marie-pascale jégou - les dits de l’ensoleillée vive
DESCRIPTION
"Sa poésie, comme celle de Jean de la Croix, est un épithalame évangélique." (Préface de Gilles Baudry) Originaire de Basse Bretagne, dans les Côtes d’Armor, et petite fille du barde Césaire le Coënt, Mab Loïz — sœur Marie-Pascale Jégou — est diplômée de Lettres Modernes. Elle vit à Pont-Saint-Esprit, « Porte d’or de la Provence », au sein de la Communauté des Béatitudes, où elle pratique l’iconographie et exerce un rôle d’écoute spirituelle.TRANSCRIPT
Marie-Pascale Jégou
Les dits de l’ensoleillée vive
Amis de Hors Jeu ÉditionsÉditions L’Écritoire
1999
Marie-Pascale Jégou
Les dits de l’ensoleillée vive
Amis de Hors Jeu ÉditionsÉditions L’Écritoire
1999
Les dits de l’ensoleillée vive
Tous droits réservés :par Marie-Pascale Jégou pour les textes,
par Gilles Baudry pour la postface,et par les éditeurs pour la présente édition.
© Marie-Pascale Jégou, 1999
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Marie-Pascale Jégou
Table
En prémices de joie je voudrais t’apporter...............................7N’éveillez pas mon amour avant l’heure...................................8Cœur qui ne se peut contenir......................................................9Ô douceur me vient de la lumière............................................10Je ne veux plus aller ailleurs.......................................................13Soleil ! Soleil de ma vie !.............................................................14Mon tapis de noces roulé derrière l’armoire...........................16Ces simples choses......................................................................18Herbe aux corneilles stellaires silènes penchées.....................19Je te bénis pour nos enfances rieuses.......................................21Tu savais tout...............................................................................23Père a posé son chevreau sur la paille......................................25Je me recueille dans le silence de ma racine............................27Anges de Dieu..............................................................................28Tu as mis la triple barrière..........................................................29Toi que si loin j’entrevois...........................................................31
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Les dits de l’ensoleillée vive
J’étais ce grand roi désabusé......................................................33Le temps de l’embâcle est venu................................................34Paix à vous cris des ventres ouverts.........................................35Ô vivants qui versez votre sang................................................37Le bois sec je l’aime.....................................................................39Une petite fille revenue de la mort...........................................41Voir par les yeux des bêtes et des anges..................................43Mains de mon Père......................................................................45Zébrure d’or dans le néant.........................................................47Où êtes-vous mes trois Soleils..................................................50Le chant s’est ouvert...................................................................51Feu d’amour..................................................................................52Quelqu’un danse..........................................................................54Humble est le poète....................................................................55Oh ! la magie des arbres qui vont.............................................56Écrirai-je pour mon pays le lamento........................................58Nous parlerons de nos enfances...............................................65Où trouverai-je la joie pour cimenter mon corps..................67Il ne sera pas dit qu’à terre je resterai collée...........................69La fiancée chante la vie...............................................................70Nos jeux d’enfants épiaient aux formes des nuages..............72Ô Cœur comment parler de toi.................................................73À force d’avoir suivi les pas des chevaux................................75Je veux pour te chanter des mots d’arêtes vives....................77
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Marie-Pascale Jégou
Mère des hommes.......................................................................80Elle vient la fiancée de lin..........................................................82Tu priais.........................................................................................84Le Souffle frais qui tourne et se balance et vire.....................85Des cœurs donnés prière sort....................................................87Un soleil mort au fond du cœur j’attendais............................88Ô toi pleurant dans ma chair.....................................................90Ne pleure pas les jours n’ont pas changé................................92Combien de lunaisons faudra-t-il..............................................94Les murs de nos vies étaient-ils mitoyens...............................96Postface........................................................................99Du même auteur.........................................................101
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Les dits de l’ensoleillée vive
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En prémices de joie je voudrais t’apporterdes brassées de froment et des jonchées d’oiseauxdans l’herbe des collinesdes rires dans les arbreset des couloirs d’eau de mon enfancedes prairies de soleil des profondeurs de calmeet des parfumsÔ des parfums
À l’aube des rencontres je veux quérir pour toiles brumes tièdes et le rythme du ventdes cieux lavés emplis d’envols de grivesde rutilants fossés des myrtilles des prêlesde la houlque laineusedes écorces fleurieset des chantsÔ des chants
Un vent gonfle les jours
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Marie-Pascale Jégou
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N’éveillez pas mon amour avant l’heureje saurai bien attendre un peuà pas de loup je vaquerai en la demeuremettrai la table ferai le feu et broderai la nappe à jour
Il a fauché le bléles barbes des épis à ses cheveux sont emmêléesn’éveillez pas mon roi sur son lit de fromentje saurai bien attendre encore un peu de temps
J’ai à faire de la cave au grenierbrebis malade à bercerbarrière du pré qui ne fermeAh ! ne vous hâtez pointempressées mes mains cueillant les roses au muret rajustez la longe des bœufs rouxbrûlantesqu’avez-vous ? paix je vous priequi versez le lait dans la bergerie
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Cœur qui ne se peut contenirpauvre cheval emballévaisseau sur la mer en déliremilliard de roses empourpréesque n’allez-vous boire à la source
glacée
J’y vais ! j’y cours ! mais s’il allait se réveillerpour peu que je m’encoure au prétrouver la table misedéserte la demeure je viens j’arrive je suis làÔ mes jambes de laine ne me trahissez pasJe sais que mon soleil sur sa couche de bléentrouvre ses yeux purs
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Marie-Pascale Jégou
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Ô douceur me vient de la lumièreje voudrais la crier dans les rues
Mais passants je suis folleallez votre cheminne suis qu’une femme en liesse
Les choses sont trop bellestrop plein de nos enfances le chant fou des grillonstrop lourd le poids de gloire qui pèse dans mon corps
Ne me regardez plusNe suis qu’une femmedont le sein trop menu renferme un océan
S’il tangue mon espritvous qui ne le supportezentourez d’un treillis la trop soûle espérance
qui me force à danser
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Les dits de l’ensoleillée vive
Trouvez-moi la collineoù je puisse crier le nom que prend l’amourquand il touche l’aimée
Des forêts s’ajoutent aux forêtsl’incendie va tout prendrepassants qui le savezcreusez pour mon salut des feux de reculée
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Marie-Pascale Jégou
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Mariée d’amour à dix-sept ans, mariée si jeune, on escalade toutes les collines quand se profile le Corps de Dieu.
Quelqu’un appelle, sans mot, le martyre à petit feu, la configuration. On n’a pas peur. Les marches dures ont leurs heures de paix.
