maria muhle reenactments du pouvoir remarques sur une historiographie médiale.pdf

13
REENACTMENTS DU POUVOIR. REMARQUES SUR UNE HISTORIOGRAPHIE MÉDIALE Maria Muhle Collège international de Philosophie | Rue Descartes 2013/1 - n° 77 pages 82 à 93 ISSN 1144-0821 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2013-1-page-82.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Muhle Maria, « Reenactments du pouvoir. Remarques sur une historiographie médiale », Rue Descartes, 2013/1 n° 77, p. 82-93. DOI : 10.3917/rdes.077.0082 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Collège international de Philosophie. © Collège international de Philosophie. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. © Collège international de Philosophie Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. © Collège international de Philosophie

Upload: nicolascaballero

Post on 26-Dec-2015

3 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Maria Muhle Reenactments du pouvoir Remarques sur une historiographie médiale.pdf

REENACTMENTS DU POUVOIR. REMARQUES SUR UNEHISTORIOGRAPHIE MÉDIALE Maria Muhle Collège international de Philosophie | Rue Descartes 2013/1 - n° 77pages 82 à 93

ISSN 1144-0821

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2013-1-page-82.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Muhle Maria, « Reenactments du pouvoir. Remarques sur une historiographie médiale »,

Rue Descartes, 2013/1 n° 77, p. 82-93. DOI : 10.3917/rdes.077.0082

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Collège international de Philosophie.

© Collège international de Philosophie. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

1 / 1

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.47

.39.

28 -

28/

12/2

013

01h4

5. ©

Col

lège

inte

rnat

iona

l de

Phi

loso

phie

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. © C

ollège international de Philosophie

Page 2: Maria Muhle Reenactments du pouvoir Remarques sur une historiographie médiale.pdf

82 |

mARIA mUHLEReenactments du pouvoir.Remarques sur une historiographiemédialeLes pratiques du reenactment ou de la ré-effectuation se multiplient actuellement dans les artsplastiques, au théâtre ainsi qu’au cinéma et soulèvent ainsi la question des différents modesde représentation de l’histoire  : à une historiographie documentaire, critique et réfléchiesemble s’opposer une pratique tablant sur une mise en scène, des effets immersifs et uneidentification affective. Cependant une telle opposition renvoie le reenactment soit du côtéd’une politique identificatoire soit, dans sa déconstruction, du côté d’une critique quidévoilerait la bonne réalité historique sous sa mauvaise représentation. Afin de montrer qu’ilest possible de penser le reenactment d’une troisième manière, esthétique et politique, ils’agira d’abord de tracer une brève histoire des pratiques du reenactment, qui trouvent leursracines non seulement dans les war reenactments américains mais aussi dans les mystères de laPassion en Europe ou d’autres mises en scène historiographiques de masse. Cesreprésentations historico-théâtrales relèvent d’un paradigme historique que l’on peutappeler, en suivant Michel Foucault, une histoire globale, laquelle fonctionnerait, ici, sur unmode immersif et d’identification affective. C’est de cette tendance que le re-situementartistique contemporain semble essayer de sauver le reenactment en rendant à ses mondesd’images la puissance critique fondée d’un côté dans leur caractère documentaire, de l’autredans la distance que le public établit entre l’événement original et sa représentation dans uncadre théâtral ou muséal. Il s’agira alors de déconstruire une opposition qui se dessine àpartir de ce constat et qui opposerait un mode historique critique fonctionnant à travers deseffets de distanciation (ou d’aliénation), à un mode identificatoire et immersif qui serait celui

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.47

.39.

28 -

28/

12/2

013

01h4

5. ©

Col

lège

inte

rnat

iona

l de

Phi

loso

phie

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. © C

ollège international de Philosophie

Page 3: Maria Muhle Reenactments du pouvoir Remarques sur une historiographie médiale.pdf

CORPUS |83

du reenactment, afin de saisir, dans un troisième moment, une pratique esthético-politique dereenactment qui se situe dans la tension entre ces deux modes.

