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  • 8/3/2019 Marie-Hlne Congourdeau. Regards sur l'enfant nouveau-n Byzance. Revue des tudes byzantines, tome 51,

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    Marie-Hlne Congourdeau

    Regards sur l'enfant nouveau-n ByzanceIn: Revue des tudes byzantines, tome 51, 1993. pp. 161-176.

    Rsum

    REB 51 1993 France p. 161-176

    Marie-Hlne Congourdeau, Regards sur l'enfant nouveau-n Byzance. L'attitude envers le nouveau-n est un bon

    rvlateur des lments conscients et inconscients d'une culture. Dans la mentalit byzantine, elle exprime de manire

    privilgie le conflit entre les composantes chrtiennes et non-chrtiennes. Une enqute dans des sources diverses (droit, droitcanon, hagiographie, rotapokriseis, sources historiques et mdicales ...) permet de dgager plusieurs attitudes : accueil et rejet

    (brphotrophia, infanticide), protection et mfiance (l'enfant non baptis, proie favorite des dmons). Fragile, menac, menaant

    (la naissance multiple ou monstrueuse, funeste prsage), proche du nant dont il vient, et o la plupart retournent rapidement,

    impur jusqu' son baptme et cependant image de Dieu, le nouveau-n fascine, inquite, meut. Il offre aussi l'glise byzantine

    l'occasion d'affirmer la spcificit de son anthropologie et de faonner une pratique diffrente de celle des civilisations antiques.

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    Congourdeau Marie-Hlne. Regards sur l'enfant nouveau-n Byzance. In: Revue des tudes byzantines, tome 51, 1993. pp.161-176.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1993_num_51_1_1875

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rebyz_55http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1993_num_51_1_1875http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1993_num_51_1_1875http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rebyz_55
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    REGARDSSUR L'ENFANT NOUVEAU-N

    BYZANCE *

    Marie-Hlne CONGOURDEAUL'attitude envers le nouveau-n dvoile les lments inconscientsd'une culture. Dans la mentalit byzantine, elle exprime le conflitentre les composantes chrtiennes et non chrtiennes. Fragile,menac, menaant, proche du nant dont il vient et o la plupartretournent rapidement, impur jusqu' son baptme et cependantimage de Dieu, le nouveau-n fascine, inquite, meut. Il offre aussi l'glise byzantine l'occasion d'affirmer son anthropologie spcifiqueet de faonner une pratique diffrente.

    I. Des ralits tragiquement ttuesLa naissance fut longtemps une preuve haut risque. Les Byzantinsurent affronter la tragique ralit : mortalit des bbs et desfemmes en couches, enfants malforms ou non viables, rejet de l'enfant importun.

    A) Quand la vie la mort se marieLe nouveau-n est un tre fragile dont la vie toute neuve risque

    tout moment de lui tre arrache. De nombreux textes, d'histoire oude fiction, tmoignent de cette peur : Michel Psellos rapportequ' autrefois, les rois de Perse ne voyaient pas tout de suite lesenfants nouveau-ns, et ils ne prenaient pas tout de suite dans leursbras les fruits de leurs entrailles (parce qu')ils craignaient pour lesnourrissons, qu'ils trouvaient trop fragiles, (...) que la mort ne les* Cet article est la version dveloppe d'une communication faite auX VII fJ Congrs international de? tudes byzantines (Universit M. V. Lomonosov.Moscou. 8-15 aot 1991).

    Revue des tudes Byzantines 51, 1993. p. 161-176.

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    162 MARIE-HLNE CONGOURDEAUenlve1. L'empereur Andronic II, ayant perdu trois enfants avantleur naissance, craignait pour la vie de sa fille nouveau-ne et recourut, our sa sauvegarde, un rituel recommand par une matronepour la survie des nouveau-ns2.L'accouchement difficile est un topos de la littrature hagiographique, t l'enfant mort-n, non viable (alrophos) ou mort prmaturmentaros), occupe tous les tages de la pense byzantine, des traits sur la providence divine3 aux recueils d'horoscopes4 en passantpar les Vies de saints5, sans parler des terreurs inspires par les diversvisages de la dmone Gill, tueuse de nouveau-ns6.La mort de la mre en couches n'est pas moins redoute. Tel fut lesort de la sur de Psellos 7. Et les textes hagiographiques abondent enrcits d'accouchements pathologiques o la vie de la mre et de l'enfant sont en jeu : parfois la mre du saint meurt8 ou manque de

    1. Michel Psellos, Lettre 157 Y p i ton krisn, d. Sathas, MB, V, p. 409; trad. fr .A. Leroy-Molinghen, La descendance adoptive de Psellos, Byz., 39, 1969, p. 302.2. Pachymre, II, III, 32 , Bonn II, p. 276-277 : on dresse les icnes des douzeaptres, avec douze cierges allums d'gale longueur, et l'on psalmodie jusqu' extinctiones cierges; l'enfant reoit le nom de l'aptre dont le cierge s'teint en dernier.C'est ainsi que la fille d'Andronic fut prnomme Simonis, du nom de l'aptre Simon-Pierre.3. Cf. Diodore de Tarse, Fragment 69 sur l'Octateuque, d. J. Deconninck, p. 143;cf. aussi J. Devreesse, Les anciens commentateurs grecs de l'Octateuque et des Bois (Fragments tirs des chanes), Vatican 1959, p. 162. Anastase le Sinate, rotapokriseis,qu. 88 , PG 89 , 716. Michel Glykas, Aporiai, c. 37 , d. Eustratiads, I, p. 422 s.4. Cf. G. Dagron, Le fils de Lon Ier, tmoignages concordants de l'hagiographie etde l'astrologie, An. Boll. 100, 1980, p. 273-274. Les manuels d'astrologie voquent lesquestions qui peuvent tre poses aux astrologues. Plusieurs de ce s questionsconcernent la viabilit du nouveau-n : cf. par exemple Paris. Supp. Gr. 1148 (16e s.),f. 166-170; Laur. Plut. 28 , 33 (16e s.), f. 57 : savoir si le nouveau-n ne vivra pas(=CCAG, I, cod. 11).5. La Vie de Melanie (d. D. Gorce, SC 90) comporte les deux drames : le secondenfant de Melanie, n prmaturment aros ne survit pas son baptme (c. 5);Melanie, par ses prires, obtient l'expulsion d'un enfant mort du sein de sa mre (c. 61).6. Cf. la monographie d'Irne Sorlin, Striges et Gloudes. Histoire d'une croyance etd'une tradition, TM 11, 1991, p. 411-436. On trouve aussi mention d'esprits mauvaisqui tuent les enfants en bas ge dans la Vie de saint Symon Stylite le Jeune, d. Van denVen, 1962, par. 13 9 et 231. A propos de la dmone Gillo, cf. galement le cod. Athen.Bibl. Soc. Hist. 210 du 18(> s. (= CCAG, X, cod. 25), f. 64V : Phylactre pour les petitsenfants, propos de Gelo, et f. 86V : Phylactre contre l'impure Gelo, etc.7. Psellos, loge, funbre de sa mre, d. Sathas, V, p. 27-28.8. Cf. le Martyre de Thodore Tiron par Nicphore Ouranos, d. F. Halkin, An. Boll.80 , 1962, p. 314.

