malades de l’alcool · 2012-03-26 · les buveurs excessifs représentent, en france, plus d’un...

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LA REVUE DU PRATICIEN/2006 : 56 1047 10 31 MAI 2006 PRATICIEN LA REVUE DU « ET L’ALCOOL? », LA QUESTION QU’IL FAUT POSER… OUVERTURES 1049 SANTÉ PUBLIQUE Alcoolisme : le médecin généraliste au cœur d’une prévention efficace D. Martin, B. Basset, Y. Coquin, D. Houssin 1051 MISE AU POINT L’hydrocéphalie à pression normale C. Thomas-Antérion, O. Moreaud 1057 REVUE DE PRESSE Sexe et aspirine : une différence mal expliquée. Gammapathies monoclonales : une prévalence plus élevée avec l’âge et chez les hommes P. Cohen © RMN - Daniel Aranudet ÉDITORIAL Un patient sur 5 en médecine générale a un usage nocif ou à risque de l’alcool, mais seulement 1 % consultent pour ce motif. C’est dire l’importance d’un interrogatoire empathique des patients sur leur consommation, avec l’aide éventuelle d’un questionnaire, suivi, lorsqu’un mésusage a été repéré, d’une intervention personnalisée de 5 à 10 minutes, voire d’un simple conseil de moins boire. Repérage précoce et intervention brève (RPIB) permettent de repérer près de 1 malade de l’alcool sur5 et d’obtenir, dans ce groupe, des résultats encourageants, puisque dans une étude publiée dans La Revue du Praticien- Médecine Générale, la moitié de ces patients avaient, avec ou sans conseil, diminué leur consommation à un an. 1 Un second travail, publié récemment dans la même revue, sur l’acceptabilité en médecine générale des différents questionnaires évaluant le risque alcool, montrait deux autres résultats: 2 d’une part, l’intérêt des médecins pour cette démarche qui leur avait permis de découvrir des usages à risque ou nocifs méconnus, d’autre part, l’accueil très favorable des patients dont seule une minorité avait été gênée par le questionnement tandis que 78 à 98 % étaient prêts à s’y soumettre chaque année. La lutte contre l’alcoolisme, maladie quasi orpheline lorsqu’on songe au désintérêt de la recherche fondamentale et thérapeutique qu’elle suscite, doit mobiliser les médecins, ne serait-ce que pour contrer l’intense lobbying, relayé par certains élus de la nation, en faveur d’une prétendue exception française, source d’une véritable catastrophe sanitaire. 1. Huas D, Pessione F, Bouix JC, Demeaux JL, Allemand H, Rueff B. Efficacité à un an d’une intervention brève auprès des consommateurs d’alcool à problèmes. Rev Prat Med Gen 2002;16:1343-8. 2. Dewost V, Dor B, Orban T, Rieder A, Gache P, Michaud P.Choisir un questionnaire pour évaluer le risque alcool de ses patients. Rev Prat Med Gen 2006;20:321-6. 1059 Malades de l’alcool: de la préparation au changement, au maintien de l’abstinence P. Batel 1061 Nosographie, repérage et diagnostic des troubles de l’alcoolisation F. Paille Validité et utilisation des tests biologiques marqueurs de l'alcoolisation H.-J. Aubin 1069 Répertoire 1072 Les buveurs excessifs : repérage et intervention brève P. Michaud 1081 Alcool et comorbidité psychiatrique M. Lejoyeux, M. Marinescu 1088 Comment motiver un patient pour qu’il arrête de boire ? J.-B. Daeppen, D. Berdoz 1093 Modalités du sevrage alcoolique F. Vabret 1100 Maintien de l’abstinence après le sevrage P. Batel, S. Balester-Mouret 1107 Le patient alcoolique : quelle est la responsabilité juridique du médecin ? J. Franck En couverture : Le Buveur. Adrien Van Ostade (1610-1685). Paris, musée du Louvre. Dans la Hollande du siècle d’or, les banquets étaient le prétexte à d’innombrables toasts. La tradition en dictait l’ordre de succession, ainsi que la taille des verres souvent énormes. Au point que le poète français Théophile de Viau (1590-1626), pourtant fort amateur de vin, ne pût s’empêcher de s’exclamer: « Tous ces messieurs les Hollandais ont tant de règles et de cérémonies à s’enivrer que la discipline m’en rebute autant que l’excès ! ». 1 1. Moulin L. « Les liturgies de la table », Paris, Albin Michel, 1989. MONOGRAPHIE Malades de l’alcool Conseiller scientifique : D r P. Batel, Traitement ambulatoire des maladies de l’alcool, hôpital Beaujon, 92110 Clichy. Jean Deleuze

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Page 1: Malades de l’alcool · 2012-03-26 · Les buveurs excessifs représentent, en France, plus d’un patient sur cinq en médecine de ville si on se réfère aux seuils de consommation

L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1047

N° 10 31 MAI 2006PRATICIENLA REVUE DU

« ET L’ALCOOL? », LA QUESTION QU’IL FAUT POSER…

OUVERTURES1049 SANTÉ PUBLIQUE

Alcoolisme: le médecin généraliste au cœurd’une prévention efficaceD. Martin, B. Basset, Y. Coquin, D. Houssin

1051 MISE AU POINT

L’hydrocéphalie à pression normaleC. Thomas-Antérion, O. Moreaud

1057 REVUE DE PRESSESexe et aspirine : une différence mal expliquée. Gammapathies monoclonales : une prévalence plus élevée avec l’âge et chez les hommes

P. Cohen

© R

MN

-Dan

iel A

ran

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et

ÉD

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RIA

L

Un patient sur 5 en médecine générale a un usage nocif ou à risque de l’alcool, mais seulement 1 % consultent pour ce motif.C’est dire l’importance d’un interrogatoire empathique des patients sur leur consommation, avec l’aide éventuelle d’unquestionnaire, suivi, lorsqu’un mésusage a été repéré, d’une intervention personnalisée de 5 à 10 minutes, voire d’un simpleconseil de moins boire. Repérage précoce et intervention brève (RPIB) permettent de repérer près de 1 malade de l’alcoolsur5 et d’obtenir, dans ce groupe, des résultats encourageants, puisque dans une étude publiée dans La Revue du Praticien-Médecine Générale, la moitié de ces patients avaient, avec ou sans conseil, diminué leur consommation à un an.1 Un secondtravail, publié récemment dans la même revue, sur l’acceptabilité en médecine générale des différents questionnaires évaluantle risque alcool, montrait deuxautres résultats:2 d’une part, l’intérêt des médecins pour cette démarche qui leur avait permis de découvrir des usages à risque ou nocifs méconnus, d’autre part, l’accueil très favorable des patients dont seule une minoritéavait été gênée par le questionnement tandis que 78 à 98 % étaient prêts à s’y soumettre chaque année. La lutte contrel’alcoolisme, maladie quasi orpheline lorsqu’on songe au désintérêt de la recherche fondamentale et thérapeutique qu’ellesuscite, doit mobiliser les médecins, ne serait-ce que pour contrer l’intense lobbying, relayé par certains élus de la nation,en faveur d’une prétendue exception française, source d’une véritable catastrophe sanitaire.1. Huas D, Pessione F, Bouix JC, Demeaux JL, Allemand H, Rueff B. Efficacité à un an d’une intervention brève auprès des consommateursd’alcool à problèmes. Rev Prat Med Gen 2002;16:1343-8.2. Dewost V, Dor B, Orban T, Rieder A, Gache P, Michaud P. Choisir un questionnaire pour évaluer le risque alcool de ses patients. Rev Prat MedGen 2006;20:321-6.

1059 Malades de l’alcool : de la préparation au changement, au maintien de l’abstinence

P. Batel1061 Nosographie, repérage et diagnostic

des troubles de l’alcoolisationF. PailleValidité et utilisation des tests biologiquesmarqueurs de l'alcoolisationH.-J. Aubin

1069 Répertoire

1072 Les buveurs excessifs : repérage et intervention brève

P. Michaud

1081 Alcool et comorbidité psychiatriqueM. Lejoyeux, M. Marinescu

1088 Comment motiver un patient pour qu’il arrête de boire?

J.-B. Daeppen, D. Berdoz1093 Modalités du sevrage alcoolique

F. Vabret1 100 Maintien de l’abstinence après le sevrage

P. Batel, S. Balester-Mouret1 107 Le patient alcoolique : quelle est

la responsabilité juridique du médecin?J. Franck

En couverture : Le Buveur. Adrien Van Ostade (1610-1685). Paris, musée du Louvre. Dans la Hollande du siècle d’or, les banquets étaient le prétexte à d’innombrables toasts. La tradition en dictait l’ordre de succession, ainsi que la taille des verres souvent énormes. Au point que le poète français Théophile de Viau (1590-1626), pourtant fort amateur de vin, ne pût s’empêcher de s’exclamer: « Tous ces messieurs les Hollandaisont tant de règles et de cérémonies à s’enivrer que la discipline m’en rebute autant que l’excès ! ». 1

1. Moulin L. « Les liturgies de la table », Paris, Albin Michel, 1989.

MONOGRAPHIE Malades de l’alcoolConseiller scientifique : Dr P. Batel, Traitement ambulatoire des maladies de l’alcool, hôpital Beaujon, 92110 Clichy.

Jean Deleuze

Page 2: Malades de l’alcool · 2012-03-26 · Les buveurs excessifs représentent, en France, plus d’un patient sur cinq en médecine de ville si on se réfère aux seuils de consommation

1048

N° 10 31 MAI 2006

OPENERS1049 PUBLIC HEALTH

Alcoholism: generalpractitioners at the heart of an effective preventionD. MARTIN, B. BASSET, Y. COQUIN, D. HOUSSIN

1051 RESTATEMENT

Idiopathic normal pressurehydrocephalusC. THOMAS-ANTÉRION, O. MOREAUD

1057 PRESS REVIEWP. COHEN

ALCOHOL-DEPENDENT PATIENTS1059 Alcohol-dependent patients.

From readiness to change to continuous abstinenceP. BATEL

1061 Classification, detection and diagnosis of chronicalcohol disordersF. PAILLE

1072 Early detection and briefintervention to reduceexcessive drinkingP. MICHAUD

1081 Alcohol dependence and abuse and psychiatricdisordersM. LEJOYEUX, M. MARINESCU

1088 Motivational interviewing to help patients stop drinkingJ.-B. DAEPPEN, D. BERDOZ

1093 Alcohol withdrawal syndrome:managing and treatmentprotocolF. VABRET

1100 Maintaining abstinence after alcohol detoxificationP. BATEL, S. BALESTER-MOURET

1107 Alcoholic patients: legalresponsibility of physiciansJ. FRANCK

MEDICAL TEACHING1117 From guidelines

to mindlinesJ.-M. CHABOT

1119 Antibiotic prescription and surveillanceM. GRAPPIN, H. PORTIER

1128 National ranking exam. N26. What could fall at the exam?

1129 Superficial adenopathyS. DE GUIBERT, M. BERNARD

1135 ParaphericalpolyneuropathiesL. MAGY, J.-M. VALLAT

1143 SarcoidosisC. PICARD, A. TAZI

MEDICAL RECOLLECTIONS1154 Before Avicenne,

Franco-Muslim hospital in BobignyK. KUKAWKA

CONTE NTSVOLUME 56, NO 10, MAY 31ST 2006

La Revue du Praticien est indexée dans Medline

1 1 15 L’alcool dans MEDLINEP. Eveillard

1 1 16 Fiche patient : Les jeunes et l’alcool

RÉFÉRENCES UNIVERSITAIRES1 1 17 Des guidelines aux mindlines

J.-M. Chabot

1 1 19 Prescription et surveillance des antibiotiquesM. Grappin, H. Portier

1 128 Épreuves classantes nationales. NO 26. Qu’est-ce qui peut tomber à l’examen?

1 129 Adénopathie superficielle. Orientation diagnostiqueS. de Guibert, M. Bernard

1 135 Neuropathie périphériqueL. Magy, J.-M. Vallat

1 143 SarcoïdoseC. Picard, A. Tazi

DE MÉMOIRE DE MÉDECIN1 154 Avant Avicenne, l’hôpital franco-musulman de Bobigny

K. Kukawka

1158 Sommaire du prochain numéro

ABONNEMENTSAbonnement France 1 an : 119 e

CCP Paris 202 A (Éditions J.-B. Baillière)Pour tout renseignement concernant un abonnement en coursou un nouvel abonnement, tél. : 01 49 60 06 61 - fax: 01 49 60 10 55

PRATICIENLA REVUE DU

COPEF : S.A. au capital de 32 163 104 €, 16e annéeDurée 99 ans à compter du 19/12/90ISSN : 0035-2640Numéro de commission paritaire: 0207T81658Dépôt légal à parutionImpression : Dulac (27120 Pacy-sur-Eure)

COPEF

Principal actionnaire: Huveaux PLCExecutive chairman: John van KuffelerGroup chief executive officer: Gerry MurrayGroup finance director: Dan O’Brien

114, avenue Charles-de-Gaulle,92522 Neuilly-sur-Seine CedexTél. : 01 55 62 68 00Télécopie : 01 55 62 68 [email protected]

Directeur général-Directeur des publications :Dr Alain Trébucq (6903)[email protected] administratif et financier :Nicolas BOUVET (6861)[email protected] Directeur du marketing :Alain Provenchère (6905)[email protected]

RÉDACTEUR EN CHEFJean Deleuze

COMITÉ DE RÉDACTION SCIENTIFIQUEJean-Noël Fiessinger, Jean-Michel Chabot,Jean-François Cordier, Claude-François Degos, Jean Deleuze, Olivier Fain, Alexandre Pariente, Alain Tenaillon

SECRÉTAIRES DE RÉDACTIONMarie-Aude Dupuy, Richard Delarue

DÉVELOPPEMENTRédacteur en chef : Marie-Pierre DeleuzeRédacteur en chef adjoint : Perle Bodossian

CONSEIL SCIENTIFIQUEA. Basdevant, J.-P. Boissel, P. Bougnoux, M.L. Bourgeois, M. Brodin, A. Castaigne, I. Cochereau, M. Cucherat, L. Dubertret, J.-F. Duhamel, R. Fourcade, É.N. Garabédian,J.-J. Hauw, D. Malicier, A. Meyrier, L.Monnier, P. Narcy, A.L. Parodi, G.-A. Princ,P. Reinert, J. Sahel, M. Schlumberger,L. Sedel, G. Slama, B. Varet, J.-L. WautierA participé à ce numéro :Philippe Eveillard

COMITÉ D’HONNEURPhilippe Auzépy, Jean-Paul Binet, Charles Fiessinger†, Dominique Laplane

SECRÉTARIAT DE LA RÉDACTIONMartine Chappon, Hélène Lockwood

PUBLICITÉDirecteur commercial groupe : Catherine Le Ménahèze (6915)[email protected]érie Ackaouy (6828)[email protected] Artaud (6992)[email protected] Ginestet (6855)[email protected] Guiard-Schmid (6913)[email protected] Moyroud-Brunissen (6848) [email protected]édérique Ronteix (6945)[email protected] : Agnès Chaminand (6962)[email protected]

CONGRÈSLily-Claude Levasseur (6897)[email protected]

RÉDACTION EN CHEF TECHNIQUEChantal Trévoux (6806)[email protected]

RÉALISATIONSecrétaire général de la rédactionMarc Trenson (6928)[email protected] rédacteur-graphisteSabine [email protected] Rédacteurs-graphistesCristina Campos, Régine Michel, Dominique PasquetRédacteurs-réviseursAnnie Rainelli, Jean-Éric Desalme, Monique Feldstein, Élisabeth Scemama

La revue adhère à la charte de formation médicale continue par l’écritdu Syndicat national de la presse médicale et des professions de santé(SNPM) et en respecte les règles. (Charte disponible sur demande).Reproduction interdite de tous les articles sauf accord avec la direction.

Page 3: Malades de l’alcool · 2012-03-26 · Les buveurs excessifs représentent, en France, plus d’un patient sur cinq en médecine de ville si on se réfère aux seuils de consommation

Les buveurs excessifs représentent, en France, plus d’un patient sur cinq en médecine de ville si on se réfère aux seuils de consommation à risqueretenus par l’Organisation mondiale dela santé (OMS).1,2 Pour l’ensemble de lapopulation française, on dénombre prèsde quatre millions de buveurs à risque.3

Le médecin généraliste reste le premierrelais qui peut repérer ces personnes etintervenir de façon précoce et efficace,avant que leur situation ne s’aggrave.Cependant, encore aujourd’hui, les médecins français se reconnaissentspontanément, en priorité, comme des soignants plutôt que comme acteurs de prévention. L’alcool ne devientgénéralement pour eux une préoccupationqu’à un stade tardif lorsque le mésusagede leur patient a des conséquences sursa santé. Afin d’améliorer le dépistageprécoce de ces buveurs excessifs et deprévenir l’aggravation de leur situation,les médecins peuvent maintenant s’appuyersur des outils d’intervention validés.

Le repérage précoce et l’intervention

brève (RPIB) ont été promus par l’OMS dans

le cadre du programme Less is better, qui

a débuté en 1980.4 En effet, il a été démon-

tré qu’un simple conseil de quelques minu-

tes peut réduire d’un tiers le nombre de

buveurs excessifs 5 et que cette intervention

a le meilleur rapport coût-efficacité 6 en ter-

mes de réduction des dommages.

Sur ces arguments, la Direction générale

de la santé (DGS) a décidé de mettre en

place, dès 2005, un plan national de diffu-

sion du repérage précoce et de l’interven-

tion brève sur 5 ans, objectif déjà inscrit

comme un des axes forts de la Stratégie

d’action Alcool du ministère de la Santé

2002-2004. Son ambition est d’obtenir, à

terme, une mobilisation de l’ensemble des

soignants, et particulièrement des médecins

généralistes, dans l’utilisation en routine

du repérage précoce et de l’intervention

brève auprès de leurs patients.

LES DONNÉES D’OBSERVATION NATIONALES

L’Observatoire français des drogues et des

toxicomanies (OFDT) a réalisé une analyse

des premières expériences régionales

actuellement en cours (Aquitaine, Bourgo-

gne, Bretagne, Champagne-Ardenne et Île-

de-France). Le rapport final, disponible sur

le site de l’OFDT* présente un état des lieux

et une analyse approfondie des stratégies

et des facteurs de réussite d’un tel pro-

gramme, et permet de définir les étapes

de sa mise en œuvre et de décrire l’impact

de la formation sur les pratiques des pro-

fessionnels.

ALCOOL: MOBILISER LES GÉNÉRALISTES

La mobilisation des médecins généralistes

sur le dépistage est souvent considérée

comme le « maillon faible » de la politique

sanitaire sur l’alcool7 et reste encore au stade

expérimental dans la majorité des régions,

sauf en Aquitaine où elle a pris une cer-

taine ampleur.

Bien qu’ils se sentent compétents pour

intervenir dans le domaine de l’alcool, les

médecins généralistes se considèrent néan-

moins comme peu (ou pas) efficaces et non

légitimes pour s’immiscer dans un domaine

considéré comme privé. Ils se disent faible-

ment mobilisés sur le dépistage des buveurs

excessifs, principalement par manque de

temps, de formation et de valorisation des

actes de prévention. Cependant, le dernier

« Baromètre santé médecins pharmaciens

2003 » montre une amélioration, avec un

pourcentage de médecins déclarant être effi-

caces sur l’alcoolisme qui progresse, par rap-

port à 1998, de 30,1 % à 37,5 %. Quant aux

patients, ils accordent généralement une

grande confiance à leur médecin sur ce thème.

LES STRATÉGIES DE DIFFUSION DU RPIBET LEURS RÉSULTATS

La revue des publications et l’étude des expé-

riences régionales montrent que les meilleu-

res stratégies de diffusion du repérage pré-

coce et de l’intervention brève sont le

marketing téléphonique amenant à la for-

1049L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6

S A N T É P U B L I Q U E

ALCOOLISME : LE MÉDECIN GÉNÉRALISTE AU CŒUR D’UNE PRÉVENTION EFFICACE

D. Martin, B. Basset, Y. Coquin, D. Houssin*

D I R E C T I O N G É N É R A L E D E L A SA N T É

* Direction générale de la Santé, 14, avenue Duquesne, 75007 Paris.

* Accessible à l’adresse suivante : http://www.ofdt.fr/ofdtdev/live/ofdt/publi/rapports/rap05/epfxcdk4.html

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mation qui, elle-même, est relayée par l’aide

téléphonique ou les entretiens confrater-

nels. Les résultats varient suivant le niveau

d’avancement des programmes: en général

les praticiens, souvent incrédules au début,

sont très satisfaits des formations, adhèrent

au programme malgré leur manque de

temps, souvent évoqué, les résistances et

des difficultés à effectuer le repérage en rou-

tine de manière systématique, ce qui sup-

pose une modification en profondeur de leur

attitude vis-à-vis de la problématique alcool.

En ce qui concerne les patients, seule la

région Aquitaine a mis en place une éva-

luation donnant des résultats fiables : 22 %

des personnes diagnostiquées « usagers à

risque » et 23 % de celles considérées « à

usage nocif» lors du premier repérage, sont

passées à une consommation « normale »

(usage à moindre risque ou non-usage) après

l’intervention brève. Il est intéressant de

noter que la majorité des patients dia-

gnostiqués et des médecins n’avaient pas,

auparavant, une notion claire de l’existence

d’une situation à risque chez les premiers.

LA SYNERGIE PROFESSIONNELS-INSTITUTIONS:

UN FACTEUR DE RÉUSSITE

L’analyse de l’OFDT sur les cinq régions mon-

tre que ces stratégies ont été souvent impul-

sées par les Drass (directions régionales des

affaires sanitaires et sociales) [parfois dans

le cadre d’un programme régional de santé]

et portées par des partenaires locaux

comme les unions régionales des caisses

d’assurance maladie (Urcam), les réseaux,

les unions régionales des médecins libéraux

(URML), l’Association nationale de préven-

tion en alcoologie et addictologie (Anpaa),

l’Union nationale des associations de

formation médicale continue (Unaformec)

et La formation du médecin généraliste

(MGForm). La réalisation d’une véritable

synergie entre les priorités institutionnelles

et les visées des professionnels porteurs

du projet est un des facteurs de réussite

du programme par la mutualisation des

énergies et des compétences selon les éta-

pes suivantes :

— sur un socle commun de connaissances et

d’outils, les porteurs de projets ont façonné

des stratégies personnalisées en fonction

de leurs opportunités, de leurs contraintes

respectives et des déterminants locaux;

— une fois établi le tissu partenarial local et

la mobilisation (recrutement) des médecins,

les programmes de formation se sont en

général déroulés en deux phases avec,

d’abord la formation des formateurs, puis

l’extension progressive aux praticiens (dans

le cadre ou non de la formation médicale

continue [FMC]) ;

— les budgets alloués dans le cadre des pro-

grammes régionaux de santé (PRS) et par

l’Urcam (dans le cadre du Fonds d’aide à

la qualité des soins de ville [FAQSV]) ont été

les plus utilisés. Certains programmes sont

déjà repris dans le Programme régional

de santé publique (PRSP) en cours d’éla-

boration ;

— le maintien de la mobilisation des méde-

cins passe souvent par une rémunération

(multiplication par 5 de la pratique de repé-

rage), par le renouvellement des échanges

entre médecins formés, les relances écri-

tes et téléphoniques et la mise en place d’an-

nuaires des structures et services disponi-

bles et/ou un site Internet.

Il ressort de ces expériences que la for-

mation seule ne suffit pas à l’adoption du

repérage précoce et de l’intervention brève,

d’autant plus que l’alcool est un thème glo-

balement peu mobilisateur pour les méde-

cins qui ne reçoivent pas de formation initiale

approfondie en alcoologie ni celle des tech-

niques d’entretien. Le choix d’un question-

naire de dépistage adapté à la pratique médi-

cale française (FACE) rend cette adoption

plus facile. Mais au-delà de la décision poli-

tique de diffusion du repérage précoce et

l’intervention brève, une médiatisation de

cette stratégie auprès du grand public est

incontournable pour légitimer l’action des

praticiens et les accompagner dans leur

démarche.

INTÉGRER LE REPÉRAGE PRÉCOCE DANS LA FORMATION DES MÉDECINS

Ainsi, il existe à ce jour des bases solides

sur la pertinence d’une stratégie d’accom-

pagnement et de promotion du RPIB:

— une reconnaissance de l’importance de

la démarche sur le plan international ;

— la mise en évidence des résultats sur le

plan national avec, déjà, la mobilisation d’un

grand nombre de partenaires (la Mission

interministérielle de lutte contre la drogue

et la toxicomanie [MILDT], l’Institut national

de prévention et d’éducation pour la santé

[Inpes], Anpaa, Urcam, URML, services

déconcentrés, FMC…). Ces premiers résul-

tats montrent que plus de 20% des patients

à risque modifient leurs habitudes de

consommation. C’est pourquoi l’initiation au

repérage précoce et à l’intervention brève

et aux approches motivationnelles et com-

portementales, dans la formation initiale des

médecins généralistes, doit être sérieuse-

ment envisagée. B

1. Les risques d’alcoolisation excessive chez lespatients ayant recours aux soins un jour donné –DREES Études et résultats 2002;192.

2. Le risque d’alcoolisation excessive : les écartsentre les déclarations des patients et l’avis desmédecins. DREES Études et résultats 2005;405.

3. Drogues et dépendances, données essentielles.OFDT. Paris : La Découverte, 2005.

4. Alcohol – less is better. WHO RegionalPublications, European Series 1996;70.

5. Babor TF, Higgins-Biddle JC, Saunders JB,Monteiro MG AUDIT. The alcohol use disordersidentification test: guidelines for use in primarycare. Second edition. Genève: WHO, 2001.

6. Babor TF, Caetano R, Casswell S, et al. Alcohol:no ordinary commodity. Research and publicpolicy. Oxford-Londres: Oxford and LondonUniversity Press, 2003.

7. Cour des Comptes. Le rapport public 2003.Observations des juridictions financières. Paris :Éditions des JO, 2004.

1050 L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6

S A N T É P U B L I Q U E

Alcoolisme : le médecin généraliste au cœur d’une prévention efficace

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D’ordinaire en médecine, et plus encore en santépublique, il s’établit naturellement, et dans un délaiplus ou moins court, une corrélation étroite entre la

gravité d’un problème sanitaire posé à une population etl’intérêt des chercheurs comme celui des soignants pouréclaircir son origine, enrayer son développement et gué-rir les sujets qui en sont atteints. Lorsque le phénomèneest repéré par des indicateurs soli-des, stables et invariablementinquiétants (morbidité, mortalité,contagiosité, coût majeur pour lanation, répercussions socialesconsidérables), les décideurs et lespolitiques s’en emparent ou y sontcontraints par la pression sociétaleet l’infamie d’irresponsabilité quedénoncerait leur inaction. Alors, leproblème sanitaire peut acquérirle statut de « cause ». Grande sou-vent, nationale parfois, mondialeplus rarement, la cause est érigéeau rang de catastrophe et trouveainsi une noblesse d’attention, uneuniversalité de précaution et de nombreux supports dansune opinion sensibilisée et relayée par des groupes depression de malades, de familles et des solidarités de tou-tes sortes. Le sida, le cancer, la maladie de Parkinson, lesmyopathies, l’encéphalopathie spongiforme bovine ont,chacune et à des degrés divers, « bénéficié » de cette visi-bilité nationale pour sensibiliser les soignants à leur prise

en charge, normaliser l’image des malades, soulager leursproches et faire considérablement progresser lesconnaissances.

Combien de temps les maladies alcooliques doivent-elles encore attendre leur tour gagnant au carrousel descombats de santé publique ? L’usage nocif d’alcool et saforme avancée (l’alcoolo-dépendance) affectent 5 millions

d’individus dans notre pays, tuent45 000 d’entre eux chaque année ;près de la moitié des décès de latranche d’âge 14-30 ans y sontimputables. Il complique considé-rablement la vie de leur famille,celle de leur entourage et de leuremployeur. Il participe largementau remplissage des prisons et coûteannuellement17,6milliards d’eurosà la nation française. Le cortège desouffrances reste difficilement éva-luable, car tant infamant que lesmalades et leur entourage se tapis-sent dans un mutisme étouffé parla honte. Pourtant, la timidité de

l’intérêt des scientifiques pour les troubles de l’alcoolisa-tion reste un mystère, compte tenu des progrès considé-rables accomplis ces dernières années, aussi bien dans lacompréhension des mécanismes de vulnérabilité, en par-ticulier étiologiques de la dépendance et l’efficacité desstratégies pour la traiter. L’investissement discret et tropencore militant des soignants dans leur repérage et leur

L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1059

m o n o g r a p h i e

Malades de l’alcoolDe la préparation au changement, au maintien de l’abstinence

Philippe Batel *

* Traitement ambulatoire des maladies de l’alcool, hôpital Beaujon, 92110 Clichy. Courriel : [email protected]

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prise en charge est un non-sens épidémiologique. Ilcontribue à la pérennisation d’une catastrophe sanitairechronicisée. Les politiques et les décideurs avertis de lon-gue date par les experts sont soumis à une pression lob-byiste majeure des alcooliers qui brandissent tour à tourl’exception culturo-vinicole française, les emplois de lafilière et le commerce extérieur mis à mal par la concur-rence étrangère. Au final et depuis des années, l’ambi-guïté de l’État sur le sujet finit par être criminelle par soninaction.

REPÉRAGE ET INTERVENTION BRÈVE

En attendant de résoudre l’énigme du désintérêt deschercheurs sur l’alcool, cette monographie permettra àchaque praticien de faire le point sur l’essentiel desconnaissances actualisées en alcoologie clinique. Le lec-teur découvrira que la nosographie des troubles de l’al-coolisation ne se résume pas à l’alcoolo-dépendance, maisqu’elle se définit plus largement autour de la notion dedommages, potentiels chez les consommateurs à risques,et patents chez les consommateurs à problèmes.Contrairement à une idée encore trop injustement répan-due, leur repérage systématique est favorisé par une atti-tude médicale non confrontante (c’est-à-dire dégagée deshabituels préjugés sur la sous-déclaration) et des instru-ments (questionnaires) validés évaluant les aspects quali-tatifs et quantitatifs de la consommation d’alcool hebdo-madaire. Le repérage de masse est donc non seulementpossible dans une «patientèle», mais souhaitable, car direc-tement exploitable. Il permet de repérer près de 1 maladesur 5 (1 homme sur 3) chez qui une intervention théra-peutique est utile. Les objectifs et les moyens diffèrentbien évidemment selon que le trouble de l’alcoolisations’accompagne ou non de symptômes de dépendance.

Dans ce dernier cas, l’objectif thérapeutique se «conten-te» de réduire la consommation en deçà des seuils derisque au moyen d’un conseil personnalisé de 10 minutes,décrit sous le terme d’intervention brève, dont les résultatsà 6 mois sont très encourageants : près de 50 % despatients ont modifié favorablement leur consommation.

LA LONGUE MARCHE DES PATIENTSDÉPENDANTS DE L’ALCOOL

Le parcours thérapeutique des patients dépendants del’alcool est plus long et difficile. L’objectif, plus ambi-tieux, s’établit en trois étapes : préparer, réaliser et main-tenir à long terme une abstinence la plus accomplie, soli-de et bénéfique. Dans le traitement de l’alcoolo-dépendance, non seulement la pente est forte et lachaussée glissante, mais le tracé bien souvent sinueuxavec des bas-côtés très abrupts. Ainsi, accompagner unpatient dépendant de l’alcool sur la voie de la rémis-sion peut prendre plusieurs années. À chaque étape, lesentretiens motivationnels aident avant tout le soignantà trouver des stratégies pour faire face à la résistancedes patients à changer, à les aider à s’approprier laconstruction du projet thérapeutique, à s’y investir. Lesevrage, étape ô combien symbolique mais essentielle,est néanmoins la phase qui pose désormais le moins dedifficultés chez un patient bien préparé. En respectantquelques contre-indications bien balisées, il peut s’ef-fectuer en ambulatoire. Certains patients, dont il resteà définir le profil particulièrement répondeur, bénéfi-cient de préférence d’un séjour résidentiel. Le main-tien à long terme et à faible coût psychique (efforts etpénibilité) est favorisé par un accompagnement médi-cal personnalisé au cours duquel on peut associer despsychothérapies utilisant des techniques différentes(soutien, relaxation, inspiration analytique, occupation-nelle, de relaxation, familiale, thérapie cognitivo-com-portementale), des médicaments facilitant le maintiende l’abstinence ou une aide auprès des groupes d’en-traide. Enfin, le comité éditorial de ce numéro ademandé à un juriste de nous rappeler nos responsa-bilités légales face aux malades de l’alcool, dans dessituations courantes de notre exercice médical.

