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Comment? A A l l p p h h o o n n s s e e M M a a i i l l l l o o t t Méditations bibliques Tome 2: Notes homilétiques sur 131 textes de l’Ancien Testament et des Epîtres Editions IAFTA Série B : Spiritualité et culte, N o 3 (4,00 $) Comment comprendr e e la Bible ? ?

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Comment?

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Méditations bibliques Tome 2: Notes homilétiques sur 131 textes de l’Ancien Testament et des Epîtres

Editions IAFTA – Série B : Spiritualité et culte, No 3 (4,00 $)

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PPrrééffaacceeQu’est-ce que l’église ? Quels sont les signes indispen-sables pour une vraie église ? Faut-il certaines structures, bâtiments, positions, un certain montant d’argent et une certaine atmosphère d’amitié, pour être une église ?

Les réformateurs (comme Martin Luther, Philipp Melan-chthon ou Jean Calvin) ont dit ce qui est surprenant : Non. Tout cela peut aider dans la vie d’une église, mais ce n’est pas l’essentiel. Même s’il n’y a pas de moyens, il y a l’église. Même s’il n’y a pas d’harmonie, il y a l’église.

Quel est l’essentiel ? « L’Eglise est l’assemblée des saints, dans laquelle l’Évangile est enseigné dans sa pureté et les sacrements sont administrés dans les règles. Pour qu’il y ait une vraie unité dans l’Eglise, il suffit d’être d’accord sur la doctrine de l’Évangile et sur l’administration des sacrements. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait partout les mêmes traditions humaines ou les mêmes rites ou les mêmes cérémonies, d’institution humaine. » (La Confession d’Augsbourg, 1530, Art. 7)

L’Evangile et les sacrements (le baptême et la Sainte Cène) sont la base de l’église. Avec cette définition, les réformateurs se sont référés aux Actes des Apôtres 2,42 : Les premiers chrétiens « persévéraient dans l’enseigne-ment des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain, et dans les prières. » Ainsi les signes principaux de l’église sont :

� l’Evangile (enseignement des apôtres, la « martyria ») et

� les sacrements (la fraction du pain, la « koinonia ») et leurs conséquences, � le soutien mutuel (la communion fraternelle, la « dia-

conia ») et � la spiritualité (les prières, la « leitourgia »).

Voila l’importance extraordinaire de l’Evangile pour l’église. Mais comment prêcher l’Evangile ? Comment enseigner l’Evangile « dans sa pureté » ? C’est aussi sur cette question, que les réformateurs ont formulé des mesures. Pour bien comprendre et prêcher l’Evangile, il faut :

1. comprendre la Bible au sens littéral (et non pas selon nos spéculations).

2. comprendre un texte dans le contexte de toute la Bible (la Bible est elle-même son interprète).

3. interpréter la Bible selon son centre, qui est Jésus-Christ (et non pas l’éthique).

4. distinguer la loi (ce que Dieu nous demande) et l’évangile (ce que Dieu nous donne gratuitement).

Comment mettre cela en pratique ? C’est le pasteur Al-phonse MAILLOT (1920-2003), pasteur de l’Église réformée de France et docteur en théologie de la Faculté de Strasbourg, qui s’est occupé de ce travail pendant toute sa vie. Il est l’auteur d’un grand nombre des livres. Ses œuvres des notes homilétiques étaient publiées par la Mission intérieure de l’Eglise Evangélique luthérienne

en France.1 Aujourd’hui elles sont accessibles à l’Inter-net (www.cultes-protestants.org). Pour mettre ce trésor à la disponibilité des églises au Congo, nous le présentons ici dans une forme arrangée (tome 1 : Textes des Evan-giles ; tome 2 : Textes de l’Ancien Testament et des Epîtres).

Les méditations et interprétations bibliques d’Alphonse Maillot sont écrites dans un style comprimé et ambitieux, avec humeur, quelquefois avec ironie. Mais elles sont toujours pleins des idées. Nous souhaitons qu’elles puis-sent encourager les chrétiens pour la lecture biblique et inspirer les pasteurs pendant leur préparation des prédications.

Que Dieu vous bénisse.

Kimbeimbe, le 1 juin 2010

Pour la communauté de l’IAFTA,

Dr Christian Weber

1 Année A : « Voici l’homme » (Avent, Noël, Épiphanie) ; « Qui a péché? » (Carême, Pâques et jusqu’à la Trinité) ; « … Sans rien payer » (De la Trinité jusqu’à l’Avent). Année B : « Préparons les chemins du Seigneur » (Avent et Noël) ; « C’est par la foi » (Épiphanie jusqu’au Carême) ; « Montons au Cal-vaire » (Carême et Pâques) ; « Heureux ceux qui, n’ayant pas vu, ont cru » (De Pâques à l’été) ; « Reposez-vous » (Quelques dimanches de l’été) ; « … Écoutez! » (Quatre dimanches de la fin de l’été) ; « Va, ta foi t’a sauvé » (Octobre et novembre). Année C : « Mon âme magnifie le Seigneur » (Avent, Noël, Épipha-nie), « Je suis qui je serai » (Carême, Pâques et jusqu’à la Trinité) ; « Qui est mon prochain? » (Été) ; « Des serviteurs inutiles » (Septem-bre, octobre, novembre) Hors-série : « Prêchons afin que la grâce abonde » (conseils homiléti-ques).

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GGeennèèssee 22,,77--99 ;; 33,,11--771° dimanche de Carême

(Vous ne parlerez jamais trop de ce chapitre 3 de la Ge-nèse, surtout pour dire... qu’on en a beaucoup trop parlé). On aurait au moins pu joindre à Genèse 2,7-9 les v. 21 à 23 qui nous relatent la création de la femme. En effet, non seulement dès le premier verset du chapitre 3 il va être question d’elle, sans qu’on sache alors d’où elle provient, mais cela aurait permis de bien apercevoir la différence des verbes employés pour la création de l’homme et celle de la femme. L’homme est créé, plus exactement modelé, pétri (telle une poterie) à partir de la poussière (humidifiée ?) de la terre (Adamah). On retrouve des récits semblables dans bien des religions anciennes : par exemple à Babylone (au moins 17° s. av. J.C.) où l’homme est pétri... pour sortir les dieux subalternes du... « pétrin » (le travail terrestre !) ; ou encore (cf. TOB) en Egypte, où le dieu-potier Khnoum modèle l’homme sur son tour, et recom-mence dans le ventre de chaque mère, avant de donner son souffle à l’embryon (Genèse 2,7), etc… Mais ici l’origine de la femme est fort différente, elle est tirée d’une côte (ne pas craindre le jeu de mots, redouté de certains, côte et côté ; il en est un autre possible entre « côte » et « vie », cf. plus tard le nom d’Eve = Vivante) de l’homme (certains font alors remarquer qu’ainsi l’homme n’est pas... lésé) ; ensuite elle est bâtie (c’est un édifice harmonieux). Or, on retrouve ce schéma en deux temps pour la construction de certains sanctuaires ; de là à conclure que le couple est le Temple de Dieu, il y avait un grand pas que des exégètes ont franchi (pas qui me tente aussi) et qu’en tout cas Paul franchira intuitivement en 1 Corinthiens 3,16 (ainsi probablement qu’en 6,17-20, qui reçoit alors un bel éclairage). On notera qu’on re-trouve huit fois ce terme en 1 Rois 6 (v. 5, 6 par exem-ple) pour la construction... du Temple, et onze fois en Ezéchiel 41 où il s’agit du « nouveau » Temple (cf. Exode 25ss où le même terme se retrouve 19 fois pour le Tabernacle). Comme le Temple est la couronne du monde habité, le couple couronne ainsi la création de Dieu. On comprend mieux alors les répercussions cosmiques de la désobéissance d’Eve, puis d’Adam, décrite en Ge-nèse 3. Donnons quelques renseignements rapides pour aider à une meilleure exégèse de ce chapitre 3, victime tout d’abord d’un usage hypertrophié : a) dans les Deutérocanoniques, b) surtout dans les Ecrits Intertestamentaires, c) et encore bien plus dans la(les) théologie(s) ecclésias-tiques(s), d) alors qu’en revanche toute l’Ecriture n’en parle guère (sauf Paul en Romains 5 pour montrer comment le Christ le rend périmé, et en tout cas dépassé, surmonté). 1- C’est un premier malheur d’avoir appelé l’événement ici décrit : la chute. L’homme n’est ni « chu » ni déchu, mais définitivement mis à la porte de l’Eden, sans possi-bilité d’y revenir.

2- Il y a un jeu de mots superbe entre « nus » de 2,25 et « habile » (et non « rusé » contre le Lectionnaire catholi-que) que j’ai rendu jadis par « rasé » et « rusé » (cf. D. Louÿs : « ingénu et nu »). 3- Il y a un autre jeu de mots (non apparent, mais dont se souviendra par exemple Nietzsche) à propos d’ « Eve » (nom qui n’apparaîtra qu’en 3,20) qui signifie non seu-lement « vie », mais aussi « se lover » (comme un rep-tile) ; ceci est peut-être à l’origine du fait que, dans ce récit, c’est la femme qui est la première interpellée par le serpent. 4- Il ne s’agit pas, comme on le dit trop souvent, de « l’arbre-de-la-connaissance » mais « ...de la connais-sance du Bien (ou Bonheur) et du Mal (ou Malheur »). C’est un péché éthique et surtout religieux qui est com-mis, où la femme et l’homme prétendent désormais être capables de discerner, sans recours extérieur, ce qui est bien et ce qui est mal. Et d’ailleurs ils y réussissent (au moins partiellement : 3,22). Paul s’en souviendra en Romains 7 où, conformément à Genèse 3,6 où le fruit est « convoitable » à regarder, l’apôtre dénoncera la convoi-tise éthique (qui se sert de la Torah pour se faire valoir devant Dieu : Romains 7,7-8) comme étant le péché qui me déchire et me tue. On rapprochera aussi Romains 7,11 et Genèse 3,13 (dans la Septante). Le péché d’Adam et Eve = péché d’orgueil, de volonté d’autonomie en face de Dieu = être comme des dieux (3,5) (c’est aussi l’hybris grecque). 5- On prendra garde : a) aux astuces du dialogue de Genèse 3,1-3 où, de l’interdiction d’un seul arbre, le serpent, « créateur » du soupçon, veut faire une interdiction de tous, et où aussi Eve (?) cite mal la Parole de Dieu (...de la vertu du « par cœur » !). b) il n’est pas sûr (en tout cas en théologie paulinienne) que cet arbre était interdit à jamais ; en effet, au moins pour Paul, devait arriver un second Adam (cf. Romains 5,14 et 1 Corinthiens 15,45) qui viendrait vivre et nous donner de vivre le seul vrai Bien qui s’appelle : aimer. c) comme il n’est pas sûr du tout qu’Adam et Eve étaient éternels par nature (3,4). Ils ont en tout cas introduit la mort arbitraire et tragique : l’ennemie (Thanatos), en voulant devenir les seuls critères du Bien et du Mal, et les maîtres de la vie. d) on prendra garde aussi à des expressions comme « péché originel ». Il faut plutôt parler d’homme devenu étranger (3,17-24), d’homme seul se justifiant sur le dos des autres dont il devient l’ennemi (3,12-13). La rupture est partout, entre Dieu et le couple (3,9.16), entre l’homme et la femme (3,12), entre l’homme et l’espace ainsi que la nature (3,17-18), entre la femme et la vie (3,15-16), entre l’homme et lui-même, etc… Quant à l’arbre de vie, disons simplement qu’il était probablement une vigne (cf. Genèse 9,20-21 ; Jean 15) (l’arbre de la connaissance du Bien et Mal est tenu par la tradition comme ayant été un figuier).

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GGeennèèssee 22,,1188--224427° dimanche ordinaire ou 19° dimanche du Temps de l’Eglise

Le lectionnaire a fait au début de cette lecture un amal-game des deux récits de la création du couple, mais on aurait dû alors traduire : « Au commencement, après que le Seigneur Dieu eut fait la terre et le ciel... ». En effet, dans les deux cas, le couple « Epoux-Epouse » (moyen de rendre le jeu de mots du v. 23) est considéré comme le couronnement de l’œuvre de Dieu. Le chef-d’œuvre du Créateur est, pour la Bible, le « foyer » d’Adam et Eve. Il faut y insister car : 1) dans les autres religions, l’homme était plus souvent créé pour être un esclave du monde divin dont il devait accomplir les corvées ; 2) sous prétexte d’une humilité mal placée, ou de bonnes causes mal fondées comme certaine écologie, on veut (aurait dit Voltaire) de nouveau nous faire marcher à quatre pattes et oublier que de cette Création fantastique, la moindre des créatures : l’homme, en est le gérant, le gouverneur, car seule créature à l’image de Dieu. Et précisément l’une de ses caractéristiques divines est qu’il ne peut pas vivre « pour lui-même » (traduction littérale du v. 18), pour-soi, introverti, tourné vers son seul souci propre. Cet homme-sans-relation, court-circuité n’est pas « bon » = conforme à l’intention divine. Alors, après que le monde animal eut défilé devant l’homme et qu’aucune créature ne lui eut semblé pouvoir le sortir de la prison de son « ego », Dieu va lui donner une « compagne » (mieux que « aide ») qui devra être « sa partenaire » ; c’est « l’épouse qui, selon un vieux rabbin, sera à côté de lui quand il sera sur la bonne route, et qui lui tiendra tête quand il sera engagé sur une mau-vaise ». Et monte alors le premier cantique de l’homme (v. 23) (et chacun aura remarqué que c’est un chant d’amour et non un chant... d’Eglise) où l’époux et l’épouse sont engagés sur la route du « Devenir (et non faire, ni être) une seule et même histoire » (v. 24). Ce texte doit être bien médité pour mieux comprendre celui de l’Evangile de ce jour.

GGeennèèssee 1122,,11--442° dimanche de Carême

Et c’est parti ! Plus exactement Abra(ha)m part de son pays. Et c’est le départ de l’histoire sainte proprement dite, cette histoire si sinueuse, si longue (nous sommes, par rapport au Christ, centre chrétien de l’histoire sainte, à peu près les « symétriques » d’Abram). Certes, les onze chapitres qui ont précédé ont bien essayé de montrer que tout ce qui est arrivé depuis les origines, et tous ceux qui ont précédé, étaient dans la main du Seigneur. Mais jusqu’alors, l’histoire se déroulait cahin(?)-caha, sans fil directeur permanent, sans sens apparent, sans projet, et sans qu’un homme fût averti de ce projet éternel (l’histoire de Noé n’est qu’un épisode). Cette fois, avant toute initiative humaine, le Seigneur se révèle à un homme en lui parlant, en lui donnant un avenir, non seulement qui lui soit propre, mais qui ouvre et couvre toute l’histoire à venir. Désormais le Seigneur se lie à un homme (une famille et une lignée) et son histoire sera

celle de cet homme et de ses descendants. Et c’est au travers de cette histoire que ce Seigneur entend se faire connaître ; Juifs et surtout chrétiens se sont acharnés à l’oublier, essayant de connaître Dieu ailleurs que dans cette histoire ; ils ont cherché dans la nature, dans les contorsions de la raison, dans la vaine exploration par exemple d’une bulle de savon qu’ils ont appelée « l’Etre » ; alors que c’est uniquement dans cette histoire où Il s’implique, où Il parle, où Il commande, où Il bénit ceux qui respecteront son dessein, mais écarte ceux qui voudront s’y opposer, qu’Il entend être connu, cru, com-pris, puis reçu. Et c’est cette histoire qui est dans l’Ecriture. Il faut en profiter pour mieux faire compren-dre pourquoi l’Ecriture est sainte. Ce n’est pas dans ses mots, dans sa lettre, mais parce qu’elle contient et relate l’Histoire sainte. Celle-ci est le véhicule, le vecteur de la Parole de Dieu. C’est pourquoi il faut prendre garde à ne pas transformer trop vite cette histoire en allégories, en devinettes, en une sorte de B.D. où les « bulles » diraient autre chose que le dessin. Ce que, hélas !, les Juifs ne furent pas les derniers à faire. Au passage, dédions une rosserie à tous ceux qui se crè-vent afin de trouver des catéchismes neufs (comme s’il y avait quelque chose de neuf sous le soleil... à part juste-ment l’histoire sainte ; Qohélet 1,9), alors qu’il suffit de prendre, dans son dynamisme, cette histoire à qui Dieu donne un sens (pas seulement au « sens » abstrait, mais quasiment géométrique : désormais l’histoire est « orientée »), et donne ainsi un sens possible à toute histoire humaine, qui consent à se savoir impliquée par l’Histoire Sainte. Au passage, peu importe que le vrai départ se soit fait d’Ur à l’Est (11,31 ; prendre une carte, s.v.p.) ou de Harran tout au Nord (11,31 aussi) ; ce qui est beaucoup plus important est qu’un jour, celui qui n’est encore qu’Abram a entendu la Parole, qui lui disait de rompre avec son passé (12,1) pour aller vers un autre pays. Rien ne nous est dit sur les raisons pour lesquelles Abram a reconnu la vraie voix du Seigneur, mais la sécheresse du récit fait penser à une sorte de pari insensé. On n’oubliera pas ensuite qu’Israël vit depuis 4 000 ans de cette promesse, même s’il oublie trop souvent qu’il n’est lui-même qu’un étranger en Israël (cf. Lévitique 25,23, voire Psaume 39,13). Bien entendu, on ne manquera pas de relever que nous avons ici le vrai début de la première alliance avec un peuple. Alliance dont Dieu a toute l’initiative, mais qu’elle est faite aussi pour « toutes les tribus de la terre » (12,3). Il y a un universalisme évident de l’Alliance, mais il passe par un particularisme (comme à l’intérieur d’Israël, il passera par la tribu de Lévi). Au fait, la TOB a raison de relever que ce n’est pas le mot « terre » qui est en fait employé, mais le sol : Adâ-mâh, qui devient peut-être l’ « Adamité », puis l’Humanité ; à moins que le Seigneur ne montre déjà son penchant « rural » (n’oublions pas que le récit qui pré-cède, en 11,1-9, décrit la destruction de la grande ville : Babylone). En tout cas, la brièveté du v. 4 est étonnante : « Abram partit »... Ce qu’il a pensé ou dit n’a aucun intérêt. Ce qui compte, c’est ce qu’il a fait (toujours l’historique !). Mais il est clair qu’à la liberté d’un Dieu qui, sans motif autre que cette liberté, choisit un homme (une famille à vrai

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dire), répond cette autre liberté d’un homme qui part dans la béance d’un avenir à la découverte d’une terre inconnue, d’ailleurs fort réduite, et bien moins riche que la grasse Mésopotamie... Il n’y avait même pas de pé-trole !

GGeennèèssee 1155,,11--66 ;; 2211,,11--33Dimanche de la Sainte Famille

L’impossible promesse et l’impossible histoire du salut commencent. Et si c’est dans un langage militaire (le bouclier de 15,1 ; ou la solde, annonce d’Isaac) que le Seigneur-SEIGNEUR (v. 2) s’adresse à Abram, comme un général content de ses troupes (cf. chapitre 14), il n’en est pas moins vrai que le v. 2 n’a rien de parfaitement limpide. Abram semble mettre le SEIGNEUR au défi de lui ac-corder un cadeau qui puisse le combler, lui qui a tout ce qu’un homme peut désirer (cf. 13,2 ; 14,14s ; des alliés, voire même une prêtrise pour lui : 14,17-24 avec le tou-jours mystérieux Melkisédeq), tout, sauf ce que Dieu n’a cessé de lui promettre sans le lui donner, car même à Dieu ce don semble impossible : une descendance. La réponse d’Abram au v. 2 est donc probablement une réponse-défi : « Oui, j’ai tout, tout sauf un fils, sauf celui que tu m’as promis ; ainsi tout ce que tu m’as donné ira à un étranger (le terme est inexpliqué, mais le sens semble clair) : Eliézer de Damas (avec un jeu de mots entre le terme inexpliqué et « Damas », peu estimée dans l’Ancien Testament). Le Seigneur alors confirme sa promesse de 12,1-2 : un enfant naîtra d’Abram et Sara avec une descendance semblable aux étoiles = armée céleste (15,4-5), et il in-siste : « Ainsi (= aussi nombreuse) sera ta descen-dance ! » (v. 5). C’est ici que se place ce tout petit v. 6, qui allait avoir des conséquences inimaginables : « Il (Abram) se fia au SEIGNEUR (crut le Seigneur), et celui-ci considéra cela comme... ? ». Impossible de traduire vraiment ce dernier mot : il ne s’agit certainement pas de la « justice » telle que nous la comprenons ; on consultera le récent diction-naire de Reymond (coédition Cerf & Société Biblique Française) : « (Le) terme (hébreu) est sans équivalent dans nos langues ». Dans notre contexte, je traduirais : ce que Dieu attendait, la conduite qu’il espérait = Abram s’en remet à Dieu, parie sur la promesse de Dieu, dit : Chiche ! etc… A une promesse impossible de Dieu, Abram répond : Amen ! (c’est encore la traduction la plus juste du verbe « croire ») et Dieu estime que cet « Amen » est tout ce que l’homme a à dire et à faire, en réponse à ses promesses. On comprend mieux le sort que Paul réservera à ce verbe (sort que la TOB atténue, sinon exténue ici dans ses notes) dans Romains 4,3ss, dans Galates 3,6-14... et finalement dans toute sa pensée. Il est temps pour les chrétiens de retrouver la théologie pauli-nienne à ce propos (surtout en priorité chez les luthé-riens !). Et, en Genèse 21,1-3, va s’accomplir l’impossible pro-messe de Dieu, l’enfant de l’Amen va naître (au Nouvel An ? : 18,14). Et il va s’appeler : Sourire (Isaac : il a ri). L’histoire du salut commence dans un sourire.

GGeennèèssee 1188,,11--11006° dimanche après la Pentecôte ou 16° dimanche ordinaire

Oui, il faut aller jusqu’au v. 15, car ce récit destiné à montrer que ce qui est impossible aux hommes et... aux femmes, le Seigneur entend le faire quand même, et malgré leur incrédulité ; car c’est de la stérilité et du scepticisme même du monde, que Dieu entend faire sortir le salut du monde, même si cela le fait rire, même si aux normes humaines c’est une folie (1 Corinthiens 1,15) ridicule. Et, encore aujourd’hui, méfions-nous : dès que le christianisme redevient sage, convenable, reçu, respectable et respecté, et surtout qu’il devient raisonna-ble et rationnel, il est possible, sinon probable, que ce n’est plus tout à fait le christianisme ni l’Evangile (Pas-cal a dit des « choses » inoubliables sur ce sujet). Autre raison pour aller jusqu’au v. 15, c’est parce que, s’il y est question d’une naissance en soi et humainement impossible (même si c’est la naissance même du plan salutaire de Dieu), il va aussi être bientôt question (au chapitre suivant) de la perversion et de la destruction définitive de Sodome et Gomorrhe, qui montrent quel devrait être le sort de l’humanité si Dieu n’y avait gardé un reste, risible, voire ridicule, et qui pourtant (comme jadis Noé et sa famille) va être les arrhes et la promesse d’une humanité nouvelle. Il ne faut pas trop s’arrêter à cette difficulté du texte : tantôt trois personnages (v. 2, 4, 5, etc… pour apporter la parole de YHWH) ; tantôt YHWH lui-même (v. 1, 3, 10, 13, etc…) ; et le chapitre 19, v. 1, parlera même de deux « envoyés ». On ne s’acharnera pas à y voir une annonce de la Trinité, mais plutôt un moyen de faire ressortir la solennité, la vérité et la permanence de la promesse qui est ici faite (pour qu’un serment fût considéré comme valable, il fallait qu’il y eût deux, sinon trois témoins). En quelque sorte, Dieu « se met en trois », ou atteste de trois manières la promesse qu’au « printemps » (« le temps de la vie ! »), Sarah aura un fils ! Bien entendu, comme il est impossible de voir YHWH en face et sur-tout de le voir manger (v. 8), le chapitre 19 se chargera vite de transformer cette triple personne (qui parle d’une seule voix !) en messagers, mais, de toute manière, YHWH l’a juré trois fois : Sarah donnera le jour à Isaac... ce qui fait d’ailleurs qu’elle aura chaque jour devant elle un fils dont le nom (= « il a ri ») lui rappelle-ra sa propre incrédulité (21,6), ainsi que celle d’Abraham (17,17), trop souvent oubliée. Au v. 3, il vaudrait mieux lire « Monsieur » que « Seigneur ». Abraham ne sait pas encore de qui il s’agit. Maintenant, si on est amateur de folklore, on étudiera l’hospitalité des nomades (v. 3-8) ou l’irrépressible curiosité (?) féminine (v. 10), mais est-ce bien là le cœur du texte ?

GGeennèèssee 1188,,2200--33227° dimanche après la Pentecôte ou 17° dimanche ordinaire

Ce récit (dont on ne relèvera jamais assez l’originalité, surtout quand on se réfère aux images (?) que les gens (et parfois les prédicateurs) se font du Seigneur de l’Ancien Testament) a (ou devrait avoir) cependant bien des conséquences pour notre prière, ne serait-ce que celle du

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Notre Père. Nous n’avons pas affaire à une de ces divini-tés distantes et glacées, dont les décisions définitives sont prises irrévocablement de toute éternité, et sur lesquelles jamais aucune créature ne pourra intervenir, mais à un Père (même s’il n’est pas fait usage de ce terme en Ge-nèse 18) qui : 1° vient avertir ses enfants de ce qu’il a décidé (Genèse 18,1-15) ; 2° accepte d’en discuter, quitte à envisager de devoir revenir sur sa décision primitive (cf. Jonas 3,10) (v. 26). On songera aussi à la prière du Christ à Gethsémani, ainsi qu’aux diverses paraboles de Jésus sur la prière (cf. deuxième partie de la troisième lecture de ce dimanche) ; 3° Si l’on ne peut escamoter le terrible jugement qui menace Sodome et Gomorrhe (et qui se réalisera), on ne doit pas oublier pour autant la promesse qui précède (et que nous avons étudiée le dimanche précédent) : « Dans le monde d’oppressions et de luxure dont témoignent Sodome et Gomorrhe, va naître un enfant : ce sera le sourire (Isaac) de Dieu dans l’histoire des hommes ». Mais venons-en à ces deux villes restées le symbole du et des péchés que peuvent commettre les hommes, pour nous apercevoir que l’essentiel du reproche du Seigneur n’a rien à voir ici avec ce que, plus tard (à cause d’une lecture partielle du chapitre 19), on attribuera aux Sodo-mites... négateurs de la plus élémentaire hospitalité. v. 20 : Le Seigneur a entendu la plainte (ne pas traduire « clameur », Lectionnaire catholique), c’est-à-dire les cris de tous ceux qu’on opprime (le mot est caractéristi-que) lourdement (fin v. 21). Puis le Seigneur est venu pour voir si c’était vrai, comme s’il lui semblait invrai-semblable que des hommes puissent déployer autant de mépris et de cruauté envers d’autres hommes. C’est aussi pour donner une chance ultime à Sodome, car si, par hasard, ce n’était pas tout à fait vrai... On aura aussi remarqué que le Seigneur a voulu mettre Abraham dans la confidence (v. 17-19). L’élection n’est pas un vain mot, et Dieu entend désormais associer ceux qui vont devenir son peuple, à la « direction-de-l’histoire ». D’ailleurs, Abraham va prouver qu’il a ad-mirablement compris cela, en essayant de peser (respec-tueusement !) sur les décisions du maître de l’histoire. Abraham va prendre son rôle d’associé très au sérieux. Et il va commencer son sublime marchandage ; mais tout d’abord en faisant appel à la justice de Dieu ; ici, l’argument nous échappe un peu pour deux raisons : 1° Les « justes » et les « impies » ne sont pas ceux du Nouveau Testament et encore moins ceux des épîtres de Paul. Les justes = ici, ce qu’on appellerait aujourd’hui les « honnêtes gens » ; les impies, ce sont ceux qui vivent aux dépens des autres hommes, en les faisant crier sous l’oppression. Il semble que les gens des villes aient sou-vent honteusement exploité ceux des campagnes (Amos 3,9ss ; 4,1ss...), quoique dans la campagne de Sodome on voie difficilement quelles récoltes il aurait bien pu y avoir ; 2° La justice, pour les Israélites, n’est pas la « balance » où on équilibre le bien et le mal, mais une balance (si on tient à l’image) où le bien pèse bien plus lourd que le mal. La justice israélite s’accompagne toujours de bien-veillance (il n’est pas de vraie justice sans bienveillance). Par exemple, cf. le Décalogue où la faute pèse sur trois

ou quatre générations, mais la faveur s’y étend à des milliers de générations (Exode 20,5-6 ; Deutéronome 5,9-10). C’est une des origines de la notion de RESTE (salut du tout). De même, ici, les cinquante justes (du v. 24) ne font pas l’équilibre à cinquante impies. Mais Abraham sait qu’aux normes de la justice de Dieu, cinquante justes ont bien plus de prix que cinq mille ou dix mille impies ne lui causent d’horreur. C’est pourquoi (v. 25) ce serait « abominable » (= un déshonneur et digne des idoles) que le Seigneur fît mourir cinquante justes à cause de cinquante mille impies (par exemple). Le compte du « droit » n’y est pas (v. 25 in fine). La plaidoirie d’Abraham n’est pas seulement audacieuse mais astu-cieuse. Et le Seigneur rend une première fois les armes (v. 26). Il accepte cette arithmétique de la miséricorde, puisque c’est lui qui l’a mise en place. Cependant Abraham, qui doit connaître un peu Sodome, se demande s’il n’a pas placé la barre trop haut et, avec une humilité toujours renouvelée (cf. v. 27 surtout, puis v. 29, 30, 31), et avant de promettre de ne plus intervenir ensuite (v. 32), il arrache à YHWH le nombre de dix justes qui auraient suffi à sauver Sodome de la destruc-tion. Ne reprochons pas, comme des rabbins l’ont fait, à Abraham de ne pas avoir insisté, nous dont les prières sont si peu opiniâtres, car : a) le texte semble bien indiquer que, de toute manière, le Seigneur estimait que le dialogue était terminé (le Sei-gneur s’en alla parce qu’il avait terminé de parler avec Abraham). b) Genèse 19 nous dira au v. 4 que tous les gens de So-dome, du plus jeune au plus vieux, tous compris, vont s’y mettre pour essayer de faire manquer Loth à la loi de l’hospitalité, avant d’essayer de... violer les propres en-voyés de YHWH. Il n’y avait donc aucune chance pour Sodome.

EExxooddee 1177,,33--773° dimanche de Carême

v. 3 : TOB : murmurèrent ; Lectionnaire catholique : récriminèrent. Le verbe est assez difficile à cerner ; éty-mologiquement : séjourner, passer la nuit, puis bougon-ner, se révolter, appeler à la sédition. On notera peut-être une sorte de fatalité : dès qu’Israël s’arrête et séjourne, au lieu de continuer son voyage, il grogne contre le Sei-gneur, et s’approche de la révolte. En tout cas, ici, c’est presque de la révolte contre « le-Seigneur-qui-les-a-fait-monter-d’Egypte » (v. 3) ; on notera les « fils » (de la fin du v. 3) dont les Israélites oublient qu’ils ne sont, comme eux, que les « rescapés par l’agneau pascal » (Exode 11.12). v. 6 : Le mont Horeb (probablement à confondre avec le Sinaï = montagne de la Révélation : Exode 3) est aussi la montagne d’où le Seigneur donnera sa Parole, la Torah ; d’elle aussi coule l’eau la plus rafraîchissante (mais l’homme ne vivra pas d’eau claire seulement ; cf. Jean 4,10-15, 3° lecture de ce dimanche). v. 7 : Traduction fantaisiste et tendancieuse du Lection-naire catholique pour Massah et Meriba (il met Défi – c’est plutôt chantage – et Accusation. Paralysé par le

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texte de Jacques 1,13, le Lectionnaire catholique refuse d’envisager que Dieu puisse être tenté). Il faut traduire « Tentation » et « Querelle » (contre Dieu). La tentation de Dieu est admirablement explicitée par la question vicieuse de la fin du v. 7 : « YHWH est-il parmi nous, oui ou non ? » = Dieu est-il Dieu, oui ou non ? – Dieu est-il le Dieu que nous imaginons, désirons, oui ou non ? – Ou n’est-il qu’un fantôme, une invention ? S’il est Dieu, « il doit le prouver et se prouver. Sinon, il n’est qu’un faux dieu ». On retrouve le « Si » rencontré dans la Tentation du Christ (lors de la 3° lecture du premier dimanche de Carême). Donc ne pas traduire, malgré la TOB, par « mise à l’épreuve ». C’est bien plus profond et bien plus terrible que cela. Ici, faites bien attention que c’est aussi la question que, tous, nous portons au fond de nous-mêmes. Et que par-fois nos prières extériorisent. Entre la prière et le chan-tage, la frontière est parfois bien fragile. Le pire est que Dieu y soit... sensible, et qu’il nous arrive parfois de le déchirer. Nous essayons trop souvent de prendre Dieu au piège de son amour. Cependant, reprenons courage, car si le pèlerinage d’Israël commence sous ce double signe terrible de la Tentation-chantage et de la Querelle contre YHWH, cela n’empêchera pas YHWH de montrer en-suite sa constante fidélité envers ce peuple.

« Plan » de prédication La tentation de Dieu. Cela a un petit (!) caractère provo-cant (surtout quand on le rapproche de Jacques 1,13 et du Dieu impassible des théologiens) qui vous permet un facile « accrochage » : - quelle est la pire des tentations ?... Celle de Dieu ! - nous la lui infligeons souvent.

EExxooddee 3322,,77--114424° dimanche ordinaire

On remarquera tout d’abord qu’au verset 1, on peut aussi bien traduire la demande du peuple : « Fais-nous un Dieu qui aille devant nous... » que « Fais-nous des dieux qui aillent devant nous ! ». Personnellement, à cause de l’unicité du « veau » d’or, je préfère la première traduc-tion. J’ajouterais ensuite que le texte n’est intelligible que si on lit les versets 1-6 (qui ne sont jamais donnés à lire, durant les trois années liturgiques) ; et qu’alors, si on veut prêcher sur le texte du jour, il est capital de lire (ou résumer) ces versets 1-6. Enfin, attention à ne pas vous méprendre sur ce désir du peuple (la TOB le précise bien) : car ce n’est pas une volonté ou un désir d’avoir un (ou des) autre(s) dieu(x) que le SEIGNEUR ; c’est surtout que : a) Israël ne sait pas vivre sans dieu(x), sans religiosité ; b) qu’il a besoin de se représenter le Dieu qui l’a fait sortir d’Egypte ; le peuple a besoin « d’objectiver » Dieu pour mieux savoir où il est, où lui parler, où le prier, etc… Et il est aussi bien clair que ceux qui font cette demande ne sont pas des gens qui confondent l’image avec le Dieu qu’elle est censée représenter (cf. encore TOB qui a bien raison de renvoyer au Décalogue qui

n’interdit pas simplement l’adoration des statues ou des images « divines », mais bel et bien la représentation du Dieu in-imaginable : le Seigneur-qui-a-délivré-son-peuple. Le Deutéronome sera encore plus explicite : chapitres 4, 5 et 6. Bien entendu, se pose ici le « problème » des images et des icônes dans l’Eglise (simplement on n’oubliera pas que l’image n’est pas du seul domaine du dessin). On comprend mieux l’attitude d’Aaron : non seulement il est « démagogue » (ce qui n’est pas obligatoirement péjoratif), mais lui aussi a besoin de voir. Il veut bien marcher, mais au moins partiellement par la vue. D’ailleurs, il demande aux Israélites le sacrifice de ce qu’ils ont de plus précieux : leur or (pour ceux qui se demanderaient d’où vient cet or, je recommande la lec-ture d’Exode 12,35s, et d’en tirer une leçon) pour cons-truire cette image-de-YHWH (cf. 32,5). Et la fête décré-tée est... la fête-du-SEIGNEUR (ou : en l’honneur du Seigneur) et de nul autre dieu. On remarquera donc qu’il ne suffit pas de dire qu’on adore et fête le seul Seigneur pour qu’en fait on ne soit pas idolâtre. Par ailleurs, ce n’est pas un veau qui est ici fondu avec l’or offert, mais un jeune taureau (lire encore les notes TOB) ; cependant ce sont les scribes qui, par dérision, en ont fait un veau : « Votre taureau n’est qu’un veau » (Ba’al était ainsi représenté sous la forme d’un taureau, et Paul, par dérision supplémentaire, en fera une « vachette » : Romains 11,4 où il y a le féminin !). Le vrai Dieu s’oppose à cette religiosité exacerbée qui exige des dieux visibles, accessibles à nos sens, et il prend à témoin Moïse pour lui faire part de sa résolution d’abandonner Israël, et de détruire définitivement ce peuple, incapable de rester sans dieu visible ou « sensible », incapable de marcher par la foi et par la seule Parole. Vient alors la superbe intercession de Moïse, qui se conduit en véritable médiateur entre le Seigneur et Israël. On remarquera l’articulation de sa prière, qui montre qu’il n’est pas interdit de prier de manière construite : a) Tu (Seigneur) as commencé une œuvre de délivrance (sous-entendu : pourquoi ne pas aller jusqu’au bout ?) ; la misère des hommes ne doit pas interrompre ton plan de salut (v. 11) ; b) Que vont en dire ceux qui ne te connaissent pas (les Egyptiens) ? Que tu délivres pour mieux faire périr et que tu es un Dieu capricieux (donc inférieur aux autres dieux, égyptiens en particulier, v. 12) ; c) Oublierais-tu ceux par qui tu t’es révélé et même défi-ni (Exode 3,6) ? Et à qui tu as fait un serment irréversible (v. 13), selon lequel tu les multiplierais à l’infini, pour leur donner une terre (v. 13) ? Serais-tu parjure ? C’est alors la merveilleuse conclusion : « Dieu (se dédit, se renia) renonça au mal qu’il avait décidé de faire à son peuple ». On en tirera deux conséquences : a) que l’immutabilité de Dieu, chère aux vieux chrétiens, est à revoir. C’est bien plutôt de l’immutabilité de la miséricorde divine qu’il faut parler ; b) que la prière est parfois vraiment efficace.

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« Plan » de prédication Vous avouerez que traiter ces trois merveilleuses parabo-les (plus leur terrible introduction) en un seul dimanche est une réduction très regrettable. Bien entendu, si vous tenez à prêcher sur Luc 15, ce sera soit pour y relever les contresens habituellement commis (titres, etc…) soit pour choisir l’une des quatre directions indiquées plus haut, même si rien ne vous interdit d’en préférer une autre. Mais, quant à moi, je me précipiterais sur Exode 32, le veau d’or appelé YHWH, la dénonciation de l’image et des esquives de ceux qui prétendent faire dans leur culte une soigneuse différence entre l’image et celui qu’elle représente. Surtout, j’insisterais sur l’intercession de Moïse pour songer à celle du Christ en notre faveur (Romains 8,34 ; Hébreux 4,14-16 ; 7,25-27,...).

DDeeuuttéérroonnoommee 44,,11ss..66--8822° dimanche ordinaire

Je crois bien que nous nous trouvons devant le dimanche le plus saucissonné, le plus syncopé des trois années de lectures liturgiques. Ce serait presque drôle, si cela n’entraînait pas (cf. le 3° texte) des soupçons qui ne sont pas à leur place dans des lectures bibliques. Cependant, on peut s’interroger sur le sérieux de lecture de nos amis les « (dé)coupeurs de te(x)tes » quand, par exemple, on trouve dans ce texte du Deutéronome, juste avant la censure (ou le « retranchement ») des versets 3 à 6, ceci : « Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne et... VOUS N’Y RETRANCHEREZ RIEN ». Nos amis ne sont vraiment pas des esclaves de la lettre ! On voudrait bien, avant de les en féliciter, être sûr que ce soit toujours le cas... Venons-en à Deutéronome 4, tout d’abord pour rappeler que ce dernier livre du Pentateuque est l’un de ceux où les Israélites ont commencé à élaborer une théologie qui soit typiquement la leur, et où ils ont essayé de penser leur propre histoire, tout en cernant ce qui les caractéri-sait parmi les autres peuples. Première caractéristique : Israël, loin d’être le meilleur des peuples ou le plus fort, est au contraire le plus petit (le moindre des peuples : 7,7), mais sa deuxième caractéristique (la plus impor-tante) est que YHWH a quand même aimé (et aime tou-jours) ce « moindre des peuples » (7,8), à qui il est lié par une alliance perpétuelle qui n’a d’autre raison que l’amour que ce Seigneur lui porte. Troisième caractéris-tique (liée à la deuxième) : le Seigneur, contrairement aux autres dieux qui ne cherchent qu’à en mettre plein la vue aux nations qui sont leurs (4,19ss), n’entend se révé-ler à Israël que par la Parole, la Voix (4,12) ; et il ne demande en retour que l’écoute de cette voix (c’est le Chema’ de Deutéronome 6,4-5), étant bien précisé qu’écouter c’est aussi obéir (= (ob)-ouïr), et qu’obéir c’est nécessairement aimer un tel Dieu de tout son cœur (= intelligence + volonté), de toute son âme (= existence) et de tout ce qu’on possède (plus juste que la « force » habituelle). L’essentiel du message du Deutéronome ainsi compris, on peut en venir au texte du jour où Moïse commence à présenter l’Alliance que Dieu va conclure avec Israël. Cela permet de mieux remettre en vraie « perspective »

les décrets et surtout la fameuse « Loi » du v. 8 (qu’on devrait obstinément se refuser à traduire ainsi, pour em-ployer simplement et systématiquement le mot hébreu Torah ; sur ce point, Chouraqui a eu raison). Car la To-rah, qui les comprend, ne se limite cependant pas et de loin, aux commandements, ordres, coutumes, rites que Dieu donne à son peuple ; la meilleure preuve en sont ici les versets 3-4 (censurés !... comme par hasard) ; la To-rah, ce n’est surtout pas une morale, mais le patient récit de ce que Dieu a fait pour Israël et des réponses (plus ou moins) fidèles qu’Israël lui a faites. Insistons : la Torah n’est pas, et de loin, une morale, même si des Israélites l’ont transformée de la sorte (et ne parlons pas des chré-tiens, champions toutes catégories pour faire dégénérer les promesses de Dieu et les avenirs qu’il offrait à cha-cun, en rails d’airain). C’est une Histoire, celle de l’Amour du SEIGNEUR pour son peuple (pardon pour mes répétitions). En tout cas, nous trouverons dans le Deutéronome une théologie de l’Alliance, une théologie de la Parole et une théologie de l’Amour (entre Dieu et son peuple, et réci-proquement). C’est pourquoi c’est un livre important que nous devrions « garder pour le mettre en pratique » (v. 5-6). Les nations diront alors d’une Eglise redevenue mé-fiante à l’égard des morales (même baptisées « éthiques ») et à l’égard des images (même pieuses), et ayant retrouvé le Dieu proche (v. 7) : « Que cette nation sage et intelligente (v. 6) est grande d’avoir retrouvé la seule Parole de son Dieu » (v. 7-8).

DDeeuuttéérroonnoommee 66,,22--6631° Dimanche ordinaire ou 23° Dimanche du Temps de l’Eglise

Voici le « Shema Israël » (« Ecoute, Israël ! ») qui est l’une des confessions de foi centrales de ce peuple (dans le texte hébreu, la première et la dernière lettre du v. 4 sont écrites avec de grandes lettres, pour encadrer et faire ressortir l’importance de cette confession !). C’est ce qu’aujourd’hui nous appellerions une grille de lecture de l’Ancien Tetament ; Israël entend lire (et faire lire) son histoire, ses institutions et sa personnalité au travers du Shema. On relèvera que, pour Israël, sa foi, sa vie, son histoire sont donc essentiellement une question d’écoute, et d’écoute de la Parole (v. 3) du Seigneur, Un autant qu’Unique. Et pour qu’on ne se trompe pas sur le sens du mot « Ecoute » (car écouter = parfois obéir), le v. 5 précise comment cette attitude doit se traduire : par l’amour pour Dieu dans toute l’existence. Quant au Dieu-Un, il ne faut pas trop philosopher à ce propos qui relève surtout que le Seigneur est le seul Dieu à avoir élu, pour faire alliance avec lui, un peuple, le plus misérable de tous (Deutéro-nome 7,7) ; le seul Dieu qui a voulu être simplement une voix (Deutéronome 4,12), une simple voix qui révélait la volonté de Dieu (4,13) ; le seul Dieu à parler pour confier seulement à l’oreille et au cœur de ses partenaires (ici), afin de respecter leur liberté (30,15) et leurs choix (l’oreille est l’organe de la liberté... Il serait bon de s’en souvenir aujourd’hui ; cf. Romains 10,17). Certes, l’unicité de Dieu était une dénonciation de toute autre « écoute », c’est-à-dire de toute idolâtrie ; mais toute

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idolâtrie met surtout la vue à contribution, cf. Esaïe 44 ; elle cherche toujours à en mettre « plein la vue ». Puis-sions-nous retrouver cette « écoute » de l’Unique Sei-gneur pour l’aimer de toute notre liberté, donc de tout notre cœur (= volonté et intelligence), de toute notre âme (= existence) et de toute notre force (? abondance ; « biens » ont lu certains rabbins). On constatera que le vocabulaire actuel est à revoir.

DDeeuuttéérroonnoommee 2266,,44--11001° dimanche de Carême

Il est malheureux que nous n’ayons pas plus souvent à nous consacrer à la lecture de passages du Deutéronome [traduit en théologie actuelle, on pourrait dire du Deuté-ronome qu’il est le livre le plus cullmannien et aussi le plus bultmannien de l’Ancien Testament] : « deuxième loi », nom donné par la Septante, alors qu’il s’appelle plus explicitement : Paroles, dans le canon juif – « Deutorologue » eût été encore plus clair, puisqu’on y a vu (en particulier à cause de Deutéronome 5 que reprend Exode 20) la répétition, mais d’une autre manière (plus théologique), de la Torah révélée à Moïse (censé d’ailleurs avoir brisé la première édition : 9,17). Depuis longtemps, on a pensé qu’on détenait avec le Deutéronome le livre retrouvé dans le Temple (2 Rois 22,8-20) et qui fut à l’origine de la Réforme de Josias (2 Rois 23), où l’idolâtrie, qui avait envahi le culte israélite, fut violemment combattue. Peu importe que ce document trouvé (?!) au Temple soit contenu en tout ou en partie dans le Deutéronome, ou qu’il soit encore, en tout ou en partie, composé d’éléments plus anciens (cf. notre texte d’aujourd’hui) ; en revanche, il est sûr que ce livre est vraiment un livre de Réformes et de Réveils (les Réfor-mateurs l’ont particulièrement aimé) – Réforme « retrouvailles » qu’il serait ici malaisé de détailler, mais dont je veux retenir quelques points : 1° Le Dieu d’Israël est le Dieu-Parole, qu’on ne peut ni voir ni représenter, mais seulement écouter : c’est une VOIX (Deutéronome 4,12-14) ; rien qu’une Voix, et il ne supporte aucune représentation. La vue ? C’est bon pour les païens (4,19-20) qui aiment à en « avoir plein la vue ». 2° Le Dieu d’Israël est le Dieu de l’Election gratuite, qui a choisi le plus petit et le moins valeureux des peuples, afin d’accomplir dans l’histoire des merveilles pour et par lui (7,7s ; 4,32-34 ; 9,4-6). 3° Ce livre (le Deutéronome) est probablement le livre qui, dans toute la Bible (Nouveau Testament compris, cf. cependant l’épître aux Romains), essaie le mieux de montrer la cohérence du plan du Seigneur au travers de l’histoire, et simultanément (comme tout vrai livre de Réforme) celui qui appelle le plus souvent « à la conver-sion » (même si le mot n’est pas employé), c’est-à-dire à une vraie décision de retour à la Torah et à une écoute renouvelée du Seigneur qui y parle (cf. le chapitre 30). Ce n’est pas pour rien qu’il contient non seulement la ré-édition du Décalogue (Deutéronome 6), mais la grande confession de foi d’Israël (le Shemà : de Deutéronome 6,4-5), le grand choix décisif du chapitre 30 et l’autre confession de foi, qui est celle que nous devons étudier

aujourd’hui (si on veut bien me pardonner la digression qui précède). Cette confession de foi parle de « l’Araméen vaga-bond », comme ancêtre fondateur du peuple élu. Au lieu d’y voir une tradition concurrente de celle qui fait du Chaldéen Abraham l’ancêtre du peuple, et qui trahirait une influence « nordiste » sur le Deutéronome, puisque cet Araméen est sans nul doute Jacob-Israël, il vaut mieux y voir une tradition confirmant l’origine païenne des Juifs : les Juifs sont des « goyim » que Dieu a mis à part pour son service (4,34), et qu’il a fait devenir un peuple saint (7,6). Déjà Exode 19,6 avait osé employer en parallèle au « Royaume de prêtres », cette alliance de mots [rappelons qu’une « alliance de mots » est en fait... une mésalliance (de mots)] : « Une nation (goy !) sainte » qui met bien en valeur le paradoxe de l’élection, sur lequel insistera le Deutéronome. Chaldéen par Abraham, Israël est Araméen par Isaac, donc deux fois goy, et de toute manière plus qu’un no-made, c’est un Errant renvoyé de tous côtés par les grands. Et cette confession de foi rappelle, non pas qui est Dieu en lui-même, mais ce qu’il a fait pour son peuple. C’est par le récit de ses œuvres salutaires que le Seigneur en-tend être connu. Ce fut le miracle de l’exil (en Egypte), qui, au lieu de sonner la mort d’Israël, manifesta au contraire sa croissance et sa force (26,5), parce que le Seigneur entendit les cris des souffrances de son peuple (26,7-8) et le délivra. C’est le résumé de l’histoire du salut. Une bonne confession de foi ne dit pas qui est Dieu, mais ce qu’il a fait et fera (cf. Mélanchthon). Maintenant, fermez les yeux et devinez pourquoi a eu lieu cette solennelle (et magnifique) confession de foi ! Eh bien, tout simplement pour servir de préambule à l’offrande des prémices. Ce n’est pas la Terre, ni la déesse de la Terre, ni la Pluie, ni le Dieu de la pluie, ni la fécondité, ni la chaleur, ni le Soleil, qu’on remercie, mais le Dieu de l’Histoire, le Dieu de l’élection, le Dieu du salut. On inscrit ainsi cet humble geste de l’offrande dans le mouvement miséricordieux du Dieu qui, au milieu de nous, s’est donné pour nous, pour moi et offert à tous. On ne pouvait pas mieux commencer le Carême.

DDeeuuttéérroonnoommee 3300,,((99))1100--11445° dimanche après la Pentecôte ou 15° dimanche ordinaire

Les lectures de ce dimanche sont d’une grande richesse. Vous aurez beaucoup de peine à n’en transmettre, ne serait-ce qu’une partie. Pourquoi ne pas exhorter alors les frères venus « vous » entendre, à relire et à méditer les trois textes, la semaine durant ? Le chapitre 30 du Deutéronome appartient à ce qu’on pourrait appeler « le testament spirituel de Moïse ». Il est destiné à avertir Israël de ce qui peut l’attendre au cas où, une fois de plus, il abandonnerait la Torah (sacri-fiez le mot « Loi » !) que Dieu l’a chargé de (re)transmettre au peuple, avec cependant bien des pro-messes, comme celle de 30,3-9 ou celle de 30,6 : le SEI-GNEUR va « circoncire le cœur » des Israélites, c’est-à-dire les disposer à une obéissance joyeuse autant que profonde et réelle (cf. Jérémie 31,33ss ; Ezéchiel

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36,26ss), et non plus une obéissance contrainte et ri-tuelle. Il faut remonter ici au v. 9, puisqu’il y est fait allusion, non pas seulement au bonheur qui attend ce « nouvel » Israël, mais à celui que le Seigneur trouvera lui-même dans la joie obéissante de son peuple. Dieu ne boude pas le bonheur et la joie de son peuple, tout au contraire, il les partage. Rappelons à propos du v. 10, où la TOB a bien traduit : « ...revenir au Seigneur de tout ton cœur et de tout ton être », qu’il faut cependant bien préciser que le cœur israélite, c’est aussi bien l’intelligence et la volonté (en-tre autres) que l’être (l’âme d’habitude) ; c’est toute la personne, l’existence, pourrait-on aussi traduire. Le Seigneur (v. 11-14) va alors faire une promesse (re-prise par Paul pour la nouvelle alliance, Romains 10,6-8) : la Torah n’est pas inaccessible à l’homme, ce n’est pas un idéal, une utopie que seules quelques élites (et encore) pourraient atteindre. Tout Israélite peut la vivre et la dire : v. 14. Il n’y a plus de hiatus entre la volonté (qui aimerait bien la suivre) et la conduite (qui ne pour-rait la vivre). L’auteur du Deutéronome démarque ici (non le vocabulaire habituel de la Sagesse, cf. note TOB), mais le vocabulaire et les mythologies des autres religions où des œuvres salutaires (telle celle qui ramène la pluie) sont accomplies, non par des hommes, mais par des dieux ou demi-dieux qui montent aux cieux, puis (ou) descendent aux enfers ; ou encore vont (comme le soleil) dans le Non-Monde situé au-delà des mers. Le salut apporté par le SEIGNEUR n’est pas l’œuvre des dieux, œuvre accomplie Ailleurs, et surtout pas parmi nous (ce qui aurait réduit les hommes à l’état de specta-teurs), mais c’est une parole toute proche de l’homme, qui, après avoir changé son cœur (sa volonté) rebelle, lui est devenue possible à pratiquer, à vivre et à transmettre. L’homme ici est acteur, sans être pour autant l’AUTEUR.

JJoossuuéé 55,,1100--11224° dimanche de Carême

Nous entrons en Canaan, que Moïse a tout juste pu aper-cevoir de loin avant de mourir et d’être enterré (en un lieu inconnu) par le Seigneur lui-même (Deutéronome 34,6, où le sujet du verbe, « le Seigneur », ne fait pas de doute). Et Israël va commencer à s’installer, avec tout ce que cela représente de positif, mais aussi de séducteur. Par exemple, on a élevé un monument commémoratif pour célébrer la traversée (plutôt facile) du Jourdain, malgré sa crue (Josué 3,15) ; ce monument (sans doute 12 pierres posées en cercle ; Guilgal = cercle, cf. 5,9) deviendra plus tard un haut lieu de l’idolâtrie (Amos 4,4 et 5,5, etc…). Mais il faut maintenant que ceux qui vont entrer en Terre promise soient tous des vrais Juifs, et c’est pourquoi on les circoncit tous. Ce qui suppose qu’on n’y avait pas toujours songé pendant le périple des 40 (?) ans au Sinaï (5,6-7). Cela était d’autant plus urgent qu’on devait bientôt (mais chacun dans sa famille) célébrer la Pâque. Et pour cela on emprunte les provisions de Canaan (5,11), ce pays où

ruisselait le lait et le miel (5,6), en particulier ces épis grillés, qu’on ne retrouvera plus guère dans les fêtes postérieures de la Pâque. Et la manne cessa (5,12). Les Israélites prennent désor-mais en main leur destin, c’est à eux qu’il revient désor-mais de trouver leur nourriture. Le temps de la manne (dont je vous rappelle qu’elle est une question ; la manne = « Qu’est-ce ? ») est terminé. Israël est majeur. Du moins, les 40 ans d’adolescence, qui furent 40 ans de pédagogie divine, ont dû lui apprendre à marcher droit dans la route nouvelle que Dieu, son Père (Exode 4,22-33), a tracée pour lui, en lui accordant la Torah (en parti-culier Exode 20). On sait, non seulement qu’Israël s’écartera constamment de cette voie, mais qu’au lieu de continuer à faire confiance, pour sa nourriture, à son Seigneur qui l’a ravitaillé 40 ans durant, il va, dès que les pluies tarderont et que la fécondité baissera, se tourner vers Ba’al et consorts, dieux et déesses de la fécondité, et d’autant plus facilement que les cultes de ces dieux étaient singulièrement plus attrayants que la répétition de la Torah. On n’aura pas manqué de noter dans ce texte, ce qui constitue les Juifs comme Juifs, c’est la circoncision et la Pâque (interprétée non plus comme fête agraire, cf. les épis, mais comme représentation de la délivrance d’Egypte). C’est à cela qu’un Juif veut être reconnu comme tel.

JJoossuuéé 2244,,11--118821° dimanche ordinaire ou 13° dimanche du Temps de l’Eglise

v. 1 : Convoquer (anciens, etc…) : terme souvent cultuel. Devant Dieu : probablement devant l’arche et le person-nel sacerdotal. Cela révèle le caractère cultuel et solennel de cette cérémonie. v. 2 : Le v. 1 semblait dire que Josué ne s’adresse qu’aux élites du peuple ; ce v. 2 élargit « l’auditoire ». Alors Josué exprime et rappelle le catéchisme d’Israël : l’histoire du salut qui remonte au païen Térah, père d’Abraham. v. 3 : Enumération des patriarches. Passage à ne pas écourter, car c’est en cette histoire que consiste 1’originalité de la religion israélite : elle repose sur l’histoire et sur une histoire. v. 4-5 : Bien entendu, c’est ici le cœur de cette histoire, et « Séjour et esclavage en Egypte et délivrance... » ne sont pas oubliés. v. 8-9 : Entrée (difficile) en Canaan. v. 10 : L’histoire de Bala’am est curieusement racontée. C’est YHWH qui n’a pas voulu écouter (obéir) à Ba-la’am. v. 11 : De sa main : celle de Balaq, ou alors traduire « hors de son pouvoir » (celui de Bala’am). v. 12 : Il est bien souligné que ce n’est pas avec ses ar-mes et ses soldats qu’Israël a connu la délivrance. Ce n’est pas unique dans l’Ancien Testament (cf. Psaumes et prophètes). v. 14 : « Et maintenant, après tout ce que j’ai fait pour vous, l’heure de la décision est arrivée : Maintenant ! ».

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Craignez : plutôt « ayez pour seule religion » ; « adorer » irait bien si les Juifs ne récusaient pas ce verbe. Avec intégrité : si l’adverbe « scrupuleusement » n’était pas devenu souvent péjoratif, il irait bien. « Fidélité » = aussi confiance et foi. Cette recommandation est explici-tée par : « En fuyant, en écartant les dieux païens... ». v. 15 : ...Mais si, à votre point de vue, il est mauvais de servir YHWH, « choisissez vous-même en ce jour, qui vous servirez » : soit... les dieux d’Ur ou d’Egypte (ceux d’hier) soit les dieux de Canaan (ceux que vous allez « rencontrer »), de toute manière des dieux païens. Ironie terrible du passage : alors vous aurez le choix, mais seulement une fois que vous aurez récusé YHWH et son choix : ce sera entre les dieux faibles (ceux d’Ur ou ceux d’Egypte, car là on a l’embarras du choix). Avec YHWH, à dire vrai, on ne choisit pas : on respecte son choix et on l’adore. C’est avec les dieux païens qu’on choisit. Avec YHWH, on est choisi. C’est l’engagement fameux : « Moi et ma maison, nous servirons (non pas nous choisissons) le Seigneur » (car c’est lui qui déjà nous a choisis ; cf. à partir du v. 3). v. 16 : Le peuple va, lui aussi, s’engager, mais de ma-nière négative : Loin de nous !… v. 17 : Et il confesse son vrai Dieu : Dieu de l’histoire du salut. Et c’est la promesse : « Nous (ne) servirons (jamais que) le Seigneur ». Hélas ! Hélas ! Bien entendu, penser ici à nos promesses. Cependant, aujourd’hui encore, il nous est possible de revenir au Dieu de l’Alliance et de la Grâce, qui, lui, nous a choisis, et placés dans la longue histoire commencée avec Abra-ham. Et ses choix sont irréversibles (Romains 11,29) !

11 SSaammuueell 1166,,11..66ss..1100--11334° dimanche du Carême

Quoi que semblent en dire bien d’autres textes (Romains 9,1-5 par exemple), il arrive que Dieu revienne (en tout cas à nos points de vue) sur ses choix (1 Samuel 15,10). Saül en est un brillant exemple. D’ailleurs, il embarrasse tout le monde : exégètes, chrétiens, comme déjà il em-barrassait les vieux scribes troublés en particulier par l’anomalie du règne éphémère de Saül et du sort tragique de sa dynastie ; les textes ne sont pas toujours d’une parfaite clarté ni d’une traduction évidente. Saül est un « sacré » (!) grain de sable, et même un pavé dans les rouages de l’histoire sainte. Cependant, n’oublions pas qu’il est là à cause d’une demande « exclusive » du peu-ple (1 Samuel 8,6) comprise par le Seigneur comme un rejet et une exclusion de sa propre royauté (8,7) ; le Sei-gneur lui cède, mais en le faisant avertir par Samuel dans un discours sublime (1 Samuel 8,11-18). Le peuple s’entête, et on peut considérer que, même si Dieu y col-labore (9,15 et 10,1), le sacre de Saül est plus dû au désir des hommes qu’à la volonté de Dieu. Si pendant un mo-ment (1 Samuel 11-14), Saül va être (avec quelques détours parfois) le vecteur du plan divin (cf. le respect de David : 1 Samuel 24,11 et 26,9), il n’en reste pas moins une parenthèse montrant qu’une royauté née surtout des désirs des Israélites (d’être « comme tout le monde » : 1 Samuel 8,5), ne pouvait qu’échouer pour confirmer le plan divin voulant nommer David comme roi. Le péché

du peuple (cf. le péché d’Adam) a aussi consisté dans une grande impatience. C’est aussi un conformisme et une sorte de... snobisme ! Et Saül, qui va d’ailleurs maintes fois s’écarter d’une vraie obéissance (13,9ss ; 15,9ss), est rejeté (15,23.26), ce qui nous vaut la scène dramatique de 15,27ss. En ce chapitre 16, le Seigneur, en quelque sorte, recom-mence tout, mais il entend être désormais la seule origine de cette royauté (16,1, où la traduction du Lectionnaire catholique « j’y ai découvert », est fantaisiste, c’est bien : « j’y ai vu » – sous-entendu avec plaisir). On notera au v. 3 que l’onction royale s’accompagne d’un sacrifice, ainsi que le fait que Samuel n’est que l’instrument du plan divin. Mais pas instrument mécanique, car il se laisse impressionner par la stature et l’allure d’Eliav, puis des autres frères. Et c’est alors que le Seigneur avertit : « Non ! Celui-là, je l’écarté, et toi ne te laisse pas illu-sionner par ce que tu en vois (son apparence) ni par la taille. Ce n’est que ce que voit l’homme – car l’homme (ne) voit (qu’) à l’aide des yeux (ce qui saute aux yeux, TOB) – mais le Seigneur, lui, voit jusqu’au cœur ». La phrase alambiquée est pourtant claire : Dieu ne se laisse pas (comme, hélas, les hommes) piéger par la vue. Mais il regarde l’homme à fond. Ne pas oublier que le cœur n’est pas, en Israël, le siège des bonnes intentions, mais de l’intelligence, du courage et de la volonté. Même si 15,28 fait allusion à un personnage meilleur que Saül (probablement au sens de « plus compétent »), il ne faut pas songer surtout à des qualités morales (et d’ailleurs David sera parfois un beau coquin : 2 Samuel 11ss). Au v. 12, les exégètes hésitent à « faire » de David soit un homme roux, soit un homme à la peau claire, avec de beaux yeux (ou une belle mine). De là, la tradition tou-jours reprise qui a voulu faire du Christ (descendant de David) un roux aux yeux bleus ! Cela n’a aucune impor-tance. Ce qui est plus à relever, c’est qu’avec l’onction de Samuel, l’Esprit du Seigneur « fondit » sur David (traduction de la TOB du v. 13). Il y a probablement un jeu de mots avec le verbe qui signifie aussi « réussir » ; jeu de mots qu’on peut suggérer avec « fondre » et « fonder ». En tout cas, si l’Esprit du Seigneur (1 Samuel 10,6.10s) visitait parfois Saül (entre deux visites d’un esprit malin, mais venu aussi du Seigneur : 1 Samuel 18,10 ; 19,9…), il semble ici s’attacher de manière plus assurée à David (le texte dit : ...depuis ce jour et au-delà). Ce qui ne ga-rantit pas cependant une indéfectible fidélité de la part de David.