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    REGARDS SUR L'ENFANT NOUVEAU-N RYZANCE 163mourir9 en couches. Le plus souvent, le saint opre un miracle enprovoquant l'heureuse issue d'un accouchement long et prilleux10.Significatif est le cas de l'enfant qui entrane sa mre dans la mort :ainsi prit l'impratrice Eudoxie, en tentant d'expulser par la magiele petit corps qui se dcomposait en elle depuis quatre jours11.Le nouveau-n est alors non seulement menac mais menaant,puisqu'il peut entraner sa mre avec lui dans la mort. Or la vie de lamre est toujours prioritaire, comme en tmoigne le recours des mdecins l'embryotomie dans les cas dsesprs12.B) Quand l'enfant est difforme

    Lorsque l'enfant nat vivant mais mal form, la pratique constantedans l'Antiquit est de ne pas le laisser vivre. De Sparte Rome enpassant par la Rpublique de Platon, on touffe, noie ou expose sur leschemins les enfants non conformes. A ct de cette euthanasieactive (pour employer un euphmisme anachronique), une euthanasieassive est la rgle gnrale : le mdecin Soranos d'phse, princedes accoucheurs, l'expose sereinement dans son manuel destin auxsages-femmes : (La puriculture) recherche quels sont ceux des nouveau-ns qui valent la peine qu'on les lve13. La sage-femme doitse rendre compte si l'enfant vaut la peine qu'on l'lve, c'est--direqu'on le nourrisse (anatroph)14. Avec le temps cependant, les mdecins herchent maintenir en vie des enfants atteints de malformationsgres ou curables15.

    9. Cf. Thodoret de Cyr, Histoire Philothe IX, 14 . Il s'agit de la propre mre deThodoret. Cf. galement la Vie de Thophano de Thessalonique, d. E. Kurtz, Zweigriechische Texte ber die Hl. Theophano. die Gemahlin Kaiser Leo VI, p. 2.10 . Vie d'Ignace de (Jonstantinople par Nictas de Paphlagonie, PG 105, 488 s. ; Viede Porphyre de Gaza par Marc le Diacre, c. 28 , d. H. Grgoire et M. -A. Kugener, Paris1930 : ce s deux saints vitent, par leur intervention, l'embryotomie projete par lesmdecins. Vie de Marcel l'Acmte, c. 21. d. G. Dagron, An. Boll. 86 , 1968, p. 287-321 ;Vie de Symon Salos par Lontios de Napolis : exceptionnellement, l'accouchementlaborieux est prsent ici comme un chtiment.11 . Kdrnos, Historiarurn Compendium I, 585s.; lie anonyme de Jean Chryso-stome, An. Boll. 94 , 1976, p. 353 : les fragments de ce s deux sources qui relatent lamort de l'impratrice Eudoxie sont analyss par W. Fink, 'Geburtshilfe in Byzanz'.Zwei Beispiele aus dem frhen 5. Jahrhundert, JOB 36. 1986, p. 33-37.12 . Pour l'embryotomie, outre les textes cits note 9, cf. Celse, VII, 29 , 4 : on soulignera que la description trs dtaille de cette opration ne concerne, chez ce mdecin,que l'extraction d'un ftus mort dans le sein; Soranos, IV, 3, 1 ; Tertullien, Dean.25 , 5; Macaire, Horn. 43. PG 34. 776.13 . Soranos, Des maladies des femmes II, 4. d. D. Gourevitch, 1990, II, p. 16 .14 . Idem, II. 5; ). Gourevitch, II, p. 16-17. La note 99 (p. 85) se rapportant cepassage numre, d'aprs la littrature mdicale antique, les cas o le nouveau-n nesera pas nourri.15 . Ibidem, note 99.