Souhaitons que l’ensemble de ce numéro donne envieà nos confrères d’accomplir un devoir moral à l’aune deson enjeu majeur de santé publique : regarder autre-ment, conseiller avec succès et accompagner efficace-ment les malades de l’alcool. B

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I l est très important d’envisager le répérage précoce desconduites d’alcoolisation, si possible avant ou du moinsdès qu’elles commencent à induire des problèmes, afin

de prévenir l’installation d’une dépendance et/ou la sur-venue de complications somatiques, psychiques ou socia-les. Il faut aussi souligner qu’une prise en charge précoceest plus simple, moins lourde et moins coûteuse qu’auxstades plus avancés et que les méthodes préconisées ontfait la preuve de leur efficacité.

NOSOGRAPHIE DES CONDUITESD’ALCOOLISATION

Les classifications publiées depuis de très nombreusesannées ont l’inconvénient de décrire essentiellement lesdifférentes formes de dépendances, mais aussi celui

d’aborder très peu ou pas du tout les modes de début deces conduites et leurs modalités évolutives précoces avantl’apparition de dommages. Les classifications internatio-nales sont peu utilisables en pratique clinique.1, 2 Pourremédier à cette situation, la Société française d’alcoologiea publié en 2001 des recommandations validées par l’Anaes (actuelle Haute Autorité de santé [HAS]).3 Cesrecommandations s’appuient essentiellement sur unmodèle médical, sans doute réducteur mais pratique.Elles proposent d’organiser la classification des conduitesd’alcoolisation en différentes catégories autour des ter-mes « usage » et « mésusage ».• Non-usage

Le non-usage est défini par toute conduite à l’égarddes boissons alcooliques caractérisée par une absence deconsommation, qu’elle soit momentanée, temporaire,

1061

Nosographie, repérage et diagnostic des troubles de l’alcoolisation

Le repérage précoce des conduites d’alcoolisation a pour but de prévenir l’évolution vers la dépendance ou l’apparition de complications somatiques, psychiques ou sociales. Il repose sur l’évaluation de la consommation déclarée d’alcool au cours d’un entretien confiant, en s’aidant éventuellement de questionnaireset, si besoin, dans un second temps, de la prescription de troismarqueurs biologiques (VGM, gamma-GT et transferrine désialylée).

m o n o g r a p h i e

François Paille *

* Service médical, hôpital Maringer-Fournier-Villemin, centre d’alcoologie, 54000 Nancy. Courriel : [email protected]

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durable, définitive, primaire ou secondaire. Il ne recouvredonc pas la notion d’abstinence qui désigne un non-usagesecondaire à une période de mésusage (de type dépen-dance). Les personnes qui se trouvent dans cette catégo-rie sont des non-consommateurs.• Usage

Le terme «usage» employé seul sans adjectif renvoie àl’usage socialement admis pour lequel le risque, s’il n’estpas nul, est considéré comme acceptable pour l’individu etpour la société. Il s’agit donc de toute conduite d’alcoolisa-tion ne posant pas de problème pour autant que laconsommation reste faible (inférieure ou égale aux seuilsdéfinis par l’Organisation mondiale de la santé [OMS]) etprise en dehors de toute situation à risque et de tout risqueindividuel. L’usage peut être expérimental, occasionnel,intermittent, périodique, régulier… Dans ces limites, l’usage caractérise le comportement du consommateurmodéré. Cette notion a bénéficié de repères de consom-mation définis par l’OMS et reconnus internationalement :– usage ponctuel : pas plus de 4 verres par occasion ; – usage régulier : pas plus de 21 verres par semaine chezl’homme (soit 3 verres par jour en moyenne) ; pas plus de14 verres par semaine chez la femme (soit 2 verres parjour en moyenne).

Ces « seuils » n’ont pas de valeur absolue, car chaquepersonne peut réagir différemment selon son sexe, sa cor-pulence, son état physique et psychologique, le contextede consommation…

Trois catégories de mésusage sont ensuite définies : l’usage à risque ; l’usage nocif ; l’usage avec dépendance.• Usage à risque

Il se définit par toute conduite d’alcoolisation, ponc-tuelle ou régulière, qui associe une consommation supé-rieure aux seuils définis par l’OMS non encore associée àun quelconque dommage médical, psychologique ousocial, et/ou à une dépendance. La personne qui se situedans ce cadre est dénommée consommateur à risque.

L’usage à risque inclut également des consommationségales ou inférieures aux seuils de l’OMS lorsqu’elles sontprises :– dans certaines situations à risque pour lesquelles cetteconsommation est déjà dangereuse, comme la conduitede véhicules, le travail sur machines dangereuses ou à unposte de sécurité…, situations qui requièrent vigilance etattention ;– en cas de risque individuel particulier, par exempleconsommations d’autres produits psychoactifs suscepti-bles de potentialiser les effets de l’alcool, pathologiesorganiques et/ou psychiatriques associées, notammentcelles qui exigent un traitement médicamenteux, modifi-cation de la tolérance du consommateur en raison de sonâge, de son sexe, de son faible poids, de situations psycho-logiques ou physiologiques particulières (état de fatigueet surtout grossesse).• Usage nocif

Toute conduite d’alcoolisation qui induit au moins undommage d’ordre médical, psychologique ou social défi-nit l’usage nocif. Il n’y a pas de dépendance. Cette catégo-rie est donc définie par les dommages provoqués par laconsommation, et non par l’importance ou la fréquencede cette consommation. Les personnes qui se situent danscette catégorie sont dénommées consommateurs à pro-blèmes.• Usage avec dépendance

Il est défini par toute conduite d’alcoolisation caractéri-sée par une perte de la maîtrise de la consommation. Cettecatégorie ne se définit pas non plus par rapport à un seuilou à une fréquence de consommation, ou par l’existencede dommages induits qui sont cependant quasi constants.La définition de la dépendance ne comporte pas de critè-res impliquant que la consommation soit quotidienne ouhabituelle. Les personnes qui se situent dans cette catégo-rie sont appelées consommateurs dépendants ou alcoolo-dépendants.

On distingue schématiquement :– la dépendance physique, définie par la survenue d’un syn-drome de sevrage lors de l’arrêt brutal de la consomma-tion d’alcool. Elle n’est pas constante et se retrouve chezles consommateurs quotidiens ;– la dépendance psychique, qui est la pulsion à consommerdes boissons alcoolisées pour en retrouver les effets.

Le diagnostic de dépendance n’est pas toujours facile àporter. Différents éléments doivent être recherchés :

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L Pendant longtemps, on s’est surtout intéressé aux problèmesliés aux formes d’alcoolisation les plus graves : dépendance,complications organiques…

L Il est impératif de prendre en compte et de dépister lespatients à des stades plus précoces (usage à risque et usagenocif), pour éviter leur évolution vers des formes plus graves.De plus, les stratégies thérapeutiques à ce stade sont moinslourdes, moins onéreuses et plus efficaces.

L Ce dépistage n’est pas du domaine des spécialistes qui,souvent, ne voient pas ces patients. Il concerne tous lesprofessionnels de santé, et au premier plan les médecinsgénéralistes.

L Il repose sur la consommation déclarée d’alcool, maisbeaucoup d’études récentes ont confirmé l’intérêt d’outilsstandardisés comme l’AUDIT.

L Le diagnostic impose une évaluation clinique complètecomprenant, outre les habituelles complications médico-psychosociales, le niveau de motivation du patient, essentielpour adapter la stratégie thérapeutique, la recherche deconsommations de substances psycho-actives associées, trèsfréquentes, la sévérité de la conduite (estimation du craving).

C E Q U I E S T N O U V E A U

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– des signes de dépendance physique (antécédents de cri-ses d’épilepsie, de syndrome de sevrage, existence designes mineurs de sevrage le matin [tremblements, nau-sées, anxiété]) ;– le besoin de boire dès le matin ; comme pour le tabac, laconsommation d’alcool rapidement après le réveil est ungrand signe de dépendance physique ;– une augmentation des doses pour en retrouver les effets(phénomène de tolérance) ;– une difficulté à maîtriser la consommation ; consomma-tion en quantité plus importante ou pendant une périodeplus longue que prévue, désir persistant de consomma-tion, poursuite de la consommation malgré ses consé-quences, y compris des problèmes judiciaires (alcool auvolant, violences…), efforts infructueux pour diminuer laconsommation ;– un retentissement de la consommation sur la vie quoti-dienne ; perte d’activités sociales, professionnelles ou deloisirs.

Si l’on hésite encore entre usage nocif et dépendance,un test d’arrêt de l’alcool peut être proposé sur 8 à 15jours. Cette méthode, bien que non évaluée, permet d’ap-précier par exemple la diminution d’un taux élevé degamma-glutamyltransférase (gamma-GT) et de confirmersa relation avec la consommation d’alcool. Ce test donnel’occasion de revoir le patient et de réaborder le problèmeavec lui. Il permet au médecin de confirmer la dépen-dance lorsque le patient n’a pu arrêter sa consommation.Il permet aussi, dans les cas où celui-ci n’est pas conscientde sa dépendance, de lui faire prendre conscience de sadifficulté à maîtriser sa consommation de boissons alcoo-lisées. Cette prise de conscience personnelle est souventplus efficace que les interventions du médecin ou de l’en-tourage.

Mais dans la grande majorité des cas, le patient dépen-dant de l’alcool sait qu’il consomme trop. S’il est dans ledéni, c’est parce que cette attitude est la seule psychologi-quement admissible pour lui. Se reconnaître «alcoolique»n’est jamais facile. Lever les résistances, l’amener à accep-ter de se faire aider, renforcer sa motivation sont desobjectifs essentiels de l’accompagnement.

Il y a peu de travaux qui se sont intéressés à l’évolutionentre les diverses catégories d’usage. Si l’idée d’un conti-nuum évolutif est admise, le passage vers une catégorieplus sévère n’est pas pour autant inéluctable. Beaucoup depersonnes stabilisent leur conduite dans l’une ou l’autrede ces catégories. Le retour spontané à une catégorie infé-rieure, en tout cas pour les formes sans dépendance, estégalement possible.

Le diagnostic n’est donc jamais figé pour un sujetdonné, car il est susceptible d’évoluer soit spontanément,soit par le fait des interventions réalisées. De plus, commepour toute conduite à risque, une évaluation en alcoologiedoit par principe être périodiquement révisée au fil dutemps, notamment au cours de la prise en charge et de

l’accompagnement médico-psychosocial, et aboutir à despropositions d’accompagnement vers un objectif validéavec le sujet.

Les recommandations pour la pratique clinique de2001 ont proposé un algorithme simple pour établir lediagnostic de catégorie d’usage (fig. 1).

REPÉRAGE DU MÉSUSAGE D’ALCOOL

Le problème du repérage, précoce ou non, se compliquedu fait que les sujets peuvent sous-estimer, voire dissimu-ler, leur consommation. De plus, il est rare que la rencon-

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Y a-t-il consommation d’alcool ?(sans préjuger de la quantité d'alcool consommée) :

Évaluation de la consommation déclarée d’alcool (CDA) : est-elle inférieure ou égale aux seuils de l’OMS ?

Y a-t-il un (des) dommage(s) induit(s) par l’alcool ?(sans tenir compte de la quantité d'alcool consommée)

Y a-t-il perte de maîtrise de la consommation ?(sans tenir compte de la quantité d'alcool consommée)

Niveau 1

Niveau 2

Niveau 3

Niveau 4

√NON = non-usage ➠ RECHERCHER SI :✓ non-usage primaire ➠ STOP✓ non-usage secondaire ➠ STOP

√OUI = usage ou mésusage ? ➠ PASSER AU NIVEAU 2

√OUI+ absence de risque individuel } = usage ➠ STOP+ absence de situation à risque

√OUI+ présence d’au moins un des 2 risques ci-dessus :

= mésusage ➠ PASSER AU NIVEAU 3√Non (supérieur au seuil)

= mésusage ➠ PASSER AU NIVEAU 3

√NON = usage à risque ou dépendance ?√OUI = usage nocif ou dépendance ?

➠ PASSER AU NIVEAU 4

√NON = usage à risque ou usage nocifSelon la réponse au niveau 3

√OUI = usage avec dépendance

➠ STOP

Algorithme de diagnostic de la catégorie d’usageFigure 1

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tre avec un professionnel de santé soit directement motivéepar la consommation d’alcool ou par une demande de soins.

Il concerne l’ensemble des professionnels de santé, lesmédecins généralistes naturellement, mais aussi les méde-cins spécialistes, les médecins du travail, les médecins deprévention. La consultation, les visites annuelles et dereprise, et l’admission dans un établissement de santé cons-tituent pour chacun de ces praticiens autant d’opportunitéspour mettre en œuvre cette démarche qui doit désormaisêtre assurée de manière plus fréquente et plus systématique.

Un mésusage doit par principe être recherché, notam-ment devant une série de difficultés ou de signes médi-caux polymorphes et sans spécificité, mais justement évo-cateurs par leur juxtaposition ou leur répétition.L’appréciation de la consommation d’alcool devrait aussise faire de manière simple et systématique chez tout nou-veau patient, si l’on accepte de la considérer comme unfacteur de risque de mauvaise santé parmi d’autres, etdonc de la faire préciser au même titre que les antécé-dents familiaux et personnels ou d’autres facteurs derisque.

Les éléments du repérage

Consommation déclarée d’alcool

Elle est évaluée en « verre standard » ou « verre decafé », ou unité internationale d’alcool (UIA). Fixée enFrance à 10 g d’alcool pur par verre, elle évalue la quantitéd’alcool ingérée indépendamment du type de boisson, carla taille des verres est inversement proportionnelle à lateneur en alcool de la boisson. L’usage à risque est définipar une consommation de plus de 21 verres par semainechez l’homme, 14 verres par semaine chez la femme, etplus de 4 verres par occasion pour l’usage ponctuel. Desconsommations supérieures doivent donc être prises encompte en rappelant que des valeurs inférieures posentdéjà des problèmes dans certaines situations particulières(grossesse, pathologies associées…). Cependant, audomicile, les doses sont variables : les verres ne sont pasde la même taille et ils peuvent être plus ou moins remplis.Ce point doit donc être précisé lors de l’entretien.3, 4

Ce recueil peut s’appuyer sur une approche standardi-sée appréciant :– le nombre de jours de consommation (par exemple parsemaine ou par mois) ;– le nombre moyen de verres par jour de consommation(en distinguant éventuellement les jours « actifs » et lesjours de repos et le week-end) ;– les écarts par rapport à la consommation habituelle ;– le nombre maximal de verres par occasion de boire ;– le type de boisson consommée ;– le mode de consommation ;– les événements influençant la consommation (événe-ments de vie, anxiété…) ;– le contexte de consommation (seul ou en groupe) ;

– les moments préférés de consommation dans la journée.L’expression de cette consommation ne cause habituel-

lement guère d’ennuis chez les consommateurs à risquelorsqu’elle est recherchée dans un contexte systématique,en dehors de tout aspect inquisitorial ou moralisant.Beaucoup de ces patients n’en ont d’ailleurs pas cons-cience et n’ont, de ce fait, guère de difficultés à l’exprimer.Il peut en aller tout autrement chez un patient dépendantque le déni caractérise volontiers.

La sous-estimation, souvent mise en avant comme unedifficulté, est en fait rarement un vrai problème puisqu’ils’agit ici moins d’évaluer la consommation avec unegrande exactitude, que de l’apprécier par rapport auxseuils d’intervention.

Questionnaires de repérage

Le repérage peut se baser sur des questionnaires, utili-sés par le médecin ou par le patient lui-même (autoques-tionnaires).5-7 Ce sont des outils de repérage, pas de dia-gnostic. Les plus connus et les plus utilisés en France sontl’AUDIT et le DETA.

Le questionnaire AUDIT, 8 riche en informations tout enrestant utilisable en routine, semble le plus pertinent pourassurer le dépistage relativement précoce, puisqu’ilexplore les 12 derniers mois de la vie du patient.9 Selonl’OMS, un score supérieur ou égal à 8 chez les hommes, à7 chez les femmes, est évocateur d’un mésusage d’alcool.Un score supérieur à 12 chez les hommes, à 11 chez lesfemmes, serait en faveur d’une dépendance à l’alcool. Lasensibilité de l’AUDIT pour l’identification des buveurs àrisque et à problèmes varie de 0,51 à 0,97 selon les étudeset sa spécificité de 0,78 à 0,96.10

Le questionnaire DETA a l’avantage d’être simple (qua-tre questions).11 Il explore la vie entière. Sa passation peutse faire de façon informelle et être dispersée au cours del’entretien. Un score égal ou supérieur à 2 est en faveurd’un mésusage (usage nocif ou dépendance), ancien ourécent. La sensibilité du DETA varie en fonction de lapopulation à laquelle on s’adresse. Dans une populationoù la prévalence de la dépendance est élevée, la sensibilitéestimée est de 0,75 à 0,91 et la spécificité de 0,77 à 0,96.Lorsqu’on s’adresse à une population non sélectionnée,les performances sont moindres : 0,64 en médecine géné-rale chez des patients ayant un problème d’alcool connu ;18,1 % et 26,7 % chez des sujets, en population générale,déclarant consommer respectivement entre 40 et 80 g etplus de 80 g d’alcool par jour.

ÉVALUATION CLINIQUE

D’une manière générale, plus le repérage se veut précoce,moins le tableau clinique est significatif, la difficulté pourl’intervenant étant de rapporter les signes à la consomma-tion d’alcool. Il convient donc d’y penser systématique-ment en recherchant des signes le plus souvent non spéci-

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Validité et utilisation des tests biologiques marqueurs de l’alcoolisation

L’exploration d’un trouble lié à l’alcoolpasse évidemment par l’évaluation desmodes de consommation passés et

actuels, notamment en termes de fréquenceet de quantité. Certains tests biologiquespermettent, avec plus ou moins de précision,de sensibilité et de spécificité, de rechercherdes épisodes de consommation excessiverécents, afin de compléter, voire de corriger,les données de l’entretien clinique.1, 2

ÉTHANOL

L’éthanol, le plus souvent dosé dans lesang ou l’air expiré, voit sa concentrationdiminuer rapidement, en raison d’une demi-vie d’élimination brève. Son dosage ne per-met de rechercher que des alcoolisationstrès récentes, ne datant que de quelquesheures, au maximum 24 à 36 heures. Lesvariations interindividuelles du pic deconcentration ne permettent pas d’établiravec fiabilité l’importance de la consomma-tion d’alcool, même dans les suites directesde la consommation.

GAMMA-GLUTAMYLTRANSFÉRASE

Le dosage de la gamma-glutamyl-trans-férase (GGT) est un examen fiable, simple etpeu coûteux. La GGT est fréquemment aug-mentée chez les buveurs excessifs chro-niques. Sa sensibilité est de l’ordre de 75 à80 % chez les alcooliques en traitement(ainsi, au moins 20% des alcooliques actifsont un taux de GGT normal), et s’abaisse à50 % dans la population tout-venant. Lasensibilité est notamment affectée négati-vement par les fortes consommations decafé. Les alcooliques à GGT élevée ont plusfréquemment une élévation concomitantedes transaminases et des signes de stéa-tose hépatique, voire de fibrose ou de cir-rhose. La spécificité de la GGT est de l’ordrede 80%;en dehors de toute consommationexcessive d’alcool, elle est un indicateur pré-coce de souffrance hépatique. On trouveégalement des taux élevés en cas de prisede traitements inducteurs enzymatiques,ainsi que chez les obèses et les diabétiques

de type 2. Une consommation excessive etrégulière d’alcool pendant deux à troissemaines est nécessaire pour augmenter letaux de GGT. Après sevrage, le retour à lanormale survient en deux à quatre semai-nes, parfois plus.

VOLUME GLOBULAIRE MOYEN

Les mécanismes de la macrocytose chezles alcooliques sont mal connus. La sensibi-lité de ce test est moyenne, de l’ordre de50 % chez les alcooliques, et de 20 à 30 %chez les buveurs excessifs. La spécificité,bien que meilleure (de l’ordre de 70 %), estperturbée par les nombreuses autres cau-ses de macrocytose. Il faut environ un àdeux mois de consommation excessive etrégulière d’alcool pour qu’apparaisse uneaugmentation du volume globulaire moyen.Après sevrage, il se normalise dans un délaià peu près équivalent. S’agissant du derniermarqueur à se normaliser après l’arrêt del’alcool, il peut avoir un intérêt pour dépisterune alcoolisation excessive plus ancienne.

TRANSAMINASES

La sensibilité et la spécificité des trans-aminases (alanine aminotransférase [ALT]et aspartate aminotransférase [AST]) sontinférieures à celles de la GGT. L’ALT (essen-tiellement synthétisée dans le foie) est plusspécifique d’une souffrance hépatiqueinduite par l’alcool que l’AST (largement syn-thétisée par d’autres organes également).Cependant, c’est l’AST qui, des deux, a lamoins mauvaise sensibilité (environ 35%).

TRANSFERRINE DÉSIALYLÉE

La carbohydrate-deficient transferrin(CDT) est une variante de la transferrine,dont on a pu observer que la concentrationplasmatique est plus élevée chez lesbuveurs excessifs que chez les non-buveurs.Les premières études de ce marqueur del’alcoolisation excessive avaient montréd’excellentes performances en termes desensibilité et de spécificité, généralementsupérieures à 90%. Ces chiffres ont ensuite

dû être largement revus à la baisse. La fiabi-lité de la mesure semble moins bonne chezles femmes jeunes, qui ont des taux plus éle-vés que les hommes ou les femmes plusâgées, indépendamment de leur consomma-tion d’alcool. La transferrine désialylée sem-ble augmenter plus facilement si la consom-mation d’alcool est associée à une souffrancehépatique. Bien que ce test soit passé dans lapratique courante depuis plusieurs années, ilfait encore l’objet de travaux de recherche. Ilexiste actuellement plusieurs méthodes dedosages ayant des performances différentes.

EN PRATIQUE

Ces marqueurs peuvent être utiles dans ledépistage de conduites d’alcoolisationexcessive. Ils peuvent aussi aider au suivi del’abstinence (ou de la consommation modé-rée). Dans ce cas, c’est surtout la sur-veillance des marqueurs qui étaient élevéslors des épisodes de consommation exces-sive qui a un intérêt. Aucun marqueur nepossède actuellement les qualités idéales entermes de sensibilité et de spécificité. Latransferrine désialylée semble montrer unemeilleure spécificité que les autres tests cou-rants. La combinaison des marqueurs peutlargement améliorer la sensibilité : transfer-rine désialylée et GGT, avec éventuellementAST et/ou volume globulaire moyen.

Henri-Jean AubinCentre de traitement des addictions,

hôpital Émile-Roux, 94456 Limeil-Brévannes Cedex

Courriel : [email protected]

1. Miller PM, Spies C, Neumann T, et al. Alcoholbiomarker screening in medical and surgicalsettings. Alcohol Clin Exp Res 2006;30:185-93.

2. Dillie KS, Mundt M, French MT, Fleming MF. Cost-benefit analysis of a new alcohol biomarker,carbohydrate deficient transferrin, in a chronicillness primary care sample. Alcohol Clin Exp Res2005;29:2008-14.

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fiques mais qui doivent attirer l’attention par leur associa-tion ou leur répétition.

Repérer précocement un mésusage de l’alcool supposedonc d’abord d’y penser pour rechercher ensuite l’exis-tence ou non de ces signes de présomption. L’attention estattirée notamment par :3– un état de santé moins bon, caractérisé par un taux defréquentation des professionnels de santé ou des disposi-tifs de soins très supérieur à celui de la population géné-rale (les consommateurs ayant un mésusage d’alcoolconsultent le médecin environ 9 fois par an contre 5,6 foispour la population générale) ;– des plaintes diverses concernant la fatigue, la nervosité,l’irritabilité, le sommeil, l’humeur, la capacité de concen-tration, mais aussi des troubles digestifs (nausées, vomis-sements, douleurs abdominales), une anorexie ;– de plus grandes difficultés sociales, avec des recoursplus fréquents que la population générale aux organismessociaux pour trouver du travail ou maintenir un emploi demanière stable ; – une certaine instabilité relationnelle avec l’entourage(difficultés conjugales et familiales, problèmes profes-sionnels, conflits de voisinage, etc.) ;

– chez les sujets jeunes, une modification du comporte-ment, un désinvestissement progressif, des difficultés sco-laires, et les situations d’échec scolaire.

L’état somatique : au stade précoce, l’examen cliniqueest relativement pauvre ; il existe fréquemment un légertremblement d’attitude des extrémités, des conjonctivesun peu rouges, hyperhémiées, une hépatomégalie, unepression artérielle modérément élevée.

Le tableau peut être plus patent, avec un aspect généralde laisser-aller, un tremblement marqué des extrémités, unvisage vultueux, congestionné, télangiectasique, un sub-ictère conjonctival, une haleine caractéristique signant unealcoolisation récente, souvent accompagnée d’un compor-tement anormalement loquace et exhubérant ou de trou-bles de l’élocution. L’examen peut aussi mettre en évidencedes signes témoignant de l’existence de complicationssomatiques de l’alcoolisation chronique (neuropathie cen-trale ou périphérique, cirrhose, pancréatite chronique…).

Enfin, un mésusage de l’alcool peut et doit être évoquédevant l’existence d’autres comorbidités, psychiques ousociales.12

L’état psychologique : les troubles comportementauxsont certainement ceux qui sont les plus précoces et lesplus repérables, notamment par l’entourage et les milieuxsocio-éducatifs et judiciaires. Les troubles anxieux etdépressifs sont fréquents. Le plus souvent secondaires àla consommation d’alcool, ils s’améliorent après lesevrage. Mais ils peuvent être primaires : persistant ouréapparaissant après le sevrage, ils doivent être pris encompte. À noter l’importance du risque suicidaire,notamment à l’occasion d’une rechute qui favorise le pas-sage à l’acte.13

La situation environnementale : un mésusage de l’alcool peut être à l’origine de difficultés d’ordre conju-gal, familial, professionnel ou social mais, à l’inverse, cesmêmes difficultés peuvent conduire à une alcoolisationdépassant le simple usage. Il est d’ailleurs souvent diffi-cile, au début, de faire la part de ce qui est cause ou consé-quence :– la personne supporte moins bien son entourage et sesenfants, a tendance à s’isoler et délaisse certaines activités ;– la relation conjugale est marquée par des conflits plusou moins aigus ou par une indifférence ; la vie sexuelle ducouple peut être perturbée ;– l’entourage a déjà pu remarquer que la consommationd’alcool du sujet a tendance à augmenter lors des dînersou des fêtes ; les prétextes sont nombreux pour consom-mer ; des problèmes aigus (conduite en état d’alcoolisa-tion, p. ex.) ou chroniques (difficultés familiales, profes-sionnelles) ont déjà pu se poser. Ce même entourage peutcependant minimiser, voire dénier, l’idée que la consom-mation du sujet relève d’un mésusage de l’alcool ;– sur le plan professionnel, on recherche un désintérêt, unabsentéisme ou des arrêts de travail fréquents, des conflitsavec les collègues ou la hiérarchie.

LA CONSOMMATION HABITUELLE

❚ Jamais de boissons alcoolisées ❏

Rythme

❚ Quotidien ❏

❚ Occasionnel

I I I I jours par semaineI I I I jours par moisI I I I jours par an

Nombre de verres par jour de consommation

❚ Type de boisson

Vin 12 ° I I I

Bière 5° I I I

Apéritif 20° I I I

Anisés 45° I I I

Alcools 40° I I I

Les écarts : préciser selon le même tableau : nombre de jours,nombre de verres par jours.

Exemple d’outils de recueil et de suivi de la consommation déclarée d’alcool.Figure 2

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1067

Toutefois, une intégration sociale apparemment bonneet longtemps maintenue se conjugue au caractère pro-gressif des changements de comportement pour rendrecompte de la difficulté du repérage précoce.

L’évaluation du niveau de motivation selon les stadesde Prochaska (préintention, intention, préparation, action,maintien, résolution) est un élément clé. Une des causesfréquentes d’échec du traitement est la proposition destratégies inadaptées au niveau de motivation du patient.14

La consommation d’autres substances psycho-activesest fréquente : tabac, café, anxiolytiques, notamment chezles inactifs et les femmes ; tabac, drogues illicites, notam-ment le cannabis, et produits stimulants chez les jeunes.Ces associations, dont la fréquence s’accroît d’autant plusque s’y associent des troubles de l’adaptation et des situa-tions d’échecs répétés, sont une réalité sociologiqueactuelle. Ce sont de bons indicateurs imposant de seposer la question d’un mésusage d’alcool dans de nom-breuses situations.

La sévérité des conduites d’alcoolisation doit êtreévaluée. Elle doit être distinguée de la nocivité différée etde la gravité des conséquences organiques ou psychiquesinduites par le mésusage de l’alcool.– Les signes de gravité portent sur la nature, l’intensité et lenombre des alcoolopathies ou des conséquences médico-sociales de l’alcoolisation.– Les signes de sévérité portent sur l’importance quantitativeet la fréquence des alcoolisations, sur les risques qu’ellescomportent, sur la valeur ou la signification qu’elles pren-nent pour le sujet et sur l’installation ou non d’une dépen-dance psychique et/ou physique. Ils sont considéréscomme des indicateurs prédictifs de rechute ou d’effica-cité du traitement.

L’évaluation de la sévérité des conduites d’alcoolisations’avère plus difficile que celle de leurs conséquences.5

Quelques repères peuvent cependant être donnés :3 lesalcoolisations parfois massives des jeunes, surtout quandelles sont répétées au fil des week-ends ; les dangersencourus par le consommateur à risque ; les modificationsde la sociabilité du consommateur à problème(s) et le dénidu dépendant quant à sa conduite témoignent souvent,parmi d’autres signes, de la sévérité des conduites d’alcoo-lisation du fait de leur répétition et de l’importance parti-culière qu’elles peuvent avoir pour le devenir du sujet.

Les aspects obsessionnels et compulsifs du besoin d’al-cool sont aussi des éléments importants. Le « craving »peut en être un témoin. Au-delà de la simple appétence àl’alcool, il est défini comme le besoin irrépressible deconsommer. Mais ce concept reste flou et on ne disposepas, actuellement, d’outils simples et validés pour le mesu-rer. On peut, pour ce faire, utiliser une échelle visuelleanalogique qui permet d’en suivre l’évolution. Il faut tou-tefois noter l’absence de corrélation entre les échelles cen-trées sur le craving et celles visant à repérer l’existenced’un « problème d’alcool », ainsi que la faible corrélation

habituellement retrouvée entre craving et rechute. Celaest peut-être lié à la difficulté et à l’hétérogénéité de sonévaluation.

L’évaluation de la qualité de vie est une donnée glo-bale, subjective, mais importante à considérer, car ellerelève du vécu de l’individu et peut déterminer la demanded’aide et ses modalités. De ce fait, la qualité de vie constitueun des objectifs fondamentaux des interventions et de l’ac-compagnement et, par conséquent, un élément importantde l’évaluation clinique. Pour l’apprécier, on dispose d’é-chelles validées telles que le questionnaire de qualité de vieSF36,15 mais aucune n’est vraiment utilisable en pratiquequotidienne. À défaut, l’utilisation d’une échelle visuelleanalogique peut être une approche acceptable.

Au total, trois signes sont très évocateurs de l’existenceou du développement d’un mésusage d’alcool :– la concomitance des problèmes de santé, tant sur le planphysique que psychique, avec les difficultés profession-nelles et l’existence de troubles comportementaux fami-liaux et/ou environnementaux ;

L Le repérage des conduites d’alcoolisation se fait d’abord surl’entretien avec le patient. Il permet notamment de recueillir la consommation déclarée d’alcool.

L Des questionnaires peuvent apporter une aide dans l’abord de ce problème : DETA ou mieux AUDIT.

L Trois marqueurs biologiques peuvent aider à ce repérage :gamma-glutamyltransférase, volume globulaire moyen,transferrine désialylée.

L Le diagnostic impose une évaluation clinique complèteintégrant :

• le sexe et l’âge, les antécédents familiaux, notamment de mésusage d’alcool ;

• l’environnement social, familial, professionnel ou socioculturel ;

• l’âge de début des conduites d’alcoolisation et leur évolution ;

• le type de catégorie d’usage, non-usage, usage à risque, usagenocif, usage avec dépendance ;

• la fréquence des conduites d’alcoolisation et leurs modalités ;

• l’existence d’une comorbidité psychiatrique et le moment de son apparition par rapport à la conduite d’alcoolisation(alcoolisme primaire ou secondaire) ;

• le repérage des traits de personnalité et du «fonctionnement»du sujet (personnalité anxieuse, passive, dépendante,impulsivité ou agressivité, recherche de sensations,intolérance à la frustration) ;

• l’existence de dommages induits d’ordre somatique,psychologique et social, et le niveau de gravité ;

• l’existence d’une comorbidité addictive ;

• la motivation de la personne à modifier son comportementd’alcoolisation.

P O U R L A P R AT I Q U EP O U R L A P R AT I Q U E

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 61068

MALADES DE L’ALCOOL N O S O G R A P H I E , R E P É R A G E E T D I A G N O S T I C D E S T R O U B L E S D E L’A L C O O L I S AT I O N

– la répétition de ces problèmes qui surviennent avec unefréquence anormalement élevée et qui doit faire évoquerle mésusage d’alcool comme probable facteur favorisant,voire aggravant. Cette répétition doit d’autant plus consti-tuer un signe d’alerte qu’il s’agit de sujets jeunes et jus-qu’alors apparemment sans problèmes ;– l’imputation aux autres des difficultés et de leurs motifs,et la répétition de ce mode de « défense » qui permet ausujet de ne pas remettre en question ses conduites géné-rales et notamment ses conduites d’alcoolisation.

