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MANUEL DE CONCEPTION DE Reflect ALPHABÉTISATION FREIRIENNE RÉGÉNÉRÉE À TRAVERS LES TECHNIQUES DE RENFORCEMENT DES CAPACITÉS ET POUVOIRS COMMUNAUTAIRES David Archer et Sara Cottingham

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  • MANUEL DECONCEPTION DE

    ReflectALPHABÉTISATION FREIRIENNE RÉGÉNÉRÉE À

    TRAVERS LES TECHNIQUES DE RENFORCEMENT DESCAPACITÉS ET POUVOIRS COMMUNAUTAIRES

    David Archer et Sara Cottingham

  • Ce Manuel de Conception de Reflect date d’il y a 16 ans – ce qui démontre que l’approcheReflect est aujourd’hui en pleine jeunesse, et particulièrement en phase avec notre époquequi assiste à un regain de mobilisation des jeunes pour la démocratie ou contre les mesuresd’austérité.

    Depuis 1996, l’approche Reflect a connu une expansion phénoménale ; elle est utilisée pardes centaines d’organisations différentes, ONG, mouvements sociaux ou organismes d’Etatdans au moins 45 pays. Cinq programmes différents basés sur l’approche Reflect ont étérécompensés par des Prix d’alphabétisation des Nations Unies depuis 2003. Bien que des ressources de grande qualité aient été produites au fil des années (parexemple Communication et Pouvoir en 2003 et Compter les graines du changement en2009), le Manuel de Conception initial de Reflect reste l'ouvrage le plus demandé. Latentation existait de le mettre à jour, en incluant les innombrables innovations apparuesdans les pratiques au cours du temps, mais nous y avons résisté pour rester attaché à cequi constitue un pilier fondamental et un point de référence. Nous vous invitons à l’utiliserpour ce qu’il est, c’est-à-dire un « manuel de conception » destiné à vous aider à réaliservos propres manuels locaux, soigneusement adaptés à votre contexte unique. L'innovationfait partie intégrante de Reflect, et votre tâche essentielle consiste à adapter l'approche defaçon créative, et non à simplement l’appliquer.

    Pour trouver d’autres ressources, consultez le site Internet Reflect-action, ou rapprochez-vous d’autres praticiens Reflect dans votre pays ou de vos collègues à travers le monde viale réseau Reflect Basecamp. Nous sommes tous engagés dans un processus perpétueld’apprentissage, et j’espère que vous pourrez à la fois contribuer à notre fonds commun deressources novatrices en constante expansion et en tirer le plus grand profit.

    Le nom de Reflect est une force, notamment parce qu’il enracine l’approche dans le travailde l’éducateur Paulo Freire, un visionnaire qui a soutenu avec enthousiasme ledéveloppement de Reflect depuis 1993 jusqu’à sa disparition en 1997. Ce nom a permis deconstruire des passerelles entre des praticiens profondément engagés dans diversesinstitutions et une variété de pays différents. En même temps, tous les noms sont cause deproblèmes : certains s’y identifient, d’autres se sentent exclus. Il existe un risque majeur deprolifération des « marques », qui fragmente les efforts au lieu de les unir. C’est un pointauquel nous devons être attentifs à chaque instant, en nous efforçant de construire despasserelles et de travailler en collaboration avec d’autres acteurs qui visent à transformerles relations de et au pouvoir. En effet, le fait de nommer une procédure représente souventune étape cruciale, avec des implications significatives en termes de pouvoir. L'idéal seraitque dans chaque communauté, chaque cercle Reflect se choisisse son propre nom – avecl’adhésion totale de tous les participants. Au cours des années, j’ai entendu des dizaines denoms dans des dizaines de langues… et le terme Reflect n’est utilisé par les interlocuteursque pour faciliter les échanges, ce qui est exactement le but recherché.

    Le nom est important également par d’autres aspects. L’une des premières motivations desparticipants à s’inscrire aux programmes Reflect initiaux était d’apprendre à écrire leurpropre nom. A mon sens, ce manuel ne met pas suffisamment en avant le fait quel’alphabétisation constitue une motivation essentielle pour les participants, et que le

    P r é f a c e

    facilitateur ou la facilitatrice doit apprendre à chacun des participants à écrire son nom dèsla première semaine de formation en les incitant ensuite à pratiquer cet exerciceassidument.

    Recopier leur nom motivera les apprenants, et les aidera à développer leurs capacitésmanuelles ; ainsi, les formes de leur nom leur deviendront rapidement familières. En unesemaine, n’importe quel groupe de vingt ou trente personnes sera alors capable de lirecollectivement un texte quelconque… très lentement au début, bien sûr (puisqu’unevingtaine ou plus de noms contiennent généralement la quasi-totalité des lettres del’alphabet). Ce pouvoir collectif a pour effet de renforcer l’assurance des participants etconstitue un processus de transformation en soi.

    Les pratiques Reflect ont énormément évolué depuis l’origine, et certains programmesaujourd’hui ne sont plus explicitement axés sur l’alphabétisation. Les participants maîtrisentparfois déjà, à différents degrés, la lecture et l’écriture. Le processus est alors davantagecentré sur la prise de conscience, la mobilisation et la transformation des relations depouvoir. Ceci étant, tout processus d’autonomisation ou de transformation exige unrenforcement des capacités de communication individuelles. Même s’il ne s’agit pas àproprement parler d’alphabétisation (ou d’enseignement d’une langue ou de compétencesde communication), le fait d’aider les personnes à mieux utiliser ces capacités pour se faireentendre fait généralement partie intégrante du processus de transformation et légitimenotre réflexion. L’alphabétisation est un processus continu, tout comme les compétencesde communication – et le processus Reflect contribuera toujours à les développer, d'unefaçon ou d'une autre.

    J’espère que ce jeune activiste de 16 ans sera pour vous un compagnon utile pour faireprogresser le processus de changement dans lequel vous vous êtes engagés.

    Très cordialement,

    David [email protected]

    Informations complémentaires

    Pour en savoir plus sur Reflect, consultez le site Internet :www.reflect-action.org

    Retrouvez-nous sur Facebook :www.facebook.org/ReflectAction

    Ou rejoignez le site de mise en réseau et de partage de fichiers Reflect Basecamp(uniquement sur invitation, suivez le lien sur www.reflect-action.org/basecamp)

  • TABLE DES MATIERES 2

    REMERCIEMENTS 4

    UNE NOTE SUR LA TERMINOLOGIE UTILISÉE 4

    PREMIERE PARTIE INTRODUCTION – COMMENTUTILISER CE MANUEL ?

    1.1 Qu’est-ce que Reflect ? 51.2 Quelles sont les origines de Reflect ? 51.3 Qui êtes-vous ? 61.4 Quel est l’objectif de ce Manuel ? 61.5 Quel est le contenu de ce Manuel ? 71.6 Note finale 8

    DEUXIEME PA RT I EORIGINES ET PHILOSOPHIE

    2.1 Pourquoi l’Alphabétisation ? 92.2 Les échecs du passé 102.3 Introduction à la théorie de Freire 102.4 Limites et Distorsions de la théorie de Freire 122.5 Introduction à la Méthode Accélérée de

    Recherche Participative 132.6 Divergences entre la philosophie de Freire

    et celle de Chambers 142.7 Nouveaux Concepts en matière

    d’Alphabétisation : La Méthode idéologique 152.8 Alphabétisation Visuelle 152.9 Le calcul numérique 162.10 La question des rôles et de l’égalité entre

    les deux sexes 172.11 Rassembler les morceaux : Le développement

    théorique de la méthode Reflect 19

    T R O I S I E M E PA RT I ELA METHODE REFLECT

    3.1 Dessiner des graphiques 213.2 Transférer les graphiques sur des feuilles

    de papier 233.3 Structurer la pratique de la lecture et de

    l’écriture 263.4 Le calcul numérique 323.5 Dialogue, action et développement 343.6 Note finale sur la motivation 373.7 Observer un cercle dans la pratique 37

    5.3 Unités de travail parthèmes 1311. Unités supplémentaires sur les thèmes de

    l’agriculture / la micro-économie 131Carte des activités agricoles 132Carte de l’occupation viagière des terres 134Chemins de traverse 136Calendrier des prix du marché 138Calendrier d’achat de produits de base 140Calendrier de périodes de pénurie et

    d’abondance alimentaire 141Calendrier des précipitations 142Diagramme en flèches de la déforestation 143Diagramme des structures economiquesd’un foyer familial 144

    Diagramme du procédé de production deproduits laitiers 147

    Diagramme en camembert des revenus etdes dépenses 147

    Projections d’utilisation de prêts 1482. Unités sur les questions relatives à la santé 150

    Tableau des plantes médicinales 150Carte du corps humain 152Classification des aliments selon certainscritères de sélection 154

    Classification des maladies en fonction dudegré de gravité 155

    Diagramme chapati de la naissance 156Carnets de santé / Vaccinations 158

    3. Unités portant sur des thèmes socio-politiques 158Scolarisation des enfants / Tableau de l’education 1 6 0Unité sur le travail des enfants 161Diagramme chapati d’organisations 162Tableau d’evaluation des organisations

    communautaires 164Diagramme chapati de structures sociales informelles 165

    Echelle de temps d’un village/d’une communauté 167Carte de mobilité 168Classification du bien-être 171Tableau de la routine quotidienne 173Carte des ressources humaines 174Carte des services et des opportunités 176Calendrier social / Culturel 178Carte d’un futur idéal / Tableau des projetsde développement 179

    Tableau des violations des droits de l’homme 181Carte des déplacements / Migration 182Planification de l’education – Diverses unités 183Concevoir vos propres Unité 185

    SIXIEME PA RT I EADAPTER REFLECT

    6.1 Adapter Reflect à un travail avecdifférentes communautés 186

    1. En zone urbaine 186Programmes basés sur le voisinage 187Travail d’alphabétisation basé sur unemploi ou un secteur particulier 193

    2. Communautés de pêcheur/euses 1943 . Communautés pastorales 1954. Réfugiés/es 196

    6.2 Adapter Reflect à un travail avec les enfants 198

    6.3 Intégration d’autres méthodes participatives 201Introduction 201Utiliser des matériaux réels 202Théâtre / jeux de rôles / contes d’histoires /proverbes 202

    Danse, chanson et poésie 204Affiches (codifications) 205Utilisation de la radio, la télévision et la vidéo 205Jeux de mots 206Jeux de nombres 210Autres matériaux de formation sur les

    techniques participatives 211L’usage de la visualisation dans la Planification Participative 213