1. Une Histoire archéologiqueDans son introduction de L’Archéologie du savoir, Michel Foucault oppose une histoire globale« qui cherche à restituer la forme d’ensemble d’une civilisation, le principe – matériel ouspirituel – d’une société, la signification commune à tous les phénomènes d’une période, la loiqui rend compte de leur cohésion, – ce qu’on appelle métaphoriquement le “visage” d’uneépoque », à une histoire générale qui s’en distingue par la mise en question justement de ce« réseau de causalité », de la supposition d’une forme d’historicité homogène ainsi que dupartage de l’histoire en grandes unités «  qui détiennent en elles-mêmes leur principe decohésion 1 ». Tandis qu’« une description globale resserre tous les phénomènes autour d’uncentre unique – principe, signification, esprit, vision du monde, forme d’ensemble; unehistoire générale déploierait au contraire l’espace d’une dispersion 2. »

Cette opposition entre une histoire traditionnelle linéaire et événementielle et une nouvellehistoire qui engloberait de la même manière la discontinuité (dans l’histoire des idées) et lalongue durée (dans l’histoire proprement dite), n’est que la conséquence d’une autreopposition que Foucault situe au niveau du rapport de l’histoire au document – la « mise enquestion du document » : À une histoire qui cherchait à faire parler les documents, à leurarracher leur vérité historique et qui par-là s’inscrivait dans un fonctionnement binaire entreune vérité enfouie, cachée ou masquée et sa découverte et mise à nu par l’historien, Foucaultoppose une histoire tournée vers l’immanence des documents  : «  l’histoire a changé saposition à l’égard du document : elle se donne pour tâche première, non point del’interpréter, non point de déterminer s’il dit vrai et quelle est sa valeur expressive, mais de letravailler de l’intérieur et de l’élaborer : elle l’organise, le découpe, le distribue, l’ordonne, lerépartit en niveaux, établit des séries, distingue ce qui est pertinent de ce qui ne l’est pas,repère des éléments, définit des unités, décrit des relations 3.  » L’histoire n’est donc pasentendue dans ce cas comme mémoire millénaire collective s’appuyant sur des documentspour se prouver, mais correspond plutôt au « travail et [à] la mise en œuvre d’une matérialitédocumentaire (livres, textes, récits, registres, actes, édifices, institutions règlements,

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.47

.39.

28 -

28/

12/2

013

01h4

5. ©

Col

lège

inte

rnat

iona

l de

Phi

loso

phie

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. © C

ollège international de Philosophie

Page 4: Maria Muhle Reenactments du pouvoir Remarques sur une historiographie médiale.pdf

MARIA MUHLE84 |

techniques, objets, coutumes, etc.) 4 ». Foucault résume cette inversion entre l’histoiretraditionnelle et l’archéologie de la manière suivante : « Disons pour faire bref que l’histoire,dans sa forme traditionnelle, entreprenait de “mémoriser” les monuments du passé, de lestransformer en documents et de faire parler ces traces qui, par elles-mêmes, souvent ne sontpoint verbales, ou disent en silence autre chose que ce qu’elles disent ; de nos jours, l’histoire,c’est ce qui transforme les documents en monuments, et qui, là où on déchiffrait des traceslaissées par les hommes, là où on essayait de reconnaître en creux ce qu’ils avaient été, déploieune masse d’éléments qu’il s’agit d’isoler, de grouper, de rendre pertinents, de mettre enrelations, de constituer en ensembles. Il était un temps où l’archéologie, comme discipline desmonuments muets, des traces inertes, des objets sans contexte et des choses laissées par lepassé, tendait à l’histoire et ne prenait sens que par la restitution d’un discours historique ; onpourrait dire, en jouant un peu sur les mots, que l’histoire, de nos jours, tend à l’archéologie,– à la description intrinsèque du monument 5. »

Dans ce qui suit, il s’agira alors d’examiner la possibilité de penser les formes et pratiquesdu reenactment non comme figuration d’une histoire globale – ce qui pourtant sembles’imposer –, mais bien au contraire, comme la délimitation d’un espace expérimental, àl’intérieur duquel il est possible d’isoler, de grouper, de rendre pertinents, de mettre en relations, deconstituer en ensembles cette masse documentaire qui ne se compose plus de documentsconsidérés comme traces d’un passé enfoui mais, bien au contraire, d’éléments matérielsqu’il faut explorer intrinsèquement –  de monuments. Il s’agira donc de repenser lespratiques du reenactment comme constituant un milieu documentaire et limité à l’intérieurduquel se répètent des événements historiques, c’est-à-dire qu’ils y ont lieu nouvellement etdonc autrement.