EXAMENS BIOLOGIQUES

Trois marqueurs biologiques sont utilisés pour le dépis-tage d’une alcoolisation chronique : la gamma-GT, levolume globulaire moyen (VGM) et la transferrine désia-lylée (CDT). Ce sont des indicateurs de mésusage. Ils nepermettent pas d’en préciser la catégorie.

Rappelons que la sensibilité des tests biologiquesdépend de la prévalence de la maladie dans la populationtestée. La sensibilité des tests est donc élevée chez lespatients dépendants de l’alcool. Elle s’abaisse dans lespopulations où la consommation d’alcool est plus faible,notamment en population générale, alors que c’est dansces cas que l’on aurait le plus besoin d’une aide au dia-gnostic. La biologie ne permet donc guère de détecter unmésusage d’alcool en l’absence d’éléments cliniques évo-cateurs. Prescrire à l’aveugle un ou plusieurs de ces testsbiologiques n’est donc pas recommandé : le médecin doitd’abord essayer d’obtenir des informations fiables par undialogue confiant et n’envisager la prescription de ces exa-mens que dans un deuxième temps. Les caractéristiquesde ces tests et leur utilité sont développées dans l’encadré(v. page 1065).

L’association gamma-GT et VGM est la plus utilisée. Sasensibilité avoisine les 90 à 95 % chez les consommateursdépendants, mais seulement 65 % en cas d’usage à risqueou d’usage nocif. En effet, pour des raisons encore malcomprises, la gamma-GT et le VGM ne semblent pasdétecter les mêmes «malades». Simple, fiable, peu oné-reuse, elle reste donc très utile pour : renforcer la pré-somption clinique d’un mésusage de l’alcool ; servir de«marqueurs objectifs d’alcoolisation» vis-à-vis du patient,permettant de le revoir et d’aborder à nouveau le pro-blème avec des arguments médicaux supplémentaires ;suivre, après sevrage de l’alcool, l’abstinence et les éven-tuelles réalcoolisations.

D’autres examens biologiques peuvent être prescrits,notamment les bilans hépatique, glycémique et lipidiquequi peuvent être indiqués en seconde intention pourapprécier la gravité du retentissement de l’alcoolisationsur le plan médical.

Quant aux combinaisons entre questionnaires de repé-rage et marqueurs biologiques, elles ne permettent guèred’améliorer le dépistage précoce du mésusage d’alcool.

CONCLUSION

Le repérage des conduites d’alcoolisation doit intervenirle plus tôt possible, de façon à prévenir leur évolution versla dépendance et/ou des complications somatiques, psy-chiques, sociales. De plus, à ce stade, les interventions sontplus courtes, moins onéreuses et ont montré leur effica-cité. Le repérage repose d’abord sur l’évaluation de laconsommation déclarée d’alcool au cours d’un entretienconfiant. Il peut être étayé par des questionnaires dont leplus pertinent semble l’AUDIT. Les examens biologiquesréalisés en deuxième intention peuvent apporter une aide.

Une évaluation clinique complète intégrant notam-ment l’appréciation du retentissement médico-psycho-social, et de façon générale la qualité de vie, la motivation,l’existence de conduites addictives associées, la sévéritéde la conduite d’alcoolisation, permet ensuite de poser undiagnostic qui permet de négocier la stratégie thérapeu-tique la mieux adaptée à chaque patient. B

SUMMARY Classification, detection and diagnosisof chronic alcohol disordersThe alcohol misuse is associated with a wide range of medical andsocial problems. This is why it is very important to detect early-stages alcohol misuse. The early detection and the diagnosis ofchronic alcohol consumption require simple to use, relevant tools.Alcoholisation behaviours are classified according to 5 categories:no use, use, and three types of misuse, at risk drinking, abuse orharmful drinking, and dependence. This screening of early-stagealcohol misuse is at first based on the clinical interview with thepatient. It evaluates the alcohol consumption reported by thepatient, specially the number of drinking days, the number of drinksper drinking day, the lapses, the type of alcoholic drinks, the way ofdrinking, and the events that influence it. Screening questionnairescan be usefull: CAGE and especially AUDIT. They can be used asauto-questionnaires. Three biological markers can be helpful todetect chronic alcohol consumption: GGT, MCV and CDT.

Rev Prat 2006 ; 56 : 1061-9

RÉSUMÉ Nosographie, repérage et diagnostic des troubles de l’alcoolisationLes conduites d’alcoolisation sont classées en cinq catégories : non-usage, usage, et trois catégories de mésusage, usage à risque,usage nocif et usage avec dépendance. Leur dépistage, si possibleprécoce, et leur diagnostic nécessitent que les praticiens disposentdans leur pratique courante d’outils fiables, pertinents et simples.Le repérage repose sur l’entretien clinique effectué en dehors detout aspect moralisateur ou inquisitorial. Il permet de recueillir laconsommation déclarée d’alcool, notamment le nombre de jours de consommation, le nombre moyen de verres par jour deconsommation, les écarts par rapport à la consommationhabituelle, le type de boissons consommées, le mode deconsommation et les événements qui l’influencent. Il peut s’aider de questionnaires comme le DETA ou, mieux, l’AUDIT, qui peuventêtre utilisés en autoquestionnaire ou en hétéroquestionnaire par le médecin. Trois marqueurs biologiques peuvent aider au repéraged’une alcoolisation chronique, la gamma-glutamyltranférase, le volume globulaire moyen et la transferrine désialylée.

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1069

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R É F É R E N C E S

L’auteur n’a pas transmis dedéclaration de conflits d’intérêts.

www.has-sante.frAu menu « publications »/Alcoologie-addictologieBConduites d’alcoolisation. Lecture cri-tique des classifications et définitions.Quel objectif thérapeutique? Pour quelpatient ? Sur quels critères ? (Recom-mandations pour la pratique clinique[RCP] de la Société française d’alcoo-logie, ayant obtenu le label méthodo-logique de l’Anaes, 2001).B Indications de la transplantation hépa-tique (Conférence de consensus, 2005).BOrientations diagnostiques et prise encharge, au décours d’une intoxicationéthylique aiguë, des patients admis auxurgences des établissements de soins(RCP, 2001).B Modalités de l’accompagnement dusujet alcoolo-dépendant après un sevrage(Conférence de consensus, 2001).B Objectifs, indications et modalités dusevrage du patient alcoolo-dépendant(Conférence de consensus, 1999).

www.inpes.sante.frAu menu « espacethématique » de l’Institut national deprévention et d’éducation pour la santé(Inpes), choisissez « alcool ». Que ce soitpar l’espace grand public, ou profes-sionnels de santé, vous pouvez accéder,télécharger, imprimer, commander

gratuitement (fax : 0149332391; cour-riel : [email protected]) toute les bro-chures d’information et d’aide à l’arrêtou autres affiches de votre choix.Un conseiller téléphonique de Drogue-alcool-tabac Info Service répond 24 hsur 24 (appel anonyme et gratuit) au 113.Un autre répond aux jeunes sur le FilSanté Jeunes : 0800235236.Les questionnaires AUDIT et FACE sontdisponibles sur commande.

www.drogues.gouv.frLe ministère de la Santé met égalementà la disposition du grand public le sitede la Mission interministérielle de luttecontre les dépendances et la toxicoma-nie (Mildt). Au menu « ce qu’il faut sa-voir », une rubrique alcool est à la dispo-sition de vos patients; ces derniers peuventaussi utiliser le menu «vos questions nosréponses ». Écoute Alcool répond auxquestions de 14 h à 2 h (coût d’un appellocal), 7 j sur 7 : 0 811 91 30 30.

www.sfalcoologie.asso.frLa Société française d’alcoologie (SFA)contribue au développement multi-disciplinaire de l’alcoologie, ses travauxs’intéressent à la prévention, la théra-peutique, l’évaluation, etc. Un supportpédagogique, le Diaporama d’alcoologie2005, peut être commandé sur le site(télécharger le bon de commande).Les documents de référence de la SFAsont téléchargeables sur la page d’accueil:

B Les mésusages d’alcool en dehors dela dépendance. Usage à risque — Usagenocif (SFA 2003).B Les conduites d’alcoolisation au coursde la grossesse (Recommandations dela SFA 2002).B Les conduites d’alcoolisation. Lecturecritique des classifications et définitions.Quel objectif thérapeutique? Pour quelpatient? Sur quels critères? (RCP 2001,label Anaes).B Modalités de l’ac-compagnement dusujet alcoolo-dépen-dant après un sevrage (Conférence deconsensus 2001, participation Anaes).B Objectifs, indications et modalités dusevrage du patient alcoolo-dépendant(Conférence de consensus 1999, parti-cipation Anaes).En 2005, la DGS et la MILDT se sontassociées aux actions de la SFA.

www.anpaa.asso.frL’Association nationale de préventionen alcoologie et addictologie (Anpaa)[tél. : 0142335104] propose des outilspédagogiques (au menu « prévention,comment agir ») sous forme de jeux,les uns destinés aux enfants, les autresaux adolescents et aux jeunes adultes.Ces outils sont validés par la MILDT. Unforum est ouvert à tous pour discuterdu problème alcool et travail.

Alcool : le répertoireRECOMMANDATIONS, S ITES…

(suite, p. 1080)

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 61072

La Société française d’alcoologie (SFA) propose denommer « mésusage sans dépendance » la situationdes personnes que leur consommation d’alcool met

en danger (consommation à risque), ou chez qui il existeun dommage (consommation problématique) sans qu’onretrouve chez eux de dépendance au sens du DSM IV(Diagnostical and statistical manual of mental disorders) oude la CIM 10 (Classification statistique internationale desmaladies et des problèmes de santé connexes). Ce choixcomporte une difficulté linguistique : comment appelerles personnes dans le « mésusage sans dépendance » ?Nous avons pris l’habitude, dans le programme « Boiremoins c’est mieux », de les appeler « consommateursexcessifs » plutôt que « mésuseurs ». Il recèle aussi, insi-dieusement, un problème conceptuel, car les mots « sansdépendance » laissent penser qu’à deux critères DSM onn’est pas encore dépendant, et à trois on le serait devenu.La dépendance ne s’acquiert pas en un jour comme une

maladie contagieuse ; dans chacune de ses composantes,comportementale, sociale, psychologique, physique, ellepeut être absente, modérée, sévère, sur un continuumdont la principale rupture est l’installation de la dépen-dance physique. Ainsi, même les buveurs sociaux ont des« habitudes », validées par des bénéfices psychologiqueset sociaux, qui expliquent la difficulté de changementpour certaines personnes pourtant loin des trois critèresdu DSM.

Nous assumons donc ici une légère nuance dans laterminologie, sans remettre en cause la nécessité dedéfinir précisément l’objet du présent article, ces situa-tions très nombreuses où le problème principal à réglern’est pas un trouble du contrôle de la consommation,mais les conséquences potentielles ou actuelles decomportements de consommation à des niveaux élevéset dangereux même s’ils paraissent socialement accep-tables.

Les buveurs excessifs :repérage et intervention brève

Les patients trouvent légitime que leur médecin les interroge sur leur consommation d’alcool. Un repérage précoce des usages à risque ou nocifs, au cours d’un entretien empathique avec l’aideéventuelle d’un questionnaire, peut permettre, grâce à la délivranced’une intervention brève de 5 à 10 minutes, d’obtenir une réductionsensible de la consommation dans 10 à 50 % des cas.

m o n o g r a p h i e

Philippe Michaud *

* Programme « Boire moins, c’est mieux », Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), 3, avenue Gallieni, 92000 Nanterre.Courriel : [email protected]

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UN RISQUE QUI CONCERNE TOUS LES SOIGNANTS

Bien qu’il soit aujourd’hui impossible de donner une esti-mation épidémiologique sérieuse du nombre de consom-mateurs excessifs en France, les estimations qui sont habi-tuellement retenues, fondées sur des approchesindirectes, parlent d’environ 5 millions de personnesconcernées.

La prévalence extrêmement élevée du phénomèneoblige à responsabiliser l’ensemble du corps sanitaire, etl’intervention ne peut que reposer sur les acteurs de soinsprimaires et de la prévention en population, généralistes,médecins du travail, centres de santé des assurances socia-les, urgentistes, obstétriciens et sages-femmes, etc., y com-pris les services de l’hôpital quand celui-ci est en premièreligne. Ce sont toutefois les premiers nommés qui sont lesmieux placés pour avoir un effet sur la population : lesmédecins généralistes qui, en France, voient 80 % de lapopulation adulte une fois par an au moins, et les médecinsdu travail qui assurent la surveillance sanitaire de14 millions de salariés. Pour les médecins généralistes,cette nouvelle tâche entre dans un champ d’activité égale-ment nouveau : l’intervention de prévention secondaireportant sur les comportements dangereux pour la santé.Elle nécessite de s’intéresser de près aux changements decomportement, à leurs motivations, à la façon dont ils peu-vent se produire spontanément ou après une intervention,comment celle-ci peut faciliter ou, au contraire, arrêter lamise en œuvre de ce changement. En somme, cetteréflexion n’est pas spécifique à l’alcool, mais elle peut utile-ment être mise à profit pour des questions aussi importan-tes que les régimes, l’activité physique, les comportementssexuels à risque, l’observance des traitements, etc.

La prévention secondaire doit donc être fermementplacée hors du champ de responsabilité des spécialistesde l’addiction: la consommation d’un produit comme l’al-cool n’a pas la dépendance pour seule complication envi-sageable, et si, comme on l’a vu en introduction, on peutconcéder qu’il existe une dépendance comportementalechez les consommateurs excessifs, celle-ci n’implique pasde dépendance psychique ou physique, ni de traitement àproprement parler.

LE NÉCESSAIRE DIALOGUE AVEC LES PATIENTS ET LES OUTILS

QUI LE FACILITENT

Le repérage est rendu nécessaire du fait qu’il existe main-tenant un bon niveau de preuves concernant l’efficacitéd’une réponse sanitaire à cette situation de risque: ce quiest convenu d’appeler les « interventions brèves ». Celles-ci peuvent être appliquées dans quasiment toutes lessituations professionnelles du champ sanitaire et social, etles mettre en œuvre dans sa pratique clinique n’implique

pas de devenir un spécialiste de l’alcoologie. La stratégierecommandée par l’Organisation mondiale de la santé(OMS), développée en France par le programme « Boiremoins c’est mieux »,1 est de permettre aux médecins géné-ralistes, comme à ceux du travail ou de prévention, des’approprier la méthode et les outils de l’interventionbrève pour les appliquer auprès des personnes repéréesdans le cadre d’une action d’évaluation du risque aussisystématique que possible. La biologie est habituelle-ment impuissante à mettre en évidence des consomma-tions inférieures à 6-8 verres par jour,2 et le seul recoursdont dispose le praticien qui souhaite recueillir des infor-mations sur le niveau de risque associé à l’alcool chez sespatients est donc le dialogue avec eux.

Deux approches peuvent être employées : le question-nement clinique pour établir la consommation déclaréed’alcool, et les questionnaires standardisés. Dans la pre-mière, il s’agit d’acquérir le savoir-faire relationnel pourinterroger précisément les patients afin de chiffrer laconsommation ; dans la seconde, d’utiliser de façonappropriée des questionnaires mis au point à cet usage.

Des préalables communs existent.– Il faut se débarrasser du sentiment d’intrusion qui esthabituel chez les soignants, mal à l’aise dès qu’il s’agit deparler d’alcool, car craignant de donner à croire au patientqu’on l’accuse d’être « alcoolique ». Il a pourtant été mon-tré que les patients trouvent normal que soit abordé cethème en consultation (de médecine générale), et que lesmédecins sont jugés légitimes et compétents sur ce sujet.3De même, interrogés sur l’attitude des médecins sur leur« maladie », les patients dépendants de l’alcool disentqu’ils auraient souhaité être aidés à aborder leurs inquié-tudes vis-à-vis de l’alcool alors que leur consommationétait encore contrôlable, mais constatent amèrement qu’ilsont alors eu le plus souvent des soignants qui ne voulaientrien entendre: la gêne était du côté des médecins.4 Quandon s’essaie à un repérage systématique, on est étonné de

L Les questionnaires sont les moyens les plus faciles et les plus efficaces pour mettre en place une stratégie de repérage des consommations excessives d’alcool.

L L’intervention brève est une activité de prévention secondaireefficace à l’échelle individuelle et d’un grand effet attendu sur la santé publique.

L L’intervention brève est efficace du fait de sa forte composanterelationnelle. Elle permet d’adopter dans le conseil des attitudesprofessionnelles utiles pour agir sur tous les problèmes de comportement de santé, notamment l’adaptation à un problème chronique, un traitement de longue durée, et tous les facteurs de risque, notamment les consommations.

C E Q U I E S T N O U V E A U

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MALADES DE L’ALCOOL L E S B U V E U R S E X C E S S I F S : R E P É R A G E E T I N T E R V E N T I O N B R È V E

l’absence de malaise du côté du patient, sentimentconfirmé dans une étude française récente où l’avis dupatient était sollicité.5– La minimisation de la consommation est réelle, maisc’est aussi le cas dans les études épidémiologiques où lesseuils de risques concernent des verres déclarés, et nondes verres bus.– Une approche empathique, non jugeante, est la meil-leure garantie de la sincérité des réponses et de l’efficacitéde l’intervention qui suivra le repérage.

Cela étant posé, le calcul de la consommation déclaréed’alcool (v. encadré) repose sur la reconstitution d’unesemaine-type, en demandant d’abord quels sont les« jours spécifiques », puis en reprenant sur chacun desjours de la semaine la consommation pas à pas, produitpar produit (vin, bière, alcools forts…). On compte soit engrammes soit en verres, en postulant que chaque verrerespecte le standard de 10 g d’alcool pur par verre.

L’utilisation de questionnaires est peu familière auxmédecins français. Le plus connu, le questionnaireCAGE/DETA,6,7 vise plus le repérage des malades de l’al-cool que celui des consommateurs à risque. Il est surtoutintéressant en situation de repérage « de masse » dessujets dépendants (hôpitaux, prisons). Il est décevant enmédecine générale.8 L’OMS a développé un autoques-tionnaire en dix questions, destiné à la salle d’attente,l’AUDIT (Alcohol use disorders identification test).9 Il est

validé en français (v. encadré p. 1075).10 Il classe lespatients en trois groupes : a. pour un score inférieur à 7pour les hommes et 6 pour les femmes, abstinents etconsommateurs « à faible risque », qui relèvent d’unconseil de prévention primaire (« veillez à rester en des-sous des seuils de risque ») ; b. au-delà de ces chiffres etjusqu’à 12 inclus, les consommateurs excessifs, qui relè-vent de l’intervention brève; c. au-dessus du score de 12,les sujets dépendants, chez qui une prise en charge pluslongue et complexe est nécessaire. Présentant d’excellen-tes valeurs informationnelles et d’un coût quasi nul, trèssupérieur en cela à la biologie, il a pour intérêt principalde déboucher immédiatement sur une conduite à tenir.Son principal défaut est d’être peu généralisable en l’ab-sence d’un(e) assistant(e) veillant à sa distribution auxpatients pendant leur temps d’attente, mais il garde toutesa place dans les lieux où les tâches ne reposent pas sur leseul médecin, comme en médecine du travail, dans lescentres de santé ou dans les hôpitaux.

Un autre outil, le questionnaire FACE (Formule pourapprocher la consommation d’alcool ou Fast alcoholconsumption evaluation, [v. encadré p. 1076]), créé à lademande des médecins généralistes, est maintenant dispo-nible; il a les mêmes qualités que l’AUDIT (sensibilité, spé-cificité, coût) mais a été construit et validé en français pourêtre utilisé en face-à-face.11 Une étude comparant l’accepta-bilité de son utilisation en pratique quotidienne à celle de

Recueil de la consommation déclarée d’alcoolSi vous en êtes d’accord, nous allons évaluer ensemble la consommation d’une semaine ordinaire, les 7 derniers jours s’ils vous

paraissent représentatifs de vos habitudes :

Vin

Bière / cidre

Alcools forts

TOTAL

VERRES/JOUR JEUDIMERCREDIMARDI VENDREDI SAMEDI DIMANCHELUNDI

TOTAL DE LA

SEMAINE

❚ Un verre standard contient environ 10 g d’alcool pur

❚ Un verre de vin = 10 cL, un verre de bière (5°) = 25 cL, un verre d’alcool fort (40°) = 3 cL

❚ Pour les consommations évaluées en bouteilles :— une bouteille de vin (75 cL) = 8 verres standard ;— une bouteille de 70 cL de whisky (de gin, de vodka…)

= 22 verres standard ;— une bouteille de pastis (1 L) = 32 verres standard ;— une canette de bière de 50 cL : de 2 à 4 verres standard

selon le titre alcoolique.

❚ Avant de remplir le tableau, faire décrire les variations des consommations dans la semaine, puis détailler pour chaque type de boissons alcoolisées :— en consommez-vous?— à quelle heure prenez-vous votre premier verre?— combien de verres prenez-vous au repas de midi,

au souper, en dehors des repas?

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1075

Le questionnaire AUDITLes valeurs attribuées à chaque réponse figurent ici sur la première ligne � � � � �. Elles ne sont pas inscrites sur les

autoquestionnaires distribués. Le score à l’AUDIT est la somme des réponses à chaque ligne.

Madame, MonsieurCe questionnaire permet d'évaluer par vous-même votre consommation d’alcool. Merci de le remplir en cochant une réponse par

ligne. Si vous ne prenez jamais d’alcool, ne répondez qu’à la première question. Les questions portent sur les 12 derniers mois.

UN VERRE STANDARD REPRÉSENTE UNE DE CES BOISSONS :

� � � � �

1. À quelle fréquence vous arrive-t-il de consommer des boissons contenant de l’alcool ?

jamais ❑ 1 fois par mois ou moins ❑ 2 à 4 fois par mois ❑ 2 à 3 fois par semaine ❑ 4 fois ou plus par semaine ❑

2. Combien de verres standard buvez-vous au cours d’une journée ordinaire où vous buvez de l’alcool ?

1 ou 2 ❑ 3 ou 4 ❑ 5 ou 6 ❑ 7 à 9 ❑ 10 ou plus ❑

3. Au cours d’une même occasion, à quelle fréquence vous arrive-t-il de boire six verres standard ou plus ?

jamais ❑ moins de 1 fois par mois ❑ 1 fois par mois ❑ 1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑

4. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence avez-vous observé que vous n’étiez plus capable de vous arrêter de boire après avoircommencé ?

jamais ❑ moins de 1 fois par mois ❑ 1 fois par mois ❑ 1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑

5. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence le fait d’avoir bu de l’alcool vous a-t-il empêché de faire ce qu’on attendait normalementde vous ?

jamais ❑ moins de 1 fois par mois ❑ 1 fois par mois ❑ 1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑

6. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence, après une période de forte consommation, avez-vous dû boire de l’alcool dès le matinpour vous remettre en forme ?

jamais ❑ moins de 1 fois par mois ❑ 1 fois par mois ❑ 1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑

7. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence avez-vous eu un sentiment de culpabilité ou de regret après avoir bu ?

jamais ❑ moins de 1 fois par mois ❑ 1 fois par mois ❑ 1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑8. Dans les 12 derniers mois, à quelle fréquence avez-vous été incapable de vous souvenir de ce qui s’était passé la nuit précédenteparce que vous aviez bu ?

jamais ❑ moins de 1 fois par mois ❑ 1 fois par mois ❑ 1 fois par semaine ❑ chaque jour ou presque ❑

9. Vous êtes-vous blessé(e) ou avez-vous blessé quelqu’un parce que vous aviez bu ?

non ❑ oui mais pas dans les 12 derniers mois ❑ oui au cours des 12 derniers mois ❑

10. Est-ce qu’un ami ou un médecin ou un autre professionnel de santé s’est déjà préoccupé de votre consommation d’alcool et vous aconseillé de la diminuer ?

non ❑ oui mais pas dans les 12 derniers mois ❑ oui au cours des 12 derniers mois ❑

Votre sexe : homme ❑ femme ❑ SCORE ❑

7 cL d’apéritif

à 18°

2,5 cL de digestif

à 45°

10 cL de champagne

à 12°

25 cL de cidre « sec »

à 5°

2,5 cL de whisky

à 45°

2,5 cL de pastis

à 45°

25 cL de bière

à 5°

10 cL de vin rouge

ou blanc à 12°

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 61076

MALADES DE L’ALCOOL L E S B U V E U R S E X C E S S I F S : R E P É R A G E E T I N T E R V E N T I O N B R È V E

l’AUDIT a montré les nettes préférences des médecinsgénéralistes et des patients pour le FACE.5

L’un et l’autre trouvent cependant leurs limites à l’ado-lescence et chez les personnes âgées. Chez les jeunes, eneffet, les comportements de consommation associent sou-vent plusieurs produits, mais leur caractère probléma-tique ou non doit tenir compte du contexte psycho-logique de l’adolescence. L’évaluation du sens ducomportement doit s’ajouter à l’évaluation du risque, pourne pas passer à côté des troubles psychiques et comporte-mentaux graves qui peuvent émerger à cet âge de la vie.Une approche évaluative mise en place depuis unedizaine d’années au Québec utilise une grille de dépistagequi porte sur l’ensemble des substances psychoactives(Dépistage de consommation problématique d’alcool etde drogues chez les adolescents, DEP-ADO).12 Cette grillecherche à caractériser trois niveaux de risques qui justi-fient trois attitudes: « feu vert », pas d’intervention; « feu

jaune », intervention brève de conseil par les intervenantsde premier recours ; « feu rouge », intervention de soinsfaisant appel aux ressources d’aide spécialisée.

On ignore actuellement la fréquence des troubles liés àl’alcool chez les personnes âgées. Rien ne laisse penserque l’alcoolo-dépendance, ni les dommages dus à l’alcool,disparaissent après 65 ans; au contraire, l’alcool peut à cetâge perturber l’état clinique même si la consommation estinférieure aux seuils de risque habituellement diffusés : enfonction des pathologies ou de leurs traitements, de peti-tes quantités d’alcool peuvent provoquer des troubles quin’apparaîtraient pas chez des personnes plus jeunes.13

Pour les personnes âgées, l’AUDIT reste ce jour le seuloutil validé en français, mais notre programme réaliseactuellement l’adaptation française d’un questionnaireaméricain, l’ARPS (Alcohol-related problem survey) 14 juste-ment conçu pour tenir compte du contexte dans l’évalua-tion du risque alcool.

Le questionnaire FACE

INTERPRÉTATION DU QUESTIONNAIRE FACE

❚ À quelle fréquence consommez-vous des boissons contenant de l’alcool ?

Jamais = � 1 fois par mois ou moins = � 2 à 4 fois par mois = �

2 à 3 fois par semaine = � 4 fois par semaine ou plus = �

❚ Combien de verres standard buvez-vous, les jours où vous buvez de l’alcool ?

« 1 ou 2 » = � « 3 ou 4 » = � « 5 ou 6 » = � « 7 à 9 » = � « 10 ou plus » = �

❚ Votre entourage vous a-t-il fait des remarques concernant votre consommation d’alcool ?

Non = � Oui = �

❚ Vous est-il arrivé de consommer de l’alcool le matin pour vous sentir en forme ?

Non = � Oui = �

❚ Vous est-il arrivé de boire et de ne plus vous souvenir le matin de ce que vous avez pu dire ou faire ?

Non = � Oui = �

TOTAL :

FACE ET SA COTATION SCORE

Buveurs excessifshommes

Buveurs excessifsfemmes

Dépendance ou abus

4

3

8

87,8

84,4

75

74

84

95,8

43,4

35,5

55,1

96,4

98,1

98,2

SEUIL SENSIBILITÉ (%) SPÉCIFICITÉ (%) VALEUR PRÉDICTIVEPOSITIVE (%)

VALEUR PRÉDICTIVENÉGATIVE (%)

Hommes : score inférieur à 5 = risque faible ou nulscore de 5 à 8 = consommation excessive probablescore supérieur à 8 = dépendance probable

Femmes : score inférieur à 4 = risque faible ou nulscore de 4 à 8 = consommation excessive probablescore supérieur à 8 = dépendance probable

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Au total, la principale question autour du repérage desconsommateurs excessifs est celle de la stratégie : le repé-rage des consommations dangereuses ne devrait exclurepersonne, mais être organisé pour être faisable, acceptabletant par le médecin que par le patient, si possible peucoûteux, et utile. Des outils passés en revue ci-dessus, il estfacile de déconseiller la biologie : coûteuse et peu sensi-ble ; parmi les questionnaires disponibles, l’AUDIT et leFACE sont les plus aisément généralisables chez lespatients de 18 à 65 ans, aussi bien en médecine de soinsqu’en médecine de prévention. Dans les populations spé-cifiques que sont les jeunes et les personnes âgées, laDEP-ADO et l’ARPS sont les plus prometteurs, mais onmanque de recul pour une utilisation rationnelle enFrance, bien établie en Amérique du Nord.

L’essentiel de la stratégie consiste à ne laisser personneen dehors de l’évaluation du risque : quelle que soit laméthode de repérage, parler d’alcool « avec chaquepatient » ne signifie pas « à chaque consultation », maisune fois par an ou tous les deux ans, pour tenir compte dupotentiel évolutif de tout comportement.

QUELLE FORME DONNER À UNE INTERVENTION AUPRÈS

D’UN CONSOMMATEUR À RISQUE ?

En effet, les comportements évoluent sous l’influence defacteurs nombreux parmi lesquels l’environnement joueun rôle important. Et sur le plan des comportements desanté, les soignants en général, les médecins en particulier,jouent un rôle fondamental. Cela ne signifie pas qu’unconseil médical suffise dans tous les cas, mais il est montréque la qualité de la relation entre la personne conseillée etl’intervenant peut compter beaucoup plus que l’intensitéde l’intervention (sa durée, sa fréquence, la coercition quipeut l’accompagner). Pour cela, il faut que celui-ci aitcependant une claire conscience des éléments qui peu-vent expliquer un changement de comportement, et deséléments qui le favorisent :– plus l’intervention est tardive, plus la dépendance com-portementale est forte, et la dépendance psychique s’ins-talle progressivement, avant même que les critèresDSM-IV permettent de considérer un patient comme« dépendant » ;– plus les dommages – réels ou potentiels – sont repéra-bles, mieux ils seront pris en compte;– plus le comportement est en contradiction avec lesvaleurs propres du sujet, plus il aura le désir de le modifier;– plus le sujet a de place dans le dialogue pour exprimerses préoccupations, moins il résiste aux conseils délivrés ;– quand les solutions proviennent du sujet, elles sont plusfaciles à réaliser ;– si l’intervenant n’exprime pas de jugement et ne tentepas d’imposer ses solutions, les attitudes de résistancetombent le plus souvent immédiatement.

Une intervention de conseil en matière de comporte-ment de santé (pas seulement pour les consommateursexcessifs) doit donc prendre la forme d’une « collabora-tion entre experts »,15 le patient restant l’expert de sa pro-pre vie. L’empathie, capacité de repérer les modes de pen-ser du patient et de les utiliser pour raisonner avec lui, estici le maître mot.

Pour intervenir efficacement, il est inutile d’attendre lesdommages, car si un patient en situation de risque l’ap-prend souvent du fait du médecin, il n’a pas pour autantde difficultés à se représenter les dommages qu’uneconsommation excessive peut provoquer : même si ladépendance vient en premier dans les représentations, lesretentissements médicaux et sociaux sont bien connus dugrand public.7 Une « intervention brève » peut l’être defaçon extrême (on parle alors de conseil minimal) ou êtredéveloppée sur 5 à 20 minutes (cas le plus fréquent dansles études, en médecine générale) ou sur plusieurs ses-sions (dans des situations ou auprès de populations parti-culières). Notre programme a développé, en collaborationavec l’Institut national de prévention et d’éducation pourla santé (Inpes), une forme d’intervention adaptée auxconditions de la médecine générale en France, de duréerelativement brève (5 à 10 min), qui reprend les trois élé-ments utiles dans toute intervention brève : information,approche motivationnelle, conseils pour mener le change-ment de comportement.16 Les formations au repérage pré-coce et à l’intervention brève (RPIB) visent en premierlieu l’acquisition du savoir-faire pour le repérage par lequestionnaire FACE; pour l’intervention brève, elle s’ap-puie sur un contenu type (à la fois informatif, comporte-mental et motivationnel)16 et sur deux livrets informatifs(que l’Inpes* met gratuitement à la disposition des méde-cins qui lui en font la demande). Les jeux de rôle sont aucentre de la première session, afin de donner aux méde-cins formés, au-delà des arguments de santé publique quine les impressionnent guère, l’occasion de percevoir l’in-térêt pour leur relation avec leurs propres patients, l’ab-sence de réticence lors d’une intervention réussie et lecaractère bref à la fois du repérage et de l’intervention ;lors de la seconde session, les restitutions de leur expé-rience « dans la vraie vie », qu’ils partagent alors, confir-ment que, même avec leurs vrais patients, une telle inter-vention dure effectivement 5 à 10 minutes, et qu’elle estquasi unanimement bien reçue.

