur réputation

grandit rapidement : « Ils utilisent la vapeur avec détente, usage encore peu répandu dans

les applications marines. C’est à ce principe, combiné avec une amélioration des

proportions des appareils et de la qualité de l’usinage, que doit être attribué le succès que

la maison obtint en Angleterre et sur le continent, plus spécialement en France52. » Les

deux associés se séparent en 1835. John Barnes s’établit à Londres. Il y reçoit les

commandes de Normand, un industriel français propriétaire d’un chantier de

construction navale au Havre. L’ingénieur anglais conçoit les plans des machines et les

fait construire dans l’établissement des Horseley Iron Works, près de Birmingham. Les

machines construites par John Barnes à Londres puis à Birmingham actionnaient un

système perfectionné de roues à pales articulées. Entre 1841 et 1843, Barnes, associé à

Normand, offre à Frédéric Sauvage les moyens matériels pour la mise au point de son

procédé d’hélice propulsive. Par son rôle joué dans les deux grands moyens de propulsion

marine qui coexistent dans les années 1840, John Barnes est un des plus remarquables

ingénieurs dans la construction d’appareils pour la navigation.

23 Les deux derniers techniciens dont on peut cerner la carrière dans leur pays d’origine

sont Charles Hamond et Peter Walker. Charles Hamond a collaboré aux premiers pas de la

navigation à vapeur en Angleterre. Il a travaillé à la construction de navires pour la Royal

Navy dans les ateliers d’Henry Bell et a directement participé à la construction du

Ferdinando I, premier bateau à vapeur à naviguer en Méditerranée Ses compétences ne se

bornent pas à l’élaboration de machines marines. L’appareil qu’il construit et installe

dans les mines du Vigan, dans le Gard, force l’admiration des ingénieurs français. D’une

puissance de 80 chevaux, cette machine peut fonctionner à simple ou à double effet et

permet ainsi de réaliser une grande économie de combustible. La Direction des Mines

tient à la présenter dans ses Annales. Le Mémorial encyclopédique dépeint Charles Hamond

comme un homme « qui joint à toutes les connaissances théoriques et pratiques d’un

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Page 89: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

fabricant expérimenté, celles du constructeur naval et de l’ingénieur civil53. » Peter

Walker, lui, est spécialisé dans la construction des machines locomotives. Ingénieur dans

les ateliers de Robert Stephenson, il a travaillé à l’équipement de la ligne Liverpool-

Manchester au début des années 1830. Pour les autres ingénieurs anglais qui vont

s’installer dans la région (John et James Jeffery, les frères Evans, le gendre et les trois fils

de Philip Taylor, John Riddings, Hume, Unsworth, West, un second Walker et F. Kenny…),

nous n’avons trouvé aucun document français se rapportant à leur vie en Grande-

Bretagne. Tous sont arrivés avec ou dans le sillage de John Barnes et Philip Taylor. Ils

travaillent avec ou pour eux. Ils se révéleront capables de former les ouvriers

provençaux, de diriger des ateliers, de fonder des entreprises. La confiance que les deux

grands ingénieurs leur accordent est le signe de leurs qualités et compétences.

Les raisons d’une présence

24 La motivation des techniciens anglais qui acceptent de s’expatrier est simple : ils veulent

faire fortune. Les hauts salaires versés par les entrepreneurs de régions qui cherchent à

se moderniser et la création de marchés dans des zones pauvres en fonderies ou en

établissements mécaniques offrent de grandes possibilités. Marseille n’est pas une

exception dans le sud de l’Europe. En dirigeant des ateliers ou en créant des entreprises

sur les rives du nord de la Méditerranée, les Britanniques peuvent gagner des sommes

parfois considérables. Quand, au début des années 1840, Manuel Agustin Heredia essaie de

recruter en Angleterre un ouvrier spécialisé dans le moulage des pièces de métaux pour

sa fonderie d’Andalousie, il tient à préciser que le technicien sera traité avec la meilleure

des considérations54. Le terme a ici une double signification : l’une, financière, l’autre

honorifique. Outre l’argent, les Britanniques sont également attirés par la possibilité

d’acquérir un prestige, une reconnaissance bien plus importante que chez eux, où ils se

trouvent noyés dans la masse des techniciens de leur rang. Pour l’application de son

procédé hot blast dans les fonderies piémontaises et pour son aide dans la fondation, au

cours des années 1840, d’une grande entreprise de construction mécanique à Gênes,

Philip Taylor est nommé membre de l’ordre de Saint-Maurice et Saint-Lazare par le roi de

Piémont-Sardaigne. En France, John Barnes reçoit la croix de la Légion d’honneur pour

l’exécution d’un navire de navigation mixte, le Carlemagne. Taylor obtient à titre

posthume la même distinction pour l’ensemble de son action en Provence.

25 Pour parvenir à leurs fins, ces ingénieurs britanniques doivent trouver une zone d’avenir

à la dimension de leurs ambitions. S’ils se présentent sur les côtes provençales à partir de

1830, c’est avant tout parce que Marseille est devenue une ville particulièrement

attractive par la croissance conjuguée de son industrie et de son commerce. Leur faible

présence sous la Restauration n’est que le reflet de transformations économiques encore

trop timides. Si les changements commencent à produire leurs effets entre 1830 et 1835,

la situation marseillaise n’offre pas encore toutes les garanties de réussite. Charles

Hamond quitte la Provence dès sa première désillusion. Son départ est provoqué par

l’avortement du projet de constitution de la Compagnie marseillaise de la Méditerranée

pour la navigation à vapeur. Louis Benet devait fournir les bâtiments de la flotte, Charles

Hamond était chargé de la construction des machines à vapeur. L’État avait refusé

d’accorder à la compagnie la subvention postale de 1 500 000 francs.

26 À partir de 1835, la situation devient plus favorable. Le mouvement d’industrialisation

marseillais est lancé. L’existence des marchés régionaux stimulent la création

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Page 90: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

d’entreprises métallurgiques et mécaniques. Les entrepreneurs marseillais ont très

rapidement essayé d’attirer des ingénieurs britanniques. Comme partout en France, la

fascination à l’égard de l’Angleterre est totale. En 1828, un abonné du Sémaphore de

Marseille voit dans la Grande-Bretagne la nation qui est « parvenue à rendre son sol

fertile, à posséder toutes les industries, à faire tous les commerces, à couvrir les mers de

ses vaisseaux, à rendre les nations ses tributaires… à devenir enfin la plus grande, la plus

forte, la plus riche et la première de toutes les nations55. » Marseille aspire à devenir le

« Liverpool français56 ». Dans ce contexte, l’ingénieur anglais jouit d’une réputation sans

égale.

Le mécanisme des arrivées

27 Les mécanismes d’arrivée sont difficilement explicables. Les documents manquent trop

souvent. Les divers cas observés en Italie, en Espagne et à Marseille relèvent de deux

logiques parallèles. Certaines installations s’inscrivent dans une logique d’appel

économique. John Pattison est envoyé à Naples par son patron, Robert Stephenson,

chargé au début des années 1840 de l’équipement des lignes ferroviaires de la région. Les

frères Alexander sont installés à Paris comme constructeurs-mécaniciens dans les années

1840. Une grande partie de leur production (29 machines à vapeur) est exportée vers la

Catalogne57. Leur implantation à Barcelone, en 1849, n’est donc que le fruit d’une logique

de marchés, de liens qui se resserrent avec leur clientèle. La seconde grande cause de

départ est liée aux échecs que connaissent certains ingénieurs en Grande-Bretagne.

Thomas Guppy quitte Bristol pour Naples en décembre 1849 à la suite d’un conflit

financier et des conséquences morales qu’il a entraînées.

28 Pour ces hommes, un départ de Grande-Bretagne ne signifie pas automatiquement une

arrivée en Méditerranée. Des contacts et des liens entre le nord et le sud de l’Europe

étaient nécessaires pour favoriser l’installation de ces techniciens. Plusieurs facteurs vont

contribuer à favoriser le transfert de ces ingénieurs. L’un des plus efficaces est l’existence

d’industriels italiens et espagnols d’origine anglaise comme Guglielmo Robinson à Naples

ou Juan Wetherell à Séville58. En raison de leurs attaches avec l’Angleterre, ils ont eu la

possibilité de promouvoir l’intérêt d’une installation en Méditerranée, mais l’impact de

leur action est mal connu et reste difficile à mesurer. Les relations qui s’établissent lors

des exportations de machines britanniques paraissent jouer un rôle essentiel. En premier

lieu, ce facteur explique la présence importante et relativement précoce d’ouvriers

qualifiés anglais qui se sont laissé « acheter » lors de l’installation de machines vendues

par les constructeurs britanniques aux entreprises méditerranéennes. Le phénomène

avait atteint une telle importance que les sociétés anglaises majoraient leurs prix de

vente de 5 à 20 % afin de compenser la perte d’hommes qu’elles avaient formés59. Là

encore, le phénomène reste délicat à appréhender. Une certitude néanmoins : si certains

constructeurs anglais perdent des ouvriers lors de ces ventes, d’autres, en revanche,

raffermissent leurs liens avec les entrepreneurs méditerranéens. Des réseaux se créent et

facilitent le transfert des ingénieurs britanniques vers le sud de l’Europe. Un bel exemple

nous est fourni par les rapports entre Manuel Agustin Heredia et Benjamin Hick,

mécanicien anglais de Bolton. Celui-ci vend des machines et de la technologie à Manuel

Agustin Heredia, qui a besoin d’hommes compétents pour la bonne marche de ses usines.

Il ne peut les trouver que dans le nord de l’Europe. Benjamin Hick fait parfois les

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Page 91: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

recherches pour son client et lui envoie notamment un mouleur au début des années 184060.

29 Seulement deux cas d’arrivée à Marseille sont relativement bien fournis en documents.

Les itinéraires de Philip Taylor et de John Barnes s’insèrent dans un des modèles que nous

venons de décrire : celui de l’échec. La différence entre les deux arrivées est que John

Barnes quitte l’Angleterre directement pour la région marseillaise. L’itinéraire

géographique de Philip Taylor est plus complexe, parsemé d’étapes. Impliqué dans la

ruine de la British Iron Company, il a quitté l’Angleterre et se rend à Paris au milieu des

années 1820. II fait breveter son procédé hot blast en France, mais la validité lui en est

contestée par Nielson et Mac Intosh. Elle ne sera établie qu’en 1832, après la date

d’expiration du brevet. En 1825, il crée avec John Martineau une entreprise de

construction de machines horizontales près de Paris. Ils en fabriquent quelques modèles,

mais le marché est relativement limité. Son intégration dans les milieux industriels

parisiens semble s’effectuer rapidement. En tant que constructeur de machines, Philip

Taylor participe aux travaux de la Commission libre chargée d’examiner les problèmes de

tarifs douaniers de l’industrie française du coton en 1829. Il collabore avec diverses

revues dans lesquelles il rédige quelques articles à la fin des années 1820 (notamment

pour L’Industriel et le Bulletin de la société d’encouragement). Au début des années 1830, ses

affaires sont toutes vouées à l’échec. À Paris, Philip Taylor est en panne d’avenir. Il

collabore durant quelques mois de l’année 1832 à l’installation de son procédé hot blast

dans le processus de la production de fonte dans les hauts fourneaux de La Voulte,

détenus par Louis Frèrejean61. L’opération est un franc succès puisque la consommation

de coke est diminuée de 40 %. Elle ne connaît toutefois pas de suite. Philip Taylor est alors

à la recherche d’opportunités. Il a probablement été amené à Marseille par Emmanuel

Marliani, industriel phocéen propriétaire d’une minoterie à vapeur située place

Castellane. Le Marseillais a décidé de s’agrandir, de moderniser son entreprise et vient à

plusieurs reprises dans la capitale pour acheter des appareils à vapeur fabriquées dans les

ateliers des frères Périer à Chaillot. Marliani connaît peut-être Taylor de nom. Par la

qualité de ses travaux sur les procédés de raffinage du sucre, le Britannique a

indirectement participé au développement industriel marseillais. On peut supposer que

c’est lors du second séjour d’Emmanuel Marliani à Paris, en 1834, que les deux hommes se

rencontrent puisqu’on les retrouve, la même année, associés à Marseille dans la même

affaire. Philip Taylor monte les installations de l’usine de l’industriel phocéen au Rouet. Il

comprend rapidement les énormes possibilités offertes par le dynamisme commercial de

la ville. Il songe d’abord à investir dans l’industrie de la minoterie mais renonce par peur

de la politique ultra-protectionniste du gouvernement français. Il se réoriente dans une

branche qui est plus de sa compétence. Pour un homme de cette qualité, l’avenir est dans

la construction mécanique.

30 Les causes de l’arrivée de John Barnes à La Ciotat sont mieux connues. Quand Louis Benet

se lance dans la construction de locomotives et de machines marines, à la fin des années

1830, il est à la recherche d’ingénieurs de haut niveau. Robert Stephenson, alors en

relation avec James de Rothschild et Paulin Talabot qui désirent s’engager dans la

construction du chemin de fer reliant Marseille à Avignon, passe à La Ciotat en 1838 et

promet à Benet l’envoi de techniciens britanniques. L’industriel provençal trouvera

entre-temps un contremaître français, Louis Sangnier, mais celui-ci le quitte en 1841 pour

prendre la direction technique des ateliers du chemin de fer Paris-Orléans62. Robert

Stephenson se charge de lui trouver un remplaçant et conseille à John Barnes de se

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rendre en Provence pour diriger les ateliers de La Ciotat. Le Britannique, malgré l’aide de

ses amis, n’a pu obtenir, dans son pays, les commandes de l’État. Il a abandonné la

construction de machines et a exercé un temps l’arbitrage technique. Désœuvré, John

Barnes accepte la proposition et commence par quelques collaborations ponctuelles

durant la première moitié des années 1840. En décembre 1844, il s’installe définitivement

à La Ciotat63. Un facteur a très certainement déterminé son choix. John Barnes connaît

déjà les chantiers provençaux. Avec Joseph Miller, il avait construit des machines marines

pour les ateliers de Church à La Seyne64. Pour expliquer les autres cas d’implantation à

Marseille, on peut penser que l’installation de Philip Taylor à Marseille a

vraisemblablement favorisé l’arrivée d’un bon nombre de ses compatriotes. Son

envergure et ses relations lui permettent de faire connaître le dynamisme industriel

marseillais en Angleterre.

***

31 Marseille a su trouver en son sein un riche capital humain. L’artisanat local a donné aux

secteurs de la métallurgie et de la construction mécanique la majeure partie de ses

entrepreneurs au cours des années 1830. Très rapidement, la ville attire, par les

opportunités nées d’un développement industriel soutenu, un nombre important de

techniciens de haut niveau, essentiellement venus de Grande-Bretagne. Marseille a

parfaitement su exploiter les deux voies possibles pour la constitution d’un vivier de

compétences qui est aussi un vivier d’entrepreneurs.

32 À partir de 1840, même si la formation locale donne surtout des ouvriers qualifiés et

l’ouverture sur l’Angleterre des ingénieurs, les deux filières continuent de se combiner et

de se nourrir mutuellement pour donner un résultat exceptionnel : le problème des

compétences techniques n’est pas un goulot d’étranglement et la cité phocéenne

commence à devenir un pôle de référence technique dans le secteur de la métallurgie et

de la construction mécanique.

NOTES

1. BAIROCH P., « Histoire des techniques et problématique du démarrage économique », dans L

‘Acquisition des techniques par les pays non initiateurs, Paris, 1973, p. 168-180.

2. MUSSON A., ROBINSON E., « The Origins of Engineering in Lancashire », JEH, XX, 1960.

3. DAUMAS M., « Les mécaniciens autodidactes français et l’acquisition des techniques

britanniques », dans L’Acquisition des techniques…, p. cit., p. 301-334.

4. La métallurgie est « restée jusqu’au milieu du XIXe siècle une pratique plutôt qu’une science » (

CARON F., Le Résistible Déclin des sociétés industrielles, Paris, 1985, p. 61).

5. AGULHON M. (dir.), Histoire de Toulon, op. cit., p. 215.

6. ADBdR, Tables décennales, Marseille, naissances, 1802-1812, t. I (A à O).

7. Information aimablement communiquée par X. Daumalin.

8. ACM 22 F 5.

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9. Seule la profession d’origine du quatrième, Louis Longuelanne, n’a pu être retrouvée. Pour les

origines professionnelles des fondeurs et mécaniciens marseillais : Guide marseillais (1816-1835),

Le Nouveau Guide marseillais (1836-1837), Le Cicérone marseillais (1838-1848) et Le Nouvel Indicateur

marseillais (1844).

10. SOIRON J. B., L’Industrie huilière à Marseille, en France et à l’étranger, Marseille, 1905, p. 8.

11. Pour les activités de Benet avant 1833, cf. sa biographie dans EDBdR, t. XI, p. 69.

12. CONSTANT E., « Le département du Var… », op. cit., t. I, p. 292.

13. Cf. le processus de formation d’une classe de mécaniciens autodidactes dans la France des

années 1820 (DAUMAS M., « Les mécaniciens autodidactes… », art. cit., p. 302 et 307).

14. BERTEUT S., « Marseille d’hier… », art. cit., p. 301. L’auteur fait vraisemblablement allusion à

l’usine de Marliani, mise en fonction en 1824.

15. VILLENEUVE H. (DE), « Falguière, fabricant de machines à vapeur », RTSSM, t. II, 1838, p. 487 et

« Rapport sur les travaux du jury… », art. cit., p. 287.

16. ADBdR XIV M 14/1.

17. Cf., par exemple, l’itinéraire des frères Orlando, propriétaires de chantiers navals à Gênes

puis à Livourne, qui ont commencé à travailler dans le petit atelier de mécanique que leur père

possédait à Palerme (ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 199).

18. Cf. NADAL J., Moler…, op. cit., p. 143-144.

19. Ibid., p. 144.

20. ECM, t. III, p. 396.

21. Ibid., p. 400.

22. CHAMBOVET FILS, « De l’industrie mécanique en général et de celle de Provence en

particulier », RTSSM, t. IX, 1846, p. 128-129.

23. Le Moniteur universel, 25 avril 1843.

24. Résumé par ordre de matières des délibérations et des vœux du conseil général des Bouches-du-Rhône,

Marseille, Session de 1840, p. 196.

25. ECM, t. III, p. 399.

26. Ibid.

27. « Statistique des établissements commerciaux, manufacturiers et industriels de Marseille,

dressée en juin 1838 », RTSSM, t. II, 1838, p. 230-249.

28. ECM, t. III, p. 392.

29. AN F 12 2554.

30. AFB, copies de lettres Schneider & cie, t. I, Lettre du 23 janvier 1837 à Louis Benet & cie.

31. « Les besoins de Marseille […] sont très grands et ses ressources presque nulles ; nous

pourrions citer une grande fonderie obligée d’aller chercher à Rouen ou à Paris, en les séduisant

par des salaires exorbitants, des ouvriers que la localité lui refuse » (ECM, t. III, p. 383).

32. SEWELL W. H., « La classe ouvrière de Marseille sous la Seconde République : structure sociale

et comportement politique », Le Mouvement social, n° 76, 1971, p. 27-63.

33. ACCM MP 3611.

34. Ibid.

35. MONDELLA F., « Scienza e tecnica… », art. cit., p. 650.

36. « Nave », art. cit., p. 375.

37. CASTRONOVO V. (dir.), Storia deU’Ansaldo. I : Le origini, Rome-Bari, 1994, p. 14

38. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 190.

39. DORIA M., « Le stratégie e l’evoluzione dell’Ansaldo », dans CASTRONOVO V. (dir.), Storia

dell’Ansaldo…, op. cit., p. 78.

40. « Nave », art. cit., p. 375.

41. MERGER M., « L’industrie italienne des locomotives, reflet d’une industrialisation tardive et

difficile (1850-1914) », Histoire, Economie et société, 1989, n° 3, p. 118.

91

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42. MANSOLAS A., Renseignements statistiques sur la Grèce, op. cit., p. 108.

43. Ibid.

44. MANIDIER H., « La marine militaire d’Espagne », Revue maritime et coloniale, XXVI, p. 419 et

COURTIER LOZANO A. dans La organizacián industrial de los arsenales del estado en el ultimo tercio del siglo

XIX, Universidad de Santiago de Compostella, 1994, p. 8.

45. DEL CASTILLO A., La Maquinista Terrestre y Maritima, personaje historico (1855-1955), Barcelone,

1955, p. 20.

46. Ibid., p. 21.

47. ILLASSY VIDAL J., Memoria…, op. cit., p. 50.

48. Pour ce sous-chapitre, sauf indication, cf. RAVEUX O., « El papel de los técnicos ingleses en la

industria metalûrgica y mecánica del norte del Mediterráneo (1835-1875) : una primera

aproximaciôn », RHI, 1994, p. 143-161 et « Les ingénieurs anglais de la Provence maritime sous la

monarchie de Juillet », PH, 1994, fasc. 177, p. 301-220.

49. ARMNGAUD AINÉ, Traité théorique et pratique des machines à vapeur, Paris, t. I, 1861, p. 499.

50. Visite à l’Exposition de Paris de 1855, Paris, 1856, p. 224.

51. FAREY J., A Treatise on the Steam Engine, historical, practical and descriptive, Londres, 1827, p. 87 ;

NICHOLSON J., Le Mécanicien anglais ou la description pratique des arts mécaniques de la Grande-Bretagne,

Paris, 1842, p. 96 et PAYEN J., « La technologie… », op. cit., t. III, p. 68, 69 et 89.

52. AUGUSTIN-NORMAND P., La Genèse de l’hélice propulsive, Paris, 1962, p. 70.

53. Le Mémorial encyclopédique, op. cit., p. 210.

54. PILLING P. W., ANDERSON B. L., « Spanish Entrepreneurs and British Technology in early XIXth

Century Andalucia », JEEH, volume XIX, n° 1, 1990, p. 60.

55. SM, 20 novembre 1828. On retrouve la même attitude en Espagne, en Italie ou en Grèce, où la

ville du Pirée est qualifiée de « Manchester grec ».

56. JULLANY J., Discours sur Marseille…, op. cit.

57. FIGUEROAL L., Estadistica…, op. cit., p. 291.

58. Robinson est un officier de la marine du royaume des Deux-Siciles. Il est le fondateur des

ateliers de Pietrarsa (Cf. ALBERTI G., « La vita economica a Napoli nella prima metà

dell’Ottocento » dans Storia di Napoli, t. IX, Naples, 1972, p. 624. Le père de Wetherell, Nathan,

possédait à la fin du XVIIIe siècle une tannerie à Séville. Il avait été l’un des premiers importateurs

en Europe continentale des machines de Watt (cf. chapitre 11).

59. BABBGE C, On the Economy of the Manufactures, Londres, 1835, p. 371.

60. PILLING P. W., ANDERSON B. L., « Spanish Entrepreneurs… », art. cit., p. 60.

61. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…. op. cit., p. 335 et 340.

62. « Rapport fait par M. Le Châtelier au nom du Comité des arts mécaniques sur les travaux de

M. Sangnier », BSE, 1852, p. 741-743 et 744-745.

63. MLV, 7 décembre 1844.

64. 64. GIR, p. 70.

92

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Chapitre VI. Les entreprises

1 Les artisans marseillais de la métallurgie ont démontré leur vitalité au cours de la

Restauration. Dans des ateliers disséminés aux alentours du port, ils ont accumulé des

capitaux par le développement de leurs activités. Ces hommes souhaitent profiter des

opportunités engendrées par le renouvellement et la transformation du matériel de

production de l’industrie locale. Cette vitalité est-elle une base pour que ce secteur puisse

se transformer en industrie moderne et connaître la croissance ? Cela semble douteux à

double titre.

2 Le premier obstacle concerne les fonds nécessaires à la création de sociétés.

L’autofinancement est généralement la règle dans l’artisanat. Cette pratique est certes

capable d’offrir des capitaux, mais les artisans ne peuvent participer, en propre ou avec

leur famille, qu’à la formation d’entreprises de taille modeste. La situation est différente

pour les projets qui demandent de lourds investissements. Dans ce cas, l’artisan ne

détient pas les fonds nécessaires. Il doit trouver des partenaires financiers hors du cadre

familial.

3 Le problème du passage de l’artisanat à une industrie se pose aussi en termes spatiaux. Le

maillage du centre-ville, espace traditionnellement occupé par l’artisanat, se prête mal

aux agrandissements. Les entreprises métallurgiques modernes ne peuvent s’implanter

dans des quartiers trop peuplés car la population rejette ce type d’usines étroitement

surveillées par des pouvoirs publics soucieux de la salubrité en milieu urbain. Les

entrepreneurs doivent donc composer avec ces impératifs financiers et urbanistiques

pour donner naissance à un secteur industriel atypique pour Marseille.

DÉMOGRAPHIE DES ENTREPRISES

4 Sous la Restauration, le secteur marseillais de la métallurgie du fer et de la construction

mécanique était réduit à une seule petite fonderie, vraisemblablement celle des frères

Puy. Les premières créations ont lieu au tout début des années 1830. Elles accompagnent

d’emblée le mouvement général de l’industrialisation de la ville. Le rythme des fondations

s’articule autour de quatre périodes nettement distinctes au cours des années 1831-1846.

93

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Le rythme des créations

5 Dès la première moitié des années 1830, les formations de sociétés métallurgiques et

mécaniques sont importantes à la fois en nombre et en qualité. En 1831, Jean-Baptiste

Falguière fonde un atelier de construction de biens d’équipement rue Périer. Dès les

premières années de fonctionnement, cette usine livre à l’industrie des produits variés

dont la fabrication est nouvelle à Marseille (machines à vapeur, chaudières calorifères et

presses hydrauliques). L’année 1832 voit l’apparition des fonderies de deuxième fusion

traitant les fers et les fontes importés de Grande-Bretagne et du centre de la France. Les

usines de Louis Benet et de Pierre-Joseph Baudoin, situées à Menpenti, sont des créations

stricto sensu1. Celle des frères Puy procède d’une reconversion d’activités2. Déjà présents

sous la Restauration, ces artisans fondeurs spécialisés dans la fabrication de cloches

réorientent leurs activités en réponse à la demande croissante de pièces de métaux

moulés. A ses débuts, l’entreprise des frères Puy est étroitement liée à celle de Jean-

Baptiste Falguière. Elle lui fournit les pièces de fonte et de cuivre nécessaires à la

fabrication des appareils à vapeur. Un jeu de stimulations entre les créations d’ateliers de

construction mécanique et celles de fonderies de deuxième fusion se met alors en place.

En 1834-1835, quatre nouvelles entreprises de réparation et de construction de machines

et de mécaniques s’établissent dans la ville. En 1834, Louis Longuelanne et Gustave

Finaud, Étienne Chambovet et Dominique Demange ouvrent deux ateliers3. L’année

suivante, Gustave Finaud, qui a cessé sa collaboration avec Louis Longuelanne, forme, rue

Périer, son propre atelier « de fonderie et d’ajustage de mécanique »4 alors que le

Britannique Philip Taylor ouvre les portes de son usine sur le cours Gouffé5. Ces quatre

nouveaux établissements exercent des activités multiples. Les marchés sont encore

étroits et imposent une diversification des travaux. Tous les ateliers de mécanique créés

durant cette période pratiquent, selon la demande, des travaux de construction, de

réparation et de métallurgie de deuxième fusion.

6 La phase suivante, entre 1836 et 1838, est marquée par un profond ralentissement dans le

rythme des créations. L’économie marseillaise est touchée en 1837 par une crise

commerciale relativement importante6. Le marasme bloque les initiatives industrielles et

commerciales. Les faillites apparaissent. Le secteur de la métallurgie et de la construction

est touché. En 1837, la société de Gustave Finaud, qui accuse un lourd passif de 128 500

francs, est mise en liquidation7. Durant ces trois années, les créations d’entreprises dans

le secteur du travail des métaux sont rares. De plus, elles ne concernent pas la métallurgie

du fer mais celle du cuivre. En 1838, Antoine Ferreol et Jean-Jacques Clavel se sont

associés pour donner de l’ampleur au petit atelier auparavant détenu par le premier cité8.

Avec seulement deux créations, le secteur de la mécanique est également touché. Ces

deux fondations, œuvres du même entrepreneur, vont toutefois faire date dans l’histoire

de la métallurgie marseillaise. En 1835-1836, Louis Benet installe deux nouvelles

entreprises. Après la métallurgie de deuxième fusion, le Ciotadin se lance dans la

construction de navires à vapeur et la mécanique marine. La première usine est fondée

durant l’automne 1835 à l’est de Marseille, sur les quais du port de La Ciotat. La seconde

entreprise est installée à Marseille même, dans le quartier des Catalans au sud du port, et

entre en activité en 1836. Ces deux usines vont rapidement occuper le premier rang dans

le domaine de la réparation et de la construction de machines mobiles.

94

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7 À partir de 1839, la crise passée, les créations reprennent à un rythme soutenu.

L’industrialisation de la ville se poursuit alors que la navigation à vapeur se développe

véritablement. Les grands travaux visant à doter Marseille et sa région d’infrastructures

modernes donnent leur plein effet. Les différentes demandes de biens d’équipement

commencent à se cumuler. Jusqu’en 1846, les fondations d’entreprises se multiplient.

Dans la métallurgie du fer, les créations sont particulièrement nombreuses. En 1839,

Granier et Dussart fondent une usine de production de fer galvanisé9. L’année suivante,

l’Anglais John Riddings installe une fonderie spécialisée dans la fabrication de pièces

moulées de fer et de fonte sur le cours Gouffé10. Il est rapidement imité par les frères Vial

et Georges Danré en 1841. Le mouvement touche aussi le secteur de la mécanique. Entre

1840 et 1843, on ne compte pas moins de cinq créations d’importance. La première est due

à Dominique Demange qui a interrompu sa collaboration avec Etienne Chambovet pour

s’établir à son compte11. Une seule usine se livre directement à la fabrication de machines

à vapeur, celle de Peter Walker, spécialisée dans l’équipement des établissements

industriels12. Les autres créations concernent surtout la construction de chaudières et de

pièces en cuivre pour les appareils à vapeur. Ces deux types d’activités sont étroitement

liés dans les quatre entreprises qui naissent durant la période : celles de Gautier, Azémar,

Saint-Joannis et Longuelanne, d’anciens chaudronniers reconvertis dans ces nouveaux

créneaux porteurs13.

8 Enfin, entre 1843 et 1846, Marseille connaît une véritable explosion des créations

d’entreprises dans les secteurs de la métallurgie et de la construction mécanique. Ces

fondations touchant à l’ensemble des secteurs d’activités sont toutefois d’une importance

minime. Les grandes entreprises sont déjà en place. Les nouveaux ateliers sont de petite

taille et leur durée de vie est généralement courte. L’atelier de Harry John, spécialisé dans

le moulage de pièces de métaux, ne semble avoir fonctionné qu’une seule année14. En fait,

seules trois initiatives d’envergure apparaissent alors. La première est la fondation, en

1844, par Jean-François Cabanis et Salles d’une fonderie produisant du fer par puddlage

de riblons15. Elle disparaît rapidement, très certainement victime de coûts de production

trop élevés. Les deux autres sont l’entreprise de fabrication de chaudières de Lejeune et la

fonderie de Liautaud et Fournel, fondées en 184616. Au-delà de leurs inégalités

d’importance, les entreprises démontrent, par leur présence, la vitalité de ces nouveaux

secteurs industriels à Marseille durant les dernières années de la monarchie de Juillet. En

1846, le Cicérone marseillais recense 28 fonderies traitant le fer, la fonte et le cuivre à

Marseille17. Le secteur de la mécanique est fort d’un contingent de seize entreprises18. On

recensait seulement sept ateliers en 183819, neuf en 184320.

9 En une quinzaine d’années seulement, Marseille et sa région se sont donc dotées d’un

tissu d’entreprises dense et varié. Ce mouvement est d’autant plus remarquable que rien

n’existait en 1830. Les entrepreneurs locaux et britanniques ont su tirer profit d’une

demande potentielle. Certains secteurs restent toutefois en marge et d’autres sont

totalement absents. Presque toutes les créations relèvent des secteurs de la métallurgie

de deuxième fusion et surtout de la construction mécanique. La fabrication de produits

laminés ou de grosses pièces de forges est encore inconnue. La métallurgie des métaux

non-ferreux évolue de manière très modeste. Seuls quelques petits ateliers traitant le

cuivre, le plomb ou l’étain apparaissent. Plusieurs de ces initiatives sont éphémères21.

L’industrie du plomb est toujours dominée par la fabrication de la grenaille. Entre 1840 et

1846, une seule création est enregistrée22. Le traitement des minerais reste presque

complètement en marge du mouvement. Marseille ne comptait en 1830 aucune entreprise

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spécialisée dans le traitement de minerais, qu’ils soient ferreux ou non-ferreux. Entre

1831 et 1846, une seule usine de ce type est créée, celle de Jean Briqueler à Septèmes-les-

Vallons en 1844, spécialisée dans le traitement de l’antimoine23.

Un phénomène inséré dans un mouvement sud-européen

10 L’importance et la rapidité des changements intervenus à Marseille se retrouvent dans

différents centres industriels du sud de l’Europe. Plusieurs villes ou régions italiennes,

grecques ou espagnoles ont connu, parfois avec un décalage chronologique, le même

processus au cours de leur phase initiale d’industrialisation. Comme à Marseille, tout se

joue en une vingtaine d’années. Les cas de Barcelone, du Pirée et du Royaume de Piémont-

Sardaigne sont particulièrement significatifs.

11 À Barcelone, la phase d’apparition et de grand développement des entreprises se déroule

sur la période comprise entre la première moitié des années 1830 – les deux premières

entreprises, El Nuevo Vulcano et les ateliers de Luis Perrenod, ont été fondées en 1833-1835

– et la première moitié des années 1850, moment de l’arrivée des frères Alexander et de la

constitution de la Maquinista Terrestre y Maritima24. En 1841, 1 067 ouvriers travaillent dans

l’industrie de la mécanique et de la métallurgie25. Huit années plus tard, la cité catalane

possède dix-huit entreprises spécialisées dans la construction mécanique, six fonderies et

quatre usines mêlant les deux types d’activités26. À la fin des années 1850, le nombre des

ateliers de mécanique est passé à 28, celui des fonderies de fer et cuivre à sept27. Les cas

de Gênes de Turin sont en tout point identiques. Les premières entreprises importantes

apparaissent également au début des années 1830 : fonderie des frères Balleydier à

Sampierdarena en 1832, atelier de construction de chaudières Decker à Turin en 1834… Le

mouvement se poursuit avec vigueur dans les années 184028. De 1844 à 1861, les

établissements mécaniques de Turin et de Gênes passent de 15 à 2629. Le nombre des

salariés qui y travaillent est multiplié par six et culmine à 7 755. En 1862, vingt fonderies

de plus de dix ouvriers sont localisées à Turin30. L’industrie métallurgique et mécanique

du Pirée évolue, entre le milieu des années 1870 et le tournant du siècle, avec la même

tendance, même si le démarrage est plus lent. Après la décennie d’attente qui suit

l’installation de la première entreprise31, les créations se multiplient durant la période

1873-1885. En 1900, à Athènes et au Pirée, quinze ateliers de construction et de réparation

d’appareils à vapeur, trois chantiers navals, trois fonderies et six usines de fabrication de

machines hydrauliques sont en fonction32.

12 Comme pour le cas marseillais, l’industrialisation de ces régions du sud de l’Europe a

engendré des effets en amont. La croissance de la demande en biens d’équipement a créé

des opportunités. La rapide présentation de ces exemples démontre que dans plusieurs

régions méditerranéennes les entrepreneurs n’ont manqué dans le domaine de la

métallurgie et de la construction mécanique ni de dynamisme ni de capitaux. Ils ont su

faire preuve d’esprit d’initiative et ont trouvé les fonds nécessaires à l’établissement

d’une branche longtemps jugée comme la plus coûteuse et la plus difficile à former.

96

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L’EVOLUTION DES FORMES JURIDIQUES ET DESCAPITAUX

13 Si l’étude des formes juridiques des entreprises de la métallurgie et de la construction

mécanique créées sous la monarchie de Juillet ne pose guère de difficultés, celle des

capitaux et des hommes qui les ont drainés vers ces secteurs s’avère particulièrement

délicate. L’essentiel des actes de création ou de modification de sociétés n’a pas été versé

dans les fonds d’archives du tribunal de commerce de Marseille33. Beaucoup d’entre eux

ont été dressés sous seing privé. Le nom du notaire n’y figure pas toujours. La recherche

dans les fonds des études notariales a donc été contrariée par cette difficulté majeure. Les

identités d’une bonne partie des partenaires des sociétés en nom collectif ou en

commandite par actions restent inconnues. Le tableau ne peut être que grossier mais

quelques grandes lignes émergent toutefois nettement.

Les petites entreprises : le modèle de la société en nom collectif

14 Le rôle omnipotent du marchand-négociant dans le processus d’industrialisation de la

région marseillaise est un mythe de plus en plus remis en question. L’étude de Michel

Lescure sur la profession d’origine des partenaires actifs de sociétés industrielles

phocéennes de la première moitié du XIXe a bien montré que la participation de ces

hommes au mouvement des créations d’entreprises est relativement limitée. L’action des

industriels, des artisans et des ouvriers est en revanche largement sous-estimée. Ces trois

groupes ont activement contribué à la constitution du tissu industriel marseillais.

L’histoire de l’industrie métallurgique et mécanique marseillaise s’insère pleinement dans

ce cadre général d’analyse. Il apparaît clairement que, dans un premier temps,

l’installation de cette branche d’activités procède d’une croissance organique importante.

Dans sa phase initiale, le secteur a lui-même financé en grande partie sa mutation à partir

de la structure artisanale dynamique mise en place sous la Restauration et aux débuts de

la monarchie de Juillet. Dans les années 1830-1840, la présence massive d’anciens artisans

du travail des métaux dans le patronat de l’industrie métallurgique et mécanique et dans

le groupe des partenaires actifs des sociétés est le signe manifeste de cet autofinancement34. Beaucoup d’artisans ont été attentifs aux développements de nouveaux marchés et

sont disposés à réinvestir dans de nouvelles opérations les capitaux accumulés. Ces

capitaux sont toutefois limités. Il reste à déterminer de quelle manière ces hommes ont

pu fonder des entreprises par l’immobilisation d’un capital estimé comme relativement

important dans ce secteur.

15 À l’origine de la création d’un grand nombre d’entreprises métallurgiques et mécaniques,

on trouve un apport modeste de capitaux individuels ou familiaux. Les formes juridiques

des créations de sociétés sont révélatrices de ce phénomène. Entre 1820 et 1852, le type

dominant de l’industrie marseillaise est celui de la société en nom collectif, forme qui

regroupe 60 % du total de formation d’entreprises industrielles, loin devant les sociétés

en commandite simple ou par actions qui ne représentent chacune qu’un total de 20 % de

l’ensemble35. L’industrie de la métallurgie et de la construction mécanique n’échappe pas

à cette règle. Les sociétés en nom collectif de ces deux secteurs associent un nombre

réduit de personnages étroitement liés entre eux. Le ou les fondateurs affichent la

volonté de garder le contrôle de l’entreprise dans un cadre réduit, le plus souvent

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familial. La confiance joue ici un rôle déterminant puisque les associés sont responsables

des dettes de l’entreprise sur leurs biens personnels36. L’entreprise est généralement

fondée par deux personnes avec des capitaux peu importants37. On retrouve ce cas de

figure tout au long de la période, avec des exemples comme la formation de la société de

G. Finaud en 183538, celles de Laugier et Gardon en 1837, de Ferreol et Clavel en 1838, de

Pierre-Joseph Baudoin et Jean Baptiste, de Barthélémy Granier et Alfred Dussard en 1840,

de Cavallier fils et Guieu en 1845, de Nicolas Fournel et César Liautaud l’année suivante. Il

est rare de trouver plus de deux partenaires dans une affaire. Lorsque le cas se présente,

c’est dans le cadre familial que l’on trouve la majorité des fondateurs. Louis Benet

s’assure la présence de son frère Toussaint et de son cousin Antoine lors de la formation

de sa société en 1836. Trois des quatre personnes à l’origine de la formation de la société

Lajarije & Legros en 1840 font partie de la même famille. Ce n’est souvent que par une

augmentation du nombre des partenaires que les fondateurs d’entreprises trouvent les

capitaux nécessaires à la croissance de leurs sociétés. La volonté de prendre de l’ampleur

entraîne de nouvelles associations. Le Britannique John Riddings a créé sa fonderie en

1840. Il est l’unique gérant et le principal bailleur de fonds de la société. Quelques années

plus tard, ses affaires progressant, il s’associe avec deux compatriotes, John et James

Jeffery, qui lui permettent d’asseoir financièrement sa croissance par une augmentation

de capital. Cette difficulté à réunir des sommes suffisamment importantes pour fonder

des sociétés est contournée par l’association de plusieurs artisans mettant en commun

leurs capitaux. Ces sociétés sont appelées à n’avoir qu’une existence limitée. Les profits

amassés lors des premières années de fonctionnement permettent un nouvel

investissement pour de nouvelles créations d’entreprises. Après quelques années de

fonctionnement, il n’est pas rare de voir les collaborations s’interrompre. Un des deux

actionnaires quitte la société pour fonder sa propre entreprise grâce à l’argent accumulé

dans la première affaire. Les cas sont nombreux, surtout au cours des années 1830 et au

début des années 1840. Parmi les plus significatifs, on peut citer les exemples de Louis

Longuelanne et Gustave Finaud en 1835, de Dominique Demange et d’Etienne Chambovet

à la fin des années 1830, de Pierre-Joseph Baudoin et de Jean Baptiste en 1842.

16 Les capitaux familiaux et individuels sont modestes mais s’avèrent généralement

suffisants à la fondation de la majorité des petites entreprises. A Marseille, sous la

monarchie de Juillet, les fonderies et les ateliers de mécanique emploient généralement

peu d’ouvriers. Le chiffre de 100 salariés est rarement dépassé39. Les équipements sont au

départ peu importants. Les investissements lourds, comme l’achat d’une machine à

vapeur, sont décidés avec la plus grande prudence. Si quelques entrepreneurs achètent

leur appareil à vapeur dès l’installation de l’usine, ces machines sont toujours d’une faible

puissance. En 1835, la force développée par l’appareil des ateliers de Gustave Finaud est

de deux chevaux, tout comme celui utilisé par Dominique Demange en 184240. Les

propriétaires d’entreprises, jouant sur l’autofinancement, attendent d’avoir amassé assez

de profits pour immobiliser des capitaux plus importants. Ce fait explique qu’une part

non négligeable des usines fonctionne assez longtemps sans le secours de la vapeur.

L’argent est rare. Il est prioritairement affecté aux fonds de roulement de la société.

L’entreprise de galvanisation du fer et de la fonte d’Alfred Dussart et de Barthélémy

Granier, créée en 1839, n’a toujours pas d’appareils à vapeur en 1843, tout comme celle

des frères Puy, qui utilise encore la traction animale (trois chevaux et des mulets) dix

années après sa mise en route. Cavaillier ne possède que trois chaudières41. Toussaint

Maurel achète une machine à vapeur pour sa fonderie de cuivre dix ans après la création

de son entreprise42.

98

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17 Les capitaux des artisans et des petits industriels ont donc permis l’apparition des

secteurs de la métallurgie et de la construction mécanique à Marseille durant les années

1830-1840, mais cet autofinancement connaît des limites. Il permet certes la création

d’entreprises de petite et moyenne envergure, mais n’offre pas de possibilités de créer de

grands ateliers de production nécessitant l’immobilisation d’un important fonds social.

Le passage à la société en commandite simple ou par actions

18 Le problème des capitaux se pose avec le changement d’échelle des entreprises soit dans

le cadre d’une production accrue, soit dans celui de la sidérurgie ou de la fabrication de

machines marines et locomotives. Au-delà d’un certain seuil de développement,

l’autofinancement ne suffit plus. La formation d’une société à fonds importants entraîne,

pour les entrepreneurs, une double nécessité. Ceux-ci doivent modifier le statut juridique

de leur affaire et s’insérer dans des réseaux susceptibles de drainer des capitaux.

19 Les entrepreneurs de la métallurgie et de la construction mécanique font appel à de

grands investisseurs marseillais ou français dans le cadre d’une société en commandite

simple ou par actions, seule formule disponible pour minimiser les risques encourus par

les partenaires financiers43. En 1841, Charles Aune essaie de former une société en

commandite pour « l’établissement et l’exploitation de hauts fourneaux, forges et feux

d’affineries dans le Royaume de Naples. » Le fonds social qui doit être rassemblé est de

800 000 francs divisés en 160 actions44. Le fondateur de l’entreprise parvient à trouver un

nombre suffisant d’actionnaires et à constituer ainsi le capital de la société mais celle-ci

ne débouchera sur aucune réalisation concrète45. Nous ne savons pas si le capital a été

déboursé ou si les actionnaires ont provoqué une rapide dissolution de la société, à cause

des difficultés engendrées par une implantation à l’étranger. En 1843, la tentative de

constitution de la société en commandite par actions Narcisse Mille & cie, au capital de

350 000 francs, chargée d’exploiter, dans la commune de Marseille, une tôlerie et un ou

plusieurs hauts fourneaux connaît une fin malheureuse puisque le capital n’est même pas

réuni46. Les projets doivent être solides. L’hésitation est souvent de mise face à des

tentatives ambitieuses. Les fondateurs d’entreprises cherchent parfois désespérément des

commanditaires pour leurs sociétés. Sous la monarchie de Juillet, certaines initiatives ont

toutefois abouti. Les deux plus importantes ont été menées par Philip Taylor et Louis

Benet.

20 Il est particulièrement délicat de suivre les activités de Philip Taylor et de trouver

l’identité de ses partenaires financiers. Les actes de ses sociétés antérieurs à 1847 n’ont pu

être retrouvés. Seules quelques pistes peuvent être avancées. Emmanuel Marliani,

l’ancien employeur du Britannique, a très certainement joué un rôle prépondérant dans

la fondation de l’atelier de Menpenti en 1835. Philip Taylor achète en effet la

« campagne » sur laquelle il dresse ses installations grâce au concours financier du

minotier47. Ce type d’association entre un industriel et un ancien salarié désireux de

fonder sa propre affaire est répandu, mais cette aide est très certainement insuffisante.

Emmanuel Marliani n’a pas la capacité d’apporter seul les fonds suffisants pour un

établissement qui prend rapidement une grande ampleur. Deux années seulement après

sa fondation, l’entreprise du Britannique est déjà dotée d’un équipement imposant48. De

plus, à partir de 1840, Philip Taylor se lance dans une série d’achats de terrains destinés à

agrandir ses installations49. Le nom et l’importance de la participation des autres

commanditaires de la société sont inconnus. Les hypothèses ne manquent pas. Philip

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Taylor a peut-être trouvé des appuis auprès de son frère John, industriel en Grande-

Bretagne, ou des cousins Bazin, hommes d’affaires marseillais qui ont repris le moulin à

vapeur de Marliani. Les liens unissant Taylor et les Bazin seront forts par la suite. Ces

derniers participeront pour 10 % du capital dans la formation, en 1853, de la société de

Philip Taylor, la Compagnie des Forges et chantiers du Midi, ancêtre de la Société des

forges et chantiers de la Méditerranée50.

L’histoire exemplaire des sociétés de Louis Benet

21 Si l’évolution des sociétés de Philip Taylor reste assez obscure pour la période 1835-1847,

celle des affaires de Louis Benet peut, en revanche, être suivie avec beaucoup moins de

difficultés. L’histoire des diverses sociétés du grand entrepreneur ciotadin est révélatrice

des importants moyens financiers qu’il faut réunir pour prendre de l’ampleur. Louis

Benet va utiliser des réseaux sans cesse élargis et successivement toutes les formes

juridiques existantes pour faire croître ses affaires.

22 Le démarrage est modeste. Sa première entreprise, l’usine de Menpenti, est fondée en

1833 sur la base d’une association avec les frères Falque, industriels du bâtiment, et avec

Martiny père et fils, d’anciens forgerons qui se sont sans doute plus directement occupés

de l’aspect technique de l’affaire51. La société est créée en nom collectif pour une durée de

seize mois. C’est au milieu des années 1830 que ses affaires vont prendre un véritable

essor. En 1835, Louis Benet fait partie du groupe de Marseillais qui se lancent dans la

tentative de constitution de la Compagnie marseillaise de la Méditerranée pour la

navigation à vapeur52. L’affaire est un échec mais lui permet néanmoins de resserrer ses

liens avec les milieux d’affaires les plus importants de la ville et notamment avec trois

hommes dont les rôles seront déterminants par la suite : Jean Luce, Jacques Fraissinet et

Joseph Roux. Louis Benet est perçu comme un homme compétent. La bonne marche de sa

fonderie de Menpenti et sa réussite dans le domaine du textile ont démontré ses capacités

et plaide largement en sa faveur. Son projet de fondation d’un grand atelier de

construction de navires à vapeur date du début des années 1830 au retour d’un voyage en

Angleterre durant lequel il a pu visiter des chantiers navals53. L’idée prend une forme

véritablement concrète au printemps 183554. Le réseau de relations que Louis Benet et son

père ont su tisser dans ses différentes affaires et au sein de la chambre de commerce55 va

lui permettre de concrétiser ses ambitions.

23 Après 1835, le développement des moyens de transport modernes dans la région incite les

milieux financiers marseillais à s’intéresser de près à la création d’un grand atelier de

mécanique susceptible de répondre aux besoins locaux qui vont aller en grandissant. Le

noyau d’hommes ayant participé à la création des premières compagnies de navigation à

vapeur et à la formation de la Compagnie du chemin de fer Alais-Beaucaire56 s’intéresse à

l’affaire de Louis Benet et lui accorde un important soutien financier lors de la création de

la société de La Ciotat en mars 1836. Son frère Toussaint fait partie des cinq actionnaires.

Hors famille, le trio composé de Jean Luce, de Jacques Fraissinet et de Joseph Roux

apporte 40 % du capital qui, s’élève à 300 000 francs57. Les capitaux engagés s’avèrent très

vite insuffisants. Une nouvelle société en commandite simple est créée en décembre de la

même année. Le capital est porté à 450 000 francs58. Louis Benet engage 75 000 francs dans

l’affaire. Ses commanditaires habituels lui fournissent une bonne partie de la somme. On

note la présence de nouveaux venus dans l’affaire : le cousin de Louis Benet, Antoine,

ainsi que les frères Schneider. Ces derniers voient dans cette création la possibilité de

100

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débouchés pour les tôles et les pièces de forge qu’ils fabriquent dans leurs usines du

Creusot :

« Vous savez aussi qu’en entrant dans la société, j’ai toujours indiqué que c’étaituniquement dans l’intention de fournir un débouché de plus au Creusot, soit pour lafourniture de tôles, soit pour toutes pièces de forges et fonderies dont nous devionsavoir la préférence59. »

24 Ce soutien des milieux d’affaires locaux et des frères Schneider permet à la société

d’acquérir rapidement un équipement important. Louis Benet commence en 1838 la

construction d’une cale de halage pour la réparation des navires à vapeur et possède plus

d’une trentaine de machines-outils. La plupart de ces appareils (tours à chariot et à

pointes, appareils à aléser et à percer) sont commandés aux grands constructeurs

britanniques de l’époque (Fox, Sharp & Roberts, Nasmyth)60. Ils sont amenés par bateaux à

La Ciotat durant l’année 183761. En cette fin des années 1830, le développement du projet

de construction de la ligne de chemin de fer Marseille-Avignon inspire à Louis Benet et au

même groupe d’hommes d’affaires une tentative encore plus audacieuse. En 1839, Louis

Benet se lance dans la formation d’une société au capital de 900 000 francs, pouvant être

porté à 1 350 000 francs, dont l’objet est : « l’exploitation de l’atelier de construction de

machines établi à La Ciotat… ; l’établissement à Marseille d’un atelier de réparation pour

les machines marines et autres ; la construction de machines locomotives ; la

construction de navires de toutes dimensions avec ou sans machines à vapeur62 ».

25 Une fois de plus, on retrouve les mêmes personnages à ses côtés, principalement Jean

Luce et Joseph Roux. Les frères Schneider, ne croyant pas à la réussite de la nouvelle

société, ne suivent pas mais le groupe d’affaires marseillais qui soutient Louis Benet a

réussi un tour de force pour trouver des appuis financiers63. Luce et Roux ont convaincu

Paulin Talabot et James de Rothschild d’investir dans l’entreprise. Pour Louis Benet, les

répercussions sont énormes. Il dispose désormais de capitaux considérables. Le fonds

social de la société est multiplié par deux64. Cet apport financier lui permet l’installation

d’un atelier particulièrement bien équipé. En 1841, on peut recenser la présence dans la

seule usine de La Ciotat de deux machines à vapeur d’une puissance totale de 20 chevaux,

de cinq grands tours dont un à chariot de neuf mètres pour les opérations d’alésage, de

trois grandes grues destinées au montage des appareils et d’un chemin de fer reliant les

différents ateliers entre eux65. Louis Benet trouve, enfin, la possibilité d’intégrer un

réseau de décideurs capable de lui remplir ses carnets de commandes. Grâce aux relations

de Paulin Talabot, il va bénéficier de la collaboration technique de Robert Stephenson, le

père de la locomotive, qui a passé un contrat d’équipement avec la Compagnie du chemin

de fer Marseille-Avignon66. Parallèlement, Louis Benet développe sa fonderie de

Menpenti. Réorganisée en décembre 18 3 667, la société passe en 1840 dans les mains de

son cousin. Le capital est porté à 210 000 francs pour satisfaire les nouveaux besoins en

biens de production. En 1843, enfin, Louis Benet développe les activités de son chantier de

construction et de réparation des Catalans. Il s’associe avec les cousins Henri et Pons

Peyruc, fondateurs de deux ateliers de constructions mécaniques dans le Var dont le plus

ancien, celui du Mourillon à Toulon, devient en partie propriété du Ciotadin68. L’alliance

est stratégique. Louis Benet vise les marchés de la Marine et de l’administration des

postes.

26 Au total, le chemin parcouru entre 1832 et 1846 est immense. Louis Benet est à la tête de

cinq ateliers regroupant près de 2 000 ouvriers : une fonderie et un atelier de

construction et réparation d’appareils à vapeur à Marseille ; un chantier de construction

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navale et un atelier de fabrication de machines marines et locomotives à La Ciotat ; et

enfin une entreprise de mécanique à Toulon.

Le bilan

27 Trois traits fondamentaux caractérisent l’histoire des investissements dans l’industrie de

la métallurgie et de la construction mécanique de la région marseillaise.

L’autofinancement a été important dans la première phase de développement et va rester

prépondérant dans la création des petites et moyennes entreprises jusqu’à la fin de la

monarchie de Juillet. Progressivement, les augmentations de capital se font avec les

apports de banques locales (ceux de Roux de Fraissinet & Compagnie pour la société de

Louis Benet, par exemple). Les grandes banques, notamment la Banque de Marseille69,

n’ont joué aucun rôle dans les fondations d’entreprises. En revanche, plus tardivement,

elles interviennent de manière non négligeable en ouvrant des crédits commerciaux aux

sociétés victimes de difficultés conjoncturelles70. L’État n’est jamais intervenu pour

faciliter, de quelque manière que ce soit, l’établissement des entreprises. Sur ce dernier

point, l’exemple marseillais est similaire à celui présenté par la Catalogne, une région qui

a pu compter sur les investissements du riche patronat textile. Il diverge toutefois

fortement des cas italiens ou grecs. Dans ces deux pays, l’Etat a joué un rôle prépondérant

dans la formation des entreprises les plus importantes. À Gênes, le gouvernement de

Piémont-Sardaigne prête, en 1845, un million de lires sur quinze ans sans intérêts à

Fortunato Prandi afin qu’il puisse fonder les ateliers d’Il Meccanico71 (future Ansaldo).

L’entreprise est, de plus, exemptée de droits de douanes sur les fers étrangers qu’elle

travaille et ne paie qu’une taxe insignifiante (1 % ad valorem) sur les machines achetées en

Grande-Bretagne72. Au Pirée, l’État se porte garant de Vassiliadis afin qu’il puisse

contracter, en 1861, l’emprunt nécessaire à la construction de ses ateliers métallurgiques

et de construction d’appareils à vapeur73. L’usine sera détruite par un incendie en 1868.

Une fois encore, l’État aide l’entrepreneur pour la reconstruction des installations74. La

situation des entreprises marseillaises est radicalement différente de celles des royaumes

italiens ou de la Grèce. Marseille ne connaît rien de tel car elle est comprise dans un

ensemble où l’industrie métallurgique et mécanique est bien développée dans plusieurs

régions (le Centre, le nord, l’est et la région parisienne). L’État ne voit aucune nécessité à

favoriser à tout prix le développement de ce secteur à Marseille. Les ateliers formés à

Gênes ou au Pirée sont en revanche les premières grandes initiatives dans des pays

dépourvus d’industrie métallurgique et mécanique. Les États concernés voient dans ces

créations une nécessité politique. Elles sont, par leur modernité, un élément de prestige

nécessaire au rayonnement des régimes.

L’APPARITION D’UN QUARTIER DE LA MÉTALLURGIEET DE LA CONSTRUCTION MÉCANIQUE

28 Sous la monarchie de Juillet, le développement économique a profondément modifié le

visage de Marseille. L’apparition du secteur métallurgique et mécanique joue un rôle

majeur dans ce processus de transformation d’une ville d’Ancien Régime en cité

industrielle. La dissémination des entreprises basées le long des cours d’eaux sur

l’ensemble de l’est du département des Bouches-du-Rhône et le regroupement dans le

vieux centre de Marseille font alors place à une concentration sur deux pôles originaux et

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fondamentalement différents : La Ciotat et le sud-est de Marseille. À l’image du Creusot et

toutes proportions gardées, le développement des chantiers de Louis Benet ont fait de La

Ciotat une véritable Town Company. À partir de 1836, la ville et la population, alors de

dimensions très modestes75, vont s’étendre en complète corrélation avec la croissance de

l’entreprise selon un mécanisme bien connu. La situation marseillaise, en revanche, est

beaucoup plus complexe. L’apparition des fonderies et des ateliers de mécanique doit

s’intégrer dans un espace urbain profondément marqué par son passé. Cet héritage est

souvent peu conforme aux logiques économiques et juridiques d’implantation qui pèsent

sur ces entreprises.

Les problèmes posés par l’installation des fonderies

29 L’artisanat métallurgique marseillais s’était développé sous la Restauration dans le centre

de la ville, le long de quelques artères situées à proximité du Vieux-Port. Les artisans

fondeurs sont principalement localisés rue Coutellerie et Grand’rue, les fabricants de

plomb en grenailles, rue Pierre-qui-Rage et les chaudronniers, armuriers et couteliers,

rue Négrel ou rue des Fabres76. Les installations d’usines modernes de construction

mécanique et surtout de transformation des métaux ne pouvaient conserver les

implantations de la période précédente pour deux raisons. Ces nouveaux ateliers de

dimensions souvent importantes peuvent difficilement s’insérer dans des rues étroites et

sinueuses. De plus, l’État français a légiféré sous l’Empire afin de surveiller ce type

d’établissement particulièrement nuisible et redouté par les populations. Les lois des 21

avril et 15 octobre 1810 rendent nécessaire une installation éloignée des quartiers habités

du centre de la ville.

30 Le comité de salubrité surveille avec la plus grande attention les demandes d’installations

de fonderies de deuxième fusion et n’accorde les autorisations qu’avec la plus grande

parcimonie. En 1827, Duphot doit obtenir l’appui de la préfecture, qui voit dans cette

installation une nécessité économique de grande importance. Le préfet juge en effet que

ce type d’établissement « manque à Marseille et paraîtrait promettre d’assez grands

avantages à cette ville sous le rapport du commerce et de ses fabriques77 ». Deux années

plus tard, la demande de Pierre-Joseph Baudoin est rejetée78. Pour les entreprises de la

construction mécanique, le problème est moins épineux mais les réticences sont encore

importantes. La population marseillaise reste longtemps effrayée par la machine à

vapeur. En 1846, Chambort, membre de la société de statistique de Marseille, rappelle

l’époque récente où « l’aspect d’une chaudière à vapeur inspirait l’effroi79 ». Le temps où

les femmes se signaient en croisant le contremaître du premier moulin à vapeur, Jean-

Baptiste Falguière, – « elles croyaient ainsi exorciser le diable qui seul pouvait, disaient-

elles, faire de la farine avec du feu80 » – est certes révolu. L’Église a apporté son concours

en bénissant les machines à vapeur81 et leur nombre croissant habitue les Marseillais à

leur présence. La peur de l’explosion des chaudières demeurera toutefois importante

malgré les progrès effectués dans le domaine de la mécanique qui rendent ces frayeurs

souvent injustifiées. En 1855, avec un goût du morbide assez prononcé, le député

provençal Louis Reybaud dresse encore un portrait pour le moins sombre des machines à

vapeur : « Quand on les oublie, un bruit sinistre rappelle inopinément leur puissance : il

s’agit de victimes écrasées ou brûlées à petit feu, de membres brisés, de crânes ouverts82

. »

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31 Les oppositions de la population aux installations de machines demeurent nombreuses

dans les années 1830, surtout quand elles touchent les établissements métallurgiques.

L’industrie métallurgique et mécanique doit donc prendre ses quartiers dans la proche

banlieue. La question d’une implantation au nord, au sud ou à l’est de la ville ne se pose

pas vraiment. Plusieurs quartiers du nord de la ville sont bien trop peuplés. Ils sont de

plus accrochés à des collines dont les pentes rendent le transport par charriot vers le port

particulièrement difficile. Vers l’est, les installations d’entreprises deviennent

impossibles à cause de la poussée d’urbanisation que connaît cette zone dès la fin de la

Restauration83. La banlieue sud-est s’offre donc comme unique solution d’implantation.

En 1830, les habitations s’arrêtent à la place Castellane84. Au-delà s’étendent des plaines

propices aux installations industrielles.

Un choix par défaut : la localisation dans les quartiers du sud-est

32 Les trois premières demandes d’autorisation de fonderies de fer, en 1826, 1827 et 182985,

concernent des implantations relativement éloignées du centre. Les choix des

entrepreneurs, Duphot, Vial (?) et Baudoin, sont diamétralement opposés. Le premier a

choisi le nord, extra muros. alors que les deux autres ont opté pour l’extrême sud-est de la

ville, le long du cours Gouffé. Ces trois demandes ne débouchent pas sur des réalisations

concrètes sur le terrain mais le choix du lieu où va se développer l’industrie marseillaise

de la métallurgie et de la construction mécanique est déjà fixé. C’est en effet dans les

quartiers du Rouet et de Menpenti, autour du cours Gouffé et de la place Castellane que

les établissements de ce secteur apparaissent.

33 Presque tous les ateliers de mécanique sont regroupés dans ces deux quartiers. La

majeure partie d’entre eux est située sur la place Castellane et le long de cinq artères

situées principalement au nord de cette zone (Vieux et Grand Chemin de Rome, rue Périer86), et à l’est (rue Friedland et cours Gouffé87). Pour le reste, les choix respectent l’esprit

d’éloignement du centre vers le sud, même s’ils se rapprochent du centre de la ville. Deux

entreprises, celles de Joseph Mouren et de Jean-Baptiste Falguière, sont implantées rue

Périer88. Seuls cinq ateliers relativement importants sont encore situés dans le centre.

Pour trois d’entre eux (ceux d’Azémar, Longuelanne et Saint-Joannis), il s’agit de cas de

transformation d’ateliers d’artisans chaudronniers en usines de mécanique. Ils

conservent leur situation rue des Fabres et boulevard des Dames sans avoir demandé

l’autorisation d’exercice pour leurs nouvelles activités. Le quatrième, une des usines de

Louis Benet, est situé au quartier des Catalans, au sud du Vieux-port. La spécificité de son

activité explique le choix. Annexe d’un chantier naval, l’atelier répare les machines

marines. Certains chefs d’entreprise ne se résignent pas à quitter le centre et refusent

donc de se plier aux exigences de la législation même lors d’un déménagement. Jean-

Baptiste Gautier transforme son atelier de chaudronnerie en entreprise spécialisée dans

la construction et la réparation de chaudières au tournant des années 1840. Il quitte la rue

des Fabres, mais reste dans le centre de la ville en choisissant la rue Fortia89.

34 Les fonderies de deuxième fusion de fer ou de cuivre suivent massivement les ateliers de

la construction mécanique, dont elles dépendent étroitement. John Riddings installe sa

fonderie de métaux sur le cours Gouffé à côté de l’atelier de Philip Taylor, usine avec

laquelle il entretient une étroite collaboration90. Le principe est identique pour Georges

Danré, qui crée sa fonderie sur le chemin du Rouet au début des années 1840. La fonderie

de fer des frères Puy, située rue d’Aubagne au début des années 1830, est transférée par

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ses propriétaires chemin Saint-Giniez afin de se rapprocher de ces principaux clients et

de disposer d’un espace plus important91. Néanmoins, une partie non négligeable des

fonderies échappe à l’implantation dans les quartiers de Menpenti et du Rouet. Comme

pour le secteur de la construction et de la réparation d’appareils à vapeur, quelques

entreprises de deuxième fusion restent encore implantées dans le centre. Plusieurs

établissements nés de la transformation de petits ateliers d’artisans des années 1820-1840

demeurent dans les vieilles artères de l’artisanat métallurgique en évitant de demander

une autorisation d’installation pour leurs nouvelles activités. C’est le cas notamment des

entreprises de Gritty (rue des Fabres) et de Ferreol et Clavel (rue Breteuil)92. Mais, dans la

plupart des cas, ces fonderies sont de très petits établissements. Parmi les entreprises de

moyenne ou grande importance, une seule fonderie n’est pas située dans la banlieue sud

de la ville. Cabanis et Salles ont préféré l’est avec une installation dans le quartier Saint-

Just.

35 L’installation dans les quartiers du sud-est de la ville ne présente en fait qu’un seul

inconvénient mais celui-ci est de taille : la communication avec les différents centres

économiques de la ville et de la région s’effectue avec difficultés.

« Le charbon de Fuveau ne peut atteindre Menpenti et Saint-Lazare qu’enempruntant les voies centrales, notamment les étroits corridors de la rue Noailleset de la rue de l’Arbre, car les boulevards circulaires sont impraticables à la tractionanimale, à cause de leur formidable inclinaison ; il en est de même des matièrespremières débarquées au Vieux-port. Le charroi destiné aux faubourgs du sud-estdoit donc gagner ceux-ci par le cours Saint-Louis, la rue et le boulevard de Romejusqu’au grand chemin de Toulon récemment élargi à 14 mètres93. »

36 Regroupée dans un périmètre relativement restreint, l’industrie métallurgique et

mécanique marseillaise s’affiche avec force dans le paysage urbain. La localisation à

Menpenti et au Rouet trouve pleinement sa justification car, souvent poussées par les

mêmes contraintes, beaucoup d’usines d’autres secteurs industriels nées dans les années

1830-1840 s’installent, elles aussi, dans les quartiers du sud de la ville.

***

37 Les vieilles structures de l’artisanat marseillais ne sont pas effacées du paysage urbain

mais la visibilité d’une branche moderne de la métallurgie et de la construction

mécanique est désormais pleinement assurée. Elle l’est d’abord par la création de

plusieurs dizaines d’entreprises et d’ateliers de mécanique qui accèdent au niveau de la

petite industrie et de deux sociétés importantes, y compris à l’échelle nationale du

secteur. Les Phocéens ont pleinement conscience de l’existence d’une industrie qui

imprime sa marque dans la cité. Avec l’apparition d’un véritable quartier métallurgique,

cette visibilité relève aussi de la topographie urbaine. À la fin des années 1840, une partie

de la ville est dominée par la présence massive et concentrée de fonderies de fer, de fonte

et de cuivre, d’ateliers de construction mécanique. Le sud-est de la ville est alors

synonyme de métallurgie. Ville du savon, de l’huile, des produites chimiques, des blés et

des sucres, Marseille est devenue aussi une ville du fer et de la vapeur.

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NOTES

1. ADBdR 548 U 3 et XIV MEC 12/71 ; VILLENEUVE H. (DE), « Rapport… » op. cit., p. 287.

2. VILLENEUVE H. (DE), « Rapport… », art cit., p. 287.

3. Ibid.

4. ADBdR 548 U 3.

5. AN 71 Mi 22.

6. AN F 12 4476.

7. ADBdR, XIV M 10/8.

8. ADBdR 548 U 3.

9. Le premier acte de la société est déposé en 1840 (ADBdR 548 U 4), mais l’entreprise fonctionne

depuis l’automne 1839 (SM, 9 octobre 1839). La galvanisation consiste à plonger les fers dans un

bain de zinc pour les préserver de l’oxydation.

10. BENET J. M., Le Cicérone marseillais, 1841, p. 306 et ECM, t. III, p. 381.

11. BLANC P., Le Nouvel Indicateur marseillais, Marseille, 1840, p. 103.

12. ACM 22 F 5.

13. Ibid.

14. Cet établissement n’est signalé qu’en 1844 (cf. Nouvel Indicateur marseillais, année 1844).

15. CABANIS J.-F., Note sur l’établissement d’une usine à fer, quartier Saint-Just à Marseille, Marseille,

1844.

16. ADBdR XIV M 12/179 et 548 U 5, 1846.

17. Propriétaires des 28 fonderies : Barthélemy frères, Baudoin, Benet, Bonniot, Capel, Carie et

Benoit, Cas cadet, Danré, Deluy, Escoffier, Ferreol et Clavel, Gritty, Imbert, Baptiste, Lavigne,

Martin, Toussaint Maurel, Nel, Lazare Olive, Porte, Puy frères, Querel, Reboul, Riddings, Jeffery

frères, Robert, Sabatier, Siran et Vial fils (BENET J. M., Le Cicérone marseillais, 1846, p. 209).

18. Celles d’Azémar, Benet, Demange, Falguière, Gautier, Giroud, Long, Longuelanne, Marcel,

Mouren, Saint-Joannis, Taylor, et Truphême (ibid., p. 183 et 218). À ces treize ateliers, il faut

ajouter celui de Walker, absent du guide en 1846, mais qui est en fonctionnement, ainsi que ceux

de Lejeune et de Fournel & Liautaud, créés en cours d’année.

19. « Statistique des établissements… », art. cit., p. 230-249 et ECM, t. III, p. 385.

20. ACM 22 F 5.

21. La société Laugier & Gardon est constituée en 1837 pour la fabrication des tuyaux de plomb et

d’étain (ADBdR 548 U 3). Aucun document n’a permis de révéler le fonctionnement de cette

usine.

22. BENET J. M., Le Cicérone…, op. cit., année 1845, p. 221.

23. AN F 14 4313.

24. Cf. NADAL J., MALUQUER de Motes J., SURDRIA C, CABANA F., Historià economica de la Catalunya…, op.

cit., vol. III, p. 160.

25. ILLAS Y VIDAL J, Memoria sobre los perjuicios..., op cit., p. 51.

26. Ibid., p. 71.

27. DEFONTAINE J., L’Espagne au XIXe siècle, Paris, 1860, p. 134.

28. Parmi les créations les plus importantes : l’entreprise des frères Benech, en 1840, et de l’

Istituto Meccanico del Belvedee, en 1842, à Turin, des ateliers Westermann, de Taylor & Prandi, en

1846, aux environs de Gênes (pour plus de détails, cf. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit.).

29. Ibid., p. 201.

106

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30. GABERT P., Turin…, op. cit., p. 84.

31. Celle de Vassiliadis en 1861, cumulant les travaux mécaniques et de fonderie de deuxième

fusion (cf. LAMARRE C, MARQUIS DE QUEUX DE SAINT-HILAIRE, La Grèce à l’Exposition universelle de 1878,

Paris, 1878, p. 254).

32. Société biotechnique hellénique, La Grèce industrielle et commerciale en 1900, Athènes, 1900, t. II,

p. 8-11 et 41-45.

33. ADBdR série 548 U.

34. LESCURE M., « Companies… », art. cit., p. 114.

35. Ibid., p. 109.

36. Pour les différentes formes juridiques des sociétés industrielles de la première moitié du XIXe

siècle, cf. VERLEY P., Entreprises et entrepreneurs du XVIIe siècle au milieu du XXe siècle, Paris, 1994, p.

97-100.

37. Capital de 12 000 francs pour la fonderie Ferreol & Clavel, 16 000 pour la société Lajarrije &

Legros et Baudoin & Baptiste, 22 000 pour Cavaillier fils & Guieu… (ADBdR 548 U 3 et 4). Pour

l’ensemble des sociétés métallurgiques et mécaniques de la période 1830-1846, il est exceptionnel

que le capital dépasse la somme de 100 000 francs.

38. Pour les formations de sociétés, cf. ADBdR, 548 U 3, 4 et 5.

39. Pour la période 1831-1846, seules six ou sept entreprises ont dépassé ce seuil : les fonderies

Danré, Benet et peut-être celle de Riddings ; les ateliers de mécanique de Taylor, Falguière et

Benêt (ADBdR, XIV M 6/2 ; ACM 22 F 5 ; ECM, t. III, p. 379-385 et SF, p. 52-53).

40. ADBdR XIV M 12/179.

41. Ibid., XIV M 6/2.

42. Ibid., XIV MEC 12/71.

43. Les commanditaires ne sont ici responsables qu’à hauteur des capitaux investis.

44. ADBdR 548 U 4.

45. La société est dissoute en 1843.

46. ADBdR, 548 U 4.

47. AN 71 MI 22, Société des forges et chantiers de la Méditerranée, Notice…, op. cit., p. 37.

48. Le Temps, 25 septembre 1837.

49. ADBdR 364 E 615.

50. ADBdR 548 U 6.

51. Ibid., 548 U 3.

52. Cf. chapitre IV.

53. Bulletin démocratique des Bouches-du-Rhône, n° 39, 1er mai 1886.

54. MLV, 31 mai 1835.

55. Benet a été membre de la chambre de commerce de Marseille de 1835 à 1837 ( TEISSIER O.,

Inventaire des archives modernes de la chambre de commerce de Marseille, Marseille, t. II, 1882, p. 356).

56. Cf. chapitre IV.

57. ADBdR 548 U 3, Acte de formation de la société Louis Benet & Cie, 23 mars 1836).

58. Ibid., 548 U 26, 1882, acte n° 13. L’acte de décembre 1836, contrairement au précédent,

concerne l’ensemble des ateliers de Louis Benet, à Marseille et à La Ciotat.

59. AFB, Registres de copies de lettres envoyées par Schneider & Cie, t. IV, Lettre du 25 juillet

1838 à Louis Benet & Cie.

60. ADBdR, 364 E, Annexe de l’acte n° 285, Inventaire général des outils de l’atelier Louis Benet &

Cie, 31 décembre 1838.

61. MLV, 1er décembre 1838.

62. ADBdR 364 E 615.

63. Sur les motifs du refus des frères Schneider, cf. AFB, Registres de copies de lettres envoyées

par Schneider & Cie, t. IV, Lettre du 25 juillet 1838 à Louis Benet & Cie.

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64. Le capital passe de 450 000 à 900 000 francs.

65. ECM, t. III, p. 382.

66. AN 77 AQ 44 et SM, 1-2 mai 1844.

67. ADBdR 548 U 26.

68. Ibid., 548 U 4.

69. Succursale de la Banque de France fondée en septembre 1835.

70. Ouverture d’une ligne de crédit de 475 000 francs pour Louis Benet & Cie et de 2 millions de

francs pour Figueroa & Cie en 1848 (ADBdR 354 E 313).

