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PIERRE SABATIER Marie-Caroline, reine de Naples P eu de souveraines ont eu une destinée aussi agitée que cette fille de l'impératrice Marie-Thérèse, peu de femmes se sont attiré des haines aussi violentes dues à son ardeur combative, à sa passion de l'intrigue et à son caractère indomptable, mais ces haines n'ont jamais empêché ses pires ennemis de l'admirer pour son courage et de la respecter pour son patriotisme. Elle voyait dans l'esprit révolutionnaire, même avant qu'il l'eût frappée dans ses affections les plus chères, le plus grand adversaire d'une civilisation et d'une tradition auxquelles elle demeurait irré- ductiblement attachée. Pour le combattre, même lorsqu'elle se sentait dominée, terrassée, elle refusa de se soumettre, pouvant faire sien le mot de François P r après la bataille de Pavie : « Tout est perdu, fors l'honneur / » Malgré toutes les vicissitudes, elle resta toujours fidèle à sa patrie d'origine, à sa chère ville de Vienne où elle était née, où elle devait mourir au moment où le royaume de Naples allait lui être rendu incontinent et où les souverains alliés réunis en Congrès se concer- taient pour l'hallali de Napoléon. L e dernier empereur de la dynastie des Habsbourg, Charles VI, était mort en 1740, ne laissant qu'une fille, Marie-Thérèse, mariée au duc François de Lorraine descendant par sa mère du régent Philippe d'Orléans. A son avènement, la jeune souveraine vit tous les princes d'Europe ligués contre elle pour la dépouiller et secouer un joug trop longtemps prépondérant. Ils s'aperçurent vite qu'ils s'étaient trompés sur le caractère de Marie-Thérèse, qui entendait non seule- ment conserver ses apanages, mais aussi récupérer ceux que les guerres suivies de traités pénibles pour l'Autriche lui avaient enlevés. En effet, la Lorraine avait été annexée à la France et son souverain 62

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Page 1: Marie-Caroline, reine de Naples

PIERRE SABATIER

Marie-Caroline, reine de Naples

P eu de souveraines ont eu une destinée aussi agitée que cette fille de l'impératrice Marie-Thérèse, peu de femmes se sont

attiré des haines aussi violentes dues à son ardeur combative, à sa passion de l'intrigue et à son caractère indomptable, mais ces haines n'ont jamais empêché ses pires ennemis de l'admirer pour son courage et de la respecter pour son patriotisme.

Elle voyait dans l'esprit révolutionnaire, même avant qu'il l'eût frappée dans ses affections les plus chères, le plus grand adversaire d'une civilisation et d'une tradition auxquelles elle demeurait irré­ductiblement attachée. Pour le combattre, même lorsqu'elle se sentait dominée, terrassée, elle refusa de se soumettre, pouvant faire sien le mot de François P r après la bataille de Pavie : « Tout est perdu, fors l'honneur / »

Malgré toutes les vicissitudes, elle resta toujours fidèle à sa patrie d'origine, à sa chère ville de Vienne où elle était née, où elle devait mourir au moment où le royaume de Naples allait lui être rendu incontinent et où les souverains alliés réunis en Congrès se concer­taient pour l'hallali de Napoléon.

L e dernier empereur de la dynastie des Habsbourg, Charles VI, était mort en 1740, ne laissant qu'une fille, Marie-Thérèse, mariée

au duc François de Lorraine descendant par sa mère du régent Philippe d'Orléans.

A son avènement, la jeune souveraine vit tous les princes d'Europe ligués contre elle pour la dépouiller et secouer un joug trop longtemps prépondérant. Ils s'aperçurent vite qu'ils s'étaient trompés sur le caractère de Marie-Thérèse, qui entendait non seule­ment conserver ses apanages, mais aussi récupérer ceux que les guerres suivies de traités pénibles pour l'Autriche lui avaient enlevés. En effet, la Lorraine avait été annexée à la France et son souverain

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dédommagé de la perte de son duché par l'attribution de la Toscane. La Maison d'Espagne avait reçu en 1735, en avantages, le royaume de Naples enlevé à l'Autriche et le royaume des Deux-Siciles à ht Maison de Savoie.

Marie-Thérèse, dans son désir d'hégémonie, songea que le meil­leur moyen de récupérer son prestige était de marier ses enfants avec des descendants des cours d'Europe, en particulier avec des princes d'Espagne, de Naples ou de France. Elle y songea dès leur berceau avec un zèle et une obstination politiques implacables qui n'eurent d'ailleurs pas toujours un heureux résultat, comme ce fut le cas de l'infortunée Marie-Antoinette.

S i le destin de Marie-Caroline fut moins tragique, i l connut cepen­dant bien des heures dramatiques et se déroula dans une suite

continuelle de luttes. Ce n'était pas elle, mais sa sœur aînée, Josepha, que Marie-

Thérèse destinait au roi de Naples, Ferdinand, second fils du roi Charles III d'Espagne. Josepha ayant été emportée par la petite vérole en 1767, l'impératrice, anxieuse de ne pas laisser échapper un trône, s'empressa de proposer à son cousin ibérique une autre de ses filles (celle qui lui conviendrait le mieux) pour le roi de Naples. Celui-ci, en apprenant ces projets familiaux, sans attendre de voir sa future épouse, s'était écrié : « Che bella cosa ! » (Quelle belle chose !), exclamation qui sembla de bon augure au comte Kaunitz, ambassadeur d'Autriche, chargé de ces négociations. Après quelques hésitations, Marie-Thérèse, au choix de laquelle Charles III se fiait, désigna la jeune Charlotte, qui devait prendre pour les besoins de la cause le prénom plus italien de Marie-Caroline. La mère, prudente, pensait que la fiancée avait déjà eu la petite vérole et ne risquait pas, comme son aînée, de triste surprise.

Le mariage eut lieu à Vienne, le roi étant représenté par l'archiduc Ferdinand. Le nonce bénit cette union. Marie-Caroline et sa mère fondirent en larmes ; elles avaient peine à se séparer. La pompe de la cérémonie, le luxe des toilettes, l'important cortège qui devait l'escorter jusqu'à son nouveau royaume, ne parvenaient pas à dérider la jeune archiduchesse déjà très mûre pour son âge. L'après-midi même du mariage, une longue file de cinquante-sept voitures se mirent en marche derrière le carrosse où étaient assises la reine et ses dames d'honneur. Des gardes-nobles sur de magnifiques chevaux caracolaient de chaque côté. Le marquis Pallaviccini avait la charge d'assurer dans les moindres détails le voyage de Marie-Caroline jus­qu'à sa nouvelle capitale et de préparer les relais et les fêtes qui devaient se donner dans les capitales d'Italie que la reine traverserait : Venise, Mantoue, Florence, où son oncle Léopold lui offrit un bal costumé, Rome enfin, où le passage de la reine posa de graves et délicats problèmes d'étiquette.