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    C) L'enfant niL'enfant normal lui-mme n'est pas toujours le bienvenu. L'infanti

    cidest largement pratiqu dans toute l'Antiquit, au point queGrgoire de Nysse, traitant de la mort des jeunes enfants, numretranquillement les trois principales causes de mortalit infantile : lenouveau-n meurt soit expos, soit touff (ou noy), soit enlevnaturellement par une maladie16.Si l'on en croit la lgislation impriale ou canonique d'poquebyzantine, les principales formes d'infanticide sont l'abandon (oul'exposition), la ngligence volontaire, le refus de mettre l'enfant ausein17. Mme en tenant compte de l'inertie et du conservatisme destextes lgislatifs, on ne peut nier la permanence de ces pratiques trstardivement.II. lments pour une nouvelle anthropologie

    En se gnralisant dans l'empire romain, le christianisme apporteune nouvelle vision de l'tre humain, qui devrait entraner de nouvelles pratiques.L'anthropologie chrtienne est tributaire des anthropologies antiques ; comme elles, elle voit la spcificit de l'homme dans sa raison,d'o le statut particulier.de l'enfant qui n'a pas encore atteint l'gede raison : Pour Grgoire de Nysse, le nouveau-n n'est pas encoreun homme strictement parler, car il n'est pas logikos18. Cependant, l est dj respectable, car il porte l'image de Dieu.La cration l'image de Dieu, hrite du judasme (qui en tire lesmmes consquences morales de respect de la vie humaine, mmeenfantine), est le fondement de la nouvelle anthropologie labore par

    16 . Grgoire de Nysse, De infantibus praemature abreptis, PG 46 , 16 8 B. Cf. Idem,De anima et resurredione, PG 46 , 13 7 : ... propos des nouveau-ns qu'on expose ouqu'on touffe, ou de ceux qui meurent de mort naturelle....17 . Le Code justinien, dans un article qui sera repris par toute la lgislation postrieure, indique : Est meurtrier non seulement celui qui touffe (ou trangle, ou noie :praefocat, pnig) le nouveau-n, mais aussi celui qui l'abandonne (ou le jette : abicit,rhipt), qui lui refuse la nourriture, et celui qui l'expose dans des lieux publics lacharit d'autrui, charit qu'il n'a pas eue lui-mme (Dig. 25, 3, 4). On retrouve cesdiverses formes d'infanticide dans la lgislation canonique et les pnitentiels, y comprisle refus de nourriture, qui reprsente dans la littrature mdicale la forme habituelled'euthanasie. Cf . Jean le Jeneur, Logos pros ton mellonla ..., PG 88, 1924 A : Surcelles qui empchent de tter leurs propres enfants.18 . Grgoire de Nysse, De infantibus..., PG 46 , 16 8 B. Cf . l'inverse Nmsiosd'mse, Sur la nature de l'homme, c. 2 in fine, PG 40 , 584.

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    REGARDS SUR L'ENFANT NOUVEAU-N BYZANCE 165les Pres de l'glise. S'y ajoute le prcepte : Tu ne tueras pas duDecalogue 19.Mais c'est surtout l'Incarnation du Fils de Dieu qui appose le sceaudu divin sur l'humanit : en se faisant homme dans le sein de Marie,c'est--dire en passant par toutes les tapes de l'embryon, du nouveau-n, de l'enfant, etc., le Christ a sanctifi tous les ges de la vie :tout nouveau-n est l'image de l'enfant Jsus dans la mangeoire deBethlem20.Enfin, tout tre n vivant est appel recevoir le salut par le baptme. Ce qui renforce l'obligation de prserver la vie du nouveau-n :il est inconcevable de priver un petit d'homme de la vie ternelle.Tous ces lments vont progressivement changer le regard port surle nouveau-n, mais au prix d'une longue patience, car en ce domainecrucial, les innovations apportes par le christianisme bouleversentdes mentalits et des pratiques millnaires, alors que les ralits (mortalit, maladies, naissance importune) n'ont pas chang.

    III. Une mentalit nouvelle en gestationA) Des tabous christianiss

    La naissance est le domaine des tabous. Bien souvent, le christianismene fait pas autre chose que d'habiller des croyances prchrtiennes.1. La naissance est impure

    Un tabou tenace est l'impuret de la naissance. Le mystre de cettre venu du nant, le sang et les djections qui accompagnentsa sortie ont ds longtemps accrdit l'ide d'une souillure de lanaissance 21.a) Impuret de la femme en couchesPour les Grecs, tout ce qui touche l'accouchement tait impur; ilsavaient labor un rituel d'intgration du nouveau-n, de rintgra-

    19 . Exode 20 , 13 .20. Ce thme, qui court tout le long de la tradition patristique, est dj dans Irne,Contre les hrsies II, 22, 4 (d. A. Rousseau, SC 293-294) : ... Il a sanctifi tous les gespar la ressemblance que nous avons avec lui. C'est en effet tous les hommes... qui parlui renaissent en Dieu : nouveau-ns, enfants, adolescents, jeunes hommes, hommesd'ge. C'est pourquoi il est pass par tous les ges de la vie : en se faisant nouveau-n, ila sanctifi les nouveau-ns; en se faisant enfant, etc..21. Sur la notion de souillure et d'impuret de la naissance dans la mentalitgrecque, et ses prolongements l'poque byzantine, cf. Irne Sorlin, art. cit., note ,p. 432-434. La novelle 17 de Lon VI avance une explication mdicale l'impuret dusang menstruel et des lochies : c'est qu'il s'agit, en bonne physiologie aristotlicienne,de rsidu et donc d'un sang superflu.

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    166 MARIE-HLNE CONGOURDEAUtion de la mre dans la communaut et de purification de la maisonnatale et de quiconque avait touch le nouveau-n ou sa mre.En mme temps que l'hritage antique, les Byzantins ont recueillicelui du judasme. Le Lviiique prvoit quarante jours d'viction de lafemme qui a accouch d'un garon, plus de quatre-vingts pour unefille22. Le rite de la purification, que l'on retrouve dans la fte de laPurification de Marie le 2 fvrier (quarante jours aprs Nol), cltcette priode.Le christianisme a intgr ce double hritage, en lui donnant unvisage particulier.* Les lochies de Marie

    Les canons ont conserv le souvenir d'une coutume qui remonteaux temps pr-chrtiens : les pilochia (terme absent des dictionnairesclassiques) clbrent les lochies de la femme par le partage d'ungteau de froment. Or certains Byzantins s'taient aviss de clbrerles pilochia de Marie le lendemain de Nol. Le canon 79 du 6e concileinterdit cette coutume, qui heurte la christologie orthodoxe en laissant croire que l'accouchement de Marie fut un accouchement ordinaire23. Les commentaires de ce canon soulignent le lien entre douleurde l'accouchement et lochies d'une part, conception sans semence etaccouchement sans lochies d'autre part, Marie n'a pas de lochies parcequ'elle a conu sans semence ; sperme et sang partagent la mmeimpuret24.