71. BULFERETTI L., « Notes pour l’étude de l’acquisition… », op. cit., p. 464.

72. GIORDANO F., Industriel del ferro in Italia, Turin, 1864, p. 316.

73. MORAITINIS P., La Grèce…, op. cit., p. 353.

74. Ibid., p. 316.

75. La Ciotat ne compte que 6 000 habitants en 1835 ( GARCIN E., Dictionnaire historique et

topographique de la Provence ancienne et moderne, Draguignan, 1835, t. II, p. 353).

76. Cf. L’Hermès marseillais.., op. cit., p. 268-270 et CHARDON, Nouveau Guide marseillais…, années

1825-1830.

77. ADBdR XIV M 12/71.

78. Baudoin n’obtient l’autorisation qu’en 1833 (ibid., XIV M 12/71).

79. RTSSM, t. IX, 1846, p. 142.

80. BERTEUAT S., « Marseille d’hier… », art. cit., p. 301.

81. L’archevêque d’Aix bénit notamment la machine placée dans les mines du Rocher bleu

(« Rapport de M. de Montluisant sur l’inauguration de la machine à vapeur à épuisement destinée

à l’exploitation des mines de lignite du rocher bleu », RTSSM, t. VII, 1843, p. 65) et, en janvier

1848, l’évêque de Marseille fait de même avec les locomotives reliant Marseille à Avignon (

LOMBARD A., Voyage historique et littéraire de Marseille à Avignon sur la voie de fer, Marseille, 1850, p.

2).

82. Cité dans BOUCHER-CAVALLO F., Au siècle de la vapeur. Guide Écomusée de la communauté Le Creusot-

Montceau, Le Creusot, 1992, p. 46.

83. RAMBERT G., Marseille, la formation d’une grande cité moderne, Marseille, 1934, p. 275-277.

84. Ibid, p. 278-291.

85. ADBdR XIV M 12/71.

86. Rue Aldebert depuis 1855.

87. BENET J. M., Le Cicérone marseillais…, op. cit., année 1846, p. 218.

88. Ibid.

89. CHARDON, Nouveau Guide marseillais…, op. cit., année 1830, p. 199 et BENET J. M., Le Cicérone

marseillais…, op. cit., année 1839, p. 156.

90. 90. ECM, t. III, p. 380.

91. CHARDON, Nouveau Guide marseillais…, op. cit., année 1830, p. 230 et ADBdR XIV M 12/71.

92. BENET J. M., Le Cicérone marseillais…, op. cit., année 1842, p. 176 et année 1843, p. 187.

93. RAMBERT G., Marseille, la formation…, op. cit., p. 289.

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Chapitre VII. Techniques et types deproduction

1 Sous la monarchie de Juillet, les métallurgistes et mécaniciens marseillais se sont heurtés

à une difficulté technique majeure : celle de la mise en place d’une production variée et

de qualité. La demande locale en produits métallurgiques est d’une extrême diversité.

L’éventail des besoins va de la simple pièce de fonte à la locomotive. Afin de s’assurer des

commandes suffisantes, les entreprises ne peuvent se contenter d’un seul créneau. La

régularité des marchés laisse à désirer et le nombre des sociétés qui doivent se partager

les débouchés est sans cesse croissant. L’ensemble de ces données a amené l’artisanat

métallurgique de la Restauration à se transformer en un secteur polyvalent de

fabrications dont certaines ont une forte valeur technologique.

2 Le savoir-faire des artisans a souvent constitué une base de départ suffisante pour établir

de nouvelles productions. C’est généralement le cas des biens d’équipement pour les

usines. Les machines et chaudières acquises par l’industrie marseillaise sous la

Restauration ont servi d’objets d’étude et de modèles pour les premières réalisations.

L’acquisition des compétences techniques de base a été facilitée par la faiblesse des

connaissances scientifiques nécessaires en ce domaine et par l’absence d’innovations

majeures au cours des années 1830-1840. Il en est tout autrement pour les appareils

moteurs utilisés par la navigation et les chemins de fer. La technologie est ici d’une

grande complexité, même pour un mécanicien rompu à la production d’appareils pour

l’industrie. Elle est également en évolution constante, ce qui ne facilite guère le

rattrapage du retard. Un important transfert de technologie doit s’opérer. L’industrie

métallurgique et mécanique marseillaise est donc confronté à un véritable défi. Il est

nécessaire de s’interroger sur la nature et les modalités du processus de mise en place

d’un éventail de productions adapté à la variété de la demande et sur la capacité des

entreprises à acquérir une technologie de pointe dans un secteur industriel où les

Britanniques règnent encore sans partage.

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LES MACHINES FIXES ET AUXILIAIRES : UNAPPRENTISSAGE RAPIDE

3 En 1831, Jean-Baptiste Falguière, un ancien forgeron originaire du Tarn installé à

Marseille depuis une dizaine d’années, se lance dans la fabrication en série d’appareils à

vapeur. La première machine entièrement conçue et réalisée par Falguière, une petite

machine d’un cheval destinée à une chocolaterie1, est également la première fabriquée

dans les Bouches-du-Rhône. L’apparition de ce type de fabrication est brutale. Elle ne fait

suite à aucune phase préparatoire. Le premier atelier de mécanique phocéen est d’emblée

un établissement de construction. Marseille présente en ce domaine une originalité

marquée par rapport à l’ensemble des pays du sud de l’Europe.

Le processus des premières constructions dans le sud de l’Europe

4 Dans le sud de l’Europe, les premières réalisations de machines sont le résultat d’une

progression dont la phase initiale consiste à assimiler la technologie par des travaux de

réparations. Ces opérations permettent de comprendre le fonctionnement d’appareils

dont les éléments sont examinés avec soin lors des changements de pièces. En Catalogne,

la société El Nuevo Vulcano fabrique son premier appareil moteur en 1837 2. La machine

n’est pas destinée à la vente mais doit fournir la force motrice à l’entreprise qui

commence la production en série d’appareils moteurs seulement quelques années plus

tard. Entre temps, la société catalane doit passer par une période transitoire fondée sur

les travaux de réparation de machines et de changement de chaudières3. La construction

de machines à vapeur ne débute réellement qu’au cours de la seconde moitié des années

1840, période durant laquelle El Nuevo Vulcano devient le principal atelier mécanique

espagnol4. Dans les années 1860, la première société grecque de travaux mécaniques pour

l’industrie, celle de Vassiliadis au Pirée, passe également par une phase de travaux de

réparation avant de devenir un atelier de construction5. À Turin, à partir de 1834, on

assiste à la création d’ateliers de construction de chaudières, à l’image de ceux fondés par

les frères Decker spécialisés dans la production d’appareils pour le filage de la soie6. Il faut

attendre les années 1840 pour qu’apparaisse la première entreprise de construction de

machines à vapeur, celle des frères Benech7. Enfin, le processus est analogue à Naples. La

société de Zino & Henry, fondée au début des années 1830, commence par réparer des

machines importées de l’étranger pour les entreprises du secteur textile. Dans un second

temps, l’atelier copie les appareils français et anglais. En 1838, ayant assimilé les

caractéristiques techniques de ce type de réalisations, il devient un véritable

établissement de construction mécanique8.

5 La seconde grande différence réside dans l’origine des promoteurs de ces premières

fabrications. A Marseille, dès son démarrage, la construction des machines est assurée par

des locaux (Falguière, Longuelanne et Finaud, Demange et Chambovet…9). L’apport

britannique ne commence qu’en 1835 avec l’ouverture de l’atelier de Philip Taylor. À

Turin, Barcelone ou au Pirée, l’apport extérieur est dès le départ déterminant. Les

techniciens français et surtout britanniques assument les premières constructions de

machines. Les frères Benech, initiateurs du mouvement dans le royaume de Piémont-

Sardaigne, viennent directement de France. En Grèce, le rôle de John Mac Dowall a été

décisif. Il a dirigé les ateliers de Vassiliadis au Pirée lors de ses premières années de

110

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fonctionnement et fonde, en 1874, la seconde société grecque de construction de

machines à vapeur10. À Barcelone, dans les années 1830, les ateliers d’El Nuevo Vulcano sont

pris charge par des techniciens britanniques (White puis Kent, à la fin des années 184011).

Vers 1850, les trois frères Alexander – mécaniciens écossais qui avaient d’abord travaillé à

Paris et peut-être à Valence – s’installent dans la capitale catalane et deviennent les

principaux constructeurs espagnols de machines à vapeur12.

Les caractéristiques techniques des machines fixes construites à

Marseille

6 Aucun document n’a permis de mettre en lumière comment Jean-Baptiste Falguière a

préparé son initiative. La seule certitude est que le mécanicien marseillais s’est déjà

familiarisé avec les appareils à vapeur avant de fonder ses ateliers. Contremaître du

moulin à vapeur fondé par Marliani sous la Restauration, il avait très certainement

assumé les charges de réparation et d’entretien de la machine. Sa première réalisation est

d’une conception simple. Il s’agit d’une machine à cylindre vertical, à balancier et basse

pression. Elle reste le principal type de construction effectuée dans les ateliers marseillais

jusqu’en 183713. Cette machine lourde et volumineuse est d’une technologie archaïque. À

la fin de la décennie, les progrès réalisés par les mécaniciens phocéens permettent la

fabrication de nouveaux types d’appareils. Encore une fois, le mérite en revient à Jean-

Baptiste Falguière. L’entrepreneur marseillais construit vers 1837-1838 des machines avec

un procédé qui « permet d’abandonner complètement le parallélogramme des machines à

vapeur dont l’exécution est si délicate et l’étendue si embarrassante14 ». La

transformation du mouvement linéaire alterné en mouvement de rotation continu est

assurée par le piston qui agit de manière directe. Dans cette réalisation, la tige du piston

est une traverse guidée de haut en bas par une glissière et porte à son bout un couple

bielle-manivelle chargé de faire tourner l’arbre de transmission. L’abandon du système du

balancier offre un triple avantage. Pour le constructeur, la valeur-travail est augmentée

alors que le prix des matières premières est réduit. Pour l’industriel qui achète ce type de

machine, l’avantage est également important. La suppression de l’imposant

parallélogramme entraîne un gain de place substantiel ainsi qu’une réduction des frais de

réparation, car les points de ruptures de transmission de la force sont réduits de moitié.

Cette technique s’accompagne de l’adoption de la haute pression15. La marche régulière

de l’engin est améliorée et la suppression du condenseur, inventé par James Watt pour

éviter le refroidissement des cylindres des machines à basse pression, entraîne de

nouveau un gain de place et une économie de matières premières. Le seul désavantage est

une consommation de combustible quelque peu accrue mais cet inconvénient est

compensé par une diminution de la quantité d’eau nécessaire au fonctionnement16,

élément non négligeable dans une région où le manque d’eau est un souci permanent. La

machine verticale à action directe et à haute pression va rester durant une trentaine

d’années le type dominant d’appareils utilisés par les usines marseillaises.

7 Dans la typologie des appareils construits par les mécaniciens marseillais sous la

monarchie de Juillet, un seul point important reste obscur. Afin d’abaisser de manière

notable les coûts de production, l’industrie française adopte massivement, dès la

Restauration, la machine à double expansion mise au point par Arthur Woolf en

Angleterre17. L’utilisation de ce modèle permet de réduire la consommation de charbons

de manière importante18. Les documents consultés n’ont pas permis de déceler la

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présence de machines à double expansion à Marseille entre 1830 et 1846. Les

caractéristiques données pour les machines sont succinctes et ne permettent pas

d’élucider le problème. Deux indices laissent toutefois penser en leur possible utilisation.

D’abord, comme tous les entrepreneurs français, les industriels phocéens étaient

favorables à l’emploi de machines favorisant l’économie de charbon. Ensuite, la

généralisation, dès 1835-1836, de la haute pression dans les usines marseillaises laisse

également entrevoir la possible adoption de ce type d’appareils. L’utilisation de la haute

pression est en effet nécessaire pour les machines Woolf puisque ces appareils utilisent la

détente de la vapeur pour actionner le piston du deuxième cylindre. La fabrication des

machines compound à Marseille dès la monarchie de Juillet est donc concevable, puisque la

réalisation d’un double cylindre et de son système de distribution de vapeur ne pose pas

de difficultés insurmontables pour des mécaniciens qui ont déjà atteint une certaine

maturité technique.

8 L’industrie mécanique marseillaise ne se limite pas à l’introduction d’une technologie

externe. Les mécaniciens travaillent à l’amélioration des machines et déposent des

brevets. Certains sont pour le moins fantaisistes. En 1839, Pierre Méjean présente un

nouveau système de transformation du mouvement oscillatoire du balancier. La seule

originalité de son appareil est l’adjonction d’un second balancier couplé au premier par

deux bielles !19. Les inventions de Louis Benet et de Charles Lakeman sur l’amélioration de

la marche des machines et les économies de combustibles sont en revanche de véritables

brevets d’invention, même si les apports sont encore modestes20. Le travail le plus

intéressant est celui de Dominique Girard, un mécanicien travaillant dans les ateliers de

Philip Taylor, concernant un modèle de machine à vapeur. Nous ignorons les

caractéristiques techniques de cet appareil mais elles doivent certainement être de

qualité puisque son directeur tient à acheter le brevet un mois après21.

9 Étroitement liée à celle des machines à vapeur, l’étude de la fabrication des chaudières et

de leurs divers types n’offre qu’un intérêt limité. On observe le schéma classique de

l’utilisation progressive, au début des années 1830, des tôles de fer et de fonte au

détriment des pièces de cuivre. Ces chaudières, à haute pression sont quasiment toutes du

même modèle. Elles sont cylindriques et horizontales. Ce type de fabrication est le plus

adapté à la marche des machines de faible puissance, caractéristique dominante des

appareils utilisés par l’industrie marseillaise.

10 La construction des machines et des chaudières ne procède pas principalement d’une

technologie de pointe. Il ne faut pas voir ici une incapacité des mécaniciens marseillais à

assimiler les nouveautés. Une innovation technique n’a de sens que si elle répond à de

réels besoins. La machine à vapeur horizontale n’apparaît pas dans les équipements des

usines marseillaises avant la Seconde République. Il ne s’agit nullement d’un retard

puisque Philip Taylor, dont l’atelier fonctionne depuis 1835, est l’inventeur de ce type

d’appareil. La machine horizontale ne convient pas au fonctionnement des ateliers

marseillais. Ces dernières préfèrent l’utilisation de machines verticales qui « conviennent

surtout aux ateliers… où l’on emploie des arbres de transmission fixés vers le plafond, et

qui distribuent le mouvement aux différents établis22 ». La relative simplicité des

machines utilisées est en accord avec un système technique en place qui donne entière

satisfaction. Les trois grands secteurs industriels phocéens (la minoterie, l’huilerie et le

raffinage du sucre) ont besoin d’appareils de puissance relativement faible, d’une grande

solidité et d’une consommation réduite en eau et, dans une moindre mesure, en

combustible.

112

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11 Le seul domaine dans lequel la technique échappe aux mécaniciens marseillais est celui de

la construction des machines utilisées pour l’exhaure des eaux de galeries des mines.

Certes, les constructeurs marseillais fabriquent des appareils d’épuisement, mais ceux-ci

sont de faible puissance23. Le problème se pose pour des machines de plus grandes

dimensions qui sont souvent demandées à effet variable afin de proportionner la

consommation de combustible à l’effet produit. Ainsi, en 1840, la construction de la

machine d’épuisement des mines du Rocher bleu ne peut être assurée par des

entrepreneurs locaux24. Le cahier des charges laisse entrevoir toute la difficulté de la

réalisation. La machine, type Cornouailles de 140 chevaux, doit sortir trois mètres cubes

d’eau par minute d’une profondeur de 128 mètres en ne donnant pas plus de dix coups

par minute. La consommation de lignite est clairement définie : 65 à 75 quintaux par jour

quand la machine tourne à dix coups par minute, 20 quintaux à un demi-coup par minute25. Philip Taylor accepte le marché mais n’est pas capable de construire l’appareil. Il

concède la fabrication à son frère John dont l’usine est établie au Pays-de-Galles26. Les

constructeurs belges et britanniques sont alors les seuls à pouvoir réaliser des machines

de ce type.

La construction des machines auxiliaires

12 La modernisation des équipements industriels ne se limite pas à l’utilisation de la

machine à vapeur. À l’image des presses hydrauliques pour broyer les graines

oléagineuses, les machines auxiliaires jouent également un rôle déterminant dans

l’industrialisation marseillaise. Les demandes de brevets d’invention déposées à Marseille

montrent le dynamisme des mécaniciens qui se lancent dans l’amélioration technique de

ce matériel de production27. Cette vitalité a rapidement débouché sur une remarquable

réussite dans le grand secteur de l’industrialisation marseillaise de la monarchie de

Juillet : l’huilerie.

13 Marseille a grandement participé aux améliorations techniques dans ce secteur et

devient, dès les années 1830, le pôle français de modernisation des systèmes de presses.

En pleine expansion, l’industrie des huiles cherche à augmenter ses tonnages de

production et à améliorer sa productivité. Ces deux facteurs sont porteurs d’opportunités.

Le travail de recherche sur les presses débouche rapidement sur des améliorations

considérables. Des mécaniciens locaux, Etienne Chambovet et l’incontournable Jean-

Baptiste Falguière, ont effectué l’essentiel des travaux de perfectionnement dès les

années 1830.

14 Etienne Chambovet commence, durant la période de construction des premières

huileries, à améliorer les systèmes utilisés sous la Restauration pour la trituration des

olives28. Il poursuit quelques années plus tard avec la mise au point d’une presse

hydraulique dont le diamètre des pistons est de 160 mm et qui exerce une pression de 160

kilos par centimètre carré29. Jean-Baptiste Falguière s’engage à son tour dans les

recherches et augmente les résultats obtenus par Etienne Chambovet. En un peu plus

d’une dizaine d’années, il dépose cinq brevets pour ce type d’appareils30. La presse à

régulateur automatique et à refoulement alternatif qu’il met au point à la fin des années

1840 possède un piston dont le diamètre a été doublé. La pression de l’appareil est portée

à 210 kilos par centimètre carré31. Le progrès est remarquable. Le système technique des

huileries est en place pour presque un demi-siècle non seulement à Marseille mais aussi

sur le territoire français. La dénomination de ces presses, baptisées « marseillaises »,

113

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consacre la qualité des travaux effectués par les mécaniciens de la ville. En 1877, Louis

Figuier peut observer que le modèle de machines mis au point par Falguière est encore

utilisé dans beaucoup d’huileries françaises32.

LES MACHINES MARINES

15 L’avance des États italiens et de l’Espagne dans l’utilisation et la construction de navires à

vapeur pouvait donner à croire que l’Andalousie, Gênes ou Naples parviendraient, bien

avant Marseille, à fabriquer les premières machines marines en Méditerranée. Les

Phocéens sont à la traîne au tournant des années 1830. L’apprentissage d’une technologie

complexe pose de nombreuses difficultés.

Les premières réalisations

16 Comme pour la production de machines industrielles, la fabrication d’appareils marins

apparaît de manière soudaine. En 1836, Jean-Baptiste Falguière, décidément l’homme de

toutes les premières marseillaises, fabrique dans ses ateliers une machine marine33. Cette

nouveauté revêt un caractère tout à fait exceptionnel. Contrairement à ceux de La Seyne

dans le Var, les chantiers navals de Marseille et de sa région n’ont jamais été confrontés

aux problèmes posés la vapeur avant cette date. Les navires construits dans les Bouches-

du-Rhône n’étaient que de simples voiliers en bois. La réalisation de Jean-Baptiste

Falguière paraît donc remarquable. Dans le sud de l’Europe, seule la ville de Barcelone

présente peut-être un cas de construction aussi précoce. En 1837, les ateliers d’El Nuevo

Vulcano fabriquent une machine de faible puissance qui aurait été affectée à un petit

navire en bois34. Si l’information est exacte, son importance doit être toutefois fortement

nuancée. Cette construction reste isolée. Barcelone ne parvient à fabriquer intégralement

son premier vapeur qu’en 184935. Il faut également nuancer la valeur et la précocité des

travaux effectués par Jean-Baptiste Falguière. La machine, très certainement destinée à la

navigation fluviale, est à balancier et de faible puissance (12 chevaux). Elle se rapproche

donc fortement du type d’appareils à usage industriel que l’entrepreneur marseillais

fabrique depuis le début des années 1830. De plus, cette première construction ne

constitue pas un démarrage pour une production en série. C’est en 1842 où une nouvelle

machine marine sortira des ateliers de Falguière36. Il est donc légitime de s’interroger sur

la réussite de ces premiers essais. Les machines n’ont vraisemblablement pas donné

entière satisfaction.

L’apprentissage par le montage d’appareils

17 Le véritable démarrage de la construction de machines marines a lieu à Marseille, dans le

quartier des Catalans, et dans les chantiers navals de La Ciotat. Le schéma de

l’apprentissage de la technologie est classique. Les deux ateliers de Louis Benet ont relevé

le défi technique en suivant trois phases qui leur permettaient l’assimilation d’une

technologie complexe : l’assemblage de coques fabriquées sur place et de machines

importées, la réparation de chaudières et machines et, finalement, la construction de ces

mêmes appareils. Ce processus s’effectue dans des conditions bien particulières. À la

grande différence de ce qui s’est produit dans le domaine de la construction de machines

114

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à usages industriels, l’apport externe va être prépondérant. Ici, tout s’est fait avec l’aide

des techniciens britanniques.

18 En mai 1835, Louis Benet décide de se lancer dans la fabrication de bateaux à vapeur37. Le

problème le plus immédiat est son ignorance des techniques propres à ce type de

construction. Les besoins sont grands. Les chantiers de La Ciotat doivent utiliser des

compétences et un outillage importés. L’affaire s’engage de la pire des façons. Au moment

où il fonde son entreprise, Louis Benet perd Charles Hamond, l’ingénieur Britannique qui

devait diriger les ateliers38. Dans un premier temps, l’entrepreneur provençal parvient à

trouver un palliatif en s’appuyant sur des ressources régionales. Louis Benet bénéficie de

l’expérience des chantiers de La Seyne qui étaient parvenus à lancer plusieurs vapeurs

depuis la Restauration grâce aux compétences de ses deux ingénieurs britanniques,

Charles et Henry Evans. Les deux hommes ont un long passé professionnel dans la

construction de navires à vapeur. Ils ont été, sous la Restauration, des collaborateurs de

l’Américain Edward Church et travaillent, au milieu des années 1830, dans ces mêmes

chantiers de La Seyne repris par Mathieu, directeur d’une compagnie de navigation

fluviale sur le Rhône39. Louis Benet engage temporairement l’un des frères Evans40 afin de

procéder au montage de ses navires à vapeur. La première construction, à La Ciotat, est

celle du Phocéen, un navire dont la conception est identique à celle du Sphinx, grand

vapeur français construit en 1830. La coque du bateau est en bois doublé de cuivre. La

machine, à deux balanciers latéraux, est placée aussi bas que possible afin d’assurer une

bonne stabilité à l’ensemble. La coque du bateau a été construite par Joseph Vence, vieil

architecte des chantiers ciotadins. La machine qui doit être placée à son bord, un appareil

double de 120 chevaux d’un poids total de presque 115 tonnes et d’une valeur de 110 000

francs, est l’œuvre de la firme Miller & Ravenhill41. Durant le mois de mars 1836, la

machine est placée sur la coque par Evans et un mécanicien dépêché par les constructeurs

britanniques. Le navire est mis à l’eau le 10 avril devant une foule considérable, dont 250

personnalités amenées spécialement par vapeur de Marseille42.

19 Son travail fini à La Ciotat, Evans est envoyé aux chantiers des Catalans, où il doit monter

des machines sur les coques des deux nouveaux navires construits par Louis Benet, le

Rhône et l’Hérault. Les deux navires sont lancés en 1837 alors qu’un quatrième (le Phénicien

) est en chantier à La Ciotat. Les constructions rencontrent de nombreuses difficultés. Aux

chantiers des Catalans, la mise à l’eau du Rhône est proche de la catastrophe. Planté au

milieu de la rampe de lancement après avoir été tiré par un vapeur, il reste une nuit

entière à la merci du mistral qui peut le retourner43. L’année suivante, l’embarquement

des chaudières du Phénicien tourne au drame. La chaîne de la grande grue casse et un des

appareils s’écrase sur le pont du navire en touchant plusieurs ouvriers44. Malgré les

difficultés rencontrées, les ateliers de Benet commencent à acquérir les techniques de

base de la construction des navires à vapeur et les techniciens de l’entreprise ont pu

observer dans les moindres détails les machines britanniques placées à bord des

bâtiments45.

20 Les réalisations des chantiers de La Ciotat et des Catalans n’ont alors aucun caractère

novateur en Méditerranée. La construction des navires à vapeur a commencé tôt dans le

sud de l’Espagne et dans plusieurs royaumes italiens. La région marseillaise arrive

tardivement dans le mouvement, tout comme la Catalogne et la Grèce. À Barcelone, en

août 1836, les ateliers d’El Nuevo Vulcano lancent, pour l’État, un navire de guerre (El Delfin

), le premier vapeur réalisé par des chantiers catalans46. En 1837, Georges Tompazis

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construit dans l’arsenal de Poros deux navires à vapeur pour la marine de guerre

hellénique47.

21 En 1838, une nouvelle phase s’engage pour les entreprises de Louis Benet. Les chantiers

des Catalans se cantonnent désormais dans des travaux de réparation ou de construction

mécanique. Ils réalisent leur dernier navire à vapeur, le Saumon. Ceux de La Ciotat

étendent leurs activités en se lançant dans la réparation des appareils marins48. La même

année, Louis Benet se lance dans une réalisation plus ambitieuse avec la mise en chantier

d’un navire à vapeur en fer commandé par une compagnie de navigation sur le Rhône. La

construction de la coque du bateau et le montage de la machine, fabriquée cette fois dans

les ateliers d’Edward Bury de Liverpool49, ne s’effectuent pas sans problèmes. Les travaux

durent en effet un peu plus de neuf mois. Clark, l’ingénieur anglais qui dirige le chantier,

est congédié avant terme50. L’entreprise connaît finalement une réussite des plus

moyennes. Le navire « n’a pas donné les résultats auxquels on s’attendait. Les machines

ont paru faibles, proportionnellement aux dimensions du navire51 ».

La construction en série des machines marines

22 Vers 1840, l’entreprise de Louis Benet s’engage dans une phase plus délicate : devenir un

constructeur de machines marines. Ce projet est inscrit dès 1839 dans l’acte de formation

de la société Louis Benet & cie. Les actionnaires avaient alors pris des garanties en

précisant que le gérant de l’établissement « devait s’assurer par un traité le concours de

l’un des principaux constructeurs de machine marines d’Angleterre…52 ». L’affaire est

longue à se dessiner d’autant que Louis Benet doit désormais se passer des services des

frères Evans, tous deux décédés, l’un en 1838 et l’autre en 183953. La situation ne se

débloque qu’au début des années 1840. Au prix d’un important sacrifice financier, Louis

Benet est parvenu à s’attacher les services d’un technicien britannique qui va assurer la

prospérité des chantiers navals de La Ciotat durant une dizaine d’années : John Barnes. Sa

première participation n’est que ponctuelle mais s’avère déjà d’une importance

considérable. En 1841, sous sa direction, les ateliers entreprennent la construction de leur

première machine marine, celle du Phocéen II. L’appareil à balancier, d’un poids de

presque 116 tonnes, est composé de deux machines de 70 chevaux chacune. Les trois

générateurs de vapeur, construits en tôle de fer, sont à basse pression54. Cette première

construction détermine le type de fabrication des ateliers pour cinq années.

23 Sur ce prototype, l’apprentissage des ouvriers, bien encadrés par des contremaîtres

britanniques, s’effectue dans de bonnes conditions. Mis à part l’Ajaccio et l’Oronte, tous les

navires construits à La Ciotat entre 1841 et 1846 sont munis de machines fabriquées sur

place55. Avec la réalisation du Phocéen II, les ateliers de La Ciotat ont fait leurs preuves. Les

commandes affluent. L’établissement a été modernisé. En 1842, « … L’atelier de montage,

renfermant trois grandes grues, est assez vaste pour monter à la fois quatre grands

appareils de navigation maritime56 ». Le mouvement des machines-outils, des marteaux et

martinets sont donnés par quatre machines à vapeur57. Sur cette base, Louis Benet se

lance dans la fabrication de machines de fortes dimensions qui vont atteindre 220

chevaux. John Barnes, même s’il ne réside pas à La Ciotat, est souvent présent et participe

à la construction des appareils. Le Britannique tente même l’application de nouveautés

technologiques. Pour faciliter la distribution de la vapeur dans les cylindres, Barnes

applique en 1844 le système Legendre (tiroir d’admission glissant sur le couvercle). Seul

116

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Parkin, en Amérique, et Harvey, en Grande-Bretagne, étaient parvenus avant lui à réussir

la construction d’appareils de ce type58.

L’atelier de La Ciotat : une entreprise à la pointe de la technologie

24 À partir de 1843, la navigation à vapeur fait de gros progrès en France. Les chaudières

tubulaires remplacent les anciens modèles prismatiques59. Les machines sont allégées et

simplifiées, l’usage des coques en fer pour les navires de haute mer et les appareils à

cylindre oscillant apparaissent60. L’atelier de La Ciotat essaie d’adopter avec rapidité ces

différentes innovations. En 1844, les chantiers fabriquent le Narval, premier bateau de

guerre de la marine royale muni d’une coque en fer61. Pour cette réalisation, l’État a

dépêché à La Ciotat Stanislas Dupuy de Lôme, jeune ingénieur du génie maritime en poste

à l’arsenal de Toulon62. La réalisation s’avère de qualité, à la plus grande satisfaction du

prince de Joinville63. Dans le secteur purement mécanique, les nouveautés techniques se

rapprochent de celles adoptées pour la construction de machines à usages industriels.

L’entreprise cherche à réduire le poids et le volume des machines et des chaudières. Sous

l’impulsion de John Barnes, qui s’installe définitivement en Provence à la fin de l’année

184464, le système du balancier est abandonné en 1845 avec la construction de l’appareil

du Philippe-Auguste. Les deux machines verticales, d’une puissance totale de 180 chevaux,

sont à action directe. Les pistons du cylindre entraînent directement l’arbre de rotation

par un jeu de bielle-manivelle65. L’encombrant parallélogramme peut laisser place à de la

marchandise. Dans le même temps, l’usage de chaudières tubulaires fait son apparition

grâce à la mise au point d’appareils évaporatoires permettant de traiter l’eau de mer et

d’éviter ainsi les dépôts de sel qui pourraient boucher les tubes des générateurs66.

L’utilisation de ce nouveau type de chaudières entraîne également un gain de place sur le

navire, mais son atout le plus important est d’assurer une meilleure distribution de

vapeur. La surface de chauffe des chaudières, augmentée de manière notable, assure un

meilleur rendement des machine. Le travail sur les chaudières tubulaires ne se borne pas

à l’application de ces nouveautés techniques. Louis Benêt travaille également à leur

amélioration. En avril 1846, il dépose, en association avec les cousins Peyruc, un brevet

pour la pose des tubes pour chaudières à vapeur. Le système « permet d’éviter la rupture

des tubes ou une pose imparfaite lors de leur martelage alors qu’ils sont déjà refroidis67 ».

25 Dans ce domaine de la mécanique marine, deux points divergent du schéma général de

modernisation des appareils industriels. La première différence réside dans l’usage de la

basse pression et le maintien du système du condenseur. Ces deux caractéristiques

techniques restent la règle sur toute la période. L’utilisation de la haute pression pose en

effet le problème de la marche continue en cas de défaillance de la machine. « En marine,

il ne faut jamais courir le risque d’être complètement arrêté ; mieux vaut marcher mal

que pas du tout, et c’est ce que la haute pression ne permet pas68. » Elle amène de plus une

consommation accrue de charbon qui réduit la place des marchandises dans la cale des

navires. Le problème est équivalent pour le maintien du condenseur sous les cylindres. Il

est lui aussi plus économique en combustible et, contrairement à la situation rencontrée

dans le domaine industriel, le problème de l’eau ne se pose pas pour la navigation à

vapeur69.

26 Le seul secteur véritablement neuf auquel l’atelier de La Ciotat ne participe pas est la

construction de machines à cylindre oscillant, qui présentent l’avantage de supprimer

une articulation sur le couple bielle-manivelle. Ce type d’appareils apparaît tardivement à

117

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La Ciotat, en 1846. Deux principales raisons expliquent le retard en ce domaine. La

première cause est liée à la fragilité de ces machines qui sont alors le sujet de nombreuses

critiques. Peut-être John Barnes, comme bon nombre de techniciens français, redoute-t-il

l’« usure trop rapide des tourillons qui supportent le cylindre mobile70 ». La seconde

explication – qui est très certainement la principale – réside dans l’incapacité pour

l’atelier de fabriquer ces machines. Les premiers appareils à cylindre oscillant, ceux de l’

Oronte et du Mérovée, ont été commandés aux ateliers des frères Schneider, au Creusot.

François Bourdon, ingénieur de l’entreprise bourguignonne, est dépêché de Saône-et-

Loire pour assurer l’assemblage des machines sur les deux navires71. Ces deux modèles

serviront de base pour les fabrications ultérieures.

Les débuts de Philip Taylor dans la construction de machines

marines

27 En 1845, un second constructeur de machines marines apparaît à Marseille. Dans ses

ateliers de Menpenti, Philip Taylor se bornait depuis 1837, dans le domaine maritime, à la

réparation des machines ou à la construction de chaudières. Au milieu des années 1840, le

Britannique décide de voir plus grand. En 1845, il rachète le chantier seynois de Lombard,

successeur de Mathieu et Church72, et se lance dans la construction de navires à vapeur.

La division des tâches entre ses différentes unités est clairement définie. Les chantiers

navals de La Seyne réalisent les coques des navires et les ateliers de Menpenti

construisent les chaudières, réparent des machines73. L’histoire des entreprises de Philip

Taylor n’est en rien comparable à celle de Louis Benet. Taylor n’est pas un novice dans la

construction mécanique pour la navigation. Il a déjà construit des machines marines vers

1825-1826 et s’est intéressé à la conception des propulseurs de navires puisqu’il a pris, en

1838, une patente pour la fabrication d’un système de roues à aubes74. L’entrepreneur

anglais a donc des atouts considérables, d’autant qu’il parvient à attirer dans ses

entreprises certains de ses compatriotes jusqu’alors en poste dans les ateliers de Benet à

La Ciotat75. En 1846, il lance le Languedoc et le Ville de Marseille, deux paquebots à coque en

fer munis de roues à aubes actionnées par des machines de 320 chevaux. Ces machines ne

sont pas encore fabriquées par les ateliers de Menpenti, qui ne réalisent que les

chaudières. La situation va durer peu de temps. La même année, Philip Taylor reçoit de la

marine de guerre la commande d’une machine de 200 chevaux76.

La situation dans le sud de l’Europe

28 Pour Barcelone, Gênes, Naples et Le Pirée, le processus d’apparition et de développement

des chantiers navals et des sociétés de construction de machines marines s’effectue selon

des modalités semblables à celles de Marseille. Il est toutefois plus lent et n’atteint jamais

les proportions du cas marseillais. Malgré leur précocité dans la construction des

premiers vapeurs, les entreprises de construction de machines marines tardent à prendre

un véritable essor dans les divers États sud-européens. Cette lenteur ne doit pas être

imputée à une impossibilité d’assimiler la technologie britannique, mais plutôt à des

coûts de production trop élevés pour que les ateliers puissent obtenir des marchés. Avant

1860, la majeure partie des navires italiens, espagnols et grecs sont équipés de machines

étrangères dont l’importation freine le développement des ateliers nationaux. L’exemple

des chantiers de Foce est significatif. Ces chantiers ont produit sept vapeurs avant

118

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l’unification italienne. Un seul d’entre eux, le Luni, est équipé de machines fabriquées

dans l’entreprise77. Sans commandes, les entrepreneurs sont réticents à investir les

sommes nécessaires à l’installation d’ateliers modernes capables de produire à grande

échelle.

29 Dans ce cadre général difficile, certaines entreprises parviennent toutefois à acquérir la

technologie de la mécanique marine, le plus souvent grâce à des techniciens britanniques

et avec l’aide de l’État, qui leur adresse quelques commandes. En Ligurie, des chaudières

marines sont construites au cours des années 184078. En 1855, les frères Orlando ont

réalisé les machines du Sicilia79. C’est le premier navire marchand de haute mer en fer

construit dans des chantiers de la péninsule. Luigi Orlando est capable de fabriquer dès

1858 des machines marines à cylindre oscillant80. Les ingénieurs et contremaîtres

britanniques sont nombreux dans les chantiers italiens. Les ateliers d’Il Meccanico sont

dirigés par Philip Taylor entre 1846 et 1851. À Naples, les Britanniques sont à l’œuvre

depuis le milieu des années 183081 et ont fait de Pietrarsa un grand centre de mécanique.

En 1850, la production de machines marines italiennes a débuté dans cet atelier82.

L’entreprise napolitaine produit durant la décennie qui précède l’unification des

machines de 500 et parfois 1 000 chevaux83.

30 L’Espagne présente les même caractéristiques. À Barcelone, les ateliers d’El Nuevo Vulcano,

créés en 1833 et filiale d’une compagnie de navigation à vapeur, ont d’abord travaillé à

réparer les navires de leur maison mère. Leurs activités se sont étendues à des travaux

extérieurs à partir de 1842-1843. Ils changent, en 1844, les chaudières du Peninsular, du

Mallorquin et de La Villa de Madrid, trois navires de guerre espagnols84 et livrent, en 1849,

les chaudières du premier vapeur intégralement construit à Barcelone85. Les ateliers de

constructions mécaniques de Valentí Esparó sont agrandis au milieu des années 1840

pour fabriquer des machines de grande puissance et réalisent celles d’El Remolcador.

Comme à Marseille, à Gênes ou à Naples, la présence anglaise est déterminante. Les

ateliers d’El Nuevo Vulcano « foren anglesos o britànics de balt a baix en un primer moment86 ».

La réalisation des deux premiers bateaux à vapeur (El Primer Català en 1846 et El Barcelonés

deux années plus tard) est l’œuvre de Josep Vieta, dans les chantiers de Blanes, avec l’aide

de techniciens britanniques87.

31 Le premier navire à vapeur intégralement réalisé en Catalogne est construit sous les

ordres de Joseph White88. A partir du début des années 1850, l’entreprise des frères

Alexander, nouvellement installée dans la capitale catalane, se spécialise dans la

construction d’appareils pour la navigation et livre notamment les machines d’El Victoria,

un transatlantique destiné à relier Barcelone à La Havane89.

32 En Grèce, les constructions de la fin des années 1830 restent longtemps sans suite. Il faut

attendre le début des années 1850 pour voir apparaître de nouvelles initiatives. À

Hermoupolis (île de Syros), dans les Cyclades, les chantiers d’Euripide réalisent, en 1853,

le premier vapeur construit en Grèce90. La machine anglaise de faible puissance (20

chevaux) est montée sur la coque par des techniciens britanniques. Dans les années 1860,

les ouvriers des ateliers de la Compagnie hellénique de navigation à vapeur (fondée en

1857) font leur apprentissage dans la réparation des machines marines et la construction

de chaudières. Dans la première moitié des années 1870, cette entreprise est capable de

fabriquer des vapeurs coques et machines91. En 1878, elle expose ses produits à

l’Exposition universelle de Paris et démontre, notamment par la réalisation d’une

machine à quatre cylindres couplés, qu’elle s’est hissée à la hauteur des meilleurs ateliers

européens92. Là encore, les ingénieurs britanniques sont à la base de l’acquisition des

119

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techniques et des premières réalisations. John Mac Dowall, le technicien à l’origine du

développement de la production des machines à vapeur fixes en Grèce, a travaillé à la

formation des ateliers de la Compagnie hellénique93. Dans cette société, en 1867, sur les 13

contremaîtres et ingénieurs qui dirigent les ateliers 12 sont britanniques94. Le directeur à

la fin des années 1850, Smith, est toujours en poste en 187495. Le cas grec est un peu

exceptionnel par la qualité des résultats obtenus. Il est beaucoup plus tardif, mais

témoigne néanmoins de la pérennité d’un système de transfert de technologie qui a fait

ses preuves.

33 Malgré un retard manifeste au début des années 1830 par rapport à ses rivales

méditerranéennes, Marseille parvient à se doter d’une industrie de mécanique marine

performante en surmontant les difficultés techniques avec rapidité et en se dotant de

structures de production susceptibles de lui offrir des marchés. La réussite est exemplaire

et s’opère loin de tous liens de dépendance par rapport aux grandes entreprises

britanniques qui dominent ce secteur en Europe et en Méditerranée, aussi bien par leurs

compétences technologiques que par leurs possibilités d’obtenir des prix de vente qui

restent relativement bas. La situation est radicalement différente dans le domaine des

locomotives.

UNE DÉPENDANCE MARQUÉE POUR LACONSTRUCTION DE LOCOMOTIVES

34 Si, par rapport à bon nombre de régions françaises, la construction des machines marines

et celles destinées à l’industrie débutent avec retard dans la région marseillaise, la

fabrication des machines locomotives connaît en revanche une naissance précoce.

L’industrie mécanique marseillaise ne s’inscrit pourtant pas dans le mouvement général

d’indépendance de l’industrie française de construction de machines ferroviaires face à sa

rivale britannique. Les ateliers de La Ciotat, premier établissement provençal à fabriquer

des locomotives, sont étroitement dépendants d’une entreprise anglaise, celle de Robert

Stephenson, pour établir et poursuivre sa production. Le processus d’assimilation de la

technologie se déroule donc selon un schéma fondamentalement différent de celui

observé pour les machines marines.

L’œuvre de Louis Benet

35 En France, la fabrication en série des locomotives, après les premiers essais de Marc

Seguin en 1828-182996, n’a commencé qu’en 1837-1838 dans les usines de Périer, Edwards,

Chaper & cie de Chaillot (Paris) et dans les ateliers des frères Schneider, au Creusot. Ces

premières fabrications sont des copies de machines Stephenson type Planet (02097) pour la

ligne Saint-Étienne-Lyon et Pattentee (111) pour celle reliant Paris à Versailles. Vers 1840,

rares sont les entreprises françaises à pouvoir proposer leurs services aux diverses

compagnies de chemins de fer de l’Hexagone.

36 Dans la région marseillaise, l’idée de cette nouvelle activité vient à Louis Benet à la fin des

années 1830 avec la construction de la ligne Alais-Beaucaire et le projet de constitution

d’un tronçon Marseille-Avignon. La fabrication des locomotives débute avec difficulté à

La Ciotat. L’entreprise doit faire face à deux principaux obstacles. Le premier concerne

l’obtention des commandes. Le second, plus important encore, est d’ordre technique. En

120

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1838, les ateliers de La Ciotat n’ont fabriqué aucune machine à vapeur, qu’elle soit

destinée à la navigation fluviale ou maritime, ou même à l’industrie. Louis Benet n’a donc

aucune expérience en la matière. Le Ciotadin n’est toutefois pas sans atouts. Il peut, pour

gagner des marchés, compter sur l’appui des hommes d’affaires marseillais engagés dans

les opérations ferroviaires du sud-est de la France qui ont entraîné dans leur sillage les

Talabot et la maison Rothschild98. Pour l’acquisition de la technologie de fabrication des

locomotives, les liens qui unissent Paulin Talabot à Robert Stephenson99 peuvent lui

permettre de résoudre les difficultés. Le propriétaire de la firme de Newcastle est alors

l’homme phare dans le domaine de la construction de locomotives.

37 Fort de ces possibilités, Louis Benet décide de se lancer dans l’aventure. Les Ateliers de

constructions de machines à vapeur de La Ciotat, société constituée grâce aux apports

financiers des hommes d’affaires marseillais et des frères Talabot, prévoit, outre la mise

en place d’un atelier de fabrication de machines marines, l’installation d’une unité

affectée à la construction de machines locomotives. Les problèmes techniques sont

clairement définis dans l’acte constitutif de la société :

« La base de la fabrication des machines dans l’atelier de La Ciotat seral’introduction des meilleures méthodes anglaises. Pour arriver à ce résultat, legérant [Louis Benet] devra traiter avec M. Robert Stephenson et de manière que cethabile ingénieur se charge de diriger la construction des locomotives à La Ciotatdans les mêmes conditions et avec les mêmes soins que dans l’atelier de Newcastlequi porte son nom100. »

38 En 1843, ces conditions sont de nouveau exposées dans le contrat triangulaire passé entre

Robert Stephenson, Louis Benet et la compagnie du chemin de fer de Marseille à Avignon101. Les ateliers sont mis en place au cours des années 1839-1840 avec l’aide de plusieurs

ingénieurs et contremaîtres envoyés par Stephenson de Newcastle102. La production est

peut-être lancée dès l’année suivante. La réussite et l’importance de l’atelier étonnent au

point que Calla, lors de son rapport de 1842 présenté devant le Comité des arts

mécaniques, ne peut imaginer que l’entrepreneur ciotadin est français et prend Louis

Benet pour un Anglais (il le nomme Bennett)103.

Caractéristiques techniques des machines locomotives

39 Les locomotives construites durant les années 1841-1842 sont du dernier modèle

d’appareil mis au point par Robert Stephenson à la fin des années 1830 (modèle Pattentee).

Les caractéristiques techniques d’une de ces machines présentée comme construite à La

Ciotat posent toutefois problème. En 1852, Louis Le Châtelier rédige un rapport au Comité

des arts mécaniques sur les travaux de Louis Sangnier, contremaître dans les ateliers de

La Ciotat entre 1837 et 1841104. En 1840, Sangnier, alors en poste dans l’usine de Louis

Benet, aurait réalisé son premier modèle de machine locomotive. Cette locomotive, à

chaudière tubulaire et à six roues libres (type 210), présente des caractéristiques

techniques exceptionnelles pour l’époque :

« Cette locomotive est munie de quatre roues porteuses placées à l’avant, et de deuxroues motrices sur l’arrière. Ces roues sont fixées sur leurs essieux respectifs etportent sur les tourillons les boîtes à graisses et les ressorts de suspension. Ladisposition de l’essieu des roues motrices avec les longerons et les ressorts desuspension en dessous de la boîte à graisse permet… d’augmenter le diamètre desroues motrices et de rendre par ce moyen, la locomotive propre au service desconvois à grande vitesse105. »

121

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40 Cette machine possède les mêmes dispositions que la Rear Driver mise au point en

1845-1846 par Robert Stephenson106. Cette sorte de locomotives « n’a pratiquement jamais

été employée sur les lignes françaises. La seule exception est formée par une série de six

machines acquises en 1846 par la Compagnie du Lyon-Marseille, certainement pour la

section Avignon-Marseille…107 ». On peut donc penser que cette machine est en fait un

prototype réalisé dans les ateliers de La Ciotat. Mais si Louis Sangnier a pu participer à sa

construction, il reste toutefois inconcevable, vu la complexité de la technologie employée,

qu’il en ait été le concepteur. La piste la plus vraisemblable reste celle d’une manipulation

visant à déposséder, au début des années 1850, Thomas Russel Crampton de la paternité

des locomotives à grande vitesse (essieu moteur à l’arrière de la machine) au profit du

mécanicien français. L’enjeu de cette paternité est, à l’époque, important. Une locomotive

fabriquée en France sur le modèle mis au point par Crampton rapporte à l’ingénieur

britannique la somme de 2 500 francs par unité, soit à peu près 5 % de la valeur de l’engin108. Avec l’aide de Louis Le Châtelier et de la société d’encouragement pour l’industrie

nationale, Sangnier a vraisemblablement essayé d’obtenir le brevet des Rear Driver en

spoliant l’ingénieur britannique de ses droits.

41 Les caractéristiques techniques des machines construites à La Ciotat évoluent dans la

première moitié des années 1840. Des appareils type Pattentee, on passe à la fabrication de

la nouvelle génération de locomotives mise au point par Robert Stephenson en 1841, les

long boilers (111). Comme leur nom l’indique, ces dernières ont pour caractéristiques

l’utilisation de longues chaudières chargées d’augmenter la surface de chauffe et donc le

rendement calorifique des machines109. La puissance des machines peut être augmentée

sans accroître la consommation de charbon. Par ses liens avec la firme de Newcastle,

l’atelier de La Ciotat reste à la pointe du progrès technique et se pose, dans les années

1840, comme un des centres majeurs de la technologie des locomotives en France.

L’association avec les Stephenson et l’appui des actionnaires de la Compagnie du chemin

de fer Marseille-Avignon lui permettent d’éliminer toute concurrence au niveau local.

Philip Taylor, qui se lance à la fin des années 1840 dans ce type d’industrie à Gênes, avait

les possibilités techniques pour suivre l’exemple de Louis Benet à Marseille. Les réseaux

pour l’obtention des marchés lui manquent toutefois. Sans eux, il sait qu’il court en ce

domaine vers une faillite certaine.

Des initiatives de même type en Italie

42 En sept années seulement, l’atelier de La Ciotat connaît donc une réussite prestigieuse,

mais la région marseillaise n’est pas le seul centre industriel sud-européen à prendre des

initiatives dans la fabrication des locomotives. Si, en Espagne, il faut attendre le milieu

des années 1880 pour voir apparaître les premières locomotives de fabrication locale110,

plusieurs entreprises italiennes ont, comme en Provence, surmonté les difficultés

technologiques et se sont engagées dans ce type de construction. En 1857, cinq ateliers de

la péninsule produisent ou ont déjà produit des locomotives111. Deux autres, basés à

Milan, sont spécialisés dans les travaux de réparation112. Ils n’ont pas tous le même statut.

Certains d’entre eux sont des entreprises privées (les ateliers de Guppy & Pattison à

Naples), d’autres ont été directement fondés par l’État (ceux de Pietrarsa à Naples), les

derniers, enfin, appartiennent à des compagnies ferroviaires (les deux ateliers milanais

de la ligne Milan-Treviglio). Là encore et sur le modèle des ateliers de La Ciotat, le

transfert de technologie s’est effectué avec des techniciens britanniques. À Gênes, Philip

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Taylor a formé les techniciens sardes d’Il Meccanico entre 1846 et 1851 avec plusieurs de

ses compatriotes113. Dans le royaume de Naples, trois techniciens britanniques (John

Pattison, Thomas Robertson et Smith) mettent en place, dans les années 1840, les ateliers

de constructions et s’occupent de la formation des ouvriers mécaniciens de l’Officina della

ferrovia Bayard et, surtout, des ateliers de Pietrarsa114. L’exemple napolitain se calque sur

l’action entreprise par Louis Benet. Les premières locomotives sont fabriquées sur des

modèles Stephenson avec des ingénieurs anglais venus des ateliers de Newcastle et avec

des pièces importées de Grande-Bretagne115. Les constructeurs transalpins parviennent

ainsi à obtenir certains marchés, souvent par la volonté des différents États car le coût de

revient de la fabrication d’une locomotive italienne est encore relativement élevé. Les

ateliers de Pietrarsa ont fabriqué vingt locomotives Stephenson avant l’unification, dont

sept durant la période 1845-1847116. L’Ansaldo en livre treize dans la seconde moitié des

années 1850 alors que l’atelier de Vérone en construit deux pour un tronçon de ligne

Venise-Milan117.

43 Dans tous les secteurs de la mécanique, l’histoire des entreprises sud-européennes

démontre que les problèmes techniques pouvaient être surmontés. Le développement des

affaires de Louis Benet est l’exemple le plus achevé de ce rattrapage de retard du monde

nord-méditerranéen. En cinq années (1836-1841), sur une base relativement limitée, un

entrepreneur de cette zone est parvenu à se lancer dans la fabrication en série de tous les

grands types de moteurs à vapeur. Ces formidables progrès ont eu des effets

d’entraînement. La métallurgie sud-européenne, pour survivre, devait se plier aux

nouvelles exigences technologiques afin de pouvoir répondre aux besoins d’un de ses

principaux clients.

LA MÉTALLURGIE DE BASE

44 Avec la poussée de la demande en produits métallurgiques finis ou semi-finis engendrée

par la croissance de l’industrie mécanique, la nécessité de produire de la fonte dans les

Bouches-du-Rhône est unanimement ressentie par ses entrepreneurs au début des années

1840. Plusieurs tentatives d’implantation d’usines sidérurgiques sont menées dans la

région :

« Cet état de choses […] n’a échappé à aucun esprit judicieux que la ville renferme :aussi y a-t-il toujours quelque projet métallurgique en l’air ; tantôt c’est un hautfourneau avec le minerai et l’anthracite du département du Var ; tantôt c’est unhaut fourneau à l’extrémité des Bouches-du-Rhône, avec les lignites ; une autre foisencore c’est aux confins du département du Var que l’on veut marier la fougèrecarbonisée et les racines de pins dans un haut fourneau avec le minerai que l’on atrouvé sur place, et que l’on mélange avec celui de l’île d’Elbe ; puis c’est un hautfourneau au centre de la ville, encore avec le minerai de l’île d’Elbe et avec le cokede La Grand’Combe ou tout autre…118 »

45 Deux de ces initiatives, ont été sérieusement amorcées mais ne débouchent pas sur des

réalisations effectives. En 1843, un dénommé Narcisse Mille essaie de former une société

chargée d’exploiter « dans la commune de Marseille un ou plusieurs hauts fourneaux

pour la fabrication de fonte de fer au moyen du minerai de l’île d’Elbe119 ». Le capital de la

société, relativement important (350 000 francs répartis en 700 actions), n’est pas

rassemblé. La tentative reste à l’état de projet, preuve que les milieux d’affaires et

industriels marseillais sont encore peu enclins à croire au possible développement de la

production de fonte dans le département. Le même constat peut être dressé pour l’action

123

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de Jean-François Cabanis, qui pense en 1844 que l’établissement d’un haut fourneau à

Marseille est possible120. Cet entrepreneur a effectivement fondé une entreprise

sidérurgique, mais en Corse. Son sentiment de départ sur les possibilités marseillaises

était trop optimiste121. La sidérurgie n’est toutefois pas totalement absente dans le sud-est

de la France sous la monarchie de Juillet. Des entreprises apparaissent ou se développent

dans les départements du Gard, de la Corse, du Vaucluse et du Var122. Les Bouches-du-

Rhône restent à l’écart du mouvement, car les industriels marseillais n’ont pas pu trouver

de solutions pour pallier les difficultés dues au manque de minerais de fer et de houille

dans leur sous-sol. L’absence de la sidérurgie ne doit pas pour autant donner l’image

d’une ville de Marseille dépourvue d’industrie métallurgique. En une quinzaine d’années,

le travail des métaux en deuxième fusion s’installe et se développe grâce aux relations

que cette activité entretient avec l’industrie de la construction mécanique.

Les types de productions

46 La naissance de l’industrie mécanique à Marseille entraîne directement l’établissement

des premières fonderies. Entre 1832 et 1835, cinq entreprises sont créées. L’éventail des

productions est alors limité. Les ateliers se bornent à produire des pièces moulées pour

les constructeurs marseillais. On ne produit ni fer ni tôles.

47 Sur cette base, la situation évolue peu jusqu’aux années 1839-1840. Marseille n’a que sept

véritables ateliers de fonderies en 1838. Ils sont de taille modeste et n’emploient au total

qu’une centaine d’ouvriers123. Le changement de décennie apporte deux nouveautés. En

1839, Granier et Dussard entreprennent la production de fer galvanisé. L’opération est

précoce. Le procédé de galvanisation vient tout juste d’être mis au point par le Français

Sorel et l’Anglais Crawford. Vers 1840, le procédé du puddlage fait également son

apparition à Marseille. La ville commence à produire les fers pour ses entreprises de

construction mécanique. La première fonderie à mettre en pratique le puddlage à

Marseille est très certainement celle de John Riddings. Depuis 1840, l’entreprise travaille

des pièces moulées de fer et de fonte pour l’usine de Philip Taylor124. Elle est imitée en

1844 par l’entreprise de Cabanis et Salles, qui se lancent également dans la production de

fers puddlés à partir de la récupération des vieilles fontes locales auparavant revendues

aux usines d’Alais, de Saint-Etienne, de la Riviera génoise125.

L’élan des années 1840

48 À partir de 1842, la modernisation du tissu industriel marseillais et la naissance de la

construction de machines marines et de matériel ferroviaire accélèrent l’extension de la

gamme des productions. Les travaux des ateliers de mécanique augmentent dans des

proportions considérables. Les effets se répercutent en amont. Les fonderies marseillaises

reçoivent de nombreuses commandes, gagnent en ampleur, étendent l’éventail et les

niveaux de leurs productions. Avec l’apparition de la fabrication des navires à vapeur, la

fonderie Benet, à Menpenti, réalise des pièces de machines marines. Les ateliers des

Catalans sont équipés d’un atelier de chaudronnerie et d’un martinet pour la forge de

pièces métaux de dimensions plus importantes126. Grâce à ses appuis marseillais au sein

de la Compagnie du chemin de fer Marseille-Avignon127, Louis Benet y fabrique, dès 1843,

des wagons, des roues, des essieux et des caisses à eau.

124

Page 127: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

49 Les équipements des fonderies sont généralement médiocres. Si la plus grande d’entre

elles, celle des Benet à Menpenti, possède cinq fourneaux Wilkinson permettant de

mettre en fusion 24 tonnes de fonte128, la majeure partie des entreprises de deuxième

fusion de fer et de fonte se contente d’un strict minimum. La fonderie des frères Puy ne

possède qu’une forge et trois fourneaux en 1843-1844. Cabanis et Salles n’ont que deux

fours à réverbère (un pour le puddlage, l’autre pour réchauffer) et deux petits marteaux

pour la forge de pièces de petites dimensions. On ne recense que deux forges, un fourneau

et un four dans l’entreprise de Granier et Dussard. Le seul signe véritable de modernité

dans les divers ateliers est l’adoption massive des machines à vapeur pour actionner les

marteaux et martinets et surtout la soufflerie de l’air chaud dans les fourneaux afin de

faciliter la fusion et d’économiser le combustible. En 1839, Saint-Joannis et Girod

déposent un brevet d’invention pour un soufflet de forge cylindrique en fer à double

effet. Durant la première moitié des années 1840, les fonderies marseillaises s’équipent en

machines pour la soufflerie : celle de Danré en 1841 et de Blanc en 1844. Le nombre des

ouvriers est modeste, à l’image des équipements employés. En 1842-1844, parmi les cinq

fonderies les plus importantes, seules celles des Benet et de Danré emploient chacune

plus d’une centaine de salariés. La majorité des fonderies occupe quelques dizaines

d’hommes : une trentaine pour l’entreprise des frères Puy, le double pour celle de Granier

et Dussard.

50 Le développement de la métallurgie de deuxième fusion du fer et des fontes est donc

moins important que celui de la construction mécanique. Les commandes de pièces sont

supérieures aux productions des fonderies marseillaises, qui ont un éventail de

fabrication encore peu étendu. Beaucoup de produits ne sont pas encore fabriqués à

Marseille. Les tôles et les tubes de fer, les pièces de forge de grandes dimensions sont

encore achetées en France ou à l’étranger, principalement en Angleterre. Benet et Peyruc,

aux Catalans, utilisent par exemple des tôles de fer de l’Isère pour la fabrication des

chaudières129. Le volume de production des fers reste donc peu important130. Les

techniques et les équipements employés sont souvent rudimentaires. Cette industrie s’est

toutefois implantée de manière durable et a déjà assimilé quelques éléments

technologiques de la métallurgie moderne.

Le secteur des non-ferreux

51 Dans la métallurgie des non-ferreux, les progrès enregistrés sont peu nombreux. La

structure des entreprises traitant le plomb et le cuivre reste artisanale. Dans le domaine

du plomb, la principale production est toujours celle de la grenaille. La fabrication des

tuyaux et de laminés est la seule nouveauté enregistrée dans ce secteur131. En mai et

septembre 1837, Jean-Baptiste Falguière dépose un brevet pour fabriquer les tuyaux de

plomb132. En cinq années, trois autres établissements sont créés. Leur chiffre d’affaires est

alors de 700 000 francs133. L’entreprise la plus importante et la plus dynamique de ce

secteur est celle de Cavallier fils, auteur, avec son père, de plusieurs innovations

techniques sous la Restauration134. En 1844, elle emploie 17 ouvriers135. La même année,

Cavallier présente à l’exposition industrielle de Paris un alliage de plomb et d’arsenic.

52 Les activités des fonderies de cuivre sont plus difficiles à saisir à cause de la rareté des

documents. Le martinet de Roquefavour continue ses activités durant les années 1830136.

Dans ce secteur, le nombre des entreprises s’accroît régulièrement sous la monarchie de

Juillet grâce à l’essor de la construction mécanique et navale, qui emploient des quantités

125

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importantes de cuivre (valves, robinetterie, tuyauterie, doublage des coques de navires…).

Elles restent toutefois artisanales, et n’apparaissent que rarement dans les statistiques car

elles n’emploient jamais plus de dix ouvriers.

***

53 Dans les années 1830-1840, la région marseillaise a pris une nette avance dans la

construction mécanique sur les autres centres industriels sud-européens grâce à

l’acquisition de techniques de production complexes et variées. Cette prépondérance

dans le secteur des machines ne trouve, en amont, que des répercussions limitées. La

métallurgie phocéenne est même parfois distancée par ses voisines italiennes ou

espagnoles. L’Andalousie s’est affirmée, dans les années 1840, comme un grand centre de

traitement du plomb137. Les deux usines d’affinage de Malaga, avec leurs 1200 ouvriers,

produisent, en 1845, 4 000 à 5 000 tonnes de fer en barres138. La Catalogne voit ses

fonderies se multiplier et la société El Veterano Cabeza de Hierro allume ses premiers hauts

fourneaux en 1844 à Camprodón139. La métallurgie génoise traite annuellement 4 500

tonnes de minerai de fer de l’île d’Elbe et travaille dans des proportions croissantes des

fontes et des fers importés de Grande-Bretagne140. En Lombardie, enfin, la sidérurgie se

modernise en adoptant les fours anglais à section circulaire qui remplacent les anciennes

installations à la « bergamesque »141. L’ensemble n’est pas d’une grande importance mais,

contrairement à ce qu’il est possible d’observer pour Marseille, le mouvement a le mérite

d’être lancé.

54 En Méditerranée l’établissement d’une métallurgie rassemblant l’ensemble des activités

du secteur est difficile non pour des raisons de technologie, mais à cause du prix de

revient des divers types de fabrication. Pour ces régions, il est encore impossible de lutter

contre les entreprises britanniques. À Marseille, le développement des activités de

deuxième fusion est donc le fruit d’une extension du secteur métallurgique vers l’amont.

Ce qui guide ce secteur, c’est avant tout la construction mécanique, qui s’affirme comme

l’élément moteur de l’ensemble. Des effets d’entraînements sont apparus mais ils sont

réduits et n’ont pas encore donné lieu à un véritable bouleversement. Selon les branches

d’activités, les conditions des marchés et le niveau d’importance des prix de revient des

productions interviennent de manières différentes.

NOTES

1. VILLENEUVE H. (de), « Rapport… », art. cit., p. 287 et « Falguière… », art. cit., p. 487.

2. CABANA F., Fàbriques i empresaris…, op. cit., p. 50-51.

3. En 1844, l’entreprise a fait des travaux de réparation pour plus d’une vingtaine d’entreprises

catalanes (Navegacon y Industria, Memoria leida por el administrador de esta sociedad en Junta General

de socios y accionistas del 31 de marzo de 1845, Barcelone, 1845, p. 3).

4. Cette société a peut-être réalisé, entre 1845 et 1848, la totalité des 12 machines de fabrication

autochtone en activité en Catalogne en 1848 (FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 291).

126

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5. MORAÏTINIS P., La Grèce…, op. cit., p. 316.

6. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 178.

7. GIULIO C. I., Giudizio délia R. Camera…, op. cit., p. 385.

8. Zino & Henry ont alors construit leur première machine à vapeur pour leurs propres ateliers

(De Rosa L., Iniziativa e capitale straniero…, op. cit., p. 4).

9. VILLENEUVE H. (DE), « Rapport… », art. cit., p. 287.

10. MANSOLAS A., Renseignements statistiques sur les établissements…, op. cit., p. 25 et Reports from Her

Majesty’s Consuls on the Manufactures, Commerce of their Consulat-Districts, Londres, 1874, IV, p. 1370.

11. CADAL F., Fàbriques i empresaris…, op. cit., p. 51 et 62.

12. NADAL J., MALUQUER DE MOTES J., SUDRIA C, CABANA F., Historià economica de la Catalunya

contemporània ; segle XIX, indùstria, transports i finances, Barcelone, vol. III, 1991, p. 174.

13. SOIRON J. B., L’huilerie à Marseille…, op. cit., p. 11.

14. VILLENEUVE H. (DE), « Falguière… », art. cit., p. 487.

15. Entre 1833 et 1846, parmi les demandes d’autorisation de machines précisant les

caractéristiques techniques, seules six demandes concernent des appareils à basse pression dont

deux seulement à partir de 1840 (cf. ADBdR XIV MEC 12/179).

16. MONTCHOISY BARON (DE), Cours pratique et théorique de machines à vapeur, Paris, 1892, p. 22.

17. Figuier L., Les Merveilles de la science, Paris, 1867, p. 106-107 et PAYEN J., « La technologie des

machines à vapeur en France de 1800 à 1850 » dans L’Acquisition des techniques par les pays non-

initiateurs, Paris, 1973, p. 390.

18. La vapeur donne son effet sur le piston d’un premier cylindre. En se détendant dans un

deuxième cylindre, la même quantité de vapeur est de nouveau utilisée pour actionner un

nouveau piston.

19. ADBdR XIV M 6/2.

20. Ibid., XIV M 15/2, 1842 et 1844.

21. Ibid., année 1839.

22. Les huileries marseillaises utilisent, en 1850, 266 presses verticales pour seulement 35 presses

horizontales (SAPET T., « Statistiques des huileries et des usines à gaz de la commune de

Marseille », RTSSM, t. XVII, 1853, p. 87-89).

23. Jean-Baptiste Falguière livre, par exemple, une machine d’épuisement de 15 chevaux aux

mines du Rocher bleu dans la seconde moitié des années 1830 (AN F 14 3829). Le terrain avait été

préparé par Longuelanne et Finaud, fabricants de pompes d’irrigation pour les terres de

Gardanne (VILLENEUVE H. (DE), « Rapport… », art. cit., p. 287).

24. Diday, « Notice sur la machine d’épuisement des mines du Rocher bleu (Bouches-du-Rhône) »,

ADM, 4e série, 1842, t. II, p. 6.

25. EMPJ 1842 (80).

26. Ibid. et DIDAY, « Notice sur la machine… », art. cit.

27. On peut compter plus d’une vingtaine de brevets demandés pour la période 1839-1846

(ADBdR XIV M 15/2).

28. BOSQ P., Marseille et le Midi…, op. cit., p. 55.

29. SOIRON J. B., L’huilerie à Marseille…, op. cit., p. 8 et DE MUIZON F., L’industrie huilière marseillaise,

1825-1971 : le pouvoir des huiliers, Marseille, 1981, p. 18.

30. ADBdR XIV M 15/2.

31. DE MUIZON, L’Industrie huilière…, op. cit., p. 18.

32. FIGUIER L., Les Merveilles de l’industrie, Paris, t. IV, 1877, p. 615.

33. ECM, t. III, p. 384.

34. GARRABOU R., Enginyers industrials…, op. cit., p. 162.

35. CABANA F., Fabriques i empresaris…, op. cit., p. 62.

36. ECM, t. III, p. 384.

127

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37. MLV, 31 mai 1835.

38. Charles Hamond devait construire, en 1835, les machines des navires de la Compagnie

Marseillaise de la Méditerranée. L’entreprise ayant échoué, l’Anglais s’orienta vers la direction

technique des ateliers de La Ciotat. La création de ces ateliers traînait trop. Hamond accepta de

travailler pour une compagnie de navigation à vapeur du Danube (AMT 2 A 3/48).

39. Association Sillages, I : Les Pionniers, La Seyne, 1994, p. 49.

40. MLV, 28 avril 1836. On ne sait pas s’il s’agit de Charles ou d’Henry.

41. CNAM, S 173.

42. MLV, 10 avril 1836.

43. ACM, 39 II.

44. MLV, 18 février 1838.

45. À peu près à la même époque, les mécaniciens de l’arsenal de Toulon démontent les appareils

qu’ils reçoivent de Grande-Bretagne pour en observer le fonctionnement (DUBREUIL J.-P., « Les

Transformations de la marine française en Méditerranée (1830-1860) », thèse de doctorat,

université de Nice, 1975, p. 379).

46. DEL CASTILLO A., La Maquinista Terrestre y Maritima, personaje histórico (1855-1955), Barcelone,

1955, p. 27.

47. HADZIIHOSSIF C, « Constructions navales et constructions de navires en Grèce » dans Navigation

et gens de mer en Méditerranée de la préhistoire à nos jours, Aix-en-Provence, 1980, p. 125.

48. MLV, 22 janvier 1838.

49. CAMPAIGNAC A. E., De l’état actuel de la navigation par la vapeur et des améliorations dont les navires

et appareils à vapeur sont susceptibles, Paris, 1842, t. II, p. 183-184.

50. MLV, 9 et 30 novembre 1838.

51. CAMPAIGNAC A. E., De l’état actuel de la navigation…, op. cit., t. II, p. 183-184.

52. ADBdR 364 E 615.

53. BAUDOIN L., Histoire générale de la Seyne-sur-mer, académie du Var, 1965, p. 801.

54. ADBdR P 6 bis 41B.

55. MLV, 20 septembre 1843 et 19 septembre 1846.

56. « Rapport fait par M. Calla au nom du Comité des arts mécaniques sur plusieurs

établissements affectés à la construction de grandes machines à vapeur et des machines

locomotives », BSE, 1842, p. 477.

57. Ibid.

58. ARMENGAUD AÎNÉ, Publication industrielle des machines, outils et appareils les plus perfectionnés et les

plus récents, Paris, t. IV, 1844, p. 159.

59. Le foyer de combustion est placé dans la chaudière.

60. FIGUIER L., Les Merveilles de la science…, op. cit., p. 224-225.

61. ADBdR 1 M 1092.

62. MLV, 2 août 1843. Stanislas Dupuy de Lôme est parti en mission d’étude en Grande-Bretagne

au début des années 1840. Il a visité de nombreux chantiers navals britanniques pour parfaire ses

connaissances et rédige à partir de ses observations un ouvrage longtemps resté une référence en

la matière (Dupuy de Lomé S., Mémoire sur la construction des bâtiments en fer adressé à M. le Ministre

de la Marine et des Colonies, Paris, 1844).

63. SM, 6 décembre 1844.

64. MLV, 7 décembre 1844.

65. ADBdR P 6 bis 48B.

66. BONNEFOUX P. (de), Paris E., Dictionnaire de marine à voiles et à vapeur, Paris, t. II, s. d., p. 430.

67. ARMENGAUD frères, Le Génie industriel, Paris, t. II, 1851, p. 301-302.

68. BONNEFOUX P. (de), Paris E., Dictionnaire…, op. cit., p. 440.

69. MONTCHOISY BARON (DE), Cours pratique…, op. cit., p. 22-23.

128

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70. FIGUIER L., Les Merveilles de la science…, op. cit., p. 259.

71. MLV, 19 septembre 1846.

72. Cf. Association Sillages, I : Les Pionniers…, op. cit., p. 49 et 51.

73. NOYON N., Statistique du département du Var, Draguignan, 1846, p. 644-645.

74. COTTE M., Innovation et transfert de technologies, le cas des entreprises de Marc Seguin (France

1815-1835), thèse de doctorat, EHESS, 1995, t. II, p. 459-549 et ARMENGAUD AÎNÉ, Publication

industrielle…, op. cit., t. III, 1843, p. 434.

75. Cf. l’exemple de l’ingénieur West (MLV, 2 et 16 décembre 1844).

76. DUBREUIL J.-P., « Les transformations de la marine française… », op. cit., p. 627-628.

77. MARCHESE U., L’industria ligure…, op. cit., p. 17.

78. MONDELLA F., « Scienza e tecnica… », art. cit., p. 650.

79. « Nave », art. cit., p. 365.

80. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 199.

81. Louis Benet souligne, en 1836, qu’il existe déjà à Naples des ateliers de mécanique marine

formés par des techniciens anglais (AN F 12 2554).

82. Relazione della commissione per le industrie meccaniche e navali, Rome, 1855, p. 16.

83. Cf. DE ROSA L., Iniziative e capitale…, op. cit., p. 130.

84. Navegacion y Industria, Memoria leida…, op. cit., 31 de marzo de 1845, p. 3.

85. CABANA F., Fabriques i empresaris…, op. cit., p. 62.

86. Ibid., p. 48.

87. Pascual i Domenech P., « La modernització dels mitjans de transport a Catalunya del segle XIX

» dans NADAL J., MALUQUER DE MOTES J., SUDRIA C, CABANA F., Historia economica…, op. cit., p. 320.

88. Ibid. p. 62.

89. CABANA F., Fàbriques i empresaris…, op. cit., p. 58.

90. KRINOS D., « Chantiers et forges de Syra au XIXe siècle », Naftiki Hellas, 1954, n° 252, p. 12.

91. KARDASSIS V., « Les chantiers navals… », art. cit., p. 436 et MANSOLAS A., Renseignements

statistiques sur les établissements industriels…, op. cit., p. 25.

92. MANSOLAS A., La Grèce à l’Exposition universelle de Paris, Athènes, 1878, p. 44.

93. YIANNAKOPOULOS T., Les Pâtes grecques, Athènes, 1875, p. 51.

94. MANSOLAS A., Renseignements statistiques…, op. cit., p. 108.

95. KARDASSIS V., « Les chantiers navals… », art. cit., p. 436.

96. Cf. CROUZET F., « Essor, déclin et renaissance de l’industrie française des locomotives,

1838-1894 », Revue d’Histoire économique et sociale, LV, 1977, p. 121.

97. Le premier chiffre représente le nombre d’essieux porteurs à l’avant de la machine ; le second

le nombre d’essieux moteurs ; le dernier, le nombre d’essieux porteurs à l’arrière.

98. Joseph Ricard, Théophile Périer, Charles et Auguste Bazin, et surtout Jean Luce et Joseph

Roux (Roux Fraissinet & Cie). Cf. également chapitre VI.

99. GILLE B., Recherche sur la formation de la grande entreprise capitaliste, Paris, 1959, p. 101.

100. ADBdR 364 E 615 et SM, 8 février 1839.

101. AN 77 AQ 44.

102. « Rapport fait par M. Calla… », op. cit., p. 478-479 et GILLE B., Histoire de la maison Rothschild,

Genève, 1965, t. I, p. 384.

103. « Rapport fait par M. Calla… », art. cit., p. 479.

104. « Rapport fait par M. Louis Le Châtelier, au nom du Comité des arts mécaniques, sur les

travaux de M. Sangnier, chefs des ateliers du chemin de fer de Paris à Lyon, relatifs à la

construction des machines », BSE, vol. LI, 1852, p. 741-743.

105. « Description de locomotive de M. Sangnier », BSE, LI, 1852, p. 744-745 et pl. 1236.

106. WARREN J. G. H., A Century of Locomotive Building by Robert Stephenson and Co, 1823-1923,

Newcastle, 1923, p. 373.

129

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107. PAYEN J., La machine locomotive en France des origines au milieu du XIXe siècle, Lyon, 1988, p. 171.

108. Ibid., p. 179-180.

109. DAUMAS M., Histoire générale des techniques, t. III, 1968, p. 392-393.

110. La Fundició Primitiva Valenciana puis la Maquinista Terrestre y Maritima ont livré les deux

premières machines espagnoles (ALONSO-VIGUERA J. M., La ingeniera industrial…, op. cit., p. 132-133).