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On arrive enfin à Terracine, où Pallaviccini doit remettre la reine entre les mains de son royal époux, qu'elle ne connaît pas encore, et où le cortège autrichien doit prendre congé de Marie-Caroline, trans­mettant à la garde napolitaine le souci de veiller sur sa nouvelle souveraine. Le grand-duc de Toscane en a décidé ainsi car il a remarqué que sa sœur avait tendance à regarder d'un œil trop sym­pathique certains officiers autrichiens et entendu à ce propos des rumeurs plutôt malveillantes. Le fait est que lorsque Marie-Caroline, au palais de Terracine, doit prendre congé de ses compatriotes, elle éclate en sanglots. Il faut que le grand-duc et la grande-duchesse de Toscane la soutiennent, l'aident à passer dans une chambre pour y changer d'habit et l'accompagnent ensuite jusqu'à une localité voisine de Terracine où elle doit rencontrer son époux.

Entrevue pénible ! Ferdinand ne trouve rien à lui dire après les phrases conventionnelles de bienvenue qu'on lui a apprises et qu'il répète d'une voix de fausset.

A la fin du dîner, la reine se jette en pleurant dans les bras de sa belle-sœur en s'écriant : « Je crois que je ne lui plais pas et que je serai malheureuse toute ma vie ! » Le soir même, au château de Caserte, où doit se consommer cette union décidée en dehors des intéressés, la grande-duchesse adresse un ultime sermon à sa petite belle-sœur. Marie-Caroline l'écoute en pinçant les lèvres. Léopold écrira à Marie-Thérèse : « Je tremble pour demain. » La grande-duchesse a quitté Marie-Caroline après quelques mots d'encourage­ment et l'a abandonnée à son nouveau destin. Ni elle ni son époux ne pourront trouver le sommeil pendant la nuit qui suivra. A 4 heures du matin, ils sont encore éveillés et le jour est à peine levé qu'ils guettent le moment où i l leur sera permis de revoir le jeune ménage.

Ferdinand paraît le premier, déjeune avec ses invités, va faire une promenade avec eux avant de se rendre à la chasse dans le parc qui entoure le château. Comme on s'étonnait, autour de lui, qu'au lendemain de son mariage i l aille chasser, délaissant sa jeune femme, et qu'on lui demandait des nouvelles de la reine : « Elle dort comme si elle était morte et transpire comme un sanglier », répond-il.

Tout anxieuse, la grande-duchesse se rend chez la reine. Elle n'a besoin de poser aucune question pour que sa belle-sœur lui fasse ses confidences sur ce qui s'est passé. « Le roi s'y est pris très rudement et de très mauvaise grâce », expliquera plus tard la grande-duchesse à son époux.

Comme ils redoutent l'effet que produirait sur la cour l'absence du roi continuant à chasser pendant que sa jeune femme est seule au palais, ils vont avec Marie-Caroline à sa recherche dans le parc et le décident à rentrer au château. Une heure après le repas, Ferdinand attrape de nouveau son fusil et repart, cette fois en nombreuse compagnie. Il ne rentre qu'à sept heures du soir, juste à temps pour voir la magnifique illumination et le feu d'artifice préparé en l'honneur de son mariage.

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On a décidé de prolonger le séjour à Caserte pour préparer l'entrée solennelle à Naples des nouveaux époux à la tête d'un somptueux cortège. Le roi écrit ce jour-là à sa belle-mère combien sa jeune épouse lui plaît et, de son côté, la grande-duchesse apprend à Marie-Thérèse que Marie-Caroline, dès le premier soir, est devenue la femme de son mari.

Pendant les jours suivants, on cherche à distraire la jeune reine avec des feux d'artifice, des concerts, des promenades aux cascades. Marie-Caroline parcourt, émerveillée, les diverses pièces du beau château de Caserte, qui lui plaît à cause de son caractère imposant et de son îuxe, et qu'elle trouve arrangé avec beaucoup de goût.

Son mnti et les gens qui l'entourent lui plaisent moins. Le roi mesure 1,75 m avec un corps disproportionné. Les jambes et le bas des cuisses sont longs et trop minces, alors que son torse et ses épaules sont infiniment plus forts. Ses bras sont particulièrement musclés et i l se plaît à montrer sa force en serrant les mains de ses amis jusqu'à les écraser. Sur le torse massif repose une petite tête couverte d'une forêt de cheveux café au lait foncé, retenus en arrière par un filet. Ils sont plantés si bas sur le front, jusqu'aux yeux, que son énorme nez d'aigle semble avoir poussé dans les cheveux ! Une large bouche ourlée d'une lèvre inférieure très proéminente découvre des dents irrégulières. Les yeux, petits, se perdent dans un visage aussi rudement taillé. Le teint est jaune et ne laisse encore soupçon­ner aucune poussée de barbe. Ses mains, longues et minces, sont rugueuses et noires comme celles d'un paysan.

Le jugement de la jeune femme sur son mari concorde avec celui de Léopold, qui écrivait à Marie-Thérèse : « Ferdinand est sans gêne et n'aime ni bien s'habiller, ni se montrer en société, mais il possède un solide bon sens et des dons naturels, un cœur excellent disposé souvent à faire plaisir ; mais ces dons n'ont jamais été cul­tivés... Il n'a aucune intuition des affaires, ne se plaît que dans l'intimité de courtisans serviles, n'aime que la chasse et n'entend rien à la musique ni à la danse. Le malheur est que ses amis sont de véritables bouffons qui poussent le roi à se livrer à de continuelles arlequinades, et le maintiennent dans de lamentables enfantillages. Ces vils flatteurs ne cherchent qu'à le distraire et à l'accabler de compliments. Grâce à eux, Ferdinand a perdu tout 'sens critique. Il fait souvent son entrée mal coiffé, criant et gesticulant, oubliant tota­lement de saluer ses invités, parlant un napolitain populaire entaillé des expressions les plus grossières. Bien que sachant le français, cela le gêne de le parler. Dès qu'il 'se trouve en présence de gens qu'il ne connaît pas, il éprouve un indescriptible embarras, ne sachant plus ce qu'il fait, n'osant même pas regarder en face son interlocu­teur quel qu'il soit, fût-il un pauvre diable, si c'est la première fois qu'il le voit. Il est si gêné avec sa femme qu'il hésite à lui adresser un mot, même en notre présence. » (Léopold à Marie-Thérèse, le 14 mai 1768.)

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Souvent, l'enfant que le roi est demeuré se trahit. Ainsi, le lendemain de l'arrivée à Caserte, i l pince vigoureusement, à table, la jambe du maître d'hôtel au moment où celui-ci apporte un plat. Un autre jour, i l se cache derrière une porte et, lorsque le grand-duc entre, i l sort de sa cachette en faisant beaucoup de bruit pour l'effrayer. Si on lui pose une question à propos d'une affaire tant soit peu sérieuse, i l déclare qu'il s'informera auprès de Tanucci, son premier ministre, avant de répondre.

La jeune reine, fort embarrassée les premiers jours par l'attitude de son mari, se montre très raisonnable, faisant tout pour lui plaire. Le grand-duc Léopold n'en déclarait pas moins dans une lettre à sa mère qu'il trouvait sa sœur très déprimée, triste et mécontente du lot qui lui était échu en partage. « Elle avale tout, ajoute-t-il, mais j'ai peur que cela ne lui fasse du mal. »

La grande-duchesse prend le roi à part et lui recommande d'être plus adroit et plus caressant avec sa femme. « Oui, répond Ferdinand un peu honteux, je vous promets de me corriger car je vous ai toujours répété que ma femme me plaît. » Le lendemain, en effet, i l se montre plein d'attentions à l'égard de Marie-Caroline et reste le matin auprès d'elle au lieu d'aller chasser selon son habitude.

