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Marguerite Duras : Marguerite Duras, née en 1914 et morte en 1994, dramaturge, écrivaine, scénariste, réalisatrice française, elle bouscule les conventions théâtrales et cinématographiques, ce qui renouvelle le genre romanesque. Elle touche au domaine cinématographique car se dit non satisfaite des procédés banals des réalisateurs. Marguerite Duras est cependant contestée durant la deuxième moitié du XXe siècle à cause de sa créativité justement et de son originalité. Notamment dans « Un barrage contre le Pacifique », roman l’ayant révélée au grand public. « L’Amant », est une réécriture d’ « Un barrage contre le Pacifique », dont le film touche par sa sobriété, elle y privilégie les images plutôt que les dialogues. Marguerite Duras appartient bien au Nouveau Roman car ses recherches visent à dénoncer les illusions, à savoir que le roman n’est pas représentatif du monde réel. C’est pourquoi elle ne confond pas projet littéraire et engagement humain. Elle est reliée au Nouveau Roman par la manière dont elle traite les personnages et par son originalité par rapport aux formes narratives et picturales. Lorsqu’elle publie « L’Amant de la Chine du Nord » en 1991, Marguerite Duras indique, dans un court texte qui précède ce récit, à la suite de quelles circonstances elle a entrepris de réécrire l’histoire. Le livre aurait pu s’appeler ‘L’amant dans la rue’ ou ‘Le roman de l’Amant’ ou L’Amant recommencé’ : c’est en apprenant le décès de celui qui était le jeune Chinois de son adolescence qu’elle décide de quitter son travail en cours pour se consacrer à

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Page 1: Marguerite Duras :  Web viewMarguerite Duras est cependant contestée durant la deuxième moitié du XXe siècle à cause de sa créativité justement et de son originalité

Marguerite Duras :

Marguerite Duras, née en 1914 et morte en 1994, dramaturge, écrivaine, scénariste, réalisatrice française, elle bouscule les conventions théâtrales et cinématographiques, ce qui renouvelle le genre romanesque.

Elle touche au domaine cinématographique car se dit non satisfaite des procédés banals des réalisateurs. Marguerite Duras est cependant contestée durant la deuxième moitié du XXe siècle à cause de sa créativité justement et de son originalité. Notamment dans « Un barrage contre le Pacifique », roman l’ayant révélée au grand public. « L’Amant », est une réécriture d’ « Un barrage contre le Pacifique », dont le film touche par sa sobriété, elle y privilégie les images plutôt que les dialogues.

Marguerite Duras appartient bien au Nouveau Roman car ses recherches visent à dénoncer les illusions, à savoir que le roman n’est pas représentatif du monde réel. C’est pourquoi elle ne confond pas projet littéraire et engagement humain. Elle est reliée au Nouveau Roman par la manière dont elle traite les personnages et par son originalité par rapport aux formes narratives et picturales.

Lorsqu’elle publie « L’Amant de la Chine du Nord » en 1991, Marguerite Duras indique, dans un court texte qui précède ce récit, à la suite de quelles circonstances elle a entrepris de réécrire l’histoire. Le livre aurait pu s’appeler ‘L’amant dans la rue’ ou ‘Le roman de l’Amant’ ou ‘L’Amant recommencé’ : c’est en apprenant le décès de celui qui était le jeune Chinois de son adolescence qu’elle décide de quitter son travail en cours pour se consacrer à la réécriture de l’Amant, écrit en 1984, histoire réelle, qui s’inscrit dans une démarche autobiographique.

Résumé :

Provenant d’une famille fragilisée par la mort du père, le laxisme de la mère, et la tyrannie du grand frère nuisant au développement du petit frère, sans cesse exposée aux humeurs extrêmes de l’aîné, l’enfant se laisse emporter dans une relation prématurée, étant donné son jeune âge, avec un homme, posant ainsi une question d’éthique et de différence de civilisation.

Nous nous trouvons, dans l’extrait qui suit, dans la pension Lyautey ou séjourne l’enfant ainsi que sa meilleure amie Hélène Lagonelle. La nuit tombe, les deux discutent de la journée qu’a passée l’enfant avec le Chinois.

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Extrait   : l’enfant avec Hélène à la pension (p.94-95)  :

Résumé de l’extrait :

On a un moment de confidence entre les deux jeunes filles. On est dans l’ambiance du soir. Série de questions/ réponses sur le Chinois ainsi que des hypothèses sur son apparence. Discussion sur la relation enfant/Chinois. On se trouve dans une ambiance feutrée avec de la musique en arrière-plan, anonymat des personnages, décors flous. Aucun adulte n’est présent dans la scène.

Particularités de l’écriture de Duras :

Le cadre spatio-temporel : Cet extrait commence par des phrases courtes mais explicites qui précisent l’endroit où se déroule la scène, l’écriture est très sobre, dépouillée (C’est la pension Lyautey la nuit. La cour est déserte. Les jeunes boys jouent aux cartes…) = ressemblance avec les indications données pour un tournage de film, tellement ce style est dépouillé.

Le cadre est réduit au strict minimum dont on a besoin pour situer l’action… Plutôt de l’ordre de la suggestion que de la description.

Les personnages : Globalement, le texte se contente de noter les mouvements des personnages, l’expression de leur visage, les jeux de regard, les paroles prononcées (ici : style direct). Il n’y a aucune caractérisation de ces personnages, rien qui puisse ressembler à un portrait d’eux, si ce n’est le portrait du Chinois, dressé par l’Enfant vision totalement subjective.