111. L’Ansaldo de Gênes ; la Pietrarsa et la Guppy & Pattison de Naples ; les ateliers de Vérone (cf.

Merger M., « L’industrie italienne de locomotives, reflet d’une industrialisation tardive et difficile

(1850-1914) », Histoire, Économie et société, 1989, n° 3, p. 338-339 et AMBRICO G., « Note

sull’ubicazione e sulle vicende storiche delle officine meccaniche e fonderie in Napoli », Economia

e Storia, XII, 1965, p. 541).

112. FRATTINI G., Storia e statistica dell’industria manufatturiera in Lombardia, Milan, 1856, p. 161.

113. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 189-192.

114. AMBRICO G., « Note sull’ubicazione… », art. cit., p. 541.

115. MONDELLA F., « Scienza e tecnica… », art. cit., p. 650.

116. CHIURELLO S., L’officina locomotive…. op. cit.

117. MERGER M., « L’industrie italienne… », art. cit., p. 338-339.

118. CABANIS J.-F., Note sur l’établissement d’une usine à fer…, op. cit., p. 2.

119. ADBdR 548 U 4.

120. CABANIS J.-F., Note sur l’établissement…, op. cit., p. 11-13.

121. Usine à fer de Toga fondée par Cabanis avec Paul Droust de la Gironière, négociant de Bastia,

en 1841 (cf. CAMPOCASSO P. J., « Histoire de l’usine à fer de Toga (1842-1885) », mémoire de

maîtrise, université de Provence, 1995, p. 35-38).

122. Cf. LOCCI J. P., Fonderies et fondeurs. Histoire des établissements métallurgiques en Vaucluse aux XIXe

et XXe siècles, Avignon, 1988, p. 123-184 ; CONSTANT E., « Le Département du Var… », op. cit., t. I, p.

324-325 et CAMPOCASSO P. J., « Histoire de l’usine à fer de Toga… », op. cit.

123. « Statistique des établissements… », art. cit.

124. ECM, t. III, p. 380.

125. CABANIS J.-F., Note sur l’établissement d’une usine à fer…, op. cit., p. 5-8.

126. « Rapport fait par M. Calla… », art. cit., p. 479.

127. Louis Benet n’ayant aucune expérience en la matière, la fabrication devait être l’œuvre

entière de la fonderie de Fourchambault mais sur décision du conseil, la société lui passe

commande de la moitié du marché (AN 77 AQ 44).

128. Pour les équipements et les effectifs ouvriers des entreprises cf. ADBdR XIV M 6/2, ACM 22 F

5, SF, p. 51 et ADBdR XIV M 12/179.

129. ACM 22 F 5.

130. Cf. annexe 3.

131. SIM, année 1835.

132. ADBdR XIV M 15/2.

133. ECM, t. III, p. 392.

134. Cf. chapitre III.

135. ADBdR XIV M 6/2.

136. SIM, année 1835 et AN F 14 4313.

137. Pour les usines à plomb du sud de l’Espagne dans les années 1840, cf. EMP, J 1850 (132).

138. BLOCK M., L’Espagne en 1850 ; tableau de ses progrès les plus récents, Paris, 1851, p. 162.

139. NADAL J., Moler…, op. cit.

140. Pour l’industrie métallurgique de la côte ligure, cf. EMP, M 1842 (311).

141. DALMASSO E., Milan, capitale économique de l’Italie, Gap, 1971, p. 136.

130

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Chapitre VIII. Les marchés

1 Dès son apparition, la métallurgie marseillaise part à la conquête des débouchés locaux.

L’adéquation entre l’offre des entreprises et la demande provoquée par la croissance

conjuguée des secteurs industriels de la ville, de la navigation à vapeur et des grands

travaux d’infrastructures menés dans la région présente plusieurs difficultés. Au début

des années 1830, les marchés sont détenus par des entreprises parisiennes et étrangères.

Les productions des fonderies et des ateliers de mécanique de la région marseillaise sont

rapidement de qualité. Reste à surmonter le problème de la compétitivité des entreprises.

La question prend une importance accrue dans la seconde moitié des années 1830. Les

entrepreneurs phocéens se lancent alors dans la conquête des débouchés méditerranéens

où ils doivent affronter la concurrence britannique.

2 Pour parvenir à ses fins, l’industrie marseillaise de la métallurgie et de la construction

mécanique doit résoudre ses problèmes d’approvisionnement. Elle ne traite pas de

minerais, ne produit pas de fonte brute ou de machines-outils. Les entreprises se trouvent

dans l’obligation d’acheter leurs matières premières et leurs biens de production dans des

zones souvent éloignées et maîtrisent donc difficilement un facteur qui détermine en

grande partie le coût et la qualité de leurs productions. Pour s’assurer des débouchés

réguliers aussi bien au niveau local qu’à l’étranger, les sociétés doivent également

s’appuyer sur des réseaux aussi bien pour stabiliser ou conquérir des marchés que pour

gérer avec efficacité achats en matières premières et biens de production. La pérennité du

secteur dépend donc de la capacité des entrepreneurs à structurer de manière cohérente

des espaces de fonctionnement et à nouer des relations avec des hommes ou des sociétés

susceptibles de leur fournir des commandes.

LES DÉBOUCHÉS LOCAUX

3 Dans le secteur de la mécanique industrielle, les constructeurs marseillais ont des

concurrents potentiels redoutables. Les entreprises parisiennes sont plus anciennes et

détiennent déjà d’importants marchés qui leur permettent d’effectuer des économies

d’échelle. L’industrie mécanique britannique est capable de proposer des produits à des

prix défiant toute concurrence car elle possède un avantage supplémentaire : les matières

premières nécessaires à la fabrication des appareils à vapeur sont beaucoup moins

131

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onéreuses en Grande-Bretagne qu’en France. La concurrence étrangère peut être

facilement réduite à néant. Les barrières douanières françaises sont d’une réelle

efficacité. Depuis la Restauration, les machines importées sont taxées 30 % ad valorem à

l’entrée sur le territoire. La protection est accentuée au cours des années 1840. Le

gouvernement de la monarchie de Juillet fixe le droit d’entrée des machines britanniques

proportionnellement au prix des matériaux utilisés pour leur réalisation1. Placée dans des

conditions favorables, l’économie française est parvenue à s’assurer son propre

approvisionnement. Dès 1838, les 8/9 des machines et les 9/10 des chaudières des usines

de l’Hexagone sont de fabrication nationale2. En France, la fourniture de biens

d’équipement pour l’industrie relève donc de la concurrence intérieure.

Des appareils pour l’industrie

4 En 1835, d’après un recensement effectué par les ingénieurs des Mines, l’industrie des

Bouches-du-Rhône ne possède que trois machines à vapeur britanniques sur les 14 en

fonctionnement3. Depuis le Consulat, l’industrie marseillaise s’est essentiellement

approvisionnée en France, auprès des grands ateliers parisiens (Aitken & Steel, Edwards,

Martin…). Les mécaniciens locaux commencent à se substituer aux fournisseurs de la

capitale au début des années 1830 et les détrônent dès 1835-1836.

5 Plusieurs facteurs expliquent cette réussite. Les entrepreneurs marseillais ont su obtenir

les marchés locaux en adaptant leurs productions aux besoins et ont acquis dans les trois

grands secteurs du démarrage industriel de la ville une avance technique qui est pour eux

un indéniable élément de prospérité. L’avantage de la proximité joue ensuite un rôle

primordial. Pour les autres industriels de la ville, la présence d’ateliers de mécanique à

Marseille même est une garantie de rapidité pour les travaux d’entretien et de réparation.

Les liens qui unissent les mécaniciens et les entrepeneurs des autres secteurs sont

également importants. Bon nombre de constructeurs ont travaillé comme techniciens

dans des usines avant de fonder leurs établissements. Falguière était contremaître d’une

minoterie à vapeur sous la Restauration tout comme Taylor au début des années 1830. Les

liens sont certainement restés très forts entre ces hommes et leurs anciens employeurs.

Dernier point enfin, l’insuffisance du réseau de communication français rend les envois

lointains particulièrement coûteux et morcelle les marchés au profit des entreprises

locales. Ce facteur est déterminant. Il permet aux constructeurs marseillais d’être à l’abri

de la concurrence nationale.

6 Les commandes marseillaises constituent l’essentiel des marchés. Le rôle joué par les

villes voisines est faible. Seules les villes d’Aix, de La Ciotat et de Septèmes adressent

quelques commandes avec l’apparition d’un petit développement industriel. Il est difficile

d’établir avec précision les quantités et la valeur de la production de chaudières et de

machines à vapeur. Les chiffres sont rares. La seule entreprise dont il est possible de

cerner les activités est celle de Jean-Baptiste Falguière. Sous la monarchie de Juillet, ce

dernier est le principal mécanicien travaillant pour l’industrie. Entre 1831 et 1842,

Falguière a livré près de 35 machines et plus d’une cinquantaine de chaudières4. Les

entreprises de Marseille et de sa proche région reçoivent plus de 85 % du total de ces

appareils. L’ancien forgeron a donc fourni à lui seul entre le tiers et la moitié des

machines et chaudières utilisées dans les Bouches-du-Rhône durant les années 1830 et le

début des années 1840. Pour le reste, les renseignements sont minces5. Aucun document

ne permet de cerner la quantité ou la valeur des productions des autres ateliers. Certaines

132

Page 135: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

indications révèlent toutefois l’ampleur de la production dans les années 1840. En 1843 ou

1844, les ateliers de Louis Benet et des cousins Peyruc, situés aux Catalans, ont produit

pour l’industrie quatre machines à vapeur ainsi que 32 chaudières cylindriques pesant

chacune trois tonnes6. La capacité de production de cette entreprise est largement

supérieure à celle de l’établissement de Jean-Baptiste Falguière durant la période

précédente. Le problème de sources se retrouve pour le secteur de production des

machines hydrauliques et auxiliaires. Là encore, l’entreprise de Falguière est la seule pour

laquelle les indications existent. Entre 1835 et 1842, l’usine de la rue Périer a construit 94

presses hydrauliques7. Pour les autres entreprises se livrant à ce type de fabrication, les

informations sont trop fragmentaires pour avoir une quelconque signification.

Le marché des métaux

7 La métallurgie de deuxième fusion peut apparaître et se développer à Marseille grâce à la

présence de deux facteurs favorables. Le premier est l’arrivée, à partir de 1840, des

charbons du bassin d’Alais8. Le second, plus important, est la croissance des ateliers de

mécanique qui trouvent avantage à pouvoir commander sur place des pièces de métaux

souvent délicates à réaliser et dont elles peuvent surveiller l’exécution. Les fonderies

travaillent pour elles seules et doivent subir les aléas de leur développement. Le marché

local a ici une importance presque exclusive. Le bilan de l’entreprise d’Etienne

Chambovet dressé en juillet 1843 démontre bien la situation9. Le mécanicien marseillais

reçoit ses pièces de métaux de la plupart des principales fonderies de la ville (Benet fils de

Xavier & cie, Puy frères, Danré, Ménard & Liancourt, Deluy, Baudoin, Saint-Joannis…).

8 Même si les chiffres donnés par les ingénieurs des Mines sont quelque peu sous-évalués10,

ils permettent de suivre le mouvement général d’augmentation de la production. En

volume, la production des fonderies de fer marseillaises est d’un très faible niveau dans

les années 1830. En 1834, les trois établissements existants, ceux de Benet, des frères Puy

et de Pierre-Joseph Baudoin, n’ont livré que 2 050 tonnes de pièces moulées de fontes et

fers. En 1841, la quantité a doublé. La valeur créée par ce secteur passe de 54 054 francs en

1834 à 111 880 francs en 184111. La production reste toutefois modeste. Le véritable

décollage n’intervient qu’en 1842-1843 avec l’accélération de la modernisation du tissu

industriel marseillais et le développement de la mécanique appliquée aux moyens de

transport modernes. Les fonderies voient leurs carnets de commandes se remplir,

gagnent en ampleur et étendent l’éventail de leurs productions (wagons, roues, essieux,

caisses à eaux et peut-être des rails12). Certaines nouveautés techniques comme le

procédé du puddlage ont fait leur apparition. L’industrie marseillaise commence à

produire les fers qu’elle utilise. Les quantités fabriquées semblent néanmoins faibles.

Entre 1841 et 1846, la valeur créée par les établissements de deuxième fusion est

multipliée par trois. Au milieu des années 1840, certaines entreprises affichent des

chiffres d’affaires annuels déjà importants : 350 000 francs pour l’entreprise de Granier et

Dussard et celle des Benêt à Menpenti, 256 000 pour la fonderie de John Riddings13.

9 Le secteur des non-ferreux connaît un développement beaucoup plus médiocre sur

l’ensemble de la période. Le martinet d’Auriol continue à produire les cuves et les

chaudières pour l’industrie des produits chimiques. Le marché local est le seul débouché

de cette entreprise, mais il reste toujours aussi limité. La valeur créée par le travail du

martinet n’est que de 34 000 francs en 183514. Dans ce secteur du traitement des cuivres,

le reste des activités ainsi que les niveaux de production restent inconnus. Les demandes

133

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d’autorisation d’ouverture de fonderies de cuivre sont nombreuses sous la monarchie de

Juillet, mais il ne s’agit que d’ateliers de chaudronnerie employant très peu d’ouvriers.

Dans le traitement des plombs, les nouvelles fabrications (tuyaux et produits laminés)

tardent à prendre un véritable essor. Les entreprises marseillaises n’élaborent que pour

30 000 francs de tuyaux en 1835. Il semble que la situation n’ait guère changé durant la

décennie qui suit d’autant que le cuivre tend à supplanter le plomb dans ces divers types

de fabrication. Là encore, les chiffres manquent pour suivre l’évolution de la production

jusqu’en 1846 mais les documents se rapportant à ce secteur d’activités ne montrent

aucune modification notable. En fait, une seule société émerge quelque peu du lot : celle

de Cavallier fils. En 1844, cette entreprise compte 17 ouvriers, travaille 70 tonnes de

plomb et cumule les activités puisqu’elle fabrique, outre les tubes et tuyaux, de la

grenaille15. Ce type de production s’est montré dynamique durant les années 1830. Les

fabriques ont augmenté leur chiffre d’affaire (700 000 francs de valeur en 1842 contre

200 000 en 1829). Elles semblent avoir marqué le pas par la suite.

Les appareils à vapeur pour la navigation

10 Avant 1836, les compagnies marseillaises de navigation à vapeur faisaient fabriquer leurs

navires dans les chantiers de La Seyne-sur-Mer. Les machines étaient importées de

Grande-Bretagne, principalement des ateliers londoniens. La situation était alors logique

puisqu’aucune entreprise de la région n’était capable de réaliser ce type d’appareils. À

partir de 1841, dès la fabrication de la première machine marine par les ateliers de La

Ciotat, une modification radicale s’opère. Les appareils britanniques disparaissent du

marché en faveur de ceux sortis des entreprises locales.

11 Pratiquement toutes les compagnies marseillaises désirant accroître leur flotte ont

adressé des commandes à Louis Benet, pour les coques comme pour les machines. Entre

1836 et 1846, la moitié des vapeurs lancés par les chantiers de La Ciotat et ceux des

Catalans, à Marseille, rejoint la flotte des compagnies locales. Pour ces unités, les ateliers

ont livré dix machines et plus d’une dizaine de Chaudières16. Louis Benet a pu compter sur

le réseau d’hommes d’affaires qui le soutient depuis ses débuts (Jean Luce, Joseph Roux…),

mais aussi sur les bonnes relations qu’il entretient avec certains armateurs comme

Théophile Périer, membre comme lui de la chambre de commerce au milieu des années

1830 et actionnaire de sa société17. L’entreprise de Philip Taylor répond également à ce

cas de figure. Le Britannique compte sur les débouchés locaux et se lance, en 1845-1846,

dans la construction de vapeurs grâce aux à la compagnie André & Auguste Abeille18.

12 Le reste des commandes obtenues auprès de sociétés privées émane des compagnies de

navigation sur le Rhône. Elles sont peu nombreuses. Benet est parvenu à obtenir quelques

commandes mais il n’a que très partiellement accès à ce marché. Trois unités seulement

(le Saumon, le Vésuve et La Grand’Combe) sont construites dans les ateliers des Catalans et

de La Ciotat. Les compagnies de navigation sur le Rhône travaillent traditionnellement

avec les chantiers navals de La Seyne. Les liens entre l’établissement varois et ces sociétés

de navigation sont parfois très étroits. Ainsi, dans les années 1830, le propriétaire des

chantiers de La Seyne, Mathieu, est également propriétaire d’une société de navigation à

vapeur sur le Rhône.

13 Le dernier type de commandes concerne la marine de l’État. Elles sont plus difficiles à

obtenir. Durant les années 1830, deux facteurs essentiels empêchent les ateliers de la

région d’acquérir des marchés. Le ministère de la Marine choisit de se passer de

134

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l’industrie privée française. Lors de la constitution de sa flotte méditerranéenne, l’État

confie les travaux de construction des coques de navires aux arsenaux de Rochefort,

Brest, Cherbourg et Lorient et importe les machines marines d’Angleterre. En 1835, le

ministère de la Marine a dépêché en Grande-Bretagne le savant Gay-Lussac et Fauveau, un

ingénieur du génie maritime, pour passer des contrats avec les principaux constructeurs

anglais (Maudsley & Field et Miller & Ravenhill de Londres, Bury de Liverpool…)19. Les

commandes obtenues par l’industrie française sont rares avant 1840 et ne concernent

jamais l’industrie marseillaise. Les maigres travaux confiés à des établissements privés

s’adressent principalement à deux entreprises, celle de François Cavé à Paris, et celle des

Schneider au Creusot. Louis Benet a bien essayé de faire jouer ses relations en 1838 afin

d’obtenir quelques marchés. Les Schneider, alors actionnaires de sa société, interviennent

auprès du ministère pour que les pouvoirs publics décident de lui adresser quelques

marchés pour la navigation postale20. L’entreprise est un échec. Philip Taylor connaît de

bien meilleurs résultats. Les paquebots de l’administration des postes prenant leur départ

de Marseille doivent subir régulièrement des réparations. Sous peine d’une trop longue

immobilisation, les navires ne peuvent se permettre d’attendre les pièces et appareils de

rechange envoyés de Grande-Bretagne. En 1837, la marine royale traite avec Philip Taylor

pour le marché de réparation des appareils des paquebots postes du Levant21. Un premier

pas est fait.

14 La situation évolue de manière favorable à partir de 1840. Pour des raisons de sécurité

nationale, l’État ne peut pas continuer de traiter avec une nation étrangère pour la

construction des appareils des navires de l’administration des postes et surtout de la

marine de guerre. Il doit de plus faire face aux critiques de l’ensemble des mécaniciens

français qui trouvent inconcevable que les bénéficiaires de marchés nécessaires à la

croissance de l’industrie nationale soient attribués à des constructeurs étrangers. Les

travaux effectués par Philip Taylor ont donné pleines satisfactions aussi bien en termes

de qualité qu’en termes de délais22. Après Taylor vient le tour de Louis Benet. Les ateliers

de La Ciotat sont visités par le préfet maritime et le ministre des Travaux publics durant

l’automne 1842. Les deux hommes ont décidé qu’il fallait leur « donner les

encouragements dont ils sont dignes23 ». En 1842-1843, Louis Benet peut faire ses preuves

avec la réalisation de cinq navires pour l’administration des postes. Au début de l’année

1844, le ministre de la Marine, le préfet maritime de Toulon et le Conseil du port décident

de confier aux ateliers de Philip Taylor et de Louis Benet la construction de machines et

chaudières de forte puissance malgré la vive opposition de Bonard, directeur des

constructions navales à l’arsenal24. La même année, un gros bâtiment de guerre, le Narval,

est commandé, coque et appareil moteur, aux ateliers de La Ciotat. Louis Benet obtient

également des contrats pour plusieurs machines ou chaudières devant être construites

indépendamment des coques25. Philip Taylor n’est pas en reste. Ses relations avec

l’arsenal s’intensifient à partir de 1846 quand le Britannique se lance dans la construction

de vapeurs à La Seyne. Cette année-là, les ateliers de Menpenti travaillent à la

construction d’une chaudière de 450 chevaux et d’une machine de 200 chevaux26. Le

mouvement est largement amorcé. L’industrie marseillaise de la mécanique marine

trouvera désormais dans les commandes de l’État une source de travaux d’une valeur

considérable.

135

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Les locomotives

15 Le marché des locomotives est lui aussi fortement marqué par la domination du niveau

local. Il constitue toutefois un cas particulier. Contrairement à ce qui a pu être observé

dans le domaine des appareils pour l’industrie et la navigation, les entreprises locales ne

bénéficient pas de facteurs favorables. La législation douanière et les problèmes

technologiques font que l’industrie britannique reste difficile à concurrencer dans ce

secteur.

16 À la fin des années 1830, l’industrie britannique, entreprise des Stephenson en tête,

écrase les marchés européens. Sa suprématie technique est incontestée. L’utilisation de

matières premières dont les prix sont peu élevés et les économies d’échelle d’un secteur

fortement spécialisé lui permettent de réduire à néant la concurrence étrangère. Les

constructeurs de l’Hexagone souffrent de plus de l’attitude de l’État français. En mars

1837, le gouvernement a en effet décidé de faciliter les admissions de locomotives

britanniques en abaissant les taxes douanières27 et d’équiper ses propres lignes de

machines importées28. Malgré le soutien du groupe d’hommes d’affaires marseillais qui a

participé à la création de son entreprise et que l’on retrouve dans les compagnies des

chemins de fer du Gard et de Marseille à Avignon, Louis Benet se trouve donc confronté à

deux difficultés majeures.

17 Au tout début de l’entreprise, rien n’est encore joué. La décision d’attribution des

commandes pour les lignes du Gard ne peut se faire sans l’accord de deux des principaux

actionnaires, Paulin Talabot et James de Rothschild. Ce dernier a visité les ateliers de La

Ciotat en septembre 1838 alors qu’il voyageait vers Rome29. Il doute des capacités des

chantiers, hésite à investir dans l’entreprise, d’autant que les droits d’entrée sur les

locomotives étrangères ont été baissés de moitié depuis quelques mois. Les frères

Schneider, partenaires financiers de la société depuis 1836, décident de ne pas suivre

l’entrepreneur cio-tadin. Les industriels de Saône-et-Loire mettent alors en garde Louis

Benet des dangers à se lancer dans une telle aventure :

« Je sais que la construction de locomotives laisse en Angleterre d’assez beauxrésultats en raison de l’importance des commandes qui pleuvent dans ce pays, maisje ne suis pas assuré qu’il en sera de même chez nous… Nous avons entrepris cegenre de construction il y a quelques mois, et pour avoir les ordres [decommandes], il nous a fallu faire un rabais assez considérable sur celui auquelreviennent les machines venant d’Angleterre. En sorte que, tout compte fait, jecrois que nous aurons du mal à mettre les bouts ensemble surtout pour lespremières… Aurons-nous des commandes pour nous alimenter ? C’est ce quej’ignore et que je n’ose à peine espérer, parce que chacun va se disputer cettenouvelle industrie30. »

18 Sur les avis de ses relais marseillais, James de Rothschild se lance quand même dans

l’entreprise, mais il ne place que 40 000 francs dans l’affaire31. L’atelier de Louis Benet

devra d’abord faire ses preuves en effectuant quelques unités pour les lignes du Gard.

L’essentiel des locomotives sera commandé aux ateliers de Stephenson à Newcastle. En

1842, un peu plus de 250 ouvriers sont affectés à la construction des locomotives dans les

ateliers de La Ciotat. Les capacités productives de l’établissement sont largement

supérieures aux travaux effectués pour la Compagnie des Chemins de fer du Gard. Les

chroniqueurs locaux soulignent alors l’importance des problèmes rencontrés par

l’établissement32. À la suite de l’attribution de la concession, les travaux pour

l’équipement de la ligne Marseille-Avignon sont lancés et tirent l’atelier d’une situation

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précaire. Les hommes d’affaires marseillais qui soutiennent Louis Benet parviennent à

faire établir par contrat triangulaire entre la Compagnie du chemin de fer de Marseille à

Avignon, Robert Stephenson et l’entrepreneur ciotadin un premier marché. L’accord

porte sur la réalisation d’au moins trente locomotives. Quinze d’entre elles doivent sortir

des ateliers de Newcastle. Les autres seront construites dans les établissements de La

Ciotat sous la direction de Robert Stephenson33. Ce type de contrat est original. Pour

obtenir ce marché, l’entrepreneur britannique doit opérer un transfert de sa technologie

et permettre à un concurrent de se développer. Par ses appuis, Louis Benet parvient ainsi

à surmonter les problèmes de l’acquisition des marchés et de l’assimilation d’une

technique complexe.

19 Il est particulièrement délicat d’évaluer le nombre d’unités livrées par les ateliers de La

Ciotat entre 1841 et 1846. Pour les lignes du Languedoc, Louis Benet semble avoir réalisé

neuf machines (trois pour la ligne Alais-Beaucaire en 1841, six en 1843-1844 pour les

lignes Nîmes-Montpellier et Nîmes-Beaucaire34). Les constructions effectuées pour la ligne

Marseille-Avignon ont été la principale source de travail de la période. Les

renseignements sont maigres. Au printemps 1845, les ateliers ont terminé et livré cinq

unités35. L’année suivante, six machines sont en construction36. En 1845, lors d’un voyage

dans le midi de la France, Jobart, directeur du Musée de l’industrie belge, « compte une

vingtaine de locomotives en construction, pour le chemin de fer de Marseille à Avignon37

». Un chiffre identique est avancé par Sébastien Berteaut la même année38. On peut

pourtant douter de l’exactitude de telles informations qui placent Fatelier de Louis Benêt

parmi les trois plus grands constructeurs français de cette période. Les auteurs

confondent très certainement le nombre des machines en commande entre 1844 et 1846

et la capacité productive de l’établissement puisque durant cette période les ingénieurs

des Mines dénombrent la construction de 21 locomotives françaises affectées à la ligne

Marseille-Avignon39.

20 Jusqu’en 1846, Louis Benet bénéficie donc de marchés lui permettant de faire fonctionner

son atelier de construction de locomotives, mais la question de l’avenir se pose

rapidement. De tous les marchés, celui des locomotives est très certainement le moins

stable. La réussite des années 1841-1846 ne préfigure aucune garantie pour le futur. Les

locomotives ont une grande longévité. La fin de l’équipement de la ligne Marseille-

Avignon posera inévitablement le problème de la conquête de nouveaux marchés.

L’équipement pour les grands travaux

21 Le dernier grand marché local concerne les grands travaux d’équipement menés sous la

monarchie de Juillet. Louis Benet a travaillé pour le port de Marseille, mais sa

participation reste limitée à quelques opérations ponctuelles qui, de plus, ne sont pas

toujours couronnées de succès40. Le principal bénéficiaire de ce type de débouchés est

Philip Taylor. Ce dernier obtient la plupart des commandes de machines nécessaires aux

travaux d’aménagement de l’espace portuaire ou à la réalisation du Canal de Marseille

(fourniture de grues pour le port et de matériel pour le bassin de carénage)41. Sa

prédominance s’explique aisément. Ses compétences techniques sont en ce domaine

uniques dans la région, surtout au cours des années 1830. Lui seul est capable de fabriquer

des machines de grande puissances à l’image de celle réalisée pour la construction de

l’aqueduc de Roquefavour42. Les quantités de machines et la valeur de la production de

cette spécialité des ateliers de Philip Taylor sont totalement inconnues. L’absence de

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documents au niveau régional et la forte puissance de ces machines laisse à penser que les

achats effectués auprès d’entrepreneurs de Grande-Bretagne ou d’autres régions

françaises devaient être importants.

UNE FAIBLE INTÉGRATION À L’ESPACE NATIONAL

22 Les opportunités offertes par le développement industriel de la région marseillaise

expliquent en grande partie la prépondérance des débouchés locaux. Ces derniers

s’avèrent toutefois assez vite insuffisants. Le secteur de la construction mécanique et de

la métallurgie de deuxième fusion connaît une croissance vigoureuse au cours des années

1840. Pour l’industrie métallurgique et mécanique marseillaise, l’adéquation entre la

capacité de production et les commandes obtenues pose des problèmes de plus en plus

importants. Les ventes de machines et de pièces de métaux à Marseille et dans sa région

ne suffisent plus à assurer le bon fonctionnement du secteur.

23 Dès 1839, Philip Taylor souligne l’insuffisance du marché local, qui ne parvient plus à lui

procurer les travaux nécessaires à la marche de son entreprise43. L’explication des

difficultés rencontrées par les entrepreneurs marseillais ne réside pas dans une

quelconque baisse de la demande puisque les années 1840 sont, bien au contraire, celles

d’une remarquable croissance des équipements pour les usines et les compagnies de

navigation à vapeur44. La raison est en fait totalement interne au secteur. Le nombre des

entreprises a augmenté dans des proportions considérables. Certaines sociétés ont acquis

d’énormes capacités de production. Les ateliers de La Ciotat peuvent produire

annuellement cinq à six millions de francs de machines et de navires45. L’essor de

l’industrie métallurgique marseillaise dépasse très largement la croissance des marchés

locaux. Si ce secteur veut poursuivre son essor ou même simplement trouver l’aliment

nécessaire au maintien de son niveau de production, il doit obtenir des marchés hors d’un

cadre régional devenu trop étroit. La question de l’extension des marchés pose une série

de difficultés. La plus importante concerne le coût des transports, qui augmente les prix

de vente de manière considérable et rend ainsi les entreprises marseillaises peu

compétitives dès qu’il s’agit d’obtenir des contrats loin de Marseille.

Des marchés très restreints

24 Sous la monarchie de Juillet, quelques établissements phocéens parviennent à vendre

leurs produits dans des régions éloignées du département. Demange vend au début des

années 1840 une machine pour fabriquer les tuyaux de plomb à un fondeur de Lyon46.

Granier et Dussard trouvent la majeure partie de leurs débouchés en Franche-Comté47.

Ces exemples font toutefois figure d’exceptions. Ils ne concernent que quelques marchés

isolés ou des produits bien spécifiques comme les machines de calibrage ou le fer

galvanisé. Pour l’industrie métallurgique et mécanique marseillaise, la prépondérance des

marchés locaux s’exerce sans partage. L’intégration dans l’ensemble national est faible. Le

marché intérieur est encore inaccessible avant la mise en place du réseau ferroviaire

français. L’héritage de la structure spatiale de l’économie d’Ancien Régime est pesant. Le

cloisonnement des espaces reste donc une constante importante de l’économie du pays.

Les industriels marseillais ont su tirer profit de ce morcellement des marchés pour

acquérir les débouchés de la région. À l’inverse, dans le cas d’une extension hors du cadre

régional, l’avantage se transforme en inconvénient. Le prix des transports de

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marchandises entre Marseille et les autres régions françaises est élevé et freine toute

ambition nationale. En 1846, aucune ligne ferroviaire n’est établie dans les Bouches-du-

Rhône. Cette situation enlève tout espoir aux métallurgistes et mécaniciens marseillais,

qui se trouvent dans l’impossibilité d’être compétitifs loin de leur région d’action

traditionnelle. La chambre de commerce de Marseille intervient régulièrement dans les

années 1840 pour tenter de faire pression sur les sociétés de roulage afin qu’elles cessent

d’appliquer des tarifs jugés insupportables par les entrepreneurs marseillais dans le cadre

de leurs expéditions48. Les résultats obtenus semblent avoir été insignifiants.

L’exemple des locomotives

25 L’exemple offert par l’atelier de La Ciotat est particulièrement significatif de cette

incapacité à trouver des débouchés dans des régions éloignées du sud-est de la France. En

1843, Louis Benet répond à deux appels d’offre de compagnies ferroviaires de la région

désirant équiper les lignes Nîmes-Montpellier et Nîmes-Beaucaire. Le premier marché est

composé de six locomotives avec leurs tenders et des pièces de rechange, le second de

trois machines avec les mêmes conditions49. Toutes les grandes entreprises françaises (les

ateliers Schneider du Creusot, ceux de Koechlin de Mulhouse, d’Halette d’Arras, de

Buddicom de Rouen et de Cavé de Paris) soumissionnent aux côtés de l’entrepreneur

ciotadin. Louis Benet présente un devis de 48 000 francs par unité pour les locomotives de

la ligne Nîmes-Montpellier et une facture totale de 188 000 francs pour le second marché.

Il propose les plus bas prix et enlève les deux marchés avec les ateliers du Creusot qui ont

présenté un devis identique. L’entreprise provençale parvient donc à s’imposer dans le

sud-est de la France en faisant jeu égal avec une des plus grandes sociétés françaises. La

situation devient différente hors de la région. La même année, l’entreprise de La Ciotat

répond à un autre appel d’offres lancé cette fois par la Compagnie des chemins de fer du

nord concernant l’équipement de la voie reliant Lille au royaume de Belgique50. Le

constructeur mulhousien, Koechlin, emporte le marché avec un devis de 117 000 francs.

Louis Benet est cette fois bon dernier avec une proposition de 188 000 francs, soit 35 % de

plus. La différence est la conséquence du prix du transport des machines. À partir de la

fin de l’année 1843, Louis Benet cesse de soumissionner pour des marchés concernant des

lignes ferroviaires situées hors du sud-est de la France.

26 Au total, les débouchés des entrepreneurs marseillais sur le territoire français sont d’une

grande faiblesse. Des machines et des pièces de métaux se vendent certes sur la Côte

d’Azur ou en Algérie51. Il ne s’agit toutefois que de quelques opérations ponctuelles

s’effectuant de plus dans des conditions particulières. Les deux zones citées restent

proches de la région marseillaise. Les entrepreneurs phocéens profitent ici de la

possibilité d’acheminer les produits par voie maritime, le moyen de transport le moins

onéreux de l’époque. Les fondeurs et mécaniciens marseillais prennent rapidement

conscience que l’extension des marchés ne peut s’effectuer que dans le cadre des

exportations. De manière précoce, ils cherchent donc à vendre leurs produits dans le

bassin méditerranéen et plus particulièrement dans les pays des rives Nord avec lesquels

Marseille entretient des relations fortes et déjà anciennes.

139

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L’IMPORTANCE CROISSANTE DES MARCHÉSMÉDITERRANÉENS

27 Sous la Restauration, les exportations marseillaises de produits métallurgiques étaient

presque inexistantes. Seuls les plombs en grenaille et quelques cercles de barriques

partaient pour les pays méditerranéens, essentiellement vers l’Espagne et les États

italiens. La période de la monarchie de Juillet va apporter de profonds changements. Les

entreprises marseillaises effectuent des percées sur les marchés méditerranéens. Dans les

années 1840, la grande majorité des établissements du secteur travaillent, à des degrés

divers, pour l’exportation.

Un précurseur : Louis Benet

28 Les métallurgistes et mécaniciens marseillais visent très tôt les marchés méditerranéens.

Jusqu’au début des années 1840, ces débouchés ne sont essentiellement perçus que

comme un travail d’appoint. Le premier entrepreneur à porter une attention à ces

marchés est Louis Benet. Avant même de se lancer dans la fabrication des appareils à

vapeur, l’industriel de La Ciotat déclare en 1833 : « Marseille pourrait fournir aux pays qui

entourent la Méditerranée une bonne partie de leurs besoins en machines à vapeur et

autres mécaniques »52… Le type de marchés visés par Louis Benet se précise dans la

seconde moitié des années 1830. Les ateliers de La Ciotat sont alors en fonctionnement et

sont destinés à se spécialiser dans la fabrication d’appareils pour la navigation à vapeur.

« La Méditerranée est et sera la mer des bateaux à vapeur. Tous les pays qui labordent sont encore sans expérience dans les arts mécaniques ; tous sonttributaires de l’Angleterre pour leurs besoins. Le port de Marseille, qui lesapprovisionne en articles manufacturés de tout genre, est mis de côté lorsqu’ils’agit pour eux de machines. Ils vont acheter en Angleterre, et ils transportent àgrands frais, ces mêmes machines que les faciles relations qu’ils ont avec Marseilleleur feraient prendre dans ce port, s’ils y trouvaient des vendeurs…53 »

29 Quelques années plus tard, alors que les ateliers de La Ciotat se lancent dans la

construction des locomotives, Louis Benet et ses principaux associés espèrent une

conquête des futurs marchés italiens. Joseph Roux compte sur le poids de la maison

Rothschild pour obtenir les commandes de locomotives que vont engendrer les

constructions des lignes Florence-Livourne et Gênes-Turin54. D’autres entrepreneurs

suivent le mouvement. Philip Taylor entend « rivaliser avec les mécaniciens anglais » et

« soutenir la concurrence contre eux sur les côtes d’Italie55 ». Le Britannique l’a déjà fait

en partie. Depuis 1836, il « livre(nt)… en Italie des machines de force moyenne pour les

diverses branches de l’industrie56 ». À partir de 1840, avec la croissance soutenue du

secteur, les marchés méditerranéens sont regardés avec plus d’attention.

Les exportations vers l’est et le sud de la Méditerranée

30 Les fondeurs marseillais exportent des plombs en grenaille dans le sud-est de la

Méditerranée. Ces ventes sont traditionnelles depuis le XVIIe siècle. Elles connaissent une

recrudescence à partir de la fin des années 1830. Le plomb en grenaille est principalement

destiné au royaume de Grèce et surtout à la Turquie, pays qui reçoit près du tiers des

exportations marseillaises de plombs ouvrés en 184157. Les ventes de machines, de

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mécaniques et de navires à vapeur sont beaucoup moins importantes, mais les

constructeurs marseillais nouent plusieurs contacts et parviennent à obtenir quelques

commandes. En 1836, le premier vapeur construit par les chantiers de Louis Benet à La

Ciotat est vendu au Grand Turc58. Quatre années plus tard, Jean-Baptiste Falguière équipe

entièrement une minoterie de Constantinople, avec notamment deux machines à vapeur

d’une puissance totale de 60 chevaux59.

31 Les rives du sud de la Méditerranée offrent une situation globalement similaire. Les

exportations marseillaises vers ces régions existent mais sont encore peu nombreuses.

Déjà présents sous la Restauration, les envois de plombs en grenailles vers les États

barbaresques se poursuivent. Ils se maintiennent encore à un niveau modeste. Les

exportations de mécaniques apparaissent. Les ateliers d’Étienne Chambovet livrent

plusieurs moulins à épuisement pour la régence de Tunis60 et les ateliers des Catalans de

Louis Benet et des cousins Peyruc, spécialisés dans la fabrication de chaudières,

travaillent pour l’Égypte61. Ces deux zones du bassin méditerranéen ne représentent

qu’une part minime des ventes effectuées hors du territoire national. Les marchés du sud-

est de l’Europe et des pays du sud de la Méditerranée ne sont pas encore développés. La

demande est en revanche d’une importance croissante dans la zone nord-ouest du bassin

méditerranéen.

Les États italiens, des partenaires privilégiés

32 En Espagne et dans les États italiens, deux pays sur la voie de la modernisation

économique et demandeurs de biens d’équipement, les marchés sont plus importants. Les

fondeurs et mécaniciens marseillais connaissent néanmoins peu de succès en Espagne.

Seule la Catalogne leur commande quelques travaux. Vers 1840, pour la ville de

Barcelone, Étienne Chambovet fournit les machines de l’hôtel des Monnaies tandis que

Dominique Demange construit les équipements d’une fabrique de bougies62. À ces

exceptions près, les Catalans s’approvisionnent principalement auprès des entreprises

britanniques et parisiennes63.

33 L’indigence des débouchés espagnols contraste fortement avec la valeur des commandes

italiennes. Les États italiens constituent le grand marché d’exportation de l’industrie

métallurgique marseillaise. Pratiquement tous les types de produits fabriqués par les

fondeurs et mécaniciens phocéens partent vers l’Italie sous la monarchie de Juillet. Les

pièces moulées de fonte et de fer destinées à la confection ou à la réparation d’appareils à

vapeur sont exportées par l’entreprise des frères Puy64. Des presses hydrauliques sont

confectionnées par Étienne Chambovet pour des entreprises palermitaines65. Philip

Taylor s’est assuré en Lombardie une bonne part des marchés de chaudières pour les

huileries, les distilleries et les fabriques de chandelles66. Il exporte des machines à vapeur

pour les usines des divers États italiens depuis 1836 au moins67. Dans le domaine de la

mécanique marine, les premières commandes apparaissent au même moment. Les

constructeurs marseillais s’attaquent à un marché qui est, depuis les années 1820, une

véritable chasse-gardée britannique68. Dès la seconde moitié des années 1830, Philip

Taylor traite avec des compagnies de navigation italiennes pour des travaux de

réparation sur machines et chaudières69. En 1844, Louis Benet réalise à La Ciotat deux

bateaux munis de machines de 220 chevaux pour le compte de la Compagnie des Deux-

Siciles70. Deux années plus tard, c’est la compagnie sarde Rubattino qui demande ses

services pour la réalisation du San Giorgio71. Les ateliers de La Ciotat ont de plus livré une

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locomotive destinée à la ligne Naples-Castellamare en 184072. Cette exportation est

toutefois atypique puisqu’il s’agit vraisemblablement d’un prototype mis au point par

Stephenson.

Les réseaux de ventes

34 Il est difficile de déterminer les modalités d’obtention de ces commandes

méditerranéennes. Seuls quelques éléments explicatifs peuvent être avancés. La chambre

de commerce de Marseille collecte les informations et renseigne les industriels locaux sur

les marchés susceptibles d’intéresser les secteurs métallurgiques et mécaniques73. Par

ailleurs, les entrepreneurs ont très certainement bénéficié de réseaux qui ont facilité leur

insertion dans les milieux industriels et commerciaux étrangers en s’appuyant sur les

actions développées par des hommes d’affaires tel que Jean Luce74. Seul le cas de Philip

Taylor, à partir de quelques exemples, peut être étudié. Le Britannique s’est déjà fait un

nom en Italie avant d’exporter des appareils à vapeur. Son procédé hot blast a été adopté

avec succès par la sidérurgie piémontaise au début des années 183075. Ce facteur a très

certainement joué en sa faveur. Le principal point d’appui de ses débouchés italiens est la

constitution d’un réseau de mandataires chargés de trouver des marchés et d’assurer ses

intérêts sur place. A Gênes, il gère ses contrats avec la Compagnie des bateaux à vapeur

sardes grâce à Giovanni Maria Cabella, un négociant de la ville76. Il lui a déjà donné

pouvoir en 1839 « …de, pour lui et en son nom, faire tous les traités et accords avec le

gouvernement de Sardaigne relativement aux fournitures et réparations de machines à

vapeur et autres à faire…77 ». Philip Taylor a vraisemblablement utilisé ce système dans

les autres régions italiennes où ses exportations étaient importantes, comme en

Lombardie.

35 Il est également difficile de chiffrer avec précision en valeur comme en quantité les

exportations marseillaises vers les pays méditerranéens. Les données détaillées sur les

sorties de marchandises du port de Marseille sont rares et ne précisent pas si les produits

sont de fabrication marseillaise. Il reste toutefois certain que les constructeurs et

fondeurs marseillais ont directement participé à la croissance de ces exportations,

spécialement vers les États italiens. En 1832, le total des exportations de machines du port

de Marseille vers l’Espagne et les États italiens (moins le royaume de Piémont-Sardaigne

et la Lombardie-Vénétie, dont les chiffres sont inconnus78) dépasse à peine 100 000 francs.

En six années, le chiffre est multiplié par six et atteint 646 670 francs. Marseille participe

dans une large mesure au total des exportations françaises, qui reste encore faible79. En

1845, le total des exportations de machines et mécaniques dépasse largement le million

de francs80. Pour Marseille, la Méditerranée se substitue à l’espace national.

36 Le cas marseillais est original en France, mais aussi dans le sud de l’Europe. Les

entreprises métallurgiques et mécaniques italiennes ou espagnoles ont toujours dû se

contenter des marchés régionaux ou nationaux. Seul le cas de l’industrie grecque

présente quelques similitudes. Dès sa formation, l’industrie mécanique du Pirée exporte

des produits métallurgiques et des machines. L’atelier de Vassiliadis entretient, au début

des années 1860, des relations soutenues avec différentes villes de l’Empire ottoman

(Constantinople, Smyrne et Alexandrie), notamment par la livraison de charrues81.

L’entreprise piréote de John Mac Dowall et les forges d’Hermoupolis dans les Cyclades

suivent dix années plus tard en exportant des appareils à vapeur, des chaînes et des

ancres en Turquie et dans divers pays de l’Europe de l’Est82.

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La richesse du sous-sol méditerranéen

37 Le bassin méditerranéen est perçu comme une zone de débouchés pour les produits des

secteurs métallurgiques, mais il est également regardé comme une zone

d’approvisionnement en minerais et métaux non-ferreux. Les richesses minières de

plusieurs régions italiennes suscitent très tôt la convoitise des Marseillais. C’est le cas

notamment de la Toscane, dont le sous-sol regorge de minerais d’antimoine, de fer, de

plomb argentifère et de cuivre83. À Septèmes, une fonderie d’antimoine est créée en 1844

par Jean Briqueler84. L’usine traite les minerais venus de Toscane, des environs d’Orbitello

dans les basses Maremmes. Marseille commence même à s’intéresser à des projets

d’implantation sur le territoire italien. En 1841, Charles Aune essaie de fonder une société

chargée d’exploiter des hauts fourneaux et des forges dans le royaume de Naples85. La

tentative est un échec mais témoigne de la volonté phocéenne d’utiliser la richesse

minérale de la péninsule italienne.

38 En Espagne, les négociants marseillais s’intéressent de près aux plombs et aux minerais

de plomb. Ils suivent avec attention la législation douanière en ce domaine86. Les plombs

d’Andalousie arrivent en proportion croissante à Marseille en provenance des ports

d’Adra et d’Almeria87. Les importations, comprises entre 5 000 et 6 600 tonnes durant la

période 1832-1840, augmentent fortement à partir de 1843. Avec l’apparition d’une

nouvelle zone de production – la Sierra de Carthagène remplace celle de Gador – et

l’effacement progressif des Britanniques sur les marchés internationaux88, les deux

grandes maisons de commerce spécialisées dans ce type d’opérations (la société de

Figueroa et celle des Guerrero, des Espagnols installés à Marseille) parviennent à drainer

en Provence de grosses quantités de plombs89. Les 10 000 tonnes sont dépassées en 184490.

En 1846, ce sont près de 16 000 tonnes de plombs ibériques qui arrivent sur les quais du

port de Marseille91. La même année, le chiffre total des importations françaises est de

20 504 tonnes, dont 17 215 venues d’Espagne92. Le port de Marseille reçoit donc 78 % des

plombs entrant dans l’Hexagone. Les premières initiatives marseillaises pour traiter les

minerais espagnols sont menées en Espagne même. En 1843, dans la région de

Carthagène, la société Isidore Brun & cie a monté les installations de la San Isidoro93.

Bientôt, les usines de traitement des minerais de plomb vont apparaître à Marseille

même.

LA NÉCESSITÉ DE TRAVAILLER AVEC LES FONTES ETLES FERS ANGLAIS

39 Sous la monarchie de Juillet, l’industrie métallurgique marseillaise connaît un problème

majeur, celui de ses approvisionnements en fontes et fers. Ce secteur, sans cesse en quête

de matières premières peu coûteuses, doit gérer une situation très défavorable. Aucun

haut fourneau n’a été allumé aussi bien à Marseille que dans le département. Vers 1830, la

ville doit donc s’approvisionner auprès de zones relativement éloignées. Le prix de la

fonte est particulièrement élevé à Marseille car à la cherté du produit s’ajoute le surplus

de coût causé par l’acheminement par voie terrestre ou fluviale d’une marchandise

lourde.

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L’espoir déçu d’un approvisionnement dans la région

40 La ville croit un moment pouvoir résoudre le problème au cours des années 1830. Les

fondeurs et les mécaniciens marseillais nourrissent l’espérance durant une décennie, de

pouvoir travailler à proximité de foyers de production de fontes et de houilles, à l’instar

du modèle britannique. Ces espoirs sont liés aux initiatives qui se développent dans les

départements voisins du Vaucluse et du Gard. Les hauts fourneaux d’Alais commencent

leur production en 183194. Au début des années 1830, Hippolyte de Villeneuve voit d’un

œil favorable le projet de création de hauts fourneaux à Velleron, dans le Vaucluse, qui

permettrait selon lui « d’alimenter toute la partie méridionale du pays à des prix

inférieurs à ceux de l’Isère95 ». Toujours dans le Vaucluse, un projet similaire est mené

avec l’exploitation des minières de fer de Rustrel, près d’Apt, au début des années 1840.

Les espoirs se déplacent vers la Corse dans la première moitié des années 1840, quand les

hauts fourneaux de Toga commencent à exporter des fontes vers le continent96. La

déception sera à la hauteur des espoirs placés dans le développement sidérurgique de ces

départements. Les hauts fourneaux du sud de la France fournissent des fontes d’une

qualité médiocre et à un prix relativement élevé. Ainsi, les fontes d’Alais sont chères (50

francs la tonne). Elles sont cassantes et ne peuvent donc être utilisées avec succès par les

fonderies marseillaises97. Dans la première moitié des années 1830, les Marseillais ont

également fait appel à la sidérurgie toscane, plus proche par l’avantage du transport

maritime que les entreprises du centre de la France. Des produits des hauts fourneaux de

Follonica sont envoyés à Marseille afin que les entreprises puissent les essayer. L’échec

est immédiat, la fonte « ayant été jugée impropre à une deuxième fusion, n’a pu être

vendue comme fonte de forge à un prix voisin de 18 francs les 100 kilos98 ».

41 Pour les fondeurs et mécaniciens marseillais, l’espoir de s’approvisionner localement

prend fin. Deux choix s’offrent alors à eux : travailler les métaux livrés par les entreprises

du centre de la France ou utiliser les matières premières importées. Dans le cadre d’un

travail pour l’exportation, ce choix n’existe même plus. Les importations de fers et de

fontes sont devenues une nécessité. Afin de pouvoir rivaliser avec les ateliers

britanniques sur les marchés méditerranéens, les entrepreneurs marseillais doivent

proposer des prix de ventes équivalents. Puisque les matières premières françaises sont

trop coûteuses, les fondeurs et mécaniciens sont condamnés à lutter contre leurs rivaux

de Grande-Bretagne avec leurs propres armes en utilisant leurs fontes afin de réduire le

coût des matières premières.

Le problème du coût des fers et de l’achat des machines-outils

42 Pour les fers, la situation est encore plus préoccupante. Si Marseille s’est lancée dans ce

type de fabrication depuis le début des années 1840, le volume des productions est faible.

Dans l’ensemble du sud-est de la France, la situation est identique. Seule la création de la

société Mourié & cie, à Fréjus, en 1844, qui produit des fers par la méthode catalane,

permet d’améliorer la situation99. Les entrepreneurs marseillais comme Philip Taylor

deviennent clients, mais les niveaux de production de la société varoise sont encore bas.

L’usine ne traite mensuellement que 50 tonnes de minerai de fer de l’île d’Elbe100. Le prix

de ces fers pose également problème. L’utilisation du charbon de bois du massif de

l’Esterel alourdit de manière importante les coûts de production. Dans le cadre d’un

travail à l’exportation, on retrouve ici, comme pour les fontes, le problème du prix des

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fers en lingots ou des tôles en fer. Pour le remplacement des chaudières d’un navire de

160 chevaux, la différence du prix de revient des fers et des tôles de fer nécessaires à sa

réalisation – soit 50 tonnes de métaux – est de 27 000 francs en faveur de l’industrie

britannique101. En 1840-1841, le prix de revient d’un cheval-vapeur pour un appareil de

navigation est de 1 800 francs pour une entreprise française. En Angleterre, la somme

atteint seulement 1 300 francs chez Fawcett102. Comme pour la fonte brute, les

entrepreneurs marseillais sont donc dans l’obligation de faire appel à l’industrie

britannique pour leurs approvisionnements en fers dans le cadre des travaux pour

l’exportation.

43 L’Angleterre est également une zone d’échange privilégiée et irremplaçable pour l’achat

des machines-outils. Même si, en france, des progrès remarquables ont été effectués,

l’industrie britannique reste inégalable dans la construction de ce type d’appareils.

L’enjeu est ici important. L’utilisation du matériel de production d’outre-Manche assure

une parfaite exécution des machines, notamment des cylindres. Les constructeurs de

Grande-Bretagne produisent des chariots d’alésage dotés de fraises à stries très fines ainsi

que des appareils de mesure précis au millième de pouce. Pour une parfaite exécution des

appareils, les machines-outils des deux plus grands ateliers marseillais, ceux de Benet et

Taylor, ont été importées de Grande-Bretagne. En 1839-1840, près de 400 000 francs de

mécaniques anglaises arrivent à Marseille chaque année103. Il s’agit principalement de

machines-outils.

COMPOSER AVEC LA POLITIQUE DOUANIERE DEL’ETAT FRANÇAIS

44 Entre 1815 et 1830, l’État français s’est efforcé de constituer et d’assurer l’unification du

marché national. La politique mise en place durant cette période a pour objet de

superposer espace économique et espace politique de la nation. Ce marché doit, de plus,

être protégé de la concurrence étrangère. Sous la pression de la majeure partie des forces

économiques du pays (les propriétaires terriens, les maîtres de forges, les entrepreneurs

du textile…), les ministères successifs de la Restauration s’emploient à mettre sur pied

une politique douanière ultra-protectionniste qui réserve le jeu de la libre concurrence

sur le sol national aux seules entreprises françaises104. Les gouvernements de la

monarchie de Juillet ont essayé d’assouplir le cadre très rigide de la période précédente

dès les années 1830. Le problème reste toutefois entier pour les entrepreneurs phocéens.

Les fondeurs et les mécaniciens sont durement touchés. Le fait douanier revêt pour eux

une importance capitale aussi bien pour leurs approvisionnements en matières premières

et en machines-outils que pour leurs exportations en Méditerranée. La compétitivité du

secteur sur les marchés locaux et surtout étrangers dépend de la capacité des

entrepreneurs à composer avec cette difficulté majeure.

Un problème insoluble : la politique douanière de l’État

45 La politique douanière de la Restauration a essentiellement pour objet d’annuler la

concurrence anglaise qui effraie, non sans raison, les industriels français. Par les lois de

1816, 1820, et 1822, l’État a fixé les cadres de la protection des industries nationales. La

sidérurgie est un des secteurs les plus protégés. À la fin des années 1820, les fontes et les

fers étrangers entrant en France sont très lourdement taxés, souvent à plus de 100 % de

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leur valeur105. Certaines importations, comme celles des tubes en fer, sont purement

prohibées106. Tout est fait pour protéger la sidérurgie française alors même qu’elle souffre

d’une double incapacité. Elle ne peut soutenir la concurrence des prix face aux

producteurs anglais favorisés par le faible coût des matières premières et ne produit

qu’une fonte de mauvaise qualité, inutilisable par les fonderies françaises107.

46 La pression exercée par les grands propriétaires terriens et les industriels ne se relâche

pas après la Révolution de 1830. Le nouveau régime doit maintenir les cadres de la

politique douanière fixée sous la Restauration. Toutefois, le gouvernement de Louis-

Philippe, poussé par le parti du Mouvement, affiche rapidement la volonté d’assouplir le

système des tarifs douaniers. En 1832, le comte d’Argout, alors ministre du Commerce,

déclare qu’il veut dégager du régime de protection « tout ce qui est inutile, vexatoire ou

exorbitant108 ». Les modifications ne s’effectuent cependant que sur des points de détail.

En 1842, face au grand développement des lignes de chemins de fer, on songe à un traité

de libre-échange bilatéral avec la Belgique. L’initiative a été prise par les dirigeants de

compagnies ferroviaires qui essaient de trouver un remède à la faiblesse de la production

sidérurgique française. Soutenues en grande partie par le ministère du Commerce, les

discussions s’engagent et sont même sur le point d’aboutir. L’affaire échoue finalement

sous la pression des sidérurgistes français. Depuis 1839-1840, les maîtres de forges se sont

rassemblés dans un puissant syndicat de défense, le Comité des intérêts métallurgiques,

destiné à bloquer les possibles réformes109. Chaque tentative de modification de la

politique douanière est vouée à l’échec.

47 Les hommes du gouvernement sont conscients de l’importance des industries de

mécanique et de fonderie de deuxième fusion. Il s’agit d’un secteur essentiel pour la

modernisation et l’autonomie technologique de l’ensemble industriel français. Les

différents ministres tentent à plusieurs reprises de modifier les tarifs des droits d’entrées

des fers et des fontes. Ils se heurtent toujours au puissant groupe de pression des maîtres

de forges. Seules deux séries de lois votées en juillet 1836 sur l’initiative du ministre du

Commerce Hippolyte Passy, un libéral convaincu, parviennent à être arrachées110. La

situation s’en trouve très légèrement améliorée. Le poids minimum de chaque masse

autorisé à l’entrée passe de 400 à 25 kilos. Cette décision permet ainsi d’éviter aux

fondeurs le surplus de travail causé par la mise en fusion d’une quantité de fonte souvent

supérieure à celle réellement nécessaire à la majorité des opérations. Les droits sont

abaissés. Malgré ces nouvelles lois, les tarifs protecteurs restent de 70 % pour les fontes et

de 110 % pour les fers fabriqués au charbon. Sous la monarchie de Juillet, tout comme

leurs homologues de la région parisienne ou du nord de la France, les fondeurs et

mécaniciens marseillais doivent donc subir la loi des maîtres de forges français, souvent

incapables de répondre à leurs besoins.

48 La politique économique française diverge des intérêts du secteur métallurgique

marseillais. L’État français verrouille son territoire alors que les fondeurs et les

mécaniciens phocéens considèrent globalement ces frontières comme une gêne

insupportable et souhaitent leur élimination afin de pouvoir travailler des fontes d’une

qualité suffisante. Au problème de qualité s’ajoute celui du prix des fontes. Si les fondeurs

marseillais peuvent préserver leurs marchés locaux sans difficulté, la situation est

totalement différente dans le cadre d’une lutte avec les Britanniques et les Belges pour

l’obtention de marchés en Méditerranée. Les sommes acquittées pour utiliser les produits

anglais augmentent les prix de vente des machines et pièces de métaux ouvrés dans des

proportions considérables.

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49 Ce problème du coût des matières premières et d’une protection équitable accordée aux

secteurs de la sidérurgie, de la métallurgie de deuxième fusion et de la construction

mécanique est omniprésent dans les discours des milieux industriels des pays nord-

méditerranéens. Le problème se pose de manière encore plus aiguë pour ces régions.

Depuis 1830, la France est parvenue à se doter d’un tissu d’industries nombreuses,

variées, approvisionnées en machines et produits métallurgiques par les usines de la

nation. Les gouvernements espagnols, italiens ou grecs ont, eux, la charge de faciliter un

processus d’industrialisation encore à ses débuts. Les entrepreneurs de tous les secteurs

souhaitent pouvoir s’approvisionner en biens d’équipement peu onéreux. Comment

favoriser une industrialisation à moindre coût en soutenant la création et le

développement d’une métallurgie et d’une industrie mécanique peu compétitives face

aux entreprises étrangères ? Le problème semble insoluble. Cette impasse explique en

grande partie les difficultés de certaines régions nord-méditerranéennes à maintenir ou à

développer certains types de production de machines ou de produits métallurgiques. Lors

des phases initiales d’industrialisation, ce problème a été géré de manières différentes par

les divers États sud-européens. La seule constante a été le choix d’une modernisation de

l’appareil productif au coût le moins élevé. Que ce soit en Grèce, en Italie ou en Espagne,

les droits d’entrée sur les machines ont longtemps été nuls ou très bas111. La question des

fers et des fontes a donné lieu, en revanche, à l’établissement de politiques radicalement

différentes.

50 À Milan, au cours des années 1830-1840, on a pris la décision de sacrifier la sidérurgie des

provinces de Brescia, Bergame et Côme, trop archaïque et trop coûteuse. Le royaume de

Piémont-Sardaigne s’est engagé au même moment dans la même voie. Les hauts

fourneaux piémontais souffrent de deux problèmes majeurs : la cherté du combustible et

l’éloignement de la mer. Le prix des transports, des combustibles importés de la côte vers

Turin et sa région, ou des minerais des vallées alpines vers le littoral, alourdit

considérablement les frais de fonctionnement d’entreprises déjà peu concurrentielles. Le

protectionnisme établi sous la Restauration en faveur de la sidérurgie nationale vole en

éclats avec la convention de libre-échange signée entre le gouvernement sarde et la

Grande-Bretagne en 1841112. Les tarifs douaniers pesant sur les minerais de fer, les

produits métallurgiques semi-finis ou finis sont diminués en moyenne de 50 % entre 1830

et 1851113. Les gouvernements des États italiens respectent donc un certain équilibre. Si

les marchés nationaux sont ouverts à la concurrence étrangère, les mécaniciens et

fondeurs sardes et lombards trouvent une compensation partielle en pouvant

s’approvisionner en métaux importés faiblement taxés.

51 De son côté, l’Espagne a choisi de taxer lourdement les fers étrangers entrant sur son sol.

Une solution pour le moins contradictoire puisque, parallèlement, le gouvernement laisse

entrer les machines étrangères au moyen d’une politique douanière permissive surtout

depuis la promulgation des lois d’août 1842 par la Direction générale des douanes114. Les

forges sont soutenues alors que l’industrie de la construction mécanique, le principal

débouché, doit s’effacer devant la concurrence étrangère115. En Catalogne, les voix

s’élèvent :

« La France[…] peut produire les défenses contre les industries analogues des autrespays, au moyen de prohibitions sévères et de hauts droits sur les importations et deprimes accordés aux exportateurs. Les fonderies et les ateliers de constructionsmécaniques espagnols ont besoin de 80 % de capital en plus par rapport aux Anglaiset souffrent d’une charge de 200 % sur le fer forgé, de 80 % sur le coulé et de 4 à500 % sur le charbon116. »

147

Page 150: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

52 La situation ne se débloque pas dans les années 1850 et s’ancre ainsi dans la longue durée.

L’abaissement des droits d’entrée sur les fers de 1862 a été peu important et n’a pas donc

pas entraîné de modifications. Les mécaniciens catalans continuent de dénoncer l’absence

d’équité du système douanier qui permet notamment aux sociétés de chemins de fer

d’acheter leur matériel presque exclusivement à l’étranger117. Les tarifs appliqués aux fers

importés causent la ruine des entreprises de mécanique sans pour autant développer une

industrie nationale du fer compétitive118. À Marseille, les propos sont similaires dans les

années 1830-1840. Même si l’industrie métallurgique et mécanique, contrairement à celle

de Barcelone, a pu compter sur la politique douanière de l’État pour préserver son

marché local, les entrepreneurs et les penseurs économiques de la ville s’efforcent de

montrer les contradictions d’une gestion trop politique des frontières économiques.

Les réactions marseillaises

53 La politique douanière de l’État français est jugée avec dureté à Marseille. La réussite de

l’industrie mécanique et de la métallurgie de deuxième fusion, est le signe évident de la

modernité industrielle et technologique du pays et peut permettre à la nation de se placer

à la hauteur de sa voisine britannique. Chez les entrepreneurs marseillais, les premières

traces de mécontentement apparaissent dans la seconde moitié des années 1830. Dans

une lettre adressée aux conseils de l’agriculture, des manufactures et du commerce en

1837, Louis Benet s’insurge contre l’action d’une administration qui « paralyse notre

bonne volonté119 ». Pour l’entrepreneur de La Ciotat le problème se pose en ces termes :

« Malgré les droits élevés, l’industrie française et surtout celle du littoral, trouventavantage à tirer de l’étranger les fontes et les fers qu’elles emploient. Laconséquence naturelle de cet état de choses est que la réexportation des piècesfabriquées est impossible à cause de la concurrence que font à nos produits lesAnglais qui obtiennent chez eux ces matières premières au tiers de ce qu’ellescoûtent en France120. »

54 Philip Taylor tient, lui, à mettre en garde l’État contre ses agissements. Pour le

Britannique, le prix des fontes est la principale cause de la perte des plus beaux fleurons

de l’industrie française121. La faillite du plus célèbre atelier de mécanique, celui de

Chaillot, à Paris, doit faire réfléchir le gouvernement sur les effets néfastes de sa politique

douanière. L’établissement parisien a été victime du prix élevé des matières premières

françaises qu’il utilisait122.

55 La question de l’importation des fontes britanniques anime les débats et tient une place

importante dans les discours économiques marseillais des années 1840. Après les affaires

des droits d’entrée sur les blés et parallèlement au combat pour les sucres, les métaux

constituent un nouveau combat pour les personnalités locales. Pour Jules Julliany, la

baisse des droits d’importation frappant les fers et les fontes étrangers est une nécessité

évidente. Le Provençal comprend les motivations et les intérêts des sidérurgistes français.

Il réclame simplement une répartition plus juste des avantages accordés aux divers

secteurs industriels français123. Louis Reybaud s’en prend plus directement à l’État et

dénonce son incapacité à comprendre qu’il favorise, par le soutien qu’il apporte aux

maîtres de forges français, la médiocrité dans le processus de modernisation de

l’industrie de la construction mécanique124.

56 À partir de 1840, les partisans du libre-échange s’affirment avec de plus en plus de

vigueur à Marseille. Ils décident de se structurer. après Bordeaux, l’Association

148

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marseillaise du libre-échange, est créée en 1846125. L’année suivante, Frédéric Bastiat,

chantre du libéralisme tel que le défend l’école de Manchester en Angleterre, vient à

Marseille pour faire un discours. Le public l’ovationne. La ville de Marseille se présente

donc aux avant-postes du combat en faveur du libre-échange mais, si les idées libérales

sont répandues à Marseille, ce sont avant tout des idées d’intellectuels. Dans les milieux

industriels, la situation est bien plus contrastée. Le Britannique Philip Taylor peut certes

être rangé parmi les adeptes du libéralisme en matière économique. Dans ses écrits, on ne

trouve aucune demande ni même une seule allusion à une quelconque protection contre

les constructeurs étrangers. Il est même, signe évident de son attachement à cette

doctrine, vice-président du banquet offert par les milieux économiques sardes en

l’honneur de Richard Cobden126. Dans le monde de la métallurgie marseillaise, Philip

Taylor fait figure d’exception. Il est bien le seul à afficher une telle conviction. Tous les

autres fondeurs et mécaniciens marseillais demandent la liberté de pouvoir travailler des

fontes et des fers étrangers, mais ils sont également les premiers à demander le maintien

d’une politique protectionniste dans le domaine des importations de machines

britanniques. La dureté des réalités économiques les empêche d’être des partisans du

libre-échange. Cette conception des échanges prônée par les Britanniques n’est qu’un

élément d’une politique économique leur permettant d’ouvrir les marchés étrangers à

leurs productions. Les fondeurs et mécaniciens marseillais suivent le même pragmatisme.

Comment pourraient-ils accepter la redoutable concurrence anglaise alors que l’État peut

leur accorder une protection efficace ?

57 Dans une lettre adressée au ministre du Commerce en 1837, Louis Benet souhaite le

maintien des tarifs protecteurs pour les machines marines de plus de 160 chevaux que le

gouvernement songe à réviser127. Il reconnaît les vertus du protectionnisme : « Il est

admis en principe que la protection doit accompagner une industrie jusqu’à ce qu’elle ait

assez grandi et soit devenue assez forte pour lutter avec la concurrence étrangère. Il nous

est démontré que sans la protection du droit de 33 %, nos produits ne peuvent affronter la

concurrence de ceux des ateliers anglais. » Louis Benet fait alors la démonstration de

l’importance du système protecteur français. Pour un constructeur français, le coût total

des fontes et des fers employés à la construction d’une machine marine de 160 chevaux

est de 99 225 francs. Les grands ateliers britanniques affectent à l’achat des matières

premières 42 875 francs, soit moins de la moitié. Seuls les droits de douanes payés à

l’importation permettent de rétablir quelque peu la situation sur les marchés étrangers

qui reste, selon l’entrepreneur de La Ciotat, toujours favorable aux Anglais. Les droits

s’élèvent à 46 200 francs. Il reste donc toujours un avantage de 10 150 francs aux

constructeurs d’outre-Manche.

Les actions des entrepreneurs marseillais

58 Face aux problèmes liés à la politique protectionniste de l’État, les métallurgistes

marseillais ne réagissent pas avant le milieu des années 1830. La première explication est

relativement simple. Au début du règne de Louis-Philippe, ils étaient trop peu nombreux

pour constituer un groupe de pression dont la voix serait entendue. La seconde raison est

que cette industrie ne travaille à ses débuts que pour les entreprises locales et ne se sent

donc que peu concernée par des problèmes de compétitivité sur les marchés extérieurs.

C’est donc seulement à partir de 1835 que les actions pour lutter contre les tarifs

douaniers se développent. Elles sont de quatre types. La première solution est la création

d’entreprises. Si globalement, la politique protectionniste de l’État a été une gêne pour la

149

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métallurgie marseillaise, elle a entraîné toutefois certains aspects positifs. Pour ne plus

être entièrement dépendants, les entrepreneurs marseillais ont créé de nouvelles

fabrications. À la fin des années 1830, une seule société française fabrique du fer

galvanisé. Il s’agit de la société Sorel, à Paris128. Sans concurrence, le secteur étant neuf en

France, cette entreprise pratique des prix prohibitifs. En 1839, Barthelemy Granier et

Alfred Dussard fondent à Marseille une entreprise qui se lance dans le même type de

fabrication129. À partir de 1842-1843, la production des fers par le procédé du puddlage

apparaît dans les ateliers de Cabanis et Salles et ceux du britannique John Riddings. Les

créations sont peu nombreuses et ne prennent pas encore l’étendue désirée. Elles

démontrent toutefois le souci marseillais d’accéder à une certaine autonomie dans les

approvisionnements en éliminant des dépendances qui aggravent les prix de revient des

productions.

59 Le second type de réaction est original. Puisque le passage de la frontière pose des

difficultés, celle-ci va être contournée. Les machines marseillaises vendues à l’étranger ne

sont pas construites en Provence, mais à l’étranger. Même s’il fait figure d’exception – un

seul entrepreneur marseillais s’est livré à cette pratique –, le cas est particulièrement

intéressant. Philip Taylor utilise son réseau britannique pour court-circuiter les

problèmes des tarifs douaniers. L’ingénieur anglais dessine les plans des appareils en

Provence puis les envoie en Grande-Bretagne où ils sont exécutés en pièces détachées. Ces

pièces sont ensuite acheminées directement par bateaux d’Angleterre sur les lieux de

vente – il s’agit le plus souvent de clients italiens – où les ouvriers qualifiés de l’entreprise

marseillaise sont dépêchés afin de les assembler130. Ce système n’est qu’un palliatif et ne

peut en fait durer pour deux raisons. Philip Taylor se fait débaucher les ouvriers qualifiés

qu’il envoie dans les pays étrangers pour monter les appareils à vapeur131. La formation

d’ouvriers compétents est longue et coûteuse. Le préjudice subi est donc important. Le

second problème est d’ordre social. Paternaliste, ayant bonne réputation auprès de ses

ouvriers, Philip Taylor ne désire pas licencier une grande partie de ses employés132.

60 Le troisième type de réaction s’exerce au niveau de la technologie. Pour le choix des

caractéristiques techniques des machines qu’ils construisent, les mécaniciens

britanniques et français sont fortement tributaires des matières premières. « Les moteurs

changent selon la nationalité des constructeurs : les Anglais font des machines fixes très

lourdes, demandant un poids énorme de métal et beaucoup de maçonnerie… les Français

cherchent des modèles à forme légère et à faible volume133. » Les constructeurs français

cherchent à économiser la masse des métaux employés dans la fabrication des appareils à

vapeur. L’industrie marseillaise s’insère ici totalement dans le mouvement général de

l’Hexagone. Les actions menées par les entrepreneurs provençaux ont donc un but

prioritaire dès la fin des années 1830 : réduire le poids des machines afin d’alléger les

coûts de production et de pouvoir ainsi rivaliser avec les produits britanniques. Avec le

temps, cette politique va prendre une importance croissante, essentiellement dans le

domaine de la construction de machines marines. L’économie des fontes et des fers

employés à la construction des machines détermine à Marseille les types de

constructions. Dans le secteur industriel, les machines à haute pression, sans condenseur

et sans balancier dominent. Le point le plus intéressant est celui de la mécanique marine.

La croissance de la fabrication d’appareils pour la navigation à vapeur s’explique par le

fait « que le poids des machines augmente avec le nombre de chevaux mais à un taux

décroissant au-delà d’un certain seuil, compris entre 30 et 80 chevaux134 ». Dans les coûts

de production, la construction de machines de grande puissance fait diminuer la valeur

150

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des matières premières au profit de la valeur-travail135. Le premier appareil fabriqué par

John Barnes et Louis Benet à La Ciotat, celui du Phocéen II, pèse pratiquement le même

poids que celui fabriqué par Miller & Ravenhill pour le Phocéen alors que sa puissance est

supérieure de 20 chevaux. L’atelier de La Ciotat produit déjà des machines plus légères

que ses concurrents britanniques. Au début des années 1840, une machine Fawcett

(Liverpool) d’une puissance de 120 chevaux pèse 103 695 kilos, soit plus de 864 kilos par

cheval136. En cinq années seulement (1841-1846), les ateliers de construction de Louis

Benet ont fait des progrès considérables. Par rapport au premier type de fabrication

réalisé en 1841, l’appareil moteur de la nouvelle génération de navires fabriquée à partir

de 1846 voit son poids réduit de près de 15 % alors que la puissance totale des machines

est augmentée. Il fallait 828 kilos de métaux par cheval dans la construction d’une

machine marine en 1841. Le chiffre tombe à 549 en 1846. Dans le domaine de la

construction des chaudières, le mouvement est encore plus spectaculaire, avec l’adoption

des chaudières tubulaires. Le poids des chaudières est diminué de 25 %. Le prix de revient

d’un cheval est passé de 1428 francs en 1841 à 969 en 184 5137. L’industrie marseillaise peut

donc rivaliser plus facilement avec l’industrie britannique sur les marchés

méditerranéens. Cette possibilité de réduire l’importance des matières premières dans le

secteur de la mécanique marine va être déterminante pour l’avenir de l’ensemble du

secteur métallurgique. Elle stimule constamment l’innovation et invite à la spécialisation

sur un créneau particulier.

61 La dernière action a été très largement utilisée sous la monarchie de Juillet. Les

entrepreneurs marseillais ont constamment fait appel à l’État pour lui demander une

aide. Il ne s’agit pas de demander la liberté totale d’importer les produits métallurgiques

anglais sans acquitter des droits de douanes. Les gouvernements successifs de la

monarchie de Juillet subissent bien trop de pression des maîtres de forges pour accorder

cette facilité aux fondeurs et mécaniciens marseillais et français. La revendication

s’exerce sur les exportations. Il faut au moins débloquer la situation afin de rendre les

entrepreneurs compétitifs sur les marchés internationaux. Trois types de demandes sont

formulées : le système des admissions temporaires138, celui des drawbacks139 et

l’attribution de primes à l’exportation140. Pour les métallurgistes marseillais, ces

demandes sont d’autant plus justifiées qu’elles n’enlèvent aucun marché aux autres

secteurs industriels français :

« La production nationale n’en éprouverait aucun dommage. Pour une fouled’objets, les fers et les tôles de France ne peuvent être employés. Il faut, de toutenécessité, recourir à la production étrangère. Alors qu’arrive-t-il ? Ou nosmécaniciens emploient des produits de l’étranger en acquittant des droits trèsélevés, et alors ils ne peuvent confectionner leurs machines aux mêmes prix que lesAnglais, ou bien ils font venir de l’Angleterre les objets tout confectionnés, et lepays est appauvri d’une somme considérable qui aurait été dépensée en main-d’œuvre si l’on avait permis l’emploi des matières premières que la France ne peutfournir dans des qualités et des prix convenables. Les maîtres de forges eux-mêmesperdent tous les débouchés que procurait, aux produits qu’ils peuvent fournir,l’activité de nos ateliers141. »

62 Pour tenter de faire aboutir ces demandes, les constructeurs et les fondeurs marseillais

s’appuient sur toutes les forces économiques et politiques de la ville. La préfecture des

Bouches-du-Rhône, la mairie de Marseille et la chambre de commerce n’ont jamais

ménagé leurs efforts pour soutenir le secteur métallurgique de la ville. Cette dernière se

montre particulièrement active. Les demandes de soutien pour les entrepreneurs de la

ville se multiplient au cours des années 1830-1840142.