Le moindre bleuet crie. Un arbre, une herbe roussie, n’importe quoi vous brûle. Le feu dans votre cœur de mariée.
Le Visage ne vous attend pas aux prochaines étapes. Il est en vous ! Sinon, d’où la brûlure et comment l’expliquer ?
En vous. Une masse de feu.
La balance des jours pèse si lourd d’un coup, sac de froment contre vos flancs.
Qui peut savoir pourquoi vous hurleriez d’amour au moindre oiseau qui passe au carré des fenêtres ?
Viennent l’amour du Roi, la touche ardente de ses doigts sur la lyre.
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Je ne veux plus aller ailleurs.Je vous en prie, n’essayez plus pour calmer ma douleur,les multiples remèdes des hommes.Laissez-moi revoir mon Roi.
J’ai écrit ces mots et l’oiseau rouge bouge en moi,s’enfuit par la lucarne de l’aurore.À le regarder voler si haut dans un brasillement de jade et
d’émeraude, mon cœur se serre.
Ne savez-vous pas que les enfants marchent dans le joursans regarder en arrière ?Un cheval a sauté les barrières au milieu pur de leur âme
bleue.Je veux avoir un cœur d’enfant.
Marcher tout droit vers la colline, faire le tour du jardin. Laissez-moi sortir.
Que je revoie l’irrépressible douceur, le feu long, le feu brûlant, le feu adorable plein de désir de mon Amant du ciel !
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Marie-Pascale Jégou
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Soleil ! Soleil de ma vie !Un instant dans mes doigts s’arrête le fil d’or. Le tremble du
jardin a frôlé ma fenêtre. La terre ramoitie s’abreuve de silence.
Mais c’est l’ombre de toi…
Je ferme les yeux. Un grillon me fait signe. Un feu de salve danse quelque part dans une allée perdue. L’orgie des cloches déferle.
Mais c’est l’ombre de toi…
Je vais par les treillis en quête d’innocence, te croyant disparu à jamais de chez moi. De ramée en écorce, d’écorce en bouton d’or, l’engoulevent des livres, jamais encore connu — feuille morte, feuille vive — aujourd’hui je l’ai vu.
Mais c’est l’ombre de toi…
Traversée d’espérance je caresse les arbres, l’osier rouge, les saules et le noyer cendré. Je cours dans la combe, les grèbes battent l’eau — du foin vasé partout — je veux
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Les dits de l’ensoleillée vive
rencontrer mon roitelet d’épines, qui dans mes noirs déserts chaque fois me revient.
Mais c’est l’ombre de toi…
À peine au soir levée la lune rousse, immense, s’est toute déformée. L’ocre de sa splendeur a plu sur notre avril, brésillant la ténèbre et mes frères ont souri. Ô ténèbres de feu !
Mais c’est l’ombre de toi…
Ô rentre donc mon âme. Prends un livre, bavarde, endors-toi un instant ! Mais en vain sous les yeux courent et courent les mots, en vain le livre ouvert. Un torrent d’eau fluviale a glissé jusqu’au fond et m’étreint le désir. En Toi je suis tombée comme une pierre sourde.
Mais c’est l’ombre de toi…
J’ai parlé tout hier et parlaient les visages, du soleil sur les mains. Rengendré, brusquement, ton sourire-étincelle m’a transpercé le sein et se figent les lèvres. Mais dors un seul instant ! Je vais dormir. Les mailles du sommeil elles-mêmes s’effilochent. Quelque chose déjà au-dedans à bougé. Tu m’appelles de nuit. Tes yeux je les désire.
Mais c’est l’ombre de toi…
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Marie-Pascale Jégou
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Mon tapis de noces roulé derrière l’armoireétendez-le dans le couloir
l’Amour arrive !
Ma jupe de soie blanche, le corsage fleurimettez-les sur le lit
que je sois belle !et cueillez pour mes cheveux de jais
l’iris et le lilas !
Mon roi de pourpre se cachaitquand la douleur était muettemais puisqu’il dit venir et m’envoie pour hérautsalentour des collines ceinturées d’or
les nuagesapaisez mon cœur qu’il ne meure !
L’automne dernier déjà s’est embrasél’orfèvre a brûlé sa boutique d’herbes
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Les dits de l’ensoleillée vive
et semé en pépites les feuillesOh ! l’hiver est là le temps me dureSerais-je encore à mi-chemin de son Visage pur ?
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Marie-Pascale Jégou
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Ces simples chosesnous les aurons aimées
un rien de vent dans l’âmequelque bois mort
et ces matinsces matins de brume ô mon amour
des moissons dans les brasdes parfums de bruyère au cœur
et la touffeur d’été qui vous prend à la gorge
Ces simples chosesnous les aurons aimées
dans notre cœur immenseque ronge la musique
où se forent un passageles anciennes tendresses
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Herbe aux corneilles stellaires silènes penchéesfleurs de coucou airelles myrtillesbruyère cendrée je vous retrouve !Arabeltes hérissées orpin âcre-misèrepâquerettes vivaces mes amours !Attendez que je vienne piloselles épervièrescentaurées tête-de-moineauvéroniques mes sœursMes sœurs je vous révèresorties des Mains du Roi de gloireLui mon armurequi muselle les bêtes de la nuitet largue les coursiers de la tristesseJ’iraiJ’irai où veut mon Roi que j’ailledût-il me voir perclusemarcher sur mes genoux usésMes sœurschèvrefeuille roses pures
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Marie-Pascale Jégou
calices emplis de riresdans mes mains vous êtesune lettre d’amourémerveillée
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Voici que je dispose ma lyreComme une échelle à poules contre le ciel.