    S E P T I E M E PA RT I ENOTE FINALE 214

    ANNEXESANNEXE 1 : L’histoire des trois projets pilotes 215ANNEXE 2 : Autres contacts et matériels 222ANNEXE 3 : Liste de références 223

    3 TABLE DES MATIERES

    Q U AT R I E M E PA RT I ELES ETAPES D’IMPLANTATION DELA METHODE REFLECT

    4.1 Introduction 401. Les Etapes de base 402. Quelques considérations pour débuter 42

    4.2 La Recherche Locale de base 481. Recherche sur l’alphabétisation et la(es)

    langue(s) utilisée(s) 482. Recherche socio-économique 543. Recherche socio-mathématique 56

    4.3. Développer un manuel local 574.4. Création de fiches visuelles 594.5. Formation des formateurs/trices 674.6. La Sélection et la Formation des

    facilitateurs/trices 714.7. Contrôle et Evaluation du Programme 764.8. Utiliser les matériaux conçus par les

    participants/es pour la planificationd’un programme 81

    4.9. Renforcer l’environnement relatif à lalecture et l’écrituret 83

    4.10. Une note sur la post-alphabétisation 88

    CINQUIEME PA RT I EUNITÉS DE TRAVAIL

    5.1 Introduction 905.2 Exemples détaillés 91

    La première rencontre 911. Carte des foyers d’habitation 932. Carte des ressources naturelles (avec

    une représentation du temps) 973. Calendrier de la Santé 1014. Tableau des moyens de guérison 1045. Carte de la santé et de l’hygiène 1086. Calendrier agricole 1137. Calendrier des travaux accomplis par

    les hommes et les femmes 1168. Arbre et calendrier de revenus / dépenses 1209. Tableau des sources et usages de crédit 12410. Classification des cultures par ordre de

    préférence 127

    TABLE DES MAT I E R E S

  • I n t roduction : comment utiliser ce manuel ?

    1.1 QU’EST-CE QUE REFLECT ?

    Reflect est une nouvelle approche en matière deprogramme d’alphabétisation pour adultes quiest née de la fusion entre la théorie de PauloFreire et les techniques de Méthode Accéléréede Recherche Participative ou MARP.

    Dans le cadre d’un programme Reflect, il n’y a pas de livrede textes, pas d’abécédaire, pas de matériaux imprimésd’avance, si ce n’est le manuel des facilitateurs/trices descours d’alphabétisation. Chacun des cercles développe sespropres matériaux didactiques à travers la conception decartes, tableaux, calendriers et de diagrammes quireprésentent la réalité locale, systématisent lesconnaissances des participants/es et encouragent uneanalyse détaillée des questions ayant attrait à la vie locale.

    Ces graphiques peuvent inclure des cartes représentantles foyers d’habitation dans le village, et l’utilisation et larépartition des terres ; ils peuvent inclure des calendriersreprésentant le travail saisonnier des hommes et desfemmes, les maladies répandues localement ou lesdifférentes sources de revenus accessibles localement ; ouencore des tableaux qui permettent d’analyser la productionvivrière locale, les sources et les usages de crédit, ou laparticipation des membres de la communauté aux activitésdes organisations locales. Un graphique est tout d’aborddessiné sur le sol (en utilisant n’importe quel outil disponiblelocalement) en encourageant la participation active detous/tes. Il est ensuite transféré sur une grande feuille depapier ou fiche cartonnée en utilisant de simples images.Les mots sont ensuite introduits sur les graphiques,initialement sous forme d’étiquettes symboliques, ensuitesous la forme de commentaires. Les graphiques sontutilisés pour stimuler une discussion, des exercicesd’écriture élaborés par les participant/es et des exercices decalcul relatifs au contenu des graphiques. Ces graphiquessont aussi utilisés pour stimuler le passage à l’actioncollective afin de s’attaquer à la résolution de problèmeslocaux.

    Un certain nombre d’autres approches participativespeuvent également être utilisées dans le cadre de lastructure participative de Reflect, comme par exemplel’utilisation de jeux de rôles, du théâtre, de chansons, de ladance, de contes traditionnels, ou l’utilisation de matérielvisuel, de la radio, de matériaux réels, de jeux et deproverbes.

    A la fin du processus engendré par Reflect, chaque

    cercle aura produit entre 20 et 30 différentes cartes, tableaux, calendriers ou diagrammes représentant uneanalyse détaillée de la vie de leur communauté. Ils disposentdès lors d’un document permanent qui leur permettra deconcevoir la planification de leurs propres initiatives dedéveloppement. Chaque participant/e conserve une copiede tous les graphiques, avec ses propres énoncés et sespropres phrases, et cela constitue un vrai document en soi– en quelque sorte un petit dossier qu’ils/elles auronteux/elles-mêmes produit. Entretemps, l’organisation qui aassuré l’implantation du programme d’alphabétisationdispose aussi (en demandant aux facilitateurs/trices de faireune copie de tous les graphiques conçus) d’un documentdétaillé concernant les conditions, besoins etcomportements des individus dans chacune des différentescommunautés (travail qui peut prendre des années enutilisant d’autres méthodes de recensement).

    En produisant leurs propres matériaux didactiques dansles cercles Reflect, les participants/es ont le sentimentd’être maîtres des thèmes qui sont évoqués – ce qui seraitinimaginable avec l’introduction de thèmes par le biais d’unabécédaire. Ceci a eu pour effet de stimuler le lancementd’une action locale et a créé un lien étroit entre leprogramme d’alphabétisation et d’autres formes d’activitésde développement au niveau local.

    1 . 2 QUELLES SONT LES ORIGINES DELA METHODE REFLECT ?

    Reflect a débuté en 1993 lorsqu’ACTIONAID alancé un projet de recherche sur une période dedeux ans, afin d’explorer les possibles utilisationsdes techniques de la Méthode Accélérée deRecherche Participative (MARP) dans le cadre deprogrammes d’alphabétisation. C’est dans cecadre qu’est née la méthode Reflect (acronyme enanglais pour Regenerated Freiran Literacy throughEmpowering Community Techniques ouAlphabétisation Freirienne Régénérée à travers desTechniques de Renforcement des Capacités et desPouvoirs de la Communauté).

    La méthode Reflect a tout d’abord été introduite avecl’implantation de trois différents projets en Ouganda, auSalvador et au Bangladesh. A Bundibugyo, en Ouganda, leprojet-pilote a été lancé dans une région où aucune desdeux principales langues locales n’avait été écrite

    Introduction : comment utiliser ce manuel ? 5 PREMIERE PARTIE

    Les auteurs de ce manuel voudraient remercier :

    ■ Les trois départements de l’ODA qui ont aidé à financerce travail (Les Conseillers d’Education, le Bureau deGestion de l’Aide au Bangladesh ainsi qu’ESCOR).

    ■ Le personnel d’ActionAid en Ouganda, y compris leDirecteur des Opérations en Ouganda, AnthonyWasswa, James Kanyesigye, Judith Bakirya et l’équipede Bundibugyo ; ainsi que LABE et les participants etparticipantes de l’atelier international qui s’est tenu enjuillet/août 1995 à Kampala et Jinja.

    ■ Le personnel d’ActionAid au Bangladesh et en particulierle Directeur des Opérations au Bangladesh, Ton VanZutphen, l’ancien Directeur des Opérations, BobReitemeier, Mukul Rahman ainsi que l’équipe de Bhola ;également Ratindranath Pal, Habibur Rahman deCAMPE, Nilufer Rahman d’INFEP ; et enfin lesparticipants et participantes de l’atelier international quis’est tenu à Dhaka en novembre 1994.

    ■ Le personnel d’AYUDA EN ACCION au Salvador, enparticulier le Directeur des Opérations au Salvador,Carlos Hernandez, l’ancien Directeur des Projets,Eduardo Moser ; le personnel de CIAZO, le personnel deCOMUS et Sandrine Tiller de WUS.

    ■ L’ancien et l’actuel personnel d’ActionAid UK, enparticulier Nigel Twose, Robert Dodd, CandiceMacqueen, Maxine Riddick, Katlin Brasic et AntonellaMancini.

    ■ Sandra Clarke pour sa conception et mise en page.■ Alice Welboum pour ses précieux conseils et son travail

    d’édition.■ Les facilitateurs et facilitatrices de Reflect ainsi que les

    participants et les participantes des trois programmespilotes qui ont généreusement offert leur temps auxéquipes d’évaluation.

    ■ Et pour la version française de ce manuel, CAFOD, qui agénéreusement contribué aux coûts de traduction etd’impression et Sophia Ceneda pour le travail –laborieux – de traduction.

    Il convient toujours de manier la langue avec précaution et,dans le processus de préparation de différentes ébauchesde ce manuel, nous avons pris conscience de la sensibilitéde certaines langues. Des mots comme enseignant/te,apprenti/e, et classe sont plus faciles à utiliser (et souventplus faciles à comprendre) mais évoquent un certainnombre d’images, de souvenirs ou d’associations que nousvoulons éviter. Nous avons en conséquence remplacé cestermes par respectivement les termes facilitateur/trice,participant/e et cercle, chacun d’entre eux suscitant desassociations plus positives. Dans le cadre de Reflect, nousavons l’assurance que cela constitue plus qu’un simplechangement de jargon.

    Cependant, nous avons sans aucun doute égalementutilisé dans ce manuel un vocabulaire spécialisé. Nousavons essayé de l’éviter autant que possible, mais il peuttoujours vous être utile d’avoir la liste suivante de mots etacronymes, par ordre alphabétique, à laquelle vous pouvezvous référer :

    Abécédaire livre de textes utilisé dans les programmestraditionnels d’alphabétisation (voir détails enpartie 2.2).

    APE Association des Parents d’Elèves et desProfesseurs

    Cercle une classe ou un groupe d’alphabétisation Facilitateur l’enseignant/e ou l’instructeur/trice des cours

    /trice d’alphabétisationFDF Formation des formateur/trices

    Freirien/ne d’après la théorie/les concepts de PauloFreire, le fameux éducateur brésilien

    Graphique carte, calendrier, tableau ou autre diagramme Manuel des le guide d’enseignement du facilitateur / de la facilitateurs facilitatrice ; un manuel contiendra des détails

    /tricessur peut-être vingt ou trente Unités de travail.

    R e m e r c i e m e n t s 4 Une note sur la terminologie utilisée

    R E M E R C I E M E N T SUNE NOTE SUR LATERMINOLOGIE UTILISÉE

    PREMIERE PA RT I E

  • d’occupation viagière, des cartes de déplacement depopulation et des tableaux sur les droits de l’Homme ; enOuganda, le manuel contenait des calendriers représentantle travail saisonnier des hommes et des femmes, destableaux de cultures vivrières et des cartes de ressourcesdisponibles localement ; et au Bangladesh, par contraste, lecontenu du manuel portait surtout sur des questions decalcul, avec des calendriers de revenus et de dépenses, desprojections de prêts utilisés et des tableaux relatifs auxpratiques de prise de décision au sein du foyer familial.