2. Une petite histoire du reenactmentIl semble évident que les pratiques classiques de reenactment relèvent, en tant que moyenshistoriographiques, de cette histoire globale critiquée par Foucault, en tant qu’ellesreprésentent, ré-mémorisent et ré-effectuent les grands moments d’une histoire passée,considérés comme autant de visages d’une époque et semblant découler d’une causalitéhistorique unique. Dans ce sens, et surtout en ce qui concerne son sujet de prédilection – lesbatailles –, le reenactment s’inscrit dans une tradition historiographique allant de la peinture

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.47

.39.

28 -

28/

12/2

013

01h4

5. ©

Col

lège

inte

rnat

iona

l de

Phi

loso

phie

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. © C

ollège international de Philosophie

Page 5: Maria Muhle Reenactments du pouvoir Remarques sur une historiographie médiale.pdf

CORPUS |85

historique aux peintures panoramiques et aux tableaux vivants tendant vers unereprésentation aussi authentique que possible de l’événement historique. Par conséquence, lesstratégies historiographiques du reenactment (ou de la ré-effectuation) sont souvent décritescomme happenings historicistes ou historisme performé 6.Dans son texte d’introduction à une des premières expositions de pratiques artistiques dureenactment, Sven Lütticken présente le reenactment ou la ré-effectuation comme un sous-genrede la «  living history  ». Mais tandis que celle-ci englobe également la mise en scèned’événements fictifs, afin de reproduire une situation susceptible d’être datée historiquement,une atmosphère quotidienne ou un milieu social spécifique, comme par exemple une journéeau Moyen Âge, la ré-effectuation historiographique se définit par le fait qu’elle se limite à des«  événements  »  ayant effectivement eu lieu et qui sont reproduits de la manière la plusauthentique possible dans leur déroulement autant que dans leur décor.

C’est de cette tendance historiciste que le re-situement artistique essaie de sauver lereenactment. Ainsi, une stratégie consiste en la (re-)mise en scène d’événementsmédiatiquement hautement codés qui avaient déjà par eux-mêmes produit leur propredocumentarisation ou historisation médiale. Il s’agit ici par exemple d’une série dereenactments du directeur de théâtre Milo Rau, qui a remis en scène le procès Ceaucescu, lesprocès de Moscou ou la transmission radio RTML au Rwanda appelant au génocide des Tutsis.Le but d’une ré-effectuation d’un tel événement de la mémoire collective avec le savoird’aujourd’hui n’a rien à voir avec une production d’images de ce dont il n’y a pas d’images 7– au contraire, il s’agit d’en «  corriger » la représentation historique, de ré-introduire lesimages dans un autre contexte de savoir, contexte dans lequel elles peuvent produire unenouvelle histoire, une histoire plus savante et donc plus « vraie ».

Une autre stratégie, adoptée par le reenactment artistique, est celle qu’on pourra appeler « thérapeutique  » et qui met en scène la conviction selon laquelle la répétition d’uneexpérience (politiquement) traumatisante pourrait avoir un effet cathartique et remettre leschoses « en bon ordre »: Afin d’en arriver à cet effet cathartique, de petits changements sontintroduits dans la ré-effectuation de l’événement, notamment des échanges de rôles : ainsi,dans la ré-effectuation de la grève des mineurs dans l’Angleterre thatchérienne par JeremyDeller, ainsi que dans le film The Battle of Orgreave tourné à partir de ce reenactment par Mike

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.47

.39.

28 -

28/

12/2

013

01h4

5. ©

Col

lège

inte

rnat

iona

l de

Phi

loso

phie

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. © C

ollège international de Philosophie

Page 6: Maria Muhle Reenactments du pouvoir Remarques sur une historiographie médiale.pdf

MARIA MUHLE86 |

Figgis, la police est incarnée par les anciens mineurs et vice-versa afin de permettre une autreperspective sur les événements historiques et de mieux les « comprendre ». Un autre moyende produire cet effet thérapeutique est la possible inversion de l’issue d’une bataille (ce qui,pour les reenactors professionnels représente une augmentation de l’authenticité de lareprésentation car se reproduit ainsi la situation originale, dans laquelle l’issue était égalementinconnue d’avance). C’est David Lynch qui, dans la série Twin Peaks, a thématisé ironiquementcette croyance dans le pouvoir thérapeutique par sa mise en scène de la folie de Ben Horne etde sa soudaine guérison survenue grâce au reenactment de la guerre de Sécession à issueinversée, donc grâce à la victoire de l’armée confédérée.