11 RRooiiss 1177,,1100--116632° dimanche ordinaire ou 24° dimanche du Temps de l’Eglise

Nous voici dans le cycle (la Geste) d’Elie (1 Rois 17-19 qui reprendra en 2 Rois 1-2). Elie (tout comme Elisée) prouve, dans sa dureté même, que Dieu n’a pas abandon-né le Royaume du Nord. Pour mieux saisir toute une partie de son ministère qui est une lutte contre Ba`al (et ses adorateurs), on se souviendra que Ba`al précisément était un dieu de la fécondité ; il était censé ramener cha-que année la pluie et la fertilité, après avoir été victime du dieu Môt (= Mort). On comprend mieux la tentation

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d’idolâtrie qui guettait les Israélites paysans, ceux du Nord en particulier. Et toute l’histoire que nous avons ici, entend rappeler que le vrai maître de la pluie et de la fertilité est le SEI-GNEUR et non Ba`al (cf. 18,19ss, en particulier 18,26-29 puis 18,36-38.45). Le Seigneur de l’histoire est aussi le Seigneur de la Création... même si celle-ci est surtout confiée à l’homme (Genèse 1 et Psaume 8). Mais cette histoire a un autre intérêt que Jésus relèvera admirablement (dans Luc 4,25-26) : c’est chez une étrangère haïe, du pays de Sidon, que le prophète trouve asile, dévouement et écoute de la Parole (17,12 : ... le SEIGNEUR ton Dieu). Si on ajoute à cela qu’on peut voir (par un jeu de mots) dans les corbeaux des versets 4 et 6, des... Arabes (on est à l’Est du Jourdain), on lira ce texte avec d’autres yeux.

11 RRooiiss 1199,,1166--22113° dimanche après la Pentecôte ou 13° dimanche ordinaire

On doit remonter au moins au verset 14 pour mieux interpréter toute cette scène. Elie, malgré « le murmure du souffle ténu » (v. 12-13) d’où le Seigneur lui parle (contre Psaume 29 ; ou Job 38,1 et 40,1 ; ou toutes les révélations fracassantes de Ba’al, dieu de l’orage), Elie donc est découragé, même s’il commence la confession de sa fatigue par : « (Quoique) saisi d’une totale passion pour le Sei-gneur !... (sous-entendu : et déçu par Lui) » (v. 14). Mais, comme beaucoup de « ministres » ou de croyants « fatigués-de-croire-et-de-lutter », il commet une grosse erreur, où il montre qu’il ne voit pas plus loin que le bout de son nez : « Je suis resté (le) seul (fidèle) en Israël ». Ce à quoi le SEIGNEUR répondra (dans un sourire) par le verset 18 et les 7 000 hommes qui n’ont pas abjuré ni plié le genou devant Ba’al pour baiser ses pieds. Le dé-couragement et l’incrédulité nous aveuglent sur la foi des autres. Signalons au passage que ces 7 000 correspondent en 1 Rois 20,15 aux 7 000 (!!!) soldats que le roi Achab pas-sera en revue avant de défaire l’armée araméenne. Que cette histoire nous soit donc un sérieux encourage-ment ! Mais le Seigneur va répondre d’une autre manière à la lassitude d’Elie : pour lui montrer que tout va changer, il lui confie le soin (paradoxal) d’oindre (v. 15) Hazaël, roi des Araméens (Hazaël qui jouera parfois son rôle de « verge de la colère » contre l’idolâtre Royaume du Nord ; cf. Esaïe 10,5s où c’est l’Assyrie qui reprendra ce rôle). Elisée confirmera cette élection : 2 Rois 8,7ss. Puis il va oindre le roi d’Israël (Royaume du Nord) Jéhu qui assainira ce Royaume du Nord, mais d’une manière fort violente (assassinat de la famille royale et de Jézabel en particulier). Et enfin le Seigneur donne un successeur à Elie : Elisée (qui, pas plus que son maître, ne sera un tendre). Non seulement Elie n’est pas « le seul fidèle », mais il va avoir la joie de connaître un Elie-bis, et savoir ainsi que Dieu-le-Seigneur continue le combat contre Ba’al. Et qu’il se conserve un peuple.

Mais c’est le SEIGNEUR (v. 16) lui-même qui lui dési-gne ce successeur qui doit continuer d’annoncer la Parole rigoureuse qui exclut tous les cultes naturels. Elie est las, mais le Seigneur ne l’est pas. Le salut continue. Elisée a fini sa tâche de cultivateur (v. 19) quand Elie jette son manteau sur lui. S’il faut bien tenir compte de la note T.O.B. (sur ce v. 19), on n’oubliera pas qu’elle est incomplète. Car le geste d’Elie nous permet de mieux comprendre cette métaphore du Nouveau Testament à propos du vêtement, métaphore trop souvent superficielle dans nos esprits : « revêtir Christ » (Galates 3,27), « revêtir l’homme nouveau » (Ephésiens 4,24 ; Colos-siens 3,10) et même « revêtir (sic !) notre domicile cé-leste » (2 Corinthiens 5,2), ce n’est pas simplement changer d’apparence, mais de comportement, sinon de personnalité ; c’est « passer dans la peau d’un autre ». D’ailleurs, Elisée, de simple cultivateur, va devenir pro-phète. Ensuite a lieu une scène curieuse (qui annonce certaine-ment Luc 9,59-60, mais... ?) lorsque Elisée (v. 20) dit à son maître : « ...(Est-il possible que) j’embrasse mon père et ma mère ? Et je te suivrai ». Elie lui dit : « Va… ! Retourne ! Que ne ferais-je pas pour toi ? » (?), proba-blement : « Que ne te consentirais-je pas ? ». Mais ? Le verset 21 n’est pas plus clair : « (Elisée), loin de le suivre, repartit ». Ce qui est plus clair, c’est que non seulement il sacrifie sa paire de bœufs, mais qu’il renonce à sa vie ancienne de cultivateur ; même l’attelage y passe. Et il distribua tout cela à sa famille et à ses gens. Désormais Elisée ne sera plus que prophète... et rien d’autre.

22 RRooiiss 44,,4422--446617° dimanche ordinaire ou 9° dimanche du Temps de l’Eglise

La ressemblance avec la future multiplication des pains est étrange. Cependant ici nous sommes en période de famine (4,38). Et Elisée a fait une première tentative pour nourrir les quelques cent élèves (fils ?) des prophè-tes (v. 43) ; malheureusement les concombres n’étaient que des coloquintes, et c’est le cri : « La mort est dans la marmite » (v. 40). Elisée va rendre la soupe comestible. C’est alors qu’un homme apporte à Elisée vingt pains de prémices, en principe réservés au Temple (Lévitique 23,10-20, où « présenter au Seigneur » = apporter au Temple). L’impossibilité de la distribution est peut-être double : a) il n’y a notoirement pas assez de pain, b) nous sommes à Guilgal (4,38, où il y avait un temple, cf. Amos 4,4) et ces pains sont en principe réservés au personnel sacerdotal. On pourra encore noter une ressemblance qui n’est pas seulement formelle avec ce que fit le Seigneur pour son peuple dans le désert, mais inverse : les cailles (elles aussi immangeables, au moins d’après la tradition du Psaume 78,26-31, d’après Nombres 11,31-34) sont évo-quées par les coloquintes qui font aussi penser à l’eau amère, que Moïse rend douce (Exode 15,22-25), comme

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Elisée rend comestible le potage de coloquintes. Est aussi évoquée la manne qui nourrira Israël (Exode 16 et au-tres). C’est bien toujours le même Seigneur qui accomplit son plan pour son peuple, qui de lui-même ne saurait pas se nourrir (cf. Matthieu 14,17, 15,33 ; Marc 6,37, 8,4 ; Luc 9,13 ; Jean 6,7) ou se rendrait malade. On retrouve cette surabondance des restes de 2 Rois 4,44 en Matthieu 14,20, 15,37 ; Marc 6,43, 8,8 ; Luc 9,17 ; Jean 6,13.

22 RRooiiss 55,,1144--117728° dimanche ordinaire

On a tout intérêt, au moins pour son propre « bénéfice » à relire toute l’histoire, ne serait-ce que pour se souvenir que c’est un général syrien (araméen plus exactement), ennemi juré d’Israël, mais à qui cependant le Seigneur avait confié de diriger victorieusement la victoire de son pays (5,1). Ensuite ce général est lépreux, ce qui ajoute une malédiction supplémentaire. Cependant le privilège d’Israël va être sauvegardé par une adolescente juive (5,2-3) qui va révéler à la femme de Naaman, l’existence d’Elisée, prophète et guérisseur (dont on rappellera le sale caractère : 2 Rois 2,23-24 !). Et Naaman (ennemi d’Israël) va en passer par la volonté d’Elisée qui, non seulement ne daigne pas venir à sa rencontre, mais lui envoie un simple messager (v. 10). Naaman s’attendait à plus de considération et surtout plus de « religion » et de tours de passe-passe (v. 12). Mais Elisée l’envoie... au bain (septuple) dans le Jour-dain, jamais bien propre, contrairement aux clairs tor-rents syriens. C’est un rappel de l’élection d’Israël, de sa terre (cf. v. 17) et de son fleuve. Naaman résiste, il tient aux rites habituels des guérisseurs, mais le bon sens de ses serviteurs va prévaloir (v. 13) et par sept fois Naaman va reconnaître « l’élection » du Jourdain, et il va en gué-rir. A lieu alors une scène étonnante, surtout avec le farou-che « yahviste » qu’est Elisée : Naaman va lui demander le droit de croire au Seigneur d’Israël tout en continuant ses rites païens (on lira ici les attaques des Réformateurs, Calvin en particulier, envers ceux qu’ils appelaient les Nicodémites en souvenir de Jean 19,39). Elisée accepte, et même lui donne « le Chalôm » (v. 19), ce qu’il n’aurait accepté d’aucune manière d’un Juif de nais-sance. Que cela cependant nous accorde quelque indulgence envers nos nouveaux Nicodémites qui abâtardissent si souvent la foi chrétienne avec le paganisme le plus « pur ». Je dois avouer que ce qui se cache souvent sous le terme soi-disant théologique d’acculturation n’est pas toujours fait pour me rassurer. Enfin relevons que Jésus n’a voulu reconnaître de cette scène que la guérison d’un étranger (Luc 4,27) !

NNééhhéémmiiee 88,,11--11003° dimanche ordinaire

Esdras et Néhémie sont deux personnages délaissés le plus souvent par ceux qui doivent expliquer l’Ecriture, car, paraît-il, ils seraient responsables de la dérive de la foi israélite véritable vers le « judaïsme » étroit sinon raciste (cf. Esdras 10) ; je conseille donc fortement la lecture des notes abondantes autant que pertinentes de la TOB, qui éclaireront en particulier notre passage. Nous sommes entre 420 et 400. Et c’est un peu (!) la pagaïe en Israël, où il y a une mosaïque de peuples et surtout de sangs-mêlés (Esdras 9,1-3) avec les dangers de syncrétisme qui y sont inhérents. La ville n’est pas vraiment reconstruite et, surtout, la muraille d’enceinte la laisse ouverte à tous les dangers (cf. cependant Zacharie 2,4ss) ; chacun a plutôt pensé à rebâtir sa maison avant de penser à sa cité (sainte !), comme cela avait aussi été le cas pour le Temple – où, d’ailleurs, on n’apporte plus que des « rebuts » en guise d’offrandes (Malachie 1,8.13ss, 2,3, etc…). De plus, politiquement, on n’y voit pas clair... On a pen-sé un moment rétablir la royauté avec Zorobabel (Aggée 2,20ss) qui, avec le grand-prêtre Josué (Zacharie 4,11-13), entreprend la restauration de Jérusalem, mais il disparaît mystérieusement, laissant Israël un peu comme à l’époque des Juges où chacun faisait ce qu’il désirait (Juges 21,25). Il faudra donc, devant tous les dangers : syncrétisme, pillages, voire invasions, quelques hommes à poigne pour qu’Israël se retrouve. On en connaît deux : Néhémie qui s’attachera surtout à la reconstruction des défenses de la ville et de son administration, et Esdras qui, lui, s’attachera surtout à la restauration du culte, la finition du Temple (Esdras 3,1-7), la purification du clergé. Le malheur veut que ces deux livres viennent en désordre et décrivent des événements parfois distants de plusieurs décennies ; on a du mal à s’y retrouver ; mais sont clairs le rôle de reconstructeur politique de Néhé-mie, et de reconstructeur cultuel d’Esdras (prêtre et scribe). Et quand tout a été enfin prêt, alors le livre de Néhémie (!) nous raconte qu’Esdras, dans une grande fête (celle décrite en ce chapitre 8), a célébré le don de la Torah à Israël (la prescription de la Torah, v. 2 ; on notera ce vocabulaire). On remarquera d’ailleurs que, si cette fête est accompagnée de réjouissances (v. 10-12), puis est soudée à la fête des Tentes (huttes ou sukkot ; v. 13-18), elle est suivie d’une grande confession des péchés (cha-pitre 9) qui rappelle, liturgiquement, tout ce que le Sei-gneur a fait pour son peuple et quelles réponses ce peu-ple a données... et cette prière non achevée occupe... 32 longs versets. On remarquera bien, pour écarter, dans la mesure du possible, le soupçon de légalisme que, nous chrétiens, nourrissons envers nos frères juifs, l’exhortation à ac-compagner la lecture de la Torah, non de tristesse (v. 9) mais de joie (v. 10-17), même si tout se termine (?) par la longue confession des péchés dont j’ai parlé plus haut. Cependant, il semble clair que la Torah va, à partir de cette cérémonie, devenir quasiment une réalité en soi, et une réalité quasi divine. Le temps des prophètes appor-tant une nouvelle Parole du Seigneur, est clos. Mais on notera, avec un clin d’œil, que, si la Torah doit être lue

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en langue accessible à tous, une place est vraiment ac-cordée à ceux qui doivent l’expliquer et l’interpréter (v. 8)… Merci, frère Esdras !

PPrroovveerrbbeess 88,,2222--3311Trinité

En ce qui me concerne, je préférerais vraiment commen-ter plutôt le Psaume de ce jour (Psaume 8) qui, paradoxa-lement, en face de l’affirmation de la foi trinitaire, rap-pelle que Dieu, parce qu’il est trinitaire, n’a pas voulu rester seul, même à trois (« Il n’est pas bon que... Dieu soit seul ! »), mais il a voulu avoir en face de Lui, son image, une créature qu’il fera, à un rien près (Psaume 8,6), l’égale de Lui-même = l’homme gérant de l’univers et dont la louange, même jaillie des bouches des nourris-sons, lui est plus chère et plus douce que celle des uni-vers (Psaume 8,2). En effet, il eût été intéressant d’essayer de voir comment la doctrine trinitaire, au lieu d’être simplement une longue incantation à Dieu en-Soi, est au contraire ce qui aide à mieux saisir la vérité, l’altérité de l’homme, simple créature et pourtant prince de la Création. La petitesse et la grandeur de l’homme, chères à Pascal – de tout homme faut-il ajouter – sont ce qui conjure à jamais tous les intermédiaires, les tyrans, les surhommes et les sous-hommes, et elles trouvent leur fondement stable dans la doctrine trinitaire dont j’ajoute cependant qu’elle n’est encore pour nous qu’une manière infirme (quoique la moins infirme) de parler de Dieu. Pour en revenir à Proverbes 8,22, le fameux hymne à la Sagesse qu’on s’attend si peu à trouver au milieu des recommandations et autres aphorismes du livre, des chrétiens (trop pressés !) y ont vu Jésus-Christ, puis d’autres le Saint-Esprit, tandis que les Juifs y voyaient la Torah elle-même, présente auprès de Dieu depuis tou-jours, et qui devra être donnée aux hommes par des an-ges (Actes 7,53 ; Galates 3,19, etc…) ; ou la Parole (de Dieu ; tradition reprise dans Jean 1,1ss), elle aussi pré-sente à Dieu avant toute création. Aujourd’hui, on va chercher du côté de l’Egypte (avec la déesse de l’ordre : Ma’at), après avoir exploré les richesses grecques, etc… Ce n’est pas que je m’oppose à une lecture chrétienne de ce passage (il y en a d’ailleurs plusieurs), pourtant j’aimerais bien savoir, non seulement ce qui en est de la lecture juive actuelle, mais aussi ce qui fut la lecture juive primitive... Car c’est de l’antisémitisme pur et simple que de croire pouvoir mépriser le contexte et le sens primitifs de ces passages « énormes » de l’Ancien Testament, pour en arriver tout de suite aux interpréta-tions chrétiennes. Seulement, je dois avouer que, person-nellement, j’en suis toujours à tourner autour de cette splendeur, sans pouvoir y pénétrer [mon ami Lelièvre semble beaucoup plus avancé que moi sur ce sujet]. Je ne puis en tirer que quelques bribes et quelques réflexions de traducteur. Au v. 22, le verbe employé (et qu’on retrouve dans... Caïn, au moins d’après Eve : Genèse 4,1) signifie bien « créer », voire « procréer » (même si c’est un autre verbe que celui de Genèse 1 ; c’est pourquoi il y a ici « conçue », même si ce n’est pas le verbe habituel). Et si la Sagesse est à la « genèse (ici c’est bien Genèse 1,1) du plan de Dieu », (cf. cependant Job 40,19), elle n’est ce-pendant qu’une œuvre de Dieu, préalable à toutes les

autres (v. 23ss) ; avant même ce que nous appelons le « temps », et que l’hébreu désigne par un terme signifiant étymologiquement « cacher » et qui sert aussi bien à désigner (ce que nous appelons) l’éternité préalable que celle qui vient. La Sagesse a été créée avant, disons avec un sourire, le fameux « Big-Bang » ! Le v. 29 fait allusion à la Mer domestiquée, soumise aux règles des marées pour ne pas submerger la terre ; Mer dans laquelle, selon la cosmogonie de l’époque, la terre, un simple disque plat, plongeait ses piliers (que personne ne peut ébranler, sauf l’homme avec sa méchanceté : Psaume 11,3). Dans le v. 30, une chose (?) est certaine, la Sagesse (comme la philosophie et la théologie [et la prédication] devraient l’être) est joueuse et joyeuse ; elle veut la joie des hommes, et c’est en eux qu’elle trouve sa propre joie (quand ils l’accueillent, cf. v. 31). Mais le v. 30a contient un mot dont probablement les exégètes discuteront jus-qu’à la fin des temps : « Pupille » (enfant) selon les uns, « architecte » selon d’autres... Je ne sais pas ! La Sagesse n’a pas daigné m’éclairer sur ce point, ce qui n’empêche pas ce passage, dans sa complexe simplicité, d’être une perle de l’Ancien Testament !

PPrroovveerrbbeess 99,,11--6620° dimanche ordinaire ou 12° dimanche du Temps de 1’Eglise

v. 1 : La sagesse : littéralement « (les) Sagesses » (cf. Proverbes 1,20) ; ce peut être un pluriel de majesté (mais qu’on ne retrouve pas en 8,1 ni en 8,11) ; ou peut-être faut-il traduire littéralement : les sagesses et y voir une allusion : a) à l’universalité de la Sagesse, b) à sa diversité. En effet, on la retrouve partout (sans sagesse, les peuples ne peuvent pas subsister), mais il est clair que partout elle a son individualité. Impossible de dégager un tronc commun et pourtant...? Maintenant, quant à définir la (ou les) Sagesse(s), une seule chose est certaine... ce ne serait pas sage. Seul le fou sait définir la Sagesse. On ne peut jamais que la chercher, sans jamais vraiment la trouver. C’est cette recherche de l’introuvable Sagesse, qui est notre sagesse. Bien entendu la prédication chrétienne – précédée par la tradition juive qui a allègrement mêlé la Torah, la Parole (cf. Jean 1,1ss), et la Sagesse (lire par exemple dans la TOB, Baruch 4,1 ou Siracide 24) – a fait non seulement le rapprochement Christ-Sagesse (cf. 1 Corinthiens 1,24 et 2,6-9...), mais parfois une totale confusion. Et c’est fondé. Mais, hélas, c’est souvent au détriment du caractère universel et divers de la Sagesse. Cela limite et la Sa-gesse et le Christ. C’est ce Christ, avec les dimensions universelles de la Sagesse, qu’essaie de nous dévoiler Colossiens 1,15-20 et Ephésiens 1,10ss et 3,9-11. De plus, il y a un aspect objectif (et parfois divin) de la Sagesse (Proverbes 8,22ss) dont cependant Job 28 dira par exemple qu’elle nous est totalement étrangère, et un aspect subjectif :

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a) pour les païens, elle est prudence, finesse, perspicaci-té, respect de l’équilibre et de l’ordre du monde ; b) pour le Juif, elle est surtout et prioritairement... « crainte (respect) du Seigneur » (Proverbes 1,7 ; Job 28,28 et ici au v. 10). Cela dit, on ne sait pas à quoi correspond la maison (des Juifs, bien entendu, y voient le Temple ; certains pensent aux écoles rabbiniques). Quant aux sept colonnes... ? Sept = mystère. Toujours est-il que la Sagesse nous invite à anticiper le repas messianique. Elle appelle à la joie. v. 4 : Elle s’adresse à tous les simples : gens qui ignorent la Sagesse. Mais savoir qu’on ne sait pas, c’est là la sagesse. Cercle vicieux : pour devenir sage, il faut accep-ter : a) de ne jamais l’être ; mais essayer de le devenir ; b) consentir à toujours apprendre... Celui qui s’arrête devient aussitôt « fou » (imbécile).

EEccccllééssiiaassttee 11,,22 ;; 22,,2211--2233((2244))8° dimanche après la Pentecôte ou 18° dimanche ordinaire

Il serait grand temps : 1° qu’on se mette d’accord sur le nom de l’auteur présu-mé de ce livre et qu’on cesse de l’appeler Ecclésiaste ; car tout d’abord ce terme n’est que la traduction grecque très approximative du terme hébreu Qohélét (qui reste mystérieux) ; et ensuite, maintenant que nos Bibles ac-ceptent (en lecture seconde !) les Deutérocanoniques, il y a confusion fréquente avec l’Ecclésiastique (ou Siracide). 2° qu’on cesse de qualifier (pour le disqualifier) de pes-simiste un homme, ô combien lucide, mais qui est, avant tout, un grand démystificateur, un grand balayeur, et qui cherche surtout à casser nos hochets, nos « bateaux », nos idoles, etc., tout ce qui nous perd, nous mange, nous aliène et nous empêche d’être vraiment des hommes connaissant leurs limites, sachant qu’aucune idole (ni idéologie) ne vaut la peine d’y consacrer une heure, et sachant aussi, par la même occasion, ne pas rater les bonheurs réels (même s’ils sont limités) que cette vie (brève, mais d’autant plus attachante) peut nous apporter. Qohélét ne veut pas que nous manquions notre vie, que nous oubliions de vivre, en nous consacrant à ce qui n’en vaut pas la peine. Il continue à sa manière (celle de la Sagesse !), l’œuvre prophétique anti-idolâtrique. C’est d’ailleurs pourquoi (mieux que les prophètes) il nous rappelle les bonheurs vrais (même s’ils ne sont pas éternels) qui nous sont offerts dans cette existence : 2,24 ; 3,12s.22 ; 4,12 ; 5,18s ; 7,14a ; surtout 8,15 et 11,7-10. C’est un livre tonique, fort, décapant, viril, ironique envers l’homme toujours prêt à s’asservir, mais bienveil-lant et écrit par un « apôtre du parler vrai ». C’est un livre qui nous rappelle que nous valons plus que tout ce qui nous aliène si facilement : argent (4,8 ; 5,13) ; plai-sirs (2,7-10) ; propriétés (2,4-10) ; famille (6,3) ; travail (...4,8) ; la Sagesse elle-même (1,17), etc… Même la religion, trop souvent comprise comme un marchandage

entre l’homme et Dieu (4,17 à 5,5), ne trouvera pas grâce à ses yeux. Curieusement, ce livre est un appel au bon-heur-présent (les deux mots sont indissociables). Qohélét refuse le refuge dans le passé (7,10) aussi bien que dans l’avenir où seule notre mort est certaine (3,18-20, etc.). Je dois ici concéder que la traduction habituelle : « Vanité des vanités... » n’a pas facilité une lecture ou-verte et vraie de ce trésor. C’est pourquoi je préfère tra-duire, d’ailleurs de manière plus exacte : « Vapeur qui s’évapore, tout s’évapore » (Cf. « Qohélét ou l’Ecclésiaste ou la contestation » chez Les Bergers et les Mages, 1987). L’homme et sa vie ne sont pas de pures vanités, mais une vapeur vite disparue, une buée vite essuyée, et qui ont eu un vrai moment d’existence. Nous ne sommes pas sous le signe de la vanité, mais sous celui de l’éphémère. Car « viennent les jours où... » (lire 12,2-8). Après avoir essayé de nous rendre l’envie de lire (ou relire) ce texte finalement réconfortant, je peux en venir au texte du jour (2,21-24), en m’étonnant qu’on n’ait trouvé que celui-là, qui ne dénonce pas tant l’aliénation à la richesse (comme ont semblé le croire les auteurs de la liste de lectures) que l’homme qui a oublié de s’arrêter dans son travail et dans la peine qui lui est conjointe (les gens ont souvent mauvaise conscience à prendre un vrai repos ou à se distraire vraiment). Il y a un temps pour tout dans la vie de tout homme : « Le temps pour peiner et le temps pour se reposer ». Relire 3,1-8. (Tant pis pour les bourreaux de travail, et tant pis pour les... pares-seux !). Le temps est arrivé sans doute d’arrêter ici ce commen-taire.

EEssaaïïee 66,,11--885° dimanche ordinaire

Tout d’abord, renonçons à ce savant « charcutage » inu-tile auquel nous invite la liste des lectures. Ensuite, sachons que si, longtemps, on a vu dans ce pas-sage « la vocation d’Esaïe » (cf. la TOB) – et je suis moi-même persuadé qu’il s’agit bien de cela –, aujourd’hui cette façon de comprendre Esaïe 6 est remise en ques-tion. De toute manière, on constatera que ce « récit biographi-que » n’a pas été (à l’inverse de Jérémie) considéré par le rédacteur final, comme primordial ou comme « prisme de lecture » pour le livre entier. Si on en arrive au texte lui même, on constate tout d’abord que ce violent accusateur du culte, des rites et donc du Temple lui-même (par exemple, 1,10-20) qu’est Esaïe, n’en est pas moins dans le Temple quand survient sa vision (6,1). (Nous sommes aux environs de 740). Il n’accusera donc pas de l’extérieur, mais en restant un fidèle Israélite. D’ailleurs, c’est bien dans ce Temple lui-même que le Seigneur lui apparaît de manière si présente qu’Esaïe le voit (c’est le terme le plus banal pour « voir » ; on comprend alors sa réaction du v. 5 ; cf. Exode 3,6, 33,20, etc... et cf. plus bas).

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En ce qui concerne les séraphins (tout comme les chéru-bins !), ce sont des créatures fantastiques et effrayantes (des sergents géants et... ailés). Et ce qu’ils disent (v. 3, le triple « Sanctus ») est proba-blement une formule liturgique déjà utilisée dans le culte israélite, et qui rappelle avant tout que Dieu le Seigneur est vraiment tout autre que toutes les divinités que les hommes ont imaginées ; ensuite c’est le rappel que ce SEIGNEUR-trois-fois-saint s’est, malgré cette distance infinie, choisi un peuple qu’il a sanctifié, pour qu’à la fois un culte soit rendu à ce Dieu unique, et le nom (et l’œuvre) de ce Seigneur soit annoncé à toutes les nations. Mais ici, dans ce contexte, le « Dieu-trois-fois-saint » appelle un prophète pour témoigner contre un peuple qui oublie et la sainteté de son Dieu et sa propre sainteté. A cette vision, Esaïe, solidaire de son peuple, se sent et se croit perdu, lui qui a dit souvent aux autres : « Malheur à vous... » (ce n’est pas tout à fait le même mot qu’en 5,8 et 5,11, 18, 20, 21 par exemple) et il se découvre sous la même condamnation (c’est capital pour un prédicateur de faire cette découverte) : v. 5 ; condam-nation à mort ou au silence (il y a ici un beau jeu de mots sur « perdu » ou « réduit au silence »). En effet, les lèvres d’Esaïe sont impures, tout comme celles de ce peuple qui a invoqué des divinités étrangères (2,8.18) ou porté de faux témoignages ou colporté des mensonges contre des innocents (1,23 et 5,7 pétri de magnifiques jeux de mots : « Il attendait le Droit, ce furent des passe-droits ; il attendait la droiture, ce furent des injures » ; ou encore 5,23). Esaïe se croit aussi condamné, non seulement par solida-rité avec son peuple, mais parce qu’il a « vu » le Sei-gneur-des-Armées (c’est une supposition !) dans sa gloire. Or, personne ne peut voir Dieu et continuer de vivre (Exode 3,6, 33,20... cf. notes TOB), contrairement aux idolâtres et surtout leurs prêtres, qui prétendaient avoir vu ou voir leur Dieu (cf. aussi Jean 1,18). On remarquera que les péchés essentiels sont ici ceux des lèvres (idem dans toute la Bible). Et qu’il suffira que les lèvres d’Esaïe soient purifiées pour qu’il puisse à nou-veau vivre et parler. Avec des lèvres purifiées, tout l’homme est pur, toute faute en a été écartée (v. 7). Cf. Marc 7,15-18 qui vise aussi les paroles, comparées à des excréments, quand elles sont nuisibles ; et Jacques 3,1ss, etc... Le prophète va maintenant pouvoir délivrer une parole pure (mais dure : v. 9-10). Et contrairement à Jérémie qui, tout comme Moïse ou Jonas, essayait de se défiler, Esaïe, quand Dieu va l’interroger pour savoir qui en-voyer dans ce pays idolâtre et rebelle, répondra simple-ment : « Me voici ! Envoie-moi ».

EEssaaïïee 77,,1100--11664° dimanche de l’Avent

Il nous faut tout d’abord réhabiliter ici Achaz (même si ce fut parfois un triste... sire, en tout cas d’après les mé-morialistes, par exemple : 2 Rois 16,2-3). En effet, il refuse à Esaïe de faire ce qui, dans le livre de l’Exode (17,1-7), est considéré comme une faute, sinon la faute majeure du peuple : « Tenter Dieu » = le faire « chanter »

en exigeant d’incessants miracles, afin de le disqualifier s’il ne les accomplit pas. C’est le raisonnement suivant : « Si tu fais ce que nous te disons (dictons), tu es Dieu (tel que nous l’imaginons et le voulons), notre Dieu ; sinon, tu n’es pas Dieu » (cf. les récits de la tentation de Jésus, dans Matthieu 4,1ss et Luc 4,1ss). Et, pour Achaz, c’est devenu un théorème, v. 12 : « On ne doit plus tenter Dieu ; donc je ne le ferai pas ». Tout d’abord, il eût mieux fait de se montrer toujours aussi attentif aux paroles de Dieu ; ensuite cette position maximaliste, légaliste, revient à refuser finalement toute prière ; enfin surtout c’est Dieu lui-même qui, par la bouche de son prophète, lui propose de lui donner (et probablement d’offrir aussi à tout le peuple) un Signe (c’est le mot qui correspondra aux signes-miracles de Jésus dans le Nouveau Testament) pour le rassurer. On reproche à Dieu de ne pas donner quand on lui demande, et d’offrir quand on ne lui demande rien. Dieu sait « de quoi nous sommes faits », et il ne refuse pas, surtout quand il en a l’initiative, de nous offrir, ici ou là, quelques « signes » paternels, même si nous ne pouvons jamais les transformer en preuves. Esaïe proposait cependant un Signe très... « significatif » (il y a jeu de mots probable entre « demander » et « Scheôl ») : Dieu est prêt à accorder un signe, soit surgi des enfers, soit descendant des hauteurs et montrant que la coalition (des v. 1-2) va échouer (v. 11). Achaz refuse donc ; et c’est alors la diatribe : « Vous implorez Dieu sans cesse et, quand il veut vous faire plaisir, vous l’envoyez promener (cf. Matthieu 11,17-19) ; alors il va quand même vous envoyer votre Signe, mais ce ne sera vraiment pas ce que vous auriez pu espérer ou attendre ». Esaïe va en conséquence faire la promesse insolite d’un enfant inattendu, celui qu’on nommera : « Dieu-avec-nous » (v. 14). La querelle sur le mot « jeune fille » ou « vierge » est parfaitement superflue ; en effet, les Cana-néens appelaient « Vierge » une de leurs déesses, à la vie fort dissolue. Ici, c’est le mot « jeune femme », mais il n’exprime rien de plus ni rien de moins. Ce qui est plus important est qu’il s’agit probablement d’une femme de l’entourage d’Achaz (sa sœur ?), et dont on n’attendait pas du tout qu’elle devînt mère. Une sœur éventuelle d’Achaz fait, en effet, très bien l’affaire : la lignée de Jessé est maintenue, mais par une femme, ce qui corres-pond à l’attachement du prophète à la descendance davi-dique, pour la naissance du Messie... mais attention, ceci n’est qu’une hypothèse ! (cependant elle explique pour-quoi je ne crois pas que cet « Emmanuel » soit un autre fils du prophète. Esaïe est trop respectueux de la pro-messe de Nathan faite à David pour se l’approprier). En tout cas, Emmanuel sera un enfant inattendu, un enfant du miracle (!), un Enfant-Signe-que-Dieu-veut-être-parmi-et-avec-son-peuple, malgré ses rois déficients. Et à peine sortira-t-il de l’enfance qu’Israël sera nettoyé des envahisseurs syrien et « nordiste ». Ce nettoyage sera d’ailleurs accompli par l’autre envahisseur combien plus redoutable : l’Assyrien (cf. la suite : v. 18ss et chapitres 36-39). Il est clair que cet enfant, aussi inattendu qu’impossible, mais que Dieu envoie malgré tout, malgré nous, comme Signe-des-Signes de sa présence fidèle, éclaire les récits de Noël de Matthieu et Luc, ainsi que l’affirmation du Credo : né de la Vierge Marie. Mais, dans la généalogie

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de Jésus (Matthieu 1) le descendant de Jessé est... Joseph - Et non Marie !

EEssaaïïee 1111,,11--11002° dimanche de l’Avent

Cette fois encore, on pourrait se mettre d’accord pour Isaï ou Jessé (père de David) au v. 1 (Jessé est adopté par la TOB). Ensuite on regrettera que les notes très claires et abon-dantes de la TOB oublient de nous signaler que, par exemple au v. 1b, cette même TOB corrige et met « jaillira », là où il est écrit « fructifiera » (ce qui pour-tant me semble meilleur ; le prophète voit l’origine : la sortie de terre du nouveau rameau, puis la fin : la fructi-fication). Mais Segond déjà corrigeait ; de même le Lec-tionnaire romain. Il est supposé ici, comme fréquemment dans la première partie du livre d’Esaïe, qu’Israël a été ravagé, coupé comme un tronc dont seule resterait la souche. Mais, dans Esaïe, est particulièrement visée la dynastie davidi-que (dont l’ancêtre est Jessé), à propos de qui les prophè-tes (et les livres historiques) répéteront à l’envi que, dès le départ (David avec le meurtre d’Urie ; Salomon avec son idolâtrie ; puis toutes les infidélités qui ont suivi le schisme), cette dynastie a quasiment apostasié et que donc elle devra subir les conséquences de sa faute. Il ne faut pas pour autant penser que ce texte (Esaïe 11) est tardif ; en effet, le prophète Esaïe, qui est l’un des plus attachés à la promesse faite à David (2 Samuel 7,4-15), est aussi l’un des plus exigeants envers cette dynastie (cf. par exemple Esaïe 7,13.17, et 24s), mais ce prophète accompagne quasiment toujours ses menaces de destruc-tion d’une promesse : la destruction ne sera jamais to-tale ; il y aura toujours, soit un reste pour le peuple, soit des ruines pour le pays, soit une souche pour la dynastie, d’où Dieu voudra tout faire repartir, d’une manière nou-velle cependant (cf. les chapitres 1 et 2, ce dernier déjà lu le dimanche précédent). Ici, de la souche, que Dieu lui-même sera amené à couper (Esaïe 5,1ss), le même Sei-gneur fera jaillir un nouvel arbre qui, cette fois, sera sain et pourra porter des fruits saints. La promesse faite par Dieu tiendra bon, même si Dieu lui-même devra presque la contredire, voire quasiment l’anéantir. Car Dieu ne se renie pas et ne revient pas sur ses promesses (on relira dans cet éclairage Romains 9 à 11). Et ce nouveau roi (ce nouvel arbre surgi de la vieille souche) – l’assimilation Roi-Arbre était assez fréquente dans l’Orient ancien – recevra ce qui était promis à la dynastie de David, l’Esprit même du Seigneur (v. 2) : celui qui vient d’habitude sur les prophètes, mais aussi celui que reçoivent les sages (v. 2b) ; on isolera en parti-culier « l’esprit de discernement » qui permet, dans les cas obscurs, de savoir choisir la bonne solution entre plusieurs possibles (1 Thessaloniciens 5,21) ; on n’oubliera pas que la sagesse, pour un roi, repose sur la justice, en particulier envers les déshérités (cf. v. 4). On notera avec intérêt que ce roi nouveau ne se fiera pas aux « On-dit » (ce qui doit viser le roi en exercice, v. 3), pas plus qu’il ne se fiera à l’apparence (idem), etc… Quant à la superbe description du « Paradis retrouvé » (cf. notes TOB), on ne manquera pas de préciser qu’elle

appartenait déjà aux récits sumériens (3° millénaire avant J.C.) dont le commentaire d’Edmond Jacob (Commentai-res de l’Ancien Testament, Labor et Fides, 1987) donne quelques extraits significatifs. Même si Esaïe rappelle au v. 9, que c’est par une vraie connaissance du seul Sei-gneur qu’un tel Royaume de paix et d’entente entre tou-tes les créatures (et même le serpent de Genèse 3) pourra advenir : « La loi de la jungle sera remplacée par le shâ-lôm » (E. Jacob, op. cité).

EEssaaïïee 3355,,11--11003° dimanche de l’Avent

Ce chapitre correspond à la fin de ce qu’on appelle le premier Esaïe ; les chapitres 36-39 décrivent, en effet, ce qui nous est aussi rapporté en 2 Rois 18 à 20 = le siège de Jérusalem par le roi d’Assyrie, Sennakérib, vers 701 (av. J.C.). Il est intéressant de relever : a) que ce livre, qui avait commencé avec la dénonciation de méconnaissance de son Sauveur par Israël (chapitre 1), s’achève par l’annonce de l’ère « messianique » (déjà prophétisée au chapitre 11) ; b) mais que l’allusion au retour de déportés (revenant par le Liban, au Nord) peut difficilement être de la plume d’Esaïe, même si, à l’extrême rigueur, on pourrait songer au retour des rescapés du Royaume du Nord détruit en 722 (mais les Assyriens étaient plus cruels que les Baby-loniens ; cf. les notes TOB sur 2 Rois 17,7-41). En fait, déjà il s’agit plutôt de l’œuvre d’un disciple d’Esaïe (comme le sera l’auteur des chapitres 40 à 55 ; idem pour celui ou ceux des chapitres 56-66... Il y a eu une école « ésaïenne », plus ou moins constituée ou officielle). C’est la même inspiration et finalement le même message, même si ce ne fut pas la même plume. Et c’est le même esprit (ou Esprit ?) qui guide ce prophète qui annonce celui de 40 à 55 – comparez 35,1.6 (fin).7.8... avec 40,3s. Le signe premier de la fin des temps, est que le désert (un vrai celui-ci) va être gorgé d’eau et d’humidité, et que toute une végétation, aussi luxuriante qu’inhabituelle, va y fleurir (et non des usines de bombes atomiques) (v. 2). Ce désert va être verdoyant comme les plus belles pentes du Liban (cf. 33,9 et les notes TOB). On notera que le prophète associe la (re)naissance de la nature et sa fertili-té au destin nouveau qui attend les exilés (cf. la liaison des v. 2-3, et idem en 6ab et 6cd) ; lire au v. 4, littérale-ment (pour « les cœurs qui s’affolent ») : « ceux dont le cœur palpite » (s’accélère). Si cela correspond à la fin de leurs craintes, cela doit aussi être accompagné du terrible châtiment d’Edom, – décrit au chapitre précédent (34,5-15) et soupçonné avoir donné un coup de main aux an-ciens envahisseurs, plutôt que de s’être senti solidaire de son (demi-) frère Israël (cf. Psaume 137,7.9, où il faut probablement penser à Pétra = Roc, capitale d’Edom). Pour en revenir à Esaïe 35, je pense que, si au v. 8, la traduction TOB est bonne, cependant une traduction littérale « la voie de la Sainteté » (voire même « la voie du Saint » ; cf. Esaïe 6,3, et aussi la note TOB en 35,8) serait encore plus proche du message prophétique. Ce n’est pas seulement à cause d’Israël qu’il faut créer une route au désert, mais parce que le Seigneur va y accom-pagner, sinon y précéder, son peuple (cf. l’incise du vers

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d dans ce v. 8, même si sa traduction n’est pas évidente). Quant aux insensés = les « vides », ce sont les idolâtres – surtout avec le jeu de mots qui sera parfois fait, et qu’on pourrait maladroitement rendre par « le(s) pieu(x) » ! Tout comme jouent ailleurs, les mots « dieux » et « vanités » (cf. Psaume 96,5 ; 1 Chroniques 16,26). On rapprochera le v. 10 de quelques Psaumes (126, par exemple). Il faut bien insister sur cette promesse d’une nature ré-conciliée avec les hommes, surtout dans la venue et la lumière de celui qui nous réconcilie avec Dieu (cf. Ro-mains 8,19-23).

EEssaaïïee 4422,,11--77Baptême du Christ

Un des chants sur le « Serviteur du Seigneur ». Chacun sait (en dehors du fait qu’Israël se confond depuis fort longtemps avec ce Serviteur – cf. Esaïe 41,8ss – et que l’Eglise y a vu – surtout au chapitre 53 – une annonce de Jésus) que l’exégèse n’a pas encore vraiment résolu cette énigme. Si certains auteurs persistent à y voir Israël, d’autres y voient (cf. TOB pour notre passage) le conquérant (libé-ral) Cyrus ; et d’autres le prophète (scribe) lui-même. Enfin, certains y voient, suivant le contexte, tous ces personnages. Pour le texte d’aujourd’hui, si l’on remonte à 41,25, il semble bien, en effet, qu’il s’agisse de Cyrus (un païen, mais inspiré par le Seigneur) pour délivrer les nations exilées (dont Israël) et réduites en esclavage par les Ba-byloniens, et à qui il rend la liberté de retrouver leur terre (cf. ici v. 1c et v. 6-7)... mais si l’on comprend d’une autre manière le v. 3 (approximativement : il ne laissera pas son roseau, son calame se casser, ni même tard sa lampe s’éteindre, afin d’écrire pour la postérité l’œuvre de libération du Seigneur), alors le serviteur désigne ici le scribe-prophète, qui précise (fin du v. 3) que le Sei-gneur va faire jaillir le jugement-libérateur. On voit sur cet exemple qu’il est difficile de trancher, en faveur de l’une ou l’autre des hypothèses, car la traduc-tion du contexte peut souvent varier suivant le « personnage-serviteur » choisi. Mais, après tout, n’est-ce pas profitable pour nous, que nous ne sachions pas avec certitude quelle personne se « cache » derrière le Serviteur, car, dans toutes les hypo-thèses, c’est le même Seigneur qui l’envoie ? Le média est peut-être différent, mais l’Auteur est le même, et cela est l’essentiel. On remarquera encore que l’auteur de ces chapitres 40 à 55 est celui qui a le plus relié la Création (sur laquelle les autres prophètes sont souvent discrets) avec la Rédemp-tion. Cette dernière est prioritaire, même pour les indivi-dus. On rapprochera 42,5 de 42,7 pour comprendre que Dieu met tout son pouvoir créateur au service de la déli-vrance des... prisonniers.

EEssaaïïee 4499,,33..55--662° dimanche ordinaire

Nos « collecteurs » de textes ont le goût de la difficulté, en assemblant des versets qui, au moins, paraissent se contredire : en effet, 49,1 et en particulier 3, paraissent (surtout dans l’éclairage de 48,20) dire que le Serviteur-du-Seigneur est Israël, tandis que 40,2 et 5-6 paraissent confondre ce dernier avec le prophète (à qui pourrait d’ailleurs aussi bien s’appliquer 49,1). Petite parenthèse sur le « Serviteur-du-Seigneur » (en Esaïe 40 à 53 : ce « fameux » Serviteur-du-Seigneur reste une énigme (attachante) pour l’exégèse, et peut-être est-il bon et enrichissant qu’il en soit ainsi. Rappelons cependant que, dans bien des cas, il s’agit d’Israël tel qu’il est (et non pas, comme le veulent bien des exégètes, « tel qu’il devrait être », ou encore son « élite », terme dans lequel on aurait tendance à voir le contraire du mot « reste ») ; 41,8-9 est très clair ; et, de plus, le Seigneur l’a racheté (cf. le terme go’êl : rédempteur) en 41,14 (ce qui prouve bien qu’il ne s’agit pas de la « crème » d’Israël ; idem en 42,19). Mais en 42,1-4, on peut y voir le prophète (?). Puis en 43,10, probablement (?), Israël plus le prophète ; en 44,1-5 : c’est encore Israël ; idem en 44,21-22 (insister sur ce v. 22) ; idem encore en 45,4 (insister sur la fin du verset) ; idem en 48,20 ; idem en 49,3.6 (texte d’aujourd’hui), mais avec de nouveau l’évocation probable du prophète (v. 4-5). Quant à 52,13-15 et au chapitre 53, j’ai fait part de mon embarras dans un autre cahier, même s’il est sûr que, là, il s’agit d’abord d’Israël. Je rappelle que certains exégè-tes ont cru pouvoir accorder ce titre à Cyrus (roi des Perses) dont Esaïe 41 à 48 vantera les « mérites ». Ce-pendant, si Cyrus peut être appelé : Justice (du Seigneur), 41,2 ; ou désigné (comme) un homme (providentiel et) inattendu, 41,25s, ou Berger (du Seigneur), 44,28 (on se souviendra de David) ; Messie (!), 45,1 (cf. v. 13), il n’y a qu’un seul texte où l’on puisse, à l’extrême rigueur, envisager la coïncidence des deux : Cyrus et Serviteur-du-Seigneur : 44,26, où cependant il vaut mieux songer au prophète. Bien entendu, il reste la solution de considé-rer, par exemple en 49,3, le terme d’Israël comme une addition, et d’expliquer 49,1-6 comme s’adressant à Cyrus, mais... ? C’est dire que je ne conseille guère une prédication sur Esaïe 49,3.5-6. D’autant plus que le trait original de ce Serviteur est exprimé au v. 2 : alors que Cyrus va ac-complir son œuvre providentielle par les armes, le Servi-teur-du-Seigneur n’en a qu’une : sa parole ; elle est l’épée, la flèche et le carquois du prophète. De la même façon, le v. 5 ne s’éclaire que si on rappelle le v. 1 qui lui-même renvoie à Jérémie 1,4-8. Cependant on n’oubliera pas, au v. 6, Israël appelé à devenir la Lumière des... nations, et Jésus disant de lui-même : « C’est moi qui suis la Lumière » (Jean 8,12, 9,5, etc…).

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EEssaaïïee 5500,,44--77Dimanche des Rameaux

Pour une meilleure compréhension de ce passage, il faut sans doute lire 50,1-2, où le Seigneur dresse le procès de son peuple exilé qui lui reproche d’avoir « le bras trop court », c’est-à-dire incapable de le sauver de sa situa-tion. Le Seigneur remet les choses au point et il utilise le symbole (qui est plus qu’un symbole) qui, depuis Osée, est très vivant dans la pensée prophétique : celui du ma-riage entre Dieu et son peuple, mais où, très curieuse-ment et aussi de manière très enrichissante, le prophète, cette fois, distingue entre la Mère (= Israël) et ses enfants (= les Israélites déportés). L’image est trop rare pour ne pas être relevée (cf. cependant Psaume 87,5, où Sion-Jérusalem est mère, selon la Septante, de toutes les na-tions). Le Seigneur remet les choses au point ; jamais il n’a répudié la « mère-Israël » (v. 1), mais ce sont les enfants, dont la mère-Israël se sent solidaire, qui ont rompu l’alliance, au double sens du terme. Et quand il en était encore temps, le Seigneur (Père en l’occurrence d’Israël, même si le terme n’est pas prononcé ici et à dessein pour éviter toute compréhension mythologique, cf. 63,16) a averti, appelé ; il est même venu (v. 2) parmi les siens et les siens n’ont pas répondu (Jean 1,11). Il ne faut donc pas se tromper de coupable, ce qui nous arrive souvent, à nous aussi, quand nous nous retournons contre Dieu. Mais le SEIGNEUR ne va pas pour autant abandonner son peuple ; il ne va pas le laisser sans message, sans parole (v. 4). Il suscite, une fois encore, un prophète qui prend maintenant la parole. Puis, ce qui est rare chez les prophètes, et chez celui-ci encore plus particulièrement puisque personne ne connaît son nom (on l’appelle souvent « le grand anonyme de l’exil »), ce prophète parle sur lui-même, mais c’est pour nous dire ce que Dieu le Seigneur a fait pour lui afin qu’il soit un fidèle prophète pour Israël. Il lui a tout d’abord donné (chaque matin) de savoir écouter : cf. le disciple qui se laisse instruire (v. 4ac) ; et ensuite savoir parler pour réconforter (v. 4b) ce peuple ingrat ; oh ! certes, le prophète n’a pas manqué de remettre les « choses » au point (v. 1s), mais l’essentiel de sa mission est d’être constamment aux aguets pour bien discerner la Parole qui veut « soulager » les « écroulés » (il y a ici un singulier qui désigne tout Israël) (v. 4). Le prophète alors montre que son attitude d’écoute et de disciple est à l’opposé d’Israël : « Moi, dit-il (le « moi » est emphatique), je ne me suis pas révolté, ni aigri quand j’ai entendu ce que Dieu voulait me dire » (v. 5). En conséquence, j’ai accepté les tracasseries, les déshon-neurs, et même les outrages qui, en Israël, ont souvent (mais pas toujours..., cf. le 1° Esaïe qui semble avoir été bien respecté) accueilli ceux qui veulent écouter et transmettre la Parole de Dieu (cf. Jérémie). Le prophète a donc probablement été persécuté par ses compatriotes en exil, ou pour le moins tourné en dérision (v. 6a). Et il l’a accepté, en ne se refusant pas à ces outrages, mais en refusant cependant de changer le message dont il était chargé (v. 6b). Pourtant il ne veut pas qu’on se trompe sur l’origine de ce courage, et presque de ce défi envers ses persécuteurs (israélites, répétons-le) ; il revient au seul Seigneur-son-

« Secours » (v. 7, cf. le Psaume de pèlerinage : 121,2). Le prophète renforce cette assurance en disant que cela lui a permis d’être imperméable aux outrages (là encore, on rencontre quelques difficultés pour rendre le laco-nisme de l’hébreu : je n’ai pas été outragé = « je ne me suis pas senti outragé »). La phrase qui suit est, elle aus-si, bien difficile à rendre convenablement, même s’il est certain qu’on la retrouve en Luc 9,51 (où je traduis, mais pas encore assez fidèlement : « Jésus envisagea résolu-ment ou définitivement... »), mot à mot ici : « J’ai placé (fait de) mon visage un caillou » (j’ai pétrifié mon vi-sage). Probablement cela signifie : « Quand on me giflait ou torturait, j’ai fait comme si je ne sentais rien… ». Cela replace certainement Luc 9,51 dans le contexte du sacri-fice librement consenti du Christ lors de sa Passion (cf. le début de Luc 9,51) et fait de ce verset la charnière de l’évangile de Luc.

EEssaaïïee 5555,,11--3318° dimanche ordinaire

On commencera par s’étonner de la disparition, depuis la Septante au moins, d’une vive interjection au début du v. 1, interjection qui, dans le plus grand nombre de cas, signifie « malheur à... » (la Bible de la Pléiade met : « Ah !... ») et qui, de toute manière, a un sens interpella-tif très fort : « Hé là ! Attention! ». C’est probablement (?) le cri du porteur d’eau passant dans les rues et qui avertit qu’il s’écoulera un bon moment avant qu’il ne revienne. Cependant ce porteur d’eau, cette fois, n’entend pas se faire payer. Mais il n’est pas que « porteur d’eau » – eau, pas tant symbole ici d’une liber-té (perdue à Babylone) que du culte que les Israélites vont pouvoir célébrer à nouveau – il est aussi porteur de solides nourritures ; on pourrait presque traduire : « Venez casser la graine ! » ; (la TOB apporte une inutile correction, en s’attachant à la Septante). L’eau, qui est la première nécessité pour ceux qui sortent du désert (cf. Exode 15,22 ; Esaïe 40,3), est suivie par le don de la nourriture : pain (cf. Exode 16), lait et même du vin. Tout cela est gratuit, destiné en priorité à ceux qui sont démunis, et plus particulièrement à ceux qui n’ont abso-lument rien à offrir en échange : « sans argent, sans troc » précise le texte (comprendre le : « même celui qui n’a pas d’argent », dans le sens : « surtout celui... ») ; ce qui est le cas de la plupart de ceux qui rentrent d’exil et à qui est adressée cette si large invitation. Israël devra savoir, une fois pour toutes, qu’en fait, il est... « fauché ». On remarquera une apparente contradiction dès le v. 2 : – « Pourquoi mettre en balance (avec un beau jeu de mots sur « manger ») de l’argent pour ce qui n’est pas une nourriture, et vous « crever » pour ce qui ne rassasie pas » ? – Ce qui laisserait croire que certains ont ramené une « cagnotte » de leur long exil, ou plutôt qu’à peine rentrés, ils songent déjà au commerce. Mais le prophète veut surtout insister sur les temps nouveaux qui s’ouvrent avec le retour des exilés. Il leur annonce une ère où tout (ce qui lui semble capital) sera gratuit, et où le premier et principal souci de l’homme ne sera plus de manger ni de commercer (Deutéronome 8,3). D’autres prophètes (Malachie par exemple, Aggée...) montreront que ce temps de gratuité où les hommes ne songèrent

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plus qu’à l’essentiel : écouter (v. 3) et rechercher le Sei-gneur (55,6), fut fort bref si tant est qu’il dura plus qu’un éclair (on retrouverait aussi pas mal d’allusions à la « faillite » d’Israël dans les chapitres 55-66). Je relèverai cependant : a) cette liaison profonde entre Dieu, son Royaume (Jé-sus-Christ pour les chrétiens) et la gratuité. Si une pleine gratuité dans tous les rapports humains n’aura lieu qu’au Royaume, au moins pouvons-nous dès maintenant, dans la prédication comme dans le reste de la vie de l’Eglise, annoncer et faire quasiment toucher du doigt cette gratui-té : je pense ici, comme exemple mineur, à ceux qui croient bon de tarifer les mariages ou les enterrements ou...[Je me suis jadis « battu » avec un neveu qui venait de faire un héritage de milliardaire – en francs anciens – en refusant de lui donner un chiffre autre que zéro pour les obsèques de sa tante. De rage, il n’a rien donné ! Tant pis pour lui !]. Vous n’annoncerez jamais assez la gratuité, et sans ar-rière-pensée, mais sans en oublier le sérieux, cf. le pre-mier mot du v. 1 : « Attention ! » ; b) le v. 3 « mérite » un bon moment... d’attention : « L’Alliance éternelle » surtout ; cf. Esaïe 61,8 ; on la retrouve en Genèse 9,16 (Noé) ; 17,7 et autres (Abra-ham) ; Exode 31,16 (Moïse) ; 2 Samuel 23,5 (David) ; et plusieurs autres fois pour les exilés (comme ici). On aura remarqué comme cette expression scande, en quelque sorte, les grandes étapes de l’histoire du salut. Une autre commence donc ici (cf. Hébreux 13,20). Et c’est le vo-cabulaire traditionnel, et probablement le plus ancien, qui est ici employé : « Trancher (allusion à la victime-gage) l’Alliance ». Mais la suite est claire, c’est l’alliance faite avec David qui va être reprise et définitivement scellée, que l’on traduise le dernier vers du v. 3 : - « Les fidélités de David, celles qui ont persisté (racine « Amen » identique à « foi ») ; - ou « La Fidélité (de Dieu) envers David, celle qui est intangible » (idem). Si (malgré André Caquot) la deuxième interprétation (plutôt que traduction) me semble la meilleure (Psaume 89,50), elle ne doit cependant pas exclure la première (cf. Psaume 132,1-2.10-11 ; même si le v. 11 de ce Psaume fait pencher la balance à nouveau vers le deuxième) ; dans une alliance véritable, la fidélité de l’un (le Sei-gneur) suscite immédiatement la fidélité de l’autre.

« Plan » de prédication Bien entendu, si le dimanche où ces textes doivent être lus, le « repas du Seigneur » y est célébré, on prendra le texte de l’évangile (même s’il n’y a pas... 5000 parois-siens au culte). On s’efforcera de l’actualiser, en mon-trant bien qu’il s’agit de la même cérémonie du partage des douze corbeilles restantes, et que c’est encore Jésus, présent parmi nous, qui nous ordonne de partager ce qu’il a fait pour tous. C’est Jésus lui-même qui nous y donne sa vie et y partage son sacrifice (au passage, on évitera les mots « piégés » de « répétition », « symboles », « commémoration », etc…). On relèvera aussi la redoutable actualité de « donnez-leur vous-mêmes à manger » ; et sans oublier la priorité contemporaine (qui était aussi celle de l’époque du

Christ) de la nourriture dite matérielle, on songera à toutes les autres nourritures dont nous sommes repus, et qui font souvent cruellement défaut ailleurs. Le « repas du Seigneur » est le moment le plus évident où le dilemme dans lequel on veut souvent nous enfer-mer (l’Eglise introvertie et sacramentelle, contre l’Eglise extravertie et diaconale) est stupide autant que néfaste ; on s’approche de la table (ce mouvement est d’une grande symbolique) pour repartir (idem) partager ce qu’on vient d’y recevoir. Mais cependant, on l’aura deviné, c’est le texte de Ro-mains 8,35-39 (sans oublier la grande invitation d’Esaïe 55) qui me « tente » le plus, afin d’insister en particulier sur le fait que moi-même je ne puis plus m’accuser (et encore moins me condamner), cf. 1 Corinthiens 4,3-4.

EEssaaïïee 6600,,11--66Epiphanie

En Esaïe 59 nous avions une (des) confession(s) des péchés d’Israël, en même temps que la demande faite au Seigneur de prendre en pitié la situation lamentable de son peuple (ne pas se tracasser sur le fait que des « vous » deviennent des « nous », c’est une caractéristi-que liturgique). Ceci suppose que le Temple doit, soit être reconstruit, soit être en pleine reconstruction (on est donc vers 525-500), époque obscure dont nous savons surtout qu’elle ne fut guère brillante pour Israël (59,10-11). Israël qui, une fois de plus, a attendu l’épreuve avant de reconnaître sa culpabilité, confesse au chapitre 59 ses manquements à l’alliance. Et Dieu qui s’apprêtait à punir plus encore et à exercer des représailles, se transforme en Celui-qui-va-libérer-son-peuple, de lui-même autant que de ses ennemis (v. 20) ; c’est le fameux Gô’ël (intradui-sible : vengeur, protecteur, rédempteur... cf. note de la TOB 2 sur Exode 6,6) qui, s’il peut réclamer Israël (et Jérusalem) comme sa propriété, les réclame surtout pour les libérer. Survient alors la promesse d’Esaïe 60 (+ 61.62), qui répète à sa manière ce que promettait Esaïe 40,1ss. Les Jérusalémites prostrés (pour la prière autant que par découragement) sont invités à se relever, à illu-miner la ville (60,1 : il faut comprendre de manière concrète tous ces versets) dans une liturgie du crépus-cule. Car le Seigneur-Lumière (1 Jean 1,5) s’approche. Et comme le soleil dissipe l’obscurité et les brumes du petit matin, le Seigneur va faire resplendir sa gloire. Sans doute, arrivaient alors, en longues processions, des cohortes de jeunes gens et de jeunes filles (v. 4), ainsi que de hauts dignitaires. Tout cela préfigurait la dernière fête, celle de la dernière intervention divine, celle où, enfin réconciliées, les nations, avec leurs richesses (ma-térielles, mais aussi spirituelles) convergeront vers une Jérusalem apaisée et illuminée, non plus seulement par des lampions, mais par la seule gloire du Seigneur. Cela annonce, non seulement la venue des mages, mais l’arrivée finale des nations et de leurs chefs, avec leurs richesses, aux portes de la Nouvelle Jérusalem : Apoca-lypse 21,23-26 dont l’Agneau est la seule lumière. D’habitude, les fêtes israélites sont des re-« présentations » (pour le dire plus fidèlement : « Elles sont des découvertes de la permanente actualité des déli-vrances passées ») du passé et de l’œuvre à la fois passée

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et présente de Dieu, pour que chacun y retrouve courage et joie, mais ici cette fête (qui, certes, n’est pas sans rapport avec une actualisation du passé : le retour en Israël, lui-même évocation de la sortie d’Egypte) est avant tout l’actualisation de la grande fête finale ; actua-lisation de ce moment où, révélant le Christ dans sa plé-nitude, le Seigneur viendra (avec l’Agneau) terminer, couronner et illuminer l’histoire en lui donnant son plein sens par la réconciliation (et non la négation) de toutes les nations. Or, l’Eglise manque notoirement d’une fête actualisant l’avenir, et surtout cet avenir de plénitude pourtant aussi certain que la venue du Christ. Ceci explique peut-être pourquoi l’espérance chrétienne est exténuée. Pourquoi alors ne pas faire de l’Epiphanie (dont le sens = manifes-tation, apparition), cette fête tournée vers l’avenir, vers la lumière qui se lève ; l’Anticipation de ce jour où les enfants de Dieu seront... manifestés (Romains 8,19 : « Apocalypsis » !), et où tout trouvera son sens ? Enfin !

« Plan » de prédication Les trois textes ont des points communs qu’il est bon de relever : en particulier les promesses qu’ils contiennent pour les peuples de toute la terre : Esaïe 60,3.5 (cf. aussi v. 10, 13.14...) ; l’épître aux Ephésiens : 3,6, et bien entendu les mages, dont vous relèverez qu’ils étaient théoriquement les derniers à avoir droit à la révélation qui leur est faite. Et pensez à cette fête de la fin des temps, annonce d’une humanité réconciliée.

EEssaaïïee 6622,,11--552° dimanche ordinaire

Le Seigneur porte un amour sans limites à Jérusalem (ou Sion), un amour qui recouvre et englobe toutes les autres amours : paternel souvent (cf. Esaïe 63,7ss, etc…) et aussi amour conjugal, comme ici. Il faut comprendre que ce ne sont que des images pour décrire un Amour qui dépasse, en profondeur et de toutes les manières, ces comparaisons qui ne font qu’évoquer une Vérité plus réelle encore. C’est un thème prophétique constant : Dieu aime Israël (et surtout Jérusalem) comme son épouse, depuis Osée (chapitres l et 2) voire même Amos (3,2), Jérémie (2,1ss, etc…), Ezéchiel ; mais, le plus souvent, c’était pour mieux dénoncer la non-réponse de ce peuple, son infidé-lité, ses adultères, envers le Seigneur-époux. L’épouse s’est conduite comme une prostituée (Osée surtout, mais aussi Jérémie et Ezéchiel) en adorant Ba’al et consorts. En revanche, il n’y a ici aucune allusion à ces infidélités ou aux dérobades d’Israël envers son Seigneur. C’est probablement parce qu’on reconstruit le Temple à une époque où Israël connaît mille tourments (530 ?), et le Seigneur tient à lui rappeler : a) son amour de mari (Ba’al) et b) sa vocation universelle ou universaliste. Ce tas de ruines qu’est encore en partie Jérusalem, l’Abandonnée, la Désolée, annonce celle par qui le Seigneur épousera la terre entière (v. 4).

Il faut revenir au jeu de mots fait, au v. 5, avec le verbe « épouser » ; c’est la racine « Ba’al » = Maître, mari, propriétaire et, bien entendu, Ba’al. Déjà Osée avait (2,18) dénoncé ce terme comme ne convenant pas et au Seigneur et aux nouveaux liens qu’il entendait nouer avec son peuple, et il proposait comme terme celui qui passait (cf. Genèse 2,23) pour le masculin d’épouse : « îsh » = époux, (« ishshâh » = épouse). On remarquera que les habitants de Jérusalem devront, eux aussi, « épouser leur ville », c’est-à-dire lui manifes-ter le même attachement irréversible que le Seigneur lui (et leur) manifeste. Et au passage, je dois confesser que je suis loin d’être « enthousiasmé » par la traduction (au v. 5) « enthousiasme » (= étymologiquement « en-dieusement ») de la TOB. Il s’agit, certes, d’une joie exubérante, et non pas de cet état second qu’entend dé-crire le mot « enthousiasme ». Non seulement ce rétablissement de Jérusalem sera plus qu’un retour à la gloire ancienne, mais un avenir nou-veau (au point que Jérusalem elle-même, aura un nom nouveau que le Seigneur seul connaît : v. 2), mais la vocation universelle de la ville sera manifestée et recon-nue, car ce que le Seigneur fait pour sa ville-épouse, c’est à toute la terre qu’il entend l’étendre (v. 2.4). Si l’Eglise doit donc se mettre au bénéfice des promesses ici faites, elle ne peut oublier : a) qu’elles sont en priorité faites aux Juifs ; b) et surtout qu’elles sont faites ensuite pour la terre entière.