René-Guy Cadou
Je te bénis pour nos enfances rieusesimbibées d’herbes et de ventpour avoir sur nos bras posédes javelles d’orge et de foin
glissé dans la nuit tant d’étoilesà l’épure des cieux
quand à l’écurie nos chevauxtracassaient leurs chaînes en dormant
Je te bénis Douceur secrètepour nos gelinottes traquéesjamais saisies toujours rêvéesaux rives glissantes des prés
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Marie-Pascale Jégou
Je te bénis Présence ardentepour ces premiers pas dans la viesautant à pieds joints les ruisseaux
et les couleuvres endormiesparmi les joncs
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Les dits de l’ensoleillée vive
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À mon grand-pèreMa Zad Koz
Tu savais toutla renoncule-flammel’âcre et la scélérateet celle aussi des boisTu savais l’églantierles colchiques et les sorbes
Tu couraisdes grillons des mantes dans les mainsquelquefois des orvetsdans la petite poche sous le cœur
Tu rencontrais des lièvres dans les ajoncsbâtardsnous revenais mouilléracontant des tourbières et des veaux
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Marie-Pascale Jégou
engloutisLa renarde avait mis bas le soiril n’en fallait rien dire au fusilde ton père
À l’aube tu fuyais pour dépister les sourcesles ondes te montaient jusqu’aux yeuxplus tard tu sauras la magie des motstu écriras des livres
La terreterre-mère communiait à l’enfant
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Père a posé son chevreau sur la paillesorti de sa violente amouret le regarde infinimentson grand regardqui tout comprendet longuement pourtant s’étonnede si vulnérable splendeur
Venu de Luiqui palpitece ventre doux qui renfleet bat ce flanc
D’où vient que vous êtes mon amourlà que j’avais dans mon ventre caché
dans le haut cielet qui flambiez
sous l’averse innombrable
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Marie-Pascale Jégou
D’où vos yeux fermésqui êtes ma lumière
et cette bouche close ô mon Verbe violentqui sur ma bouche
étiez
Mon Fils est-il permis qu’un Dieu verse des larmesà contempler vos mains qui dormez sur la paille
de moi non détachéfruit battant dans mon arbre
comme brûle un saphirNoël
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Je me recueille dans le silence de ma racineun chantmonte de l’Arbre intérieur
Baigné de lune et d’aromatesle cantique d’un oiseau libéréla houle des feuillages
qui respirent
La brûlure atteint l’aubier
la Vie coulevermeille
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Marie-Pascale Jégou
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Anges de Dieuregardez-la celle-là celle-là la petitequi allait par tous les temps, aimée des guêpes et des
cloportescétoines et fourmis à grosse tête noireLe cœur en prière pour tous et qui pleurait de joie la nuitdes heures à cause du Visagequand glisse le ciel mauvesur la forêt
Celle-là la meurtriequi buvait à sa Coupe à Gethsémanimais connaît son Retour dans sa blanche tunique
Silencenul n’entend ses Pieds quand dormentles œillets en jauge et les reines des prés
Que croyez-vous qu’il lui fera à la petitemalgré tous ses péchés ?
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Tu as mis la triple barrièreremblayé le talusbarricadé la brèche
Au diable vauvert ne m’en serais-je allée
Tu m’as serrée dedans l’épineplanté l’écharde au plus profond
violenté l’âme gyrovagueNe dis pas non
C’était Ta main
Blessémon cœur allait à la dérivetu m’as donné la fièvre quarte
Ne dis pas nonC’était Ta main
Oh d’huile vierge parfuméeelle a si doucement pansé
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Marie-Pascale Jégou
l’amère blessuredu plus haut mal j’ai réchappé
Ne dis pas nonC’était Ta main
Bénie la main, jalouse mainqui radoube en secret les vaisseaux
en péril
Bénie la mainquand racornis ragués blessésau large noir ils vont mourir
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Les dits de l’ensoleillée vive
*
Toi que si loin j’entrevoisen solitude ombréedu taillis fou de mon paysToi que si loin j’entrevois
en solitude
Toi que si tôt je vois partiravant que d’avoir enlevé
l’obier la rose et le lilasnoué la gerbe sur tes brastoi que si tôt je vois partir
en solitude
Toi que je n’aurai plus jamaispour traverser l’ombre apeuréedans le prétoi que jamais je n’aurai plus
qu’en solitude
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Marie-Pascale Jégou
Ne me demandez pas pourquoiles jours sont gris dans mon paysla source enclose dans le noiret la musique au bord du puits
en solitude
Ne me demandez pas pourquoile jour où fleurit l’osier rougel’eau jaillira jusqu’au soleilà l’heure pourpre du retourpour avoir si longtemps crié
en solitude
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Les dits de l’ensoleillée vive
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J’étais ce grand roi désabuséqui ne voyait même plus le soleil s’enchevêtrer
autour des branchesLumière toujours morne inchangéeje regardais par la fenêtrede quoi avais-je faimdans ma loque de viele luthier du village était mortl’étoile filante aussi
Un jour tu vins par miraclesur le tardj’allais barricader la portemoucher la flammeAlors tu écrivis mon nom sur le murSubitement un olivier naquitoù s’aimaientdes oiseaux
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Marie-Pascale Jégou
*
Le temps de l’embâcle est venuNos villes
repaires de crimesaux ventres-cimetières des millions dépecés
La fumée monte comme une orongeimmenseRacine qui explose
la terre a peurLa malebête s’enfle et la mer est pourrie
Pourtant la lumière enveloppe la terremais qui le sait ?
Ses larmes creusent des cratèresau cœur des hommes
La Beauté frappe aux fenêtresvoudrait s’inviter à la table
Les yeux ont des volets de bois
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Les dits de l’ensoleillée vive
*
Paix à vous cris des ventres ouvertspaix cris des cœurs qu’on arrache
crucifiés aux pylônesnuques éclatées à coups de pioche
Paix sur toi monde noirpaix sur toi la catholicapaix par l’anneau du retourla somptueuse venue du Bien-aimépaix par ses mains percées
la mort de l’Innocent
Quand il viendralui qui s’est dressé du tombeaului la Paix la chrysostome
la perpétuellela pourvoyeuse d’espoir
Quand il viendra lui le Bénisur les nuées du ciel
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Marie-Pascale Jégou
observant l’immense carnagetrouvera-t-il encore la foi sur la terrela terre grosse de souffrance
enceinte de fiel