151

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Les premiers assouplissements

63 Sous la monarchie de Juillet, les modifications de la politique douanière de l’État français

sont peu nombreuses. Elles touchent essentiellement deux secteurs : les industries

travaillant à l’équipement des lignes de chemins de fer et de la navigation à vapeur. Pour

la construction des locomotives, la législation devient protectionniste au cours des

années 1840. Les entreprises françaises prennent ainsi possession des marchés. Ces

mesures douanières ne changent guère la situation des marchés pour les chantiers de La

Ciotat. L’étroitesse des relations que Louis Benet entretient avec les compagnies

ferroviaires du sud-est de la France a permis l’établissement de contrats originaux qui

sortent l’entreprise du libre jeu de la concurrence. L’amélioration du système douanier a

des répercussions beaucoup plus importantes dans le secteur de la mécanique marine.

L’adoption de ce changement par la chambre des députés a été facilitée par les enjeux

maritimes et politiques de la question. Soutenir les fondeurs et les mécaniciens

travaillant dans les domaines de la construction navale et des machines pour la

navigation favorise l’autonomie de la France dans le secteur clé de la marine de guerre et

raffermit la présence de la flotte commerciale française en Méditerranée. L’évolution est

hésitante et contradictoire à ses débuts. Elle s’opère pleinement au cours de la première

moitié des années 1840.

64 En mai 1839, un premier pas important est fait. Les droits d’entrée des fontes étrangères

employées à la fabrication des machines à vapeur sont restitués aux constructeurs si

l’appareil, d’une force de 100 chevaux ou plus, est placé à bord d’un navire destiné à la

navigation internationale. L’avantage est annulé l’année suivante. En 1840, la chambre

des députés admet en franchise les machines étrangères de plus de 100 chevaux143.

L’Union des constructeurs de machines, formée en mai de la même année pour lutter

contre cette décision, « entame une campagne auprès des commissions parlementaires et

des services administratifs144 ». Les mécaniciens français obtiennent gain de cause. Un

système de primes compensatoires est mis en place. Lors des adjudications de 1840 pour

équiper les paquebots du service postal en Méditerranée et sur l’Atlantique, les

constructeurs français enlèvent la plupart des marchés (39 appareils sur 53)145. Le

mouvement est lancé et complété quelques années plus tard par une nouvelle loi. En 1843,

« les tôles, les cornières et les autres pièces en fer destinées à être employées à la

construction des bateaux en fer et des chaudières pour les machines à vapeur pourront

être importées en franchise de droits, à charge par les importateurs de réexporter les

objets fabriqués dans un délai de six mois146 ».

65 Ces modifications douanières ne tardent pas à produire leurs effets pour le plus grand

bonheur des deux grands constructeurs marseillais, Louis Benet et Philip Taylor. Le

premier peut se lancer dans la construction de machines marines dans des conditions

particulièrement favorables. Le haut prix de revient de sa première réalisation –

l’appareil du Phocéen II d’une valeur de 200 000 francs – est atténué par l’obtention d’une

prime de 52 000 francs147. En 1845, Louis Benet reçoit 57 600 francs de primes pour la

réalisation des appareils du Philippe-Auguste, près de 49 000 pour ceux de l’Hellespont

l’année suivante (chaque fois le tiers du prix des machines)148. Avec les répercussions des

lois du début des années 1840 et les progrès techniques de ce secteur, le prix de revient

des machines marines construites dans les ateliers provençaux baisse de manière notable

au cours des années 1843-1846 et peut ainsi concurrencer ses rivaux britanniques sur les

152

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marchés étrangers. Les nouvelles lois permettent également le développement de la

construction des navires à coque en fer. Philip Taylor utilise pour la construction de la

coque de son premier vapeur des métaux importés de Grande-Bretagne149. Pour les

chaudières, l’effet est similaire. L’ingénieur britannique emploie, avec la loi de 1843, des

fers et des tôles de fer britanniques (19 768 kilos) pour la réalisation des générateurs du

même navire, le Ville de Marseille.

66 En revanche, aucune modification n’apparaît pour la construction d’appareils à vapeur et

des pièces de métaux destinés à l’industrie. Au début des années 1840, les industriels

marseillais espèrent un moment une amélioration. En 1842, il est question d’étendre à

tous les types de machines destinées à l’exportation la loi qui accorde une prime de 33 %

aux machines marines placées sur les bateaux de navigation internationale150. Le projet

n’est pas voté. Le seul changement portant sur ce secteur concerne, en 1841, les fers

laminés importés en France pour être galvanisés puis réexportés à l’étranger151.

L’industrie marseillaise n’est pas concernée. L’entreprise de Granier et Dussard n’a ses

marchés qu’en France, en Franche-Comté. Les fondeurs et mécaniciens marseillais ne

pourront donc compter sur une quelconque aide de l’État dans le secteur de construction

des appareils à vapeur fixes et des presses hydrauliques. La lutte avec les Britanniques sur

les marchés étrangers devient impossible.

***

67 L’industrie métallurgique marseillaise fonctionne sur trois espaces. L’essentiel des

débouchés se trouve sur place. Le bassin méditerranéen doit assurer le complément des

ventes, proposer des possibilités d’expansion et permettre un approvisionnement en non-

ferreux. La Grande-Bretagne est le point essentiel des achats de matières premières et de

machines-outils. Pour tirer pleinement profit de ce fonctionnement sur ces trois zones,

Marseille ne manque pas d’atouts. Son marché local est protégé de l’étranger par la

législation douanière et des autres ateliers français par le prix élevé des transports

terrestres. La présence de la mer offre une garantie de transports peu coûteux à

l’importation comme à l’exportation. Malgré ces avantages, les problèmes sont énormes.

Si le prix de la main-d’œuvre est identique à Marseille et en Grande-Bretagne152, le prix

des matières premières est, en revanche, beaucoup plus élevé en Provence. Les fontes

françaises sont chères. Les anglaises le deviennent par les taxes qui les frappent quand

elles entrent en France. L’absence de spécialisation des ateliers engendre en outre des

frais d’organisation et de fonctionnement importants. Ce problème des fers et des fontes

devient de plus en plus aigu au cours des années 1840, au moment où la lutte pour la

conquête des marchés s’intensifie en Méditerranée. Les constructeurs anglais, touchés

par une crise depuis 1842, abaissent leurs prix de manière considérable153. La nécessité de

travailler des métaux bruts importés n’est pas une contrainte exclusivement marseillaise.

Avec des coûts de production trop importants, la sidérurgie sud-européenne ne peut

fournir des matières premières bon marché aux fonderies et aux ateliers de mécanique

italiens ou espagnols. La Grèce est enfermée dans une situation extrême. Le pays étant

dépourvu de hauts fourneaux, les fonderies doivent impérativement travailler des fontes

étrangères. L’industrie métallurgique marseillaise est avant tout née des besoins locaux,

mais le problème des débouchés extérieures se pose rapidement. L’obtention de marchés

étrangers d’approvisionnements ou de ventes devient une nécessité de survie pour les

entrepreneurs marseillais dès le début des années 1840. Se pose alors le problème des

153

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tarifs douaniers. Par la gestion des frontières dans les domaines économiques, l’État

détient en partie les clés de la réussite ou de l’échec d’un secteur qui a misé sur la

diversité de ses espaces de fonctionnement.

68 La politique douanière française détermine donc dans une large mesure les choix de

production des entrepreneurs marseillais ainsi que la répartition géographique de leurs

débouchés. Pour les biens de production industriels, l’industrie marseillaise de la

construction mécanique doit se contenter du marché local sans pouvoir espérer accroître

ses exportations – qui étaient pourtant prometteuses – vers les pays étrangers. Dans les

domaines de la construction navale et de machines marines, en revanche, tous les espoirs

sont permis. Les mesures prises par les gouvernements constituent une incitation de

premier ordre pour les entreprises de ce secteur. La mécanique marine s’annonce déjà

comme la grande branche de la métallurgie marseillaise de transformation.

NOTES

1. Ordonnance du 3 septembre 1844 et loi du 9 juin 1845 (cf. LEVY-LEBOYER M., Les Banques

européennes…, op. cit., p. 397).

2. « Nombre des machines à vapeur utilisées en France », RTSSM, t. VIII, 1843, p. 133.

3. AN F 14 4233.

4. ECM, t. III, p. 384 et « Falguière… », art. cit., p. 487.

5. On sait, par exemple, que Chambovet et Demange vendent des machines à des huileries de la

région (ADBdR 533 U 317). Depuis 1836 au moins, Philip Taylor « livre(nt) à la ville… des machines

de force moyenne pour les diverses branches de l’industrie » (cf. AMT 2 A 3/48).

6. ACM 22 F 5.

7. Ibid.

8. L’approvisionnement en coke de Saint-Etienne à six francs le quintal rendait les travaux de

moulage de pièces de fonte trop coûteux ; cf. VILLENEUVE H. (DE), « Rapport… », art. cit., p. 287.

9. ADBdR 533 U 317.

10. Une quantité relativement importante de pièces de métaux est directement fabriquée dans

les ateliers de mécanique et échappe ainsi aux enquêtes des ingénieurs des Mines.

11. SIM, 1833-1846. Cf. annexe 3.

12. ADBdR XIV M 6/2.

13. SF, p. 50-52.

14. SIM, 1835.

15. ADBdR XIV M 6/2.

16. MLV, 1836-1846 et ADBdR, P 6 bis.

17. LABARRE P., « Les premiers vapeurs inscrits au port de Marseille (1831-1848) », Marseille, 1938,

document dactylographié, p. 72.

18. Association Sillages, i : Les Pionniers, op. cit., p. 144.

19. PAYEN J., « La technologie de l’énergie vapeur… », op. cit., t. II, p. 168.

20. AFB, Registre des copies de lettres envoyées par Schneider & cie, 13 juillet 1837.

21. DUBREUIL J.-P., « Les transformations de la marine française… », op. cit., p. 454.

22. Ibid., p. 454.

154

Page 157: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

23. AMT 2 A 3/103.

24. DUBREUIL J.-P., « Les transformations de la marine… », op. cit., p. 455-456.

25. Ibid., p. 656-660.

26. AMT 1 G 4131 et 1 G 1 27.

27. Les locomotives étaient auparavant rangées dans le groupe des machines à vapeur et

devaient acquitter un droit de 30 % ad valorem. En mars 1837, elles sont déclassées. Le droit

d’entrée est porté à 15 % (ACCM MR 1461). L’Union des constructeurs, fondée en 1840, doit lutter

quatre ans pour obtenir l’abrogation de cette loi (cf. PAYEN J., La Machine locomotive…, op. cit., p.

132).

28. Cf., par exemple, les équipements de la ligne Montpellier-Sète. (LEVY-LEBOYER M., Les Banques

européennes…, op. cit., p. 383.)

29. SM, 25 septembre 1838.

30. AFB, Registre des copies de lettres Schneider & cie, Lettre à Louis Benet, 25 juillet 1838.

31. ADBdR 364 E 615.

32. MASSE E. M., Mémoire historique et statistique sur La Ciotat, Marseille, 1842, p. 206.

33. AN 77 AQ 44 et SM, 1-2 mai 1844.

34. SIM, 1843-1844 ; Le Moniteur industriel, 5 novembre 1843 ; Comptes rendus des travaux du Comité

des constructeurs de machines (été 1843-été 1845), Paris, 1845 et CALLA F., « Rapport fait par M.

Calla… », art. cit., p. 479. Les données pour l’année 1841 ne sont peut-être pas fiables. Il faut se

rappeler que Calla prend Louis Benet pour un Britannique.

35. AN 77 AQ 44.

36. Société des chemins de fer de Marseille à Avignon, Assemblée générale du 28 avril 1845 ; Rapport

du conseil d’administration ; Rapport de l’ingénieur en chef, Marseille, 1845, p. 16.

37. SM, 16 janvier 1847.

38. « On travaille simultanément à la confection de 20 locomobiles » (MIN, t. II, p. 375).

39. SIM, 1844-1846. La compagnie ne semble pas avoir traité avec d’autres constructeurs avant fin

1846, date de l’arrivée des machines construites par Koechlin (cf. EMP, M 1851 (482).

40. ACCM, Délibérations de la CCM ; Registre 35, 1836, f° 193-195.

41. Ibid., Registre 36, f° 159-160.

42. ECM, t. III, p. 382.

43. ACCM MP 3611.

44. Cf. annexe 1.

45. MIN, t. II, p. 375. Les ateliers ont été montés pour une fabrication annuelle de 800 chevaux de

machines marines (appareils pour environ quatre navires) (BAUDE J.-J., « Les côtes de Provence »,

RDDM, 1847, p. 821).

46. Ibid., p. 385.

47. ACM 22 F 5.

48. GUIRAL P., « Le cas d’un grand port de commerce : Marseille », dans Bibliothèque de la révolution

de 1848. Etudes sous la direction d’E. Labrousse. Aspects de la crise et de la dépression de l’économie

française au milieu du XIXe siécle, La Roche-sur-Yon, 1956, p. 204.

49. Le Moniteur industriel, 5 novembre 1843 et Comptes rendus des travaux du Comité des constructeurs

de machines (été 1843-été 1845), Paris, 1845, adjudication du 20 octobre 1843.

50. Le Moniteur industriel, 5 novembre 1843.

51. Cf., par exemple, les exportations de Falguière et des frères Puy (ACM 22 F 5).

52. ACCM MP 3610.

53. AN F 12 2554.

54. GILLE B., Histoire de la maison Rothschild, op. cit., t. I, p. 384.

55. ACCM MP 3611.

56. AMT 2 A 3/48.

155

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57. Ibid., t. III, p. 387. Le total des exportations est de 380 tonnes.

58. Le Phocéen (cf. MLV, 21 août 1836).

59. ECM, t. III, p. 384.

60. Ibid, p. 383.

61. ACM 22 F 5.

62. ECM, t. III, p. 383 et 385.

63. Cf. FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 291.

64. ACM 22 F 5.

65. ECM, t. III, p. 383.

66. CAIZZI B., L’economia lombarda…, op. cit., p. 164.

67. Cf. infra.

68. La firme Boulton & Watt a vendu notamment 19 navires à vapeur et 42 appareils en

Méditerranée entre 1820 et 1839, 22 et 43 entre 1840 et 1853 (cf. LEVY-LEBOYER M., Les Banques

européennes…, op. cit., p. 381).

69. MARCHESE U., L’industria ligure…, op. cit., p. 15 et 26.

70. Le Miseno et le Palinuro (cf. chapitre VII).

71. MARCHESE U., L’industria ligure…, op. cit.

72. CALLA F., « Rapport fait par M. Calla… », art. cit., p. 479.

73. La chambre reçoit notamment des copies de lettres adressées par les commandants des

stations navales en Méditerranée contenant les informations qui peuvent intéresser les

industriels marseillais (cf., par exemple, la lettre du commandant de la station française des côtes

d’Italie au préfet maritime de Toulon (17 avril 1842) sur l’achat à l’étranger et la demande de

construction en Italie, par le gouvernement pontifical, de quatre remorqueurs à vapeur, ACCM

MQ 55).

74. Outre sa participation aux sociétés de chemins de fer et à l’entreprise de Benet, Luce s’occupe

de commerce des blés entre Marseille et le royaume des Deux-Siciles (cf. PALA C, « Marseille et le

royaume des Deux-Siciles de 1830 à 1848 », DES, université de Provence, 1966, p. 167).

75. ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 103-104.

76. ADBdR 364 E 620.

77. ADBdR 364 E 615.

78. Ces lacunes sont préjudiciables car Philip Taylor exporte beaucoup vers ces deux États.

79. Exportations françaises de machines et de mécaniques : 1838, 3 980 607 francs ; 1839, 3224 ;

1840, 3 974 343 (Le Moniteur universel, 1er juillet 1840).

80. Estimation à partir des données des quatre premiers mois de l’année (Annales commerciales,

1845, t. I, p. 276).

81. MORAÏTINIS P. A., La Grèce…, op. cit., p. 316.

82. Ibid., p. 317 et Reports from Her Majesty’s Consuls on the Manufactures, Commerce of their Consular

Districts, Londres, 1874, part IV, p. 1370.

83. ECM, t. II, p. 150. Pour la richesse minière de la Toscane, cf. HAUPT T., Delle miniere e dellaa lora

industria in Toscana, Florence, 1847 et EMP M 1842 (309).

84. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb dans les Bouches-du-Rhône », BSS1M, 1857, p. 407.

85. ADBdR 548 U 5.

86. Les droits d’entrée sur les minerais ont été abaissés en janvier 1843 (ACCM MP 3411).

87. ECM, t. II, p. 190.

88. « Inglaterra siguió siendo, hasta principios de los años 1860, el primer pro-ductor mundial, pero el saldo

positivo de su comercio exterior de plomo disminuyó netamente a partir de los años 40, dejando espacio

libre, incluso fuera del Mediterráneo, para el plomo español », CHASTAGNARET G., « Marsella… », art. cit.,

p. 25-26.

156

Page 159: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

89. Luis Figueroa a notamment obtenu d’importantes commandes de plomb de l’arsenal de la

Marine à Toulon (ADBdR 364 E 626).

90. JALABERT E., « Marseille et l’Espagne sous la monarchie censitaire », DES, université de

Provence, 1958, p. 183-184.

91. Ibid.

92. AN F 12 2514.

93. L’usine passera, quelques années plus tard, dans les mains d’un autre marseillais, Hilarion

Roux (cf. CHASTAGNARET G., « Le secteur minier… », op. cit., t. II, p. 516 et 755).

94. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 338-339.

95. AN F 14 4489.

96. Les quantités de fontes exportées restent faibles et l’on peut vraisemblablement douter de

leur qualité (cf. CAMPOCASSO P. J., « Histoire de l’usine à fer… », op. cit., annexes).

97. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 338-339.

98. GARELLA N., « Mémoire sur la fabrication de la fonte et du fer en Toscane », ADM, 1839, p. 76.

99. CONSTANT E., Le Département du Var…, op. cit., t. I, p. 324.

100. Ibid.

101. ACCM MP 3611.

102. Enquête pour le traité de commerce avec l’Angleterre, t. II : Industrie métallurgique, Paris, 1860, p.

394-395.

103. 398 230 francs en 1839, 394 561 l’année suivante (ECM, t. II, p. 33-34).

104. DÉMIER F., Nation marché…, op. cit., t. III, p. 2551-2583.

105. AMÉ L., Étude sur les tarifs de douanes et sur les traités de commerce, Paris, 1876, p. 147.

106. Ibid, t. I, p. 277.

107. Cf., par exemple, la Pétition adressée par les fondeurs de Paris à Son Excellence le ministre du

Commerce et des Manufactures, 17 février 1829.

108. « Douanes » dans Larousse P., Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, p. 1144.

109. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 380.

110. ECM, t. III, p. 377 et Viguier P., La Monarchie de Juillet, Paris, 1976, p. 38.

111. Pour la Grèce, cf. les travaux de Christina Agriantoni cités en bibliographie ; pour le

royaume de Piémont-Sardaigne et la Lombardie-Vénétie, cf. GIORDANO F., Industriel del ferro in Italia

, Turin, 1864, p. 9-10 ; pour la Catalogne, cf. FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 302.

112. BULFERETTI L., « Notes pour l’étude de l’acquisition… », op. cit., p. 461.

113. EMP, M 1842 (311) et ABRATE M., L’industria siderurgica…, op. cit., p. 100.

114. DEL CASELLO A., La Maquinista Terrestre y Maritima…, op. cit., p. 40.

115. FIGUEROLA L., Estadistica…, op. cit., p. 302.

116. ILLAS Y VIDAL J., Memoria…, op. cit., p. 70-71.

117. Cf. chapitre IV.

118. Cf. Información sobre el derecho diferencial de bandera y sobre los de aduanas exigibles a los hierros,

el carbon de piedra y los algodones…, Madrid, 1867, t. II, p. 177-179.

119. AN F 12 2554.

120. ACCM MP 3611.

121. Ibid.

122. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…. op. cit., p. 347-348.

123. ECM, t. III, p. 372.

124. SM, 9 mars 1839.

125. Luce en est le président. On retrouve dans cette association les plus grandes personnalités

politiques et économiques de la ville (SM, 15-16 novembre 1846).

126. BULFERETTI L., « Notes pour l’étude… », art. cit., p. 470.

127. AN F 12 2554.

157

Page 160: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

128. SM, 9 octobre 1839.

129. Ibid. et « Médailles industrielles », RTSSM, t. VIII, 1845, p. 549.

130. ACCM MP 3611.

131. Ibid.

132. « …un sentiment d’amour propre nous fait naturellement désirer de pouvoir exécuter nos

commandes à Marseille… », ibid. Pour le paternalisme de Philip Taylor, cf. Raveux O., « Les

ingénieurs anglais… », art. cit., p. 301-320.

133. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 380.

134. Ibid.

135. Deux machines de respectivement 220 et 450 chevaux construites par les Schneider au

Creusot en 1842 reviennent à 1 440 francs/cheval pour la première, 880 pour la seconde (ibid., p.

380).

136. ARMENGAUD Aîné, Publication industrielle des machines…, op. cit., t. II, 1842, p. 222.

137. Le prix des machines du Phocéen est estimé par les douanes à 200 000 francs. Celles du

Philippe-Auguste à 174 363 francs.

138. Les entreprises marseillaises peuvent importer des métaux et minerais libres de droits, à

charge de les réexporter à l’étranger après transformation en machines ou métaux ouvrés.

139. Même système que précédemment, sauf que les entrepreneurs paient les droits dès

réception des matières premières et ne sont remboursés qu’après les réexportations.

140. Les entreprises paient les droits de douanes mais reçoivent une prime à l’exportation s’ils

fournissent un certificat de vente à l’étranger ou, dans le cas de la navigation à vapeur, si la

machine est placée sur un bateau destiné à la navigation internationale.

141. ECM, t. III, p. 373-374.

142. Cf. ACCM MP 3610 et 3611 ; ADBdR 1 M 1092.

143. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 382-383.

144. Ibid.

145. Ibid.

146. ACCM MP 3611, Ordonnance royale du 28 mai 1843.

147. Ibid.

148. ADBdR P 6 bis, 49 A.

149. 50 tonnes de fonte, 21 de fer, 3 400 tonnes de cuivre jaune et 850 tonnes de cuivre rouge (ibid

.).

150. ECM, t. III, p. 373.

151. Compte rendu des travaux du Comité…, op. cit., n° 3, août 1843, p. 87

152. « Ils ne sont pas plus élevés en France qu’à l’étranger » (ACCM MP 3611).

153. LEVY-LEBOYER M., Les Banques européennes…, op. cit., p. 394-395.

158

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Conclusion de la deuxième partie.Marseille, pionnière d’une industrie depointe en méditerranée

1 L’industrie marseillaise de la métallurgie et de la construction mécanique s’est constituée

et s’est développée en une quinzaine d’années seulement. La demande locale était forte.

L’industrialisation de nombreux secteurs de production, nouveaux ou anciens, a été

rapide. La navigation à vapeur, en retard lors de la précédente période, est enfin apparue

et s’affirme dans les années 1840. La demande d’appareils pour les grands travaux

d’infrastructures est venue s’ajouter aux deux précédemment citées. La conjoncture était

favorable à l’installation d’entreprises susceptibles de proposer des machines et divers

produits métallurgiques à l’ensemble de ces secteurs. Le relatif cloisonnement des régions

françaises et la politique douanière protectionniste de l’État français laissaient le champ

libre à des initiatives locales. Les artisans, les contremaîtres et les petits industriels ont su

trouver des capitaux, s’associer à des techniciens britanniques pour fonder des

entreprises, assimiler une technologie moderne complexe. Les ateliers de construction

mécanique se sont implantés et ont pris de l’ampleur. La gamme des productions est

remarquablement étendue. De la machine à vapeur fixe à la locomotive, l’industrie

marseillaise fabrique tous les types d’appareils à vapeur. La métallurgie de deuxième

fusion s’est développée dans des proportions plus modestes. Au début de l’année 1846, on

ne fabrique à Marseille ni fonte, ni tôles, ni tubes en fer. Le travail des métaux et minerais

non-ferreux n’a pas connu de grandes modifications. Le puddlage s’est toutefois implanté

et les mécaniciens locaux peuvent faire confectionner sur place les pièces de métaux qui

leur sont nécessaires.

2 Le tableau général est donc brillant mais les premiers points sombres apparaissent

rapidement. La capacité productive de cet ensemble industriel dépasse la demande locale.

La majeure partie des grandes entreprises et quelques sociétés de moyenne importance

tentent de trouver dans diverses régions nord-méditerranéennes des débouchés

complémentaires. Cette quête est un moment gênée par la politique douanière de l’État

français, qui taxe durement les fers et les fontes importés principalement de Grande-

Bretagne. Les problèmes de coûts des matières premières, cruciaux dans le cadre d’une

lutte avec les entrepreneurs britanniques ou belges, ne sont résolus que partiellement

159

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avec notamment les lois des années 1840 sur les appareils à vapeur et les métaux destinés

à la construction de navires pour la navigation internationale. Avec ces lacunes et cette

nouvelle conjoncture, l’industrie métallurgique et mécanique marseillaise doit affronter

les changements liés à une nouvelle phase de son histoire.

3 Le cas marseillais s’inscrit dans un ensemble plus large. Entre 1830 et 1875, les foyers

d’apparition et de développement d’industries métallurgiques et mécaniques se sont

multipliés sur les rives du sud de l’Europe. Ce processus de création a été

particulièrement rapide. Le royaume de Piémont-Sardaine, celui des Deux-Siciles, le

duché de Lombardie-Vénétie, la Catalogne, l’Andalousie, la ville du Pirée et celle

d’Hermoupolis ont vu, en une vingtaine ou une trentaine d’années selon les cas, se

succéder les fondations d’entreprises. Le mouvement des démarrages s’étale sur

l’ensemble du deuxième tiers du XIXe siècle. Les différences de chronologie sont parfois

importantes. La Catalogne enregistre ses premiers succès dès la seconde moitié des

années 1830 alors que la Grèce doit attendre la fin des années 1860.

4 Marseille est pionnière en Méditerranée. Aucune autre industrie métallurgique et

mécanique des régions sud-européennes n’atteindra de manière aussi forte et aussi

précoce les résultats obtenus par les entrepreneurs phocéens. En Italie, en Espagne ou en

Grèce, les résultats des entreprises n’ont pas toujours été à la mesure des espoirs qui

avaient été placés en elles. De nombreuses entreprises de mécanique, conçues pour la

construction, assurent leur existence au moyen de travaux de réparation. Si les

entrepreneurs et les capitaux sont présents et si la technologie a pu être bien assimilée, le

problème des débouchés a posé d’énormes difficultés. La demande en machines et en

produits métallurgiques est pourtant relativement forte dans ces régions. Les entreprises

n’ont pas pu en bénéficier suffisamment pour s’assurer un développement continu et

soutenu. La politique douanière a constamment gêné la croissance de la métallurgie et de

la construction mécanique. Il était en fait difficile de mettre en adéquation l’offre d’un

secteur national de biens de production encore peu compétitif, au rythme de croissance

relativement lent, avec la demande des autres industries et des compagnies ferroviaires

ou maritimes qui devaient faire face à des impératifs de rapidité et de faibles coûts

d’installation.

160

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Troisième partie. L’apogée(1846-1865)

161

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Chapitre IX. Crise et renouvellements

1 Malgré quelques originalités par rapport aux autres centres industriels français, Marseille

n’échappe pas à la dépression qui s’installe à la fin des années 18401. Le commerce et la

grande majorité des secteurs industriels sont durement touchés. La croissance des années

1831-1846 est arrêtée net. À partir de 1847, une période difficile s’ouvre pour l’économie

marseillaise, et notamment pour les entreprises métallurgiques et mécaniques. Certaines

difficultés sont internes au secteur et la crise n’est que le révélateur de problèmes déjà

anciens. Le cas de l’obstacle douanier pour le bon fonctionnement de la mécanique

industrielle est exemplaire. Toutes les entreprises doivent néanmoins affronter un

problème majeur qui ne s’était jamais posé auparavant : la forte restriction des débouchés

locaux. La crise teste donc la solidité d’un secteur nouvellement installé et peut agir de

plusieurs manières. Elle peut constituer un accident conjoncturel mais aussi induire de

profonds changements. Au-delà de la dépression, il est donc nécessaire de s’intéresser aux

différents aspects du (re)construction en prêtant attention aux nouvelles initiatives

financières et humaines, au renouvellement des générations et à l’affirmation de

l’implantation du secteur dans l’espace urbain. À partir des effets de la crise, Marseille

peut profiter des remises en cause et des opportunités pour assurer l’épanouissement de

cette branche industrielle.

LA CRISE DE 1847-1851 ET SES RÉPERCUSSIONS

2 À partir des années 1847-1848, les entreprises marseillaises du secteur de la métallurgie et

de la construction mécanique rencontrent de grandes difficultés pour trouver des

marchés et conserver leurs effectifs ouvriers. Les conséquences finales de la dépression

diffèrent selon les sociétés mais les stratégies de résistance ont été identiques.

Une crise violente et profonde

3 Durant cette période, tous les entrepreneurs soulignent la forte diminution des contrats

passés avec l’industrie privée. Amédée Armand, par exemple, a perdu les commandes de

ses principaux clients et notamment de l’entreprise Schneider, du Creusot, à laquelle il

vendait des tubes en fer pour chaudières2. Plusieurs entreprises ont été contraintes de

déposer leur bilan : Unsworth (1847) pour les fondeurs, Prosper Azémar (1848), Édouard

162

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Hesse (1848) et Walker & Hume (1850) pour les mécaniciens3. La cohorte des ouvriers mis

au chômage atteint son maximum en 1850. Plusieurs grandes entreprises ont dû procéder

à des licenciements parfois importants (les ateliers de La Ciotat et de Philip Taylor, les

fonderies de Luis Figueroa et des Benet…)4.

4 Les entrepreneurs ont cherché des solutions. Elles sont peu nombreuses. Les hommes

politiques sont sollicités afin d’obtenir des commandes de l’État. L’attitude d’Amédée

Armand, propriétaire de mines mais aussi des forges de La Capelette, qui s’adresse en

mars 1848 à Émile Ollivier, alors commissaire de la République dans le sud de la France,

est un bon exemple de ce type de démarche qui se généralise :

« J’ai fait tous mes efforts jusqu’à ce jour pour continuer à donner du travail à tousmes ouvriers habituels… mais pour ne pas voir arriver le moment où je seraisobligé, faute de travail, d’en réduire le nombre, j’ai besoin, citoyen Commissaire,que, dans les circonstances actuelles, vous ayez la bonté de me faire remettre unelettre de recommandation pressante auprès du préfet maritime de Toulon, en lepriant de vouloir me donner les ordres nécessaires pour que l’administration de laMarine me donne le plus de travail possible pour entretenir mes ouvriers tant duRocher bleu que de La Capelette…5. »

5 Ce type d’actions est parfois couronné de succès. Pour les entrepreneurs, l’important est

de savoir trouver des réseaux susceptibles de leur offrir des contrats avec l’État. Pour

avoir su le faire, la société de Philip Taylor passe la crise sans trop d’encombre. Les

ateliers du Britannique doivent en effet leur survie aux commandes adressées

directement ou indirectement par la marine d’État. À la fin des années 1840, le curage de

la petite rade de Toulon représente pour lui une véritable aubaine. Les sommes engagées

par les pouvoirs publics sont colossales. Les travaux d’approfondissement de la rade sont

évalués à 8 400 000 francs lors de l’adjudication de 18466. Baptistin Auban, président de la

chambre de commerce de Toulon, emporte le marché et crée une société avec les Bazin

afin de mener à bien l’entreprise. La construction des navires nécessaires aux travaux a

été confiée à Philip Taylor, dont le fils fait très vraisemblablement partie de la société

Auban & Bazin. Robert Taylor représente en effet, en 1847, la société chargée des travaux

lors de la convention additionnelle au traité de 1846. Entre 1847 et 1851, les

établissements de Philip Taylor fournissent « tout le matériel de curage de la petite

rade », soit cinq dragues de 30 chevaux, dix bateaux porteurs d’une puissance totale de

650 chevaux, un remorqueur et une gabare7. Les coques ont été fabriquées à La Seyne, les

machines sont sorties des ateliers de Menpenti. Les travaux effectués pour la marine ne se

bornent pas au curage de la petite rade. L’entreprise de Philip Taylor effectue également

d’importantes réparations mécaniques sur les navires de la flotte basée à Toulon. La

majorité des 32 bâtiments sur lesquels l’atelier a effectué des travaux entre 1847 et 1851

sont des unités de la marine de guerre8.

6 Il faut attendre l’année 1851 pour voir s’amorcer la reprise. Les effectifs des entreprises

augmentent. Au cours de l’année, Philip Taylor embauche plus d’une centaine d’ouvriers

à Menpenti et Louis Benet, aux Catalans, 1509. La crise a toutefois laissé des marques. La

métallurgie marseillaise sort profondément modifiée d’une période qui ne doit pas être

regardée comme une simple parenthèse dans la grande phase de croissance des années

1831-1865. Les conséquences de la crise sur le niveau général de la demande ont été

importantes. Certaines sociétés n’ont pu surmonter ce moment particulièrement difficile.

163

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Les difficultés des ateliers de La Ciotat durant la crise

7 Dès 1846, la situation de l’entreprise de Louis Benet est devenue délicate dans le secteur

de la construction de locomotives. La phase d’équipement de la ligne Marseille-Avignon

prend fin et la conquête des dernières commandes s’avère difficile. L’entreprise ciotadine

doit faire face à une concurrence qui s’intensifie entre les constructeurs français. Dans

cette lutte pour la conquête des marchés, trois grandes entreprises françaises sont sorties

gagnantes. Par des économies d’échelle particulièrement importantes, la société des

frères Schneider (Le Creusot), celle de Derosne, Cail & cie (Paris) et surtout

l’établissement d’André Koechlin à Mulhouse10 proposent des prix de plus en plus bas sur

lesquels les petites et moyennes entreprises du secteur ne peuvent s’aligner. Louis Benet,

qui ne pouvait obtenir des marchés hors de la région, se voit détrôné sur son propre

terrain. En mars 1848, 22 locomotives destinées à être mises en service sur la ligne

Marseille-Avignon sont en construction11. Aucune commande n’a été adressée aux ateliers

ciotadins. Deux grands constructeurs français (Derosnes, Cail & cie et André Kœchlin &

cie) ont enlevé plus de la moitié du marché (14 unités). Le reste est confié à la firme de

Stephenson.

8 Quelques commandes ne suffiraient toutefois pas à Louis Benet pour qu’il puisse espérer

maintenir ses activités dans la construction de locomotives, d’autant que les débouchés

potentiels disparaissent. Avec la crise qui touche durement le secteur ferroviaire, la

Compagnie du chemin de fer de Marseille à Avignon se trouve placée dans une position

précaire dès 1848. Les Rothschild ont pris leurs distances. Fin 1847, sollicité pour obtenir

un emprunt, James de Rothschild refuse d’être associé à l’opération12. L’année suivante,

alors que la compagnie est sur le point d’être placée sous séquestre, la maison Rothschild

demande « la restitution de 600 000 francs de rentes prêtées pour opérer son

cautionnement auprès de l’État13 ». Face à de telles difficultés, la compagnie doit se

résoudre à suspendre ses travaux en mars 1848 : « La crise redoutable qui pèse encore

d’une manière si funeste sur notre pays a fait s’évanouir les ressources les mieux

assurées ; force a donc été de suspendre les travaux et d’attendre, pour les reprendre, des

circonstances plus favorables14. » Celles-ci seront longues à venir et rien ne laisse

présager une quelconque amélioration de la situation pour Louis Benet. En matière de

matériel roulant, la Compagnie du chemin de fer de Marseille à Avignon s’engage dans

une politique d’autonomie partielle. La crise pousse à une gestion plus rigoureuse. Les

actionnaires de la société ont décidé de se passer des services des ateliers de La Ciotat.

Pour le remplacement, les réparations de machines défectueuses et la construction de

nouvelles unités, la compagnie établit, en Arles, des ateliers de réparation et de

fabrication chargés de gérer, en partie seulement au départ, le parc des locomotives de la

ligne15. La construction de l’établissement d’Arles est achevée durant le premier semestre

1847. Deux premières locomotives sont construites la même année16. En 1848, cinq

constructions sont programmées17. L’aventure de la fabrication des locomotives prend fin

dans la région marseillaise.

9 Dans le domaine des travaux pour la navigation, qui constituait le gros de l’activité des

ateliers de La Ciotat, la situation se dégrade également, même si le phénomène est un peu

plus tardif. Trois navires, avec leurs machines, ont été construits en 1848. C’est la

dernière année durant laquelle les travaux suffisent à maintenir les effectifs ouvriers. La

situation se modifie dès la seconde moitié de l’année 1848. Les commandes deviennent

164

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rares. Au cours de la période 1849-1850, les chantiers de La Ciotat ne lancent qu’un seul

bâtiment par an18. Les armateurs locaux ont cessé de passer des commandes. La

conjoncture commerciale n’est plus propice à l’agrandissement ou à la modernisation des

flottes. L’entreprise cherche les moyens de sa survie dans des travaux destinés à

l’exportation. En 1850-1851, trois navires sont réalisés dont deux petits vapeurs pour des

États italiens (un bateau-porte en fer pour l’arsenal de Gênes et le San Pio pour les États

romains19). Les travaux restent insuffisants et ce malgré l’aide de l’État, qui adresse à

l’atelier de La Ciotat quelques commandes de machines pour ses paquebots ou pour des

bateaux de guerre20.

La fin de Louis Benet & cie

10 Dès 1848, l’entrepreneur de La Ciotat se retrouve sans ressources. En mai 1848, Louis

Benet, déjà en proie à d’énormes difficultés de trésorerie, a sollicité un crédit commercial

de 475 000 francs auprès de la Banque de Marseille21. Le président du conseil général de la

banque est Joseph Roux, principal actionnaire et directeur de Roux de Fraissinet & cie, un

des hommes qui a participé à la formation de toutes les entreprises de Louis Benet. Outre

des hypothèques sur ses biens personnels et ses sociétés, Benet doit céder, à titre de

garantie, 150 000 francs d’actions de la société fondée avec les cousins Peyruc qui

exploitent deux établissements, un à Marseille, aux Catalans, l’autre à Toulon dans le

quartier du Mourillon22. Le même mois, il doit revendre une de ses plus importantes

créances à la Banque de Marseille23. Ces actions ne suffiront pas.

11 En 1850, Louis Benet obtient un moratoire pour honorer ses dettes mais doit licencier un

grand nombre d’ouvriers. Cette même année, les chantiers de La Ciotat doivent être

provisoirement fermés faute de commandes24. Déjà préoccupante, la situation devient

critique au cours du premier semestre 1851. La crise a eu raison de la Banque de

Marseille, un des principaux supports financiers de Louis Benet & cie. L’institution

bancaire phocéenne est alors transformée en succursale de la Banque de France25. Elle se

montre désormais beaucoup moins compréhensive. Les crédits sont fermés à Louis Benet

qui ne peut plus bénéficier de l’appui de Joseph Roux26. L’entreprise survit tant bien que

mal au cours du premier semestre 1851. La fin est toutefois inéluctable. Louis Benet doit

se résoudre à vendre.

LA RESTRUCTURATION DE LA MÉCANIQUE MARINE

12 La fin de la société Louis Benet & cie préfigure des changements importants dans le milieu

des dirigeants d’entreprises marseillaises. Jusqu’à la crise, les différents secteurs

économiques étaient restés entre les mains d’hommes d’affaires et d’entrepreneurs

locaux. Les apports financiers externes avaient certes été nombreux mais il ne s’agissait

que d’opérations de participation dans la constitution des fonds sociaux. Les Marseillais

gardaient le contrôle de leurs sociétés. Dès la fin des années 1840 et jusqu’à la fin des

années 1850, la situation évolue profondément. Les secteurs de la banque, des ports et de

la navigation passent rapidement entre les mains d’hommes d’affaires et d’industriels

extérieurs à la région27. Dans le secteur de la métallurgie, le premier établissement

d’importance à subir cette évolution est celui des chantiers de La Ciotat. En 1851, les

établissements de Louis Benet deviennent propriété des Messageries nationales. Cessant

d’exister pour elle-même, la société est intégrée dont un groupe dont le siège social est à

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Paris. La gestion des chantiers navals de La Ciotat échappe aux milieux locaux. Cet

exemple d’intégration verticale menée par les Messageries nationales traduit l’insertion

des secteurs de la métallurgie et de la construction mécanique dans un processus en cours

de généralisation.

Naissance et essor des Messageries maritimes

13 En 1851, l’État abandonne son rôle d’entrepreneur dans la navigation. Le déficit de

l’exploitation de ses lignes en Méditerranée l’amène à laisser le service postal vers le

Levant à une compagnie privée. Dès 1850, l’armateur marseillais Albert Rostand, dont la

compagnie de navigation concurrençait avec difficulté les lignes de l’État depuis 1845,

anticipe la décision et décide de saisir l’opportunité. Il se rend à Paris pour trouver des

partenaires financiers et y rencontre Ernest Simons, directeur des Messageries nationales

et a peu de mal à le convaincre des possibilités offertes par l’affaire28. Simons a bien saisi

que le système de transports par diligences est voué à une fin assez proche et fait

comprendre au conseil d’administration des Messageries nationales la rentabilité de

l’opération. Les tractations avec l’État s’engagent dès l’hiver 1851. En janvier 1852, la

Compagnie des messageries maritimes est définitivement fondée29. Divisé en 4 800

actions, le capital est de 24 millions de francs. Les hommes des Messageries nationales,

détenteurs de la moitié des actions, sont majoritaires. Albert Rostand ne possède que 180

actions. L’État apporte une importante aide financière. Une subvention annuelle de

300 000 francs pendant dix années suivie d’une diminution de 100 000 francs par an est

accordée pour faciliter le démarrage de l’entreprise. Afin d’honorer convenablement les

services existants, de les développer et de permettre une adaptation aux changements

techniques qui se multiplient durant cette période, la compagnie ne peut se contenter de

sa flotte de départ. Les navires, surtout les paquebots-poste construits à la fin des années

1830, sont déjà vieillissants. L’acquisition de nouveaux navires répondant aux nouvelles

nécessités commerciales est un impératif. Un programme de construction est décidé. Les

navires et leurs machines seront construits par la compagnie. À cette fin, les hommes des

messageries rachètent les chantiers de La Ciotat en 1851.

Le rachat des chantiers navals de La Ciotat

14 En 1850, les chantiers de Louis Benet, en proie aux difficultés causées par le manque de

commandes, avaient reçu la visite d’Ernest Simons et d’Albert Rostand30. Ces deux

hommes effectuent alors une première approche. L’affaire se précise lors de l’Exposition

universelle de Londres, en juin de l’année suivante. Simons et Rostand rencontrent de

nouveau Louis Benet lors d’une visite des docks de Londres31. L’affaire est conclue durant

l’été 1851. La société des Messageries a racheté les chantiers32. Elle s’attache en peu de

temps les services des hommes qui lui font défaut. Armand Béhic a accepté de s’occuper

de l’organisation de la compagnie à Marseille. La société se dote ainsi d’un homme de

valeur aux multiples compétences. Béhic a déjà dirigé une grande entreprise (les forges

de Vierzon) et l’État lui a confié la direction du contrôle et de la comptabilité du ministère

de la Marine depuis 184533. Pour la construction des machines marines, la nouvelle société

a pris soin de conserver John Barnes34. Pour occuper le poste de direction des

constructions navales, Simons et Rostand engagent Stanislas Dupuy de Lôme, ingénieur

du génie maritime jusqu’alors en poste à Toulon. La Compagnie des messageries

maritimes et ses chantiers réunissent alors les facteurs d’une grande prospérité : deux

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établissements d’une parfaite complémentarité économique, un ensemble d’hommes

apportant de hautes compétences technologiques, de bonnes aptitudes à la gestion ainsi

que des possibilités d’utiliser les réseaux économiques et politiques dans lesquels ils sont

insérés.

15 À l’instigation de ses deux principaux actionnaires, Ernest Simons et Louis Revenaz,

l’action des hommes des Messageries maritimes ne va pas se borner, dans le domaine de

la métallurgie et de la construction navale, à la simple acquisition des chantiers de La

Ciotat. Les deux hommes voient loin et entendent se rendre maîtres d’un ensemble plus

puissant. Quatre années après le rachat de la société de Louis Benet, le groupe reprend la

deuxième grande entreprise de la région, la Société des forges et chantiers de la

Méditerranée.

La prise de contrôle de la Société des forges et chantiers de la

Méditerranée

16 La Société des forges et chantiers de la Méditerranée est née de la fusion de deux entités

préexistantes. La première a été formée en 1847 par Philip Taylor sous la raison sociale

Philip Taylor & cie. Elle regroupe l’atelier de mécanique établi à Menpenti en 1835 et le

chantier naval de La Seyne-sur-Mer racheté à Lombard en 1845. La seconde, la forge à

l’anglaise fondée en 1846 dans le quartier de La Capelette, est l’œuvre d’Amédée Armand.

Dès le démarrage de cette entreprise, Philip Taylor en est le principal commanditaire. Le

regroupement des deux établissements sous une même structure juridique s’opère en

1853. La formation de la société anonyme des forges et chantiers de la Méditerranée est

autorisée par le décret impérial du 29 janvier 1853 et « a pour objet l’exploitation

d’établissements à acquérir ou à créer pour la fabrication de la fonte, le forgeage et le

laminage du fer, la construction, la réparation et l’entretien des machines de toute

nature, les constructions navales en fer ou en bois, ainsi que de tous leurs accessoires35 ».

Le fonds social de la société est de cinq millions de francs répartis en 5 000 actions.

17 Cette société fonctionne peu de temps. Deux années seulement après sa fondation, elle est

mise en liquidation et placée sous la gestion provisoire d’une nouvelle société : Simons,

Revenaz, Béhic & cie. Les causes de la faillite de la société de Philip Taylor sont mal

connues. Seule la version donnée par Armand Béhic, lors de l’assemblée générale

extraordinaire de la nouvelle société du mois d’août 1856, permet de disposer de quelques

indices36. La première cause avancée par le nouveau directeur de l’entreprise concerne la

mauvaise utilisation des capitaux. Les immobilisations, que ce soient les acquisitions de

terrains ou les équipements, ont été trop importantes. La société se serait ainsi privée de

fonds de roulement. L’achat des matières premières et le paiement des personnels

s’effectuent de manière difficile : « Il est de toute évidence que le capital roulant de

1 248 000 francs laissé disponible par l’achat des usines ne pouvait suffire aux

améliorations à faire et à l’exécution des travaux courants. Les embarras financiers ne

tardèrent pas à se manifester37. » L’entreprise devait donc licencier du personnel ou

contracter des emprunts. La première solution a été utilisée. Au cours de l’année 1855, le

nombre des ouvriers employés par la société tombe de plus de 2 000 à 1 500 environ. La

deuxième explication tient, toujours selon Armand Béhic, à la stratégie menée par

l’entreprise pour conquérir des marchés. Pour obtenir d’importantes commandes, Philip

Taylor avait proposé des prix trop inférieurs aux prix réels du marché. Le Britannique

avait de plus accepté des délais de livraisons trop courts et donc générateurs

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d’importantes pénalités financières. L’analyse présentée par Armand Béhic semble être

exacte. Philip Taylor a déjà commis le même type d’erreurs par le passé. Avec Il Meccanico,

à Gênes, les immobilisations en équipement et en terrains avait déjà absorbé le capital de

la société qu’il dirigeait avec Prandi. Taylor voyait grand, voulait produire des machines

de toutes sortes alors qu’une spécialisation s’imposait au sein d’un établissement aux

dimensions limitées. Les capacités de production étaient devenues supérieures aux

commandes qui lui étaient adressées et avaient conduit l’établissement à d’extrêmes

difficultés38.

18 En mai 1856, la société anonyme Nouvelle des forges et chantiers de la Méditerranée est

définitivement formée. Le capital de la société est augmenté de 2 500 000 francs39. Le

premier conseil d’administration est composé d’hommes extérieurs à la région,

principalement parisiens. Les trois principaux personnages des Messageries nationales

devenues avec l’Empire les Messageries impériales (Ernest Simons, Louis Revenaz et

Armand Béhic), en forment l’ossature. Ils ont pris soin de conserver, parmi les

administrateurs, Adolphe Marcuard, personnage de la haute finance parisienne, dont le

rôle sera déterminant par la suite pour l’obtention de marchés. Amédée Armand reste le

seul Marseillais de la société. Il a peu de poids dans le nouvel organigramme. Sous la

présidence d’Armand Béhic, l’entreprise prend un nouvel essor. La société rassemble près

de 2 500 ouvriers dès le printemps 1856. Cinq années plus tard, le nombre d’ouvriers est

passé à 4000. La valeur de la production a plus que triplé entre 1855 et 1866 (le chiffre

passe de 8 à 25 millions de francs40).

Un phénomène général

19 Un renouvellement de la classe dirigeante des entreprises, composée pour l’essentiel

d’hommes extérieurs à la ville, s’exerce donc dans les secteurs de la construction

mécanique marine et de la construction navale, mais d’autres branches d’activités sont

également touchées par le mouvement : la métallurgie de transformation avec

notamment le rôle des frères Marrel de Rive de Gier, la sidérurgie avec Jules Mirès et

Germain (futur fondateur du Crédit lyonnais) et l’industrie du plomb avec des industriels

parisiens comme Monnin-Jappy ou Jacquinot41. Au total, dans les conseils

d’administration des grandes entreprises de l’industrie métallurgique marseillaise, la

prédominance des locaux a disparu, ce qui suscite une vive polémique. Ces hommes

agissent-ils réellement pour le bien de l’économie locale ? Marseille peut-elle encore

gérer son avenir économique ? Alexandre Clapier, en 1863, exprime ses craintes à ce

sujet :

« Dans les dix dernières années qui viennent de s’écouler, le système decentralisation a pris pour Marseille des proportions jusqu’à ce jour inconnues.Marseille ne semble plus s’appartenir ! La plus riche partie de sa navigation àvapeur est concentrée entre les mains d’une compagnie dont le siège est à Paris ;c’est à Paris que siègent les administrations de ses chemins de fer, de ses docks etde son bassin de radoub ; sa banque, autrefois indépendante, n’est plus qu’unesuccursale de Paris ; son crédit foncier a été absorbé par le crédit foncier de Paris,l’éclairage de ses rues, la propriété des terrains qu’elle conquiert sur la merappartiennent à une compagnie parisienne42. »

20 L’impact du renouvellement de la classe des dirigeants d’entreprises a souvent été

assimilé par les Marseillais à une véritable catastrophe. Ces hommes extérieurs à la ville,

en gestionnaires avisés, se sont certes peu préoccupés de sauvegarder certaines

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entreprises en difficulté. Ils ont toutefois développé certaines affaires en amenant leurs

réseaux économiques et politiques et permis d’augmenter de manière considérable le

nombre des ouvriers du secteur. Ils ont enfin mené des initiatives audacieuses

d’implantation, dont certaines ont rencontré le succès. Rares sont les auteurs des années

1850-1860 à admettre que l’intrusion massive de personnes extérieures à la ville dans

l’ensemble de l’économie phocéenne n’engendre pas que des situations négatives. Seul

Chaumelin, membre de la société de statistique, observe les avantages que Marseille peut

se procurer par le biais de la création des Hauts Fourneaux de Saint-Louis et des autres

opérations menées par Jules Mirès43. L’auteur voit dans l’entreprise de Jules Mirès le

moyen, pour les ateliers de mécanique de la région, de se fournir en fontes et fers bruts

en s’affranchissant des entreprises du nord de la France et d’offrir à la population locale

des emplois. Le problème n’est donc pas de porter une attention particulière à l’origine

des entrepreneurs ou hommes d’affaires qui détiennent les commandes de l’industrie

locale mais de savoir si leurs actions ont eu des répercussions positives pour la croissance

économique de la ville.

UNE NOUVELLE GÉNÉRATION D’INGÉNIEURS ETD’OUVRIERS QUALIFIÉS

21 Le renouvellement de la classe dirigeante n’est pas la seule modification qui s’opère dans

le secteur de la métallurgie et de la mécanique à partir de 1846. On peut également

observer un important changement d’hommes au sein des ateliers. Les années 1835-1846

avaient été marquées par l’importance des ingénieurs britanniques. Ces hommes avaient

apporté leurs compétences, formé les ouvriers locaux et développé les capacités

technologiques des grandes entreprises. Dès les années 1850, ils disparaissent. Les

fonderies et les ateliers de mécanique ne connaissent pourtant pas de difficulté

technologique majeure. Comment les entreprises marseillaises ont-elles pu se passer de

ces techniciens de manière aussi rapide alors qu’ils étaient indispensables quelques

années auparavant ?

La fin de la suprématie britannique à la direction des ateliers

22 Entre 1852 et 1855, les deux plus grands techniciens britanniques opérant dans la région

cessent leurs activités. John Barnes meurt le 25 novembre 185244. Philip Taylor a vendu sa

société. Il est âgé (69 ans en 1855) et doit faire face à de cruels problèmes familiaux. La

perte de quatre de ses huit enfants a gravement altéré sa santé45. Il se retire dans sa

propriété de Sainte-Marguerite. Plusieurs de leurs compatriotes ont déjà quitté les

ateliers marseillais au tout début des années 1850 ou suivent rapidement le mouvement.

C’est le cas notamment des contremaîtres Walker et Wauton à La Ciotat, en 185246. Si

certains se maintiennent en Provence de manière durable comme Riddings et Jeffery47,

c’est uniquement comme propriétaires de petites entreprises.

23 Sous la monarchie de Juillet, les grandes entreprises de mécanique dépensaient des

sommes considérables pour s’assurer le concours de ces ingénieurs britanniques qui

étaient seuls capables de leur permettre d’être à la pointe d’une technologie toujours en

évolution. La situation change à la fin des années 1840. Il ne sont plus indispensables. La

France est désormais capable de produire des ingénieurs de tout premier plan, sortant

principalement des grandes écoles. Pour la formation des ouvriers qualifiés, les écoles des

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arts et métiers donnent de remarquables résultats. Le technicien de la première moitié du

XIXe siècle avait acquis ses connaissances par la pratique dans les ateliers. Ce temps est

maintenant révolu. La mécanique et la métallurgie deviennent des sciences à part entière.

Le fonctionnement des machines et les procédés de traitement des minerais et métaux

sont théorisés. Le suivi d’un enseignement scientifique est devenu indispensable.

24 À partir des années 1850, beaucoup d’entrepreneurs ou d’ingénieurs de la métallurgie et

de la construction mécanique de la région ont été formés dans les grandes écoles. Dans le

cas de la sidérurgie, le phénomène est particulièrement bien visible. Les deux principaux

techniciens des Hauts Fourneaux de Saint-Louis, Jordan et de Vathaire, ont été formés à

l’École des mines de Paris. L’industrie de la construction mécanique présente les mêmes

caractéristiques. Daniel Stapfer, fondateur d’une entreprise de construction d’appareils

pour la navigation, sort de l’École centrale des arts et manufactures48. Victor Deleacour,

chef des ateliers de mécanique de La Ciotat de 1852 à 1864, est passé par Polytechnique49.

Dans ce domaine de la mécanique marine, beaucoup de ces ingénieurs ont, de plus, acquis

une expérience de tout premier ordre en servant dans le génie maritime. Les grands

ateliers marseillais débauchent les ingénieurs compétents des arsenaux de l’État en

offrant des salaires attractifs. Les cursus des ingénieurs en chef des ateliers des deux plus

grandes sociétés de construction mécanique, la Société des forges et chantiers de la

Méditerranée et la Compagnie des messageries impériales, sont révélateurs de cette

situation. Victor Delacour et Octave Vésigné ont tous deux servi comme ingénieurs à

l’arsenal de Toulon avant de gagner l’atelier de construction mécanique de La Ciotat50.

Pour la Société des forges, le constat est identique. Lecointre, qui occupe le poste de

direction technique de l’atelier de Menpenti à partir de 1860, a également commencé par

travailler à l’arsenal de Toulon. Dans les années 1850, il était ingénieur de seconde classe

chargé de la section des machines à vapeur51.

Une formation technique efficace

25 Contrairement à la période précédente, la formation d’ouvriers qualifiés ou de chefs

d’ateliers se déroule dans des conditions favorables. Établi de manière institutionnelle

dans les années 1840, l’enseignement technique donne de bons résultats avec l’école des

arts et métiers d’Aix, qui acquiert un prestige dépassant largement le cadre régional. Elle

est, par exemple, choisie par les Schneider pour la formation de leurs futurs ingénieurs et

chefs d’ateliers. Une section spéciale avait été créée dans les écoles Schneider, au Creusot,

pour la préparation au concours d’admission52. La Compagnie des messageries impériales,

consultée durant la première moitié des années 1860 pour l’enquête nationale sur

l’enseignement professionnel, se félicite des succès obtenus par l’école aixoise. Les élèves

sortant de l’établissement sont compétents et constituent une ressource importante pour

les ateliers de La Ciotat53. Le seul grand reproche qui lui est fait est de ne pas fournir assez

d’ouvriers ajusteurs54.

26 Afin de parfaire leur formation et de rester en contact avec les progrès techniques, les

mécaniciens et les ingénieurs des grandes entreprises marseillaises se sont regroupés

dans le Cercle des mécaniciens français. Cette association a été fondée en 1844 avec un

objectif précis :

« Le but de ce cercle est de former un corps de mécaniciens instruits etexpérimentés. Il se propose de fournir à ses membres le moyen d’étendre et deperfectionner leur instruction générale et professionnelle, tant par l’étude des

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ouvrages contenus dans leur bibliothèque que par des conférences sur tout ce qui serattache à la théorie, à la construction et à la conduite des machines55. »

27 Dans un premier temps, l’institution a un rayonnement des plus médiocres et s’adresse

prioritairement aux mécaniciens navigants. Elle s’étoffe au cours du second Empire et

compte plus de 200 membres en 1862. Le Cercle s’est doté d’un important local allée des

Capucines. Il reçoit en nombre croissant des ingénieurs mécaniciens, des chefs d’ateliers,

des contremaîtres, dessinateurs et même des entrepreneurs de premier plan comme

Édouard Hesse. On compte parmi les membres le plus célèbre ingénieur français, François

Bourdon, qui travaille à Marseille depuis le début des années 1850.

L’arrivée à Marseille d’un ingénieur atypique : François Bourdon

28 La trajectoire de François Bourdon ne s’inscrit pas dans le modèle général qui vient d’être

décrit. Elle mérite d’être présentée à part. François Bourdon possède les caractéristiques

de la plupart des ingénieurs de la période précédente. Il n’a reçu aucun enseignement

scientifique dans un cadre institutionnel, ce qui ne l’empêche pas d’être un des plus

grands mécaniciens français du deuxième tiers du XIXe siècle. C’est par la pratique, aussi

bien en France qu’à l’étranger, qu’il est parvenu à acquérir ses compétences, notamment

dans le domaine de la construction de machines marines. Au milieu des années 1830,

François Bourdon avait séjourné aux États-Unis pour étudier la navigation à vapeur sur

les grands fleuves américains et dans les ateliers Allaire de New York. Entre 1837 et 1852,

il s’était occupé, dans l’entreprise des Schneider, de la construction de navires pour les

compagnies de navigation sur le Rhône et des machines marines pour les premiers

transatlantiques à vapeur56.

29 Les raisons qui ont poussé Bourdon à quitter les ateliers du Creusot pour venir s’installer

à Marseille restent obscures. Pour Boutmy et Flachat, ses biographes du XIXe siècle,

François Bourdon a abandonné ses fonctions au sein des ateliers du Creusot pour un motif

purement professionnel. L’explication selon laquelle la construction navale tendait à

disparaître des activités de la grande firme de Saône-et-Loire est acceptable57, mais elle

n’est très certainement pas la seule. Selon Jacques Payen, il faut également y voir une

raison politique. François Bourdon s’était engagé dans la vie politique avec la révolution

de 184858 et « il paraît certain que les Schneider en ont pris ombrage, ainsi sans doute que

de son influence sur la population ouvrière de l’entreprise59 ».

30 L’arrivée de François Bourdon dans l’entreprise de Philip Taylor, en mai 1852, a été

facilitée par plusieurs éléments. Le Britannique a une grande renommée dans les milieux

des ingénieurs et ses convictions sociales ont très certainement séduit François Bourdon60

. On peut également penser que le salaire proposé par Philip Taylor devait être

intéressant. En dernier lieu, le prestige des ateliers provençaux dans le domaine de la

mécanique marine a sans doute joué. François Bourdon a pu lui-même le constater

puisqu’il est venu à La Ciotat à la fin des années 1840 pour monter des machines achetées

par Louis Benet aux usines du Creusot. L’atelier de Menpenti est un des plus importants

ateliers de mécanique marine en France depuis la fin des années 1840 et jouit d’une

importante reconnaissance grâce à la personnalité de son propriétaire, Philip Taylor.

L’arrivée de François Bourdon en Provence est sans conteste un facteur majeur de la

réussite de l’industrie marseillaise de la mécanique marine des années 1852-1865. Cette

recrue de choix va assurer à la Société des forges une prépondérance dans la technologie

des machines marines à l’échelle de la France et même de l’Europe.

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LES DIFFICULTÉS DE LA CONSTRUCTION MÉCANIQUEPOUR L’INDUSTRIE

31 Le troisième changement majeur qui s’opère durant les années 1846-1865 est un fort

mouvement de spécialisation dans le secteur de la mécanique. Les ateliers marseillais et

ciotadins possédaient au début des années 1840 un large éventail de productions. De la

presse hydraulique à la locomotive, pratiquement tous les types de mécaniques étaient

fabriqués dans la région. Seules manquaient à l’appel les turbines hydrauliques car les

marchés étaient insignifiants en Provence. Aucun atelier ne se livrait à la production d’un

seul produit. Choisie par la majorité des entrepreneurs du secteur, cette absence de

spécialisation était justifiée avant la fin des années 1840. Elle était en accord avec les

structures des marchés d’une région en phase de démarrage industriel. Ces marchés

étaient très diversifiés et leur régularité, soumise à de fortes fluctuations, laissait à

désirer. Rares étaient les entreprises à pouvoir vivre sur un unique créneau de

production. Les entrepreneurs devaient donc s’adapter en conséquence.

32 Ce choix ne vaut plus pour les décennies suivantes. La région se désenclave. Le

développement du réseau de communication français place les sociétés marseillaises en

concurrence directe avec d’autres établissements de l’Hexagone. Afin d’être compétitives,

les entreprises phocéennes doivent produire à plus grande échelle. C’est seulement à ce

prix que les réductions de coûts de production peuvent s’opérer. Les entrepreneurs

mettent fin à plusieurs secteurs d’activité. Certains types de production deviennent

marginaux. L’exemple le plus significatif de ce mouvement est l’abandon de la

construction des locomotives. Les établissements se spécialisent principalement dans les

travaux pour la navigation à vapeur. En 1861, la chambre de commerce de Marseille

signale que les machines et chaudières à vapeur sorties des ateliers des constructeurs

marseillais sont principalement « …destinées au service de la navigation à vapeur61 ». Les

entreprises marseillaises travaillant pour l’industrie perdent de leur importance.

L’appauvrissement s’effectue en une décennie à peine.

La perte des marchés méditerranéens

33 La première difficulté rencontrée par les mécaniciens travaillant pour les usines est la

perte des débouchés extérieurs. Ces marchés d’appoint étaient relativement importants

sous la monarchie de Juillet. Les entrepreneurs avaient alors l’espoir de les développer

avec l’aide de l’État. Ils comptaient sur la mise en place d’une législation moins

draconienne afin de leur permettre d’affronter la concurrence britannique62. Les

gouvernements successifs des années 1850-1857 ont développé une politique

d’aménagement des tarifs douaniers afin de faciliter les exportations françaises

d’appareils à vapeur à usage industriel. En 1851, les fontes brutes étrangères sont admises

en franchise de droits lorsqu’elles sont employées à la fabrication de machines destinées à

l’exportation63. En 1855, la même disposition est appliquée aux cuivres laminés pour tous

les types d’appareils à vapeur. C’est le décret impérial d’octobre 1857 qui étend le

principe à tous les métaux étrangers employés, toujours dans le cadre d’une exportation,

à la fabrication de chaudières et de machines à vapeur. Ces changements de la législation

douanière sont certes importants mais bien trop tardifs pour les entreprises

marseillaises.

172

Page 175: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

34 Les exportations ont disparu dès le début des années 1850. Les documents ne révèlent

aucun cas de vente de machine ou de mécanique industrielle à l’étranger au cours des

années 1850. Les mécaniciens marseillais, en partie par la faute de la législation douanière

encore insuffisamment favorable, ont perdu les marchés méditerranéens qu’il leur sera

bien difficile de reconquérir. Les entreprises britanniques restent omniprésentes tandis

que les sociétés italiennes ou espagnoles s’affirment. Ainsi, le développement des

entreprises de construction de machines industrielles est particulièrement bien visible en

Espagne et notamment à Barcelone, dont les appareils sont vendus dans de nombreuses

régions de la péninsule. Durant les années 1850, la Maquinista Terrestre y Marítima n’avait

construit que 25 machines à vapeur pour l’industrie. La production est plus que

quadruplée au cours de la décennie suivante64. L’entreprise des frères Alexander suit le

même mouvement, en travaillant pour les industries de Catalogne et pour celles de la

région de Valence. Du début des années 1850 à l’année 1882, plus d’un millier de machines

à vapeur sortent du deuxième grand atelier catalan65. Devant une telle situation sur les

marchés méditerranéens, les Marseillais doivent se rabattre impérativement sur les

débouchés locaux.

Naissance et développement d’une concurrence au niveau local

35 L’État n’est pas l’unique responsable des difficultés rencontrées par les ateliers marseillais

de mécanique industrielle. Sa prise en compte tardive des problèmes douaniers ne peut

suffire à expliquer le malaise de ce secteur. Au début des années 1840, au moins les trois

quarts des machines et mécaniques des usines de la région étaient fournis par des

entrepreneurs phocéens. Ce qui faisait vivre les entreprises marseillaises, c’étaient avant

tout les marchés locaux. Ce n’est plus le cas sous le second Empire. Les ateliers marseillais

ont de grandes difficultés à fonctionner à partir des ventes régionales. L’explication de ce

phénomène ne réside pas dans une quelconque baisse de la demande provoquée par la fin

de la première grande phase d’équipement de l’industrie marseillaise. Les données

collectées par les ingénieurs des Mines montrent que le nombre des appareils à vapeur

dans les usines des Bouches-du-Rhône a connu une forte croissance66. Le problème des

entreprises marseillaises s’explique par la perte de ces marchés. En 1862, les mécaniciens

phocéens n’ont construit que 44 % des machines à vapeur installées dans les usines du

département67. Entre 1861 et 1863, les valeurs de la production (machines et chaudières)

se cantonnent dans des proportions modestes, entre 1,8 et 2 millions de francs68. Une

grande partie des marchés est passée entre les mains d’autres entreprises françaises.

36 Cette concurrence faite à l’industrie phocéenne de mécanique industrielle s’affiche en

pleine lumière lors de l’exposition industrielle de Marseille de 186169. Sur les 71 exposants

de la sixième classe (machines à vapeur, hydrauliques et divers), la moitié seulement est

composée d’entrepreneurs de la ville. Les causes de cette concurrence sont nombreuses,

mais la principale réside certainement dans l’extension du réseau ferroviaire français

dont le bon fonctionnement assure la mise en place d’une « perpétuelle confrontation

entre les divers marchés régionaux70 ». Cette confrontation provoque une sélection parmi

les entreprises, dont certaines ne devaient leur survie qu’à l’absence de concurrence. Sous

la monarchie de Juillet, le problème de cherté des matières premières était secondaire

pour les débouchés locaux. Il devient désormais insurmontable. Les mécaniciens du

Centre, de Paris ou de Lyon ne pouvaient auparavant lutter contre leurs homologues

marseillais à cause du prix élevé de l’acheminement des machines. À partir de la seconde

173

Page 176: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

moitié des années 1850, ils se permettent désormais d’effectuer des percées significatives

sur les marchés provençaux grâce à la baisse des tarifs de transport des marchandises. Il

faut regretter l’absence de données permettant de dresser un tableau comparatif des prix

de vente des machines et mécaniques des entreprises marseillaises, lyonnaises,

parisiennes et du Centre de la France. Il est toutefois certain que le problème du prix

élevé des fers et des fontes dans les Bouches-du-Rhône, qui s’est toujours présenté comme

un facteur défavorable pour les établissements phocéens, s’est posé avec plus d’acuité

durant cette période. Les entreprises marseillaises ne bénéficiaient pas de la proximité de

centres sidérurgiques leur permettant de trouver un approvisionnement en matières

premières à faible coût.

La situation au début des années 1860 : un secteur en perdition ?

37 L’étude des entreprises de construction mécanique marseillaises spécialisées dans les

travaux pour l’industrie est difficilement réalisable. Les documents concernant la

majorité des aspects de l’histoire des entreprises de ce secteur durant la période

1850-1865 sont rares. Seul un tableau général de ce secteur d’activités au début des

années 1860 peut être présenté. Plusieurs ateliers de mécanique des années 1831-1846 ont

fermé leurs portes ou ont réorienté leurs activités. L’entreprise de Chambovet a déposé

son bilan dès 1843. Celles de Démange et de Benet, aux Catalans, ont disparu des

annuaires professionnels au cours de la première moitié des années 185071, tout comme

celle des britanniques Walker & Hume à l’approche de 1860. L’attrait des opportunités

offertes par le développement de la navigation à vapeur a amené le principal mécanicien

de la période précédente, Jean-Baptiste Falguière, à délaisser la fabrication d’appareils à

vapeur pour l’industrie afin de travailler dans la mécanique marine.

38 Au début des années 1860, le secteur s’est considérablement appauvri. Trois entreprises

dominent l’ensemble72. Seule celle de François Lejeune a été fondée avant la crise. Cette

usine, située dans le quartier de Menpenti, est spécialisée dans la construction des

chaudières tubulaires, dont elle présente un modèle à l’exposition industrielle de

Marseille, en 186173. Les ateliers d’Édouard Hesse et de la société Joseph Funel & Etienne

Gouirand, respectivement fondés en 1849 au Rouet et 1855 sur le boulevard National,

produisent des machines à vapeur74. Ces trois entreprises sont d’une taille relativement

modeste. Le nombre total des employés ne dépasse pas 140 salariés en 1861 : 40 travaillent

pour Hesse, 45 pour Lejeune et 55 pour Funel & Gouirand75.

39 Lors de l’exposition industrielle de 1861, l’industrie de la construction mécanique

marseillaise présente un visage peu reluisant. Deux des principales entreprises du secteur

(Édouard Hesse et Funel & Gouirand) sont certes absentes de l’exposition mais leur

participation n’aurait que faiblement relevé le tableau. Les 36 exposants de la ville ne

présentent que trois machines à vapeur. La première, mise en exposition par Jules

Bailleux, n’a pas été fabriquée par ce mécanicien qui ne se livre qu’à la vente de matériel

d’occasion. Aucune caractéristique n’est donnée pour les autres, présentées par Laugier et

Gerbaldi. Il est donc difficile de dire si ces mécaniciens, généralement signalés comme des

réparateurs, ont fabriqué les appareils exposés. Seul François Lejeune présente un modèle

des chaudières tubulaires qu’il fabrique dans ses ateliers de Menpenti. Pour le reste, le

matériel se borne à des presses et pressoirs. La production diversifiée de la période de la

monarchie de Juillet a laissé la place à une étroite spécialisation dans la fabrication de

matériel auxiliaire pour les grands secteurs industriels de la ville. Cependant, même en ce

174

Page 177: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

domaine, les constructeurs marseillais doivent progressivement faire face à une

concurrence extérieure qui se manifeste par l’implantation de maisons de représentant76.

En fait, seulement deux types d’ateliers résistent quelque peu à la décadence générale du

secteur : celui de la réparation des machines et de la construction de chaudières77. Pour

les achats de machines à vapeur, les industriels marseillais pouvaient se passer des

constructeurs locaux en ayant recours à des entreprises d’autres départements. Il était

beaucoup plus difficile de se passer des sociétés de réparation dont les interventions

permettaient d’éviter les ruptures de production.

UNE NOUVELLE REDISTRIBUTION DES ENTREPRISESAU SEIN DE L’ESPACE MARSEILLAIS

40 Le dernier aspect des changements qui touchent le secteur de la métallurgie et de la

construction mécanique durant les années 1846-1865 est d’ordre spatial. L’insertion des

entreprises dans l’espace urbain se modifie radicalement en peu de temps. Les quartiers

du sud-est de la ville avaient constitué le lieu privilégié des fonderies et des ateliers de

mécanique jusqu’en 1846. Cette primauté presque exclusive d’une seule zone s’efface sous

le second Empire pour laisser la place à une géographie plus complexe qui a dû tenir

compte de l’apparition de nouveaux paramètres. Le premier d’entre eux est la croissance

physique et démographique de la ville, particulièrement forte et rapide au cours des

années 1850-1870. Le deuxième est la création au nord de nouvelles infrastructures

portuaires spécialisées dans l’accueil des bâtiments à vapeur. Le dernier est l’application

plus rigoureuse de la vieille législation sur les établissements classés comme insalubres

qui oblige les usines considérées comme polluantes à s’éloigner des quartiers

d’habitation.

Une nouvelle zone de localisation : l’arrière des nouveaux ports

41 Si les quartiers de la place Castellane, de Menpenti, du Rouet et de La Capelette forment

toujours une importante zone d’implantation, cet espace est l’objet d’une profonde

transformation. Les fonderies restent nombreuses78 mais les ateliers de mécanique ont

presque disparu du secteur. Cette branche, qui se tourne de plus en plus vers les travaux

pour la navigation, part en quête de nouveaux territoires d’installation. La création des

nouveaux ports, commencée avec la réalisation du bassin de la Joliette, se poursuit tout

au long du second Empire avec la construction linéaire de nouvelles infrastructures vers

le nord. La constitution de cet espace portuaire a amené les entreprises de mécanique à

une localisation rationnelle fondée sur la proximité géographique avec leur clientèle. Les

implantations d’ateliers à l’arrière des nouveaux ports procèdent de deux mouvements

bien distincts. Le premier est constitué par l’installation d’usines nouvellement créées (les

établissements Bizard & Labarre, Prudhon, Granier, Fraissinet…). Le second est composé

de déplacements de sociétés déjà anciennes, désireuses de se rapprocher de leurs

principales sources de travail (les établissements de Falguière, de la Compagnie des

messageries impériales, de la Société des forges).