Ils n’ont pas vraiment d’identité propre, si ce n’est le garçon du paso doble (les jeunes boys, les jeunes filles)

Les relations entre les personnages : On a un dialogue inhabituel entre l’enfant et Hélène : on a l’impression d’une relation fusionnelle, car il n’y a aucune tension entre elles, même davantage : l’une continue la pensée de l’autre, le dialogue pourrait donc être mené par une seule personne : (« Hélène L. demande s’il est beau. L’enfant hésite. Elle dit qu’il l’est ». On aurait pu dire L’enfant se demande s’il est beau. L’enfant hésite. Elle se dit qu’il l’est).

La focalisation : Il y a une apparente neutralité de la narration qui relèverait plutôt d’une focalisation externe, où le narrateur, qui s’efface devant son récit, semble ne saisir que l’apparence extérieure des personnages, témoins ou acteurs de la scène et de l’événement. Pourtant, la narratrice est elle-même partie prenante, mais Duras a le parti pris de rester la plus neutre possible.

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Du point de vue de la construction de la scène :

Il n’y a aucune transition entre les différents moments de la scène (« les veilleuses bleues des couloirs les font très pâles, mourante. H. L. demande tout bas … »)

Tout cela donne une ambiance feutrée, un peu irréelle (les veilleuses bleues des couloirs les font très pâles, mourantes… Hélène L. demande tout bas…) puis le rythme des phrases y contribue aussi: Hélène pose une question à la fois : comment ça s’est passé…etc…s’il est beau...)

Le lecteur pourrait très bien être en face des pensées de l’enfant qui se remémore sa journée par touches successives.

Il y a ce qui est dit : les événements, ses souvenirs, et ce qui est suggéré : sa vision de la vie ? voir idéalisation, plus bas.

Et toujours cette absence de transition, dans le fil même de la conversation : De même, la description du Chinois par l’enfant glisse vers des explications données par l’enfant, et leur communion dans l’idéalisation du Chinois glisse vers une communion dans le désir…(« il est très riche… il fait rien que l’amour, fumer l’opium, jouer… » »C’est drôle, c’est comme ça que je le désire… »

La trame de l’histoire :

L’ambiance du soir est calme (plus d’activité, dans la pension), harmonieuse (il y a des chants et des jeux), familière (elle les reconnaît tous)

Du fait des fenêtres ouvertes, espace intérieur et espace extérieur sont confondus, il n’y a pas forcément de limites entre eux. Ce flou est augmenté par ‘l’enfermement dans des cages’ alors que les fenêtres sont ouvertes : image paradoxale !

A aucun moment les personnages ne sont décrits, ou présentés : l’enfant et Hélène prennent tout-à-coup la parole, et l’on se rend compte que l’on est probablement dans le dortoir.

Le dialogue suit un rythme lent, ensuite, tant du côté des questions que du côté des réponses données par l’enfant. Certains éléments sont soulignés (elle dit : avec le Chinois).

Pour souligner le ton intime de cette conversation, l’auteur emploie ici un style plutôt parlé pour son discours indirect: (« … Qu’il est maigre. Qu’on dirait qu’il a été malade quand il était petit, Qu’il ne fait rien. Que s’il était pauvre ce serait terrible, il ne pourrait pas gagner sa vie, qu’il mourrait de faim… »)

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Puis viennent les interprétations de l’enfant : commentaire sur sa fortune, les causes de sa fatigue, sa consommation d’opium, etc…

Puis, la conclusion de l’enfant : ‘une sorte de millionnaire voyou’ montre combien, avec ses mots et notions d’enfant, elle essaie de comprendre ce jeune homme qu’elle a rencontré.

Et l’intérêt des enfants pour son physique : elles l’idéalisent, la qualité essentielle étant justement cette beauté physique (« … Son corps, comment il est beau ?...H. L. demande s’il est beau. Très, très beau ?... »)

Cette description du Chinois : physique, situation de vie, santé, habitudes prend toute la place dans leur discussion. Est-elle objective, est-elle subjective ? Aucune frontière entre la réalité et ce qu’elle en imagine (texte : c’est ce que croit l’enfant)

L’une semble avoir autant envie de questionner que l’autre d’expliquer

On voit alors que les deux enfants sont au même niveau de maturité de par leur naïveté semblable : aucune des deux ne prend de distance envers les individus : par la simple description du Chinois, Hélène en tombe amoureuse (Hélène dit que lorsque l’enfant en parle, elle, Hélène, elle le désire aussi, comme elle).

De manière générale, dans le roman, l’enfant ne prend jamais de distance avec les individus. Ici encore, l’amitié qu’elle a avec Hélène va toujours plus loin dans la relation (elles s’embrassent.. indécentes jusqu’aux pleurs). Cette absence de limites claires, déjà présente dans la description du lieu, apparaît donc aussi sur le plan moral : là elle donne libre champ aux élans primaires.

Le mot ‘désir’ est répété 4 fois, comme une chose que l’on veut apprendre ?

Conclusion :

Cette scène est déroutante, de par la non-aptitude de l’enfant à moduler sa relation à l’autre. L’écriture de Duras, son approche de la scène souligne cette absence de limites, de nuances, dans l’appréhension des relations humaines.

En même temps, cette absence de limites claires donne comme impression d’ensemble que l’enfant fait totalement corps avec tout ce qui l’entoure (cadre, personnages même laissés dans l’anonymat, car ils font au moins partie de ce cadre), avec ce qui lui arrive (rencontres : elle mélange ses croyances et les vérités objectives), avec ses amis (à un point discutable et dérangeant, même).

Cette absence de recul, justement, qui est ainsi décrite, vécue même par lecteur, lui fait ressentir la jeunesse de l’enfant et sa vulnérabilité en même temps que la dangerosité d’un pareil comportement.