EEssaaïïee 6622,,1100--1122Noël

v. 10 : Le peuple (Israël)... les peuples (est-ce ici les peuples étrangers ou les tribus ?). Ce verset est superbe poétiquement ; nombreuses assonances dans les troi-sième et quatrième vers surtout. v. 11 : Il faudrait une bonne fois abandonner « la fille-de-Sion » pour « la fille-Sion » ou mieux « la ville de Sion » (comme ville de Paris). Si Israël est l’épouse de Dieu (v. 4), Sion est sa fille... Vient : et peut-être « entre » (procession). Récompense : salaire. v. 12 : (On) les (appellera) : ne pas se troubler devant ces changements de nombre. C’est fréquent en hébreu, sur-tout dans les textes liturgiques, comme l’est probable-ment celui-ci. Appeler est un verbe plus fort que ne le laisse supposer notre terme français ; c’est adresser voca-tion. Peuple saint : cf. Exode 19,5-6, Deutéronome 7,75, etc… La ville non-abandonnée = (?) qui ne sera plus jamais abandonnée. Contenu : Probablement une liturgie qui entend rappeler la fas-tueuse et ancienne liturgie du défilé de l’arche (Psaumes 132, 15.24), ainsi que le retour (difficile, écho d’Esaïe 40,3) de l’exil. C’est son histoire ou plutôt l’histoire de la miséricorde de Dieu à son égard qu’Israël fête dans sa

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liturgie (pas les circuits de son âme, mais les circuits du peuple de 1’arche !). Le peuple arrive en foule devant les portes des parvis (v. 10) et il est invité à les franchir ; mais comme la ville est encore en plein travaux (Esdras 3,10-11 et 4,54, Néhémie 3,4), il faut remblayer et paver. On admirera ce mélange de liturgie et de réalisations concrètes avec le rappel des promesses du passé. Et quand la ville et le Temple seront bien reconstruits, ce sera un signe dressé pour tous (?) les peuples. On remarquera aussi la bi-présence du Seigneur : il est Celui qui réside à Jérusalem et Celui qui vient (le « Salut » = le Seigneur désigné par ce qu’il opère pour son peuple). Enfin, on lira le v. l2 dans la lumière d’Osée 2,25.

EEssaaïïee 6666,,1100--11444° dimanche après la Pentecôte ou 14° dimanche ordinaire

Il est désagréable, aussi bien pour le lecteur que pour le commentateur, d’avoir à contester une traduction, au lieu d’apporter ce qui pourra servir à la rédaction d’un ser-mon ou d’une méditation, mais la TOB est ici (comme dans toute la deuxième partie d’Esaïe : chapitres 40ss) fort discutable. Par exemple, j’ai déjà dit dans un fascicule précédent combien la traduction « enthousiasme » (v. 10) est loin de... m’enthousiasmer ! L’étymologie de ce terme est « endieusement » ; il appartient au vocabulaire religieux extatique, que ne pratique pas particulièrement l’Ancien Testament, méfiant envers toutes ces religions dont le sommet consiste à se noyer en Dieu. Le sommet de l’Ancien Testament, lui, est de simplement vivre la To-rah parmi les hommes. D’ailleurs, le Lectionnaire catho-lique traduira de manière très traditionnelle : « Soyez pleins d’allégresse ! ». De même, il a évité, au début du v. 10, le verbe (technique) « jubiler ». Et au v. 11, il a aussi écarté cette phrase (TOB) pour le moins curieuse : « Que vous tiriez le maximum et jouissiez de sa mamelle glorieuse » (sic !), alors que le texte, si direct par ailleurs, porte : « Ainsi vous goûterez (téterez ?) avec volupté (avec délices) à la luxuriance de sa gloire » (allusion à la lourde abondance qui règnera alors à Jérusalem). De toute manière, il faut (pour le prédicateur au moins) remonter au v. 7 : « Jérusalem est (re)devenue mère », et cette fois de manière soudaine, sans travail, voire sans temps de grossesse. Cette maternité de Jérusalem est une tradition ancienne, cf. le Psaume 87 (v. 5 ; Septante), mais dans ce dernier Psaume, il s’agissait d’une maternité universelle, présage d’une réconciliation de tous les peuples convergeant un jour vers elle, réconciliation sans doute fêtée chaque année, sans qu’il soit possible de savoir avec quelle autre fête (Nouvel An ?) elle était couplée. Mais avec l’exil, Jérusalem-mère a été privée de tous (ou presque) ses enfants et elle semble à jamais stérile (on relira les « Lamentations » dans cette optique, cf. Lamen-tations 2 ou 4,10), d’autant plus que ses murs sont rava-gés par d’immenses brèches. Le génie du prophète est de voir dans ces brèches, jadis faites par les ennemis, comme l’ouverture nouvelle du

« sein » de Jérusalem, fente par laquelle vont déferler sans retenue (v. 9) une multitude d’enfants (v. 8). Ce qui a été signe de mort pour Jérusalem, va être signe d’une vie nouvelle. Ce qui a causé le deuil (v. 10) va chanter la renaissance miraculeuse. Car Sion va retrouver, sans douleurs aucune, sa maternité. Après les images de l’accouchement, vient celle de l’allaitement (v. 11) surabondant. Puis une incise (v. 12c) concernant la réhabilitation de Jérusalem comme mère. Les nations viendront la submerger sous leurs trésors (mais plus en serviteurs qu’en fils, puisqu’elles se sont permis de saccager leur mère) ; on n’oubliera pas le parallèle d’Apocalypse 21,26 (et autres promesses sem-blables contenues dans l’Ancien Testament). Et la paix (cf. la note TOB de 1 Rois 5,26) inondera la ville. Mais on revient à l’image des enfants rassasiés, repus (Psaume 131,2) qu’on fait jouer sur les genoux ; et là, très curieusement, le Seigneur prend la place de la mère. Il y a un glissement de Sion-Mère à YHWH-Père, mais jouant un rôle maternel (il y a un « comme ») très rare dans l’Ancien Testament et qui n’est pas sans évoquer quelque arrière-plan mythologique, probablement atténué par des scribes sourcilleux. De toute manière, on retiendra le retour du verbe capital pour cette deuxième partie d’Esaïe (40,1ss) : « Consoler, réconforter, réhabiliter », mais dont le sujet est désormais Dieu lui-même (3 fois au v. 13). Mais (pour finir comme nous avons commencé) la tra-duction TOB : « Les os revigorés comme un gazon » est peu heureuse, car trop littérale. Les « os » = les membres = le corps entier = la force = la personne dans sa vitalité = parfois... un pronom personnel : mes os = (parfois) moi ! Traduire le v. 14 : « Vous allez retrouver votre sève et rajeunir (redevenir verts !) ».

EEssaaïïee 6666,,1188--222211° dimanche après la Pentecôte ou 21° dimanche ordinaire

Les traducteurs me semblent ici en prendre un peu trop à leur aise, surtout au v. l8. Lire (?) : « Moi (YHWH) (je suis ou je serai) leurs actions et leurs pensées. Elle vient = (peut-être : L’heure sera venue) de rassembler toutes les nations et toutes les langues. Elles viendront et ver-ront ma gloire ». Je propose (un peu de manière désespé-rée) : « Quand moi, le SEIGNEUR, je serai le (seul) but de leurs actes et de leurs pensées, alors viendra l’heure de rassembler toutes les nations, etc… » (la TOB a, cer-tes, mis une note, mais elle n’explique pas comment elle en arrive à sa traduction). Je crois, de toute manière, qu’ici le Seigneur relie vrai-ment la fin des temps (qui coïncide avec le rassemble-ment des peuples à Jérusalem) avec les nouvelles dispo-sitions que les habitants de Jérusalem doivent avoir : YHWH doit devenir le but de toute leur vie (actes et pensées, etc…). Alors les nations pourront enfin retrou-ver leur « capitale » : Jérusalem. Mais une autre difficulté que peu de traductions éluci-dent consiste en ce fameux « Signe » (v. 19) placé au milieu de toutes ces « nations » ; ne s’agirait-il pas jus-tement de cette nation nouvelle enfin soumise de tout son cœur (siège de la pensée) et dans toute sa conduite à son

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seul Seigneur, et enfin débarrassée de toutes les idolâtries auxquelles le v. 17 fait clairement allusion ? On notera les divers mouvements du texte : rétraction, expansion, réunion. v. l8 : rassemblement de toutes les nations qui, dans le peuple retrouvé, verront la gloire de Dieu. v. 19 : envoi, vers les nations (même les plus ignorantes et les plus lointaines), de rescapés (le reste) parvenus à Jérusalem ; et là-bas annonce de la gloire du Seigneur. v. 20 : tous les « frères » seront amenés par ces nations, en offrande au Seigneur, à Jérusalem où tous arriveront en grande cérémonie (v. 20). Qui sont ces frères ? Peut-être des exilés, déportés et leurs descendants ? Des Juifs oubliés et dispersés auxquels faisait déjà allusion Esaïe 60,4 et 9 ? Probablement ; mais, à la rigueur, on pourrait penser à des non-Juifs. En tout cas, c’est aussi de ces Juifs oubliés, probable-ment étrangers à la « succession lévitique et aaronide », que le Seigneur va désormais tirer une partie de son sacerdoce (v. 21) ; promesse ô combien importante et prémice du sacerdoce universel ; cf. 56,4, qui correspond à la création de nouveaux cieux et d’une terre nouvelle (v. 22), avec la certitude que tout homme y sera convié afin d’adorer fidèlement l’auteur de toutes ces choses (v. 23)... Mais le v. 24 poserait quelques problèmes. S’il est permis de revenir au signe du v. 19, rien n’empêche un chrétien d’y voir la Croix (cf. Ephésiens 2,13-l8), point de convergence des nations, sur laquelle agonise le grand prêtre d’un nouveau culte non aaronide.

JJéérréémmiiee 11,,44--11004° dimanche ordinaire

S’il nous est dit que la Parole du Seigneur vint « vers » (littéralement) Jérémie, il ne nous est pas dit comment ; on peut supposer que c’est au travers d’une vision (cf. 1,20), mais rien ne nous permet d’en être sûr. En tout cas, ceci montre, quoique Jérémie soit un des plus pro-lixes sur ses « rencontres », souvent difficiles (20,7-18), avec le Seigneur, combien les prophètes sont discrets sur les circonstances de leurs rencontres avec... la Parole du Seigneur ; car ce qui compte pour eux, c’est la Parole elle-même, celle qui leur est confiée. Et non pas le « comment ». Mais ici la Parole du Seigneur a ceci d’original qu’elle commence par parler du prophète lui-même, plus exac-tement par lui révéler que, depuis sa conception, Dieu avait porté son attention et sa faveur vers lui, Jérémie (v. 4-5, qu’on comparera au Psaume 139,13-16). Dès sa conception, Jérémie a été consacré (mis à part pour un service : celui de l’annonce de la Parole) par Dieu. Et arrive cette curieuse affirmation, promesse confirmée, ô combien, par le v. 10 : « Dieu a donné à Jérémie d’être prophète pour les nations ». Dieu-le-SEIGNEUR l’a chargé d’une parole, non plus destinée au seul Israël, mais qui doit (par l’intermédiaire ou non d’Israël) parve-nir à toutes les nations. Il y a, en effet, des passages en-tiers du livre qui concernent en premier lieu les nations païennes (25,15ss et surtout les chapitres 46 à 51, ainsi que bien des allusions ici ou là). Si déjà Amos avait délivré des oracles pour les pays environnants (chapitres

1 et 2), si Esaïe avait, lui aussi, déjà menacé l’Egypte (Esaïe 31), en particulier le roi d’Assyrie (chapitres 36-38), jamais cependant la portée universaliste du ministère du prophète juif n’avait été mise ainsi en relief. Et s’il faut voir un avertissement adressé à toutes les nations (1,10c), c’est aussi une promesse (1,10d). Dieu s’occupe de tous les peuples.

JJéérréémmiiee 1111,,1188--220025° dimanche ordinaire

Plutôt que le texte de Sagesse 2,12.17-20 qui, découpé de la sorte, ne présente guère d’intérêt autre que celui de reprendre quelques passages des Psaumes, je me consa-crerai au texte de nos listes protestantes : celui de Jéré-mie 11, car tout d’abord nos listes en sont chiches (en trois ans, elles ne proposent que dix lectures de ce très grand prophète) ; ensuite ce prophète nous a laissé, un peu au hasard de son livre, ce qu’on a appelé « Les confessions de Jérémie ». Quand on sait combien la plupart des prophètes ont été discrets sur leur existence et sur leurs relations parfois délicates avec Dieu (jamais on ne parle de leur mort) (on comparera cela à « l’exhibitionnisme » de l’Eglise post-apostolique, qui n’en finissait pas de chanter la gloire de ses martyrs), il est bon que l’un d’entre eux nous ait confié ce que furent ses peurs, ses difficultés, ses relations avec le Seigneur qui l’avait appelé, surtout quand (contrairement à un Esaïe qui obéit au doigt et à l’œil : Es 6,8) ce prophète invective Dieu et est au bord de la révolte, comme Jéré-mie (qu’on peut parfois comparer à Job). Mais ici Jérémie montre qu’il a saisi que, lorsqu’on a été saisi par la Parole de Dieu (« La Parole de Dieu vint à moi », cf. 13,3 et autres), la vie du personnage concerné est bouleversée, il a un destin « exemplaire », non au sens où les épreuves seraient inexistantes, mais au contraire parce que les gens vont se retourner contre lui (cf. v. 19b). Mais l’élu de la Parole, au lieu de se défendre lui-même, remet sa cause au Seigneur (v. 20b). On lira cependant jusqu’en 12,1 pour s’apercevoir que, si Jérémie ne veut guère plaider lui-même contre ses contemporains (qui tentent de le réduire au silence), il est en revanche prêt à plaider avec force contre le Seigneur lui-même. Saisis par la parole, ces prophètes étaient d’une étrange liberté envers le Dieu qui leur parlait. Bien entendu, cette mise à part par la parole de Dieu et cette mise à l’index par ceux qui ne veulent pas l’entendre, prennent une pleine lumière avec Jésus qui, pour les chrétiens, est la Parole même de Dieu dite aux hommes.

JJéérréémmiiee 1177,,55--886° dimanche ordinaire

Nous voici devant une sorte de Psaume organisé autour du schéma (inverse de celui de Luc 6) : malédiction (v. 5-6), puis bénédiction (v. 7-8). Si la malédiction est (relativement) fréquente chez Jérémie, la bénédiction l’est beaucoup moins. D’ailleurs, nous sommes loin du style habituel, personnel et tourmenté de Jérémie. Rien n’empêche qu’il ait utilisé un Psaume qui préexistait

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(nous y reviendrons avec le Psaume 1 pour la bénédic-tion). Il semble fréquent que les prophètes, tout comme Paul plus tard (par exemple en Philippiens 2,6-11), aient utilisé la liturgie que les Israélites chantaient pour la leur renvoyer, comme pour bien montrer qu’à Jérusalem on ne mettait pas en pratique dans la vie courante ce qu’on venait de chanter dans le Temple (cf. certaines phrases de nos cantiques qui montrent encore la dichotomie entre le chant et la réalité moins idyllique... je vous laisse le soin d’en trouver). La malédiction : elle est, au v. 8c, difficile à traduire ; littéralement : « Qui place, la chair, son bras » = proba-blement « qui fait reposer son bras (ses œuvres ou sa force) sur la chair », celle-ci désignant le plus souvent la faiblesse humaine. Ce qui signifie en clair : qui a confiance en ses propres œuvres (ou forces), tout comme est dénoncé (au v. 8b) celui dont l’assurance est placée en lui-même, ou qui compte sur les hommes (je ne vois pas la nécessité de traduire comme la TOB par « mortel ») pour s’en sortir. Cela doit viser la population de Jérusalem qui, investie, pense s’en sortir avec son armée (ou celle du Pharaon). Au v. 6, traduire : « arbuste misérable ou rabougri ». Ce v. 6 montre ce qui attend ceux qui ont cru pouvoir se fier en eux-mêmes en délaissant le Seigneur, c’est-à-dire ici « les paroles que le Seigneur leur adressait par son pro-phète » ; ils vont être refoulés au désert inhabitable. Leur exil terrible sera la démonstration de la vérité de la malé-diction. La bénédiction : (ce n’est pas une Béatitude, comme au Psaume 1,1 par exemple ; le psautier commence par une béatitude qui éclaire tout le recueil, on l’oublie trop sou-vent). Elle commence (à part le premier mot) exactement comme la malédiction ; au premier vers simplement, au lieu de « se confier en un homme », il y a « se confier dans le Seigneur ». On remarquera bien que cette béné-diction pour ceux dont le Seigneur est la seule assurance et la seule certitude, ne promet pas aux « bénis » d’échapper à l’exil, mais de devenir comme des arbres qui ne souffriront ni de la sécheresse ni de la chaleur. Ces arbres seront toujours verts et donneront constam-ment des fruits ; lire ici Psaume 1,3, qui, lui, fait la même promesse à ceux qui observent la Torah avec vigilance. Comme ils se confient dans le Seigneur, les autres hom-mes pourront se confier en eux.

JJéérréémmiiee 3333,,1144--11661° dimanche de l’Avent

Puis-je encore une fois protester contre le découpage du texte, isolé d’un merveilleux contexte ? Je vous en prie, continuez votre lecture jusqu’au v. 26, si vous voulez comprendre vraiment et pleinement les promesses qui sont faites ici (curieusement absentes du texte grec de Jérémie, mais le livre est en désordre dans la Septante, le texte grec de l’Ancien Testament), et en particulier celle-ci : « Pour que l’homme réussisse à empêcher Dieu de suivre son plan de salut, son alliance avec les hommes, il faudrait que, préalablement, il sache agir sur le grand ordre cosmique que le Seigneur a instauré » ; traduisons : « il faudrait qu’il sache empêcher la terre de tourner ». Autrement dit : rien ni personne n’y feront quoi que ce

soit : le nouveau David viendra ; car les promesses de Dieu sont plus sûres et plus intangibles que les lois de la Création elles-mêmes (= la Rédemption est plus impor-tante que la Création). Ici, il faut comprendre que nous sommes très probable-ment au moment de la chute définitive du dernier roi d’Israël : Sédécias (Tsideqyah = le Seigneur est justice), donc en 587, avec la destruction de Jérusalem et l’exil quasi intégral. Tout est donc perdu ! La promesse même de Dieu est achevée, morte (toute la famille de Sédécias est exterminée sous ses yeux, 2 Rois 25,7). Non !, répond Jérémie qui, après avoir été longtemps un prophète, non pas de malheur mais d’avertissement, devient alors un prophète de la promesse inexorable (si l’on peut dire !) de Dieu. Le Seigneur prépare un nou-veau David qui, à la fois, sera légitime et qui pratiquera enfin la justice (tsedâqâh : double jeu de mots, avec Sédécias. « Justice » en hébreu n’a pas qu’un sens juridi-que, mais parfois un sens cosmique : équilibre, ordre). Et ce n’est plus seulement à un nouveau David qu’il faut nous attendre, mais à un nouvel Israël et une nouvelle Jérusalem ; cette dernière aura pour nom véritable : « Le Seigneur est notre justice » (toujours la même racine). On comparera à la promesse parallèle de Jérémie 23,5-6, où c’est (v. 6) le nouveau David qui s’appellera : « Le Seigneur est notre justice ». On songera tout naturelle-ment au Christ-notre-justice (1 Corinthiens 1,30), et aux chrétiens pour qui, en principe, le Christ est la seule justice possible, mais on n’escamotera pas pour autant l’espérance actuelle des Juifs.

JJéérréémmiiee 3388,,44--110010° dimanche après la Pentecôte ou 20° dimanche ordinaire

On résumera, même pour la lecture simple sans commen-taires, les v. 1 à 3, car ils relatent les paroles de Jérémie, résumant son message essentiel, à savoir que l’invincible Jérusalem (Esaïe 37,22ss) « va tomber aux mains des Chaldéens (Babyloniens) et que tous ceux qui prétendent la défendre périront par l’épée, la famine et la peste » (v. 2-3). Ce qui va à l’encontre de la promesse d’Esaïe. Ceci doit nous faire comprendre que les prophètes, en se contredisant sciemment, ne prétendent pas dire une pa-role éternelle, au sens d’intangible, mais dire la parole de Dieu, dans un contexte historique différent ; plus exac-tement, dans un contexte différent, l’éternelle parole de Dieu se dit différemment ; ceci montre la fidélité divine en nous disant aujourd’hui, ce qui aujourd’hui nous est nécessaire d’entendre. Formellement ce peut être diver-gent, voire contradictoire, mais derrière c’est la même fidélité de Dieu qui veut assurer notre salut. La Parole de Dieu n’est donc pas la copie perpétuelle d’elle-même, mais elle vient d’un amour qui, tenant compte de la di-versité des situations, nous fait parvenir la parole qu’il faut dire alors. Ceci amène d’ailleurs l’incompréhension de beaucoup de « bons croyants » : « Dieu ne dit plus la même chose qu’hier ; Dieu ne fait plus les mêmes promesses » ; cf. le trouble des paroissiens, quand la prédication n’est pas la redite des messages passés. Il faut toujours s’interroger pour bien discerner quelle parole il faut accentuer, voire privilégier aujourd’hui, mais en restant ouverts comme

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Jérémie dans sa lutte avec Hanania (Jérémie 28), pour savoir si ce ne sont pas les autres qui pourraient avoir raison et être les messagers de la vraie parole. Le message d’aujourd’hui (Jérémie 38) a d’ailleurs une étrange actualité. Les bons (!) Israélites ont mis Jérémie en prison car : a) il contredit les promesses faites à Jérusalem (et à Da-vid et à d’autres par la même occasion). Il leur semble impossible que le Seigneur abandonne sa ville, là où son culte est célébré et son nom invoqué. b) il démoralise (littéralement « il avachit ») les guerriers chargés de la défendre. c) il se conduit en parfait « collaborateur » de l’ennemi idolâtre, Nebucadnesar ; cf. 27,6 par exemple, où ce roi est appelé par Jérémie « Serviteur du Seigneur » : cf. Esaïe 40 à 55)... donc il doit mourir. On remarquera la faiblesse de Sédécias au v. 5 (le nom de Sédécias = Le Seigneur est Justice) qui annonce celle d’Hérode (Marc 6, en particulier les v. 20 et 26) qui abdique toute autorité. - « Le roi n’a rien à vous refu-ser ». On met donc Jérémie dans une citerne boueuse (qui rappelle les trous où certains psalmistes durent séjourner) où il va mourir peu à peu (Psaume 69,2-3, etc…). Et c’est... un Ethiopien qui va sauver Jérémie (ou un Nubien) ce qui a son importance, car de toute manière c’est un étranger noir. Son nom = esclave (ou serviteur) du roi. Cet étranger (une fois de plus dans l’A.T.) est le seul de la cour à reconnaître en Jérémie un prophète (v. 9). C’est une preuve de plus que la parole de Dieu peut être méprisée par les siens et acceptée par ceux qui n’y avaient pas accès. Mais on relira Psaume 87,4. Et on pourra voir, si on est poète, dans l’image de Jéré-mie remonté, la contre-image (mais dans le même but salutaire) du paralytique descendu par le toit, des évangi-les.

EEzzéécchhiieell 3377,,1122--11445° dimanche du Carême

Remonter la lecture au v. 11b pour mieux comprendre le sens de ce chapitre si connu d’Ezéchiel, et en particulier des promesses contenues dans les v. 12-14. Ezéchiel (prophète aussi peu « gâté » par la table biblique de lec-tures que Jérémie) est cependant un prophète, non seu-lement attachant, même si son langage est fort peu châ-tié, mais probablement un des prophètes où apparaît le plus clairement le personnage hors-normes et surtout à contre-courant qu’était le vrai prophète. En effet, emme-né à Babylone lors de la première déportation, limitée aux élites, de 597, il essaie de faire comprendre à son peuple qu’il n’a pas volé ce qui lui arrive, et surtout qu’il va lui arriver bien pire s’il ne se repent pas enfin vrai-ment. C’est le contenu des chapitres 4 à 24 où le pro-phète sévère avertit et même invective Israël. Puis il annonce, après le châtiment des nations (25 à 32), la restauration d’Israël (33 à 37), restauration qui sera cou-ronnée par la construction du dernier Temple (40-48). Après avoir prévenu, même jusqu’à l’injure, son peuple qu’il allait être détruit, une fois la catastrophe survenue, Ezéchiel console, apaise, promet et, combien c’est re-

marquable, sans jamais dire ni même suggérer : « Je vous avais prévenus, je vous l’avais bien dit ». Aucune amer-tume, même alors qu’Israël s’enfonce (un peu tard) dans la confession des péchés (33,11). Ezéchiel rappelle que le Seigneur ne prend aucune joie à la mort, même du pire des impies (33,11), sa seule joie véritable est dans sa conversion (33,14-16). Ezéchiel, comme tout bon prophète, ouvre l’avenir à ceux qui croient n’en plus avoir, à ceci près cependant qu’il garde une dent sérieuse contre ceux qui ont dirigé le peuple vers la ruine (cf. chapitre 34). La culpabilité des bergers lui semble plus durable que celle du peuple qui doit es-sentiellement être consolé (et exhorté à se méfier désor-mais des mauvais bergers, afin de ne plus faire confiance qu’au seul vrai Berger : YHWH ; 34,11ss). Il y a chez Ezéchiel (prêtre et prophète « bourgeois », 1,3...) une sorte de tendresse spécifique pour le peuple anéanti, cependant qualifié auparavant d’engeance rebelle (2, 5, 8...). En tout cas, ce chapitre 37 – vision des ossements qui retrouvent et un corps et la vie (le titre « ossements des-séchés » est trop restrictif) – est une sorte d’autre pro-messe faite à Abraham (Ezéchiel en l’occurrence). Le peuple anéanti va redevenir un peuple vivant. On comprend ici le rôle capital que ce chapitre 37 a pu jouer lors des heures sombres de l’histoire d’Israël (cf. v. 14). Je crois d’ailleurs que « nos » huguenots pourchassés s’y sont souvent référés. Signalons en 37,12, une allusion à la sortie d’Egypte avec la promesse : « Je vais vous faire (re)monter de vos tombeaux et (r)entrer sur la terre d’Israël ». Au v. 14, c’est la promesse que, comme pour ces osse-ments il a fallu que YHWH, par 1’intermédiaire du pro-phète, donne le souffle de vie, cette fois YHWH lui-même donnera l’Esprit à son peuple (même mot aux v. 9, 10, 14) ; cf. Jérémie 31,31-34. Le prophète n’est pas disqualifié pour autant, puisque sa parole vient de ce même Esprit vivifiant.

DDaanniieell 77,,1133ssFête du Christ-Roi ; 34° dimanche ordinaire ou 26° diman-che du Temps de l’Eglise

Il est non seulement bon mais nécessaire de relire cette deuxième partie (les Visions) du livre de Daniel qui commence avec le chapitre 7. De la Mer (v. 2) (= océan du chaos, depuis des temps immémoriaux) ont jailli quatre Bêtes (v. 3) malfaisantes, expressions symboli-ques et mythologiques des royaumes de Ninive (?), Ba-bylone, Perse et Grèce (v. 3-8) ; sous ce dernier règne ont surgi des rois (des roitelets) syriens : les dix cornes (v. 7) (la corne représente la puissance) ; avec une onzième plus terrifiante, qui représente Antiochus Epiphane (vers 170 avant Jésus-Christ), roi impie (1 Maccabées 1,10.16-25.41ss) qui dépouille et souille le Temple avec une statue de Zeus et essaie de faire disparaître la religion juive (1 Maccabées 1,41). Mais le Seigneur est fidèle, et c’est alors le Vieillard du v. 9 (la traduction est délicate, il s’agit plutôt d’une image pour Dieu lui-même : « Plus vieux que les jours », traduction littérale) ; Vieillard qui fait cesser la souveraineté des bêtes et des cornes (v. 11 et 12) et, de fait, Ninive, Babylone, la Perse ont depuis

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longtemps cessé leur domination, tandis que la Grèce commence à s’effondrer. (Que ce panorama nous soit une leçon ! Et pas seulement d’histoire ; v. 12). C’est alors qu’apparaît, depuis les cieux, le personnage « semblable à un fils d’homme ». Il n’est guère d’expression biblique plus discutée. Je n’ai pas la compé-tence pour apporter une opinion valable. Cependant, au v. 27, ce Fils d’homme est remplacé par le peuple élu. Constatons seulement qu’il s’approche du trône divin pour y être intronisé comme Souverain glorieux sur tous les peuples. Mais, à aucun moment de ce texte, ce fils d’homme qui vient des cieux et va vers le trône de Dieu, ne se dirige vers les hommes. Seulement son apparition vient mettre fin pour toujours à toutes les puissances néfastes qui se disputaient un monde qu’elles déchi-raient. On ne peut oublier que Jésus revendiquera, en tant que futur crucifié, être ce Fils de l’homme qui met à bas toutes les puissances (Marc 14,62) ; c’est pourquoi je regrette qu’on ait pris Jean 18 comme texte d’Evangile. Encart : Préambule : On aurait voulu nous compliquer cette af-firmation déjà fort complexe (ou plus exactement, para-doxale) : « Christ, roi de l’Univers », qu’on ne s’y serait pas pris autrement qu’en choisissant ces textes de Daniel 7, Apocalypse 1 et Jean 18 qu’on a « amputé » de son joyau, le verset 38 (nous y reviendrons). En effet, Jésus (et Apocalypse 1 le confirmera) est Roi de l’Univers, précisément parce qu’il n’est pas un roi de ce monde (3° texte). Il serait plutôt un Contre-Roi : Mat-thieu 20,28, Marc 10,43-45, Luc 22,27, Philippiens 2,7, etc... pour ne rien dire de Matthieu 23,8-12 et autres nombreux passages. Ce n’est pas une royauté triomphale que nous fêtons ici, mais la royauté de celui qui est mort pour que ses sujets deviennent vraiment des Sujets responsables, et non pas des marionnettes maniées par les ficelles d’un grand Manitou. Alors, auparavant, pénétrez bien dans ce nouveau royaume, que précisément Matthieu comparera souvent à des choses ou des réalités infimes et infirmes : une graine de moutarde, des semailles désordonnées, une femme maniant un peu de pourriture (levain), un filet de pêche ; ou encore à des personnages souvent peu communs : un roi dont les sujets se défilent devant ses invitations, des maîtres de maison jamais chez eux, etc... oui ! Appro-chez-vous d’abord du trône qui est une Croix, et alors seulement vous saisirez qu’il nous faut procéder à un changement d’intelligence, sinon de vocabulaire, avant de parler du Christ-Roi. C’est pour avoir oublié de le faire continuellement, que l’Eglise est devenue impériale (et non plus annonce du royaume) avec un « Impérator sanglant » écraseur de damnés, allumeur de bûchers, toujours menaçant et vengeur (ce n’est probablement pas pour rien qu’on vient de rafraîchir les effroyables fres-ques de Michel-Ange, avec son Christ-Rambo ; alors qu’on a par exemple tant reproché à Nietzsche son « Ubermensch » qui n’était pas le diabolique surhomme, mais un homme - au-delà-de-l’homme ; un homme plein...). Précisons au passage que ce n’est pas non plus en parlant d’une Eglise-« servante-des-hommes » qu’on en exorcise

nécessairement le démoniaque désir de pouvoir humain, mais c’est bien en annonçant aux hommes qu’ils sont délivrés de toutes les aliénations (et en particulier de celle que l’Eglise tend toujours à exercer sur eux) que l’on commence à retrouver le vrai service auquel l’Eglise est appelée ; c’est en déchargeant les hommes de leurs fardeaux et en les faisant accéder à un vrai repos (Mat-thieu 11,28-30), qu’elle suit sa vraie vocation et annonce la vraie royauté du Christ. Et c’est quand vous aurez des « auditeurs » (pardon !) enfin reposés (je n’ai pas écrit : « somnolents », et encore moins « endormis ») que vous aurez annoncé à peu près convenablement Jésus Roi de l’Univers. Vous aurez d’ailleurs droit à la 7° Béatitude : « Heureux les auteurs de paix ! » ; ce n’est déjà pas si mal. Daniel 7,13-14 Après ce long préambule, vous pourrez parvenir à ce texte de Daniel, qui a usé toutes les ressources de la sagacité des exégètes du... Nouveau Testament. Car il y est question de ce fameux « fils d’homme » où tant et tant de lecteurs ont voulu voir une préfiguration du non moins fameux « Fils de l’homme » du Nouveau Testa-ment. Je vous conseille au passage le commentaire de LA-COCQUE André : Le livre de Daniel (commentaire de l’Ancien Testament, XVb). Delachaux et Niestlé, 1976. Je voudrais simplement faire remarquer à ceux qui font ces rapprochements... rapides que : 1°- On a ici : comme un fils d’homme (en araméen)... Ce n’est qu’une comparaison. 2°- Manque l’article « fils de l’homme ». 3°- On retrouve (en hébreu) une centaine de fois l’expression « Fils d’homme » dans le livre d’Ezéchiel (cf. 2,1,...) qu’on se garde de rapprocher du Nouveau Testament, car (dixit la TOB) en Ezéchiel, il ne s’agit (en ce qui concerne le prophète) que d’un « infime fils d’homme ». Et si là était justement le secret du choix par Jésus de cette expression ? Ce qui semble un peu confirmé par le texte de Daniel où ce « fils d’homme » est finalement opposé à toutes les Bêtes, plus terrifiantes les unes que les autres, dont la description a commencé au v. 4. Il faut donc se garder de « mythiser » ce personnage très humain à qui vont être confiées souveraineté, gloire et royauté, et qui, à la fin de ce chapitre 7, passeront tout d’abord aux mains des Saints (?) et du Très-Haut (v. 18), avant de se retrouver partagées par le « peuple des Saints », c’est-à-dire le peuple d’Israël (probablement). Mais vous avez aussi tout intérêt à consulter les (bonnes, très bonnes même) notes de la TOB ; je vous ai déjà confié que ce langage poético-allégorico-apocalyptique ne m’était guère familier. J’emprunterai volontiers la conclusion même de l’auteur biblique de ce chapitre 7 : ... « Pour moi, ces réflexions me tourmentent beaucoup » (v. 28). Même si mes « couleurs » n’en sont pas altérées pour autant.

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DDaanniieell 1122,,11--3333° dimanche ordinaire ou 25° dimanche du Temps de l’Eglise

Note sur Michel = c’est-à-dire « qui est comme Dieu ? » ; c’est le général en chef des armées célestes. Ce qui nous empêche (moi le tout premier) « d’entrer » dans le mouvement des textes qu’on appelle « eschatologiques » = concernant les « choses » dernières et la fin des temps, est que précisément nous les considé-rons comme « dernières », lointaines, et souvent bien après nous. C’est ce qui arrivera... un jour (et peut-être ?). Alors qu’en fait l’eschatologie biblique, c’est ce qui est en train d’arriver (même si on ne le verra que dans deux mille ans). Ce sont des événements proches, urgents, qui frappent à la porte de notre vie (Apocalypse 3,20). « Le temps est télescopé dans le moment vécu » (André Lacoque : Le livre de Daniel). Par exemple, l’Apocalypse ne décrit pas Jésus comme celui qui vien-dra..., mais comme « celui qui vient : le Venant » (1,4). Les événements apocalyptiques ne sont pas... à... venir, mais imminents. C’est pourquoi il faut leur répondre maintenant et agir maintenant. Et c’est pourquoi toutes les élucubrations à propos de dates pour les événements décrits par les Apocalypses bibliques (Ezéchiel, Daniel, évangiles synoptiques et Apocalypse) sont ridicules. Ce n’est même pas l’année prochaine, c’est tout de suite qu’il faut répondre. Ici, c’est clair : demain, c’est trop tard (Luc 16,26) ; et ceux qui seront inscrits sur le Livre vivront, tandis que ceux qui auront toujours pensé que demain ils auront leur réponse ou qu’ils pourront alors donner une réponse, ceux-là pourriront dans leur dé-chéance. Attention donc ! La question, surtout avec un texte apocalyptique, n’est pas : « Qui sont ceux-là ? » (elle ne présente aucun intérêt), mais elle est : « Moi, suis-je de ceux-là ? ».

AAmmooss 66,,11..33--7726° dimanche ordinaire

Méfiez-vous (une fois encore) de la traduction du Lec-tionnaire Catholique, car le verset 1 ne vise pas simple-ment ceux qui dorment et se reposent dans la ville de Jérusalem, mais (on ne peut s’y tromper quand on fré-quente les prophètes) Amos s’adresse ici à ceux pour qui Sion est une sécurité, parce qu’ils croient que le choix de Dieu les garantit contre tous les malheurs et que, quelle que soit leur conduite, ils n’ont rien à craindre. La TOB a nettement mieux compris cela : personne ne peut se croire propriétaire de l’élection et du salut. Ceci est à retenir, non seulement pour les textes de ce dimanche, mais aussi pour le texte de 1 Timothée du 27° dimanche. Tout comme ce texte dénonce ceux qui croient que, parce qu’ils ont la Bible ouverte devant eux, ils sont sûrs de donner infailliblement la Parole de Dieu. Attention donc ! Ensuite, on remarquera que Amos n’y va pas de main morte, même si ici curieusement, lui, le prophète qui a prêché au Nord, dénonce d’abord la capitale du Sud, avant de s’en prendre aux citoyens de Samarie... Mais il sait que partout (et Jérémie plus tard reprendra le même message) les récipiendaires de l’alliance se conduisent vite en dépositaires et en propriétaires de Dieu.

Au verset 3, il dénonce ceux qui croient possible d’éviter le jugement de Dieu, et qui simultanément commettent ce pourquoi justement ils vont être jugés, comme s’ils étaient fascinés par ce qui les condamne. N’oublions pas, de plus, que si à l’époque où écrit Amos (environ 740) Israël est tranquille, moins de 20 ans plus tard ce sera la déferlante assyrienne après laquelle il n’y aura plus de Royaume du Nord. Amos avait un discernement politi-que et historique extraordinaire (cf. chapitres 1 et 2), et s’il est probable qu’il n’était pas simplement le rude et pauvre berger qu’on s’imagine (7,14), il n’empêche qu’il s’en prend avec une vigueur redoutable au luxe des « bourgeois » de Samarie et de Jérusalem. Il décrit et dénonce avec minutie ce luxe (qui avachit). Cependant, au verset 6c, lire en fait : « Eux qui ne son-gent pas qu’Israël court au désastre ». Et ensuite Amos annonce la déportation (v. 7) et, ici encore, on préférera la traduction de la TOB : « ...Finie la confrérie des ava-chis ! ». Attention cependant, si vous prêchez sur ce texte, à ne pas vous prendre pour Amos ; car comme m’a dit, un jour de ma jeunesse, un vénéré collègue : « Tu m’as fait penser à Amos... talent en moins » ! (Fermez le ban).

AAmmooss 88,,44--7725° dimanche ordinaire

Une belle volée de bois vert comme seul Amos savait les administrer ! Cependant, si vous prenez la peine de lire avec soin cette mercuriale, vous vous apercevrez que les Israélites ici dénoncés, sont des gens fort pieux. Ils res-pectent les repos de la nouvelle lune (néoménie) et du sabbat (v. 5). Ce sont des fidèles habitués des sanctuaires de Samarie, Béthel ou Guilgal (5,4s),... de bons parois-siens (!) heureux sans doute de célébrer, une journée durant, le Seigneur, mais encore plus heureux de bientôt faire des affaires... plus ou moins véreuses. Et au fond d’eux-mêmes, ils disent : « Vivement la fin du sabbat ou de telle autre fête, que nous puissions reprendre nos ventes et nos spéculations... ». Ainsi, ce n’est pas d’abord leur injustice ni leurs exac-tions que le prophète condamne, mais la « dichotomie » de leur conduite : « paroissiens » fidèles le samedi (le dimanche), rats redoutables et exploiteurs ou spécula-teurs durant le reste de la semaine = Aimant Dieu une fois par semaine ; écrasant, volant, réduisant à merci leurs frères durant les autres jours. On relira ici la 1° épître de Jean (4,20) qui se battait encore contre cette même hérésie, cette hypocrisie inconsciente où l’on aime (?) un Dieu inoffensif et lointain, et déteste ou exploite le voisin. Qu’un païen (?) fasse cela n’aurait pas gêné Amos (quoiqu’il dénonce les exactions des autres peu-ples qui, eux aussi, avaient des codes de droit fort stricts ; 1,3-23), mais qu’un adorateur du Seigneur, qui trouve sa fierté à avoir été choisi par ce Seigneur (v. 7), le fasse, est insupportable au prophète. Qu’on se vante d’avoir été élu, d’accord ; mais alors c’est pour vivre toute la se-maine durant, ce que recommande ce Seigneur. Sinon, c’est injurier le Dieu dont on se glorifie. C’est le blas-phème par excellence, plus grave que tous ceux qu’on peut commettre en paroles. Comme on peut le voir, Amos (tout comme Esaïe ou Michée) n’est pas (comme on l’a trop souvent dit) un

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ennemi du culte ; mais au nom du culte même rendu au Seigneur, il rappelle que celui-ci demande qu’on vive du culte toute la semaine, en refusant de voler, d’exploiter, de spéculer. Pour aimer Dieu, il faut respecter les hom-mes. Au fait, que ceux qui se demandent où est l’actualité du verset 6 par exemple, aillent faire un tour dans des ateliers clandestins où certains exploitent à mort des émigrés sans carte de séjour.

MMiicchhééee 55,,11--44aa4° dimanche de l’Avent

Si Juifs et Chrétiens ont été d’accord depuis longtemps pour faire une lecture messianique de ce passage (cf. déjà Matthieu 2,6), les traducteurs doivent avouer leurs nom-breux désaccords et, en tout cas, leurs grandes difficultés à obtenir et à donner un texte vraiment limpide. Cependant, il reste clair qu’après le chapitre 4, où ont curieusement alterné promesses (ainsi 4,1-8 et 11-13) et menaces (sans doute en cours de réalisation : 4,9-10 et 14), vient maintenant une grande promesse que le pro-phète (qui n’ignore pas les fautes de son peuple) rattache à l’indéfectible promesse que le Seigneur a faite à David (2 Samuel 7,16), mais il en profite pour dire que, pour ce Roi-de-paix (Châlôm), nouveau Salomon (jeu de mots avec Châlôm), fidèle cette fois, Dieu va abandonner les palais d’une Jérusalem trop orgueilleuse et revenir aux origines, à la bourgade paysanne (David était simple berger ; cf. ici v. 3 où « paître » = aussi « gouverner ») de Bethléem, pour que naisse celui auquel Dieu pense de-puis l’Antiquité (probablement depuis David). On remarquera... 1) que le mot « roi », désormais déshonoré et dévalué, n’est pas employé. C’est un vrai berger qui doit venir, même si parfois on fait un autre jeu de mots entre « paître » et « détruire » (cf. Psaume 2,9). 2) que l’homme n’est pour rien dans cette nouveauté ; même nouveau, ce berger (v. 3) ne tiendra son pouvoir que du Seigneur. 3) le traitement curieux mais combien riche que Matthieu (aidé par quelques manuscrits de la Septante) a fait subir à cette promesse du v. 1. Il a lu : « Toi, Bethléem Ephrate, tu n’es pas (plus !) le plus minable des chefs-lieux de Juda ». Il a compris que Dieu choisit ce qui est abaissé, et humilie ce qui est élevé (Jérusalem !). 4) le début du v. 4 peut être traduit : – soit « Et lui sera le Châlôm » (ce qui est bien plus que la paix, mais la plénitude, avec un jeu de mots sur Salo-mon qui, d’ailleurs, ne disputa pas de guerre, mais au prix d’apostasies), – soit « Et alors, à ce moment-là, viendra le Châlôm ». 5) au v. 2, il ne faut peut-être pas s’empresser de se rap-procher d’Esaïe 7,14, car ici ce peut être le simple signe de la brièveté de l’épreuve (le temps qu’une parturiente accouche) qui doit précéder le retour des frères (du Royaume du Nord ?) sur la terre d’Israël.

SSoopphhoonniiee 22,,33 ;; 33,,1111--11334° dimanche ordinaire

S’il est bon de recourir en ce dimanche, à ce qu’on ap-pelle (assez malencontreusement) un « petit » prophète, au moins faudrait-il : 1°- prendre des passages caractéristiques autant que clairs. Or, ici, si 2,3 est relativement simple, on ne peut pas en dire autant de ce qui le précède et nécessairement lui donne sa vraie portée ; 2,1 = ? (TOB : « nation sans bonté » ; Segond : « nation sans pudeur » ; littéralement : « sans désir », à la rigueur « sans valeur » ? ; Chouraqui : « non enviée » ; ou « non enviable » – car tu vas être détruite –) ; 2°- se méfier de titres comme celui du Lectionnaire ro-main (ou alors en tirer de vraies conséquences) : « Dieu veut un peuple... petit et pauvre », en n’essayant pas, aussitôt après, de faire grandir de mille manières ce peu-ple que Dieu veut petit. Il serait plus juste d’écrire : « Dieu peut très bien se servir d’un peuple petit » (cf. le texte de 1 Corinthiens de ce dimanche), ce qui est un des messages de Sophonie (c’est vrai) qui est aussi, avec Joël, le prophète du « Jour du Seigneur ». Quant aux « humbles » du pays, il faut encore se méfier. L’humilité, avant que Paul ne la définisse quasiment définitivement en Philippiens 2,3, n’est pas surtout un sentiment, ni même une disposition du cœur, ni même une humiliation devant Dieu faite à grand renfort de confessions des péchés ; c’est essentiellement l’acceptation vraie des autres et de leur place. Mais, en tout cas dans l’Ancien Testament, ces autres ont alors une fâcheuse tendance à reléguer dans les coins obscurs, ceux qui ne veulent pas être leurs adversaires. Et ces humbles, à cause de la volonté de puissance des autres (et en particulier celle que donne l’argent) se retrouvent délaissés et parfois même exclus. Le Jour du Seigneur, annoncé par Sophonie (1,14-18) à l’aide d’images magnifiques autant que terribles, viendra détruire tous ces arrogants, afin, s’il est possible (on aura noté le « peut-être » de 2,3c), de rendre aux humbles la place qui leur revient. En 3,12, on hésitera devant la traduction TOB : « Je maintiendrai... un reste ». Le Lectionnaire catholique est meilleur : « Je ne laisserai subsister... qu’un peuple pe-tit… » ; mais c’est plutôt : « Je l’aurai réduite (Jérusa-lem) à un reste (cf. Esaïe) humble et pauvre..., qui se réfugiera (jeu de mots avec « se confier ») dans le (seul) nom du Seigneur. Ce reste, etc… » (v. 13). Jésus se souviendra, même sans employer le terme, que son troupeau ne sera jamais qu’un reste (parabole du Semeur ; ou Luc 12,32), tandis que Paul non seulement dans 1 Corinthiens, mais surtout en Romains 9 à 10 et encore mieux 11,4-5, fera un usage génial de cette notion de « reste », notion créée (?) par Esaïe.

SSoopphhoonniiee 33,,1144--11883° dimanche de l’Avent

Sophonie est le prophète (1,14 à 2,1, 3,8) du Jour du Seigneur (avec le prophète Joël : 2,1-11, et Amos 5,18-20) qui, le plus souvent, sera plutôt une « Nuit du Sei-

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gneur » (Amos 5,20 et Sophonie 2,15) qui plongera Israël dans les ténèbres... mais parce qu’il l’est déjà, à cause de ses fautes et ne veut pas le voir. Mais les ténè-bres sont précisément ce qu’il est impossible de voir. Ce que tous ces prophètes veulent confirmer dans ces textes est que le Seigneur : a) voit tout ce qui se passe sur terre, dans l’histoire des hommes ; b) que rien ne le laisse indifférent ; c) et qu’un jour viendra (et qui remplacera la grande promesse du Shalom final) où il sévira durement contre tous ceux qui ont failli à leur tâche, en particulier (mais pas seulement) contre Israël qui n’a pas su être le témoin que le Seigneur espérait qu’il fût. Je tiens à le rappeler : les prophètes ont le nez vissé sur les événements. Ce sont des passionnés d’histoire contemporaine, qu’ils relatent avec passion. Cependant, Sophonie, tout comme Amos (chapitre 1), ne dénonce pas seulement Jérusalem la rebelle (3,1), mais la Philistie (2,1ss), Moab (2,8ss), voire même l’Assyrie (2,13ss), car la terre entière (coupable) doit être jugée, punie, sinon consumée par le feu de la passion divine (3,8). Alors, point final ! ? Que non ! Car ce jour de feu n’était finalement destiné qu’à purifier (3,9, « pur », par le biais du latin, provient peut-être du grec « feu ») même ceux qui étaient en Afri-que (la Nubie = le Soudan), à faire disparaître les arro-gants en Israël (3,11) et à dégager un peuple composé de tous ceux qu’on humiliait, en particulier ceux que les richesses (matérielles autant que spirituelles) des autres Juifs repoussaient et faisaient trembler (3,13). Le jour de ténèbres deviendra alors pour eux jour de lumière. Les hommes auront retrouvé entre eux une parole droite et simple, sans arrière-pensée, sans soupçon, sans jugement (v. 13). Et ce « Jour du Seigneur » prouve que le Sei-gneur s’intéresse à tous les peuples. Alors, la joie aura réintégré Jérusalem (v. 14), le rire envahira la ville où le roi ne sera plus simplement un roi habituel, mais ce sera le Seigneur en personne qui régne-ra dans la joie sur sa ville qu’avec amour il aura renouve-lée, en faisant le silence (double lecture de la fin du v. 17) sur les péchés anciens, relégués aux oubliettes de la miséricorde (quant au v. 18...... ?). Il ne faut pas s’étonner de ces « happy end » prophéti-ques (souvent déclarés bien vite inauthentiques, ce qui, de toute manière, ne les empêcherait pas d’être... bibli-ques). Depuis le Déluge (Genèse 9,15), il ne peut plus y avoir de punition sans finalité salvatrice. Le jour du Sei-gneur, comme un terrible orage, précède une aurore nettoyée, apaisée et pleine de promesses. Tout comme Jean-Baptiste précède le Christ.

MMaallaacchhiiee 33,,1199ss33° dimanche ordinaire

J’avoue mon embarras tout d’abord devant le livre de Malachie (ne pas parler de prophète « Malachie » ; ce nom vient d’une erreur de compréhension de 1,1 où le Seigneur parle de son (mon) messager = en hébreu : Mala’acki = mon messager ; c’est un prophète anonyme). Ce prophète, dans une situation de détresse (vers 440),

qu’on ne peut comparer à la situation de Samarie sous Amos ni à celle de Jérusalem lors des ministères d’Esaïe ou même celui de Jérémie, tient un tout autre langage que les prophètes cités ci-dessus. Devant des ruines, mais avec un Temple (bien modeste) tout juste reconstruit, les Israélites : a) sont découragés, b) pensent plus à eux qu’au service divin. Le « messager » du Seigneur va alors les secourir et les secouer. C’est le dessein du livre. Deuxième embarras : le choix du texte de ce dimanche, quasiment amputé de tout contexte qui le rendrait un peu plus intelligible. Je recommande de remonter au verset 13 (de ce chapitre 3) pour comprendre qu’il y a ici une sorte de procès entre les Israélites et le Seigneur. Même ceux qui essaient d’être fidèles (ceux qui « craignent Dieu ») n’y comprennent plus grand chose : malgré leur piété et leurs « bonnes » œuvres, Dieu semble continuer de favoriser les « arrogants » (qui sont peut-être ici les nations environnantes venant, de temps à autre, faire une rapide razzia). Alors le Seigneur ordonne (v. 16) d’écrire un livre où le sort des uns et des autres sera scellé. Et c’est une nou-velle annonce du jour du Seigneur (v. 18-20). Le tri sera fait... mais seulement en ce jour-là (cf. Joël 1 et 2 ; So-phonie 1 ; mais déjà Amos 5,18-20 ; Esaïe 2,6, etc… et surtout Matthieu 13,29-30.48-50). Il n’est guère possible d’en dire plus.

SSaaggeessssee 1188,,66--999° dimanche après la Pentecôte ou 19° dimanche ordinaire

Si je consens à prendre ce texte de la Sagesse (livre que je connais fort mal et comprends encore moins), c’est parce que ce livre, du chapitre 11 au chapitre 19 (dernier chapitre), est un long rappel et une longue actualisation de l’Exode. Il nous montre ainsi que la théologie israé-lite, même récente (environ 50 avant Jésus-Christ !) est avant tout une théologie de l’Exode. Ce que bien des rabbins n’ont cessé d’affirmer. Et particulièrement la nuit pascale dont il est question ici, a eu et a encore, dans la foi d’Israël, la place que la Semaine Sainte a ou devrait avoir dans la foi chrétienne. Il serait bon peut-être de s’en souvenir, afin de ne pas trop mépriser le calendrier israélite, quand les Eglises arriveront enfin à un calen-drier commun. Ici, au v. 6, il est donc question de la nuit pascale (dont le v. 5 nous rappelle qu’elle correspond à la mort des aînés égyptiens, mort présage de celle des armées du Pharaon). « Cette nuit était connue des pères » ; il est indiscutable que le sens premier de cette phrase est celui d’Exode 12,21-27 (v. 23 en particulier), mais ce passage fut vite lu au sens second évoqué en Genèse 15,13 – qui revenait à dire que les patriarches eux-mêmes avaient été mis, 400 ans à l’avance, dans la confidence de l’esclavage et surtout de la délivrance futurs du peuple issu d’Abraham. Toujours cette même théologie finaliste : Abraham a été élu en vue de la délivrance d’Israël et de la Révélation qui sera faite à ses descendants au Sinaï. La fin résout les énigmes des temps intermédiaires.

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On remarquera ici l’interprétation donnée à la mort des aînés égyptiens : c’est le châtiment en retour de la mise à mort des garçons israélites (Exode 1,15-16) dont seul Moïse (« exposé » au Nil, v. 5) a réchappé. Ce qui n’est pas tout à fait juste, il s’en faut, d’après la suite d’Exode 1,16ss. Chacun aura remarqué que ce livre de la Sagesse n’est finalement parent que de loin avec les textes vitriolés de Qohéleth, ou ceux protestataires de Job. La Sagesse s’est ici... assagie.

AAcctteess 11,,11--1111Ascension de Jésus

Une remarque préliminaire que je ne me lasserai pas de répéter : il est bien dommage que l’Eglise d’Occident laisse souvent tomber en désuétude cette fête si riche. On peut incriminer le « rationalisme occidental » (beau cliché !), mais il est vrai que nous avons bien de la peine à voir le Christ s’élever (Actes 1,2.9), puis disparaître. Cependant est-il si difficile de retrouver toutes les pro-messes contenues (ainsi que les avertissements : v. 11) dans ce récit ? Tout d’abord, ce récit de l’Ascension, avec le livre des Actes qu’il inaugure, entend répondre à une angoisse certaine de bien des premiers chrétiens : « Certes, le Christ a été ressuscité, mais depuis longtemps, on ne le voit plus, il a disparu ; et notre salut, notre paix, notre joie n’ont-ils pas disparu avec lui ? Ne sommes-nous pas entrés dans le temps de l’absence du Christ ? ». Cette question s’est posée très vite, car tout le Nouveau Testa-ment témoigne (sauf Matthieu 24,36ss ; et 25,1ss) d’une certitude de bien des chrétiens du retour (mot inadéquat) proche du Christ. Et si Matthieu à cette « absence du Christ », a donné la réponse du Christ lui-même : « Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde » (fin des temps) (28,20), Luc (?), avec le livre des Actes, va faire répondre au Christ : « Je tra-vaille avec vous jusqu’à la fin des temps » ; ce livre n’est pas vraiment le livre des « Actes-des-apôtres », mais des « Actes-du-Christ-par-les-apôtres ». Certes, le salut accompli par le Christ est parfait, achevé (Jean 19,30), mais encore faut-il qu’il soit « transporté », répandu, proclamé jusqu’aux extrémités du monde. Et cela par la bouche et les jambes des apôtres tout d’abord, avant de l’être par ceux qui viendront ensuite. Mais le Christ, pour cette annonce de son salut unique, entend faire confiance à ce qui va s’appeler l’Eglise. C’est pourquoi, première grâce, il se retire, ou plus exac-tement « une nuée vient le soustraire aux regards » – (1,9, cf. note TOB) ; mais ajouter Matthieu 17,5 où c’est d’une nuée que Jésus est confirmé aux disciples comme Fils de Dieu, alors qu’ici une (même...?) nuée le soustrait aux disciples. « Et c’est de la même manière qu’il vien-dra... » (1,11) –. La parenthèse est refermée. Ce qui ne va pas empêcher Jésus d’agir, mais par ces mêmes disciples. Ensuite, autre promesse du texte (v. 4) qui est la pro-messe même du Père : le Saint Esprit (cf. le Paraclet de Jean 14,16ss), l’Esprit qui a animé le Christ, va animer l’Eglise, va l’investir, la « noyer » (v. 5, sens étymologi-que de « baptiser »).

Avec le v. 6, nous avons l’écho : a) de l’impatience de l’Eglise primitive qui voulait que la fin fût proche ; b) de l’erreur qui se perpétuera jusqu’à la fin des temps, avec la confusion du Royaume des cieux avec un royaume à la manière humaine, même si ici, les disciples (tous des Juifs) songent avant tout au simple rétablisse-ment (promis dans tout l’Ancien Testament) du peuple d’Israël dans ses anciennes prérogatives (v. 6), et l’établissement dans celles qu’il se croit promises. Et c’est le premier « savon » passé à l’Eglise : « Cela ne vous regarde pas : a) ni de savoir quand ; b) ni de savoir comment viendra ce que Dieu le Père seul connaît (v. 7) ». L’essentiel, et il faudra vous en contenter, est que vous allez recevoir la vraie puissance, celle de l’Esprit Saint qui inaugurera le temps du « témoignage » (v. 8) ; Jésus donne ici un programme géographique précis auquel les apôtres auront de la peine à se plier (8,1) : Judée, puis la Samarie, puis le « bout » du monde. Après l’énoncé de ce programme (dont le livre des Actes montrera comment il s’accomplit), Jésus disparaît (v. 9). Et comme les apôtres restent le nez en l’air, c’est la ma-gnifique intervention des deux personnages : « Ne restez pas à contempler le ciel ! C’est sur la terre que le travail vous attend ! ». L’Ascension du Christ nous replace à ras du sol !

« Plan » de prédication Comme cette fête est quasiment occultée dans nos Egli-ses (rares sont les paroisses où il y a un culte spécial, pourtant rien ne nous empêcherait de célébrer un culte le mercredi ou le jeudi soir), je me contenterais, à votre place, de prêcher sur le premier texte (Actes 1). Je crois que : a) il vous faut alors, non pas simplement raconter cette histoire, mais aussitôt en communiquer le sens, la place qu’elle nous accorde ; b) dans la première méditation, j’ai donné les éléments suffisants pour une prédication... du moins, je l’espère.

AAcctteess 22,,11--1111Pentecôte

Préambule : Notre ignorance crasse et... chrétienne (ces deux adjectifs sont, hélas, liés) des fêtes juives, prive notre prédication des fêtes chrétiennes d’une sève aussi ancienne que neuve. C’est pourquoi je me permets de vous recommander le remarquable livre de R. Martin-Achard : Essai biblique sur les fêtes d’Israël (Labor et Fides, 1974). Ce livre est épuisé, mais il m’étonnerait qu’il ne soit pas repris, d’autant plus que certaines préci-sions, sinon corrections, devraient probablement y être apportées. De toute manière, essayez de consulter ce livre. Votre compréhension et votre prédication des fêtes chrétiennes en seront, ne disons pas renouvelées, mais au moins vivifiées et certainement élargies. En tout cas facilitées. C’est pourquoi, d’ailleurs, les textes des fêtes chrétiennes devraient (sauf Noël et encore, cf. le Rosh Hashshannah, fête du Nouvel An) comporter les lectures

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des textes des fêtes de l’Ancien Testament leur corres-pondant. C’est clair : ici, l’auteur renvoie, dès le v. 1, « au jour de la Pentecôte » dans lequel il voit un plein accomplisse-ment, un épanouissement ; le texte porte, non le banal : « Quand arriva le jour... », mais : « Lors de l’accomplissement du cinquantième jour (jeu de mots sur « accomplir »), ils étaient tous ensemble au même en-droit » ; non seulement l’auteur entend rattacher la Pen-tecôte à Pâques, comme étant son épanouissement, sa plénitude (Pâques a eu lieu-en-vue-de-la-prédication-aux-nations qui débute à la Pentecôte), mais (tout en montrant que Dieu ne reniait pas là la première Alliance avec ses fêtes, et que simplement il les reprenait, sans les nier, pour les charger d’un sens supplémentaire) l’auteur entendait aussi que ne fut pas délaissée, au moins comme terreau fertile, la fête juive qui est le « modèle » (le « typos ») de la fête chrétienne. Dieu a suivi son calen-drier... même s’il sait parfois s’en libérer. Alors voici, en quelques mots rapides, ce qu’était la Pentecôte juive. Shabu’a ou plutôt Shabu’oth (car c’est le pluriel) = littéralement Septaines = Semaines = (racine homologue) Serments (Exode 34,22 ; Deutéronome 16,10). C’est (historiquement) d’abord une fête agraire (idem pour l’origine de bien des fêtes juives), qui a lieu 7 semaines (« septaines ») après la Pâque ; c’est la fête des (premières) récoltes, fête joyeuse d ‘offrande des prémi-ces de tout ce qu’on engrange (c’est une excellente date pour une Journée d’offrandes, premier témoignage de l’Esprit nouveau qui nous est accordé). Très probable-ment à cause du jeu de mots possible entre : Sept et Ser-ment (sh.b.’) (cf. le livre des Jubilés : l6,10ss, in « Ecrits intertestamentaires »), cela est devenu la fête des « Serments », en particulier de celui de Dieu envers son peuple ; cela nous mène à une fête de l’Alliance de Dieu (depuis Abraham) avec son peuple, voire de la rénova-tion de l’Alliance. Cela semble établi au moins pour 1’avènement de l’ère chrétienne. Le phénomène « d’historicisation » (trans-formation d’un mythe cyclique et agraire le plus souvent, en événement historique, et unique, mais dont chaque année on peut redécouvrir la « présence » ou le « présent » ; ici, un beau jeu de mots en français, à ne pas manquer), a joué à plein d’autant plus que là, une grande partie des (grandes) fêtes « présentait » surtout la sortie d’Egypte et donc Moïse... L’alliance de Dieu avec Abraham n’était citée dans le recueil (liturgique) des Psaumes qu’en 105,9 (cf. v. 42). Etc… Je crois que cet éclairage, moins banal que celui de la tour de Babel (qui est, lui aussi, très intéressant), permet de mieux suivre les v. 7-11 de ce chapitre 2 des Actes. Souvenons-nous de la promesse (serment) faite plusieurs fois à Abraham ; par exemple, Genèse 13,14-17, ou le curieux songe de Genèse 15,12-19 ; en n’oubliant pas que nous sommes nous-mêmes la preuve de la véracité de cette promesse. Ensuite on pourra ajouter (cf. TOB et tous commentai-res) que nous avons ici 1’anti-tour de Babel (Genèse 11,1-9). Cependant Dieu n’intervient pas ici pour dé-truire une unité humaine destinée à le « déloger », mais pour donner aux hommes les prémices de l’unité créée par l’Esprit.

Signalons aussi que le mot (anémos, cf. Jean 3,8) habi-tuellement employé pour « vent », ne l’est pas ici, où il est parlé d’un (grand) bruit et d’un souffle violent. Quant aux langues de feu (cf. Esaïe 6,6s), elles évoquent plus, à mon avis, mais dans un registre apparemment contraire, le geste du Christ (Jean 13,4-10) purifiant les pieds des apôtres pour qu’ils puissent accomplir leur mission dans la poussière du monde. L’Esprit purifie les apôtres avant de les envoyer dans le monde, même si le jeu de mots « langues (de feu) » et « langues (étrangères) » (2,3-4) est indiscutable. Au v. 4, je crois qu’il faut traduire : « Ils commencèrent à parler... », même si la tournure semble donner raison à la TOB : « Ils se mirent à... ». Le v. 13 semble, en effet, prouver que tout n’était pas très clair. De toute manière, a) on citera Galates 3,28 dont ce passage est l’illustration vécue, et b) on insistera sur la nécessité pour l’Eglise de parler la langue de tous, et non pas de faire parler la sienne (le patois de Canaan) à tous. Actes 2,2-4 sera aussi rapproché de l’échelle de Jacob (occasion du rappel de la bénédiction de toutes les tribus de la terre) : Genèse 28,10-32. Avec, là encore, un détour par la... tour de Babel au v. 17 (Babel = aussi en babylo-nien : porte (des dieux)). Enfin on pourra aussi songer à Nombres 11,25ss. En tout cas, rien ne nous empêche de voir dans la fête de Pentecôte, la fête de l’Alliance Nouvelle avec le Christ, que scelle le Saint-Esprit, en faisant de tous ceux qui l’ont reçu, les citoyens... du monde ! On remarquera bien la notation ironique d’Actes 2,7 ; les citoyens du monde ne sont que de ces Galiléens méprisés de tous les vrais Juifs (cf. Jean 1,46 ; Luc 13,1-3... Esaïe 8,23). Mais surtout, pas plus qu’on ne peut oublier la dépen-dance de la Pentecôte envers Pâques, on n’oubliera de parler de l’Esprit comme celui qui n’entend être que le témoin du Christ (cf. l’évangile de Jean 14,26 – c’est la troisième lecture ; 15,26-27 ; très bon commentaire de Pentecôte : 16,13-15).