Par conséquent, ces reenactments documentaires suivent un modèle épistémologique dont latâche semble être d’approcher l’événement original et soit disant voilé et de le rendreaccessible soit au grand public (comme dans les war reenactments) soit à un public informé quisaura re-voir les événements passés à la lumière d’une connaissance d’aujourd’hui. Il s’agit doncd’une pratique esthétique qui s’adonne à une critique de l’idéologie en ce qu’elle tend àdévoiler, sous la réalité médiatisée, une autre réalité, et à médiatiser à son tour cette réalité,mais d’une manière plus fiable, grâce à sa réeffectuation. Une telle compréhension repose surune épistémologie de l’histoire fondée dans un documentarisme naïf que je voudrais mettreen question dans ce qui suit avec les thèses sur le reenactment formulées par le philosopheRobin G. Collingwood.

3. Reenactment comme philosophie de l’histoire Dans sa Philosophie de l’Histoire (Idea of history, 1943), Collingwood développe sacompréhension de la connaissance historique en partant du constat que l’histoire ne peut êtrecomprise qu’à partir de sa ré-effectuation dans la pensée. Il défend une conception identitairede l’histoire qui repose sur trois prémisses  : premièrement, il faut distinguer, au sein del’événement historique, un côté intérieur et un côté extérieur  ; deuxièmement, il fautcomprendre la pensée de l’historien qui reconstruit une chaîne d’événements comme un actede re-penser de ce qui a été pensé jadis  ; et troisièmement, ce re-penser doit êtrenumériquement identique à la pensée historiquement pensée. Ces trois conditions répondentaux trois phases de l’analyse de la pensée historique par Collingwood : car il examine d’abordle caractère documentaire de la pensée historique, puis le travail de l’imagination dans

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.47

.39.

28 -

28/

12/2

013

01h4

5. ©

Col

lège

inte

rnat

iona

l de

Phi

loso

phie

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. © C

ollège international de Philosophie

Page 7: Maria Muhle Reenactments du pouvoir Remarques sur une historiographie médiale.pdf

CORPUS |87

l’interprétation du matériel documentaire, et finalement, la mise en œuvre du reenactment. Ilest fondamental de comprendre que Collingwood considère le reenactment comme le résultatde l’interprétation des documents et de la construction de l’imagination, et non pas commeune méthode spécifique de connaissance de l’histoire. Le reenactment n’est donc pas le « meilleur  » document – comme l’auraient voulu certaines des pratiques contemporaines –mais au contraire, il se déploie au-delà de tout documentarisme « naïf  » qui comprend ledocument comme « trace ». La pensée de l’histoire n’est donc possible qu’à la condition de re-penser des penséespassées (to re-think past thoughts). Des actions ou événements historiques sont toujours, selonCollingwood, des extériorisations d’actes de pensée qui ont lieu dans des situationsspécifiques. Ainsi explique-t-il, en prenant l’exemple de la traversée du Rubicon par César, ladifférence entre le côté extérieur de l’événement – tout ce qui a trait aux corps et auxmouvements des corps –  et l’intérieur de ce même événement qui se laisse uniquementappréhendé par la pensée (in terms of thought), à savoir le défi de la loi républicaine par César.Afin d’expliciter ce que l’historien peut répéter, c’est-à-dire re-penser de cet événement,Collingwood introduit une deuxième différenciation au sein de cet acte de pensée (lequels’oppose donc aux mouvements des corps qui constituent l’événement historique dans sonextériorité) : D’une part, l’acte de pensée est lié de façon organique à son contexte, c’est-à-dire qu’il fait partie de l’expérience de celui qui l’a pensé – César – et en ceci, il n’est passusceptible d’être répété ou re-pensé  ; d’autre part, l’acte de pensée se détache de soncontexte et de l’expérience car il est davantage que simple situation ou événement – et c’estdans cette dimension qu’il peut être ré-effectué. Si l’historien politique veut comprendre lesactions historiques de Jules César, par exemple sa décision de traverser le Rubicon, actions quilui sont connues par des récits historiques, il ne doit pas s’en remettre à ses sources, quin’offrent aucune sécurité – au contraire, il devra re-penser les pensées que César avait aumoment de se décider à traverser le fleuve, ou à défier Rome, en retraçant mentalement lasituation dans laquelle César prit cette décision. Ainsi le reenactment ne peut pas et ne doit surtout pas fournir un substitut aux sourcesinexactes et incertaines, au contraire  : selon Collingwood, les documents ou évidencesperdent leur fonctions épistémologiques, en tant qu’évidences véridiques, et sont traitéescomme matériaux pour une imagination historique productive (qu’il appellera a priori) quidoit « combler » des lacunes existant entre les traces documentaires et introduire l’acte de