    Le manuel des Facilitateurs/trices sera différent pourchaque pays, région ou groupe culturel important. Un manuelconçu en zone urbaine et pour une zone urbaine différerad’un manuel conçu en zone rurale, pour une utilisation enzone rurale. Les communautés de pêcheurs/euses voudrontaborder des thèmes qui différeront de ceux étudiés par descommunautés pastorales. Les jeunes auront des intérêtsdifférents de ceux des membres plus âgés de la communauté.

    1.5 QUEL EST LE CONTENU DE CE MANUEL ?

    Le noyau de ce Manuel de Conception estconstitué d’un certain nombre d’Unités de travailReflect (certaines développées en détail, d’autressimplement présentées dans leurs grandes lignes) àpartir desquelles vous pouvez faire votre propresélection ; vous pouvez aussi adapter et présenterdes Unités dans une séquence de votre choix pourproduire votre propre manuel. Ces Unités sontprésentées dans la Cinquième Partie.

    Aucune des Unités présentées dans ce manuel n’estconçue pour être reproduite telle quelle. Au contraire,l’intérêt est que vous y apportiez des modifications selonvos propres exigences.

    Ce Manuel débute par une introduction à la théorie et àla philosophie de Reflect (Deuxième Partie). C’est sansdoute la partie la plus difficile à lire en raison du languagethéorique et complexe utilisé, en particulier en ce quiconcerne le travail de l’éducateur brésilien Paulo Freire. Iln’est pas nécessaire de comprendre tous les mots et, sivous rencontrez des difficultés, vous désirerez sans douteremettre à plus tard la lecture de cette partie. Il n’est pasnécessaire de comprendre toute la théorie énoncée.

    La Troisième Partie présente une introduction détailléesur la méthode Reflect. Les différentes étapes dufonctionnement d’un cercle Reflect y sont étudiées :■ dessiner un graphique sur le sol ;■ recopier le graphique sur du papier en utilisant des

    fiches visuelles ;■ utiliser le graphique pour introduire des exercices de

    lecture et d’écriture ;■ concevoir des exercices de calcul à partir du contenu

    du graphique ;■ démontrer comment une discussion et une action au

    niveau local peuvent émerger du processus.

    La Quatrième Partie explique en détail comment utiliser laméthode Reflect.

    4.1 Quelques étapes élémentaires (telles que commentdévelopper une stratégie locale, comment concevoirun budget, etc.) et des réponses à quelques unes desquestions élémentaires y sont présentées ;

    4.2 Comment procéder à une recherche au niveau localsur les conditions socio-économiques, la langue enusage, les usages pratiques de l’alphabétisation (savoirlire et écrire) et de la connaissance en calcul numérique– afin que vous puissiez être prêt/e à adapterl’approche utilisée au niveau local ;

    4.3 Comment produire un manuel de facilitateurs/trices àpartir des unités présentées dans la Cinquième Partie,en y apportant des modifications pour adapter lemanuel à la situation locale ;

    4.4 Créer des fiches visuelles ;4.5 Former des formateurs/trices de Reflect ;4.6 Comment procéder à la sélection et la formation des

    facilitateurs/trices ;4.7 Contrôle et évaluation ;4.8 Comment utiliser des matériaux produits par les

    participant/es dans la planification du programme ;4.9 Comment renforcer l’environnement d’alphabétisation

    relatif à la lecture et l’écriture.

    Les Unités de travail présentées dans la Cinquième Partieconstituent la plus grande partie de ce Manuel, avec desexemples pratiques illustrant les différentes utilisationspossibles de la méthode R e fle c t. Une série de dix Unités debase (5.2) est d’abord présentée de la manière dont ellepourrait être présentée dans un manuel de facilitateurs/trices.Cela vous donnera une idée de la manière dont vous pouvezorganiser les différentes sections de votre manuel.

    Dans la partie 5.3, de nombreuses Unités de travail sontégalement présentées, organisées par thème (questionséconomiques, socio-politiques ou de santé).

    Dans la Sixième Partie, des idées d’adaptation de laméthode Reflect, selon les différentes communautés danslaquelle elle est utilisée, sont présentées. Il y a ainsi dessuggestions d’unités à utiliser dans le cadre de zonesurbaines, de communautés de pêcheurs/euses, decommunautés pastorales ou de réfugiés. La partie 6.2démontre comment la méthode peut être adaptée à untravail d’alphabétisation avec les enfants. Enfin, la partie 6.3explore les différentes manières d’intégrer d’autresapproches participatives à la méthode Reflect (jeux de rôles,dances, chansons, etc.).

    Introduction : comment utiliser ce manuel ? 7 PREMIERE PARTIE

    auparavant. Au Bangladesh, le projet-pilote a été implantéavec des groupes de femmes organisées autour d’activitésd’épargne et de crédit dans une zone islamiqueconservative ; au Salvador, il a été lancé avec uneorganisation non-gouvernementale de base, “ComunidadesUnidas de Usulutan” (supportée par une ONG nationale aunom de CIAZO), qui est menée par un groupe d’anciensguérillas convertis aux méthodes pacifiques après dix ansde lutte armée.

    Au cours des six premiers mois de 1995, les troisprojets-pilotes ont été évalués (en comparaison avecd’autres programmes d’alphabétisation aussi implantésdans chacun des trois pays et qui utilisaient des méthodesd’apprentissage traditionnelles) et les résultats ont étésignificatifs. Reflect a prouvé être une méthode à la fois plusefficace pour l’enseignement de la lecture et de l’écriture etbeaucoup plus efficace en ce qui concerne l’établissementd’un lien entre l’alphabétisation et le développement au senslarge du terme (voir le rapport de l’ODA de 1996).

    Reflect a maintenant été utilisée dans plus de vingt paysdans le monde, et ce par maintes différentes organisations.La demande pour les cours de formation est considérable.Cette première édition du “Manuel de Conception deReflect” a pour objectif d’être un document de formationfacile à utiliser. Des cours de formation seront égalementorganisés par l’intermédiaire de Centres de FormationRégionaux qui sont dans le processus d’être établis (parexemple, au Bangladesh et en Ouganda).

    La méthode Reflect est toujours dans sa phased’évolution, avec un apport constant d’innovations etd’adaptations. Les résultats sont très prometteurs pour lemoment mais, comme les organisations opérationnellesappliquent la méthode dans le cadre de contextes différentset de manière différente, il y a encore beaucoup àapprendre. Le Réseau International Reflect (voir Annexe 2pour le détail des coordonnées) a été créé pour supporter leprocessus continuel d’apprentissage mutuel entre lesdifférents/es praticiens/es de Reflect, de telle manière que laméthode est constamment renforcée dans ses techniqueset renouvellée dans sa forme.

    1.3 QUI ETES-VOUS ?

    Ce guide manuel a pour objectif de vous permettred’adapter la méthode R e fle c t à votre pro p re situation.Que vous soyez le coordinateur/la coordinatrice oule conseiller/la conseillère en éducation d’uneorganisation de base qui prévoit le lancement d’unprogramme d’alphabétisation, ou bien lereprésentant/la représentante d’une OrganisationNon Gouvernementale ou d’un départementgouvernemental national, régional ou local. Voussongez peut-être à implanter un programmed’alphabétisation sur une petite échelle pour une dizaine ou

    une vingtaine de communautés, ou au contraire unprogramme de grande envergure pour une centaine, unmillier ou même des dizaines de milliers de communautés.Qui que vous soyez, ce manuel est approprié à tous !

    Certains/es d’entre vous ont peut-être déjà l’expérienced’autres programmes d’alphabétisation qui utilisent desméthodes d’enseignement traditionnelles. D’autres n’aurontpeut-être aucune expérience en matière d’alphabétisationpour adultes. Cela ne devrait poser aucun problème. En fait,les difficultés devraient se présenter avec ceux/celles quisont familiers/ères avec les méthodes basées sur l’utilisationd’abécédaires dans le cadre de programmes pour adultes ;vous aurez alors sans doute besoin de “désapprendre”certaines de ces pratiques du passé.

    L’idéal serait que vous ayez entendu parler de la“Méthode Accélérée de Recherche Participative” et ayezquelques expériences d’utilisation des techniques de laMARP. Si ce n’est pas le cas, ce Manuel de Conception deReflect présente une bonne introduction sur la MARP, bienque vous désirez peut-être acquérir davantaged’informations à ce sujet (l’Annexe 3 donne des détails surles cours de formation et les publications sur la MARP).

    1.4 QUEL EST L’OBJECTIF DE CE MANUEL ?

    Le but de ce Manuel de Conception est de vous aiderà concevoir un Manuel de Facilitateur/trice adaptéaux conditions sociales, économiques, politiques etculturelles dans lesquelles vous travaillez.

    Le Manuel Local du Facilitateur/de la Facilitatrice est lematériel de base fondamental de tout programme Reflect. Ilcontient une série “d’Unités” de travail (de 20 à 30 environ).Pour chaque Unité il est expliqué comment les participant/esd’un cercle d’alphabétisation peuvent collectivementproduire un graphique (une carte ou un tableau par exemple)sur lequel ils/elles peuvent réfléchir, discuter et fonder uneanalyse. Le manuel du Facilitateur/de la Facilitatrice contientdes instructions claires sur la manière dont le processus doitêtre coordonné et comment le facilitateur/la facilitatrice peututiliser le produit du travail sur chaque Unité (par exemple,une carte des foyers d’habitation ou un tableau des culturesvivrières) pour faire des exercices de base de lecture,d’écriture et de calcul numérique.

    Dans le cadre des trois projets-pilotes, les manuels desfacilitateurs/trices ont tous été préparés en zone rurale surun ordinateur-portable par un petit groupe-noyau (composéde 4 à 8 personnes) qui a travaillé dessus sur une périodede trois à quatre semaines. La plupart n’avaient jamais prispart à des programmes d’alphabétisation auparavant.

    Les résultats obtenus dans chacun des cas se sontavérés très différents. Le manuel des Facilitateurs/tricesd’Usulutan au Salvador par exemple, contenait des cartes

    PREMIERE PARTIE 6 Introduction : comment utiliser ce manuel ?

  • 2.1 POURQUOI L’ A L P H A B E T I S ATION ?

    On ne peut commencer un programmed’alphabétisation sans avoir clairement répondu àla question essentielle, à savoir : quel est le but del’alphabétisation ?