« Plan » de prédication On l’aura compris, à votre place, je préférerais expliquer, en l’actualisant, le texte classique d’Actes 2,1-21, où je ne manquerais pas de rappeler ce qu’était la fête de la Pentecôte juive, fête de l’Alliance au Sinaï et du don de la Torah, fête de la joie aussi (Deutéronome 16,11 et Jean 20,20), et enfin fête de la pleine naissance d’un peuple. Je n’oublierais pas non plus que la première Pentecôte fut réservée à des Juifs fervents (v. 5), pour bien rappeler que la naissance de l’Eglise n’est pas une mise à l’écart (ni au rencard) du peuple juif comme, trop souvent, nous le pensons. L’Eglise n’est pas née contre Israël mais au sein d’Israël, au cours d’une fête juive, et le sermon de Pierre s’efforcera de le montrer (2,16-20), comme l’accomplissement de prophéties israélites. On en profi-tera pour exhorter fraternellement tous ceux qui sont là : 1°- à mieux retrouver les racines de leur foi : l’Ancien Testament ; 2°- (et ça n’a rien de paradoxal) à mieux cerner et vivre l’envoi de l’Eglise à toutes les nations, en sachant parler

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leurs langues (Actes 2,4.8-11) ; ce qui pose le « problème » (mauvais mot) jamais définitivement réso-lu, de la traduction de l’Evangile, non seulement dans les diverses langues, mais au niveau des cultures. Je me permets de penser que 1’Ancien Testament et son étude nous éviteront une dilution de la Bonne Nouvelle du Christ promis, dans une religiosité générale... autant que fade.

AAcctteess 22,,1144..3366--44113° dimanche après Pâques ou 4° dimanche de Pâques

Encore une lecture à reculons et entrecoupée qui fait bien peu de cas de la peine que l’auteur des Actes a prise pour composer son livre. Tout d’abord : v. 14, c’est plutôt « Pierre éleva la voix... et il proclamait ceci : … » ; puis on nous fait passer au v. 36, où l’ordre de la phrase dans la TOB est nettement meilleur que dans le Lectionnaire catholique ; à peu près littéralement : « Dieu a fait son (sic :) Seigneur et Christ, celui-là, Jésus, que vous, vous avez crucifié ». Rappelons ce que nous avons déjà dit à propos de ce « vous », qui correspond pourtant essentiellement à l’assurance que Jésus est mort pour les Juifs, parce que mort aussi par les Juifs. Au v. 37, il y a un terme très fort, qui montre bien que les Juifs n’ont pas pris ce « vous » comme une accusation sans remède : « Saisis (jusqu’au cœur) par un profond chagrin ». Il ne s’agit pas tant de remords que d’une peine intense devant la mort de celui que Pierre leur annonce comme étant le Messie choisi par Dieu, et même comme étant le Seigneur. Et c’est la question « Que ferons-nous ? », où les auditeurs pensent nette-ment (comme à chaque fois que, dans les évangiles, resurgit cette question) qu’il leur revient maintenant d’agir et d’agir en faveur de celui contre qui, hier, ils se sont opposés jusqu’à participer à son supplice (n’oublions pas que la mort du Messie signifiait, pour les Juifs, leur propre mort comme la mort du dessein de Dieu). Il faut alors comprendre la réponse de Pierre : 1°- comme une mise en garde : il ne s’agit plus d’abord, conformément à votre ancienne mentalité et votre an-cienne manière de comprendre, de faire et encore de faire, mais surtout de quitter cette mentalité et enfin de vous laisser faire ; il s’agit pour vous de changer d’optique, de changer de critères, en un mot de vous convertir à ce nouveau Seigneur qui d’abord fait et se donne. Laissez enfin toute l’initiative à Dieu... et ceci sera marqué, 2°- par ce qu’on peut appeler « l’acte-passif » par excel-lence : le baptême, où l’homme enfin se laisse faire par Dieu (Paul pensera : se laisse mettre à mort et communi-quer la vie nouvelle ; Romains 6), se laisse enfin effacer tout son passé avec toutes ses fautes (v. 38) par le nom et la puissance efficace de Jésus-Christ (mort et ressusci-té) ; un tel homme ainsi recevra, non seulement le par-don, mais encore le don (le jeu de mots n’est possible qu’en français) du Saint-Esprit, don à partir duquel l’homme ne cherche plus d’abord à faire et encore à faire, guidé qu’il est par le Saint-Esprit qui lui apprend en premier lieu la dé-préoccupation de soi (v. 38).

A la question « Que ferons-nous ? » Pierre répond : « Voilà ce que Dieu a fait et voilà ce qu’il va faire pour vous : ce qu’il vous dit et donne dans le baptême ». Puis survient le v. 39 qui aurait dû exclure à tout jamais l’interprétation antisémite des « vous (les Juifs) » des sermons de Pierre. « La Promesse » (surtout garder cette traduction) du Salut est faite : a) pour vous, Juifs, b) pour vos descendants, c) et enfin même pour ceux qui en semblaient très éloi-gnés = ici les « païens » (il vaut mieux dire « non-Juifs ») (cf. note TOB). Mais il est clair que, pour Pierre, le plan salutaire de Dieu passe toujours en priorité par les Juifs (dont, avec les Onze et avec son Seigneur, il est toujours). Au v. 40, après le témoignage de Pierre, on conservera l’ambiguïté du verbe « exhorter », « encourager », « consoler » (cf. v. 27). Le « Sauvez-vous » = aussi bien : « Vous êtes sauvés ». Et, dans ce contexte, conformément à la racine hébraïque, je traduirais plutôt « Libérez-vous (soyez libérés) de cette génération... ». Quant à la génération tordue (atteinte de scoliose !), cela désigne aussi bien ses péchés spectaculaires que sa vo-lonté égoïste et orgueilleuse, tournée vers elle-même. Au v. 40, on notera les deux expressions verbales : « Ceux qui avaient reçu cette parole », et « ils furent baptisés ». On entre dans le nouveau royaume en « recevant » et en étant plongé dans l’eau. Le baptême est bien le sacrement de la gratuité. C’est pourquoi je me refuse à condamner, et même à rejeter, le baptême (pro-messe de Dieu) des enfants.

AAcctteess 22,,4422--44771° dimanche après Pâques ou 2° dimanche de Pâques

Remonter au v. 41 où l’on nous explique qu’après le premier sermon (et non « discours » !) de Pierre, trois mille personnes (toutes juives) ont accepté le baptême et forment ainsi, du moins celles d’entre elles qui résidaient à Jérusalem, la première communauté chrétienne. On peut supposer que Luc (?), qui doit écrire au moins quarante-cinq ans après les événements, connaît des communautés moins « solides » que la communauté primitive, encore sous le choc primordial de Pâques pour ses fondateurs, et de celui de Pentecôte pour ses mem-bres (ne pas séparer les événements : Pentecôte est le témoignage que l’Esprit a rendu au Ressuscité ; il est celui qui a transformé la réalité objective de Pâques en attestation subjective : cf. 2,31-36 et 1 Corinthiens 15,6a). Luc (?) veut probablement insuffler un regain de foi et d’espérance aux communautés qui lui sont contemporaines, et il rappelle sur quoi repose l’Eglise (même si on sait toujours sur Qui !) : v. 42. 1- L’enseignement (la didachê) des apôtres (et non pas l’enseignement des responsables des communautés). En tout cas : a) 1’enseignement restera toujours prioritaire dans l’Eglise. L’Eglise, créée par la Parole (Jean 1), com-mence toujours par des paroles. N’ayez pas peur d’enfoncer ce clou, en cette époque où l’on veut parfois

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communiquer un Evangile sans parole, un Evangile choc émotionnel, ou bain mystique, ou... B.D. (B.D. = aussi ... BonDieuserie !). La foi vient de la Parole (Romains 10,17 : « La foi vient de ce qui est entendu – « prédication » dit la TOB –, et ce qui est entendu vient du discours du/sur le Christ » : ne sont pas distinguées la parole même du Christ et la parole dite à propos du Christ). b) il s’agit (le verbe est fort) de s’en tenir fermement (et pas seulement d’y être assidus : TOB) à cet enseigne-ment. 2- La communion, porte simplement le texte ; tout le monde ou presque ajoute « fraternelle », ce qui n’apporte guère de précision. Je m’interroge pour savoir si le mot n’évoque pas essentiellement le v. 44b, et donc le partage des biens, ou, si ce v. 42 évoque le culte, ce serait la collecte (cf. Philippiens 1,5 ; 2 Corinthiens 8,4) ; mais, dans les deux cas, c’est un partage concret. 3- La fraction du pain : cf. Luc 24,35. Il s’agit, bien en-tendu, de la célébration du repas du Seigneur, non encore désigné (de manière restrictive autant que malen-contreuse) par « Cène (Sainte) » ou « Eucharistie ». Il n’y avait donc probablement pas de culte sans un vrai repas ni sans fraction du pain, ni... sans proclamation de la parole. 4- Les prières : je ne suis pas sûr (contre la TOB) qu’il s’agisse ici de « prières proprement chrétiennes » ; le v. 46b (cité par la TOB) montre au contraire que l’Eglise primitive n’a absolument pas rompu avec les pratiques et prières juives que Jésus a reprises souvent. Que cette Eglise ait aussi trié dans ce trésor ce qui lui semblait pouvoir s’appliquer à la foi nouvelle, c’est évident (cf. d’ailleurs le sermon de Pierre et son utilisation des Psaumes : Psaume 18 = Actes 2,24 ; Psaume 16 = Actes 2,25ss ; Psaume 132 = Actes 2,30 ; Psaume 16 encore = Actes 2,31 ; et surtout 1’énigmatique Psaume 110, qui trouvait enfin sa clef dans le Christ glorifié = Actes 2,34-35). Quant à la crainte du v. 43, elle exprime non pas une peur, mais ce sentiment indéfinissable que l’homme éprouve quand il se trouve devant des événements qui le dépassent, et en particulier si ces événements s’accompagnent, comme ici, de « prodiges » et de « signes », dont on notera bien qu’ils ne font qu’accompagner, en fin de liste, la prédication (v. 42). Aux v. 44-45, il est dit que la première communauté ne faisait qu’Un, et que ses membres n’avaient plus rien qui leur appartînt en propre. Sans doute Luc se trouve-t-il devant des Eglises dont les membres ont retrouvé un sens aigu de la propriété individuelle (et égoïste). Cependant on peut supposer à juste titre que la pratique du v. 45 ne fut pas longtemps vécue, ne serait-ce que pour des rai-sons de commodité. Cependant, il ne faudrait, au-jourd’hui, pas se débarrasser trop vite de ce v. 45 (dont le DEFAP (!) nous rappelle, à sa manière, l’actualité). v. 46 : unanime = excellente traduction. Mais on peut voir (une fois encore contre la note de la TOB) combien la première communauté est restée juive dans ses prati-ques, sinon dans sa foi, même s’il est vrai que les parvis du Temple semblent avoir été un lieu très favorable à l’évangélisation. C’est essentiellement pour la « fraction du pain » que l’Eglise a eu un lieu spécifique. Mais ici, l’Eglise n’est encore qu’une branche du Judaïsme.

(On essaiera de se procurer le cahier théologique n° 31 de Delachaux et Niestlé, 1952 : La vie de l’Eglise nais-sante, de P.H. Menoud).

« Plan » de prédication Autant dans une étude biblique, j’insisterais sur le texte des Actes avec : a) l’enseignement, b) la communion, c) la fraction du pain, d) les prières (sans oublier le diaconat qui naîtra au cha-pitre 6 du « service des tables » et du soutien des veu-ves). Autant pour la prédication, je me « rabattrai » sur Jean 20,19-31, « typologie » du culte chrétien : a) réunion d’hommes peureux (pas difficile de découvrir nos peurs) ; b) présence certaine du Christ, qui déjoue nos fermetu-res, nos murs et nos incrédulités ; c) le Châlom (ou Shâlôm) donné non seulement pour une heure, mais pour toute la vie ; d) le Pardon transmis... (n’insistez pas sur les péchés « retenus » (?)) ; e) le Jumeau (Didyme) = notre jumeau en incrédulité, dont nous pouvons devenir le jumeau en la foi et le par-don.

AAcctteess 55,,1122--11661° dimanche après Pâques ou 2° dimanche de Pâques

Puis-je sincèrement confier que ce texte, tout comme 19,1ss, etc… me laisse singulièrement perplexe ? Non seulement les « gros » miracles paraissent, ici, avoir été la pitance essentielle de la première communauté chré-tienne, mais ces textes me semblent en contrebande avec la discrétion des miracles du Christ, qui, d’après Jean en tout cas, ne comptait pas beaucoup sur la « foi nourrie de miracles » (Jean 2,23-25 ; 6,15, 26-27 ; 20,29, cf. Mat-thieu 12,38ss et Luc 11,29ss). Et si on peut penser que Jésus a accompli une fois un miracle causé par un acte de superstition (Marc 5,28 et parallèles), c’est oublier que ce geste de la femme est un geste profanateur des tabous existants, et dangereux pour elle. C’est même tout le contraire d’un geste de superstition. Inutile de préciser que les guérisons au seul contact de l’ombre des apôtres (v. 15) me semblent, si elles ont eu lieu, avoir alors pour auteur un autre que le Christ. Il y apparaît, en effet, que la première Eglise fut plus forte, plus efficace, plus éblouissante que son Maître. Et comme ce fut, en effet, la tentation constante de l’Eglise (depuis Pierre en Matthieu 16,22ss) : oublier l’échec de la Croix pour réussir là où le Maître avait échoué (relire encore la Tentation du Christ et le « Grand Inquisiteur » des Frères Karamazov), je me demande bien sincèrement si l’Eglise, au tout début, n’y a pas succombé, et si les difficultés qui ne vont pas tarder à suivre et ramener l’Eglise à une plus grande modestie, n’ont pas leur cause ici. Au lieu de courir de victoires en victoires, et de mira-cles spectaculaires en actes époustouflants, l’Eglise ne va pas tarder de trébucher de difficultés en difficultés.

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L’épisode de Lystre par exemple (Actes 14,9-15) semble bien avoir rendu Paul plus prudent, d’autant plus qu’il va manquer d’en mourir (14-19). Si on tient à prendre ce texte (5,12-14) pour « moteur » d’une prédication, on n’oubliera pas de rappeler le texte qui précède et qui, lui, nous ramène sur terre (et même aux enfers !) : « La mort d’Ananias et Saphira » ; on y perdra l’image trop souvent idyllique que les chrétiens se font de l’Eglise primitive, où déjà l’argent et les trompe-ries qu’il engendre, y faisaient leur œuvre mortelle de concurrents du Saint-Esprit (5,9). C’est d’ailleurs, curieusement, lors de cet épisode qu’apparaît, dans le livre des Actes, le terme « d’Eglise », comme pour bien souligner que l’Eglise, ce n’est pas le Royaume (5,11). Même si ses membres y sont unanimes (? littéralement : « d’un même sentiment »). On retiendra cependant du texte du jour, que la première Eglise ne veut pas se séparer du Temple ; elle ne veut pas rompre avec Israël (cf. 3,1-10). C’est Israël qui va rom-pre avec elle (5,17ss). Comme on notera que tout le récit se place sous le porti-que de Salomon qui, quoique considéré comme apparte-nant vraiment au Temple, bordait (à l’Est) le parvis des païens (cf. 3,11). L’Eglise se tient pour l’instant sur la frontière entre Israël et les nations, mais bientôt elle va être contrainte de s’exiler (8,2) jusqu’en Samarie. Et un jour... plus loin !... Jusqu’à nous ! On remarquera, non sans un peu d’ironie, que ce n’est pas volontairement, par exemple à la suite d’un bon (!) synode, ou d’un fumeux colloque que l’Eglise est deve-nue missionnaire, mais parce que les persécutions des hommes l’y ont contrainte. Plus tard, elle comprendra que ces persécutions furent sa bénédiction et sa chance (comme celles du Pharaon envers Israël). Dans le Tem-ple, avec les apôtres et l’aide du Saint-Esprit, elle avait pourtant tous les éléments nécessaires pour faire de la bonne théologie et répondre à la question : « Quel sera l’avenir de l’Eglise ? ». Eh bien non ! Ce sont les événe-ments qu’elle subira qui vont lui indiquer la route à sui-vre. Et, plus tard, elle interprétera la route qu’elle a dû suivre comme celle qu’elle devait suivre.

AAcctteess 55,,2277--33222° dimanche après Pâques ou 3° dimanche de Pâques

S’il est une phrase que les Juifs n’ont jamais admis avoir prononcée, c’est bien celle de Matthieu 27,25 (lors de la condamnation du Christ) : « Que son sang retombe sur notre tête et celle de nos enfants ! ». Plus littéralement : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! ». Au-trement dit encore : « Nous prenons sur nous la respon-sabilité de sa mort, et en assumons les conséquences ». Je ne veux pas entrer dans le débat à propos de l’historicité de cette phrase, mais simplement essayer de cerner ce que Matthieu comprenait en nous la rapportant. Matthieu, le Juif, se souvient ici du Yom Kippour, et sans doute du Royaume de prêtres (ou sacrificateurs !) d’Exode 19,6. Le sang répandu sur le couvercle (kappo-reth) de l’arche, est considéré comme celui que tous auraient dû verser pour leurs fautes ; il devient alors le sang qui recouvre (kipper) les fautes de tout Israël. C’est le sang qui sauve, et en priorité ceux qui l’ont versé. Et

Matthieu voit dans cette phrase, celle qui sauvera en priorité Israël de tous ses péchés, et tout d’abord de celui qu’il est en train de commettre. Ce sang d’ailleurs heu-reusement, sera aussi versé par les Romains, c’est-à-dire par et pour tous les païens présents (et à venir). N’est donc sauvé que celui qui se reconnaît comme meurtrier du Christ, par ses fautes ou ses reniements. Ce n’est pas pour rien que le chapitre 26 de Matthieu se clôt avec le reniement de Pierre... dont il va justement être question un peu plus loin (dans la 3° lecture). Le Christ n’est pas seulement mort pour nos fautes, mais par nos fautes. Ainsi, accepter d’avoir dit : « Que son sang soit sur nos têtes ! », n’est pas seulement accepter d’être coupable, mais surtout accepter d’être sauvé par la mort du Christ dont nous sommes tous coupables. Et accepter d’être coupables de cette mort, c’est ipso facto devenir chré-tiens. Cercle vicieux (ou salvateur) que propose le chris-tianisme au judaïsme. Cercle vicieux que le judaïsme récuse, en refusant toute responsabilité dans la mort (et le salut) du Christ. Cercle vicieux où les Juifs voient un... nœud coulant. C’est clair ici dans l’accusation du Grand Prêtre (v. 28 in fine). La longue complainte d’innocence d’Israël (com-mencée dans les Psaumes) trouve ici sa pleine formula-tion. Et prenons garde à ne pas lui faire la leçon, mais efforçons-nous de bien lire la réponse de Pierre (laissons pour l’instant le v. 29 de côté). Pierre commence par invoquer nos pères (le Dieu de nos pères) pour bien faire comprendre que, pour lui, l’Eglise est la suite légitime d’Israël. Elle a les mêmes pères ; puis il en vient à l’intervention toute nouvelle de ce Dieu des pères : « Il a ressuscité Jésus ». Et il continue : « Ce Jésus que vous avez pendu au bois ». Ce « vous » devenu si malencontreux depuis qu’il a servi l’apologétique chrétienne, en voyant dans les Juifs les seuls déicides, alors qu’en s’essuyant ainsi du sang du Christ, l’Eglise s’esquivait du salut et se replaçait ipso facto sous la condamnation. Mais dans le contexte (surtout après le « nos » pères), ce « vous » s’explique parfaitement. Le Grand Prêtre dit : « Voudriez-vous nous faire croire, en nous prêchant le salut et le pardon des péchés par la mort du Christ, que nous sommes aussi coupables de sa mort (cf. v. 33) ? ». Réponse de Pierre : « Mais oui, vous aussi, vous l’avez crucifié et par là même il vous a apporté, à vous aussi Israël, le pardon des péchés et la possibilité de tout re-mettre en question (= conversion). Nous, désormais, qui avons accepté cela pour nous, nous sommes maintenant des témoins (et bientôt des « martyrs », c’est le même mot : v. 40-41). Et le cercle « vicieux » est à nouveau posé devant le Grand Prêtre et ceux qui l’assistent. On peut en revenir à la phrase du v. 29, dont il ne fau-drait pas croire qu’elle est étrangère à la polémique « Grand Prêtre – Pierre ». En effet, c’est pour le moins une phrase d’inspiration juive. Le Juif laissait faire et même se laissait faire, tant que Dieu, son honneur, sa vérité, sa religion (et son Temple) ne paraissaient pas atteints. Mais (cf. l’époque macchabéenne), dès que l’obéissance fondamentale du Juif était bafouée (l’idole de Zeus dans le Temple, par exemple), alors c’était la révolte ; et cette magnifique phrase n’est pas d’abord celle d’un chrétien à un Juif, mais celle d’un vrai Juif (devenu chrétien) à un autre vrai Juif. Avec le sous-

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entendu : « Tu dois donc me comprendre, quand nous vous désobéissons ! ».

AAcctteess 66,,11--774° dimanche après Pâques ou 5° dimanche de Pâques

Les premières difficultés de l’Eglise, et dans l’Eglise, commencent ; à dire vrai elles ont débuté avec la célèbre et triste histoire d’Ananias et Saphira (5,1-11), qui a non seulement correspondu aux deux premiers décès dans l’Eglise, mais aussi à la mort de l’Eglise utopique, comme de bien des illusions chrétiennes. Les récits (cha-pitres 5 et 6) jettent une lumière critique sur la descrip-tion des débuts idylliques de l’Eglise et son ambition d’établir, au milieu des communautés humaines limitées et pécheresses, une sorte de communauté tout à fait nou-velle d’où seraient bannies les erreurs humaines, et qui serait comme la présence réelle (et éblouissante) du Royaume parmi les hommes, qui, en voyant l’Eglise, auraient quasiment été contraints de confesser son carac-tère divin (cf. Matthieu 5,16). C’est important à relever, car cette nostalgie (et le décou-ragement qu’elle sécrète) de l’Eglise « utopique », n’a jamais cessé. Et, il n’y a pas si longtemps, elle a exercé des dégâts dont nous n’avons pas encore bien mesuré l’ampleur. Ici, ça se met à « râler » (v. 1 : toujours ce verbe combien ecclésiastique : bougonner, marmonner ; Luc 5,30 ; Jean 6,41.43.61 etc…) ; et curieusement, non pour un « problème » théologique, mais à propos de ce qu’on appellerait aujourd’hui un « problème » diaconal. Les « Hellénistes » (« frères de langue grecque », met astu-cieusement le Lectionnaire catholique) s’aperçoivent (ou « croient s’apercevoir ») que « leurs » veuves sont désa-vantagées lors de la distribution de la nourriture qui semble bien avoir accompagné le service cultuel (quoti-dien). La suite laisse bien supposer que c’était les apôtres eux-mêmes ou des amis juifs (frères de langue hébraï-que : Lectionnaire catholique encore) qui commettaient cette injustice (selon les uns) ou s’abandonnaient à cette faveur (pour les autres). On remarquera alors que les deux premiers « problèmes » que rencontra l’Eglise primitive furent deux vrais problèmes, je veux dire par là des problèmes « concrets ». Et non pas des problèmes abstraits de théo-logie... Ils viendront, eux aussi, qu’on se rassure (cf. 15,5ss) ! Et on remarquera encore qu’aussitôt, on convo-que une assemblée plénière (en fait, le premier concile, et non celui du chapitre 15) pour résoudre la difficulté. Cela ne traîne pas ; les apôtres se souviennent de Moïse (Exode 18,21-23) qui « se crevait » seul à la tâche, et auquel son beau-père (païen mais sage) conseille de se faire assister par des hommes de valeur, mais subalter-nes. Les apôtres vont alors proposer d’être assistés par sept personnes (qu’on nommera plus tard « diacres » ; ici, au v. 2, le verbe désigne l’action du « service » des tables accompli jusqu’alors par les apôtres et, au v. 4, il désigne le service de la Parole par ces mêmes apôtres. Et profitons-en pour remarquer que, malgré Etienne et Phi-lippe, le mot « diacre » n’est jamais employé dans les Actes).

En tout cas, les Douze proposent sept Hellénistes que l’assemblée s’empresse d’élire. Et le problème aussitôt posé, fut aussitôt résolu. Puis-je remarquer que les Douze : a) dont Jésus (dans Jean 13) voulut être le serviteur très humble, b) semblent manifester un léger (?) dédain aristocratique envers les tâches dites diaconales dans l’Eglise... (v. 2) ? Cela n’a pas changé ! c) Et, déjà, les ministres de l’Evangile semblent devenus gens pressés… Il faut dire qu’au rythme de trois mille conversions par sermon… (cf. v. 7). Si nous pouvions avoir la même excuse !

« Plan » de prédication Je m’autoriserais à mêler les trois textes sous la rubri-que : « Misère, grandeur et diversité de l’Eglise ». Misère – Actes 6 : des ségrégations culturelles resurgis-sent quasiment aussitôt après la naissance de l’Eglise (trop édénique, décrite plus haut), ségrégations typiques de toutes les autres. L’Eglise n’en est pas à l’abri. Elle est vite contaminée par ces tentations de rejet... mais on soulignera alors la rapidité du règlement. Il faut dire qu’à l’époque, on n’ergotait pas sur des virgules. On souligne-ra, au passage, que c’est en ayant recours à Moïse (Exode 18,13ss) que la solution est découverte, même si parfois il nous faut inventer. Grandeur – 1 Pierre 2 : Dieu qui construit son Eglise avec les pierres délaissées par tous les « grands architec-tes et bâtisseurs » (cf. 1 Corinthiens 1,26), et qui fait de chacune d’elles une pierre « vivante », et une pierre qui permet à l’édifice de grandir et de tenir. On relèvera bien l’alliance de mots des v. 4-5 : pierre(s) vivante(s), avec le passage de Jésus-Christ aux chrétiens, et donc de celui de la prêtrise du Christ à celle de l’ensemble des chrétiens. Mais la pierre de faîte est Jésus-Christ lui-même et lui seul. Diversité – Jean 14 : toutes les pierres ne sont pas taillées de la même manière, ni placées au même endroit : « Il y a (et il le faut) beaucoup de sortes de pierres pour cons-truire la maison de mon Père » (cf. v. 2). D’ailleurs, Actes 6 en avait fourni un premier exemple avec la « naissance » des diacres, même si les ministères ne vont pas être étanches (cf. le « sermon » d’Etienne en Actes 7). Insistez, face aux sectes, sur la promesse qu’il y a beaucoup de demeures, de pièces, d’appartements dans le Royaume qui n’a rien pourtant d’une H.L.M. ; et qu’il y aura beaucoup de gens... même ceux des sectes !

AAcctteess 77,,5544--6600 ;; 88,,116° dimanche après Pâques ou 7° dimanche de Pâques

L’auteur inaugure ici un genre dont il ne se doutait certes pas de la fortune ultérieure : le genre hagiographique, et des « vies des Saints et Martyrs » qui ont envahi la litté-rature édifiante des Eglises. En effet, le malheur a voulu qu’on lise mal (ou en tra-vers) le « martyre d’Etienne », qui occupe (ou plutôt dont les paroles occupent) tout le chapitre 7 du livre des Ac-tes. Et qu’il vaut de rappeler en quelques lignes : Etienne a tracé à grands traits l’histoire du salut depuis Abraham,

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et note que les frères de Joseph l’ont jalousé et vendu (7,9). Il rappelle le pardon de Joseph envers ses frères (7,13). Puis c’est le « geste de Moïse » qui, en particu-lier, est repoussé par ses frères alors qu’il voulait les défendre et ensuite les réconcilier (7,24-28). Comme Joseph, Moïse revêt ainsi, dans ce sermon (et non dis-cours !) d’Etienne, les traits futurs de Jésus (versets pré-cédents + v. 35 qui souligne bien que c’est le Moïse-rejeté-par-les-hommes, qui devient chef et libérateur). En v. 39, la rébellion et le refus des Israélites sont bien soulignés, tandis qu’en v. 42-43 sont mis en cause (à l’aide de l’Ancien Testament) les sacrifices. Une autre allusion au tabernacle-temple errant, va servir à mettre en cause le Temple, superbe mais figé de l’époque, où le Très-Haut n’habite plus (v. 44 et 49), malgré les Israéli-tes qui croient le détenir à demeure et qui ne l’ont pas reconnu quand il est venu (en Christ) parmi eux. Donc, depuis toujours, le peuple élu et circoncis, se conduit en peuple incirconcis et rebelle (v. 51-53). Ainsi tout le sermon d’Etienne va consister : a) à dégager les grandes lignes de l’Ancien Testament : Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Moïse (et sa contre-image, le Pharaon), Aaron, David, Salomon (et les pro-phètes, v. 32) sont nommés essentiellement pour montrer que déjà les Israélites de toutes les époques se sont oppo-sés à eux (cf. la trame empruntée par Paul en Romains 9-11) ; b) en une interprétation, tout d’abord christologique de l’histoire sainte, et ensuite parénétique de cette même histoire : « Ceux qui, tout au long, se sont opposés au plan de Dieu, c’était déjà vous et vous avez recommencé, et vous allez recommencer » (cf. parabole des vigne-rons : Matthieu 21,33-39). Avant d’en faire une arme antisémite, souvenons-nous que, si Etienne est très certainement un des Hellénistes (cf. son nom grec), ceux-ci étaient des Juifs de culture grecque ; c’est donc un Juif qui parle à son peuple ; de plus, il faudrait ne pas oublier les atrocités que les chré-tiens se sont avérés capables de commettre, même entre eux. Encore aujourd’hui (cf. l’Irlande du Nord). La deuxième partie du récit, celle que nous devons étu-dier, est aussi christologique, c’est la passion d’Etienne, mais référée à celle du Christ ; Etienne aperçoit (en vi-sion, v. 56) la gloire de Dieu, et le Fils de l’Homme debout à la droite de Dieu : cf. Luc 23,46 (v. 59) et Luc 23,34 (v. 60). Et garder ici la vieille traduction Segond : « Il s’endormit » (sans addition). On notera que, sans être un double (ne serait-ce que par ce dernier détail) de la Passion selon Luc, celle-ci y res-semble fort ; il est clair que l’auteur veut ici renvoyer à celle du Christ pour en montrer la pérennité sinon l’actualité (on pensera à Colossiens 1,24 et Actes 9,5). Mais puisqu’on en vient à Paul, il ne faut pas oublier 8,1 ; voir peut-être le 7,58, où il y a le terme « témoin » qui va bientôt signifier, chacun le sait, « martyr » (Apo-calypse 2,13). Car le témoin Paul sera un jour le martyr Paul. La mort du « grand » Etienne va donner naissance au « grand parmi les grands » : Paul… avorton gracié (1 Corinthiens 15,8). On songera à « La Puissance et la Gloire » de Graham Greene, et mieux encore au film de J. Ford « Dieu est mort ».

AAcctteess 1100,,3344--3388Baptême du Christ

Le « impartial » de la TOB au v. 34 (au lieu du vieux : ne fait acception de personne) ne me paraît pas heureux. C’est plutôt « Dieu ne regarde pas au masque » (que tous nous portons, à cause de notre milieu, de notre religion ou encore de l’apparence que nous voulons nous donner) = « Dieu voit, en tous les hommes quels qu’ils soient, avant tout essentiellement des hommes ». C’est Galates 3,28 : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec ; ni esclave ni maî-tre ; ni homme ni femme ». L’Eglise est la fin des mas-ques et des classes (à méditer par ceux qui ont des ten-dances cléricales trop marquées). Cf. ici la phrase riche, autant affirmative que nuancée, du v. 36 : « Si (Dieu) a envoyé son message aux Israélites, ce message (cette parole, littéralement) est (désormais) l’Evangile de la paix (accomplie) par Jésus-Christ, lui qui est le Seigneur de tous les hommes ». Dieu n’est donc pas « impartial », ce qui fait trop songer à une justice impassible, impavide, abstraite et aveugle, mais il aime tous les hommes, pour leur assurer qu’il est en paix avec eux, et qu’ainsi ils peuvent vivre en paix avec lui (Romains 5,1, qu’il faut lire avec bien des ma-nuscrits : « Vivez donc en paix avec Dieu »). Car le plaisir de Dieu se trouve « dans ceux qui le res-pectent et pratiquent la justice (qu’ils ont reçue) » (v. 35). Il n’est pas dans les cérémonies fastueuses, les rites pompeux, les sacrifices que lui présenterait le seul peuple élu, mais, répétons-le, dans ce simple respect auquel accède n’importe quel homme qui veut vivre de la justice du Christ. On aura tout bénéfice à décortiquer ensuite une des plus anciennes formulations de la foi chrétienne (que person-nellement je n’hésiterai pas à faire remonter à Pierre lui-même), celle des v. 37-43, introduite par un tonitruant : « Vous le savez » = Voilà ce qu’il vous faut savoir... et confesser et proclamer (v. 42 : le fameux « kérygme »). Enfin, à la lumière de ce qui a été rappelé au v. 36 : la parole de la paix a été confiée à Israël, ce n’est pas tri-cher que traduire le « ils » du v. 39 par « on », ou « nous tous ». Pierre est un Juif, mais pas un antisémite, il ne faudrait pas l’oublier.

AAcctteess 1133,,1144..4433--55223° dimanche après Pâques ou 4° dimanche de Pâques

Dans la première partie du chapitre 13, qu’il sera bon de relire pour soi, afin de mieux découvrir la charnière, Paul a fait un « sermon » (dans la synagogue : 13,14, d’Antioche de Pisidie) qui, comme celui d’Etienne, consiste en un long rappel de l’histoire du salut : sortie d’Egypte, séjour au désert, entrée en Canaan, les Juges, Samuel, Saül, David (v. 17-22), tout y passe et nous donne un excellent exemple de cette efficace catéchèse primitive que nos sciences dites humaines et nos abstrac-tions méprisantes de l’Histoire (j’allais oublier nos des-sins) ont piteusement remplacée. Il est vrai qu’il parle à des Juifs. (Ne faudrait-il pas, en tout premier lieu, re-prendre au catéchisme cette première histoire du salut ?).

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Paul n’oublie pas, bien entendu, d’en arriver à Jean-Baptiste dont il rappelle bien qu’il savait et confessait qu’il n’était lui-même pas le Messie. Puis Paul se tourne vers les Juifs et les sympathisants (les craignants-Dieu, v. 26) et en arrive à la parole de salut (adressée à Nous) = la mort et la Résurrection du Christ. Il fait d’ailleurs un partage équitable dans les responsabi-lités de la mort du Christ. Les chefs juifs ont condamné un innocent : Jésus, que Pilate a fait ensuite périr. Puis Paul attribue l’ensevelissement du Christ aux chefs juifs (v. 29 ; est-ce en bonne part [cf. Jean 19,38] ou en mau-vaise part ? Les deux interprétations se défendent). Mais Dieu l’a ressuscité et nous en témoignons (v. 31) ! Après cet exposé (que j’ai rappelé pour montrer combien le christianisme, comme le judaïsme, est accroché à l’Histoire et à une histoire en particulier, car cette his-toire est l’essentiel de la Bonne Nouvelle : v. 32), Paul va donner une interprétation de certains versets de la Torah, qui annonçaient la messianité du Christ, voire son irré-versible Résurrection (v. 32-36), en montrant que ces versets ne pouvaient s’appliquer à David, mais donc seulement au Christ (v. 37). Ensuite Paul quitte le plan de l’histoire du salut, pour affirmer que la Torah ne pouvait pas procurer une vraie justice ni un vrai pardon à ceux qui voulaient la suivre (v. 38-39), et alors sa prédication se fait avertissement en rappelant que seul l’orgueil de l’homme (qui tient à se justifier par ses propres forces) l’empêche de recevoir ce salut gratuit, mais urgent (v. 40-41). A cette première « audition » du Kérygme chrétien : histoire ; pardon gratuit ; avertissement urgent, beaucoup de gens sont « séduits » par la grâce de Dieu (v. 43). Mais le sabbat suivant (v. 44), c’est une autre affaire. Les Juifs voient un dilemme là où Paul avait vu (cf. épître aux Romains, chapitres 3 et 4) une continuité et un ac-complissement tout en sachant que l’homme, au lieu de recevoir la Torah d’un cœur simple, y voyait souvent (ce fut sans doute son « expérience » à lui) le moyen de son auto-affirmation (et la Torah, sainte, juste et bonne est alors transformée par l’homme en instrument de mort et de déchirements : Romains 7). Dans cette prédication de l’Evangile, les Juifs voient une opposition, une rupture (v. 45) avec la Torah. C’est alors qu’a lieu le grand tournant du ministère de Paul, qui sera confirmé plus loin (15,7-11, 22, 36, avec une querelle digne de nos Eglises contemporaines : v. 39) : Paul (et Barnabas, mais cf. 15,39) va se consacrer essentiellement aux non-Juifs. Bien remarquer que ce sont les Juifs eux-mêmes qui ont amené, par leur refus, l’annonce de l’Evangile au monde ; ils ont été, en disant « Non », les propagandistes involontaires de la Bonne Nouvelle, qu’ils auraient dû être en disant « Oui ». On peut parcourir les chemins de Dieu en marchant à recu-lons (même s’il vaut mieux les suivre volontairement), mais jamais on ne s’en écarte. C’est ce qui amènera Paul à écrire le chef-d’œuvre de Romains 9-11 (chapitres probablement à l’origine de toute l’épître). Et la joie préparée pour les Juifs va devenir celle, plus grande encore, des non-Juifs (délivrés de toutes leurs croyances asservissantes : v. 48 et 52), eux aussi « destinés à la vie éternelle » (v. 48) ; après avoir remar-qué le rôle néfaste ici joué par des femmes de haut rang attirées par la religion juive (v. 50), on s’apercevra que la

persécution, loin de museler l’Evangile, va en favoriser la dissémination. Rappelons enfin que le geste du v. 51 n’est pas d’abord un geste de mépris, mais la confirmation : « Vous n’avez pas voulu nous recevoir ? C’est bien ! Mais nous n’emporterons rien qui vous appartienne. Gardez tout, même notre poussière » (Luc 10,11).

AAcctteess 1144,,2211--22774° dimanche après Pâques ou 5° dimanche de Pâques

Paul et Barnabas continuent leur périple, après avoir manqué d’être adorés comme des dieux (à leurs cœurs et foi défendant : 14,11-12) ; au moins Paul a été lapidé, mais il en a réchappé de justesse, et les deux compères descendent à Derbe, puis repassent à Lystre, Iconium et Antioche de Pisidie (prendre ici une carte de l’Asie Mi-neure). Arrivés à Antioche, ils renforcent, par leur prédi-cation, le courage (la psyché, en grec) des disciples, qu’ils invitent, encouragent et exhortent à bien approfon-dir leur foi (mot à mot « (s’)établir dans la foi ») : au v. 22, il est net que le mot « foi » commence ici à désigner le contenu plutôt que le « mouvement » de la foi... Rien de plus normal, à la condition que le contenu (la confes-sion) de la foi ne remplace jamais son mouvement, sa « dynamique » ; quoique la suite du récit démontre com-bien, pour Paul et Barnabas, cette dynamique l’emportait encore. En effet, le résumé de leur prédication tranche avec ce qui a précédé : affermir, encourager, consoler... car cet encouragement et cette consolation reviennent à dire : « Il nous faut, avant et afin de parvenir au Royaume de Dieu, traverser beaucoup de détresses... ». Curieux encouragements et curieuses consolations que ceux-ci, qui cependant rappellent les nombreux : « Il me faut... » de Jésus (Matthieu 16,21 et parallèles, etc… et on relèvera en particulier le merveilleux Luc 19,5...) où celui qui ne devrait pas connaître la nécessité, les « il faut », s’y soumet, comme nous nous y sommes soumis, mais afin que nous puissions nous affranchir de certaines (pas encore de toutes) nécessités : la peur des détresses, par exemple, même si, loin d’être libérés de ces derniè-res, nous devons (ou devrions ?) en connaître plus en-core. En tout cas, ces « détresses » étaient « monnaie cou-rante » pour les chrétiens d’alors (cf. épîtres de Jacques, de Pierre, de Paul... l’Apocalypse ; à les lire, il semble bien que l’Eglise d’alors courait d’épreuves en épreuves) (v. 22). Après cette rude et ferme prédication (loin d’être à l’eau de rose), les deux comparses distinguent dans chaque Eglise, des Anciens (il est probable qu’il faut compren-dre qu’ils confirment dans leurs fonctions ceux que cha-que Eglise avait nommés à sa tête ; il me semble, en effet, qu’il s’agit plus d’une approbation-confirmation que d’un choix autoritaire : le verbe signifie « lever la main pour approuver »). Cette nomination (?) prouve en tout cas que, dès le début (surtout à cause des passages éclairs de Paul), l’Eglise eut besoin d’autorités (avec a minuscule !) pour empêcher les dérives et pour se savoir responsable de tous. On n’oubliera pas, de plus, qu’on ne disposait pas encore du Nouveau Testament, mais de la seule Torah, qui risquait d’entraîner ses lecteurs vers un légalisme mortel (ce n’est pas pour rien que l’épître la

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plus violemment antilégaliste : l’épître aux... Galates, fut assez probablement adressée à ces Eglises). Au v. 23, on lira plutôt qu’ « ils confièrent » : « Ils remirent au Sei-gneur ceux qui avaient cru en lui ». Certes, il est probable que les Actes n’entendent pas faire une biographie précise et minutieuse, mais je suis cepen-dant ébahi par la « rapidité » de l’apôtre qui crée (ou le Seigneur crée par lui) des Eglises, enseigne, nomme, prie, jeûne et part en disant au Christ : « Maintenant je te les remets... ! ». Et... « Au revoir, les amis ! ». Notre familière prudence missionnaire « en prend un coup » sérieux (v. 23). Pour la suite (v. 24-25), on reprendra la carte, et on cons-tatera le retour à la case-départ : Antioche de Syrie (cf. 13,2-3). On notera avec un sourire que, si en 13,2, il est question de Barnabas et Saul (idem en 13,7), il semble bien qu’à partir de 13,13 (et peut-être 13,9), il soit ques-tion de Paul et Barnabas, ce qui sera plus clair en 15,36-40, où l’on assiste à l’un de ces conflits de personnes qui me tranquillisent à propos de l’Eglise contemporaine. En tout cas, pour l’instant, les deux voyageurs (de l’Evangile), après avoir bien rempli leur mandat (v. 26), viennent raconter à l’Eglise réunie (littéralement « synagoguée » !) par eux, « ce que Dieu a fait avec eux » ou « avait fait en les accompagnant ». C’est la belle image de la porte de la foi que Dieu a ou-verte aux non-Juifs (v. 27) ; la cité de Dieu n’est plus close en citadelle sacrée et interdite, en ghetto replié sur lui-même, mais elle est ouverte à tous vents (même ceux de doctrine !). La cité de Dieu accepte désormais le ris-que des « courants d’air » où il faut savoir prendre le risque de s’enrhumer. Elle devient ce « moulin » dont nous avons souvent si peur. C’est que l’Amour de Dieu est lui-même ouvert. Dieu se risque, lui aussi, à prendre froid ! Que nos Eglises aux portes de prison, si souvent closes, avec des gros clous (pas seulement matériels) rébarbatifs, en prennent ici un peu de... graine ou de « semences », si on me le permet. Pardonnez-moi aussi si je dis qu’il faut cesser de donner à nos Eglises l’allure de « maisons closes » avec des clients attitrés, afin de les ouvrir à tout venant !

AAcctteess 1155,,11ss..2222--22995° dimanche après Pâques ou 6° dimanche de Pâques

Je voudrais regretter la disparition du mot « Synode », voire « Concile » (de Jérusalem) pour la description de l’événement décrit ici, ne serait-ce que pour remarquer que ce n’était pas le calendrier (et sa Loi) qui décidait de Synodes cycliques, mais les événements et en particulier les événements graves. Nous y reviendrons. Remarquons qu’ici se clôt une parenthèse (avant que s’en ouvre aussitôt une autre), celle d’Actes 2ss (relayée en 6,1-6), où l’Eglise strictement judéo-chrétienne et même « hiérosolomytaine », a commencé à éclater en se tournant, dès la Pentecôte, vers ceux des Juifs qui n’avaient pas connu le Christ, puis bientôt, plus ou moins volontairement, vers les « non-Juifs » (on abandonnera ici sans remords le terme de « païens ») : Actes 8,10 ; 11 ; 13... Mais l’Eglise devient malade de son succès... Il

lui est difficile d’avaler ou d’intégrer les « non-Juifs ». En effet, comme leur Maître le pensa (Matthieu 15,24-28), les membres de la première Eglise ont songé, non pas qu’il fallait exclure les non-Juifs, mais qu’il fallait avant tout convaincre « les brebis perdues d’Israël », même si elles étaient singulièrement rétives. Il faudra que les plus rétives d’entre elles boutent l’Eglise judéo-chrétienne hors de son territoire, pour que les premiers chrétiens se tournent alors vers les « non-Juifs ». Mais les premiers chrétiens étaient, à dire vrai, des ju-déo-chrétiens dont beaucoup, étant donné par exemple qu’ils s’adressaient aux seuls circoncis et l’étaient eux-mêmes, n’avaient pas encore songé à ce qui séparait le judaïsme du christianisme, sinon sur le plan objectif, la seule reconnaissance du Messie-Jésus crucifié et ressus-cité. Là était la seule rupture repérable. Ils pensaient que le christianisme était simplement le judaïsme arrivé à sa plénitude avec le Messie-Jésus ; mais pour eux il n’y avait aucun changement (ou fort peu) dans leur relation à la Torah, dans leurs pratiques (ils vont fidèlement au Temple et respectent rigoureusement les rites israélites), et même dans leurs relations... et leur peu de considéra-tion envers les non-Juifs (cf. Pierre et Corneille). Il n’y avait pas non plus un changement existentiel dans leurs relations avec Dieu. Pour eux, le christianisme était seu-lement le fin du fin du judaïsme. Arrivent alors : la persécution de l’Eglise (Actes 8,1-4) ; l’évangélisation de la Samarie ; l’histoire de l’eunuque éthiopien (deux fois disqualifié : 8,26ss) ; la conversion de Saul quoique, répétons-le, il n’ait, à ce moment-là, découvert seulement que le Christ était bien le Messie (9,22). Le virage difficile va commencer (d’après les Actes en tout cas) avec Pierre et Corneille (chapitres 10-11) ; puis avec la fondation de l’Eglise d’Antioche et un succès foudroyant de l’Evangile auprès des Juifs d’alors (11,19) ; puis inopinément auprès des Grecs (11,20), qui, à mon avis, ne sont pas à confondre ici avec ces fameux Hellénistes (devenus souvent les bouche-trous de nos ignorances). Les vrais Hellénistes me semblent d’authentiques Juifs, voyageurs impénitents (sans oublier qu’on voyageait plus souvent en ce temps-là qu’au XIX° siècle !), mais surtout, plus inspirés par la Septante que par le texte hébreu de la Torah (qui n’est pas encore le Texte Masso-rétique). Peut-être étaient-ils laxistes dans leur applica-tion de la Torah, mais sans doute plus... « poètes » dans son interprétation. En revanche, je crois qu’ici il s’agit de vrais Grecs, ou au moins de vrais non-Juifs (!). La TOB me semble commettre une curieuse inconsé-quence. En 6,1 (note k), elle montre (?) que les Hellénis-tes sont des Juifs nés hors de Palestine ; or, en 11,20 (note o), elle dit que les Grecs dont il est alors question sont des Hellénistes (?). Puis dans la note q (v. 21), elle remarque que la « conversion des... païens (et ici elle a parfaitement raison, car la suite qui nous décrit une Eglise réjouie et bouleversée, montre qu’il ne s’agit pas de Juifs) attire l’attention (c’est peu dire !) de l’Eglise de Jérusalem ». Celle-ci délègue alors Barnabas qui va chercher Saul en renfort. Ils travaillent ensemble un an, et les problèmes vont alors commencer. On remarquera encore que c’est alors, précisément, qu’on croit bon d’inventer le nom de

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« chrétiens » (11,26) pour les adeptes de cette nouvelle religion (donc la rupture est commencée). Ceci corres-pond vraiment à une nouvelle identité, un nouveau rap-port avec Dieu, une nouvelle compréhension de la Torah, etc… On comprend alors la nécessité, pour cette « nouvelle » manière de recevoir le Christ, de mettre à part Barnabas et Paul (13,1) qui, dans Chypre, commencent certes par les synagogues (13,4), non sans manquer de convaincre le proconsul « païen » par la confusion (et la cécité) d’un Juif magicien (13,11-12). Idem à Antioche de Pisidie où il y a la fameuse charnière de 13,46-48, après que les Juifs, malgré une bonne volonté première, les eurent rejetés. Avec la rupture de 11,5, la grande aventure de l’entrée des non-Juifs dans l’Evangile va commencer, ainsi que tous les problèmes nouveaux qui vont se poser et contraindre toute l’Eglise à se repenser... quasi totale-ment. On me pardonnera ce panorama que certains trouveront (légitimement) superflu. Mais trop souvent ce fameux Synode de Jérusalem vient un peu comme un... cheveu sur la soupe, alors qu’il est clair que c’est Dieu qui, à l’aide des questions posées a) par le refus des Juifs, b) par l’ouverture des non-Juifs à l’Evangile, amène l’Eglise à tout remettre en chantier. Et certains de ses membres (influents sans doute, cf. v. 29) vont, bien entendu : a) à la chasse au succès ; b) s’occuper de ce qui ne les regarde pas ; c) imposer leur conception du salut, avec toujours la même argumentation : « Si (vous ne...), vous ne serez pas sauvés » ; ils montrent ainsi que ce sont eux, les vrais ennemis du christianisme, ceux de l’intérieur et qui, depuis 2000 ans, corrompent le message du Christ avec leur salut au mode conditionnel (15,1-3). Naît alors le premier ordre du jour (doctrinal et éthique) du premier Synode : « Les non-Juifs peuvent être des chrétiens à part entière ». Oh, certes, il y a bien encore des « exigences inévita-bles » (ou nécessaires ou... « fatales ») : l’interdiction des viandes sacrifiées dans des cultes idolâtres, celle du sang (le tabou du sang déjoué par Jésus – Marc 5,25ss – est restauré, probablement à cause des libations de sang qui ont semblé attenter à la Cène… mais tout ne pouvait pas se faire en un seul... Synode) et la « porneia » (pas la peine de traduire), qui accompagnait certains cultes païens (mais cf. 1 Corinthiens 10,6-8). Mais, quand on connaît Jacques, on se dit qu’il lui a fallu un vrai « tremblement de terre » pour en arriver là.

RRoommaaiinnss 11,,11--77Dans ce passage très controversé on remarquera : a) qu’en fait il n’y a qu’une seule phrase ; b) que Paul y a intercalé (v. 2-5) une confession de foi (qui pourrait être romaine) ; c) que le message contenu correspond étroitement à son dessein ;

d) qu’il commence (presque) avec « Christ-Jésus » et finit avec « Jésus-Christ ». Celui-ci est l’Alpha et l’Oméga de l’histoire du salut. v. 1 : « Ayant reçu vocation d’apôtre » : d’habitude « appelé apôtre », mais le verbe « appeler » est trop fai-ble (cf. v. 6 et 7). On notera que cela correspond, au v. 7, à « ceux qui ont reçu vocation de chrétiens ». « Mis à part » : terme parent du mot « établi » du v. 4. Ce n’est probablement pas fortuit : Dieu a mis à part le Christ qui a mis à part les apôtres. L’établissement de Jésus comme Fils, entraîne l’institution des apôtres. « En vue de l’Evangile » : plutôt que « pour l’annonce de l’Evangile », traduction trop restrictive ; l’Evangile est plus large que la prédication. L’annonce de l’Evangile est encore l’Evangile, la preuve en est les Actes des apôtres (et les épîtres). v. 2 : « Les Saintes Ecritures » : seul emploi de cette expression dans le Nouveau Testament ! Cf. Romains 7,12. v. 3 : « D’après la chair » : et non « selon la chair » ; comprendre donc « si l’on s’en tient à la chair », c’est-à-dire à ce que l’homme naturel peut comprendre... Et pour la suite « si l’on s’en tient au Saint-Esprit... », c’est-à-dire à ce que Dieu nous a révélé... Descendant de David : littéralement « de la semence de David ». v. 4 : « A été établi » : grande querelle théologique entre ceux qui veulent d’un « Fils engendré et non créé », et ceux (les adoptionistes) qui s’appuient sur ce texte et Philippiens 2,9, pour voir en Jésus un homme élevé au rang de Fils de Dieu après sa mort et par sa résurrection (à laquelle ils ont souvent d’ailleurs bien de la peine à croire). Le mot évoque les « décisions irrévocables », les « serments sur lesquels on ne peut revenir », les « bornes qu’on ne peut bouger ». Alors ce qui est important, c’est que pour nous aujourd’hui Jésus-Christ est irréversible-ment Fils de Dieu. Avec puissance : ? Difficile ! La meilleure hypothèse : « Par la Puissance (c’est-à-dire Dieu lui-même) qui a ressuscité Jésus ». v. 5 : littéralement « la grâce et l’apostolat » ; et encore littéralement « en vue de l’obéissance de la foi chez toutes les nations ». On notera que si l’apostolat est d’abord « grâce », il est aussitôt « mission ». Il n’y a donc pas d’apôtre « in partibus ». En hébreu, en grec (et en français aussi selon l’étymologie), le mot « obéissance » se recouvre avec le mot « écoute ». Ce-pendant cette expression « obéissance de la foi » (qu’on retrouve en 16,26, passage qui n’appartient pas à l’épître primitive) est curieuse, peu paulinienne (cf. Galates 3,2). Paul a ses raisons (qui nous échappent) pour l’employer ici (cf. cependant le 5° des Remarques). « Pour la gloire de son nom » : littéralement « par son nom ». Tout vient de Jésus-Christ et tout doit y concourir. Peut-être y a-t-il là un léger « coup de patte » envers ceux qui ont évangé-lisé les Romains ; Paul rappelle qui est le véritable « auteur » de la foi. « Ceux qui ont reçu vocation de chrétiens » : littéralement « appelés saints ». REMARQUES – En utilisant cette confession de foi, différente de celle de Philippiens 2,6-11 et de celle de 1 Corinthiens 15,3-5,

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Paul veut probablement montrer qu’il se sent en « accord de foi » avec ces Romains qu’il n’a pourtant pas encore rencontrés. – Si dans 1 Corinthiens 15 (v. 8-11) il a relié apostolat et Résurrection, il va relier ici son apostolat (qui semble beaucoup moins discuté à Rome qu’à Corinthe) à l’Evangile tout entier, mais un Evangile dilaté à toute l’histoire du salut, même s’il est centré sur Jésus-Christ. On remarquera que cette confession ne fait aucune allu-sion à la crucifixion. – Cette confession de foi correspond étrangement au projet de Paul dans cette épître : montrer comment Jésus-Christ « aimante » et explique l’histoire humaine. En une phrase Paul réussit à parler : a) du Christ passé, déjà vivant en David et promis par les prophètes ; b) du Christ venu parmi les hommes et ressuscité ; c) du Christ qui, ensuite, envoie les apôtres pour que l’Evangile soit reçu par tous. Ces trois temps qui sont la globalité de l’Evangile, ont une trame fondamentale : le Christ qui assure l’unité et la continuité de l’histoire du salut. Et maintenant dans tou-tes les nations il adresse vocation à des hommes pour qu’ils s’associent à l’Evangile puissance de salut. Cette association à l’Evangile, ce sera la foi. On remarquera bien que, pour Paul, l’Evangile n’est pas simplement un message, encore moins un texte bloqué dans un livre, mais c’est le mouvement même du salut au travers de l’histoire. Et quand nous recevons ou annonçons l’Evangile, nous sommes aussi dans l’Evangile, dans sa trajectoire salutaire. – Cette dynamique qui transperce le temps de l’Incarnation, nous permet de saisir que cette épître par-lera encore plus (sur le fond) de l’espérance que de la foi. Si la foi est de discerner (et d’accepter d’y voir sa propre histoire) le plan de Dieu d’Adam au Christ en passant par Abraham, Moïse et David, l’espérance est de lire le pré-sent de manière christologique et de voir tout (création, Israël, Eglise, puissances diverses) converger vers la révélation des enfants de Dieu, et aussi de s’associer à ce mouvement du futur. – Si le « nous » du v. 5 désigne l’apôtre Paul (je n’en doute pas), il y a là un rappel du théorème de Galates 2,8 : « A Pierre l’Evangile pour les circoncis ; à moi Paul, l’Evangile pour les païens ». Or ici, à Rome, l’Evangile n’est pas arrivé par Paul ; peut-être même est-il venu par Pierre ? Alors est-ce Pierre qui n’a pas joué le jeu ? Ou n’est-ce pas Dieu qui trouble les théorèmes des hommes, fussent-ils apôtres ? De toute manière Paul est perplexe ; on peut dire « qu’en gros », il s’incline devant les faits, mais sa lettre, si pré-cise et si catéchétique, est bien la preuve qu’il ne renonce pas totalement à être aussi à Rome, l’apôtre des païens. Mais le plus important, à mon avis, est que si Paul et Pierre d’un commun accord avaient décidé d’annoncer chacun une « partie d’Evangile à une partie d’humanité », il y a eu quelqu’un qui s’est tenu et se tient encore au-dessus de nos stratégies, de nos ecclésiologies et de nos frontières. « Le Seigneur qui est dans les cieux, rit » (Psaume 2,4).

– On notera que cette épître qui se veut description de l’Evangile à l’œuvre dans l’histoire des hommes, essaie-ra d’intégrer à cette histoire les réponses négatives ou les révoltes de l’homme, en montrant que Dieu pèse sur le péché de telle sorte qu’il devienne le tremplin de la grâce... Alors péchons afin que la grâce abonde ? Absurde !

RRoommaaiinnss 55,,11--55Trinité

Je crois que, tout d’abord, il faut revoir de près la traduc-tion, non pour critiquer les diverses interprétations, mais pour mieux faire l’investigation des trésors que nous offre ce texte. Tout d’abord, aussi bien que « désormais justifiés par la foi » (ce qui est bien sûr exact), on peut traduire, ou pour le moins le sous-entendre, par « désormais Justes par la foi ». Les deux sont vrais. Ensuite, c’est le plus souvent par a priori théologique que l’on prend la vieille tradition de lecture : « Nous avons la paix avec Dieu » ; mais je crois qu’on peut et doit pren-dre l’autre lecture, tout aussi bien attestée : « Soyons en paix avec Dieu » (souvent prise aussi par a priori théolo-gique !). Pourtant, on ne blesse aucune sensibilité théo-logique en comprenant cette exhortation comme signi-fiant : « Ne vivez plus comme si Dieu était votre ennemi, votre espion, votre juge sans cesse aux aguets. Dieu, Lui, est en paix avec les justes que vous êtes ; que donc les justes se sachent en paix avec Lui (et donc avec eux-mêmes ; cf. Jean 14,27, où c’est sa propre paix face au Père que Jésus donne à ses disciples). Que donc chacun d’entre nous se débarrasse (ça ne se fait pas toujours en un seul jour) de tout ce qui pourrait l’accuser (1 Jean 3,20-21), le ronger ou le paralyser, en se souvenant bien que cette vie paisible dans une liberté réelle et débarrassée de faux soucis, cette grâce quasi palpable dans toute l’existence, il les doit au Seigneur Jésus-Christ (5,2). Et maintenant, au lieu de chercher à nouveau à trouver en nous (ou nos sermons), un sujet d’autosatisfaction, sinon de vanité, si nous placions tout ce qui fait nos certitudes, nos enflures (= le mot « orgueil ») dans cette espérance nouvelle qui est notre seul moyen de rendre gloire à Dieu (v. 3) ? Et Paul va tout de suite montrer que ce n’est pas de la langue de bois litanique. Tout de suite, il va placer cela en pleine réalité. Et même dans la plus dure des réalités : la détresse, c’est-à-dire les plus grandes des difficultés. Attention ! Il ne s’agit en aucun cas de les rechercher (elles nous trouvent toutes seules !), mais de savoir que ce qui, jadis, quand nous n’étions pas en paix avec Dieu, nous abattait et nous faisait renoncer ou désespérer, cela peut, désormais, devenir le tremplin de notre assurance. Cela peut servir à nous affermir, au lieu de nous ronger. Paul décrit alors le processus qui désormais, peut inver-ser le signe de toutes choses pour nous (v. 3). La détresse (fécondée par la paix de Dieu) produit la persévérance, la force de supporter. Puis cette persévérance va, elle aussi, nous permettre de changer une situation en son contraire : Paul fait alors un jeu de mots impossible à traduire sur le double sens d’un mot grec : épreuve et

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preuve... Comme l’épreuve à un examen peut fournir la preuve de notre persévérance à apprendre, l’épreuve, traversée avec persévérance (qui n’est ni résignation ni gros dos), va nous administrer la preuve que notre foi est vraie ; et elle va nourrir notre espérance qui, elle-même, trouvera que l’amour de Dieu n’est pas resté une simple réalité extérieure, mais a pénétré, par la force de l’Esprit, au fond de nous-mêmes, pour se traduire dans nos exis-tences. Nous avons à notre disposition la preuve que tout cela est vrai : en triomphant de l’épreuve. La preuve de la vérité du Christ n’est pas dans un raisonnement (heureuse-ment !) ni dans des œuvres merveilleuses (encore heu-reusement !), etc… Elle est dans ces victoires, petites ou grandes, dont nous savons que nous n’aurions pas su les remporter nous-mêmes. Essayez, frères !... L’amour de Dieu a été répandu dans vos vies.