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Ô vivants qui versez votre sanglavant la soue du mondesous vos traits de misèreanges incandescents
Vivants sur la terre épandustorches dans la forêt de nos divisions
Vous myriades inconnuesqui dans la mort sans parole entrezvous sans pain ni selcorps pleine eucharistie
Vous innombrablesqui sautez à pieds jointsdans la fournaise d’amouret froments sous la flammeque Dieu désenfourne avec larmeset ravissement
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Marie-Pascale Jégou
Feux qui brillez dans nos steppesfils de Dieu humiliéspauvres de la terredans la gloire cachée
Sur tous les goulags du mondese lève le Soleil
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Le bois sec je l’aimeil crie ce que nous sommessans pudeuril est mon hivernale mortil crie la malemort
Endoloriil a su résisterlutter contre l’orageil finira de geindre à l’image de toicreusée de solitudepassante qui t’effraiesde l’agonie d’un arbre
L’oie sauvage viendraqui ouvrira le cielune ondée d’alouettesfondra dans la sauléeet demain
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Marie-Pascale Jégou
peut-être demainralluméela sève remuera
Du deuil de son écorcedéjà monte le chantd’une immortelle
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Je m’obstine à croireà des germinations de ciel
à des pousses de lendemain.Gilles Baudry
Une petite fille revenue de la morts’immerge dans les colzassa robe à volants gonfle
elle va portant l’odeur des grangespoussières des foins
l’odeur rebelle des laines de brebis
L’eau des sources a goût d’ambroisiela joie longtemps hivernéemet le feu à la terrel’absinthe s’évade des racines
À l’Orient se gerbent des moissonsen haute mer on ferle une voile
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Marie-Pascale Jégou
plus ne seront jamais ferrés chevaux de guerrele soleil montedans les veines du temps
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Voir par les yeux des bêtes et des angesfleurir les lilas
Voir par les yeux des arbresl’éclosion du ciel après l’orageDevenir la sourceLaver avec les mains des rivièresles péchés accumulés sans riresans hymne sans rien
Écouterécouter toutl’immense silencela musique étoile l’âme
Se ressouvenirvoilà la clefSe ressouvenir du Visagecouché derrière les blés du cœurqui attend la semaine de la moisson
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Marie-Pascale Jégou
GuetterLe toucher à l’épauleRireserrés l’un dans l’autreCourir ensembleles cheveux comme des écharpescourir courir
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Mains de mon Pèrereposez sur ma viecomme jacinthes dans un bolbruissantes colombes dans mon couà l’orée du jourme remettez deboutet me couchez le soirgrands soleils protecteurscomme un enfant je dors en me serrant le cœur
Vos mains sont douces en moi comme des oliviersvivifiantes elles vont allumant des tendressesdans ma terre geléemiraculeusesécrivent dans les arbres la courbedes annéesNul ne sait ce qu’elles font à la sève profondeaux artères soyeuses des cœurs de scarabéesTrop pleurent sans savoir
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Marie-Pascale Jégou
comme sont dans le soirvos mainsdouces à aimer, vos mains ô Père
Comme un soleil se couche aux branches d’un talusdemeurez l’incendie de nos pauvres landiers
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Zébrure d’or dans le néantDanse
Le Verbe appelle du sein du Pèresous la puissante Haleine de l’Esprit
par Lui TOUT FUT CRÉÉ
La joie tourne en tous sensdans les veines du monde
Orchestre immenseLa vie ouvre ses voiles dans la pierredans l’espace dans les fluides dimensions du tempsUne flamme emplit l’univers
La Vie brûle dans la mer dans le ventondes graines parfums fluorescentes lumières
la joie fleurit sur l’océan des moissons et des vignes
Nul n’entend comme Lui la symphonie du grain d’orge ou de blé
les mots cuivrés du raisin sur la treille
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Marie-Pascale Jégou
Nul ne voit par nuées les foules grésillantes d’insectesdans l’aurore tressaille l’épaule des chevauxpour Lui les oiseaux innombrables poudrés de pollen
pleins de trillespas un de leur duvet ne tombe qu’il ne le voie flotter
telle une soie de jonc
Il met le soleil dans les fleurssa Voix tire l’eau des collines ample rideau de perleslong cheminement vers la merLui seul sait la splendeur du feu intouchableFeu de la création feu multiforme fidèle dans ses rythmes et
sa croissancefeu dans les fruits et feu des saisons des amoursfeu tendre des parades nuptialesfeu arborescentfeu même de la mer irisée de soleil feu secret des cratères
L’oreille du Pèredans celle du Verbe entendle moindre froissis d’eaule grain de sable qui roule inaudible vers la merla coquille moirée de l’œuf qui se brisel’haleine bleue des vents et les cieux d’opaline
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Les dits de l’ensoleillée vive
la brisure secrète des chrysalidesl’appel du crocus sous la terrele remuement de l’agneau endormi
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Marie-Pascale Jégou
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Où êtes-vous mes trois Soleilsquand s’élude le jourdans mes jardins croulant de nuit
Où êtes-vous mes trois Soleilsquand mal aimé
mal feuillumal aimant
à la croisée des soirs enfant perdumon arbre crie
Arche puissantequand ne chantent plus les vergersl’âme tremblante vacherchant à travers les buissonsdans l’herbe triste fait un pasaprès l’autrepar amour des Soleils qui se cachent
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Le chant s’est ouvertDe ses mains l’ange du seuil tient béante la portePourquoi ne l’a-t-il fait plus tôt qui me suppliait d’écrireEt moi je pensais se taire est mieux que dire
Maintenant ils reviennent les mots en rafalesTant pis s’ils me soûlentÔ longanime loyal patient AmourPour toi je note au vol sur l’aire à battrecalée contre les meulesJe te guette et ne fais qu’ânonnerle jardin d’Éden se respire en silenceet tu veux que je parleCes longues longues annéesque fallait-il donc faire face à ton ostensoirquand la Flamme d’amour effilée s’étiraitm’arrachant l’âme
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Marie-Pascale Jégou
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Feu d’amourj’ai pour demeure ta voûte d’orpour morsure ton désir et pour visitation ta splendeurTu me broiesSous la herse de tes dentsnos accordailles ont goût de froment
Recouvre par pitié ma honte du pan de ton manteauHumble feu qui t’acharnes mendiant ma joiene vois-tu pas que tu me laisses défaite et hors de moi ?Vois ce qu’il reste