    Savoir lire et écrire, c’est un moyen de :■ mémoriser des événements ;■ enregistrer des faits ;■ représenter la réalité ;■ communiquer à travers le temps et l’espace.

    Les individus que l’on considère de manière conventionnelle“analphabètes” disposent déjà de nombreux moyens pourachever ces fonctions, que ce soit à travers la musique, lethéâtre, les chansons, en jouant du tambour, en créant desmotifs sur tissus, en racontant des histoires oralement, etc.Toutes ces activités sont basées sur des schémasstructurés qui aident les individus à mémoriser et/ou àcommuniquer. Les analphabètes ne sont pas despersonnes dénuées de savoir. Elles ont au contraired’innombrables compétences et un savoir étendu : parexemple, en zone rurale, elles ont une large connaissancedes techniques de plantation, de soin et de récolte d’ungrand nombre de cultures, elles savent comment éleverdifférentes sortes d’animaux, construire des maisons etconnaissent différentes techniques d’artisanat. Elles ont lesavoir nécessaire pour survivre dans des conditions de viesouvent très dures. Sous bien des aspects, ce sont parfoisles gens alphabétisés qui sont ignorants (même “illettrés” ausens large du terme) – particulièrement en ce qui concernela vie rurale.

    Savoir lire et écrire au sens formel n’est pasnécessairement quelque chose de bien ou de pratique pourles gens qui vivent en milieu rural. De nombreusespersonnes ont survécu assez aisément sans savoir lire niécrire et ont élaboré des stratégies efficaces pour surmonterle problème de la lecture et l’écriture (“événements” liés àl’alphabétisation) lorsqu’ils n’ont pas le choix (par exemple,en demandant à des amis ou des membres de la familled’écrire des lettres, ou en utilisant les services d’un scripte).Dans un tel contexte, vaut-il la peine d’apprendre à lire et àécrire ?

    Si la vie continuait son cours telle quelle et s’il n’y avaitpas de signes de changement, il y aurait alors sans doutepeu d’utilité à enseigner la lecture et l’écriture. Cependant, la plupart des communautés ont évolué et continuent

    d’évoluer et il existe maintenant peu d’endroits dans le monde où l’alphabétisation ne s’est pas imposée comme unfacteur faisant partie de ce processus de changement. Lebesoin de savoir lire et écrire se fait de plus en plus pressantavec le temps et constitue une nécessité croissante ressentiepar ceux/celles qui sont illettré/es. Cependant, là où il n’existepas de demande en matière d’alphabétisation, il serait erronéde l’imposer. Ce n’est pas à nous de juger si cela est bien oumauvais pour d’autres – et vraiment si les individus ne sontpas intéressés, c’est que ce n’est sans aucun doute pas bonpour eux ! Toutefois, et de plus en plus, il existe une demande.Quelques unes des raisons pour lesquelles les adultes désirentapprendre à lire et à écrire comprennent le désir de/d’ :■ acquérir un statut/être respecté/e par les autres ;■ acquérir de nouvelles compétences ;■ prendre des positions de responsabilités au sein de

    différentes organisations ;■ savoir tenir de simples comptes ;■ monter un petit commerce ;■ lire et écrire des lettres personnelles ou officielles ;■ aider les enfants à faire leurs devoirs d’école ;■ lire les instructions sur les boîtes de médicament/ou

    ordonnances médicales ;■ lire les signes de direction, les panneaux d’indication et

    les affiches murales ;■ comprendre les étiquettes des paquets d’engrais ou de

    pesticides ;■ prendre des notes par exemple sur les vaccinations des

    enfants ;■ éviter de se faire avoir ;■ lire les journaux ;■ trouver un autre emploi ;■ lire des textes religieux ;■ lire pour le plaisir/divertissement.

    Il est évidemment impossible de donner une liste complètedes raisons qui poussent les adultes à vouloir apprendre àlire, écrire et compter. En fait, il est possible que le facteur leplus important, en termes de motivation, demeure inconnudes planificateurs/trices de programmes d’alphabétisation.Chaque groupe culturel ou communautaire particulier aurases propres usages en matière d’alphabétisation (en plus decertains usages évidents) et nous ne pouvons pas (et nedevons pas essayer d’) anticiper complètement la nature deces usages ou même essayer de les contrôler.

    Décider de joindre un cours d’alphabétisation est unmoment de décision important dans la vie d’un/e adulte.C’est une décision qui demande de s’investir en temps

    Origines et philosophie 9 DEUXIEME PARTIE

    méthode Reflect exige un engagement à céder auxcommunautés locales elles-mêmes le contrôle de leurpropre développement. Le point de départ absolu est lerespect des connaissances et des compétences desadultes. Le procédé utilisé par Reflect est centré sur lapromotion d’un échange d’expériences et de l’acquisitionde nouvelles connaissances en groupe. L’utilisation des“abécédaires” traditionnels a été rejetée dans cette méthodecar ils empêchent un tel procédé de prendre place puisqu’ilsse présentent aux apprenti/es comme un produit pré-conçu. Tout en étant fortement structuré, le manuel desfacilitateurs/trices a pour but de promouvoir unapprentissage participatif par lequel les participants/espeuvent concevoir leurs propres matériaux didactiques. Lesexercices de lecture, d’écriture et de calcul découlent deces matériaux, plus qu’ils ne constituent un élément à part.En d’autres mots, l’essence de cette méthode c’estl’intégration.

    Nous espérons que vous trouverez ce manuel agréable àutiliser et que vous y trouverez aussi des usages à la foiscréatifs et pratiques. Bonne chance à tous et à toutes !

    PREMIERE PARTIE 8 Introduction : comment utiliser ce manuel ?

    1.6 NOTE FINALE

    Les stratégies présentées dans le Manuel Reflectsont tirées de l’expérience acquise au cours del’implantation des programmes R e fle c t sur le terrain.

    Cependant, Reflect n’est pas une approche pré-fabriquée,et le manuel Reflect n’est pas à utiliser tel quel, loin s’enfaut. Au contraire, il vous faudra prendre du temps pouradapter la méthode utilisée à l’environnement dans lequelelle sera appliquée et aux besoins exprimés par lapopulation locale dans le cadre de cet environnement. Bienqu’il y ait un certain nombre de principes de base énoncésdans la méthode, la manière dont elle est conçue permetd’y apporter des apports et innovations créatives. Cesnouveaux éléments ne pourront que renforcer la méthode etpourront également s’ajouter aux nouvelles publications dece manuel ou d’autres manuels. Jusqu’à ce jour, Reflect n’aété appliquée qu’en zones rurales mais avec le lancementde programmes dans des zones urbaines, on peutdésormais s’attendre à voir l’introduction de nouvelles idéeset à une avancée considérable de cette méthodologie.

    Il faut cependant noter que si Reflect est une méthodequi peut être interprêtée avec beaucoup de flexibilité, sonutilisation peut aussi faire l’objet de distorsions. Utiliser la

    Origines et philosophie

    DEUXIEME PA RT I E

  • simples livres de textes. La majorité d’entre eux contient 20à 30 différentes leçons et chaque leçon débute par laprésentation d’un dessin qui, en théorie, est tiré de la réalitéde la vie locale des apprenti/es – évoquant des questionsd’ordre économique et social. Les apprenti/es sontsupposé/es discuter ces illustrations, puis un mot clé (ouune phrase clé) relatif au dessin leur est donné. Ce mot estensuite souvent découpé en syllabes et les apprentis/ess’exercent à l’écriture de ces syllabes et créent de nouveauxmots. Il existe quelques variations mais c’est en gros lemodèle standard suivi dans tous les programmes.

    La plupart des gens qui conçoivent ces abécédairesprétendent qu’ils utilisent (du moins en partie) la soi-disantméthode “psycho-sociale” de l’éducateur brésilien PauloFreire. Ils nomment leurs dessins “codifications” et les mots-clés “mots générateurs d’idées”. Ils prétendent qu’à partirde ces dessins, un débat ou un dialogue est lancé dansleurs classes et que les apprentis/es vivent un processus de“conscientisation” ou, en d’autres termes, de prise deconscience.

    2.3 INTRODUCTION A LA THEORIE DE FREIRE

    L’éducateur brésilien Paulo Fre i re a radicalisé dans lesannées 60 toute une génération d’éducateur/trices enm a t i è re d’alphabétisation, en établissant un lien entrel’alphabétisation et un changement au niveau social.

    Le travail de Freire a la réputation d’être presque impossible àlire ou à comprendre ! Nous avons essayé de présenter ci-dessous quelques-unes des grandes lignes de sa philosophieaussi clairement que possible mais, inévitablement, celaimplique l’énoncé d’un certain nombre de concepts complexeset d’un certain language difficile à comprendre. Surtout ne vousinquiétez pas si vous n’y comprenez rien car sa théorie estseulement présentée ici pour établir le contexte dans lequella méthode Reflect est née. Et il n’est pas essentiel decomprendre cette théorie pour utiliser la méthode Reflect !

    Freire a critiqué la méthode existante d’enseignement de lalecture et l’écriture qui était basée sur l’utilisation d’unabécédaire : “Il y a un concept implicite énoncé par l’hommedans la méthode et le contenu de l’abécédaire que ce soitreconnu par les auteurs ou non... C’est l’enseignant qui choisitles mots et les propose aux apprentis... les apprentis doivent se“remplir” des mots choisis par les enseignants. C’est le profild’un homme dont la conscience... doit être remplie ounourrie afin d’acquérir un certain savoir”. (Freire 1985).

    Freire a condamné ce concept “bancaire” d e l’éducation :“Comme on peut le comprendre avec ce concept, l’homme estun être passif, l’objet d’un processus d’apprentissage de lalecture et I ‘écriture, et non son sujet”. (Freire 1972).

    Freire a su reconnaître que les personnes qui sontd’habitude objets passifs des cours d’alphabétisation, devaient

    être perçues différemment : “Agronomes, agriculteurs,agents du secteur de la santé publique, administrateurs decoopératives, éducateurs d’alphabétisation – tous nous avonsbeaucoup à apprendre des paysans et si nous refusons dele faire, nous n’avons rien à leur apprendre”. (Freire 1985).

    Cependant, d’après Freire, la plupart des illettrés ne sontpas capables de s’affirmer dans la société à laquelle ilsappartiennent. Parce qu’ils sont opprimés, ils se retrouventnoyés dans une “culture du silence”.

    “Dans la culture du silence, exister c’est simplementvivre. Le corps exécute des ordres donnés d’en-haut.Penser devient difficile. Parler est interdit.” (Freire 1972).