RRoommaaiinnss 55,,1122--115512° dimanche ordinaire

On se souviendra tout d’abord de l’importance théologi-que qu’à tort ou à raison, ce passage a prise dans la pen-sée de l’Eglise, occidentale en particulier ; et on sera reconnaissant à la TOB de la note (considérable) qu’elle lui a accordée (même si l’on peut penser que la citation de Leenhardt n’est ni vraiment représentative ni parfai-tement limpide). Essayons d’y voir un peu plus clair, en considérant que Paul renoue avec le v. 8 = (paraphrasé) devant le péché d’Adam, Dieu, au lieu de suspendre son plan salutaire selon lequel il voulait envoyer son Fils à des « hommes-bien », ne fait que le confirmer en l’envoyant se donner jusqu’à la mort, à des « hommes transgresseurs » (qui l’assassineront). Le Christ vient quand même. Et son œuvre qui devait correspondre à un « plus », est tout d’abord la destruction de tout ce qui était négatif, afin d’apporter aussi et malgré tout, ce « plus ». Et aux v. 9-11, on remarquera cependant que Paul ne parle pas d’hommes-à-nouveau-bien, d’hommes restaurés, mais d’hommes réconciliés et a fortiori sauvés. Le raisonnement du v. 8 devait alors se poursuivre (cf. v. 15) : « Si par la faute d’un seul homme, Adam, le péché et la mort ont ainsi pu, jadis, s’introduire dans le monde, à plus forte raison la grâce et la vie nouvelle vont-elles s’étendre à tous les hommes, par la vie, le don et la mort du Christ dont Adam n’était qu’une copie » (ce sera d’ailleurs dit, mais plus loin). Le raisonnement fondamental est clair : le premier Adam n’était qu’une annonce, une ébauche (« type » : v. 14) du second Adam, tant et si bien qu’entre les conséquences de l’œuvre du premier et celles de l’œuvre du second, il y a certes un « comme », mais surtout un gigantesque « A plus forte raison » (une des expressions clefs de ce chapitre 5). Il y a comparaison, plus un a fortiori : comme l’erreur d’Adam, la venue du Christ a eu des suites, mais bien plus étendues ; répétons : tout comme l’œuvre d’Adam a eu d’imparables conséquences univer-selles (c’est ce que nous voyons : tous sont pécheurs, chapitre 3, et tous meurent), l’œuvre du Christ va aussi, mais « à plus forte raison », avoir des dimensions univer-selles. Et tout homme, comme il a reçu la mort d’Adam, peut aujourd’hui recevoir a fortiori cette grâce et cette vie qui lui permettront de vivre déjà en réconcilié avec

Dieu et en vainqueur de l’épreuve (5,1-5). Le péché et la mort ne sont plus que des paraboles du salut et de la vie éternelle. Malheureusement (? pas tout à fait (L’erreur de style [interruption suspendue du raisonnement] fait abonder la richesse de la pensée, mais aussi [hélas !] sa difficulté), car Paul va nous apporter de nouvelles richesses théolo-giques), l’apôtre interrompt son raisonnement, après sa première « moitié », l’œuvre d’Adam et ses conséquen-ces : v. 12c « Adam a péché et son péché a entraîné sa mort, – mais c’est ainsi que la mort s’est étendue à tous les hommes, héritiers d’Adam – ». Arrive alors au v. 12d, une « conjonction relative » (sic), à laquelle la TOB a consacré de longues lignes (à la suite des Pères et au-tres exégètes) ; on la retrouve en 2 Corinthiens 5,4 (où on peut la rendre par « pour autant ») ; Philippiens 3,12 (« depuis que ») ; 4,10 (cependant depuis que... = « bien que » ; il y a une nuance adversative). La TOB a adopté ici cette nuance adversative : d’ailleurs ; tandis que le Lectionnaire catholique revient au vieux « parce que » (cf. Segond), sous la forme « du fait que ». Il est probable que, si Paul veut noter une concomitance entre la mort et le péché, il n’entend pas pour autant établir ici de causalité ; et si l’on devait absolument ici découvrir une causalité, elle serait l’inverse de celle que l’on établit d’habitude : « en conséquence, tous les hommes ont péché » (cf. Philippiens 3,12). La mort uni-verselle serait la cause du péché universel (l’homme voulant, comme jadis Adam, écarter toute agression de la mort pour vivre éternellement). Mais je pense qu’établir ici une causalité (dans un sens ou l’autre) revient à dé-passer la pensée de Paul qui, cependant, note bien, un peu plus loin, que ce n’est pas le « vrai » péché (déso-béissance à la Torah) qui cause la mort, puisque les gens sont morts d’Adam à Moïse (v. 14). (La traduction TOB est donc la moins mauvaise, sinon la meilleure : « d’ailleurs »). Mais, de toute manière, il est plus juste de parler de mort « originelle » (adjectif inexact) que de péché « originel » (id). Cependant Paul introduit une parenthèse dans sa paren-thèse, tout simplement pour qu’on n’oublie pas que le péché, qu’on ne pouvait pas imputer car la Torah n’était pas encore donnée, existait bel et bien dans ce monde (v. 13) et ne demandait qu’à retrouver sa vigueur (7,7-11), même si la mort (qui n’est donc pas ici le châtiment du péché) régnait sans partage sur tous les hommes depuis Adam jusqu’à Moïse, hommes qui n’avaient et qui n’ont pas pu pécher d’une manière comparable à la transgres-sion d’Adam qui, par les conséquences universelles de ses actes, reste bien celui qui était destiné à être le proto-type du Christ. On notera encore : a) que contrairement à la littérature de l’époque (cf. les écrits inter-testamentaires), Eve n’est pas l’unique res-ponsable du péché et de la mort, b) et que, si elle n’est pas nommée, c’est parce que le mot Adam = celui de Genèse 1,27-28 (= Dieu créa l’Adam... Il le créa mâle et femelle). De toute manière, on n’a pas fini d’explorer les richesses de ce passage, où Paul fait une sorte de lecture à l’envers de notre monde, interprétant tout son caractère négatif comme le tremplin d’une positivité a fortiori bien plus grande.

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N.B. : pour ceux qui s’intéressent à ce problème, qui n’est difficile que parce que jusqu’ici en Occident, nous l’avons pensé à l’envers, je signale que le terme ici em-ployé : « types » correspond en Amos 5,26 (Septante) à l’un des termes (le mot : image) employés dans ce pas-sage de la Genèse ; cf. aussi Exode 25,40 (Septante : v. 39) : modèle (Segond), plan (TOB), ébauche,... ou si l’on veut rester proche du grec : (proto)type.

« Plan » de prédication Je viens d’y faire allusion, les facilités (et Dieu en soit loué !) que rencontre désormais dans nos contrées, l’annonce de l’Evangile, ne nous « facilitent » pas pour autant l’actualisation de ce dernier passage (Matthieu 10) prononcé en vue des difficultés à venir et récrit lors de persécutions contemporaines. C’est pourquoi, ici encore, j’hésiterais beaucoup à prendre « l’Evangile » du diman-che. Personnellement, je serais plus attiré par Jérémie et le fait que le Seigneur le pousse (tout comme pour Ezé-chiel un peu plus tard) à dire le contraire de ce que les gens attendent. (Mais il est clair que, si vous aviez osé, le dimanche précédent, prendre l’épître aux Romains, il vous faut continuer ; cassez alors bien les phrases et lisez en 5,12d : « ...Là-dessus, tous les hommes ont péché » ; ou « à la suite de quoi... » et insistez surtout sur le « à plus forte raison... » de l’œuvre salvatrice de Jésus, par rapport à l’œuvre mortelle d’Adam... plus Eve). Cependant, si vous prenez Matthieu, insistez (contre toutes les gnoses actuelles, tous les « ismes » ou autres balivernes qui se disent nouvelles) sur le caractère pu-blic, accessible à tous de l’Evangile. Puis insistez sur le Dieu-qui-compte... nos cheveux. Relevez bien tout l’humour de cette affirmation ; n’ayez pas peur de rele-ver que Dieu a dû vraiment aimer les... chauves, et qu’il y a beaucoup d’espoir pour les autres. Cette promesse devrait nous détourner de tous nos petits soucis que trop souvent nous transformons en perruques.

RRoommaaiinnss 55,,1122--11991° dimanche de Carême

(ne pas craindre d’aller au moins jusqu’au v. 20, mais en lisant lentement) La TOB réserve très opportunément une longue note au v. 12 ; je me permets cependant de donner ma propre traduction de ce verset : « ...C’est ainsi que, de même que par un seul homme (Adam), le péché est entré dans le monde, et par le (= ce) péché, la mort, de même (= dans le même mouvement) la mort s’est répandue à tous les hommes, c’est pourquoi tous ont péché ». C’est de mort originelle qu’il nous faut parler, bien plus que de péché originel. Pour Adam et Eve, l’ordre « chronologique » (?) est : le péché entraîne la mort ; pour nous, il est : la mort entraîne le péché (nous refu-sons notre statut d’hommes mortels). Ensuite (et particulièrement dans l’épître aux Romains comme dans les Galates), refusez la traduction (réduite et réductrice) de « nomos » par « Loi » ; mettez carrément « Torah », ce qu’a compris aussi A. Chouraqui, mais sans en tirer les conséquences exégétiques qui s’imposent. Ce n’est pas surtout le Décalogue et encore moins les lois seulement rituelles que Paul met en cause avec la venue du Christ, mais toute loi « nouvelle »

(même et surtout ecclésiastique), qui prétendrait devenir, d’une manière ou d’une autre, une condition de notre salut ! Il ne suffit pas de mettre à la porte la Torah-comme-moyen-de-justice, mais de fermer les fenêtres et même les volets contre tout nouveau légalisme... hélas, si souvent revenu en force dans nos Eglises. En tout cas, les v. 13-14 deviennent clairs : alors même s’il n’y avait pas de (vrai) péché (avant Moïse) – puisque la Torah n’était pas encore donnée – les hommes mou-raient quand même, car tous tenaient cela d’Adam. On notera, qu’au v. 14, Paul laisse clairement entendre que, pour lui, pécher-en-se-justifiant-à-l’aide-de-la-Torah = un péché équivalent à celui d’Adam (cf. méditation pré-cédente sur Genèse 3,1-7). Mais surtout (et ici il est malheureux que la lecture des v. 6-11 ne vienne que plus tard) il est clair : a) qu’Adam n’est que le proto-Christ ; et ainsi, pour Paul, la première Création, dès avant la Chute, annonce le deuxième Adam qui en est le vrai but : Jésus-Christ. Il nous faut revoir notre augustinisme foncier (qui attribue en fait la venue du Christ à la « Chute »), pour redécou-vrir la théologie orientale. b) que, pour Paul, la faute d’Adam et surtout sa mort, n’ont dû leurs dimensions cosmiques et universelles qu’au fait que justement Adam n’était que l’image du Christ dont l’œuvre s’étendrait a fortiori (a fortiori qu’on retrouve sans cesse dans ce chapitre 5) à tous les hom-mes et à l’univers. C’est parce que le dynamisme de l’œuvre et du don de la vie du Christ s’étendraient à tous, que la « contre-œuvre » et donc la mort d’Adam se sont répandues sur tous. Mais on voit ici l’extraordinaire A FORTIORI paulinien : les hommes meurent (vous le savez, vous le voyez !) ; eh bien, à mille fois plus forte raison le salut et la vie du Christ s’étendront à tous ; l’œuvre de Celui dont Adam n’était que l’image, devait depuis toujours s’étendre à tous. On comprend mieux le v. 20 : (si) le péché a abondé, (c’est parce que) la grâce était surabondante. L’universalité du péché et de la mort ne sont que des paraboles de la surabondance de la grâce. Magnifique passage à ne pas rater.

RRoommaaiinnss 88,,88--11115° dimanche du Carême

v. 8 : Lectionnaire catholique : « ... sous l’emprise de la chair » (sic !) ; TOB : « ... sous l’empire de la chair » ; quant à mon travail sur cette épître, on y trouvera une bien maladroite périphrase : « ...(eux qui vivent) selon la créature charnelle ». Le texte grec : « ... ceux qui sont de la chair » = ceux qui croient possible de trouver la justice à l’aide d’eux-mêmes et de leurs œuvres. Surtout il faut n’accorder au mot « chair » ici (et souvent dans le reste de l’épître) aucun autre sens péjoratif que celui-là : le désir de propre justice (la pire faute cependant pour l’apôtre). La « chair » peut recouvrir ici les œuvres les plus superbes, comparables à celles données en 1 Corinthiens 13,1-3, mais vues comme concurrentes de la grâce de Dieu. Comprendre donc : « Celui qui veut se sauver lui-même ne peut pas (contrairement à l’un de ses désirs les plus

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profonds) plaire à Dieu ». C’est le grand paradoxe pauli-nien : « Qui croit pouvoir par lui-même plaire à Dieu est sûr de ne lui point plaire ». Dieu lui barre la route avec la Croix que le désir humain profond de propre justice a plantée (puis-je rappeler au passage qu’il faudra attendre Luther pour retrouver en plénitude cette interprétation ?). Tout le chapitre 7 en est éclairé. Mais, après avoir tous été « de la chair », nous sommes devenus, par la grâce de Dieu, « ceux de l’Esprit » = ceux qui ne cherchent plus dans leurs œuvres ou en eux-mêmes ou dans leur existence propre, un moyen de plaire à Dieu. Ce sont ceux qui acceptent que Dieu ait vraiment tout fait pour eux, ceux qui vivent désormais détendus, apai-sés (5,1), sans jugement sur eux (8,1), réconciliés avec eux-mêmes tout comme avec Dieu (5,1.10), etc… car l’Esprit de Dieu (sans pour autant qu’ils le sentent) a pris toute la place dans leur vie (ici v. 9), comme Dieu a pris possession de toute leur existence. Certes, cette dernière (le corps du v. 10) est toujours mortelle, tout comme elle porte encore les marques et les stigmates de ce péché qui nous incline toujours vers l’auto-justification (dont nous n’arrivons jamais à nous libérer totalement), mais déjà l’Esprit qui nous fait vivre comme justes, habite aussi en nous et y commence son œuvre de vie et de dé-préoccupation de nous-mêmes. Tout comme il a fait sortir le Christ de son tombeau, non seulement il nous donne dès à présent des prémices de vie éternelle (comme la dé-préoccupation de soi), mais surtout Dieu lui-même donnera à nos personnes (autre moyen de ren-dre le mot « corps ») la même vie que celle qu’a reçue Jésus (v. 11). On remarquera combien les trois « personnes » : Esprit, Fils, Dieu, sont ici inextricablement liées dans leur œu-vre de vie en faveur des chrétiens. Mais on ne fera que le constater, sans pour cela pouvoir construire (ici) une doctrine rigide autant que définitive de la Trinité.

RRoommaaiinnss 1100,,88--11331° dimanche de Carême

Si l’on peut se réjouir que, pour une fois, il y ait une parenté avec le texte précédent (puisque Romains 10 cite plusieurs fois le Deutéronome : 9,4, 30,12, 30,13, 30,14, 32,21, 29,3), on peut regretter de ne pas avoir été incité à lire Romains 10,17, où la TOB traduit de manière malen-contreuse : « (la foi vient de) la prédication », alors que c’est le mot « écoute » – ce qui nous permettait de nous retrouver de plain-pied avec le Deutéronome où Dieu ne veut être « qu’une VOIX » (4,12-17) (qui suscite la foi). De toute manière, il convient de remonter à Romains 10,6-7 qui fait un savant amalgame entre Deutéronome 9,4 et 30,12-13. Ce dernier passage fait sans doute allu-sion aux mythes sotériologiques étrangers où, pour ra-mener aux hommes la pluie et la fécondité, des divinités devaient affronter les enfers ou les dieux infernaux avant de retrouver leur place au ciel (cf. par exemple le cycle de Ba’al). Ce qui, bien entendu, était impossible aux hommes, réduits au rang de spectateurs craintifs et im-puissants qui pouvaient tout juste encourager « l’auteur » de leur « salut ». Mais, en fait, ils ne pouvaient rien ac-complir d’efficace, incapables qu’ils étaient, aussi bien

de monter au ciel que de descendre affronter les divinités infernales. Or, la Torah, c’est tout autre chose ; Dieu, non seulement l’a donnée dans l’Ecriture, mais déposée dans le cœur de l’homme. Elle lui est accessible – vraiment accessible – et pour le Deutéronome, le sort de l’homme ne dépend ni de la réussite ni de l’échec des divinités dans leur « Mission impossible », mais désormais de son écoute de la Torah et de sa mise en pratique. Voilà la problémati-que nouvelle (et antireligieuse) de la Torah. Seulement Paul a découvert que, pour lui, les Juifs, en recevant mal le Christ, ont montré qu’ils avaient aussi mal reçu la Torah, devenue instrument d’auto-affirmation et d’auto-justification ; elle s’est transformée, ipso facto, en ciel inaccessible ou en enfer redoutable ; de toute manière en idéal qui m’épuise, me désespère, me déchire ou me gonfle (cf. Romains 7,7ss et 10,2-3). Seule la parole de la foi où j’ai d’abord tout à recevoir à hauteur d’homme, et rien à conquérir au-delà ou en deçà, est vraiment à ma portée. Dieu, en Jésus-Christ, est venu à hauteur d’homme, tout me donner jusqu’à sa vie. Je n’ai ni à m’abaisser ni à me surélever pour recevoir le salut ; j’ai simplement, humainement et vraiment à le recevoir et alors fermement m’y tenir. Puis ensuite, moi aussi, j’aurai à raconter, à dire ce qui a été fait pour moi (Romains 10,10-11). Le salut n’est ni dans les enfers qu’il me faudrait forcer ni dans un ciel que seul un alpi-nisme dément me permettrait d’atteindre. Il est là, dans la parole que tu lis en ce moment, et dans la parole que tu vas dire, après l’avoir écoutée. C’est tout simple. Tu as seulement à recevoir et seulement à dire. Et c’est valable pour tous (v. 11). Il n’y a même plus, dit Paul, de « diastolè » entre les hommes, (bien difficile à traduire ; = il n’y a plus de force centrifuge qui écarte les hommes les uns des autres ; au contraire, la foi les réunit vers un même salut ; on pourrait parler de « systole »). Avant le Christ, le monde était en éloignement centrifuge et continu. A partir du Christ, autour de la Croix, les hommes sont en rapprochement continu aux pieds d’un même Sauveur (cf. Ephésiens 2,14-17). On ne craindra pas ici de dénoncer ceux qui voudraient aujourd’hui à nouveau mettre les hommes en « diastole », parfois au nom même du Christ. Blasphème ultime ! Vient alors la grande promesse universaliste du verset 13.

RRoommaaiinnss 1133,,1111--1144aa1° dimanche de l’Avent

Il serait dommage de ne pas relier ce texte à ce qui pré-cède : le chrétien n’est pas l’ennemi juré du genre hu-main, pas même de Néron ni du percepteur (13,1-7) ; car Paul en revient au comportement chrétien dans l’Eglise (lire au v. 8 : « Celui qui aime, accomplit totalement la Torah »). Le raisonnement se prolonge ; en effet (v. 11), il est des chrétiens qui déjà sommeillent (pas seulement ni surtout durant les cultes) ; c’est dire qu’après un mo-ment d’enthousiasme, où ils se sont cru déjà en plein ciel, et où ils ont pensé que l’histoire se terminait, leur espérance et leur patience se sont ensuite émoussées ; leur foi est devenue léthargie, car à chaque jour qui pas-

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sait, ils ont estimé que la venue du Royaume reculait d’autant. Il est probable qu’au v. 12, l’apôtre ne veut pas simple-ment exprimer le truisme : « Chaque jour qui passe nous rapproche (temporellement) du dernier jour », mais plu-tôt dans la ligne de l’Apocalypse : « Chaque jour, le Christ fait un pas vers nous ; chaque jour, il nous est plus proche, plus accessible ». Cette proximité est, oserait-on dire, plus spatiale que temporelle (cf. Apocalypse 3,20 et, pour la suite de notre texte, Apocalypse 2,16, 3,11, etc…). Ce qui signifie, pour nous qui pensons souvent qu’au fur et à mesure que l’histoire se déroule, nous nous éloignons du Christ, que c’est, en fait, tout le contraire. En effet, chaque jour, le Christ construit un peu plus son Royaume, donc chaque jour, le Christ devient plus pro-che de chacun d’entre nous. Il est (v. 13) tout proche. Nous sommes à l’aurore du Royaume. Déjà sa lumière (rappelée à Noël de mille manières) nous illumine de ses premiers rayons ; évidemment nous n’allons pas nous enfoncer dans de nouvelles ténèbres (destinées le plus souvent à fuir nos angoisses, v. 13). Paul fait sans doute allusion aux Saturnales, fêtes nocturnes et... débridées, qui, cependant, ne connaîtront leur apogée qu’à la fin du 5° siècle. De toute manière, ces excès dénoncés par Paul avaient un alibi religieux. Mais au lieu de cette course aux ténèbres, nous pouvons « nous mettre dans la peau du Seigneur Jésus-Christ ». Je préfère cela au verbe trop « externe » : revêtir (en effet, nos garde-robes fournies ne nous permettent pas de vraiment saisir la force de cette expression ; cf. cependant notre « changer d’idées comme de chemise »). On peut voir ici que la prédication du « Réveil » doit sans cesse être reprise dans l’Eglise, et donc aujourd’hui encore, en rappelant toujours la proximité de Jésus. Ce-lui-ci n’est pas au ciel, au sens que ce terme a pris en marquant la distance de Dieu d’avec nous, mais il est à notre porte (Apocalypse 3,20) : a) par son appel, b) et, ne l’oublions pas, par la médiation de ceux qui y frappent parce qu’ils ont besoin de nous (Hébreux 13,2).

RRoommaaiinnss 1155,,44--992° dimanche de l’Avent

Tout d’abord, on prendra garde à ne pas oublier le contexte, 15,1 en particulier : « Les forts (ceux qui ont compris vraiment la nouveauté de l’Evangile et la royale liberté qu’il conférait) doivent prendre en charge les infirmes ou les faibles, c’est-à-dire ceux chez qui cette liberté n’a pas pu s’épanouir et qui ont encore besoin d’une béquille – un peu de prescriptions ou de préceptes – pour parvenir au plein Evangile ». Et Paul a rappelé au v. 2 la « morale » (?) relationnelle qu’il développe (de-puis le chapitre 12) : le seul critère « moral », c’est le prochain et non pas mon autosatisfaction doctrinale ou éthique. Si le prochain est faible, je dois en tenir compte dans mon propre comportement ; tout comme le Christ s’est fait faible pour ceux qui l’entouraient (cf. v. 3)... sauf – et on n’oubliera pas, par exemple, Matthieu 23 – quand ces « faibles » se voulaient directeurs et lumières du peuple. Il est net que Paul, comme son Maître, distin-gue très bien entre les chrétiens « courants » (qui devien-

dront « les paroissiens ») et ceux qui les dirigent ; et s’il a pitié de ceux-là, qui sont les brebis qui n’ont pas de vrais bergers, en revanche il est très sévère pour ceux-ci, préoccupés de leur autosatisfaction intellectuelle, morale, hiérarchique, etc… Paul doit alors penser à des textes comme Ezéchiel 34 (et autres) ; il retrouve donc déjà, dans les textes « pro-écrits » (littéralement) (qui deviennent « l’Ecriture » dans la fin du verset), cette exhortation à la « dépréoccupation de soi » (par exemple de savoir si ce qui est écrit ici, me fera plaisir ou non), que le Christ a été le premier à vivre pleinement (et qui lui vaudra des injures, comme à l’auteur du Psaume 69). Attention à la traduction « Ecriture » ou « livres saints » ; il ne s’agit pas du Nouveau Testament, qui est loin d’être rédigé à l’époque, mais de la Torah et même des « Ecrits » (ainsi qu’en témoigne le Psaume 69). [Rappelons que l’Ancien Testament (mauvaise expression d’ailleurs) est composé de trois parties : Torah (Pentateuque), Prophètes (qui comprennent les livres historiques), Ecrits (ce que nos frères juifs appellent le TaNaK), que la TOB a enfin respectées (cf. Luc 24,44)]. Il semble alors peu logique que Paul en vienne au v. 4 « à l’espérance, la patience et le réconfort, etc… ». Pour-tant, le lien existe, d’après l’apôtre en tout cas : c’est quand je me « dépréoccupe de moi », de mes soucis ou de ma grandeur, que justement disparaissent le découra-gement, le désespoir (cf. Romains 7) et l’impatience. Paul relie clairement l’espérance (qui a une très grande place dans l’épître) au souci des autres, à la prise en charge de leurs faiblesses : « Si tu veux trouver l’espérance, casse ton miroir pour t’occuper des frères ». On notera qu’au v. 13, Dieu est appelé « Dieu-de-l’espérance », ce que montrerait le mouvement de l’épître, et ici il est (v. 5) le Dieu (qui donne) de la pa-tience (traduction un peu faible : le terme exprime la possibilité de porter et supporter les difficultés) et du réconfort (à la fois reçu et partagé). Paul, d’ailleurs, se croit obligé de rappeler que Dieu est celui-là, et que nous, nous pouvons recevoir ce qu’il donne, à cause de Jésus-Christ. Et au v. 6, Paul demande aux forts et aux faibles de se mettre vraiment d’accord, en chantant ensemble la Gloire du Dieu-Père-de-Jésus-Christ. Les cantiques (et Psau-mes) ne sont pas ici tant des preuves de l’accord des chrétiens que des moyens d’y parvenir. « Vous êtes divi-sés ? Eh bien, chantez le Dieu-Père ensemble, et ça ira mieux ! » Le verbe « accueillir » (du v. 7) pourrait très bien se traduire : « Prenez-vous, acceptez-vous (les uns les au-tres) comme vous êtes », c’est-à-dire : « Ne mettez pas de condition préalable à l’accueil des autres ; prenez-les avec leurs limites, leur liberté s’ils sont forts, leurs infir-mités s’ils sont faibles ». Signalons que Paul n’est pas toujours d’une telle ouverture (cf. l’épître aux Galates). Et Paul en revient à la « bi-composition » (relire les chapitres 9-11) de l’Eglise de Rome : les judéo-chrétiens, peut-être évangélisés par Pierre, et les pagano-chrétiens, peut-être disciples des « fameux Hellénistes » : Actes 9,29 (?). Il rappelle que, si Jésus-Christ s’est mis au service (ici, c’est le mot « diacre ») des Juifs, et a accepté les prescriptions de la Torah, c’est parce qu’il n’entendait pas renier les promesses faites par son Père, à ses pères ;

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mais, pour les non-Juifs (meilleure traduction que « païens »), la joie de l’Evangile a été ouverte par ce même Jésus-fin-de-la-Torah (10,4). Répétons que la lecture des chapitres 9 à 11, ainsi que le repérage du double objectif continuel : « Juifs et non-Juifs », de Paul dans cette épître, sont nécessaires à une meilleure com-préhension de sa « théologie ».

11 CCoorriinntthhiieennss 11,,1100--11773° dimanche ordinaire

Paul entre assez brutalement dans le vif du sujet : des schismes (v. 10, littéralement) existent à Corinthe. Mais avant de voir de quoi il retourne, on remarquera sa ma-nière et son premier mot : il exhorte (verbe qui signifie aussi bien « consoler » que « inviter, prier, encourager, réconforter », etc…). Paul ne commande pas, mais il recommande. Et pourtant, ici, la situation corinthienne semblerait « mériter » au moins un acte d’autorité : « Je vous intime, je vous ordonne de cesser vos schismes »... Pas du tout ! Paul se contente d’inviter, d’exhorter ; ceci est toujours à retenir dans nos Eglises : le verbe de l’autorité, aussi vibrant soit-il, correspond à celui du respect de la liberté. Et à quoi Paul exhorte-t-il tout d’abord ? A avoir une parole, un message commun (v. 10) ; ce qui, toute l’épître le montrera, ne signifie pas « uniforme », au contraire ! (cf. chapitre 12 en particulier). D’ailleurs, malgré des traductions (Lectionnaire catholique, par exemple) qui parlent trop vite d’union parfaite (?) (TOB est bien plus modeste), il s’agit, au v. 10, de tout arranger pour que la communauté ait une même pensée et une même manière de penser (une même manière d’envisager les choses, ce que Paul expliquera et explici-tera en 2,2). Au v. 11, nous apprenons comment, dans la primitive Eglise, circulaient (bien plus vite que nous ne l’imaginons) les nouvelles. Chloé est sans doute une femme chrétienne à la tête d’un commerce avec de nom-breux colporteurs (?). Et déjà, bien entendu, les mauvai-ses nouvelles allaient plus vite que les bonnes ; celles-là étant qu’il y a des désaccords (avec disputes et schismes, potentiels au moins) à Corinthe. Certains, en effet, sans cesser prétendre être chrétiens, prétendaient aussi qu’on ne pouvait l’être qu’en se rattachant au courant de pensée par lequel l’Evangile leur était parvenu. C’étaient déjà des « écoles théologiques », dont le malheur et l’erreur étaient d’être exclusives. Ainsi, certains prétendaient que « seul le paulinisme transmettait correctement la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ » (et combien je les com-prends !) ; d’autres (sans doute un peu légalistes) préten-daient (déjà !) que « seul Pierre avait reçu le bon dépôt de la foi chrétienne » ; d’autres (soit séduits par l’éloquence du personnage, Actes 18,24 ; soit séduits par les correspondances entre la Torah et Jésus, telles qu’on les retrouve dans l’épître aux Hébreux ; surtout, si comme Luther le pensait, Apollos est bien l’auteur de cette épître) « se réclamaient du seul Apollos » ; tandis qu’enfin certains (qu’il ne faut pas croire imaginaires) se prétendaient les seuls bons chrétiens, en envoyant au... diable tout « transmetteur » de l’Evangile et en assurant être, eux, « en ligne directe » avec Jésus-Christ.

Ces derniers sont fort importants, car le fait que Paul les mette dans le même sac que les pauliniens exclusifs, pétriniens absolus, etc…, montre bien que Paul ne leur reproche pas leur penchant « pour le message de tel ou tel, mais leur intolérance théologique », leur « rabies » théologique, où le Christ et son Evangile ne sont trans-mis que par leur école, et elle seule. Des écoles théologi-ques, des tendances théologiques, oui ! Des exclusivités ou des exclusions, non ! Cependant n’oublions pas que le très tolérant Paul ma-niera l’anathème dans l’épître aux Galates (1,8-9), mais quand l’absoluité de la Grâce est mise en cause (cf. Gala-tes 2,4-5 où il ne craint pas de parler de faux frères !). Car alors il n’y a plus de cœxistence possible. Pour en revenir à 1 Corinthiens, il ne faut pas avoir peur de traduire au v. 17 par : « un message philosophique » ou « le langage philosophique », même si, littéralement, c’est « la sagesse de la parole » ; car Paul va s’en pren-dre, et avec quelle vigueur, au péché mignon des Grecs : la philosophie, qui ne peut jamais qu’ignorer le cœur du message chrétien, à savoir que le salut, le but, la fin des hommes, c’est un pendu, un crucifié.

11 CCoorriinntthhiieennss 11,,2266--33114° dimanche ordinaire

Je regrette tout d’abord que la lecture ne remonte pas au v. 23 : « Nous prêchons le Christ crucifié, scandale pour les Juifs (c’est ici l’occasion de préciser ce qu’est un scandale biblique : ce qui empêche de croire, ce qui fait tomber hors de la foi), absurdité (mieux que folie) (...contraire à toute raison ; insensé... Chez bien des Grecs, le terme ici employé concernait souvent la conduite et la pensée (?) féminines) pour les non-Juifs ». Christ qui, pour nous, les élus, soit Juifs soit Grecs, est la Grâce, la Puissance de Dieu et la (seule) philosophie de Dieu. L’Absurdité de Dieu surpasse la plus grande philo-sophie des hommes (elle est plus philosophique que toute philosophie humaine) ; et l’impuissance (pas seulement faiblesse) de Dieu surpasse la plus grande puissance des hommes. Paul passe alors à sa « démonstration » qui se trouve dans la composition même de l’Eglise de Corin-the. Il est très important d’accorder à ce texte la place de nœud « herméneutique » (mot inutile !), non seulement de la pensée paulinienne, mais encore du mystère du plan de Dieu pour le salut du monde. Faites bien comprendre ce texte, faites mesurer (si c’est possible) l’amplitude de la grâce qu’il exprime, et le « catéchisme » de vos pa-roissiens (tout comme le vôtre) aura bien avancé. Face à des Grecs attirés, à cause de leur culture (ou, à Corinthe, leur inculture ; ça se rejoint souvent), par la philosophie et les philosophes (les sages grecs) qui refont le monde d’après les Idées qu’ils ont de ce monde tel qu’il devrait être (alors que la sagesse juive : cf. Prover-bes, démarre du monde tel qu’il est et n’essaie pas d’en dépasser les contradictions), Paul va se servir de leur infirmité propre (pas de vrais philosophes ni de « docteurs en théologie » dans l’Eglise de Corinthe) pour leur montrer comment Dieu renverse toutes les valeurs ; Paul retourne en vérité divine, en théorème (?) chrétien, ce que les Corinthiens devaient vivre comme une infir-

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mité, sinon une culpabilité. Oh, ce n’est pas une mise à mort des philosophes ; qu’ils se rassurent ! Mais c’est la dénonciation que la philosophie puisse collaborer vrai-ment au message chrétien spécifique. Nul n’a donc besoin d’être philosophe pour être chrétien. Il n’y aura donc jamais de bonne « théologie naturelle » (cf. Luther), tentation perpétuelle des intellectuels (les gnostiques) chrétiens. Si Dieu accepte que ceux-ci met-tent leur intelligence au service de la Bonne Nouvelle, jamais une telle intelligence ne pourra ni remonter jus-qu’à Dieu ni démonter les rouages de la sotériologie (doctrine du salut), ce qu’hélas, bien des chrétiens se sont, par la suite, efforcés de faire. Notre intelligence bute nécessairement sur une Croix : Absurde et Impuis-sante. La Croix sauve (et en premier lieu de la philoso-phie)... mais la Croix tue la croyance pour laisser la place à la seule foi, nue, sans repère autre que la Croix elle-même. La Croix tue la Logique, le Système (fût-il bar-thien !) et même la Théologie (quand elle se veut unifiée et parée de la majuscule). Si elle nous justifie, la Croix ne se « justifie » pas ! Nous ne comprendrons jamais ni comment ni pourquoi le Christ-crucifié sauve. Nous avons seulement à le croire et à le recevoir. En relation avec les « Je suis (c’est moi qui suis)... » de Jean, on mettra en parallèle le v. 30 : le Christ-crucifié-(notre)-philosophie ; le Christ-crucifié-(notre)-Justice ; le Christ-crucifié-(notre)-sanctification (en particulier Jean 11,25-26 et Jean 1,1-14), etc… Tous ces concepts ne sont pas simplement éclairés par le Christ, mais le Christ est (et lui seul) ces concepts ; c’est dire que, pour un chrétien, ils échappent à toute défini-tion préalable. On écoute, on contemple le Christ crucifié et, après seulement, on commence timidement à parler de philosophie (chrétienne), de justice, etc… C’est pourquoi la théologie (les théologies) ne sont ja-mais que des « manières de dire », de simples paraboles pour rendre compte de manière infirme de l’Absurde et de l’Impuissance ; même si Paul s’empresse d’ajouter que cette absurdité peut s’imposer aux plus grandes sa-gesses (aux plus grands sages, surtout) et que cette im-puissance peut subjuguer les plus grandes forces. Si, par bonheur (!), le(s) jour(s) où l’on pense prêcher sur ce texte exceptionnel, on est devant une petite assemblée, composée de gens fort ordinaires, ou qui se pensent « abandonnés de Dieu » ou..., on en profitera, comme Paul, pour leur (nous) dire qu’ils sont la plus belle preuve qui nous soit donnée ici-bas de la vérité du Salut de Dieu et de son élection (v. 28). C’est rare de pouvoir « prouver » ainsi la vérité de la Parole qu’on annonce. Ne manquez donc pas cette éventualité, au lieu, comme si souvent, de pleurer, ou même pleurnicher, sur la mi-sère de l’Eglise et celle de votre paroisse en particulier.

11 CCoorriinntthhiieennss 33,,1166--22337° dimanche ordinaire

On peut regretter que notre suite de lectures oublie des passages précieux comme 3,10-15 qui éclaire (mais tout en restant une image) ce que sera le jugement sur nos vies : nos œuvres passeront par le feu ; celles compara-bles à l’or en sortiront encore plus précieuses, tandis qu’à l’autre bout de « l’échelle », celles qui ne sont que de la

paille disparaîtront. Quant à l’auteur de ces œuvres, il sera en toute circonstance sauvé, mais parfois « comme au travers du feu » (3,15) ; passage important, mais trop peu souvent pris en compte. Il y a plusieurs ambiguïtés (profitables) dans le v. 17 : a) le « vous » (êtes le Temple) désigne-t-il chaque Corin-thien (cf. 6,19) ou désigne-t-il la communauté de Corin-the dans son ensemble ? Sans oublier la première, il faut ici choisir la deuxième hypothèse, car le dessein de l’apôtre n’est pas le même dans ces deux textes : 3,17 et 6,19. On retiendra cependant que ce qui est vrai pour l’ensemble de l’Eglise locale, est vrai pour chacun des membres, et que cela prépare l’extension inverse qui sera faite plus tard : l’Eglise locale est aussi l’Eglise univer-selle (Ephésiens 5,23), ce qui a pour conséquence que tout membre d’Eglise (et non pas l’évêque) est aussi l’Eglise « microcosmée » (!). b) le « C’est vous qui êtes » de la fin du v. 17 signifie-t-il : « Vous êtes le (nouveau) Temple » ou « Vous êtes saints » (comme le Temple) ? Il n’y a certes pas contra-diction, mais un accent différent = soit « Conduisez-vous de manière digne du Temple que vous êtes », soit « Conduisez-vous selon la sainteté qui vous a été accor-dée ». De toute manière, cela signifie : « Soyez celui que vous êtes (à cause de la Grâce de Jésus-Christ) ». De plus, on s’émerveillera de voir cette « terrible » Eglise de Corinthe, être confondue avec le Temple du SEIGNEUR : là où le SEIGNEUR a choisi de demeurer. Bien entendu, avec cette dure promesse : si quelqu’un cherche à briser, à détruire (s’il était possible) le Temple de Dieu (par des divisions entre classes : v. 21, ou encore par l’introduction de sagesses et de philosophies humai-nes : v. 19-20), il sera le premier détruit ; plus exacte-ment, il se détruira lui-même. (N’oublions pas que le Temple de Jérusalem est encore debout quand Paul écrit). A propos de ces divisions déjà évoquées, on remarquera deux points : a) leur origine est dans la contamination (voire la substi-tution) de la « doctrine » du « seul-Christ-le-crucifié » par des philosophies qui essaient de l’expliquer ou de la justifier ou de la « conforter », etc… : le salut ne s’explique pas, il se prêche ; b) leurs vecteurs sont des hommes, même des hommes réputés : Pierre, Apollos et Paul (parfois à leur insu). Voici donc deux « bons » ingrédients (!) pour détruire le Temple de Dieu : a) de la doctrine (ou du « doctrinarisme ») mâtinée de philosophie ; b) des questions de personnes, surtout s’il s’agit de per-sonnes dites de valeur ; On aura noté que, pour combattre la sagesse (la philoso-phie) grecque ou autre, Paul utilise (v. 19) la... sagesse juive (Job 5,13), ou un autre des Ecrits, troisième partie de la… future Ecriture juive, seulement fixée à Yamnia (...où l’on a plutôt exclu certains livres que fixé la liste des livres reconnus ; lire TOB 2, p. 1917) en 90 après J.-C. : les Psaumes, en l’occurrence le Psaume 94,11 ; mais on peut ici évoquer aussi l’universelle sagesse, quand elle est modeste et affirme que « la première qualité du sage est de savoir qu’il ne sait pas » (cf. Qohéleth qui

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fera des variations sur ce thème de la docte ignorance des sages : 2,13.15s.24 ; 6,8 ; 7,16.23s ; 8,17... ; tout en sa-chant vanter l’avantage de la sagesse... humble). Enfin, on prendra au sérieux cette affirmation, parallèle à celle du Christ affirmant que « le sabbat est pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » : à savoir que l’apôtre ne possède pas ses « paroissiens », mais qu’il leur appartient (v. 21ss). Jésus-Christ n’a pas placé des apôtres, des évêques ou des pasteurs pour en faire des propriétaires d’Eglises, mais des employés, pas même d’abord au service de Dieu, mais au service des membres des communautés. Ce sont celles-ci qui sont l’essentiel, et ici le théorème catholique en prend un coup. Il est faux (en tout cas, pas paulinien) de dire : « Là où est l’évêque, là est l’Eglise ». La vérité est le contraire, même pour Pierre et même pour Paul. Et Paul, dans une grande en-volée qui évoque la fin extraordinaire de Romains 8, rappelle que devenir chrétien, c’est devenir le maître de tout (et « le serviteur de chacun », précisera Luther).

11 CCoorriinntthhiieennss 1100,,11--88..1100--11223° dimanche de Carême

Tout d’abord regrettons la disparition : a) du verset 9 qui nous rappelait que le plus grand péché d’Israël dans le désert, fut d’avoir « tenté Dieu », d’essayer de le détourner de lui-même en quelque sorte (on reviendra au 1° dimanche de Carême) ; b) du verset 13 qui, quelle que soit l’interprétation qu’on en donne, nous rappelle qu’en toutes circonstances, même les plus dramatiques, le Dieu fidèle nous donnera les forces non pour les éviter, mais pour les surmonter. Ne manquez donc pas de le lire à ceux qui vous écoutent, car certains d’entre eux connaissent l’épreuve et il serait dommage de ne pas leur annoncer cette fidélité salvatrice du Dieu de Jésus-Christ. (Et on notera la détestable mais amusante coquille de la TOB 2, note d sur le verset 3 : les figu(r)es). Ensuite le verset 1 n’est pas une forme rhétorique, mais Paul écrit ici à des Grecs qui n’ont pas encore eu le temps de consulter vraiment la Torah, qui est cependant la seule Ecriture sainte à laquelle l’Eglise naissante pou-vait se référer. Jamais Paul ne pouvait imaginer que les billets de prédication apostolique qui circulaient, allaient bientôt se fixer en une autre Ecriture sainte, à laquelle, ô paradoxe (qui ne l’eût pas enchanté !), allait s’ajouter sa propre littérature ; ce qui donnera le Nouveau Testament. Les seuls textes dont il disposait étaient ceux de l’Ancien Testament dans sa version grecque. Mais comment transposer ces « histoires juives » en plein milieu grec ? Or, les Juifs alexandrins avaient rencontré la même diffi-culté, et ils la résolurent de manière radicale. Ils trans-formèrent ces « histoires juives » en allégories (exem-ples, etc…), où on dés-historicisait le plus possible les récits (les Grecs religieux n’aimaient pas l’histoire, ils la transformaient en mythes a-temporels) pour obtenir de grandes allégories – cf. par exemple Philon, qui, on me pardonnera, me fait parfois mourir (!) de... rire, mais je le connais mal-valable pour tous les temps et tous les peu-ples, afin de pouvoir ensuite, pour ceux qui en éprouve-raient le besoin, les donner en « modèles » des événe-ments présents.

Ici, pour montrer que même les meilleurs chrétiens (ce que pensaient être les Corinthiens, cf. chapitre 13) pour-raient bien être éliminés (9,26-27) de la course au Royaume, Paul rappelle que, quoique baptisés, plongés (voilà l’allégorie) dans la Mer Rouge et même « en Moïse » (v. 2) comme on l’est en Christ (comparaison boiteuse s’il en est), quoique nourris et abreuvés par Moïse, comme dans la Cène nous le sommes par le Christ (v. 3, et là encore ça boite sérieusement), les Juifs furent décimés dans le désert. Baptême et Cène ne sont donc pas des gris-gris qui nous rendraient invulnérables ou incorruptibles. Ici, ça ne boite plus, c’est sûr ! On peut donc encore être éliminé et ne jamais arriver en Terre Sainte. Que donc celui qui se croit toujours droit et de-bout, prenne bien garde : « lui aussi peut tomber » (au-quel cas Dieu ne permettra pas que les causes de sa chute dépassent ses forces : v. 13). – Au fait, à l’actif du choix de ce passage, sa parenté (le désert du Sinaï) avec le texte précédent (Exode 3,1-15).

11 CCoorriinntthhiieennss 1111,,2233--2266Jeudi Saint

1° Bien relever que c’est ici le récit le plus ancien (de tout le Nouveau Testament) qui nous relate le Repas du Seigneur (vers 55), et on notera que la recension de Luc sur le même sujet (Luc 22,14ss) qui a, au moins 20, si-non 25 ans de plus, en est très proche (à part la deuxième coupe, v. 20). On en profitera pour voir que la tradition et la transmission des paroles et gestes de Jésus ont été beaucoup moins fluctuantes qu’on ne l’a dit. Et donc que Paul, qui lui aussi écrit 25 ans après les événements mêmes, relate une tradition, a donc de grandes chances de donner un récit très, très proche de la réalité histori-que. 2° Il est dommage (si l’on veut vraiment parler du « Repas du Seigneur ») de ne pas remonter au v. 17, et ainsi d’oublier que le Repas du Seigneur était la partie finale d’un repas entre chrétiens. Cependant Paul va y avoir des paroles malheureuses (v. 22) qui, aussi légiti-mes qu’elles aient été (des Corinthiens goinfres et riches étaient déjà ivres et insultaient ainsi la sobriété forcée de Corinthiens pauvres et sobres), ont amené l’Eglise à décrocher pour toujours (?) le Repas du Seigneur, du repas entre frères. C’est très dommage ! Il est donc re-commandé, au moins deux ou trois fois par an, de re-trouver ce vieil usage du repas en commun qui s’achève par le Repas du Seigneur qui, lui-même, nous donne forces pour un nouveau départ dans la vie de tous les jours. 3° La raison principale de l’ivresse corinthienne n’est pas dans le degré alcoolique élevé du vin de Corinthe, mais dans les usages religieux. On s’enivre pour retrouver le Paradis perdu (Genèse 9,20ss). Et ici des Corinthiens le faisaient pour aller retrouver le Christ dans les cieux ! Or, le Repas du Seigneur, c’est le Christ qui se présente ici-bas, parmi nous. Il y a total malentendu et c’est ce qui met l’apôtre en colère. C’est ce que vise l’apôtre avec l’« indignement » du v. 27 : c’est être ivre au point de plus reconnaître qu’on célèbre le Repas du Seigneur. 4° On retiendra l’expression « Repas du Seigneur », qui est, sans aucun doute, la meilleure dénomination de cette cérémonie (Cène, Eucharistie, noms donnés pour la célé-

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bration dans le calendrier ! sont beaucoup plus partiels) : v. 20. On remarquera aussi en l’occurrence que Paul en fait un repas communiel (10,1ss) et de partage (11,22) avec le Christ présent et avec les frères. 5° Suis-je autorisé à essayer d’apporter un peu de lu-mière sur le très malheureux « en mémoire (de moi) » parfois rendu par un encore plus malheureux « Mémorial (de moi) » ? Il faut en revenir à l’hébreu. Les Hébreux ont une mé-moire (pour les événements de l’histoire du salut) qui fonctionne à l’inverse de la nôtre. Nous, nous nous repor-tons en arrière pour essayer : a) intellectuellement, de reconstituer l’événement, b) sentimentalement, de le revivre. Nous essayons de le répéter ; même si nous ajoutons « sacramentellement », il n’empêche que c’est une répétition ou plutôt un essai de répétition (lire ici « La Reprise » de Kierkegaard, trad. N. Viallaneix). Or l’Israélite, lui, sait que cet événement passé est ce-pendant (à cause du Seigneur) resté présent, et qu’il lui revient d’en découvrir la présence et l’actualité. « Une fois pour toutes » signifie pour lui « une fois pour tou-jours ». Nous n’aurons donc ni à nous souvenir, surtout pas sentimentalement du Christ, ni encore moins à répé-ter ce que le Christ a fait et donné, mais à en découvrir la présence. Car il vient à nous, il se révèle à nous durant ce repas où nous partageons entre nous le sacrifice qu’il a offert. Tout se passe au présent : cf. Luc 24,30s. Et le Christ est réellement présent. Mais d’aucune ma-nière ce n’est nous qui occasionnons sa présence. Ainsi le « Faites ceci en mémoire de moi » = « Faites ceci pour découvrir que je suis présent parmi vous et que mon sacrifice vous est présenté » (cf. le v. 26). C’est tellement simple... qu’on préfère continuer des combats sans issue, avec des termes aussi philosophiques que creux. Qu’on me pardonne !

11 CCoorriinntthhiieennss 1122,,44--11112° dimanche ordinaire

Puisque désormais l’usage l’a consacré, on prendra le terme « charisme » plutôt que « don de l’Esprit » et, pour éviter son affaiblissement dans un abus (on parle, par exemple, aujourd’hui du « charisme » politique de tel chef de parti politique), on précisera bien : « don de la Grâce » (Grâce = charis), même si cela confine au pléo-nasme. Ensuite, toujours à propos du vocabulaire, la traduction : « ministère » me semble, elle aussi, abusive, sinon sacer-dotale ou administrative. C’est la manifestation, dans le domaine pratique, visible, du « charisme » et qui se tra-duit par un « service » concret. Cela ne désigne pas les « ministères » tels qu’ils sont fichés, cernés, définis par nos synodes ou nos livres, mais tout ce qui est travail concret dans l’Eglise. D’ailleurs, le mot devrait être traduit littéralement par « diaconie », mais ce terme a subi (déjà dans le Nouveau Testament, 1 Timothée 3 par exemple) un rétrécissement qui le rend aujourd’hui impropre ; c’est le terme « service » qui convient le mieux : « Tout ce qui dans l’Eglise correspond à un service (rendu à la gloire du

Christ ou au bénéfice des frères) est un charisme et pro-vient donc du seul Saint-Esprit ». Il montre que l’Esprit déploie dans l’Eglise son énergie (c’est le mot « énergêma »). Ce n’est donc pas à une doctrine (surtout pas !) bien léchée des ministères que nous avons ici à faire, mais à une exposition de la diversité des manifesta-tions et réalisations de l’Esprit dans l’Eglise. Paul précise bien (v. 7) que tous ces charismes, ces ser-vices, ces réalisations sont la partie visible du Saint-Esprit, et qu’ils sont confiés à chacun, ce qui veut aussi dire à tous, mais de manière tellement personnalisée, qu’ils sont tous différents, même si, derrière cette diver-sité, il y a un unique Esprit et un unique Seigneur. Et ce que nous voyons est nécessairement divers puisque l’Esprit unique respecte chacun dans sa personnalité et son unicité. L’homme ne peut jamais voir que la diversi-té ; c’est le Seigneur seul qui est unique (v. 4-5). Ce qui signifie, entre autres, qu’une unité qui serait une unifor-mité visible, ne viendrait pas de Dieu, en tout cas du Dieu de Jésus-Christ. Il faut s’en souvenir. Et Paul, pour bien se faire comprendre, va donner quel-ques exemples de cette « divine » diversité, qui n’a donc pas pour origine notre misère et nos péchés, mais le respect, par l’Esprit, de la personne unique que nous sommes, afin qu’elle se mette au service de l’Eglise et des frères (v. 7). Et s’il est vrai que Paul introduit dans cette énumération une sorte de hiérarchie envers ces divers charismes, ce n’est pas pour en établir une liste exhaustive et défini-tive, ou un ordre intangible, mais pour faire comprendre quels sont, à son avis, les charismes les plus utiles à la communauté. Etudions-les un peu : * v. 8 : un message ou une parole de sagesse = de bon sens ; ce n’est pas pour rien que Paul donne ici, à cette Eglise souvent folle, comme premier charisme, celui d’y dire des paroles de bon sens, des paroles équilibrées ; * puis : un message, une parole de connaissance (gnose) ; cela semble plus curieux dans une Eglise où beaucoup s’y présentaient justement comme des « sachants », des... « gnostiques » (cf. 8,1-2), mais Paul ajoute : selon l’Esprit, celui dont je vous ai parlé plus haut, et qui, lui, n’apprendra jamais qu’à mieux connaître Jésus-Christ. On remarque que ces deux premiers charismes concer-nent la Parole. * v. 9 : survient la « foi » comme charisme, et tous les commentateurs d’y voir « la foi qui déracine les monta-gnes » de 13,2. Je ne le crois pas ; il s’agit plutôt ici de la foi toute bête, toute simple du paroissien moyen dont Paul tient à rappeler qu’elle est déjà un « charisme »... si elle est foi au Christ ; c’est une « mise en boîte » des Corinthiens, amateurs de charismes spectaculaires ; * le charisme de guérison (je préfèrerais : « soins effica-ces ») : ce charisme annonce plutôt les hôpitaux que l’Eglise ouvrira plus tard, que les guérisons soudaines (qui ne sont pas pour autant exclues ici). * v. 10 : la réalisation de miracles (actes de puissance) : il peut se trouver dans l’Eglise des hommes qui réalisent des actes que seule la puissance divine peut expliquer. Mais on n’oubliera pas que, lorsqu’un frère parvient à en réconcilier deux autres, il a réalisé l’un des plus « gros » miracles qui soient ;

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* la prophétie : ce n’est certainement pas le don de voyance, mais plus probablement la prédication, dont il est cependant curieux de voir la place subalterne que Paul lui accorde ici, mais on sait qu’à Corinthe, il arrivait qu’on prêchât n’importe quoi (cf. le v. 3) ; * le discernement des esprits : je « sèche » (et je ne suis pas le seul) ; peut-être tout simplement est-il donné à certains de reconnaître les vrais charismes des faux... mais... mais… ? * Enfin, le « parler en langues » accompagné nécessai-rement de son interprète, car il faut dans l’Eglise que toute parole soit intelligible ou rendue intelligible (cf. le chapitre 14 et en particulier les v. 13-19). Avis à tous ceux qui cherchent les mots les plus savants, avec les phrases les plus longues et les plus compliquées !

11 CCoorriinntthhiieennss 1122,,44--77..1122ssPentecôte

Commencer carrément au v. 4, ou alors expliquer la grosse difficulté des v. 1-3 (dans des « crises » extati-ques, certains et certaines, croyant parler en langues, déclaraient que « le Christ était maudit de Dieu » ; ils ne faisaient que reprendre en l’hypertrophiant ce que Paul dit en Galates 3,13 (où ce n’est pas le même mot) et peut-être en 2 Corinthiens 5,21, à ceci près qu’ils ou-blient que cette malédiction du Christ a été le tremplin de sa Seigneurie. Je pense qu’il faut comprendre : « Personne, par l’Esprit de Dieu, ne peut dire du Christ qu’il est (seulement) anathème ou maudit, mais soyez en revanche certains que lorsque quelqu’un dit : « Le Sei-gneur, c’est Jésus », l’Esprit est présent » ; mais on voit que ce passage difficile, qui avertit qu’il ne suffit pas de garantir qu’on parle sous l’impulsion de l’Esprit pour qu’il soit effectivement présent, doit être expliqué seul – et ça en vaut la peine – ou laissé de côté.

Mais la superbe dialectique de Paul, aux v. 4-13, entre diversité et unité, vaut aussi la peine d’une bonne expli-cation (on lira les chapitres que Cullmann y a consacrés).

Tout d’abord, on ne prendra pas de manière seulement adversative les « mais » des v. 4, 5, 6 ; d’ailleurs, au v. 5, la « manie » adversative a disparu.

v. 5 : « ...différents ministres et le même Seigneur ». C’est pourquoi, plutôt que « mais » aux v. 4 et 6, je met-trais « aussi ». Ce qui montre mieux que, pour Paul, il n’y a pas contradiction ni même dialectique (contra su-pra) entre la diversité que nous vivons et l’uni(ci)té de l’Esprit du Seigneur (Jésus) et de Dieu (le Père). On remarquera, de plus, que la diversité est du côté humain et l’unicité du côté divin. Et c’est cette unicité divine qui crée (v. 6) la bénéfique et bienheureuse diversité hu-maine et ecclésiale.

Le v. 7 est aussi facile à comprendre qu’il est difficile à bien rendre : « A chacun a été donné(e) (une manière différente) de manifester l’Esprit pour le profit (géné-ral) » ; le « de tous » des traducteurs n’est pas dans le texte ; je me demande s’il ne faudrait pas traduire : « A chacun a été donné... pour le plus grand profit de... cha-cun ». Les deux « chacun » ne sont évidemment pas les

mêmes. C’est donné à chacun, et chacun en profite. Cette personnalisation me paraît judicieuse. L’Esprit n’est pas donné « en gros », en « tas ».

Au v. 12, se méfier des traductions du Lectionnaire ca-tholique et de la TOB : littéralement, « (c’est) ainsi (que) notre corps est un et qu’il a plusieurs membres ». Il n’y a ici aucune opposition entre unité et multiplicité (plutôt que diversité).

L’adversative (légère) vient au v. 12b : « Quoique tous les membres du corps soient (si nombreux), le corps est un, ainsi en est-il du Christ ». La diversité ne peut dé-truire l’unité du Christ, puisqu’en fait elle en provient.

Et Paul va alors dire ce qui fait l’unique véritable unité : « Car nous avons tous été plongés (baptisés) en un seul corps (ici, sans doute : la personne), soit Juifs soit Grecs, soit esclaves soit (hommes) libres, et nous avons été désaltérés par (littéralement, dans) l’unique Esprit ». Le baptême est le sceau de la diversité ecclésiale enracinée dans l’unité divine.

« Plan » de prédication On l’aura compris, à votre place, je préférerais expliquer, en l’actualisant, le texte classique d’Actes 2,1-21, où je ne manquerais pas de rappeler ce qu’était la fête de la Pentecôte juive, fête de l’Alliance au Sinaï et du don de la Torah, fête de la joie aussi (Deutéronome 16,11 et Jean 20,20), et enfin fête de la pleine naissance d’un peuple.

Je n’oublierais pas non plus que la première Pentecôte fut réservée à des Juifs fervents (v. 5), pour bien rappeler que la naissance de l’Eglise n’est pas une mise à l’écart (ni au rencard) du peuple juif comme, trop souvent, nous le pensons. L’Eglise n’est pas née contre Israël mais au sein d’Israël, au cours d’une fête juive, et le sermon de Pierre s’efforcera de le montrer (2,16-20), comme l’accomplissement de prophéties israélites. On en profi-tera pour exhorter fraternellement tous ceux qui sont là :

1°- à mieux retrouver les racines de leur foi : l’Ancien Testament ;

2°- (et ça n’a rien de paradoxal) à mieux cerner et vivre l’envoi de l’Eglise à toutes les nations, en sachant parler leurs langues (Actes 2,4.8-11) ; ce qui pose le « problème » (mauvais mot) jamais définitivement réso-lu, de la traduction de l’Evangile, non seulement dans les diverses langues, mais au niveau des cultures. Je me permets de penser que 1’Ancien Testament et son étude nous éviteront une dilution de la Bonne Nouvelle du Christ promis, dans une religiosité générale... autant que fade.

11 CCoorriinntthhiieennss 1122,,3311--1133,,11334° dimanche ordinaire

Ce texte doit avant tout être démystifié. Car il est sim-plement une merveilleuse « mise en boîte » des chrétiens corinthiens, qui logeaient l’obéissance chrétienne dans les actions les plus extraordinaires, les charismes les plus

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éblouissants et les records spirituels les plus extrava-gants. Paul va les ramener sur terre, et leur dire que le sommet des charismes (et du christianisme) se vit à ras-de-terre, dans la banalité quotidienne, dans les « marais » de la vie ordinaire ! Il va tout d’abord leur dire que le « fin du fin » (littéra-lement, le plus hyperbolique des charismes) de la foi chrétienne, c’est l’amour (agapê). Et ensuite débarrasser l’amour des « performances » auxquelles nous le croyons nécessairement lié. Et c’est pourquoi, en un premier temps, il prend ces performances qui, loin d’être fatalement liées à l’amour, en seraient plutôt une mauvaise copie et même la contre-façon. 1° cible de 1’apôtre : le parler en langues ; serait-il la langue des anges, s’il n’est pas au service de l’amour, il n’est que criailleries bavardes et bruits confus (v. 1). 2° cibles : la prédiction (à ne pas confondre avec la pré-dication, ce que le terme désigne cependant souvent) ou 1’initiation aux mystères ou la connaissance théologique abstraite jonglant avec les concepts, tout cela = 0 si ce n’est pas un moyen d’aimer les frères (v. 2) ; prêcher sans aimer, et même bien prêcher = 0. 3° cible (que j’ai isolée dans ce v. 2), c’est « la foi qui déplace les montagnes », car les Corinthiens ne se contentaient pas de « la foi ordinaire » des chrétiens habituels que nous avons rencontrés en 12,9, mais, fon-dés sur une parole du Christ qui visait surtout nos mon-tagnes d’incrédulité (Marc 11,22-23), ils prétendaient détenir (ou parvenir à) une foi capable d’accomplir n’importe quel acte extraordinaire. Eh bien, cette foi-là, à cause précisément de son caractère géant (destiné à culpabiliser les petits croyants), ce n’est rien non plus. 4° cible (curieuse d’ailleurs) : certains Corinthiens pré-tendaient (en paroles surtout, car la 2° épître, aux chapi-tres 8 et 9, montrera que ce n’était en fait que très rare-ment le cas) tout donner pour l’émietter entre tous. Cer-tains même prétendaient vouloir se mettre pleinement au service des autres (c’est la fin du v. 3, qui ne fait pas allusion au martyre, mais à un esclavage volontaire). Eh bien, tout cela peut, sans l’amour, ne me servir à rien. Rien de rien ! Et voilà pour tous les records corinthiens, ça peut être égal à zéro. Puis, au v. 4, Paul en vient à donner une description, soit positive (ce que l’amour est), soit négative (ce qu’il n’est pas) : Positif : - Il est longanime : il prend son temps, il reprend son souffle avant de se mettre en colère ; - Il est disponible ou serviable : souvent ouvert aux au-tres (à retenir en ce siècle de gens pressés). Négatif : - Il ne fait pas de... zèle : à comprendre dans ce contexte : il ne cherche pas les records spirituels qui en mettent plein la vue aux autres ; - Il ne manque pas à la discrétion : il ne cherche pas même à faire parler de lui, ni à dénigrer les autres ; - Il ne plastronne pas : idem (ou à peu près) que précé-demment.

On remarquera qu’il s’agit jusqu’ici de comportements tout simples, et à la portée de tous. A partir du v. 5, pour ne pas trop allonger ce petit com-mentaire, je laisse à chacun l’interprétation et surtout l’application (la mise en œuvre) ; cependant aux v. 7-8a, je me permets de donner une traduction : « L’amour couvre toujours, il fait toujours confiance, il espère tou-jours, il tient toujours bon. L’amour ne se trompe jamais (ou mieux : est infaillible) ». Maintenant, essayez-vous à retrouver cette simplicité, cette banalité de l’Agapê ; je crois que vous comprendrez mieux qu’avec ce commentaire, ce que l’apôtre voulait dire. Vous aurez les ailes coupées, mais vous aurez retrouvé des pieds (!) pour vous approcher des autres. Mais, pour l’amour du ciel (pardon !), ne transformez pas ce passage très humain… 1° en langue de bois ; 2° en message idéalisé et alors culpabilisant. Nous n’avons pas ici une description éthérée ni culpabilisante de ce que devrait être l’Agapê, mais de ce qu’elle peut facilement être dans la vie de chacun.

11 CCoorriinntthhiieennss 1155,,11--11115° dimanche ordinaire

Il y a préalablement quelques rectifications de vocabu-laire à opérer : plutôt que « Il est ressuscité des morts », il faut employer le passif : « Il a été ressuscité des morts (sous-entendu « par Dieu ») ; plutôt que « Il est apparu », il faut (malgré l’avis... orienté de bien des spécialistes), ici aussi, respecter vraiment le passif : « Il a été vu (par) » (on rejoint d’ailleurs Esaïe 6). Certes, c’est bien le Christ le véritable auteur de cette vision, mais il faut insister sur ce point : « Ceux qui témoignent du Ressus-cité sont certains de l’avoir vu, de leurs yeux vu ! ». Il ne peut donc, en aucun cas, s’agir d’une apparition inté-rieure (sic !), subjective. Qu’on dise que ces témoins se sont trompés, cela je le veux bien. C’est acceptable, même si c’est une grave accusation, mais qu’on ne leur fasse pas dire ce qu’ils n’ont pas dit, et que pour eux ce ne fut qu’un phénomène psychologique : une apparition subjective. Ils n’ont jamais dit cela, assurés qu’ils étaient de la réalité objective de celui qu’ils ont vu. Oh ! je sais, et mon vieil homme le sait encore mieux que moi, c’est insensé, c’est impossible, c’est invraisembla-ble, c’est tout... ce qu’on veut, mais : a) ne trichons pas sur le témoignage rendu par Paul et tous les autres ; b) n’oublions pas quand même que la foi est un pari contre 1’incroyable ; et que tout se joue ici... Sinon, « mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (v. 32). C’est la pierre de touche de la foi. Et maintenant rendons-nous à Corinthe. En bons Grecs qu’ils étaient, les Corinthiens ne s’intéressaient guère à la résurrection des morts. S’ils pouvaient admettre que le Christ (divin !) ait pu, par privilège ou pour impression-ner les hommes, récupérer un corps, ils ne pensaient pas que pour eux ce fut nécessaire. Car à leur mort, leur âme s’en allait retrouver la béatitude éternelle au Royaume

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des Idées. Que leur importait alors un corps qui n’aurait réussi qu’à les embarrasser ? Or, pour le Juif (pharisien) Paul, il n’en va pas de même ; croyant déjà à la Résurrection finale, comme les autres pharisiens, Pâques a été pour lui, non seulement la confirmation de cette foi, mais la cause vraie et la dé-monstration de cette Résurrection finale : « Les morts ressusciteront... parce que le Christ a été ressuscité ». Et la vie qu’il a manifestée le jour de Pâques, trouvera sa plénitude à la fin des temps par la Résurrection de tous les morts. Si bien qu’il va lier les deux événements de manière inextricable, démontrant la vérité de l’un par la réalité de l’autre et vice-versa (on rapprochera cependant de 1 Corinthiens 1,2). Sinon, on a cru en vain (v. 2). Et Paul atteste que ce témoignage de la Résurrection du Christ est le premier message qu’il a reçu (à Damas et des apôtres), et le pre-mier message que chaque apôtre doit transmettre. Il va jusqu’à faire reposer la vérité de l’apostolat sur la vision du Christ ressuscité. Au fait, attention au « Selon les Ecritures » ; ce n’est pas « Ainsi qu’il est écrit... », mais plutôt « Conformément à ce que voulaient dire les Ecri-tures », « Selon l’esprit des Ecritures », « Conformément aux Ecritures ». Paul, curieusement, oublie que ce sont les saintes fem-mes qui, les premières, ont témoigné du Ressuscité (on peut y voir un relent du dédain témoigné par les Juifs mâles envers les paroles des femmes ; cf. Luc 24,11 = ils (les apôtres) tenaient ces récits pour (littéralement) de la bimbeloterie féminine = des histoires de bonnes fem-mes). Toujours est-il que Paul prend soin : a) de souligner la validité du témoignage apostolique (v. 5-7) sur la Résurrection, à l’aide des 500 frères (dont on peut encore en interroger quelques-uns... il y a 25 ans que l’événement a eu lieu ; mais encore : b) il tient à montrer que, si la vue du Ressuscité institue ou confirme l’apostolat, tout cela est essentiellement une Grâce, parfois réservée aux plus misérables (l’avorton du v. 8). C’est encourageant !