    22. L'impuret du sang dans la tradition biblique n'est pas morale, mais rituelle : laperte de sang au moment de l'accouchement est impure parce que le sang est sacr, ilcontient l'me qui appartient Dieu. Cf . E. Lepicard, L'embryon dans la Bible et latradition rabbinique, thique. La vie en question 3 (Hiver 1992), p. 38 , note 3.23. Sixime concile (in Trullo), canon 79 (RP II, p. 442-443) : Confessant que ledivin enfantement de Marie fut sans lochies (alocheuton), comme il fut sans semence(aspors), et le proclamant tout le troupeau, nous incitons se corriger ceux qui parignorance font ce qui ne convient pas. C'est pourquoi, puisque certains, aprs le jour dela nativit sainte du Christ notre Dieu, font cuire de la farine de froment et la partagententre eux, sous prtexte d'honorer les lochies de la Vierge Mre sans tache, nous prescrivonsue les fidles ne fassent rien de semblable. Car ce n'est pas honorer la Vierge, quia enfant dans la chair le Verbe incirconscriptible d'une faon qui dpasse l'esprit et laraison, que de prescrire et de souscrire que ce qui concerne son indicible enfantements'est pass comme l'ordinaire et comme pour nous. Si donc quelqu'un partir d'aujourd'hui est surpris en train d'agir ainsi, si c'est un clerc, qu'il soit dpos ; si c'est unlac, qu'il soit excommuni. Sur la Vierge ayant accouch sans douleur et sans souillure, cf. Grgoire de Nysse, Homlie XIII sur le Cantique des Cantiques, d. Jaeger, VI,p. 387-388.24. La Bible unit dans le mme tabou l'accouchement (avec les lochies) et l'coulemente sperme : Lvitique 12 et 15 . Cf . les commentaires du canon 79 du siximeconcile par Zonaras, Balsamon et Blastars : RP II, p. 443 s.

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    * L'accouche impureLe canon 2 de Denys d'Alexandrie interdit aux femmes de venir

    l'glise et de participer aux mystres pendant leurs rgles. Lescommentateurs de ce canon voquent la mme interdiction pour lesfemmes durant quarante jours aprs un accouchement : ce quiconfirme que c'est bien le sang des lochies qui rend l'accoucheimpure. Des exceptions sont admises en cas de pril de mort : lesimple bon sens suffisait pour montrer que ces femmes taient plusexposes que d'autres25.b) Le nouveau-n impur

    L'impuret de la femme se communique ceux qui l'approchent.Pierre le chartophylax, au 11e s., se voit poser la question suivante :Si une femme accouche, et si certains entrent dans sa maison, quellepnitence doivent-ils subir pour pouvoir communier?. A quoi ilrpond qu' condition de s'tre lavs, ils ne peuvent tre exclus de lacommunion (on retrouve la notion d'une souillure qui ncessite unepurification)26.Mais c'est par excellence le nouveau-n qui partage l'impuret de samre : il vient de son sang, et il est un mlange de vie et de non-vie.Les croyances populaires brodent sur ce thme : le corps du nouveau-n est mis en parallle avec le cadavre (avec qui il partage leport de bandelettes)27; de mme, pendant quarante jours (temps quis'coule entre la naissance et la purification de la mre), la dmoneGillo menace sa vie28.Un amalgame s'opre entre la souillure de la naissance et la souillure du pch originel. En occident, avec la controverse antipla-gienne d'Augustin, se dveloppe la doctrine de la tache originelletransmise par la gnration. Mais Byzance aussi, les canonistes affirment que mme les nouveau-ns sont baptiss pour la rmission despchs, et que par consquent ils sont souills par le pch avantmme de l'avoir commis29. De cette souillure, le baptme les purifie.

    25. Canon 2 de Denys d'Alexandrie et ses commentaires (RP IV, p. 7-9); cf.Lon VI, Novelle 17 .26. Pierre Chartophylax, RP V, p. 372.27. Cf. G. Dagron, Troisime, neuvime et quarantime jour dans la traditionbyzantine : temps chrtien et anthropologie, in Le temps chrtien de la fin de l'Antiquitau Moyen ge, iW-xm11 s., Pans 1984, p. 419-430.28. Cf . I. Sorlin, art. cit., note 6.29. Canon 1 10 de Carthagne et ses commentaires (RP III, p. 56 1 s.). Rlastars (RP,p. 117) affirme que c'est l'impuret du processus de gnration sexuelle qui rend ncessaire pour l'enfant la purification du baptme.

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    * Quand faut-il baptiser?En bonne logique, c'est donc le quarantime jour, quand la mreest purifie, que le nouveau-n reoit lui aussi la purification du bap

    tme. Deux faits contribuent raccourcir ce dlai.Le premier est la ncessit d'une cohrence thologique. Si c'est lebaptme qui purifie de la souillure, point n'est besoin d'attendre quecette souillure ait physiquement cess (arrt des lochies) pour l'administrer.Le second est le danger mortel couru par beaucoup de nouveau-ns.Il y aurait de l'inconscience les laisser mourir sans avoir reu lebaptme. C'est pourquoi des drogations sont admises par les plusrigoristes : si le nouveau-n est mal venu, on peut le baptiser ds lehuitime jour, voire ds la naissance30.* Sort des enfants morts sans baptmeII importe en effet de ne pas laisser un petit d'homme mourir sansrecevoir la rgnration. Quel grave danger courait-il donc? Le sortdes enfants morts sans baptme a proccup la conscience chrtienneau long des sicles. Mais c'est surtout en occident que la controverse,sous l'influence d'Augustin, a donn lieu toute une rflexion.L'orient chrtien semble plus pragmatique : le bons sens y tient sur cepoint autant de place que la thologie. Dj Grgoire de Nazianze, quirecommandait le baptme prcoce, estime que celui qui meurt nonbaptis, mais sans qu'il y ait de sa faute (c'est le cas des nouveau-ns),ne saurait recevoir dans l'autre monde ni rcompense ni chtiment31.Anastase le Sinate rpond elliptiquement qui l'interroge sur lesujet : puisque Dieu a dit que la faute des pres ne saurait retombersur les enfants, la ngligence des parents ne doit pas mener dans laghenne les petits tres morts sans baptme ; nous n'aurons pas plusde prcisions : il est des questions qui n'ont pas de rponse sur cetteterre32.