    Dans ce contexte, il n’existe pas d’éducation neutre :“L’illettrisme est une des manifestations concrètes d’une réalitésociale injuste. C’est politique... c’est un procédé de rechercheet de création... [qui doit] développer chez les apprentis uneprise de conscience de leurs droits.” (Freire 1985).

    A travers ce que Freire a dénommé la “pédagogie desopprimés” : les apprentis/es devraient “percevoir la réalitéde l’oppression, non pas comme un monde fermé où iln’existerait pas de sortie, mais comme une situationl’imitatrice qu’ils peuvent transformer”. (Freire 1972).

    Freire a dénommé cela “c o n s c i e n t i s a t i o n” le procédéd’apprentissage des contradictions sociales, politiques etéconomiques et par lequel l’individu apprend à devenir actif ense dressant contre les éléments oppressifs de la réalité sociale.

    Mais comment le travail d’alphabétisation des adultespeut-il être lié à une conscientisation ? Freire s’est renducompte que les apprenti/es avaient besoin de “prendre desdistances par rapporta” leurs vies quotidiennes, afinqu’ils/elles puissent percevoir leur situation sous un angledifférent. Il a utilisé le terme de “codification” pour décrire lemoyen utilisé pour atteindre cet objectif.

    Les “c o d i fic a t i o n s” sont des images ou des photosproduites après une recherche approfondie dans une régionlocale donnée qui, par ce qu’elles représentent, capturentles problèmes ou contradictions essentiels auxquels lesapprenti/es sont confrontés/es dans leurs vies. Lesapprenti/es réfléchissent sur ces images, d’abord en lesdécrivant, puis à travers un processus de “p r o b l é m a t i s a t i o n” ,analysent leur structure en profondeur, jusqu’à ce qu’ils/ellesse retrouvent face à leur propre existence. La codification estdonc un “instrument d’abstraction” – qui permet à l’individu devoir la réalité de son existence avec plus de clarté en prenantses distances par rapport à cette réalité. Ce processusd’analyse de codification est appelé “décodification” parFreire et implique l’existence d’un “dialogue”.

    Pour Freire, le dialogue est un élément fondamental. Ilinterprête le dialogue comme une rencontre entrel’enseignant/e et les apprentis/es : “Nous préconisons lapromotion d’une synthèse entre le savoir des éducateurssystématisé de manière maximale et le savoir minimal desapprentis – une synthèse qui s’achève par le dialogue”.(Freire 1985).

    Le “d i a l o g u e” est parfois mystifié par Freire. Il s’agit en effet

    Origines et philosophie 1 1 DEUXIEME PARTIE

    et en énergie pour tenter de changer quelque chose dans savie. Dans de nombreux cas, il s’agit d’une décision stratégiquepour ces individus, décision qu’ils prennent pour tenter dem o d i fier leur position sociale, leur statut ou renforcer leur abilitéà confronter un environnement en évolution. Les adultes danscette situation ont souvent peu de temps libre, et consacrerune partie de leur temps représente un engagement important.Bien sûr, certains/es sont attirés/es par des fausses promessesou attentes (comme par exemple, celles qui stipulent qu’ils/ellessauront lire et écrire en quelques jours) et ils/elles peuvent doncêtre rapidement démotivés/es. En réalité, dans la plupart descas, le processus d’apprentissage s’avère être plus difficile quece que les adultes escomptent, et maintenir un degré demotivation élevé devient nécessairement un élément essentieldu programme.

    Si l’enseignant/e d’alphabétisation méprise lesparticipant/es, cela ne va certainement pas aider cesparticipant/es en termes de motivation. Dans un nombresurprenant de cours d’alphabétisation, les enseignant/essont très arrogants/es et considèrent l’alphabétisationcomme la solution à tout, considérant que les “illettrés/es”sont “stupides” ou encore “arriérés/es”. Une approched’enseignement basée sur l’utilisation de l’abécédairerenforce souvent cette attitude ; une telle approche peutêtre plus néfaste que bénéfique – elle peut miner lescompétences et le savoir existants des adultes – et de cefait peut ébranler tout processus de développement. Nousdevons respecter les personnes qui ne savent pas lire etécrire comme des personnes ayant un savoir et descompétences, afin que le programme d’alphabétisation soitconçu de telle façon que leur savoir existant soit exploité,plutôt que de chercher à remplacer ce savoir.

    Savoir lire, écrire et compter, c’est tout simplementconnaître d’autres techniques – d’autres formes de“modèles” qui aident les gens à mémoriser, enregistrer etcommuniquer des faits et des événements. Ce n’est pas leseul moyen de le faire, ni toujours le meilleur moyen, maisdans un monde en évolution constante, cela devient de plusen plus un moyen nécessaire à utiliser.

    2.2 LES ECHECS DU PASSE

    Au cours de ces dern i è res années, on a assisté àune désillusion croissante en ce qui concerne letravail d’alphabétisation des adultes. La Confére n c edes Nations Unies intitulée “Education pour tous/tes”qui s’est tenue en 1990 avait pour objectif desoulever la question de l’alphabétisation à un niveaui n t e rnational – mais depuis, dans le monde entier,l’accent a été mis sur l’amélioration des coursd’alphabétisation pour enfants, à l’école primaire.

    Très peu d’efforts ont été réalisés en matièred’alphabétisation pour adultes (avec les exceptions notables

    du Ghana et de l’Inde). Dans de nombreux cas, lesgouvernements et organisations internationales laissentcomplètement de côté toute une génération d’individus etcherchent à éradiquer l’analphabétisme en concentrantleurs efforts sur les enfants. Tragiquement, sans un effortproduit en parallèle avec les adultes, les chances d’accroîtrele taux de scolarisation (et la qualité de l’enseignement) sontminces ! Ce sont les parents qui décident d’envoyer ou nonleurs enfants à l’école et de plus en plus, ce sont les parentsqui doivent payer les frais de scolarité. Un environnementfamilial avec un minimum d’instruction peut s’avérerfondamental pour consolider l’apprentissage des enfants etl’organisation des parents en Associations de Parentsd’Elèves peut s’avérer être un des meilleurs moyensd’améliorer la qualité de l’enseignement à l’école primaire. –Une approche “inter-générationnelle” vis-à-vis del’éducation est donc essentielle.

    Alors pourquoi si peu d’efforts sont-ils investis dans lesprogrammes d’alphabétisation pour adultes ? Un documentde la Banque Mondiale récemment publié en énonceclairement la raison. Helen Abadzi, après avoir fait une étudede programmes d’alphabétisation implantés dans le mondeentier au cours des 30 dernières années, estime le tauxmoyen d’efficacité à moins de 12.5%. Elle aboutit à cechiffre de la manière suivante :■ en moyenne 50% des adultes qui s’inscrivent à un

    programme d’alphabétisation abandonnent les cours aubout de quelques semaines ;

    ■ parmi ceux/celles qui poursuivent, en moyenne 50% neréussissent pas à compléter le programme avec succès ;

    ■ parmi ceux/celles qui réussissent à le compléter, environ50% perdent leurs compétences en l’espace d’uneannée en raison d’un manque de suivi.

    Pourquoi les programmes d’alphabétisation échouent-ils ?S’agit-il à coup sûr d’un échec important des méthodesd’alphabétisation utilisées dans le monde entier ? Bienqu’un certain niveau d’abandon soit prévisible au débutd’un programme d’alphabétisation (après tout, il n’est pasfacile d’apprendre quelque chose de complètementnouveau et de plus, il y a des personnes qui s’inscriventsans engagement réel à toutes sortes d’activités), au-delàde cela, l’échec constaté ne peut être dû qu’au programmed’alphabétisation lui-même.

    Une des caractéristiques universelles des programmesd’alphabétisation dans le monde entier, c’est l’existenced’un “abécédaire” sous une forme ou sous une autre (et laplupart des abécédaires se ressemblent dans la formecomme dans le fond). Même les programmesd’alphabétisation basés sur des méthodes radicaless’appuient souvent sur l’utilisation d’un abécédaire. Si laplupart des programmes d’alphabétisation ont échoué, alorspeut-être qu’éliminer l’abécédaire serait une des clésessentielles du succès.

    Les abécédaires destinés aux adultes sont en fait de

    DEUXIEME PARTIE 1 0 Origines et philosophie

  • cette fois-ci une pratique appliquée en son nom. En pratique,en dépit des déclarations et des rhétoriques formulées par lesp l a n i ficateurs/trices de programmes d’alphabétisation, dans95% des cas il n’existe pas de dialogue dans les coursd’alphabétisation. Encore et toujours, dès qu’on en vient à lasituation en classe, les enseignant/es d’alphabétisationmettent de côté les séances de dialogue (ou toute discussione f ficace) et retombent sur ce qu’ils/elles conçoivent comme la“c h a i r” des cours d’alphabétisation – des exercices simples etmachinaux de lecture, d’écriture et de calcul numérique. Lesseuls cas où cela ne s’avère pas vrai sont les programmesd’alphabétisation hautement politisés, qui ont une tendance àimposer une nouvelle prise de conscience aux apprenti/es,plutôt que de stimuler une prise de conscience réellementcritique. Il y a deux raisons principales à cela :■ Dans les (nouveaux) abécédaires, la “codification” est

    habituellement présentée sous la forme d’une image etle “mot-générateur d’idées” est simplement un mot.Parfois, des pouvoirs presque magiques leur sontattribués mais la magie ne fonctionne que très rarement.

    ■ Dans le monde entier, les enseignants/esd’alphabétisation qui utilisent des abécédaires ne sontpas des “enseignants/es” hautement qualifié/es (ou desmembres de l’intelligentsia illuminée) tel que Freire l’avaitimpliqué, mais ce sont des individus de la base quisouvent n’ont eux-mêmes complété leur éducation quejusqu’au niveau primaire (parfois début du secondaire),qui travaillent en tant que volontaires (ou sont très peupayés) et ne reçoivent une formation ou autres formesde support que de manière très limitée.

    Dans tous les cas, il est toujours difficile d’établir un dialogue.Attendre des enseignants/es, pour la plupart non-formés/es,de le faire, à partir seulement d’une représentation donnée etd’un mot pour structurer le procédé, n’est pas réaliste. Mêmesi les enseignant/es disposent d’une liste de questions dansleur manuel (comme par exemple Que voyez-vous sur cedessin ? Qu’est-ce que cela représente ?), en général lesapprenti/es tournent autour de la question maladroitement,ont l’air embarassé/es, demeurent silencieux/ses, ou donnentdes réponses simples aux questions posées (en essayant desatisfaire l’enseignant/e ou de donner la “bonne” réponse).Même si les codifications ont été conçues avec compétenceau niveau local et même si les questions sont directementliées à la vie des apprentis/es, il n’en demeure pas moinsqu’établir un dialogue reste toujours difficile à faire. Lesabécédaires arrivent dans la classe de l’”extérieur” etsemblent être “extérieurs” à la vie des apprenti/es.