Dans d’autres conditions ou auprès d’autres popula-tions, le contenu doit être adapté. Chez les adolescents,plusieurs modalités d’intervention, sur une ou plusieursséances, utilisant le face-à-face, le feedback écrit et/ou letéléphone ont été utilisées avec succès aux États-Unis ;elles avaient pour point commun de respecter une appro-che motivationnelle respectant l’attitude « centrée sur lesujet ».17

* [email protected]

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MALADES DE L’ALCOOL L E S B U V E U R S E X C E S S I F S : R E P É R A G E E T I N T E R V E N T I O N B R È V E

QUELLE EST L’EFFICACITÉ D’UNE INTERVENTION BRÈVE EN MATIÈRE

DE CHANGEMENT DE COMPORTEMENT ?

À ce jour, une seule étude française a cherché à évaluer ceteffet, et elle a montré un succès presque paradoxal, la moi-tié des patients repérés ayant réduit leur consommation àun an au-dessous des objectifs (4 verres/jour), dans legroupe repérage avec conseil comme dans le groupe repé-rage seul.18 Cela montre que l’activité de repérage (danscette étude, l’évaluation de la consommation déclaréed’alcool) est en soit une intervention, ce qu’on relève éga-lement dans les groupes témoins de nombreuses études.Une étude en médecine du travail est en cours, mais lesrésultats n’en seront connus que courant 2006. On trouve

cependant dans les publications internationales une trèsforte conviction sur l’utilité des interventions brèves, quisont classées comme les interventions les plus utiles dansle champ de l’alcoologie par plusieurs expertises interna-tionales, du fait de leur efficacité, de leur faible coût et del’impact attendu sur la santé publique.19, 20

VERS UNE GÉNÉRALISATION ?

L’approche de l’intervention précoce auprès desconsommateurs excessifs d’alcool s’appuie sur un boule-versement des concepts sur les phénomènes liés à laconsommation d’alcool. La seconde moitié du XXe sièclea été, en effet, dominée par le modèle médical de « l’al-coolisme », une maladie dont il convenait d’établir lesmécanismes et le traitement. Aujourd’hui, une gestionraisonnée des risques liés à l’usage de l’alcool dans lasociété doit prendre en compte la diversité des consé-quences, leur inégale distribution chez les buveurs enfonction de facteurs multiples de fragilité ou de protec-tion, mais aussi en fonction des caractéristiques del’« exposition au toxique », de l’histoire des sujets et desévolutions dans leur environnement. Certains consom-mateurs excessifs, et même certains patients dépendantsde l’alcool arrêtent leur comportement dangereux ouproblématique sans intervention : ce phénomène a long-temps été ignoré, il existe pourtant et il est vraisembla-blement possible de le renforcer.21 D’autres personneschangent immédiatement après une intervention brève,qu’elle soit délivrée par un médecin, une infirmière, unconseiller téléphonique de Drogue-alcool-tabac InfoService (DATIS) [tél : 113] ou d’autres professionnels :c’est le cas chez les consommateurs excessifs, suffisam-ment souvent pour qu’il soit envisagé une interventionauprès de tous, ce qui implique une stratégie de repéragepartout où elle est envisageable, en priorité à nos yeux enmédecine générale, dans les consultations pour les fem-mes enceintes, en médecine du travail, dans les consulta-tions de prévention (centres d’examen de santé del’Assurance maladie, p. ex.), aux urgences et chez les per-sonnes hospitalisées ; certaines interventions ont un effetdifféré, d’autres aucun effet.

Parmi les patients qui continuent de boire de façondangereuse, certains réagiront à une deuxième interven-tion, d’autres ne changeront rien, d’autres aggraveront lerisque jusqu’à changer de statut et devenir malades de l’al-cool, sous la forme d’une dépendance et/ou d’une alcoo-lopathie somatique, qui chacune nécessitera un traitementadapté. Plus le corps médical aborde systématiquement laquestion de l’alcool, plus il est probable de voir infléchir leparcours d’un patient vers une diminution du risque. Lagraduation dans les difficultés à changer son comporte-ment implique une graduation dans les réponses. Les spé-cialistes de l’alcool gardent leurs responsabilités spéci-fiques, notamment celle de répondre aux situations

L Faire le point avec chacun de ses patients sur sa consommationd’alcool au moins une fois tous les deux ans, sans tenircompte des stéréotypes, dans les moments où il est le plusnaturel de le faire (à l’occasion d’une prescription, d’un bilan,d’une anamnèse, etc.) [le grand public trouve normal de parlerd’alcool au cabinet du médecin généraliste].

L Se former au repérage précoce et à l’intervention brève.L’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie ([email protected]), en partenariat avec les organismes de formation médicale continue, peut répondreaux demandes en ce sens.

L La biologie n’est d’aucun secours pour le repérage des consommations excessives, car trop peu sensible.

L Chez les adultes, deux questionnaires sont facilementutilisables, AUDIT et FACE. Validés en français, ils disposenttous deux d’excellentes qualités psychométriques (sensibilitéet spécificité) ; AUDIT est un autoquestionnaire à remplir en salle d’attente, plus facile d’usage quand le consultant peutdéléguer sa distribution; FACE est un questionnaire à incluredans l’entretien médical, court (5 questions et une minute), et particulièrement acceptable dans la routine médicale. Ils sont disponibles auprès de l’Anpaa et de l’Inpes.

L Chez les jeunes et les seniors, une approche spécifique est souhaitable, pour tenir compte des risques particuliers ;des outils disponibles en Amérique du Nord sont en cours de validation en français. Dans l’attente, AUDIT et FACE peuventêtre utilisés.

L Une intervention brève réussie a un style relationnel (empathiqueet non jugeant) et trois composantes: information, motivation,et conseil comportemental. Sa réalisation prend 5 à 10 minutes.Elle est suivie d’un effet positif du point de vue de la réductionde la consommation en dessous des seuils de risque une foissur 10 à une fois sur 2.

P O U R L A P R AT I Q U EP O U R L A P R AT I Q U E

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décelées par les intervenants de première ligne et échap-pant à leur capacité de prise en charge, et celle de travaillerassidûment aux changements des représentations. Lesautorités sanitaires, quant à elles, doivent veiller à renfor-cer le dispositif de soins en alcoologie, car toute stratégiede repérage des consommateurs excessifs d’alcool metaussi au jour des situations de dépendance avérée.

Ce caractère systématique d’une stratégie doit prendreen compte la nécessaire correction des inégalités socialeset régionales devant la santé. Là encore, il y a lieu de pen-ser que la précocité de l’intervention individuelle et sonaccompagnement par un travail de changement desreprésentations parmi les groupes humains concernés parun excès de risque, pourraient jouer un rôle important.

CONCLUSION

Il nous paraît utile de souligner que, si la fréquence desproblèmes de santé dus à l’alcool justifie une attitude spé-cifique vis-à-vis de ce produit, la capacité acquise par lesmédecins familiarisés avec les interventions brèves surl’alcool leur sert également à aider leurs patients dans toutchangement de comportement : suivre un régime, un trai-tement chronique, reprendre une activité physique, cesserde fumer, tout cela nécessite pour le patient de s’appuyersur de l’information, des ressources propres (des motiva-tions personnelles) et des savoir-faire. Les médecinssavent le poids de certains facteurs de risque sur la morta-lité : surpoids, diabète, hypertension artérielle, hyper-cholestérolémie, sédentarité, tabac, alcool… toute amélio-

ration de ces facteurs de risque, d’ailleurs souvent regrou-pés (v. tableau),22 passe par un changement de comporte-ment et éventuellement un traitement chronique dontl’observance est problématique. Une tendance actuelle dela médecine de prévention est de réfléchir à des appro-ches moins spécifiques par produit ou problème, maisplus génériques, sur les moyens du changement.23 Nuldoute que, dans l’avenir, les aspects relationnels de lamédecine ne redeviennent un des enjeux majeurs de lasanté publique, au moins dans les pays où les besoins élé-mentaires sont satisfaits. B

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

Prévalence des facteurs de risque dans la population américaine

0

1

2

3

4

9,7

32,6

40,7

14

3

9,3-10,1

31,9-33,2

40-41,4

13,5-14,5

2,8-3,2

D’après la réf. 22. * Parmi les facteurs suivants :tabagisme ; surpoids ; sédentarité ; consommation dangereused’alcool (définie ici par plus de 14 verres par semaine). ** Âgéede plus de 18 ans.

Tableau

NOMBRE DE FACTEURSDE RISQUE*

PRÉVALENCE ESTIMÉEDANS LA POPULATION

ADULTE DES ÉTAS-UNIS (%)**

INTERVALLE DE CONFIANCE

À 95 %

SUMMARY Early detection and brief intervention to reduce excessive drinkingThe high frequency of excessive drinking among populations of western countries justifies screening strategies by primary health care givers. Theintervention following the identification of a problem drinker should be adjusted according to the nature and level of alcohol-related risk or harm. Anon-judgmental and benevolent dialogue about alcohol consumption is to be carried out with every patient, for in most cases this is enough to identifyanyone concerned by at-risk or harmful drinking and to assess any consequences and dependence levels. Standardized questionnaires have beenconceived and validated to encourage practitioners to carry out this type of interview, taking into account two contradictory needs: a systematicapproach of the screening and the need for rapidity. In the same objective, among all sorts of ”brief interventions” the efficient ones have beenadapted to target populations and to be acceptable to the clinicians’ point of view. These tools have been conceived to help excessive drinkers reducetheir alcohol consumptions, but they can be a model for a more general approach to secondary prevention, considering all risk factors, not onlyhazardous behaviour to health.

Rev Prat 2006 ; 56 : 1072-80

RÉSUMÉ Les buveurs excessifs : repérage et intervention brèveLa fréquence de la consommation excessive d’alcool dans l’ensemble de la société justifie son repérage systématique au niveau des soins primaires.L’intervention qui découle de tout acte de repérage est différente selon le niveau et la nature du risque ou du dommage déjà présent. Un dialoguebienveillant et dépourvu de tout jugement au sujet de la consommation d’alcool doit être établi avec chaque patient, car il permet dans l’immensemajorité des cas d’identifier les consommateurs excessifs, puis d’évaluer avec eux les éventuelles répercussions et le niveau de dépendance. Des questionnaires standardisés ont été conçus pour favoriser l’ouverture de ce dialogue, en tenant compte de nécessités contradictoires : caractèresystématique de la stratégie de repérage, besoin d’être économe en temps. De même, parmi toutes les variantes possibles de l’« intervention brève », il y a lieu de choisir celles qui sont à la fois efficaces (car adaptées aux populations cibles) et insérables dans les pratiques professionnelles descliniciens. Ces outils sont actuellement spécifiquement conçus pour l’identification et l’accompagnement des buveurs excessifs vers une réduction de la consommation d’alcool, mais ils peuvent servir de modèle pour une approche généralisée de la prévention secondaire de l’ensemble des facteursde risque, au-delà même des comportements de santé.

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MALADES DE L’ALCOOL L E S B U V E U R S E X C E S S I F S : R E P É R A G E E T I N T E R V E N T I O N B R È V E

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R É F É R E N C E S

www.hcsp.ensp.frSur le site du Haut Comité pour laSanté publique (HCSP), vous pouvezfaire une recherche par mot-clé : cli-quer sur « rechercher » puis dans« recherche par mots-clé » choisissez« abus alcool ». Vous pourrez alors liredifférents documents relatifs à cethème.

www.alcoweb.comLe site alcoweb répertorie lessociétés (SFA, Anpaa, HCSP,CFES, v. supra) ou associa-tions implantées en France :● Alcooliques anonymes (v.infra) ;

● Croix Bleue (tél. : 0148748522/0142853074)http://membres.lycos.fr/croixbleue ;● Croix d’or (tél. : 0147703418)http://perso.wanadoo.fr/croixdoridf/croixdoridf ;● Fédération française interprofes-sionnelle pour le traitement et la pré-vention de l’alcoolisme et autres toxi-comanies (FITPAT) [tél. : 0144790563];● Fédération nationale Joie et Santé(tél. : 0143368399) ;● Vie Libre (tél. : 0147394080)http://perso.wanadoo.fr/vie.libre

www.alcooliques-anonymes.frLe mouvement français des Alcoo-liques anonymes (AA) assure au0820 32 68 83 une permanence télé-

phonique. Il est bien connu de tous, etdepuis longtemps, pour ses méthodesde prise en charge, ses groupes deparole, etc. Depuis quelquesannées, de nouveaux groupes ontété créés pour aider l’entourage(groupe Alanon), et les enfantsadolescents (groupe Alaten) de la per-sonne dépendante à l’alcool.Sur le site Internet, vous trouverez tou-tes les informations pratiques néces-saires à vos patients, date et lieu desrencontres, coordonnées : cliquez sur« les groupes AA », tapez le numérosde votre département ou le nom devotre ville et vous saurez tout sur lesactivités des AA de votre région… il y amême des english speaking groups.

Alcool : le répertoire(suite de la p. 1 069)

ASSOCIATIONS, S ITES…

(suite, p. 1 113)

®

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1081

Les conduites alcooliques sont souvent associées à destroubles psychiatriques ; les plus fréquents sont ladépression, l’anxiété et les troubles de la personnalité.

Le repérage de ces troubles psychiatriques revêt unegrande importance pour la prise en charge des patients.L’association d’un trouble psychiatrique peut, dans cer-tains cas, modifier les modalités du traitement et aussi l’évolution de la conduite de dépendance. Elle imposeune prise en charge intégrée et simultanée des patholo-gies psychiatriques et de la dépendance à l’alcool.

Les conduites alcooliques sont aussi présentes chez lespatients ayant une schizophrénie ou un délire chronique.Le comportement d’alcoolisation a pu être décrit commeune recherche d’un «réchauffement émotionnel» chez lespatients ayant un sentiment douloureux de « décon-nexion» avec leur environnement. Dans d’autres cas, letrouble psychotique apparaît secondaire aux conduitesalcooliques. Il s’agit alors de « psychoses alcooliques »comportant une importante note hallucinatoire.

1081

Alcool et comorbiditépsychiatrique

Anxiété, dépression et troubles de la personnalité sont fréquemmentassociés à l’alcoolo-dépendance. Dépression et anxiété sont le plussouvent secondaires, d’où l’inefficacité des antidépresseurs ou des benzodiazépines au long cours si l’alcoolisation persiste. Plus rarement, l’alcoolisation est secondaire à une dépression chez la femme, à un accès maniaque ou encore à une phobie sociale.

m o n o g r a p h i e

Michel Lejoyeux, Matei Marinescu *

* Service de psychiatrie, hôpital Bichat-Claude Bernard, 75018 Paris. Courriel : [email protected] ; [email protected]

L Les études pharmacologiques récentes ont confirmé l’inefficacitédes antidépresseurs en tant que traitement de l’envie de boireaprès sevrage. Les antidépresseurs ont également fait la preuvede leur inefficacité chez les patients continuant à s’alcooliser.

L L’effet anxiolytique et désinhibiteur de l’alcool chez les phobiquessociaux tient davantage de l’effet placebo (suggestion et attentesdu patient) que d’un effet objectif. En pratique, les phobiquesconsommant de l’alcool voient leurs symptômes anxieuxs’aggraver.

L Les dimensions de personnalité exposant le plus régulièrementaux conduites alcooliques sont l’impulsivité, la désinhibition,l’intolérance à l’ennui. Ces dimensions de personnalitéapparaissent d’autant plus déterminantes qu’elles se retrouventchez l’homme et chez les patients ayant un niveau élevé derésistance à l’alcool.

C E Q U I E S T N O U V E A U

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TROUBLES PSYCHIATRIQUES PRIMAIRES OU SECONDAIRES ?

De nombreuses approches psychanalytiques ou psycho-pathologiques «classiques» ont envisagé l’alcoolo-dépen-dance comme l’autotraitement d’un état anxieux ou d’unetension existentielle. L’alcool a pu être considéré commeun mode de réduction des tensions, un moyen de luttecontre un sentiment de dépression, une sorte d’«euphori-sant sauvage» auquel auraient recours les patients dépen-dants. Les travaux épidémiologiques récents ne confor-tent pas l’hypothèse selon laquelle les conduitesalcooliques seraient le plus souvent secondaires à un étatanxieux ou dépressif. Les études prospectives1 remettenten question la notion d’alcoolisme secondaire. Elles sug-gèrent : – que les symptômes psychiatriques isolés (symptômesd’anxiété ou de dépression) sont plus fréquents chez lesalcooliques que les troubles psychiatriques caractérisés.Ces symptômes psychiatriques sont davantage des indicesd’une alcoolisation pathologique que des signes d’untrouble psychiatrique « primaire » qu’il faudrait traiterpour «éradiquer» la cause de l’alcoolisme ;– les troubles psychiatriques, même caractérisés, dispa-raissent dans 90% des cas après un mois de sevrage d’al-cool complet et effectif. Cette observation a été démon-trée pour la dépression ainsi que pour la plupart destroubles anxieux.

La classification américaine du DSM (Diagnostic andstatistical manual of mental disorders) a individualisé parmiles troubles psychiatriques secondaires à la dépendancealcoolique2 les troubles de l’humeur et les troublesanxieux induits par l’alcool. Il s’agit d’états anxieux ou

dépressifs apparaissant comme des conséquences directesde la consommation pathologique d’alcool (tableau 1).

Un travail nord-américain récent conduit en popula-tion générale auprès de 43000 sujets âgés de 18 à 29 ansmontre que la dépendance à l’alcool multiplie par 2,4 lerisque de dépression ou d’anxiété (tableau 2).3

Un autre travail de Kandel et al.4 a lui aussi confirmé,dans une population nord-américaine, l’augmentation durisque d’anxiété et de dépression associé à la dépendancealcoolique.

ALCOOLISME ET DÉPRESSION

Les principaux symptômes de la dépression sont le décou-ragement, la tristesse et la perte de l’élan vital ou désintérêt.Les symptômes de dépression sont fréquents chez lesalcooliques, notamment avant le sevrage. Schuckit et al.5ont montré que 80 % des alcooliques ont des symptômesde dépression. Un tiers des patients ont l’ensemble des cri-tères de la dépression majeure (tristesse, désintérêt, ralen-tissement, troubles du sommeil, de l’appétit).

Les états dépressifs associés aux conduites alcooliquescomportent un risque de suicide particulièrement élevé.6Une étude menée à San Diego, à partir de 283 cas de sui-cide, avait retrouvé 58 % d’alcooliques et de toxicomanes.7L’alcoolisme était dans plus d’un tiers des cas le diagnosticprincipal établi de manière rétrospective. Les patientsalcooliques et déprimés sont donc exposés à un risquemajeur de tentative de suicide et aussi de mort par suicide.Leurs gestes suicidaires, quand ils surviennent, sont sou-vent impulsifs. Ils surprennent le patient lui-même commeson entourage. Ce risque suicidaire est un argumentmajeur pour repérer et traiter les dépressions associées àl’alcoolisme. Le principal traitement de la dépression chezl’alcoolique est l’interruption de la consommation d’alcool.Dans la majorité des cas, les améliorations cliniquescomme les rechutes sont globales. Elles concernent lesdeux troubles, dépressif et alcoolique.

La fréquence de la dépression varie selon le momentauquel consulte le patient. Chez un patient alcooliqueconsultant pour une aide ou une demande de sevrage, des

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MALADES DE L’ALCOOL C O M O R B I D I T É S P S YC H I AT R I Q U E S

D’après le DSM IV, réf. 2Tableau 1

UNE PERTURBATION DE L’HUMEUR EST AU PREMIER PLAN

ET PERSISTANTE

Elle est caractérisée par un ou deux des critères suivants :

� humeur dépressive ou diminution marquée de l’intérêt ou du plaisirpour toutes ou presque toutes les activités

� la perturbation de l’humeur est étiologiquement liée à la prised’alcool

� les symptômes ne surviennent pas uniquement au décours d’un delirium

� les symptômes entraînent une souffrance cliniquement significativeou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dansd’autres domaines importants

Risque relatif de trouble psychiatrique chez les sujets alcoolo-dépendants

comparés aux témoins.

D’après la réf. 3.Tableau 2

❚ Anxiété et dépression 3,2

❚ Dépression majeure 1,7

❚ Dépression chronique (dysthymie) 4,4

❚ Attaque de panique et agoraphobie 0,9

Critères diagnostiques des troubles de l’humeur induits par une consommation

pathologique d’alcool

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symptômes dépressifs sont retrouvés dans 80% des cas.Un tiers des patients dépendants de l’alcool consultantleur médecin généraliste ont l’ensemble des critères de ladépression majeure. Cette dépression apparaît alorscomme une conséquence directe de la conduite alcoo-lique. En pratique quotidienne, les patients dépendantsde l’alcool proposent une explication inverse. Ils mettenten avant leur cafard, leur tristesse ou leur découragementpour justifier ou expliquer leur excès d’alcool. Ils présen-tent au généraliste ou au spécialiste leurs alcoolisationscomme un « autotraitement » de leur dépression. Lesalcoolismes secondaires à la dépression sont exception-nels (environ 1 cas sur 10) chez l’homme.1 Ces formessont plus fréquentes chez la femme, habituellement ensituation d’isolement social et affectif.

La dépression induite par le sevrage d’alcool est elleaussi une entité clinique rare. Le sevrage, rappelons-le,produit plutôt une amélioration de l’humeur qu’uneaggravation. Quand elles surviennent, les dépressions desevrage peuvent réaliser des états dépressifs typiques.Elles peuvent aussi correspondre à des tableaux de tris-tesse et d’inhibition moins spécifiques marqués par destroubles du caractère, un désintérêt, une insomnie et unamaigrissement (tableaux 3 et 4).

ALCOOLISME ET TROUBLES BIPOLAIRES

Les troubles bipolaires induisent plus souvent des alcoo-lismes secondaires que la dépression. Chez les patientsayant un trouble bipolaire, le trouble de l’humeur apparaîtplus tôt et les états mixtes sont plus fréquents.8 La prised’alcool est provoquée par la désinhibition de l’accèsmaniaque ou par l’irritabilité et l’impulsivité des états mix-tes (coexistence chez un même patient de symptômesdépressifs et maniaques). Deux tiers des patients maniaco-dépressifs ont tendance à augmenter leur consommationd’alcool pendant les périodes maniaques. Ils sont désinhi-bés. Ils sont logorrhéiques, excités et euphoriques. Toutesleurs envies sont augmentées, y compris celle de consom-mer de l’alcool. Seulement 20 à 30 % des patients bipolai-res en phase de dépression augmentent leur consomma-tion d’alcool. Les consommations d’alcool des patientsmaniaques sont le fait de prises massives d’alcool fort oude diverses autres boissons alcoolisées. Elles sont entre-coupées de périodes d’abstinence plus ou moins durables.Les patients, en état maniaque, recherchent le danger, l’aventure et les expériences nouvelles. Ils prennent de l’alcool dans une attente de «défonce» ou de «voyage àl’alcool ». Ils recherchent l’ivresse, l’anéantissement, laperte de conscience. L’alcool augmente encore chez eux lerisque de passage à l’acte agressif ou de comportementinadapté (conduites sexuelles à risque et inadaptées). Lestroubles bipolaires de l’humeur à cycle rapide induisentmoins souvent des alcoolismes que des troubles de l’hu-meur dont les accès sont plus espacés.

ALCOOLISME ET ANXIÉTÉ

Les classifications récentes de l’anxiété distinguent lesattaques de panique (crises d’angoisse aiguë isolée), letrouble panique (répétition de crises d’angoisse aiguës),la phobie sociale (forme pathologique de la timidité avecpeur du regard de l’autre, peur de parler en public) et l’an-xiété généralisée. Ce dernier trouble correspond à un étatpersistant de tension flottante avec pessimisme, inquié-tude et sentiment de vivre en permanence sur le qui-vive.La plupart des symptômes de l’anxiété peuvent êtreconfondus avec des symptômes de sevrage. L’anxiété desevrage peut être le principal symptôme éprouvé par lespatients lors de l’interruption de l’alcool. Il s’agit d’uneangoisse survenant plus fréquemment le matin, aprèsl’abstinence de la nuit ou encore après de courtes pério-

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Différences entre un trouble psychiatriqueprimaire et un trouble

induit par l’alcoolo-dépendance

❚Trouble psychiatrique primaire

❚ Symptômes apparus avant le début de la prise d’alcool❚ Symptômes persistants à distance du sevrage❚ Antécédents de dépression majeure ayant nécessité un traitement

antidépresseur❚ Les symptômes ne sont pas seulement la conséquence du sevrage

ou du delirium

❚ Trouble psychiatrique induit par la conduite alcoolique

❚ Dépression ou anxiété apparue pendant le mois ayant suivi une intoxication alcoolique ou un sevrage.

❚ Le trouble psychiatrique est « étiologiquement » lié à la dépendanceou au sevrage.

Tableau 3

Alcoolisme et dépression en pratique

❚En cas de dépression associée à une dépendance alcoolique, un délaide sevrage de deux semaines doit être respecté avant d’introduire un antidépresseur

❚ Le délai est raccourci en cas de dépression sévère, de type mélancolique,ou de dépression avec risque suicidaire

❚ Les tableaux cliniques associant alcoolisme et dépression comportantun risque suicidaire net (idées de suicide formulées par le patient, antécédents de tentative de suicide) sont une indication d’hospitalisation

❚ L’hospitalisation, en cas d’association alcoolisme + dépression, est réalisée de préférence dans un service de psychiatrie

Tableau 4

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des de sevrage. Cet état anxieux marqué par une tension,une appréhension et une sensation de malaise, est spécifi-quement calmé par la prise d’alcool. L’effet de l’alcool nedure pas. Les symptômes anxieux réapparaissent le matinsuivant ou après une autre période de sevrage. L’anxiétéde sevrage réalise ainsi une obligation de consommationrégulière d’alcool.

Les autres symptômes de sevrage qui peuvent être pré-sents, associés à l’anxiété sont : les symptômes neuro-musculaires (tremblement des mains et de la langue,crampes, paresthésies), les symptômes digestifs (nausées,vomissements), les symptômes neurovégétatifs (sueur,tachycardie, hypotension orthostatique), les troubles dusommeil à type d’insomnie ou de cauchemar. L’irritabilité,les tremblements, l’instabilité, les troubles du caractèresont présents lors des crises de panique, chez les pho-biques confrontés à une situation qui leur fait peur et chezles patients en manque d’alcool.

Un travail nord-américain a montré que les alcooliquesayant un trouble anxieux associé ne sont pas capables dedistinguer les symptômes d’anxiété et les symptômes desevrage.9 Seuls les tremblements majeurs leur apparais-sent plus spécifiques du sevrage. Comme pour la dépres-sion, les travaux épidémiologiques récents soulignentaussi que l’anxiété est plus souvent secondaire à laconduite de dépendance que primaire. Les classifications

internationales récentes ont pris en compte la fréquencedes troubles anxieux induits par les conduites alcoo-liques. Elles ont introduit une nouvelle catégorie diagnos-tique de trouble anxieux induit par une substance. Il s’agitd’états d’angoisse apparus dans les périodes de dépen-dance ou de sevrage ou dans le mois suivant le sevrage.

Une étude épidémiologique nord-américaine a étéconduite en population générale (étude COGA).5 Elle amontré que 9,4% des alcooliques ont un trouble anxieux.En population générale, la prévalence de l’anxiété n’estque de 3,7%. Selon cette étude, la fréquence du troublepanique est de 4,2% chez les alcooliques et de 1% dans lereste de la population ; 3,2% des alcooliques ont une pho-bie sociale, contre 1,2% en population générale.

Particularités de l’association entre phobiesociale et alcoolisme

Les alcoolismes associés à une phobie sociale sont sou-vent des alcoolismes secondaires. Les patients phobiquesutilisent alors les effets apaisants de l’alcool. Ils se serventde l’alcool comme d’une molécule désinhibitrice et stimu-lante. Cet effet facilite chez eux l’exposition aux situationsqui leur font peur. Il peut leur arriver, par exemple, deconsommer de l’alcool avant une représentation ou avantde prendre la parole en public. Ils considèrent l’alcoolcomme un traitement de leur « trac» ou de leur timidité.En pratique, les effets de l’alcool sur l’anxiété sociale sonttransitoires. À l’apaisement initial fait souvent suite unrebond d’angoisse. À moyen terme, l’alcool aggrave laphobie. Les périodes de plus forte consommation d’alcools’accompagnent d’une exacerbation des symptômes pho-biques. Selon Thomas et al.,10 les alcoolismes associés àune phobie sociale sont les formes les plus sévères dedépendance. Les patients n’osent pas interrompre unemolécule qui leur apparaît comme protectrice. Ils ont desscores de dépendance physique et psychique élevés. Ilsconsomment plus souvent de l’alcool pour améliorer leurfonctionnement social.

Traitement de l’alcoolisme chez les anxieux

Il fait appel avant tout au sevrage. En cas d’anxiété pani-que, un traitement par benzodiazépines peut être prescritde manière très ponctuelle. Celui-ci ne devra cependantpas être poursuivi à long terme. Le risque est alors de voirles patients passer de la dépendance à l’alcool à unedépendance aux benzodiazépines. En cas de phobiesociale, le principal traitement est d’ordre psychothéra-pique. Il privilégie les méthodes cognitivo-comportemen-tales. Le patient apprend progressivement à affronter lessituations qui lui font peur, tout en bénéficiant de tech-niques de relaxation et de détente. Seule cette prise encharge du trouble phobique évite au patient devenudépendant de recourir régulièrement à l’alcool pouraffronter les situations qui l’angoissent.

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MALADES DE L’ALCOOL C O M O R B I D I T É S P S YC H I AT R I Q U E S

L L’anxiété et la dépression sont fréquentes chez les alcooliques.

L En cas de dépression associée à l’alcoolisme, le traitement le plus efficace est le sevrage.

L Les accès maniaques provoquent des conduites alcooliquesplus souvent que les dépressions.

L L’alcoolisme secondaire à la dépression chez la femme est une entité clinique particulière méritant un traitementsimultané de la dépression et de la conduite addictive.

L Les antidépresseurs ne sont introduits qu’après deuxsemaines au minimum de sevrage. Il n’est pas utile deprescrire des antidépresseurs à un patient qui s’alcoolise.

L Les attaques de panique peuvent être des symptômes desevrage ou des conséquences de l’alcoolo-dépendance.

L Le traitement ponctuel de l’attaque de panique fait appel auxbenzodiazépines. Le traitement à long terme impose unsevrage complet d’alcool. Si les crises de panique persistent,une prise en charge chimio- et psychothérapique estproposée. La chimiothérapie implique les antidépresseurssérotoninergiques. Il n’est pas utile de prescrire desbenzodiazépines à long terme chez les alcooliques.

P O U R L A P R AT I Q U EP O U R L A P R AT I Q U E

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Le traitement à long terme du trouble panique peutaussi faire appel aux antidépresseurs sérotoninergiques(p. ex. : fluoxétine [Prozac] 20 mg/j ; paroxétine [Déroxat]20 mg/j) dans le cas où les attaques de panique persiste-raient en dépit du maintien effectif du sevrage d’alcool.

ALCOOLISME ET TROUBLE DE LA PERSONNALITÉ

Les troubles de la personnalité chez l’alcoolique11sont destraits de caractère précédant la dépendance. Ils peuventêtre aussi des conséquences de la consommation d’alcool.Les descriptions de la «personnalité pré-alcoolique» sou-lignent l’importance de la «faiblesse du Moi», des tendan-ces dépressives et de l’immaturité chez les alcooliques.Leur personnalité se traduit par une incapacité d’indépen-dance. Ils recherchent la dépendance conjugale, profes-sionnelle ou affective, de même que la dépendance à untoxique. Les conséquences négatives sur la famille, lasociété et le métier sont subies et parfois même recher-chées. La personnalité pré-addictive expose donc à unesorte de déchéance sociale programmée.

Une autre dimension de personnalité impliquée dansl’alcoolisme est le niveau élevé de recherche de sensa-tions. Les caractéristiques de la recherche de sensationssont le goût pour le danger et l’aventure, la recherched’expériences et la désinhibition. Les alcooliques consom-ment de l’alcool dans une recherche d’excitation, devariété et d’expériences diverses.

Une dernière dimension de la recherche de sensationest l’intolérance à l’ennui. Pour fuir la monotonie et l’en-nui, certains patients sont ainsi tentés par une consomma-tion addictive d’alcool. Le repérage de ces caractéristiquesde personnalité chez des patients commençant à consom-mer régulièrement de l’alcool peut, en pratique, inciter àse montrer vigilant et à proposer de manière précoce unsevrage aussi complet que possible.

CONCLUSION

Les troubles psychiatriques les plus fréquemment asso-ciés à l’alcoolo-dépendance sont l’anxiété, la dépression etles troubles de la personnalité. Le plus souvent, les trou-bles anxieux et dépressifs sont secondaires à l’alcoolisme.Quelques exceptions notables méritent d’être signalées. Ils’agit des alcoolismes secondaires à une dépression chezla femme, à un accès maniaque chez les patients ayant untrouble bipolaire. B

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R É F É R E N C E S

Les auteurs n’ont pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.