Le 20 mai 1768, Ferdinand et Marie-Caroline doivent faire à Naples une entrée solennelle dans un carrosse de gala attelé de huit chevaux et suivi d'un imposant cortège.

Pendant quatorze jours, ce ne sont que bals, soirées théâtrales, redoutes masquées et sérénades, programme épuisant pour la petite reine. On donne aussi au peuple une grande fête nommée « cucca-gna ». A cette occasion, on édifie sur la grande place, devant le palais royal, une petite forteresse en friandises de tous genres et, à un signe, on la donne en pillage à la population.

La vie reprend ensuite son cours ordinaire, mais selon un rythme et des traditions absolument neufs pour Marie-Caroline, qui doit se plier aux exigences de son rôle. La nourriture qu'on lui sert est bien différente de celle de son pays, à la fois peu soignée et très abondante. Il y a une quantité de plats et de viandes de tous genres, car le roi est gros mangeur : cinq repas quotidiens ! Le matin, chocolat et biscuits. A onze heures, petits pâtés, côtelettes, jambons. A midi, le dîner est servi. Chaque jeudi et chaque dimanche, i l a lieu offi­ciellement et toute la noblesse y a ses entrées. Les autres jours, le roi et la reine mangent avec leur nombreuse cour. A cinq heures, on prend le thé et à neuf heures et demie du soir on soupe très copieusement.

Les palais de Naples et de Portici étaient fort beaux, mais à peine pouvait-on faire un pas dans les antichambres sans se heurter à une foule de dix à douze laquais. Ce n'étaient partout que chas­seurs, rabatteurs, gardiens de chiens, courtisans et bouffons. On y voyait aussi un panorama, une cuisine de poupées, une petite impri­merie et, dans cinq ou six chambres décorées de fresques grandioses, une quantité de poules, d'oies, de canards, de perdreaux, de pigeons,

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MARIE-CAROLINE, par Mme Vigée-Lebrun

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d'oiseaux de toutes espèces... Dans d'autres chambres, on trouvait des hordes de chats, de chiens, de lapins, et même, enfermés dans des cages, des rats et des souris que le roi laissait souvent échapper pour permettre aux bouffons de les poursuivre à travers le château en poussant de grands cris et en faisant beaucoup de tapage.

Marie-Caroline avait beau être encore une enfant, elle possédait déjà le sentiment de sa dignité, et l'entourage immédiat de son mari l'agaçait singulièrement.

Quatorze jours à peiné ont passé et déjà la petite reine se montre moins prévenante vis-à-vis de son époux. Un jour, elle se querelle avec lui à propos d'une danse. Une autre fois, voulant écrire après le dîner, alors qu'il souhaitait bavarder avec elle, sans prévenir elle va s'enfermer dans sa chambre. Le grand-duc a peur que le roi ne s'indigne, mais i l se montre au contraire étonné et attristé. Plus le temps passe et plus Ferdinand s'attache physiquement à sa femme, et lorsque la reine lui témoigne quelque froideur il en éprouve une impression pénible.

Ce couple de souverains-enfants forme, avec Tanucci, un étrange trio. Le ministre, septuagénaire, tient à tout faire lui-même, aussi le grand-duc décide-t-il de lui parler longuement. Un soir où le roi jouait avec ses petits camarades à un jeu appelé « la vache aveugle » et s'amusait à se battre avec les uns et les autres, le grand-duc en profita pour dire au très puissant ministre qu'il devrait employer son influence à maintenir la cour dans des traditions de meilleur goût. Tanucci en convint et répondit que le roi d'Espagne jugeait les jeunes gens de l'entourage de Ferdinand des vauriens très nuisibles dont i l vaudrait mieux se débarrasser une fois pour toutes, « mais que dans quelques années, la reine fera de son mari ce qu'elle voudrait... »

Marie-Thérèse s'inquiétait de voir passer les années sans qu'aucun espoir de postérité se dessine à la cour de Naples. En octobre

1771 enfin, les premiers signes de grossesse se manifestèrent chez Marie-Caroline, et le 6 juin 1772 elle mettait au monde une fille qui reçut le prénom de Marie-Thérèse. En juillet 1773, après des mois pénibles dont sa santé eut fort à souffrir, ce qui inquiéta sa mère, Marie-Caroline eut une seconde fille, Ludovica.

A partir de cette époque, la vie de la reine ne fut, jusqu'en 1793, qu'une longue suite de maternités puisqu'elle eut dix-sept enfants dont d'ailleurs un grand nombre devaient mourir en bas âge.

Le 6 janvier 1775 voyait naître le prince héritier si impatiemment attendu, qui reçut le prénom de Charles en l'honneur de son grand-père. Celui-ci, qui n'avait fait encore aucun cadeau à sa belle-fille, lui envoie cette fois une très belle bague de diamants, avec une pierre taillée en cœur, et une merveilleuse montre ornée de brillants.

Marie-Caroline et l'ambassadeur de l'Empire allemand, le comte Wilczek, rappelèrent à cette occasion que l'épouse de Charles III

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avait eu sa place au Conseil d'Etat du jour où elle avait mis au monde un prince héritier, et que la reine actuelle devait désormais jouir de la même faveur. Ils se heurtèrent à la résistance acharnée de Tanucci, qui ne voulait à aucun prix accorder une faveur signifiant pour lui la fin de son hégémonie.

Le 7 juillet 1776, obéissant aux désirs de sa jeune et jolie femme qui lui plaît de plus en plus, Ferdinand écrit de nouveau à son père pour lui demander de l'autoriser à renvoyer le vieux niinistre, tout en lui conservant sa place au Conseil d'Etat.

Charles III a beau assurer son fils qu'il n'approuvera jamais un changement de gouvernement, dans une lettre du 20 octobre, une semaine plus tard, Ferdinand démet purement et simplement Tanucci de ses fonctions sous prétexte qu'il a perdu la mémoire, et le remplace par le Sicilien Giuseppe Beccadelli Bologna, marquis délia Sambucca, officiellement nommé conseiller d'Etat, premier secrétaire des Affaires étrangères et de la maison du roi. Comme i l s'agit de l'ambassadeur des Deux-Siciles à Vienne, on soupçonne l'impératrice d'avoir tout machiné.

Le roi annonce sa décision à son père en lui disant qu'après tout il est roi des Deux-Siciles par la grâce de Dieu et qu'il a, de ce fait, droit de gouverner son royaume comme i l l'entend. Ainsi se termine le duel entre le roi et Tanucci par la complète victoire de Marie-Caroline.

Ce premier grand succès encourage la reine, la fortifie dans son ambition. Fille de Marie-Thérèse, elle a entendu arracher le pouvoir sur le pays dont elle est reine à deux vieillards : Tanucci et Charles III d'Espagne, et à faire qu'enfin son mari devienne le maître de l'Etat. S'étant rendu compte que le roi ne manifestait aucun goût pour la politique, Marie-Caroline comprend combien sa propre accession au Conseil serait nécessaire pour éviter qu'un nouveau ministre ne s'empare du pouvoir au profit d'influences étrangères et plus parti­culièrement de l'influence de l'Espagne. Ainsi obtient-elle la faveur qu'on lui avait refusée jusque-là : le 8 avril 1778, elle prend part pour la première fois, à Portici, au Petit Conseil auquel jusque-là le roi ne convoquait que le premier ministre et les secrétaires d'Etat.