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.47

.39.

28 -

28/

12/2

013

01h4

5. ©

Col

lège

inte

rnat

iona

l de

Phi

loso

phie

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. © C

ollège international de Philosophie

Page 8: Maria Muhle Reenactments du pouvoir Remarques sur une historiographie médiale.pdf

MARIA MUHLE88 |

pensée re-pensé dans le contexte contemporain de l’historien. Les preuves (evidences) nedeviennent preuves que parce qu’elles sont « interprétées » par l’imagination : « Une preuveest une preuve seulement lorsque quelqu’un la contemple historiquement 8. » L’authenticitéhistorique n’est donc pas assurée par les traces fragiles des preuves documentaires, mais par letravail synthétique de l’imagination de l’historien qui fait surgir une image crédible etvraisemblable – « cohérente » – dans son acte de re-penser l’acte de pensée passé. C’est dansce sens, que l’historien actualise l’acte de pensée passé dans son propre acte de pensée etl’introduit dans une situation nouvelle et contemporaine – celle de l’historien pensant ; il re-sensibilise (rend sensible) l’acte de pensée à nouveaux frais. Cette approche pose évidemment de nombreux problèmes et Collingwood a souvent étéplacé et replacé au sein du débat entre les réalistes et les anti-réalistes en histoire. Tandis quesa réfutation de la croyance dans le document a été qualifiée d’herméneutisme historique etl’a donc éloigné des positions réalistes, il faut bien se garder de le situer du côté d’un anti-réalisme radical, tel que Hayden White le propose avec sa notion de «  mise en intrigue  »(emplotment). Car justement, en opposant le travail de l’historien et celui du romancier,Collingwood a bien montré qu’il ne s’agissait pas de faire de l’historien un «  conteurd’histoire  », mais que bien au contraire, celui-ci s’oppose au romancier sur un pointfondamental, à savoir l’ancrage de son histoire dans la réalité – il s’agit de « construire uneimage des choses telles qu’elles furent réellement et des événements tels qu’ils se sont réellementpassés 9 ». La tâche de l’historien n’est donc pas « d’inventer quoi que ce soit, mais dedécouvrir quelque chose 10 ». La cohérence de l’image que produit l’historien, savraisemblance, ne sont donc donc aucunement la mise en intrigue whitienne car celle-ciimpose une structure aux événements, structure qui n’existe pas forcément dans la réalité ; aucontraire, pour Collingwood, « il n’y a qu’un monde historique à l’intérieur duquel tout estdans une relation particulière avec quelque chose d’autre, même si cette relation n’est quetopographique ou topologique 11 ». Ce que l’historien doit découvrir est donc bien la structure dece monde historique dont il va produire une image « vraie ».

Il apparaît donc que Collingwood se situe dans la tension entre une position réaliste et uneposition idéaliste, entre la critique du document et la fictionnalisation de l’histoire. C’estjustement en cela qu’il est productif de re-penser le reenactment grâce à sa théorie de l’histoiretout en déplaçant la « preuve de vérité » (l’ancrage dans la réalité) de l’identité des actes de

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.47

.39.