SUMMARY Alcool et comorbidité psychiatriqueL’alcoolo-dépendance augmente le risque de trouble psychiatriqueassocié. Les pathologies les plus fréquentes sont la dépression,l’anxiété et les troubles de la personnalité. Les dépressions sont le plus souvent secondaires à la dépendance alcoolique. Elless’accompagnent d’un risque élevé de conduites suicidaires. Le traitement le plus adapté en cas d’association entre alcoolismeet dépression est le sevrage d’alcool. Un traitement antidépresseurn’est prescrit qu’après deux semaines au minimum de sevragecomplet. En cas d’association entre anxiété et alcoolisme, un sevrage est également proposé. Certaines formes d’anxiétécomme la phobie sociale apparaissent particulièrement souventassociées à l’alcoolisme, l’alcool étant utilisé pour ses propriétésanxiolytiques et désinhibitrices.

Rev Prat 2006 ; 56 : 1081-5

RÉSUMÉ Alcohol dependence and abuse andpsychiatric disordersAlcohol dependence increases the risk of associated psychiatricdisorders. The most common disorders are depression, anxiety andpersonality disorders. Depression is usually secondary to alcoholdependence. It is often associated with an increased risk of suicidalbehavior. The best suited treatment for an association betweenalcohol dependence and depression is alcohol withdrawal.Antidepressant treatment should only be initiated after at leasttwo weeks of complete withdrawal. Alcohol withdrawal is alsosuggested for the association between anxiety and alcoholism.Some forms of anxiety, such as social phobia, are particularly often associated with alcoholism, since alcohol is often used for its anxiolytic and disinhibition effects.

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 61088

Quoi de plus naturel que d’inciter nos patients à boiremoins, à renoncer au tabac et à bouger plus? Sponta-nément, les cliniciens donnent des conseils à leurs

patients et sont souvent frustrés de constater que ceux-làne sont pas efficaces. Donner des conseils semble formerla base de la plupart des discussions à propos de change-ments de comportements. La logique de cette approchesemble reposer sur le fait que nos patients manquent d’in-formations, lesquelles, une fois fournies, devraient suffireà produire un changement. Cette méthode repose essen-tiellement sur une relation médecin-patient relativementpaternaliste ; dans ce cadre, le praticien essaie de persua-der le patient de la sagesse de considérer un changementde style de vie.

Si cette méthode est efficace pour certains, elle sembleinefficace pour la plupart des patients, son taux de succèsétant limité à 5 à 10 %.1 Un autre problème réside dans lefait que donner des conseils peut produire des effets néga-tifs. Il est courant de constater que des conseils donnés à unpatient qui ne les a pas sollicités génèrent de la résistance.Cette résistance s’exprime, par exemple, dans des dialo-gues caractérisés par des réponses de type « oui, mais… » de

la part du patient. Dans leurs efforts pour changer le com-portement de leurs patients, les praticiens ont tendance àinsister sur les bénéfices du changement tout en sous-éva-luant les coûts. De leur côté, les patients sont très attentifs àl’implication personnelle nécessaire au changement. Ils semontrent très concernés par les conséquences immédiatesd’un changement de comportement et attribuent peut-êtremoins d’importance à des bénéfices futurs.

Comment conseiller nos patients à propos de leurshabitudes de vie et, plus particulièrement, comment moti-ver un patient ayant un problème d’alcool pour qu’il arrêtede boire? Au cours des 20 dernières années, de nombreuxdéveloppements dans la recherche sur le traitement de ladépendance à l’alcool ont eu cours, impliquant un change-ment important dans la compréhension du principe de lanégociation du changement de comportement.

AMBIVALENCE

Le concept de l’ambivalence s’est révélé décisif dans lanégociation autour du changement de comportementd’un patient alcoolique. Dans le contexte de la dépen-

Comment motiver un patientpour qu’il arrête de boire?

L’entretien motivationnel s’est développpé à partir de la notionsimple que la manière de parler d’alcool à un patient a une influencemarquée sur sa volonté de parler librement des raisons et des moyensnécessaires pour modifier sa consommation. L’entretien motivationnelreprésente un style relationnel et un ensemble de techniques qui aident le médecin à faire progresser son patient vers un changementde comportement vis-à-vis de l’alcool.

m o n o g r a p h i e

Jean-Bernard Daeppen, Didier Berdoz*

* Centre de traitement en alcoologie, Mont-Paisible 16, CHUV 1011 Lausanne, Suisse. Courriel : [email protected]

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1089

dance, l’ambivalence ne signifie pas la résistance à fairequelque chose, mais plutôt l’expérience d’un conflitpsychologique à propos du choix entre deux options pos-sibles. Dans le cas de la dépendance à l’alcool, le conflitapparaît entre les effets positifs et les effets négatifs de l’al-cool, ou encore entre les avantages et les inconvénientsd’arrêter de boire. L’ambivalence à propos d’un change-ment de comportement est difficile à résoudre, parce quechaque option du conflit a ses coûts et ses bénéfices.

Les réponses de type « oui, mais… » du patient quireçoit un conseil ont été explorées de manière détaillée.L’hypothèse est apparue que, chez un patient se sentantambivalent à propos d’un changement de comportement,un effort de persuasion de la part d’un soignant peutgénérer de la résistance. En d’autres termes, si le praticienargumente en faveur des bénéfices d’un changement eninsistant sur les conséquences de la poursuite d’un com-portement nuisible pour la santé, le patient prend partinaturellement pour l’autre face de son ambivalence. Ilrépond « oui, mais… » et argue des difficultés du change-ment de comportement et des pertes que cela peut engen-drer. Ce type d’observation indique que le style du prati-cien influence notablement la capacité du patient à parlerlibrement de son comportement. La motivation d’unpatient au changement peut être influencée favorable-ment en utilisant une méthode de négociation pourlaquelle le patient, et non le praticien, explore les coûts etles bénéfices d’un changement de comportement.2

STADES DE PRÉPARATION AU CHANGEMENT

Un autre concept central dans la recherche sur le traite-ment de la dépendance à l’alcool est celui des stades depréparation au changement. Il décrit une variété d’étatsmotivationnels rencontrés parmi les patients dépendants,partant de ceux qui ne sont pas du tout intéressés auchangement (« précontemplation »), en passant par ceux

chez qui l’indécision domine (« contemplation »), jusqu’àceux qui se préparent au changement (« préparation »).Deux stades ultérieurs indiquent l’état des patients quiont entamé le changement (« action ») puis ceux qui lemaintiennent (« maintenance ») [fig. 1].

Seuls 20 à 30 % des individus qui ont des problèmesd’alcool se trouvent aux stades de l’action, alors que lamajorité sont aux stades de la précontemplation et de lacontemplation.3

Le concept des stades de préparation au changementest important dans la négociation d’un changement decomportement pour au moins trois raisons.– Le concept aide à expliquer pourquoi des conseils sim-ples ont une efficacité limitée. Si les patients ne sont pasprêts pour l’action (p. ex. au stade de contemplation), ilsrésistent au conseil parce que le praticien les devance entermes de stade de préparation en assumant qu’ils sontprêts ou qu’ils devraient l’être. On comprend ainsi que larésistance au changement, souvent qualifiée de déni chezles alcooliques, est plutôt le produit de l’interaction dedeux personnes qu’une caractéristique propre au patient.C’est comme si la résistance était le signe d’une diver-gence entre l’agenda de changement du patient et celuidu thérapeute, ce dernier ayant tendance à imposer unrythme que le patient n’est pas prêt ou ne se sent pas capa-ble de suivre.– Le concept de stade de préparation souligne le fait quela décision d’un changement de comportement est unprocessus et non pas un événement ponctuel. Ce proces-sus est constitué d’un mouvement qui, alternativement,rapproche et éloigne du changement de comportement.Ainsi, ce dernier n’est pas nécessairement le seul but utileà poursuivre dans une consultation, la préparation auchangement pouvant être prioritaire parfois durant delongues périodes avant qu’il intervienne.

Stades de préparation au changement.Figure 1

Sortie permanente Précontemplation

Rechute

Maintenance

Contemplation

Action

Décision

L La majorité des patients dépendants de l’alcool vus dans les cabinets médicaux ne sont pas prêts à arrêter de boire.

L Le concept de stades de préparation au changement estessentiel pour la négociation d’un changement de comportement au cabinet médical.

L Le praticien a un rôle déterminant pour permettre au patientdépendant de l’alcool de progresser dans les stades de préparation au changement.

L La motivation au changement augmente lorsque c’est le patient,et non le praticien, qui explore les coûts et les bénéfices de l’arrêt de l’alcool.

L Le déni reflète une divergence entre l’agenda du changementdu patient et celui du praticien, ce dernier ayant tendance à imposer un rythme que le patient n’est pas prêt ou ne se sentpas capable de suivre.

C E Q U I E S T N O U V E A U

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MALADES DE L’ALCOOL C O M M E N T M O T I V E R U N PAT I E N T P O U R Q U ’ I L A R R Ê T E D E B O I R E ?

– Le concept de stade de préparation suggère que l’inter-vention thérapeutique doit être adaptée au degré de pré-paration au changement de chaque patient. Cela permetd’assurer une meilleure correspondance entre l’agendadu praticien et celui du patient, minimisant l’émergencede la résistance et améliorant notablement l’efficacité desinterventions.

Le concept de préparation au changement peut être lié àcelui d’ambivalence dans un sens clinique utile. Puisque tantde patients sont au stade de la contemplation, les progrès quivont les mener au stade de la préparation dépendent del’aide que le thérapeute peut apporter à la résolution de cetteambivalence. C’est à ce défi majeur que l’entretien motiva-tionnel répond (www.motivationalinterview.org).4

COMMENT S’Y PRENDRE ?

L’entretien motivationnel s’appuie sur les principes suivants:– potentialiser l’opportunité qui se présente en consulta-tion d’établir le lien entre un problème de santé et le com-portement qui y a contribué;– éviter de dévaloriser le patient en lui « faisant lamorale » ;– éviter de mettre en place des buts impossibles à attein-dre qui, inévitablement, aboutissent à un sentiment d’échec et de frustration lors de la prochaine consultation;– maximaliser la motivation intrinsèque et valoriser lesidées et ressources du patient pour changer de comporte-ment (même si le praticien pense que le patient n’y par-viendra pas).

Les objectifs de changement de comportement varienten fonction de l’importance que le patient attribue auchangement et à sa confiance de le réaliser.

Un moyen d’adapter l’intervention au stade de prépara-tion au changement consiste, pour le patient qui se trouveau stade de la précontemplation, à explorer les avantageset les inconvénients de l’alcool ; pour celui qui est au stadede la contemplation, à peser le pour et le contre d’unchangement de comportement ; alors que les patientsprêts au changement sont orientés vers une discussion surla manière de procéder.

Entrée en matière.– Praticien: « Oui, je constate que votre valeur de GGT est ànouveau au-dessus de la normale. Je me ferais une imageplus précise de votre santé si nous pouvions passer quelques

minutes à parler de votre consommation d’alcool. Je ne veuxcertainement pas vous faire la morale, mon but aujourd’huiest plutôt de comprendre un peu plus votre point de vue surl’alcool. Est-ce que vous seriez d’accord pour que nous abor-dions cette question quelques minutes? »

Le patient répond brièvement de manière positive.– Praticien: « Je vais vous poser deux questions qui vontm’aider à mieux comprendre les choses et je vais vousdemander de répondre sur une échelle. Premièrement :quelle importance attribuez-vous aujourd’hui à modifiervotre consommation d’alcool ? Si 1 = « aucune impor-tance » et 10 = « très important », quel chiffre donnez-vous maintenant? » (fig. 2)

Le patient réfléchit pendant un moment et donne un nombre. – Praticien: « Très bien. Maintenant je vais vous demanderla même chose mais à propos de la confiance que vousaccordez à votre capacité de modifier votre consomma-tion d’alcool. Si vous décidez de diminuer ou d’arrêter etque 1 = « absolument pas confiant » et 10 = « trèsconfiant », quel nombre donneriez-vous maintenant? »

Si l’importance est basse, les questions suivantes sont utiles.– Praticien: « Vous vous êtes donné un 3 pour l’importancede réduire votre consommation d’alcool. Pourquoi pas 1? »

Vont apparaître à ce moment-là les énoncés motivationnels.– Praticien: « Qu’est-ce qui devrait arriver pour que vousprogressiez de 3 à 6 ou 7? »

S’il y a le même problème concernant la confiance, ce mêmetype de questions peuvent être posées sur la confiance (fig. 2).

Autre question utile.– Praticien : « Qu’est-ce que je pourrais faire pour vousaider à évoluer de 3 à 6 ou 7? »

Lorsque l’importance est basse, le patient se sent généralementambivalent. À ce moment-là, questionner à propos des « pour » etdes « contre » de la consommation permet de préciser certainsaspects de son ambivalence. Partant du principe que le patientlui-même doit faire sa propre évaluation, le praticien l’invite àénoncer tout ce qu’il aime et ce qu’il aime moins à propos du com-portement en question. Après que le patient a listé les aspects posi-tifs, sans l’interrompre ou interpréter ses réponses, le praticiendemande quels sont les aspects négatifs. Ensuite, le praticien peuttenter de résumer tant les aspects positifs que les aspects négatifs enrestant le plus proche possible des mots que le patient a utilisés, enlui demandant comment il se sent face à ce résumé.– Praticien : « Dites-moi ce que vous aimez à propos del’alcool? »

Évaluation de l’importance donnée par le patient à sa consommation d’alcool.Figure 2

Aucune importance/confiance faible Importance/confiance très élevée

Précontemplation Contemplation Décision Préparation Action

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1091

– Patient : « Ah, vous voulez vraiment savoir ce que j’aimeà propos de l’alcool? Le vin m’aide à me relaxer, je l’appré-cie. J’ai une vie très stressante, j’aime aussi boire en pré-sence d’amis. »– Praticien : « Bien. Dites-moi maintenant ce que vousaimez moins à propos de l’alcool »– Patient : « Il arrive que ma femme me fasse des repro-ches à propos de ma consommation, d’avoir mal à la tête lelendemain, d’être un peu inquiet à propos de ma santé. »– Praticien : « D’accord. D’un côté, l’alcool réduit votrestress, il vous permet de vous détendre et joue un rôledans vos relations sociales. D’un autre côté, il peut arriverque votre épouse vous fasse des reproches et que vousvous fassiez du souci à propos de votre santé. »

Face à un patient résistant (déni).Une façon de faire face à la résistance du patient consiste

simplement à répéter ou reformuler ce qu’il a dit. Cela l’informe,d’une part que vous l’avez entendu, et d’autre part que vousn’avez pas l’intention d’argumenter avec lui.– Patient : « Je ne peux pas arrêter de consommer, tousmes amis boivent ! »– Praticien: « Arrêter de consommer vous semble presqueimpossible parce que vous êtes la plupart du temps avecdes amis qui boivent. »– Patient : « Oui, c’est ça mais je pourrais peut-être y arri-ver en… »

Une autre manière de faire consiste à amplifier ou à exagé-rer les propos du patient au point qu’il va relativiser de lui-même sa propre argumentation.– Patient : « Je ne peux pas arrêter de consommer, tousmes amis boivent ! »– Praticien : « Ah oui, je vois, vous ne pourriez vraimentpas arrêter parce qu’à ce moment-là vous seriez différentdes autres. »– Patient : « Oui, ça me rendrait différent d’eux, quoiqueça ne leur ferait pas grand-chose du moment que je leurfiche la paix avec leur consommation. »

Ou encore de refléter à la fois les résistances et les élémentsmotivationnels pour une même perspective de changement.– Patient : « Je ne peux pas arrêter de consommer, tousmes amis boivent ! »– Praticien : « Vous ne voyez pas comment vous feriezpour ne pas boire en présence de vos amis et, en mêmetemps, vous êtes inquiet en constatant les problèmes liés àvotre consommation. »– Patient : « Oui, je ne sais pas trop quoi faire. »

Une autre façon de diminuer la résistance consiste simple-ment à changer de sujet. Il est souvent inutile de vouloir dépas-ser la résistance et, paradoxalement, on avance davantage enn’y répondant tout simplement pas.– Patient : « Je ne peux pas arrêter de consommer, tousmes amis boivent ! »– Praticien : « Vous allez beaucoup trop loin. Je ne suis pas entrain de vous parler d’arrêter de boire et je ne crois pas que cesoit vraiment votre objectif en ce moment. Restons-en à évo-

quer ensemble ce que signifie pour vous votre consomma-tion, les choses bonnes et moins bonnes qu’elle vous apporte,et plus tard nous verrons ce que vous comptez faire. »

Le patient est responsable des choix et des actions qu’il entre-prend et l’intervenant le soutient dans ses efforts. Soutenir lesentiment d’efficacité personnelle, c’est affirmer au patient qu’ila la capacité de changer, élément motivationnel important pourle succès d’un changement. Il n’existe pas de « bonne » ni de« mauvaise » façon de procéder pour changer ; c’est la créativitépropre à chaque personne qui est en jeu. Une méthode efficacepour soutenir le patient dans sa capacité d’arrêter de boireconsiste à s’enquérir des changements constructifs antérieursqu’il est parvenu à réaliser. Le partage des expériences anté-rieures réussies aide à démontrer que le changement est possible.– Patient : « Je suis incapable d’arrêter de boire. »– Praticien: « Vous avez pourtant déjà arrêté de boire plu-sieurs mois… »

L’intervenant encourage le patient à trouver ses propressolutions aux problèmes évoqués, notamment en l’amenant àexplorer les contradictions entre ce qu’il est et ce qu’il aimeraitêtre. Le travail motivationnel consiste à révéler ces contradic-tions et à être le partenaire extérieur du dialogue intérieur quecette contradiction génère.– Thérapeute: « Donc, d’un côté vous ne voyez pas pour-quoi vous vous arrêteriez de consommer alors que votrepatron vous exploite sans tenir ses promesses d’augmen-tation de salaire, et d’un autre côté ça vous travaille beau-coup que votre fils de 10 ans vous ait traité d’ivrogne. »– Patient : « Ça m’a fait mal, car je ne veux pas que mon filssouffre de mon problème. »– Thérapeute: « Cela semble très important pour vous. »– Patient : « Bien sûr, c’est très important pour moi. »

CONCLUSION

En qualité de médecin, nous sommes quotidiennementconfrontés à des patients qui ne sont pas des partenairesidéaux de la promotion de leur santé: ils fument, boivent,mangent trop et ne prennent pas toujours leurs médica-ments… Chacun développe son style dans la manière deconseiller les patients avec des résultats souvent frus-

L Aborder le sujet sans confrontation, marquant chez le praticien son souhait de comprendre la situation du patientet respecter ses décisions, même si ces dernières vont à l’encontre du bon sens médical.

L Explorer l’importance pour le patient de l’arrêt de l’alcool, et augmenter la confiance dans sa capacité d’y parvenir.

L Explorer l’importance en demandant quels sont les avantageset les inconvénients de l’alcool.

L Négocier des objectifs atteignables.

P O U R L A P R AT I Q U EP O U R L A P R AT I Q U E

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 61092

MALADES DE L’ALCOOL C O M M E N T M O T I V E R U N PAT I E N T P O U R Q U ’ I L A R R Ê T E D E B O I R E ?

trants. L’application de l’entretien motivationnel à lamédecine de premier recours est une conception modéli-sée du conseil médical.5 Ce modèle constitue l’outil quipermet dorénavant d’optimiser l’enseignement du conseilmédical dans les facultés de médecine. Sa description etson application ont permis d’en établir l’efficacité demanière scientifiquement rigoureuse.

Bien entendu, cet article n’a pas la prétention de se sub-stituer à un apprentissage pratique. L’application de l’en-tretien motivationnel en médecine doit impérativementfaire l’objet d’une formation spécifique. Ces formations se

déroulent en général sur deux jours. En France, desefforts de promotion de la pratique de l’entretien motiva-tionnel sont poursuivis dans le cadre de l’Association fran-cophone de développement de l’entretien motivationnel([email protected]). Les ouvrages deréférences actuellement disponibles sont en anglais.4, 6, 7 B

L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.

1. Wallace P, Cutler S, Haines A.Randomized controlled trial ofgeneral practitioner intervention inpatients with excessive alcoholconsumption. BMJ 1988;297:663-8.

2. Rollnick S. Comments on Dunn etal. The use of brief interventionsadapted from motivationalinterviewing across behavioraldomains: a systematic review.Addiction 2001;96:1769-75.

3. Rumpf HJ, Hapke U, Meyer C, John U. Motivation to changedrinking behavior: comparison ofalcohol-dependent individuals in ageneral hospital and a generalpopulation sample. Gen Hosp Psych1999;21:348-53.

4. Miller WR, Rollnick S. Motivationalinterviewing: Preparing people forchange. New York: Guilford Press,2002.

5. Miller WR. Combined BehavioralIntervention manual: A clinicalresearch guide for therapiststreating people with alcohol abuseand dependence. COMBINEMonograph Series, (Vol.1). Bethesda,MD: National Institute on AlcoholAbuse and Alcoholism. DHHS No. 04-5288, 2004.

6. Miller WR, Zweben A, DiClemente CC, Rychtarik RG.Motivational Enhancement Therapy

manual: A clinical research guidefor therapists treating individualswith alcohol abuse and dependence.Rockville, MD: National Institute onAlcohol Abuse and Alcoholism, 1992.

7. Rollnick S, Mason P, Butler C.Health behavior change: a guide forpractitioners. Edimbourg: ChurchillLivingstone, 1999.

R É F É R E N C E S

SUMMARY Motivational interviewing to help patients stop drinkingHelping patients to change behavior concerning their drinking is a common task in primary care. This article examines the limitations of using theapproach of giving advice and identifies concepts and methods, which offer the promise of improving the quality and effectiveness of consultationsabout alcohol use. The central role of ambivalence in alcohol dependent patients is explored and practical solutions to resolve ambivalence aredescribed, considering the stages of change model. Rev Prat 2006 ; 56 : 1088-92

RÉSUMÉ Comment motiver un patient pour qu’il arrête de boire ?Aider les patients à réduire leur consommation d’alcool constitue une tâche courante en médecine générale. Certaines limites sont rencontrées par lescliniciens lorsqu’ils conseillent à leurs patients de réduire ou d’arrêter complètement toute consommation d’alcool. L’amélioration de la qualité et del’efficacité des discussions avec un patient qui boit trop est un premier objectif. Le rôle de l’ambivalence dans l’alcoolo-dépendance est abordé ouexpliqué. Des solutions sont envisagées pour l’explorer et la résoudre, tenant compte notamment du stade de préparation au changement.

LE CONCOURS MÉDICAL 23 mai 2006 Femmes

enceintes : objectif« zéro alcool »

PO

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SAV

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PLU

S Étude originale :

Repérage précoceet intervention brève auprèsdes consommateurs excessifs d’alcool : mobiliser efficacementles généralistes ?

MICHAUD P, PATRICK FOUILLAND P,DEWOST AD, ET AL.(Rev Prat Med Gen 2006;20:à paraître)

Dossier

RHERBY D, SUBTIL D, URSO BAIARDO L. (Le Concours Médical 2006;128 [19-20]:818-21)

LA REVUE DU PRATICIENMÉDECINE GÉNÉRALE29 mai 2006

2 L A R E V U E D U P R AT I C I E N - M É D E C I N E G É N É R A L E . T O M E 2 0 . N ° 0 0 0 / 0 0 0 D U 0 0 X X X X X X X X X 2 0 0 6

Depuis 1980, l’Organisation mondiale de la santé (OMS)mène une action résolue en faveur de la réduction de laconsommation dangereuse d’alcool, qu’elle distingue de

l’alcoolisme en rappelant que la moitié des décès prématurés dusà l’alcool concernent des personnes non dépendantes.1 Le repéragedes consommateurs à risque ou à problèmes peut s’appuyer surdes questionnaires comme l’AUDIT2-4 ou le FACE.5 Ce repéragedoit atteindre la totalité de la population exposée au risquealcool, mais le « cœur de cible » est, jusqu’à présent, la populationadulte entre 20 et 65 ans, tranche d’âges où la consommationexcessive d’alcool s’accompagne le plus souvent de conséquencesà long terme. Dans cette perspective de masse, les acteurs dessoins primaires sont les mieux placés, notamment les médecinsgénéralistes (qui reçoivent au moins une fois par an 80 % de lapopulation adulte) et, en France, les médecins du travail (quisuivent 14 millions de salariés). L’OMS s’est particulièrementintéressée aux généralistes parce qu’ils peuvent légitimement

intervenir auprès de leurs patients qui se mettent en danger avecl’alcool en réalisant une intervention brève (IB).6 L’efficacité decette dernière est telle qu’elle est aujourd’hui considérée commel’intervention alcoologique qui a le plus grand intérêt pour lasanté publique.7 L’obstacle à franchir pour en percevoir l’apportest cependant de taille : il faut aider les généralistes à s’approprier cenouvel outil professionnel, ce qui implique qu’ils se débarrassentde leurs tabous et de leurs inhibitions, toujours très intenses quandon aborde les sujets alcool et alcoolisme.La formation des médecinsgénéralistes et des médecins du travail au RPIB n’est pas trèsdifficile. De plus, elle semble remarquablement productive entermes de changements de comportements professionnels.8, 9

Toute la difficulté réside donc dans l’attrait que les formationsoffertes pour acquérir cette nouvelle compétence peuvent exercersur les médecins auxquels elles sont proposées.Aujourd’hui, lesgénéralistes reçoivent presque chaque semaine une nouvellerecommandation concernant une « priorité » ; il est humain

R É S U M É :Objectif : le programme « Boiremoins c’est mieux » (BMCM) del’ANPAA a proposé à 550 médecinsgénéralistes en 2003 de se formerpour pratiquer le repérage précoceet l’intervention brève (RPIB) enmédecine générale. Il a utilisé àcette fin l’appel téléphonique aucabinet, une proposition derémunération et une campagnemédiatique dans l’environnementimmédiat des médecins. L’objectifde l’étude était d’évaluer l’intérêtrespectif de ces trois méthodes.Méthode : la méthode demobilisation témoin était lecourrier. L’appel téléphonique a étéutilisé en sus du courrier pour unmédecin sur deux, suivant untirage au sort préétabli.

L’encouragement financier (de 2 euros par questionnaire rempli,et 10 euros par IB délivrée) a étéutilisé lors d’une deuxièmesollicitation des médecins à seformer.La mobilisation communautairen’a eu lieu que dans le seul site deSaint-Quentin-en-Yvelines.Le critère principal de jugementétait la participation effective auxsoirées de formation. Les critèressecondaires étaient l’inscriptionaux formations et l’activité de RPIBaprès formation.Résultats : l’appel téléphonique amultiplié par 7 le nombre desparticipants aux formations, encomparaison avec l’effet du seulcourrier (p < 10-7) ; il n’a pas eud’effet propre sur l’activité de RPIBaprès formation. La rémunération

a eu un puissant effet sur le niveaud’activité de RPIB (p = 10-4), maisson annonce n’a pas eu d’effet surles inscriptions, et n’apratiquement pas modifié l’effetdu contact téléphonique. Lafraction de la population ayantbénéficié d’un acte de repérage aété doublée dans le site avec actioncommunautaire (p < 10-7).Conclusion : un simple appeltéléphonique est particulièrementefficace pour augmenter lenombre de médecins formés. Lastimulation financière amène unniveau d’activité très proche d’unrepérage systématique. L’approchecommunautaire augmente defaçon significative la part de lapopulation dépistée.

Rev Prat Med Gen 2006;20:000-0.

par Philippe Michaud,Patrick Fouilland,

Anne-Violaine Dewost,Julie Abesdris,

Stella de Rohan,Samir Toubal,

Isabelle Grémy,Guillaume Fauvel,

Nick [email protected]

RECHERCHE en médecine générale

Étude originale

Étude de trois méthodes de promotion du repérage précoce et de l’intervention brève (TMP)

Repérage précoce et intervention brève auprèsdes consommateurs excessifs d’alcool :mobiliser efficacement les généralistes

ENTRETIENPhilippe Lamoureux et Philippe Guilbert

Les inégalités de santés’accentuent

MISE AU POINT

Quels cancers dépister ?

Prothèses endocoronaires actives

Larmoiement de la personne âgée

L’infection, facteur de thrombose veineuse

VIE PROFESSIONNELLE

Erreur de diagnosticprénatal : faut-il indemniser l’enfant handicapé ?

Sanctionner un salariépour un fait de sa vie privée

ALCOOL Prévenir le syndromed’alcoolisation fœtale

DOSSIER

TOME 128 - 705 à 780 • ISSN 0010-5309 • Publication quinzomadaire www.concoursmedical.com

23 mai 2006 n° 19/20

LECONCOURSmedical FORMATION PROFESSIONNELLE CONTINUE

OON

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1093

L’alcoolisme est une maladie fréquente dont la préva-lence a été plusieurs fois évaluée par différentes étu-des de population. On estime ainsi que, en France, un

consultant sur cinq en médecine ambulatoire aurait unemaladie liée à son alcoolisation.1 De même, en milieuhospitalier et selon les études, entre 15 et 25 % despatients ont un mésusage d’alcool.2Chez les patients dépendants, il est admis que le passagepar l’abstinence, même si cette dernière ne constitue pasforcément un but en soi, est une étape importante. Elleleur permet d’expérimenter leur existence sans effet del’alcool, et de tester leurs capacités à rester sans boire. Lesevrage se définit comme une période qui suit immédiate-ment l’arrêt de l’alcoolisation. La médicalisation dusevrage en fait un élément thérapeutique indiscutables’inscrivant dans la prise en charge de l’alcoolo-dépen-dance.

DÉFINITION CONCEPTUELLE DU SEVRAGE

Il existe souvent une confusion entre le sevrage et la« cure de désintoxication », cette dernière se réduisantsouvent, en particulier en milieu hospitalier, à la première

étape qu’est le sevrage alcoolique. Or, le sevrage n’estqu’un temps du traitement de l’alcoolo-dépendance, qu’ilsoit réalisé dans l’urgence, le patient ou son entourageréclamant parfois instamment une prise en charge immé-diate, ou de façon programmée.

La demande de sevrage se répartit de façon inégaleentre le patient et son entourage. On peut être amené àréaliser avec les malades des sevrages itératifs en dépit dusouhait réel de ce dernier. Outre leur côté inefficace, detelles procédures peuvent être délétères pour le patient enfavorisant la survenue de complications,3 et renforcer leurdépendance. A contrario, les complications sont moinsfréquentes en médecine ambulatoire du fait de l’échappe-ment possible du patient au sevrage.4

Il faut donc garder présent à l’esprit que le sevrage estthérapeutique:– s’il est réalisé dans des conditions de confort et de sécu-rité maximales ;– s’il est associé à un temps de convalescence suffisant ;– s’il s’accompagne d’une ambiance relationnelle qui per-mette au sujet dépendant de l’alcool d’associer bien-êtreet abstinence;– s’il s’effectue avec l’accord exprimé du patient.

1093

Modalités du sevragealcoolique

La plupart des sevrages alcooliques peuvent se faire en ambulatoire,à condition d’évaluer le risque de survenue d’une complication qui peut imposer une hospitalisation. Le traitement médicamenteux,non systématique, associe hydratation, vitaminothérapie et éventuellement des benzodiazépines à demi-vie longue, prescritesde façon décroissante sur 7 jours.

m o n o g r a p h i e

François Vabret *

* Unité d’alcoologie, CHU de Caen, 14033 Caen Cedex. Courriel : [email protected]

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 61094

MALADES DE L’ALCOOL M O D A L I T É S D U S E V R A G E

QUEL SEVRAGE POUR QUEL MALADE ?

Le sevrage peut être réalisé dans l’urgence médico-chirur-gicale lorsque, hospitalisés, les patients n’ont pas de bois-sons alcooliques à leur disposition, ou plus simplementlorsqu’ils sont immobilisés à leur domicile ou en villégia-ture et qu’ils n’ont pu prévoir d’avance des boissonsalcoolisées. Ces sevrages sont de fréquents pourvoyeursde complications, car insuffisamment anticipés.

Le sevrage peut être contraint : il s’agit pour l’essentielde patients incarcérés. La contrainte légale de ces incarcé-rations est parfois remplacée dans la vie quotidienne parla demande de l’entourage qui pose des ultimatums.

Le sevrage peut être programmé : il s’agit du seulsevrage ayant un sens alcoologique. Il semble le meilleurgage d’un résultat, s’il s’inscrit dans une démarche visant àplacer l’étape de l’arrêt de l’alcoolisation dans une straté-gie sur le moyen et le long terme.