Plus la reine se penche sur certains rapports, plus elle constate un nombre impressionnant d'abus. Elle voit ainsi la nécessité urgente de fortifier l'armée et la marine, mais elle ne charge de cette tâche aucun Napolitain, jugeant ses sujets d'une culture et d'une éducation à peu près nulles. Il lui faut donc trouver un étranger pour jouer ce rôle important. Son attention est alors attirée sur un certain Acton appartenant à une famille de baronnets du Shropshire, en Angleterre, né en France où son père s'était installé comme médecin, et qui s'était distingué à Tunis dans un combat contre les Turcs. Il se trouvait actuellement au service du grand-duc de Toscane. La reine décida donc, d'accord avec le roi, de s'adresser à son frère.

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« Notre situation a besoin d'une bonne marine, lui écrivit-elle, la nôtre est une véritable honte. Mon cher époux compte confier le secrétariat de la Marine à John Acton, si vous aviez la bonté de nous le prêter quelques années. »

Le grand-duc voulant faire plaisir à sa sœur exauce immédiate­ment son désir. Acton, très flatté d'être appelé à réorganiser la Marine, arrive le 11 août 1778 à Naples et aussitôt élabore un plan et le soumet à la reine, qui en est enchantée au point de déclarer à son frère, une semaine après : « Plus je vois cet homme, plus il me paraît estimable. » Ferdinand, toujours hésitant, propose de demander à son père à Madrid s'il approuve ce choix. Alors, la reine de répon­dre : « C'est bien, écris-lui. » Ce que le roi fait aussitôt. Mais Marie-Caroline n'attend pas une réponse à laquelle elle n'attache d'ailleurs aucune importance pour réaliser ce qu'elle a décidé. Acton devait, avec Marie-Caroline, mener la politique du royaume pendant de longues années.

Le 8 décembre 1780, un garde-noble arrivait à Naples pour annon­cer le décès de l'impératrice Marie-Thérèse qui venait d'être emportée le 29 novembre par une maladie soudaine et brutale. La reine, effon­drée de douleur, se retira aussitôt dans ses appartements dont elle interdit l'accès à tout le monde. Elle prescrivit un deuil de cour extrê­mement sévère, par respect pour la mémoire de la défunte autant que pour sa propre douleur, et envoya à son frère Joseph une longue lettre de condoléances. La réponse de l'empereur ne tarda pas ; il l'assurait qu'il s'emploierait à satisfaire tous ses désirs.

Pour oublier son chagrin, Marie-Caroline se plongera avec encore plus de zèle qu'auparavant dans les affaires, tenant un journal dans lequel elle consigne non seulement tous les événements de sa jour­née, mais encore de longs extraits des missives qu'elle a reçues et envoyées. Elle prend part quatre fois par semaine aux Conseils de la Couronne et s'y emploie avec beaucoup de zèle à la réorganisation de l'armée et de la marine, sans négliger pour autant l'éducation intel­lectuelle et la vie spirituelle de ses sujets.

L a' famille royale s'est encore développée puisqu'en juin 1781 Marie-Caroline a mis encore au monde un fils. Suivant en cela

l'exemple maternel, elle se préoccupe de l'établissement de ses nom­breux enfants dès leur plus jeune âge. Ayant espéré pour sa fille Marie-Thérèse la main d'un grand-duc de Russie, elle a appris que celui-ci s'était fiancé en 1781 à une princesse de Wurtemberg. Cette décep­tion la décide à surmonter l'antipathie qu'elle éprouve pour la tutelle de son royal beau-père et elle s'adresse à lui : « Ma chère Thérèse est maintenant dans sa dixième année et ma petite Louise, dans sa neu­vième. L'aînée est déjà très raisonnable et je désire ardemment l'établir. Je laisse le soin à la bonté paternelle de Votre Majesté de chercher des princes pouvant convenir à mes filles. Je sais bien qu'il y en a peu au monde, alors qu'il y a beaucoup de princesses. » Elle insinue

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encore qu'une alliance avec la Maison de Savoie lui conviendrait fort, et songe également au futur mariage de son fils François, alors âgé de quatre ans, auquel elle voudrait assurer la main d'une archiduchesse.

Acton était devenu le maître de la politique du royaume de Naples, exerçant une influence de plus en plus grande sur la reine, ce qui suscitait trop de commentaires pour que Charles III ne s'en inquiétât pas. Le roi d'Espagne demanda alors à son fils de se séparer d'Acton car cet homme, à son avis, était coupable de tout le mal dont souffrait la cour de Naples. « Si tu ne le fais pas, conclut le roi, je ne croirai jamais que tu es un bon fils. Avec le temps, la situation ne fera qu'empirer pour toi. »

Acton, prévenu par Ferdinand de l'hostilité du roi d'Espagne, lui demande de le laisser partir. Il ne veut plus ni parler à la reine ni même la voir, pour éviter d'alimenter les rumeurs diaboliques qu'on fait courir. C'est la meilleure manière de provoquer la réaction du souverain en sa faveur, mais à peine le ministre s'en est-il allé que le roi prend une violente colère à propos des bruits qui circulent à Naples, et, pendant que Marie-Caroline est en proie à une crise de nerfs, i l hurle : « Je ne veux pas être cocu !... Je ne l'ai jamais été et je ne tiens pas à passer pour tel aux yeux de toute l'Europe. »

Acton est rappelé. La reine, ayant pris cette affaire très à cœur, en est demeurée

très blessée. Ferdinand se demande si toutes les accusations portées contre celui qu'il tient pour un fidèle serviteur sont justifiées. Il fait part de ses doutes à Marie-Caroline, qui, énervée par une grossesse de cinq mois, ne peut plus se dominer et crie que son honneur est attaqué, sans raison certes, mais que dans ce domaine i l suffit de paroles imprudentes pour compromettre irréparablement une répu­tation. Elle né s'aperçoit pas qu'elle risque, par une telle irritation, d'éveiller davantage les soupçons de son époux et de justifier les attaques dont elle a été la victime innocente. Le roi montre plus de calme que sa femme et comprend que s'il renvoyait Acton i l commet­trait une folie et donnerait satisfaction à ses adversaires. C'est cepen­dant en proie à un grand désarroi et à une vraie douleur qu'il écrit à son beau-frère Léopold : « Maintenant qu'on ose s'en prendre publiquement à l'honneur de ma femme, ta propre sœur, et la traîner dans la boue, je n'ose plus me montrer nulle part et je ne sais même plUs si je vis dans ce monde ou dans un autre... Je te recommande une pauvre et malheureuse famille... »

La situation d'Acton se trouva de ce fait encore renforcée. Le 14 septembre 1788, le roi d'Espagne s'éteignait dans sa soixante-treizième année. Les souverains de Naples avaient eu maintes fois occasion de se plaindre de la conduite de Charles III à leur égard, tout en reconnaissant que celui-ci s'était montré pour son pays un monarque excellent. Son successeur Charles IV avait un caractère moins énergique. La politique ne l'intéressait pas. Il ne devait pas tarder à abdiquer toute autorité entre les mains de la reine Marie-Louise de Parme, dépourvue de tout sens moral. Sous son règne, le

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royaume d'Espagne ira aux abîmes à cause de cette femme ambi­tieuse et dominatrice qui causera tant d'ennuis aux souverains de Naples.