cet anneau à triple diamant
Je saisje sais si malade est mon cœurc’est le tien qui se briseJe sais que l’indompté en moitoi seul l’amèneras jusqu’au prosternement
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Les dits de l’ensoleillée vive
Tantôt je t’aime tantôt j’ignore où l’Amour m’a laisséeseule au bord de la route
Feu pur étreins-moidévore-moi
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Marie-Pascale Jégou
*
Quelqu’un danse
Danse large pacifiqueruisselante et rouge
Je vois Tes pieds de fouleur de raisinau pressoir de la Croixta robe écarlate retroussée
Ruissellementruissellement dans la substancede toute créaturele Corps de l’Unique est la réalité
et puits de la bonté
Ce Corps qui connut brisure et mortet fut incendié au Calvaire
peut-il ne pas brûler
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Les dits de l’ensoleillée vive
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Humble est le poètequi attend la révélation des oiseaux de mer
en plein Sahel
Fou le poètequi croit au feu dormant
dans le gel
Pur le poètequi voit Dieu jouer dans l’arbre
Libre le poètequi écoute l’Amouret bannit l’Insanedu seuil de sa maison
Doux le poètequi ne rend qu’en pervenches
le mal qu’on lui a faitn’en a plus souvenance et parle
d’un rivage
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Marie-Pascale Jégou
*
Oh ! la magie des arbres qui vontgonflés de brume
l’hiveret quand le soleil posesa tête en feu dans la haiese déshabillent de leur robe de soie
Oh ! la magie des arbres nusen leurs grands corps éparsrémiges d’oiseaux mortsque donc disent vos mains
de chorégraphesgrands signes pour nos peurs
Ô vous qui êtes pursen vos dépouillementset demeurez tendussous la voûte glacéedans l’entremêlement de vos multiples brascontre vous je m’apaise
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Les dits de l’ensoleillée vive
Sur vos troncs grèges et froidsqui contiennent vos cœurs
je pose mes lèvressur vous livres mystérieuxqui m’avez accordéde savoir les déserts
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Marie-Pascale Jégou
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Écrirai-je pour mon pays le lamentoJe veux écrire soleil dans toutes les languesje veux écrire soleil dans la langue brûlée
d’Orient et d’Afriqueà cause de la vie qui ne meurt dans mon pays de souffrance
À moi cette lampée à moi qui ne bois goutteque je me soûle de motsm’en vais faire le barde une bonne fois
toutes lanternes éteintesavec pour seul astre au plein de ma poitrine
l’amour de ma terre
Fanal sur l’océan des blésje ferai monter la morte musiquej’ouvrirai l’étable aux souvenirs
remugle de foin trop pressé
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Les dits de l’ensoleillée vive
L’homme qui vit dans l’instant sait-il la texture des chosesQui peut dire en clair qu’un pays meurtJe veux ouvrir la porte aux mystèrespeut-être le barde au seul toucher de son anneaufera-t-il tomber la porte du mystère d’ici
Ne me lasserai de marcher dans les landes d’hierpour chérir mon pays d’aujourd’huiEntre deux soleils je cours sur les collinessautant les échaliersEntre deux souffles je crie je crie
Ne meurs pas terre aimée
Et je cours jupes retrousséesLes épines me balafrent les jambes
Vieux pays vieux pays ne meurs pas
Voici mes bras levés pour la grande bénédictionsur mon pays de collines
je t’aimeJ’élève les mains pour faire lever les moissons
vers l’Amant de la terrepour faire mentir leur désespérance à tous
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Marie-Pascale Jégou
Je me sens l’âme carnassière moi qui ne tuerais mouchel’âme grièche moi qui n’appelle que douceur
quand s’étale de tous côtés la désespérance
Écoute vieux pays je lance la ligne dormante de mon criIl sortira de mon pays la résurrectiontu sortiras mon pays debouttu sortiras sur la haute merfendras les flotsde la plus lente mort tu te relèveras
Faut-il larguer les souvenirsJe les sème au champ d’étoiles filantes de septembreRegarde dans les mers de genêtsce galop de chevaux emballés
Je t’aime je sais que tu vivrasIl a tourné le ventil a tourné le tempstu voudrais que la grande horloge n’eût point sonnémais les vieux ont remisé leur jupe à perles
et leur chuppenils sont partis pour un pays plus chaud
danser le plin et le fisel
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Les dits de l’ensoleillée vive
Ça fait saigner le cœursous tous les tropiques
les vieux s’en vont qu’on a chérisavec leur vieille façon de couper le painet de raconter les histoires et de faireun signe de croix à tous les carrefours
J’ai connu les vieilles sentes en accordéonsous la valse des bêtes
me suis roulée dans les seigleset soûlée comme tous de cidre doux et de châtaignescomme tous de groseilles écrasées dans la terrine
filant le sucre et le miel roux
Jusqu’à plus faim les crêpes de blé noir et les blondesraides comme guimpes à trousjusqu’à plus soif gorgées de lait ribot
N’ai pas assez de cris pour dire merci d’être néedans l’amitié des bêtes et la chaleur des signes
pas assez pour l’odeur chauffée des greniers à fromentle tambour des rainettes dans la grande prairieles grillons blancs fantômes plein les trous
des vieilles cheminées
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Marie-Pascale Jégou
Comme tous j’ai soufflédans les vessies séchées des cochons de fermecomme tous soulevé la coiffe des saloirset tiré le cidre et tiré les vachesla tête contre leur flanc en chantant
des cantiques
Je sais mon paysj’ai hersé démarié les betteraves
et passé le rouleaucomme tous chargé les javelles sur les charset regardé mon père dans l’aire à battre
monter sa tour en or
Tout cela personne n’a besoin de me l’apprendreJe sais
C’est inscrit là dans ma chairet tu dis que ça va mourir
Le cœur circulaire des fleursne reste-t-il pas le même de siècle en siècleLe cœur des fils d’ici restera plein d’orgueilNe mettez pas vos flèches à poisondans l’âme des petits enfants à naître
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Les dits de l’ensoleillée vive
Un jour vieux paysles talus seront pleins de vipères et l’eau coulera
au ruisseau des présJe ne veux pas que tu meures
Il y aura la flûte de Pan des crapaudsla traversière des rousserollesl’effervescence des nids dans les sauleset mon père arrosera de sel les meules qui fument
Mon père rentrera les bêtesun taureau s’échapperale village battra la campagne comme naguère
Entends-tu la musique vaguer dans le noirOn verra les fleurs en fusion dans les champs