28 -

28/

12/2

013

01h4

5. ©

Col

lège

inte

rnat

iona

l de

Phi

loso

phie

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. © C

ollège international de Philosophie

Page 9: Maria Muhle Reenactments du pouvoir Remarques sur une historiographie médiale.pdf

CORPUS |89

pensée d’un plan ontologique, difficilement tenable, vers un autre terrain, énoncé parCollingwood lui-même, celui de la topographie : Je voudrais donc, pour terminer, esquisserune notion de reenactment qui à la fois échapperait à la remise en cause critique traditionnelle–  à caractère dévoilant – du reenactment et permettrait d’en penser une pratique esthético-politique.

4. Reenactments esthétiquesAfin de mieux comprendre ceci, il est nécessaire de revenir à la distinction collingwoodienneentre l’acte de pensée comme élément immédiat d’un contexte général, et l’acte de penséecomme élément indirect, extrait du flux de conscience et donc a-temporel. Collingwoodexplique que seul l’acte de pensée indépendant du flux de conscience, de l’expérience, peutêtre re-effectué, et non pas le contexte général, dans lequel cet acte a eu lieu. En revanche, lespratiques de reenactment historiographiques populaires visent justement à répéter ce contextegénéral afin de représenter l’événement historique comme partie intégrante de son contexte.De ces deux modes de ré-effectuation se distingue donc une troisième forme de reenactmentqu’il faudra penser comme une pratique esthético-politique. Car ce qui est répété dans unetelle ré-effectuation, est non pas l’acte de pensée extrait du contexte, ni non plus l’actionhistorique comme organiquement liée à son contexte, mais, justement, le contexte même d’uneaction ou d’un événement, ou, pour ainsi dire, le cadre dans lequel l’action peut se produire ànouveau. Par conséquent, l’action ne doit pas être comprise, comme le ferait Collingwood,comme un acte de pensée extériorisé, mais plutôt comme un événement qui ne peut seproduire que dans une situation à laquelle il reste connecté mais de façon non-organique. Il nes’agit donc pas de reproduire un contexte organique global, qui « expliquerait» l’action ou,pour revenir encore une fois à Foucault, qui apparaîtrait comme le « visage d’une époque » ;mais il ne s’agit pas non plus d’utiliser l’imagination historique afin de reconstruire ce quiaurait dû avoir lieu ni de repenser un acte de pensée extrait du flux de conscience. Aucontraire, il s’agit de créer un cadre expérimental pour mettre à l’épreuve la manière dontquelque chose – ou plus précisément un événement passé – peut se produire à nouveau. Lereenactment ne serait donc pas à comprendre dans le sens aristotélicien comme un réalisme duprobable, mais avec Rancière comme un réalisme du possible ou du potentiel.

Une telle reformulation du concept de reenactment reprend les doutes de Collingwood face auD

ocum

ent t

éléc

harg

é de

puis

ww

w.c

airn

.info

- -

-

186.

47.3

9.28

- 2

8/12

/201

3 01

h45.

© C

ollè

ge in

tern

atio

nal d

e P

hilo

soph

ie

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. ©

Collège international de P

hilosophie

Page 10: Maria Muhle Reenactments du pouvoir Remarques sur une historiographie médiale.pdf

MARIA MUHLE90 |

document ainsi que la fonction de l’imagination soulevée par lui. Celle-ci devra êtrecependant reformulée dans le sens d’une force d’actualisation concrète ou matérielle, quisurmonterait à la fois les oppositions entre un paradigme basé sur l’identification et unparadigme de la critique, entre l’affect et la distance. Car l’imagination est le concept del’unité des contraires, en ce sens qu’il s’agit d’une pensée qui se réalise immédiatement dansl’affectif. Cette actualisation n’est pas une démonstration (documentaire), mais le travail dupassé dans le présent – sa re-mise à jour. Le but du reenactment n’est donc pas de re-mettre lepassé en bonne lumière, mais de produire, par le mode immersif du reenactment, une actualité,qui se trouve dans un rapport critique au passé répété et qui vise les différences ou singularitésque toute répétition produit nécessairement.