Des orages s'accumulent sur l'Europe. L'Angleterre s'est faite la protagoniste d'idées libertaires qui ont trouvé des échos sympa­thiques dans d'autres pays et même chez certains souverains comme Joseph II. Les mauvais résultats ne s'en font pas attendre en France où des rivalités violentes commencent à opposer les classes privilégiées du clergé et de la noblesse au tiers état. Les arresta­tions arbitraires, les dépenses exagérées de la cour, les abus des fermiers généraux, sont bientôt causes de profonds mécontentements. Le 5 octobre 1789, une foule composée de garçons bouchers, de voyous de tous genres et de nombreuses femmes s'était précipitée à Versailles, obligeant les souverains à rentrer à Paris et à s'installer aux Tuileries, près de l'Assemblée nationale, transportée elle aussi dans la capitale, de sorte que la famille royale était devenue en quelques jours la prisonnière du peuple.

Il est clair que l'Europe entière est menacée. La reine de Naples, avec sa sensibilité et sa nervosité personnelles, en pressent les dangers plus que quiconque.

L e 20 février 1790, à cinq heures et demie du matin, Joseph II s'éteignait en murmurant ces dernières paroles : « Je crois avoir

rempli mes devoirs d'homme et de prince. » Son successeur était tout naturellement son frère Léopold. Il ne devait régner que deux ans. Son avènement fut pour Marie-Caroline une grande joie, car elle avait pour lui autant d'affection que d'admiration. Elle songe aussi­tôt à utiliser son intimité avec le nouvel empereur pour marier ses deux filles aînées avec leurs deux cousins germains. Le prince héritier Franz, qui a récemment perdu sa femme, épousera Marie-Thérèse, la fille aînée des souverains de Naples. La seconde, Ludo-vica, épousera le nouveau grand-duc de Toscane, Ferdinand lui-même, second fils de Léopold II, et, pour exaucer les désirs de Marie-Caroline, le prince héritier de Naples, Francesco, deviendra l'époux de l'archiduchesse Clémentine. Cette triple décision fut réalisée dans un temps record, quelques mois à peine après l'avènement de Léopold II.

La reine Marie-Caroline, qui avait mis au monde, le 2 juillet 1790, un nouvel enfant, partit à peine rétablie pour Vienne avec le roi et ses deux filles fiancées. Le prince héritier n'était pas du voyage : sa fiancée n'avait que treize ans, ce qui n'empêcha pas le mariage d'avoir lieu — par procuration i l est vrai — le 19 septembre en même temps que celui de ses deux sœurs, un archiduc l'ayant remplacé pour cette cérémonie.

Marie-Caroline, ravie de se retrouver dans sa patrie, profita de son séjour pour assister au couronnement de son frère à Francfort. Hélas ! comme nous l'avons dit déjà, Léopold II ne devait pas régner

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deux ans. Il mourut subitement, laissant son trône à son fils Franz, le gendre de Marie-Caroline, en mars 1792. La reine de Naples en fut profondément affectée, car elle comptait sur son frère pour défendre les intérêts du royaume de Naples et essayer d'arracher aux griffes de la Révolution française Louis X V I et Marie-Antoinette qui, depuis leur arrestation à Varenne, n'étaient plus que des otages.

C 'est à partir de cette année que la destinée de Marie-Caroline prend un caractère tragique. Elle avait tout de suite compris,

la vague de terreur que la Révolution allait faire déferler sur la France et les atroces répercussions que cette même Révolution allait provoquer dans toute l'Europe. Dès ce moment, sa vie n'est plus qu'une lutte contre l'hydre révolutionnaire. Elle cherche partout des alliés et des appuis, s'indignant de la mollesse des souverains, que l'exemple de Louis X V I devrait éclairer pourtant. L'exécution des souverains français la glace d'horreur. Elle crie vengeance dans des lettres à l'empereur, au roi d'Espagne, au roi d'Angleterre. Acton la soutient dans sa lutte acharnée contre la France qu'elle assimile maintenant à la Révolution, et c'est dant le dessein de se concilier les faveurs de l'Angleterre qu'elle accueille avec tant de chaleur rambassadeur britannique Hamilton, se faisant une amie de la ravis­sante Emma (célèbre par ses aventures, immortalisée par le pinceau de Romney) dont le diplomate a fait sa femme après quelques hésitations et malgré la réprobation de ses collègues de la Chambre des lords.

Pendant des années, le ménage Hamilton fut en constante intimité avec la reine, depuis le moment où, rentrant d'Angleterre et ayant traversé Paris, le diplomate et sa femme avaient pu voir Louis X V I et Marie-Antoinette au Louvre et avaient rapporté à la reine de Naples des nouvelles de sa malheureuse sœur, les dernières avant les événements tragiques.

Evidemment, la petite histoire s'est amusée aux dépens de l'inti­mité de la reine avec les Hamilton, comme elle s'est plu à insister sur les sentiments complexes que Marie-Caroline éprouvait pour Acton. On oublie trop que Marie-Caroline était avant tout une femme politique qui se servait de son prestige, de son intelligence, de tous les moyens" de séduction que son rang lui donnait pour obtenir les appuis et les alliances pouvant lui permettre de lutter contre la France. A u lendemain de la mort de Marie-Antoinette, suivant de si près celle de Louis X V I , Marie-Caroline éprouvait, bien sûr, pour le gouvernement coupable de ce double régicide une indicible aversion, mais plus tard, lorsque Thermidor eut supprimé les prin­cipaux criminels, et le Directoire instauré une ère plus paisible en France, Marie-Caroline, en bonne politicienne, se serait calmée si Napoléon n'avait aussitôt incarné pour Naples et pour l'Autriche, les deux patries de Marie-Caroline, un danger mortel dont seule une alliance solide avec l'Angleterre pouvait écarter la menace. Elle avait compté successivement sur la Russie, sur l'Autriche, sur la

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Prusse. Elle n'éprouva que des déceptions. Catherine II morte, son fils Paul I e r , au début l'adversaire de Napoléon, devait, après des revers éclatants, courber le front devant le nouvel empereur des Français. L'empereur Franz, le propre gendre de Marie-Caroline, dont elle ne cessait d'exciter les ressentiments, devait à son tour, après Austerlitz, signer la paix avec la France abandonnant Naples à son triste sort, à la différence de l'Angleterre qui tenait à défendre le royaume des Deux-Siciles comme le dernier bastion en Méditer­ranée susceptible de servir de base contre l'envahissement des forces napoléoniennes.

Marie-Caroline avait trouvé le dévouement le plus total chez l'amiral Nelson, qu'un amour passionné unissait à la belle lady Hamilton. Ce fut lui qui, à la tête de la flotte anglaise chargée de protéger Naples, permit aux souverains menacés par la révolution de fuir la Sicile en décembre 1798. Naples était alors le théâtre d'indes­criptibles désordres à la suite de la défaite subie par Ferdinand qui, imprudemment, avait cru devoir prendre les armes contre les Fran­çais. Campagne lamentable terminée par une retraite désastreuse.