11 CCoorriinntthhiieennss 1155,,1122--22006° dimanche ordinaire

Je vous en prie, chers amis, ne découpez pas le texte, comme la liste vous y invite, oubliant (?) ainsi de mer-veilleux (et terribles) versets comme les v. 13, 14, 15. Si j’écoutais mon vieil homme (toujours alerte, lui), je se-rais tenté de retourner par exemple le v. 15 contre ceux qui nous le caviardent (qu’ils me pardonnent quand même !). En tout cas, Paul avait établi la réciprocité nécessaire entre la Résurrection du Christ qui a eu lieu hier, et la Résurrection des morts qui aura lieu demain. Les deux événements s’entraînent l’un l’autre, et ne doivent faire qu’un pour notre foi, qui découvre aujourd’hui, et la vérité de l’événement d’hier et la vérité de l’événement de demain. Les deux Résurrections se présentent (= de-viennent présentes) dans notre foi de maintenant ; c’est ce qui arrive pour Marthe en Jean 11,23-27. Les deux

événements objectifs de Pâques et de la fin de l’histoire trouvent leur pleine vérité dans l’événement subjectif de notre foi au Christ ressuscité et ressuscitant-les-morts. Si nous refusons cette foi, nous faisons mentir Dieu tout en mentant nous-mêmes (v. 15), nous ne faisons que véhiculer du mensonge, nous sommes toujours dans nos péchés (v. 17). Ce qui signifie que, sans la Résurrection, la Croix perd son efficacité et même sa vérité. Tous sont perdus. Tout ce que nous avons été ou que nous avons fait est ramené à zéro. Idem pour les autres morts, en particulier les martyrs pour témoigner précisément de la Résurrection (v. 18). Et quant à nous, même si nous avons cru au Christ, à ses actes, ses paroles et à sa mort, nous nous sommes leurrés et nous voici devenus les plus malheureux de tous les hommes (v. 19). Mais si Paul est ainsi rentré dans une sainte (?) colère, ce n’est pas pour condamner : il n’ouvre pas ici les portes de l’enfer aux négateurs de la (les) Résurrections(s), il les avertit qu’ils ont choisi le Néant, contre la pleine vie et l’espérance ; ils ont choisi la tristesse au lieu de la consolation. Au total, il exhorte, il presse vers l’espérance, mais répétons bien qu’il ne voue pas à la torture éternelle ceux qui refusent de croire. Et c’est alors le merveilleux v. 20 ! « Mais non, cette incrédulité ne peut rien contre les faits : Christ a été ressuscité des morts, annonçant ainsi le jour où ceux qui sont morts ressusciteront aussi ». Nier la vérité ne peut aboutir à effacer cette vérité. Ne craignez donc pas, quels que soient vos doutes, d’annoncer avec fermeté la Résurrection, Christ et la Résurrection des morts. Le Dieu à qui rien n’est impos-sible, a troué une fois pour toutes la mort (les femmes de Pâques se trouvent curieusement devant un Vide, un Trou ; c’est celui par lequel la Vie même de Dieu a péné-tré enfin dans notre Monde).

22 CCoorriinntthhiieennss 55,,1177--22114° dimanche de Carême

Avant de dire que ce passage est difficile, ce qui est vrai mais seulement dû à notre propre infirmité qui recule devant les splendeurs qui sont ici révélées sur nous, ad-mirez ces splendeurs (théologiques et vivantes) ! Retenez tout d’abord que le Christ est venu inaugurer une nouvelle création (littéralement, au v. 17) qui concerne le kosmos en entier, ce qui, au passage, fait de nous de nouvelles créatures. Bien insister ici sur le mot « nouveau ». Cela désigne, non pas un replâtrage, un rafistolage, un ravalement, ni même un rajeunissement de ce qui existe, mais une refonte totale en vue de quel-que chose qui n’a jamais encore existé. C’est la deuxième Création que, d’après Paul (Romains 5,14-21), Dieu avait en vue dès la Création (et non pas après la désobéissance) d’Adam (et Eve). L’ancien (monde) est passé, trépassé même ; déjà nous sommes dans la nou-veauté. Et cela concerne, répétons-le, l’Univers entier ; mais, comme Paul encore le précisera (en Romains 8), ce monde nouveau, qui gémit sous le cadavre de l’ancien, ne nous est pas encore vraiment sensible. Nous aussi, nous gémissons dans l’attente de la révélation des en-fants de Dieu (Romains 8,18-25). Nous sommes déjà

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sous ce double signe de l’ancien qui meurt et de la nou-veauté qui naît et croît (cf. 2 Corinthiens 4,16-17). Cependant il nous est permis, en certains cas, presque d’apercevoir, sinon de vivre, ce monde nouveau qui, tous, nous attend. C’est par exemple en considérant Dieu, comme nous pouvons le regarder dans ce monde nouveau, c’est-à-dire comme Père ; en effet, Dieu s’est réconcilié (en Jésus-Christ) avec nous. Ici encore, un mot à mieux compren-dre ; étymologiquement, le verbe signifie « intervertir, échanger (les places) » ; Dieu, qui nous accusait (du moins c’est ce que nous pensions) a pris, avec Jésus-Christ, notre place d’accusés pour nous donner vraiment la place de son Fils. Certes, ceci n’est encore qu’une manière approchée de parler de notre salut réalisé par le Christ, mais c’est une des moins mauvaises manières de rendre compte de ce qui ne se laissera jamais emprison-ner dans le langage ni coincer dans un système théologi-que : Jésus-Christ a pris notre place pour nous donner la sienne (« Il est mort pour tous » : 5,1s). Et Paul continue avec le verset 21 qui a fait tant couler d’encre et de salive. Dans la logique de ce qui précède, on peut s’accommoder des traductions habituelles : Christ devenu pour nous « le Péché » lui-même, pour que nous, nous devenions à sa place « la justice pour Dieu » = ceux qui sont justes devant Dieu, et donc à leurs pro-pres yeux. (Dieu y voit quand même plus clair que nous-mêmes en nous). Mais ce mot « Péché », dans le Léviti-que même (version Septante), désigne parfois le « sacrifice accompli pour le péché ». Il n’est donc pas interdit de traduire de cette manière moins abrupte : « Christ devenu pour nous le sacrifice pour le péché ». De toute manière, cette Bonne Nouvelle d’un Dieu qui a pris notre place pour vraiment nous donner la sienne, doit non seulement être pleinement reçue par chacun d’entre nous (c’est le pathétique verset 20 = « Acceptez pour vous cette réconciliation avec Dieu »), mais elle est aussi le message dont nous sommes tous les ministres (diacres : verset 18), et que nous devons proclamer à tous : « Jésus, le Fils de Dieu, a pris notre place pour vous donner la sienne ». Enfin, ne pas prendre le « si » du v. 17 comme condi-tionnel, car souvent, chez Paul, il signifie « puisque ». Ce n’est pas une hypothèse, mais une affirmation dont on part pour progresser vers une autre.

GGaallaatteess 66,,1144--11884° dimanche après la Pentecôte ou 14° dimanche ordinaire

Cette fois, pour ceux qui la posséderaient, c’est la traduc-tion du Lectionnaire catholique que nous mettrons en question : en effet, nous avons ici un texte d’une extrême véhémence (comme toute l’épître), et il faut rester fidèle (même dans la lecture à haute voix) à cette véhémence : « Il n’y a pas d’autre œuvre bonne, même (et surtout) pour le meilleur chrétien, que la seule Croix du Christ. Et il n’y en aura jamais d’autre ». L’apôtre renoue ici, pour la véhémence, avec le début de l’épître : 1,6-12 ; et pour le contenu, avec 2,18-20. Il retrouve le cœur de son Evangile : la Croix du Christ, non pas par mysticisme, encore moins par un dolorisme

quelconque, mais parce qu’à cause d’elle, tout désir de présenter devant Dieu une quelconque vertu humaine, est considéré comme attentatoire à la volonté de Dieu et, au total, négation de la Croix elle-même. Paul ne veut pas avoir d’autre sujet de gloire que le Christ et le Christ-crucifié. La TOB donne pour 6,15 une longue et excellente note qu’on consultera avec profit. Je me permets, à sa suite, de relever que le mot « monde » en 6,12 n’a pas ici un sens très habituel dans le Nouveau Testament. Ici, il désigne surtout le désir humain (mondain) de vouloir présenter à Dieu (et aux autres par la même occasion) des œuvres ayant quelque valeur par elles-mêmes, dont la circoncision, œuvre religieuse par excellence, est un exemple. La Croix tue chez l’homme, crucifie (ou doit crucifier) chez l’homme, toute volonté d’autojustification. C’est pourquoi il ne faut pas comprendre (comme trop souvent) le v. 14b comme une déclaration ascétique. C’est la renonciation à découvrir dans quoi que ce soit d’ici-bas, fût-ce dans la religion la plus ascétique (et surtout dans la religion la plus ascétique), une réalité quelconque qui nous rendrait plus supportables ou plus aimables aux yeux de Dieu. Celui-ci ne veut pour parte-naires que des hommes qui savent qu’ils n’ont que la Croix du Christ pour les rendre supportables. C’est cela, cette nouvelle création, ce nouveau monde du v. 15, où l’on vit détendu devant Dieu et devant les au-tres. Le monde où il n’y a pas d’autre vertu que la Croix du Christ, d’autre auréole que la Croix. Et c’est cela, la nouvelle règle de vie (v. 16) : le nouveau canon (littéra-lement) de « l’Israël de Dieu ». A ce propos, il est proba-ble que cette dernière expression désigne particulière-ment les Juifs qui, devenus chrétiens, refusent désormais de considérer leur circoncision comme un privilège. Quant aux « stigmates » du v. 17, ce n’est probablement pas sans quelque humour que Paul voit dans les cicatri-ces des traces des coups de fouet ou des bastonnades reçus pour sa foi – rappelés en 2 Corinthiens 12,24-25 (ou Actes 16 à 22) – comme une preuve que toute sa vie est désormais marquée par la Croix... jusque dans sa chair. Lui n’a pas besoin de s’infliger (par l’ascèse ou l’extase, par exemple) ces marques ; son obéissance à la prédication de la Croix ont suffi pour qu’on les lui in-flige. Ces marques sont aussi une réponse à la circonci-sion.

EEpphhééssiieennss 33,,22--1122Epiphanie

1° Remonter au v. 1. 2° Ne pas hésiter à briser les phrases dans toute l’épître aux Ephésiens (traduite « fidèlement », cette épître est un pur charabia, ou pour le moins une longue incantation). 3° Renoncer au terme « païens » que l’Eglise a chargé de tous les mépris ; ce sont simplement des « non-Juifs », et pas même des non-chrétiens, puisque justement l’auteur de l’épître entend montrer que la grande nouveauté, et même le « mystère » de l’Evangile, est que des « soi-disant païens » sont déjà agrégés au même corps que les chrétiens d’origine juive. Ces non-juifs (les goyim) ont

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obtenu avec le Christ les mêmes privilèges que les Juifs. Le mur de séparation est tombé (2,14) au Golgotha, non seulement les murs objectifs que sont les différences (qu’on dit naturelles) entre les hommes (et même le mur de l’élection d’Abraham qui,, au lieu de devenir ségréga-tion, doit devenir source d’union), mais surtout les murs subjectifs (la haine entre races, nations ; les répulsions instinctives, etc…). La croix, vécue par le Christ comme sa séparation d’avec Dieu, est ce qui a réuni entre eux les hommes (2,14). Et la Torah, avec ses lois sur le pur et l’impur, avec ses ségrégations et ses expulsions, est elle-même abolie. C’est ce que l’apôtre résume ici, en nous disant que ces non-Juifs sont « désormais » co-héritiers, co-incorporés, co-participants à la promesse du Christ (traduction de Michel Bouttier), transmise par la prédication de l’Evangile. Bien entendu : a) après l’antisémitisme qui a connu son paroxysme au XX° siècle, on songera que le privilège juif (que l’auteur entend non pas nier, mais étendre à tous) est devenu la cause de la haine destructrice qui lui fut portée. Et le texte est en quelque sorte à renverser. b) on se souviendra des ségrégations, et pas seulement de celles spectaculaires de l’Afrique du Sud (dont il faut pourtant saluer au passage l’évolution), mais encore celles que nous faisons subir par exemple aux musul-mans (celles qu’ils infligent aux chrétiens, sans être oubliées, ne peuvent, en aucun cas, servir d’excuse. Les fautes des uns ne peuvent jamais devenir l’alibi de celles des autres). De plus, il y a toutes ces petites ségrégations qui cassent même l’Eglise. Par exemple « les chrétiens qu’on dit généreux » qui se plaignent si vite de ceux qui oublient la vie de l’Eglise, au lieu de leur réaffirmer qu’ils sont aussi co-héritiers, co-, etc… (Des co-co !). En tout cas, des co-pains ! Par ailleurs, on aura noté que, si la grâce de Dieu a été donnée à l’apôtre, ce n’est pas pour qu’elle s’arrête à lui, mais pour qu’elle parvienne à d’autres : à ces non-Juifs. Je regrette qu’on ne garde pas l’expression du v. 2 : « ...L’économie de la grâce de Dieu ». Ce mot « économie » (d’habitude « gérance »), renvoie ici à la réalisation du plan de salut divin dans l’histoire des hommes, tel que Dieu l’a voulu et dont l’auteur vient de parler dans le chapitre précédent. Ainsi, « la grâce de Dieu » ne se limite pas à une effusion, encore moins à un pouvoir ni même une charge quelconque, mais dans la révélation du mystère de ce plan divin, qui veut non seulement aboutir au salut de tous : Juifs et non-Juifs, mais à leur union et incorporation (sans que leur identité soit niée). La grâce faite à Paul a été l’amorce d’une grâce à l’œuvre dans l’histoire des hommes. On s’amusera du v. 3 (« rapidement » in TOB ; « peu de mots » in Segond ; escamoté in Lectionnaire catholique ; « en bref » in Bouttier). On repérera (pour la louer ou la critiquer) la glissade de textes entre celui de Colossiens 1,26, où le mystère (christologique) du salut était révélé aux saints = aux chrétiens (par la prédication de l’Evangile), et celui-ci où ce mystère n’est plus révélé qu’aux saints apôtres et prophètes (de l’Ancien Testa-ment ? ou de l’Eglise primitive ? Cf. note v. in TOB 2 sur Ephésiens 2,20). Et on profitera de 3,6 pour parler

des Missions chrétiennes, même anciennes, de manière fraternelle. Enfin, c’est par la croix qu’a eu lieu de fait la réconcilia-tion, la réunion des Juifs et des non-Juifs. Le v. 6 insiste sur ce point : aujourd’hui, c’est dans et par l’annonce de l’Evangile que cette réunion devient réalité pour les hommes de notre temps. Songez-y quand vous prêchez ; vous découvrirez ce que vous êtes en train de faire.

EEpphhééssiieennss 44,,11--6617° dimanche ordinaire ou 9° dimanche du Temps de l’Eglise

v. 1 : Je vous encourage ou je vous exhorte ; ensuite littéralement : moi, prisonnier à cause du Christ ; cf. 3,1 : prisonnier du Christ ; l’auteur, sans doute en prison, voit ses liens comme une grâce faite par le Christ (pour ceux à qui il écrit). Accordez votre vie à l’appel, etc… : plus littéralement « marchez dans la ligne de la vocation... ». v. 2 : Nous supportant : le verbe ici employé laisse bien supposer que cela ne va pas de soi, il faut la présence active de l’Agapê pour y parvenir ; en nous-mêmes, nous sommes « insupportables », encore plus que les autres ne nous le sont. v. 3 : ce n’est pas la grande phrase ronflante qu’on en fait souvent cependant : si vous voulez garder un même esprit, qu’un même souci de la paix dans l’Eglise vous anime. Ce n’est certes pas la paix du sommeil, mais la volonté de croire en paix les uns avec les autres. Car l’esprit (ici) n’intervient : a) que dans la paix, b) que pour accorder la paix. Les querelles le font fuir. v. 4 : dans une même communauté, l’appel fondamental est à faire vraiment un même corps (mais bien lire ici 1 Corinthiens 12,12-27) qui exige des membres différents, tendus par une même espérance, vers un même but, puis-qu’au départ de tout il y a un même Dieu et Père de tous, avec un seul Seigneur, une même foi, et le même bap-tême (cf. dans le Shema’ Israël : le Dieu Un). Méditation : Il suffira de bien lire le début de la phrase pour être ras-suré : Ephèse (ou une autre communauté) n’est pas l’Eglise idyllique, dont chacun rêve, mais certainement une Eglise ayant au moins des tendances à la division. On n’appelle à la paix que ceux qui ont envie de se dis-puter, et à l’unité que ceux qui ont envie de se séparer (cf. 4,14-32). Mais admirez le respect de Paul : il ne « commande » pas la paix, l’unité, il les recommande. Un écueil est ici à éviter par le prédicateur devant ce portrait (qu’il croit idyllique ou idéal de l’Eglise) : comme la communauté qu’il a devant lui n’est certaine-ment pas parfaitement unie, qu’il fasse attention dans sa prédication à ne pas accentuer les divisions éventuelles, ou à décourager, mais tout le contraire. C’est d’ailleurs pourquoi je regrette la disparition du verbe « marcher » dans le v. 1. L’unité, la paix, etc… sont des buts vers lesquels on marche avec des sinusoïdes et des reculs, mais pas encore de points d’arrivée. Si on y était déjà... on serait déjà au Royaume. On stagnerait.. Ce chapitre 4

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dépeint une démarche vers un but, non pas un état. Très important durant « la semaine de l’Unité » qu’on devrait plutôt définir comme la « Semaine-de-la-marche-vers-l’Unité ».

EEpphhééssiieennss 44,,3300--55,,2219° dimanche ordinaire ou 11° dimanche du Temps de l’Eglise

4,30 : Attrister le Saint-Esprit (?) : sans doute à rapporter au verset qui précède ; le Saint-Esprit se réjouit quand il entend des paroles (qu’il a lui-même préparées) qui consolent (Paraclet : Consolateur), édifient, apportent et annoncent la grâce. Il s’attriste quand il entend qu’on se sert de lui pour... attrister, culpabiliser, démolir (cette explication, toute simple, en vaut bien une autre), ou pire encore pour tuer. Saint-Esprit en (par) qui vous avez été marqués en vue du jour de votre rédemption-délivrance : allusion proba-ble au baptême vu ici comme une promesse, alors que l’auteur, à la différence de saint Paul, pense plus souvent au « déjà » qu’au « pas encore » (comparer le futur de Romains 6,5 à Ephésiens 2,4-6). 4,31 : L’auteur cite ici en particulier toutes les paroles négatives, destructrices qui attristent le Saint-Esprit. 4,32 : Ayez du cœur... : Allusion probable aux épisodes du Nouveau Testament où il nous est dit que « le Christ était pris aux entrailles » (cf. Marc 6,34) ; on peut aussi songer à la « tendresse » (?) : « Laissez-vous atten-drir ! ». C’est le contraire du cœur dur. 5,1 : Devenez des imitateurs de Dieu ! : Ne pas avoir peur de cette exhortation unique = nous pouvons aimer (à notre échelle) comme Dieu aime. Il y a différence de taille, certes, mais pas de substance. C’est le même amour car « l’enfant aime comme le père... » ; il ne peut pas inventer un autre amour que celui que le père lui donne. 5,2 : On remarquera la triple similitude sacrificielle du Christ comparé a) à l’offrande, b) à la victime, c) à l’encens. L’auteur pense que Jésus a résumé dans sa vie toutes les sortes de sacrifices de l’Ancien Testament (le prêtre semble oublié, mais cf. épître aux Hébreux).

EEpphhééssiieennss 55,,88--11444° dimanche du Carême

Le « dans le Seigneur » (unanime chez les exégètes : Lectionnaire catholique ; TOB ; Bouttier qui pourtant en relève « la perspective ecclésiale », mais alors, pourquoi ne pas mettre : chez le Seigneur ?), me semble, une fois encore, être devenu pour nous (pas pour l’auteur) du langage vide. On hésitera entre « chez le Seigneur » et « à cause du Seigneur ». En tout cas, livré à lui-même (jadis, v. 8) ou à toute autre puissance (même éthique), l’homme n’est que ténèbres, mais, éclairé par Celui qui est la Lumière (Jean 9,5), il

devient maintenant lui-même reflet de la lumière (Mat-thieu 5,14-16) dont il ne doit jamais oublier la source. Il n’est pas luminescence, mais simple reflet d’une lumière qui le guide en premier lieu, et dans laquelle il doit mar-cher (ou apprendre à marcher) (TOB... fantaisiste ou orientée, met : « Vivez », ce qui escamote la finesse et la prudence du texte) (v. 8) et non pas courir. On relèvera l’image (osée !) du « fruit de la lumière » (esquivée par la tournure du Lectionnaire catholique : « la lumière produit tout... »), au sens où la lumière (qui vient du Christ) crée en nous « toutes sortes de bonté, de justice et de vérité ». Là, il faudra bien s’arrêter à chacun de ces mots, pour que cela ne dérive en nouveau « bla-bla-bla » aussi pieux qu’irréel. Le mot « justice », en particulier, a besoin d’un sérieux décrassage – l’usage des dictionnaires modernes est recommandé, cf. le très bon (et de prix modeste) Gillieron, ou le D.E.B. (Brepols). On relèvera, au v. 10, que la lumière du Christ nous permet de discerner (car ce n’est pas toujours évident, et ici n’ayez pas peur d’enfoncer le clou) ce qui plaît à Dieu. Le discernement de ce qui plaît à Dieu est aussi lui-même ce qui plaît à Dieu ; et pour user du jargon actuel, c’est notre « espace de liberté et de décision ». C’est l’espace où Dieu nous fait confiance afin que nous sachions nous-mêmes tracer notre chemin ; car déjà cela lui plaît d’avoir des fils capables d’invention, de liberté et de trouver eux-mêmes les voies de la lumière. J’insiste ici (comme en Romains 12,2) sur le fait qu’il ne s’agit pas seulement de discerner ce qui plaît à Dieu, mais que cette « faculté » de discernement qui nous est accordée, fait aussi le plaisir de Dieu (pardon pour la répétition !). Puis, à partir du v. 11, on revient aux ténèbres des v. 6-8a, avec l’insistance sur le fait que les « ténèbres et les œuvres qui en découlent » recherchent le secret et la dissimulation, alors que la lumière veut toujours plus de lumière. Sans durcir tout ceci, on ne craindra pas de dénoncer cette recherche, fréquente jusque dans l’Eglise, du secret (Luc 12,2-3), des combines de couloir, etc… On lira ici avec plaisir Bouttier qui distingue bien entre le commérage complice (qui étend le mal) et la dénoncia-tion courageuse (qui, tel le bistouri, débride).

EEpphhééssiieennss 55,,1155--220020° dimanche ordinaire ou 12° dimanche du Temps de 1’Eglise

Il faut se souvenir d’où « sortent » les Ephésiens (5,1-8) : leur(s) religion(s) s’accompagnaient des pires débauches qui sont autant d’atteintes à la Sagesse, qui est équilibre, prudence et finalement sobriété. C’est pourquoi l’auteur leur demande de bien regarder où ils « mettent les pieds » (v. 15). Et il n’est pas étonnant que, plutôt qu’un appel à la foi ou une hypothétique morale chrétienne, il fasse ici appel à l’universelle Sagesse, qui partout condamne l’excès. Certains, sottement, parlent de mé-diocrité de la Sagesse. Ils se jugent eux-mêmes. v. 16 : Mettez à profit le temps : traduit jadis par « Rachetez le temps » ; c’est peut-être une allusion à celui qui, sur le marché, trouve des denrées qui lui conviennent = donc sachez sauter sur les occasions de

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vous conduire avec sagesse, car les temps sont mauvais et les bonnes occasions sont rares. v. 17 : Ne manquez donc pas de jugeote, en vous effor-çant, avec votre intelligence renouvelée, de découvrir où réside la volonté de Dieu (qui veut donc que nous soyons aussi des sages). v. 18 : Exemple d’un défaut de sagesse (de mesure) : l’ivrognerie, le vin fait perdre tout sens (je ne pense pas qu’il s’agisse ici de la Perdition, mais de la perte de tout équilibre et de toute raison, cf. Proverbes 23,29-35). v. 19 : Qu’est-ce que « se remplir de l’Esprit Saint » ? C’est expliqué par la suite : « Dire et chanter ensemble des cantiques, des psaumes... célébrer le Seigneur ». Ainsi est-on de plus en plus pénétré de l’Esprit Saint. v. 20 : Et rendre grâce pour toutes choses... Notre époque qui, pour de bonnes (et de moins bonnes) raisons, s’est écartée de la piété, doit donc s’efforcer de la retrouver. Mais ma prière sera que Dieu nous donne : a) de bons poètes (simples et vrais), b) de bons musiciens (simples et vrais).

EEpphhééssiieennss 55,,2211--332221° dimanche ordinaire ou 13° dimanche du Temps de l’Eglise

v. 21 : Littéralement dans la crainte du Christ : ? (cf. remarque sur Josué 24,14s). Dans l’Ancien Testament (récent), ceux qui voulaient vraiment servir YHWH, s’appelaient les « craignants Dieu ». Ils représentaient la communauté fidèle. Je préférerais : Vous, les « fidèles-du-Christ » ; il s’agit donc des communautés ecclésiales, ce qui permet de mieux saisir le « Soumettez-vous les uns aux autres ». 1) c’est sans aucun doute un pronominal ; 2) il ne s’agit pas de soumission aveugle, ce qui, d’ailleurs, interdirait toute autorité dans l’Eglise. Et une soumission réciproque est une absurdité. C’est le coup de la porte où personne ne peut passer, car tous disent : « Après vous… ». Il s’agit ici plutôt d’une disposition d’esprit où on ap-prend à écouter les autres et se prépare à reconnaître le bien-fondé de leurs paroles et de leurs directives. On est prêt à dire : « Tu as raison », au lieu d’être constamment sur le « qui-vive », sur le refus préliminaire ou dans le soupçon perpétuel. On ne dénoncera jamais assez le soupçon qui détruit le soupçonné et encore plus le « soupçonneur ». Le SOUPÇON = contraire de la FOI. v. 22 : On s’élèvera avec d’autant plus de vigueur contre la traduction habituelle « Femmes, soyez soumises... », que le verbe n’est même pas répété ; littéralement « Que les femmes (fassent) de même envers leurs propres maris (tout) comme envers le Seigneur ! ». Répétons bien que le verbe est absent et que c’était un pronominal. v. 23 : Tête : anachronisme souvent, car, à l’époque, la tête n’est pas « ce qui pense », mais « ce qui est à l’origine », ou « ce qui porte la responsabilité ». Le parallèle « Maris-Femmes », « Christ-Eglise » est certes fécond, mais aussi dangereux ; car la suite montre (l’Eglise qu’il faut nettoyer et rajeunir) que le lien Christ-

Eglise est un lien entre le Seigneur sans faute et une communauté pécheresse (ô combien !), tandis que le mariage unit deux pécheurs (heureusement !). v. 24 : Se soumettre. v. 25 : Nos liturgies qui ont supprimé ce passage, ont du coup supprimé l’exhortation (qui n’allait pas de soi, il s’en faut) faite aux maris pour qu’ils aiment vraiment leurs épouses (jusqu’au sacrifice... !) v. 26 : Il revient aux maris de maintenir leur femme en perpétuelle jeunesse parallèle à celle que le Christ seul donne à son Eglise (ici, coup de patte à tous ceux qui veulent mettre l’Eglise à la dernière mode, l’Eglise-girouette. Cela revient au Christ. L’Eglise doit être à la « mode... du Christ », Romains 12,2). v. 29 : Mise en boîte des ascètes grecs (et chrétiens ?) qui prétendaient mépriser leur corps. « Ce n’est pas vrai ! », dit Paul. Le brider, c’est trop souvent lui accorder encore trop d’attention ! v. 30 : Consultez l’intéressante note de la TOB sur ce v. 30. v. 32-33 : C’est vrai que ce mystère est grand : mais il s’agit tout simplement du mystère de l’amour du Christ qui, sans en avoir nul besoin, a consenti à prendre une « épouse » (cf. l’Ancien Testament où YHWH « se charge » d’un peuple : Osée, Ezéchiel, etc…).

PPhhiilliippppiieennss 11,,33--11112° dimanche de l’Avent

Là encore, Paul relève, encore plus volontiers qu’à Thes-salonique, tout ce qu’il a découvert de positif dans cette « paroisse » de Philippes qu’il chérit particulièrement. C’est pourquoi l’action de grâce monte « naturellement » de ses lèvres (et de sa plume), afin de rendre à Dieu ce qui lui appartient ; car il ne faut pas se tromper : si les Philippiens réussissent à évangéliser malgré les diffi-cultés (1,28), c’est au Seigneur qu’ils le doivent ; s’ils ont été généreux (par exemple 2,25, 4,10ss), c’est encore au Seigneur qu’ils le doivent, etc... Pourtant, cette église n’était pas sans problème (1,15-18 ; 2,1-4 qui semblent bien évoquer des frictions entre les responsables – peut-être entre les évêques et les diacres de 1,1 ; 1,14ss ; 3,2-13 où Paul doit rappeler que, quoique évangéliste, il n’est pas « arrivé » au but, v. 11 ; 3,18ss ; cf. l’exquis 4,2-3). L’assurance de Paul est fondée sur la certitude que Dieu ne laissera pas « tomber » l’œuvre commencée (v. 6). On relèvera aussi que Paul interprète sa captivité, de même que les difficultés de l’annonce de l’Evangile, comme autant de grâces (v. 7) qui, non seulement lui sont faites, mais rejaillissent sur ceux qui acceptent et aident son ministère. Après être revenu sur les difficultés externes et surtout internes de l’église de Philippes, on retiendra le « tous » du v. 8 (qui rend perplexe sur 3,2). Dans ce même verset 8, Paul reprend un terme (voire une expression) fréquent dans les évangiles : « avec les en-trailles du Christ » (cf. les « ému de compassion » de la vieille Segond). Le chrétien, même celui dont le cœur était, de par nature, dur et fermé, voit, à cause du Christ et en communion avec tous ceux qui en sont les disci-ples, son cœur s’ouvrir à la misère et aux difficultés des autres. Mais il faut cependant avouer que c’est la seule

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fois que Paul emploie cette expression pour exprimer les tendres liens qui l’unissent à une communauté ; le chré-tien ne perd pas le droit à la préférence (cf. « le disciple que Jésus aimait » chez Jean, que je traduis : « le meil-leur ami de Jésus »). L’amour n’est jamais nivelé, mais toujours personnalisé. Enfin si, en faisant preuve d’intelligence clairvoyante devant les événements (car le chrétien ne sait pas intuitivement ni immédiatement ce qu’il convient de faire devant eux) afin de faire le meil-leur choix, les Philippiens avancent vers le but sans que l’on puisse (v. 10) leur faire des reproches véritables (le « irréprochable » habituel est trop moralisant), cela aussi leur aura, de toute manière, été une grâce accordée par le Seigneur (v. 11). Que personne donc, pas même les Phi-lippiens, ne se vante de ce qu’il est ni de ce qu’il fait ! Tout, et surtout le meilleur, lui vient de la grâce du Christ.

PPhhiilliippppiieennss 22,,66--1111Dimanche des Rameaux

Lorsqu’on explique ce texte, surtout quand on en fait (hélas !) une intemporelle confession de foi, il faut né-cessairement se souvenir de la situation de l’Eglise de Philippes. Si elle est plus chère qu’une autre au cœur de l’apôtre, il n’empêche que cette Eglise connaissait de grands problèmes de « direction » : sans doute une com-pétition s’était déclarée pour savoir qui, des diacres et évêques (1,1), allaient, tout en prenant la succession de Paul, simple serviteur (avec Timothée), prendre la tête de cette Eglise. En effet, Paul est en prison et semble condamné à mort, ce qui l’amènera à leur rappeler qu’il n’est pas encore mort (1,25), il s’en faut ! Mais il veut aussi faciliter sa succession (apostolique), si succession il doit y avoir ; et il entend montrer en vertu de quels critè-res il conviendra de choisir le « bon » candidat. Ces critères sont énumérés en 2,1-5. Ce choix ne doit pas être fait dans la division, mais il doit être unanime (2,2) si possible, et surtout chacun des candidats doit apprendre à « avoir de la considération » pour les autres (v. 3-4), au point d’accepter qu’ils puissent devenir leurs supérieurs, avec au passage cette définition magnifique, car relation-nelle, de l’humilité, qui consiste, non pas à se mépriser et se prendre pour le dernier des imbéciles, mais simple-ment « à avoir de la considération envers les autres ». L’humilité, ce n’est pas : Je suis bête, mais « Les autres ne le sont pas ». Bien plus difficile ! Paul enchaîne alors à l’adresse de ces notables philip-piens qui pensent devoir se « faire (au nom de Jésus-Christ, sans doute !) mousser » : « Ils se comportent ainsi exactement à l’inverse de Celui qu’ils doivent et devront annoncer ». Ici, je suis persuadé que Paul utilise avec beaucoup d’astuce, une hymne philippienne, qu’il re-tourne contre ceux qui la chantent. Et que dit cette hymne (peu importe qu’elle puisse venir d’ailleurs) ? Que ce Christ Jésus, dont tous ceux qui auparavant au-raient pu le voir (la « morphé », tel est le mot traduit par « forme » ou « condition », alors qu’elle est ce qu’on aperçoit) auraient conclu qu’il était Dieu, – et qu’il pou-vait alors légitimement tout exiger des autres comme leur étant infiniment supérieur – ...eh bien, celui-là qu’on tenait justement pour Dieu, n’a pas, comme tous les hommes depuis Adam cherchent à y parvenir (Genèse

3,5), pensé, lorsqu’il est venu chez les hommes, devoir jalousement conserver comme un trésor son égalité avec Dieu ; mais, au contraire, il s’est vidé (bien plus fort que « dépouillé ») de tout ce qui pouvait être divin (v. 6-7). Il n’a plus été que « béance », disponibilité totale, qui ac-cepterait d’être celui que les hommes voudraient qu’il fût. Il a renoncé à tout ce qui était privilège divin. C’est ce qu’on appelle la kénose (du verbe signifiant : se vider, évacuer). Je ne suis pas sûr que, si Paul avait dû rédiger lui-même cette hymne à la gloire du « Christ – creux », il l’eût fait dans les mêmes termes. Mais elle lui sert ici à montrer la « trajectoire salvatrice » du Christ, en miroir de l’essai d’enflure des divers ministres de Philippes. Trajectoire opposée, si bien que celui que chacun regardait comme Dieu, n’a plus été ensuite regardé que comme serviteur (ne pas traduire « esclave »). On peut voir ici que le synonyme de morphè (en « morphè » de serviteur) est : « Reconnu comme un homme ». Tous ceux qui l’ont connu, n’ont pu y voir qu’un (simple) homme, car lui, dans cette condition d’homme, a choisi la plus basse : celle de serviteur. Si l’on veut faire un peu de théologie, on peut voir ici que la fameuse querelle à propos des deux « natures du Christ » aurait au moins dû se méfier du terme piégé de « nature » ; surtout, si l’on définit la... « nature » divine (du Christ) comme ce qui caractérise le dieu des philoso-phes et des païens : infini, immuable, etc... ; omniscient, omnipotent, etc…, avec tous les attributs dont on affuble la divinité. On est alors enfermé, quand on veut le recon-naître honnêtement, dans le dilemme : – ou le Christ, d’une manière ou d’une autre, a gardé sa nature divine, et alors il n’y a pas eu de vraie kénose ; – ou le Christ s’est vraiment débarrassé de toute sa na-ture divine (païenne) ; il y a alors vraie kénose, mais plus de dogme des deux « natures »... A moins de se poser la question autrement : et si la vraie et pleine divinité du Christ (qui est finalement l’amour) s’était manifestée dans cet abandon, dans ce vide, dans ce dépouillement de tout ce qu’il pouvait revendiquer ? Et si sa divinité n’était pas justement de pouvoir et de vouloir l’abandonner ? Jésus-Christ alors parfaitement Dieu, parce qu’il a voulu être parfaitement homme, et qu’il l’a été (Luther l’avait vu). Sa divinité s’est manifes-tée dans la plénitude de son humanité. On sauvegarde ainsi ce qu’on perdait nécessairement. En tout cas, Dieu qui, dans l’Ancien Testament, s’appelait SEIGNEUR (YHWH : nom qui dissimulait Dieu plus qu’il ne le révélait) en a jugé ainsi, puisqu’à ce serviteur, homme parmi les hommes, il lui a donné son nom suprême : SEIGNEUR. YHWH a désormais un nom : (le Christ)-Jésus. Le sous-entendu est clair, si vous voulez un « titre », un « grade » dans l’Eglise, commencez par y vivre en servi-teur.

PPhhiilliippppiieennss 44,,44--773° dimanche de l’Avent

A la lecture de ce passage (lire surtout le v. 8), on peut se demander si finalement l’une des plus grandes trahi-

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sons de l’Eglise envers le message évangélique et apostolique n’a pas été... « l’esprit de sérieux », non pas celui qui sait que seule la Parole (parfois souriante) de Dieu doit être prise au sérieux, ni celui qui se souvient que certaines décisions doivent être étudiées sérieuse-ment avant d’être prises, mais celui qui oublie qu’un sourire peut aider au sérieux ; il s’agit surtout de l’esprit qui nivelle tout au même niveau de sérieux figé ; celui qui amène fatalement à se prendre soi-même au sérieux ou en particulier à exagérer les fautes des autres (voire les siennes propres). On n’a pas assez remarqué que l’exhortation réitérée de Paul à la joie (cf. 3,1) suit l’amusante exhortation à la réconciliation de deux paroissiennes fidèles (dont les noms les disposaient à l’amitié : « Bonne route » et « Rencontre ») et qui, prêtes au martyre (v. 3), refusent... de se serrer la main. Leur dispute est devenue une af-faire... d’Eglise. Et la disproportion entre la futilité de cette affaire face à la grandeur de l’amour qu’elles ont pour le Christ, réjouit Paul, ou plutôt amuse Paul. C’est littéralement ridicule. Alors l’apôtre s’écrie : « De l’humour, en tout temps, à cause du Christ, je vous en prie, de l’humour ». « Et ne vous donnez pas en spectacle aux autres » (v. 5). De plus, le Seigneur est proche. On ne peut pas se disputer quand Jésus est à la porte ! La vraie urgence est de l’attendre et de le servir, et non de se disputer pour ce qui, comparé à la proche venue du Christ, n’est nécessairement qu’une vétille, une... pecca-dille... Hélas, les peccadilles (cf. Matthieu 23,24) ont par la suite, et aujourd’hui encore, bien souvent empoisonné la vie des Eglises. Faute de joie et d’humour ! Et c’est ainsi que, faute d’humour, l’inquiétude a souvent gagné le cœur des chrétiens. Qui parmi nous ne s’inquiète pas aujourd’hui du sort de nos Eglises ? Voire de celui de notre monde ? Cf. Matthieu 6,25. Oh, il ne s’agit pas de tomber dans l’indifférence à l’égard de ce monde (c’est pour éviter cette erreur, com-mise souvent à propos de la théologie paulinienne, que j’ai recommandé la lecture de l’extraordinaire v. 8) ; mais au contraire, il s’agit de prier et prier encore (ce qui n’est guère facile à certains dont, hélas, je suis). Alors la paix insondable de Dieu gagne nos cœurs et nous permet d’agir sans fébrilité, de souscrire à tout ce qui dans ce monde est « vrai, élevé, juste, propre, aimable et honora-ble », voire même d’en pratiquer les vertus (s’il en existe une). Nous voici loin du « monde tout pourri et tout corrompu » qui est « cher » à tant de chrétiens qui y trouvent une justification pour ne pas agir.

PPhhiilliippppiieennss 44,,66--99Ce dimanche nous réserve d’heureuses surprises, avec des textes de « haute densité ». En ce qui concerne celui-ci, sans doute est-il bon de rappeler ce qui a été évoqué lors du 25° dimanche : l’Eglise de Philippes n’est pas dans les meilleurs termes avec les autorités (cf. par exemple 4,3) ; c’est peut-être une des raisons pour les-quelles Paul a insisté sur le fait que, même emprisonné, il a réussi à annoncer et faire avancer l’Evangile jusqu’au cœur même des autorités civiles (le prétoire : 1,12-14) ; c’est certainement toujours pour cette même raison qu’il a demandé aux Philippiens « de se conduire en citoyens-orientés-par-1’Evangile » (1,27, contre les traductions

habituelles) ; c’est toujours dans le même but qu’il a exhorté les Philippiens à être bienveillants (indulgents, ouverts,...) envers tous les hommes (4,5). Ensuite cette recommandation : « (quoi qu’il vous arrive) soyez sans inquiétude (même dans les pires difficultés ; n’oubliez pas alors) de faire connaître vos requêtes (en priorité) à Dieu. (Et en conséquence) la paix de Dieu montera la garde (le vocabulaire est militaro-policier ; on évoquera encore Actes 28,16, ce qui renforce l’hypothèse de l’origine romaine de l’épître) autour de vous, Philip-piens » (4,7). « Même si vous êtes en prison (ou seule-ment surveillés), défendez-vous, mais avec... la prière et la paix suréminente que Dieu vous accordera ». On peut trouver cela « piétiste », mais : a) c’est paulinien ; b) la suite va jeter un éclairage spécifique sur cette « bonne citoyenneté » pacifique, mais active : « (Regardez, amis), n’y a-t-il pas, même à Philippes, des choses (ou des personnages) vrais, nobles, justes, pro-pres, voire même aimables ? (Ne se dit-il pas parfois) de bonnes paroles ? (Allons plus loin) n’existerait-il pas éventuellement des vertus (unique emploi paulinien du terme), voire des actes qu’on pourrait louer ? (Eh bien, tout cela, ne le boudez pas) tenez-en compte (participez-y, au lieu de toujours tout critiquer) ». On pèsera bien tous ces mots, en particulier celui de « vertu », et on cassera l’image de Paul pessimiste. Paul rappelle aussi comment lui-même à Philippes, s’est conduit dans des circonstances qui ne furent pas toujours faciles (cf. Actes l6,17-40) ; il demande alors aux Philip-piens de s’en souvenir ainsi que de tout ce qu’il a pu dire à ce propos ; en tout cas, s’il faut en croire les Actes, c’est à Philippes que Paul a déclaré pour la première fois devant les autorités qu’il était (citoyen) romain et qu’il revendiquait certaines prérogatives (Actes 16,37 qui répond très ironiquement à 16,21). C’est dans cette opti-que précise qu’il faut comprendre l’appel que Paul adresse à se conduire comme lui (v. 9) ; tout comme l’appel à l’imitation de 3,17 était un appel à ne pas se croire des chrétiens arrivés (3,15), mais à être des chré-tiens en course (3,13-14) et même simplement au pas (!) (3,16). Le piétisme de Paul, aussi réel soit-il, est un piétisme ouvert, bienveillant et prêt à s’associer à tout ce qui ici-bas est vrai, noble, juste, propre, aimable ; et même à une vertu, si éventuellement, il en... rencontrait une. On relira Romains 13,1-7 à la lumière de ce texte.

« Plan » de prédication S’il ne faut pas manquer la lecture du superbe passage d’Esaïe, sans en oublier les jeux de mots (bien-aimé = « presque » David au v. 1, et ceux du v. 7b), pour une fois, on a intérêt de se consacrer au texte de Paul (Philip-piens 4,6-9), car c’est l’occasion de dissiper quelques malentendus à son propos ; par exemple, certains ne voient Paul qu’au travers de Romains 13,1ss (isolé de ses contextes historique et textuel) ; on en profitera pour rectifier cette interprétation : Paul ne s’oppose certes pas aux structures politiques ; il prône même une collabora-tion des chrétiens, mais avec ce qui, dans ce monde, est « véritable, noble, juste, propre, honorable, etc… ». Il propose même de pratiquer les vertus de ce monde... s’il s’en trouve une !

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On en profitera pour casser l’autre image qu’on se fait de Paul : soi-disant pessimiste envers tout ce qui se pratique ici-bas qui ne serait qu’erreurs, misères, péchés auxquels le chrétien ne devrait jamais et en aucune manière parti-ciper. Certes, les œuvres de ce monde n’ont jamais sauvé personne et elles sont mêmes tordues (2,15), mais il n’empêche qu’il y en a de moins tordues et de plus pro-pres les unes que les autres, de plus justes, de plus vraies, etc… ; et pour ces dernières, Paul (et son Seigneur, Mat-thieu 25,35) ne voit pas d’un mauvais œil que les chré-tiens y participent, au contraire ! Mais on insistera surtout sur le v. 5 (délaissé, hélas, par la liste de lectures) : « Que votre indulgence (bienveil-lance, compréhension, esprit d’ouverture,...) soit recon-nue par tous les hommes ». Cette exhortation de l’apôtre éclaire Matthieu 5,16 : il s’agit de comprendre nos contemporains, de marcher à leur côté quand c’est possi-ble, de toujours interpréter leurs œuvres et leurs paroles de la manière la plus fraternelle, tout en sachant dire de vrais « Non » quand ils s’imposent, et qui seront d’autant mieux compris qu’ils ne sont pas systématiques.

CCoolloossssiieennss 11,,1155--22005° dimanche après la Pentecôte ou 15° dimanche ordinaire

Petit à petit, l’Eglise primitive va essayer de mieux com-prendre la mission et la personne du Christ ; elle va saisir que le Christ n’est pas un accident de l’histoire du salut et de l’histoire tout court ; mais qu’il est le « Projet de Dieu » dès avant la création du monde et de l’histoire. Et il ne faut pas songer seulement à des textes qu’on dit tardifs comme Jean 1,1ss ou 1 Pierre 1,19, mais tout d’abord et surtout à Romains 5,6-14 (où Paul nous mon-tre que le péché d’Adam et des hommes, loin de décou-rager Dieu d’envoyer son Fils pour les hommes, n’a pu que l’amener à confirmer son amour envers nous ; le péché qui devait tout détruire du plan de Dieu, n’a réussi qu’à le rendre plus vaste, Romains 5,20). De même, en Romains 8,19ss, Paul nous a fait entrevoir les « dimensions » (!) cosmiques du salut du Christ. Cette intuition d’un plan de Dieu pour l’humanité, plan dont le Christ est le principe et l’aboutissement (et bien vue par les frères orientaux), s’épanouit dans l’épître aux Colossiens (et Ephésiens 1,8ss et 2,13-17, etc…). Il faut, en tout cas si on est paulinien (et johannique), en finir avec l’hérésie augustinienne de la « felix culpa », « l’heureuse faute ! » (d’Adam) qui aurait amené Dieu à changer son plan (ou plutôt à en improviser un) et à envoyer son Fils (qui sans cette faute serait resté chez lui), pour réparer les dégâts commis par Adam ; Adam qui, pour Paul, n’était que « le prototype de celui qui (de toute manière) devait venir » (Romains 5,14). Il faut en finir avec cette « sotériologie-de-rattrapage », de colma-tage de ce qu’on appelle (malencontreusement) « la chute » ou encore « le péché originel ». Le Christ n’est donc pas le simple réparateur d’une faute, le recolleur de pots cassés, mais « l’image (non pas le reflet) incarnée de Dieu parmi nous » (Colossiens 1,15) ; en tête de toute la création (à laquelle il se destinait, cf. Proverbes 8,22ss). Toute la création et toutes les créatu-res ont leur secret en lui ; il est non seulement leur cause et leur but (Colossiens 1,16), mais « tout est maintenu par lui » (1,17). Et c’est pourquoi la création, si elle est le

champ de la liberté de l’homme (Genèse 1) doit, à plus forte raison, être respectée par les chrétiens : elle est christique. Ce qui ne signifie pas, bêtement, sacrée et intouchable (cf. Marc 11,12-14 et 20-21), mais comme le lieu qu’offre le Christ, image de Dieu, à l’homme pour qu’il puisse y montrer comment, lui aussi, fait à l’image de Dieu, il y vivra cette image. Et curieusement (pour des protestants !) l’épître passe de la création entière, à l’Eglise dont le Christ est la tête, le Chef. L’Eglise n’est donc pas, elle non plus, une réponse de détresse au péché du monde, mais elle est, elle aussi (dès l’origine), dans le plan éternel de Dieu ; elle n’est pas l’îlot où se seraient réfugiés les quelques rescapés de la catastrophe adamique (comme trop souvent son allure frileuse et accablée en donne l’impression), mais le « modèle » de ce qui doit un jour concerner le monde entier : la plénitude du Christ dans la plénitude de l’univers (c’est le fameux plérôme du v. 19, plérôme à propos duquel il ne faut sans doute pas trop gloser ; la phrase : fin v. 18 et v. 19, n’est pas d’une clarté absolue). Tout ceci (ce plan de salut éternel et cosmique) ne relè-gue pas la Croix du Christ (idem en Romains 5) à un plan secondaire, car il est vrai que les hommes ont es-sayé, justement pour servir leurs propres desseins, de détourner ce plan, et ils se sont fait les ennemis de Dieu. Mais Dieu a confirmé la pérennité de son dessein, en envoyant son Fils quand même ; simplement ce don du Fils sera le sacrifice de la Croix, où Dieu déclare la paix au monde, en laissant mettre son Fils à mort à la place des hommes. C’est la réconciliation dont nous avons déjà vu que le sens premier = échange. La Croix est la Paix et le signe de Paix entre Dieu et l’Univers... Il reste à son-ger avec tristesse à l’usage que les chrétiens ont parfois fait de ce signe.

CCoolloossssiieennss 11,,2211--22886° dimanche après la Pentecôte ou 16° dimanche ordinaire

Voici un texte qui a causé bien des tourments aux théo-logiens protestants, adossés à cette certitude que la Pas-sion du Christ était autant suffisante qu’elle avait été nécessaire pour assurer le salut de tous les hommes. Et qu’ainsi il ne pouvait être question : a) qu’il eût manqué quoi que ce soit aux souffrances et à la Passion du Christ ; b) qu’on puisse ajouter quoi que ce soit à celles-ci. oui ! En fait, oui ! Si on raisonne en juristes ou en comptables, il ne manque rien à ce qu’a accompli Jésus durant sa vie et la Semaine Sainte. Cependant, ni Dieu ni Jésus-Christ ne sont juristes ou comptables. Et le salut n’est pas un bilan ou un décompte. Et surtout, quand on aime quel-qu’un pour lui-même, on lui laisse la place pour qu’il puisse faire quelque chose lui-même, même si on est sûr qu’il ne fera de lui-même que du mauvais travail. Quand on aime quelqu’un, on le veut nécessairement pour « collaborateur » (1 Corinthiens 3,9). Ce serait le haïr que de le laisser spectateur de ce qu’on fait pour lui, et que de lui dire : « C’est pour toi, mais n’y touche pas. C’est pour toi, et pour que tu restes objet, et non que tu deviennes sujet ». Pour toi, oui ! Avec toi, non !

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C’est bien pourquoi le Christ ne considère pas que son œuvre et son amour soient complets tant que les nôtres ne peuvent y être associés. Son amour complet, surabon-dant, etc… va jusqu’à nous faire un peu de place. Jésus nous aime totalement et plus que totalement pour que nous puissions, nous aussi, aimer un peu. C’est pourquoi il ne faut pas nous effrayer de « ce qui manque aux tribu-lations du Christ ». C’est le Christ qui accepte de consi-dérer celles endurées par l’auteur de l’épître (ch. 2,1 et 4,10) comme les siennes propres (Actes 9,5). Elles actua-lisent, en les rappelant, celles que le Christ a subies, en particulier lors de sa Passion. Elles en sont même l’accomplissement, dit l’auteur avec une certaine audace destinée à faire ressortir l’étendue et l’actualité de la miséricorde du Christ. Et on se souviendra « des servi-teurs inutilisables » de Luc 17,10 ; oui, mais serviteurs quand même ! Et c’est ainsi, en le lisant de travers, que d’un texte qui nous crie l’actuelle miséricorde du Christ acceptant d’adopter nos difficultés et de les faire siennes, on a pu faire un texte où l’homme réclamerait d’être, au moins partiellement, auteur de son salut. D’un texte de commi-sération, on a fait un texte de réclamation. De plus, il ne faut pas se tromper sur le verbe « se réjouir ». L’auteur ne fait pas l’équation (doloriste) : souffrance = joie ; mais ici ce sont les souffrances-pour-1’Eglise de Colos-ses (cf. fin du v. 24), qui amènent l’auteur à se réjouir. En soi, la souffrance est haïssable (et d’ailleurs souve-nons-nous de Gethsémani !), mais les souffrances-pour-1’Eglise sont la preuve de ce que nous avons vu plus haut : l’association miséricordieuse que le Christ nous accorde à son œuvre. Oh, certes, tout cela est facile à écrire, bien tranquille dans un bureau chauffé ; et dans une Eglise où le fait de lui appartenir n’a, dans nos pays, rien de traumatisant, mais est plutôt lénifiant et, au total, bien considéré. Mais c’est peut-être l’occasion de songer qu’il n’en est pas de même partout. Et peut-être aussi l’occasion de souffrir de son assoupissement et son avachissement. Au v. 25, s’il est vrai qu’on peut et doit traduire par « ministre », on ne peut oublier que le mot « diakonos » désigne d’abord le serviteur. « Ministre » oui, mais sur-tout « serviteur ». Quant au mystère caché... (v. 26), ce n’est rien d’autre que ce que nous avons lu la dernière fois (Colossiens 1,15-20) et ce que vont révéler les v. 27-28 : « Le Christ est présent parmi nous » (les chrétiens) et nous avons à l’annoncer à tout homme, car tout homme y trouve son but et sa fin (et non pas sa perfection ! Lectionnaire ca-tholique ; cf. TOB), c’est-à-dire sa raison d’être et de continuer d’être, en même temps que sa plénitude d’être.

CCoolloossssiieennss 22,,1111--11557° dimanche après la Pentecôte ou 17° dimanche ordinaire

Je regrette que la liste des lectures ne nous permette pas d’écouter l’avertissement du v. 8, seul passage de la Bible où soit employé le mot « philosophie », pour nous exhorter à ne pas nous laisser « ficeler », piéger par elle, car elle est « une creuse duperie ». S’il est vrai que, bien entendu, ceci ne peut concerner nos « grands » penseurs contemporains, il ne faudrait quand même pas oublier

que l’auteur devait avoir au moins entendu parler de gens comme Platon, Aristote et quelques autres (comme le dénommé Philon), dont pas mal de Pères de l’Eglise firent leur pâture, parfois même avant de goûter vraiment l’Ecriture ; en tout cas, ce passage avait au moins pour avantage de montrer qu’on peut être chrétien sans être philosophe. Le dépouillement « du corps charnel » (expression ô combien malheureuse !) fait allusion au baptême qui, sur ce point, ressemble à la circoncision. Celle-ci faisait d’un goy, un Juif. Le baptême est censé faire d’un homme « adamique », un homme « christique » ; d’un homme préoccupé de lui-même, un homme désormais ouvert à Dieu et aux autres. L’homme introverti a été noyé, et des eaux du baptême est sorti un homme tourné vers l’extérieur. A ceci près que si le baptême, comme la circoncision, a lieu une fois pour toutes, le noyé ne l’est pas une fois pour toutes, et l’homme ouvert rencontre mille occasions de se refermer. Mais il n’empêche que notre vraie mort (la seule à crain-dre ?) est derrière nous, et l’auteur transpose tout cela pour notre vie ; tout ce qui deviendra, dans le Credo futur, l’histoire salutaire du Christ (et nous montre ainsi que toute la deuxième partie du Credo doit aussi nous être appliquée), c’est ce qui, en et par Jésus-Christ, nous est arrivé. Comme l’épître aux Ephésiens (2,6, étudiée il y a quel-que temps), l’auteur des Colossiens va jusqu’à voir dans notre résurrection (à venir) un acte déjà réalisé en com-munion avec celle du Christ (v. 12) ; alors que Paul, pour éviter tout quiétisme (tout en sachant que tout s’était accompli en Christ), disait seulement, en Romains 6,7 : « Si nous sommes (déjà) morts (lors du baptême-actualisation-de-la-croix) avec Christ, nous croyons (notez ce verbe à opposer au passif du début) que nous vivrons (futur) avec lui », après qu’il eut écrit (Romains 6,4) : « Par le baptême, nous avons été ensevelis avec Jésus-Christ, afin que... nous menions une vie nou-velle » ; et v. 5 : « ...unis à sa mort... nous le serons (fu-tur)... à sa résurrection ». Ceci afin d’éviter un quiétisme paresseux qui ne comprendrait pas que mort et résurrec-tion du Christ sont des vérités dynamiques, qui changent notre comportement présent. Ici, le quiétisme (que certains crurent possible) est évité par les exhortations du chapitre 3 en particulier et, curieusement ici, par une exhortation à ne pas retrouver les routes des esclavages ascétiques et méritoires, et même les sabbats (5,16-18), mais à vivre en vrais libé-rés : a) de notre passé fautif et mortel (v. 13) et de ses culpabi-lités ; b) des accusations normales que Dieu (ou le Ciel ! ou tout ce qu’on peut imaginer...) pourraient porter contre nous. Et en particulier celles que la Torah formulait contre les goyim et tous ceux des Juifs qui l’avaient transgressée. Ici, dans une image audacieuse, l’auteur compare l’éventuel billet où seraient comptabilisées nos fautes, au Christ mis en croix, qui à la fois montre notre dette et crie notre pardon. Notre « facture » est crucifiée. On pourra même songer au I.N.R.I. (le titre mis sur la croix !). c) des autorités, des puissances et des pouvoirs, qui avaient l’habitude, en revenant du combat, de traîner

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derrière leurs chars victorieux, trophées et dépouilles des vaincus, sous les yeux de la foule. Désormais, le char victorieux, c’est la croix, et les trophées piteux, ce sont les autorités et puissances (peut-être même célestes) = le chrétien n’a plus à les craindre (cf. Romains 8,38).

CCoolloossssiieennss 33,,11--44Pâques

Ce texte a l’avantage énorme de nous présenter l’événement historique de Pâques sous son angle (? di-sons mieux : dans ses conséquences) subjectif, ce qu’à leur manière avaient fait des textes de Paul : Romains 6,1-11, en reliant Pâques à l’événement de notre bap-tême, où « plongés dans la mort du Christ, nous com-mençons d’émerger à sa vie ressuscitée » (Romains 6,8 où l’on notera bien le futur : « Nous vivrons »), afin que, dès maintenant, nous sachions vivre d’une manière neuve et libérée ; Romains 6,12ss ; ou encore Galates 2,19ss, où l’on s’acharnera à répéter que ce n’est pas une vérité idéale que nous devrions nous efforcer d’atteindre, mais l’affleurement pour chacun de nous de ce que le Christ a accompli sans nous, et qui nous débarrasse dé-sormais de cette vie ancienne où nous cherchions à nous affirmer devant Dieu, courant ainsi à un déchirement (Romains 7,23-24) qui aboutit à la mort. Et tout d’abord remercions la TOB de ne pas avoir tra-duit par le traditionnel « si » le début du v. 1 (idem pour 2,20 ; ces « si » pauliniens sont souvent des « puisque », cf. par exemple Galates 5,25, etc… La TOB a (lourde-ment) traduit par : « Du moment que... » ; « puisque » suffirait. On n’oubliera pas que ce texte se situe précisément à la suite d’une violente polémique contre les chrétiens qui se croient obligés de se soumettre à des ascèses pour gagner le ciel et parvenir progressivement, mais aussi durement, à une vie nouvelle. L’auteur des Colossiens, pour par-faire son raisonnement selon lequel ces ascèses-en-vue-du-ciel sont sans valeur, jette brutalement que le ciel a été déjà donné aux chrétiens et qu’ils ont déjà hérité de la vie éternelle comme participants à la Résurrection (« co-ressuscités », dit le grec) du Christ. Certes, comme cette vérité (qui doit rester toujours exis-tentielle) accompagnée du début du v. 2, risque alors de dériver chez certains vers un quiétisme indifférent à ce qui se passe sur terre (v. 2), il faut garder à l’esprit, le futur de Romains 6,8. D’ailleurs, le v. 5 (qu’il faut lire) empêche précisément cette dérive vers le quiétisme (qui nous ferait dire : « Occupons-nous du seul ciel, notre seule vraie demeure »), en nous rappelant que, quoique concitoyens des cieux, nous ne sommes pas pour autant indemnes de toutes dérives, ou que celles-ci nous se-raient indifférentes : « Faites périr et pourrir (littérale-ment : nécroser !) tout ce qui dans notre existence (nos « membres » dit encore le grec), risque de nous détruire, et de nous empêcher de vivre réellement notre vie nou-velle ». Et l’épître va jusqu’à nous faire partager l’Ascension du Christ et son Règne auprès du Père (tou-jours le v. 1). J’ai presque honte à dire, une fois encore, que la traduc-tion TOB du v. 2 : « C’est en haut qu’est notre but... ! » me semble un peu (!) éloignée du sens, qui n’est pas

seulement : « Pensez à ce qui est en-haut », ni même : « ...à ce qui vous attend en haut », mais « comportez-vous (dès ici-bas) comme des citoyens d’en-haut ». Alors à ceux des chrétiens qui pourraient rétorquer qu’ils ne se sentent pas du tout déjà citoyens des cieux, et sur-tout qu’ils n’en voient rien,... surtout chez ceux qui les entourent, l’auteur précise que leur vraie vie, celle à laquelle il faut croire, tout en renonçant à véritablement l’apercevoir et même l’entrevoir, est cachée avec le Christ en Dieu. L’auteur, qui a une vision cosmique du Christ (1,15-20), a par là-même une vision christologique des chrétiens. Ils sont tous « en Christ » et au sens fort. Et tout ce que le Christ a vécu, les chrétiens l’ont vécu, en particulier sa mort et sa Résurrection. Comme cette vie christique, qui est notre vie la plus réelle, nous est pour l’instant non-perceptible, l’auteur en conclut que notre vraie vie est cachée (« kryptée ») dans le Christ. Comme l’enfant dans le sein de sa mère, idée qu’on retrouvera en Romains 8,22ss. Et la Parousie ne sera pas ainsi la seule apparition du Christ-tout-en-tous, mais elle correspondra aussi à notre apparition avec notre vraie vie (v. 4). Nous nous verrons enfin tels que nous sommes en vérité : enfants de Dieu.

CCoolloossssiieennss 33,,11--11118° dimanche après la Pentecôte ou 18° dimanche ordinaire

Tout d’abord un grand « merci » à la TOB de nous avoir débarrassés de ce malencontreux « Si » du v. 1, qui orientait de manière légaliste tout ce passage, alors qu’il est la description, non de ce que nous aurions à faire, mais de ce que le Christ a fait pour nous. Un seul repro-che, son « du moment que... » est bien lourd, un « puisque » suffirait. On peut voir ici une des dialectiques de l’auteur : pre-mier temps, ce que le Christ a réalisé pour et en nous ; deuxième temps, ce qui, en conséquence, nous est donné de pouvoir faire. Premier temps : morts à toute aliénation paralysante (2,20-23) par la mort du Christ, nous sommes, par la résurrection du Christ, ouverts à une vie nouvelle, désen-combrée de toutes les aliénations, les inhibitions, les culpabilisations, les interdits ; nous pouvons donc mener une vie de ressuscités – avec et par le Christ –. Mais aussitôt arrive le : Deuxième temps : « Recherchez » ; cette vie nouvelle de liberté est aussi une vie de recherche. Justement parce que nous y sommes libres, rien ne nous est donné d’avance. Tout est à chercher, à trouver, sinon à inventer. Il ne faut pas (cf. encore TOB) comprendre « ce qui est en-haut », comme le refus ou le dédain de tout ce qui est terrestre. D’ailleurs, l’avertissement de Actes 1,11 nous rappellerait qu’à rester le nez en l’air, nous risquerions, comme l’astronome de la fable, de nous retrouver au fond d’un puits. Ce qui est en-haut, c’est tout d’abord « Celui qui est en-haut » et qui va nous donner la force de vivre la nouveauté de l’Evangile ici-bas ; c’est cette force et cette liberté nouvelles que rien ici-bas ne peut nous accorder (c’est ici que le passage précédent : 2,20-23 est très utile, car l’auteur nous y montre ce à quoi il songe quand il parle de ce qui est en-bas).