    30. Cf . canon 38 de Nicphore le Patriarche (9e s.) : baptme possible ds trois jours ;novelle 17 de Lon VI (10e s.) : ds avant le huitime jour; Nicolas III Grammatikos(Rponses l'vque de Ztounion, 12e s., d. Darrouzs, Kathgtria. Essays presented toJoan Hussey, Camberley 1988, p. 327-343) : la coutume est de baptiser au quarantimejour, mais on peut le faire ds la naissance en cas de ncessit, aussitt aprs l'avoir lav(toujours la ncessit de la purification : l'enfant doit tre dbarrass du sang de samre).31. Grgoire de Nazianze, dise. 40, 23, PG 36 , 389. Il semble que ce soit aussi laposition du Ps. Justin des Rponses aux orthodoxes (Q. 56 , PG 6, 1927).32. Anastase le Sinate, rotap. qu. 81, PG 89.

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    REGARDS SUR LENFANT NOUVEAU-N BYZANCE 169Le mme Anastase, dans ses Rcits difiants, est l'origine d'un trspetit corpus de textes concernant la rsurrection d'un enfant en vuedu baptme (alors que ce thme fleurit considrablement en occident,signe d'une plus grande angoisse ce sujet33) : un homme vient denuit qurir un prtre pour lui demander de venir baptiser son enfanten pril de mort. Le prtre se hte, mais arrive trop tard : l'enfantmeurt durant les prparatifs du baptme. Le prtre, en vertu de sonpouvoir sacerdotal, supplie Dieu de redonner son me l'enfant letemps de le baptiser, car il n'y a pas eu ngligence ; l'enfant ressuscite,reoit le baptme et s'endort nouveau dans la mort34. Ce rcit estrepris par Michel Glykas35, puis de nouveau par Thognoste, qui l'insre dans son chapitre sur le sort des enfants morts sans baptme (oil reprend la doctrine d Anastase). Ce dernier ajoute une finale plusintimiste : le prtre embrasse l'enfant baptis et lui dit : Va tonchemin, mon enfant, vers le royaume des cieux36.

    * Quand l'enfant est purifi avant sa mreUn problme ne pouvait manquer de se poser l'esprit incisif desByzantins : que faire lorsque l'enfant, en pril de mort, a t baptisavant le terme de la purification de sa mre? Autrement dit, quelpeut tre le rapport entre un enfant purifi par le baptme et unemre impure? Il se trouva des canonistes pour estimer qu'alors lamre ne pouvait plus toucher son nourrisson, ni donc l'allaiter, et qu'ilfallait trouver une nourrice baptise pour allaiter le petit chrtien : tel

    Nicphore le patriarche, au 9e s.37. Fort heureusement, certains firentprvaloir le bon sens et la charit sur la rigueur : Pierre le chartophy-lax, au 12e s., rpond schement ceux qui lui posent la question :Qu'elle allaite son bb, afin qu'il ne meure pas!38.2. Le nouveau-n non baptis, proie des dmons

    Ainsi, le nouveau-n non baptis a un statut ambigu : image deDieu, image du Christ de Bethlem, mais non purifi de la souillureoriginelle. Dans sa double condition innocente et souille, il est le lieude tous les fantasmes.

    33. Cf. les travaux de J. Glis sur les sanctuaires rpit, en particulier L'arbre et lefruit, Paris 1984, p. 509-510.34. Cf. F. Nau, Le texte grec des rcits utiles l'me d'Anastase (le Sinate), OriensChristianus 3, 1903, p. 82.35. Michel Glykas, Aporiai, 61 (Que le lin impos par le prtre ne peut trednou), II, d. Eustratiads, Alexandrie 1912, p. 146.36. Thognoste, Thesauros. XV, 4, d. J. Munitiz, p. 12 9 s.37. Nicphore le Patriarche, canon 38 , RP IV. p. 431.38. Pierre Chartophylax, RP V. p. 372.

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    a) Pouvoirs anormaux du nouveau-nEn occident, le thme du nouveau-n aux pouvoirs anormaux estillustr principalement par la figure de Merlin. Or Merlin est l'enfantdu dmon. Ce qui jette un clairage significatif sur les rcits paralllesde l'hagiographie byzantine : le nouveau-n qui disculpe sa mreaccuse d'adultre, ou qui dnonce son pre39. Le nouveau-n a unrapport privilgi, mais ambigu, au monde invisible.b) Pratiques magiques impliquant des nouveau-ns