La pratique du reenactment reconstitue donc un milieu documentaire afin que l’événementhistorique puisse s’y répéter de manière toujours différente ou nouvelle. Par conséquent, cene sont pas les actions qui sont ré-effectuées, comme c’est le cas chez Collingwood, maisplutôt un cadre, un dispositif expérimental dans lequel se produit un événement. Lereenactment n’est donc pas une répétition d’un acte de pensée toujours identique à soi-même,d’un objet éternel, mais bien plutôt l’actualisation brisée ou interrompue d’un événementpassé à l’intérieur d’un cadre documentarisé. C’est grâce à cette reconstitution d’un milieuque l’actualisation est liée à une réalité historique, donc par l’endroit topographique danslequel quelque chose s’est passé et où quelque chose se répète, se ré-effectue ou est« reenacté ». Ceci s’observe de façon paradigmatique dans Shoah de Claude Lanzmann lors duretour de Simon Srebnik sur la clairière près de Chelmno, où il avait été forcé à aider, à l’âgede 13 ans, aux crémations ; par le contraste entre le « maintenant » historiquement contingentet le passé qui est documenté à la fois par l’identité topographique de l’endroit et l’identitépersonnelle de Srebnik, Lanzmann insiste sur une structure de la réalité qui reste répétable, etdu retour de laquelle ni le présent ni le futur sont immunisés, qui n’est donc pas terminée.

De cette façon, la ré-effectuation modifie la compréhension de ce qui est politiquementpossible par rapport précisément à ces événements historiques qui déterminent la réalitéactuelle. Le reenactment vise à rendre sensible le travail et l’effet du passé dans le présent. C’estce qui se produit également dans le film, Moi, Pierre Rivière, ayant tué ma mère, ma sœur et mon frèrede René Allio, une reconstitution cinématographique du « dossier Rivière » rassemblé par

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.47

.39.

28 -

28/

12/2

013

01h4

5. ©

Col

lège

inte

rnat

iona

l de

Phi

loso

phie

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. © C

ollège international de Philosophie

Page 11: Maria Muhle Reenactments du pouvoir Remarques sur une historiographie médiale.pdf

CORPUS |91

Foucault. Ce film reproduit topographiquement le milieu de Rivière, dans la mesure oùl’endroit du tournage, un village de Normandie, est très similaire à celui de Rivière, bien quece ne soit pas le même ; de la même manière, les rôles des paysans du temps de Rivière, donc140 ans plus tôt, sont joués, en 1976, par des paysans locaux. Dans un entretien, Foucault aaffirmé que « c’était politiquement important de donner aux paysans la possibilité de jouer cetexte paysan 12 » parce qu’ils occupaient ou usurpaient ainsi la place des acteurs professionnelset artistes légitimes de la même manière que Rivière avait usurpé la place du scripteurautorisé, qu’il soit médecin, journaliste ou fonctionnaire de justice. Ce qui est ré-effectuédans ce film, ou plutôt lors du tournage du film, est donc le geste usurpateur et politique deRivière, transposé dans un autre milieu ou dispositif médiatique : d’une scène d’écriture àl’ensemble du film. Il n’est donc évidemment pas question de savoir comment les choses sesont vraiment passées, mais comment des événements se produisent à nouveau ou encore,comment des répétitions mimétiques produisent d’autres événements.

On se demandera alors dans quelle mesure l’arrière-plan philosophique fourni par la penséede l’histoire de Collingwood est d’un intérêt quelconque si l’on admet en même temps quel’hypothèse de l’identité des actes de pensée, sur laquelle repose en fin de compte cettethéorie, n’est pas tenable. La réponse est double  : d’une part, la théorie de Collingwoodpermet de rejeter la thèse documentariste naïve qui situe la nature critique du reenactment dansle dévoilement ou le réajustement de vérités ou d’évidences historiques – ce que Foucaultavait appelé la mise en cause du document, ou plus précisément, le traitement du documentpar l’histoire globale comme trace d’une vérité enfouie. Ainsi, les reenactments de Milo Rauvisent une correction éthique et politique de l’histoire, très proche d’un geste révélateur del’intellectuel savant et éclairé  ; la force hyper-mimétique du reenactment est ici nivelée enfaveur d’une correction éthique de l’histoire. Et d’autre part, la théorie de l’imaginationhistorique de Collingwood permet une compréhension élargie du reenactment comme re-actualisation en tant qu’il s’agit  de re-mettre en scène, c’est-à-dire de mettre en scènenouvellement, un événement passé afin de confronter des effectivités du passé avec celles duprésent de manière indéterminée.