CLINIQUE DU SYNDROME DE SEVRAGE

Le sevrage s’accompagne chez les patients dépendants del’alcool d’un syndrome clinique qui fait partie lui-même dela définition de cette dépendance comme l’ont défini lestravaux d’Edwards et Gross,5 à l’origine des classificationsde la CIM 10 (Classification statistique internationale desmaladies et des problèmes de santé connexes) ou du DSM IV (Diagnostic and statistical manual of mental disor-ders). On décrit, aux deux extrêmes du syndrome, dessignes mineurs de sevrage qui s’observent chez environ50 % des patients dépendants de l’alcool, dans les heuresqui suivent l’arrêt de l’absorption des boissons alcoo-liques6,7 et des accidents graves compliquant le sevrage lui-même, comme le delirium tremens ou les crises convulsi-ves. Ces complications constituent souvent une évolutiondu sevrage, rapide et redoutable du fait de leur dangerosité.

Les symptômes observés dans le sevrage alcoolique nesont pas des symptômes spécifiques. Ils apparaissent dansles premières heures après l’arrêt de l’alcoolisation, en

général avant 24 heures, et sont parfois très rapidementprésents, parfois même alors que le taux d’alcoolémien’est pas encore nul. L’existence d’une alcoolémie positiveconcomitamment à un syndrome de sevrage est un élé-ment devant faire redoubler de vigilance. Ces symptômesapparaissent rarement après 72 heures suivant la dernièreingestion d’alcool. Leur apparition retardée au-delà decette durée est néanmoins possible (jusqu’à 4 jours).8 Dessymptômes retardés peuvent être imputés éventuellementau sevrage alcoolique en cas d’arrêt d’alcoolisation à partird’une alcoolémie initiale élevée, lorsque des bêta-bloquants, des benzodiazépines, ou des médicamentsanesthésiques ont été administrés au moment de l’arrêt del’alcool (p. ex. lors d’interventions chirurgicales réaliséesen urgence chez les patients alcoolisés).

Ces symptômes isolés, ou plus souvent associés, dontl’intensité combinée permet de décrire l’intensité du syn-drome, se définissent en:– syndrome adrénergique neurovégétatif (tremblements,sueurs, tachycardie, hypertension artérielle, nausées, par-fois vomissements, voire hyperthermie);– troubles neuropsychiques mineurs (anxiété, irritabilité,troubles du sommeil) ou parfois plus intenses (agitation,confusion, attaque de panique, hallucinations).

L’évaluation de ces symptômes est à la base d’un outild’utilisation simple, performant et reproductible : le scorede Cushman (tableau 1).9 Il est sensible et suffisammentspécifique.10 Ce score est considéré comme minime de 0 à 7, moyen de 8 à 14, important de 15 à 21. Chez lespatients sous bêtabloquants, il n’est considéré commeminime que jusqu’à 6.11 Il est possible de s’aider à nou-veau de ce score pour la mise en route du traitement enélaborant un arbre décisionnel (tableau 2).

L’évaluation du score de Cushman doit être régulièrepour suivre l’évolution du sevrage; la première évaluationdoit être faite en tenant compte de l’horaire de la dernièreconsommation d’alcool. La fréquence des évaluationscliniques est fonction de la disponibilité du malade et dusoignant. Elle est plus fréquente en milieu hospitalier,

Score de CushmanLe score est considéré comme minime de 0 à 7*, moyen de 8 à 14, important de15 à 21

Pouls

Pression artérielle systolique

Fréquence respiratoire

Tremblements

Sueurs

Agitation

Troubles sensoriels

� 80

� 135

� 16

0

0

0

0

81 à 100

136 à 145

16 à 25

Main en extension

Paumes

Discrète

Gêne bruit lumière

101 à 120

146 à 155

26 à 35

Membres supérieurs

Paume, front

Généralisée

Hallucinations critiquées

� 120

� 155

� 35

Généralisés

Généralisées

Incontrôlable

Hallucinations non critiquées

* 0 à 6, si traitement bêtabloquant.Tableau 1

0 1 2 3

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dans l’idéal toutes les 4 heures, voire plus fréquemmentdans les 24 premières heures, elle est plus espacée enmédecine ambulatoire, une évaluation à 24 heures étantsouvent la plus précoce. Cette évaluation peut être faitesur la base d’un entretien téléphonique ou avec l’aide del’entourage.

MODALITÉS PRATIQUES DU SEVRAGE ALCOOLIQUE :

AMBULATOIRE OU RÉSIDENTIEL

Deux modalités du sevrage coexistent : le mode ambula-toire correspondant à un protocole de soins à domicile,12

le mode résidentiel dans un service hospitalier ou en cen-tre spécialisé.13 Ce dernier a longtemps fait figure de réfé-rence. Les alternatives ambulatoires se sont développéesdepuis une vingtaine d’années, notamment pour des rai-sons économiques, mais aussi pour permettre un accès àcette modalité d’aide moins contraignante aux patientsdépendants. Chacune de ces méthodes a des avantages etdes inconvénients.14-16 Des essais cliniques randomisésont établi une efficacité identique à moyen et à longterme du sevrage ambulatoire comparé au sevrage rési-dentiel,17 mais des études en cours tentent d’isoler les élé-ments distincts des différentes modalités tels que la sécu-rité de chaque méthode (fréquences des incidents desevrage) et le coût réel global comparé. En revanche, l’in-dication d’une hospitalisation (contre-indication dusevrage ambulatoire) a été déterminée dans le cadre dela conférence de consensus de 1999 sur le sevrage alcoo-lique.18 Les contre-indications du sevrage ambulatoirepeuvent être retenues comme des indications électivesau sevrage résidentiel (tableau 3).

Dans les études descriptives déjà publiées, les deux cri-tères d’exclusion les plus retenus au sevrage ambulatoiresont l’existence d’accidents antérieurs de sevrage19 ou unsyndrome de sevrage cliniquement sévère témoignantd’une forte alcoolo-dépendance.20 En respectant stricte-ment l’ensemble des critères, les auteurs considèrent queseuls 10 % des patients ne peuvent être sevrés de façonambulatoire.

Selon notre pratique, d’une part la fréquence descontre-indications au sevrage ambulatoire est nettementplus importante que ce chiffre de 10 %, et d’autre part lechoix des modalités de traitement du sevrage est forte-ment influencé par les attentes des patients qui sont sou-vent in fine maîtres de la décision. Ainsi, les patients veu-lent être hospitalisés lorsqu’ils attendent du séjour eninstitution:– le fait d’être à l’écart physiquement des stimulations d’alcool ;– la recherche d’un bénéfice secondaire de l’hospitalisa-tion (obtention d’un certificat) ;– le fantasme du côté magique d’une admission à l’hô-pital ;– ou du fait de leur ambivalence qui s’exprime par le faitd’être en situation de sevrage sans pour autant s’engager àne plus consommer d’alcool.

Au contraire ils souhaitent être sevrés en ambulatoirelorsqu’ils attendent :– de pouvoir rester dans leurs conditions habituelles de vie;– qu’ils ne perçoivent pas la difficulté du sevrage;– ou encore lorsqu’ils craignent les techniques de sevrageen milieu hospitalier.

TRAITEMENT DU SYNDROME DE SEVRAGE

L’empathie à la mise en route du traitement, l’explicationdes symptômes du sevrage et de l’utilisation des médica-ments sont les éléments fondamentaux de la sécurité dutraitement. Le traitement du sevrage alcoolique cor-respond à la réduction des symptômes désagréables pourle patient et la prévention des complications de sevrage.Compte tenu de la relative rareté des formes de sevragecompliquées, il n’est pas légitime de proposer un traite-

L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1095

Arbre décisionnel en ambulatoire

❚ Score minime (0 à 7)*

❚ Antécédents de crise convulsiveou de delirium tremens

❚ Score moyen (8 à 14)

❚ Score sévère (15 à 21)

❚ Traitement de base per os

❚ Hospitalisation

❚ Hospitalisation

❚ Hospitalisation : réanimation

Pour le calcul du score de Cushman, voir tableau 1.* 0 à 6 si traitement bêtabloquant.Tableau 2

ÉVALUATION INITIALE PAR LE SCORE DE CUSHMAN CHOIX DU TRAITEMENT

Contre-indication ou non-indication au sevrage ambulatoire

Alcoologiques

Somatiques

Psychiatrique

Environnementales

❚ Dépendance physique sévère (score � 8)❚ Antécédents de delirium tremens ou de crise convulsive

❚ Affections somatiques aiguës ❚ Complication sévère de l’alcoolisme(dénutrition, hépatite alcoolique…)

❚ Syndrome dépressif sévère associé (jugement clinique)❚ Affection psychiatrique connue et évolutive

❚ Demande pressante de l’entourage (familial, social, judiciaire…)❚ Entourage non coopérant ou patient en situation d’isolement social sévère

Tableau 3

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ment systématique à tous les patients. Une attitude cibléesemble la plus opportune pour minimiser au maximumles risque de complications chez les patients à risque.21

Pour l’American Society of Addiction Medicine, 22 les indica-tions du traitement psychotrope sont (patient à risque dedévelopper une complication de sevrage):– un score de sevrage moyen ou élevé (supérieur à 7) ;– des antécédents de crise comitiale ou de delirium tre-mens;– une comorbidité somatique significative.

Le traitement repose sur l’utilisation concomitanted’une hydratation, avec vitaminothérapie, associées à untraitement éventuel par benzodiazépines.

Prescription de benzodiazépines

Cette classe de médicaments a montré son efficacitéthérapeutique, à la fois pour réduire la gravité du syn-drome, diminuer l’incidence des crises convulsives et desdelirium tremens.22 La conférence de consensus a validél’utilisation des benzodiazépines en première intention.18

L’utilisation préférentielle d’une benzodiazépine plusqu’une autre n’a pu être démontrée, mais l’usage de médi-

caments de longue demi-vie est licite pour éviter les phé-nomènes de rebond lors de la décroissance des doses(p. ex. le clorazépate dipotassique, le diazépam dont lesdemi-vies sont de 30 à 90 heures) et les phénomènes d’a-bus. Il n’y a jamais de justification à utiliser concomitam-ment plusieurs benzodiazépines. L’utilisation de cesmédicaments à demi-vie longue chez les patients ayantune insuffisance hépatocellulaire, ou âgés, expose aurisque de sédation ou de décompensation hépatique; c’estdans ce cas que l’utilisation de l’oxazépam (demi-vie de 8 à 10 heures) peut être recommandée.

Règles générales

La voie orale est la plus simple à utiliser et elle est aussiperformante que la voie intraveineuse dès lors que l’ab-sorption est possible. Elle est souvent la seule voie utilisa-ble en ambulatoire. La voie intraveineuse est parfoisnécessaire en cas d’agitation, de non-coopération, d’hy-dratation impossible ou insuffisante.

Le traitement est en général administré à heure fixe, àdose décroissante. La prudence est recommandée pour lamise en route des traitements en cas d’alcoolémie positive

L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 61096

MALADES DE L’ALCOOL M O D A L I T É S D U S E V R A G E

Exemple d’ordonnance de sevrageNom et prénom: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Date de naissance : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

a) Arrêter le . . . . . . . . . . . . ., brutalement, toutes boissons alcoolisées (� J0)*b) Boire de l’eau ou jus de fruit, tisane, etc. : à volonté**

� Diazépam, cp 10 mg*** : schéma décroissant en tenant compte des recommandations suivantes :— en cas d’endormissement, ne pas rattraper au réveil une prise manquée— en cas de tremblement et/ou de sueurs importantes, appeler le médecin— prises entre parenthèses : optionnelles, en cas d’angoisse ou de tremblement

� Vitamine B1-B6 : 2 cp matin et midi, pendant 21 jours

� Zopiclone : en cas d’insomnie, 1 cp au coucher pendant 7 jours

* Boissons alcoolisées : cidre, vin, bière, apéritifs, digestifs, liqueurs, pastis…** Au minimum 2 à 3 litres de liquide par jour, en limitant le café.*** L’utilisation de comprimés dosés à 5 mg, selon le même schéma, est possible en cas de dépendance physique plus modeste ou d’effet sédatif trop important.

Le . . . . . . .(J �1) 0 0 0 0 0 0 1

Le . . . . . . . .(J0) 1 1/2 0 (1) 1/2 0 1

Le . . . . . . . .(J1) 1 0 1/2 0 0 (1) 1

Le . . . . . . . .(J2) 1/2 0 1/2 0 1/2 0 1

Du . . . . . . . .(J3) au . . . . . . . . . .(J6) 1/2 0 0 0 0 0 1

Le . . . . . . . .(J7) 0 0 0 0 0 0 1

Arrêt du traitement à J8

DATE 8 H 10 H 12 H 15 H 18 H 20 H 22 H

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lors de l’évaluation des symptômes, justifiant une rééva-luation rapide des symptômes (décroissance moyenne del’alcoolémie au sevrage de 0,20 g/L/h). La décroissancedes doses de médicaments peut être anticipée dans lesprescriptions, mais uniquement après amélioration objec-tive des symptômes (réévaluation du score de Cushman).Le sevrage alcoolique se déroulant en général sur unesemaine, il n’est pas nécessaire de prolonger au-delà laprescription de psychotropes.

En ambulatoire

La date de l’arrêt de l’alcoolisation (début du sevrage)est négociée avec le patient, et n’est pas forcément celle dela consultation médicale. Éviter le démarrage du sevragejuste avant un événement festif pour le patient. Les dosessont adaptées en fonction de l’heure du dernier verre, del’intensité supposée de la dépendance (intervalle detemps entre le lever et l’heure de la première prise deboisson alcoolique), de l’intensité du syndrome desevrage lors des dernières expériences de sevrage(v. encadré).

Une réévaluation au moins téléphonique est souhaita-ble à J1, un nouvel examen entre J3 et J5 est conseillé. Ce

type de procédure est rarement compatible avec la pour-suite de l’activité professionnelle et la prescription d’unarrêt de travail de 7 jours est souvent nécessaire.

Le patient doit être prévenu que la conduite automo-bile est déconseillée. Dans la majorité des cas, les symptô-mes sont contrôlés avec des doses assez faibles de benzo-diazépines : 30 à 40 mg/j de diazépam, 100 à 150 mg/jd’oxazépam, 150 à 200 mg de clorazépate dipotassique,avec une diminution progressive des doses sur une duréetotale de 7 jours.

En institution

Le traitement peut être le même qu’en ambulatoire,mais la dose de benzodiazépines est mieux adaptée surla base d’une évaluation répétée du score de Cushman.Celui-ci doit être évalué dès l’arrivée du patient auxurgences, dans le service et consigné dans le dossieravec les heures de son calcul. Une nouvelle évaluationtoutes les 4 heures, voire plus souvent, peut être néces-saire initialement. Le traitement peut être adapté selonun arbre décisionnel (tableau 4). L’utilisation de dosesde charge (non conseillée en pratique ambulatoire) estpossible en cas de franchissement de la limite de 8 auscore de Cushman (p. ex. 6 fois 10 mg de diazépamrépartis sur les 6 premières heures, sauf en cas d’endor-missement). Cette pratique a pour but l’obtention d’unétat calme et de contrôle des symptômes du sevragealcoolique en évitant les surdosages éventuels (pouvantêtre responsables de détresse respiratoire). La réévalua-tion clinique est faite au plus tard après 6 heures d’évo-lution pour juger de la poursuite ou non et des éventua-lités du passage aux doses d’entretien à dosedécroissante. Lorsque le score de Cushman est élevé(supérieur à 15), la prise en charge passe par la réanima-tion, le but objectif du traitement étant d’obtenir uncoma calme, par l’utilisation d’une benzodiazépineintraveineuse à fortes doses. Le flunitrazépam ou lemidazolam sont en général utilisés, sans que l’on puissedégager des doses standardisées.

L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1097

L Le sevrage hospitalier n’est qu’une option parmi d’autres.L Si la surveillance médicale d’un sevrage alcoolique

est nécessaire, le traitement médicamenteux n’est passystématique.

L Il existe des outils de mesure validés permettant d’évaluer la gravité d’un syndrome de sevrage alcoolique (score de Cushman).

L L’attitude de prévention des complications du sevragealcoolique peut être ciblée autour des patients à risque, ou ayant un score de sevrage élevé.

C E Q U I E S T N O U V E A U

Arbre décisionnel en milieu hospitalier

❚ Score � 8, pas d’antécédents de crisesconvulsives ou de delirium tremens

❚ Score � 8, avec antécédents de crisesconvulsives ou de delirium tremens

❚ Score � 8

❚ Score � 15

❚ Traitement classique

❚ Traitement de charge

❚ Traitement de charge

❚ Réanimation

❚ Poursuite traitement en diminution

❚ Poursuite traitement classique per os❚ Puis diminution quand score � 8

❚ Poursuite traitement classique par voieintraveineuse❚ Puis diminution quand score � 8

Tableau 4

SCORE INITIAL CHOIX DU TRAITEMENT RÉÉVALUATION 4 HEURES SI OK

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Traitements associés

L’hydratation

L’apport hydrique n’est pas, en soi, un moyen d’influen-cer la gravité du syndrome de sevrage, même si les pre-mières descriptions du traitement du delirium tremensplaçaient l’hydratation comme tel. Il existe, en revanche,une déshydratation quasi systématique chez les patientsdépendants de l’alcool ainsi que des perturbations de lasensation de soif, qui justifient la stimulation de l’hydrata-tion et la mesure des quantités consommées, en généralper os et en utilisant des bouteilles de 1,5 L d’eau avec unconseil de une à deux bouteilles minimum par 24 h. Unehydratation intraveineuse est normalement suffisante enperfusant une solution salée (4 g de sodium et 2 g depotassium par litre) de 2 L/24 h (en l’absence de signed’insuffisance cardiaque), et une hyperhydratation doitêtre surveillée par ionogramme (risque d’hyponatrémie àl’origine éventuellement d’une confusion mentale interfé-rant avec le tableau du sevrage). L’hypokaliémie parfoisobservée se corrige par l’apport de magnésium (sulfate demagnésium) avec surveillance de l’électrocardiogrammeet non par l’apport direct de potassium.

La vitaminothérapie

Thiamine: devant la grande prévalence des déficits enthiamine (vitamine B1) chez les sujets dépendants de l’al-cool (carence d’apport, diminution de l’absorption intesti-nale, diminution de la phosphorylation de la thiamine enthiamine pyrophosphate), il est licite d’administrer à titreprophylactique et systématiquement la vitamine B1. Enrevanche, il n’existe pas actuellement d’indication préfé-rentielle pour conseiller une voie d’administration ou une

durée optimale de ce traitement. Il est habituel d’utiliserdes doses de 500 mg/j de thiamine, per os sur unepériode 10 à 20 jours ; la voie parentérale est préféréelorsqu’il y a altération de l’état général, dénutrition ousignes cliniques évocateurs d’une encéphalopathie deGayet-Wernicke.

Vitamine PP, pyridoxine, acide folique : le tableau cli-nique d’encéphalopathie pellagreuse chez le patientalcoolique est rare, mais les déficits en vitamine PP fré-quents, se combinant aux signes de déficit en vitamine B1et justifient l’utilisation de 500 mg/j de vitamine PP en casde dénutrition, durée optimale de traitement non définie.Le déficit en vitamine B6 peut être responsable de crisesconvulsives conduisant à une utilisation associée des vita-mines B1 et B6 de façon systématique. La prescriptiond’acide folique est à discuter systématiquement chez lafemme enceinte.

Autres psychotropes

L’alcool est souvent utilisé par les patients (et malheu-reusement aussi parfois par les médecins !) à dosesdégressives pour limiter les effets du sevrage. Il n’y aaucune indication validée d’une telle utilisation.

Les carbamates : le méprobamate est très employé enFrance, mais son action préventive dans le syndrome desevrage n’a jamais été démontrée ; il ne s’agit donc pasd’un traitement adapté.

Les neuroleptiques : la chlorpromazine et l’halopéridolréduisent les symptômes de sevrage, mais les phénothiazi-nes ne préviennent pas, voire augmentent, le risque decrise convulsive. Leur utilisation est plutôt réservée auxtroubles du comportement ou aux phénomènes halluci-natoires associés à un syndrome de sevrage sévère.

CONCLUSION

Le sevrage alcoolique est une première étape souventnécessaire pour établir une communication avec le patientdépendant de l’alcool et réaliser avec lui des projets d’amé-lioration de la qualité de vie. Une prise en charge adéquateapporte confort et sécurité au patient, en évitant la surve-nue de complications qui sont potentiellement létales. Lesmodalités peuvent différer selon le mode de prise encharge, ambulatoire ou institutionnelle.

La diversité des situations cliniques justifie l’adoptionde protocoles basés sur l’évaluation des sujets à risque etl’utilisation rationnelle des médicaments du sevrage.

Les moyens pharmacologiques à disposition sont nom-breux et efficaces pour prévenir les complications dusevrage alcoolique. Le sevrage seul est rarement suffisantpour traiter la dépendance alcoolique, mais il facilite lamise en place d’un suivi thérapeutique. B

L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 61098

MALADES DE L’ALCOOL M O D A L I T É S D U S E V R A G E

L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.

L La prise en charge des personnes dépendantes de l’alcool estfréquente, tant en médecine ambulatoire qu’à l’hôpital, mais seule une partie de ces personnes requiert un traitementmédicamenteux.

L Le syndrome de sevrage alcoolique est un ensemble de signesnon spécifiques témoignant d’une alcoolo-dépendanceobjective.

L Le syndrome de sevrage alcoolique peut évoluer vers une forme sévère, avec crises convulsives et deliriumtremens, parfois mortels sans traitement adapté.

L Une attitude ciblée en fonction de la situation clinique et étayéepar des mesures de la gravité et de l’évolution du syndromede sevrage permet d’adopter une stratégie individualisée.

L L’utilisation de benzodiazépines avec hydratation et vitaminothérapie a été validée dans le traitement du syndrome de sevrage alcoolique, tant en ambulatoire qu’enrésidentiel, mais avec des stratégies légèrement différentes.

P O U R L A P R AT I Q U EP O U R L A P R AT I Q U E

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1099

SUMMARY Alcohol withdrawal syndrome: managing and treatment protocolThe period immediately after breaking alcohol for alcohol dependent patients is marked by several pathologies troubles like withdrawal syndrome.Taking charge therapeutic of withdrawal is made to limit the severity of this withdrawal syndrome to prevent complications and guarantee a transitiontoward an accompaniment in abstinence. An attitude based on measuring the withdrawal syndrome and risk factors is effective to limit eventualcomplications. The detoxification can be realised in ambulatory or in hospital depending on different modes, with specifies indications forhospitalization. The patient preference intervenes often in the mode of choice for the method. An attentive surveillance clinical, benzodiazepine,hydration and vitamin therapy are essential for good alcohol withdrawal. Rev Prat 2006 ; 56 : 1093-9

RÉSUMÉ Modalités du sevrage alcooliqueLa période qui suit immédiatement l’arrêt de l’alcool chez les personnes dépendantes de l’alcool peut être marquée par diverses complications dont laplus connue est le syndrome de sevrage. La prise en charge thérapeutique du sevrage a pour but de limiter sa gravité, de prévenir ses complications etd’assurer une transition vers l’accompagnement dans l’abstinence. Une attitude ciblée autour de l’évaluation du syndrome de sevrage et des facteursde risques est efficace pour en limiter les complications. Le sevrage peut être réalisé en ambulatoire ou à l’hôpital selon des modalités légèrementdifférentes, avec des indications spécifiques pour l’hospitalisation. La préférence du patient intervient souvent de façon déterminante dans le choix dela méthode. Surveillance clinique attentive, benzodiazépines, hydratation et vitaminothérapie sont les bases d’un sevrage alcoolique réussi.

ENTRETIEN

Philippe Lamoureux

et Philippe Guilbert

Les inégalités de santé

s’accentuent

MISE AU POINT

Quels cancers

dépister ?

Prothèses

endocoronaires actives

Larmoiement

de la personne âgée

L’infection, facteur

de thrombose veineuse

VIE PROFESSIONNELLE

Erreur de diagnostic

prénatal : faut-il

indemniser

l’enfant handicapé ?

Sanctionner un salarié

pour un fait

de sa vie privée

ALCOOL Prévenir le syndrome

d’alcoolisation fœtale

DOSSIER

TOME 128 - 705 à 780 • ISSN 0010-5309 • Publication quinzomadaire

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FORMATION MÉDICALE CONTINUE

1. Huas D, Darne B, Rueff B, Lombrail P, et al. Maladesalcooliques et consultation demédecine générale ; prévalence etdétection. Rev Prat Med Gen1990;81:45-9.

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R É F É R E N C E S

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« S’arrêter de boire » n’est pas la panacée du trai-tement de la dépendance à l’alcool, ce n’estque son préalable. Ainsi le sevrage, quelle

qu’en soit la modalité (ambulatoire ou résidentielle) ou ladurée, n’est qu’une étape préparatoire au changement àlong terme du comportement. « Quitter l’alcool », « s’entenir à distance », « ne pas reboire » seraient des objectifs àlong terme plus pertinents, à deux conditions toutefois :qu’ils soient davantage considérés comme des moyensd’améliorer sa qualité de vie (psychique, physique, rela-tionnelle) que des buts et, surtout, que le coût pour lepatient (efforts à faire, pénibilité) reste le plus faible possi-ble afin d’optimiser la pérennisation des bénéfices acquis.De ce fait, la stratégie thérapeutique doit s’inscrire sur unaccompagnement à long terme du patient dépendant del’alcool qui serait moins fixé sur les résultats (consomma-tion d’alcool) obtenus que sur les moyens (personnels etthérapeutiques) mis en œuvre pour y parvenir. La duréethéorique de l’abstinence recommandable est infinie ;néanmoins, quel que soit le niveau de préparation despatients à cette idée d’une abstinence définitive, très peud’entre eux se sentent capables de renoncer. Ainsi, il appa-

raît plus judicieux de fractionner cette éternité apparem-ment inatteignable en proposant des échéances plus rai-sonnables et renouvelables à terme.

Un nombre considérable d’études ont montré que l’ef-ficacité de stratégies diverses dans l’indication « maintiendu sevrage » est faible, la grande majorité des patientsrechutant dans les trois mois qui suivent le sevrage (40 à90 %). Néanmoins, les évaluations divergent selon les cri-tères diagnostiques utilisés pour définir la rechute. Enrecherche alcoologique, deux positions sont générale-ment défendues:– la première, rigoureuse, considère comme seul critèrede jugement l’abstinence totale et continue (chaque verrebu qualifie la rechute) ;– la seconde, plus descriptive, différencie deux types dereprise de l’alcoolisation; celles qui marquent à l’évidencedans un délai plus ou moins court la reprise du processusde dépendance sur les aspects qualitatifs et quantitatifs dela consommation d’alcool (rechute) ; et les patients dontla consommation (quantitativement inférieure à 5 verres/jpour les hommes et 3 pour les femmes) marque plus unedéfaillance temporaire ou partielle du dispositif de

Maintien de l’abstinenceaprès le sevrage

Après le sevrage, un projet de maintien de l’abstinence doit êtresystématiquement proposé aux patients dépendants de l’alcool, car les deux tiers en tirent un bénéfice. Ce projet associe au minimumun suivi médical et 1 ou 2 médicaments d’aide au maintien de l’abstinence, mais il peut aussi inclure une psychothérapie ou le soutien d’un groupe d’entraide.

m o n o g r a p h i e

Philippe Batel, Sylvain Balester-Mouret *

* Traitement ambulatoire des maladies de l’alcool, hôpital Beaujon, 92110 Clichy. Courriel : [email protected]

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maintien. Peu de données sont disponibles pour juger dela stabilité à long terme de ce bénéfice partiel du projetd’abstinence constitué par ces consommations intermé-diaires ; le risque de retour vers une consommation nociveétait généralement équivalent à celui d’une stabilisationou d’une abstinence.

OBJECTIF ET STRATÉGIES

En pratique il convient, au terme du sevrage, d’aider lepatient à se déterminer sur un projet d’abstinence le plusaccompli (« le plus proche de zéro verre ») possible et cir-conscrit dans le temps. Ainsi, une bonne façon de procé-der en intégrant les outils de l’entretien motivationnel estde demander au patient sur quelle période il se considèreaujourd’hui suffisamment capable de se maintenir absti-nent. Un pari aux termes définis (objectif et échéance),plus qu’un contrat, peut être ainsi établi avec lui. Le méde-cin n’en est pas seulement un témoin privilégié ; il est leguide et le conseiller du projet d’abstinence en proposant(comme un menu thérapeutique) divers moyens théra-peutiques pour aider à sa réalisation dans les meilleuresconditions. La fréquence des rechutes est présentée aupatient, non pas comme un risque élevé d’échec au projetd’abstinence, mais comme un incident fréquent qui signeune difficulté à maintenir celle-ci, accessible à une aidequ’il convient alors de trouver ensemble.

Les modalités des traitements d’aide au maintien del’abstinence, leurs effets secondaires et leurs mécanismesd’action (quand ils sont élucidés) sont explicités auxpatients. Si la plupart d’entre eux sont compatibles, cer-tains ne peuvent être simultanés (p. ex. interférence desdifférents types de psychothérapies) et certains ne sontpas disponibles sur l’ensemble du territoire. Enfin, l’adhé-sion a priori du patient à une technique peut s’avérer rapi-dement source de désillusion dès les premières expérien-ces. Ainsi, il est nécessaire de reconsidérer chaque fois,tout au long du suivi, la pertinence adaptée du projet.Nous listerons ici les cinq principaux types d’approches etdonnerons, chaque fois que cela est possible, des élé-ments de validation de leurs efficacités générale et spéci-fique (indications préférentielles).

Les psychothérapies

Les multiples techniques psychothérapiques utiliséesdans l’accompagnement du malade dépendant de l’alcoolsont souvent inspirées de celles indiquées dans les trou-bles mentaux. D’autres sont plus spécifiques aux addic-tions comme les techniques motivationnelles développéespar Miller et al. 1 et conduisent le patient à s’engager dansla première étape de la prise en charge ; elles peuventcependant être utilisées à n’importe quel moment aucours des étapes du changement modélisées par Pro-chaska et al., notamment2 lors des rechutes pour redyna-miser l’investissement du patient dans un processus

d’abstinence (v. page 1088). La psychothérapie de sou-tien est plus couramment utilisée. Ne requérant pas deformation particulière, elle s’appuie sur une attitudeempathique prudente, sans implication personnelle etassociant un renforcement positif de tout progrès.3 Enpratique, il est important de maintenir un contact avec lepatient par tous les moyens personnalisés (téléphone,courrier, courriel, SMS [short message service]) y comprislors de son absence au cours du suivi.

Les psychothérapies d’inspiration analytique chez lesmalades de l’alcool ont été prépondérantes dans lesdécennies 1960 et 1970. Leur principe est de résoudre lesconflits inconscients qui pourraient jouer un rôle dans lagenèse de la maladie alcoolique. L’accessibilité du sujet àun travail d’introspection et sa détermination à s’engagerdans un traitement de longue haleine sont autant d’aptitu-des requises pour poser ce type d’indication. La mise enroute du travail psychothérapique s’effectue après unepériode de préparation et est facilitée par l’abstinence dusujet. L’évaluation de ce type de traitement est difficile. Ilsemble raisonnable de le proposer aux patients chez quiun trouble névrotique est repéré.

Enfin, des modèles adaptés de thérapies cognitives etcomportementales ont été développés. Effectuées en indi-viduel ou, mieux encore, dans des groupes de patients, leprincipe général est de modifier la conduite du sujet vis-à-vis de l’alcool par des procédures de désensibilisation etde renforcement positif vers une attitude de sobriété oud’abstinence. Durant la phase d’accompagnement, deuxtypes de techniques sont particulièrement intéressants :1. la reconnaissance des principales situations à risque derechutes ; 2. l’affirmation de soi. L’évaluation individuellede ces méthodes est compliquée par l’utilisation simulta-née au sein de protocoles complexes. Il semble toutefoisque leur efficacité soit meilleure chez les consommateursà risque que chez les patients dépendants de l’alcool.Enfin, une analyse récente de 26 études suggère que l’effi-cacité chez les patients alcoolo-dépendants serait limitéeaux patients dont la dépendance est peu sévère, engagésdans un programme de traitement structuré.4

Les médicaments

De très nombreux psychotropes (anxiolytiques, antidé-presseurs, neuroleptiques, thymorégulateurs, antipsycho-tiques) ont été prescrits aux malades dépendants de l’al-cool dans le but d’améliorer leur pronostic d’abstinence.L’hypothèse de leur efficacité reposait sur le postulat ducaractère « secondaire » de l’alcoolo-dépendance à untrouble psychopathologique dont la correction était sup-posée entraîner de facto la disparition du trouble de l’al-coolisation. Hélas! Ces stratégies se sont avérées majoritai-rement infructueuses. Néanmoins, la prescription demédicaments peut être utile, comme l’a recommandé laconférence de consensus sur le maintien de l’abstinence.5Deux familles de médicaments se distinguent dans cette

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MALADES DE L’ALCOOL M A I N T I E N D E L’A B S T I N E N C E A P R È S L E S E V R A G E

indication par leur stratégie d’action : celles utilisant unestratégie en aval de la bouteille et visant à créer une dissua-sion comportementale par la menace aversive d’un effetantabuse; les autres, les médicaments d’aide au maintiende l’abstinence (MAMA), se situant en amont de la bou-teille en agissant sur les phénomènes de l’envie de boire.