    Cette ambigut est, dans toutes les civilisations, l'origine de pratiques magiques qui utilisent le nouveau-n et ce qui le touche. MichelGlykas rapporte que, l'empereur Constantin se trouvant atteint de lalpre, les prtres de Jupiter Capitolin lui conseillrent de s'asperger dusang de nouveau-ns sacrifis40. D'aprs un apocryphe de Psellos, lesmanichens engrossent des filles puis tuent l'enfant sa naissance etboivent son sang pour recevoir en eux les dmons41. Nous sommes icichez les paens (prtres de Jupiter) ou les hrtiques (manichens).Mais Balsamon nous rapporte, dans son commentaire des canons du6e concile, l'histoire d'un clerc surpris en possession d'une coiffe denouveau-n dont il comptait faire un usage magique42. Et c'est bienen pays byzantin que, selon Nicphore le Patriarche, les habitants dePergame, en 717, firent bouillir un nouveau-n pour obtenir la potionmagique qui leur permettrait de repousser les Arabes43.c) Gillo la tueuse de nouveau-nsNous ne reprendrons pas ici ce qui a t fort bien expos par IrneSorlin propos de la dmone Gillo et de ses avatars paens et chrtiens. Soulignons seulement que le nouveau-n non baptis est la proiespcifique de la dmone dans la plupart des versions chrtiennes, ledlai de huit ou de quarante jours laiss l'action de Gillo correspondantux dates du baptme44. Toute la conception du baptme( commencer par la prsence d'un ange gardien) s'oppose d'ailleurs la possibilit d'un tel danger pour un enfant baptis.

    39. Cf. P. Canart, Le nouveau-n qui dnonce son pre, An. Boll. 84 , 1966, p. 309 s.40. Michel Glykas, Annales IV, Bonn p. 460.41. Pseudo-Psellos, Pri nergeias daimonn, d. P. Gautier, REB 38, 1980, p. 140-141.42. RP II, p. 446.43. Nicphore le Patriarche, Breviarium, 53 , PG 100, 957.44. Irne Sorlin, art. cit., note 6.

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    d) Dmons de l'accouchement et bbs possdsLe mme trait du Pseudo-Psellos sur les dmons, reprenant pr

    obablement un passage du Testament de Salomon, rapporte la croyancepopulaire en un dmon qui apparat sous un aspect fminin toutesles femmes en couches. L'auteur ajoute un peu plus loin : Aucunedifficult que le type de dmon qui assaille les femmes en couches soitvu sous une apparence fminine, puisqu'il est lascif et qu'il apprcieles liquides malpropres 45 : preuve du dgot que provoquent l'accouchement et tout ce qui relve du monde fminin46.3. Monstres et prodiges

    La naissance d'un enfant difforme dfie la pense. Dans les casextrmes, l'interrogation premire est de savoir s'il s'agit d'un trehumain.Un manuscrit astrologique propose des recettes pour savoir si cequi est n est un homme ou autre chose 47 et pour savoir s'il s'agit dela naissance d'un homme ou d'un monstre48.h'pitom, reprenant le Digeste, donne l'tre difforme une existence juridique : Si une femme accouche d'un monstre ou d'un prodige n'ayant pas forme humaine, il n'est pas considr comme unenfant. Suit la dfinition du monstre (qui combine la forme humaineavec celle d'un animal) et du prodige (qui n'a rien d'humain). Enrevanche, celui qui nat avec six doigts est compt au nombre desenfants de son pre49.Comme tout ce qui angoisse, le monstre fascine. Les chroniqueursont recueilli avec soin les mentions d'tres hors-normes : de la naissance de quadrupls (qui d'ailleurs ne vivent pas)50 la venue Constantinople de Siamois venus d'Armnie51, en passant par la nais-

    45. Pseudo-Psellos, Pri nergeias daimonn, d. P. Gautier, BEB 38 , 1980, p. 164-17 0 (c'est nous qui soulignons). Cette affirmation est prcde du rcit de la dlivranced'une femme possde pendant son accouchement. Le dmon s'exprime par la bouchede cette femme dans la langue des Armniens (race considre comme impure par lesByzantins). Cf . Testament de Salomon, PG 122, 1334 s. : le dmon qui menace lesfemmes en couches est Obizouth.46. Cf . aussi le miracle accompli par Posidonios de Thbes, qui expulse un dmonempchant une femme possde d'accoucher : Histoire lausiaque, c. 36.47. CCAG, 1, cod. 11 (Plut. 28 , cod. 33), f. 55V.48. Ibidem, f. 203v.49. Digeste 14; pitom IV, 12 .50. Thophane, Chronographie, CSHB, p. 106-107. L'vnement eut lieu Antiochevers l'an 375. L' Epitom relate de mme la naissance Alexandrie de quadrupls, suivisquarante jours plus tard d'un cinquime frre : IV, 11 ; cf. Digeste 5, 4, 3; 46 , 3, 36.51. Thophane Continu, CSHB, p. 433; Lon Grammatikos, p. 326; Michel Gly-kas, p. 560. Cf . une analyse dtaille de l'vnement (qui met en scne deux Armniens

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    172 MARIE-HLNE CONGOURDEAUsance d'un enfant sans yeux ni mains, et pourvu d'une queue depoisson : incident mis en parallle avec la naissance, hors du territoirebyzantin, d'un enfant quatre pieds et d'un autre deux ttes52.Le monstre queue de poisson (selon la dfinition lgale) est mis mort aussitt, sa naissance tant assimile un funeste prsage demme les Siamois, aprs avoir t un spectacle de cirque, sont exilsde Constantinople. Et Eustathe de Thessalonique rapporte le cas decette femme du Ploponnse qui, ayant mis au monde neuf enfants enune seule fois, en jette sept dans le fleuve53.Funestes prsages ds l'Antiquit, les monstres et prodiges sontsouvent considrs, dans les milieux chrtiens, comme des chtimentsde Dieu pour une faute commise par les parents, comme l'unionconjugale durant le temps impur des rgles de la femme54.B) mergence de nouvelles pratiques1. Le combat de la rationalit