    Le résultat de ce manque de dialogue est que leprocessus d’alphabétisation devient un processus techniqued’enseignement des syllabes et des mécanismes de lecture etd’écriture (souvent en utilisant des méthodes machinales,scandant les mots de mémoire et les recopiant de manièrerépétitive). En raison d’un manque d’alternatives, lesenseignants/es revivent leurs propres expériences d’éducation

    à l’école primaire et traitent les adultes apprentis/es commedes enfants. Aucun lien n’est établi entre le programme et lesquestions ayant attrait à la vie locale, un développement ou unchangement social au niveau local. Les apprentis/es ont honted’eux/elles-mêmes, sont contrariés/es ou tout simplementennuyés/es. Beaucoup abandonnent le programme, alors qued’autres continuent avec difficultés mais ne réussissent pas àassimiler correctement les nouvelles connaissances, car il n’y apas de lien sensé établi entre les exercices de lecture etd’écriture et la réalité de leur existence.

    Il existe des exceptions à ce triste scénario : des exemplesoù les programmes d’alphabétisation sont lancés au bonmoment, au bon endroit et avec les bonnes personnes. Maismême dans ces cas, des problèmes peuvent se présenter.Dans certains endroits, les programmes d’alphabétisation ontengendré un très haut niveau de prise de conscience del’injustice et de l’oppression existantes, mais ils ont échouéà faire en sorte que cette prise de conscience aboutisse àun changement effectif. Les apprenti/es ont fini par être soitdésillusionnés/es (lorsque le gouvernement et le systèmecapitaliste international ne se sont pas écroulés) ouréprimés/es (lorsqu’il/elles se mobilisent mais sans seconcentrer suffisamment sur un changement faisable opéréà partir du bas).

    De nombreux auteurs ont critiqué Freire. Par exemple,Brian Street a mis en doute le fait que l’approche freirienne“prenait vraiment en compte les significations locales avecleurs variations culturelles et ethniques au sein de l’état-nationet comment les enseignants pouvaient et abandonnaienteffectivement leur position pour adopter un rôle de facilitateurà un niveau d’égalité avec les apprentis”. En lisant Freire, onpeut parfois avoir le sentiment que les illettré/es sont despersonnes respectées et perçues comme ayant un savoir,mais à d’autres moments on a le sentiment qu’ils/elles sontreprésentés/es comme des personnes ignorantes et sanspouvoir, submergées par une “culture du silence” et souffrantd ’”une prise de conscience fataliste”. Les féministes ont aussicondamné Freire pour ses références persistantes aux“h o m m e s” lorsqu’il parle des “i n d i v i d u s” ou de \ “h u m a n i t é”(et bien que cela soit davantage une question de conventionslinguistiques plutôt que de sexisme, Freire n’évoquecertainement pas les questions relatives aux rôles et à l’égalitéentre les deux sexes dans ses premiers travaux). En dépit deces imperfections théoriques, la philosophie de Freire abeaucoup à offrir. Le problème le plus important avec Freireest son incapacité à produire une méthodologie efficace enmatière d’alphabétisation.

    2.5 INTRODUCTION A LA METHODEACCELEREE DE RECHERCHEPARTICIPATIVE

    La Méthode Accélérée de Recherche Participative(ou MARP) tire ses origines d’une réaction au

    Origines et philosophie 1 3 DEUXIEME PARTIE

    d’une discussion, mais ce n’est pas seulement une discussion :il s’agit plutôt d’un débat où les gens, dans un environnementde confiance, se retrouvent hors de portée de la vie de tousles jours, s’ouvrent et se retrouvent face à face avec unnouvel entendement et une nouvelle prise de conscience.

    Mais pourquoi établir un lien entre l’alphabétisation et laconscientisation ? Freire était inflexible sur la nécessitéd’apprendre à lire et à écrire le monde en même tempsqu’apprendre à lire et à écrire le mot : “Les apprentisdoivent comprendre le besoin d’écrire la vie de quelqu’un etde lire la réalité de tout un chacun.” (Freire 1985).

    Freire pensait que l’alphabétisation est absolument inutiles’il n’existe pas en même temps un autre processus dechangement qui puisse aider à éliminer la culture du silence.

    Après avoir lancé un dialogue à partir d’une codificationdonnée, l’étape suivante du cours d’alphabétisation estl’introduction d’un mot. Pas n’importe quel mot n’est choisi,mais au contraire un “mot-générateur d’idées”,méticuleusement sélectionné et auquel on a abouti aprèsavoir “fait le tour du vocabulaire” (ou “l’univers delinguistique minimale”) des apprentis/es. Le mot lui-mêmedevient le centre d’attention d’un dialogue plus approfondi.

    Une fois qu’un mot générateur d’idées a été introduit,Freire préconisait le découpage de celui-ci en syllabescomposantes et en familles de syllabes – mais eninterrogeant sans arrêt les apprentis/es, jamais en le faisantlui-même (en “ayant préparé les apprentis de manièrecritique” pour ne pas que “ça leur soit donné comme sur unplateau”). L’éducateur devrait alors poser aux apprenti/esune question de l’ordre : “Pensez-vous qu’on puisse créerquelque chose à partir de ces morceaux ?”. Pour Freire(1985), “il s’agit là du moment décisif dans l’apprentissage”car “les apprentis/es découvrent les mots de leur proprelangue en les rassemblant sous la forme de combinaisonsvariées”. C’est la fin de la mystification de la langue écrite.

    Pour Freire, le processus décrit ci-dessus devraitconduire à la conscientisation, donnant aux apprenti/es lesentiment qu’il existe un objectif à atteindre afin qu’ils/ellespuissent apprendre à “connaître” le monde : “l’acfe deconnaître implique un mouvement dialectal qui va de l’actionà la réflexion et de la réflexion sur une action donnée à laréalisation d’une autre action”. Freire (1972).

    C’était l’expression du combat qui pouvait aboutir à unchangement politique. Le processus est nommé “p r a x i s” et Freireinsistait sur le fait que “l’action des hommes sans objectifs n’estpas de l’ordre de la praxis – c’est une action ignorante de sonpropre procédé et de ses propres objectifs” (Freire 1972).

    En résumé, selon la théorie de Freire : “Si apprendre àlire et à écrire doit constituer un acte de la connaissance, lesapprentis/es doivent assumer dès le début le rôle de sujetscréatifs. Ce n’est pas une question de mémoire et derépétition de syllabes, de mots et de phrases donnés, maisil s’agit plutôt de réfléchir de manière critique au processus-même de lecture et d’écriture et à la significationprofondede la langue.”(Freire 1985).

    2.4 LIMITES ET DISTORSIONS DE LA THEORIE DE FREIRE

    On retrouve maintenant partout des éléments de lathéorie de Freire – même dans les programmesd’alphabétisation qui ne se sont pas engagés àpromouvoir un changement social. Sous bien desaspects, l’approche de Freire est devenueironiquement l’approche traditionnelle utilisée. Et bien qu’il y ait eu de nouvelles idées etméthodologies développées en nombre depuisFreire, il demeure l’auteur le plus cité et sa théorieest de loin celle à laquelle le plus de références sontfaites. Cependant, dans la majorité des cas, il s’agitlà le plus souvent d’un “pseudo-Freireanism”,dénudé de son potentiel radical. Pourquoi cela ?

    Bien que Freire ait critiqué l’utilisation des abécédaires, laplupart des gens qui disent utiliser ses méthodes recourent àl’utilisation d’abécédaires. Jusqu’à un certain point, c’est desa propre faute. Non seulement ses écrits étaient si difficiles àlire au point de décourager la plupart des lecteurs/trices (sipeu de praticien/nes ont lu directement son travail) maisaussi, et après avoir critiqué les abécédaires, il a fini par enréinventer. Les nouveaux abécédaires remplaçaient desphrases simples comme “Marie aiment les animaux” par desphrases comme “Juma est opprimé par le propriétaire”, maisils n’en demeuraient pas moins des abécédaires. Ils n’étaientdésormais plus conçus par des auteurs isolés mais à la placeétaient produits après la réalisation d’une recherche socio-économique et linguistique au niveau local. Néanmoins, lesabécédaires réinventés présentaient toujours un certainnombre de lignes directrices à suivre : “le premier motgénérateur d’idées devrait être composé de trois syllabes...Après avoir choisi dix-sept mots-générateurs d’idées, l’étapesuivante consiste à codifier dix-sept situations existentielles” .(Freire 1985).

    Ceux/celles qui prétendent aujourd’hui utiliser lesméthodes freiriennes ont tout simplement remplacé desmots dénués ou vides de sens par des mots, des phraseset des représentations à plus forte connotation sociale –tout en maintenant la même structure essentielle et le mêmeoutil de travail – l’abécédaire. Bien qu’en théorie basée surune recherche au niveau local, de plus en plus lesplanificateurs/trices de programmes d’alphabétisation ontsoutenu le fait qu’une étude détaillée faite auprès d’unecommunauté rurale locale révèle une réalité typique d’unerégion ou d’un pays donné – et dès lors la conceptiond’abécédaires de manière centralisée et leur productionimprimée à grande échelle sont justifiées. C’est ignorer lefait que, comme Freire l’a lui-même observé dans le cas desmots générateurs d’idées, “il peut y avoir des variations desens y compris au sein d’une même ville”.

    Le résultat c’est la même “pratique mécaniqued’alphabétisation” que Freire lui-même condamnait – mais

    DEUXIEME PARTIE 1 2 Origines et philosophie

  • Pour Chambers “la culture” c’est “une force sociale positive q u imet en exemple des croyances et comportements validesdéjà possédés par la paysannerie mais empêchés par descontrôles politiques externes”. Chambers croit en “la capacitédes sous-classes de lancer des actions sociales valides surla base de leurs croyances et de leur savoir existants”.

    Pour Freire, au contraire, la “culture” est quelque chosede “fondamentalement problématique”. Dans les écrits deFreire il y a des références sous-jacentes à l’existence debarrières cognitives (dans ses descriptions de la prise deconscience naïve ou magique). Bien qu’il attribue cela à desforces d’oppression externes (plutôt que de rejeter laresponsabilité sur les individus eux-mêmes) et fait souventréférence à la notion d’”amour” pour les individus, Freiresemble en fait ne pas avoir confiance en leur savoir et leurscroyances – les percevant comme ayant besoin d’être“transcendés”. De manière implicite, il fait l’éloge du “savoirrationnel” et accorde moins de valeur aux systèmes desavoir local. Ceci (d’après Brown) ne peut que “renforcer lespréjugés idéologiques quels qu’ils soient à la fois au sein del’organisation opérationnelle et la société, isolant touteintervention de toute capacité à rassembler les élémentspositifs dans la soi-disant conscience double de l’opprimé”.