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Au v. 2, heureusement que la TOB nous donne une note, une traduction plus fidèle que « C’est en haut qu’est notre but ». C’est plutôt : « Comportez-vous en référence à (ce qui vient) d’en-haut, et non pas à (ce qui vient) d’en-bas » = Que vous trouviez dans ce qui vous est donné d’en-haut vos motifs de comportement et de ré-flexion, et non plus dans toutes les contraintes terrestres = Regardez à Celui qui est en haut ; vous êtes vraiment auprès du Christ, pour vous comporter convenablement ici-bas. Et c’est le v. 3 : « Votre (vraie) vie (celle que le Christ vous a donnée à sa mort-résurrection), votre vraie per-sonne, sont auprès du Christ, mais cachées, tout comme le Christ vous est désormais caché ». Ce terme, d’une importance considérable, explique d’ailleurs pourquoi nous devons encore « chercher » (v. 1). Le Christ et notre vraie personnalité, dans l’instant, n’ont rien d’évident. C’est pourquoi nous devons nous efforcer de découvrir « les choses d’en-haut », auxquelles déjà nous apparte-nons, mais de manière « kryptée » (littéralement), ca-chée. Et c’est la promesse du v. 4 : « Quand le Christ (qui est aussi notre vie réelle) deviendra visible, alors ce moi caché apparaîtra, lui aussi, dans une pleine gloire, que nous ne pouvons même pas soupçonner aujourd’hui ». Bien entendu, arrive alors l’exhortation : « Faites donc mourir (nécrosez !) tout ce qui dans votre manière de vivre (les membres) est encore d’ici-bas » = essentielle-ment la recherche de nous-mêmes (v. 5) ; et va suivre un catalogue : débauche, impureté (en n’oubliant pas que ces « fautes » visent aussi toute idolâtrie ou toute com-promission avec d’autres cultes), convoitises sournoises, la cupidité qui, elle, est bien ici dénoncée comme l’idolâtrie première ; fautes qui nous font toutes oublier « ce qui est en-haut » : notre vrai moi, en exacerbant et aliénant notre faux moi. Et cet oubli de l’œuvre de Dieu pour nous en Christ, nous place sous la colère de Dieu, comme jadis (v. 7). On peut voir encore que nous sommes à l’opposé du quiétisme ; des phrases comme Colossiens 3,3 sont mo-bilisantes. La suite va prolonger cette mobilisation, même si nous ne sommes plus essentiellement dans le registre de l’idolâtrie : colère, énervement (hum !) ou emportement, rosseries (ou malices), insultes (!), grossièretés (!) en paroles... tout ou presque y passe dans ce v. 8. Mais comme il a été question des paroles, il va être aussi question du mensonge au v. 9, qui doit être banni dans l’Eglise... Un beau programme en perspective pour nos communautés ! A prendre avec espérance, en nous tour-nant vers la force d’en-haut. Cependant, je me consacrerai plutôt au v. 10, où l’image du vêtement est mal ou trop superficiellement comprise. J’ai déjà dit, lors du commentaire de Luc 24,49 (pour l’Ascension) à propos des disciples qui doivent être revê-tus de la puissance du Christ, que le vêtement ne se confond pas avec notre apparence ; il est ce qui traduit dans la vie, dans le comportement envers les autres, ce que nous sommes en profondeur. Il n’est pas notre ma-nière d’apparaître, mais notre manière de nous compor-ter. Il est ce que jadis on avait appelé l’existence (par rapport à l’essence). L’auteur rappelle alors que le vieil homme, celui qui est décrit aux v. 5-8, nous a été arra-

ché ; nous en avons été dépouillés sur la croix. Et nous avons reçu (cf. le baptême) un vêtement (un comporte-ment) tout neuf : celui d’enfants de Dieu. Et nous som-mes tous enfants de Dieu (cf. v. 11 à comparer à Galates 3,28, en regrettant de ne pas retrouver ici le « ni homme ni femme »).

CCoolloossssiieennss 33,,1122--2211Dimanche après Noël

J’ai déjà dénoncé, avec un sourire, la vieille traduction Segond : « Se revêtir... d’entrailles » ; TOB : « Revêtez-vous de sentiments » (?) et le Lectionnaire romain : « Revêtez votre cœur », présentent quelques progrès ; mais tous deux ne font pas bien ressortir que le « vêtement » biblique est tout autre chose que cette réali-té externe et seulement apparente, que nous appelons « vêtement » ; le vêtement biblique correspond à un changement de comportement et d’existence. Adam (et Eve) par exemple, sont habillés aussitôt après leur faute (où ils voulaient disposer de l’éthique, rappelons-le !), parce qu’ils sont devenus autres, dans leurs relations avec Dieu, entre eux, et avec la création ou les créatures. Ajoutons cependant, à la suite de Pascal (« prenez d’abord de l’eau bénite »), que cette image externe a quand même l’avantage (et ici les mots « cœurs » et « sentiments » s’avèrent inexacts) de nous rappeler qu’il s’agit avant tout de comportements (et non de senti-ments) = pratiquez d’abord la miséricorde (tendresse !), les sentiments viendront ensuite (« l’habitude est une seconde nature », cf. toujours Pascal). On ne se laissera pas culpabiliser par cette énumération en apparence écrasante (tendresse, bonté, bienveillance, humilité, douceur, patience), mais on la comprendra comme le programme de vie ouvert aux « élus », les « saints » et les bien-aimés de Dieu (je suis heureux de voir que le Lectionnaire romain rend ici le mot falsifié « saint » par... « fidèles » ; certes, même infidèles, nous n’en resterions pas moins les « saints élus » de Dieu, mais cet effort d’échapper au vocabulaire conventionnel n’en mérite pas moins un coup de chapeau). Chacun aura bien remarqué le ressort du texte : « C’est parce que nous sommes aimés... que nous allons com-mencer à nous comporter de manière patiente, ouverte ». Et l’épître va insister sur le pardon mutuel (v. 13), mais d’une manière moins « agressive » ou provocante que le « Notre Père » : « Pardonnez, dit l’épître, car le Seigneur vous a pardonné(s) » (cf. la version lucanienne du « Notre Père »). Signalons qu’au v. 14, il n’y a pas (contre TOB) : « ...revêtez » (l’Amour). Mais « Qu’au-dessus de tout cela = surtout, avant tout, il y ait l’Amour » (cf. 1 Corin-thiens 13) ; ce dernier noue la gerbe, il relie tout ensem-ble (je rappelle que j’ai essayé de démystifier son carac-tère « performant » dans une étude sur 1 Corinthiens 13, que je voulais intituler : « L’épître aux chrétiens ordinai-res ») ; l’amour comme l’espérance et la foi sont les « vertus » (les charismes) primaires, praticables par tous ; ce ne sont pas des sommets, ce sont les charismes de « la plaine » ; et l’amour est ce charisme à hauteur de chrétien ordinaire, qui englobe tout, enferme tout dans le plein accomplissement ; se méfier ici du terme de « perfection » (Lectionnaire romain) ; Paul, dans les

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Philippiens, se moquera justement de ceux qui se croient arrivés au bout (même famille de mots) : 3,15. Quant au « seul corps » du v. 15, il vise essentiellement la communauté de Colosses où, d’après ce que nous venons de lire, ne devaient pas toujours régner le pardon mutuel, la tendresse, la compréhension réciproque, etc… (tout comme dans nos communautés !). La fin de ce v. 15 est malheureusement quasi impossible à bien rendre dans sa brièveté : « Vivez en rendant grâces » ; « Vivez d’actions de grâces ! » = Vivez en sachant dire : « Merci ! ». Quant au v. 16, la TOB a pris la bonne route en tradui-sant (dans la ligne de l’appel à l’unité de cette commu-nauté) : « Que la Parole (du Christ) habite (profondé-ment) chez vous ». Il s’agit avant tout de la prédication, tandis que la suite évoque le culte : psaumes, cantiques, hymnes (« dans vos cœurs » = avec votre cœur = de tout votre cœur ; on songera ici aux cantiques-murmures !). Quant à parler et agir en toute occasion au nom du Sei-gneur Jésus, c’est, avant tout, retrouver celui qui est à l’origine de notre possibilité de parler et d’agir, et non point nous torturer et nous paralyser dans le scrupule.

11 TThheessssaalloonniicciieennss 33,,1122--44,,221er dimanche de l’Avent

Cette fois, il faut plutôt remonter la lecture de 2 ou 3 versets pour y discerner en particulier l’astuce des v. 9-10, confirmée par la fin de 4,1 : Paul y loue les Thessa-loniciens (chez qui il a dû passer au maximum trois mois) dont la foi et la solidité lui ont été d’un grand ré-confort (cf. 1,2-10) ; il leur rappelle seulement qu’ils ne sont pas des chrétiens arrivés, « achevés », mais qu’ils ne sont que des chrétiens en route. A dédier à tous ceux qui, par exemple, croient savoir d’avance ce qu’il y a dans un texte ou qui savent une fois pour toutes ce qu’est le chris-tianisme, et prouvent seulement qu’ils en ignorent la perpétuelle nouveauté. On remarquera combien Paul, avant d’envoyer son (lé-ger) rappel à l’ordre, a essayé de dégager tout ce qu’il avait pu découvrir de positif dans cette communauté de Thessalonique, qui a cependant encore bien besoin d’être enseignée par son fondateur (cf. v. 11) ; au v. 12, la phrase « ...à l’image de l’amour que nous vous portons » est à comprendre justement à la lumière de cette vue paulinienne positive de la conduite des Thessaloniciens. Paul, très fraternellement (ce qui ne sera pas le cas dans la 2° aux Corinthiens), demande la réciproque. Donc, ne pas interpréter « la sainteté irréprochable » comme un cumul de toutes les vertus (lire 4,4ss). On n’oubliera pas de commenter 3,13 et de souligner « la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ », venue sans laquelle tout perd son sens, et en premier lieu la foi chré-tienne. Je sais, l’imagerie et l’imagination humaines, comme toute idolâtrie, ont essayé de représenter et de se représenter, ce qui par définition est au-delà de toute image. Mais notre infirmité ne doit pas se transformer en oubli ou en négation. Ce n’est pas parce que nous ne voyons qu’en « énigmes » (1 Corinthiens 13,12) qu’il faut nier l’énigme, et surtout la vérité qu’elle dissimule. Pour rester dans le même champ d’images, nous nous conduisons souvent comme des aveugles qui nieraient

l’existence de la lumière (que cependant ils ne peuvent même pas imaginer).

22 TThheessssaalloonniicciieennss 11,,1111--22,,2231° dimanche ordinaire

J’aimerais tout d’abord attirer l’attention sur un adjectif fréquent dans le Nouveau Testament et qui me semble très souvent traduit (dans ce contexte) de manière mala-droite, c’est l’adjectif (parfois adverbe) « digne » ; dans notre langue actuelle, il signifie : « qui mérite de... », alors que le plus souvent, dans le Nouveau Testament, il signifie : conforme (ou conformément à), (qui) convient à ; tel qu’on doit attendre de... Ici, c’est clair : « Que Dieu vous trouve agissant confor-mément à l’appel (qui fatalement précède toute dignité) qu’il vous a adressé ». – Souvenez-vous en ! En tout cas, Paul prie continuellement pour que ses frères de Thessalonique suivent la voie de l’Evangile ; et que Dieu rende puissante (littéralement) leur foi, ce qui, bien entendu, se montrera dans des actions ; car c’est Dieu seul qui peut nous en ouvrir la possibilité (1,11). La suite (2,1-2) n’a rien d’évident (cf. l’excellente note TOB sur ce passage, même si je penche pour la solution qu’elle écarte : un faussaire a envoyé une lettre pseudo-paulinienne pour dire que le Jour du Seigneur était arri-vé). Mais il est clair que « l’apocalyptisme » qui revient si souvent dans l’Eglise : « La dernière heure est là, toute proche », est ici dénoncé... Car, même si c’était vrai... Luther continuerait de planter son pommier et un « saint » catholique, amoureux de pelote basque, essaie-rait de terminer sa partie. Il y a une regrettable confusion entre la vigilance à la-quelle Jésus nous a appelés et la fébrilité maladive qui périodiquement saisit des chrétiens. Nous devons (de toute manière) vivre chaque jour comme s’il pouvait être le dernier, mais aussi comme s’il était encore le premier des nombreux qui nous seront encore donnés. Vivre à la fois avec l’espoir de construire quelque « chose » de durable, et l’humour de la certitude que cette « chose » peut, demain même, être dispersée à tous les vents. Au-trement dit, nous devons vivre dans une « urgence paisi-ble ». Dormir quand c’est l’heure de dormir, prendre du repos quand c’est l’époque, et d’autant mieux agir et travailler quand le temps en est venu. Au fait, je suis (pour une fois !) tout content qu’on ne nous ait pas contraints à commenter les versets 3-4 du chapitre 2.

22 TThheessssaalloonniicciieennss 22,,1166--33,,5532° dimanche ordinaire

Une fois de plus, on préférera la traduction TOB à celle du Lectionnaire catholique. Ce dernier, ici, a sans doute voulu « faire clair », dans une phrase lourde et tarabisco-tée, mais qui respecte ce qui revient à chacun. Par exem-ple au verset 16, là où Paul exprime une prière adressée au Seigneur Jésus-Christ et à Dieu le Père (notez l’ordre), le Lectionnaire catholique y voit une exhorta-

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tion à « se laisser réconforter », adressée aux chrétiens, etc... Puisqu’ici, au verset 16 précisément, il est question de consolation (paraklêse en grec), je vous conseille vive-ment de lire ce qu’en écrit M. Bouttier dans « Mots de Passe » (Cerf, 1993 ; p. 37-54)... Ça vaut tous les ser-mons. Rappelons seulement que le terme exprime aussi bien le réconfort que... l’exhortation (c’est le début d’Esaïe 40). Quant à la « bonne espérance » (?), c’est soit une « solide espérance » soit « l’espérance que tout converge vers le bien » (de tous) : Romains 8,28. De même, les paroles bonnes du verset 17 seront avant tout les paroles qui feront du bien à ceux qui les entendront et en seront réconfortés. Paul, aussi intransigeant soit-il, ne vise pas ici ce que nous appelons la « bonne » (?) doctrine, mais des paroles (prédication ?) d’abord fraternelles. Jésus-Christ est d’abord réconfort. Au chapitre 3, c’est un autre son de cloche, « c’est à votre tour de prier » (c’est pourquoi le texte TOB, qui a relevé la symétrie : « Nous prions pour vous... priez pour nous », est nettement meilleur que celui de Lectionnaire catholique). Car tout apôtre que je sois, et mes compa-gnons avec moi, la situation n’est pas simple ; la parole que nous annonçons n’arrive pas toujours à faire son chemin, sa course (v. 1) ni à trouver la place (la gloire) qui lui revient. « Il y a des ennemis de l’Evangile ; ne vous méprenez pas, nous ne rencontrons pas que des croyants » (v. 2). Cependant priez, car « ma certitude est que le Seigneur est fidèle » (ou encore : « croyant »), et si cela encourage Paul, c’est aussitôt pour le tourner vers les Thessaloni-ciens (cf. les « vous » qui suivent). Enfin, méfiez-vous de la traduction TOB : « Nous vous l’ordonnons » (idem Lectionnaire catholique) ; ce n’est pas le verbe habituel ; traduire plutôt « nous vous re-commandons ». Paul ordonne très peu souvent ; il conseille vivement ! Ce n’est pas une simple ruse de langage.

22 TThheessssaalloonniicciieennss 33,,77--112233° dimanche ordinaire

Plusieurs remarques préliminaires s’imposent : a) Alors que dans la plupart des civilisations environnan-tes, le travail (ne pas en oublier l’étymologie péjorative : instrument de torture !) manuel était le plus méprisé... et réservé aux plus basses couches de la société, et qu’en revanche le travail intellectuel (du scribe en Egypte, par exemple) était considéré comme la « planque » idéale, Israël valorisa plus que les autres tous les travaux (les rabbins le plus souvent avaient aussi un travail manuel rémunérateur, à côté de leur enseignement), comme (c’est Exode 20) étant l’écho du « Faire » primitif de Dieu (Genèse 1). Dieu créait, son image (l’homme) fai-sait, maîtrisait le monde, le mettait en place (Genèse 1,26) ou gardait la création (Genèse 2,5.20). Certes, le séjour en Egypte montra aux Israélites que le travail pouvait devenir une malédiction, un esclavage ; ce dont se souviendra la deuxième formulation du Décalo-

gue (Deutéronome 5,15) où le travail, cette fois, est le rappel de la servitude égyptienne dont le sabbat est l’actualisation de la délivrance. b) On se souviendra ici que l’illuminisme (contre lequel s’élèvera la parabole des dix vierges) fut une des plus vives menaces envers la première Eglise chrétienne : Jésus devant bientôt revenir, plus n’était besoin de fonder une famille (1 Corinthiens 7) ni même surtout de travail-ler ni de payer ses impôts (Romains 13,7). Il fallait sim-plement attendre, en se dégageant de toutes les contin-gences terrestres. Paul ne niera pas la proximité de ce retour (Romains 13,11-13), mais s’élèvera vigoureuse-ment contre l’évasion illuministe... Jusqu’au dernier jour, ce monde continue, et nous devons continuer d’y vivre vraiment. C’est pourquoi, à Thessalonique, Paul vise ces illuministes qui croient bon d’échapper aux nécessités de ce monde et au travail en particulier. Il leur fait d’ailleurs une remarque à ras de terre : « Votre estomac (même illuminé) continue de réclamer sa pitance… Alors continuez à travailler. Sinon, ne mangez plus ! ». Remarque pleine de bon sens. c) Chacun de nous sait qu’une Constitution politique citait cette parole de Paul : « Que celui qui ne travaille pas, ne mange pas non plus ! » (2 Thessaloniciens 3,10). C’était la... (défunte) Constitution... soviétique !! d) On remarquera ici ce qu’est « l’imitation » de Paul : il s’agit toujours d’un point précis. Jamais d’une imitation générale ni servile. Ici : « Quoique apôtre, j’ai travaillé ; donc vous aussi, travaillez ! ». e) On fera très attention, en ces temps de chômage : 1- à rappeler le droit évangélique de chacun au travail (sans abrutissement) ; 2- à ne pas « coller » une culpabilité supplémentaire aux chômeurs. Peut-être peut-on leur proposer de travailler (un peu ?) à l’extension de l’Evangile ?

« Plan » de prédication Bien entendu, il n’est pas question de prendre le texte de Malachie, à moins de le resituer et l’allonger. Le texte de 2 Thessaloniciens, en revanche, présente bien des attraits, ne serait-ce que sa réflexion sur le travail. Mais le texte de Luc est lui aussi très approprié ; cepen-dant je me limiterais au début, et ferais tout l’historique du Temple depuis David jusqu’à sa destruction en 70, en remarquant qu’Israël est fort vivant, sans Temple (ni prêtrise) depuis 1925 ans ! Depuis que « Dieu est libre ou libéré », Israël est resté libre. A méditer (sans pour autant raser systématiquement vos édifices) !

11 TTiimmootthhééee 11,,1122--117724° dimanche ordinaire

Mis à part le joyau de Philémon, je ne suis pas un fanati-que des épîtres dites « pastorales » (1 et 2 Timothée, Tite et Philémon), non tant pour leur contenu que pour l’usage qui en est souvent fait par des chrétiens « sectaires ». Ecrites dans le contexte difficile d’une Eglise qui se cherche, qui se bat contre les hérésies, et

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qui n’a pas encore réussi à préciser ses ministères, elles sont trop souvent utilisées pour condamner, excommu-nier et... justifier ses propres options. Prenons donc garde dans leur emploi et n’en faisons pas des armes tournées contre d’autres frères ! D’ailleurs, pour le texte du jour, il n’y a guère matière à controverse, sinon la traduction (contournée par le Lec-tionnaire catholique) du verset 13 : « J’ai obtenu miséri-corde parce que j’étais ignorant, et agissais avec incrédu-lité ». Il faut, bien entendu, comprendre « ...quoique je fusse ignorant et incrédule »..., si toutefois on veut adop-ter des lunettes pauliniennes pour lire ce texte. Arrive d’ailleurs au verset 15 la belle confession de foi : « La parole la plus sûre (que peut dire tout prédicateur de l’Evangile), c’est que Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs et j’en suis le premier ». Le terme « premier » est ici à prendre au sens de « plus grand pécheur », ce qui fait mieux comprendre le « premier » du verset 16 : « C’est en moi, le plus grand pécheur (persécuteur) que Dieu (en m’appelant à le ser-vir) a le mieux montré sa miséricorde ». Arrive alors un terme que je ne me presserais pas de traduire par « exemple » (littéralement « l’hypotype »), c’est plutôt l’ébauche, l’esquisse, que l’exemple à copier, ébauche dont d’ailleurs Dieu est lui-même l’auteur et le responsable. L’apôtre ne dit pas « Copiez-moi ! », mais « Voyez ce que Dieu a fait pour moi et fait de moi ». Et donc (v. 17) « rendez-lui gloire et à lui seul. Il peut et veut aussi le faire pour vous ».

11 TTiimmootthhééee 22,,11--8825° dimanche ordinaire

La communauté chrétienne n’a pas pour premier devoir de chercher des poux dans la tête des autorités civiles mais, au contraire, ce sera de prier avec ferveur pour elles ; et l’épître ajoute avec finesse... afin que ces autori-tés « fichent la paix aux chrétiens » (v. 2). Nous n’avons pas plus à leur demander, ni moins – moyennant quoi, nous serons de bons citoyens, respec-tueux, en particulier des percepteurs (Romains 13,6-7) ; percepteurs considérés par Paul comme les « liturges » de Dieu (Romains 13,6), tandis que les magistrats sont des « diacres » (13,4... Ceci fut écrit sous... Néron). Tout se gâte quand ces autorités civiles entendent dicter aux chrétiens leur conduite en toute occasion. Mais ici, nous n’en sommes pas arrivés à ce point… On n’oubliera pas que les Romains, farouches défenseurs de leur ordre civil et politique, étaient en revanche (sauf exceptions qui se multiplieront) assez indifférents aux croyances religieu-ses des pays conquis. On se souviendra ici de Pilate qui cherchait à ne pas être impliqué dans le procès de Jésus, ce qui sera le meilleur moyen d’en porter la principale responsabilité : Matthieu 27,15-24 et parallèles. De toute manière, nous devons donc prier fidèlement pour les autorités (même laïques et surtout laïques). Au passage, je dénonce la traduction du verset 2 dans le Lectionnaire catholique : « ...en homme religieux » (!) alors que c’est le mot « piété » (puis « dignité »)... Chas-sez la religion, elle revient toujours, comme l’homme

naturel revient... au galop (même dans les Lectionnaires chrétiens). Mais plus intéressant est le verset 4 (que triturait Cal-vin !) : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et en viennent à connaître la vérité : à savoir Jésus-Christ, seul sauveur, seul médiateur, et le seul à s’être donné en contre-partie pour eux » (v. 5 ; ne pas trop insister sur le mot « rançon » où c’est son caractère libératoire qui est essentiel : Jésus-Christ meurt pour nous libérer). Voilà ce que nous avons à annoncer à tous les hommes. Ne l’oubliez jamais !

« Plan » de prédication Je prendrais volontiers le texte universaliste de 1 Timo-thée. Il est bon d’enfoncer le clou ; le Dieu de Jésus-Christ est le Dieu qui veut le salut et la libération de tous les hommes. Ne pas mettre de condition, ni même de « mais ». Ouvrez vos cœurs, ouvrez vos paroles, ouvrez vos paroisses ! Cependant, si vous prenez Luc 16, choisissez une seule des interprétations données ci-dessus... ; relevez bien le caractère incongru sinon scandaleux, en tout cas humo-ristique de la parabole de Jésus (qui aimait à plaisanter). Relevez de plus que, si les paraboles précédentes étaient adressées aux pharisiens et scribes, celle-ci vise en pre-mier lieu les disciples (16,1).

11 TTiimmootthhééee 66,,1111--116626° dimanche ordinaire

Tout d’abord, renouvelons nos réserves envers la traduc-tion du Lectionnaire catholique au verset 11 : « Religieux » au lieu de « pieux » ou, plus exactement d’ailleurs, de « piété ». Au verset 11, ce sont des substan-tifs ; et ajoutons que la « religion » chrétienne, si on tient à en faire une religion (ce qui se discute quand on voit les pratiques et souvent la magie que traînent avec elles les religions habituelles), doit prendre garde à ne pas tomber dans un syncrétisme avachi et truffé de supersti-tions. La piété chrétienne est spécifique, même si beau-coup de « fidèles » (?) la confondent sans cesse avec des pratiques animistes ou magiques. Cf. ceux qui, par exemple, croient que réciter 100 « Notre Père » à la file ou 20 signes de croix superposés, leur éviteront le cholé-ra ou les feront gagner à la loterie (cf. Matthieu 6,7-8ss qui dénonce les bafouillis religieux, et donne comme modèle de piété chrétienne le très bref Notre Père)... C’est de la magie et rien d’autre. Cependant à propos du combat de la foi (littéralement « agonise de l’agonie de la foi »), il faut savoir que la foi se laisse chaque jour dévorer par l’habitude ou l’incrédulité, et que la piété aide justement à la retrou-ver ; la foi ne vit que de victoires sur la « non-foi ». C’est pourquoi, même si l’expression est néo-testamentaire, on ne se méfiera jamais assez de l’expression : « Avoir la foi ». Celle-ci n’est jamais une propriété, mais une conquête ou une reconquête ou un don sans cesse nou-veau (cf. d’ailleurs le verset 1 du texte d’Amos de ce dimanche). La foi ne roule ni en Mercedes, ni en Cadil-lac, pas même pour Timothée. Encore moins en « papamobile ».

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En ce qui concerne la belle confession de foi du verset 12, il peut s’agir de celle qu’a faite Timothée lors de son baptême, mais, à mon avis, plutôt lors d’événements difficiles, où il dut « combattre » (sens imagé) pour af-firmer sa foi au seul Jésus-Christ. Au verset 13, on fera attention au verbe, traduit habituel-lement par « je t’ordonne » ; c’est plutôt : « Je te recom-mande... », cf. Bible en Français courant. Quant au commandement du Seigneur, on songera légitimement au sommaire de la Loi. Les versets 15-16 sont clairement des emprunts liturgi-ques, qui prouvent que rien ne nous empêche d’en faire autant.

22 TTiimmootthhééee 11,,66--88..1133ss27° dimanche ordinaire

Ici encore, nous prendrons nos distances avec la tendan-cieuse traduction du Lectionnaire catholique : verset 6, lire « réenflammer » au lieu de « réveiller » ; même chez un serviteur de Dieu, il y a lieu, de temps à autres, de donner un bon coup de tisonnier aux braises des dons de la grâce. - verset 7 : lire « modération » au lieu de... « raison » ? L’esprit nous équilibre, plus qu’il ne nous « rationalise ». - verset 8 : lire « souffre avec moi » (littéralement « co-souffre ») ; « sympathiser » serait parfait si on se souve-nait de son vrai sens. - verset 13 : lire « prends en exemple, les paroles saines (décapantes, vivifiantes,... bien portantes) que tu as en-tendues de moi » au lieu de « Règle (!) ta doctrine (!) sur l’enseignement (!) solide (?) que, etc… ». Mais c’est surtout le verset 14 qui m’a fait bondir ! Là où il y a : « Garde (car si on n’y prend... garde, on risque de le lâcher) le beau (!) (la foi est belle !) dépôt (!) au moyen du Saint-Esprit qui nous habite », le Lectionnaire catholique met : « Tu es le dépositaire (sic !) de l’Evangile (resic !) ; garde-le dans toute sa pureté (?), grâce à l’Esprit Saint... ». Le disciple est ainsi devenu le dépositaire, le receleur, le kidnappeur du pur Evangile ; quand on en est là, autant dire que l’Evangile est mort... et que le disciple est mori-bond. L’Evangile ne se détient jamais ; la foi n’est pas un sé-diment, mais un combat (cf. plus haut). Et l’Eglise n’est pas le coffre-fort de la vérité chrétienne. A méditer ! Et tant pis pour vous si vous trouvez que c’est fatigant d’être chrétiens. C’est de la bonne fatigue !

22 TTiimmootthhééee 11,,88--11002° dimanche de Carême

Remarquons tout d’abord qu’en ajoutant un « avec moi » (à la fin du v. 8), la TOB limite l’exhortation adressée à Timothée. Ce n’est pas : « Souffre (seulement) avec moi », mais : « Partage les peines et les souffrances qu’éprouvent tous ceux qui annoncent l’Evangile » (le Lectionnaire catholique est ici meilleur). Certes, à l’époque, que ce soit à cause des ennemis (païens ou

religieux) de l’Eglise naissante (cf. 3,1-4), que ce soit (et on l’oublie trop) à cause des querelles intestines (3,5-9 et 1,15), les épreuves ne manquaient pas pour ceux qui se destinaient à l’annonce de 1’Evangile. Première exhortation (v. 8) : ne pas avoir honte de cet Evangile (Romains 1,16), pas plus que ceux qui, jadis, se réfugiaient dans le Temple (ce qui deviendra « mettre sa confiance dans le Seigneur » : Psaume 11,1, 7,2, etc…), n’avaient à craindre des représailles humaines ni à re-gretter d’avoir choisi le Seigneur pour abri. Si, en un premier temps, l’Evangile est folie (1 Corinthiens 1,18) dont les hommes peuvent se gausser en ridiculisant celui qui l’apporte, ceux qui, malgré cela, le reçoivent, en sont, en un deuxième temps, réconfortés. Au ridicule passager, succède une assurance nouvelle. La puissance de Dieu qui nous a sauvés (v. 1) se montre aussi dans ceux qui reçoivent « notre » parole. L’auteur tient à rappeler combien ce salut, qui naît à partir d’une parole faible, « dé-montre » ainsi qu’il est gratuit et ne dépend ni des œuvres de celui qui la pro-pose, ni de celles de celui qui la reçoit, mais de la seule grâce et du seul dessein divins. Notons cependant au passage que cette référence à la gratuité semble devenir ici essentiellement « catéchétique » et quasiment formelle. La suite de l’épître montre, en effet, que n’en sont plus toujours tirées toutes les conséquences existentielles et « libertaires » que le « sola gratia » entraîne. On relèvera (dans la continuité de Romains 5) : « La grâce donnée avant tous les temps, même éternels » (c’est le mot « chronos » : « les temps de toutes les épo-ques », pourrait-on traduire), ce qui rappelle une fois encore que le salut était en projet avant la Création (et a fortiori avant la « Chute »). Et ce salut, éternel dans son projet tout comme dans ses conséquences, a été actualisé, manifesté dans la personne de Jésus, mais il apparaît aussi en pleine lumière et avec sa totale efficacité vivante quand l’Evangile est annoncé (v. 10). Nos paroles, faibles et ridicules et dérisoires, peuvent communiquer la lumière et la flamme de l’immortalité.

22 TTiimmootthhééee 22,,88--113328° dimanche ordinaire

1° Restaurer (à l’inverse du Lectionnaire catholique) l’ordre bizarre : ressuscité, né de la semence de David, car ce désordre n’est qu’apparent. Il signifie : « Si celui en qui nous croyons est le Ressuscité, celui-ci est un Juif pur sang de la race de David ». Très vite les chrétiens ont voulu s’approprier Jésus alors qu’ils auraient dû se sou-venir que « Jésus n’a pas été chrétien mais juif » (Bult-mann) ; (il y a encore aujourd’hui des tentatives de déju-daïser Jésus). Ceci nous aurait évité les bouffées d’antisémitisme fréquentes hélas chez les chrétiens (en tout cas dans leur histoire). Ce verset 8abc est d’ailleurs une des premières confessions de foi. 2° On prendra garde au verbe « se souvenir » qui n’a que peu de choses en commun avec notre verbe actuel. « Se souvenir » pour un Juif, c’est « découvrir l’actualité, le présent de ce ou de celui dont il se souvient » = (pour les

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chrétiens) découvrir que le ressuscité (juif) est toujours présent (je l’ai déjà écrit, mais il est bon parfois de se répéter). Quand un Juif se souvient de la Pâque, Moïse par exemple devient son contemporain ; ce Juif se re-trouve en marche vers la Terre promise. Ceci devrait nous éclairer sur la fameuse « anamnèse » du repas du Seigneur (d’où nous devrions exclure l’abominable « Mémorial »). Rompre le pain « en mé-moire de Jésus », c’est découvrir qu’il est présent et qu’il nous partage lui-même son pain, même s’il utilise les mains d’un « serviteur inutile ». C’est pourquoi nous devons dire : « Au moment où Jésus-Christ présent nous partage son sacrifice, etc… » et ne plus parler de mé-moire. 3° Le verbe « souffrir » au verset 9 est ici très péjoratif et montre bien que Paul ne reçoit pas la souffrance comme un cadeau ni comme une bénédiction. On admirera, tou-jours au verset 9, l’opposition : « Si on peut enchaîner les prédicateurs, leur parole, elle, reste (et doit rester) libre ». Elle échappe à toutes les chaînes, et même à celles dont les exégètes peuvent la charger. Et heureusement elle n’est même pas enchaînée par les paroles que nous pou-vons dire ou... écrire. Dieu arrive toujours à parler... au besoin par les ânesses (Nombres 22,28-30). Soyons donc rassurés ! 4° Quant aux versets 11 à 13, c’est probablement un cantique de la communauté chrétienne primitive ; le verset 13a peut d’ailleurs se traduire : « Si nous deve-nons incrédules, lui demeurera croyant car il ne peut renoncer à (être) lui-même ». Belle promesse à ne pas gâcher ; et faisons-en, nous les premiers, notre profit.

« Plan » de prédication Bien entendu, le récit des dix lépreux est le plus vivant, le plus proche et, en fait, le plus facile. Mais c’est un texte souvent pris comme sujet de prédication. Je le reli-rais bien tout d’abord, afin de voir si je n’en ai rien ou-blié d’essentiel (la tristesse désabusée de Jésus par exemple..., la croix approche). Il est alors possible de prendre le texte de 2 Timothée 2, en insistant sur la judaïté de Jésus, et sur les malentendus à propos de l’expression « en mémoire de... » ; ainsi que sur l’indéfectible fidélité de Dieu que nos infidélités ne parviendront jamais à décourager.

22 TTiimmootthhééee 44,,66--88..1166--118830° dimanche ordinaire

Si, au verset 6a, je conseille de garder le texte de la TOB, je regrette qu’au verset 6b on ne prenne pas le sens litté-ral (de Philippiens 1,23) : « Lever l’ancre ; appareiller ». Tout le monde comprend parfaitement l’image, finale-ment paisible, mais qui signifie bien qu’il faut, à un mo-ment ou l’autre, se préparer au Départ (pour l’autre rive !). Paul revient ensuite au « beau combat » qu’il a mené, avec difficulté certes, mais dont il ne veut plus voir que les beaux côtés. Il y a une face « esthétique » du ministère, même dans ses difficultés, que nous oublions souvent. Sus à la laideur… des édifices, des vitres, de la liturgie, des cantiques (certains sont à pleurer de dé-tresse)... et des sermons ! Vous avez le droit, sinon le

devoir de faire du beau... « Dieu est beau », disait Augus-tin. Exorcisez la tristesse et la laideur ! Encore un petit abus du Lectionnaire catholique au verset 8, avec « Je n’ai plus qu’à recevoir la récompense du vainqueur » (sic !), là où il y a : « Désormais, la cou-ronne de justice m’est mise de côté et, ce jour-là (?), le juste juge me la remettra ». Pour en venir aux versets 16-18, c’est d’abord un renvoi aux promesses de Jésus à ceux à qui il confie un minis-tère (Matthieu 10,17-20 et parallèles). L’apôtre a eu la preuve, dans sa propre existence, que Jésus n’avait pas trompé ses envoyés en assurant qu’il les assisterait par le don de l’Esprit qui parlera lui-même, quand ils seront abandonnés des uns et accusés par les autres. Finalement (comme Jésus au calvaire), Paul de-mande le pardon de tous, car le péché de tous n’a fait que confirmer la fidélité de Dieu qui, de plus, a pu ainsi faire entendre le message de l’Evangile avec plus de plénitude aux païens (v. 17). Cela rassure une dernière fois l’auteur : délivré hier, il sera encore délivré demain (v. 18) avant de parvenir à la totale délivrance du Royaume. Soli deo Gloria. Amen !

« Plan » de prédication Bien entendu, seul le texte de l’Evangile semble pouvoir passer la rampe, comme prédication. Profitez-en pour réhabiliter les Pharisiens. Consultez les dictionnaires modernes. Et n’oubliez pas que Jésus fut au moins de tendance pharisienne et que Paul lui-même en fut un vrai, mais il démontre qu’il leur est arrivé de se convertir (cf. Nico-dème).

HHéébbrreeuuxx 22,,99--111127° Dimanche ordinaire ou 19° Dimanche du Temps de l’Eglise

Il faut tout d’abord savoir qu’à l’époque, l’Ancien Tes-tament était le plus souvent la version grecque (la LXX) ; craintive, elle lisait souvent « anges » au lieu de « Dieu » (ce qui explique la version du Psaume 8 donnée ici : l’homme créé de peu inférieur « aux anges » ; texte hé-breu littéral « à Dieu »). Cela dit, l’un des soucis de l’auteur est que le Christ puisse vraiment (contrairement à bien des dieux païens, distants des hommes et surtout absents à leurs peines et à leurs douleurs), partager nos angoisses et nos misères. Tout d’abord et avant tout, seul de tous il a fait « l’expérience de la mort », celle qui attend tous les hommes (littéralement : il a goûté la mort !). Il peut donc partager notre propre angoisse, celle de ses frères (v. 11), devant elle. Et l’auteur de manque pas de rappeler que c’est ainsi que la grâce-de-Dieu-envers-les-hommes s’est manifestée : dans la mort et l’abandon (c’est ce que donnent des ma-nuscrits) du Fils. Dans la déréliction. Ainsi, même si nous croyons être abandonnés de Dieu, ce sera pour mieux être retrouvés par le Christ. On remarquera que ce passage suppose un plan de Dieu qui voulait acquérir une multitude de fils, et que le nœud de ce plan est Jésus-Christ.

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HHéébbrreeuuxx 77,,2233--228831° Dimanche ordinaire ou 23° Dimanche du Temps de l’Eglise

Ce passage résume de manière claire (ce qui n’est pas toujours le cas de cette épître) l’essentiel de ce qu’a vou-lu dire l’auteur dans sa laborieuse (mais enrichissante) comparaison entre : * la prêtrise de la première Alliance, celle d’Aaron et de Jérusalem : temporaire, avec des hommes faibles, pé-cheurs, mortels, contraints de se faire pardonner leurs fautes afin de pouvoir transmettre ce pardon aux autres, etc... * et la prêtrise de la nouvelle Alliance, celle du Christ, prêtrise unique, éternelle (v. 24), sainte, innocente (v. 26), qui est donc toujours et partout disponible pour pardonner les péchés de tous. De plus, prêtre unique et éternel, il a offert une fois pour toutes et pour toujours l’unique sacrifice efficace et éternel : lui-même (v. 27) qui sauve de manière définitive ceux qui s’approchent de lui (v. 25).

HHéébbrreeuuxx 99,,2244--228832° dimanche ordinaire ou 24° dimanche du Temps de l’Eglise

L’écrit du Nouveau Testament qui s’attache le plus à montrer l’unité des deux alliances, et combien la seconde est déjà contenue de manière séminale dans la première, est bien certainement cette épître aux Hébreux (la bien-nommée). Et après la démonstration que le vrai et total grand prêtre est Jésus-Christ, que la vraie et dernière victime est Jésus-Christ (v. 28), que le pardon définitif de la multitude se trouve auprès de Jésus-Christ (v. 28), l’auteur en vient au Sanctuaire, celui dans lequel entrait le grand prêtre qui, tous les ans (on revient au Yom Kip-pour), offrait le sacrifice d’expiation et de destruction (v. 26) du péché : le-lieu-très-saint où, à la fois le Seigneur se cachait et se révélait. Mais ce lieu-très-saint terrestre ne faisait pour l’auteur qu’être l’image du lieu-très-saint céleste, le trône du Seigneur (v. 24), auprès duquel le Christ est parvenu pour offrir son propre sang (v. 25) qui a coulé une fois pour toutes sur le Golgotha. Avec ce sang perpétuel, ce sacrifice éternel, il offre sa prière constante (4,14-16 ; 2,17-18 ; Romains 8,34). On se souviendra aussi que le Christ lui-même s’est assimilé au temple (Jean 2,19-22), ce qui lui permettra aussi d’affirmer que partout sur cette terre où il sera invoqué vraiment, là sera célébré le vrai culte que Dieu réclame (Jean 4,21ss). Et on notera l’affirmation (rare ailleurs que dans l’Apocalypse) d’une deuxième apparition du Christ. – Attention, prendre la version TOB pour le v. 28 : « (apparaîtra une seconde fois) sans plus de rapport avec le péché... » au lieu de « ...à cause du péché » : l’Incarnation n’a pas pour cause première le péché des hommes (cf. 1 Pierre 1,18-20).

HHéébbrreeuuxx 1100,,55--11004° dimanche de l’Avent

(remonter au moins au v. 4)

On doit ici comprendre que les Juifs n’aient pas toujours vu d’un bon œil l’expansion du christianisme, ni entendu avec une bonne oreille sa prédication qui annonçait l’incapacité et l’inefficacité du culte juif et de la loi (v. 1), c’est-à-dire toute la Torah, pour pardonner les péchés. Car désormais, la mort du Christ suffit pour effacer, une fois pour toutes et à jamais, les péchés de la multitude (9,28), ce qui d’ailleurs devrait nous éviter d’accabler Dieu de confessions des péchés. Si les prophètes Amos, Esaïe, Michée avaient déjà affir-mé qu’un culte qui laissait subsister l’idolâtrie, ou qui devenait l’alibi de la violence, et qui rassurait Israël sur sa pleine observance de la Torah, pouvait devenir une abomination pour le Seigneur (Esaïe 1,10ss et 66,3 qui font inclusion pour tout le livre d’Esaïe), aucun n’avait dénoncé les cultes par eux-mêmes. Ils ne réclamaient pas l’abolition de la Torah, mais au contraire sa pleine appli-cation et pas seulement culturelle. Mais, dès qu’apparaît Jésus, tout change (on se trompe souvent dans l’interprétation de Matthieu 5,16 : « Je suis venu porter la loi à sa plénitude » = en montrer le plein sens, ceci contre les rabbins qui, à l’aide d’artifices, en restreignaient la portée). Cependant, peu importe ici : ce qui compte et est à relever dans notre texte, c’est qu’en Marc 2,5 (cf. parallèles), Jésus dira : « Tes péchés te sont pardonnés », alors qu’il n’y a là ni prêtre, ni temple, ni sacrifice. On songera aussi à Paul qui dira que le Christ était le but (et le bout) de la Torah (Romains 10,4), après que Jean-Baptiste eut vu dans le Christ « l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jean 1,29.36). L’auteur de l’épître aux Hébreux continue cette démar-che polémique, pour bien démarquer le christianisme du judaïsme, afin qu’il ne sombre pas dans un bâtard judéo-christianisme (hélas ! 3 fois hélas, en rejetant les Juifs, et probablement parce qu’il les a rejetés, le christianisme est redevenu souvent un judéo-christianisme). Mais l’auteur de l’épître aux Hébreux avait fait tous ces efforts pour nous éviter cette dérive : Jésus-Christ est le dernier (et le vrai) grand prêtre (cf. chapitre 8 et précé-dents). La croix est le dernier (et seul véritable) autel (9,11-28) où fut offert le dernier (et le seul efficace) sacrifice. Et au chapitre 10, l’auteur appuie sa thèse sur le Psaume 40, où (d’après la Septante) l’auteur, de manière très parabolique, a pensé que Dieu préférait qu’on lui offre un beau rouleau de la Torah plutôt qu’une bête sacrifiée (cela signifie : je préfère T’entendre et Te lire que de faire des sacrifices. Et Toi aussi, Tu préfères cela). Comme Paul, l’auteur racle tout ce qui, dans l’Ancien Testament, confirme sa thèse : a) le sacrifice du Christ est unique et éternel (v. 10) ; b) la Torah est supprimée en tant que norme (v. 9) (mot à mot : ce qui fut premier est aboli pour établir définitive-ment le deuxième).

HHéébbrreeuuxx 1100,,1111--1144..118833° dimanche ordinaire ou 25° dimanche du Temps de l’Eglise

Au v. 11, lire plutôt « qui ne peuvent plus jamais enlever les péchés ». Je ne pense pas que l’auteur nie l’efficacité

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passée de la prêtrise des Aaronides ; il la considère dé-sormais, après la prêtrise du Christ, comme obsolète, surtout pour des chrétiens (Paul sur un autre plan : cir-concision, alimentation, fêtes,... tiendra le même lan-gage). Et l’épître fait ressortir les différences avec l’Ancien Testament : les prêtres y étaient debout (comme des serviteurs) devant le Seigneur ; notre prêtre Jésus-Christ est assis, comme le prince, à la droite de Dieu (citation habile du Psaume 110, qui avait déjà permis à Jésus de coller ses « piégeurs » : Matthieu 22,41-46 et parallèles). Au v. 14, on hésitera encore sur la traduc-tion : « En une seule offrande (ce n’est pas le mot « sacrifice »), il a mené pour toujours à leur but (achè-vement) les sanctifiés ». C’est une idée qu’on ne retrouve que rarement (1 Corinthiens 15,25-28, où est aussi cité le Psaume 110) : le Christ offre une fois pour toutes à son Père ceux qu’il s’est acquis sur la Croix. Quant au v. 18, je rappelle pour ceux qui ne le sauraient pas encore que je suis pasteur réformé et que j’accepte sans aucune réticence l’affirmation (très proche de celle de la TOB, 2° édition, note b) que « le Repas du Sei-gneur est un sacrement où le Christ présente réellement (et pour toujours) son unique sacrifice ». Peut-être le débat en sera-t-il un peu éclairé ?

HHéébbrreeuuxx 1111,,11ss..88--11999° dimanche après la Pentecôte ou 19° dimanche ordinaire

Ce chapitre 11 réussit le paradoxe d’être un superbe cantique de la foi, et un magnifique résumé de l’histoire du salut ; thèmes qui se sont souvent opposés chez les théologiens, et ceux de notre temps en particulier. Il reprend une interprétation de Paul, qui cherchait à démontrer (en Romains 4) que la foi et le salut gratuit qui l’accompagnait, n’étaient pas une invention chrétienne ; et l’apôtre, pour cela, est remonté jusqu’à Abraham (Romains 4,2-5, puis 9-23) et même à David (4,6-8). Ce qui lui permet, avec Abraham, d’affirmer que, d’après la Torah elle-même (bien avant le don de la loi, et même avant l’institution de la circoncision, v. 10), le salut gra-tuit par la foi était déjà la « règle » ; avec David la dé-monstration se complète : même bien après le don de la Torah et celui de l’institution de la circoncision, de grands personnages juifs ont chanté le « salut par la foi ». L’auteur des Hébreux veut élargir le projet paulinien et montrer, mieux encore que Paul, que toute l’histoire biblique s’est passée sous le signe (le « régime ») de la foi et que tous les personnages « importants » y ont mar-ché, vécu par la foi. Il essaie même de remonter au mo-ment où le monde fut mis en place (v. 3), et sans bron-cher il commence son catalogue de croyants avec Abel (v. 4) , Enoch (v. 5-6), etc…, avant d’en arriver à Abra-ham (v. 8ss) et tous les autres. La foi étant la constante caractéristique de tous ces personnages à qui il fut donné d’être les vecteurs du salut et les porteurs de la promesse. Il faut remarquer plusieurs points : 1° Le caractère essentiellement historique de la catéchèse chrétienne primitive (vers 90), reprenant en cela les mo-dèles de la catéchèse juive (Siracide 44-50). Le Seigneur agit dans l’histoire, plus précisément dans une histoire, celle d’Israël, et c’est seulement au travers de cette ac-tion qu’il entend être connu. On ne spécule pas sur Dieu,

sur sa personne, son essence, mais on raconte comment, au travers d’hommes et de femmes, il a agi. 2° L’auteur pense et démontre (?) que, dans cette longue liste de personnages, le dénominateur commun fut la foi où déjà tous ces personnages saisissaient l’invisible et appréhendaient ce qui allait venir (v. 1-2). Comme la TOB et d’autres l’ont remarqué, ce serait plutôt d’espérance qu’il faudrait parler pour l’épître aux Hé-breux. C’est peut-être trop vite oublier que l’épître aux Romains, dont personne ne niera qu’elle est l’épître de la foi par excellence, emploie le terme « espérance » ou le verbe « espérer » une bonne quinzaine de fois, car Paul entend aussi montrer dans l’épître aux Romains comment le plan divin de salut de l’humanité s’est déroulé au tra-vers de l’histoire (on notera par exemple le nombre de personnages bibliques cités dans l’épître, environ 20, dans les seuls chapitres 9-11). Cependant, il est bien clair que la foi dont il est ici (épître aux Hébreux) question, n’est pas exactement celle dont parle Paul ; tout comme cette dernière est parfaitement étrangère à celle de Jacques qui confond la foi avec « la simple croyance religieuse » commune aux hommes (de l’époque ?) et aux démons (Jacques 2,19). Jamais Paul n’aurait dit que les démons croient. La meilleure preuve est que l’exemple de la foi naissante pris par Paul, est le moment où Abraham (Abram) croit Dieu sur parole, quand celui-ci lui promet l’héritage du monde (Romains 4,3 et 13 ; cf. Genèse 15,6, texte clef de Paul). Abraham « parie » que cette promesse folle est vraie, et désormais laisse orienter toute sa vie par cette promesse, sans autre œuvre à présenter que ce pari. C’est pourquoi je préfère traduire « il crut Dieu (sur parole) » et non « il crut en Dieu ». L’auteur de l’épître aux Hébreux remonte à Genèse 12,4, et si, comme Paul, il en vient à l’impossible naissance d’Isaac (v. 11) du corps usé de Sarah, rendue capable d’enfanter par la foi en la fidélité de Celui qui avait fait la promesse, on remarquera non seulement que la foi de Romains 4,19-20 rendant Abraham à nouveau viril, manque, mais que surtout manque partout dans l’épître aux Hébreux la phrase : « Cela lui fut tenu pour justice » (Romains 4,39 et 22). La gratuité qui, pour Paul, est sans doute la caractéristi-que première de la foi, est non pas absente, mais délais-sée dans l’épître aux Hébreux. De plus, cette dernière relève le rôle de la foi d’Abraham dans le sacrifice (la « ligature », disent les Juifs) d’Isaac. Paul s’en est bien gardé, car il a pressenti l’interprétation qu’on pourrait donner de ce sacrifice, en y voyant une œuvre méritoire et performante, ce que bien entendu ne manquera pas de faire Jacques (2,21) ; cf. ici le v. 19 où des traductions hâtives pourraient laisser penser que Isaac n’a été rendu à Abraham qu’à cause de sa confiance. Mais où Paul et l’épître aux Hébreux se rejoignent vrai-ment, c’est lorsque cette dernière oppose la foi à toute saisie véritable, définitive et sécuritaire. La foi appré-hende, mais ne détient pas encore (cf. Philippiens 3,12-14) ; c’est à peu de choses près ce que dira encore Paul de l’espérance (née de la foi et inséparable d’elle) en Romains 8,24. On retrouve le même dynamisme, la même tension vers l’avenir (v. 8, 10, 13, 14, 16, 20 et l’extraordinaire v. 25, etc…), souvent rendus par l’image de la non-installation et du voyage. Que cela nous rap-

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pelle que la foi n’est jamais une foi assise, figée, mais recherche, marche et attente !

HHéébbrreeuuxx 1122,,11--4410° dimanche après la Pentecôte ou 20° dimanche ordinaire

Nous avons vu défiler ce qu’on appelle la « nuée de témoins », dont on remarquera tout de suite qu’elle nous « entoure ». Cette affirmation de la présence actuelle de tous ceux qui nous ont précédés, est souvent niée ou simplement oubliée par les protestants qui ne voient pas plus loin que les frontières du présent ; ils oublient que notre Dieu est le Dieu des vivants et que par lui tous vivent, certes d’une manière qui ne nous est pas percep-tible, mais qui n’en est pas moins réelle (Luc 20,38). Nous sommes, au culte et partout où le nom de Jésus est invoqué, comme cernés par tous ceux qui ont été tendus par l’espérance et la foi vers Celui qui est venu parmi nous. Ils deviennent nos contemporains dans une même « course », dans une même épreuve (au double sens, et en particulier, celui d’épreuve sportive). Cela nous doit être un premier encouragement. Car, dans des conditions plus difficiles que les nôtres, ils n’ont pas « abandonné » (car ils savaient qu’ils n’étaient pas abandonnés). A notre tour, en ne gardant que le strict minimum de l’équipement du coureur (ou du lutteur qui combattait nu) et en nous débarrassant du découragement qui nous guette sans cesse, nous allons nous joindre à la course et au combat (le terme ici employé, qui rappelle « agonie » désigne une difficile épreuve sportive). On retrouve l’image paulinienne de 1 Corinthiens 9,24-27 (Paul a au moins assisté sinon participé à des Jeux grecs soit Is-thmiques, précisément à Corinthe, soit Olympiques, et il semble en avoir gardé un excellent souvenir ; il en fait une sorte « d’école... du christianisme »). Revenons à Hébreux 12, où l’auteur rappelle donc : a) qu’il faut être léger, désencombré ; b) « endurant » (traduction excellente de la TOB) ; c) ne regarder que vers le but : Jésus-Christ fondateur (plutôt qu’initiateur) de la foi, tout comme il en est le But, l’Achèvement (la plénitude) (v. 2). Ici l’auteur rappelle que le Christ aurait pu connaître un facile triomphe (v. 2), mais il l’a rejeté, préférant (pour nous, et non pas par masochisme) la mort honteuse de la croix, ce qui lui a valu d’être à la droite du trône de Dieu (c’est-à-dire de représenter et d’être le bras puissant de Dieu). Bien entendu, chacun se souviendra ici de Philip-piens 2 (même si, tout comme ce dernier texte, la traduc-tion d’Hébreux 12,1-2 n’est pas de tout repos ; mais l’image est fort claire). Au v. 3, on reste encore dans l’image du combat qu’a dû livrer le Christ (le « méditez l’exemple » du lectionnaire catholique est peu approprié, car ce n’est pas une copie plus ou moins heureuse qui nous est demandée ici, mais une sorte de retrouvailles perpétuelles du Christ, pas seulement intellectuelles ou morales ; je traduirais, en exagérant à peine : « Retrouvez celui... »). La pensée de l’auteur me semble, en effet, être celle-ci : « Quand notre foi (ou les circonstances) vous fait rencontrer l’hostilité, souvenez-vous que le Christ lui-même l’a rencontrée ; ne vous en étonnez pas, vous entrez alors dans le même

combat que celui du Christ... et celui de la nuée des té-moins » (Colossiens 1,24). Alors ne vous laissez pas aller ni décourager, avec, en sous-entendu : « Celui dont vous partagez le combat ne vous laissera pas tomber ». Ces remarques amènent à penser que les membres des Eglises auxquelles l’épître est destinée, commencent à se lasser et à délaisser leurs diverses communautés, soit par simple fatigue soit à cause des tracas divers que leur vaut leur foi. Et c’est l’avertissement : « Vous n’avez encore eu à vous opposer jusqu’au sang », jusqu’à la mort = jusqu’au martyre (compris aux v. 5 et 7 comme la réprimande paternelle du Seigneur (cf. semaine suivante). Cette fois encore, il est difficile d’actualiser ce texte, pour nous, chrétiens installés, sommeillants. Oh, il ne s’agit pas de pleurer après le martyre, mais de compren-dre que notre privilège contemporain, au lieu de nous enfoncer dans nos siestes, devrait au moins être plus souvent des occasions d’actions de grâce, et d’intercession pour tous les chrétiens persécutés, car il y en a encore.

HHéébbrreeuuxx 1122,,55--77..1111--113311° dimanche après la Pentecôte ou 21° dimanche ordinaire

On peut penser ce qu’on veut du lien que fait l’auteur entre les punitions et châtiments que nous ont infligés nos parents, et notre père en particulier, avec les diffi-cultés-punitions que nous enverrait notre Père céleste, et on peut éprouver quelques réticences devant cette équa-tion (rare, dans l’Ecriture, et même dans les Psaumes, malgré ce qu’on en pense souvent), mais il est dommage d’essayer de l’atténuer, en « oubliant » les v. 8-10, où bien des pédagogues modernes éprouveraient quelques malaises... à méditer en particulier le v. 8 : « Ceux qui sont privés de la correction sont des... bâtards ». Mais reprenons au v. 5, suite du rappel aux destinataires qu’il n’y a pas encore eu parmi eux de « martyrs », même s’il semble bien que la (les) communauté(s) concernée(s) a (ont) connu quelques tracas. Cependant la principale misère de ces chrétiens (et c’est là que l’épître nous concerne aujourd’hui) semble être la tiédeur et 1’avachissement. La course leur semble trop longue et le combat trop indécis et trop pénible. Ils ont un marathon là où ils attendaient, à la rigueur, un 400 mètres. Alors, après avoir essayé 1’exhortation, en rappelant le but de la course, puis 1’émulation en décrivant la passion (puis l’accession à la gloire du Père) de Celui qui est notre but, arrive 1’avertissement en deux temps : 1° vous pourriez bien devoir connaître de pires opposi-tions que celle que vous rencontrez en ce moment, et subir alors jusqu’au martyre. Et pour cela, il vous faut être quand même plus fermes et plus aguerris que vous ne l’êtes aujourd’hui. 2° Et à cela l’auteur ajoute une « paraclèse » (v. 5, cf. Paraclet = « exhortation, consolation, encouragement et... avertissement » ; le mot est d’une très grande richesse) qui semble oubliée par les chrétiens d’alors (seule-ment ?), à savoir qu’il nous faut être capables de discer-ner dans les difficultés rencontrées autant de signes

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d’amour de notre Père, pour nous remettre dans le bon chemin. Je dois avouer ici que si, d’une certaine manière dans cette époque molle, – où une nouvelle (!) pédagogie, sans punition, n’est souvent que l’alibi d’une paresse, plus encore que la conséquence d’une sentimentalité superfi-cielle –, je me sens à l’aise dans le rappel viril des Pro-verbes (3,11ss ; mais on aurait pu aligner bien plus de citations), autant une application brutale de ce théorème : « Quand il y a punition, épreuve dans telle Eglise ou dans telle vie chrétienne, c’est que Dieu nous rappelle ainsi sa paternité vigilante, afin de nous replacer dans la « course chrétienne » », me hérisse. J’ai envie de rappe-ler alors Osée 11,8-9 : « ...Je suis Dieu et non pas un homme, je n’agirai pas selon mon ardente colère ». Ce qui signifie en clair que si Dieu accepte d’être l’Epoux d’Israël ou le Père des chrétiens, il ne l’est pas « à la manière humaine », et que nous devons nous gar-der de transposer trop rapidement nos images, quand nous les appliquons à Dieu. Cependant, après cette remarque destinée à nous mettre en garde, nous pourrons lire avec plus de finesse le texte proposé. En effet, il ne dit pas brutalement : « Vous avez commis des erreurs, et Dieu le Père vous corrige nécessairement, comme un père (digne de ce nom) le fait avec ses en-fants » ; en conséquence, « Soyez contents et dites vite Merci... ». Mais il s’adresse essentiellement aux fils pour qu’ils s’interrogent afin de voir eux-mêmes si les diffi-cultés rencontrées ne sont pas parfois des avertissements. Il fait appel aux fils afin qu’ils essaient d’y voir clair et d’interpréter convenablement eux-mêmes ce qui leur survient. C’est pourquoi il s’autorise à dire avec les Pro-verbes : « ...Ne néglige pas la réprimande du Seigneur. Ne te laisse pas aller s’il te reprend ». Tout cela peut très bien concerner aussi la prédication, et montre que l’assurance de la grâce n’est pas nécessaire-ment « pommade, eau de rose et congratulation » (à la condition que celui qui parle, sache le premier entendre les réprimandes, si elles doivent être dites). « Car le Seigneur aime ceux qu’il éduque » (ou « réprimande », cf. ci-dessus). Autrement dit, je peux voir dans les reproches qui me sont faits, le rappel de l’indéfectible paternité du Seigneur qui ne veut pas voir ses fils s’égarer sur des routes où il faudrait bien plus que des réprimandes pour les ramener à la maison. Mais l’hémistiche suivant semble, aussi bien en grec que dans le proverbe hébreu, évoquer le châtiment corporel. Et là, je me répète : autant je pense, comme tous les sages de tous les lieux (proverbe égyptien, vieux d’environ 4000 ans : « N’oublie jamais que ton fils a les oreilles dans le bas du dos » = Une bonne fessée fait rentrer les leçons les plus difficiles) et de toutes les épo-ques (sauf celles qui étaient aveugles et molles), qu’une taloche, en temps et en heure, n’a jamais vraiment fait mal à un gamin, autant il faudrait éviter cette équation néfaste : « Un malheur me survient = C’est un châtiment de Dieu ». Car Jésus lui-même s’est battu contre cette relation aussi facile que fatale : « Faute = châtiment divin = maladie » (cf. Jean 9,1ss). C’est à chacun à découvrir le sens et la portée de ce qui lui arrive. Et cela peut parfois lui être très profitable.

Mais personne d’autre que lui-même n’a le droit de transformer cela en accusation ou en leçon. On en terminera avec l’apaisante lecture des v. 12s : « Si le Père peut trouver bon parfois de nous remettre droits (= corrigés), c’est pour nous rendre des forces afin de reprendre une route aplanie, pour que nous ne chance-lions plus ».

JJaaccqquueess 11,,1177--227722° dimanche ordinaire

Je renverrai auparavant à deux lectures : a) celle du commentaire de François Vouga (CNT-XIIIa, Delachaux & Niestlé) ; b) aux sermons que Kierkegaard a consacrés à Jacques 1,17-22 et qu’a traduits une vraie théologienne : Nelly Viallaneix (Kierkegaard : Hâte-toi d’écouter, Aubier-Montaigne, 1970), qui rappelle au passage un des très nombreux textes que Kierkegaard a consacrés à l’oreille : « Tout aboutit à l’oreille... » (p. 20 : se souvenir alors du Deutéronome). On méditera en particulier le premier de ces sermons (p. 95-125 ; les pages impaires... seule-ment !). L’épître de Jacques ne tente guère souvent les prédica-teurs protestants, sauf quand ils ont l’esprit pamphlétaire (cf. Louis Simon), ce qui, en cette époque molle d’une Eglise frileuse, n’est pourtant pas une mauvaise chose. Cependant, ce n’est pas avec le texte du jour que nous pourrons affûter notre plume ni aciduler notre salive, surtout qu’on nous prive de l’ironique v. 19, ou du déci-sif v. 20 (qu’au passage j’essaie d’écouter : ce ne sont pas mes « rages » exégétiques qui accompliront le des-sein biblique de Dieu). Mais il ne faudrait surtout pas oublier le début de notre texte, en nous hypnotisant sur les recommandations fina-les qui, sans ce début, nous ramènent à la « morale » que déjà nous avons essayé d’écarter du texte du Deutéro-nome. Rien de bien ni de parfait ne peut être accompli par nous, si ce n’est pas d’abord une grâce venue intégralement d’en haut, du Père, seule lumière et seule origine (v. 10-18) ; et seul à ne pas être soumis aux avatars, aux chan-gements, aux sautes d’humeur (cf. la révélation de YHWH à Moïse avec le fameux : « Je suis qui je serai » d’Exode 3,14, qui, rappelons-le, = « Je serai toujours le même à l’égard de mon peuple » = « Je l’aimerai tou-jours autant... que j’ai aimé ses Pères »). Il s’agit de l’immutabilité de la fidélité divine. Dieu ne change pas dans sa faveur envers son peuple. On remarquera encore dans le texte de Jacques, au v. 17, une autre parenté avec le Deutéronome (4,19-20) où, très paradoxalement, il est affirmé que c’est YHWH lui-même qui a livré aux cultes astraux les autres peuples d’Israël. Jacques rappelle aux chrétiens qu’ils n’ont pas à lire les mouvements toujours identiques des astres, mais à ac-cueillir la Parole simplement (se méfier de « humble-ment » ; la TOB met : avec douceur = probablement : sans hargne envers ceux qui l’annoncent).