    La christianisation de l'empire ne se traduit pas seulement parl'adaptation des vieux tabous l'imaginaire chrtien. Contre le paganisme et ses coutumes, les Pres ont tent d'tablir de nouveauxmodes de pense, et la premire tche fut souvent de faire prvaloir laraison sur la superstition.Dans la ligne des mdecins et philosophes antiques qui avaientlutt contre la conception magique du monde55, bien des auteursbyzantins interprtent les tabous des morts prmatures et des naissances monstrueuses dans une perspective naturaliste.runis par le nombril) dans G. E. Pentagalos et J. G. Lascaratos, Bull, of Hist, ofMedic. 58 , 1984.52. Thophylacte Simokats, VI, 1 (= Photios, Bibliothque, cod. 65) le situe sous lergne de l'empereur perse Chosros. Lon Grammatikos (p. 139) et Michel Glykas(Annales, p. 507) le datent du rgne de Maurice Tibre. C'est chez ce s deux dernierschroniqueurs que l'on trouve le parallle avec d'autres naissances monstrueuses. Dansla Vie de Symon Stylite le Jeune, une femme met au monde un enfant aveugle sansmarque de s yeux; les parents vont voir le saint pour lui demander pourquoi il est nainsi (il va sans dire que Symon lui redonne des yeux) : Vie de Symon Stylite le Jeune,d. Van den Ven, 1962, par. 117.53. Eustathe de Thessalonique, Parekb. eis l'en Orner. Iliad., d. M. van der Valk,III, Bull 1979, p. 475-6.54. Dans le miracle 15 de Cyr et Jean, l'auteur attribue la lpre d'un malade l'unionde ses parents durant le temps des rgles : PG 87, 3468. Cette opinion est trs ancienneet trs rpandue : cf. Thodoret de Cyr, Qu. 14 sur le Lvitique; Jean le Jeneur,Kanonikon (Rhalls-Potls IV, p. 441); Lon VI, Novelle 17 . Sur ce thme, cf.S. N. Troianos, L'embryon dans le droit canon byzantin, thique. La vie en question 4(Printemps 1992), p. 55-57.55. Cf. principalement Hippocrate, La maladie sacre (d. en cours aux BellesLettres par J. Jouanna).

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    REGARDS SUR L'ENFANT NOUVEAU-N BYZANCE 173Diodore de Tarse, polmiquant contre les tenants du Destin,explique l'existence des monstres (tres qui ont des lments en trop,par exemple plusieurs ttes) et des tres mutils par une dviation dela nature vers l'excs ou le manque56.Le pseudo-Athanase, dans son homlie sur l'aveugle-n, expliqueles anomalies par un dfaut de la semence masculine ou de lamatrice57.Le dbat sur la Providence est un lieu privilgi pour cetterecherche d'une cohrence logique autant que thologique.Pour Anastase le Sinate au 7e s., si la mort des nouveau-nsdemeure scandaleuse58, elle ne saurait remettre en cause la providence. Dans sa question 127, il rapporte le cas d'une femme qui avaitvu mourir ses trois premiers nourrissons ; la naissance du quatrime,Dieu lui inspire de ne pas le nourrir mais d'avoir recours une nourr

    ice il s'agissait en effet non d'une maldiction, mais d'une mauvaisekrasis des humeurs de la femme, qui rendait son lait nocif59.Michel Glykas affirme avec force que c'est pour une raison naturelle que les nouveau-ns sont atteints de maladies et meurentsouvent prmaturment60. Revenant sur cette question dans sonchapitre sur l'aveugle n, il prcise que la maladie n'est jamais unchtiment de Dieu, et que c'est la nature qui est l'origine des maladies es nouveau-ns61. De mme, l'existence de monstres est imputable la nature qui faonne l'enfant dans la matrice62. C'est la mmethorie qu'il avance dans ses Annales, propos de la naissance d'enfants deux ttes ou quatre pieds63.Au 13e s., Nicphore Blemmyds cite l'appui de cette thse naturaliste Jean Chrysostome, qui avance comme causes la mort prmature es nourrissons la mauvaise sant de la mre, la ngligence de lanourrice, l'anomalie des airs ou toute autre raison naturelle64. Lanaissance d'enfants mal forms s'explique de mme, comme l'a montr sidore de Pluse, par une union conjugale pendant les rgles de la

    56. Diodore de Tarse, ap. Photios, Bibliothque, cod. 223.57. Pseudo-Athanase, Horn, sur l'aveugle-n, PG 28 , 1005.58. Anastase le Sinate, rotapokriseis, Qu. 88 , PG 89 , 715. Cf. qu. 96 , PG 89 , 736.59. Ibidem, Qu. 127, PG 89 , 777. Cf. qu. 96 , PG 89 , 745. L'anecdote est reprise au12e s. par Michel Glykas, qui l'enfle en attribuant cinq enfants morts la femme avantqu'elle ne s'avise de chercher une nourrice pour le sixime.60. Michel Glykas, Aporie 37 , d. Eustratiads, I, p. 423.61. Idem, Aporie 51. II, p. 64-65.62. Ibidem.63. Michel Glykas, Annales, I, p. 54.64. Jean Chrysostome, A Stagirios afflig par un dmon, I, 8 (PG 47 , 444). Nicphore Blemmyds, Dialogue sur les bornes de la vie, c. 7, d. W. Lackner, NikephorosBlemmyds. Gegen die Vorherbestimmung der Todesstunde, Athnes/Leiden 1985, p. 12 .

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    174 MARIE-HLNE CONGOURDEAUfemme, quand le sang de cette dernire est impur65. Cet amalgameentre une explication rationnelle et le tabou de l'impuret des rglescache une rflexion dculpabilisante : c'est parce que le sang desrgles est de mauvaise qualit, et non parce que le couple a transgress un tabou, que l'enfant est mal form66.