l’herbe molle se balancerle ciel s’enchevêtrer aux branches des arbresdans l’eau claire un bouleau poussera
nos cœurs battront comme tambourles chaumes écriront sur les jambes en paraphes de sangle soleil ruissellera sa poussière au long des troncs
63
Marie-Pascale Jégou
Il y aura toujoursla pluie des hannetons dans les lilas
les étourneaux graviteront autour des granges
Maintenant nos terres sont changéesdévié le cours des rivièresrasés les talus pleins de nids de vipères et d’ortiesravagées nos campagnes
sans visage ahuriesdans la nue la corneille tourne en rond
sans comprendreet meurent les violettes
Peut-être bien qu’ils ont raison de pleurercomme eux ne l’ai-je faitquand n’ai retrouvé mes talus et les pommes rambour
Ne suis que bardeet femme de surcroît dans un pays de chouansN’écrirai pas en griffures de mortDans mon cromlec’h joyeuxje parfile mon chant et tresse en joncs fleuris
des couronnes d’espoir
64
Les dits de l’ensoleillée vive
*
À Séverine, Bruno, Yann-Raphaël, Valérie,Annaïck, Rozenn, Guenhaël, Laurent,
Corentin, Lénaïg et Maël
Nous parlerons de nos enfancesdes joies profuses d’un étéd’une aube prometteuse à la porteun soleil rouge battra de l’aile dans les lauriers
Il suffira d’un talus pour que tout recommencepour que remonte des annéesdans la ramure des buisl’alouette qui s’y était prise
Un arbre s’enluminait d’un éclair de chaleur au sudon soufflait d’un souffle menules akènes des pissenlitsde très loin nous venait fendu
65
Marie-Pascale Jégou
le chant d’une écrémeusela douceur des choses n’avait pas de nom
Je sais l’endroit des souvenirsles nèfles qu’on laissait blossirnichées de chats dans l’établedix œufs de poule à l’écuriemais les roses-thé que j’aimais
les retrouverai-je
T’en souvient-il la jument grisecomme on lui baisait les naseauxlui promettant des prairiesquand tous les blés seraient coupéstu lui tressais des auvents de feuilles
sa tête encensait la colline
66
Les dits de l’ensoleillée vive
*
Où trouverai-je la joie pour cimenter mon corpssi je pleure les ruines sans bénir le roi
Comment fera-t-elle intrusion dans ma pauvre maison de guingois
sentant peur et moisi
C’est dans son cœur que la source remuedans un parfum d’irisnon dans ma citerne
pourtant la clef des vannes du grand puitsc’est moi qui la serre sous mon corsagecomme un sachet de myrrheet sa grande main chaude n’ira me la voler
À la porte il se tientderrière le treillis m’écoute son grand regard
d’émeraudeSi mes lamentations emplissent ma maisonje n’entendrai le Dieu dansant
67
Marie-Pascale Jégou
Qu’éclatent tristesse et murs de refendsimmense la joie déferleraIl me couchera au lit du Ventm’arrachant à la lise des mouvants de merà la hargne des grands limierscomme un copeau s’enlève dans la tempête
je serai soulevée
Entre dans la louange comme lotte en rivièrecomme en luzerne un lièvre fond
tombe sur le SeigneurLes héros ne vainquent pas par leur vigueurmais les enfants-poètes et les fous du roise bâtissent une demeure d’onyx et de paix
par la seule grâce de la danse
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Les dits de l’ensoleillée vive
*
Il ne sera pas dit qu’à terre je resterai colléeMaître qui avez sur mon âme écrit avec vos doigts
Il ne sera pas dit que je ne vous loueraique pour vous jamais plus soleil ne flamboiera
Il ne sera pas dit que moisissure et mortm’étoufferont
que jamais plus l’oiseau ne s’en voudra dormirdans mon épaule
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Marie-Pascale Jégou
*
La fiancée chante la viele soleil et le selloge sous les pontsne se plaint ni des pluies ni du gelse laisse vêtir de bure ou de satindérober son vaisseau comblé d’oret sans mots à genoux implore
l’Amourque lui soit seulement donnéeune petite barque dans les joncs
Elle n’est ni un calife ni une aventurièreni femme naïve sans raisonelle a signé la page immaculéec’est toutpour des millénaires
Elle sourit tout le tempsconnaît par amitié les migrations des cœurs
70
Les dits de l’ensoleillée vive
celui qui sait le miel l’autre l’ameret veut toute chose transmuer
Son front têtu ouvre des brèchesdans les murailles de l’ennuiPourtant ses pieds sont nusses mains de feuilles
déchirées
Elle court vers l’Amant princierPère des pauvresqui vient à elle blessé par tant de confiancedans le moirage du couchantla met sur ses épaulesagneau de lait
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Marie-Pascale Jégou
*
Nos jeux d’enfants épiaient aux formes des nuagesdes oiseaux des sampanset des taureaux laineux écheveléset nous battions des mains si le frère et la sœur
subjuguésen ces semblances vaines découvraient
multiflorel’arbre inespéré
Frissons de l’innocenceramage des lauriers
folles folles images de nos têtes boucléestrop grand ciel mouvant tendu de drap violetformes perdues qu’êtes-vous devenuesen vos croisières longues vers l’Orient
ô fluence du tempsnuages étonnés
72
Les dits de l’ensoleillée vive
*
Ô Cœur comment parler de toicalice de la braise divinecomment balbutier ce que seulement saitqui tient ses lèvres sur la vermeille plaie
Mots de terrepauvres mots qui vouliez être flammessyllabes nouées dans la gorgepar milliersparturition violenteô vous qui m’enleviez sommeil et trêveimplorant le jourquand se fermaient les paupières des bléspourquoi tant vous brûliezquand ce n’était pas l’heureet tant vous dérobiezquand je vous saisissais
73
Marie-Pascale Jégou
Enfermée dans la nuit aux sept voilesj’ai passé le désertsortie de l’inextricablej’ai pleuré de ne savoir nommerla Présence
Ne vous ai pas trouvés dans mon cartable d’écolièremais dans le ciboire
Mots de terre je vous donne à qui voudra de vouscomme un hibou lègue son criune pauvresse son fagotcomme un enfant dans un vieux sabotporte la braise de demeure en demeure
74
Les dits de l’ensoleillée vive
*
À mon père, à ma mère
À force d’avoir suivi les pas des chevauxcouru nu-pieds dans les venellesà force d’arbres chérisde sources à goût de cielj’ai gardé chauds les secrets de ma terre
Je sais les floraisons des lunes roussesgalettes joyaux de la nuitgonflée de trilles je vaiscoq enluminé
royalqui s’avancedans la profondeur jaune
de juillet
Je vais comme un enfantqui tourbillonne sur un talon
75
Marie-Pascale Jégou
passe par la trappe imprévueet rêvesuspendu au pressoirfendu de rireà cause de l’odeur amère et enterrée
de l’école
Comme un enfantje rejaillis dans la lumièrel’or du soleilme façonne un corps
glorieux
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Les dits de l’ensoleillée vive
*
Ayant levé les yeux, voilà qu’il vittrois hommes qui se tenaient debout près de lui.