42 L’orientation des entreprises de mécanique vers la construction et la réparation

d’appareils marins joue pleinement dans ce mouvement. En 1864, sur les 24 ateliers

marseillais spécialisés dans la construction mécanique, près des deux tiers (15

entreprises) sont localisés à l’arrière des ports dans les quartiers de La Joliette, d’Arenc,

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Page 178: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

de Saint-Mauront du Canet et de La Villette. Les quartiers de Menpenti et des alentours de

la place Castellane ne possèdent plus que quatre ateliers, soit 16,5 % du total79. Les

fonderies de seconde et troisième fusions tentent de suivre progressivement le même

processus de transfert des localisations. Ce n’est pas le cas des usines à plomb qui

apparaissent en grand nombre au cours des années 1846-1853.

Une implantation éclatée : l’industrie du plomb

43 L’établissement des fonderies, des forges et hauts fourneaux est régi par les lois d’octobre

1810 et de janvier 1815. L’autorisation est accordée après enquête par le préfet.

L’implantation de l’usine doit obligatoirement s’effectuer à distance des habitations. Afin

de multiplier les instances de surveillance, le décret de mars 1852 donne pouvoir aux

maires d’annuler les autorisations d’établissement80. Cette obligation d’éloignement du

centre est bien visible avec l’établissement des premiers hauts fourneaux marseillais à

Saint-Louis, au nord de la ville. Elle s’impose à un autre secteur composé d’un plus grand

nombre d’entreprises : la métallurgie du plomb. Avec la complicité des milieux politiques

locaux, cette industrie se développe au milieu de quartiers dont la densité de population

augmente de manière notable. En 1846, Luis Figueroa avait établi son usine sur le chemin

du Rouet. L’établissement fonctionne durant de longues années sans aucune autorisation

et sans que les pouvoirs publics locaux interviennent. Les exemples de ce type peuvent

être multipliés. L’attitude des hommes politiques de la ville est souvent dénoncée par les

médecins : « La sympathie qui accueille toujours une nouvelle industrie, source de

richesse et de travail pour une localité, fait fermer les yeux sur les dangers inhérents à

l’industrie ou sur les infractions aux conditions imposées pour en écarter la nocivité81. »

44 La situation change dans la première moitié des années 1850. Le conseil d’hygiène et de

salubrité parvient à faire entendre sa voix et impose désormais l’obligation d’établir les

nouvelles usines à plomb loin des quartiers habités, notamment dans le sud de la ville.

Pour les usines, cette décision pose des problèmes. D’abord, pour l’implantation dans les

calanques du sud, le fait de posséder un site portuaire autonome n’est pas un avantage.

Les plombs continuent de passer par le centre de la ville afin d’y être pesés au bureau des

Douanes. Ensuite, une enquête de la société de statistique de Marseille révèle que le taux

de mortalité des usines à plomb situées en bordure de mer est bien plus élevé que celui

enregistré dans les établissements des Chartreux ou du Rouet. Les explications de Flavard,

médecin montpelliérain en visite à Marseille, sont les suivantes : les poussières aqueuses

et salines dues à la proximité de la mer « facilitent l’absorption, convertissent les

parcelles microscopiques de plomb en chlorure… et le sel formé, introduit dans le torrent

de la circulation, ne tarde pas à y manifester sa présence par des troubles spéciaux82 ». Il

faut ajouter à cette analyse, qui relève plus de l’intuition que de principes

scientifiquement établis, le facteur essentiel des déplacements des ouvriers. Les salariés

qui marchent pour se rendre à l’usine et pour rejoindre leurs demeures transpirent et

évacuent donc les particules de plomb. Ils retardent ainsi les effets du saturnisme. Les

ouvriers des usines à plomb situées en bord de mer ne peuvent bénéficier des bienfaits de

la transpiration. Les établissements sont si éloignés du centre ville (entre dix et quinze

kilomètres) qu’ils ont dû venir s’établir sur place, dans de petits corons situés aux abords

des usines.

45 Au total, la métallurgie ne marque pas l’espace urbain qui l’abrite. Par la multiplication de

ces sites d’implantation, ce secteur manque de lisibilité dans la ville. Le seul type

176

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d’activité qui est concentré en un lieu précis est celui de la construction mécanique pour

la navigation à vapeur. Mais, placées à l’arrière des ports, les entreprises de cette branche

ne peuvent être représentatives d’une zone qui est le symbole de la grande activité

commerciale marseillaise. Le phénomène est original car, au début des années 1860,

jamais le secteur de la métallurgie et de la construction mécanique n’a été aussi

important.

***

46 Trois phénomènes majeurs caractérisent les mutations qui s’opèrent au sein de l’industrie

métallurgique marseillaise à partir de la grande crise de la fin des années 1840. Un

déséquilibre interne profond est apparu dans la construction mécanique. Le secteur de la

mécanique industrielle perd ses débouchés et s’atrophie rapidement alors que la

mécanique marine est sauvée par une intégration dans un grand groupe dont le contrôle

échappe aux entrepreneurs locaux. Un renouvellement de génération marque le groupe

des ingénieurs. La prépondérance britannique dans la direction des ateliers et la

formation des ouvriers s’efface devant la compétence des techniciens français et les bons

résultats de l’école des arts et métiers d’Aix. Enfin, la croissance globale du secteur

s’accompagne d’une moindre visibilité car la métallurgie marseillaise n’est plus aussi

concentrée. Désormais, ce secteur industriel n’a pas le monopole d’un quartier et ne peut

retrouver sa visibilité que si Marseille toute entière est perçue comme une ville

métallurgique. Cela implique un succès exceptionnel des branches qui constituent les

trois piliers de cette industrie au cours des années 1846-1865 : le travail des non-ferreux,

la métallurgie de base des fers et des fontes et la mécanique marine.

NOTES

1. La crise est globalement plus tardive dans la région marseillaise (cf. GUIRAL P., « Le cas d’un

grand port de commerce… », art. cit., p. 201-225).

2. ACCM MQ 22.

3. ADBdR 545 U 102.

4. Cf. GUIRAL P., « Le cas d’un grand port… », art. cit.

5. ADBdR 1 M 1092.

6. AMT 2 A 4/1.

7. Rapport de l’ingénieur ordinaire de l’arrondissement de Toulon au sujet des travaux de curage

pour le port de La Seyne, Toulon, 22 avril 1853, Fonds DDE du Var en cours de classement aux

Archives départementales du Var (document communiqué par Yvan Kharaba).

8. Ibid.

9. Cf. GUIRAL P., « Le cas d’un grand port… », art. cit., p. 220.

10. Vers 1860, André Kœchlin & cie détient 60 % du marché français des locomotives (STOSKOPF N.,

« André Kœchlin », dans Les patrons du second Empire. Alsace, Le Mans, 1994, p. 169).

11. Compagnie du chemin de fer de Marseille à Avignon, Assemblée générale du 26 janvier 1848.

Rapport du conseil d’administration, Marseille, 1848, p. 57-58.

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12. GILLE B., La Banque et le crédit…, op. cit., p. 113.

13. Ibid., p. 133.

14. Compagnie du chemin de fer de Marseille à Avignon, Assemblée générale du 26 janvier 1848…, op.

cit., p. 4.

15. EMP M 1851 (482).

16. Ibid.

17. Compagnie du Chemin de fer de Marseille à Avignon, Assemblée générale du 26 janvier 1848…, op.

cit., p. 57-58.

18. MLV, années 1849-1850.

19. MLV, 10 et 28 octobre 1850, 19 avril 1851.

20. Les ateliers de La Ciotat effectuent pour l’État une machine à hélice de 140 chevaux en 1849

pour le Castiglione et une autre de 450 chevaux l’année suivante pour le Charlemagne (ADBdR XIV

M 10/8).

21. ADBdR 354 E 313.

22. Ibid., articles 5 et 9.

23. ADBdR 354 E 313, Transport de créance par Louis Benet & cie (La Ciotat) à la Banque de

Marseille de 58 333,33 francs due auxdits Louis Benet & cie par l’administration de la Marine pour

solde de 175 000 francs, prix d’une machine à vapeur.

24. GUIRAL P., « Le cas d’un grand port… », art. cit., p. 219.

25. Décret du 27 avril 1848 (cf. EDBdR, t. IX, p. 928).

26. TRIPODI J. M., La Compagnie de navigation des messageries maritimes…. op. cit., p. 110-111.

27. Cf. RONCAYOLO M., L’Imaginaire de Marseille…, op. cit., p. 111-120.

28. Pour cet aspect, cf. EDBdR, t. IX, p. 367.

29. Cf. BOIS P., Le Grand Siècle des messageries maritimes, Marseille, 1991, p. 16-18.

30. MLV, 14 septembre 1850.

31. Ibid., 16 juin 1851.

32. Ibid., 7 septembre 1851.

33. ROBERT A., COUGNY G., Dictionnaire des parlementaires français, Paris, t. I, 1889, p. 238.

34. MLV, 14 octobre 1850.

35. ADBdR XIV M 24/92.

36. ACCM MR 4422.

37. Ibid. et Rapport du conseil d’administration des Forges et chantiers de la Méditerranée… sur la

proposition d’une émission d’actions de 2 francs, Marseille, 1855, p. 8.

38. Cf. DORIA M., « Le strategie e l’evoluzione dell’Ansaldo » dans CASTRONOVO V. (dir.), Storia

dell’Ansaldo. I : Le origini, 1853-1882, Rome-Bari, 1994, p. 77-79.

39. ACCM MR 4422.

40. TURAN J., « Les forges et chantiers de la Méditerranée », dans Les Grandes Usines : études

industrielles en France et à l’étranger, Paris, 1867, t. III, p. 320.

41. Cf. chapitres X et XL.

42. CLAPIER A., Marseille, son passé, son présent, son avenir, Paris, 1863, p. 81 cité dans RONCAYOLO M.,

L’Imaginaire de Marseille…, op. cit., p. 324.

43. CHAUMELIN M., Annales marseillaises, Marseille, 1857, p. 144.

44. Ibid., 25 novembre 1852.

45. Cf. « Taylor Philip », art. cit., p. 457.

46. MLV, 23 novembre 1852.

47. Nouvel Indicateur marseillais…, op. cit., 1865, p. 895.

48. Bouches-du-Rhône : dictionnaire, annuaire et album, Paris, 1901.

49. COMMANDANT LANFANT, Historique de la flotte des messageries maritimes, Dunkerque, 1979, p. 29.

50. « Désormais, le Génie Maritime règne en maître sur les chantiers de La Ciotat » (ibid.).

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51. DUBREUIL J.-P., « Les Transformations de la marine… », op. cit., p. 671.

52. BEAUD C, « Eugène Schneider » dans JOBERT P. (dir.), Les Patrons du second Empire. Bourgogne, Le

Mans, 1991, p. 193.

53. Enquête sur l’enseignement professionnel ou recueil des dépositions faites en 1863 et 1864 devant la

commission de l’enseignement professionnel sous la présidence de Son Excellence M. Béhic, Paris, 1864, t.

II, p. 647.

54. Enquête. Traité de commerce avec l’Angleterre, t. II, Paris, 1860, p. 586.

55. Bulletin trimestriel du Cercle des mécaniciens français, n° 1, 1862, statuts constitutifs, art. 1.

56. Cf. BOUTMY G., FLACHAT E., Notices sur la vie et les travaux de François Bourdon, ancien ingénieur en

chef du Creusot, ancien ingénieur en chef des forges et chantiers de la Méditerranée, Paris, 1865, p. 6-11.

57. Ibid., p. 12.

58. François Bourdon est élu député républicain de la Saône-et-Loire aux élections d’avril 1848

(Sutet M., « François Bourdon », dans JOBERT P. (dir.), Les Patrons du second Empire. Bourgogne…, op.

cit., p. 136).

59. PAYEN J., « La technologie… », op. cit., t. II, p. xlj.

60. En Angleterre, Philip Taylor recevait chez lui des personnages comme Arago et d’Humbolt

(« Taylor Philip », dans LEE S. (dir.), Dictionnary…, op. cit., p. 456).

61. CRSICM, 1861, p. 67.

62. Cf. chapitre VIII.

63. Pour les décrets, cf. ACCM MP 3611.

64. Cf. La Maquinista Terrestre v Maritima S. A., Escuela de Aprendizaje, n° 20, 1955, p. 5.

65. Cf. NADAL J., « La métallurgia », op. cit., vol. III, p. 174.

66. Les données des années 1850 sont incomplètes. Le rattrapage des machines non recensées

s’effectue à partir de la fin de la décennie. Les informations montrent que le nombre des

machines à vapeur a été multiplié par quatre entre 1850 et 1865 (114 appareils pour la première

date, 478 pour la seconde, SIM, 1850-1865). On peut légitimement estimer que le nombre a été

triplé.

67. Calcul d’après les données des CRSICM de 1862 (p. 109) et SIM, 1861-1862. En 1862, 48 machines

à vapeur (1536,5 chevaux de puissance soit 32 chevaux de moyenne par machine) ont été

installées dans les usines des Bouches-du-Rhône. Cette même année, l’industrie mécanique

marseillaise a produit pour 7000 chevaux de machines à vapeur dont « les 9/10e de ce travail sont

applicables à la marine à vapeur, les reste à l’industrie locale ». La production des mécaniciens

marseillais en faveur de l’industrie du département a donc été d’environ 700 chevaux, soit à peu

près 21 machines.

68. SIM, 1861, p. 67 et 1863, p. 115.

69. Exposition à Marseille des produits industriels et manufacturés, mai 1861, Marseille, 1861.

70. Cf. le chapitre de Pierre Léon « L’épanouissement d’un marché national », dans BRAUDEL F.,

LABROUSSE E. (dir.), Histoire économique et sociale…, op. cit., t. III, p. 275-304.

71. Nouvel Indicateur marseillais…, op. cit., 1850-1855.

72. Au cours des années 1850, à Menpenti, l’atelier de la Société des forges fabrique des appareils

à vapeur pour les huileries et les raffineries de sucre. Il semble que vers 1860, cette usine se soit

contentée de ses activités dans le domaine de la navigation.

73. Exposition à Marseille…, op. cit., p. 44.

74. ADBdR 548 U 7.

75. ADBdR XIV M 10/11.

76. Une des plus importantes est celle de Victor Coudert, représentant à Marseille de la maison A.

Poynot & cie, constructeur à Anzin et Montluçon spécialisé dans la fabrication d’appareils pour

distilleries, sucreries, huileries… (Nouvel Indicateur marseillais…, op. cit., 1865, p. 942-943).

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77. L. Arnier, Cabannes & Dreysset, E. Capoduro, A. Chiousse, Gachet & Capitan, Girard, Guinier &

cie, Masson & Husson, F. Mouren, V. Pradau, M. Puget, S. Roque… (ADBdR 548 U 7 ; XIV MEC

12/180 et 181 ; Indicateur marseillais, 1846-1865).

78. On en compte encore une quinzaine en 1865 (Nouvel Indicateur marseillais…, op. cit., 1865, p.

893-895).

79. La liste de l’Indicateur comprend 43 mécaniciens (Nouvel Indicateur marseillais…, op. cit., 1864).

Ont été exclues les entreprises de réparations et celles travaillant le bois. Trois ateliers ont été

ajoutés. Deux ne sont pas signalés mais sont en activité (ceux de Prudhon et de la Société des

forges à Menpenti) ; le troisième (entreprise d’Emile Duclos) a été fondé en cours d’année.

80. MAURIN S. E., « Statistique spéciale. État social », RTSSM, t. XXVII, 1864, p. 144.

81. FLAVARD E., Lettres sur Marseille, Marseille, 1852, p. 127-128.

82. Ibid., p. 151.

180

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Chapitre X. L’essor de l’industrie duplomb

1 La pauvreté du sous-sol provençal n’a pas constitué un obstacle insurmontable à la

formation d’une industrie de traitement des minerais et des métaux bruts dans la région

marseillaise. En s’insérant dans des réseaux commerciaux internationaux, en saisissant

les opportunités industrielles qui en découlent et en adaptant les procédés techniques

aux besoins locaux, aux caractéristiques des produits à traiter, Marseille est parvenue à

connaître de remarquables succès dans ce type d’activités.

2 À la fin des années 1840, Marseille a cessé d’être une simple place de transit dans le

domaine du plomb. La fonction commerciale de la ville se double désormais d’une

fonction industrielle. Le repli des producteurs britanniques sur leur propre marché dans

les années 1830-1840 a changé les conditions du négoce des non-ferreux1. La mise en

exploitation des gisements de la Sierra de Carthagène apporte une seconde modification

d’importance. Les quantités de plombs argentifères produites dans cette région du sud de

l’Espagne prennent des proportions considérables. Avant 1840, le chiffre s’élevait à 15 000

quintaux par an. En 1853, la production est de plus de 180 000 quintaux2. Les négociants et

les industriels marseillais espèrent fondre les minerais de plomb et traiter les plombs

argentifères ibériques. A la fin des années 1840, pour que cette espérance devienne une

réalité, l’industrie marseillaise du plomb doit subir de profondes transformations. Par la

structure de ses entreprises et ses faibles aptitudes technologiques, elle ne peut élargir

l’éventail de ses productions et connaître une croissance importante.

LA RAPIDE CONSTITUTION DU SECTEUR

3 L’industrie marseillaise du plomb connaît de profonds changements à partir de 1846.

L’action de Luis Figueroa, un afrancesado réfugié à Marseille depuis les débuts de la

Restauration, déclenche un mouvement qui prend rapidement une grande ampleur.

181

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Le rôle initiateur de Luis Figueroa

4 « Trois maisons de commerce de Marseille se réunirent en 1847 sous la raison sociale

Figueroa & cie pour enlever à l’Angleterre une partie du commerce des plombs

argentifères dont l’Espagne produit de fortes quantités et doter la France d’un

établissement destiné à cette grande industrie3 ». Figueroa & cie et Guerrero & cie, les

deux grandes sociétés de négoce de la place de Marseille spécialisées, au cours des années

1840, dans le commerce des plombs espagnols se sont réunies dans cette opération. Elles

ont trouvé un solide appui financier en associant à leur affaire la banque marseillaise

Cucurny oncle & cie4. La société en nom collectif Figueroa & cie est initialement formée le

19 mars 1846 et reçoit dans le même temps l’autorisation d’établir un atelier pour la fonte

et le laminage du plomb5. Pour cause de moyens financiers insuffisants, elle est

reconstituée en mai 1847. Son capital est alors porté à 1,2 million de francs. L’entreprise

est précoce. « La fondation de la société industrielle précède de plus d’un an la

libéralisation de la législation espagnole sur les exportations de plombs argentifères6. »

Luis Figueroa a fait preuve d’une remarquable intuition en anticipant une décision

législative qui va faire sa richesse.

5 L’établissement a été monté « …sur le pied anglais », « en faisant venir d’Angleterre les

plus habiles ouvriers ». Il « …est le seul de ce genre en France7 ». La société s’est en effet

équipée sur le modèle des deux grandes fonderies de plomb du sud de l’Espagne de la

seconde moitié des années 1840, celle de Manuel Agustin Heredia à Adra (la San Andrés)

et celle du Britannique Thomas Williams située à Santa Lucia, aux environs de Carthagène8. Les fourneaux sont anglais et écossais, tout comme les chaudières du modèle mis au

point par Pattinson9 :

« Les chaudières à la Pattinson, que M. Figueroa père a eu le premier l’idéed’introduire à Marseille (on peut même dire en France), pour l’affinage parcristallisation des plombs pauvres qu’il recevait d’Espagne, ont été importéesd’Angleterre. Ce sont des chaudières en fonte, à section hémisphérique avecrebords et dont le fond et le pourtour sont chauffés par la flamme d’un foyerintérieur. »

6 La société souhaite exercer au départ, outre la désargentation des plombs, plusieurs

autres types d’activités : traiter les plombs bruts pour en obtenir des produits laminés,

des tuyaux, des litharges et du minium10. Sur ce dernier point, Luis Figueroa entend faire

une importante percée sur les marchés étrangers en concurrençant les entreprises

anglaises, notamment celles du Derbyshire :

« Notre pays n’est pas en possession du commerce d’exportation de la litharge oude minium. Ce sont les Anglais qui en ont le monopole et qui approvisionnent tousles marchés de l’Europe en produits de leur industrie. Grâce aux développementsdonnés à notre établissement fondé à Marseille sur une très vaste échelle, nous nedoutons pas de pouvoir entrer avec quelques succès en lice et d’amener sur la placede Marseille un très grand nombre des demandes en litharge et minium que lesautres États du continent portent sur les marchés anglais11. »

7 Pour parvenir à ses fins, l’Espagnol doit régler les problèmes des tarifs douaniers afin de

faire baisser ses coûts d’approvisionnement en matières premières. Les plombs bruts

étrangers sont taxés à leur entrée sur le territoire français. Luis Figueroa s’adresse en

1848 à la chambre de commerce de Marseille pour lui demander son aide. L’institution

consulaire doit obtenir du gouvernement un remboursement des plombs bruts quand ils

sont exportés par la suite sous forme de litharge et minium. Les doléances émises par la

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chambre de commerce ont vraisemblablement eu un impact. Le 5 mars 1849, cinq mois

après la demande, l’Etat décrète « l’autorisation d’admission en franchise, à charge de

réexportation, des plombs bruts destinés à être convertis en litharge ou minium12. »

8 Malgré cette condition favorable, les débuts de l’entreprise sont difficiles. La gestion de

Luis Figueroa n’est pas en cause. Les difficultés sont liées à la mauvaise conjoncture

économique de la fin des années 1840. Comme pour l’ensemble des productions

marseillaises, la crise de 1848 a durement touché les activités métallurgiques. L’Espagnol

peut néanmoins compter sur de solides appuis à Marseille. Sa société est soutenue par

quelques-unes des plus grandes banques locales (Warrain & Decugis, Lauront & cie,

Lantelme aîné & cie, Roux de Fraissinet & cie…13). Ces dernières se portent garantes pour

l’emprunt de deux millions de francs que la société contracte en mars 1848 auprès de la

Banque de Marseille. Dès 1850, l’entreprise peut reprendre sa croissance et compte 270

ouvriers l’année suivante14.

La multiplication des créations d’entreprises

9 Le succès de cette première initiative menée par Luis Figueroa déclenche une série de

créations, d’autant que le gouvernement continue de libéraliser sa législation douanière

dans le domaine des plombs. En février 1851, les plombs bruts sont admis en franchise

temporaire15. Grâce à l’intervention de la chambre de commerce de Marseille, le délai

pour la réexportation est porté de trois à six mois en mars 185316. En six années

seulement, sept nouvelles usines se livrant au traitement des minerais ou de plombs

argentifères s’établissent à Marseille ou dans sa proche banlieue. En 1848, un

établissement est ouvert dans le quartier d’Arenc par Blanc et Blain. Il prend la suite d’un

atelier d’affinage de métaux précieux qui fonctionnait depuis les premières années de la

Restauration17. L’année suivante, un second est monté dans le quartier des Chartreux par

Lajarije et Legros18. Le quartier Saint-Louis, situé à l’extrême nord de la ville, accueille la

troisième usine en 1850, dirigée par Luce fils et Gustave Rozan19. En 1851-1852, trois

nouveaux établissements s’implantent à l’Escalette, à Septèmes-les-Vallons et au quartier

des Catalans, appartenant respectivement à Meynier20, à la Compagnie des usines

métallurgiques réunies21 et à Olivieri22. Enfin, deux années plus tard, Ignacio Figueroa, fils

de Luis décédé en 1853, installe une usine aux Goudes, à quelques kilomètres de l’Escalette23. Au cours de cette période, prenant fin dans la première moitié des années 1850,

pratiquement toutes les usines traitent à la fois les plombs et les galènes. Seul

l’établissement des Chartreux, à partir de 1856, réoriente ses activités vers des travaux de

deuxième fusion (laminage des plombs et des cuivres, production de tuyaux et de

grenaille) et abandonne la fabrication des plombs bruts et l’extraction de l’argent24.

APPROVISIONNEMENTS, DÉBOUCHÉS ETSTRUCTURES DE PRODUCTION

10 Le développement des quantités de minerais et de plombs bruts attirés dans les usines

marseillaises reste modeste durant la première moitié des années 1850. Entre 1853 et

1855, la valeur des importations des minerais et métaux varie entre 1,6 et 2,8 millions de

francs25. Le chemin parcouru par ce secteur est toutefois déjà important. En 1855, Louis

Barré, rédacteur d’un article sur le commerce des minerais à Marseille pour les Annales

des Mines, peut écrire : « L’importance des usines métallurgiques grandit d’année en

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année à Marseille. Plusieurs fonderies traitent outre les plombs d’œuvre, les minerais de

cuivre, de plomb et d’antimoine, et déjà ces usines exercent une heureuse influence sur

l’industrie minérale des contrées voisines26. »

Un approvisionnement en pleine expansion

11 Le travail prend véritablement de l’ampleur en 1856. Les courbes de productions montent

en flèche. Des quantités considérables de plombs bruts et de minerais de plomb arrivent à

Marseille pour y subir les opérations de fonte et de coupellation. En 1856, pour la

première fois, la valeur des importations dépasse dix millions de francs. Les quatre

années suivantes forment, en valeur comme en quantités, la période maximale des

importations. La valeur totale des produits importés fluctue alors entre 20 et 25 millions

de francs27.

12 Sur l’ensemble de la période, les plombs destinés à être pattinsonnés sont uniquement de

provenance espagnole. La situation est différente avec les galènes argentifères. Dès le

départ, les sources d’approvisionnement en minerais se sont diversifiées. Les usines

marseillaises emploient bien sûr les galènes argentifères d’Espagne, mais aussi de

provenance française, comme celles extraites des mines du Fournel, situées à

l’Argentière-la-Bessée, dans le département des Hautes-Alpes. Après une tentative de

reprise malheureuse à fin des années 1840, le filon médiéval est exploité de manière

intense à partir de 185128. Les mines emploient alors jusqu’à 500 ouvriers. Les minerais

espagnols et français ne suffisent toutefois pas aux industriels et négociants phocéens,

qui décident de porter leurs actions à l’étranger, essentiellement dans le bassin

méditerranéen. Ils essaient d’attirer vers Marseille les minerais de Sardaigne tout comme

ceux du Piémont. En 1851, une société en commandite par actions au capital de 300 000

francs est formée « pour l’exploitation de huit mines de plombs argentifères situées en

Sardaigne29. » Quatre années plus tard, une autre société marseillaise fait l’acquisition des

mines de Tende, dans le royaume de Piémont-Sardaigne30. Elle est dirigée par deux

négociants de la ville, Charles Reinaud et Jacques Sénèque, et un ingénieur métallurgiste,

Marius Laugier, spécialisé dans l’industrie du plomb. À l’extrême fin de la période, les

premières opérations menées en Grèce apparaissent. En 1864, le banquier marseillais

Hilarion Roux, qui a commencé à s’intéresser au plomb au cours des années 1840 dans la

région de Carthagène31, forme avec un groupe d’hommes d’affaires de la région une

société en nom collectif au capital de 600 000 francs « …pour l’exploitation des scoriaux

de Grèce, leur acquisition, la fusion des scories, leur vente, et, en un mot, tout ce que

comprend une industrie métallurgique32 ». Les actions se portent également sur la rive

sud de la Méditerranée. Depuis 1851, l’Algérie est placée sous le régime national dans le

domaine des douanes. Les usines marseillaises importent donc des minerais algériens,

provenant essentiellement de la région du Constantinois33. Les initiatives pour contrôler

plus étroitement ce marché apparaissent rapidement. En 1853, le propriétaire des usines

de Septèmes, Jean Briqueler, s’associe avec Théodore Frisch, négociant et consul du

Danemark, pour exploiter les mines du mont Taya en Algérie, toujours dans le

Constantinois34. Jusqu’en 1860, le traitement des minerais reste toutefois très minoritaire

par rapport aux travaux effectués sur les plombs argentifères.

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Les équipements et les productions

13 Les courbes des productions suivent celles des importations et s’envolent à partir de 1856.

17 519 quintaux de plombs marchands sortent des usines des Bouches-du-Rhône en 1853,

156 280 trois années plus tard et 359 755 en 1859. La progression de la production

d’argent est aussi fulgurante : 4 998 kilos en 1853, 19 300 en 1856, 41 000 en 185935. Afin de

parvenir à un tel accroissement, les propriétaires des divers établissements ont

massivement investi dans les équipements. En 1855, Louis Simonin peut recenser la

présence dans les usines à plomb marseillaises de sept machines à vapeur (81 chevaux de

puissance totale), de deux machines hydrauliques, de douze chaudières à vapeur, de six

moulins à broyer et de neuf blutoirs à litharge36. En 1853, les divers établissements

possèdent trois fours de grillage, neuf fours à manches et treize fours à réverbère37. Sept

années plus tard, les usines en possèdent respectivement huit, vingt-quatre et cinquante

et un38. Le nombre des ouvriers s’est parallèlement accru. Le chiffre double presque entre

1855 et 1859 – année phare des productions –pour culminer à plus de 70039. En 1858-1859,

la région marseillaise est devenue, en une dizaine d’années et avec sa seule industrie du

plomb et de ses dérivés, la principale zone française de production de non-ferreux. La

valeur de ces productions est de plus de 30 millions de francs et représente alors plus de

50 % du total national40. Environ 40 % de la production marseillaise de plombs marchands

est destinée à l’exportation. Jusqu’en 1871, les États-Unis importent annuellement 50 000

et parfois même 100 000 quintaux de plombs phocéens et sont ainsi les principaux clients

étrangers41. La majeure partie des plombs marchands est toutefois utilisée à Marseille

même.

14 La croissance des fonderies de plomb a entraîné dans son sillage le développement de

nombreuses autres activités. Parmi celles-ci, deux ont pris une importance marquée : la

fabrication de tuyaux et de produits laminés. Luis Figueroa avait, une fois de plus, montré

la voie en ajoutant à sa fonderie un atelier de laminage dont la production s’élève en 1850

à 30 000 quintaux (1 500 000 francs de valeur)42. Plusieurs établissements sont créés ou

prennent de l’ampleur au cours des années 1850. La société Bourdillat & cie, fondée en

août 1855, fabrique des tuyaux de plomb pour la distribution du gaz ou de l’eau des

fontaines. En 1861, la production de ces usines approche 2 400 000 francs (43 200

quintaux)43.

Un effet d’imitation : le travail du cuivre

15 Autre nouveauté, certaines usines se lancent dans le traitement des minerais de cuivre.

L’implantation de ce type d’activité à Marseille bénéficie des investissements engagés

dans l’industrie du plomb. Les équipements et les étapes du processus de traitement sont

globalement similaires. Le grillage du soufre des galènes argentifères se retrouve dans le

traitement des mattes de cuivre noir. Le principe est également identique pour les

opérations de fusion et de raffinage. En 1853-1854, des industriels et des négociants

espèrent un moment se lancer dans une production qui affranchirait Marseille de ses

traditionnelles importations britanniques en drainant les minerais méditerranéens vers

la Provence :

« Depuis longtemps la presque totalité des minerais de cuivre du bassinméditerranéen, y compris l’Algérie, était exportée en Angleterre et exploitée dans

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les usines de Swansea. Le cuivre en lingot revenait ensuite en France pouralimenter nos ateliers44 ».

16 Jusqu’à cette date, cette branche de la métallurgie marseillaise était donc des plus

réduites. Deux entreprises d’envergure, celles de Septèmes-les-Vallons et de Port-de-

Bouc, commencent à traiter des minerais. À Marseille, l’initiative ne connaît pas de

réussite. L’usine de Septèmes ferme ses portes en 1855 par manque de rentabilité45. Si le

traitement des minerais est un échec, le travail du métal, en revanche, se développe.

Stimulé par le décret impérial de septembre 185646, le développement de la fabrication

des produits finis en cuivre s’amorce dans la seconde moitié des années 1850. Les cuivres

peuvent désormais être importés en franchise de droits quand ils sont destinés à servir au

doublage des carènes de navires. Les fonderies de deuxième fusion se multiplient entre

cette date et le milieu des années 1860. Une fois de plus, c’est l’usine du Rouet qui amorce

le mouvement en déposant, l’année du décret, une demande d’ouverture pour une

fonderie de cuivre47. On ne compte pas moins de onze nouvelles demandes pour Marseille

entre 1857 et 1865. Les ateliers sont nombreux mais de taille modeste. Les documents se

rapportant à leurs activités, à leurs marchés, sont hélas presque inexistants. En 1861, les

deux entreprises les plus importantes sont celles de Toussaint Maurel et de Brémond &

Sagne. Elles emploient respectivement 40 et 45 ouvriers48. Cette même année, une

nouvelle usine à cuivre relativement importante – le capital est de 200 000 francs – est

créée par les frères Deluy49 mais, là encore, les informations disponibles ne permettent

pas de connaître les activités de cette entreprise. Ce qui semble certain dans ce secteur de

la métallurgie du cuivre est que la majeure partie des activités concerne le travail du

métal. Le traitement des minerais est même extrêmement faible. Il est conçu comme une

opération d’appoint par deux fonderies de la ville (celle de Septèmes et celle de Figueroa

au Rouet)50. Seule la production d’argent aurait pu donner de l’ampleur à cette branche.

Les entrepreneurs ont des difficultés à drainer des minerais de cuivre avec une teneur en

argent assez importante. D’après les enquêtes des ingénieurs des Mines du département,

la production d’argent par l’affinage de cuivres bruts argentifères n’a lieu qu’en 186351.

Avec un total de 277 kilos, elle est dérisoire et ne permet donc pas d’offrir une rentabilité

suffisante à l’ensemble du secteur.

LES DIFFICULTÉS DU DÉBUT DES ANNÉES 1860

17 Les entraves au développement de l’industrie du plomb sont peu nombreuses dans les

années 1850. Quelques gênes sont toutefois présentes. Des manipulations inutiles de

marchandises au bureau des Douanes de Marseille accentuent les coûts de production52.

L’obtention de drawbacks soumis à de strictes obligations implique une logistique sans

faille pour les approvisionnements et les exportations53. Enfin, les prix trop élevés des

charbons sont signalés par les entrepreneurs de ce secteur. Les lignites ne suffisent pas à

la bonne marche des opérations. Les fondeurs du plomb doivent également utiliser des

cokes de l’usine à gaz de Marseille, des houilles britanniques et du bassin de la

Grand’Combe. Ces charbons sont plus chers et il faut leur ajouter le prix de transport,

notamment pour ceux provenant des mines du Gard, distantes de 191 kilomètres de

Marseille (cinq centimes par tonnes et par kilomètre54). Les établissements composent

avec ces contraintes qui ne remettent pas en cause la prospérité du secteur.

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Un problème de débouchés extérieurs ?

18 La situation devient en revanche préoccupante au cours de la première moitié des années

1860, époque durant laquelle les véritables difficultés apparaissent. La chambre de

commerce de Marseille explique la situation par la diminution des débouchés extérieurs55

. Les trois principaux arguments avancés par l’institution consulaire pour expliquer le

fléchissement des activités sont justes. Les pays du nord de l’Europe, essentiellement

l’Allemagne et la Belgique, ont accru leur production de plomb. Ces pays importent donc

moins et deviennent même dangereux sur les marchés étrangers. L’Italie souhaite se

passer de l’intermédiaire marseillais et commence à acquérir une certaine indépendance.

Quatre fonderies ont été montées dans les anciens États sardes. La plus importante

d’entre elles, celle de Pertusola, située dans le golfe de La Spezia, traite à ses débuts 44 000

quintaux de minerais56. Enfin, et il s’agit selon la chambre de commerce de la principale

raison, les débuts de la guerre civile aux États-Unis ont fortement fait baisser les

exportations vers ce pays57.

La baisse des effectifs ouvriers

19 Une des conséquences de la diminution des productions à partir des années 1859-1860 est

la baisse parallèle du nombre de salariés employés dans le secteur. Le nombre d’ouvriers

travaillant dans les fonderies de plomb marseillaises passe de 525 à 254 entre 1855 et

1861. Dans les deux usines détenues par Ignacio Figueroa en 1855 et par Guilhem en 186058

, le mouvement est encore plus accentué. Le chiffre tombe de 218 ouvriers à 82. La baisse

des exportations est une raison valable pour expliquer les difficultés de l’industrie

marseillaise du plomb, mais la chambre de commerce de Marseille n’analyse que

partiellement la situation. Les exportations pour les États-Unis vont reprendre dès 186259.

Le principal facteur de ce début de crise est le retour des Anglais dans les circuits

commerciaux du plomb. Ce mouvement constitue alors la principale inquiétude des

industriels marseillais.

***

20 La période reste globalement celle d’une extraordinaire réussite. Les entrepreneurs

marseillais ont su profiter des opportunités commerciales apparues dans le secteur des

non-ferreux. Sans l’avantage de la proximité de gisements de minerais ou de houille, la

ville de Marseille est parvenue en quelques années seulement à se doter d’une industrie

puissante, au rayonnement national et même international. Les structures traditionnelles

de la Restauration et de la monarchie de Juillet ont fait place à des établissements qui

utilisent les techniques de production les plus modernes. Ces entreprises se montrent de

plus particulièrement dynamiques aussi bien dans leurs politiques d’approvisionnement

en matières premières que dans la quête des débouchés. Il reste aux négociants et aux

industriels à gérer ce succès rapide. Le temps est venu de pérenniser les structures

établies et les marchés en surmontant les difficultés de cette première moitié des années

1860. L’entreprise est délicate. Les fondeurs de plomb marseillais savent bien que le

retour des Britanniques sur les marchés internationaux ne s’inscrit en rien dans une

logique de courte durée.

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NOTES

1. En matière de plomb, la Grande-Bretagne fonctionne en autosuffisance jusqu’à la fin des

années 1850 (cf. CHASTAGNARET G., « Conquista y dependencia… », art. cit., p. 183).

2. Cf. PETITGRAND E., « Construction des fours à traiter le minerai de plomb employés en

Espagne », Mémoires de la société centrale des ingénieurs civils, 1853, p. 34.

3. AN F 12 4932.

4. ADBdR 354 E 313 et CHASTAGNARET G., « Marsella… », art. cit., p. 26.

5. ADBdR XIV M 12/71.

6. CHASTAGNARET G., « De Marseille à Madrid… », art. cit., p. 129.

7. ACCM MP 3611 et AN F 12 4932.

8. Pour l’usine de San Andrés, cf. chapitre vu et EMP J 1850 (132), p. 80-94. Pour celle de Santa

Lucia, Ibid., p. 45.

9. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 416. Pour plus de détails sur le

pattinsonage, cf. GARÇON A.-F., « Les Métaux non-ferreux en France aux XVIIIe et XIXe siècles.

Ruptures, blocages, évolutions au sein des systèmes techniques », thèse de doctorat, EHESS, 1995,

t. II, p. 636-643.

10. La litharge est un oxyde de plomb obtenu en coupellant les plombs dans des fours à

réverbères. Elle est employée dans l’industrie de la verrerie, dans celle de la poterie, dans les

huileries et pour la fabrication du minium. Le minium est également employé dans l’industrie de

la poterie mais aussi pour la fabrication du cristal et surtout de peintures.

11. ACCM MP 3611.

12. ACCM MP 3610.

13. ADBdR 354 E 313.

14. GUIRAL P., « Le cas d’un grand port… », art. cit., p. 220.

15. ACCM MP 3610.

16. Ibid.

17. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 407.

18. La société change de mains deux fois dans les années 1850. Moreau en devient propriétaire en

1852 (AN F 14 4313). En 1856, Malenchini en fait l’acquisition (SIMONIN L., « Notice sur les usines à

plomb… », art. cit., p. 407).

19. Ibid. Gustave Rozan était déjà un industriel. Il a commencé dans les affaires en exploitant une

verrerie. Le capital de la société Luce fils & Gustave Rozan est de 200 000 francs (cf. biographie de

Gustave Rozan dans CATY R., ECHINARD P., RICHARD É., Les Patrons du second Empire. Marseille…, op. cit

., à paraître en 1998).

20. Gautier en devient propriétaire dans la première moitié des années 1850 (ibid.).

21. La société de J. Briqueler, fondée en 1844 et qui s’occupait jusqu’alors de traiter les minerais

d’antimoine italien, étend ses activités. Vers 1854, l’usine travaille annuellement 200 tonnes de

minerais d’antimoine importés des mines toscanes d’Orbitello (AN F 12 2514). L’usine a changé

plusieurs fois de mains. En mai 1853, une nouvelle société, la Schnell, Frisch & Cie, est chargée de

son exploitation. Schnell et Frisch cèdent la place à Monnin-Japy et Jacquinot en 1855 (nouvelle

raison sociale F. Jacquinot & Cie). L’usine, enfin, est acquise en 1857, par une société polonaise

(Chamski & Cie) (ADBdR 548 U 7).

22. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 407.

23. Ibid.

188

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24. ACCM MP 3611.

25. Valeur des importations : 1 800 000 francs en 1853, 2 700 000 francs en 1854, 1 631 000 francs

en 1855 (SIM, 1853-1855).

26. BARRÉ L., « Le commerce des minerais à Marseille en 1855 », ADM, 1856, t. I, p. 94.

27. Cf. annexe 4.

28. Pour l’histoire des mines de l’Argentière-la-Bessée, cf. CCSTI de l’Argentière-la-Bessée, Les

mines d’argent des gorges du Fournel, Briançon, 1994, EMP J 1850 (129) et M 1854 (482).

29. ADBdR 548 U 6.

30. Emiles & cie. Cette société connaît de nombreux déboires. Elle est mise en liquidation en

février 1860 (ADBdR 548 U 7 et 8).

31. Hilarion Roux, entrepreneur particulièrement dynamique, aura un rayon d’action très étendu

dans les affaires métallurgiques en Europe, en Afrique mais aussi en Amérique centrale (cf.

ADBdR 548 U 8).

32. ADBdR 548 U 9.

33. MASSIA A., « Les industries métallurgiques à Marseille sous le Second Empire », mémoire de

maîtrise, université de Provence, 1974, p. 129.

34. ADBdR 548 U 6.

35. Cf. annexes 4 et 5 in fine.

36. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 419. Seule l’usine de Saint-Louis

utilise la force hydraulique en empruntant l’eau au canal de Marseille.

37. Les fours de grillages servent à débarrasser les galènes argentifères du soufre qu’elles

contiennent et donnent le plomb d’œuvre. Les fours à manche sont utilisés pour la fusion. Les

fours à réverbère sont destinés à affiner les plombs avant de pratiquer le pattinsonage (ibid.).

38. SIM, 1853 et 1860.

39. Ibid., 1855 et 1859.

40. La valeur de la production marseillaise est de 30 806 200 francs (dont 30 773 700 pour les

plombs marchands et l’argent) en 1858, 31 912 965 (dont 31 879 620) l’année suivante. La valeur

totale de la production française de non-ferreux est de 58 847 280 francs en 1858, 60 601 925

l’année suivante (SIM, 1858-1859).

41. Cf. CHASTAGNARET G., « De Marseille à Madrid… », art. cit., p. 129.

42. « Rapport sur la situation de l’industrie à Marseille », RTSSM, t. XVI, 1852, p. 140-141.

43. SAPET T., « Notes sur les produits de l’industrie marseillaise », RTSSM, 1864, p. 332-333.

44. CRTCCM, 1853-1854, p. 27.

45. Simonin L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 407. L’atelier appartenait à la

Compagnie des usines métallurgiques réunies de Septèmes-les-Vallons.

46. ACCM MP 3611.

47. ADBdR XIV M 12/71 et AN F 14 4313.

48. ADBdR XIV M 10/11.

49. ADBdR 548 U 9.

50. Une troisième usine fondée par Escalle et de Longperrier en 1854 à Port-de-Bouc ; (cf. EMP J

18602 737) travaille des pyrites de cuivre et des cuivres bruts d’Algérie, d’Espagne et d’Italie ainsi

que des mattes noires de Turquie. La production, durant la période 1861-1865, évolue entre 3 000

et 5500 quintaux. Elle s’effondre en 1865 (120 quintaux seulement) sans que l’on puisse en

connaître les raisons (SIM, 1861-1865).

51. SIM, 1863.

52. La pesée des exportations se fait au bureau des douanes, qui est distant d’un kilomètre de la

gare (cf. Enquête. Traité de commerce avec l’Angleterre, t. II : Industrie métallurgique, Paris, Imp.

Impériale, 1860, p. 232 et suivantes).

53. Les fondeurs n’obtiennent les drawbacks que si l’acheminement des plombs se fait par bateaux

français ou portant pavillon du pays de destination (Ibid.).

189

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54. Cf. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 413.

55. CRSICM, 1861, p. 50-51.

56. Luzzato G., L’economia italiana dal 1861 al 1914, Milan, 1963, t. I, p. 154-155.

57. CRSICM, 1861, p. 50.

58. Guilhem crée, en 1860, une société d’un million de francs pour exploiter les usines du Rouet

et des Goudes (ADBdR 548 U 8). Ignacio Figueroa reste propriétaire des établissements.

59. La CCM précise en 1862 que des envois considérables ont été dirigés vers les États-Unis « où

les nécessités de la guerre ont créé des besoins exceptionnels » (CRSICM, 1862, p. 96).

190

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Chapitre XI. L’expansion de lamétallurgie des fers et des fontes

1 Sous la monarchie de Juillet, la gamme des productions de produits intermédiaires (fers

bruts, semi-finis et finis) était relativement limitée dans la région marseillaise. Depuis

1840 environ, quelques entreprises se livraient au puddlage de fontes, à la galvanisation

du fer et au moulage de pièces de machines. Les quantités produites demeuraient faibles

et de nombreuses fabrications restaient absentes. Pour les tôles, cornières, tubes et

grosses pièces de forge, les ateliers provençaux se fournissaient exclusivement auprès

d’entreprises anglaises, parisiennes ou du Centre de la France. Deux problèmes

difficilement surmontables se dressent devant les entreprises phocéennes qui souhaitent

s’orienter vers ce type de productions : les coûts élevés de fabrication et la faiblesse de la

demande. Les entreprises liées à la navigation ont des besoins encore limités. Les effets

d’entraînements sont donc peu importants. Le travail des fontes et des fers bruts est

rendu difficile à cause des approvisionnements coûteux en matières premières. La

législation douanière protectionniste et la compétitivité médiocre de la sidérurgie

française empêchent les métallurgistes marseillais de se lancer dans ce secteur

d’activités.

2 La fin des années 1840 apporte une modification notable à cette situation. Les ateliers de

mécanique et les chantiers navals marseillais mettent en pratique, à grande échelle, les

améliorations techniques des années 1830-1840 qui ont donné une grande ampleur au

marché. L’utilisation croissante des carènes en fer pour les navires à vapeur crée une

importante demande en tôles et cornières. Le développement de la fabrication des

chaudières tubulaires et du réseau de distribution du gaz dans les villes du département

joue un rôle identique pour les tubes et les tuyaux. Enfin, l’apparition d’un nouveau

système de propulsion dans la marine, l’hélice, nécessite la fabrication de pièces de forge

de grandes dimensions travaillées à l’aide de marteaux-pilons. Les entrepreneurs locaux

ou extérieurs ne sont pas restés longtemps insensibles aux opportunités offertes par la

croissance de ces demandes. Les fonderies trouvent des possibilités de débouchés et les

forges peuvent apparaître. Néanmoins, si le problème de la demande s’efface, celui des

coûts de production reste entier. Comment des forges ou des tôleries peuvent-elles être

compétitives en fonctionnant avec des fontes dont le prix est élevé ? La métallurgie

191

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marseillaise croit un moment détenir la solution par une extension verticale de ses

activités.

LES FORGES DE LA CAPELETTE

3 Dans le domaine des forges, une première tentative a été menée sans succès en 18451 La

seconde initiative, lancée l’année suivante, débouche sur une réalisation. Amédée Armand

établit une usine de production de tubes, de tôles et de pièces de forge dans le quartier de

La Capelette.

Naissance et essor des forges de la Capelette

4 Amédée Armand est un des grands industriels de la ville depuis le début des années 18302.

Il a commencé sa carrière dans l’exploitation de mines avant d’exercer diverses activités

de négoce, notamment en Italie. En 1846, Amédée Armand étend ses affaires, se lance

dans la métallurgie et dépose sa demande d’autorisation d’établissement3. La société, en

commandite par actions, est constituée en janvier de l’année suivante avec pour objet « la

fabrication du fer par l’affinage de la fonte et le traitement des riblons, celle des grosses

pièces de forge à l’aide des marteaux-pilons et des tôles et fers au moyen de laminoirs, et

la fabrication de tubes en fer pour chaudières…4 ». Amédée Armand s’est associé avec

Raymond Soudry, l’ancien directeur de l’usine à gaz d’Aix. Deux principaux

commanditaires ont apporté les fonds nécessaires. Un seul d’entre eux est connu : Philip

Taylor. Le Britannique a compris tous les bénéfices qu’il pouvait retirer d’un tel

établissement. Avec cette usine, l’atelier mécanique de Menpenti et les chantiers navals

de La Seyne, Taylor contrôle la fabrication de toutes les pièces et appareils nécessaires à

la confection des navires à vapeur. Le capital de départ est de 400 000 francs. Il est porté

en juillet de la même année à un million de francs. L’usine fonctionne à partir de mai 18465.

5 Durant les deux premières années de fonctionnement, seule la production de tubes pour

chaudières tubulaires est assurée. Il s’agit là d’une grande nouveauté car si le Français

Seguin est l’inventeur des chaudières tubulaires, les Britanniques restent longtemps les

seuls producteurs de tubes pour ce type d’appareils. En France, jusqu’à la fin des années

1850, la fabrication des tubes est l’apanage de seulement trois entreprises. Avec les forges

de la Capelette, les entreprises de Gaudillot à La Briche et de Boutterilain à Paris se livrent

à ce type de fabrication6. Il faut attendre l’année 1850 pour voir apparaître, en petites

quantités, la fabrication des fers à riblon. La production de fers bruts est destinée à la

vente de fers en barres mais aussi, et avant tout, à l’obtention de fer de qualité supérieure

pour la production des tuyaux de grande résistance pour les conduits de machines.

L’entreprise utilise un traitement original des fers au sortir des fours à puddler7.

L’opération « s’effectue par un procédé nouvellement importé d’Angleterre8 ». Il s’agit

certainement du procédé Russel dont Armand a acquis le brevet d’exploitation pour la

France9, mais aucun renseignement n’a pu être trouvé sur l’originalité de cette méthode.

L’activité de l’entreprise reste encore faible cette année-là. Avec une centaine d’ouvriers,

l’usine produit 10 000 quintaux de fers pour une valeur de 1 600 000 francs10.

6 La crise a durement touché le secteur français de la construction mécanique. Amédée

Armand peut néanmoins compter sur le soutien du gouvernement et du ministre de la

Marine qui a tout intérêt à protéger l’entreprise d’une faillite. Celle-ci aurait eu de graves

192

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répercussions sur le plan militaire11. Le ministre de la Marine, avait décidé d’adopter la

chaudière tubulaire pour ses bâtiments. Une circulaire avait été lancée au milieu des

années 1840 à tous les mécaniciens pour les pousser à créer une usine de tubes en fer

pour les appareils à vapeur. Placée dans une conjoncture politique instable, la marine

française se trouvait totalement subordonnée à l’industrie britannique, qui était la seule à

fabriquer ce type de produits jusqu’à la création de l’usine de La Capelette. L’entreprise

marseillaise possède donc une grande importance politique et militaire. Amédée Armand

réclame et obtient des dérogations pour des aides à l’exportation, des admissions en

franchise de métaux pour satisfaire au moindre coût les demandes de ses clients. Il signe

d’importants contrats avec la marine de guerre12. Le Marseillais a trouvé un ensemble de

solutions qui permet à son entreprise de passer la crise des années 1846-1851 sans

dommage majeur. La période difficile du démarrage laisse rapidement la place à plusieurs

années de grande prospérité.

L’intégration dans la Société des forges et chantiers de la

Méditerranée

7 En 1853, les forges de La Capelette sont absorbées par un groupe plus important. Cette

intégration est la conséquence directe des liens étroits qui unissent Amédée Armand et

Philip Taylor. Depuis 1846, le Britannique était le principal client et le premier

commanditaire de la société. L’atelier mécanique de Menpenti, les chantiers navals de La

Seyne et l’usine d’Amédée Armand sont rassemblés au sein de la Société des forges et

chantiers de la Méditerranée. Armand reste présent dans l’affaire. Il est un des principaux

actionnaires de la nouvelle société. Philip Taylor décide de donner une grande extension

à l’usine. Les ateliers sont modernisés. Pour la fabrication des fers et leur conversion en

produits finis, l’établissement est doté d’importants moyens : quatorze fours à puddler,

quatorze fours à réchauffer, un four à tôle, quinze feux de forge, trois fours à chauffer et

deux marteaux-pilons de respectivement deux et sept tonnes13. La production de fers

bruts et finis augmente de manière régulière. La quantité produite qui avoisinait les

70 000 quintaux en 1852 atteint le chiffre de 100 000 deux années plus tard14. Le marché

est essentiellement local. L’entreprise trouve ses débouchés auprès des ateliers

marseillais et des chantiers navals ciotadins et seynois. Pour les tubes en fer, elle est à

l’abri de la concurrence. La société Boutterilain est trop éloignée et se contente des

marchés du nord et du Centre de la France. Les entreprises britanniques sont tenues en

échec par la législation douanière française. La protection accordée par le gouvernement

aux établissements de l’Hexagone est efficace. Jusqu’à la loi du 26 avril 1856, l’importation

des tubes étrangers est purement prohibée. La nouvelle loi impose 30 francs de taxe sur

100 kilos de tubes importés15. La taxe est lourde. L’avantage accordé aux entreprises

françaises reste entier. Interrogé en 1858 par la commission de révision des tarifs

douaniers, le directeur des forges de La Capelette ne demande pas d’augmentation des

droits. Il les estime suffisants16. En 1855, la Société des forges change de mains. Les

hommes des Messageries impériales président désormais à la destinée de l’établissement.

La période maximale d’activité est atteinte en 1856-1857, avec une production record de

près de 163 500 quintaux17. L’usine compte alors plus de 400 salariés18. Le conseil

d’administration décide dans un premier temps de poursuivre l’œuvre d’Amédée Armand

et de Philip Taylor. Une nouvelle extension de l’usine est décidée en 185719.

L’établissement a trouvé une bonne stabilité, mais la programmation d’agrandissement

n’est pas respectée.

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Les difficultés de la fin de la période

8 Cette période de prospérité s’achève au bout de cinq années seulement. La conjoncture

est devenue peu favorable. Les difficultés apparaissent au début des années 1860.

L’équilibre trouvé par l’entreprise est remis en cause par un facteur externe. En 1862, le

périmètre de l’octroi de la ville de Marseille est modifié. L’usine doit désormais acquitter

un droit de quatre francs par tonne de houille amenée à l’usine. Le prix de fabrication des

fers augmente. Le conseil d’administration de la Société des forges, composé de

gestionnaires rigoureux, a décidé de donner la priorité aux prix de construction des

navires et des machines marines et suspend la production des tôles. Les tôles seront

achetées hors du groupe. Les commandes sont désormais adressées aux entreprises du

Creusot, de Terre-Noire, Saint-Chamond ou Rive-de-Gier, des sociétés capables d’obtenir

des coûts de production allégés par la proximité d’une sidérurgie performante et se

livrant à la fabrication de produits de qualité supérieure dont l’épaisseur peut aller

jusqu’à 30 millimètres20. En 1864, une grosse partie du matériel de l’entreprise est vendue

aux frères Marrel, de Rive-de-Gier, qui possèdent un établissement voisin21. L’usine

continue de fonctionner mais limite ses activités à la confection de tubes et de petites

pièces pour machines.

UNE PLÉIADE D’ENTREPRISES DYNAMIQUES

9 Les problèmes rencontrés par les forges de la Capelette n’affectent le niveau de

production des usines à fer marseillaises que durant quelques années22. Le secteur connaît

en effet un développement remarquable, surtout à partir de 1860. Il est délicat d’étudier

ce développement pris par l’industrie du fer à Marseille. La documentation sur les

entreprises est presque inexistante pour cette période. L’évolution générale du secteur ne

peut être aperçue qu’à partir des séries de la Statistique minérale. L’analyse reste donc

partielle. Les données collectées par les ingénieurs des Mines sont trop générales. Sous la

même rubrique, les différentes fabrications du secteur (tôles, tubes, pièces, chaînes…)

sont additionnées.

Une production en hausse

10 Depuis la fin de la crise, plusieurs autres entreprises ont été créées ou ont pris de

l’importance dans le secteur de production des fers en deuxième fusion. Entre 1850 et

1861, sept demandes d’autorisation d’établissements ont été déposées à la préfecture des

Bouches-du-Rhône. Deux d’entre elles concernent Aix, le reste la cité phocéenne23. Le

mouvement s’accélère au cours de la première moitié des années 1860. Les demandes

d’autorisation pour les usines à fer sont nombreuses (cinq pour la période 1862-1865). Ce

secteur est alors en pleine extension car à ces nouvelles entreprises s’ajoute le

développement d’entreprises plus anciennes. Après une période difficile, la production de

fers ouvrés connaît une courte phase de récupération et décolle véritablement au début

des années 1860 pour se stabiliser aux alentours des 50 000 quintaux durant les années

1863-1865. Deux entreprises dominent alors le secteur : la forge des frères Marrel et la

fonderie Benet.

194

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L’usine des frères Marrel

11 Dans les années 1850, à proximité des forges de La Capelette s’est ouvert un deuxième

établissement d’importance : celui des frères Marrel, de Rive-de-Gier, où l’on forge des

grosses pièces à l’aide de marteaux-pilons. Les dossiers de demande d’autorisation de

cette entreprise n’ont pu être retrouvés24. Il est toutefois possible d’en retracer l’histoire.

Depuis la fin des années 1840, les frères Marrel sont parvenus à acquérir d’importants

marchés à Marseille dans le secteur des pièces de grosse forge25. Les chantiers navals de

La Ciotat sont un des principaux clients de la région. En 1852, les liens entre l’entreprise

de la Loire et les chantiers des Messageries impériales se resserrent. Cette année-là, les

frères Marrel se décident à créer une unité de production jumelle à Marseille même :

« Cette usine n’a été établie que pour forger les pièces de grosseur moyenne dont les

Messageries ont constamment besoin pour remplacer les pièces avariées. Ce n’est que

dans le but de rendre service aux Messageries impériales et d’attirer ainsi leurs

commandes que MM Marrel ont établi cette usine à la porte de Marseille26. » Seules les

pièces de très grosse forge ne sont pas produites dans l’usine de Marseille. « Le

combustible étant très cher vu le transport, il serait irrationnel de forger des pièces qui

exigent 10 à 15 tonnes de houille par tonne de fer27. » L’établissement compte près de 100

ouvriers en 186128 et prend une extension en 1864 avec le rachat du matériel de

l’établissement voisin de la Société des forges.

L’essor d’établissements plus anciens

12 Outre la forge des frères Marrel, l’enquête d’octobre 1861 recense à Marseille une dizaine

d’entreprises produisant des fers bruts et surtout semi-finis ou finis29. Les entreprises qui

assurent ces productions en pleine expansion ne sont pas uniquement les unités créées

dans les années 1850, mais celles fondées sous la monarchie de Juillet, et, plus

généralement avant 1846. C’est le cas de certaines entreprises qui ne sont pas spécialisées

dans ce seul type de production. On produit des pièces de fers dans de nombreux ateliers

de mécanique (établissement de Menpenti, usine de Lejeune, toujours à Menpenti,

entreprise de Falguière à Arenc, chantiers navals de La Ciotat30…). À ces ateliers de

mécanique s’occupant de produire des fers il faut ajouter huit entreprises entièrement

spécialisées dans la fabrication de fers bruts et le moulage en première ou deuxième

fusion.

13 Comme la forge des frères Marrel, les fonderies d’Escoffier et de la veuve Grognet31 sont

des créations des années 1850. Celle du Britannique Unsworth a été montée en 184732.

Toutes les autres entreprises sont nées avant les débuts de la crise des années 1846-1851.

Parmi les principales se trouve celle de Louis Benet, qui a repris la direction de la société

au début des années 185033. La petite fonderie du début des années 1830 a laissé place à

une entreprise importante qui compte plus de 400 ouvriers en 1861. Ayant cédé ses

chantiers de La Ciotat en 1851, Louis Benet a entièrement pu se consacrer au

développement de sa fonderie. Les types de production comme les marchés restent

inconnus. Le nombre d’ouvriers employés et l’augmentation du capital de la société en

1853 laissent à penser que la fonderie a gardé une part non négligeable des commandes

des chantiers navals de La Ciotat34.

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14 Les autres grandes fonderies de la période précédente sont toujours en activité :

l’établissement des frères Puy, ceux de Riddings et Jeffery35, de Dussard36… Ces dernières

restent d’importance moyenne. Elles n’emploient jamais plus d’une centaine d’ouvriers.

En 1865, il semble qu’une quinzaine d’usines ou d’ateliers s’occupent à Marseille de la

production de fers bruts, semi-finis et finis37. Le marché est essentiellement local. Ces

entreprises travaillent pour les ateliers de mécanique de la ville, les chantiers navals de la

région ainsi que pour l’arsenal de Toulon38.

LES DÉBUTS DIFFICILES DE LA SIDÉRURGIEMARSEILLAISE

15 À l’avènement du second Empire, la Provence n’est pas une terre de sidérurgie. Les

quelques tentatives menées dans le Vaucluse ou le Var n’ont pas été couronnées de

succès. L’utilisation du charbon de bois amène des coûts de production trop élevés. Le

département des Bouches-du-Rhône est placé devant les mêmes difficultés. Une

sidérurgie ne peut s’installer à Marseille sans avoir résolu le problème du prix des

combustibles. C’est sans doute une des principales raisons qui a poussé la Société des

forges à renoncer à l’établissement de hauts fourneaux à Marseille39. Toujours dans la

première moitié des années 1850, une seconde société marseillaise, Nant aîné & cie, a

tenté d’établir une entreprise sidérurgique à Tarascon, à l’ouest du département40. La

constitution de cette société n’aboutit pas. Il semble que le fonds social de deux millions

de francs n’ait pas pu être réuni par les promoteurs de l’entreprise.

Les échecs dans le Var et le Vaucluse : l’impossible survie d’une

sidérurgie au bois

16 Les Hauts Fourneaux de Fréjus, qui traitaient depuis 1844 les minerais de fer de l’île d’Elbe

par la méthode catalane41, semblent avoir cessé de fonctionner en 1847. L’utilisation du

bois comme combustible rendait les coûts de production trop importants et empêchait

l’usine de s’assurer des marchés. En 1859, toujours dans la région de Fréjus, une nouvelle

réalisation est projetée42. Une société au capital de 900 000 francs entend traiter des

minerais italiens et espagnols avec une main-d’œuvre piémontaise43. Les actionnaires

pensaient pouvoir compter sur « …la clientèle voisine assurée de l’arsenal de Toulon et

des chantiers de La Seyne, sur les débouchés de l’Italie et sur ceux qu’ouvrirait le canal de

Suez44 ». Élaborée au cœur d’une mauvaise conjoncture pour la sidérurgie, l’initiative

reste à l’état de projet. Elle n’avait en fait que peu de chances de réussir. Les marchés sont

difficilement accessibles. À cause de l’utilisation du charbon de bois du massif de l’Estérel,

les prix des fontes auraient été peu compétitifs face à ceux proposés par les entreprises

du centre de la France ou de Grande-Bretagne. Les problèmes rencontrés par les hauts

fourneaux allumés dans le Vaucluse – ceux de Velleron, fondés en 1830 et ceux du Rustrel,

créés dans les années 184045 – sont du même type. Ici encore, l’utilisation du charbon de

bois augmente les coûts de production de manière notable. Ces problèmes de coûts sont,

de plus, aggravés par un approvisionnement difficile en minerais malgré la proximité de

gisements métallifères autour de Rustrel, Lagnes et Moirmoiron.

196

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Des échecs similaires dans les Bouches-du-Rhône

17 Deux années après la tentative de Nant aîné & cie, une nouvelle tentative d’allumage de

hauts fourneaux est menée dans les Bouches-du-Rhône. Elles aboutissent cette fois à des

réalisations concrètes. Une première société a été créée en 1855 sous la raison sociale

Voulland père & cie gérée par Louis Voulland, un ingénieur des Mines de Montpellier et

Roger, un négociant marseillais46. Cette société est en nom collectif. Le capital de 700 000

francs peut être porté à un million par la volonté du gérant. L’objet de départ est

l’exploitation, en Espagne, des mines de fer La Fraternitad au lieu-dit La Cabeza (province

d’Almeria) et la transformation des minerais extraits en fonte et en fer après première

fusion. Un ingénieur, Rivière de la Souchère est dépêché sur place pour un examen

approfondi de la mine47. Il revient particulièrement convaincu de son voyage d’étude.

Ayant pris connaissance du rapport élogieux de l’expert, les actionnaires décident qu’« il

y a lieu de constituer définitivement la société »48. La société est modifiée l’année suivante

et prend la raison sociale Voulland, Roger & cie49. Le changement le plus important par

rapport à l’acte initial concerne le lieu de traitement des minerais. Peut-être pour des

problèmes de combustibles, ceux-ci ne seront plus traités sur place, à proximité de la

mine, mais à Cassis, petit port de pêche situé à vingt kilomètres à l’est de Marseille. Les

hauts fourneaux sont montés au cours de l’année 1856, dans le quartier du Bestouand.

L’autorisation administrative n’est accordée qu’en 185750. La société peut procéder à

l’allumage de son premier haut fourneau et à la mise en route de ses équipements51.

L’usine entend traiter presque exclusivement des minerais de fer de La Cabeza (près de La

Garrucha, en Espagne)52 et doit fonctionner avec de la houille et du coke, mais aussi grâce

aux charbons de bois importés de Corse et de Sardaigne. L’établissement doit être

composé de trois hauts fourneaux consommant chacun annuellement 9 000 tonnes de

minerais. Ces prévisions sont démesurées. L’usine de Cassis ne semble avoir fonctionné

qu’une seule année, en 1857. La Statistique de l’industrie minérale signale cette année-là la

production de 14 360 quintaux de rails au combustible végétal. Le prix moyen de vente est

élevé : 35,40 francs le quintal. L’entreprise ferme ses portes la même année, balayée par la

concurrence française et étrangère ainsi que par la mauvaise conjoncture de l’année, qui

touche essentiellement les commandes adressées à la sidérurgie.

Une fatalité nord-méditerranéenne ?

18 Ces difficultés d’implantation d’une sidérurgie durable en Provence s’inscrivent dans une

situation qui touche l’ensemble du monde nord-méditerranéen. Comme à Marseille, les

marchés de produits sidérurgiques augmentent dans plusieurs régions d’Espagne ou

d’Italie avec la croissance des réseaux ferroviaires et l’essor des industries mécaniques.

Néanmoins, les économies régionales les plus avancées de ces deux pays démontrent la

même incapacité à créer ou à maintenir des productions de fontes brutes. Les raisons de

cet échec sont simples. Certaines entreprises connaissent des difficultés pour se fournir

en coke métallurgique à bon marché, d’autres doivent fonctionner avec des minerais

importés. Parfois, comme à Marseille, les deux facteurs se conjuguent. Toutes doivent

faire face à des marchés fluctuants et à la concurrence britannique encouragée par une

législation douanière permissive. Ainsi, la réussite de la sidérurgie andalouse dans la

première moitié du XIXe siècle n’était due qu’à un concours de circonstances

particulièrement favorable. Les troubles politiques des années 1830 avaient favorisé le

197

Page 200: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

succès de Manuel Heredia et de Joan Girô au détriment d’autres régions comme les

Asturies et le Pays basque53. Le retour à une certaine stabilité provoque d’ailleurs le déclin

de la sidérurgie andalouse, dont les coûts de production sont bien plus élevés que ceux

des entreprises basques ou asturiennes. Un des signes les plus évidents de cette

prépondérance des régions atlantiques de la péninsule ibérique est l’échec, au cours des

années 1860, de la Ramón Orozco y Cia. Cette société avait allumé quelques années

auparavant des hauts fourneaux au bois dans la province d’Almeria54.

19 Au milieu du siècle, La Catalogne tente également l’aventure55. Avec les travaux

ferroviaires et la réussite de grandes entreprises dans le secteur de la construction

mécanique (la Maquinista Terrestre y Maritima, El Nuevo Vulcano, Alexander Hermanos…

), cette région est alors le premier consommateur espagnol de produits métallurgiques.

Six hauts fourneaux sont allumés en un peu plus d’une décennie. Malgré des efforts pour

exploiter son sous-sol carbonifère qui offrait de riches espérances et l’établissement de

lignes ferroviaires pour amener les charbons sur les lieux de production, l’échec est une

fois de plus au rendez-vous. Les coûts de production restent élevés à cause du prix des

charbons. L’un des principaux problèmes est que les ressources sont médiocres.

L’extraction est de plus coûteuse et le prix du transport, lui aussi onéreux, vient s’ajouter

dans des proportions notables. La situation est aggravée par la réforme du ministre

Salaverria qui abaisse les taxes sur les fers étrangers entrant en Espagne. Les faillites et

fermetures se succèdent (Font, Alexander y Cia, la Ferreria Catalana…) et la métallurgie

catalane doit apprendre la modestie dans ses initiatives. La Herreria del Remedio, fondée

en 1861 par les frères Gerona dans le Poble Nou à Barcelone, fonctionne sur une méthode

plus conforme aux possibilités catalanes. L’entreprise traite des lingots étrangers et,

surtout, produit des fers bruts à partir de riblons. Cette solution se développe alors dans

le sud de l’Europe. Une initiative du même type apparaît également en Italie. En 1861, à

Savone, près de Gênes, la société Tardy & Benech se lance en effet dans le traitement des

vieux fers. L’implantation d’une sidérurgie traditionnelle, destinée à être confrontée à

une concurrence nationale ou étrangère, était impossible en Méditerranée.

Le pénible démarrage des Hauts Fourneaux de Marseille-Saint-Louis

20 Parallèlement au projet cassidain de Voulland, Roger & cie, une deuxième tentative de

création d’usine sidérurgique apparaît dans les Bouches-du-Rhône au milieu des années

1850. En 1855, une société chargée d’exploiter des hauts fourneaux à Marseille se

constitue. La société Mirès & cie n’a pas ses assises financières à Marseille, mais on

retrouve dans cette compagnie un des grands noms de la métallurgie locale. Le directeur

de l’entreprise est Jean Briqueler, l’homme des usines à plomb et à cuivre de Septèmes56.

Le projet s’intègre dans un ensemble beaucoup plus large. Il est né d’une double

opportunité offerte par les activités initiales de la société Mirès & cie. L’usine devait

utiliser les cokes de l’usine à gaz de Marseille, et accessoirement, ceux des mines de

Portes et Sénéchas, dans le Gard, deux entreprises dont la société Mirès & cie est

également propriétaire57. Les actionnaires sont ensuite certains de trouver un écoulement

facile de leurs productions à Marseille. L’entreprise est conçue pour fournir des fontes de

moulage et les transformer en deuxième fusion58. Le marché visé est important. Avec le

grand développement de la navigation à vapeur et la poursuite de l’industrialisation

marseillaise, la demande en pièces de fontes est importante. L’établissement est monté en

1855-1856 avec le plus grand soin et offre un visage séduisant. Chevalier et Coince, deux

198

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élèves ingénieurs de l’École des mines de Paris qui visitent l’entreprise en 1859, tiennent à

le souligner : « Le tout est monté avec grand luxe ; la halle de coulée est superbe59. »

Quatre machines à vapeur d’une force totale de 140 chevaux sont installées dans l’usine

afin de fournir la force motrice aux installations et assurer la bonne marche de la

soufflerie60. La production est lancée en 1856. Les minerais traités sont importés de l’île

d’Elbe, d’Espagne (La Garrucha) et d’Algérie (région de Bône). La préférence va aux

minerais italiens, qui ont un rendement supérieur. Le pourcentage de fonte produite à

partir des minerais de l’île d’Elbe avoisine en effet 65 %. Les minerais provenant d’Algérie

et surtout d’Espagne donnent moins (respectivement 60 % et 47,70 %). L’entreprise traite

également des scories provenant des fours à réchauffer de la forge anglaise installée à la

Capelette depuis 1846-184761 et espère produire 11 000 tonnes de fontes brutes durant

l’année 185662. Ce résultat ne sera pas atteint avant 1863.

21 L’établissement commence à produire en marche continue en 1857 mais connaît, dès ses

débuts, de grandes difficultés. On renonce rapidement à utiliser les cokes de l’usine à gaz

de Marseille. Les premiers essais ont donné de mauvais résultats. Le charbon est impropre

à la production de fonte63. L’usine ne pourra donc en utiliser qu’une faible quantité,

qu’elle doit savamment doser pour permettre des économies sans mettre en péril la

qualité de la production. L’approvisionnement en coke se fera auprès des mines de Portes

et Sénéchas. Se pose alors le problème du prix des transports : « En présence du tarif

auquel la Compagnie des chemins de fer de la Méditerranée maintient les transports du

coke, ce combustible de Portes et Sénéchas vaudra au moins, rendu à l’usine, 60 francs la

tonne. Ce chiffre ne peut manquer d’influer notablement sur le prix de revient de la fonte64. » Les répercussions de cet échec ont en effet de lourdes conséquences. La proportion

du combustible dans les coûts de production est énorme65. Il faut plus de 1 500 tonnes de

coke pour obtenir 1 000 tonnes de fontes brutes et plus de 320 pour obtenir une tonne de

pièces moulées en deuxième fusion. La lecture des marchés a également été mauvaise. Au

cours de la seconde moitié des années 1850 et au début de la décennie suivante, la

politique douanière a été considérablement modifiée. En 1862, l’État a décrété

l’importation en franchise des fontes destinées à la réexportation après avoir été

converties en carènes pour navires, en machines et appareils de tous types66. A Marseille,

elle favorise désormais les fondeurs de deuxième fusion et pénalise les producteurs de

fonte. L’usine marche au ralenti. La grandeur des installations est disproportionnée par

rapport à la demande. Dès 1859, Coince et Chevalier portent à ce sujet un jugement sans

équivoque : « Tout démontre que l’argent qui a servi à l’établissement de cette usine n’a

point été épargné. Les bénéfices sont-ils bien grands ? Voilà ce qui est caché avec soin.

Qu’on nous permette d’en douter !67 » La production de pièces de fontes moulées est

faible. Deux cubilots suffisent. L’entreprise essaie de trouver de nouveaux débouchés et se

lance dans la fabrication d’obus et de boulets. À la fin des années 1850, les Hauts

Fourneaux de Marseille-Saint-Louis, fondés sur les mêmes principes et fonctionnant sur

la même logique que ceux de Cassis, paraissent condamnés à court terme.