    Ces interprtations naturalistes provoqueront vers la fin del'empire une raction de la part d'auteurs plus soucieux de la toute-puissance du crateur que de l'autonomie des causes naturelles67. Iln'empche que toute cette rflexion a contribu, du moins dans lesmilieux intellectuels et religieux, promouvoir une approche plussereine de la naissance, de la mortinatalit, des enfants malforms :point de magie, point de dmons de la naissance ni de Gillo dvoreusede nouveau-ns, point de funestes prsages ou de colre divine, maisle fonctionnement parfois imparfait de la nature cre.2. Protger le nouveau-nCe nouveau-n qui fait moins peur, qui est l'image de Dieu etappel au salut, devient un tre humain dont la vie doit tre respecteet protge par la loi.Des dbuts du christianisme datent les premires lois contre l'infanticide, aussi bien dans la lgislation impriale que dans les canons.Aux lois punissant l'infanticide avr par suffocation ou refus denourrir, s'ajoutent la rpression de l'abandon et de l'exposition (infanticides peine dguiss), ainsi que l'interdiction de rduire en esclavage les enfants trouvs68.

    Le droit canon s'attaque lui aussi l'abandon et l'exposition,formes les plus rpandues de l'infanticide, mais aussi l'homicide parngligence volontaire ou non (accouchement sur les chemins), auxaccidents douteux (enfant trouv mort touff dans le lit de sesparents, accident pour lequel est requis un grand discernement). Danscette lgislation canonique, dans ses commentaires et dans les Pni-tentiels qui en dcoulent, la dfense de l'enfant se fait rarement audtriment de la mre, pour laquelle on cherche la plupart du temps discerner d'ventuelles circonstances attnuantes69. Dans tous les cas,65. Ibidem, p. 15 . Cf. Isidore de Pluse, Lettre IV, 117, PG 78 , 1192.66. C'tait une opinion commune chez les mdecins de la fin de l'Antiquit : cf.Soranos, Maladies des femmes I 12, d. D. Gourevitch, 1988, p. 33 s. : la priode desrgles est impropre la conception parce que l'coulement dilue la semence.67. Cf. Georgios Scholarios, Sur la providence, d. Petit-Sidrids, I, p. 399; 432.68. Cf. par exemple Digeste 25 , 3, 4 et Code Juslinien 9, 16, 8, 6 (contre l'infanticidedirect) ; Novelle 15 3 de Justinien, Code Justinien 8, 51, 2-3 (contre l'abandon et l'exposition,t l'exploitation de s enfants trouvs). Ces diffrentes lois compiles par Justinienseront reprises dans toute la lgislation postrieure.69. Sur l'abandon : canon 15 de Gangres et ses commentaires. Sur l'enfant trouvmort dans le lit des parents : canon 25 de Gangres et ses commentaires, qui vont

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    REGARDS SUR L'ENFANT NOUVEAU-N BYZANCE 175la faute est plus grave si l'enfant n'tait pas baptis, car on le frustrenon seulement de la vie terrestre mais encore de la vie ternelle.3. Bon sens et charit se donnent la main

    En instaurant une relation plus sereine au nouveau-n, la christia-nisation accentue un adoucissement des murs, dj inaugur par lesmdecins et philosophes (stociens par exemple) de l'poque romaine.a) AccueillirL'effort pour accueillir l'enfant se traduit la fois dans les institutions orphanotrophia et brephotrophia) et dans les mentalits : Jeanl'Aumnier, durant la grande famine d'Alexandrie, cre des maternitsour les femmes pauvres70. De nombreuses Vies de saints prsentent des thaumaturges sauvant mre et enfant lors d'accouchementsathologiques71.b) La charit transgresse les tabous

    L'un de ces rcits hagiographiques est particulirement significatif,car le saint n'y opre pas de miracle : il met, si l'on peut dire, la main la pte. Un moine d'Ancyre se voit une nuit appel la rescoussepar un mari dont la femme ne parvient pas accoucher; dlaissantses prires, le bon moine fait alors office de sage-femme, sans trerebut par la souillure inhrente aux femmes qui accouchent, grce la charit qui l'y rendait insensible72. Nous voyons dans cet exemplecomment la charit transgresse sereinement les tabous.De mme, les exceptions faites la date du baptme si l'enfant esten pril de mort, le refus d'admettre la damnation des enfants mortssans baptme, la rsurrection provisoire en vue de baptiser un enfantmort, et la rponse bourrue de Pierre le chartophylax dclarant que lamre non purifie doit allaiter son enfant baptis, relvent de ceteffort pour promouvoir un regard plus positif et des pratiques plushumaines dans le domaine de la naissance.

    progressivement dans le sens d'une plus grande prudence avant de conclure un infanticide volontaire : cf. le Kanoniken de Jean le Jeneur, repris dans la lettre du chartophylax Nicphore Thodose de Corinthe (RP V, p. 400).70. Vie de Jean Aumnier, c. 7, d. II. Delehaye, An. Boll. 45 , 1927, p. 22.71. Vies de Melanie, de Porphyre de Gaza, de Symon Salos, de Marcel l'Acmte,d'Ignace de Constantinople, de Thophano, Histoire Lausiaque et Histoire Philothe.etc.72. Histoire Lausiaque. c. 58.

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    ConclusionTrs progressivement, en charriant de nombreuses survivances de

    la conception magique du monde, en affrontant de nombreuses rsistances, l'glise byzantine a inocul son anthropologie spcifique dansles mentalits et pratiques concernant le nouveau-n. Celui-ci est peu peu considr comme un tre humain, et non plus comme cettenigme fragile et menaante, lieu de toutes les terreurs. La peur devoir natre un enfant non viable ou mal form demeure, mais elle esttout doucement apprivoise. On peut en voir un signe dans l'attitudede Michel Psellos, qui porte en lui toutes les contradictions byzantines dans une lettre un jeune pre, il dclare qu'il bondit, pourainsi dire, sur les nouveau-ns, et il dcrit en des termes trsmodernes son attendrissement devant les bbs. Par ce texte du11e s., Byzance inaugure, bien avant le 18e sicle franais, ce que leshistoriens appellent le sentiment de l'enfance73.Marie-Hlne CongourdeauC.N.R.S.-URA 186

    73. Lettre 15 7 l'pi ton krisn, d. Sathas, V, p. 409.