Apparition à AbrahamGenèse XVIII
Je veux pour te chanter des mots d’arêtes vivescomme brisants de mer
des mots d’herbes d’écorce des mots soûls de gentianesde fléoles des prés ivres de vent gorgés de pluie
Tu m’es revenumouillé de bruine tiède
Est-ce en ami d’un soir que tu passes par làun secret de forêt traîne encore en tes yeux
Dans ton Cœur des langages de sourcesfleurent l’autre Montagne
de folles graminées constellent tes cheveuxô simple qui viens pour de très simples noces
77
Marie-Pascale Jégou
tu m’arrives chargéde blé d’automne rouge humble offert généreuxcomme l’est un seigneur
Je te croyais d’ailleurs passager sur la routemais tu m’as dit mon nom Étranger mon amià tes pieds je m’écroule à jamais reconnueet j’étreins ta Présence comme on étreint la Vie
en nos âmes remuent des parfumsqui vous tournent le sang
Arrête arrête-toiJe danserai l’aurore je danserai midi je danserai le feu
en ma déserte amour pose et repose-toi
Unique est mon Amantet Trois sont tes souriresunique ta Paroleet trois fois tu bénis
Tu prononces mon nom comme on chante un cantiquetu viens Dieu fragile déjà de notre racetu viens de blanc vêtudes mots de tous les jours fleurissent sur tes lèvresdes mots de blé qui meurt de farine qui lève
78
Les dits de l’ensoleillée vive
de brebis égaréeavec des mots de rien l’Aimé me dit l’Amouret très douce remue la tendresse du Souffle
79
Marie-Pascale Jégou
*
Mère des hommesses yeux L’ont vu penduCelui que longuement elle tint
contre sa chairLes soubresauts du corps et le violet visageson flanc qui veut de l’airses grandes mains percéeset quel silencemon Dieu quel silence maintenant qu’on l’a emmuréquel silenceau chemin où s’en vont ses amiss’en retournent au lac à l’échoppequel silence maintenant sur le monde mort
Pourtant d’une femme qu’un glaive fendjamais on n’entendit qu’elle éteignit sa lampe
Fiancée des aubes tranquilles l’Amant lui avait ditJe ne te quitte pas
80
Les dits de l’ensoleillée vive
Porteuse d’agonie à l’heure d’abandon quel silencequand va profond
l’épée
Pourtant jamais on n’entendit qu’elle éteignit sa lampeNul n’a d’excuse s’il reste au puitson n’a jamais entendu dire qu’à ses enfants de terreelle ait rien refusé
Tout le temps qu’il y aura du tempsses mains seront prière pour ses fils
Longuement appuyée aux collinesune Femme désentrave
la peur
81
Marie-Pascale Jégou
*
Je vis la Cité Sainte, Jérusalem nouvelle,qui descendait du ciel.
Apocalypse XXI
Elle vient la fiancée de linparée d’obsidienne
d’or blanc
Elle plane au-dessus des chairs labouréesde l’est à l’ouest du nord au sud
elle vient l’ignoréesur tout soleil avorté
elle descend sur toute guerre en partancepour lui lier les poings
Quand elle viendraquand tout jusqu’au dernier yod
sera révolu
82
Les dits de l’ensoleillée vive
quand elle viendral’un sera pris l’autre laissé
Je n’allègue pas l’impossiblel’impossible sera demain au vu de tous
Au vu de tousles charniers se réveillerontse lèvera le peuple des spoliésimmense gerbier d’or frissonnant dans le ventdes girandoles alentour de la tête
Alors fini le temps des torturesguerre sera jugée alleluia
tous les purs surgiront du gésier de la terreclameur rouge des épurés
Sur tous les rivages du monde l’enfantjouera avec l’enfant
et les anges
83
Marie-Pascale Jégou
*
Tu priaisil a surgi dans l’embourrure de ta chairbattage secret en tes soubassements
il vient bluter son blé
Il vient chargé de gemmes et de javellesd’asters
cœrcible et bonte donne guérison
regard d’aigle et tendresse
Il verse au brûloircassolettes de myrrhe
Quand tu pries tu es filsle Souffle te traverse
la bouche du Très-Haut sur ta bouche posée
84
Les dits de l’ensoleillée vive
*
Le Souffle frais qui tourne et se balance et viredans la chair crie
Abbabondissant il enlève ma peur claquemurée au fondparsème d’héliotropes mes chemins tordus
À l’échappée me toucheSoleil dévorateurattise ma prière
trame douce et tissu de ma vieta robe de damasta tunique de pourpre
Contristése love au-dedans de mes yeuxme demande pourquoides reproches si doux que semblentdes baisers
85
Marie-Pascale Jégou
Celui-làCelui-là qui me l’enlèverasans me mettre en lambeauxCelui-là le danseur pour qu’endeuillée
je n’aillele Souffle frais qui tourne et se balance et vire
86
Les dits de l’ensoleillée vive
*
Des cœurs donnés prière sortsource perpétuelle
la terre ouvre ses feux dormantsdes montagnes de hained’elles-mêmes
s’en vont jeter dans l’océan
Des cœurs donnés prière sortsans qu’ils sachent commentqu’ils dorment ou mangentun cri passe la terrela chair des arbres est traverséeun soleil ébouriffé embrase le ciel
Au loin venant vers nous appareillela paix
87
Marie-Pascale Jégou
*
Ce que tu cherches cela est procheet vient déjà à ta rencontre.
Hölderlin
Un soleil mort au fond du cœur j’attendaisma Miséricorde
elle était hors et dedans ne le savaisje pleurais tant contre la treille
Je la vis s’en venir un soir courant dans sa jupe longuele ciel avait ouvert ses lumières doréesl’amour creusait son lit dans nos propres rivièreset sur les champs terreux ce haut buisson de flammes
Elle venait ma Mère enamourée d’enfantsparlant aux gemmes aux végétaux
de ses petitsbrûlants comme des lampes
88
Les dits de l’ensoleillée vive
Et maintenant que là se tient dans ma fenêtreson doux regard
timidehors d’haleine
ma Miséricorde ôte ses sandales pour s’approcherde moi
Pour s’approcher de moi pieds nus elle se prosternedemandant que j’entrouvre ma joieC’est pour un temps reposer dit-elleÀ grand effort ses deux mains contiennent
la fournaiseforte sa douceur qui brûle
Laurée de silence elle marche dans ma chairouvrant des yeux ravis
les vannes des parfums alentour de son corpsdéversent leur pollen
Contre elleje voudrais dormir
89
Marie-Pascale Jégou
*
Ô toi pleurant dans ma chairen larmes tant humaines
moi qui doutais quand tu comprenais toutayant tout su de la faiblesse
ô ma Miséricorde qui tant fut triste à en mourir
Une once de retard et s’inquiète l’Amouril reste là dehors griffé par les mélèzes
obstinéSon poème est mort si je n’y brûle pas
Ô mon indéchirable douceurfuirai-je loin de toi avec ma peur kyrielle
jungle de nœuds aux alentours du cœurquand trop s’attache ta violente joie
Qui donc s’est comme toi passionné pour mes joursô toi souffrant de ma moindre douleurtrouve-moi
90
Les dits de l’ensoleillée vive