Pendant quatre ans, Marie-Caroline devait demeurer éloignée de sa capitale. Son séjour à Palerme, dont elle semble ne pas avoir ressenti le charme, fut coupé par un long voyage en Autriche, d'abord en compagnie des Hamilton rappelés dans leur pays. Lord Hamilton comptait à Londres plus d'ennemis que d'amis. On ne lui pardonnait pas de protéger, ou tout au moins de tolérer, la liaison de sa femme avec Nelson. A Vienne, où Marie-Caroline avait entraîné le trio, on ne tarda pas à crier au scandale. L'impératrice Marie-Thérèse s'en ouvrit à sa mère. Marie-Caroline se vit forcée de laisser partir ses amis, demeurant elle-même encore quelque temps à Vienne, jusqu'au moment où le roi lui fit savoir qu'elle pouvait rentrer à Naples où le cardinal Ruffo était parvenu à rétablir un ordre plus apparent que réel.

A ce moment, même, i l semblait que Bonaparte, encore Premier Consul, témoignât quelque indulgence aux souverains de Naples dont les troupes françaises avaient évacué le territoire. Ferdinand, à cette occasion, avait cru opportun d'adresser à Bonaparte une lettre de remerciements.

Le retour à Naples après une longue absence s'avère pénible et douloureux. La reine constate partout des ruines. Elle s'efforce de neutraliser les intrigues, luttant à la fois contre les Français dont l'ambassadeur Alquier, sous des dehors courtois, s'avère un ennemi pour la reine dans ses rapports à Napoléon, et contre les Anglais dont elle a besoin mais dont elle voudrait limiter les prétentions. Sa correspondance avec le représentant de Naples à Paris, Gallo, est pleine de remarques contre les ambitions croissantes de Napoléon qu'elle ne peut s'empêcher d'admirer tout en le considérant comme son pire ennemi. roi Ferdinand ne l'aide en rien dans sa lutte. Il aurait mille fois préféré se retirer en Sicile pour s'y livrer à son sport favori, la chasse. Marie-Caroline ne l'utilise que pour agir en

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son nom. De plus en plus, elle devient le chef de l'Etat, décidant de tout en politique intérieure comme en politique extérieure, accordant des amnisties (bien à contrecœur) vis-à-vis de traîtres avérés, cher­chant à se concilier les bonnes grâces de la reine Marie-Louise d'Espagne — qu'elle déteste ! —, acceptant un double mariage : celui de son fils avec une infante, et celui du prince héritier d'Espagne avec sa fille Antoinette, ne pouvant prévoir le sort malheureux de cette pauvre enfant. Deux ans après les noces, en effet, celle-ci mourait à la suite des mauvais traitements et du manque de soins qu'elle avait subis dans sa nouvelle patrie.

Marie-Caroline devait perdre encore sa fille aînée, Marie-Thérèse, l'épouse de l'empereur d'Autriche, morte des suites de couches.

Malgré sa douleur, car elle était une mère attentive et affectueuse, la reine ne cessait jamais ses activités politiques, tout en se rendant compte que ses intrigues restaient impuissantes en face d'un adver­saire tel que Napoléon qui volait de victoire en victoire et devant qui tout devait céder. Marie-Caroline n'en demeurait pas moins irréductible, s'emportant contre la lâcheté de son gendre, contre la soumission du tsar, exaltant le courage des Anglais, considérant Nelson comme le meilleur des amis, le pleurant, après sa mort glo­rieuse à Trafalgar, comme un héros national.

L 'accession de celui qu'elle traitait de « petit Corse » au trône impérial lui causait une affreuse humiliation. Obligée de lui adres­

ser des lettres de félicitations que signait le roi, elle se sentait l'âme déchirée. Napoléon, lassé de toutes ces intrigues, n'avait pas par­donné à Ferdinand d'avoir pris les armes contre les Français et d'avoir fait appel aux Russes et aux Anglais ; aussi, lorsque ayant triomphé de ses ennemis et leur ayant imposé une paix humiliante, i l s'était proclamé lui-même roi d'Italie, n'ayant plus rien à craindre, i l donna l'ordre aux troupes françaises commandées par le général Gouvion-Saint-Cyr d'envahir le royaume de Naples. Le 5 janvier 1806 Napoléon, dans un bulletin, annonce que le roi de Naples a cessé de régner, ne cachant pas son intention d'installer son frère Joseph sur le trône enlevé au faible Ferdinand.

Marie-Caroline ignorait les redoutables intentions de Bonaparte car elle écrivait à son ambassadeur à Paris, vers la même époque : « Si Bonaparte avait voulu se faire aimer de moi autant que je l'ai haï, il n'avait qu'à se montrer grand et généreux. En devenant notre ami, allié et protecteur, il deviendrait l'idole de la nation, et la mienne. » Elle croyait alors à une entente possible. Elle chargea le cardinal Ruffo de porter une autre lettre à Napoléon, terminée ainsi : « Je ne rougis pas et me fais gloire de prier et de demander à Votre Majesté impériale et royale l'oubli du passé et de poser les bases d'une liaison sincère et durable. » Napoléon ne veut rien entendre.

En janvier 1806, les Russes, puis les Anglais, abandonnent Naples. Ferdinand donne l'ordre à ses troupes de se disposer à se replier

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vers la Calabre sous les ordres de son fils Francesco, puis s'embarque pour Palerme. Malgré son courage, Marie-Caroline est contrainte de fuir elle-même, après avoir prié les Anglais de débarquer en Sicile. Le 16 février, après avoir subi une tempête terrible, la reine arrivait à Palerme. Le même jour, les Français entraient à Naples et Napoléon célébrait cette victoire par une représentation d'Athalie à la Comédie-Française, au cours de laquelle Talma s'avança vers le public pour lui faire part de ce glorieux événement. Le Moniteur du 25 février 1806 annonça le remplacement de Ferdinand par un prince français, Joseph Bonaparte. Celui-ci se hâta, dès son arrivée, de former un nouveau ministère dans lequel des Napolitains n'hésitèrent pas à entrer.

La pauvre reine souffre le martyre à Palerme, n'ayant plus d'espoir en ses alliés, sauf dans les Anglais qui sont devenus ses maîtres et lui imposent des consignes rigoureuses d'obéissance à leurs vues. Elle suit les événements de Naples où Joseph Bonaparte fait régner une véritable terreur, donnant l'ordre de fusiller les émis­saires que lui envoie la reine. Elle songea un instant à se réfugier en Autriche, mais l'empereur, ne voulant pas se mettre mal avec Napo­léon, lui déconseilla ce projet. Ce fut dans cette ambiance de désespoir que Marie-Caroline apprit la mort de sa fille Antoinette.

Napoléon, en parlant à la reine, ne la nommait plus que « l'archi­duchesse ». Nouvelle humiliation ajoutée à tant d'autres. Elle est ulcérée par la défection de la noblesse napolitaine. Seuls le peuple et le clergé lui restent fidèles.

L'armée française qui s'avançait vers la Sicile fut battue peu après par les troupes anglaises. Cette défaite adoucit un peu l'amer­tume de la reine, car elle provoqua le soulèvement de toute la Calabre contre les Français, qui renoncent à pousser plus loin leur conquête. La Sicile était sauvée. Marie-Caroline reprenait courage, voulant que les Anglais prennent l'offensive contre les envahisseurs, mais le gou­vernement britannique arrêta cet élan et l'armée anglaise se rembarqua pour la Sicile.