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Au v. 22, il y a une belle expression (intraduisible) : « Devenez des auteurs de (la) parole » que Jacques op-pose à ceux qui n’en sont qu’auditeurs (là, Kierkegaard se régalait) ; on se souviendra ici : a) de Matthieu 7,21ss ; b) de ce rabbin qui disait que, si un jour il rencontrait un Juif pour accomplir pleinement un seul verset de la To-rah, cela suffirait pour faire venir le Messie. Apparaît enfin le terme de « religion » (v. 26-27), terme discuté et flou s’il en est, mais qui ressemble à la « crainte » (du Seigneur) dans l’Ancien Testament = respect = culte. On remarquera, non sans un sourire (car il se pourrait bien que Jacques nous mette ici en boîte), sa définition de la « religion pure et sans reproche » (!)... : c’est, dit-il, de... « venir en aide à la veuve et à l’orphelin » (et de ne pas se compromettre avec les saletés de ce monde) (v. 27). On s’attendait à des prodiges, des performances ; Jacques nous ramène aussitôt dans le concret, le proche, l’immédiat, le terre à terre ! Il nous coupe les ailes que nous étions prêts à endosser. Splendide !

JJaaccqquueess 22,,11--5523° dimanche ordinaire

Le verset 1 est déjà un repaire de difficultés ; par exem-ple, « le Seigneur Jésus Christ de la gloire » (littérale-ment), etc… Il faut donc interpréter avant même de tra-duire ; c’est ce que j’oserai de la manière suivante : « Puisque vous, chrétiens, connaissez la vraie gloire, celle-là seule qui réside dans le Seigneur Jésus Christ (crucifié), n’allez pas vous laisser prendre par les fausses gloires : celles des riches par exemple ». Ne vous laissez pas éblouir par les clinquants ou le strass minables qui pourtant hypnotisent les hommes, qui portent leurs re-gards sur ce qui les attire (ici, les richesses matérielles, mais cela pourra être transposé – cf. Matthieu 23 – ce-pendant pas trop rapidement, aux richesses qu’on dit spirituelles). Jacques, alors, évoque un terme qu’on pour-rait traduire (relativement mal) par « mascarade » = ne tenez pas compte des masques dont les hommes se re-couvrent le visage (et la personne tout entière ; cf. Adam en Genèse 3,7) dans leurs rapports réciproques. Et la richesse n’est qu’un masque. Levez donc les masques (et enlevez le vôtre) ! Tout d’abord, et c’est déjà répété dans l’Ancien Testa-ment sous une autre forme : Proverbes 24,23, 28,21 : Dieu nous voit sans nos masques (Il voit nos cœurs ; le cœur est le contraire du masque) ; cf. Romains 2,11 et surtout Actes 10,34. On n’oubliera pas que l’on jouait la comédie (ou la tragédie) avec des masques (on retrouve-ra ici le terme « hypocrites », que personnellement je préfère traduire par « comédiens »). De toute manière, on voudrait bien que l’Eglise qui succéda à Jacques n’eût pas si vite oublié l’exhortation ici exprimée de ne pas s’en tenir aux masques, aux apparences, aux grades... Vœu pieux, hélas ! Jacques va alors prendre un exemple (relevé plus haut) où nous nous laissons tous abuser : la richesse (même si aujourd’hui la mode a bien changé... cf. la mode « grunch »). Les hommes d’Eglise (surtout quand les

finances vont mal, ce qui est désormais fréquent,... en-core hélas !) ont tendance à accorder plus de place dans leur Eglise ou leurs assemblées, à ceux dont le porte-feuille est épais, qu’au chômeur ou au misérable ; alors que parfois pend, dans le chœur de l’Eglise, le Crucifix dénué de tout ! Et Jacques alors n’y va pas de main morte : c’est « effectuer un jugement criminel ». On remarquera : a) que c’est une reprise de l’Ancien Testament. Le juge partial est un criminel, tout autant, sinon plus, que ceux qu’il juge : Proverbes 24,23s, Deutéronome 16,19ss ; b) que le Lectionnaire catholique a dangereusement biaisé (!) avec ce texte traduit ainsi par lui : « Juger selon des valeurs fausses ! » (sic). On ne saurait mieux faire tomber le masque, que tous nous aurions intérêt à mettre à terre. Toutes les Eglises sont restées plus ou moins serviles devant les richesses, les dorures ; d’autant que les hommes « aux vêtements rutilants » du texte sont parfois les ecclésiastiques eux-mêmes. Enfin, ne pas faire du verset 5 une généreuse déclaration d’intention, ou alors il vaut mieux ne pas le lire. Car il devient trop vite un verset alibi de ceux qui gardent ici-bas les richesses et accordent généreusement aux pauvres le seul Royaume futur. Cette hypocrisie, ce masque ont assez duré. Bas les masques, amis !

« Plan » de prédication Personnellement, je me résignerais, avec de multiples précautions (afin que les oreilles ne se bouchent pas préliminairement ; c’est donc pour être mieux entendu), à prendre le texte de Jacques. Puisqu’on nous la donne à lire, il faut donc ne pas éluder sans cesse cette épître ! A moins de se savoir soi-même riche... Ce qui est très rare (non pas d’être riche, mais d’en convenir). N’oubliez pas non plus ceux qui, dans nos Eglises, se parent de l’or de leurs œuvres chrétiennes, les riches spirituels. Mais cependant que ces derniers ne vous ca-chent pas les autres qui sont ici (et au chapitre 5,1-6) les premiers « visés »,... ô combien !

JJaaccqquueess 55,,77--11003° dimanche de l’Avent

Je me permets tout d’abord de recommander pour les lectures concernant cette épître, le remarquable commen-taire de François Vouga (L’épître de Saint Jacques ; Commentaires du Nouveau Testament XIIIa, Labor et Fides, 1984) ; tout comme lui d’ailleurs, j’hésiterais à traduire le verbe du v. 7 par « attendre » ou « être pa-tient », non seulement parce que la patience est trop souvent comprise comme une vertu passive, une résigna-tion, mais parce que, littéralement, c’est : « Avoir un grand cœur », un « grand courage » ; je traduirais : « Faites preuve et de cœur et de courage » (même si ces deux mots ont en français même origine), cf. d’ailleurs au v. 8 l’expression parallèle : « Affermissez vos cœurs ! » ou : « Fortifiez votre courage » (cf. aussi le début de l’épître). Ceci laisse bien supposer que, le Seigneur tardant (ici, je ne suis plus tout à fait d’accord avec F. Vouga), bien des chrétiens de l’époque (la lettre de Jacques est une sorte

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de circulaire) se laissent aller au moins à la morosité ; d’autant plus que les temps (et les autorités civiles, mais aussi les « possédants » : cf. 5,1-6) sont difficiles. Jac-ques veut éviter que les chrétiens tombent, soit dans une passivité résignée (envers les événements), soit dans une amertume agressive (envers les autorités), soit dans la jalousie (envers la « bourgeoisie », parfois chrétienne, qui semble déjà installée, cf. plus haut : 5,1-6). Cette attente chrétienne doit être forte, courageuse, tout d’abord parce que le Seigneur, non seulement est tout près (v. 8), mais parce qu’il va paraître (nous avons ici le mot « Parousie » : v. 7). Que le Seigneur soit proche est, ici encore, compris, osons dire : de manière spatiale (il est proche de nous, il est même au milieu de nous, mais nous ne le voyons pas ; cf. fin du v. 9). Cependant si cette « solide espérance » (le mot n’y est pas, mais c’est bien de cela qu’il s’agit) doit être forte, c’est parce que le temps d’une vraie récolte viendra (cf. encore Romains 8,19-25) ; ce monde (et a fortiori l’Eglise ainsi que les chrétiens) a été ensemencé ; il n’est pas une irréalité stérile dont rien de bon ne peut sortir et qui serait seulement destinée à la destruction pure et simple. S’il en était ainsi, le Seigneur aurait déjà tout révélé ; mais heureusement il n’en est pas ainsi, et il faut que le monde, fertilisé par les pluies (« près d’accoucher », précise Paul en Romains 8), qui ne vien-dront qu’en leur temps, aille jusqu’à la récolte. La pa-tience chrétienne n’est donc pas creuse, ni seulement agressive, ou simple attente du jugement, mais c’est la certitude « paysanne » : a) qu’au bout il y a la moisson ; b) qu’entre temps, toute impatience ou toute intervention (cf. Matthieu 13,28-30) inopportune, serait pour le moins dommageable au plan de salut de Dieu. Et très logiquement, Jacques demande aux chrétiens de ne pas anticiper sur la récolte mûre (et le tri qu’elle com-portera, cf. toujours Matthieu 13), en triant dès mainte-nant, en jugeant dans l’Eglise entre les bons chrétiens (son clan) et les mauvais (les autres !) (v. 9). C’est Dieu seul qui jugera. En attendant, faisons comme certains personnages de l’Ancien Testament qui ont montré leur endurance au mal (qu’on cherchait à leur faire) et leur ténacité dans l’annonce de la parole. Et Jacques cite alors (au v. 11) Job, ce qui pose plus de problèmes que cela n’en résout. Car, en fait, il y a au moins deux Job : celui du Prologue ainsi que de l’Epilogue, et celui de la querelle avec les amis,ennemis, mais déjà on privilégiait le « Job » du Prologue.

11 PPiieerrrree 11,,33--99Lire attentivement pour cette épître l’introduction de la TOB qui est un modèle du genre, et qui voit dans cette épître un document enraciné dans la catéchèse primitive, mais qui a gardé de multiples parentés juives, ne serait-ce que la bénédiction du v. 3 (le « Saint béni-soit-il ! » des Juifs est devenu le « Dieu Père-de-notre-Seigneur-Jésus-Christ »).

La foi chrétienne est comprise comme une régénération, due à la Résurrection de Jésus (v. 3). Quant à « l’espérance vivante », ce peut être aussi bien : a) l’espérance qui nous fait vivre (dès maintenant), b) celui que nous espérons et en qui nous espérons, et c) l’espérance de la vie (éternelle : l’héritage du v. 4) ; il serait présomptueux de trancher. L’héritage (du v. 4) fait sans doute penser que les chré-tiens, à qui cette lettre est adressée (la Diaspora des ré-gions décrites au v. 1 : cinq provinces d’Asie mineure, probablement évangélisées par... Paul !) ont été, au moins partiellement, dépouillées de leurs biens (1,6s.18 ; 2,12s ; 3,13-17 ; 4,3s.12-14.19). Paul avait déjà montré que nous étions les héritiers de Dieu, au même titre que le Christ (Romains 8,17), mais, comme Pierre, il a pensé aussitôt aux souffrances qui accompagnent, comme né-cessairement, cet héritage (cf. ici v. 6) indestructible que Dieu tient en réserve pour ceux qui croient au Christ. Si, au v. 5, le salut est présenté comme une réalité à venir, c’est parce qu’un jour il ne rencontrera plus d’obstacles ; il n’aura plus besoin, comme maintenant, du tremplin des difficultés et des épreuves qu’il cause, non pas volontai-rement, mais par ceux qui ne veulent pas le recevoir. Et nous trouvons ici (c’est fréquent dans cette épître) des parentés avec Paul (Romains 5,4) : l’épreuve surmontée nous donne la preuve de la réalité présente de ce salut. C’est pourquoi, sans l’avoir recherchée (insistons !), le chrétien peut recevoir l’épreuve avec allégresse (v. 6) ; facile ! je veux dire : facile à écrire ; facile à dire ! Mais précisons bien qu’il s’agit probablement des épreuves infligées par les autorités civiles, que l’auteur exhorte pourtant à respecter et à honorer (2,13-17), en particulier pour ôter tout alibi à leurs possibles exactions (2,15). On aura aussi noté au v. 7, l’allusion à la possibilité d’une « pédagogie » de l’épreuve ; car si l’or lui-même (métal précieux et utile) a besoin d’être éprouvé (au feu), alors a fortiori le métal plus ordinaire dont nous sommes faits, aura-t-il besoin de ce test. Au v. 8, on pensera à Jean 20,29 et, même si le terme n’est employé qu’une fois (au v. 3), on ne manquera pas de relever combien cette longue période (où la foi revient sans cesse [4 fois]) est un chant d’espérance, même et surtout s’il est (très probablement) un chant liturgique. Heureuse époque où la liturgie contenait de telles riches-ses !

11 PPiieerrrree 22,,44--994° dimanche après Pâques ou 5° dimanche de Pâques

Un passage bien connu. Ne pas avoir peur du pléonasme du v. 4 : « Approchez-vous près ». En ce qui concerne l’alliance de mots : (lui) « pierre vivante », elle vaut qu’on s’y arrête. Tout d’abord, déjà Jean-Baptiste avait relevé que Dieu pouvait, à partir des pierres du désert, susciter de vrais descendants d’Abraham (Matthieu 3,9), et Jésus lui-même avait répli-qué, à ceux qui, le jour des Rameaux, lui demandaient de faire taire ceux qui saluaient son entrée : « S’ils se tai-sent, ce sont les pierres qui crieront » (Luc 19,40). Et que ce soit lors de cette future fête, que ce soit dans notre texte, on retrouve ici la fameuse pierre « faîtière » du

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Psaume 118,22, qui est non pas la pierre de la base de l’édifice (qui n’aurait pas été vite rejetée par les constructeurs, tout au contraire), mais la pierre (clef de voûte) triangulaire ou trapézoïdale, qu’on délaisse au début avant de l’utiliser tout à la fin, pour faire tenir le cintre ou la voûte. Le (ou les) psalmiste(s) des v. 5-20 s’est (se sont) lui (eux) aussi, trouvé(s) auparavant délaissé(s) ou encerclé(s) ou assiégé(s) ou mourant, et comme le Seigneur le (ou les) a délivré(s), son témoignage à propos du salut qu’il a reçu, est désormais au centre même, sinon au sommet, du culte d’action de grâces qui est ici rendu à Dieu. La dernière des pierres est devenue la principale, celle qui fait tout tenir ensemble. On comprend, en particulier, que lors de la reconstruction du Temple (450 ?!), quand on a sans doute repris des pierres du premier temple, le symbole ait été clair : comme les hommes reconstrui-saient le Temple avec les pierres délaissées (par les pil-lards), Dieu reconstruisait son peuple avec les exilés de retour. Tout comme les pierres du Mur des Lamentations sont, pour beaucoup de Juifs, la promesse d’une restaura-tion du Temple des derniers temps. Mais le symbole fut « dérobé », tout d’abord par Jésus lui-même (Matthieu 21,42 et parallèles), puis par les chrétiens, Actes 4,11 où Pierre applique cette prophétie à Jésus (et à l’époque où sont rédigés les Actes, après 70 – ravage du Temple –, le symbole redevenait fort) : Jésus, hier crucifié, devient la pierre qui, quoique rejetée, cou-ronne et soutient maintenant seule, toute l’histoire du salut (cf. Actes 4,12). Et lui, surtout depuis Pâques, est une pierre vivante (méditer ici Jean 2,19ss), le nouveau Temple (cf. Jean 4,21-24), non plus bâti avec des pierres (ou du béton), mais avec des croyants et avec leur foi. Au v. 5, on pensera à Exode 19,5-6 (tout en restant ré-servé à propos de l’orientation très « sacerdotale » de la note TOB sur ce v. 5). Quant aux v. 6 (rappel du Psaume 118 et d’Esaïe 28,16 d’après la Septante) et 7, on regrettera que la TOB n’ait pas rendu le jeu de mots : le « croyant » (fin du v. 6) et « ceux qui croient » (début du v. 7). Le dénominateur commun entre la première et la deuxième Alliances est là : c’est la foi (peut-être même doit-on, dans cette épître, penser ici à Matthieu 16,18 ?). En tout cas, ne pas suivre le Lectionnaire catholique qui, tout d’abord, met « ...donne sa foi », et ensuite : « ...vous (?) qui avez (!) la foi ». Mais le symbole de la pierre se prolonge, celui qui rejette la pierre en la « croyant » inutilisable pour construire sa vie, risque de la retrouver sur sa route où alors elle le fera trébucher. Ici encore, le Lectionnaire catholique est « orienté » ; pour « incroyants » ou incrédules, il met « ceux qui refusent de croire » (v. 7) ; quant au v. 8, là où il y a « ...ceux qui n’ont pas fait confiance à la Parole », le Lectionnaire catholique met : « ...ceux qui refusent d’obéir à la Parole » (id. TOB, hélas !). C’est ainsi qu’on se facilite la tâche, pour escamoter la difficulté du v. 8 : « Envers qui (la Parole ?) ils étaient placés (destinés) ». Je veux bien qu’on ne retrouve pas ici la double prédes-tination de Calvin, mais qu’au moins on ne triche pas trop sur les versets qui précèdent, pour fonder le dogme contraire : « Ne tombent que ceux qui ont refusé, cette chute étant alors leur sort prévu » ; qu’on dise tout crû-

ment qu’on « sèche » ! Ce sera plus sérieux et plus... chrétien, et en tout cas plus honnête. Pour en revenir au v. 5, s’il est vrai qu’il souligne le « sacerdoce » d’ensemble de tous les chrétiens, a) on remarquera qu’il ne s’agit que d’un sacerdoce d’offrandes (spirituelles de surcroît) ; b) que ce sacerdoce ne fait que souligner celui de Ro-mains 12,1-2 où chaque chrétien doit (et surtout peut) apporter lui-même son existence entière comme offrande sacrificielle, ce qui est le culte le plus « conforme à la parole » (logikè : 12,1).

« Plan » de prédication Je m’autoriserais à mêler les trois textes sous la rubri-que : « Misère, grandeur et diversité de l’Eglise ». Misère – Actes 6 : des ségrégations culturelles resurgis-sent quasiment aussitôt après la naissance de l’Eglise (trop édénique, décrite plus haut), ségrégations typiques de toutes les autres. L’Eglise n’en est pas à l’abri. Elle est vite contaminée par ces tentations de rejet... mais on soulignera alors la rapidité du règlement. Il faut dire qu’à l’époque, on n’ergotait pas sur des virgules. On souligne-ra, au passage, que c’est en ayant recours à Moïse (Exode 18,13ss) que la solution est découverte, même si parfois il nous faut inventer. Grandeur – 1 Pierre 2 : Dieu qui construit son Eglise avec les pierres délaissées par tous les « grands architec-tes et bâtisseurs » (cf. 1 Corinthiens 1,26), et qui fait de chacune d’elles une pierre « vivante », et une pierre qui permet à l’édifice de grandir et de tenir. On relèvera bien l’alliance de mots des v. 4-5 : pierre(s) vivante(s), avec le passage de Jésus-Christ aux chrétiens, et donc de celui de la prêtrise du Christ à celle de l’ensemble des chrétiens. Mais la pierre de faîte est Jésus-Christ lui-même et lui seul. Diversité – Jean 14 : toutes les pierres ne sont pas taillées de la même manière, ni placées au même endroit : « Il y a (et il le faut) beaucoup de sortes de pierres pour cons-truire la maison de mon Père » (cf. v. 2). D’ailleurs, Actes 6 en avait fourni un premier exemple avec la « naissance » des diacres, même si les ministères ne vont pas être étanches (cf. le « sermon » d’Etienne en Actes 7). Insistez, face aux sectes, sur la promesse qu’il y a beaucoup de demeures, de pièces, d’appartements dans le Royaume qui n’a rien pourtant d’une H.L.M. ; et qu’il y aura beaucoup de gens... même ceux des sectes !

11 PPiieerrrree 22,,2200bb--22553° dimanche après Pâques ou 4° dimanche de Pâques

Ceux qui nous ont extrait ce passage semblent bien avoir oublié qu’il est adressé aux... « esclaves » et à la rigueur aux « domestiques ». En tout cas, j’imagine quelle réso-nance il aurait aujourd’hui : « Ouvriers, si le patron vous fait souffrir, alors que vous avez bien fait votre travail... rendez hommage à Dieu en supportant tout ! ». Un beau tollé serait la réponse, d’ailleurs justifiée. En effet, une transposition s’impose ! Et pour cela, il faut nous souve-nir de la situation générale à l’époque de Jésus : si l’esclavage (qui n’était pas aussi rude par exemple que celui du Sud des U.S.A. au début du siècle dernier, ni même que la pseudo-liberté des ouvriers français de la

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fin du 19° siècle) était courant dans le monde gréco-romain, où l’esclave était une chose, cependant il était sérieusement restreint entre Israélites et, de toute ma-nière, limité à sept ans (Deutéronome 15,12) ; et même l’étranger résidant en Terre sainte bénéficiait de cette possibilité d’affranchissement. Jésus ne semble pas avoir été préoccupé par cette situa-tion, alors qu’il met en cause bien d’autres statuts, celui des femmes en particulier. Ce qui permet cependant d’admettre que, pour lui (malgré la parabole de Luc 17,7-10, mise en boîte prémonitoire de disciples croyant que Dieu leur doit quelque chose), il n’existe pas de structure sociale divine et donc intangible. Ce sera, toutes proportions gardées, la position de Paul, tout d’abord envers son ami Philémon, à qui il renvoie l’esclave Onésime, tout en exhortant Philémon pour qu’il le libère, au nom de sa foi chrétienne. De plus, il renvoie Onésime comme un homme qui, librement, en respectant l’autorité de son maître, se rend auprès de celui-ci, que Paul, au nom de la même liberté, exhorte à concrétiser sa foi en le libérant. C’est d’ailleurs ce que dit 1 Corinthiens 7,21-24 où je pense qu’il faut traduire : « Tu étais es-clave quand tu as été appelé (à la foi) ? Ne t’en tracasse pas mais si tu peux te faire affranchir, ce sera encore mieux » (cf. d’ailleurs v. 23 : « On a payé très cher pour vous ! Ne redevenez pas esclaves des hommes »). Ce qui était d’ailleurs la position des Juifs qui ont des mots très durs contre ceux des leurs qui refusaient d’être affran-chis ; mais eux aussi recommandaient un vrai respect des maîtres. C’est ce que nous retrouvons ici : il est possible d’être chrétien dans les diverses situations sociales. Or, comme notre société s’est affranchie (si l’on peut dire) de l’esclavage, après avoir constaté, comme Paul, qu’il est plus facile de vivre la foi chrétienne dans une telle socié-té, nous devons respecter ce nouveau cadre, en y affir-mant notre liberté, mais en sachant que ce n’est pas le cadre qui fait le « tableau » ni un changement de cadre qui donnera de lui-même un nouveau tableau, même s’il permet de mieux l’apprécier. Revenons brièvement à notre texte, en remarquant un léger « abus » de l’auteur, à propos de l’exemple du Christ (v. 21) : 1- Jésus n’est pas né esclave ; 2- Jésus n’a jamais dépendu de maîtres d’ici-bas, comme un esclave ; 3- D’ailleurs le mot « esclave » de Philippiens 2,7 auquel songe certainement l’auteur, doit être plutôt traduit par « serviteur ». 4- Et, si Jésus s’est voulu (cf. 2° Esaïe) le Serviteur-du-Seigneur, c’est librement ; et c’est encore librement qu’il s’est voulu au service des hommes (Marc 10,43-45 et parallèles). Ce passage de l’épître a cependant pour avan-tage de montrer que, quelle que soit la situation sociale, le chrétien peut l’assumer et la surmonter par sa liberté (aux v. 23-24, on retrouve bien des affirmations qui rejoignent celles faites sur le Serviteur-du-Seigneur dans Esaïe 40 à 55). On prendra garde, ici encore, à ne pas : a) trop « dogmatiser » les v. 24-25 ; b) à ne pas les délaisser comme paroles dépassées.

C’est une manière de rendre compte du salut que nous a apporté et donné le Christ ; mais si le don est clair, si sa réception (la foi) est aussi claire, sa « communication » l’est moins. L’essentiel est bien cependant que ce don : a) soit réellement fait, b) réellement reçu ; le « canal » est sans grande impor-tance. Au fait, il est regrettable que la TOB, qui explique bien le mot « âme » en 1,9, garde ce mot si mutilé, dans ce texte (contrairement au Lectionnaire catholique qui met « vous »).

11 JJeeaann 33,,11ss4° dimanche de Pâques

Les conséquences de l’amour de Dieu à l’égard des hommes ne sont pas seulement le don du Fils aux hom-mes, mais encore ceci : à savoir que nous sommes dé-sormais capables de nous en rendre compte et de le com-prendre, mais, en outre et surtout, que le don et sa récep-tion fait de nous de réels enfants de Dieu, que nous le comprenions vraiment ou non, que nous le sentions vraiment ou non, voire même que nous osions le croire ou non. Notre Père étant vraiment notre Père, nous avons à rece-voir continuellement et à vivre notre filiation (le mot « filialité » n’est pas encore reçu dans notre langue). On admirera la petite parenthèse (du début) : « ...appelés enfants de Dieu, car nous le sommes ». Et toute notre misère est d’avoir tant de difficultés à l’accepter et à le croire, afin de vivre paisibles. D’ailleurs, Paul ne disait pas autre chose en Romains 8,14-17.29, où il démontre (mieux et plus fortement que Jean) que nous sommes enfants (majeurs et non infanti-les) de Dieu. Et nous retrouverons ici encore le message paulinien de Romains 8, à propos des fils que nous sommes vraiment, mais en espérance (8,24s), avec l’affirmation (v. 2) : « ...Nous sommes vraiment enfants de Dieu, ...mais pas encore visiblement, clairement ». On pourrait traduire (avec un sourire) : « Ce que nous sommes, nous ne le paraissons pas encore » (pas même à nous-mêmes). Cela éclaire (sic !) un peu la phrase relativement inatten-due : « C’est pourquoi le monde ne peut nous (re)connaître, car (ce monde) ne sait pas reconnaître Dieu ». C’est un a fortiori où l’auteur répond, peut-être pour les consoler et les encourager, à ceux qui prétendent (dans ou hors de l’Eglise) que « si les chrétiens étaient de vrais enfants de Dieu, cela se verrait » : a) le monde n’a pas les « yeux-pour » ; il faut que Dieu les lui accorde ; b) de plus, cette filiation divine, aussi réelle soit-elle, (nous) est encore cachée, même à ceux qui l’ont reçue. Nous ne devons pas nous étonner d’être « mé-connus ». Nous avons nous-mêmes de la peine à nous (y) reconnaî-tre, à l’inverse de tous ces « gnostiques » à qui leur pseudo-connaissance laisse croire que, dès le premier contact, ils savent tout sur tous. Au passage, l’auteur leur décoche : « Ils ne connaissaient même pas Dieu ».

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Autre passage « paulinien » (ici le v. 2) : ce que nous sommes maintenant, même si nous ne le voyons pas encore (idem en Romains 8), un jour nous le verrons : quand « Il » paraîtra. Ce « Il », c’est aussi bien Jésus lors du dernier jour que le jour de notre accession à la pléni-tude.

« Plan » de prédication Sans doute essaierais-je (pour une fois) de prendre le deuxième texte, qui dans le sillage de Romains 8 nous fait retrouver cette vérité oubliée sans cesse de la simul-tanéité du « Déjà et du pas encore », qui éclaire aussi le troisième texte sur le vrai berger, le seul berger.

AAppooccaallyyppssee 11,,99--11991° dimanche après Pâques ou 2° dimanche de Pâques

Je pourrais me contenter des notes de la TOB 2, qui nous permettent de nous retrouver dans le labyrinthe de l’Apocalypse où, contrairement à certains, je ne me suis jamais senti à l’aise (bien fou du cerveau qui se croit à l’aise dans tous les passages bibliques !). Mais ne manquez pas de rappeler tout d’abord que, contrairement à l’usage commun, obnubilé par certains chapitres, « Apocalypse » ne signifie pas du tout « Catastrophe (planétaire) », mais « Dévoilement, Révé-lation (planétaire et même cosmique) ». L’Apocalypse n’est pas une menace, mais la promesse d’y voir plus clair aujourd’hui et dans tout ce qui nous attend. Cette fois, l’épreuve a joué (par la « puissance » de la Royauté de l’Agneau) son rôle positif de dispersion du noyau (le cocon !) de l’Eglise, et Jean (lequel ?... peu importe !) se retrouve en exil à Patmos (près d’Ephèse, prendre une carte s.v.p.). Cependant non seulement cela entraîne la dispersion, ou plutôt la dissémination de l’Evangile, mais cela va favoriser ce que nous avons commencé à entrevoir dans la méditation précédente : la persécution rend l’Eglise plus solide (Facile... à écrire !), plus fidèle et plus disponible pour saisir que « la puis-sance de Dieu se manifeste par notre faiblesse », tout en faisant contribuer les persécutions au renouveau des forces des membres de l’Eglise (cf. Romains 5,3-5 ou 2 Corinthiens 12,10, etc…). Si bien que ce sont les enne-mis de l’Eglise qui vont tremper sa force (cf. Exode 5ss). Toute (ou presque) l’Apocalypse est résumée dans cette certitude de Jean, qu’il veut communiquer à tous ses frères dispersés. Bien entendu, c’est le genre de théorèmes chrétiens dont on sait qu’ils sont vrais (surtout devant l’avachissement et le désenchantement actuels), mais qu’on n’a pas du tout envie de vérifier. Et c’est parfaitement normal. Nous n’avons pas à courir après les persécutions (cf. la pru-dence de Paul dans l’épître aux Philippiens), mais nous avons quand même à prendre garde à toutes les séduc-tions ou les compromis auxquels nous pourrions céder. C’est peut-être notre situation paisible et somnolente, qui nous empêche de pénétrer plus avant dans une meilleure compréhension de ce livre, où je me contenterai de notu-les analytiques plus que de synthèse.

Jean, saisi par l’Esprit (ou dans l’Esprit, ou en esprit ?), va nous relater la vision (et surtout les paroles) dont il fut témoin, un jour du Seigneur. Tous le monde (ou presque) y voit le dimanche. Je veux bien, à la condition de rappe-ler ce qu’était le Jour du Seigneur dans l’Ancien Testa-ment : Amos 5,18-20 & 8,9, Esaïe 2,11 (?), et bien d’autres encore, mais surtout Joël 2,1-11 (avec l’appel à la repentance immédiate : v. 12), Sophonie 1,14 à 2,3. De même que le Dernier Jour est aussi celui du Jugement. Le dimanche, ainsi, ce n’est pas seulement Pâques qui s’actualise, mais la vérité de tous ces Jours du Seigneur de l’Ancien Testament, ainsi que l’anticipation du (des) dernier(s) jour(s). En ce dimanche de vision, Jean n’est pas seulement vivifié par la Résurrection, mais contem-porain de tous les Hiers et du dernier Demain. L’Apocalypse est pour lui une révélation-et-une-présence-de-demain. Et même du dernier : chapitre 21. Me permet-on de regretter une fois encore l’absence d’une fête chrétienne, anticipation (obligatoirement ma-ladroite sinon fausse) du dernier jour ? De toute manière, nous commençons à apercevoir ici la « dimension » cultuelle de l’Apocalypse. Verset 10 – La trompette (qu’on retrouve dans 1 Corin-thiens 15,52) évoque aussi celles de Jéricho. La trom-pette accompagnait certaines fêtes juives. En particulier le Nouvel An appelé fête de la sonnerie (de trompettes) : Lévitique 23,24. Le Nouvel An fêtait conjointement : 1) la royauté de YHWH, 2) la création du monde, 3) le jugement du monde. Verset 11 – A partir d’ici va régner le nombre 7 : 7 Egli-ses – 7 chandeliers (v. 12) – 7 étoiles (v. 16) – et celui qui, au milieu des chandeliers, ressemble à un fils d’homme donnera (au v. 20) la clef de ces images : les 7 étoiles = les anges (les évêques ?) des Eglises ; elles-mêmes représentées par 7 chandeliers (et non pas un chandelier à 7 branches). Si on accepte que ces 7 Eglises représentent non seulement 7 assemblées locales, mais soient aussi les « types » de l’Eglise universelle, on re-joint beaucoup d’exégètes qui voient dans ce chiffre 7 une évocation de l’universalité, l’œcuménicité (P. Pri-gent). Et Jean aurait pris (à mon avis) ces 7-là parce que ce sont des Eglises très diversifiées qui lui permettaient ainsi de s’adresser à toutes, même aux plus fainéantes (Sardes : 3,1), aux tièdes (Laodicée : 3,14), aux apostates (Ephèse : 2,4 et Thyatire : 2,29), aussi bien qu’aux fidè-les (Smyrne : 2,9 ; Philadelphie : 3,6). Jean semble avoir ainsi l’éventail le plus large... les 7 couleurs de l’arc-en-ciel (dont les scientifiques actuels nient la réalité du chiffre 7, peu importe !). Bien entendu, on ne peut quitter ce texte, sans parler du mystérieux personnage « semblable à un fils d’homme ». S’il est sûr qu’il faut ici penser à Jésus qui, très proba-blement, s’est fait appeler « Fils de l’homme », on n’est guère plus avancé, même si on évoque Daniel 7,13-14 (où il est d’ailleurs accompagné d’un vieillard !) ; car la vision de Daniel est loin d’être claire. Il est parmi les caractéristiques ou les habitudes de ce qu’on appelle « l’apocalyptique », d’employer, soit un langage codé, soit un langage flou (ou en tout cas ambi-gu), afin que, si un passage peut viser par exemple un personnage contemporain, il soit assez imprécis pour

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s’appliquer à un personnage à venir (car il n’y a pas de personnage nouveau sous le soleil). Mais ici, il n’y a pas à hésiter : il s’agit bien de Jésus-Christ qui, comme le fils d’homme de Daniel, va rece-voir ou a reçu déjà la Royauté et la Souveraineté (Daniel 7,14). La suite ne soulève pas trop de difficultés : on relèvera la langue (v. 16), glaive à 2 tranchants : Hébreux 4,12 ; ou encore le fait que cette vision est quasi mortelle (v. 17), mais le Ressuscité accomplit pour Jean son œuvre de vie. Tandis qu’il s’applique à lui-même ce qui jusqu’ici n’était réservé qu’à Dieu-le-SEIGNEUR (v. 17 et début du v. 18) : Esaïe 44,6, 48,12. Avant toutes choses, il y avait Jésus-Christ (Jean 1,1). Et après toutes choses, il y aura encore Jésus-Christ.

AAppooccaallyyppssee 55,,1111--11442° dimanche après Pâques ou 3° dimanche de Pâques

Je pense, à la suite de nombreux exégètes, que bien des chants (et parfois des gestes) qui nous sont ici rapportés, sont plus ou moins (et plutôt plus que moins) proches des diverses liturgies des Eglises de l’époque. On remarquera alors plusieurs détails intéressants sinon très évocateurs : 1° Ils sont des millions et des myriades (v. 11) à chanter (très fort... sic ! v. 12). Ici, c’est un rappel à ceux qui se croient seuls le dimanche dans un Temple (ou une Eglise) désert(e). C’est une erreur ! Ils sont non seule-ment entourés de tous ceux qui les ont précédés dans ce même lieu, mais entourés aussi de tous les membres de l’Eglise céleste. Nous avons trop souvent la triste certi-tude d’être les seuls, et donc les derniers, à chanter la gloire de l’Agneau. C’est manquer d’espérance, mais surtout manquer de ce « sens » réconfortant de l’Eglise-invisible où sont recueillis tous ceux qui, par leur fidélité passée, nous ont permis de croire encore aujourd’hui, et qui, s’ils étaient capables de rancœur (cf. cependant 6,10), nous en voudraient aujourd’hui de les oublier. Au culte, « voyez » l’invisible et tous les invisibles ! Et... vous chanterez plus fort ! 2° Leurs cantiques sont essentiellement christologiques. Et s’ils appellent à rendre « gloire, honneur, puissance, force, etc… », c’est seulement la gloire, l’honneur, etc…, de l’Agneau immolé. C’est la gloire et la puissance d’un Amour qui s’est sacrifié. C’est là et là seulement que résident la Gloire et la Puissance de Dieu, dans le don qu’il a fait de lui-même à tous les hommes. Là est aussi la Sagesse de Dieu (cf. 1 Corinthiens 1,17-30) ; c’est dans ce dépouillement qu’est la vraie richesse de Dieu (id. Philippiens 2,7ss). C’est dans cette faiblesse totale de l’Agneau immolé qu’est la vraie puissance de Dieu (id.). On pensera aussi à joindre à ce texte, celui de 1 Pierre 1,19-20, qui nous permet de comprendre mieux que cet Agneau immolé était le but de Dieu, dès avant qu’il crée le monde. La liturgie céleste chante donc essentiellement le Crucifié, et comprend tous les « attributs » de Dieu au travers du Crucifié, ainsi que tout le plan de Dieu. Ques-tion urgente : « Qu’en est-il de nos liturgies terrestres qui en arrivent à chanter (chichement) la Croix comme un

accident de l’Histoire, dû à une Eve trop curieuse et un Adam trop suiviste ? ». 3° Que faut-il voir derrière le Trône ? Les Vivants ? Les Anciens ? Même s’il ne faut pas trop demander de cohé-rence à un voyant en extase, on peut donner quelques timides réponses : a) La Croix est le seul Trône digne de l’Agneau immolé ; cf. la théologie de Jean : le Christ élevé sur la Croix (Jean 12,32) est le Christ régnant (Jean 13,31ss), malgré Apocalypse 4,2 où d’ailleurs il peut déjà s’agir de la Croix placée au cœur du ciel. b) Les « Vivants » : beaucoup d’autres traductions (cf. TOB) y voient des animaux, en particulier les quatre de 4,6-9 qui correspondent aux séraphins de la vision d’Esaïe 6 et aux mystérieuses bêtes d’Ezéchiel 1 (qui en fait sont des... Roues ?). Ici l’imagination des exégètes et autres interprètes s’est déchaînée : les 4 points cardinaux ? Irénée y verra les 4 Evangélistes témoignant ainsi seulement (mais c’est beaucoup) de l’ancienneté de leur autorité. c) Les « Vieillards » ; ils sont 24 d’après 4,4. Le mot « anciens » (presbytéroi) est d’ailleurs plus juste. A mon fragile avis, il s’agit de 12 personnages de l’Ancien Tes-tament plus les 12 apôtres... mais... mais ? Se souvenir aussi du vieillard de Daniel (7,13-14), compagnon d’un (du) Fils de l’Homme. Mais on remarquera que, sauf pour les artistes, ces iden-tifications n’ont pas grande importance, beaucoup moins que la Croix-Trône glorieux du Christ. 4° En tout cas beaucoup moins aussi que cette notation « des myriades et des milliers de milliers », qu’il faut sans cesse rappeler à tous ceux qui sont tentés de faire du Royaume une peau de chagrin, dont bien entendu ils seraient les seuls locataires et même les seuls propriétai-res. 5° Je n’ai pas parlé de « l’Agneau », car c’est un mot inhabituel (relativement : cf. le 3° texte de ce jour). Ce-pendant tout le contexte est évident : au ciel se célèbre la Pâque éternelle.

AAppooccaallyyppssee 77,,99..1144--11773° dimanche après Pâques ou 4° dimanche de Pâques

On peut regretter (encore !) que notre texte ne remonte pas au verset 4 ; en effet, celui-ci évoque les 144 000 (marqués du sceau : du baptême et du salut) serviteurs de Dieu et venant de toutes les tribus. Ce nombre est celui de l’universalité la plus totale (12 x 12 x 1 000). Le verset 9 va renforcer cette universalité innombrable de ceux à qui Dieu veut faire partager son Royaume. C’est important de le relever car, en commettant un contresens total, certaines sectes turbulentes se servent de ce nombre et de ce passage pour limiter les entrées du Royaume à leurs seuls adhérents (et parfois même, seu-lement à quelques-uns de leurs propres adhérents – les « purs » trouvent toujours de plus purs pour les épurer). De plus, en cette époque de racisme et d’exclusions faci-les, le v. 9 nous oblige à insister sur « toutes » nations, « toutes » races... etc., en rappelant par exemple : 1) l’antisémitisme fréquent de l’Eglise ;

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2) et qu’elle a pensé parfois que les Noirs ou les Indiens ne pouvaient pas avoir d’âme... tout comme celle-ci fut parfois refusée à la femme. Nous n’avons certes pas à nous défausser de nos erreurs en multipliant celles de nos ancêtres, mais à l’aide de ces dernières (qui aujourd’hui nous scandalisent) à mieux apercevoir les nôtres et ba-layer devant notre porte. Les robes blanches, qui nous obligent à penser, sans hésitation, au baptême, doivent leur blancheur au seul sacrifice de l’Agneau (v. 14), et apportent ainsi une confirmation du caractère non répétable du baptême. Quant aux palmes, comme la TOB l’a bien vu, elles font allusion à la fête des Tabernacles, et donc à la fête des Rameaux. Et c’est à juste titre qu’elle songe au Psaume 118, à cause de la lecture traditionnelle du verset 27b de ce Psaume. Mais elle oublie deux remarques : 1) c’est que ce verset 27b a reçu aussi une autre traduc-tion : « Liez la victime (rameaux en main) pour l’amener jusqu’à l’autel ». On retrouve aussi de manière indirecte l’Agneau, et certainement le sacrifice célébré lors de cette fête des Tabernacles (Lévitique 23,40ss ; Zacharie 14,16) qui donne une teinte eschatologique à cette fête ; 2) que le verbe « habiter » dans ce passage (v. 15 in fine) est le même qu’en Jean 1,14 : ce qui signifie peut-être que c’est à la fête des Tabernacles que Jésus est né (en tout cas pour Jean) ; ce verbe comporte (en grec) trois consonnes : s.k.n., consonnes qu’on retrouve curieuse-ment dans l’hébreu « rester sous la tente » (sh.k.n.) et dans la fameuse « Shekînah » qui, tout en évoquant le Tabernacle, compagnon d’Israël dans le désert, évoquait plus encore la mystérieuse présence perpétuelle et bien-faisante du SEIGNEUR sur son peuple. Le verbe « (ils le) servent » (jour et nuit), insiste certai-nement sur la vocation liturgique de ce peuple innom-brable qui est, ne l’oublions pas, un peuple de prêtres : 1,6 (le culte est un service !). Une difficulté consiste dans l’allusion au « Temple » alors qu’il sera dit que le voyant du livre « ne voit plus de Temple » (en 21,22a). Cela signifie-t-il que la vision est « historique » (chronologique) et comporte plusieurs temps ? Ou plutôt que le Temple, étant désormais le SEIGNEUR et l’Agneau présents à tous (21,22b), c’est déjà de ce Temple qu’il s’agit ici ? Mais répétons qu’on ne peut demander notre logique à un homme en extase et qui aperçoit l’invisible. Mais il ne faudrait pas manquer le paradoxe de l’Agneau qui soudain devient « Berger » (v. 17), qui rappelle : 1° Jean 10,2 et 11ss, avec cette curieuse affirmation : le Berger « place » (et non « donne ») sa vie pour ses brebis (à mon avis = propose, présente, remet sa vie à ses bre-bis ; on retrouve alors la notion de sacrifice) ; 2° le Psaume 23,1-2 : Psaume d’un pèlerin qui rentre chez lui après une longue fête au Temple (v. 6, où il faut respecter le texte massorétique ou T.M. [texte hébreu canonique] comme le fait la TOB) et qui sait « qu’il n’aura ni faim ni soif » (v. 1-2) ; à comparer ici au verset 16 – cf. aussi Psaume 121,5-6. C’est alors la grande promesse que nous nous devons de bien mettre en valeur : « Dieu (lui-même) essuiera toute larme ».

AAppooccaallyyppssee 2211,,11--554° dimanche après Pâques ou 5° dimanche de Pâques

Nous devons nous remémorer ici l’avertissement pauli-nien de 1 Corinthiens 13,9-12, quand il nous rappelle que « notre connaissance est partielle, que ce que nous pou-vons dire (du salut) n’est que partiel (et partial), que nous sommes encore des tout-petits qui babillent, bafouillent et balbutient à propos d’un monde « adulte », et dont nous ne voyons que d’insaisissables images » quand nous parlons du Royaume en particulier. Ce ne sont et ne seront, jusqu’au dernier jour, que des manières approxi-matives, partielles, et j’y reviens, donc partiales, pour essayer de dire quand même ce qui dépasse infiniment nos intelligences, nos mots, a fortiori nos idées. Ici, Jean n’échappe pas, même s’il est en extase, à cette relativité, à cette limite quand il parle de ce qui arrive à la fin des temps (et en le lisant, nous renforçons cette relativité). C’est pour l’avoir oublié qu’on a souvent perdu de vue que ce Royaume de Dieu n’était pas une cité humaine à la puissance 10 ou 100 ou... même 1 million ; mais une Cité que nous ne pourrions même pas décrire, saisir (et encore moins construire) ; et cependant une Cité que Dieu nous fait la grâce de pouvoir évoquer. Ce qui est dit ici n’est donc pas à prendre pour des images adéquates, mais pour des « tremplins... d’admiration » et d’adoration. C’est une évocation, ce sont de lointaines indications. Mais, répétons-nous bien, il faut se garder de voir là des réalités précises (comme ces sectes qui nous décrivent la villa... américaine avec douze pièces et pis-cine... – même s’il n’y a plus de mer – qui nous attendent au Royaume... si, bien entendu, vous les aidez... à cons-truire leurs vingt-quatre pièces ici-bas !). D’ailleurs, Jean prévenait : « C’est nouveau, tout sera nouveau ». Le malheur est pour nous que « nouveau » = (seulement) restauré, replâtré, refait en mieux sans doute, mais alors ce n’est jamais que du néo-ancien (Qohélet ou l’Ecclésiaste nous avaient prévenus). « Nouveau » dans la Bible, c’est ce que nous ne pouvons ni faire ni même imaginer. C’est « autre », et même « tout autre » (1 Co-rinthiens 15,39-41 ; et cf. aussi le malentendu entre Jésus et Nicodème en début de Jean 3). Que ceci soit très clair : il y aura à la fin un tout autre ciel et une toute autre terre (d’un autre ordre, dit la TOB). Et tout ce que nous pou-vions en connaître par la terre où nous vivons et par le ciel que nous voyons, aura disparu. Et même il n’y aura plus de mer... Ici, pour comprendre la disparition de ce lieu de délices (?) pour maints estivants, il faut se souvenir de tous ces mythes anciens où la Mer (personnifiée souvent par la déesse Tiamat) représentait les forces d’anéantissement et du chaos qui cherchaient à faire disparaître l’œuvre de Dieu. Certes, Dieu vaincra la mer et ses acolytes, tel le Léviathan : Genèse 1 ; la fin du Déluge, la sortie d’Egypte. Certes, il a mis des frontières à la Mer (Pro-verbes 8,29, Job 38,8-11 où, dans les deux cas, le phé-nomène des marées est interprété théologiquement) ; et la Mer ne manquera pas de se révolter contre le Christ et ses disciples (Marc 4,35-41 et parallèles) ; tandis que Jésus la matera, voire même marchera sur elle (Marc 6,45-52 et parallèles), cette Mer et les puissances maléfi-ques qu’elle symbolise n’ont pas été détruites, mais sim-plement enchaînées avec un strict domaine réservé, dont

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elles ne peuvent déborder, même si parfois elles parais-sent pourtant se déchaîner. Dans le Royaume, tout cela, et donc en particulier toutes ces puissances de chaos et de négation, auront disparu. Ce ne sera plus ! Et cela nous est très difficile à imaginer. Précisément l’imaginer reviendrait à laisser cours encore à ces puissances maléfiques dont nous (et notre intelli-gence) ne sommes pas encore débarrassés. v. 2 : La Jérusalem qui vient… – 1° est, elle aussi, nouvelle ; les v. 11-27 montreront combien elle sera autre que celle que nous pouvons connaître, même si, grâce finale faite aux hommes, elle recueillera la gloire et l’honneur des nations (v. 26). (On comparera d’ailleurs Apocalypse 21,25 à Actes 14,27 de la dernière lecture) ; – 2° (elle) descend du ciel ; ce ne sont pas les hommes qui, comme lors de l’antique tour de Babel (Genèse 11), ont construit une ville... dont le sommet touche le ciel, mais une ville non construite par les œuvres des hom-mes, qui descend d’auprès de Dieu, même s’il est proba-ble que, dans sa miséricorde, Dieu se soit servi des œu-vres de ses serviteurs incapables (inutilisables), pour en construire quelques parties (Luc 17,10 ; traduit en dépit du bon sens par la TOB). Dans ce verset 2, on prendra garde au « comme » (comme une fiancée...) qui nous rappelle que nous som-mes dans les images, même s’il faut mettre en parallèle avec 19,7 (et Ephésiens 5,29ss). Et c’est encore une voix (v. 3) qui informe de ce qui se passe : cette ville sera la tente de Dieu. La vraie. Allusion indiscutable à la fête, dite des Tabernacles, même si ce n’est pas le même mot (nous l’avons déjà rencontré), cf. Lévitique 26,11ss. Dieu viendra définitivement demeurer parmi nous, dans une fête éternelle (là encore attention !). L’Emmanuel (Dieu avec nous) sera définitif. Les larmes seront essuyées et « il n’y aura plus la mort ». Là aussi, c’est indescripti-ble : moi qui l’écris, je vais mourir, le papier sur lequel j’écris va disparaître. Et toi qui lis, tu vas aussi mourir... un jour. Nous sommes donc encore incapables de bien comprendre ce que cela veut dire. Toutes les « premières choses qui vont disparaître » (v. 4) est mieux traduit par le lectionnaire catholique que par la TOB. Car ici, il est clair que la première création a été faite en vue de la deuxième, comme le premier Adam a été formé à cause du deuxième (Romains 5,14). Cela, nos frères orientaux – moins influencés par le néfaste (sur ce point) augustinisme qui ne voyait dans l’Incarnation du Christ qu’une conséquence (« heureuse » : felix culpa) de la faute d’Adam – l’ont mieux saisi que nous. On a intérêt à les relire sur ce point.

AAppooccaallyyppssee 2222,,1122--22006° dimanche après Pâques ou 7° dimanche de Pâques

Comme on peut le voir ci-dessus, je crois qu’il faut réin-tégrer dans cette lecture le v. 15, ne serait-ce que par respect pour le texte et même par respect pour les gens. Cette lecture édulcorée, censurée, ne peut que les inter-roger, sinon les inquiéter, de voir ainsi l’Eglise oublier

les passages dérangeants... ou les prendre, eux parois-siens, pour des débiles. Il ne faut pas cacher les difficultés que souvent la Bible nous pose. Sans trop y revenir, nous ne devons pas les écarter, comme des chrétiens honteux, quand elles se présentent ; nous devons les affronter. Car, nous allons le voir ici, c’est notre indécrottable moralisme qui nous empêche de faire une lecture simple de ce passage qui d’ailleurs était déjà, en tout ou en partie, dans 21,8 et 27. Les « chiens », très mal vus (par les nomades ?) à cause de leur servilité, leurs tendances parfois homosexuelles (mode de comportement repoussé sévèrement par les Juifs), et leurs goûts douteux, reçoivent pourtant un très « bon » éclairage avec 2 Pierre 2,22 (Proverbes 26,11), où ils sont les images de ceux qui, après avoir connu l’Evangile, retournent, au moins partiellement, à leurs anciennes idolâtries, comme les chiens ont cette fort peu ragoûtante habitude de retourner à leurs vomissures... et parfois pire ! (id. à mon avis en Philippiens 3,2). Les « magiciens » sont eux aussi dénoncés pour leurs prati-ques religieuses. Les impudiques sont très probablement ces gens (cf. Corinthe) qui veulent introduire dans le culte chrétien des pratiques fréquentes dans le paganisme (prostitution sacrée... par exemple), les assassins (ceux qui pratiquent les sacrifices d’animaux : Esaïe 66,3 dans la traduction habituelle ≠ TOB), les idolâtres (terme clair qui résume ceux qui précèdent) ; quant à ceux qui aiment et font le mensonge, il est encore évident que ce sont les adorateurs d’idoles (cf. le terme « mensonge » dans l’Ancien Testament). Bien entendu, ne sont pas approuvés pour autant tous ceux qui se livrent à certaines de ces fautes en dehors de toute foi chrétienne. Mais nous avons ici l’annonce du culte pur, ou purifié de toute duplicité, rendu au seul Seigneur. Et c’est la promesse que nous participerons à ce culte, avec enfin un cœur vraiment pur (= monoplace ; cf. Psaume 12,3, littéralement « un cœur et un cœur », Matthieu 6,23, Jacques 1,8 et 4,8) avec un seul amour ; c’est l’encouragement à nous débarrasser toujours plus, de nos possibles idolâtries (Matthieu 6,24). Comme quoi toute censure est toujours imbécile (pardon !)... même celle des textes bibliques. On peut, dès lors, en venir à ce verbe (et cette expres-sion) si fréquent dans l’Apocalypse : « Venir » (je viens) ; le « bientôt » est là pour renforcer l’urgence. Il est clair qu’ici, il nous faut réviser nos notions du temps et du Royaume de Dieu. Ce temps actuel n’est pas un temps creux où le Christ serait dans les cieux, attendant le « Go » final pour intervenir et venir dans notre monde. Mais il vient (et intervient) en ce moment-même. Déjà les premières lignes (1,4) de l’Apocalypse avaient parlé de celui qui « est » (littéralement « l’Etant » à cause de la Septante sur Exode 3,14), qui « était » (à cause de Jean 1,1ss), mais tout cela est périmé, car non seulement Jésus n’est (?) pas celui qui « sera », mais (changement génial de verbe) le « Venant », l’Inter-venant. Et avec lui, le Royaume, que va essayer de décrire le voyant de l’Apocalypse, est en marche vers nous. Ce n’est pas notre temps qui va vers lui, c’est son temps et son règne (son Royaume) qui viennent à nous. Dieu ne sommeille ni ne dort (Psaume 121,4), enfermé et figé dans une éternelle attente du dernier jour, mais avec Jésus-Christ, il vient à nous. C’est pourquoi d’ailleurs l’Apocalypse évitera de parler de Retour du Christ, mais elle parle sans

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cesse de venue du Christ. Le Christ ne reviendra pas (au sens classique du verbe), car il est déjà en train de venir. Et un jour, le voile (cf. l’étymologie d’Apocalypse !) se déchirera pour nous permettre de voir la Nouvelle Jéru-salem pleinement installée et ouverte à tous. Ceci échappe à nos intelligences ternies par la chronolo-gie à laquelle nous sommes soumis depuis... Genèse 1. Et il est probable que nous ne saisirons jamais vraiment cette dynamique du Royaume qui vient, et qui n’est pas réfugié comme une inaccessible idée dans un Futur total ; peu importe d’ailleurs tout cela si nous commençons à saisir et à savoir que le Christ vient en ce moment même (il est même à la porte et il frappe : 3,20)... Saisissons donc l’urgence (non fébrile !) du Christ qui arrive, et veut nous trouver maintenant prêts (zélés) à tout remettre en question (3,19). Quant à l’Alpha et l’Oméga, ainsi que le premier et le dernier, cf. Esaïe 41,4 ; 44,6 ; 48,12 ; même si ce n’est pas une idée exclusivement juive de trouver Dieu au début et à la fin de tout, même du langage (et on pensera particulièrement aux Psaumes alphabétiques, hommage rendu à Dieu pour son don de l’écriture et de la parole aux hommes), car Platon a dit la même chose. Cependant ici je ne résiste pas à la tentation (?) de rappeler une des traditions rabbiniques rapportée par Prigent : le terme fidélité en hébreu (‘émet), est formé de trois consonnes : la première est la première lettre de l’alphabet hébreu, la troisième est la dernière lettre, et la deuxième, la lettre médiane de cet alphabet (on rappellera alors Apocalypse 1,5 : le témoin, le fidèle). Certes, c’est très probablement postérieur (et de loin) à l’Apocalypse. Il n’empêche que cela dégage une des dominantes de cette affirmation d’Apocalypse 22,13 : c’est une manière (comme celle d’Exode 3,6 avec l’écho de 3,14) de rappeler la fidélité indéfectible de Dieu. Le v. 14 fait allusion à l’arbre de vie de Genèse 2,9 et 3,22 (arbre qui était probablement une vigne, en treille : cf. Jean 15,1), mais cela ne signifie pas que la Jérusalem nouvelle est l’Eden restauré ; si elle est aussi accès à l’arbre interdit, elle est bien plus que cela. La fin du v. 16 (cf. Apocalypse 5,5) rappelle la grande prophétie d’Esaïe 11,1 et 10 et noue en une gerbe tout ce qui s’est passé, depuis l’annonce de ce rejeton qui est d’ailleurs ici plutôt une racine (cf. la Septante), ce qui pourrait être riche de signification. L’étoile rappelle Nombres 24,17 (sur l’étoile de Jacob) ainsi que Matthieu 2,1ss ; et avec le Messie, elle annonce l’aube qui va se lever sur tout le kosmos. Jésus est le Jour nouveau de l’Humanité. L’épouse (v. 17) n’est pas simplement l’Eglise juridique, définie par des règlements ou des disciplines, mais la communauté, aujourd’hui invisible, de ceux qui atten-dent et qui, avec l’Esprit, disent et redisent : « Viens ». Arrive alors l’évocation d’Esaïe 55,1s et Jean 4,10ss et 7,37. Et que maintenant chacun songe bien à ce qu’il penserait devoir ajouter... ou retrancher à ce texte... Et la Grâce de notre Seigneur Jésus-Christ soit avec (nous) tous !

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Table des matières Préface...............................................................................................2 Genèse 2,7-9 ; 3,1-7...........................................................................3 Genèse 2,18-24 ..................................................................................4 Genèse 12,1-4 ....................................................................................4 Genèse 15,1-6 ; 21,1-3.......................................................................5 Genèse 18,1-10 ..................................................................................5 Genèse 18,20-32 ................................................................................5 Exode 17,3-7......................................................................................6 Exode 32,7-14....................................................................................7 Deutéronome 4,1s.6-8........................................................................8 Deutéronome 6,2-6 ............................................................................8 Deutéronome 26,4-10 ........................................................................9 Deutéronome 30,(9)10-14..................................................................9 Josué 5,10-12...................................................................................10 Josué 24,1-18...................................................................................10 1 Samuel 16,1.6s.10-13....................................................................11 1 Rois 17,10-16 ...............................................................................11 1 Rois 19,16-21 ...............................................................................12 2 Rois 4,42-46 .................................................................................12 2 Rois 5,14-17 .................................................................................13 Néhémie 8,1-10 ...............................................................................13 Proverbes 8,22-31............................................................................14 Proverbes 9,1-6................................................................................14 Ecclésiaste 1,2 ; 2,21-23 (24)...........................................................15 Esaïe 6,1-8 .......................................................................................15 Esaïe 7,10-16 ...................................................................................16 Esaïe 11,1-10 ...................................................................................17 Esaïe 35,1-10 ...................................................................................17 Esaïe 42,1-7 .....................................................................................18 Esaïe 49,3.5-6 ..................................................................................18 Esaïe 50,4-7 .....................................................................................19 Esaïe 55,1-3 .....................................................................................19 Esaïe 60,1-6 .....................................................................................20 Esaïe 62,1-5 .....................................................................................21 Esaïe 62,10-12 .................................................................................21 Esaïe 66,10-14 .................................................................................22 Esaïe 66,18-22 .................................................................................22 Jérémie 1,4-10 .................................................................................23 Jérémie 11,18-20 .............................................................................23 Jérémie 17,5-8 .................................................................................23 Jérémie 33,14-16 .............................................................................24 Jérémie 38,4-10 ...............................................................................24 Ezéchiel 37,12-14 ............................................................................25 Daniel 7,13s.....................................................................................25 Daniel 12,1-3 ...................................................................................27 Amos 6,1.3-7 ...................................................................................27 Amos 8,4-7 ......................................................................................27 Michée 5,1-4a ..................................................................................28 Sophonie 2,3 ; 3,11-13.....................................................................28 Sophonie 3,14-18.............................................................................28 Malachie 3,19s.................................................................................29 Sagesse 18,6-9 .................................................................................29 Actes 1,1-11.....................................................................................30 Actes 2,1-11.....................................................................................30 Actes 2,14.36-41..............................................................................32 Actes 2,42-47...................................................................................32 Actes 5,12-16...................................................................................33 Actes 5,27-32...................................................................................34 Actes 6,1-7.......................................................................................35 Actes 7,54-60 ; 8,1...........................................................................35 Actes 10,34-38.................................................................................36 Actes 13,14.43-52............................................................................36 Actes 14,21-27.................................................................................37 Actes 15,1s.22-29 ............................................................................38 Romains 1,1-7..................................................................................39 Romains 5,1-5..................................................................................40 Romains 5,12-15..............................................................................41 Romains 5,12-19..............................................................................42 Romains 8,8-11................................................................................42 Romains 10,8-13..............................................................................43 Romains 13,11-14a..........................................................................43 Romains 15,4-9................................................................................44 1 Corinthiens 1,10-17 ......................................................................45 1 Corinthiens 1,26-31 ......................................................................45 1 Corinthiens 3,16-23 ......................................................................46 1 Corinthiens 10,1-8.10-12 ..............................................................47 1 Corinthiens 11,23-26 ....................................................................47 1 Corinthiens 12,4-11 ......................................................................48 1 Corinthiens 12,4-7.12s..................................................................49

1 Corinthiens 12,31-13,13 ...............................................................49 1 Corinthiens 15,1-11 ......................................................................50 1 Corinthiens 15,12-20 ....................................................................51 2 Corinthiens 5,17-21 ......................................................................51 Galates 6,14-18................................................................................52 Ephésiens 3,2-12 .............................................................................52 Ephésiens 4,1-6 ...............................................................................53 Ephésiens 4,30-5,2 ..........................................................................54 Ephésiens 5,8-14 .............................................................................54 Ephésiens 5,15-20 ...........................................................................54 Ephésiens 5,21-32 ...........................................................................55 Philippiens 1,3-11............................................................................55 Philippiens 2,6-11............................................................................56 Philippiens 4,4-7..............................................................................56 Philippiens 4,6-9..............................................................................57 Colossiens 1,15-20 ..........................................................................58 Colossiens 1,21-28 ..........................................................................58 Colossiens 2,11-15 ..........................................................................59 Colossiens 3,1-4 ..............................................................................60 Colossiens 3,1-11 ............................................................................60 Colossiens 3,12-21 ..........................................................................61 1 Thessaloniciens 3,12-4,2 ..............................................................62 2 Thessaloniciens 1,11-2,2 ..............................................................62 2 Thessaloniciens 2,16-3,5 ..............................................................62 2 Thessaloniciens 3,7-12 .................................................................63 1 Timothée 1,12-17 .........................................................................63 1 Timothée 2,1-8 .............................................................................64 1 Timothée 6,11-16 .........................................................................64 2 Timothée 1,6-8.13s.......................................................................65 2 Timothée 1,8-10 ...........................................................................65 2 Timothée 2,8-13 ...........................................................................65 2 Timothée 4,6-8.16-18 ...................................................................66 Hébreux 2,9-11................................................................................66 Hébreux 7,23-28..............................................................................67 Hébreux 9,24-28..............................................................................67 Hébreux 10,5-10..............................................................................67 Hébreux 10,11-14.18 .......................................................................67 Hébreux 11,1s.8-19 .........................................................................68 Hébreux 12,1-4................................................................................69 Hébreux 12,5-7.11-13......................................................................69 Jacques 1,17-27 ...............................................................................70 Jacques 2,1-5 ...................................................................................71 Jacques 5,7-10 .................................................................................71 1 Pierre 1,3-9...................................................................................72 1 Pierre 2,4-9...................................................................................72 1 Pierre 2,20b-25 .............................................................................73 1 Jean 3,1s .......................................................................................74 Apocalypse 1,9-19...........................................................................75 Apocalypse 5,11-14.........................................................................76 Apocalypse 7,9.14-17......................................................................76 Apocalypse 21,1-5...........................................................................77 Apocalypse 22,12-20.......................................................................78

IInnssttiittuutt AAccaaddéémmiiqquueeddee FFoorrmmaattiioonn tthhééoollooggiiqquueeeett dd’’AApppprreennttiissssaaggee

Eglise Evangélique Luthérienne au Congo

CCeennttrree LLuutthhéérriieenn KKiimmbbeeiimmbbee,, LLuubbuummbbaasshhii,, CCoonnggoo RRDDCCE-Mail : [email protected] — Tél. : [+243] 081 233 72 53 (Secrétariat et patrimoine) � 099 703 72 25 (Secrétaire académique) � 099 859 28 09 (Aumônier) �081 407 93 04 (Bibliothécaire) � 081 083 99 59 (Directeur)

Alphonse MAILLOT (1920-2003), pasteur de l'Église réfor-mée de France et docteur en théologie de la Faculté de Stras-bourg. L’auteur des plusieurs œuvres des notes homilétiques, publiées par la Mission intérieure de l’Eglise Evangélique luthérienne en France. Source : www.cultes-protestants.org Image de la couverture : Les bergers voient les anges (Luc 2), œuvre d’art de Rien Poortvliet (1932-95, artiste néerlandais)

1e édition 30 septembre 2010. Pour l’assistance des églises de la République Démocratique du Congo. Imprimé sans but lucratif par