L’essor des Hauts Fourneaux de Saint-Louis

22 En 1861, Jules Mirès, condamné à cinq années de prison pour escroqueries68, est remplacé

dans le conseil d’administration des sociétés qu’il a créées. Au cours de la première moitié

des années 1860, le conseil d’administration et de surveillance de la Société anonyme de

l’éclairage au gaz et des hauts Fourneaux de Marseille et des Mines de Portes et Sénéchas

199

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repense entièrement l’entreprise. Les principaux actionnaires, issus de la haute finance

parisienne (Vautier, Germain, Darcy…) ont compris les erreurs d’appréciation commises

par Mirès. L’usine doit modifier sa production, trouver de nouveaux débouchés en se

spécialisant dans des créneaux où la concurrence est faible. Avec ses coûts de revient,

l’entreprise ne peut pas être compétitive. La fabrication de fontes moulées passe au

second plan69. Le prix de vente de ces fontes est de 35 francs le quintal à la fin des années

1850 et de 25 francs au début des années 1860. La moyenne nationale est très nettement

inférieure (23 francs en 1851-1860, 18,50 francs en 1861-1870)70. La direction décide de

porter les efforts sur la production de fontes d’affinage (fontes pures, grises, truitées,

blanches, rayonnées et rubanées) employées par les fabricants de fer de qualité

supérieure et d’acier au convertisseur Bessemer. La société fait l’acquisition d’un brevet

qui donne d’excellents résultats :

« Les fontes obtenues aux Hauts Fourneaux de Saint-Louis sont très belles etpeuvent rivaliser avec les meilleures fontes de Suède pour acier. Ce résultat a étéobtenu par un procédé tenu secret pour le moment mais qui, lorsqu’il sera connu,sera à coup sur très employé puisqu’il permet d’obtenir de très bonnes fontes mêmeavec des minerais médiocres et pyriteux. Ce procédé, je crois, consiste dansl’addition d’un désulfurant au mélange de minerais mais je n’ai pas pu avoir lemoindre renseignement à ce sujet. Il y a brevet71. »

23 En 1862, l’usine produit ses premières fontes manganésées. La fonte produite contient

alors 3 à 6 % de manganèse72. Deux années plus tard, la proportion de manganèse passe à

10 % (fonte spiegelseisen). La société a trouvé un marché qui lui est accessible. Les aciéries

françaises et britanniques sont alors tributaires des sidérurgistes allemands, uniques

fournisseurs de ce type de fontes. Paradoxalement, l’entreprise assure donc sa survie en

renonçant à conquérir les débouchés locaux. La production décolle à partir de 1862. Elle

triple en trois années (1862-1864). En 1863, un troisième haut fourneau est mis à feu. Deux

cents ouvriers sont employés dans les divers ateliers73. Sous la direction de Jordan, qui

prend ses fonctions vers 1862, l’établissement est alors bien lancé. En 1863, le capital de la

société est porté de 14 à 18 millions de francs. L’année suivante, un emprunt obligataire

est lancé74. L’entreprise entend désormais accroître le traitement de minerais algériens.

Dans ce but, elle s’attache les services de De Vathaire qui arrive à Marseille vers 1865. Son

expérience en la matière est grande. Dans les Hauts Fourneaux de Bessège, cet ingénieur a

réglé, pour la première fois en France, une marche de haut fourneau en minerai algérien

de Mokta-El-Hadid.

***

24 Au total, en une grosse décennie, la métallurgie marseillaise des fers et des fontes connaît

une croissance remarquable. Les productions sont diversifiées et atteignent des niveaux

parfois importants. Toutefois, de nombreux éléments qui ont favorisé cet essor relèvent

de facteurs conjoncturels. La concurrence reste sévère dans les différentes branches

d’activités de ce secteur. Comme le montrent les exemples des Hauts Fourneaux de Saint-

Louis et des forges de La Capelette, la réussite de la métallurgie marseillaise est

susceptible de s’inscrire dans la durée. Les entreprises doivent poursuivre leurs efforts

dans une double voie : le maintien d’une forte capacité technologique et la spécialisation

dans des créneaux où la concurrence nationale comme internationale est faible. Le succès

de l’industrie de la construction mécanique est là pour démontrer la validité de cette

stratégie.

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NOTES

1. Jean Michel a déposé en janvier 1845 une demande d’autorisation pour « une forge de grosses

pièces » dans le petit Camas (ADBdR, XIV M 12/74). L’établissement n’a jamais fonctionné.

2. Cf. EDBdR, t. XI, p. 23-24.

3. AN F 14 4313.

4. ADBdR 548 U 5.

5. Ibid.

6. AMÉ L., Étude sur les tarifs douaniers…, op. cit., p. 277).

7. Remarque de deux élèves ingénieurs de l’École des mines de Paris lors d’une visite dans

l’établissement en 1859 (EMP J 1859 213).

8. EMP J 1847 (114).

9. DUBREUIL J.-P., « Les Transformations de la marine française… », op. cit., p. 457. Russel est alors

le principal constructeur anglais de tubes en fer pour appareils à vapeur.

10. « Rapport pour la situation de l’industrie en 1850 à Marseille… », RTSSM, t. XVI, p. 139-141.

11. Ibid.

12. Cf. ibid. ACCM, MP 3611 et ADBdR 1 M 1092.

13. AN F 14 4313.

14. Ibid.

15. AMÉ L., Étude sur les tarifs…, op. cit., t. I, p. 277.

16. AN F 12 6905.

17. Ibid.

18. MASSIA A., « Les industries métallurgiques… », op. cit., p. 69.

19. AN F 14 4313.

20. TURGAN J., « Les forges et chantiers de la Méditerranée », dans Les Grandes Usines : études

industrielles en France et à l’étranger, Paris, 1867, t. VII, p. 307-309.

21. MASSIA A., « Les industries métallurgiques… », op. cit., p. 33.

22. Cf. annexe 6 in fine.

23. ADBdR XIV M 12/71, 1850-1865.

24. La première mention de la forge de la Capelette dans les actes de société des frères Marrel

apparaît en décembre 1852 (cf. ADBdR 548 U 7).

25. EMP J 1847 (114).

26. EMP J 1859 (213).

27. Ibid.

28. ADBdR XIV M 10/11.

29. Ibid.

30. En 1864, une notice précise qu’« une partie importante… des travaux des ateliers de La Ciotat

consiste aujourd’hui dans les confections de pièces détachées de machines destinées à être

expédiées en rechange aux divers paquebots de la compagnie… ». (Enquête sur l’enseignement

professionnel…, op. cit., t. II, 1864, p. 645.)

31. ADBdR XIV M 12/71.

32. ADBdR XIV MEC 12/71.

33. ADBdR 548 U 26.

34. Ibid. Le capital passe de 210 000 à 300 000 francs.

35. La société a été réorganisée en février 1847 à la mort de John Jeffery (ADBdR 548 U 5).

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36. Barthélémy Granier a quitté l’affaire en juin 1847 ( ibid.). Dussard s’associe avec Félix

Margalhan en mai 1860 (ADBdR 548 U 8).

37. La Statistique de l’industrie minérale recense 18 usines de ce type dans le département en 1865 (

SIM, 1865). Mis à part dans la région marseillaise et à Aix, nous n’avons pas trouvé trace d’autres

usines à fer dans les Bouches-du-Rhône.

38. CONSTANT E., « Le Département du Var… », op. cit., t. I, p. 147.

39. Les statuts de la Société des forges et chantiers du Midi prévoyaient « la possibilité de

fabriquer de la fonte » (La Société des forges et chantiers du Midi. Statuts, Paris, 1853, p. 3).

40. ADBdR 548 U 7.

41. Noyon, Statistique du département du Var, Draguignan, 1846, p. 649.

42. Cf. Le Var du 5 juin 1856 et Le Toulonnais du 14 juin 1859.

43. La société comptait établir 200 à 300 familles d’ouvriers qualifiés.

44. CONSTANT E., « Le Département du Var… », op. cit., p. 270.

45. LOCCI J.-P., Fonderies et fondeurs…, op. cit., p. 121-181.

46. Cf. ADBdR 548 U 7.

47. ADBdR 548 U 7.

48. Ibid.

49. SIMONIN L., « Notice sur les usines à plomb… », art. cit., p. 407.

50. ADBdR XIV MEC 12/71.

51. ADBdR XIV MEC 12/181.

52. SAUREL A., « Statistique de la commune de Cassis… », RTSSM, t. XX, 1856, p. 228.

53. Cf. CHASTAGNARET G., « Le Secteur minier… », op. cit., t. I, p. 70-71 et 287-290.

54. Pour l’histoire de la Ramôn Orozco y Cia, cf. SANCHEZ PICON A., La mine-ria del Levante Almeriense,

Almeria, 1983, p. 130-136.

55. Pour cette partie, cf. NADAL J., Moler…, op. cit., p. 144-146.

56. AN F 14 4313.

57. EMP J 1859 (213), p. 238-239 et AN F 14 4313.

58. Notice sur les Hauts Fourneaux de Saint-Louis, Marseille, 1889, p. 4.

59. EMP J 1859 (213), p. 238.

60. ADBdR XIV MEC 12/181.

61. EMP J 1859 (213), p. 63-64.

62. AN F 14 4313.

63. EMP J 1859 (213), p. 238.

64. AN F 14 4313.

65. D’après le rapport prévisionnel de 1856, pour la production de fontes brutes, la valeur des

combustibles utilisés représente la moitié de la valeur totale (AN F 14 4313).

66. ACCM MP 3611, Décret impérial du 15 février 1862.

67. EMP J 1859 (213), p. 238.

68. CARVIN H., « La Marseille de Mirès », Marseille, n° 156, 1990, p. 31.

69. En 1859, l’entreprise produit 19 052 quintaux de fontes moulées en première fusion. L’année

suivante, la production tombe à 2358 quintaux. Ce type de fabrication est abandonné à partir de

1861 (SIM, 1859-1865 et EMP M 1863 (808), p. 1).

70. Moyennes 1851-1860 et 1861-1870 (SIM, 1851-1870).

71. Récit de visite de Famin, élève ingénieur de l’École des mines de Paris en 1862 (EMP J 1862

(255), p. 66). On découvre alors le rôle désulfurant du manganèse dans la fabrication de l’acier.

72. Notice sur les Hauts Fourneaux…, op. cit., p. 5.

73. ADBdR XIV M 10/11.

74. Renseignement aimablement communiqué par Edmond Truffaut.

202

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Chapitre XII. Un secteur prépondérant :la mécanique marine

1 En 1846, Louis Benet et Philip Taylor étaient les deux mécaniciens marseillais travaillant

dans la construction de machines marines. La construction mécanique pour la navigation

s’était développée de manière importante dans les années 1840. Les deux entrepreneurs

marseillais étaient parvenus à conquérir une bonne part des marchés locaux qui

connaissaient une augmentation constante. La croissance du secteur était toutefois gênée

par plusieurs obstacles : l’adaptation aux nouveautés technologiques était incomplète et

le problème du prix des matières premières aggravait notablement les coûts de

production. À partir de 1846, pour profiter de la croissance soutenue des marchés locaux,

français ou étrangers, les chantiers de La Ciotat et les ateliers de Menpenti doivent

impérativement régler ces deux problèmes pour rivaliser avec les sociétés britanniques.

L’essor du secteur ne peut accompagner celui des marchés qu’à cette seule condition.

UNE CONJONCTURE FAVORABLE

2 Sous le second Empire, la croissance de la navigation à vapeur marseillaise est telle que

l’on peut véritablement parler de triomphe. Au sein des sociétés d’armement, des

modifications importantes s’opèrent. Le temps des armateurs de type « artisanal »,

n’utilisant qu’un nombre limité de bâtiments, est maintenant révolu. En une quinzaine

d’années, les créations de sociétés de navigation à vapeur se multiplient. Le port de

Marseille, par le nombre des vapeurs qui lui étaient attachés, avait longtemps subi une

comparaison défavorable avec celui du Havre. Le rapport de force se modifie. La ville de

Marseille s’impose comme le plus important port de France et de Méditerranée. Elle se

classe, avec Liverpool et Hambourg, à la tête du continent européen.

Le dynamisme des armateurs marseillais

3 On trouve à l’origine des créations de sociétés de navigation à vapeur un nombre

important d’armateurs de la période précédente. Le phénomène est visible dans la

constitution de la plus grande des compagnies de la période, celle des Messageries

203

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impériales, avec l’action d’Albert Rostand. La tendance générale est au regroupement afin

de disposer de grands moyens financiers et de se lancer ainsi dans des opérations de plus

grande envergure. Outre le rôle d’Albert Rostand, il faut souligner les actions des cousins

Bazin, les premiers à être entrés dans l’aventure de la navigation à vapeur au début des

années 1830, et celle de Théophile Périer, auteur en 1836 de la première commande de

navire à vapeur reçue par les chantiers navals de La Ciotat. Charles et Auguste Bazin

s’associent avec Théophile Périer en 1846. Le but de ce rapprochement est d’augmenter

les services de leurs flottes respectives vers les Échelles du Levant1. En 1852, la perte des

concessions et des subventions pour les lignes de l’Algérie leur pose cependant certaines

difficultés. Celles-ci sont néanmoins rapidement résolues. En janvier 1854, une fusion

s’opère avec la Compagnie générale de navigation à hélice, fondée deux années

auparavant par Léon Gay2. La nouvelle société (Bazin & Léon Gay), créée en commandite

par actions et au capital de cinq millions de francs, s’attache d’abord à développer les

services des anciennes compagnies : les lignes vers l’Orient méditerranéen et les liaisons

occidentales, en direction de Tanger, Gibraltar, Mogador et les Canaries. La société

s’ouvrira rapidement vers de nouveaux horizons en lançant des navires vers des

destinations beaucoup plus lointaines (l’Amérique et l’Extrême-Orient). Ce processus

d’extension par fusion de plusieurs sociétés se retrouve avec l’histoire des compagnies

dirigées par les Fraissinet. Les deux sociétés, fondées au cours des années 1830-1840 par

Marc Fraissinet3, avaient gagné en importance en absorbant l’armement Théron en 1843

et en créant des services vers la péninsule Ibérique. Au cours des années 1850, la

progression se poursuit. En 1853, les deux sociétés sont regroupées sous une nouvelle

raison sociale (Compagnie marseillaise de navigation à vapeur). Des lignes vers l’Italie et

l’Algérie sont créées.

4 Si l’extension des activités et la réorganisation juridique de sociétés d’armement déjà

anciennes constituent le cas le plus général, certaines créations de compagnies n’ont

aucun lien avec la période précédente. Ainsi, la formation de la société créée par Louis

Arnaud et les frères Touache en 1850 avec des capitaux marseillais, mais aussi lyonnais4,

est un exemple des plus significatifs d’une nouvelle tendance qui tend à s’affirmer,

surtout à la fin de la période. Dans les premiers temps, la compagnie effectue

principalement son service vers l’Algérie mais étend rapidement son champ d’action. En

1853, avec l’Avenir, elle lance vers le Brésil le premier service transatlantique marseillais

et prend, deux années plus tard, le nom de Compagnie de navigation mixte5. En 1856, les

navires de la compagnie atteignent la Chine. Le capital de la société est passé de 250 000 à

dix millions de francs en huit années seulement (1850-1858). D’autres nouvelles sociétés

privées, comme la Compagnie Paquet ou la Société générale de transports maritimes à

vapeur, sont apparues au cours de cette période, principalement dans la première moitié

des années 1860. De création tardive, elles ne jouent encore qu’un rôle limité. Ce

dynamisme des compagnies de navigation se traduit par une augmentation importante

du nombre de bateaux à vapeur attachés au port de Marseille. Entre 1847 et 1865, près de

130 unités ont été construites pour la navigation commerciale marseillaise. Le nombre

des bâtiments en service passe de 30 en 1850 à 116 en 1860, 201 en 18696.

5 La crise des années 1847-1851 passée, les sociétés de navigation à vapeur réorganisées ou

nouvellement créées augmentent et modernisent leurs flottes d’une manière

particulièrement marquée entre 1851 et 1856. Les principales compagnies marseillaises à

s’équiper ainsi sont la Compagnie Valéry (14 navires de 1847 à 1865), la compagnie Bazin

& Léon Gay (12 de 1847 à 1856), la Compagnie de navigation mixte (17 de 1852 à 1865) et la

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Compagnie Fraissinet (18 de 1852 à 1865)7. La première de toutes, celle des Messageries

impériales, triple sa flotte en moins de dix ans. En 1851, elle commence ses activités avec

14 navires. En 1860, la flotte de la compagnie est forte de 54 unités8. Elle continue de

s’accroître lors des cinq années suivantes avec l’ouverture de nouveaux services vers

l’Amérique du sud (1860), l’Indochine (1862) et le Japon (1865). Au total, les Messageries

impériales arment 53 vapeurs entre 1852 et 18659. Le marché des machines et chaudières

pour la navigation commerciale marseillaise s’était développé à un rythme régulier mais

encore modeste sous la monarchie de Juillet. Sous le second Empire, les commandes ont

changé d’échelle. Les entreprises de mécanique peuvent désormais viser d’importantes

commandes en série, d’autant que la marine militaire apporte de grands compléments de

débouchés.

La modernisation de la marine de guerre française en Méditerranée

6 L’importance de la flotte de guerre britannique dans le bassin méditerranéen et son

incontestable suprématie ont fait réagir le ministère de la Marine. La France doit suivre

l’exemple de son voisin d’outre-Manche et combler de toute urgence son retard. Les

épisodes militaires du second Empire permettent à Napoléon III de prendre conscience de

l’infériorité de la flotte française. Le matériel naval disponible pour la guerre de Crimée

s’est vite avéré insuffisant10. L’Empire entend se donner les moyens de faire de la

Méditerranée ce « lac français », expression si souvent présente dans les discours mais

qui est encore si peu inscrite dans une réalité.

7 Stanislas Dupuy de Lôme, directeur des constructions navales du génie maritime, est

chargé, à partir de 1857 et jusqu’en 1869, de la transformation de la marine de guerre

française11. Le programme, remis à l’Empereur en 1857, prévoit une marine militaire forte

d’au moins 150 navires armés ainsi qu’une flotte de transport capable de faire voyager

une armée de 40 000 hommes et 12 000 chevaux12. Le coût total de l’opération est

d’environ 235 millions de francs. L’entreprise est rapidement mise en chantier. En une

douzaine d’années, le ministère fait construire une flotte moderne et puissante. D’après

les résultats d’une enquête de l’administration allemande, la flotte française de vapeurs

de guerre est estimée en 1871 à 362 bâtiments. Les appareils placés à bord de ces navires

totalisent une puissance de 91 338 chevaux13. Cet effort de modernisation est trop

important pour être assumé par les seuls arsenaux de l’État. Les équipements de l’arsenal

de Toulon sont vieillissants et les meilleurs éléments des ateliers sont débauchés par les

grandes entreprises françaises. La technologie imposée par le développement de

nouveaux systèmes de propulsion est des plus complexes. Le recours à des sociétés

privées apparaît comme une nécessité. La demande militaire crée donc pour les chantiers

de constructions navales et les ateliers de mécanique un très important marché. Pour des

raisons de défense nationale, les contrats sont réservés aux seules entreprises françaises.

Un phénomène similaire en Espagne et en Italie

8 Les autres pays du nord de la Méditerranée ont également suivi la voie de la

modernisation de leurs flottes de combat. L’Espagne et l’Italie se lancent dans la

transformation de leur marine de guerre au cours des années 1850-1860. En 1862, la jeune

marine royale italienne s’est déjà dotée d’une flotte de plus de 90 navires et d’une

cinquantaine de petites canonnières. Entre 1863 et 1865, l’effort est poursuivi avec l’achat

205

Page 208: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

de puissants cuirassés14. A la fin des années 1860, l’Espagne possède une flotte de guerre

aussi importante et aussi récente. Les deux tiers des 91 navires mis en service ou en cours

de construction en 1868 ont été réalisés à partir de 185915. Tout au début des années 1870,

la marine turque, enfin, possède 91 vapeurs construits en majorité au cours de la

décennie précédente16. Pour des raisons qui touchent aussi bien à la technologie qu’à des

aspects plus étroitement économiques, ces divers États n’ont confié qu’une part minime

de leurs commandes à leurs industries nationales. Une grosse partie des réalisations est

donc accessible aux entreprises étrangères. L’industrie française affiche l’ambition de

conquérir ces marchés. Pour parvenir à ses fins, il lui faut toutefois se hisser à la hauteur

de sa rivale britannique dans les domaines de la technologie comme dans les coûts de

production.

9 La demande en navires et donc en machines et chaudières, qu’elle émane des compagnies

locales, de la marine française ou des pays riverains de la Méditerranée, a atteint des

proportions considérables dans les années 1850-1865. Celle des réparations va suivre

rapidement. La flotte de navires mise en service doit subir les travaux nécessaires à son

entretien : changement des tubes de chaudières et de toutes les autres pièces composant

les machines motrices.

La législation douanière : une aide déterminante

10 L’industrie française de la construction navale et de machines marines a connu certaines

difficultés pour s’épanouir sous la monarchie de Juillet. Un des problèmes les plus

importants concernait la politique douanière de l’État dans les domaines de

l’approvisionnement en matières premières et en produits semi-finis. Petit à petit, les

différents gouvernements ont pris conscience des effets négatifs de cette politique. Dès le

début des années 1840, le gouvernement français tente de favoriser l’essor de cette

branche industrielle. L’ordonnance royale de mai 1843 a constitué la première grande

faveur de l’État envers les constructeurs de navires en fer français et les mécaniciens

spécialisés dans la mécanique marine. Les fers étrangers nécessaires à la production des

carènes métalliques, des machines et chaudières sont admis sur le territoire national en

franchise de droits de douane. L’industrie française profite largement de cette loi qui lui

permet de s’assurer la majeure partie du marché national ainsi que quelques percées à

l’étranger, essentiellement auprès de plusieurs pays méditerranéens. Sous le second

Empire, le gouvernement décide, en corollaire du programme de modernisation de la

flotte de guerre de 1857, d’aller plus loin. Une série de lois complète et amplifie

l’ordonnance de 1843. Le cuivre laminé, pur ou allié, employé à la construction des

appareils à vapeur de tous types destinés à l’exportation est admis en franchise de droits

en janvier 185517. Cette franchise est étendue l’année suivante au zinc laminé en feuilles

pour le doublage des coques de navires. Le décret impérial du 17 octobre 1857 autorise les

ateliers mécaniques à recevoir en admission temporaire tous types de métaux (fontes,

fers en barres, tôles, acier et cuivre laminé) destinés à la fabrication de machines pour

l’exportation. Enfin, le décret de février 1862 autorise l’importation en franchise de droits

des fontes et fers réexportés après transformation en coque de navires et appareils

marins de tous types.

11 Durant une courte période, les avantages offerts par ces mesures sont atténués par celles

prises dans le cadre de la guerre de Crimée. Estimant qu’il fallait au plus vite accroître la

flotte commerciale, l’État admet provisoirement les navires étrangers avec un droit de

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douane assez modeste (10 %). Les entreprises françaises supporteront assez bien le choc

car, parallèlement, l’importation en franchise temporaire de toutes les matières servant à

la construction des coques métalliques a permis de contrebalancer dans une large mesure

cette décision.

DES ENTREPRISES PLUS NOMBREUSES

12 Les opportunités offertes par le développement des commandes dans les domaines de la

construction de coques métalliques et d’appareils marins vont donner naissance, à

Marseille, à plusieurs entreprises. Les deux ateliers de construction de machines marines

de la monarchie de Juillet, ceux de La Ciotat et de Menpenti, restent les établissements les

plus importants. La différence entre les deux périodes est que le grand développement de

la navigation à vapeur à Marseille et en Méditerranée donne la possibilité d’exister et de

se développer à de nouvelles petites et moyennes entreprises.

La reconversion de Jean-Baptiste Falguière

13 Jean-Baptiste Falguière, le grand constructeur marseillais de machines à usages

industriels de la monarchie de Juillet, incarne parfaitement l’attrait du secteur de la

mécanique marine. Au début des années 1850, l’entrepreneur phocéen réoriente

totalement ses activités. La crise a durement touché sa société. Il comprend que la

construction de machines pour l’industrie ne lui permet plus de faire vivre son

entreprise. En août 1853, sous la raison sociale Falguière & cie, il fonde les Chantiers et

Ateliers marseillais avec divers petits actionnaires locaux18. La société, au capital de trois

millions de francs, a pour objet l’« établissement et l’exploitation d’un chantier de

construction de navires en fer et en bois et d’un grand atelier pour la fabrication et la

réparation des machines à vapeur et autres, la vente des objets confectionnés et tout ce

qui se rattache à cette industrie ainsi que l’essai d’une nouvelle machine marine dont M.

Falguière est l’inventeur19 ». Cette reconversion est facilitée par les connaissances

techniques de l’entrepreneur. Même si la production a été très épisodique, Jean-Baptiste

Falguière a déjà réalisé des machines marines en 1836 et 184220. Les documents sur les

activités de l’entreprise qui a fonctionné jusqu’à la mort du propriétaire, en novembre

1860, sont inexistants21. Pour les années 1850, seuls ont pu être repérés quelques marchés

obtenus auprès du ministère de la Marine pour l’arsenal de Toulon. Il s’agit de contrats

pour des machines à vapeur fixes de faible puissance et de quelques pièces en bronze

pour appareils22. La Société des forges et chantiers de la Méditerranée utilisera un court

moment les ateliers de Jean-Baptiste Falguière, après la mort de dernier. L’entreprise y

effectue des travaux de réparations. Les locaux seront définitivement abandonnés en 187123.

Une grande série de création d’ateliers dans les années 1850

14 Il est impossible de dresser un tableau complet de toutes les petites entreprises

marseillaises créées dans les années 1850 dans le domaine de la mécanique marine. Seules

sont connues celles qui ont atteint un certain niveau d’importance. On peut en recenser

six. En avril 1853, Félix Bizard et Pierre Labarre fondent une société « pour la confection

et la réparation des chaudières marines24 ». L’affaire se compose de deux usines. La

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première est montée près de la porte Saint-Victor, au sud du Vieux-Port, la seconde, plus

importante, sur le chemin du Lazaret à La Joliette25. Cette dernière reçoit un équipement

complet durant les années 1855-185726. Dans ce même quartier de La Joliette, toujours au

milieu des années 1850, Jean Prudhon et Barthélémy Granier ont établi deux ateliers

spécialisés dans les chaudières marines27. Certaines compagnies de navigation ressentent

également le besoin de créer des ateliers au sein desquels les travaux de réparations sur

les appareils des navires de leur flotte peuvent être effectués. Les Messageries impériales

fondent un établissement de mécanique, à Marseille, à proximité de celui monté par la

société Fraissinet28. La Compagnie Fraissinet, dont la flotte augmentait de manière

importante, avait commencé par fonder un atelier pour la réparation des navires en 1857.

La décision d’étendre le champ des activités à la réparation et à la construction

mécanique date de 1861. L’établissement de mécanique est véritablement mis en marche

en 1863. Le prix des installations est supérieur à 520 000 francs29. Les premiers travaux de

l’atelier se limitent d’abord à la réparation de chaudières et de moteurs. La construction

d’appareil n’apparaît que dans la seconde moitié des années 1860. Le dernier atelier de

mécanique est fondé en 1864 par Émile Duclos30. La société est modeste au démarrage

(300 000 francs de capital). Son développement s’effectuera au cours de la période

suivante. Pour le reste des entreprises existantes, les documents font cruellement défaut.

Le poids de ces sociétés, de dimension beaucoup plus modeste, est toutefois peu

significatif dans l’ensemble du secteur. Elles ne se bornent souvent qu’à de simples

travaux de chaudronnerie et n’emploient jamais plus d’une dizaine d’ouvriers.

ASSIMILER ET PRODUIRE DES INNOVATIONS

15 La constitution des flottes des compagnies marseillaises de navigation s’est appuyée sur

de nouvelles caractéristiques essentiellement mises au point par les Britanniques. La

navigation à vapeur est marquée par une révolution technologique sans précédent au

cours de la période 1845-1860. Toutes les énergies ont été mobilisées pour réaliser des

navires d’une nouvelle génération. Afin de répondre aux impératifs imposés par

l’évolution de la marine aussi bien marchande que militaire, les bâtiments à vapeur

doivent désormais posséder des coques résistantes (utilisation du fer pour les carènes),

être plus rapides (alliée à la voile, l’hélice remplace les roues à aubes), porter des

quantités de marchandises de plus en plus considérables (augmentation de la jauge des

navires).

16 Parallèlement, les appareils moteurs de ces navires doivent subir une série de

modifications répondant à ces nouveaux besoins. Le volume des machines continue de

diminuer et laisse ainsi plus de place aux marchandises dans les cales. Les appareils

doivent être économes en combustible, d’une bonne commodité de service pour que les

navires puissent assurer de longues liaisons sans escale. Enfin, la puissance de ces engins

doit être de plus en plus importante. Une rotation suffisamment rapide des arbres de

transmission est nécessaire avec l’utilisation d’une propulsion par hélice. Sous peine de

voir leurs marchés passer aux mains de sociétés anglaises, les entreprises marseillaises se

devaient d’adopter les éléments de cette nouvelle technologie. Cette nécessité se retrouve

également pour la marine de guerre. L’adoption de l’hélice est même d’une importance

encore plus considérable. Un système de propulsion immergé rend les navires moins

vulnérables lors des affrontements. Désormais, pour les chantiers navals et les ateliers

marseillais de la construction mécanique, la fabrication des nouveaux types de navires, de

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nouvelles machines est une des conditions à remplir pour l’obtention d’une bonne part

des marchés locaux et étrangers. Jusqu’au milieu des années 1840, les Phocéens ont dû se

mobiliser pour combler leur retard. Un nouvel effort leur est demandé. Les entreprises de

mécanique marine de la région marseillaise peuvent-elles de nouveau relever un défi

aussi important avec rapidité ?

Un nouveau type de propulsion : l’hélice

17 C’est en 1843 qu’a été réalisé, au Havre, le Napoléon, premier vapeur français muni d’une

hélice. Après son lancement, le bâtiment « fut envoyé à Marseille pour faire des études

comparatives entre la valeur de l’hélice et des roues à aubes31 ». Deux années plus tard,

affecté au service postal de la Corse, il retrouve Marseille et la Méditerranée et démontre

l’étendue de ses qualités. Les armateurs et négociants marseillais comprennent

rapidement les possibilités offertes par la navigation mixte (voiles et hélice combinées).

La première société à vouloir adopter ce nouveau type de propulsion est la Compagnie

Valéry. En 1845, une commande est passée aux chantiers navals de Louis Benet pour la

réalisation complète du Bonaparte, un navire non seulement muni d’une hélice mais aussi

d’une coque en fer. C’est une grande première en Europe continentale. L’initiative de

Valéry et Benet suit d’une année à peine le lancement du Great Britain de Brunei, premier

bâtiment au monde à rassembler ces deux caractéristiques32. Il n’y a rien de surprenant à

voir cette commande adressée à l’entreprise de La Ciotat. Le directeur des ateliers de

mécanique est alors John Barnes, l’homme qui a réalisé le Napoléon avec le concours du

Havrais Augustin Normand33.

18 Frédéric Sauvage était l’inventeur du système de propulsion par hélice34. Il avait déposé

son brevet en 1832 mais n’avait jamais pu démontrer les possibilités de son invention sur

un navire de gros gabarit. Augustin Normand, constructeur naval intéressé par ses

travaux, lui proposa un contrat d’association pour mettre au point l’invention35. Avec

John Barnes, il améliore le système. L’hélice de Frédéric Sauvage était constituée d’un

hélicoïde à une seule spire. Après quelques essais, le constructeur du Havre et l’ingénieur

britannique arrivent à la conclusion que l’hélice à plusieurs ailes donne de bien meilleurs

résultats. La conception de huit modèles successifs est nécessaire pour mettre

définitivement au point l’appareil de propulsion. La construction du Napoléon et de ses

machines peut être lancée et achevée en 184336. L’hélice est réalisée par Charles Nillus, un

mécanicien du Havre. John Barnes a conçu les machines et opère le montage de

l’ensemble. L’opération est un succès total. John Barnes a conservé les plans du Napoléon

et s’est même procuré ceux du Great Britain, navire pour lequel il rédige un compte-rendu

pour l’Institution of Civil Engineers de Londres37. Ces éléments facilitent la construction du

Bonaparte, amorcée en 1845 à La Ciotat et poursuivie en 1846. Le navire est mis à l’eau en

janvier 184738. La réalisation est une réussite. Cette construction confère une grande

réputation aux chantiers de La Ciotat. En 1846, Louis Benêt et John Barnes réalisent leur

seconde machine à chaudières tubulaires et à hélice pour un navire de la marine de

guerre française, le Salamandre39. La construction de ces premières machines à hélice ne

procède pas d’une simple copie des appareils du Napoléon et du Great Britain. John Barnes

s’est efforcé d’améliorer le système qu’il avait mis au point avec Augustin Normand. Louis

Benet dépose, en février 1846, un brevet pour un système très certainement inventé par

le Britannique « qui permet de conduire directement l’arbre de l’hélice quelle que soit la

hauteur de celui-ci relativement à la quille et à la vitesse de rotation40 ».

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19 Par leur succès, les chantiers de La Ciotat s’attirent les faveurs du ministère de la Marine.

Plusieurs appareils à hélice sont construits pour des bâtiments de guerre41. Pour la

réalisation des machines du Charlemagne, John Barnes réussit une grande prouesse

technique. Pour la première fois en France, un appareil de navigation possède quatre

cylindres horizontaux, un système qui permet d’assurer une remarquable régularité de la

marche des machines. Les appareils moteurs et le système de propulsion conçus par John

Barnes font merveille. L’Ariel atteint la vitesse moyenne de 11,5 nœuds. Le rapport de la

commission chargée de vérifier la bonne marche des machines livrées par l’atelier

ciotadin est révélateur de la qualité de ses travaux :

« Les épreuves des machines de l’Ariel ont été très satisfaisantes. Le résultat peutêtre regardé comme un succès remarquable dont la commission s’est plu, àl’unanimité, à faire l’éloge au fabricant. Elle déclare que, d’après les renseignementsqu’elle possède, l’Ariel est certainement aujourd’hui le navire le plus rapide de laMéditerranée42. »

20 Au cours de cette période, la production de navires à hélice avec des vitesses de

déplacement de plus en plus importantes devient une préoccupation majeure. Les

entreprises marseillaises se doivent de suivre l’évolution de la demande des armateurs,

qui entendent assurer le plus de liaisons en un temps restreint. La tendance est imposée

par les négociants qui essaient de faire voyager une plus grande variété de denrées

périssables. À la fin des années 1850, les ateliers des Messageries impériales parviennent à

construire des paquebots approchant la vitesse de 13 nœuds. Un système d’engrenages de

transmission a été mis au point afin de multiplier la vitesse de rotation donnée par les

machines43. Au même moment, la Société des forges adopte ce modèle de machines et

travaille à son amélioration. La technologie de ce type d’appareil atteint son apogée en

1866 avec le lancement du Masr, un navire construit en vingt mois pour le compte du

vice-roi d’Égypte, qui atteint la vitesse de 14,5 nœuds44. Pour faire mieux, il faudra

attendre la généralisation de l’emploi de la haute pression et l’application du système

compound.

Des réussites majeures dans le domaine des machines marines : la

machine à pilon et l’appareil à cylindre oscillant

21 Avec l’adoption du système de propulsion par hélice, les machines à balancier mises au

point par James Watt disparaissent presque totalement. Ces appareils ne peuvent

imprimer la vitesse de rotation nécessaire aux hélices pour qu’elles soient véritablement

efficaces. La nécessité de construire des machines transmettant directement l’effet

moteur sur les arbres des hélices est désormais perçue de tous. Deux grands types de

machines se prêtent le mieux à ce type d’exercice : les appareils à pilon et ceux à cylindre

oscillant. Au cours des années 1850, les Messageries impériales et la Société des forges

s’attachent à en réaliser un grand nombre. La première catégorie de machines est une

nouveauté. A Marseille, sa réalisation restera longtemps l’apanage de l’atelier de

Menpenti. La production du second type d’appareil, les machines à cylindre oscillant,

s’est développée dans les chantiers de La Ciotat. Les premiers essais avaient été menés par

Louis Benêt dans la seconde moitié des années 1840. L’usine avait donc acquis une bonne

expérience en la matière.

22 Des appareils à transmission directe avaient déjà été construits dans les chantiers de La

Ciotat depuis 1845. Les premiers, ceux du Philippe-Auguste, n’avaient pas donné entière

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satisfaction. Les tiges des pistons des deux machines avaient cassé45. Pour éviter ce

problème, les ingénieurs des ateliers de La Ciotat se décident à opter pour les machines à

cylindre oscillant. L’avantage de ce système : la suppression d’un point de rupture entre

la tige du piston et la bielle donnant le mouvement à l’arbre de l’hélice. L’appareil à

cylindre oscillant avait été critiqué dans les années 1840 car on craignait alors une usure

trop rapide des tourillons. La pratique avait démontré que les craintes de nombreux

mécaniciens, dont peut-être celles de John Barnes, n’étaient pas justifiées. Deux machines

oscillantes construites au Creusot par François Bourdon, qui travaille alors pour les frères

Schneider, avaient été placées sur des navires réalisés à La Ciotat en 1846-1847 (l’Oronte et

le Mérovée). Avec deux exemplaires sous les yeux, John Barnes peut se lancer dès 1846

dans la fabrication de ce type d’appareil. Le Salamandre, un navire de guerre affecté à

l’escadre de la Méditerranée, reçoit le premier modèle. Les réalisations se succèdent

jusqu’en 1861. La seule période de flottement se produit en 1852 lorsque, à la mort de

John Barnes, la famille de l’ingénieur refuse de donner aux Messageries impériales le

portefeuille de plans de l’ingénieur britannique46. Stanislas Dupuy de Lôme et Victor

Delacour doivent poursuivre les constructions qui étaient lancées. La valeur des

ingénieurs permet de surmonter les difficultés sans encombre malgré quelques

approximations de départ. Au cours des années 1850, les deux hommes améliorent même

le modèle de machines mis au point par John Barnes.

23 En 1852, les ateliers marseillais de la Société des forges et François Bourdon se lancent

dans la construction des machines à pilon, le deuxième grand type d’appareils marins de

la période. Le nom de ces moteurs provient de sa disposition calquée sur celle des

marteaux-pilons employés dans les forges. La société marseillaise est la première en

France et en Europe continentale à réaliser ce modèle d’appareil47. L’invention est d’une

importance considérable pour la navigation à vapeur de cette seconde moitié du XIXe

siècle. François Bourdon participe à la mise au point de l’appareil moteur marin, qui

s’impose à grande échelle à partir des années 1870 et qui devient « …universellement

répandu dans les années 188048 ». La précocité de l’usine de Menpenti en ce domaine

s’explique aisément. L’ingénieur des ateliers, François Bourdon, n’est autre que

l’inventeur, simultanément avec le britannique Nasmyth, du marteau-pilon. Le premier

modèle de machines pilons, réalisé entre 1852 et 1854, est destiné à des navires de

compagnies marseillaises. Beaucoup d’entre elles sont placées sur des navires de la

société Arnaud & Touache frères et sur plusieurs bâtiments de la Compagnie de Léon Gay.

La mise au point de ce type de machine vaut à François Bourdon de connaître, une fois

encore, les honneurs et les récompenses. Lors de l’Exposition de 1855, l’ingénieur est

décoré d’une médaille de première classe49. Une deuxième série de machines à pilon est

lancée quelques années plus tard sur deux navires de la Compagnie Fraissinet (Helvétie,

Provence et Normandie en 1855-1856)50. Une dernière est mise au point quelques années

plus tard avec deux machines pour des bateaux russes de 250 chevaux51. Le système de la

machine pilon est maintenant bien au point. L’innovation est d’importance, puisque ce

type d’appareil se prête remarquablement à l’emploi de l’expansion de la vapeur dans

plusieurs cylindres que l’on doit superposer52. C’est avec cette dernière série de

réalisations que François Bourdon va progressivement cesser ses activités. En avril 1860,

le grand ingénieur français est frappé d’une crise d’apoplexie qui paralyse son bras droit.

Avec courage, à plus de 64 ans, il apprend à écrire et à dessiner de la main gauche53. Son

action est devenue toutefois plus réduite. Le conseil d’administration de la Société des

forges décide de lui adjoindre Lecointre, un ancien ingénieur de la marine, afin de mener

à bien les travaux des ateliers54.

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D’autres recherches dans l’amélioration de la marche des machines

24 D’autres innovations ont été effectuées par les ateliers marseillais et ciotadins,

principalement au cours des années 1853-1857 : les machines à bielle en retour, à éther et

vapeur combinés et, peut-être, les appareils compound. Dès la mise en route de ses

chantiers de La Seyne, Philip Taylor a tenu à être au niveau technique de son rival de La

Ciotat, Louis Benet55. Un ingénieur lyonnais, Du Tremblay, avait mis au point une machine

susceptible d’offrir de grandes économies de combustibles : « La solution proposée par M.

Du Tremblay consistait à se servir de la chaleur conservée par la vapeur d’eau à sa sortie

des cylindres pour vaporiser un liquide choisi parmi ceux qui passent à l’état gazeux à

une faible température, l’éther par exemple, et à faire agir à part cette seconde vapeur

sur un piston, dans les mêmes conditions que la vapeur d’eau56. » Le système a d’abord été

testé sur une machine fixe. La consommation de charbon des machines, avant

transformation, était d’environ 4,5 kilos par heure et par cheval. Le chiffre tombe à 1,5

après les modifications opérées sur l’appareil. Le nouveau système apportait donc un gain

de consommation considérable puisque celle-ci est divisée par trois. A Marseille, la

Compagnie de navigation mixte d’Arnaud et des frères Touache décide d’utiliser le

système et confie à Philip Taylor le soin de la réalisation des machines. Le navire, le Du

Tremblay, offre des résultats satisfaisants57. Les machines du France, navire appartenant à

la même compagnie, sont converties au même principe et plusieurs constructions sont

engagées. La nouveauté commence à intéresser les constructeurs britanniques58 mais

« l’innovation n’était pas exempte de dangers, en raison de l’inflammabilité de l’éther ».

L’incendie du France dans la rade de Bahia en 1856 confirme ce risque. Les machines à

éther et vapeur combinés sont aussitôt abandonnées.

25 Autre nouveauté technique : les machines à bielle en retour. Ce système a été

simultanément mis au point par Mazeline dans ses chantiers du Havre et Stanislas Dupuy

de Lôme à La Ciotat. Il portera le nom du dernier cité59. En 1855, les machines du Danube

inaugurent ce type de construction. Le poids des appareils est réduit de 30 %60. La

machine est couronnée d’un prix lors de l’Exposition universelle de Paris en 1855. Un tel

avantage ne pouvait laisser insensible les constructeurs, toujours à la recherche d’une

diminution des coûts de production. La machine à bielle en retour acquiert rapidement la

préférence des ateliers marseillais, ciotadins, seynois et toulonnais, mais sera très

rapidement abandonnée en faveur de la machine à pilon.

26 La dernière grande innovation de la période, celle des machines compound, est incertaine

à cause du caractère fragmentaire de la documentation. En 1856, selon Turgan, les forges

et chantiers de la Méditerranée reçoivent commande de l’appareil du Friedland pour la

marine impériale : « Ce puissant moteur, d’une force nominale de 950 chevaux, est à trois

cylindres ; la vapeur s’introduit dans le cylindre du milieu et se détend dans les deux

cylindres extrêmes ; on assure ainsi une économie notable de combustible que l’on

obtient avec une force active très régulière61. » Si cette réalisation a véritablement eu lieu

à cette date, la précocité de l’initiative de François Bourdon dans un domaine qui va

révolutionner la technologie de la navigation à vapeur mérite d’être soulignée. Les

premiers travaux français sur la machine compound ont longtemps été attribués au

Havrais Benjamin Normand, qui a réalisé son premier modèle en 186062. La Société des

forges se placerait dans le sillage des constructeurs britanniques car la réalisation de la

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première machine compound, celle du vapeur à hélice le Brandon, a eu lieu en 1854 dans

l’établissement de John Elder, à Glasgow63.

27 Dès 1852, les ateliers de La Ciotat et de Menpenti avaient atteint une grande maturité

technique. Ils se plaçaient alors à la hauteur des grands ateliers britanniques64.

L’évolution des années 1850-1865 n’a fait que renforcer le mouvement. La recherche des

deux objectifs de la période précédente – l’allégement et la simplification des machines –

s’est poursuivie avec succès. De l’avis même des Britanniques, avec la réalisation des

appareils à vapeur et éther, des machines à pilon, le développement de la construction

des machines à cylindre oscillant et les possibles premiers pas dans la production de

machines compound, les deux ateliers sont à la pointe de la technologie des machines

marines en Europe65. Cette réussite technique explique en grande partie le nombre

considérable de marchés obtenus par les entreprises phocéennes dans le domaine de la

mécanique marine, qui emploient des effectifs ouvriers en croissance constante.

UNE FORTE CROISSANCE

28 Le secteur de la mécanique marine marseillaise connaît une croissance importante entre

1853 et 1865. Cet essor se mesure au moyen de plusieurs indicateurs, tous partiels et

parfois difficiles à interpréter.

L’essor des effectifs ouvriers

29 Il est difficile de connaître le nombre d’employés des ateliers spécialisés dans les travaux

de mécanique marine. Les chiffres manquent, notamment pour les petites et moyennes

entreprises. Pour les deux plus importantes, les chantiers de la Ciotat et la Société des

forges, ne sont souvent donnés que les effectifs totaux des entreprises, à savoir les

ouvriers employés à la construction et à la réparation de machines et chaudières mais

aussi ceux s’occupant de la réalisation des navires ou des travaux de fonderie. Un seul

relevé complet des ouvriers employés par la Société des forges est disponible. En mai

1856, les 2437 employés se répartissent pour moitié à Marseille, pour l’autre à La Seyne.

Au cours des années 1853-1865, l’effectif attaché aux travaux de construction d’appareils

à vapeur ne cesse d’augmenter. En 1861, l’atelier de Menpenti rassemble 864 ouvriers66. Le

cas de la Société des forges est un exemple parmi d’autres. Malgré l’absence de

documents précis, on peut observer l’augmentation massive des effectifs marseillais dans

le domaine de la mécanique marine au cours des années 1855-1865. Le relevé de la

situation industrielle de la région effectué en 1863 par la chambre de commerce de

Marseille démontre la prépondérance de ce secteur dans l’ensemble métallurgique de la

région :

« La Ciotat a occupé en 1863, tant pour la construction de machines et des coquesque pour la réparation du matériel naval des Messageries, 2 300 ouvriers. Leschantiers de La Seyne […] ont employé, pour la construction des coques seulement,2 700 ouvriers. Ces deux chiffres réunis à celui de 2 800 ouvriers, nombre d’ouvriersoccupés par les ateliers mécaniques de Marseille, donnent un total de 7 800 ouvriersqui ont été employés, en 1863, à la construction de machines et mécaniques, à celledes coques et aux besoins de la marine à vapeur67. »

213

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Des valeurs de production en hausse constante

30 En 1863, la production du secteur de la construction navale et de la mécanique marine

dépasse 30 millions de francs. Deux années plus tard, en 1865, les 8300 ouvriers des divers

établissements portent ce chiffre à 34,5 millions de francs68. Dans la répartition des types

de fabrication, la part détenue par les travaux mécaniques connaît la plus forte

augmentation. Entre 1861 et 1865, la valeur des travaux de construction de machines

marines effectués par les ateliers marseillais et ciotadins passe de 6,5 à 9 millions de

francs, soit une augmentation de près de 40 %. En passant de 2 à 7,5 millions de francs, le

montant des réparations de ce type d’appareils a pratiquement quadruplé. Au total, le

chiffre global de production a presque doublé. Il atteint 16,5 millions de francs en 1865.

L’industrie de la mécanique marine s’est affirmée comme le principal secteur de la

métallurgie marseillaise. L’explication du succès tient dans la capacité des dirigeants

d’entreprises, tout au long de la période, à se placer à la pointe des applications des

nouveautés technologiques mais aussi à obtenir, conserver et développer des parts de

marchés dans les quatre grands débouchés qu’ils pouvaient viser par l’utilisation de

réseaux d’une grande efficacité.

Les marchés de la marine commerciale marseillaise

31 Les chantiers de La Ciotat ont obtenu d’importantes commandes de la part des

compagnies marseillaises. À la fin des années 1840, les armateurs continuent de placer

leur confiance en Louis Benet, qui a fait preuve de ses grandes capacités. Les chantiers

ciotadins trouvent leurs principaux marchés auprès de la compagnie des cousins Bazin et

surtout de celle de Valéry. Pour la première, Joseph Vence et John Barnes construisent le

Mérovée en 1847 et le Pharamond II en 1848, deux bâtiments qui effectuent leur service sur

l’Algérie. Pour la seconde, les deux hommes réalisent quatre paquebots coques et

machines : le Bonaparte (1847), le comte de Paris (1849), le Progrès (1850) et son jumeau, l’

Industrie (1851). A partir de 1852, avec le rachat par les hommes des Messageries, les

travaux des ateliers de La Ciotat se limitent aux commandes de la compagnie dont ils

dépendent. La Société des forges, dirigée par les mêmes hommes à partir de 1855,

travaille également pour les Messageries impériales. Entre 1857 et 1865, les chantiers

varois lancent douze paquebots pour la célèbre compagnie69. Toutes les machines de ces

navires ont été fabriquées à Marseille, dans l’atelier de Menpenti. Contrairement à ses

voisins de La Ciotat, la Société des forges travaille également pour des compagnies

concurrentes. L’entreprise bénéficie de l’action de Philip Taylor entre 1850 et 1855. Le

Britannique travaillait alors avec la plupart des grandes compagnies marseillaises de

navigation pour lesquelles il avait réalisé une vingtaine de paquebots70. A partir de 1856,

les commandes de compagnies marseillaises se poursuivent. La Société des forges exécute

des bâtiments pour la Compagnie Fraissinet, la société générale des transports maritimes

et surtout pour la société Touache & cie, compagnie pour laquelle elle lance neuf

paquebots entre 1856 et 186471.

32 Avec la loi d’octobre 1855, qui installe provisoirement une libre concurrence avec les

entreprises étrangères, certains marchés échappent aux constructeurs locaux. Les

commandes sont un peu moins nombreuses. Ce cadre législatif pose quelques difficultés

aux chantiers provençaux. Des commandes sont adressées par les Messageries impériales,

la Compagnie Fraissinet ou le port de Marseille à des constructeurs anglais et surtout

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écossais (Mac Nabb, Caird et Thompson de Greenock72) qui se sont lancés, à l’instar de

François Bourdon et de la Société des forges dans la fabrication des machines à pilon73. Le

recours aux constructeurs britanniques procède de deux logiques différentes : les coûts et

la rapidité des livraisons. Le bas prix des navires est la raison qui pousse la Compagnie

Fraissinet ou le port de Marseille à s’équiper outre-Manche. Pour les Messageries

impériales, il s’agit essentiellement d’assurer la mise en service rapide d’un grand nombre

de bâtiments ne pouvant pas tous être construits dans ses propres chantiers pour des

raisons de capacité de production.

Les commandes de la marine d’État

33 À la tête de la Société des forges, Philip Taylor a su établir de solides liens avec les

ministères de la Marine et du Commerce. Ce sont principalement ces relations qui ont

permis directement ou indirectement à ses entreprises de passer la crise. Durant les

années 1847-1849, les commandes de l’arsenal de Toulon représentent la presque totalité

des travaux effectués par les chantiers de La Seyne. Taylor fabrique alors 16 petits navires

(transporteurs de vase et dragues) utilisés pour le curage de la rade de Toulon. À partir de

1848, il utilise Georges-Emmanuel de Beausobre comme mandataire général et spécial

auprès de l’administration pour la gestion des commandes de l’État. Durant la première

moitié des années 1850, les contrats signés sont nombreux et apportent une somme

considérable de travaux à l’entreprise du Britannique : « La marine impériale qui, jusqu’à

ce jour, apportait la plus grande réserve à traiter avec l’industrie privée, n’hésite pas à

nous confier les plus importantes commandes… La Seyne est considérée comme une

succursale de l’arsenal de Toulon74. »

34 Les successeurs de Taylor vont donner de l’ampleur à ces marchés. En février 1855, les

chantiers navals de La Seyne reçoivent commande de deux transports en fer avec leurs

machines pour les besoins de la guerre de Crimée. L’étroite collaboration entre la marine

militaire et la Société des forges est lancée. En dix ans, les chantiers de La Seyne vont

mettre à l’eau 46 navires de guerre pour l’État. Les appareils de tous les bâtiments ont été

fabriqués dans les ateliers de Menpenti. La Société des forges travaille également à la

fabrication de machines indépendantes. L’usine marseillaise livre ainsi, entre 1857 et

1865, 25 appareils moteurs pour des bâtiments réalisés dans les arsenaux de l’État. Le

total des constructions pour la marine militaire française s’élève à 34 700 chevaux75. La

majorité des grands navires de l’escadre militaire française est équipée de machines

fabriquées à Marseille. Par ces travaux, la Société des forges acquiert une reconnaissance

internationale, un prestige qui va lui amener des commandes de nombreuses marines

étrangères. En 1861, les ateliers de Menpenti livrent les machines de La Gloire, fleuron de

la marine de guerre française qui contribue à accroître sa notoriété76. Développant une

force motrice de 900 chevaux, l’appareil séduit par ses qualités et consacre le savoir-faire

de l’entreprise.

35 La réussite de la Société des forges sur les marchés d’État tient à ses fortes capacités

technologiques. Elle découle également des pouvoirs politiques et économiques détenus

par les principaux actionnaires de la société. Taylor connaissait personnellement Arago,

le ministre de la Marine sous la Seconde République77. Stanislas Dupuy de Lôme, l’homme

chargé par l’empereur, à partir de 1857, de la réorganisation de la flotte de guerre

française a été ingénieur conseil aux chantiers de La Ciotat pendant six ans (1852-1857)78.

Il n’a oublié ni les capacités des établissements provençaux ni les dirigeants des

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Messageries. Le rôle d’Armand Béhic est tout aussi important. L’homme est si proche des

milieux gouvernementaux du second Empire qu’il finira par exercer des fonctions

ministérielles. L’obtention des marchés tient enfin à l’extraordinaire capacité de

production des ateliers de Menpenti. Un exemple suffit à le démontrer. En 1859, alors que

la marine de guerre a un besoin urgent de vingt canonnières, François Bourdon est

capable de construire en vingt-cinq jours toutes les machines à hélice de 20 chevaux avec

leurs chaudières tubulaires79.

La conquête des marchés étrangers

36 Les succès français sont un marchepied pour la conquête de débouchés extérieurs. Avant

leur reprise par les hommes des Messageries nationales, les chantiers de La Ciotat

travaillent pour des nations et des compagnies étrangères. Ce type de commandes

constitue une bonne partie de leurs travaux. Pendant la période de crise, Louis Benet a pu

résister quelques années grâce à ses marchés méditerranéens. En 1850, un projet de

construction d’un bateau à vapeur plat pour la navigation sur le Nil est lancé80. Pour la

compagnie sarde Rubattino, les chantiers construisent le San Giorgio en 1847. En octobre

1850, Louis Benet obtient deux contrats avec des États italiens : pour les États pontificaux,

la construction d’un petit vapeur ; pour le gouvernement sarde, la réalisation d’un

bateau-porte pour l’arsenal de Gênes. L’année suivante, les ateliers travaillent pour le

royaume des Deux-Siciles en réalisant une drague et un remorqueur à vapeur81. Les

exportations de navires, machines et chaudières disparaissent en 1852 avec la faillite de

Louis Benet. Les chantiers de La Ciotat intégrés dans les Messageries se bornent

désormais à travailler pour leur compagnie de navigation. La Société des forges prend

rapidement le relais. Les ateliers de Menpenti fabriquent des machines et des chaudières

pour des navires destinés à l’exportation vers l’Espagne. En 1852, deux bâtiments à

vapeur de commerce, le Tharsis et le Pelayo, sont construits par Philip Taylor pour la

navigation de commerce ibérique82. En 1864, les chantiers livrent à la marine militaire

espagnole un appareil de 2400 chevaux pour le P. Alfonso83. Trois années plus tard, ils

lancent la frégate cuirassée Numancia avec ses machines d’une puissance totale de 3 000

chevaux84. Ce navire est une commande d’une grande valeur. Deux ans de travaux ont été

nécessaires. Le Numancia est vendu 7 895 000 francs. L’Italie est également un bon client.

Quatre paquebots et leurs appareils sont construits pour la Compagnie Florio de Palerme

en 1862 et 186485. Entre 1861 et 1864, deux batteries cuirassées mues par des machines de

2 700 chevaux chacune et trois frégates cuirassées avec leurs machines (deux de 2 000

chevaux et une de 4500) sont livrées à la marine de guerre italienne86. Le sud de l’Europe

reste donc le lieu privilégié des exportations. Toutefois, en 1857, la Société des forges

commence à élargir sa clientèle étrangère en construisant notamment quatre paquebots

pour la Compagnie russe de navigation. Cette extension géographique ne se confirme

cependant qu’à partir du milieu des années 1860.

37 L’obtention des marchés passe par des propositions de prix à peu près équivalentes à celle

des constructeurs britanniques. Comme pour l’ensemble de la mécanique marine

française, les nouveautés technologiques appliquées par les ateliers marseillais et

ciotadins depuis le milieu des années 1840 ont permis aux constructeurs de la région de se

rapprocher de leurs concurrents britanniques. Les Britanniques proposent toujours des

prix plus bas mais l’écart s’est presque réduit de moitié (le désavantage des constructeurs

français passe de 38 à 20 %)87. Comme le montre une déclaration de Stanislas Dupuy de

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Lôme, le problème du coût des matières premières nécessaires à la fabrication des

machines a presque été résolu en 1859 : « La principale cause de la différence de prix en

France et en Angleterre, à l’avantage de ce dernier pays, tient à ce qu’en Angleterre on

fabrique une plus grande quantité de machines qu’en France. Les prix des matières

premières, moins élevés en Angleterre qu’en France, sont pour quelque chose dans la

différence des prix de revient, mais non pour une importance aussi grande que la

répartition de l’ensemble des frais généraux sur une plus grande production dans un pays

que dans l’autre88. » Les chantiers navals britanniques continuent de détenir l’essentiel

des marchés de constructions navales et mécaniques en Méditerranée. La Société des

forges parvient toutefois à effectuer des percées significatives. Leur réputation est

prestigieuse et va en grandissant. Elle bénéficie, en outre, de l’avantage de la proximité

qui permet aux États ou compagnies privées ayant fait appel à la société marseillaise de

bénéficier dans de brefs délais de travaux de réparations. Enfin, en multipliant les

commandes, la Société des forges commence à réduire les frais généraux d’autant que les

contrats passés avec les marines militaires concernent souvent l’exécution de deux ou

trois navires jumeaux.

La faiblesse des rivaux méditerranéens

38 Ce succès à l’exportation en Méditerranée est également permis par les limites du

développement des industries de construction mécanique dans le reste du sud de

l’Europe. À la lumière des freins et blocages rencontrés par les industries italiennes et

espagnoles, les atouts des ateliers marseillais apparaissent de manière plus nette. La

réussite technologique et les conditions favorables pour un grand développement – de

vastes marchés générateurs d’économies d’échelle et une législation douanière

bienveillante – font défaut en Italie et dans la péninsule Ibérique.

39 En Espagne, depuis le tournant des années 1850, plusieurs entreprises fabriquent des

appareils pour la navigation à vapeur. La Portilla Hermanos & White de Séville et la

Maquinista Terrestre y Maritima de Barcelone se sont lancées dans la construction de

machines marines en série, notamment pour des navires de l’Armada. Entre 1858 et 1865,

neuf appareils sont réalisés par les deux entreprises89. Les chantiers de l’État ont

également suivi le chemin. En 1858, les arsenaux d’El Ferrol livrent la machine de la Santa

Teresa. Les appareils sont toutefois de petites dimensions. L’État ne s’adresse jamais à des

entreprises nationales pour des commandes de machines d’une puissance supérieure à

130 chevaux. Les marchés sont donc étroits, et ce secteur de l’industrie espagnole

éprouve de grandes difficultés à effectuer des économies d’échelle. L’État s’équipe en

navires à vapeur, mais la mutation de la marine marchande s’effectue encore lentement

malgré le développement de certaines compagnies comme la Bofill, Martorell y Cia et la

Hispano Inglesa au cours des années 1850. De plus, la législation douanière gêne la

conquête des marchés. Les droits sur les matières premières et les produits semi-finis

importés pour la réalisation des appareils sont plus élevés que ceux portant sur les

machines achetées à l’étranger. Les hommes de la Maquinista Terrestre y Maritima exposent

clairement cette difficulté lors de la grande enquête menée au début des années 1860 par

le gouvernement espagnol sur les effets des droits de douanes90. Tant que ce déséquilibre

existera, l’industrie espagnole de la construction mécanique ne pourra se développer :

« Le développement et la croissance des établissements de mécanique sont impossibles

tant que les droits d’importation sur les machines ne seront pas alignés sur ceux des fers

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et des matières premières qui sont employés à leur construction. La situation actuelle

équivaut à avoir décrété la ruine des ateliers de mécanique ». Non seulement l’État ne

réduit pas l’écart des prix de vente entre les établissements espagnols et leurs

concurrents étrangers mais, de plus, il l’aggrave. La conséquence logique est l’absence de

commandes des compagnies privées de navigation pour les entreprises nationales de

construction mécanique.

40 Le constat d’une croissance limitée de l’industrie de mécanique marine est également

valable pour l’Italie. Il Meccanico, fondé à Gênes par Taylor et Prandi dans la seconde

moitié des années 1840 et repris par Giovanni Ansaldo, se développe grâce à ses appuis

gouvernementaux91. L’entreprise de la côte ligure essaie de se placer aux côtés des

ateliers napolitains de Pietrarsa, alors premier établissement de construction mécanique

de la péninsule italienne, capable de fabriquer dans les années 1850 des machines marines

de 500 et parfois 1 000 chevaux de puissance92. Ces deux entreprises éprouvent les pires

difficultés à se développer tant les conditions sont défavorables. La politique douanière

des différents États italiens puis, à partir de 1861, de l’Italie unifiée pénalise durement la

construction mécanique en faveur de la sidérurgie. Comme en Espagne, les matières

premières et les produits semi-finis italiens sont chers. Les mêmes produits importés de

l’étranger le deviennent par les lourdes taxes qui les frappent à l’entrée sur le sol

national. Le problème technologique se pose également avec acuité. Dans les années 1840,

les mécaniciens espagnols étaient parvenus à assimiler les grands principes techniques de

la construction de machines marines. À partir des années 1850, les progrès sont

incessants. Les grandes caractéristiques de la navigation à vapeur ont été profondément

modifiées avec l’utilisation des coques en fer et de l’hélice. L’effort demandé aux ateliers

espagnols ou italiens est trop grand. Les finances précaires des entreprises ne peuvent

répondre à cette nouvelle nécessité qui impose de lourds investissements. Dernier aspect

enfin, l’imaginaire. Un préjugé défavorable s’exerce contre les industries nationales,

surtout en Italie. À produit similaire et à prix égal, les acheteurs transalpins préfèrent

passer commande à l’étranger93. L’industrie marseillaise, détentrice ou initiatrice des

grands progrès techniques dans les domaines de la mécanique marine a tiré avantage de

ce facteur déterminant.

***

41 Durant la première décennie du second Empire, la mécanique marine est devenue le

grand secteur de la métallurgie de transformation marseillaise. C’est dans ce domaine que

cette industrie souffre le moins de ses problèmes d’approvisionnement en matières

premières et peut faire valoir ses meilleurs atouts. L’avance technologique des

entreprises et la dynamique des réseaux humains et financiers ne doivent pourtant pas

laisser à penser que l’avenir sera synonyme de prospérité. Les industriels marseillais le

savent bien. Le secteur est dépendant de facteurs qu’ils ne maîtrisent pas toujours. Parmi

ceux-ci, la législation douanière offre très certainement le plus d’inquiétudes. Le second

Empire a entamé depuis le début des années 1850 sa grande politique d’ouverture des

frontières. Pour l’heure, l’industrie mécanique et navale marseillaise est encore protégée

de la concurrence des entreprises londoniennes et surtout écossaises sur les marchés

nationaux. Pour combien de temps ?

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NOTES

1. Pour l’histoire de cette compagnie, cf. BOIS P., Armements marseillais…, op. cit., p. 7 et 15.

2. Cf. « Léon Gay » dans CATY R., ECHINARD P., RICHARD E., Les Patrons du second Empire…, op. cit.

3. Marc Fraissinet & cie et Marc Fraissinet Père & Fils (cf. EDBdR, t. IX, 1922, p. 375).

4. Louis Arnaud est commissionnaire à Marseille depuis une dizaine d’années d’une compagnie

lyonnaise de navigation sur le Rhône (cf. CATY R., ECHINARD P., RICHARD E., Les Patrons du second

Empire…, op. cit.).

5. GIR, p. 88.

6. Le Port de Marseille à l’Exposition universelle de 1878, Marseille, 1878, p. 151.

7. Bois P., Armements marseillais…, op. cit., p. 10-12, 21-26, 70-74 et 255-258.

8. Enquête. Traité de commerce avec l’Angleterre…, op. cit., p. 574.

9. Ibid.

10. « Navires » dans LAROUSSE P., Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Paris, t. XI, 2e partie,

1874, p. 882. L’escadre de guerre anglaise en Méditerranée est composée, à la fin des années 1850,

de 36 navires (CUCHENAL, CLARIGY, Les Budgets de la guerre et de la marine en France et en Angleterre,

Paris, 1860, p. 141).

11. CHATAIL M., « Dupuy de Lôme (1816-1885) », Les Amis du Vieux La Ciotat, 1985, p. 8.

12. LEDIEU A., Les Nouvelles Machines marines, Paris, Dunod, 1876,1.1, p. XCIII.

13. « Marine », dans LAROUSSE P., Grand dictionnaire universel…, op. cit., t. X, 2e partie, p. 1210.

14. LANESSAN J.-L. (DE), La Marine française au printemps de 1890, Paris, 1890, p. 94.

15. MANIDIER H., « État de la marine militaire d’Espagne », Revue maritime et coloniale, oct. 1869, p.

410-415.

16. « Marine », art. cit., p. 1210.

17. Pour tous les décrets, cf. ACCM MP 3611.

18. ADBdR 548 U 6.

19. DAUMALIN X., COURDURIÉ M., Vapeur et révolution industrielle…, op. cit., p. 172-177.

20. Cf. chapitre VIII.

21. Le mécanicien marseillais n’avait qu’un fils, Louis Augustin. Ce dernier ne reprend pas la

société et la liquide (ADBdR 364 E 673).

22. DUBREUIL J.-P., « Les transformations de la marine française… », op. cit., p. 630-633.

23. EDBdR, t. IX, p. 146.

24. ADBdR 548 U 6.

25. Cf. EDBdR, t. IX, p. 146.

26. ADBdR XIV MEC 12/180 et 181.

27. ADBdR 548 U 7, 548 U 8, XIV MEC 12/180 et 12/181.

28. Ibid. et Les Grandes Industries de Provence. Marseille et le Midi à l’Exposition de 1900, Marseille, 1900,

p. 12.

29. Histoire de la Compagnie Fraissinet, Marseille, 1976, p. 35.

30. ADBdR 548 U 9.

31. GIR, p. 82.

32. DAUMAS M. (dir.), Histoire générale des techniques…, op. cit., t. III, p. 350.

33. FIGUIER L., Les Merveilles de la science…, op. cit., t. I, 1867, p. 245.

34. AUGUSTIN-NORMAND P., La Genèse de l’hélice propulsive, Paris, 1962.

35. Cf. DAUMAS M. (dir.), Histoire générale des techniques…, op. cit., t. III, p. 347-348.

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36. BARNES J., « Performance of Napoléon », MPCE, t. IV, p. 165.

37. BARNES J., « The Great Britain », MPCE, t. IV, p. 165 et 171.

38. MLV, janvier 1847.

39. DUBREUIL J.-P., « Les Transformations… », op. cit., p. 657-660.

40. Le Génie industriel, 1846, t. IX, p. 48, pl. 155.

41. ADBdR 1 M 1092.

42. Ibid.

43. Les machines de La Guyenne (1859), navire dont la vitesse de croisière est de 12,7 nœuds (cf.

CONIL J.-L., La Ciotat : de la voile à la turbine, Marseille, s. d., p. 2).

44. Cf. TURGAN J., « Les Forges et Chantiers… », art. cit., p. 311.

45. CONIL J.-L., La Ciotat…, op. cit., p. 2.

46. COMMANDANT LANFANT, Historique de la flotte des Messageries maritimes, Dunkerque, 1979, p. 29

47. Les premières réalisations ont été l’œuvre de l’Ecossais James Caird à Greenock en 1846 (cf.

AUGUSTIN-NORMAND P., Les Progrès des appareils propulsifs antérieurement à 1870, Le Havre, 1955, p. 13.

48. DAUMAS M. (dir.), Histoire générale…, op. cit., t. IV, p. 34. La disposition pilon est encore

majoritairement utilisée de nos jours pour les moteurs marins diesel (ibid., p. 35).

49. EDBdR, t. VIII, p. 145.

50. Le premier type de machine « présente l’inconvénient de trop rapprocher les deux

vilebrequins, ce qui occasionne un mouvement de cisaille peu propice au fonctionnement doux et

sans choc » (LEDIEU A., Traité élémentaire…, op. cit., p. 611).

51. Ibid.

52. DAUMAS M. (dir.), Histoire générale…, op. cit., t. IV, p. 34-35.

53. Pour la vie de François Bourdon, cf. BOUTMY G., FLACHAT E., « Notice sur la vie et les travaux de

François Bourdon… », art. cit.).

54. Société anonyme des forges et chantiers de la Méditerranée. Notice historique et description des

établissements, Paris, 1913, p. 4.

55. En 1846, par exemple, Philip Taylor délègue ses pouvoirs à Alfred Scipion Say pour l’achat des

brevets déposés par John Webster Cochran pour la France, la Grande-Bretagne, la Russie et la

Hollande (ADBdR 364 E 631).

56. Sauf précisions, les informations du paragraphe proviennent de GIR, p. 88-90.

57. Cf. Ville, Meissonier et Montet, Premier Voyage du navire à vapeurs combinées, le Du Tremblay,

entre Marseille et Alger, Marseille, 1853.

58. RENNIE G., « Combined Vapeur Engines and Boilers of the Du Tremblay Steamer », MPCE, t.

XVIII, p. 253.

59. PAYEN J., « La technologie de l’énergie vapeur… », op. cit., t. II, p. 165.

60. Ibid., p. 166.

61. TURGAN J., « Les Forges et chantiers… », art. cit., p. 314.

62. DAUMAS M. (dir.), Histoire générale…, op. cit., t. IV, p. 76.

63. Ibid., p. 75.

64. Le Génie industriel, 1852, p. 347.

65. En 1860, Lindsay, armateur anglais membre de la chambre des communes, souligne par

exemple la qualité des travaux réalisés par les chantiers de La Ciotat (cf. Enquête sur la marine

marchande, Paris, Imp. Impériale, t. I, 1863, p. 540).

66. ADBdR XIV M 10/11.

67. CRSICM, 1863, p. 115.

68. Cf. annexe 10.

69. Société anonyme des forges et chantiers de la Méditerranée, Paris, 1900, p. 90.

70. Notamment pour les Bazin, Léon Gay et la Compagnie Fraissinet.

71. Société anonyme des forges…, op. cit., 1900, p. 93-94.

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72. PAYEN J., « La technologie… », op. cit., t. II, p. 43-45.

73. LEDIEU A., Traité élémentaire…, op. cit., p. 613.

74. Rapport du conseil d’administration des Forges et chantiers de la Méditerranée… sur la proposition

d’une émission d’actions de 2 500 000 francs, Marseille, 1855, p. 23.

75. Calcul d’après les listes de travaux effectués par la compagnie (Société anonyme des forges et

chantiers de la Méditerranée : notice historique, Paris, 1900, p. 79 et 86).

76. Ibid., p. 6.

77. CHATAIL M., « Dupuy de Lôme… », art. cit., p. 6.

78. Ibid., p. 7.

79. BOUTMY G., FLACHAT E., « Notice sur François Bourdon… », art. cit., p. 12.

80. MLV, janvier 1850.

81. Ibid., 3 mai 1851.

82. Association Sillages, I : Les Pionniers…, op. cit., p. 144.

83. Société anonyme des forges…, 1900, op. cit., p. 88.

84. Ibid., p. 81 et TURGAN J., « La Société des forges… », art. cit., p. 309.

85. Société anonyme des forges…, 1900, op. cit., p. 93.

86. Ibid., p. 82-83.

87. Enquête sur la marine marchande…, op. cit., p. 345-346.

88. Ibid., p. 395.

89. CABANA F., Fabriques i empresaris…, op. cit., p. 82 et COURTIER LOZANO A., La organizaciôn industrial

…, op. cit., p. 81.

90. Información sobre el derecho…, op. cit., t. I, p. 313-316.

91. Deux grands actionnaires de la société Ansaldo & cie, l’armateur Rubattino et le banquier

Brombini, sont proches de Cavour (Cf. DORIA M., « Le stratégie… », art. cit., p. 80-81).

92. DE ROSA L., Iniziativa e capitale straniero…, op. cit., p. 130.

93. Cf., par exemple, DORIA M., dans « Le stratégie… », art. cit., p. 82.

221

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Conclusion de la troisième partie. Lefragile succès d’une industrierenouvelée

1 L’industrie métallurgique marseillaise connaît sa période d’apogée vers 1865. Les effectifs

ouvriers ont grandi comme les productions. De nouvelles activités sont apparues comme

le traitement des minerais de fer et de plomb, la fabrication des tôles. D’après l’enquête

nationale des années 1861-1865 cette extraordinaire réussite fait de la région marseillaise,

en association avec les entreprises de La Seyne, le premier centre métallurgique français.

Ce succès n’est rendu possible que par une législation douanière favorable mise au point

par un État soucieux de développer les secteurs clés de son économie et de sa puissance

militaire. Le marché national des machines à vapeur marines est protégé de la

concurrence étrangère, essentiellement anglaise et écossaise. Les débouchés extérieurs

sont accessibles par l’utilisation, en franchise de droits, de matières premières et de

produits semi-finis achetés principalement en Grande-Bretagne. Le seul avantage

douanier était toutefois loin de suffire pour atteindre un tel succès. Les industriels

marseillais et les hommes d’affaires extérieurs à la ville ont su bâtir leur réussite en

développant de fortes capacités technologiques et en s’insérant dans des courants

commerciaux générateurs d’opportunités industrielles. Les entreprises bénéficient en

outre de nombreux réseaux économiques et politiques leur permettant d’avoir accès à des

marchés importants en volume qu’ils soient du domaine militaire national ou de divers

pays méditerranéens ou encore de la marine marchande locale ou étrangère.

2 Derrière cette réussite apparaissent toutefois les premiers éléments d’une fragilité. Au

début des années 1860, pour des raisons d’économie dans les coûts de fabrication,

certaines productions comme celles des tôles sont abandonnées. Des changements

importants s’opèrent dans des circuits commerciaux qui avaient auparavant permis à

Marseille de constituer des industries sur des matières premières importées. Le cas de

l’industrie du plomb est exemplaire. La concurrence nationale s’affirme avec la

constitution d’un réseau de communication terrestre qui tend à gommer le

fractionnement des marchés au détriment des entreprises locales. Dès le milieu des

années 1860, l’industrie mécanique marseillaise se caractérise par une domination sans

partage du secteur lié à la navigation. En ce domaine, la ville a su tirer profit de marchés

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abondants, notamment grâce à une remarquable adaptation technologique. Pour

pérenniser ce succès, les ateliers phocéens, toujours à la merci de la concurrence

britannique, doivent poursuivre leurs efforts dans ce domaine. Se pose également le

problème d’une survie à une retombée de cycle. Les entreprises ont connu un essor basé

sur des éléments en cours de modification. La législation douanière avait offert une

protection efficace. Les mesures établies par le traité de commerce franco-britannique de

1860 ne concernaient pas les secteurs de la construction navale. Souhaitant profiter du

libre jeu de la concurrence, les armateurs français font pression pour que les taxes

d’importation sur les navires et les machines soient abolies. En 1866, le gouvernement

français leur donne satisfaction.