Médicaments à effet antabuse

Le disulfirame (Esperal [Antabuse aux États-Unis]) estle pionnier des traitements pharmacologiques spécifiquesen alcoologie. Utilisé depuis les années 1940 dans le trai-tement de la dépendance à l’alcool, son action pharmaco-logique permet l’inhibition de l’acétaldéhyde-déshydro-génase, une des enzymes clés du métabolisme de l’alcool.En cas de consommation d’alcool, l’accumulation d’acétal-déhyde sanguine provoque des symptômes déplaisants(flush au niveau du visage et du cou, nausées, vomisse-ments, palpitations, dyspnée, diminution de la pressionartérielle, parfois lipothymie). L’association de ces symp-tômes avec la consommation d’alcool est destinée àdécourager de nouvelles alcoolisations en créant uneréaction aversive par feedback négatif. Cependant, l’obser-vance du traitement souvent très médiocre (20 à 50 %selon les études), la négativité des essais randomisés degrande envergure et l’existence d’une toxicité (neurolo-gique et hépatique) combinée au risque d’exposition à

des complications potentiellement graves (notammentcardiovasculaires) en cas d’ingestion d’alcool ont conduitles experts alcoologues à ne pas recommander le disulfi-rame en première intention.5 Des stratégies multiples(implant, supervision, association à des thérapies compor-tementales) visant à augmenter l’observance ont été éva-luées; les résultats semblent meilleurs dans ces conditions.Il est difficile de recommander ce traitement à long terme,compte tenu de sa toxicité hépatique et neurologique.

Médicaments d’aide au maintien de l’abstinence

Développés depuis l’identification des mécanismesneurobiologiques de l’envie de boire et du renforcement,de nombreux médicaments destinés à limiter la consom-mation d’alcool ont été testés sur des modèles animauxvalidés. Seuls deux d’entre eux ont donné, à ce jour, desrésultats suffisamment positifs chez l’homme pour obte-nir une autorisation de mise sur le marché (AMM) dansl’indication : « aide au maintien de l’abstinence »(v. tableau).

● AcamprosateMolécule proche de la taurine (agoniste du récepteurGABA [acide gamma-amino-butyrique]), l’acamprosate(Aotal) inhibe, par son effet sur les récepteurs NMDA(N-méthyl-D-aspartate) et la diminution de la fonctionna-lité des canaux calciques, l’hyperexcitabilité neuronaleretrouvée lors du sevrage et du post-sevrage chez lessujets dépendants de l’alcool. Des données récentes sem-blent confirmer cet effet neuroprotecteur au cours de lapériode de sevrage et inviteraient à démarrer le traitementprécocement. Les contre-indications de ce traitement sontpeu nombreuses (insuffisance rénale sévère et allergiedocumentée). Les effets indésirables, peu fréquents, serésument à des désordres gastro-intestinaux qui régres-sent la plupart du temps spontanément.

Les résultats de nombreux essais randomisés euro-péens et nord-américains ont été évalués dans des méta-analyses. Sur de longues périodes de traitement et desuivi (supérieures ou égales à un an), l’acamprosateapporte un bénéfice pour 4 à 6 patients sur 10 traités entermes de maintien de l’abstinence (réduction du nombrede jours d’alcoolisation et allongement du délai jusqu’à lareprise de l’alcoolisation).6,7 Si l’effet est jugé limité, il eststable et peut être augmenté en association aux autresmédicaments avec le disulfirame et la naltrexone.8,9

● NaltrexoneLa naltrexone (Revia) est un antagoniste spécifique desrécepteurs aux opiacés ; elle réduit chez l’animal les com-portements d’alcoolo-préférence. Ce traitement est des-tiné à réduire le risque de rechute après sevrage par blo-cage compétitif des récepteurs opioïdes, s’opposant ainsiau renforcement positif induit par les opioïdes endogènesproduits lors de la consommation d’alcool. Plusieurs étu-des randomisées contre placebo ont démontré l’intérêt dece produit sur la plupart des critères envisagés : amélio-

L La durée initiale d’abstinence après le sevrage est définie à l’avance par le malade sur la base probabiliste de son appréciation de sa capacité à la maintenir sur une période donnée.

L La prolongation du projet d’abstinence à l’échéance de la période initiale est systématiquement proposée et débouche sur le renouvellement du pari sur une nouvellepériode dans la majorité des cas.

L Les « paris » d’abstinence se renouvellent annuellement à échéances de loin en loin.

L Le patient fait le choix des composantes de son projetthérapeutique d’accompagnement parmi l’ensemble des outilsthérapeutiques qui lui sont présentés.

L Toute reprise de l’alcoolisation n’est pas une rechute. Si desconsommations intermédiaires stables ne sont pas considéréescomme telles, elles sont souvent instables et doivent inciter à un retour vers l’abstinence ou une vigilance accrue.

L Les deux médicaments d’aide au maintien de l’abstinenceactuellement sur le marché (Aotal et Revia) peuvent êtreassociés.

L Le séjour en postcure n’est pas systématique; les indicationsspécifiques concernent les patients sévères, désocialisés, en grande difficulté avec leur entourage ou atteints de troublescognitifs importants.

C E Q U I E S T N O U V E A U

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ration du taux d’abstinence à 12 semaines de suivi, réduc-tion du risque de rechute après sevrage (même en cas dereprise de l’alcoolisation). Les rechutes, lorsqu’elles sur-viennent, sont plus tardives et moins sévères (réduisant lenombre et l’intensité des reprises).10 L’efficacité de la nal-trexone semble due à une diminution des envies de boire(appétence ou craving) limitant ainsi le risque de retourvers une consommation excessive, même en cas de reprisede l’alcoolisation.

Deux méta-analyses des essais randomisés démontrentun effet globalement positif dans la diminution du tauxde rechute et l’amélioration du taux d’abstinence. La qua-lité de l’observance du traitement est discutée, d’autantqu’elle semble conditionner son efficacité.11 La rareté desétudes confirmant l’efficacité de la molécule sur desdurées plus longues (supérieures ou égales à 6 mois) alimité à ce jour l’AMM en France à trois mois, et ne permetpas encore de déterminer la durée optimale théorique dutraitement. Les effets indésirables sont peu nombreux etbénins (nausées, vertiges) en début de traitement et cettemolécule doit être déconseillée aux patients souffrantd’une insuffisance hépatique sévère.

● Stratégies d’associationIl semble exister un réel bénéfice à associer la prescriptiondes deux médicaments d’aide au maintien de l’abstinencesur le marché: l’acamprosate et la naltrexone.12 Une étuderandomisée a comparé le devenir de quatre groupes depatients dépendants de l’alcool en post-sevrage placéssous les quatre conditions (placebo ; naltrexone ; acam-prosate ; acamprosate et naltrexone) sur trois critères :amélioration du taux d’abstinence, prévention de larechute, et diminution du craving (défini comme lebesoin irrépressible de consommer). Le bénéfice estsignificativement en faveur de l’association pour la totalitédes paramètres étudiés en comparaison avec le placebo etl’acamprosate seul. L’association semble faire mieux que lanaltrexone seule sans pour autant atteindre la significati-vité.13 Si ces résultats étaient confirmés par d’autres essais,la prescription combinée des deux molécules serait àrecommander en première intention. Bien que lespatients susceptibles de bénéficier de l’une, de l’autre oude l’association de ces molécules soient encore en coursd’identification, certains auteurs recommandent leurassociation.13-15

Médicaments du maintien de l’abstinence après le sevrage

Indication

Posologie

Durée

Effets indésirables

Contre-indications

Recommandations

❚ Traitement de soutien dans le maintien de l’abstinence chez les patients dépendants de l’alcool❚ La naltrexone n’est pas un traitement de la période de sevrage

❚ 1 comprimé par jour

❚ 3 mois (en l’absence de données cliniques pour des durées supérieures)

❚ Nausées❚ Vomissements❚ Céphalées❚ Insomnie, anxiété, nervosité, crampes et douleursabdominales, asthénie, douleurs articulaires et musculaires

❚ Dépendance aux opiacés (risque d’apparition d’un syndrome de sevrage aigu)❚ Hypersensibilité à la naltrexone❚ Insuffisance hépatocellulaire sévère ou hépatite aiguë❚ Sujet de plus de 60 ans

❚ Débuter après la phase de sevrage alcoolique à 1/2 cp par jour durant les 3 premiers jours (diminue le risque d’intolérance)❚ Associer à la prise en charge psychologique❚ Une reprise de l’alcoolisation épisodique ne contre-indique pas le maintien du traitement

❚ Aide au maintien de l’abstinence chez le patientdépendant de l’alcool après sevrage

❚ � 60 kg : 6 comprimés par jour en 3 prises❚ � 60 kg : 4 comprimés par jour en 2 prises

❚ 1 an

❚ Diarrhées et, moins fréquemment, nausées,vomissements et douleurs abdominales❚ Érythème maculopapuleux

❚ Insuffisance rénale (créatininémie > 120 µmol/L)❚ Hypersensibilité connue à l’acamprosate ou à l’un des excipients

❚ Instaurer dès que possible après l’arrêt de la consommation d’alcool, y compris durant la période de sevrage❚ Associer à la prise en charge psychologique❚ Une reprise de l’alcoolisation épisodique ne contre-indique pas le maintien du traitement

Tableau

NALTREXONE (REVIA) ACAMPROSATE (AOTAL)

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MALADES DE L’ALCOOL M A I N T I E N D E L’A B S T I N E N C E A P R È S L E S E V R A G E

● Molécules prometteusesPlusieurs molécules sont actuellement à l’étude dans letraitement de la dépendance à l’alcool après le sevrage.

Une forme injectable à libération prolongée de nal-trexone, garantissant une meilleure observance, a montréson efficacité dans le maintien de l’abstinence à 6 mois ; 16

son agrément par la Food and Drug Administration auxÉtats-Unis est en cours.

Antagoniste sérotoninergique pourvu d’un puissanteffet antiémétique, l’ondansétron (Zophren) a montréune efficacité dans le maintien de l’abstinence à court (6 semaines) et à moyen terme (12 semaines).17

Le topiramate (Epitomax) est un antiépileptique per-mettant de réduire, par un mode d’action indirect, la libé-ration de dopamine au niveau méso-cortico-limbique.Une étude récente (randomisée contre placebo) a montréson intérêt pour réduire la consommation d’alcool et favo-riser l’abstinence de manière significative.18

Enfin, le rimonabant est un antagoniste du récepteurcannabinoïde CB1 dont les résultats sur des modèles ani-maux sont très prometteurs.

Les traitements médicamenteux doivent être proposésplus fréquemment aux patients dépendants de l’alcool, carils sont une aide précieuse et reconnue comme efficacedans la prise en charge pour réduire le risque de rechute etaider au maintien de l’abstinence. On ne peut que recom-mander leur prescription systématique, en association avecla prise en charge médicale, sociale et psychologique. Leurprescription est recommandée au décours immédiat dusevrage physique. Néanmoins, des données chez l’animal,et précliniques chez l’homme, sont en faveur d’un rôleneuroprotecteur de l’acamprosate qui inviterait à le pres-crire au cours du sevrage physique, voire avant.

Les groupes d’entraides

Des associations de malades dites « néphalistes » appor-tent au patient un soutien précieux à l’aide, le plus souvent,d’un programme par étapes progressives lui permettantd’accéder à un état de bien-être dans l’abstinence. Lesbases théoriques de ces associations sont très variables, etleur allure quasi confessionnelle peut provoquer d’impor-tantes résistances a priori ou lors du premier contact.Cependant, la référence à Dieu dans le mouvement« Alcooliques Anonymes » (le plus répandu) n’est qu’unmoyen spirituel de signifier la limite de la conditionhumaine pour résoudre son problème et à en appeler à un« être supérieur » que chacun investira selon ses croyances.

Dans notre expérience, il est impossible de distinguer àl’avance les « bons candidats » des « allergiques primaires »à ce type de prise en charge. Cependant, de nombreuxpatients réticents à un suivi médical, rassurés par la rencon-tre avec des semblables et soutenus par l’entraide mutuelles’y investissent beaucoup. Ainsi, il apparaît légitime de pro-poser systématiquement à un sujet dépendant de l’alcool

de se rendre à une réunion proche de son domicile pour sefaire une idée par lui-même. Les adresses des réunions lesplus proches sont disponibles sur le site Internet(www.alcooliquesanonymes.fr); il convient de se procu-rer les lieux, dates de rencontres et éventuels contacts desassociations de son quartier d’exercice professionnel en lesreportant sur une feuille d’information à remettre auxpatients. Ces données doivent être remises périodique-ment à jour, compte tenu de la labilité de certains groupes.L’établissement d’un contact de qualité avec un membrede l’association permet un lien plus direct et personnaliséqui peut optimiser le « transfert » du patient.

L’accompagnement de l’entourage

La dépendance à l’alcool n’est pas une maladie conta-gieuse, mais la souffrance qu’elle génère se propage parcontinuité à l’ensemble de l’entourage professionnel etfamilial. Ce trouble comportemental fixé perturbe en effetconsidérablement les relations avec les proches, en indui-sant, le plus souvent au fil du temps, des réactions trèsambivalentes dans des registres aussi divers que la protec-tion, le rejet, l’incompréhension, la compassion, la tolérance,la colère, l’abandon, le soutien, la menace, la complicité,l’isolement, la violence, le partage de la culpabilité, la suspi-cion, etc. Bien souvent, ces schémas relationnels s’entrecroi-sent et finissent par se stabiliser dans une relation difficile,agrémentée de crises conflictuelles, et protégée par des atti-tudes de déni le plus souvent réciproque, permettant derendre vivable (donc de pérenniser) un enfer quotidien.

La prise de contact avec un soignant, souvent suscitée,suggérée, voire exigée, par l’entourage, est souvent l’occa-sion « d’une mise au point » au cours de laquelle le méde-cin est rapidement mis dans une position des plusinconfortables, sommé de jouer à la fois les rôles de poli-cier, de juge d’instruction, de témoin, d’avocat, de procu-reur, de « prescripteur » d’abstinence et d’« assureur » deson maintien… L’épouse inquiète tente de se glisser dansla consultation, physiquement ou par téléphone, pourvérifier, compléter les déclarations du patient ou même s’ysubstituer. Parfois, l’abstinence, enfin obtenue de grandelutte, déclenche paradoxalement une crise familialeimportante en déstabilisant les rôles préalablement distri-bués de coupable persécuteur (le patient) et de victimepersécutée (le conjoint) ; il n’est pas rare que ce renverse-ment de situation conduise à des attitudes paradoxales del’entourage qui favorisent inconsciemment la rechute.Dans ce véritable piège interrelationnel, il est indispensa-ble pour le médecin de défendre sa place de soignant, eninvitant l’entourage du patient à se rendre à un grouped’informations et de paroles comme il en existe dans cer-tains centres d’alcoologie ou au sein de mouvements d’en-traide (groupe Alanon pour les Alcooliques Anonymes,groupe Entourage pour le mouvement Croix d’or). Enfin,les enfants d’un parent dépendant de l’alcool vivent trèsdifficilement la maladie de celui-ci. Ils se trouvent bien

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souvent dans un conflit de loyauté à soutenir le « bonparent » contre le « mauvais parent ». Lorsqu’elle est expri-mée, la souffrance de l’entourage renforce la culpabilitédes malades. Des groupes de soutien aux enfants se sontmis en place dans certains centres ; Alaten (du mouve-ment Alcooliques Anonymes) accueille les adolescents.

Le dispositif résidentiel : cure, post-cure,séjours de consolidation

L’étape résidentielle est longtemps restée centrale dansle schéma de référence du traitement de dépendance àl’alcool, soit comme lieu de réalisation du sevrage (lacure), soit dans sa consolidation (la post-cure). Le déve-loppement et la validation des stratégies ambulatoiresdevraient permettre de redéfinir clairement les indica-tions des séjours résidentiels de post-sevrage.19 La duréede séjour des options résidentielles dans des établisse-ments spécialisés dépend, avant tout, du contenu des pro-grammes de soins dispensés et de leur orientation. Trèsschématiquement, les séjours « courts » proposent dessoins de « cure » organisés sur 3 à 4 semaines et axés sur lamise en commun des expériences lors de réunions degroupe, d’ateliers spécifiques (senteurs, vidéo, écritures),de séances plus informatives sur les mécanismes de ladépendance et les effets délétères sur la santé et des théra-pies plus spécifiques (comportementales, séances derelaxation, transactionnelles, etc.). Au cours de ces séjourscourts, un bilan somatique systématique est pratiqué. Lesséjours longs (ou « post-cure ») de plusieurs mois (3 à 6)proposent des programmes plus orientés sur la réinser-tion sociale (réapprentissage des horaires), la réhabilita-tion narcissique et corporelle (activité sportives, relaxa-tion, etc.) et l’intervention de représentants de groupesd’entraide.

Certains centres ont développé des programmes spéci-fiques pour des populations spécifiques (les femmes, lespatients polydépendants) ou pour des comorbidités parti-

culières (troubles cognitifs, comorbidités psychiatriques).Peu de travaux ont évalué l’efficacité de ces séjours. Lesrésultats d’essais cliniques randomisés comparant desdurées variables de séjours ne plaident pas pour une effi-cacité supérieure des séjours longs sur les séjours courtschez des patients non sélectionnés.20-23 Il est en revanchetrès probable que certains patients bénéficient d’hospitali-sations longues.24

Enfin, des hospitalisations de jour permettent d’accom-pagner le patient dans la phase de post-sevrage immé-diate ; le rapport coût-effiacité de cette méthode semblesupérieur à une hospitalisation classique ou à un suiviambulatoire.25, 26

CONCLUSION

À l’issue du sevrage, le soignant en charge du projet théra-peutique d’un sujet dépendant de l’alcool doit inscrirel’aide thérapeutique dans une perspective de partenariat àlong terme, compte tenu de la persistance prolongée durisque élevé de rechute. Pour ce faire, il peut utiliser, selonl’offre de soins disponible, ses habitudes et le degré d’al-liance du patient, un arsenal très diversifié. Parmi celui-ci,les grandes options stratégiques sont ambulatoires ourésidentielles. Le défaut de validation, à ce jour, d’indica-tions préférentielles des « stratégies lourdes » incite à neles réserver qu’aux patients dans un état sévère. Uneapproche psychothérapique apparaît indispensable pourpermettre au patient de s’installer dans son processusd’abstinence et à en tirer tous les bénéfices. Une aidemédicosociale peut être apportée pour reconstruire lesdégâts de la dépendance. Les mouvements d’entraidepeuvent s’avérer d’une utilité précieuse pour accompa-gner certains patients très réticents à une approche médi-cale. La comorbidité psychiatrique, souvent associée à ladépendance à l’alcool, doit être repérée précocement ettraitée spécifiquement, en raison du risque important derechute qu’elle fait courir. Enfin, la prescription d’un oude deux médicaments d’aide au maintien de l’abstinenceoptimise les résultats de l’accompagnement et doit êtresystématiquement recommandée. Il est indispensable dese rappeler que, quelles que soient les stratégies thérapeu-tiques (médicamenteuses, entraides, psychothérapiques,familiales…), les études évaluant le pronostic de la dépen-dance à l’alcool traitée à un an post-sevrage rapportent :un tiers de patients n’ayant tiré aucun bénéfice des traite-ments, un tiers ayant tiré un bénéfice complet (abstinenceaccomplie associée à des améliorations majeures dans lesdomaines somatiques, psychiques, relationnels), et undernier tiers ayant tiré un bénéfice incomplet ou séquen-tiel avec des améliorations mineures. Au final, deux tiersdes patients dépendants de l’alcool tirent un bénéfice deleurs traitements ; le praticien peut-il prendre la responsa-bilité de ne pas mettre en place de traitement chez lesseuls 20 % d’entre eux qui viennent le consulter? B

L La recommandation d’une abstinence la plus complète et la plus longue possible reste l’objectif idéal du traitementde la dépendance à l’alcool.

L Le projet d’abstinence est mis en place avec le patient plussur la forme d’un pari que d’un contrat.

L Les modalités des traitements d’aide au maintien de l’abstinence, leurs effets secondaires et leurs mécanismesd’action (quand ils sont élucidés) sont exposés aux patientspour qu’ils puissent faire un choix.

L Le projet minimal associe un suivi médical un an après le sevrage (bimensuel au cours du premier trimestre et mensuelau cours des trois autres trimestres) et la prescription d’un médicament d’aide au maintien de l’abstinence.

P O U R L A P R AT I Q U EP O U R L A P R AT I Q U E

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 61 106

MALADES DE L’ALCOOL M A I N T I E N D E L’A B S T I N E N C E A P R È S L E S E V R A G E

SUMMARY Maintaining abstinence after alcohol detoxification“To quit drinking” is not the panacea of alcohol dependence treatment; it is only its first step. Abstinence should be considered more as a mean than apurpose of the after-withdrawal cares. The frequent resistance of the alcoholic patient to undertake in a long term abstinence can be by-passed bysuggesting to fix himself renewable terms for periods during which he feels rather confident to raise the bet of a “most accomplished possible”abstinence. To facilitate the realization and the preservation of this abstinence in the best conditions (potentiation of the profits and minimization of thedifficulties), a “therapeutic menu” will be proposed to the patient besides a “minimum plan” containing a medical follow-up over one year, with variablefrequency of visits according to the evolution and the prescription of one or two anti-craving drugs registered. Psychotherapies using differenttechniques as Cognitive Behavioural Therapy, group therapy or psychoanalysis could be proposed after a necessary clarification to the patients of themechanism of action of each and the waited profits. In the final, two thirds of the patients with alcohol dependence fire in one year a profit of theirtreatments; the practitioner takes, actually, no risk and should propose systematically a project to the only 20% of them who come to consult him.

Rev Prat 2006 ; 56 : 1100-6

RÉSUMÉ Maintien de l’abstinence après le sevrage« S’arrêter de boire » n’est pas la panacée du traitement de la dépendance à l’alcool, ce n’est que son préalable. L’abstinence devrait être considéréeplus comme un moyen que comme le but des traitements après le sevrage. La résistance fréquente d’un patient dépendant de l’alcool pour s’engagerdans une abstinence définitive peut être contournée en lui proposant de fixer lui-même des échéances renouvelables pour des périodes au coursdesquelles il se sent assez confiant pour relever le pari d’une abstinence la plus accomplie possible. Afin de faciliter la réalisation et le maintien de cetteabstinence dans les meilleures conditions (potentialisation des bénéfices et minimisation de la pénibilité), un « menu thérapeutique » est proposé aupatient en plus d’un « plan minimal » contenant un suivi médical sur un an, à fréquence variable selon l’évolution, et la prescription d’un ou de deuxmédicaments d’aide au maintien de l’abstinence. Des psychothérapies utilisant des techniques différentes, le soutien d’un groupe d’entraide etl’accompagnement de l’entourage sont des options thérapeutiques dont il faut expliquer au patient le mécanisme d’action et les bénéfices attendus. Aufinal, deux tiers des patients dépendant de l’alcool tirent à un an un bénéfice de leurs traitements ; le praticien prend en fait peu de risques à proposersystématiquement un projet aux seuls 20 % d’entre eux qui viennent le consulter.

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R É F É R E N C E S

Les auteurs n’ont pastransmis de déclaration

de conflits d’intérêts.

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1 107

L a maladie alcoolique est une pathologie complexeayant des conséquences médicales, psychologiques etsociales. Les médecins sont naturellement compétents

pour prendre en charge les dimensions médicale etpsychologique de ce fléau. Quant à la dimension sociale,c’est officiellement l’État, à travers la politique de Santépublique, qui l’assume : la troisième partie du code de laSanté publique, intitulée Lutte contre les maladies et dépen-dances 1 prévoit ainsi que l’État organise et coordonne laprévention et le traitement de l’alcoolisme, prenant à sacharge les coûts financiers qui y ont trait.

Mais, exception faite des dispositifs légaux concernantla conduite en état d’ivresse et la réglementation des débitsde boissons, force est de constater l’absence de dispositifspécifique visant à prendre en charge les conséquencessociales de l’alcoolisme. La tendance est plutôt inverse : ledécret de mai 20032 relatif aux droits des malades a sup-primé de notre ordonnancement juridique la procédure

qui permettait de pallier le silence souvent gardé par lafamille et le voisinage sur les agissements dangereux del’alcoolique, par un dépistage judiciaire ou administratifdes alcooliques dangereux, qui pouvait aboutir au place-ment de ces derniers dans des centres de cure.

En l’absence de dispositif spécifique concernant lesconséquences sociales de l’alcoolisme, tels les risques defautes professionnelles, les violences à l’égard des mem-bres de la famille, les risques multiples d’accidents, etc., lesvictimes pourraient être tentées de rechercher desresponsabilités au-delà de l’auteur direct des dommages.Or, le médecin, en tant qu’interlocuteur professionnelalerté de l’état alcoolique, peut-il être considéré commeresponsable indirect des dommages qui seraient causéspar un patient, qui, sous l’empire de l’alcool, commettraitdes agissements répréhensibles ?

À la prise en charge médicale et psychologique tendraitainsi à s’ajouter la responsabilité de gérer, au moins en

1 107

Le patient alcoolique : quelle est la responsabilitéjuridique du médecin ?

Face aux conséquences sociales de l’alcoolisme, le médecin doit-ilfaire primer la protection de l’individu ou celle de la collectivité ?L’analyse montre que sa responsabilité juridique découle avant toutde ses diverses obligations à l’égard de son patient et, dans certainscas, de celles imposées par la loi dans l’intérêt des tiers.

m o n o g r a p h i e

Jérôme Franck *

* Avocat à la cour, 111, boulevard Pereire, 75017 Paris. Courriel : [email protected]

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partie, la dimension sociale de la maladie ? Les médecins,qui assument déjà la lourde responsabilité d’apporter àleurs patients les soins personnels adaptés, se trouventsouvent démunis face à ce rôle qui sort du contrat de soinle liant au patient.

La pression est en effet considérable. Selon l’Institutnational de la santé et de la recherche médicale (Inserm),plus de 5 millions de Français ont une consommationexcessive d’alcool ; l’alcool serait la troisième cause demortalité en France, et 15 à 20% des accidents de travailsont liés directement à la consommation d’alcool.3 Cettepathologie est également souvent impliquée dans les actesde violence, notamment conjugale.

Or, s’il est vrai que le problème de l’alcool dépasse lasphère purement privée du patient, et qu’il est doncnécessaire d’aborder ce problème de société dans sa glo-balité, cela ne justifie pas de faire peser le fardeau de laresponsabilité sur les médecins, au seul prétexte qu’ils sesituent souvent à l’interface entre l’alcoolique et la société.De plus, cela impliquerait pour le médecin de renoncer àprotéger le patient alcoolique, pour mener à bien une mis-sion de protection de la société. Il convient donc de faireun point sur l’étendue de la responsabilité juridique dumédecin en présence d’un patient alcoolique. Quellessont alors les responsabilités du médecin face aux consé-quences de l’alcoolisme, non seulement à l’égard dupatient lui-même, mais aussi à l’égard des tiers ?

Des intérêts contradictoires sont ici en jeu, car donnerla priorité à la protection des tiers risque de compromet-tre, dans certains cas, le lien de confiance propre à la rela-tion entre un médecin et son patient. Cette questionconsiste ainsi à se demander si le médecin doit, à l’occa-sion de ses fonctions, faire primer la protection de l’indi-vidu ou celle de la collectivité.

Le code de déontologie des médecins, en son article 2,repris par le code de la Santé publique,4 énonce claire-ment la hiérarchie des intérêts que le médecin se doit deprotéger : «Le médecin, au service de l’individu et de la santépublique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine dela personne et de sa dignité. »

Ainsi, pour le médecin, l’individu doit passer avant lacollectivité, et si celui-là est bien un acteur majeur dans lapolitique de Santé publique, il doit avant tout honorer lecontrat moral qui le lie à son patient. Sa responsabilitéjuridique est donc, en principe, limitée à l’acte médicalindividuel bien accompli. Ce dernier, s’il est conforme auxprincipes que dictent les règles de la profession, profite aupatient, mais aussi à la société, en ce qu’il contribue tant àla prévention et au traitement de l’alcoolisme. Ce n’est quedans les cas extrêmes, déterminés par la loi et la jurispru-dence, et dictés par l’intérêt des tiers, que sa responsabilitéexcède les limites du service dû au patient.

Sa responsabilité juridique découle, avant tout, de sesdiverses obligations à l’égard du patient alcoolique et, danscertains cas, de celles imposées par la loi dans l’intérêt des tiers.

LES OBLIGATIONS DU MÉDECIN À L’ÉGARDDU PATIENT ALCOOLIQUE

La responsabilité juridique se définissant comme l’obliga-tion de répondre de ses actes et d’en supporter les consé-quences, il convient tout d’abord de rappeler les deuxcomposantes essentielles de l’acte médical, quelle que soitla pathologie du patient.

Le diagnostic consiste notamment à déterminer la gra-vité de l’état alcoolique, le type de consommation, etl’existence ou la potentialité de complications.

Le traitement passe par le sevrage, le maintien de l’abs-tinence, et la prise en charge des complications identifiéesdepuis le stade du diagnostic.

À chaque étape, le médecin doit apporter toute dili-gence pour mener à bien sa mission d’assistance et de soindu patient. Sa responsabilité risque d’être engagée en casde défaillance dans l’accomplissement de cette dernière.

Qualité des soins

L’article 32 du code de déontologie prévoit que le médecins’engage à assurer personnellement au patient des soinsconsciencieux, dévoués et fondés sur les données acqui-ses de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide detiers compétents. La qualité des soins implique notam-ment une démarche active d’investigation. Lors du traite-ment, des soins attentifs et consciencieux doivent êtredispensés. La qualité de ceux-ci peut aussi impliquer unenécessaire surveillance du patient, par exemple dans lesmilieux hospitaliers ouverts.

Obligation d’information

L’information est capitale face au problème de l’alcoo-lisme, car elle contribue à la prévention.

L’article 35 du code de déontologie précise la qualité del’information qui est attendue d’un médecin : elle doit êtreloyale, claire et appropriée, et doit tenir compte de la per-sonnalité du patient afin de veiller à la compréhension del’information fournie.

L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 61 108

MALADES DE L’ALCOOL Q U E L L E E S T L A R E S P O N S A B I L I T É J U R I D I Q U E D U M É D E C I N ?

L Depuis la loi du 4 mars 2002, le malade s’est vu expressémentreconnu le droit de refuser des soins.

L Depuis l’abrogation par le décret du 21 mai 2003 des dispositions anciennes permettant le placement des personnes souffrant d’un état alcoolique (anciens articlesL.351-1 à L.35-4 du code de la Santé publique), le patientalcoolique ne peut être hospitalisé d’office que lorsqu’il estatteint de troubles mentaux susceptibles de compromettre la sûreté des personnes ou portant atteinte, de façon grave, à l’ordre public.

C E Q U I E S T N O U V E A U

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L’article L 1111-2 du code de la Santé publique préciseque le contenu de l’information doit porter sur les diffé-rentes investigations, traitements ou actions de préven-tion qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éven-tuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ounormalement prévisibles qu’ils comportent, ainsi que lessolutions alternatives possibles et, enfin, les conséquencesprévisibles en cas de refus par le patient des préconisa-tions ainsi présentées.

Cela consiste, en premier lieu, à alerter le patient alcoo-lique, à lui faire prendre conscience de son problème.L’information porte également sur les conséquencesqu’entraîne cette maladie ; enfin, elle consiste à expliquerau patient, en fonction de son cas, les traitements exis-tants. Le corollaire de l’obligation d’informer le patientréside dans l’obligation d’obtenir son consentementéclairé concernant les actions qui lui sont proposées.

Obligation de recueillir le consentement

La loi du 4 mars 2002, relative aux droits des maladeset à la qualité des systèmes de santé,5 a posé comme exi-gence éthique fondamentale le nécessaire respect dudroit du malade d’accepter ou de refuser ce que le méde-cin lui propose, et qu’il n’a pas le droit de lui imposer.

Le seul cas où le médecin peut outrepasser le refus dupatient est l’existence d’un risque vital tel que la grève dela faim ou la conduite suicidaire. En cas de refus deconsentement concernant un acte qui lui paraît néces-saire, telle la cure de désintoxication, le médecin doit s’ef-forcer à nouveau de convaincre le patient, en s’assurantque toutes les informations sont comprises. Si, à l’issue decette démarche, le patient réitère son refus, le médecinpeut décider de ne pas poursuivre la prise en charge. Dansce cas, l’obligation de continuité des soins lui impose dediriger son patient vers un autre médecin.

Pour ce qui est des adolescents, il convient de signalerque la loi du 4 mars 2003 offre aux mineurs le droit deconsentir aux soins, ainsi que celui d’être soigné sansinformation des parents. Dans ce cas, le médecin doit s’ef-forcer d’obtenir le consentement du mineur à la consulta-tion des parents ; en cas de refus du mineur, la mise enœuvre du traitement ne peut se faire que lorsqu’il se faitobligatoirement accompagner d’une personne majeurede son choix.