    Dans un article écrit ultérieurement, Brown (1995)conclut que “dans les écrits de Chambers, l’équilibre desénoncés est largement en faveur du populisme (la foi dansl’homme de la rue) avec certains penchants centristes (ladénégation de la foi) ; avec Freire, on peut défendrel’opinion que cet équilibre est inversé” .

    La méthode Reflect tire ses racines de la croyance enl’existence d’un savoir et de croyances populaires. Et celaconstitue son point de départ. L’origine de cette croyancetient tant de la philosophie de Chambers que celle de Freire.Cependant, dans le cas de Freire, “la prise de conscience”réfère à une notion plus étendue que le seul savoir populaire(ce que Brown ne reconnaît pas suffisamment). Freire fournitune analyse sociale, économique et politique des procédésqui ont une influence sur la formation du savoir et descroyances populaires (engendrant chez les gens une “prisede conscience” de leur situation). Pour Freire, aucuneméthode d’éducation ou processus de développement nepeut être neutre. Cela passe au-dessus de la tête deChambers qui a parfois une vision “en rose”, a-politique, desnotions de culture et de développement.

    En conséquence, il existe des divergences entreChambers et Freire, mais la méthode Reflect est tirée desenseignements des deux auteurs.

    2.7 NOUVEAUX CONCEPTS ENMATIERE D’ALPHABETISATION : LA METHODE IDEOLOGIQUE

    Dans l’introduction, nous avons fait référence à

    certains débats actuels au sujet del’alphabétisation. L’alphabétisation n’est plussimplement perçue comme une simple aptitude oucompétence mais comme un procédé en soi. C’estbien plus que la technologie telle que nous laconnaissons à présent (que ce soit celle impliquantl’utilisation d’un stylo, de papier, d’un ord i n a t e u r, etc.).

    Brian Street affirme que c’est un processus social par lequelcertaines techniques sociales élaborées sont utilisées dansle cadre d’institutions diverses afin de remplir des fonctionssociales précises. C’est ce qu’on appelle la “perceptionidéologique” de l’alphabétisation. L’alphabétisation ne peutpas être perçue simplement comme une “force intro duitede l’extérieur en vue d’engendrer un changement”. Aucontraire, l’individu doit être un “acteur actif au cours duprocessus d’alphabétisation et non pas le récipient passifd’une technique conçue et imposée de l’extérieur”. (Rapportde Caxton, 1994).

    Cette approche idéologique a certaines répercussions sur les méthodes utilisées dans les programmesd’alphabétisation. L’abécédaire, tel que texte conçu del’extérieur, limiterait semble-t-il les pratiques d’alphabétisationet serait concordant avec l’approche traditionnelle ouautonome pour laquelle il est nécessaire d’inculquer un savoirfixe aux apprenti/es. Pour être cohérente avec l’approcheidéologique, la méthode utilisée, par exemple :■ mettrait l’accent sur les exercices d’écriture plutôt que

    ceux d’une lecture passive de textes donnés ;■ mettrait l’accent sur une participation active des

    apprenti/es ;■ utiliserait le savoir initial des participant/es, en respectant

    leurs traditions orales et autres “capacités” ;■ se baserait sur l’utilisation de matériaux créés par les

    apprentis/es (et non sur celle de textes préfabriqués) ;■ s’assurerait que le processus engendre une réponse et

    soit approprié dans le contexte de la réalité locale ;■ placerait les “exercices d’alphabétisation” dans un

    contexte social plus large plutôt que de concevoir lescours d’alphabétisation comme une activité de classed’école.

    Reflect a tenté de se baser sur ces éléments pour aboutir àla conception d’une méthodologie qui soit concordanteavec l’approche dite idéologique.

    2.8 ALPHABETISATION VISUELLE

    De nombreux travaux ont été réalisés par AndréasFuglesang (1982), UNICEF Népal et d’autresauteurs (voir Murray Bradley, 1994) – sur le thèmede la capacité des individus à lire et à interprêterdes images.

    Origines et philosophie 1 5 DEUXIEME PARTIE

    modèle occidental ou méthode de “modernisation”de développement. C’est une approche à utilisercontre ceux/celles qui pensent qu’il y a dessolutions technologiques simples ou pré-fabriquéesau problème du développement, qui peuvent êtreimposées de l’extérieur par des professionnel/les.

    Les praticiens/nes de la Méthode Accélérée de RechercheParticipative veulent d’abord commencer par une analyse de lavie des communautés elles-mêmes. Mais quels sont les outilsdisponibles pour définir quelles sont les priorités des pauvres ?Les questionnaires sont souvent formulés maladroitement,structurés de l’extérieur, prennent un temps considérable de lavie des gens avec peu ou pas de résultat évident et recueillentsouvent énormément d’informations hors de propos.L’observation participative de l’école anthropologique prendsouvent trop de temps et tire sur la longueur – et demeure“extractive” – souvent utilisée pour des papiersacadémiques plutôt qu’au service d’un savoir et de l’actionau niveau local.

    Les practiciens/es de la MARP commencent toutd’abord par reconnaître que les communautés pauvres ontune richesse sous la forme d’un savoir technique et sociallocal. Elles ont survécu au travers des siècles dans desenvironnements difficiles avec des ressources limitées. Cedont elles ont besoin, ce sont des techniques qui puissentpermettre aux personnes illettrées d’exprimer leur savoir –car commencer à partir de ce savoir et à partir de la réalitéde la vie des pauvres constitue le point de départ de toutprogramme effectif de développement.

    Les practiciens/nes de la MARP ont développé un grandnombre de techniques basées sur l’idée que les procédésde visualisation peuvent aider à stimuler la participation desindividus. De ce fait, le point de départ est la création sur lesol, et de manière collective, de cartes, tableaux, calendrierset diagrammes, ceci en utilisant n’importe quel matérieldisponible localement.

    Cependant, la MARP n’est pas seulement constituéed’une série de techniques. Il s’agit d’une approche en soi. Siles personnes qui mettent en pratique ces techniques n’ontpas de respect réel, ni d’engagement réel, vis-à-vis despriorités des pauvres, alors il s’agit encore une fois d’uneapproche “extractive”. Certains facilitateurs/trices de laMARP font des copies des fiches visuelles dessinées par lacommunauté et les utilisent seulement pour leurs propresfins en matière de planification. Dans de tellescirconstances, il existe souvent un grand écart entre ce queles communautés ont voulu exprimer et le programme finalconçu par l’agence extérieure. Certaines agences utilisentlittéralement ces méthodes pour pouvoir dire qu’elles ontconsulté les communautés (afin d’impressioner les bailleursde fonds) – mais font ensuite passer au premier plan leurspropres priorités. De plus, la MARP est souvent, et mêmehabituellement, entreprise sur une courte période, parexemple sur deux ou trois semaines – et souvent seulement

    sur des communautés sélectionnées au préalable.Les techniques et l’approche de la MARP ont été mises

    en pratique pour la réalisation d’un grand nombred’évaluations, ou de recensements de besoins en matièrede santé et d’agriculture locale, mais jusqu’à maintenant,elles n’ont pas été utilisées dans le cadre de programmesd’alphabétisation. Les trois projets-pilotes présentés dansce document constituent les premières tentatives d’utiliserles techniques de la MARP de manière systématique pour laconception de programmes d’alphabétisation pour adultes.

    Cela peut sembler surprenant puisqu’au premier abordle lien entre la MARP et l’éducation semble étroit. CommeDavid Barton (1994) l’a énoncé, “Apprendre c’est construireactivement un savoir”. La MARP a développé une gammede techniques qui facilitent l’élaboration de cetteconstruction. Pourquoi ne pas utiliser ces techniques pourun procédé d’apprentissage élargi ? Peut-être en fait queles liens n’ont pas été établis parce qu’on en est arrivé àpercevoir l’éducation comme quelque chose de différent.Barton (1994) souligne le fait qu’avec l’arrivée del’imprimerie : “La poursuite de la vérité s’est transformée enla découverte d’un nouveau savoir plutôt qu’un effortconstant de redécouvrir et préserver le savoir traditionnel”.

    Si l’éducation comprend l’apprentissage à la fois denouvelles connaissances et de connaissances traditionnelles,la MARP peut alors jouer un rôle crucial. Andréas Fuglesang(1982) nous éclaire sur ce point : “Les éducateurs o c c i d e n t a u xont fermé les yeux sur la plus ancienne et la plus vraie desrègles de la pédagogie, à savoir : commencez par ce queles apprentis/es savent et non par ce que vous connaissez”.

    2.6 DIVERGENCES ENTRE LAPHILOSOPHIE DE FREIRE ET CELLE DE CHAMBERS

    Robert Chambers (1983 ; 1993) est la figure cléderrière le concept de la MARP, ayant écritabondamment sur la philosophie de la MARP etayant mis en pratique ses méthodes au cours denombreuses occasions. Il a souvent parlé desorigines de la MARP et se réfère au travail de PaoloFreire sur le dialogue et la conscientisation commel’une des influences essentielles en la matière :“La Méthode Accélérée de Recherche Participativeappartient à, est tiré de et recoupe d’autres genresd’approches qui ont été ou qui sont participativessous différentes formes. Ceci inclut ledéveloppement communautaires des années 50 et60, l’approche de Paulo Freire basée sur ledialogue et la conscientisation, la recherche activeparticipative, et le travail d’ONGs activistes.”(Chambers 1991).

    David Brown (1994) démontre cependant qu’ilexiste des contradictions importantes entre le travailde Chambers et celui de Freire.

    DEUXIEME PARTIE 1 4 Origines et philosophie

  • grands nombres. Il est donc impératif que dès le début duprogramme, il y ait des exercices pratiques de calculnumérique qui comportent l’apprentissage de tellescompétences. Il est aussi impératif qu’il y ait des exercicesnumériques écrits relatifs aux problèmes quotidiens desgens, exercices qui peuvent les aider à apprendre àmaintenir différentes sortes de registres de comptes pourdes questions pratiques (comme par exemple, les comptesdu foyer, les comptes pour des commerces de petite taille,des projections financières, etc.).