223

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Quatrième partie. Le déclin(1865-1890)

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Chapitre XIII. Les difficultés del’industrie du plomb

1 Au cours des années 1860-1870, les grandes données du commerce international du plomb

se trouvent bouleversées. La géographie des circuits d’approvisionnement en matières

premières se modifie de manière notable. Avec la forte croissance de la demande de

produits en plomb émanant de ses industries et de son secteur du bâtiment, l’économie

britannique ne parvient plus à se satisfaire des richesses de son sous-sol depuis les années

1850. L’approvisionnement des usines du pays de Galles se fait avec difficulté. Pour

remédier à ce problème, des négociants et industriels d’outre-Manche partent en quête

de zones d’implantation susceptibles de leur fournir minerais et métaux. Ils parviennent à

leur fin en s’établissant dans le sud de l’Espagne d’où sont drainées les matières premières

recherchées. La part de la Grande-Bretagne dans les exportations espagnoles,

relativement peu importante jusqu’au début des années 1850, prend alors un essor

considérable. Elle atteint le chiffre de 47,2 % pour les années 1866-1875 avant de passer à

66,6 % au cours des cinq années suivantes1. La production de plomb des usines

britanniques peut alors suivre l’évolution de la demande nationale2. Les Américains

suivent rapidement l’exemple de la Grande-Bretagne en venant également

s’approvisionner en Espagne. Au cours de la décennie suivante, un changement des

échelles de production s’opère. L’offre mondiale de produits en plomb connaît une

croissance marquée. Les productions allemandes et américaines prennent leur envol et

viennent s’ajouter à celles des Britanniques, des Espagnols et des Français3. L’offre est

devenue trop importante par rapport à la consommation des principaux pays acheteurs,

qui se tasse dans le même temps. Une crise de surproduction s’installe. Les prix chutent à

partir de 1878. Les grands changements qui s’opèrent dans les circuits commerciaux du

plomb placent l’industrie marseillaise dans une situation inconfortable. Les

entrepreneurs phocéens doivent en effet résoudre des difficultés qui touchent aux deux

éléments qui ont assuré son succès au cours de la période précédente.

L’approvisionnement en plombs bruts et surtout en galènes argentifères devient un

problème récurrent pour les entreprises phocéennes et la concurrence accrue sur les

marchés extérieurs, méditerranéens surtout, restreint les débouchés du secteur. Se pose

alors la question d’une survie sur le seul marché national.

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UN PROBLÈME D’APPROVISIONNEMENT ENMATIÈRES PREMIÈRES

2 Les signes annonciateurs de la dépression dans le secteur du plomb sont apparus durant

la première moitié des années 1860. Les entrepreneurs marseillais assistent, impuissants,

aux modifications qui s’opèrent au sein du marché international. En 1864, s’adressant à la

chambre de commerce de Marseille, ces industriels et négociants envisagent le proche

avenir du commerce européen des plombs de la manière suivante :

« Nous verrons dans peu de temps disparaître de nos marchés le plomb qui réunitles qualités les plus convenables pour nos fabrications […] Nous habituerons lesAnglais et surtout les Américains à aller chercher le plomb d’Espagne, non plusdans nos entrepôts du Havre et de Marseille mais sur les marchés espagnols4. »

3 Il ne faut pas voir dans cette déclaration une crainte exprimée sur un futur incertain. Le

mouvement est déjà amorcé. Les fondeurs de plombs marseillais sont lucides, pleinement

conscients que le contrôle du commerce des plombs commence à leur échapper et que le

mouvement semble irréversible. En premier lieu, les industriels phocéens éprouvent des

difficultés à s’approvisionner en matières premières espagnoles. « Les matières premières

manquent. L’Espagne ne peut en fournir assez5. »

La difficulté d’importer des métaux bruts

4 La première grande difficulté rencontrée par les fondeurs marseillais concerne donc les

achats en plombs et en galènes argentifères, les deux matières premières qui avaient

précédemment assuré la grandeur de l’industrie marseillaise des non-ferreux. Avec

l’approvisionnement direct des entreprises britanniques en Espagne, le port de Marseille

cesse d’être le centre de contrôle international du marché des plombs qui délaisse la

Méditerranée pour se recentrer vers l’Atlantique. Le signe le plus évident de ce

retournement de conjoncture est le repli d’Ignacio Figueroa, fils de Luis Figueroa, sur sa

terre natale, en 1860. L’Espagnol, dont l’activité de ses usines reposait presque

exclusivement sur le travail des matières premières espagnoles, délaisse Marseille pour

concentrer ses activités dans le sud de la péninsule Ibérique. Avec ce choix, il se

positionne au centre des nouveaux courants commerciaux du plomb. Les usines du Rouet

et des Goudes sont toujours en sa possession mais sont louées à un industriel local,

Guilhem6. La désargentation des plombs ne se fait plus dans ses usines du sud-est de la

France. Elle s’effectue désormais en Espagne, à Carthagène, dans l’usine San Ignacio que

l’Espagnol possède depuis plusieurs années.

5 Ces difficultés, apparues au début des années 1860, s’aggravent au cours des deux

décennies suivantes. Entre 1866 et 1880, les importations de plombs argentifères vont

diminuer de moitié par rapport à celles des années 1857-1859, période d’activité

maximale de ce secteur7. Outre le court-circuitage de l’axe Espagne-port de Marseille

mené par les Anglais et les Américains, d’autres facteurs contribuent à entraîner le déclin

des achats marseillais en Espagne. Au début des années 1870, le gouvernement espagnol a

instauré un droit de sortie de dix francs par tonne de plombs argentifères quittant le

territoire ibérique pour se diriger vers la France8. Ce problème de taxation douanière

durera pendant toute la décennie. Au prix d’âpres discussions, le gouvernement français

parvient toutefois à le régler lors du traité de commerce franco-espagnol de 1881 :

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« La commission douanière, convaincue de la nécessité de soutenir une industrie àlaquelle la défense nationale est intéressée, n’hésita même pas à accorder àl’Espagne une concession sur le droit d’entrée des vins, en échange de lasuppression du droit de sortie dont étaient frappés les plombs argentifères9. »

6 La question des tarifs douaniers réglée, les plombs espagnols peuvent revenir sur les

quais des ports de Marseille et constituent de nouveau la principale source

d’approvisionnement des industriels marseillais. Néanmoins, malgré cette reprise, la

courbe générale des importations ne remonte que faiblement. Les entreprises locales

doivent en effet affronter de nouvelles difficultés avec les autres zones d’achats en

matières premières. Dans les années 1880, elles se trouvent confrontées à la perte de

l’approvisionnement transalpin. Sur le modèle de la législation espagnole du début des

années 1870, le royaume d’Italie accorde une protection douanière afin de soutenir le

développement de sa propre industrie. Celle-ci s’avère efficace. Le rapport Fraissinet sur

la situation du commerce des plombs à Marseille, présenté à la chambre de commerce en

1890, souligne la disparition des importations de plombs italiens : « Les plombs qui nous

venaient de ce côté ont été complètement détournés de notre port10. » Après cinq années

particulièrement difficiles (1876-1880), une remontée s’opère au cours de la décennie

suivante, et plus particulièrement à la fin des années 1880, grâce à une bonne reprise des

importations espagnoles, à un approvisionnement d’appoint en Algérie et, dans une

moindre mesure, en Grèce. Cette remontée ne doit cependant pas faire illusion quant à

l’état de la métallurgie marseillaise du plomb à la fin des années 1880. Les industriels

phocéens ne retrouveront jamais le niveau des importations de la fin des années 1850 qui

leur avait permis de faire de Marseille un des principaux centres européens de traitement

du plomb. Pour l’ensemble de la période, la situation s’est donc aggravée pour les

importations de plombs argentifères. Elle est devenue catastrophique pour les

approvisionnements en minerais.

La disparition des approvisionnements en galènes argentifères

7 Sur l’ensemble de la période 1865-1890, ce sont en effet les approvisionnements en

galènes argentifères qui ont été les plus durement touchés. Principalement d’origine

espagnole, ils atteignaient 200 000 quintaux en 1860. Dix années plus tard, le chiffre est

tombé à un peu plus de 8 00011. Les difficultés de se fournir sur le sol ibérique ont

durement touché l’industrie marseillaise du plomb. Après une remontée dans les années

1875-1883, grâce à l’utilisation de minerais des Hautes-Alpes, de Sardaigne, de Grèce et

surtout de l’Argentière en Ardèche12, ils disparaissent totalement à partir de 1885. Les

gouvernements sud-européens ont mis en œuvre de redoutables politiques douanières

pour limiter les sorties de minerais de plombs de leurs territoires. Ils entendent ainsi

favoriser l’essor des entreprises nationales. Le cas de l’État grec avec les gisements du

Laurium est particulièrement significatif. Au début des années 1870, le gouvernement

hellénique décide d’offrir le traitement des minerais de plomb du gisement à une

entreprise formée avec des capitaux nationaux et refuse à la société française dirigée par

le Marseillais Hilarion Roux l’exploitation des evcolades (minerais) du Laurium alors que

cette dernière avait obtenu des facilités d’installation au milieu des années 1860 pour le

traitement des scories, déchets des exploitations antérieures du gisement13.

8 Malgré toutes ces difficultés, l’industrie marseillaise du plomb ne s’avoue pas vaincue. Le

secteur garde un certain dynamisme afin de trouver de nouvelles sources

d’approvisionnement et de mettre au point des processus de production pouvant amener

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une baisse notable des coûts de revient du traitement des matières premières. Les

entrepreneurs essaient de pallier ce problème des achats en Espagne en se montrant plus

compétitifs au sein d’un marché qui tend à la saturation.

MOINS D’ENTREPRISES MAIS TOUJOURS DESINNOVATIONS

9 De 1860 à la fin des années 1890, quatre ou cinq entreprises vont, selon les périodes,

assurer le traitement des plombs et des galènes argentifères à Marseille. Certains

établissements créés dans la période faste des années 1850 n’ont pas survécu aux

premières années de la crise. Ils ont fermé leurs portes ou réorienté leurs activités dès le

milieu des années 1860. C’est le cas notamment des usines des Chartreux et d’Arenc.

L’usine des Goudes connaît un sort similaire une décennie plus tard. Elle est fermée par

Ignacio Figueroa en mai 187714. L’usine du Rouet, le grand établissement de la période

précédente, n’a plus, au milieu des années 1870, « qu’une importance très médiocre15 ».

Elle ne désargente alors que de faibles quantités de plomb d’œuvre espagnol. Dans cet

établissement, « un seul détail est original ; c’est l’emploi de creusets en plombagine mais

l’usine ne fait là que profiter de l’expérience acquise en Allemagne dans ces dernières

années16 ». Les deux usines à posséder une réelle importance sont celles de Saint-Louis et

de la Madrague de Montredon. En 1877, elles comptent respectivement 180 et 77 ouvriers17.

L’usine de Saint-Louis

10 L’usine de Saint-Louis a participé au grand essor de l’industrie marseillaise du plomb

depuis l’année 1850, date de sa création. Gustave Rozan, propriétaire de l’établissement

depuis ses origines, tente avec Luce fils, au début des années 1870, de moderniser l’usine

avec la collaboration technique de son fils Léonce, ancien élève de l’École des mines de

Paris. La société entend être la première à appliquer le nouveau grand procédé d’affinage

des plombs argentifères qui va remplacer rapidement les méthodes habituellement

utilisées : le pattinsonage, apparu à Marseille à la fin des années 1840, le système

Laveyssière, un dérivé du premier et le procédé Moysan, mis au point au cours de la

décennie suivante, qui désargente les plombs avec l’aide du zinc18. Le tout nouveau

procédé utilise l’action oxydante de la vapeur d’eau qui, en s’échappant : « […] produit

dans la masse un bouleversement semblable à celui d’un liquide très dense en ébullition.

Cette agitation violente et continue est très favorable […] à la séparation du plomb et de

l’argent sous forme de cristaux pauvres et de plomb liquide enrichi19 ». Les essais ont lieu

en 1871 avec un premier appareil. L’opération est réussie. Ce nouveau procédé apporte

des gains de productivité notables ainsi qu’une diminution des coûts des opérations de

traitement des minerais. En 1872, trois nouveaux appareils sont installés dans les ateliers

de Saint-Louis. L’utilisation de la vapeur d’eau pour l’affinage des plombs se propage en

Espagne et en France. En 1872-1873, deux appareils de désargentation par l’action de la

vapeur sont introduits dans l’usine d’Hilarion Roux à Carthagène, deux dans

l’établissement de Figueroa, toujours à Carthagène, et quatre autres en France dans des

entreprises du Puy-de-Dôme et du Gard20.

11 Durant ces années, l’ingénieur Ernest Thomas-Payen découvre un nouveau système de

production : la natro-métallurgie, un procédé qui permet d’affiner les plombs

228

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argentifères au moyen de la soude. Il a trouvé les fonds nécessaires à la mise au point de

son invention auprès de Gustave Rozan et de Luce fils, toujours à la recherche de procédés

de production plus économiques21. Le gain financier est des plus remarquables. Le coût du

travail de désargentation est diminué de 30 % par rapport à la méthode de Pattinson22.

L’usine de la Madrague de Montredon

12 Contrairement à l’établissement de Saint-Louis, la deuxième usine importante est une

création récente. Au milieu des années 1870, Hilarion Roux a fondé à la Madrague de

Montredon, au sud de la ville, un grand établissement en vue de traiter les minerais

extraits des gisements du Laurium. Roux est alors l’entrepreneur marseillais le plus

intéressé par l’utilisation de nouveaux procédés pour l’affinage des plombs et des galènes

argentifères23. L’homme d’affaires marseillais cherche à résoudre un problème technique

majeur. Il bute alors sur le travail des plombs grecs du Laurium, des plombs « […] que les

usines de Marseille se reconnaissent très souvent incapables de traiter, vu leur dureté24 ».

L’enjeu « a une importance capitale vu la quantité de plomb de Grèce importée en France25 ». En 1873, Hilarion Roux parvient à s’associer avec Thomas-Payen, qui quitte Rozan &

Luce fils en apportant son procédé26. Les capitaux investis dans l’opération sont

importants. Une usine d’essai est montée au Prado et travaille pendant plusieurs mois à

l’affinage des plombs durs de Grèce27. L’opération est un succès total. La décision est prise

de créer une usine à Montredon pour traiter par la natro-métallurgie et à grande échelle

les plombs extraits du Laurium. Pour alléger les coûts de production, l’entreprise se dote

d’un atelier de production de produits chimiques afin de fabriquer elle-même la soude

dont elle a besoin. Malgré ses succès dans le domaine des techniques, cette entreprise n’a

qu’une assez courte durée de vie. Elle disparaît vraisemblablement en 1883, victime,

comme la plupart des entreprises qui composent le secteur, de son incapacité à

s’approvisionner en matières premières. Il était difficile de lutter contre la volonté des

gouvernements grecs qui essaient de favoriser les entreprises nationales.

DES DÉBOUCHÉS DE PLUS EN PLUS RESTREINTS

13 Tout au long de la période 1865-1890, l’industrie marseillaise du plomb a rencontré des

problèmes pour s’approvisionner en matières premières. Ce n’était pas la seule difficulté

qu’elle devait affronter. Très rapidement, la question des débouchés s’est également

posée avec acuité.

La chute des productions

14 Malgré les efforts de modernisation entrepris par les deux plus grandes entreprises, les

volumes de production de l’industrie marseillaise du plomb subissent une forte baisse sur

l’ensemble de la période 1860-1890. La part de l’industrie marseillaise dans la production

totale française des non-ferreux s’effondre. Elle dépassait généralement les 50 % au cours

des années 1857-1859. Le chiffre atteint au maximum 27 % pour les années 1870 avec

généralement des proportions inférieures à 20 %28. Entre 1860 et 1890, les productions de

plombs marchands ont diminué de plus du tiers et celles d’argent, issues des opérations

de coupellation, de moitié29. Dans cette grande phase de dépression, la courbe des effectifs

ouvriers a suivi une tendance similaire. Les cinq usines marseillaises encore en activité en

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1876 employaient 330 ouvriers. En 1885-1890, l’effectif total des quatre établissements

(ceux de la Madrague de Montredon, du Rouet, de Saint-Louis et de l’Escalette) se situe

entre 100 et 140 salariés30.

15 L’industrie du plomb connaît un dernier sursaut au cours des années 1888-1895 grâce à

une augmentation ponctuelle des débouchés locaux et extérieurs. À la fin des années

1880, Marseille voit se créer deux établissements qui consomment des quantités

appréciables de plomb d’œuvre : une usine de capsules, qui produit 50 millions d’unités

par an avec de l’étain et du plomb, et une fabrique de céruse31. Ce mouvement de reprise

est de courte durée. L’effondrement qui suit cette petite période est définitif. A l’extrême

fin du XIXe, une seule entreprise marseillaise, celle de l’Escalette, traite encore des plombs

et des galènes argentifères. La baisse des productions est en partie provoquée par le

problème des approvisionnements en matières premières. Elle s’explique aussi et surtout

par les exportations qui deviennent presque inexistantes. Or ces exportations avaient été

un des éléments prépondérants de la remarquable croissance de la fin des années 1850.

Des marchés extérieurs limités

16 Au cours des années 1860, les entreprises nationales ou étrangères installées en Espagne

gagnent d’importantes parts de marchés face à leurs rivaux marseillais32. Malgré une

forte baisse de leurs prix de vente, les entreprises phocéennes voient leurs exportations

diminuer. Durant cette période, ces dernières perdent une grosse partie des débouchés

américains, un marché qui leur avait apporté d’importants bénéfices. Au cours de la

décennie suivante, l’usine de Saint-Louis reste la seule entreprise à exporter ses produits

dans des proportions non négligeables, principalement vers les États-Unis et les pays

méditerranéens : « Les plombs raffinés vont aux États-Unis pour la plus grande partie. Le

reste est absorbé en parties à peu près égales par le marché intérieur et les marchés

méditerranéens33. »

17 Au total, les exportations sont peu importantes pour l’ensemble du secteur. Dans la

seconde moitié des années 1880, elles gagnent de nouvelles destinations : pays

d’Amérique du Sud, la Chine, le Japon, les Indes et surtout la Russie34. La première

destination est l’Italie, avec une moyenne annuelle de 16 093 quintaux entre 1886 et 188835. La géographie des exportations a changé, mais les quantités de plombs quittant le port

de Marseille sont toujours aussi faibles. Les fonderies de la ville sont concurrencées par

leurs rivales britanniques et les marchés méditerranéens sont devenus peu accessibles à

cause des politiques de développement des industries nationales menées par les États du

sud de l’Europe. La reprise des exportations au cours des années 1887-1888 et au début

des années 1890, période durant laquelle les usines marseillaises exportent, par exemple,

24 150 quintaux en Russie et 22 660 en Angleterre, est purement conjoncturelle. Les

raisons de ce redémarrage des exportations restent assez obscures. Désormais, de

manière générale, les industriels marseillais vivent surtout du marché national, dans une

proportion des deux tiers en 1890 selon le rapport remis par Fraissinet à la chambre de

commerce de Marseille36. Sur ce marché même, la concurrence devient sévère. L’industrie

marseillaise voit ses débouchés dans le nord de la France diminuer à cause du dynamisme

d’entreprises du Havre, de celle de Pontgibaud (Puy-de-Dôme) ou de Couèron (Loire-

Atlantique), qui traite les plombs argentifères des mines de Pontpéan37. Les usines

phocéennes se replient petit à petit sur des productions traditionnelles telles que la

fabrication de grenailles, de produits laminés et de tuyaux.

230

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***

18 Touchée par une crise violente et profonde à partir du milieu des années 1860, l’industrie

marseillaise du plomb n’est pas parvenue à vaincre les difficultés qui s’aggravent au cours

des décennies suivantes. Les entreprises de la ville, malgré un effort particulièrement

marqué de modernisation des structures et des techniques de production, ne peuvent

surmonter les problèmes d’approvisionnement en métaux et galènes argentifères ainsi

que la perte d’une grande partie de leurs débouchés extérieurs. Malgré de nombreuses

tentatives pour construire de nouveaux réseaux d’exportations, le secteur manque

d’ouvertures. Il doit désormais se replier sur le territoire national, où la sévère

concurrence entre les différents centres régionaux de production met fin à son

importance passée. Marseille a perdu un de ses fleurons métallurgiques du second

Empire.

NOTES

1. CHASTAGNARET G., « Conquista y dependencia… », art. cit., p. 184.

2. La production britannique de plomb était de 73 000 tonnes en 1854. En 1875, Elle atteint 98 600

tonnes (cf. CHASTAGNARET G., « Le secteur minier… », op. cit., t. II, p. 563).

3. La production allemande de plombs passe de 59 000 à 96 950 tonnes entre 1872 et 1882. Celle

des États-Unis progresse à un taux annuel de 17,8 % au cours de la même période.

4. ACCM MP 3611.

5. ADBdR XIV M 10/11.

6. En mai 1877, Ignacio Figueroa reprendra possession de l’usine détenue par la société Guilhem,

Mariand & Cie (EMP M 1878-1879 (998), p. 27).

7. Cf. annexe 4.

8. CRTCCM, 1890, p. 247.

9. Ibid., p. 248.

10. Ibid., p. 250.

11. Cf. annexe 6.

12. En 1880, les minerais espagnols ne représentent plus que 12,75 % des 74 540 quintaux

travaillés par les usines marseillaises (SIM, 1880). En 1877, les minerais traités par les deux

principales usines viennent de l’Argentière (EMP M 1878-1879 (998).

13. Cf. MORAITINIS P., La Grèce…, op. cit., p. 332-334. Pour plus de détails sur cette affaire, cf. Exposé

au Conseil des ministres sur la question des evcolades, Athènes, 1872.

14. EMP M 1878-1879 (998), p. 27. L’usine n’employait plus que 25 ouvriers.

15. EMP J 18766 (570), p. 1.

16. Ibid., p. 9.

17. EMP M 1878-1879 (998).

18. EMP J 18766 (570), p. 27.

19. ROZAN L. FILS, « Désargentation et raffinage du plomb au moyen de la vapeur d’eau dans

l’usine de MM. Luce fils et Rozan, à Saint-Louis-les-Marseille », ADM, 1873, t. VII, p. 161.

231

Page 234: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

20. Ibid., p. 160.

21. THOMAS-PAYEN E., « Natro-métallurgie… », art. cit., p. 167.

22. Cf. EMP M 1878-1879 (998).

23. Au milieu des années 1860, Hilarion Roux a obtenu du gouvernement grec une concession

pour traiter les scories du Laurium. Il forme une société à Marseille la même année pour les

traiter. Les travaux de la société ont commencé en 1865 et mobiliseront rapidement 1 200

ouvriers (cf. MORAITINIS P., La Grèce…, op. cit., p. 332). Le Marseillais a également des intérêts dans

les plombs espagnols puisqu’il possède une fonderie à Carthagène (la San Isidoro, fondée par la

société marseillaise Isidore Brun & Cie en 1843) (EMP M 1878-1879 (998), p. 3).

24. EMP J 1876, p. 9.

25. Ibid. Une seconde société française a été montée pour exploiter des gisements du Laurium en

1873 (cf. MORAITINIS P., La Grèce…, op. cit., p. 338).

26. THOMAS-PAYEN E., « Natro-métallurgie… », art. cit., p. 167.

27. Ibid., p. 169.

28. SIM, 1857-1890.

29. Cf. annexe 7.

30. AN F 12 4486.

31. CRSICM, 1889, p. 121-122.

32. Ibid., 1868, p. 110.

33. EMP J 18731 (599), p. 94.

34. CRSICM, 1888, p. 125 et CRTCCM, 1890, p. 249.

35. CRSICM, 1888, p. 125.

36. CRTCCM, 1890, p. 249.

37. LAUNAY L. (DE), Statistique générale de la production de gîtes métallifères, Paris, 1893, p. 131

232

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Chapitre XIV. La crise de la métallurgiedes fers et des fontes

1 Le travail des fers et des fontes a connu un fort développement au cours des années

1850-1865. Les fonderies ont toutefois rencontré certaines difficultés. Les problèmes

restent bien présents et s’aggravent même à partir de la seconde moitié des années 1860.

L’industrie métallurgique marseillaise ne parvient toujours pas à résoudre ses problèmes

de coûts de production à cause d’un approvisionnement en matières premières trop

onéreux et doit faire face à une sévère concurrence aussi bien française qu’étrangère. De

plus, la conjoncture est devenue défavorable. Une phase de renouvellement des produits

métallurgiques commence au milieu des années 1860. L’utilisation de l’acier, métal

offrant une meilleure résistance et une plus grande légèreté, s’impose dans le secteur de

production des tôles et dans celui de la fabrication de diverses pièces de machines. L’acier

doux tend à remplacer le fer. Coulé, il se substitue aux grosses pièces de forge. C’est dans

ce contexte difficile que les entreprises phocéennes luttent pour conserver leurs marchés

locaux et leurs débouchés extérieurs. Avec sa spécialisation du début des années 1860

dans un créneau de production relativement étroit, la sidérurgie marseillaise semble

s’être placée sur la bonne voie. Le secteur qui offrait à ses débuts le plus d’inquiétudes se

trouve paradoxalement le mieux placé pour se développer. Sa prospérité est toutefois

étroitement liée à l’absence d’une concurrence sérieuse et l’étroitesse de sa spécialisation

est un avantage qui peut rapidement devenir un inconvénient.

L’EFFONDREMENT DE LA MÉTALLURGIE DES FERS ETFONTES

2 Le nombre des fonderies marseillaises de deuxième fusion diminue de manière constante

entre 1865 et 1890. Deux entreprises dominent ce secteur durant l’ensemble de la

période : la fonderie Benet et la forge des frères Marrel.

233

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Le faible dynamisme dans les créations d’entreprises

3 L’établissement le plus important de la période est la fonderie de la famille Benet, dirigée

par Louis Benet, le petit-fils du fondateur de l’usine. Cette société garde longtemps ses

caractéristiques des débuts du second Empire. Elle prend une véritable ampleur en 1881,

lorsque s’opèrent un changement de dénomination et une augmentation notable du

capital. Cette année-là sont créées les Fonderies de la Méditerranée, société anonyme au

capital de 2 200 000 francs avec pour objet la « fabrication de toutes pièces, ouvrées ou

non, en fonte de fer, cuivre et autres métaux… »1. Au sein de cette nouvelle société se

trouvent plusieurs personnages de grande envergure. Le président du conseil

d’administration, Ernest Biver, est un ingénieur civil belge qui a commencé sa carrière

provençale dans les mines de lignite. Il est accompagné de puissants banquiers, dont le

plus éminent est Victor Vaïsse, financier local qui siège également dans les conseils

d’administration des plus grandes sociétés de la ville comme la Compagnie des docks et

entrepôts et la société marseillaise de crédit2. L’entreprise de Benet emploie 400 ouvriers

dans la première moitié des années 1880 et travaille essentiellement pour la marine

marchande3.

4 La seconde grande entreprise appartient aux frères Marrel. Elle est établie dans le

quartier de la Capelette depuis le début des années 1850. Cet établissement fabrique des

pièces de forge et surtout des ancres et des chaînes pour les navires du port de Marseille.

Les frères Marrel ont modernisé les ateliers au début des années 1870. L’entreprise

possède alors six marteaux-pilons ainsi qu’une grande cisaille actionnée par une machine

à vapeur4. En 1866, les deux hommes ont fait l’acquisition d’un second établissement situé

à proximité, les forges de la Capelette. Le niveau d’activité de la forge est alors au plus

bas. Elle n’emploie plus que 220 ouvriers et l’entreprise qui la possède, la Société des

forges et chantiers de la Méditerranée, envisage de mettre fin à ses activités. Les frères

Marrel « se proposent d’aller s’établir dans l’usine5 ». Le conseil d’administration de la

Société des forges accepte la proposition et loue les locaux aux entrepreneurs de la Loire.

Le type d’activité de l’usine est changé. Les frères Marrel transforment l’atelier autrefois

spécialisé dans la fabrication de tubes et de tôles en fer en une forge de petites et

moyennes pièces de métaux.

5 Plusieurs petites entreprises, dont certaines trouvent leurs origines dans les années 1840,

complètent le tableau. Ce sont celles de Maurel, Thiebault, Puy, Montagne, Riddings et

Jeffery…6. La seule véritable création de la période est la fonderie Perrin, montée en 1880.

Les informations sur cette entreprise sont rares. Il semble qu’elle effectue divers travaux

de fonte et moulage, essentiellement pour les besoins de la navigation7. L’ensemble de ces

sociétés survit difficilement. Par rapport aux années 1847-1865, le secteur de la

métallurgie de deuxième fusion s’est considérablement appauvri.

L’agonie de la métallurgie des fers

6 Après la disparition, en 1862, de la production des tôles, la fabrication des tubes s’achève

également dans la région marseillaise avec la vente des forges de la Capelette aux frères

Marrel. La perte de ces deux importantes productions entraîne une baisse

particulièrement marquée des quantités de fers ouvrés produites par les établissements

du département8. Cet abandon de la production des fers par la Société des forges est

234

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parfaitement révélateur de l’incapacité pour l’industrie marseillaise de transformation

des fers et des fontes de rivaliser avec les grandes entreprises françaises ou étrangères.

Pour une société spécialisée dans la construction navale, le maintien d’une forge

travaillant à des prix de revient prohibitifs est irréalisable. Les forges de la Capelette

étaient de toute manière condamnées à une fin certaine. L’apparition et le

développement des coques en acier qui se substituent aux coques en fer ne leur laissaient

que peu de chances de survie.

7 Les premières constructions de coques en acier par les chantiers de La Seyne ont lieu au

début des années 1860, certainement avec le Ramanieh9. Les tôles de fer ou d’acier pour les

navires sont achetées à de grandes entreprises du centre de la France (Rive-de-Gier,

Saint-Chamond et surtout Le Creusot), établissements capables de travailler avec des

coûts de production bien moindres et qui ont démontré leurs fortes capacités

technologiques10. Ils sont capables de fabriquer des tôles particulièrement résistantes.

Leurs plaques de blindage, posées sur des navires de guerre italiens et espagnols

construits par la Société des forges durant la première moitié des années 1860, ont assis

leur réputation. La frégate cuirassée espagnole Numancia, au blindage de 13 centimètres

d’épaisseur, « supporta une grêle de boulets de 150 kilos11 ». Le Regina Maria-Pia de la

marine italienne, au blindage creusotin de 12 centimètres d’épaisseur, est sorti de la

bataille navale de Lissa, remportée par la marine autrichienne, « sans autre avarie que des

marques de cinq centimètres de profondeur, empreintes des boulets ennemis12 ». Dans le

domaine de la marine de guerre, il est devenu impossible de fabriquer les tôles en

Provence. Aucune entreprise de la région ne peut penser rivaliser avec l’entreprise des

Schneider, aussi bien pour les coûts de fabrication que pour la qualité des produits

obtenus.

8 Pour survivre dans les secteurs d’activité qui leur restent, les sociétés marseillaises

doivent travailler le fer avec des matières premières moins coûteuses. Elles parviennent

progressivement à trouver un approvisionnement à prix raisonnable en utilisant les vieux

fers de la région, qui remplacent les massiaux puddlés des départements de la Loire et du

Gard. Cette solution permet de préserver les derniers lambeaux du secteur, mais la

médiocre qualité de ces métaux interdit la fabrication de tôles à des coûts compétitifs. En

1890, les ingénieurs des Mines ne recensent plus que 93 ouvriers affectés à la production

de fer ouvré dans les Bouches-du-Rhône13. Les forges de la Capelette en employaient 400 à

elles seules en 1856-1857.

Les difficultés du secteur des fontes moulées

9 Le secteur de fabrication des pièces de fontes moulées connaît également d’énormes

difficultés. À partir de 1869, la production marseillaise des fonderies de deuxième fusion

s’effondre14 et se limite essentiellement à la fabrication de chaînes, rivets et de quelques

pièces de machines. Là encore, ce n’est pas le niveau de la demande locale qui est en cause

mais l’impossibilité pour les entreprises marseillaises de travailler à des coûts

compétitifs. En 1873, les Bouches-du-Rhône sont classées au treizième rang des

producteurs de fontes moulées en deuxième et troisième fusions. La place du

département est stable depuis le début des années 1860, mais cette stabilité n’est

qu’apparente. Elle cache une baisse de production assez marquée. La valeur des

fabrications est alors de 2 000 000 de francs, soit une diminution de plus de 30 % par

rapport au milieu des années 186015. Bien que les données manquent, il semble que les

235

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productions s’effondrent une nouvelle fois durant la seconde moitié des années 1880. Les

Fonderies de la Méditerranée doivent fermer leurs portes momentanément à partir de

décembre 1885. En 1888, les usines marseillaises produisent 3 060 quintaux de pièces de

forge et 2 500 de chaînes pour la navigation. Deux années plus tard, les chiffres tombent

respectivement à 970 et 1 440 quintaux16. En 1893, les sept fonderies marseillaises

n’emploient plus que 250 ouvriers17. Les 40 cubilots en fonctionnement livrent seulement

40 000 quintaux de pièces de fontes et de fers moulés18.

10 Une des principales causes évoquées par les fondeurs marseillais pour expliquer leurs

difficultés est la perte des marchés méditerranéens, et plus généralement italiens et

espagnols, à cause de la généralisation du trafic des pouvoirs d’introduction engendré par

le système des acquits-à-caution19 :

« Les fonderies de notre port, qui placées sur les bords de mer dans les meilleuresconditions pour importer des fontes étrangères et réexporter ensuite en franchisede droits des produits finis, ont vu depuis plusieurs années les travauxd’exportation auxquels elles se livraient complètement supprimés au profit desfondeurs du nord et des Ardennes, et cela par suite du trafic des acquits-à-caution20

. »

11 D’après les données présentées par les fondeurs marseillais, les entreprises des

départements du nord de la France ne peuvent rivaliser avec les établissements

marseillais pour les exportations en Méditerranée si le cadre de la législation douanière

est scrupuleusement respecté. Les fondeurs des départements du nord et des Ardennes

sont parvenus à retourner la situation à leur profit en trafiquant sur le système des

acquits-à-caution. Ils se munissent auprès du ministère du Commerce d’une autorisation

temporaire pour l’importation de métaux étrangers. Ils laissent ensuite leur pouvoir

d’introduction à des marchands ou à d’autres fondeurs de métaux de la région21. Ces

derniers importent et vendent sur le sol français des métaux qu’ils ont importés en

franchise de droits et adressent une partie du bénéfice aux fonderies titulaires des

pouvoirs d’introduction, lesquelles exportent dans le bassin méditerranéen par le port

d’Anvers des pièces ouvrées, fabriquées à partir de matières premières achetées en

Meurthe-et-Moselle, aux usines du groupe de Longwy22. Ces métaux ouvrés sont déclarés

aux douanes comme fabriqués à partir de fontes étrangères importées. Ce trafic permet

aux fondeurs des départements du nord et des Ardennes de récupérer 14,50 francs23. Le

prix de vente des fontes ouvrées des usines du nord à Gênes tombe à 80,90 francs, soit

14,10 francs de moins que leurs concurrents marseillais. Les fondeurs phocéens

n’obtiendront pas du ministère du Commerce l’obligation du convoyage jusqu’à l’usine

détentrice des pouvoirs d’introduction et la vérification, par les douanes, de la légalité

des opérations. L’État ferme les yeux sur le trafic des acquits-à-caution. Si les

entrepreneurs phocéens se plaignent de l’agissement des usines de ces départements du

nord, c’est avant tout parce qu’ils ne peuvent procéder de la même manière. L’utilisation

des fontes de Meurthe-et-Moselle n’est pas envisageable. Le prix du transport entre

Longwy et Marseille porterait sur des fontes non travaillées alors que les usines du nord

font voyager le métal ouvré, d’un poids inférieur à 10 à 15 %. La métallurgie marseillaise,

éloignée de centres sidérurgiques français pouvant lui vendre des fontes à bas prix, est

forcée d’utiliser, pour les travaux d’exportation, les fontes écossaises, moins chères que

celles produites par les hauts fourneaux du bassin de Longwy mais dont le prix subit le

coût du transport entre la Grande-Bretagne et Marseille.

12 Privée de marchés extérieurs, la métallurgie marseillaise essaie de survivre avec le

marché local mais, là encore, elle doit affronter la concurrence des usines du nord comme

236

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le signale, de manière alarmante, l’administration locale en 188624. La chute des

productions empêche les économies d’échelle et augmente les frais généraux. L’industrie

marseillaise ne parvient pas à s’inscrire dans la tendance générale de baisse des prix de

vente des produits en fontes moulées. Il est certain que l’absence d’une sidérurgie

compétitive a durement pénalisé les entreprises marseillaises de seconde et troisième

fusion. Les Hauts Fourneaux de Saint-Louis n’ont jamais pu jouer le rôle souhaité par Jules

Mirès de leur création.

LA RÉSISTANCE DES HAUTS FOURNEAUX DE SAINT-LOUIS

13 Vouée à une mort certaine dès sa création, la société des Hauts Fourneaux de Saint-Louis

a su réagir durant la première moitié des années 1860 et trouver un secteur de production

porteur lui permettant d’assurer sa survie. Ce créneau est durant plusieurs années

synonyme de prospérité pour l’entreprise. Cette dernière a bénéficié de conditions

particulièrement favorables. La spécialisation dans la fabrication des alliages est

l’apanage d’un nombre très restreint d’entreprises en Europe. À partir des années 1870, ce

n’est plus le cas. Les Hauts Fourneaux de Saint-Louis se trouvent désormais confrontés à

la concurrence étrangère. Cette nouvelle difficulté est d’autant plus mal venue que la

sidérurgie française entre en crise au début des années 1880.

La poursuite d’une spécialisation

14 Tout au long de la période 1865-1890, l’entreprise sidérurgique marseillaise s’entoure de

techniciens compétents, continue son étroite spécialisation dans la fabrication d’alliages.

Le premier type de production en valeur comme en quantité est la fonte manganésée.

Sous la direction de Jordan, ancien élève puis professeur de métallurgie à l’École centrale

des arts et manufactures25, et d’Henri Marquisan, ingénieur formé dans le même

établissement et qui remplace Briqueler décédé en 187326, de nouveaux types de produits

sont expérimentés puis lancés dans des fabrications à grande échelle. En 1875, les Hauts

Fourneaux de Saint-Louis livrent des fontes manganésées à 75 %27. Cette prouesse

technique réalisée par l’entreprise provençale est récompensée l’année suivante par une

médaille d’or délivrée lors de l’Exposition universelle de Philadelphie28. Trois années plus

tard, la teneur passe à 87 %. L’usine produit alors des véritables fontes de manganèse29.

L’entreprise poursuit sa spécialisation dans la fabrication des alliages mais en s’orientant

vers de nouvelles directions. Au cours des années 1870, Jordan s’est livré à des recherches

sur les fontes riches en silicium30. Les résultats obtenus sont satisfaisants. Dès le milieu de

la décennie, l’entreprise diversifie son éventail de production de ferro-alliages en

proposant des ferro-siliciums. Le silicium est alors particulièrement recherché puisqu’il

permet de régénérer les fontes altérées ou brûlées. À la fin de la période, en 1886, se met

en place la fabrication des ferro-chromes, alliages essentiellement utilisés par la

sidérurgie moderne pour la fabrication de matériel de guerre (projectiles et blindages)31.

Sur cette base, la production connaît une phase globale de croissance jusqu’au milieu des

années 1870 avant de se stabiliser.

237

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Le problème du coût des minerais

15 Au milieu des années 1870, la production diminue. Les usines françaises passent moins de

commandes. L’entreprise est touchée aussi dans ses approvisionnements car elle doit

faire face à une nette augmentation du prix des minerais en Méditerranée.

« Le marché des minerais méditerranéens s’est beaucoup élargi depuis une ou deuxannées, les maîtres de forges français, anglais, belges, allemands viennent s’yapprovisionner et des circonstances, qui ne pouvaient précédemment avoir d’effetsur le prix d’achat de nos matières premières, viennent maintenant exercer unegrande influence32 ».

16 Deux facteurs principaux en sont la cause. La première raison est l’arrivée des

sidérurgistes britanniques sur les marchés méditerranéens. La vague de grèves qui

touchent les mines du nord de l’Angleterre et le développement du procédé Bessemer en

Grande-Bretagne les poussent à s’approvisionner en minerais du sud de l’Espagne qui

présentent l’avantage de ne pas être phosphoreux. Les conséquences sont immédiates. La

demande devient de plus en plus importante et entraîne une augmentation du prix des

minerais. La fin des grèves ne change en rien la situation. Les sidérurgistes anglais se sont

solidement établis et continuent de livrer une concurrence à leurs homologues français

tout au long des années 187033. La seconde cause aggrave la situation. Les mines de Bilbao

ont dû cesser toute activité avec le développement de la guerre civile en Espagne. Privées

d’une importante zone d’approvisionnement en minerais les usines belges, anglaises et du

nord de la France se tournent vers la région de Carthagène qui, face à une telle demande,

augmente ces prix de manière notable. La hausse du prix des matières premières se

traduit par une sensible augmentation du prix de revient des fontes à la fabrication.

17 Les Hauts Fourneaux de Saint-Louis parviennent à passer sans encombre les difficultés de

cette première moitié des années 1870. L’entreprise déclare qu’elle « a pu réaliser des

bénéfices satisfaisants grâce aux coûts élevés des produits métallurgiques34 ». La société

avait des marchés déjà anciens, une bonne réputation et avait surtout anticipé la hausse

du prix des minerais. Grâce à un fond de roulement suffisant, des approvisionnements

considérables en minerais avaient déjà été effectués. Cette ligne de conduite d’achats

anticycliques sera longtemps maintenue. La société doit posséder des fonds importants

pour stocker des minerais achetés lors de période de baisse des prix. Parallèlement à cette

politique, la société passe des conventions avec la Compagnie des minerais de fer

magnétique de Moka-El-Hadid pour s’assurer des approvisionnements à des prix réguliers35. L’usine voit toutefois sa production diminuer. Un premier haut fourneau est éteint en

1875. En 1877, la société est encore en bonne santé. Le chiffre d’affaires de l’année est de

24,5 millions de francs, le bénéfice net de 1,43 millions36.

La crise des années 1880

18 En 1882, les Hauts Fourneaux de Saint-Louis fabriquent les six dixièmes des ferro-

manganèses français37. C’est la dernière année de prospérité. Dès l’année suivante, les

productions chutent. Trois grandes difficultés touchent l’entreprise durant les années

1880. Les Hauts Fourneaux de Saint-Louis doivent d’abord faire face à une mauvaise

conjoncture. En 1882, la sidérurgie française entre dans une phase de crise assez longue38.

Dès l’année suivante, l’entreprise évoque le retournement d’une conjoncture globalement

238

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favorable jusqu’alors : « Notre usine de Saint-Louis a donc, en 1883, supporté les effets de

la crise métallurgique qui, depuis, n’a fait que s’accentuer…39. »

19 Le deuxième problème est lié au système des acquits-à-caution. L’entreprise demande à la

chambre de commerce de Marseille une intervention en sa faveur auprès du ministère du

Commerce afin qu’elle puisse obtenir des pouvoirs publics « l’obligation du convoyage des

fontes étrangères entrées en admission temporaire jusqu’aux lieux de transformation et

l’obligation, pour ceux qui reçoivent ces fontes, de justifier de la corrélation des produits

importés et exportés ». Le but de cette demande est de lutter contre les importations de

fontes étrangères afin de permettre une plus importante utilisation des matières

premières françaises dans les fonderies de deuxième fusion.

20 Le troisième point est celui des transports. La chambre de commerce de Marseille

intervient à la fin des années 1880 auprès de la Compagnie du chemin de fer PLM pour

obtenir, en faveur des Hauts Fourneaux de Saint-Louis, une baisse du prix de transport

des fontes. La compagnie ferroviaire refuse, prétextant les réclamations des usines à

fonte de la Loire qui dénonçent les avantages indûment donnés aux usines sidérurgiques

du sud de la France40. La dernière difficulté concerne les débouchés nationaux. En 1887, le

ferro-silicium de fabrication étrangère est admis en franchise temporaire. Les entreprises

allemandes et américaines exportent désormais leurs alliages en France. Cette

concurrence étrangère prive la société marseillaise d’une bonne partie de ses débouchés

nationaux.

La chute des exportations

21 Les points qui viennent d’être évoqués concernent surtout le marché national ; or les

débouchés extérieurs ont une importance considérable pour l’entreprise marseillaise. Les

exportations de fontes manganésées ont permis à la société de maintenir son niveau

d’activité jusque dans les années 1880. De 1876 à 1885, les Hauts Fourneaux de Saint-Louis

exportent d’importantes quantités de fontes vers les États-Unis, en Russie, en Angleterre,

en Belgique et dans les pays germaniques41. La société observe en 1889 que « ce débouché

tend à se restreindre en raison de la création de fabrications indigènes42 ». Il ne s’agit pas

d’une simple tendance. Les marchés commencent à se restreindre. La production s’est

effondrée à partir de 1882, en grande partie par la perte des commandes étrangères. Les

États-Unis ont cessé d’être des clients importants pour devenir de redoutables

concurrents. L’Amérique « retourne aujourd’hui en Europe, à des prix réduits, les

produits pour lesquels elle était tributaire de Marseille il y a peu d’années43 ». Dès la fin

des années 1880, les marchés se limitent à l’espace national, les principaux clients de la

société sont localisés en France, dans le centre et dans l’Est44. L’usine fonctionne avec un

seul haut fourneau45. Les effectifs sont réduits de manière spectaculaire. En 1874, lors de

sa grande période de prospérité, l’entreprise employait 530 ouvriers46. On compte moins

d’une centaine de salariés en 188847. La remise en marche d’un second haut fourneau et le

volume de production de l’année 1890 ne constituent qu’une simple parenthèse.

L’entreprise se remet à produire des fontes moulées en première fusion pour le marché

local à des prix inférieurs à la moyenne nationale48. Les Hauts Fourneaux de Saint-Louis

travaillent alors vraisemblablement à perte. La fin est proche. Le prix élevé des matières

premières empêche de soutenir la concurrence avec les producteurs étrangers sur les

marchés français, d’autant que les droits sur les fontes importées de Belgique ont été

abaissés de 25 % au début des années 188049. Malgré l’existence d’un droit de douane de

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3,50 francs par quintal, les sidérurgistes allemands obtiendront dans les années 1890 une

bonne part des marchés de l’est de la France50. L’entreprise de Saint-Louis fonctionne

encore durant une décennie avec des résultats de plus en plus médiocres. En 1903, un seul

haut fourneau est en activité. La société ne parvient plus à concurrencer le ferro-silicium

produit au four électrique en Grande-Bretagne et en Allemagne qui tend à remplacer celui

fabriqué au haut fourneau51. La dernière production a lieu en 1905. La sidérurgie disparaît

du département des Bouches-du-Rhône pour plusieurs décennies.

***

22 Éléments importants du dynamisme de la métallurgie marseillaise au cours de la période

précédente, les fonderies et hauts fourneaux connaissent une crise profonde, liée à leur

impossibilité de travailler à des coûts compétitifs. Le travail des fers et fontes en seconde

et troisième fusions ne bénéficie plus d’une conjoncture favorable et se trouve livré à une

concurrence qu’elle ne peut affronter. Le prix d’achat élevé des métaux bruts pénalise

trop les entreprises du secteur. La sidérurgie a mieux résisté par une spécialisation

élargie, une avance technologique notable et une large ouverture sur l’extérieur. Ces trois

facteurs l’ont rendue un moment moins vulnérable. L’apparition puis le développement

d’une concurrence fait ressortir sa faible compétitivité. Ce secteur ne parvient pas à

trouver une solution pour s’assurer des marchés suffisants et finit par succomber. La

métallurgie de base disparaît ainsi de l’avant-scène économique phocéenne ou se

cantonne désormais dans des activités marginales, le plus souvent en liaison avec la

construction navale.

NOTES

1. Cf. ADBdR 548 U 26.

2. Cf. « Victor Vaïsse » dans CATY R., ECHINARD P., RICHARD E., Les Patrons du second Empire…, op. cit.

3. ADBdR XIV M 10/14.

4. ADBdR XIV M 14/2.

5. Ibid.

6. L’Indicateur marseillais, année 1880, p. 934

7. BOUIS A., Le Livre d’or de Marseille, de son commerce et de ses industries, 1906, Marseille, 1906, p.

258.

8. Cf. annexe 6.

9. Navire commandé par le vice-roi d’Egypte dont le tirant d’eau ne devait pas dépasser 65

centimètres (Société anonyme des forges…, 1913, op. cit., p. 5).

10. TURGAN J., « Les Forges et chantiers… », op. cit., p. 307-309.

11. Ibid., p. 309-310.

12. Ibid., p. 310.

13. SIM, 1890.

14. Cf. annexe 8.

15. 2 000 000 francs en 1873 contre 3 045 000 huit années auparavant (SIM, 1865 et 1873).

240

Page 243: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

16. Ibid., 1888-1890.

17. JOANNE P., Dictionnaire géographique…, op. cit., p. 2510.

18. Ibid.

19. Le système des acquits-à-caution permet, depuis le décret de janvier 1870, aux entrepreneurs

d’entrer immédiatement en possession de marchandises importées sans avoir à donner la

destination et à avancer le montant des droits de douanes (pour cette question, SAY L. (dir.),

Dictionnaire des finances, Paris, 1894, t. I).

20. ACCM MP 3611, Pétition adressée à Monsieur Cyprien Fabre, Président de la CCM, février

1887. La lettre est signé par tous les fondeurs marseillais (Caillol, Marchai père & fils, Montagne,

Durbec, Barles & Ignac, Puy, Riddings, Perrin frères, Imasse et Jeffery).

21. Il est difficile de déterminer les avantages que ces derniers peuvent en retirer.

22. Ibid. En 1881, La Meurthe-et-Moselle est classée au premier rang de la sidérurgie française.

Elle produit 607 000 tonnes de fonte, soit 32 % de la production française (cf. LEVAINVILLE J.,

L’Industrie du fer en France, Paris, 1932, p. 96-109).

23. ACCM MP 3611.

24. ADBdR XIV M 10/14.

25. Notice sur les Hauts Fourneaux de Saint-Louis, Marseille, 1889, p. 4.

26. Ibid., p. 9 et Bouches-du-Rhône : dictionnaire, annuaire et album, Paris, 1901, p. 744.

27. Notice sur les Hauts Fourneaux…, op. cit., p. 5.

28. Cf. VALTON F., Exposition universelle de 1876 à Philadelphie. Rapport sur le fer et l’acier, Paris, 1877.

29. Notice sur les Hauts Fourneaux…, op. cit., p. 5.

30. Jordan a présenté le fruit de ses travaux à l’Académie des sciences de Paris en 1873

(renseignement aimablement fourni par Edmond Truffaut).

31. Notice sur les Hauts Fourneaux…, op. cit., p. 5-6.

32. Société anonyme de l’éclairage au gaz et des hauts fourneaux et fonderies de Marseille et des mines de

Portes et Sénéchas. Assemblée générale annuelle du 20 juin 1874. Rapport du conseil d’administration et

extrait du procès verbal de séance, Paris, 1874, p. 7.

33. GILLE B., « Minerais algériens et sidérurgie métropolitaine. Espoirs et réalités (1845-1880) »,

Revue d’Histoire de la sidérurgie, t. I, 1960, p. 52.

34. Société anonyme de l’éclairage…, op. cit., p. 7.

35. Ibid., p. 15.

36. Société anonyme de l’éclairage…, Assemblée générale annuelle du 15 juin 1878, Paris, 1878.

37. SIM, 1881-1882.

38. Cf. MARKOVITCH T. J., « L’industrie française de 1789 à 1964 », Cahiers de l’ISE A, n° 173, 1966, p.

53.

39. ACCM MP 3611.

40. Ibid.

41. Notice sur les Hauts Fourneaux…, op. cit., p. 6.

42. Ibid.

43. CAMAU E., Marseille…, op. cit., p. 542.

44. Notice sur les Hauts Fourneaux…, op. cit., p. 6.

45. Après celui de 1875, un second haut fourneau a été éteint en 1883.

46. TEISSIER O., Histoire du commerce de Marseille (1855-1874), Paris, 1878, p. 147.

47. EDBdR, t. VIII, p. 181.

48. 8 390 quintaux à 20 francs en 1889 et surtout 36 460 quintaux en 1890 à 13,20 francs. La

moyenne nationale est de 14,25 francs pour la période 1881-1890 (SIM, 1889-1890).

49. ACCM MP 3611 et CRSICM, 1886 et 1883, p. 120.

50. CAMAU E., Marseille…, op. cit., p. 542.

51. CRSCCM, 1903, p. 282

241

Page 244: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Chapitre XV. Un secteur au doublevisage : la construction mécanique

1 Les années 1841-1857 ont constitué un tournant pour l’industrie mécanique marseillaise.

Les ateliers travaillant pour la navigation ont obtenu l’essentiel des marchés locaux et

sont parvenus à trouver des débouchés supplémentaires en exportant une partie de leur

production. La conquête de ces débouchés extérieurs a été grandement facilitée par une

législation douanière favorable. Les gouvernements de la monarchie de Juillet et du

second Empire ont établi un système de primes et d’admission de métaux en franchise de

droits dans le cadre de travaux destinés à l’exportation ou à la navigation internationale.

Ce secteur de la mécanique marine s’installe dans une phase de croissance, qui se

combine avec le dynamisme des armateurs locaux et le programme de modernisation de

la flotte de guerre française lancé en 1857. L’offre des entreprises marseillaises peut

accompagner les demandes locales, françaises et étrangères, qui connaissent une

augmentation forte et régulière. Le secteur de la mécanique industrielle est loin de

présenter la même situation. Il connaît un déclin marqué. Ne pouvant bénéficier

d’avantages douaniers, les ateliers travaillant pour les usines se voient privés

d’ouvertures vers l’extérieur. Seuls les marchés locaux leur sont encore accessibles. Mais

ces débouchés commencent à se restreindre. Le développement du réseau ferroviaire

français remet en cause leur prépondérance régionale. Les machines parisiennes ou

lyonnaises peuvent désormais voyager à moindres coûts et sont capables de concurrencer

celles sorties des ateliers marseillais, toujours pénalisés par le prix élevé des matières

premières.

2 En 1865, la dualité du secteur est bien ancrée mais elle ne paraît pas définitive. Avec les

nouvelles dispositions douanières décrétées par le gouvernement impérial dans le cadre

de la politique de libre-échange menée avec l’Angleterre, la situation se modifie

totalement. Les barrières douanières s’effacent et laissent l’industrie marseillaise de la

construction navale et de la mécanique marine sans protection face aux grandes

entreprises britanniques. L’avenir s’annonce périlleux. Jamais les entreprises phocéennes

ne s’étaient trouvées devant une situation aussi défavorable. En revanche, les entreprises

de mécanique industrielle reprennent espoir. Par la libéralisation du régime douanier,

elles pensent pouvoir régler leurs problèmes de coûts des matières premières en

important des fontes et fers britanniques faiblement taxés et, par là même, résister aux

242

Page 245: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

concurrences française et étrangère sur les marchés locaux. La persistance de la dualité

du secteur et l’avenir des entreprises semblent donc dépendre en grande partie de la

législation douanière française.

LES DIFFICULTÉS DE LA MÉCANIQUE POURL’INDUSTRIE

Le problème de la demande locale

3 Les auteurs français des années 1860-1870 ont souvent présenté l’ensemble industriel

marseillais comme frileux face aux investissements et lui ont imputé l’entière

responsabilité du déclin des entreprises locales. Leur analyse s’appuyait sur un constat

d’ossification des systèmes techniques de production mis en place sous la monarchie de

Juillet. Louis Figuier dénonce notamment en 1873 « …l’entêtement des fabricants à ne pas

vouloir suivre le progrès de la science moderne1 ». L’auteur de cette analyse explique la

situation de la manière suivante : les processus de fabrication traditionnels et les

équipements, même s’ils étaient anciens, continuent de donner satisfaction et les

entrepreneurs ne voient pas la nécessité de les changer. Cette hypothèse est séduisante

par sa simplicité. Elle n’a toutefois jamais fait l’objet d’une quelconque étude pour

confirmation. Les ateliers de mécanique industrielle souffrent parfois du manque

d’entrain des entrepreneurs à moderniser leur matériel de production. La savonnerie

constitue un exemple significatif. Dès 1867, la visite de Julien Turgan dans l’usine

d’Honoré Arnavon témoigne de la réticence des entrepreneurs « à employer les moyens

que l’étude de la statique et de la mécanique a mis au secours de l’industrie2 ». Les

remarques sur l’archaïsme des biens de production sont valables dans ce secteur, mais

peut-on reproduire ce schéma pour l’ensemble industriel de la région ? La savonnerie

n’est plus depuis longtemps la principale branche industrielle marseillaise. Les

commandes des industries du raffinage du sucre, de l’huilerie, de la minoterie, des

produits chimiques et de la métallurgie forment depuis plusieurs décennies le principal

débouché des ateliers de mécanique industrielle. Par ailleurs, les séries statistiques des

ingénieurs des Mines sur les installations de machines et de chaudières dans les Bouches-

du-Rhône démontrent que la théorie de l’ossification des matériels de production est

fausse.

4 L’évolution générale du chiffre total des machines et générateurs à vapeur des usines du

département connaît une hausse nette et régulière. Entre 1865 et 1890, le nombre

d’appareils moteurs est multiplié par 2,9, celui des chaudières et récipients à vapeur par

2,73. Cette augmentation touche essentiellement la métallurgie, les usines de produits

chimiques, les briqueteries et tuileries ainsi que les industries alimentaires. Les secteurs

de la minoterie, de la semoulerie et des pâtes alimentaires connaissent même un grand

essor au cours du second Empire et durant les années 1870. Les créations d’entreprises

sont nombreuses et les ateliers nouvellement fondés doivent s’équiper4. La croissance des

biens de production installés dans ce type d’établissement continue même dans les

années 1880. Le nombre de machines utilisées par les industries alimentaires passent de

310 en 1879 à 365 en 1890, soit une augmentation de près de 20 % en dix ans. Le déclin de

la mécanique industrielle marseillaise s’explique donc autrement.

243

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La concurrence des entreprises françaises et étrangères

5 Le problème des mécaniciens marseillais réside d’abord dans leur incapacité à s’assurer

une bonne part des marchés locaux. Amorcée sous le second Empire, la baisse du prix de

transport des marchandises par voie ferroviaire se poursuit5. Les entreprises marseillaises

se trouvent dans une position délicate face à la concurrence des sociétés françaises et

étrangères. Il est difficile d’observer la part des marchés détenue par les constructeurs

extérieurs à la région. À partir de 1865, la législation sur les autorisations d’installation

d’appareils à vapeur ne concerne plus que les chaudières et les récipients. Il est donc

impossible d’établir un panorama des provenances des machines installées dans les

usines des Bouches-du-Rhône. Quelques indices existent toutefois pour montrer l’âpreté

de la concurrence.

6 Le premier élément est la présence, à Marseille, de nombreux représentants de

constructeurs français et étrangers. Tout au long de la période 1865-1890, les installations

se multiplient6. Victor Coudert représente à Marseille la maison À. Poynot & cie, d’Anzin

et Montluçon, spécialisée dans la fabrication d’appareils pour distilleries, sucreries et

huileries. Un dépôt de W. Hawthorn & cie, établissement britannique constructeur de

machines, d’outils et de tubes en fer, s’installe rue Haxo dans les années 1860. Roussel, rue

Saint-Ferréol, est représentant d’Hermann La Chapelle et de Charles Glower, deux

constructeurs parisiens7. Pissarello et Musse, rue de la République, sont chargés des

ventes de matériel de Klein, Schanzin & Becker, de Frankenthal. D’autres maisons

d’importance comme celles de Brochier et Mannequin, représentent des firmes dont les

noms ne sont hélas pas connus8.

7 Le second indicateur est fourni par la provenance des générateurs à vapeur installés dans

les usines du département9. Un net constat se dégage : la prépondérance croissante des

constructeurs extérieurs à la région. Sous la monarchie de Juillet, le marché des

chaudières à vapeur était détenu en très grande partie par les mécaniciens locaux. La

situation a considérablement changé. Le marché des chaudières d’occasion s’est

développé et touche principalement le secteur des industries alimentaires. Une partie des

installations échappe donc totalement aux constructeurs marseillais. Le marché de

l’occasion n’est toutefois jamais majoritaire et se limite au quart de l’ensemble. Dans le

domaine des chaudières neuves, les constructeurs extérieurs à la région sont fortement

présents et pèsent presque autant que les locaux. Des ateliers de la Loire et de la région

parisienne (Imbert & cie de Saint-Chamond, Colombet & Merle de Rive-de-Gier, Hermann

La Chapelle et Belleville & cie de Paris) sont solidement représentés à Marseille et

détiennent une bonne part des marchés. Il faut enfin souligner la naissance d’une petite

industrie mécanique à Aix ou en Arles qui prive les mécaniciens marseillais d’une partie

de leurs débouchés traditionnels.

8 La situation est encore plus difficile dans le domaine des machines à vapeur et auxiliaires.

Là encore, les vingt-cinq années de la période sont marquées par un effondrement des

parts de marché détenues par les entreprises locales. En 1888, la chambre de commerce

de Marseille note la tendance marquée de l’industrie locale à faire venir de l’étranger ses

machines motrices et son outillage10. Le secteur de la minoterie en constitue un bon

exemple. Les industriels marseillais adoptent les moulins à cylindres à partir des années

188011. La transformation est tardive car le système a été mis au point en Hongrie depuis

plus de vingt ans12. Elle s’opère toutefois rapidement. D’après des renseignements fournis

244

Page 247: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

par le syndicat des minotiers, les 114 minoteries du département utilisent, en 1890, 277

paires de meules pour 684 appareils à cylindres13. L’industrie locale ne peut lutter avec les

entreprises françaises ou étrangères engagées dans ce type de construction depuis près

de deux décennies. La mise en place du nouveau système technique de la minoterie

marseillaise est donc assurée par des constructeurs extérieurs à la région. Cette

prédominance s’exerce dans le domaine des machines auxiliaires, mais également pour

les machines motrices : « Plusieurs machines à vapeur sont venues d’Alsace et des

minoteries à cylindres sont venues d’Allemagne ou de Suisse, privant l’industrie locale

d’un gros chiffre de commande14. »

9 Privée de ses débouchés traditionnels, la construction mécanique ne parvient pas à

compenser ce manque par la conquête de marchés nouvellement créés ou ceux

habituellement détenus par des entreprises françaises ou étrangères. Dans l’industrie des

tuiles et des briques, les appareils moteurs ont également été réalisés hors de la région.

Les entreprises marseillaises se contentent de fournir des machines auxiliaires, comme

les cylindres pour le façonnage de l’argile15. Dans les mines, l’essentiel des appareils

provient d’Angleterre ou de Belgique, les deux grands spécialistes de ce type de matériel.

Ce mouvement d’achat à l’étranger est facilité par la nationalité des directeurs

d’établissements du secteur. Deux Belges sont à la tête des plus grandes sociétés de la

région. Ernest Biver gère les mines de Castellane depuis 1860 environ et Louis-Joseph

Gossiaux est chef d’exploitation des mines de Gardanne entre 1866 et le début du XXe

siècle16. Les entreprises spécialisées dans les biens d’équipements industriels doivent en

outre affronter la concurrence des grandes sociétés de mécanique marine, comme la

Société des forges ou Stapfer & Duclos, qui se rabattent sur le marché de l’industrie au

cours de périodes difficiles. Au total, en 1890, la construction mécanique pour l’industrie

est devenue un secteur très marginal de la métallurgie marseillaise.

Des entreprises de médiocre importance

10 La documentation sur les entreprises et leurs productions est rare. Il est à peine possible

de brosser un tableau général donnant les noms et les spécialités des établissements. La

période connaît un nombre élevé de faillites. Seize entreprises de mécanique industrielle

déposent leur bilan entre 1865 et 189017. Au milieu des années 1880, le secteur se compose

d’une douzaine d’entreprises. Elles emploient rarement plus d’une trentaine d’ouvriers.

Dans le domaine de la construction de chaudières, les autorisations d’installation pour la

période 1880-1883 montrent le rôle dominant de trois entreprises. Avec 18 réalisations, la

première en ce domaine est la société Lejeune & Menard frères. Les deux suivantes, Paget

& Lagier et Gourde & Bezer, ne totalisent chacune que cinq constructions. Une dizaine de

petits entrepreneurs complètent le tableau. Pour la fabrication des machines à vapeur, la

société Schumacher, Funel & cie semble être la plus importante. Cet atelier est spécialisé

dans les installations d’usines des grands secteurs industriels marseillais18. Il est difficile

de signaler d’autres entreprises d’importance. Le secteur se caractérise désormais par une

indigence qui contraste avec la vitalité des années 1830-1840. Les mécaniciens se sont

montrés impuissants à résoudre leurs problèmes de coûts de production. La mécanique

industrielle marseillaise s’engage dans la voie d’une double disparition, celle des

fabrications et celle des entreprises présentes dans cette seule filière.

245

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UN MARCHÉ PORTEUR : LES COMMANDES MARINES

11 Le secteur de la construction mécanique pour la navigation s’inscrit dans un contexte

différent. Durant les années 1850, par d’incessants progrès technologiques, les entreprises

marseillaises sont parvenues à régler en grande partie le problème du coût des matières

premières. Leur réputation a grandi et les commandes se sont accumulées. D’importantes

productions en série ont pu être lancées entraînant ainsi une baisse des frais généraux de

fabrication par des économies d’échelle. La puissance de ce secteur est aussi favorisée par

un régime douanier favorable qui empêche toute concurrence étrangère sur le marché

français et permet même aux entreprises d’être compétitives sur les marchés extérieurs.

Contrairement aux établissements travaillant pour l’industrie, les ateliers de mécanique

marine peuvent importer en franchise de droits les fontes et fers étrangers. En 1866, un

changement brutal s’opère. Les grandes entreprises marseillaises doivent faire face à une

grande nouveauté : la concurrence dans le cadre du libre-échange. Le secteur est-il assez

performant pour se mesurer sans protection à son homologue britannique ?

Une période noire : 1866-1872

12 Poussé par les milieux du commerce et de l’armement, le gouvernement impérial permet

par la loi du 19 mai 1866 la libre admission en France des bâtiments à vapeur et de leurs

appareils construits à l’étranger19. Les conséquences de cette mesure, prise « sans autre

compensation que la faculté pour le constructeur français de recevoir de l’étranger, en

franchise de droits, les matières propres à ses travaux20 », ne se font guère attendre. Dès

la seconde moitié de l’année 1866, les armateurs marseillais passent majoritairement

leurs commandes en Grande-Bretagne, principalement auprès de chantiers écossais.

Favorisées par l’emploi de matières premières peu coûteuses et la production en plus

grandes séries, les entreprises d’outre-Manche sont désormais capables de proposer des

prix défiant toute concurrence. Plus de la moitié (56 %) des bâtiments neufs mis en

service entre 1867 et 1874 par les compagnies phocéennes de navigation de haute mer

sont construits dans des chantiers britanniques (Greenock, Glasgow, Aberdeen,

Sunderland, Dumbarton)21. Si l’on enlève les navires commandés par les Messageries

maritimes à leurs propres chantiers de La Ciotat, le chiffre atteint même 78,8 %22. Sur le

marché des vapeurs d’occasion, on peut observer la même domination. Toujours pour la

même période, 60 % des navires de seconde main ont été achetés à des sociétés de

navigation britanniques.

13 D’autres facteurs contribuent à aggraver la position précaire des entreprises

marseillaises. Les deux premiers concernent le volume global des commandes.

Parallèlement à la loi sur la libre admission des navires et appareils fabriqués à l’étranger,

l’État abolit la surtaxe des pavillons étrangers pour favoriser les échanges. Les armateurs

marseillais doivent supporter une concurrence accrue des marines étrangères. La

demande diminue. La flotte des navires de commerce continue d’augmenter mais son

rythme de croissance s’infléchit de manière notable. Entre 1860 et 1869, le nombre des

vapeurs des différentes compagnies avait presque doublé. Au cours des onze années

suivantes, la progression est d’environ 16 %23. Les commandes de l’État n’ont pas permis

de compenser les pertes subies dans le domaine de la marine marchande. Le grand

programme de modernisation de 1857 parvenu à son terme, le ministère de la Marine

246

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restreint ses commandes24. Les conséquences de la guerre de 1870-1871 ont même

aggravé ce processus. L’État français doit réviser son budget et diminue une nouvelle fois

les crédits alloués à la construction de nouvelles unités25. La troisième difficulté est liée à

une augmentation des coûts de fabrication dans les travaux liés à l’exportation. Le décret

impérial de janvier 1870 applique aux entrées de fontes le régime de l’identique.

L’exemption des droits de douane ne porte plus sur l’intégralité du poids de métal

importé, mais seulement sur le poids final du produit destiné à l’exportation après

travaux26. Ce décret « …considère comme non exporté le déchet de fer, qui varie entre 10

et 12 % en moyenne ; et quand il s’agit de fer étranger, la douane fait payer les droits sur

ces déchets comme s’ils avaient été incorporés à des machines restées dans le pays27 ».

Dès 1872, la chambre de commerce de Marseille souligne que cette mesure « a éloigné les

commandes du marché étranger au profit de l’Angleterre28 ». Les répercussions négatives

du régime de l’identique sont évidentes mais elles sont certainement exagérées au regard

d’un passé récent douloureux. Le coût des coques et des machines marines s’était

« envolé » en 1871. Les prix des fers et du charbon avaient connu une forte augmentation

à cause d’une disette provoquée par la guerre. Les conséquences du conflit franco-

allemand éliminées, s’installe une lamentation calculée pour pousser le gouvernement à

agir en faveur de la construction navale française.

Le retour à une situation favorable : les lois de 1872 et de 1881

14 Le désastre provoqué par l’ensemble de ces lois sur l’industrie française inquiète le

gouvernement dès le début des années 1870. Ce dernier change complètement de

politique par rapport à l’Empire. La loi du 30 janvier 1872 rétablit une surtaxe

protectionniste de pavillon et, sauf quelques différences insignifiantes, reprend les tarifs

protecteurs inscrits dans les traités de 1860 pour l’admission des navires et des machines

de fabrication étrangère. L’aide du gouvernement n’est pas désintéressée. La décision

douanière de 1866, en sous-estimant la capacité de l’industrie nationale à résister à sa

rivale britannique, avait mis en péril les grandes entreprises du secteur de la construction

navale. L’État ne pouvait se permettre de nuire à une branche d’industrie qui intéressait

directement la puissance militaire de la France. La loi de 1872 est accueillie par les

constructeurs français « comme un acte de réparation et de salut29 ». Le rétablissement

des droits d’entrée permet de régler, au moins sur le marché national, le problème de

différence de prix entre les fers employés en France et ceux utilisés en Grande-Bretagne30.

Les affaires reprennent, mais d’une manière encore timide, comme le montre une note du

Préfet des Bouches-du-Rhône à la fin de l’année 1877 : « Les grands ateliers de

constructions mécaniques n’ont exécuté qu’un travail moyen31. » Si les entreprises

marseillaises se réapproprient progressivement les marchés locaux, le régime de

l’identique continue de poser des difficultés. Les marchés extérieurs, particulièrement

importants pour la Société des forges, restent encore peu accessibles. Il faut attendre

quelques années pour que le problème soit pris en compte par le gouvernement. En 1881,

l’État français adopte, notamment en matière de construction de coques de navires et de

machines marines, une législation résolument protectionniste. Pour la réalisation de

navires en fer ou en acier et de leurs machines, les constructeurs se voient attribuer une

prime de 60 francs par tonne de jauge brute et de 12 francs par quintal de métaux pour

les appareils moteurs32.

247

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15 Les bénéfices de ces nouvelles dispositions sont immédiats, d’autant qu’elles coïncident

avec un cycle de redémarrage de la demande. Les armateurs marseillais se lancent, dès le

début des années 1880, dans le renouvellement et l’augmentation de leur flotte. La

croissance du nombre des vapeurs attachés au port de Marseille reprend. Entre 1880 et

1890, 55 nouvelles unités sont commandées, soit une augmentation d’au moins 25 %33.

Grâce au système de primes à la construction, les entreprises marseillaises sont de

nouveau compétitives et peuvent désormais défier la concurrence étrangère au niveau

local34. Les compagnies de navigation locales s’adressent de nouveau prioritairement aux

constructeurs de la région. À la fin des années 1880, la chambre peut observer le retour à

l’âge d’or de la première moitié des années 1860. Ce retour de la prospérité s’appuie sur

les marchés nationaux, mais aussi sur la bonne tenue de l’industrie marseillaise sur les

marchés étrangers :

« Nos grands ateliers ont exécuté un plein travail et nous constatons leur bonneattitude vis-à-vis de la concurrence internationale, puisque leurs travaux vont engrande partie à l’étranger… ». « Pendant 1888, l’activité a été très grande dans leschantiers de la région, alimentés soit par les commandes de l’État, soit par lesarmateurs particuliers qu’encourageait le relèvement notable du fret35. »

Un mouvement général dans le sud de l’Europe

16 À l’image de la France, l’Espagne et l’Italie s’engagent dans une politique protectionniste

destinée à favoriser l’essor des entreprises de construction mécanique et à moderniser

leurs marines de guerre. Le mouvement s’est amorcé dans la seconde moitié des années

1860, mais ne prend une grande vigueur que dans les années 1880, comme en France.

L’Italie s’engage la première dans cette voie. Une association des constructeurs de

machines, fondée à Rome en 1873, réclame une amélioration des conditions douanières,

notamment dans le domaine des importations de matières premières et de produits semi-

finis. Elle se heurte au groupe de pression des sidérurgistes, qui fait échouer les tentatives

de réformes demandées par les mécaniciens36. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, le

gouvernement italien prend néanmoins conscience que la politique de soutien à

l’industrie sidérurgique nuit trop au développement du secteur de la mécanique37. Crispi

et le ministre de la Marine, Benedetto Brin, soulignent la nécessité d’avoir une marine

militaire forte, à la pointe de la technologie, dénoncent l’incapacité des arsenaux de l’État

à assumer la modernisation de la flotte de guerre et font l’apologie des entreprises

privées. Des commissions d’enquête parlementaires sur l’état de la marine marchande, la

situation des chantiers navals et des ateliers de mécanique sont constituées. À la lumière

des résultats de l’enquête sur la marine marchande de 1882-1883, l’État décide d’instituer,

comme en France, un système de primes à la construction, de confier la réalisation des

navires de guerre et de leurs machines à l’industrie privée nationale alors que ces

marchés étaient réservés jusque-là aux arsenaux militaires et aux entreprises étrangères38. Il s’agit alors du seul système susceptible d’obtenir l’accord des sidérurgistes, puisqu’il

ne touche pas aux taxes d’entrée pesant sur les métaux importés. Les commandes sont

importantes puisque l’État, par la loi de juillet 1877, a décidé parallèlement de moderniser

sa flotte de guerre39.

17 Sur les mêmes bases mais un peu plus tardivement, un mouvement analogue est lancé en

Espagne. En 1887, le gouvernement promulgue la Ley de Escuadra qui affecte 200 millions

de pesetas à la construction de navires de guerre40. Outre ses objectifs militaires, cette loi

vise un double but industriel : relancer l’activité des arsenaux et favoriser le

248

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développement des ateliers privés de mécanique. Là encore, l’enjeu est du même ordre

puisqu’il s’agit de promouvoir la construction de machines sans enlever les avantages

douaniers consentis à de multiples secteurs industriels qui ont demandé une protection.