À ce sujet, il est particulièrement recommandé de seprémunir d’écrits attestant des démarches effectuéesauprès des patients pour obtenir leur consentement, ainsique des preuves de leur refus exprès.

Respect du secret professionnel

L’information évoquée ci-dessus est exclusivementréservée au patient et ne saurait être divulguée aux tiers.Le patient alcoolique a tout spécialement besoin d’êtreassuré d’une relation de confiance avec son médecin.

L’article 4 du code de déontologie précise l’obligation du

secret professionnel prévue par le Code pénal 6 à l’encon-tre des personnes dépositaires d’informations à caractèresecret à l’occasion de leur profession. Le secret couvrel’ensemble des informations concernant le patient, venuesà la connaissance du médecin. L’obligation est générale etabsolue. Seule la loi peut y déroger parfois, dans l’intérêtdes tiers comme exposé ci-dessous. Le secret s’impose àl’égard de la famille, et même à l’égard des parents demineurs, lorsque l’adolescent en fait la demande exprès.7

De même, le médecin ne doit pas se plier à la demandedu juge, à l’exception des enquêtes pénales (v. infra).

Les professionnels de santé, amenés à échanger desinformations pour les nécessités de la continuité dessoins, doivent être vigilants et se garder de diffuser desinformations non pertinentes pour le suivi du dossier.

La non-immixtion dans les affaires de famille

L’article 51 du code de déontologie vient rappeler aumédecin que, malgré son statut de confident des patientset de leur famille, il doit s’abstenir de s’immiscer sans rai-son professionnelle dans leurs affaires de famille et dansleur vie privée. À ce titre, le médecin doit refuser de déli-vrer imprudemment un certificat médical. Seule ladéfaillance dans la pratique des soins est susceptible d’en-gager la responsabilité du médecin à l’égard du patientalcoolique, lorsqu’elle a eu pour conséquence la survenued’un préjudice pour ce dernier. En plus des obligationsinhérentes au contrat de soin, la loi ou la jurisprudenceimpose au médecin des obligations allant au-delà de l’actemédical bien accompli à l’égard de son patient.

LES OBLIGATIONS DU MÉDECIN À L’ÉGARD DES TIERS

Le danger que peut représenter le patient alcoolique, tantpour son entourage que pour l’ordre public de sécurité, aamené le législateur et le juge à imposer au médecin desobligations allant au-delà du service dû au patient.

Obligation de mandataire de justice

Le médecin doit se soumettre à l’injonction qui lui estadressée par une autorité judiciaire ou administrative deprocéder à un examen médical. Cette procédure est parti-culièrement courante en matière de sécurité routière. Lemédecin requis doit répondre à la mission, toute la mis-sion, et rien que la mission. Il s’agit là d’une obligation quisort nécessairement du contrat de soin entre le médecinet son patient. D’ailleurs, afin de préserver le secret médi-cal, le médecin doit se récuser lorsque la personne à exa-miner est son patient.

Obligation de placement

Le médecin peut-il être obligé de lancer une procédurede placement du patient alcoolique dans un établissementspécialisé ? La réponse est en principe négative, hormis

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l’hypothèse où le médecin doit se poser la question duplacement d’office. En effet, le décret de 2003 renforçant ledroit des malades a supprimé la procédure qui pouvaitaboutir au placement d’un patient alcoolique dangereux,procédure qui débutait par le certificat médical du médecin.

Toutefois, des dispositions identiques concernant leplacement des personnes ayant des troubles mentauxrequérant des soins et compromettant la sûreté des per-sonnes sont quant à elles maintenues.8 Par conséquent,une telle procédure n’est possible que dans le cas où l’al-coolique dangereux est affecté par de tels troubles.

Obligation de signalement

En présence d’un patient alcoolique susceptible de pré-senter un danger pour les tiers, le médecin est-il tenu designaler cet état de fait aux autorités publiques ? Il n’existepas d’obligation de procéder au signalement, mais la loi

dégage le médecin de son obligation de secret médicaldans certains cas, et la jurisprudence tend de plus en plusà l’y encourager.

Dérogations légales au secret médical

• Saisies et perquisitions au sein du cabinetL’article 56-3 du code de procédure pénale autorise le juge

d’instruction, dans le cas d’une enquête pénale, à procé-der à une perquisition et à saisir un dossier médical, ausein d’un cabinet médical. Le juge d’instruction peut aussidonner mandat à un officier de police judiciaire pour yprocéder. Dans ce cas, le médecin ne peut opposer le sec-ret médical aux opérations. Pour veiller à ce que les saisiessoient limitées aux nécessités de l’enquête, la loi a apportéune garantie, en imposant la présence de la personneresponsable de l’ordre ou son représentant pendant cesopérations.

L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 61 1 10

MALADES DE L’ALCOOL Q U E L L E E S T L A R E S P O N S A B I L I T É J U R I D I Q U E D U M É D E C I N ?

Responsabilité pénaledu fait d’infractions commises par un patient alcoolique

Un médecin peut-il être déclaré pénale-ment responsable des infractions com-mises par un de ses patients en état

d’ébriété ?L’hypothèse la plus courante est la sui-

vante : un médecin qui laisse partir unpatient se trouvant dans un état d’ébriétépeut-il voir sa responsabilité pénale mise encause par les victimes de l’accident de la cir-culation provoqué par ce patient ou par lafamille de ce dernier ? Si la jurisprudencesemble peu fournie, il n’en demeure pasmoins que cette possibilité existe au regarddes textes applicables.

L’ÉVENTUELLE ATTEINTEINVOLONTAIRE À LA VIE OU À L’INTÉGRITÉPHYSIQUE

En matière d’atteinte involontaire à la vieou à l’intégrité physique, la responsabilitédu médecin peut être retenue, même, s’iln’est pas l’auteur direct de l’infraction maisqu’il a créé la situation ayant permis la réali-sation du dommage, ou n’a pas pris lesmesures qui auraient permis de l’éviter.1

Cette responsabilité suppose qu’il soit établique le médecin a, soit violé de façon manifeste-ment délibérée une obligation particulière deprudence ou de sécurité prévue par la loi ou lerèglement, soit commis une faute caractérisée

et qui exposait autrui à un risque d’une particu-lière gravité qu’il ne pouvait ignorer.

Cela supposerait donc de rapporter lapreuve qu’un médecin ayant reçu dans lecadre de sa consultation un patient mani-festement en état d’ébriété, soit conscientdu fait que ce patient allait utiliser dans unfutur immédiat son véhicule automobile, cequi exposait des tiers à un risque d’une par-ticulière gravité. Outre ces éléments, ilconviendrait de rapporter la preuve de l’omission fautive du médecin qui n’auraitpas pris les mesures qui s’imposent (p. ex. lesignalement auprès des autorités de police).Il ne semble pas que les juridictions sesoient prononcées sur cette questionconcernant un médecin.

L’OMISSION DE PORTER SECOURS

Selon l’article 223-6 du Code pénal, qui-conque pouvant empêcher par son actionimmédiate, sans risque pour lui ou pour lestiers, un délit contre l’intégrité corporelle dela personne et s’abstient volontairement dele faire, peut être puni de 5 ans d’emprison-nement et de 75 000 euros d’amende.

L’omission de porter assistance à une per-sonne en péril, sans risque pour soi ou pourles tiers, soit par son action personnelle, soiten provoquant un secours est puni desmêmes peines.

Pour être sanctionnée, cette infractionsuppose qu’il y a une abstention volontairede la part du médecin qui, connaissantl’existence du péril imminent, a ainsi volon-tairement refusé de prendre les mesures quis’imposent. Des poursuites pour des faitssimilaires ont été engagées à l’encontre decollègues de travail d’une personne en étatd’ébriété, qui était décédée dans un acci-dent de la circulation. Il leur avait été repro-ché ensuite par la famille de n’avoir riententé pour l’empêcher de conduire son véhi-cule. Mais la Cour de cassation a considéréque l’infraction n’était pas constituée, dèslors que ces personnes avaient pu légitime-ment ne pas avoir conscience de l’état d’é-briété avancée du conducteur (Cass. Crim.29-11-1995, no 95-80.803).

Un médecin pourrait-il bénéficier d’unetelle clémence ? La réponse est incertaine,et c’est pourquoi la vigilance s’impose, étantrappelé que le signalement aux autorités depolice n’est pas, dans cette hypothèse, cons-titutif d’une violation du secret médical dontla révélation n’est pas punissable lorsque laloi l’impose ou l’autorise.2

1. Article L. 121-3 du Code pénal.

2. Article L. 226-14 du Code pénal.

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•Possibilité de signalement en cas de sévicesL’article 226-14 du Code pénal autorise le médecin à

révéler les symptômes dangereux de son patient alcoo-lique dans deux cas : d’une part, en cas de connaissancede sévices ou mauvais traitements infligés aux mineurs demoins de 15 ans ou à des personnes qui ne sont pas enmesure de se protéger, il est autorisé à signaler ces faits auprocureur de la République, et à témoigner en justice ; parailleurs, en cas de constat de sévices permettant de présu-mer des sévices sexuels, il peut le signaler au procureur dela République, en veillant à obtenir auparavant l’accorddes victimes adultes. Ces dérogations à l’obligation dusecret médical autorisent la révélation de faits connus,mais le médecin doit s’en tenir à l’information nécessaire,pertinente et non excessive.

L’article 51 du code de déontologie, partageant ce souci deprotection des victimes, prévoit que « lorsqu’un médecindiscerne qu’une personne auprès de laquelle il est appelé est vic-time de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre lesmoyens les plus adéquats pour la protéger, en faisant preuve deprudence et de circonspection.» Concernant les sévices surmineur de moins de 15 ans, le médecin est obligé de lesignaler, « sauf circonstances particulières qu’il apprécie enconscience. »

Dans ces deux cas, l’obligation n’est pas stricte ; il s’agitdavantage de possibilités offertes de protéger des per-sonnes en danger. Le médecin doit, dans ces situationsparticulières, être vigilant car, d’une part révéler ce typede faits peut parfois avoir de lourdes conséquences sur lafamille, et d’autre part l’omission de révéler des faits peutengager la responsabilité du médecin (v. infra).

Toutefois, le Code pénal pose une obligation positivedans les cas suivants : – l’article 223-6 du Code pénal impose d’intervenir lorsquela situation est telle qu’il existe un péril immédiat auquel ilpourrait être mis fin grâce au signalement auprès desautorités de police ;– l’article 434-1 du Code pénal impose d’alerter les autori-tés judiciaires en cas de connaissance d’un crime dont ilest encore possible d’arrêter les effets. Le médecin peut setrouver dans cette situation en présence d’un patient enétat d’ivresse grave s’apprêtant à prendre la route, ou decelui qui exprime devant lui son intention d’attenter à lasécurité de quelqu’un. Il est recommandé, dans ces situa-tions d’urgence, d’alerter la police.

Obligation de surveillance ?

Le médecin est-il tenu de surveiller le patient qu’il asous sa garde ? Cette question concerne au premier chefles établissements de santé qui hébergent des patientsdans le cadre de soins dispensés à ces derniers.

L’arrêt Blieck9 de 1991, en admettant la responsabilitéde l’établissement de santé du fait des agissements (unincendie volontaire) commis par un de ses patients aliénémental, a soulevé le débat sur cette question. L’affaire avait

la particularité suivante : le centre avait décidé de mettreen place une méthode thérapeutique présentant desrisques sociaux ; les patients évoluaient en milieu ouvert ;et c’est à cette occasion que M. Blieck avait provoqué unincendie. Aucune décision de ce type n’a été prise concer-nant des patients alcooliques, mais la vigilance est de miselorsque le patient est dangereux et que les méthodes thé-rapeutiques exposent les tiers à des risques graves.

LA RESPONSABILITÉ JURIDIQUEDÉCOULANT DU MANQUEMENT

À CES OBLIGATIONS

Plusieurs responsabilités soumises à des régimes diffé-rents sont encourues par le médecin.

La responsabilité disciplinaire : la responsabilité dumédecin public vis-à-vis de ses pairs doit être présente àl’esprit s’agissant de responsabilité juridique, car il estaujourd’hui constant que la méconnaissance des disposi-tions du code de déontologie médicale peut être invo-quée par une partie à l’appui d’une action en responsabi-lité dirigée contre un médecin.11 D’ailleurs, lesdispositions du code de déontologie ont une forcecontraignante légale dans la mesure où elles sont codi-fiées dans le code de la Santé publique. Il convient derelever que le délai pour intenter une action en responsa-bilité médicale a été unifié par la loi du 4 mars 2002 :11

quel que soit le stade de la faute évoquée (de prévention,de diagnostic ou de traitement), les actions tendant à met-tre en cause la responsabilité d’un membre du corpsmédical se prescrivent au bout de 10 années, non pas àcompter de la date de l’acte médical, mais de celle de laconsolidation du dommage.

Toutefois, cela n’exclut aucunement la contradictiond’appréciation des juridictions civile et ordinale sur lecomportement du médecin ; les types d’actions ayant unefinalité différente, l’indemnisation d’un côté, la sanctiondisciplinaire de l’autre, elles demeurent autonomes.

La responsabilité civile vise l’indemnisation des victi-mes d’un acte préjudiciable, sous forme de dommages etintérêts. En matière médicale, il est aujourd’hui établi quela responsabilité du médecin à l’égard du patient estcontractuelle lorsque ce dernier a été en mesure de choi-

L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1 1 1 1

L Fournir une information complète et précise, même par écrit,sur les investigations et les traitements.

L Obtenir si possible le consentement du malade sur les soins à apporter.

L Respecter le secret médical même à l’égard de la famille.L Ne prendre l’initiative d’une révélation de celui-ci qu’en cas

de menaces graves pour la vie du malade ou de tiers.

P O U R L A P R AT I Q U EP O U R L A P R AT I Q U E

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sir la personne à qui il reproche le préjudice causé ; elle estdélictuelle dans le cas inverse. C’est le cas des situationsd’urgences ou des contrats passés avec un établissementhospitalier ou une clinique. Il est également important derelever que les médecins sont tenus par une obligation demoyens et non de résultats, ce qui rend la qualification dela faute plus difficile pour celui qui souhaite agir enresponsabilité civile contre un médecin.

Pour obtenir une indemnisation, le demandeur doitprouver la faute, le préjudice et, enfin, le lien de causalitéentre la faute et le préjudice. Le plus souvent, le préjudicecertain réside dans la perte de chance que la faute a susci-tée à l’encontre du patient, du fait qu’il n’a pu faire l’objetde soins comme les personnes se trouvant dans la mêmesituation. Il convient à ce sujet de préciser que le médecinpeut utiliser les éléments du dossier médical pour porter àla connaissance du juge les éléments utiles à la manifesta-tion de la vérité et à sa défense.

En matière de responsabilité médicale, la faute invo-quée réside dans l’inobservation des obligations dumédecin envers le patient. C’est pourquoi il est importantpour le médecin de les garder toujours à l’esprit.

Ainsi, à l’égard du patient alcoolique, une qualité desoins insatisfaisante peut résulter notamment d’uneerreur ou du retard du diagnostic. Au sujet du traitement,l’insuffisance de surveillance a déjà donné lieu à descondamnations. La faute est dans ce cas souvent qualifiéede négligence dans l’exécution de l’obligation de bonnequalité des soins, que ce soit dans une action en responsa-bilité civile contractuelle ou délictuelle.

Dans l’arrêt Blieck, la responsabilité de l’établissementde santé recevant des handicapés mentaux a été engagéedu fait de la garde du patient : la clinique a dû indemniserles victimes de l’incendie provoqué par un aliéné mentalqui était sous surveillance. Toutefois, cette jurisprudencen’a pour le moment pas été étendue à l’hypothèse de lagarde de patients alcooliques.

Concernant les manquements à l’obligation d’informa-tion, depuis le revirement de jurisprudence apporté parl’arrêt Hedreul en 1997,12 c’est au médecin qu’il revient deprouver qu’il a apporté l’information suffisante à sonpatient concernant sa maladie. Cette décision ayant légiti-mement suscité de vives inquiétudes, plusieurs décisionssont venues la préciser : ainsi, l’arrêt Guyomar a préciséque la preuve de l’information peut être faite par toutmoyen, selon un faisceau de présomptions. La preuve ne

réside donc pas forcément dans l’écrit. Toutefois, lerecours à l’écrit est recommandé.13 Ainsi, la remise dedocuments type de sensibilisation d’information peut êtrecomplétée par un écrit attestant la remise de ce documentplacé dans le dossier médical, et le patient n’apposerait sasignature que sur ce dernier formulaire.14

Concernant l’obligation de ne pas s’immiscer dans lesaffaires de famille, de nombreuses décisions ontcondamné des médecins pour avoir établi des certificats àleurs patientes pour attester de la présomption qu’ilsavaient que l’époux avait des symptômes liés à l’alcoo-lisme.

La responsabilité pénale ne peut être engagée qu’encas de réalisation d’une infraction prévue par le Codepénal ; elle vise à sanctionner l’atteinte portée à l’encontrede la société, sous forme d’amende ou de peine d’empri-sonnement.

Concernant l’alcoolisme, les infractions évoquées àl’occasion de l’intervention ou de l’omission du médecintiennent aux manquements suivants :– la violation du secret médical est passible de 15 000 eurosd’amende et de 1 an d’emprisonnement ;– le manquement à l’obligation de qualité des soins peut abou-tir à une condamnation pour homicide involontaire ouatteinte à l’intégrité corporelle par maladresse, impru-dence, inattention ou négligence, passible de 45 000euros d’amende et de 3 ans de prison ;15

– l’omission de signaler l’état alcoolique dangereux peut éga-lement, selon la gravité de l’état alcoolique et les circons-tances de l’affaire, entraîner la qualification d’omission deporter secours lorsque le patient se blesse ou décède, pas-sible de 5 ans de prison et de 75 000 euros d’amende ;16ouencore celle de non-dénonciation auprès de la police de ladangerosité d’une personne pouvant commettre un crimesur autrui, passible de 45 000 euros et 3 ans de prison ;17

La responsabilité est administrative lorsque l’institu-tion est un établissement public.

CONCLUSION

Les actions en responsabilité contre les médecins depatients alcooliques sont, à l’heure actuelle, rares, etdevraient le demeurer si les médecins gardent à l’esprit lesmesures qui sont attendues d’eux tant à l’égard de leurpatient qu’en présence de patients dangereux, vis-à-visdes tiers. B

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MALADES DE L’ALCOOL Q U E L L E E S T L A R E S P O N S A B I L I T É J U R I D I Q U E D U M É D E C I N ?

SUMMARY Alcoholic patients: legal responsibility of physiciansThe liability rising from medical cares given to a patient suffering from an addiction to alcohol does not differ from those stemming from cares to otherpathologies. The cares must be relevant with regard to state of art, an information as comprehensive as possible must be provided to the patient, onthe investigations to be carried out, as well as on the treatments considered. The most difficult thing to achieve is to obtain a full co-operation of thepatient, who since the law of March 4, 2002, has the right to refuse a treatment, which cannot be imposed to him. Safeguarding the medical secrecy inparticular with regard to the family can be difficult, because of the pressures exerted to obtain the revelation from it. But this revelation of the medicalsecrecy is authorized by the law only within very precise limits. In very specific circumstances, a doctor can be liable for a criminal offence made by hispatient, for instance when he does not prevent his patient to drive a car, while he is obviously drunk. Rev Prat 2006 ; 56 : 1107-13

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1. Article R 3111-1 et suivants du codede la Santé publique.

2. Décret 2003-462 du 21 mai 2003,Journal officiel du 27/05/2003.Circulaire DGS/SD 4 no 2003-452 du28/08/2003 relative aux troispremières parties du code de laSanté publique. Pour uneexplication de l’ancien régime, voirPansier FJ, Garay A «L’abusd’alcool». In : Le médecin, le patientet le droit. Rennes : ENSP 1999 : p. 155 et suivantes.

3. Faire face à la toxico-dépendancesur le lieu de travail. Site Internetwww.gereso.fr

4. Article R 4127-2 du code de la Santépublique.

5. Loi no 2002-303 du 4 mars 2002relative aux droits des malades et àla qualité du système de santé, Titre II, Chapitre II, Article 11. ArticleL 11110-7 du code de la Santépublique.

6. Article 226-13 du Code pénal.

7. Article L 1111-5 du code de la Santépublique.

8. Articles L 3213-1 et L 3213-2 du codede la Santé publique.

9. Cour de cassation. Assembléeplénière, 29 mars 1991. Associationdes centres éducatifs duLimousin/André Blieck.

10. Cour de cassation, Civ. 1re, 18 mars1997, pourvoi no 95-12576.

11. Article L 1142-28 du code de la Santépublique.

12. Cour de cassation, Civ. 1re, 25 février 1997.13. Conseil national des médecins.

Commentaires du code dedéontologie. Site Internetwww.conseil-national.medecin.fr

14. Civ. 1re 14 novembre 1997 ; chroniquede jurisprudence « Responsabilitémédicale ». In : Médecine et droit.Paris : Elsevier, 1999, p. 13-21.

15. Article 221-6 du Code pénal.

16. Article 223-6 du Code pénal.

17. Article 434-1 du Code pénal.

R É F É R E N C E S

RÉSUMÉ Le patient alcoolique : quelle est la responsabilité juridique du médecin ?La responsabilité découlant des actes de soins apportés à un patient souffrant d’une addiction à l’alcool ne diffère pas de celle des soins prodiguéspour d’autres pathologies. Les soins doivent être conformes aux données acquises de la science, une information aussi complète que possible devantêtre fournie au malade, tant sur les investigations à mener que sur les traitements envisagés. L’exercice, certainement plus délicat dans cettehypothèse, est d’obtenir une pleine coopération du malade qui, depuis la loi du 4 mars 2002, s’est vu reconnaître pleinement le droit de refuser untraitement qui ne peut être imposé au malade. De même, la préservation du secret médical notamment à l’égard de la famille peut être difficile, enraison des pressions que celle-ci pourrait exercer pour en obtenir la révélation. Mais cette révélation du secret médical n’est autorisée par la loi quedans des limites très précises. Enfin, dans des hypothèses spécifiques, il pourrait arriver que le médecin soit contraint d’assumer la responsabilité desactes commis par son patient. En effet, la jurisprudence a admis que des établissements hospitaliers soient déclarés responsables, sur le plan civil,d’agissements de malades dont ils avaient la garde. Quant à la responsabilité pénale, les textes pourraient permettre de déclarer un médecin coupabled’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique, lorsqu’il commet une faute caractérisée comme, par exemple, le fait de ne pas empêcher unpatient en état d’ébriété manifeste de conduire un véhicule.

www.entretienmotivationnel.orgL’Association francophone de diffusionde l’entretien motivationnel (AFDEM[06 07 91 44 94]) a été créée en 2003pour diffuser les concepts et la pra-tique de l’entretien motivationnel.Elle propose des informations sur cetype d’entretien et des formations. Ellepromeut l’échange et la réflexionautour des champs d’application et l’é-laboration de matériel pédagogique.Les formateurs issus du MINT [Motiva-

tional interviewing network of trai-ners] s’adressent à différents publicstravaillant dans le soin, la prévention, leconseil, l’action sociale ou éducative,dans un souci d’adaptation aux situa-tions spécifiques rencontrées par cha-cun. Le calendrier des formations estaffiché sur le site.Un espace bibliographique met en ligneau menu « documents pédagogiques »un petit ouvrage québécois, L’Entre-vue motivationnelle : un guide de for-mation.Un espace est réservé aux membres.

www.educalcool.qc.ca/cgi/Un petit tour sur ce site canadien vouspermettra de juger de leur façond’aborder le problème : des informa-tions, des messages forts…, mais riende révolutionnaire ! Nos amis lesCanadiens avaient beaucoup à nousapprendre, il y a seulement quelquesannées, dans le domaine de l’informa-tion grand public. Il semble que nousayons rattrapé notre retard car, bonnenouvelle, le fossé existant entre lessites Internet français et les sitescanadiens rétrécit à vue d’œil !

Alcool : le répertoire(suite de la p. 1080)

ASSOCIATIONS, S ITES…

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L A R E V U E D U P R A T I C I E N / 2 0 0 6 : 5 6 1 1 15

Comment garder le contact avec l’actualité de l’alcool dans les prochains mois? Une solution : interroger régulièrement la banquede données bibliographiques MEDLINE à l’aide des « bonnes » équations de recherche. Elles figurent dans cette page.

Elles sont également sur le site 33docpro.com à l’adresse http://minilien.com/?6b8L90IOPm et il suffit d’un clic de souris pour afficher les notices correspondantes.

L’alcool dans MEDLINEpar Philippe Eveillard

La formulation des équations derecherche de cette monographie surl’alcool a bénéficié de l’aide du

thésaurus MeSH et des bordereauxd’indexation de PubMed/MEDLINE.

CE QUE DIT LE MESH

Une bonne façon de débrouiller lesproblèmes de traduction des thèmes dela monographie est de parcourir lesbranches du thésaurus qui « parlent »d’alcool. Pour cela, la sollicitation dumodule « Terminologie » de CISMeFapparaît comme un passage obligé.L’entrée du mot « alcool » dans la fenêtre« recherche » de Terminologie affiche49 descripteurs dont un grand nombrene sont pas en adéquation avec lesthèmes de la monographie (c’est l’effet« double troncature par défaut » qui estresponsable du « bruit »).

Dans la liste, il est facile de distinguerles descripteurs qui correspondent auxatteintes organiques et ceux qui sont enrapport avec « l’alcool » en général.

Les premiers (cardiomyopathiealcoolique, cirrhose alcoolique, hépatitealcoolique, neuropathie périphérique

alcoolique, pancréatite alcoolique…) nefont pas partie des thèmes de la présentemonographie. Ils appartiennent à labranche Substance-Related Disordersissue de Disorders of Environmental Origin.

En revanche, les descripteurs « autour »de l’alcool se retrouvent fréquemmentdans les thèmes abordés. Citons : lestroubles liés à l’alcool (Alcohol-RelatedDisorders), l’alcoolisme (Alcoholism), ledelirium tremens (Alcohol WithdrawalDelirium) et la consommation d’alcool(Alcohol Drinking). Les trois premiersappartiennent à la branche Substance-Related Disorders issue de Mental Disorders,le dernier appartient à la branche Behaviorde la catégorie Psychiatry and Psychology.

CE QUE SUGGÈRENT LES BORDEREAUX D'INDEXATION

Les obstacles rencontrés pour exprimer(si possible en langage MeSH) les motsou expressions comme buveurs excessifs,intervention brève, arrêt de consommation,sevrage alcoolique ou abstinence sontfranchis plus ou moins aisément parl’analyse des bordereaux d’indexation. Latechnique consiste à entrer le mot oul’expression dans la fenêtre de PubMeden tant que mot du titre, et à afficher lesbordereaux d’indexation des trois ouquatre premières notices « indexed for

MEDLINE ». Dans ces bordereaux, il n’estpas rare de trouver la solution pour franchirl’obstacle. Exemple avec « interventionbrève » et « abstinence ».

Intervention brève

Intervention brève peut se traduire parle descripteur Psychotherapy, Brief. Maisl’entrée de l’équation brief intervention[ti] AND Alcohol Drinking [mh] dans lafenêtre d’interrogation de PubMed affichedes notices qui ne sont pas indexées avecle descripteur Psychotherapy, Brief. Celasuggère que la meilleure façon de traduire« intervention brève » dans le contextedes buveurs excessifs est d’associerPsychotherapy, Brief (en tant quedescripteur) et brief intervention (en tantque mot du titre).

Abstinence

L’entrée de abstinence [ti] ANDAlcoholism/rehabilitation [mh] dans lafenêtre d’interrogation de PubMed/MEDLINEaffiche plus de 100 notices dans lebordereau d’indexation desquelles ledescripteur Temperance est retrouvé avecune grande fréquence.Note: L’entrée de « abstinence » dansTerminologie ne donne rien. Dans ladéfinition (scope note) de Temperance figurel’expression « abstinence from alcohol ».

Les équationsL Alcohol-Related Disorders/classification [mh] AND Alcohol-Related Disorders/diagnosis [mh]L Alcohol Drinking/diagnosis [mh] OR Alcohol Drinking/therapy [mh] AND (Psychotherapy, Brief

[mh] OR brief intervention [ti])L Alcoholism [mh] AND Mental Disorders [mh] AND Comorbidity [mh]L Alcoholism/rehabilitation [mh] AND Physician-Patient Relations [mh]L Alcohol Withdrawal Delirium/prevention and control [mh]L Alcoholism/rehabilitation [mh] AND Temperance [mh]L Alcoholism/therapy [mh] AND Legislation, Medical [mh]

L'arborescence de Alcohol-RelatedDisordersMental Disorders

Substance-Related DisordersAlcohol-Related Disorders

Alcohol Amnestic DisorderAlcohol Withdrawal DeliriumAlcoholic IntoxicationAlcoholismPsychoses, AlcoholicWernicke Encephalopathy

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FICHE PATIENT / LA REVU E DU PRATICI E N

ACCIDENTSSur la route, un accident mortel sur trois estdirectement lié à l’alcool, sans compter les milliers de blessés graves. Des alcooliques ? Non, dans 85 %des accidents dus à l’alcool les conducteurs sont desbuveurs occasionnels.Quand vous devez prendre le volant, il est fortementconseillé de ne pas boire du tout. Refusez de monter avecquelqu’un qui a bu, insistez pour qu’il passe le volant.Avec 0,5 g d’alcool dans le sang (2 verres maximum), les risques sont multipliés par 2, par 10 à 0,8 g (3 verres) et par 35 avec 1,2 g (5 verres) !Il n’existe aucune méthode miracle pour dessaouler. Undouche froide, un café bien serré, un bol d’air frais… neréduisent pas l’alcoolémie et sont donc des méthodesinefficaces. Le seul remède, c’est le temps. En effet, l’alcoolmet plusieurs heures avant d’être éliminé par l’organisme.

RAPPORTS SEXUELS À RISQUEAprès quelques verres, vous « branchez » plusfacilement en soirées ? C’est peut-être vrai, maisattention, quand on a bu et qu’on est un peu « parti »,on peut oublier de prendre ses précautions. Un seulrapport sexuel sans préservatif suffit pour êtrecontaminé par le sida, par d’autres maladiessexuellement transmissibles ou pour se retrouverenceinte contre sa volonté.

VIOLENCESQuand on a bu, le ton monte très vite. Une remarque, unregard mal interprété peuvent dégénérer. Résultat : desembrouilles, des coups.L’alcool est aussi souvent en cause dans les cas deviolence familiale, sans parler des délits et actes dedélinquances.

MALAISESBaisse de lucidité, fatigue, perte de mémoire : leslendemains de cuite, c’est le brouillard toute la journée.À l’école, à la fac, au travail, vous êtes lent à réagir, vous n’êtes plus à la hauteur.À terme, boire trop et trop souvent vous expose aurisque de vous couper des autres et de vous renfermer sur vous-même.

AUTANT LE SAVOIRContrairement à une idée reçue, un verre de bière, dewhisky coca, de gin tonic, de vodka et de vin…contiennent tous la même quantité d’alcool quand ils

sont servis au café, au restaurant ou en boîte de nuit :environ 10 g d’alcool pur par verre. C’est ce qu’on appelleun verre standard. Cela s’explique facilement : si cesverres n’ont pas la même forme ni la même contenance,la quantité d’alcool pur reste la même pour tous.

1 verre standard = 10 g d’alcool pur = ballon de vin12° (10 cL) = 1/2 de bière 5° (25 cL) = verre de whisky 40° (3 cL) = apéritif 18° (6 cL) = verre de pastis 45° (3 cL) = coupe de champagne 12° (10 cL)

QUELQUES REPÈRESSelon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il fautrespecter 4 règles pour éviter les risques dus à uneconsommation excessive d’alcool :� pas plus de 4 verres standard en une seule occasion ;� pour les femmes, pas plus de 2 verres standard par jour ;� pour les hommes, pas plus de 3 verres standard par jour ;� aucune boisson alcoolisée : quand on conduit un

véhicule, quand on travaille sur une machinedangereuse, quand on exerce des responsabilités quinécessitent vigilance et précision, quand on prendcertains médicaments, pendant une grossesse.

Les jeunes et l’alcoolD’après www.inpes.sante.fr

L’ALCOOL, UN ACCÉLÉRATEUR DE CANCER

Au-delà de 2 verres par jour en moyenne pour les femmes, et 3 verres par jour en moyenne pourles hommes, vous augmentez vos risques de :

➜ cancers (bouche, gorge, œsophage, foie) ;

➜ maladies cardiovasculaires (dont

l’hypertension artérielle) ;

➜ cirrhose du foie, pancréatite ;

➜ maladies du système verveux (névrites,

atteintes de la mémoire) ;

➜ troubles psychiques (anxiété, irritabilité,

insomnie, dépression).

N’oubliez pas que vous prenez aussi des risquesliés aux effets immédiats de l’alcool :

➜ accidents de la circulation, du travail, de la vie

courante ;

➜ violence, rapports sexuels non protégés (sida),

malformations chez les enfants à naître

exposés à l’alcool pendant la grossesse.