Pendant ce temps, Napoléon voyait s'assombrir l'horizon dans le nord de l'Europe, ou i l avait trouvé dans la personne de la reine Louise de Prusse une adversaire aussi énergique que Marie-Caroline. Ne se souciant pas de disperser ses forces, i l renonce, momenta­nément au moins, à asservir la Sicile.

Marie-Caroline marie les deux filles qui lui restent : Marie-Christine au duc de Gênes, Marie-Amélie à Louis-Philippe d'Orléans, le fils de Philippe-Egalité. A cause de ce père indigne, Louis-Philippe avait été accueilli d'abord froidement à la cour de Palerme. Il lui a fallu se confesser, se targuer de son ralliement au frère de Louis X V I . Devant cet étalage de bons sentiments, la reine s'incline et le mariage est décidé. En bonne politique, Marie-Caroline voit dans Louis-Philippe un futur prétendant au trône de France, car le duc de Berry qui doit succéder à son oncle et à son père n'a pas de fils.

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Sur ces entrefaites, Napoléon dépose le roi d'Espagne comme i l a déposé le roi de Naples, décidé à installer les membres de sa famille sur tous les trônes d'Europe, à condition toutefois qu'ils puissent faire preuve d'autorité. Joseph, en manquant totalement, doit céder la place à Murât, mari de Caroline Bonaparte, qui s'était montré trop dur en Espagne où Marie-Caroline espère encore ins­taller à la place de Ferdinand VII son fils Léopold. En apprenant l'installation de Murât à Naples, la reine se met en colère : « Cette canaille, écrit-elle, et ses descendants qui sentent encore l'écurie sont iristallés sur le trône des Deux-Siciles et Naples donne des fêtes en l'honneur de son nouveau roi ; les noms du Gotha italien ne craignent pas de s'inscrire dans le Livre d'or de cet ancien palefrenier. >

En Espagne, nouvelle déception ; le prince Léopold est obligé de se rembarquer à peine débarqué à Gibraltar, le commandant anglais de cette place lui ayant fait comprendre que le peuple espagnol n'appréciait pas un prince sicilien. Le duc d'Orléans qui l'avait accompagné doit également prendre le chemin du retour. Voilà encore un espoir de Marie-Caroline réduit à néant ! Ce sera Joseph Bonaparte qui sera appelé au trône de Madrid, cependant que l'Espagne entière est en insurrection. Napoléon prévoit d'être appelé à intervenir dans la péninsule Ibérique.

En Autriche, l'empereur François s'est remarié avec la belle Ludovica, sa nièce, fille du grand-duc de Toscane. Il ne s'est pas remis de ses défaites et, au lieu de suivre l'exemple du tsar qui affiche à présent de l'amitié pour Napoléon, il profite de la première occasion et de l'appui de l'Angleterre pour déclarer à nouveau la guerre à la France. Imprudence folle qui vaut à l'Autriche une nouvelle défaite désastreuse à Wagram.

Marie-Caroline, qui avait appris avec joie la déclaration de guerre, à Païenne, avait assuré l'empereur de l'appui des Anglais auxquels elle avait consenti un véritable protectorat sur la Sicile, dans l'espoir de reconquérir rapidement Naples. Les Anglais s'étaient montrés hésitants dans leurs manœuvres, ce qui avait permis l'avance des troupes napoléoniennes et l'encadrement des troupes autrichiennes. Quelques mois suffirent à régler la question, rendant les Anglais encore plus exigeants pour la Sicile. Ils demanderont maintenant qu'on leur livre la forteresse de Trapani.

Napoléon est devenu le maître de l'Europe entière, pénétrant à Vienne en vainqueur. En automne de cette même année, le duc d'Orléans célébrait ses noces à Palerme avec la princesse Marie-Amélie. Marie-Caroline apprend par le Moniteur la paix de Schôn-brunn signée le 14 octobre 1809, qui enlève à l'Autriche un tiers de ses possessions d'avant guerre et prive l'Empire de toute communi­cation avec la mer.

A utre grand événement en 1809, nouvelle épreuve cruelle pour l'orgueil de Marie-Caroline : Napoléon, qui s'est séparé de José­

phine, aspire à se remarier avec une princesse de sang royal qui lui

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donnera un descendant. Il briguera d'abord la main d'une grande-duchesse de Russie, sœur du tsar, et, comme i l n'obtient qu'une réponse vague, i l demandera par l'intermédiaire de Metternich la main de l'archiduchesse Marie-Louise. Voyant dans cette alliance le meilleur moyen de faire une paix durable avec la France, le ministre autrichien décide l'impératrice à accepter cette proposition. Marie-Louise allait donc devenir impératrice des Français, sans aucune joie d'ailleurs comme en témoignent les lettres adressées par elle à ses grands-parents : « Je ne puis faire de plus grand sacrifice... je mets tous mes espoirs en Dieu pour qu'il me donne la force, la raison et le cou­rage d'achever le sacrifice que j'ai commencé. » Voilà ce qu'elle écrivait au roi Ferdinand. Avec sa grand-mère, elle était encore plus explicite : « Tu ne peux te représenter ce que cela me coûte. Je ne peux songer sans épouvante au moment qui va me séparer peut-être pour toujours de tout ce qui m'est le plus cher au monde. Je redoute surtout le complet accomplissement des devoirs auxquels je me suis engagée... »

Le 11 mars 1810, le mariage est célébré à Vienne. Napoléon est représenté par l'archiduc Charles qui a combattu contre lui tout en ayant déconseillé la guerre. Marie-Caroline n'apprend l'événement que le 22 mars en même temps qu'elle reçoit les lettres de sa petite-fille. On imagine son indignation. Elle la crie à son représentant à Vienne, Ruffo : « Comment l'empereur a-t-il pu se déshonorer ainsi en osant livrer sa fille comme concubine à un homme souillé de tous les crimes et de toutes lés horreurs ! Il faut reconnaître que c'est tomber bien bas. Quel horrible gendre pour un petit-fils de Marie-Thérèse et un arrière-petit-fils d'Henri IV. Il ne peut même pas s'agir d'un mariage puisque ce monstre a une autre femme. » Et elle termine ainsi sa lettre après une série d'invectives contre son frère et contre Napoléon : « Je plains ma patrie et je voudrais finir ma vie. J'ai tout perdu, ma famille, ma patrie et mon existence, mais malgré tout je resterai moi-même. »

Acton cherche à calmer la reine et ne réussit qu'à exciter davan­tage sa colère. Qu'aurait-elle pensé, qu'aurait-elle dit si elle avait su la manière dont Napoléon avait fait la conquête physique de l'archi­duchesse avant même de la ramener à Paris, et l'abandon avec lequel Marie-Louise s'était donnée à son vainqueur... car i l est indéniable que Marie-Louise, dans les premiers temps du moins, a aimé physi­quement Napoléon.

partir de cette époque, la destinée de Marie-Caroline devient de plus en plus cruelle. Des nombreux enfants qu'elle a mis au

monde, il ne lui en reste plus que quatre : deux fils, le prince héritier Francesco et Léopold, le dernier ; deux filles, Marie-Christine, future reine de Sardaigne, et Marie-Amélie, épouse de Louis-Philippe, le futur roi des Français. Celle-ci la déçoit, car elle prend avec son mari la cause des Anglais qui occupent la Sicile et prétendent imposer leur

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volonté au roi Ferdinand, humiliant et brimant la reine chez laquelle ils sentent une volonté de résistance.