Il ne s’agit donc pas d’être au plus proche possible de l’événement original, ni non plus derectifier politiquement ce qui a été fait, dit ou pensé – il s’agit au contraire de créer le cadre

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.47

.39.

28 -

28/

12/2

013

01h4

5. ©

Col

lège

inte

rnat

iona

l de

Phi

loso

phie

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. © C

ollège international de Philosophie

Page 12: Maria Muhle Reenactments du pouvoir Remarques sur une historiographie médiale.pdf

MARIA MUHLE92 |

expérimental dans lequel l’événement se déplie aujourd’hui de façon imprévisible et avecun but incertain. Cela se fait sur un mode double, à la fois par l’identification avec ce qui aété (topographiquement) et par l’aliénation et la rupture de la continuité du récithistorique. Et c’est justement là que réside le moment politique d’une telle répétition, nonseulement dans la compréhension que toute histoire est une construction, telle que suggèrela notion de « palimpseste  », comme processus de ré- et sur-écriture de l’histoire, maisaussi dans la politisation de ce constat archéologique – en pensant la répétition re-effectuante de l’histoire comme un moyen de son actualisation. C’est-à-dire que lepotentiel hyper-mimétique du reenactment ne donne pas lieu à une simulation du passé, maisimagine le passé dans le présent et l’inscrit par là dans une tension avec ce même présent.Le reenactment interrompt la relation classique de ressemblance par le devenir indiscernablede la réalité et de sa répétition, qui ne se produit pas à cause d’une ressemblancenaturaliste, mais bien au contraire par une artificialité partagée que le reenactment expose etqui ouvre une perspective de changement ou de déplacement de l’actualité dans laquellel’histoire reste active. Et cela signifie enfin que la répétition de l’histoire est seulementpossible sur un mode esthétique – mais que cette répétition esthétique ouvre une possibilitépolitique, dans la mesure qu’elle fait apparaitre le «  même  » du reenactment comme« quelque chose d’autre ».

NOTES

1. Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard 1969, p. 18.

2. Ibid., p. 19.

3. Ibid., p. 14.

4. Ibid.

5. Ibid., p. 14–15.

6. Cf. Sven Lütticken, « An Arena in which to re-enact », in Life, Once More : Forms of Re-D

ocum

ent t

éléc

harg

é de

puis

ww

w.c

airn

.info

- -

-

186.

47.3

9.28

- 2

8/12

/201

3 01

h45.

© C

ollè

ge in

tern

atio

nal d

e P

hilo

soph

ie

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. ©

Collège international de P

hilosophie

Page 13: Maria Muhle Reenactments du pouvoir Remarques sur une historiographie médiale.pdf

CORPUS |93

enactment in Contemporary Art, éd. Sven Lütticken, Rotterdam, Witte de With, p. 17–60, ici p. 27.

7. Un usage historiographique du reenactment étant la production de faux documents historiques

comme par exemple lors de la remise en scène théâtrale de la Prise du Palais d’Hiver par Evraïnov

en 1920, commentée par Chris Marker dans sons film Le Tombeau d’Alexandre.

8. Robin G. Collingwood, Idea of History, Oxford, Clarendon Press, 1946, p. 247.

9. Ibid., p. 246 (je souligne, MM).

10. Ibid., p. 251.

11. Ibid., p. 246 (je souligne, MM). Cf. pour ce passage et pour la confrontation de Collingwood

avec Hayden White également Chinatsu Kobayashi et Mathieu Marion, « La philosophie de l’histoire

de Collingwood : rationalité, objectivité et anti-réalisme », in C. Nadeau (éd.), La Philosophie

de l’histoire au XXe siècle. Hommages offerts à Maurice Lagueux, Québec, Presses de l’Université

de Laval, p. 119–164.

12 Michel Foucault, « Entretien avec Michel Foucault », in Dits et Ecrits, Gallimard, Tome III,

Paris, 1994, p. 100. Voir également à ce sujet Alain Brossat, Plebs Invicta, Berlin, August 2012,

notamment le texte « Pierre Rivière, la plèbe », p. 7–36.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 18

6.47

.39.

28 -

28/

12/2

013

01h4

5. ©

Col

lège

inte

rnat

iona

l de

Phi

loso

phie

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 186.47.39.28 - 28/12/2013 01h45. © C

ollège international de Philosophie