trouve-moi cimetière pour enterrerl’odeur de ma crainte dernière
ô toi pleurant dans ma chairAmour qui tant n’es pas aimé
91
Marie-Pascale Jégou
*
Ne pleure pas les jours n’ont pas changéOn ne s’est pas revus mais ton visage danse
autour de ma journéetes yeux pers les jacinthes les joncs tressés en croixle jour qui va grand erre et le cheval du roi
disent ton nom je l’aimeNe t’en fais pas je t’ai toujours aimée
Serait-ce que silence est plus lourd plus légerqu’une parole morte avant que d’être néeserait-ce que l’amour quand il vous a touchédéfigure sa face pour vous effrayer
Ne pleure pas n’ai jamais eu pour toi de poèmes trompeursdes silences peut-être qui chantournaient ton cœurplein d’étoiles cigales et grands charrois de bléNe t’en fais pas je t’ai toujours aimée
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Les dits de l’ensoleillée vive
Tes yeux sont grandes barques oblongues balancéesla musique dans l’herbe demain aura bougétu mettras sur la table deux tranches de pain bistout près dans l’étable le souffle des brebis
Ne pleure pas car je m’en reviendraisi c’est au bout de l’an ou dans dix je ne saisen ce monde ou dans l’autre je te retrouveraiNe t’en fais pas je t’ai toujours aimée
93
Marie-Pascale Jégou
*
Combien de lunaisons faudra-t-ilpour que tu me reviennes
toi que le vent me dérobe
Sens-tu quand les fleurs se fermentla brisure de mon cœur
et quand m’éveille le souvenirde ton Visage irradié
sens-tu trembler ma vie
Dis-moi si l’étoffe de notre amourtissée tout unimentconserve dans ses pansl’odeur de nos champs de lavandeensemble parcourus
Si tu savais comme avec tes yeux j’ai vubouger les paupières des avoines
chaque jour
94
Les dits de l’ensoleillée vive
et tressailli avec ton Cœurquand a resplendi la colline de nos fiançaillescombien j’ai su l’empire de ton Sang
sur le mien
Ô dis-moi si pour Toi il en va de mêmedis-moi si les narcisses de mes cheveux tressés
te manquentet qu’un oiseau sans ailess’est un peu débattudans ta gorge nouée
95
Marie-Pascale Jégou
*
Les murs de nos vies étaient-ils mitoyensque je T’aie reconnu si vite
Ce grand buisson de roses qui rougeoie dans l’ombrec’est Toi qui de tes mains l’allumasavant de m’avoir seulement touchée
De loin tes douces mains m’ont cernéeavant même que ma joie n’héberge la tienne
Je savaisà l’odeur des lys
ta Présence sous ma robe de linplus intime à mon cœur que moi-même
Je n’étais pas encore née que jalousementtes lèvres de soie sur mon nom reposaient
ô mon Vermeil AmourLes murs de nos vies étaient-ils donc si prochesqu’en mon sein divisé par tes labourslève un tel froment miraculeux
96
Les dits de l’ensoleillée vive
Kergrist-MoëlouGouarec
Cordes-sur-CielPont-Saint-Esprit
1998
97
Marie-Pascale Jégou
«Tu as brillétu as resplendiet tu as dissipé ma cécité ;tu as embaumé,j’ai respiré et haletant,j’aspire à toi,j’ai goûté et j’ai faimet j’ai soif ;tu m’as touchéet je me suis enflammépour ta paix. »
Saint Augustin
98
Les dits de l’ensoleillée vive
Postface
Plus qu’un lecteur, je l’avoue, j’ai été l’auditeur d’une musique d’éternité célébrant le Très-Haut dans l’ici-bas, dans la gloire cachée du temps ordinaire.
Plus encore que par le don verbal de Marie-Pascale Jégou, je fus séduit par son chant ailé porté sur l’aile angélique de sa voix ; un chant qui n’en est pas moins enraciné profond dans sa Bretagne natale.
Parce qu’elle a su garder sous les auspices de sa foi les plus élevés un sens concret de ce monde ; parce qu’elle a su conjuguer la légèreté de l’être avec le poids du monde dans la musicalité d’une écriture souveraine, Marie-Pascale ne laissera pas insensibles ceux et celles qui la liront l’oreille éblouie.
Violence et passion sont ici apprivoisées par le feu de la grâce visible dans la nudité vulnérable de ces poèmes brûlants.
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Marie-Pascale Jégou
Témoin d’une impalpable tendresse pour tout ce qui est, Marie-Pascale instille en nous le nectar de la compassion. Il nous faut descendre un à un les degrés, pas à pas, mot à mot dans l’abîme de notre misère, là où nous rejoindra l’abîme de la Miséricorde,
là où se marie la source intarissable de la prière.Nul égotisme dans ce seul à seul avec l’Unique, mais au
contraire, le lieu de solidarité avec tous les humiliés de cetteterre enceinte de fiel,
et ce cri prophétique :Sur tous les goulags du monde se lève le soleil.
Tels sont les dits de l’ensoleillée vive, lyrique jusque dans les larmes. Nul ne guérit que par ses plaies. Marie-Pascale le sait pour être passée par le laminoir des épreuves. Sœur de l’amante du Cantique, elle est
la fiancée de lin parée d’obsidienne d’or blanc.Sa poésie, comme celle de Jean de la Croix, est un
épithalame évangélique…Tu es ma tendressel’or de l’alliance, qui le ternira ?
Fr. Gilles BaudryLandévennec
Automne 1998
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Les dits de l’ensoleillée vive
Du même auteur
Terre qui brûle, hors commerce, 1974.Danse d’Abraham, hors commerce, 1976.Le blé en feu (I, II, III), auto-édités, 1976, 1978 et 1981.Demeurez en moi. Un chemin vers l’oraison, 1ère édition, 1988 ;
Éditions des Béatitudes, 1990 ; édition allemande, 1994 ; édition polonaise, 1995.
Initiation à sainte Gertrude, Le Cerf/Épiphanie, 1995.Le Fils Vermeil, Amis de Hors Jeu éditions, 1998.Tressaillement de joie, (K7) textes lus par Étienne Dahler,
Diakonia, 1982.
Publications dans les revues « Feu et Lumière », « Carmel », « Christi Sponsa », « Tychique », « Hors Jeu », …
Poèmes parus dans les ouvrages du P. Daniel-Ange :Le Chant Royal, Saint-PaulLe Corps de Dieu, DDB, Le Sarment/Fayard (réédition)
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Marie-Pascale Jégou
Le Sang de l’Agneau, DDB, Le Sarment/Fayard (réédition)Les Noces de Dieu, DDB, Le Sarment/Fayard (réédition)
Poèmes parus dans J’entends battre ton cœur, d’Édouard Glotin, DDB/Emmanuel.
L’auteur
Originaire de Basse Bretagne, dans les Côtes d’Armor, et petite fille du barde Césaire le Coënt, Mab Loïz — sœur Marie-Pascale Jégou — est diplômée de Lettres Modernes.
Elle vit à Pont-Saint-Esprit, « Porte d’or de la Provence », au sein de la Communauté des Béatitudes, où elle pratique l’iconographie et exerce un rôle d’écoute spirituelle.
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