Comme à Marseille, les chantiers navals et les ateliers de mécanique de divers centres

industriels espagnols et italiens, notamment Barcelone et Gênes, vont bénéficier dans une

large mesure de cette politique volontariste de développement. Les entreprises

trouveront les appuis nécessaires à une croissance soutenue durant quelques années car

très rapidement se pose, pour les différents gouvernements, le problème de l’équilibre

budgétaire.

LE DYNAMISME DES ATELIERS DE MÉCANIQUEMARINE

18 Malgré les problèmes posés par une conjoncture qui manque de stabilité, l’industrie de la

construction mécanique pour la navigation est le principal secteur de la métallurgie

marseillaise au cours des années 1865-1890. Celle-ci se distingue encore par ses capacités

à engendrer ou suivre les grandes nouveautés techniques ainsi que par ses facultés à

obtenir d’importants marchés à l’étranger. Cette industrie a toutefois profondément

changé. Les entreprises spécialisées dans la construction d’appareils sont plus

nombreuses. Durant la période 1846-1865, deux grands établissements, les chantiers

navals de La Ciotat et la Société des forges, représentaient le secteur. Les autres sociétés

étaient de taille modeste et se limitaient aux divers travaux de réparation. Pour des

raisons d’économies d’échelle, elles ne pouvaient rivaliser avec les grands établissements

ni dans le domaine de la technologie ni dans celui des coûts de production. Le milieu des

années 1860 voit le développement de deux entreprises plus récentes, qui vont prendre

leur essor en se positionnant sur des marchés laissés libres par les ateliers de la Société

des forges.

Quatre entreprises dominantes

19 Les chantiers de La Ciotat et les ateliers de Menpenti restent les deux plus importantes

entreprises de la région dans le domaine de la mécanique marine. L’établissement

ciotadin continue de travailler de manière exclusive pour les Messageries maritimes.

Celui de la Société des forges effectue également des constructions pour cette compagnie,

mais ses travaux sont loin de former l’essentiel de ses activités. Un même noyau de

personnalités continue de composer les conseils d’administration des sociétés dont

dépendent les deux ateliers. Les liens demeurent donc importants. Il existe cependant

une grande différence entre les deux établissements. Si les chantiers de La Ciotat n’ont

pas à rechercher des débouchés, la Société des forges doit rester attentive aux conditions

du marché pour obtenir des gains de productivité et conserver ses positions sur les

marchés locaux et étrangers. Au cours de la période 1865-1890, ces deux entreprises

continuent leur croissance. L’emploi est un bon indicateur du mouvement. En presque

quatre décennies, les effectifs ouvriers ont plus que doublé41. En 1889-1890, les ateliers de

La Ciotat emploient 3 000 salariés42. Au milieu des années 1880, la Société des forges

donne du travail à 6 000 ouvriers dont plus de 1 200 dans l’établissement de Menpenti43.

L’atelier marseillais est doté d’un outillage complet et performant44. C’est en ce lieu que la

Société des forges construit « …tous les appareils pour les marines militaire et marchande

249

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et les engins les plus divers : dragues, docks flottants, phares métalliques, pontons,

machines d’épuisement, appareils hydrauliques, machines-outils, moteurs à vapeur fixes

et locomobiles…45 ».

20 Deux autres sociétés, toutes deux créées à la fin de la période précédente, connaissent la

réussite. Habilement dirigé par l’ingénieur Lagrafel depuis 1863, l’atelier Fraissinet a

gagné en importance46. Dès le milieu des années 1860, 300 ouvriers travaillent à la

réparation des navires de la compagnie. En un peu plus d’une vingtaine d’années,

l’entreprise connaît une croissance soutenue. Créée dans les années 1850, elle s’était

d’abord bornée aux travaux de réparation de coques, principalement sur les navires de la

compagnie. Ses activités s’élargissent au milieu des années 1860. C’est alors

qu’apparaissent les premières mentions de constructions. L’apprentissage semble avoir

été particulièrement rapide puisque les ateliers Fraissinet reçoivent une médaille de

bronze à l’Exposition universelle de 1867 pour la présentation d’une machine à hélice47.

L’année suivante, plusieurs remorqueurs sont construits, coques et machines. En 1869, les

ateliers lancent leur premier paquebot, le Saint-Marc48, dont il réalisèrent les machines

d’une puissance de 300 chevaux. En 1871, une machine à hélice de 500 chevaux est

construite pour le Pei Ho49. L’entreprise commence à recevoir des commandes d’autres

compagnies et se lance avec succès dans une spécialisation susceptible de lui offrir des

marchés : la construction de chaudières aquatubulaires. En 1889 et 1890, 2 000 ouvriers

travaillent dans les ateliers Fraissinet de la Madrague50. Les effectifs talonnent alors ceux

des chantiers navals de La Ciotat.

21 Fondée en 1864, la société d’Émile Duclos connaît également un important

développement durant les années 1865-1890. Dans un premier temps, elle prend de

l’ampleur avec une spécialisation dans la fabrication de remorqueurs. L’arrivée de Daniel

Stapfer en 187551 donne une nouvelle orientation à l’établissement. Ingénieur sorti de

l’École centrale, Stapfer devient gérant de la société, réorganise les ateliers, modernise les

installations en introduisant l’emploi de riveteuses hydrauliques et surtout de marteaux-

pilons pour les opérations de forge52. L’entreprise s’oriente alors vers la fabrication de

machines auxiliaires. Là encore, la réussite est totale. Le modeste atelier du début des

années 1860 devient une entreprise moderne dont les produits sont réputés et même

exportés. En 1891, plus de 250 ouvriers sont employés. La valeur des productions atteint

725 000 francs53. D’autres ateliers ont également travaillé pour la navigation à vapeur. Ils

se bornent à quelques travaux de réparation et sont de moindre importance. Une seule

d’entre elles, la société Courtois & Denegon, se livre très ponctuellement à la construction

de machines motrices.

Le développement des machines à double puis triple expansion

22 Les ateliers marseillais continuent à assimiler et produire des innovations mais ils se

montrent moins brillants qu’au cours de la période précédente. Les entreprises ont su

toutefois trouver les ressources nécessaires pour rester à la pointe de la technologie, et

Marseille conserve sa position de pôle de référence en matière technique. Les ingénieurs

des ateliers marseillais des années 1865-1890 ne sont pas aussi remarquables que ne

l’étaient John Barnes ou François Bourdon. Ils possèdent néanmoins les compétences

nécessaires pour appliquer les progrès enregistrés dans les domaines de la mécanique

marine. Tous les ingénieurs chargés de la direction technique des ateliers ont suivi leur

formation au sein de grandes écoles (Polytechnique et École centrale)54. Le recrutement

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des meilleurs éléments des arsenaux de l’État s’est poursuivi. Il touche même désormais

les postes de direction. À la fin des années 1880, E. Widmann, sous-directeur de la Société

des forges, est un ancien ingénieur de la Marine. Les nouveautés techniques sont toujours

rapidement adoptées par les ateliers provençaux. L’introduction de la machine compound,

qui ne prend son essor en Europe qu’au cours des années 1860, est ici révélatrice de la

volonté des entrepreneurs de proposer des réalisations à la pointe du progrès.

23 Une nouvelle fois, les ateliers marseillais de la Société des forges montrent la voie en ce

domaine. L’usine de Menpenti avait peut-être réalisé un premier appareil à double

expansion en 185655. Lecointre, successeur de François Bourdon, engage l’entreprise dans

la construction en série de machines compound en 1866. Dès l’année suivante, avec le Tage,

les chantiers de La Ciotat se lancent dans la fabrication des machines à double expansion

(type trois cylindres)56. Les liens entre les ateliers de Menpenti et ceux de La Ciotat ont

très certainement facilité l’opération. Outre les économies de combustibles qu’elle

procure, la machine compound offre un avantage prépondérant : le rapport poids/

puissance continue de diminuer. Les appareils antérieurs aux machines à double

expansion pesaient généralement plus de 250 kilos par cheval. Avec l’appareil compound,

le chiffre descend désormais en dessous des 200 kilos57. Ce gain est provoqué par la

suppression du système d’engrenage. Jusqu’alors, les machines ne dépassaient pas 35

tours par minute, vitesse de rotation nettement inférieure à celle que l’on voulait donner

à l’hélice. Les engrenages, multipliant la vitesse donnée par la machine, étaient donc

nécessaires. L’appareil compound produit un nombre de tours/minute suffisant pour

donner à l’hélice la vitesse de rotation voulue sans engrenages. Les ateliers de Fraissinet

semblent avoir emboîté le pas assez rapidement puisque Lagrafel est présenté comme un

des vulgarisateurs de la machine marine compound à Marseille dès la fin des années 186058.

La rapidité d’application des nouveautés technologiques s’observe également avec les

machines à triple expansion, mises au point par les Britanniques au cours des années

1880. En 1886, avec les machines du Portugal de 4 800 chevaux, Paul Risbec lance dans les

chantiers de La Ciotat la réalisation de ce type d’appareils59.

La mise au point de nouveaux types de chaudières et les progrès

dans le domaine des machines auxiliaires

24 Dans la technologie des générateurs de vapeur et des machines auxiliaires, les

établissements phocéens enregistrent de remarquables succès à partir d’inventions dont

ils sont les principaux initiateurs. Dans la seconde moitié des années 1860, les ateliers de

La Ciotat adoptent, parallèlement aux machines compound, les chaudières cylindriques,

tubulaires et à retour de flammes60. Les économies obtenues avec ce type de générateurs

sont importantes. Le poids de l’appareil est réduit de 17 % et la consommation de

charbon, de 20 %. Une des innovations majeures de la période est la mise au point des

chaudières aquatubulaires, dans les chantiers de Fraissinet, par les ingénieurs Lagrafel et

d’Allest en 1869, « qui ont servi de modèle aux innombrables systèmes analogues qui ont

surgi depuis cette époque61 ». Là encore, la consommation de charbon est sensiblement

réduite.

25 Les appareils servomoteurs sont également un secteur où les entreprises marseillaises

affichent un remarquable dynamisme. Le mécanisme servomoteur permet d’obtenir un

système de régulation automatique de la marche de la machine, dispensant ainsi

l’opérateur d’une intervention continue62. Mis au point par Jean-Jacques Farcot au cours

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des années 1850, ce système est adapté en 1863 à la navigation pour faciliter la commande

des navires. Il sert également à conduire la rotation du treuil où s’enroulent les chaînes

conduisant le gouvernail. La société Stapfer & Duclos se spécialise dans la réalisation

d’appareils auxiliaires appliqués à la mise en train de gouvernails, de monte-escarbilles

pour les navires63. Ce système, breveté au nom de Stapfer64, va assurer la pérennité de

l’entreprise. Toujours dans le secteur des appareils servomoteurs, l’entreprise Stapfer &

Duclos se distingue également par la construction de pompes alimentaires à action

directe. Lors des Expositions universelles parisiennes de 1878 et 1889, la société

marseillaise est récompensée par trois médailles65. Le mécanisme d’un de ses appareils

attire les louanges des spécialistes de la technologie marine :

« Cette distribution de la vapeur est d’une telle régularité qu’elle permetd’imprimer à l’appareil les allures les plus lentes et de proportionner le débit à lavaporisation effectuée dans la chaudière. La consommation est très faible, parceque les espaces nuisibles sont très réduits et que le piston tiroir n’emploie que de lavapeur qui a déjà produit son effet sur le piston moteur66. »

26 Dans la production d’appareils servomoteurs, l’ingénieur Orsel, au sein des ateliers de la

Société des forges, gagnera également une grande réputation. La mise en train à vapeur

des machines marines qu’il met au point à la fin des années 1870 devient rapidement un

modèle de référence, présenté en exemple dans les grands manuels techniques de la

période.

LA CROISSANCE DES MARCHÉS

27 Il est difficile d’évaluer le montant des travaux de l’industrie marseillaise de mécanique

pour la navigation à vapeur ainsi que la liste des commandes obtenues par les différentes

entreprises. Les données permettant de saisir l’évolution de ce secteur sont rares et

présentent le défaut d’englober le plus souvent, sans faire de réelles distinctions de parts,

les constructions navales et les travaux de mécanique marine et industrielle. C’est le cas

des séries offertes par les travaux de la chambre de commerce67. Au cours des années

1865-1890, sont présentés dans une même enveloppe les résultats des chantiers navals de

La Ciotat, ceux de la Société des forges et de l’ensemble des ateliers de mécanique de la

ville de Marseille.

28 Malgré leur caractère global, ces chiffres sont un bon indicateur de l’évolution de

l’industrie de la construction mécanique pour la navigation. Sauf pour la période

exceptionnelle des années 1876-1881, le rythme d’activité de la construction navale est

parallèle à celui de la mécanique marine. La part des réalisations pour l’industrie est peu

gênante car elle est minime. Elle n’affecte donc que faiblement l’ensemble des valeurs de

production des entreprises de mécanique marine. Les données sont à peu près conformes

à la conjoncture générale française de la période. Les lois de 1866, entraînant la perte

d’une bonne partie des commandes de la marine marchande locale, touchent durement

les ateliers marseillais, ciotadins et seynois qui n’ont pu se replier sur les commandes de

l’État, elles aussi en baisse. En trois années seulement, la valeur des productions diminue

de près de 60 % et semble atteindre son niveau le plus bas vers 1873, avec un total de 11

millions de francs. Dans la seconde moitié des années 1870, avec une conjoncture plus

favorable pour les entreprises phocéennes, les marchés redeviennent nombreux et dès

1877, l’industrie marseillaise de la construction mécanique et navale retrouve son niveau

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de l’année 1865. Les valeurs des productions se stabilisent jusqu’en 1890 entre 32 et 36

millions de francs.

Les commandes civiles

29 Les marchés des chantiers de La Ciotat sont entièrement liés aux activités des Messageries

maritimes qui arment 60 paquebots entre 1865 et 1890. Le chiffre est imposant mais

l’établissement ciotadin travaille de manière très irrégulière et connaît certaines

difficultés. Les commandes sont peu importantes durant la période 1876-1880 et ne

retrouvent un bon niveau qu’au cours de la décennie suivante68. La convention passée

entre la compagnie et l’État sur le réseau des lignes postales subventionnées donne un

nouvel essor à la flotte dans les années 1880 et, par là même, aux chantiers ciotadins69.

L’établissement lance sept navires en 1889. La loi de 1866 sur la libre admission des

navires et machines marines construits à l’étranger a durement frappé les entreprises de

la région marseillaise. Les marchés se font rares. Grâce à son réseau d’influence, la Société

des forges obtient toutefois une bonne série de commandes adressées par la société

générale des transports maritimes. Amédée Armand, un des actionnaires de l’entreprise,

est alors vice-président de cette compagnie de navigation70. Neufs paquebots chargés

d’amener en France les minerais de fer algériens de Mokta-El-Hadid sont commandés aux

chantiers de La Seyne. A partir de 1872, avec les nouvelles lois, les affaires reprennent. La

Société des forges, qui peut de nouveau aligner ses prix sur ceux de ses concurrents de

Grande-Bretagne, livre à la marine marchande locale un nombre élevé de bâtiments avec

leurs machines (sept navires pour la Compagnie générale transatlantique entre 1872 et

1881, 13 pour la Compagnie des chargeurs réunis entre 1872 et 1881, cinq pour Paquet &

cie entre 1872 et 1883…). Les Messageries maritimes, qui réservent habituellement ses

commandes pour ses chantiers de La Ciotat, s’adressent aussi aux ateliers de la Société des

forges mais de manière épisodique. Le rythme en devient plus soutenu à la fin des années

1880, quand les Messageries retrouvent un second souffle. Entre 1886 et 1889, les ateliers

de Menpenti fabriquent une dizaine d’appareils pour des paquebots construits à La Ciotat71. À un degré bien moindre, les ateliers de Duclos et des Fraissinet travaillent pour la

marine marchande locale. Le manque de documentation empêche d’évaluer leurs

marchés. Dans le domaine des appareils moteurs, les deux sociétés ont surtout construit

des machines marines pour des remorqueurs ou des vapeurs affectés à la navigation

fluviale. Elles ne peuvent rivaliser avec la Société des forges ni en technologie ni en

économies d’échelle. Vers 1870, dans ce type de réalisations, l’entreprise d’Émile Duclos

réalise cinq petites machines de neuf chevaux de puissance chacune et les ateliers

Fraissinet, quatre navires coques et machines72. Au cours de la même période, ces

derniers se lancent dans la construction d’appareils de plus grande puissance pour un

navire à hélice de leur propre compagnie, le Pei Ho73. Les ateliers marseillais trouvent

quelques débouchés auprès de compagnies de navigation extérieures à la région. C’est le

cas de la Société des forges, qui vend des paquebots à La Rochelle, Bordeaux ou au Havre74

. Ces débouchés sont toutefois ponctuels.

30 En revanche, les marchés étrangers ont une importance accrue pour les entreprises

marseillaises durant la période 1865-1890. Les commandes sont principalement le fait des

marines de guerre étrangères. Les ventes aux compagnies étrangères de navigation

marchande ou des commandes de nature civile pour des gouvernements sont plus

limitées et sont présentes dans certains secteurs bien particuliers. Depuis 1846, la Société

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des forges s’est spécialisée dans la construction de matériel de dragage et de curage. Dans

la seconde moitié des années 1860, la société profite de sa compétence en la matière en

obtenant de gros marchés en Égypte auprès de la Compagnie universelle du canal de Suez.

La société doit certes sa réussite à son prestige mais aussi, et surtout, grâce au rôle

d’Edouard Dervieu75, associé des banquiers parisiens André et Marcuard, deux des

principaux actionnaires de l’entreprise. Marié à la fille de Kœnig Bey, tuteur de Saïd

Pacha, Dervieu était parvenu à s’attacher les faveurs de la cour égyptienne et a participé,

au début des années 1860, à la création de la Nile Navigation Company, entreprise de

halage dont les actions sont majoritairement détenues par Ismaïl Pacha76. Pour le

gouvernement égyptien, la Société des forges lance également deux paquebots complets

en 186677. D’autres établissements exportent une partie de leur production. L’entreprise

Stapfer & Duclos, qui s’est spécialisée dans la fabrication de remorqueurs en acier, obtient

de remarquables résultats. Ces remorqueurs sont exportés en Égypte pour équiper le

canal de Suez, dans différents ports de Grèce mais aussi à Constantinople, Naples et

Barcelone78.

Les ventes pour la marine militaire française

31 Entre 1868 et 1876, la fin du grand programme de rénovation de la marine militaire

française engagé en 1857 et les difficultés budgétaires rencontrées par l’État suite à la

guerre de 1870-1871 ont amené une réduction brutale du volume des commandes

adressées à l’industrie française et aux chantiers navals provençaux79. La Société des

forges ne réalise pour l’État que de petits bâtiments (canots à vapeur et canonnières de

puissance moyenne). Si la construction de navires militaires s’amennuise dans les

chantiers de La Seyne-sur-Mer, l’atelier mécanique de Menpenti parvient toutefois à

maintenir son niveau d’activité grâce à la construction de machines compound de grande

puissance pour les bâtiments de combat construits par l’arsenal de Toulon. En 1876, la

période difficile est passée. La marine modernise de nouveau sa flotte et la Société des

forges bénéficie de nombreux contrats (74 navires et 88 appareils moteurs entre 1876 et

189080).

32 À ces commandes il faut ajouter les appareils auxiliaires (chaudières, pompes centrifuges,

appareils distillatoires, compresseurs et détendeurs d’air…) dont il a été impossible

d’estimer la quantité comme la valeur. Mis à part les ateliers de La Ciotat, tous les grands

ateliers marseillais de mécanique marine travaillent pour l’État. La Société des forges

n’est en effet pas la seule à pouvoir bénéficier du renouveau des commandes de la marine

nationale. Le secteur dans son entier est désormais lié aux travaux qu’offre l’État. Dans les

années 1880, les ateliers Fraissinet travaillent à la remise à neuf de grands transporteurs

et de torpilleurs et livrent à la marine de guerre des chaudières qui sont placées « sur les

plus puissantes unités de combat de la marine française81 ». En 1890, pour ce type

d’appareil, l’établissement de la Madrague décroche un marché de 48 corps de chaudières

dont ils détiennent le brevet82. La société de Stapfer & Duclos n’est pas en reste. Elle reçoit

de la marine militaire de nombreuses commandes touchant essentiellement aux

gouvernails servomoteurs, treuils, cabestans et pompes d’alimentation en vapeur83. À la

fin des années 1880, ces deux entreprises vivent en grande partie au rythme des

commandes de l’État.

254

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Les marchés des marines militaires étrangères

33 Dès le début des années 1860, la Société des forges s’était placée comme une des grandes

sociétés européennes dans la construction de bâtiments de guerre. Ce créneau continue

d’être exploité mais les ventes méditerranéennes de l’entreprise connaissent des

modifications. Contrairement à la période précédente, la marine militaire italienne ne

constitue plus un débouché important pour la Société des forges. La grande phase de

marchés de la période 1861-1864 est restée sans suite. Seules deux canonnières cuirassées

sont commandées en 1866. Cela s’explique d’abord par la fin de la grande phase

d’équipement des années 1850-1860. L’État transalpin marque une pause dans l’effort de

modernisation. D’importants problèmes budgétaires nécessitent une diminution des

dépenses publiques. La seconde raison est que le contexte a changé quand les commandes

reprennent à partir des années 1870. Les mesures prises par les différents gouvernements

en faveur de leurs industries nationales se sont avérées efficaces et s’exercent au

détriment des entreprises françaises et britanniques. À Gênes, les ateliers de l’Ansaldo se

développent grâce aux commandes de la marine royale. Les chantiers Orlando de

Livourne, qui n’avaient réalisé que dix-neuf navires entre 1866 et 1882, voient leurs

commandes augmenter. Entre 1882 et 1890, douze navires sont lancés84. Entre 1875 et

1881, l’entreprise ligure lance sept navires coques et machines85. Ces commandes

permettent à l’entreprise de se lancer dans des types de constructions nécessitant de

lourds investissements. En 1876, l’Ansaldo réalise sa première machine d’une puissance

supérieure à 500 chevaux pour la Staffetta, un aviso à hélice86.

34 En revanche, la marine militaire espagnole reste longtemps un client de premier ordre

pour la Société des forges. Entre 1874 et 1878, dix petites canonnières avec leurs machines

de 75 chevaux chacune et surtout six grosses unités de combat sont réalisées à Marseille

et à La Seyne. En Espagne, les effets de la politique menée en faveur du développement

des ateliers nationaux sont plus tardifs qu’en Italie. Entre 1859 et 1900, la Maquinista

Terrestre y Marítima a réalisé cinquante-neuf machines marines. La majorité d’entre elles,

surtout celles de grande puissance, répondent à des commandes militaires passées dans le

cadre de la Ley de Escuadra de 1887. Entre 1887 et 1892, l’entreprise barcelonaise construit

notamment dix croiseurs avec leurs machines d’une puissance totale de plus de 50 000

chevaux87. Ce n’est qu’à partir de cette fin des années 1880 que la Société des forges perd

définitivement ses positions sur le marché militaire espagnol. L’Égypte a constitué au

cours de l’extrême fin des années 1860 un marché aux effets anticycliques pour la société.

Ce pays a passé d’importants contrats au moment où l’entreprise doit faire face à la crise

liée à la loi de 1866. En 1868, la Société des forges commence ses livraisons par une

machine de 800 chevaux pour une corvette. L’année suivante, huit navires complets sont

lancés : une canonnière, deux corvettes cuirassées, cinq canots à vapeur et la grande

frégate Ibrahimiah, dont les machines atteignent la puissance record de 3 000 chevaux. Les

marines militaires ottomane et grecque s’adressent également à la grande entreprise

provençale afin de moderniser leur flotte. Pour la première, la Société des forges réalise

cinq canonnières et trois torpilleurs entre 1867 et 1884. Pour la Grèce, les commandes

sont encore plus considérables : dix-neuf navires dont trois cuirassés en dix ans

(1878-1888). Quelques commandes sont également adressées par la Bulgarie et la

Roumanie, mais restent limitées à quelques réalisations ponctuelles. La Société des forges

a su conquérir des contrats dans de nouvelles zones composées de pays cherchant à se

constituer une flotte de guerre moderne ex nihilo. Les commandes des marines militaires

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chilienne, brésilienne, haïtienne, mexicaine et dominicaine apparaissent et se

développent essentiellement dans les années 1880. De nouvelles grandes puissances

militaires cherchent à moderniser leurs flottes dans les années 1880 avec l’acquisition de

croiseurs et de torpilleurs : la Russie et le Japon. Pour ces deux pays, la Société des forges

construit sept navires complets et cinq appareils moteurs entre 1879 et 1888. L’entreprise

vit désormais à l’échelle du monde.

***

35 L’industrie mécanique marseillaise était à ses débuts essentiellement orientée dans la

fabrication de biens d’équipement industriels. Les travaux pour la navigation occupaient

une place déjà importante mais minoritaire. Un demi-siècle plus tard, ce secteur présente

un visage radicalement différent. Peu compétitifs et ne pouvant compter sur des aides de

l’État, les ateliers travaillant pour l’industrie n’ont pu trouver les ressources pour

affronter la concurrence extérieure et sauvegarder ainsi leurs marchés. Beaucoup

d’entreprises disparaissent. Celles qui parviennent à se maintenir se limitent

généralement à de simples travaux de réparation. En revanche, les ateliers de la

mécanique marine ont su tirer profit d’opportunités toujours présentes. La métallurgie

marseillaise s’identifie désormais aux travaux pour la navigation. Cette identification

s’établit pour près d’un siècle et reste encore présente dans un imaginaire collectif qui ne

perd jamais de vue les richesses apportées par les activités maritimes.

NOTES

1. Cf. FIGUIER L., Les Merveilles de l’industrie, op. cit., t. I, p. 409.

2. TURGAN J., « La savonnerie Arnavon », dans Les Grandes Usines…, op. cit., t. II, 1861, p. 127.

3. Cf. annexe 1.

4. EDBdR, t. VIII, p. 140-149.

5. Cf., par exemple, PICARD A., Les Chemins de fer. Aperçu historique, Paris 1918.

6. L’indicateur marseillais, 1865-1885.

7. Ibid., 1875, p. 906.

8. Ibid., 1869, p. 839.

9. Calculs effectués d’après les 150 demandes d’autorisation d’installation de chaudières à

Marseille entre 1880 et 1883 (ADBdR XIV M 14/2).

10. CRSCCM, 1888, p. 150.

11. Les Grandes Industries de Provence…, Marseille, 1900, p. 108.

12. En 1859, l’ingénieur Andras Mechwart de la firme Ganz invente les cylindres en fonte

trempée pour écraser les grains. (BERGERON L., « Patrimoine industriel en Europe de l’est : une

visite en Hongrie », L ‘Archéologie industrielle en France, n° 26, juillet 1996, p. 43.

13. EDBdR, t. VIII, p. 180.

14. CRSICM, 1884, p. 156.

15. GRAND V., Le Midi industriel I : Les Usines Arnaud Etienne, Aix-en-Provence, 1878, p. 62-65.

256

Page 259: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

16. TURGAN J., « Les charbonnages des Bouches-du-Rhône », dans Les Grandes Usines…, op. cit., t. III,

1863, p. 15 et Bouches-du-Rhône : dictionnaire, annuaire et album, Paris, 1901, p. 543.

17. ADBdR 545 U 102 et 103.

18. L’indicateur marseillais, 1879, p. 983.

19. Cf. AUDOUARD E., BARLATIER E., BRES L., Annuaire maritime…, op. cit., p. 350.

20. ACCM MR 4422.

21. Calcul effectué d’après les listes de navires dressées par P. BOIS dans Armements…, op. cit

22. Les Messageries maritimes ont fait construire 13 paquebots à leurs chantiers de La Ciotat

entre 1867 et 1874 (cf. BOIS P., Le Grand Siècle…, op. cit.).

23. En 1860, 116 vapeurs étaient attachés au port de Marseille, 201 en 1869 et 233 en 1880 (EDBdR,

t. IX, p. 320.

24. CRSICM, 1868, p. 130.

25. Ibid., 1871, p. 114-115.

26. Ibid., 1868, p. 130-131 et 1872, p. 110. Le système des introductions temporaires de métaux

étrangers est fortement atténué par la loi du 8 avril 1866 qui raccourcit à un mois et demi le délai

pour bénéficier du système des acquits-à-caution.

27. Note sur la marine marchande, Bordeaux, 1869, p. 27.

28. CRSICM, 1872, p. 112.

29. ACCM MR 4422.

30. CRSICM, 1874, p. 134.

31. AN F 12 4486.

32. CRTCCM, 1890, p. 235.

33. La flotte passe de 233 à 292 vapeurs entre les deux dates (cf. EDBdR., t. IX, p. 320). Il est

difficile d’établir le nombre de navires désarmés.

34. CRTCCM, 1890, p. 236.

35. CRSICM, 1887 et 1888, p. 143 et 149.

36. Cf. DE ROSA L., Iniziativa e capitale straniero…. op. cit., p. 278 et suivantes.

37. Les droits sur les fers étrangers ont été portés en 1878 de 24 à 42 % ad valorem (cf. LUZZATO G.,

L’economia italiana…, op. cit., t. I, p. 217).

38. Loi du 6 décembre 1885. Les primes sont importantes (17 francs par tonne pour les coques en

fer ou en acier, 2,50 francs par cheval pour les machines marines et 3,50 francs par quintal de

métaux pour les chaudières (BUCHARD H., Marines étrangères, Paris, 1891, p. 397).

39. Ibid., p. 344.

40. COURTIER LOZANO A., La organización industrial…, op. cit., p. 10.

41. Pour la situation au début des années 1860, cf. chapitre XII.

42. CRSICM, 1889-1890, p. 147 et 157.

43. ADBdR 1 M 1480.

44. Vers 1890, l’atelier possède 350 machines-outils actionnées par des machines d’une puissance

totale de 500 chevaux (cf. JOANNE P., Dictionnaire géographique…, op. cit., t. IV, p. 2 510).

45. Ibid.

46. Louis et Adolphe Fraissinet succèdent à leur père à la tête de l’entreprise en 1866.

47. CHIRAC A., Lettres d’un Marseillais sur l’exposition universelle de 1867 à Paris, Paris, 1868, p. 153-157.

48. BOIS P., Armements marseillais…, op. cit., p. 27.

49. ADBdR P 6 BIS 103 A.

50. CRSICM, 1889-1890.

51. Ateliers de constructions mécaniques Stapfer, Duclos et Compagnie, Paris, 1892, p. 1.

52. Ibid., p. 1-2.

53. CRSICM, 1891, p. 161.

257

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54. Octave Vésigné et Paul Risbec pour les chantiers de La Ciotat, Daniel Stapfer pour Stapfer &

Duclos, Lagrafel pour l’atelier des Fraissinet, et Lecointre et Orsel pour la Société des forges.

55. Cf. chapitre XI.

56. CONIL J.-L., De la voile à la turbine, op. cit., p. 3.

57. DAYMARD M., Les Progrès récents de la navigation à vapeur, Paris, 1888, p. 13.

58. « Notice nécrologique de Lagrafel », BSSIM, 1900, p. 51-52.

59. Paul Risbec, polytechnicien, a succédé à Octave Vésigné en 1882 (CONIL J.-L., La Ciotat…, op. cit.,

p. 3).

60. LEDIEU A., Les Nouvelles Machines…, op. cit., p. CXLVII.

61. « Notice nécrologique de Lagrafel », art. cit., p. 51-52.

62. Cf. DAUMAS M. (dir.), Histoire des techniques, op. cit., t. IV, p. 16.

63. La Marine à l’Exposition universelle de 1878, Paris, 1879, p. 34-36.

64. L’Indicateur marseillais, 1879, p. 983.

65. BOSQ P., Marseille et le Midi…, op. cit., p. 221.

66. La Marine…, op. cit., p. 84-85 et pl. 82.

67. Cf. annexe 10.

68. BOIS P., Le Grand Siècle…, op. cit. (sauf indication, les données de cette sous-partie proviennent

de données élaborées à partir des listes de navires de cet ouvrage).

69. Ibid., p. 62-63.

70. Cf. « Amédée Armand » dans CATY R., ECHINARD P., RICHARD E., Les Patrons du second Empire…, op.

cit.

71. Ibid., p. 91 et 97.

72. ADBdR P 6 bis 99 B à P 6 bis 103 B.

73. Un appareil de 500 chevaux pesant 283 tonnes (Ibid, P 6 bis 103 A).

74. Société des forges et chantiers de la Méditerranée…, 1900, op. cit., p. 92-93.

75. Dervieu a dirigé, entre 1843 et 1854, des agences de la Compagnie Bazin et des Messageries

maritimes) (LANDES D., Banquiers et Pachas. Finance internationale et impérialisme économique en

Égypte, Paris, 1993, p. 94).

76. Ibid., p. 138.

77. Ibid., p. 93.

78. Ateliers de constructions mécaniques Stapfer, Duclos et cie…, op. cit., p. 9.

79. CRSICM, 1868, p. 130.

80. Pour l’ensemble des marchés de la Société des forges, cf. Société des forges et chantiers de la

Méditerranée…. op. cit., 1900.

81. CRSICM, 1888, p. 156 ; 1890, p. 157 et « Notice nécrologique de Lagrafel », art. cit., p. 51-52.

82. CRSICM, 1890, p. 157 et JOANNE P., Dictionnaire…, op. cit., p. 2510.

83. Ibid.

84. GAZZO E., I cento anni dell’Ansaldo, 1853-1953, Gênes, 1953, p. 585.

85. DORIA M., « Le strategie… », art. cit., p. 95.

86. BASCAGNO E., « Le costruzioni navali », ibid., p. 220-221.

87. NADAL J., « La metallurgia »…, op. cit., vol. III, p. 177 et GARRABOU R., Enginyers industriah…, op. cit

., p. 190).

258

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Conclusion de la quatrième partie. Laspécialisation d’une industrie en pertede vitesse

1 Entre 1865 et 1890, l’industrie métallurgique marseillaise connaît un véritable

effondrement. Les secteurs qui faisaient sa force sont touchés dès les années 1863-1866

par des crises violentes. Sur plusieurs points, la conjoncture s’est profondément modifiée.

Dans une France au sein de laquelle le libre-échange avec les autres nations s’impose et

où le décloisonnement des marchés régionaux s’accélère, les entreprises phocéennes se

trouvent confrontées à des difficultés insurmontables. Les explications des différents

échecs ne se trouvent ni dans une quelconque incapacité technique ni dans le manque de

dynamisme des entrepreneurs. Les marchés locaux sont perdus, principalement dans la

mécanique industrielle et la métallurgie de deuxième fusion. Les débouchés extérieurs

s’effacent. Ils ne permettent plus à l’industrie du plomb ou à la sidérurgie de maintenir

leurs niveaux d’activités. Les concurrences françaises et étrangères se sont installées et se

renforcent durablement dans la région. Pénalisées par des coûts de production élevés dûs

à des problèmes d’approvisionnements en matières premières bon marché, les

entreprises ne parviennent plus à offrir des prix compétitifs. Les pertes sectorielles ne

sont pas compensées par la création de nouvelles activités.

2 Seule l’industrie de la mécanique marine a pu poursuivre sa croissance malgré les aléas

d’une conjoncture fluctuante. En cette période difficile où la concurrence fait rage, ce

secteur est véritablement le seul qui puisse s’appuyer sur des facteurs favorables. C’est

d’abord une industrie d’assemblage au sein de laquelle la question du prix des matières

premières est atténuée par l’importance du prix de la main-d’œuvre et par les apports

d’une technologie qui diminue de manière continuelle le poids de métal nécessaire à la

réalisation des machines et des chaudières. Ensuite, excepté pour la période 1866-1872,

les avantages douaniers accordés par l’État facilitent l’obtention de marchés aussi bien au

niveau local que dans le cadre d’exportations. Contrairement à la mécanique industrielle,

technologie et avantages douaniers se combinent pour permettre à la production des

ateliers d’accompagner la demande. La mécanique marine marseillaise reste l’unique

point fort d’une histoire qui s’achève par une spécialisation d’un secteur qui va peu à peu

sombrer dans l’oubli.

259

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3 La situation marseillaise n’est pas originale en Méditerranée. La Catalogne, Gênes et Le

Pirée connaissent le même processus de spécialisation de la métallurgie dans les travaux

pour la navigation à vapeur. Toutes ces régions étaient placées devant les mêmes

difficultés de coûts de production et ont trouvé des solutions identiques afin d’y

remédier. Reste qu’à la différence de Marseille, ces régions ont su garder un éventail de

production assez large. La mécanique industrielle se maintient et connaît même un

développement grâce aux mesures de protection accordées par l’État. Dans ce secteur de

production, le problème marseillais était marginal dans un ensemble français qui

possédait plusieurs régions spécialisées dans la construction de machines industrielles et

dont les entreprises étaient beaucoup plus compétitives.

260

Page 263: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Conclusion

1 Marseille est le symbole d’une ville méditerranéenne gagnée par la vapeur et le fer au

cours de la révolution industrielle. Une industrie de pointe, la métallurgie et la

construction mécanique, a su y trouver sa place et s’est même affirmée comme un des

éléments de base de la réussite économique phocéenne. Le succès de ce secteur s’inscrit

dans la moyenne durée. Pendant un demi-siècle, les entreprises marseillaises ont

démontré la vitalité de l’industrie méditerranéenne et la vigueur d’une branche

d’activités aux composantes originales. La métallurgie phocéenne décline fortement à

partir des années 1880, mais la fin de son importance ne doit pas occulter la réussite

d’hommes et d’entreprises durant plusieurs décennies.

2 L’histoire de l’industrie métallurgique marseillaise prend le contre-pied des facteurs

censés expliquer le retard industriel de l’Europe méditerranéenne. Les hommes, les

capitaux, les compétences technologiques et les marchés n’ont pas manqué. Les

entrepreneurs, locaux dans un premier temps puis extérieurs à la ville à partir de la fin

des années 1850, ont fait preuve d’un réel dynamisme. Ils ont d’abord fondé les

établissements en réinvestissant les capitaux accumulés dans l’artisanat ou dans d’autres

branches industrielles. Ils ont su, jusqu’aux années 1850, développer la totalité des

branches qui composent le secteur. Les banques et les grands financiers parisiens ont pris

le relais pour donner une ampleur importante au mouvement. Les problèmes

technologiques ont été également rapidement surmontés. Encore une fois et comme en

Europe continentale, tout s’est joué en deux temps. Grâce à la présence d’ingénieurs

venus de Grande-Bretagne qui ont choisi de mêler leur destinée à celle de la métallurgie

phocéenne, les techniques élémentaires de production et les premiers succès

technologiques ont été enregistrés entre 1835 et 1850. Par la suite, le succès du relais

français fait rapidement de Marseille un pôle de modernité dans le secteur européen de la

métallurgie et de la construction mécanique. La ville a su attirer les ingénieurs issus des

grandes écoles et du génie maritime.

3 Pour le dynamisme des entrepreneurs, pour la capacité à investir des fonds dans ce

secteur ou la volonté d’acquérir une technologie complexe, Marseille est emblématique

d’un mouvement plus large qui touche l’ensemble du sud de l’Europe. Même si les

modalités et les chronologies du mouvement sont parfois différentes, plusieurs régions

italiennes, espagnoles ou grecques, confrontées aux mêmes problèmes, ont connu le

développement de leurs industries métallurgiques et mécaniques sur des bases

261

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globalement similaires. Marseille constitue néanmoins l’exemple le plus achevé, le plus

important de ce mouvement. Quels sont les éléments qui ont pu faire la différence et qui

peuvent expliquer la prépondérance marseillaise en ce domaine ?

4 Il est encore d’usage d’expliquer en partie l’échec supposé de l’industrie métallurgique

sud-européenne par le manque de marchés. Cette logique négative ne vaut pas pour

Marseille. Nous l’avons vu, la croissance conjuguée des demandes de biens d’équipement

dans les secteurs de l’industrie, de la navigation et des grands travaux d’infrastructure

permet à la métallurgie marseillaise de naître et de se développer rapidement. La

sollicitation par une forte demande n’est d’ailleurs pas une spécificité du grand port

provençal. Même si cela doit être étudié de manière approfondie, plusieurs régions sud-

européennes présentent la même situation dès le deuxième tiers du XIXe siècle. Le volume

de la demande en biens d’équipement est parfois même supérieur à celui observé pour

l’économie marseillaise, comme le démontre le cas de Barcelone au cours des années

1830-1840. Malgré l’existence de ces possibles débouchés, les entreprises métallurgiques

italiennes, espagnoles ou grecques marquent longtemps le pas et doivent attendre la fin

du siècle pour connaître un phénomène comparable à celui connu par les ateliers

marseillais des années 1831-1865. Les marchés leur échappent longtemps au profit

d’entreprises étrangères. Les commandes sont trop irrégulières et la législation

douanière, contrairement à celle menée par les gouvernements français, favorise les

sidérurgistes et les industriels du textile au détriment des mécaniciens et fondeurs de

deuxième fusion. Les fers et les fontes achetés à l’étranger sont proportionnellement

beaucoup plus lourdement taxés que les machines importées. Les gouvernements italiens,

espagnols et grecs subissent la pression des industriels des autres branches et ont décidé

de faciliter l’industrialisation générale du pays. L’équipement des entreprises doit se faire

à moindre coût et s’avère incompatible avec la protection de secteurs métallurgiques et

mécaniques travaillant, à leurs débuts, à des coûts prohibitifs et incapables de répondre à

des demandes dont les volumes fluctuent de manière trop marquée. Marseille n’a pas

connu ces difficultés. Le niveau d’industrialisation de la France permet aux

gouvernements de la monarchie de Juillet et du second Empire d’avoir une attitude bien

différente à l’égard de la construction mécanique et de la fonderie de deuxième fusion.

Durant la presque totalité de la période, ces deux secteurs reçoivent une protection

efficace. L’offre des entreprises phocéennes a donc pu accompagner une demande qui

croissait de manière continuelle, d’abord grâce au cloisonnement des marchés puis par

une législation douanière favorable qui les a presque toujours placées à l’abri de la

concurrence britannique. Moins que le niveau de la demande, ce qui a donc fait la

différence entre Marseille et les autres centres du nord de la Méditerranée, c’est que le

cadre politique français a permis à un territoire de mettre en place une offre pour

répondre aux sollicitations locales et même extérieures.

5 L’histoire de la métallurgie marseillaise au cours du XIXe siècle soulève également le

problème de la rapidité du processus d’industrialisation d’un secteur au cœur de la

révolution industrielle. Les changements ont été rapides et d’une ampleur considérable.

La naissance, la croissance et l’arrivée à maturité du secteur se déroulent sur une période

relativement brève. À peine plus de trois décennies ont été suffisantes pour passer du

néant à une industrie puissante autant du point de vue de sa production que par ses

effectifs et sa technologie. Ce phénomène est d’autant plus remarquable pour Marseille

que le secteur de la métallurgie ne constitue pas un cas marginal. D’autres branches

essentielles de l’économie phocéenne, comme le raffinage du sucre ou l’huilerie de

262

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graines, ont connu un développement similaire dans l’intensité et la rapidité des

changements. Marseille connaît bel et bien une révolution industrielle, qui n’est pas sans

rappeler les modèles de développement décrits par W. W. Rostow et A. Gerschenkron,

même si les critères d’analyse de ces auteurs doivent être fortement nuancés et ne

correspondent pas toujours à des invariants. Comment interpréter cette situation dans le

modèle général français ? Il ne s’agit pas de contester le schéma général de

l’industrialisation française, désormais admis, caractérisé par une évolution linéaire

s’articulant autour de progressions graduelles sur plus d’un siècle. Il faut seulement y voir

un cas original qui permet de comprendre la complexité des variations régionales au sein

d’un ensemble qui présente une homogénéité certaine, mais dont certains éléments se

différencient d’une manière assez nette.

6 L’histoire de l’industrie métallurgique marseillaise amène enfin à prendre en compte le

problème des représentations. Comment un secteur aussi puissant au cours du XIXe siècle

a-t-il pu s’effacer de la mémoire collective phocéenne ? En 1890, la nouvelle configuration

du secteur, basé presque uniquement sur les travaux liés à la navigation, et les

composantes de l’économie de la région se combinent pour avoir de graves répercussions

sur l’imaginaire industriel de l’avant-Première Guerre mondiale et sur ses prolongements

dans la longue durée. L’industrie métallurgique marseillaise, qui a connu sa période de

gloire au cours de trois grandes décennies (1831-1865), sort des grands thèmes de

représentations de la ville au moment où elle disparaît de l’avant-scène. Son histoire ne

s’imprime pas dans l’imaginaire collectif marseillais et français. Désormais, il sera difficile

de se souvenir qu’une révolution industrielle a bel et bien eu lieu à Marseille dès le début

des années 1830 et que la métallurgie en était un des piliers. La représentation

économique de la ville se fonde sur les activités commerciales et les industries de

transformation de produits bruts, essentiellement coloniaux. Le passé industriel phocéen

est amputé d’un de ses éléments essentiels et se voit même offrir pour contre-exemple

des modèles méditerranéens qui avaient eu un rayonnement de même niveau : « Malgré

tout, si les Marseillais n’ont pas les qualités requises pour la grande industrie comme on

le voit à Barcelone, Marseille restera toujours une place de commerce de premier ordre1

. » Les Marseillais ont une importante responsabilité dans la constitution de ces idées

reçues. Dès 1895, Augustin Féraud, président de la chambre de commerce de Marseille,

fait démarrer l’industrialisation phocéenne en 1855 seulement et met l’accent sur le rôle

omnipotent du commerce2. Cette vision de l’histoire est provoquée par deux facteurs qui

se conjuguent. D’abord, l’échec a généré l’oubli. Marseille ne bénéficie pas, comme Turin,

Milan ou Barcelone, d’industries métallurgiques nées au cours du XIXe siècle et qui ont

survécu jusqu’à nos jours grâce à des adaptations et de profondes transformations.

Marseille se rapproche du cas du sud-est de l’Espagne, analysé par Jordi Nadal3. L’échec de

la métallurgie, qui s’était développée à Séville et Malaga durant le premier tiers du XIXe

siècle, a provoqué l’occultation rapide d’une histoire qui n’a été réhabilitée qu’au début

des années 1970. Le problème des représentations s’explique également par l’éloignement

et l’éclatement géographiques des grands sites de la construction navale de l’extrême fin

du XIXe siècle. Les trois grands chantiers ne sont pas situés à Marseille, mais à Port-de-

Bouc, à La Ciotat et dans le Var, à La Seyne-sur-Mer. Les ateliers marseillais de mécanique

liés à ces entreprises sont certes localisés dans la cité phocéenne mais à l’arrière des

ports, symboles de l’économie phocéenne. Ces établissements sont noyés dans le grand

nombre d’entreprises de toutes natures qui vivent directement, comme eux, des travaux

occasionnés par le commerce maritime.

263

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7 Un travail sur la métallurgie méditerranéenne à travers le cas marseillais démontre que

l’étude des industries sud-européennes du XIXe siècle doit être poussée plus en avant afin

de saisir la complexité et l’originalité d’un mouvement trop longtemps sous-estimé. Si les

progrès enregistrés depuis une vingtaine d’années sont importants et permettent de

saisir quelques composantes de cette histoire grâce à des études sectorielles, régionales

ou nationales, le chantier reste immense. Il est aujourd’hui nécessaire de s’attacher à

analyser de manière globale et comparative le processus et les modalités des industries

du sud de l’Europe au cours du XIXe siècle en surmontant les idées reçues qui perdurent et

en essayant de l’insérer dans une perspective plus large.

8 Repenser l’histoire économique de ces pays dans une globalité permettrait de mieux saisir

des modèles de développement fondamentalement différents de ceux présentés par les

pays du nord de l’Europe. Loin d’être une revendication d’un droit à la différence, ces

recherches donneraient la possibilité d’appréhender la profonde originalité d’une zone

qui ne doit pas être perçue au moyen de grilles de lecture qui lui sont mal adaptées,

d’examiner avec un regard neuf les composantes des relations économiques entre le nord

et le sud de l’Europe au cours du XIXe siècle. Marseille, Barcelone, Gênes ou Le Pirée ont

alors développé de puissantes industries. Ces espaces appartiennent pleinement à la

géographie industrielle de l’Europe. Cette inscription est le résultat de combinaisons,

chaque fois originales, entre des dynamismes intrinsèques et des ouvertures qui ne

doivent pas être confondues avec des situations de dépendance. N’est-ce pas là,

profondément, l’une des clés majeures de réussites méditerranéennes repérables dans

d’autres secteurs, d’autres espaces et pour d’autres périodes de l’histoire contemporaine ?

NOTES

1. CAMBON V., La France au travail, Paris, 1914, t. III, p. 199.

2. « Le port de Marseille, qui n’a été, jusqu’en 1855 environ, que doté d’une activité commerciale,

a pu, depuis, créer une industrie très considérable » (CRTCCM, 1895).

3. NADAL J., « Industrialisation et désindustrialisation du sud-est espagnol, 1820-1890 » dans

L’Industrialisation en Europe au XIXe siècle, Paris, 1972, p. 201-212.

264

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Annexes

Annexe 1 : machines, chaudières et récipients à vapeur de l’industrie des Bouches-du-Rhône(1839-1890)

265

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Sources : SIM, 1839-1890.

Annexe 2 : répartition par secteurs industriels des machines à vapeur dans les arrondissementsd’Aix et de Marseille en 1843-1844

Sources : SF, p. 211 et 225-287.

266

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Annexe 3 : élaboration du gros fer et de la fonte (moulage de pièces de métaux en deuxième fusion)à Marseille, 1833-1846 (valeur créée par les fonderies)

Sources : SIM, 1833-1846. Les chiffres sont ceux donnés pour l’ensemble des Bouches-du-Rhônemais, durant la période 1833-1846, seules les entreprises marseillaises effectuent ce type de travaux.La valeur créée est égale à la valeur de la production moins le coût des matières premières qui ont étéemployées. La série de la production en quintaux est une estimation à partir des données de 1834 etde 1847 (452 329 francs pour 16 850 quintaux métriques). La valeur créée par production de quintaln’a pratiquement pas changé entre les dates (26,367 francs en 1834 contre 26,844 francs en 1847).Nous avons choisi la valeur moyenne (26,605 francs) pour les calculs.

267

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Annexe 4 : importations marseillaises de plombs et de galènes argentifères en quintaux et enfrancs (1856-1890)

Sources : SIM, 1856-1890.

268

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Annexe 5 : production dans le département des Bouches-du-Rhône de plomb marchand et d’argent(1856-1890)

Sources : SIM, 1856-1890.

269

Page 272: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Annexe 6 : production de fer ouvré dans les usines des Bouches-du-Rhône (en quintaux)(1853-1890)

Sources : SIM, 1853-1890.

270

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Annexe 7 : production de fonte brute des hauts fourneaux de Marseille (en quintaux) (1856-1890)

Sources : SIM, 1856-1890.

Annexe 8 : production de fonte moulée en deuxième fusion dans le département des Bouches-du-Rhône (en quintaux) (1847-1890)

271

Page 274: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Sources : SIM, 1847-1890. (La circulaire ministérielle de 1877 dispense les ingénieurs de relever lesdonnées.)

Annexe 9 : production de tôles dans les Bouches-du-Rhône (en quintaux) (1849-1862)

Sources : SIM, 1849-1863. (Pour la période 1849-1852, le relevé prend en compte les petits fers.)

272

Page 275: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Annexe 10 : valeur de la production en francs des ateliers de mécanique et de constructionsnavales de Marseille, La Ciotat et de la Société des forges et chantiers de la Méditerranée à LaSeyne (1865-1890)

Sources : CRSICM, 1865-1890. Les chiffres en italique sont des estimations. Pour ces années, lachambre de commerce de Marseille donne une fourchette de valeur. Le chiffre donné dans le tableaureprésente la valeur.

273

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Sources et orientation bibliographique

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F 12 2323 : Pompes, machines et moteurs hydrauliques (an X-1868).

F 12 2500 : Lettres, pétitions, mémoires (1814-1862).

F 12 2513/14 : Traité de 1860 ; acier, cuivre, fers, fontes, machines, plomb… (1791-1860).

F 12 2530/31 : Enquête de la commission pour le tarif des fers (1824-1831). F 12 2554 : Machines et

mécaniques, importation et exportation (1824-61844).

F 12 2564/65 : Douanes, avis du comité consultatif (1834-1847). F 12 2615 A : Navigation intérieure

et maritime (1826-1866). F 12 4476 A et 4486 : Situation industrielle des Bouches-du-Rhône

(1830-1887).

F 12 4932 : Établissements insalubres et dangereux : Bouches-du-Rhône (1852-1901).

F 12 6905 : Ouvrages en matières diverses : tubes en fer, rail…, 1832-1890.

F 14 3829, 3869 et 3883 : Surveillance des usines : Bouches-du-Rhône (1819-1887).

F 14 4233 : Circulaires et états statistiques des appareils et bateaux à vapeur (1825-1897).

F 14 4313 : Les usines métallurgiques des Bouches-du-Rhône.

AQ k 2812 et 33 mi : Société des forges et chantiers de la Méditerranée.

71 MI 22 : Divers dont Société des forges et chantiers de la Méditerranée.

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Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Sous-série 1 M. : Cabinet du préfet.

Sous-série 6 M : Papiers du comte de Villeneuve.

Sous-série 12 M : Statistiques.

274

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Sous-série VII S : Mines et carrières.

Sous-série VIII S : Étangs et marais. Sous-série IX S : Chemins de fer.

Sous-série XII Q : Direction générale de l’enregistrement.

Sous-série XIV M : Industrie.

Sous-série P 6bis : Dossiers de francisation des navires.

Sous-série T : Enseignement.

Sous-série 187 U : Justice de paix.

Sous-série 545 U : Faillites de sociétés.

Sous-série 548 U : Actes de sociétés.

Sous-série 354 E : Étude Delanglade.

Sous-série 364 E : Étude Giraud.

Archives communales de Marseille

Sous-série 2 F : Industrie.

Sous-série 5 F : Commerce.

Sous-série O : Travaux publics, navigation, régime des eaux.

Sous-série 39 II : Fonds Fraissinet.

Archives communales d’Aix-en-Provence

Sous-série 2 F : Industrie.

Archives communales de Lourmarin

Sous-série Z : Fonds Philippe Girard.

Archives de la marine, Toulon

Série 2 A : Cabinet du préfet maritime.

Série G : Direction des constructions navales.

Archives de la chambre de commerce et d’industrie de Marseille

Sous-série MK : Organisation industrielle, commerciale et professionnelle.

Sous-série MP : Équipement et production.

Sous-série MQ : Commerce international.

Sous-série MR : Voies et moyens de communications.

Registres des délibérations.

École des mines de Paris

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M 1863 (808) : Genreau P., « Mémoire sur les Hauts Fourneaux de Saint-Louis près Marseille. »

M 1874 (934) : Voisin H., « Mémoire sur les mines de fer de l’île d’Elbe. »

M 1874 (935) : Voisin H., « Mémoire sur les mines de fer de Bône en Algérie. »

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J 1847 (114) : Tournaire L., « Journal de voyage dans le sud-est de la France et le Piémont. »

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J 1850 (132) : Blavier A., « Sens E., Journal de voyage en Espagne. »

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NOTES

1. Ne sont cités ici que les articles et ouvrages essentiels. Sauf indication, le lieu d’édition est Paris.

2. Ne sont cités ici que les ouvrages et articles essentiels. Les autres références sont données en notes.

Sauf indication, le lieu d’édition est Paris.

284

Page 287: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Index des noms de personnes et desociétés

Aitken & Steel 173

Albertas (marquis d’) 65

Alexander frères 113, 118, 127, 145, 160, 230, 261

Allaire 227

Allen 56

Allest (d’) 332

André & Abeille 91, 177

André 336

Andriel P. 56

Ansaldo & cie 137, 166, 289, 337

Ansaldo G. 289

Arago F. 108, 114, 228, 286

Argout (comte d’) 196

Armand A. 214, 221, 223, 251-254

Armand P.-C. 45, 49

Arnal (abbé S. d’) 48-49

Arnaud & Touache frères 268, 279

Arnaud L. 268, 280

Arnavon H. 318

Arnier L. 234

Auban & Bazin 215

Auban B. 215

Aune C. 132, 191

Aynard frères 54, 90

Azémar P. 104, 125-126, 140, 214

285

Page 288: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Azienda delle strate ferrate 99

Bailleux J. 233

Balleydier frères 127

Banque de France 136

Banque de Marseille 136, 218, 241

Baptiste J. 125, 130

Barcelonesa (La) 107, 112

Barlatier frères 45, 49

Barles & Ignac 309

Barnes & Miller 58

Barnes (?) 58

Barnes J. 113, 115-117, 119-120, 154-157, 203, 220, 225, 275-278, 284, 330

Barnes T. 115

Barré frères 52

Barré L. 242

Barthélémy 104

Barthélémy frères 125

Bartle 113

Bastiat F. 200

Baudoin & Baptiste 129

Baudoin P.-J. 70, 104, 123, 125, 130, 138, 140, 175

Bazin & Gay 267-268

Bazin C. et A. 58, 90-91, 133, 162, 215, 267, 284

Beausobre G.-E. (de) 285

Béhic A. 220, 222-223, 286

Bélidor 108

Bell H. 116

Belleville & cie 320

Benech frères 53, 125, 145

Benet & cie 134, 136, 154, 218-219

Benet A. 130, 134

Benet fils de Xavier & cie 175, 214

Benet L. (petit-fils) 306

Benet L. 90, 104, 109-110, 120, 123-126, 130, 132-136, 138, 140, 147, 151-156, 158-159,

161-166, 168-169, 174-182, 184-187, 189, 194, 199, 201, 203, 205-206, 215-221, 228, 232, 255,

257, 266, 275-276, 278, 280, 283, 286, 306

Benet T. 130, 134

Benoît 125

Bernard 48

Berteaut S. 181

286

Page 289: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Bessemer H. 264, 313

Béthancourt A. (de) 39, 50-51

Biver E. 304, 321

Bizard & Labarre 237

Bizard F. 273

Blanc & Blain 241

Blanc J.-B. 65, 169

Bofill, Martorell y Cia 288

Bonaplata J. 52, 98

Bonaplata y Corriol S. 107

Bonard 179

Bonniot L. 125

Bordege H. 39

Borgnis C. (de) 108

Boulton & Watt 51, 57, 188

Boulton M. 115

Bourdillat & cie 245

Bourdon F. 157, 227-228, 278-281, 284, 286, 330, 331

Boutterilain 252-253

Brémond & Sagnes 246

Brin B. 327

Briqueler J. 104, 126, 191, 242, 244, 262, 311

British Iron Company 115, 119

Brochier 320

Brombini C. 289

Brun 1. & cie 192, 301

Brunei I. 114, 275

Brunei M. 114

Buddicom W. 185

Bury E. 154, 178

Cabanis & Salles 141

Cabanis J.-F. 125, 167-169, 202

Cabannes & Dreysset 234

Cabella G. M. 190

Caillol L. 309

Caird J. 279, 285

Calla E. 163, 181

Capel 104, 125

Capoduro E. 234

Carie A. 125

287

Page 290: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Cartairade & cie 91

Cartier 74

Cas cadet 125

Cavallier fils & Guieu 129-130

Cavallier fils 131, 170, 176

Cavallier L. 63

Cavé F. 178, 185

Cavour C. 289

Chambort 139

Chambovet E. 103-104, 123, 125, 130, 145, 150, 174-175, 187-188, 232

Chambovet fils 108

Chamsky & cie 242

Chancel frères 91

Chantiers et ateliers marseillais 272

Chaptal J.-A. 34

Chaumelin M. 224

Chevalier M. 35

Chiousse A. 234

Church E. 58, 120, 152, 157

Cie Bazin 55, 284, 335

Cie de navigation mixte 268, 280

Cie de navigation sur le Rhône 58

Cie de Rassuen 49, 74

Cie des bateaux à vapeur du Levant 91

Cie des bateaux à vapeur Sardes 189

Cie des chargeurs Réunis 335

Cie des chemins de fer de la Méditerranée 263

Cie des chemins de fer du Gard 180

Cie des chemins de fer du Nord 185

Cie des Deux-Siciles 189

Cie des docks et entrepôts de Marseille 306

Cie des minerais de fer magnétique de Moka-El-Hadid 313

Cie des moulins à vapeur de Nîmes 48

Cie des usines métallurgiques réunies 242

Cie du chemin de fer Alais-Beaucaire 134

Cie du chemin de fer de Marseille à Avignon 135, 162-164, 168, 180-181, 216-217

Cie du chemin de fer PLM 314

Cie du Midi 104

Cie Florio 287

Cie Fraissinet 268, 273-274, 279, 284

288

Page 291: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Cie Gay L. 279

Cie générale de navigation à hélice 267

Cie générale transatlantique 335

Cie Gérard 89

Cie marseillaise de la Méditerranée pour la navigation à vapeur 90, 117, 133, 152

Cie marseillaise de navigation à vapeur 268

Cie Paquet 268, 335

Cie Rubattino 189, 286

Cie russe de navigation 287

Cie Thérond 91

Cie universelle du canal de Suez 335

Cie Valéry 268, 275, 284

Cia Catalana de Navegacion 53

Cia de Navegacion del Guadalquivir 55-57

Cia del Ferrocarril Zaragoza-Barcelona 99

Clapier A. 90, 223

Clark 154

Clavel J.-J. 124-125

Cobden R. 200

Cochran J. W. 280

Coince 262-263

Colombet & Merle 320

Conte P. 36, 48-49, 64-65, 67

Conti G. (abbé) 50

Coudert V. 233, 320

Courtois & Denegon 330

Crampton T. R. 164

Crawford 168

Crédit foncier de Paris 223

Crédit lyonnais 223

Crispi F. 327

Cucurny oncle & cie 241

Danré G. 104, 125, 130, 141, 169, 175

Darcy 264

Davillier 93

Decazes E. 32

Decker frères 127, 145

Degrand E. 31, 37, 47, 69, 74-75

Delacoste C-A. 35

Delacour V. 225-226, 278

289

Page 292: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Deluy F. 125, 175

Deluy frères 246

Demange D. 123, 125-126, 130-131, 145, 174, 184, 188, 232

Denegon F. 70, 104

Derosnes, Cail & cie 216

Dervieu E. 335

Droust de la Gironière 167

Du Tremblay P. 280

Duclos E. 235, 274, 330, 335

Dupasquier 85

Duphot 70, 138, 140

Dupuy de Lôme S. 155-156, 221, 269, 278, 281, 286-287

Durbec 309

Dussard (ou dussart) A. 124, 131, 168-169, 176, 184, 202, 207, 257

Duterreault C. 64

Edwards C. 75

Edwards H. 173

Elder J. 281

Elorza F. (de) 71

Emiles & cie 243

Empresa del Ferrocarril de Tardienta 99

Escalle 246

Escoffier 125, 257

Esparó V. 107, 159

Euripide 160

Evans C. et H. 58, 116, 152-154

Fabre A. 35

Falguière & cie 272

Falguière J.-B. 103-106, 123, 126, 130, 139-140, 144-146, 149-151, 170, 174-175, 185, 187, 232,

235, 257, 272-273

Falque frères 133

Famin R. 264

Farcot J.-J. 332

Fauveau 178

Fawcett 194, 203

Ferdinand Ier 56

Ferreol & Clavel 129-130, 141

Ferreol A. 104, 124-125

Ferreria Catalana 261

Ferrier A. & cie 55

290

Page 293: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Figueroa & cie 136, 191, 239

Figueroa I. 242, 246, 248, 297, 301

Figueroa L. 28, 191, 214, 236, 239-242, 245, 297

Finaud G. 123-124, 130-131, 145, 149

Flachat E. 228

Flavard E. 238

Fonderies de la Méditerranée 306, 309

Font, Alexander y Cia 261

Fouilloux aîné 64

Fournel & Liautaud 126, 130

Fournel N. 125

Fourneyron B. 86

Fox 135

Fraissinet & cie 267

Fraissinet (maison) 91

Fraissinet A. 329, 331-332 335, 337

Fraissinet J. 133-134

Fraissinet L. 329, 331-332, 335, 337

Fraissinet M. 93, 267, 298, 304

Fraissinet (maison) 267

Fraissinet M. père & fils 267

Frèrejean 71

Frèrejean L. 119

Frisch T. 244

Fundició Primitiva Valenciana 165

Funel & Gouirand 233

Gachet & Capitan 234

Ganz 321

Gaudillot 252

Gauthier J.-B. 103-104, 125-126, 140

Gautier (?) 241

Gay L. 267, 284

Gay-Lussac L.-J. 114, 178

Gède frères 31, 46

Gerbaldi B. 233

Germain 223, 264

Gerona frères 261

Girard (?) 234

Girard C. 73

Girard D. 148

291

Page 294: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Girard F. 73-74

Girard frères 31, 46, 73

Girard P. 73-75

Girô J. 71, 260

Girod J. 169

Giroud 126

Glower C 320

Gossiaux L.-J. 321

Gourde & Bezer 322

Grand M. 74

Grandval J. 83

Granier & Dussard 130

Granier B. 104, 124, 131, 168-169, 176, 184, 202, 207, 235, 257, 273

Gregg & Hodson 56

Gritty J.-B. 125, 141

Grognet Veuve 257

Guëll J. 107

Guerreo 191

Guerrero & cie 239

Guilhem 248, 297

Guilhem, Mariand & cie 297

Guinier & cie 234

Guppy & Pattison 165

Guppy T. 118

Halette A. 185

Hamond C. 116-117, 152

Harry J. 125

Harvey 155

Hawthorn & cie 320

Heredia M. A. 71, 116, 119, 239, 260

Hermann La Chapelle 320

Herreria del Remedio 261

Hesse E. 214, 227, 233

Hick B. 119

Hispano Inglesa 288

Horseley Iron Works 115

Howard 31

Hubert J. et L. 112

Humbolt W. 114, 228

Hume 116

292

Page 295: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Imasse 309

Imbert & cie 320

Imbert 125

Ismaïl Pacha 336

Istituto Meccanico del Belvedere 127

Jacquinot & cie 242

Jacquinot F. 223, 242

Jeffery G. 307, 309

Jeffery James 116, 125, 130, 225, 257

Jeffery John 116, 125, 130, 257

Jobart 181

Joinville prince (de) 156

Jordan 225, 264, 311-312

Julliany J. 35, 69, 90, 107, 200

Kenny F. 116

Kent 113, 145

Klein, Schanzin & Becker 320

Kœchlin & cie 216

Kœchlin A. 181, 185, 216

Kœnig Bey 336

Kramer frères 40

Labarre P. 273

Ladite 69

Lagrafel 332

Lajarije & Legros 129-130, 241

Lakeman C. 147

Lambertenghi (comte) 40, 50

Lantelme aîné & cie 241

Laugier & Gardon 126, 130

Laugier J.-B. 233

Laugier M. 243

Lauront & cie 241

Laveyssière 300

Lavigne 125

Le Châtelier L. 163-164

Leblanc N. 30

Lecointre 226, 280, 331

Legendre 155

Lejeune & Menard frères 322

Lejeune F. 125-126, 233, 256

293

Page 296: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Lenoir J.-F. 74

Liautaud C. 125

Lindsay 282

Lombard 157, 221

Long H. 126

Longperrier (de) 246

Longuelanne L. 104, 123, 125-126, 130, 140, 145, 149

Loubon J. 41

Luce fils 301

Luce J. 90, 93, 133-134, 162, 177, 189, 200

Mac Dowall J. 113, 145, 160, 190

Mac Intosh 119

Mac Nabb 284

Macadam J. 114

Malenchini 241

Mannequin 320

Maquinista Terrestre y Marítima (La) 99, 107, 112, 127, 165, 230, 261, 288-289, 338

Marcel 126

Marchai père & fils 309

Marcuard 222, 336

Margalhan F. 257

Margela J.-B. 74

Marliani E. 52, 105-106, 120, 132-133, 146

Marquisan H. 311

Marrel frères 223, 254-257, 306-307

Martin 49, 173

Martin V. 125

Martineau J. 114, 119

Martiny père et fils 104, 133

Masse L. 52

Masson & Husson 234

Mathieu 152, 157, 177

Maudslay H. 73, 114

Maudsley & Field 179

Maurel T. 125, 131, 246, 307

Mazeline F. 281

Meccanico (II) 111, 137, 159, 165, 222, 289

Mechwaert A. 321

Méjean P. 147

Ménard & Liancourt 175

294

Page 297: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Messageries nationales, impériales et maritimes 219-222, 226, 235, 254, 256, 267-269, 273,

277-278, 283-284, 286, 324, 328, 335

Meynier 241

Michel J. 251

Mille & cie 132

Mille N. 167

Miller & Ravenhill 152, 178, 203

Miller J. 115, 120

Mirès & cie 262

Mirès J. 223-224, 263, 311

Monnin-Jappy 223, 242

Montagne J. 307, 309

Montgeny 108

Montgrand (marquis de) 36

Moreau 241

Morris 113

Mouren F. 234

Mouren J. 126, 140

Mourié & cie 194

Moysan 300

Murphy C. 113

Mylius E. 40

Nam aîné & cie 258-259

Nasmyth J. 135

Nel T. 125

Newcomen T. 49

Nielson J. 119

Nile Navigation Company 336

Nillus C. 276

Normand A. 115, 275-276

Normand B. 281

Nuevo Vulcano (El) 52, 107, 127, 144-145, 151, 153, 159, 261

Officina della Ferrovia Bayard 165

Olive L. 125

Olivieri 242

Ollivier E. 214

Orlando frères 106, 159, 337

Orlando L. 159

Orozco R. y Cía 261

Orsel 331, 333

295

Page 298: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Paccheti a Vapore delle Due Sicile 56, 89

Paget & Lagier 322

Paillasson L. 32, 49, 52

Parkin 155

Passy H. 196

Pattinson 239-240, 301

Pattison J. 113, 118, 165

Péclet 37

Périer frères 51, 120

Périer T. 91, 162, 177, 267

Périer, Edwards, Chaper & cie 161

Perrenod L. 107, 127

Perrin frères 307, 309

Peyruc cousins 76, 136, 156, 169, 174, 187, 218

Peyruc P. 104

Pietrarsa (ateliers de) 111, 118, 165, 289

Pissarello & Musse 320

Plantin 54

Poncelet J.-V. 108

Porro I. 86

Porte L. 125

Portilla Hermanos & White 288

Poynot A. & cie 233, 320

Pradau V. 234

Prandi F. 111, 136-137, 222, 289

Prudhon J. 235, 273

Puget M. 234

Puy frères 70, 104, 123, 125, 131, 141, 169, 175, 185, 188, 257

Puy M. 307, 309

Querel 125

Ramon J. 51

Reboul 125

Régis frères 83

Reinaud C. 243

Revenaz L. 221-222

Reybaud frères 31, 75, 83

Reybaud L. 139, 200

Ricard J. 162

Ricardo D. 114

Riddings H. 307, 309

296

Page 299: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Riddings J. 116, 124-125, 130, 141, 168, 176, 202, 225, 257

Risbec P. 331-332

Rivière de la Souchère 259

Robe J.-B. 65

Robert 125

Robertson T. 113, 165

Robinson G. 118

Roger 259

Roque S. 234

Rostand Albert 91, 219-220, 267

Rostand Alexis 32, 90

Rotschild (maison) 93-94, 162, 187, 216

Rotschild J. (de) 120, 135, 180, 216

Roujon L. 91

Roussel 320

Roux de Fraissinet & cie 93, 136, 162, 218, 241

Roux H. 192, 243, 299, 301

Roux J. 93, 133-135, 162, 177, 187, 218

Rozan G. & Luce fils 241, 301

Rozan G. 241, 300-301

Rozan L. 288

Russel 252

Sabatier 125

Saïd Pacha 336

Saint-Cricq 54

Saint-Joannis 104, 125-126, 140, 169, 175

Salaverria 261

Salavy 54

Salles 125, 168-169, 202

Sangnier L. 120, 163-164

Santpons F. 39, 51-52

Sauvage F. 115, 276

Say A. S. 280

Say J.-B. 114

Schneider 109-1 10, 134-135, 157, 161, 178, 180, 185, 203, 214, 216, 226-228, 278, 308

Schnell, Frisch & cie 242

Schumacher, Funel & cie 322

Seguin M. 114, 161, 252

Segur frères & L. Roujon 91

Sénèque J. 243

297

Page 300: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Sharp & Roberts 135

Sicard, Benucci e Pizzardi 56

Simonin L. 244

Simons E. 219-222

Simons, Revenaz, Béhic & cie 221

Siran 125

Smith 57, 113, 160, 165

Smith J. 113

Società Sarda 56

Société (ou compagnie) hellénique de navigation à vapeur 112, 160

Société des forges et chantiers de la Méditerranée 19, 133, 221-222, 226, 228, 233, 235,

253-254, 256, 258, 273, 277-282, 284-288, 307-308, 322, 325, 328-329, 331, 333-338

Société anonyme de l’éclairage au gaz et des hauts fourneaux de Marseille et des mines de

Portes et Sénéchas 263-264, 311

Société française des mines du Laurium 299

Société générale de transports maritimes à vapeur 268, 284

Société marseillaise de crédit 306

Société méditerranéo-transatlantique 91

Sorel 168, 201

Soresina (prince) 40

Soudry R. 251

Stapfer & Duclos 322, 331-332, 336-337

Stapfer D. 225, 330-332

Stephenson G. 114

Stephenson R. 116, 118, 120, 135, 161-165, 180-181, 189, 216

Talabot frères 162

Talabot P. 93-94, 97, 120, 135, 162, 180

Tardy & Benech 261

Taylor & cie 221

Taylor & Prandi 99, 127

Taylor E. 116

Taylor J. 114, 133, 149

Taylor Philip 31, 99, 110-114, 116-117, 119-121, 124, 126, 130, 132-133, 141, 145, 148-149,

157-159, 164-165, 168, 174, 177-179, 182-183, 187-190, 194, 199-200, 202, 206, 214-215,

221-222, 225, 228, 251-254, 266, 280, 284-287, 289

Taylor R. 116, 215

Thames Tunnel Company 114

Thiebault 307

Thiers A. 108

Thomas J. 35

298

Page 301: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

Thomas-Payen E. 301

Thompson 284

Tompazis G. 153

Touache & cie 284

Touache frères 280

Tous y Mirapeix N. 112

Tous y Soler N. 107

Tregold T. 108

Truphême F. 126

Unsworth H. 116, 214, 257

Urre (Baron d’) 36-37

Vaïsse V. 306

Valéry 275

Vassiliadis G. 127, 137, 145, 190

Vathaire (de) 225, 265

Vautier 264

Vence J. 152, 284

Vésigné O. 226, 331-332

Veterano Cabeza de Hierro (El) 170

Vial 70, 140

Vial fils 125

Vial frères 125

Vickers T. 113

Vieta J. 159

Villeneuve H. (de) 38, 70, 106, 193

Villeneuve-Bargemont (comte C. de) 32, 35-37, 46, 64, 73, 75, 78

Viollier 32

Voulland L. 259

Voulland père & cie 259

Voulland, Roger & cie 259, 261

Walker & Hume 214, 232

Walker 116, 225

Walker P. 116, 125-126

Warrain & Decugis 241

Watt J. 50-51, 81, 115, 146, 277

Wauton 225

West 116

Westermann frères 113, 127

Wetherell J. 52, 118

Wetherell N. 51, 55, 118

299

Page 302: Marseille, ville des métaux et de la vapeur au XIXe …...Marseille (1830-1897) » dans Études sur Marseille et la Provence, XIXe congrès des sociétés de géographie (Marseille,

White J. 113, 145, 160

Widmann E. 331

Wilkinson J. 51, 168

Williams T. 113, 241

Woolf A. 73, 147

Zappa E. 41

Zino & Henry 145

300