Marie-Caroline ne peut même pas se réjouir de ce que les forces anglaises aient empêché les armées françaises de conquérir la Sicile et de sauver ainsi son trône, tant les occupants actuels et le repré­sentant du gouvernement anglais, l'ambassadeur Bentinck, lui causent de grands soucis. Le nouveau plénipotentiaire anglais a trente-sept ans, i l est ambitieux, fier de la toute-puissance de son pays et décidé à neutraliser par tous les moyens l'influence de la reine, s'étant rendu compte dès le premier contact que le roi ne comptait pas et qu'elle est le seul souverain de Sicile. Pendant plusieurs années, ce sera entre lui et Marie-Caroline une lutte continuelle, tantôt sourde, tantôt violente. Il favorise ses ennemis, se montre intransigeant jusqu'à la contraindre de s'éloigner de Palerme et à lui assigner une relé­gation surveillée, à des lieues de sa capitale. Marie-Caroline a tant à souffrir des Anglais qu'elle en arrive, dans sa haine pour leur repré­sentant, à envisager l'idée de solliciter de Napoléon la faveur de cher­cher asile en Autriche auprès de son gendre, mais ce dernier fait longtemps la sourde oreille pour ne pas se mettre mal avec l'empereur des Français.

Marie-Caroline est malade. Elle craint à tout moment d'être emmenée prisonnière par les Anglais à Malte. Comme elle reçoit la visite de l'archiduc Franz, elle lui avoue qu'elle a encore plus à lutter contre ses prétendus amis que contre ses ennemis. Envers et contre tout, elle veut maintenir l'indépendance de la Sicile, et voilà que jus­tement les Anglais envisagent de faire de l'île un bastion contre la France et contre Napoléon. Un vague espoir renaît en elle lorsqu'elle croit discerner une mésentente entre la France et la Russie et qu'elle apprend les résistances de certains Napolitains au gouvernement de Murât. Le Jour de l 'An 1812, à Naples, à la réception du corps diplomatique, au moment de l'ouverture de la salle d'audience, a éclaté un incident entre le prince Dolgorocki, ambassadeur de Russie, et le baron Durand, représentant de la France, chacun prétendant passer le premier. Il s'en était ensuivi une collision !... Murât voulut expliquer l'incident par la hâte que chaque ambassadeur avait eue de le saluer.

Entre temps, Bentinck a réussi à enlever le pouvoir au roi Ferdi­nand pour le donner au prince héritier. Pour sauver les apparences, Francesco est nommé en janvier 1812 vicaire général du royaume de Sicile, qui devient de plus en plus une colonie anglaise et dont on a changé même la Constitution, acceptée sous la forme nouvelle par Francesco, à la grande fureur de la reine. Bentinck la persécute chaque jour davantage, décidé à l'éloigner de Sicile, ce à quoi i l finit par réussir. Le 13 janvier 1813, Bentinck lui fait demander de s'éloigner. Elle écrit alors au roi, demeuré à Palerme tandis qu'elle est confinée à la campagne : « Moi, Marie-Caroline, archiduchesse d'Autriche, épou­se du roi Ferdinand des Deux-Siciles, je ne me laisserai ni séparer ni éloigner de mon mari par la volonté d'un ministre, pas même par celle

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du roi d'Angleterre ni de tous les souverains du monde. Personne n'a ce droit sur terre. Je demande donc que Bentinck me montre le docu­ment authentique et signé de qui de droit dans lequel il réclame mon éloignement en exécution d'une décision de son souverain... et que le roi mon époux, qui a seul des droits sur moi, m'écrive de sa propre main et signe qu'il désire mon éloignement... » Peine inutile, le roi est dans la main de l'Angleterre. Le prince-régent d'Angleterre approuve la conduite de Bentinck à l'égard de la reine. Le 18 mai 1813, Ferdinand, sous la contrainte des Anglais, demande à sa femme de quitter la Sicile. Il a préalablement rendu le pouvoir à son fils. Pour Marie-Caroline, i l ne reste plus qu'à trouver le moyen de retourner en Autriche auprès de son ancien gendre, l'empereur Franz. Napoléon, voyant combien, à présent, sa vieille adversaire était mal­traitée par les Anglais, et apprenant son départ de la Sicile, donne l'ordre aux autorités françaises, au cas où la frégate sur laquelle s'est embarquée la reine serait appréhendée, de traiter Marie-Caroline avec les honneurs dus à son rang comme reine, comme grand-mère de l'impératrice Marie-Louise et comme souveraine malheureuse.

C 'est maintenant pour Marie-Caroline l'exode définitif, les adieux à son vieil époux qu'elle ne reverra plus et le voyage vers Vienne,

avec escale à Zante, à Constantinople, un séjour en Pologne chez la comtesse Potocka. A u début de 1814, elle arrive en Autriche où sa venue semble inopportune, l'empereur et Metternich ayant décidé, par raisons politiques, de maintenir Murât sur le trône de Naples. Aussi son gendre lui conseille-t-il de séjourner à Presbourg plutôt qu'à Vienne. Elle écrit lettre sur lettre à l'empereur qui ne lui répond pas. En effet, un traité d'alliance avait été signé le 11 janvier 1814 entre l'Autriche et Murât qui avait officiellement abandonné la cause de Napoléon ; Caroline Murât avait profité de l'occasion pour s'assurer les bonnes grâces de Metternich.

Marie-Caroline seule en Autriche où elle se maintient envers et contre tout, s'efforce de faire valoir les droits de son époux. Elle désespère cependant de revoir et Naples et son mari. Elle se sent vieille, malade, déchue : « Je serai une des rares reines qui finiront leurs fours là où elles sont nées... » « Ce ne sera pas seulement l'An­gleterre, mais toute l'Europe qui me rendra justice, plus tard... » Elle suit les événements, l'envahissement de la France, l'abdication de Napoléon, son exil à l'île d'Elbe... L'empereur d'Autriche lui permet enfin de s'installer au petit château d'Hetzendorf, aux environs de Vienne, pour l'éloigner de Schônbrunn au moment où i l va y rentrer après la capitulation de Paris. C'est là qu'elle reverra sa petite-fille Marié-Louise et son arrière-petit-fils. Marie-Louise est devenue grande-duchesse de Parme et le roi de Rome l'héritier de ce duché. Elle admire la beauté et le charme de cet enfant. Après le mariage de Marie-Louise avec Napoléon, Marie-Caroline, indignée, avait juré de ne plus la revoir. Maintenant que sa petite-fille n'est plus l'épouse

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de l'usurpateur, mais Mme Bonaparte, la femme d'un glorieux vaincu, la reine n'a plus de rancune contre elle. Elle blâme même Marie-Louise de ne pas rejoindre son mari. « A sa place, disait-elle, je m'enfuirais à l'île d'Elbe, dussé-je me faire attacher à une corde pour m'échapper d'une fenêtre. »

Metternich, ayant peur des conseils de la reine de Naples, décide Marie-Louise à s'éloigner et à aller prendre les eaux à Aix. Elle ne reverra plus sa grand-mère, qu'on trouvera morte dans son lit un matin de septembre 1814, trop tôt pour voir son ennemi vaincu et son mari rétabli par les Alliés sur le trône de Naples, sans avoir assisté au ; triomphe des idées et de la cause pour lesquelles elle avait lutté toute sa vie.

PIERRE SABATIER

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