    Le point de départ de tout bon programme pour lesadultes qui veulent apprendre à compter devrait prendre encompte des exemples tirés de leur propres existences (lessituations réelles de la vie quotidienne ou les genres decalculation qu’ils/elles peuvent être amenés/es à faire). Pourcela, il faut procéder à une enquête socio-mathématiqueavant le lancement même du programme - ce qui estcependant rarement fait. Des efforts devraient être faits pourrenforcer (plutôt que miner ou remplacer) les compétencesnumériques mentales existantes des adultes, de telle sortequils/elles puissent améliorer ces compétences dans toutesles instances de leur vie quotidienne où ils/elles en ontbesoin. Un programme d’enseignement du calcul bien ciblé,qui est tiré de telles méthodes, peut permettre tout autantun renforcement des capacités et pouvoirs des individusqu’un programme d’alphabétisation, sinon plus – car il peutapporter aux adultes des compétences pratiquesimmédiates pour la résolution des probèmes de leur vie detous les jours. La méthode Reflect cherche à incorporer tousces éléments, à savoir traiter les adultes en tant qu’adultes,et se concentrer sur l’enseignement de compétencesnumériques à exercer dans des situations pratiques.

    2.10 LA QUESTION DES ROLES ET DE L’EGALITE ENTRE LES DESDEUX SEXES

    Ce n’est que récemment que la conception deprogrammes d’alphabétisation spécifiquementconçus pour les femmes a constitué une priorité en soi, et ce en dépit du fait que sur les un milliardde personnes analphabètes dans le monde, les deux-tiers soient des femmes. Désormais, lesdécideurs/euses et responsables de la conceptionde tels programmes sont davantage enclins àécouter les arguments pratiques en faveur del’alphabétisation des femmes, arguments selonlesquels il s’agit en fait d’un élément crucial danstout processus de développement.

    L’accroissement des taux d’alphabétisation des femmes estliée à une réduction du taux de mortalité infantile et leursenfants sont en général en meilleure santé ; il est aussi lié à untaux de scolarisation plus élevé ; à une meilleure productivité

    agricole ; à des taux d’épargne plus élevés ainsi qu’à unaccroissement d’activités lancées grâce à l’obtention d’uncrédit, et enfin à une réduction du taux de croissancedémographique. Ce dernier lien a été internationalementreconnu, tant et si bien qu’au cours de la Conférence Mondialedes Nations Unies sur la Population, il a été déclaré que lestaux d’alphabétisation élevés constituaient un des moyens lesplus efficaces pour réduire la croissance démographique.

    De nombreuses corrélations n’ont cependant pasencore été prouvées et le fait de savoir si être alphabétiséeest la raison qui pousse une mère à inscrire son enfant àl’école demeure encore incertain ; de même que demeureincertain le fait de savoir si c’est une situation socio-économique familiale plus favorisée qui a permis à un enfantd’aller à l’école (et qui la pousse donc à y inscrire plus tardses propres enfants) ; ou celui de savoir s’il s’agit d’unchangement d’attitude engendré par un processusdynamique d’alphabétisation des adultes.

    Ce qui est certain, c’est qu’il y a une demandecroissante de cours d’alphabétisation de la part des femmes(en particulier dans un contexte économique où le fardeaudu travail des femmes est de plus en plus lourd), et denombreuses femmes considèrent cet outil comme unmoyen potentiel de renforcement de leurs compétences etde leurs pouvoirs. L’analphabétisme est un des facteurs quicontribuent à la marginalisation des femmes et rendent leuraccès aux droits fondamentaux des hommes et desfemmes difficile. En Asie comme en Afrique (ainsi que,depuis les cinq dernières années, en Amérique Latine), lesfemmes constituent la majorité des personnes qui désirentsuivre des cours d’alphabétisation. Et ceci est le cas dansdes régions du monde où un nombre significatif d’hommessont aussi analphabètes.

    Les évaluations récentes, menées en Namibie et enOuganda (voir Annexe 4), ont révélé que le refus deshommes de suivre des cours d’alphabétisation a pour effectdirect de les empêcher de bénéficier d’une améliorationpratique de leurs compétences et d’un renforcementstratégique de leurs capacités et pouvoirs. Ce refus rendégalement l’établissement d’un dialogue positif, entre lesfemmes qui participent aux cours d’alphabétisation et lesmembres masculins de la communauté, très difficle àétablir. Ces deux évaluations révèlent que les hommesrefusent de participer aux cours de peur de devenir l’objetde moqueries des autres hommes de la communauté àlaquelle ils appartiennent ; qu’ils auraient un coût élevé àpayer en matière de statut social s’ils admettaient ne passavoir lire, écrire et compter ; et qu’ils pourraient, en plus decela, être exclus des discussions en groupe avec lesmembres de sexe féminin de la communauté, et ceci dès leplus jeune âge. Dans biens des cas, seul un nombre réduitd’hommes d’un certain âge (ceux pour qui ces critères nes’appliquent pas) participent aux cours.

    En fait, dans la situation présente, de nombreux cours

    Origines et philosophie 1 7 DEUXIEME PARTIE

    Dans le cadre du travail de développement, nous assumonsbeaucoup de choses. Nous assumons par exemple que lesgens peuvent comprendre les affiches et les prospectus quenous produisons quand nous utilisons beaucoup d’images àla place des mots. Le sens des images que nous utilisonsnous semblent évident. Cependant, ce n’est pas le cas pourdes individus qui ont peu d’expérience de visualisationd’images à deux dimensions par exemple, et qui n’ont pasconnaissance de leurs usages. Les photos sont représententsouvent des scènes désordonnées. Les dessins au trait etles bandes dessinées sont remplis d’usages conventionnels,que ce soit les bulles, les flèches ou d’autres symboles.

    La révélation de ces analyses a entraîné la réalisationd’un certain nombre de travaux sur l’utilisation plus efficacedes moyens de communication dans le cadre desprogrammes de développement – et sur la manière derendre les images utilisées facilement “reconnaissables” ou“faciles à lire” par des individus qui ont peu d’expérience devisualisation d’images à deux dimensions. Cependant, il n’ya eu aucune tentative concertée pour concevoir unprogramme qui, par le procédé utilisé, permettrait auxindividus d’apprendre à lire visuellement les images.

    Le lien établi entre une alphabétisation basée surl’utilisation d’images et une alphabétisation basée surl’utilisation d’un alphabet a été davantage discuté parFuglesang (1982), en particulier dans les extraits suivants :“A la base de toute forme d’écriture, il y a des images.”

    “Quel moyen peut-il permettre à la communauté de fairel’analyse de sa propre réalité de telle manière que celaengendre de nouveaux jugements et de nouvellesformulations à propos de cette réalité ? Quel moyen decommunication va t-il provoquer le lancement d’un dialogueau sein de la communauté au sujet des réalités quil’entourent, dialogue qui pourrait aboutir à des prises dedécisions et des actions qui changeraient cette réalité ? A map r o p r e connaissance, les questions liées à l’alphabétisation età un changement social doivent commencer par l’utilisationdes images – à savoir, la reproduction imitatlve de la réalité.”

    “[L’image], c’est le lien entre les modes de vie basés surla tradition orale et la tradition écrite et le premier pas versl’abstraction écrite. L’image constitue un pont entre unmode de communication imitatif et basique et un mode decommunication digital”... “Quand vous vivez la réalité,parfois vous ne voyez pas la réalité. Les images tirent l’esprithors de la réalité. L’image transforme l’événement en unobjet. L’étape suivante est d’établir un lien entre le premierconcept de l’écriture, à savoir le mot, et l’image. L’imageconstitue l’environnement visuel du mot.”

    “Les gens apprennent à lire les images comme ilsapprennent à lire les pages d’un livre. Ce n’est pas reconnuofficiellement parce que l’apprentissage de la lectured’images est un processus informel. Il se faitinconsciemment dans les sociétés où un grand nombred’images est présenté tous les jours à travers de nombreuxsupports médiatiques. Dans les sociétés où il n’existe pas

    ou peu de tradition pittoresque au sens propre du terme –comme c’est le cas en Afrique dans certainescommunautés villageoises isolées – il n’y a tout simplementpas de processus informel d’apprentissage de la lecture desimages. Il est important de savoir que le dessin enperspective est un usage pittoresque ou artistique qui n’estapparu en peinture en Europe qu’à l’époque de laRenaissance.”

    La production de manuels Reflect n’a été réalisée que dansle but de concevoir une méthode qui se base dans lapratique sur les idées énoncées ci-dessus, en comblantl’écart qui s’est creusé entre l’alphabétisation basée surl’utilisation d’un alphabet et l’apprentissage de la lecture desupports visuels.

    2.9 LE CALCUL NUMERIQUE

    La plupart des programmes d’alphabétisation neprennent pas en compte l’apprentissage du calculnumérique ou considère cet apprentissage commesecondaire par rapport à celui de la lecture et derécriture. Même les programmes d’alphabétisationplus radicaux ou progressifs dans leur méthode,contiennent rarement des méthodesd’enseignement du calcul adaptées aux besoinsdes adultes et la grande majorité se tournent versles méthodes traditionnelles destinées aux enfants.

    C’est un problème de première importance car en fait laplupart des adultes ont d’ores et déjà d’innombrablescompétences en matière de calcul. Les apprentis/es adultessavent souvent compter oralement, ils/elles ont uneconnaissance de certaines structures mathématiques, etmaîtrisent le calcul arithmétique mental de manière plus oumoins appropriée par rapport aux besoins de leur viequotidienne. Souvent les analphabètes (en particulierceux/celles qui font du commerce) sont bien meilleur/es encalcul mental que les gens “éduqués” qui sont habitués àécrire leurs sommes sur du papier ou à utiliser la calculatrice.

    Il n’est pas besoin d’apprendre aux gens à parler avantde leur apprendre à lire et à écrire. De même, il n’est pasbesoin de leur apprendre à compter ou à faire des additionsavant de les initier au calcul écrit.

    Dans ce cas, quel est l’intérêt d’apprendre le calcul écrit? C’est en fait nécessaire, tout d’abord parce que lesindividus prennent rapidement conscience des limites demémorisation des nombres et des limites de mémorisationquotidienne d’événements impliquant des nombres. Dèsqu’il s’agit de procéder à des calculs compliqués, les gensperdent le fil du calcul des sous-totaux dans leurs têtes. Etdonc pouvoir écrire les chiffres constitue un avantageconsidérable – mais ce n’est pas tant la question de savoircomment écrire 1, 6 ou 10 que celle de pouvoir écrire des

    DEUXIEME PARTIE 1 6 Origines et philosophie

  • Origines et philosophie 1 9 DEUXIEME PARTIEDEUXIEME PARTIE 18 Origines et philosophie

    d’alphabétisation sont suivis par des femmes, et lesmatériaux et approches utilisés sont en conséquencedavantage conçus pour les femmes que pour les hommes.Deux approches principales sont en particulier trèsrépandues : la première est l’