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1 MATTHIEU LANNEE 2015/2016 BONG Joon-Ho : Un cineaste sociologue Directrice de mémoire : Mme Eun-sook Chabal Pôle International de Management Master 1 Management International Parcours échanges internationaux Option Echanges avec l’Asie Faculté des Affaires Internationales Université du Havre

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Page 1: M1 - Matthieu Lannée - Mémoire 2016

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MATTHIEU LANNEE 2015/2016

BONG Joon-Ho :

Un cineaste

sociologue

Directrice de mémoire : Mme Eun-sook Chabal

Pôle International de Management

Master 1 Management International

Parcours échanges internationaux

Option Echanges avec l’Asie

Faculté des Affaires Internationales

Université du Havre

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TABLE DES MATIERES

Remerciements…………………………………………………………………………………3

Avant-propos……………………………………………………………………………………4

Introduction……………………………………………………………………………………...6

I- La genèse d’un cinéaste sociologue..............................................................8

A- Un enfant de la cinquième République…………………………................8

B- La sociologie comme outil de réflexion…..…………………………………9

C- Les origines de son intérêt pour le septième art....................................10

II- Une représentation personnelle de la société…………………..……………13

A- Le rôle des personnages.…………………………………………………..13

1- Un amour pour les plus démunis……………………………………...13

2- Un portrait de famille brisée……………………………………………14

3- Le rôle de la mère……………………………………………………….16

B- Entre histoire et critique sociale……………………………………………17

1- La société comme antagoniste………………………………………..17

2- La Lutte des classes sociales………………………………………….18

3- Corruption et société……………………………………………………21

III- Critique sociale et cinéma………………………………………………………23

A- Des scènes représentatives du passé……………………………………..23

B- Les lieux et décors……………………………………………………………24

C- Un réalisateur naturaliste……………………………………………………25

Conclusion……………………………………………………………………………………..27

Bibliographie…………………………………………………………………………………..28

Annexes………………………………………………………………………………………..29

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REMERCIEMENTS

J’adresse mes remerciements aux personnes qui m’ont aidé dans la réalisation

de ce mémoire.

En premier lieu, je remercie Mme. Chabal, professeur à l’université du Havre.

En tant que directrice de mémoire, elle m’a conforté dans mon choix de sujet et a su

me donner de très bonnes pistes à explorer.

J’aimerais ensuite remercier Farisa Copol et Stina Barray, avec qui j’ai

beaucoup échangé à propos de ce complexe exercice qu’est le mémoire. Nos

conversations m’ont motivé et très souvent éloigné de certaines erreurs que j’aurais pu

commettre.

Je voudrais aussi remercier mon frère qui malgré une activité prenante et un

nouveau rôle de père a réussi à m’accorder de son temps en assurant une relecture

complète de ce mémoire.

Et finalement, j’aimerais remercier la ville du Havre qui, grâce à ses

bibliothèques, a pu me fournir le matériel nécessaire à la réalisation de ce mémoire.

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AVANT-PROPOS

Lorsqu’il est question de cinéma et de société, il y a une question qui revient

très souvent. Beaucoup de cinéphiles se la posent et chacun y va de son petit

argument. Personne n’arrive à se mettre d’accord et cela créé des débats stériles qui

n’apportent pas de réponses concrètes. Cette question est la suivante : le cinéma est-il

le reflet de notre société ?

J’aimerais donc commencer ce mémoire en affirmant que cette question n’a

pas lieu d’être. Il est évident que le cinéma est une représentation de la société. Un

film est la vision que se fait une personne ou un groupe de personne de la société.

Tous les choix que fait l’auteur sont déjà prédéfinis par sa condition d’être

humain vivant en société. Il est donc simple de trouver des éléments faisant écho à

des phénomènes sociaux, des comportements humains ou encore des évènements

historiques. Malgré cette formation involontaire des esprits, certains auteurs vont

utiliser les codes du cinéma afin d’accoucher d’une réflexion personnelle sur la société.

Je vais prendre en exemple un film franco-italien qui a fait grand bruit à

l’époque. En 1973 sort le film La Grande Bouffe1 qui raconte le suicide gastronomique

de quatre bourgeois dont la vie n’a été qu’ennui et incomplétude. À travers les abus et

les excès en tout genre des personnages, le film dénonce la folie de cette société qui

gaspille et qui ne consomme plus pour vivre mais qui vit pour consommer. On pourrait

ajouter à cela une critique du pouvoir, de l’indifférence et de l’égoïsme. L’un des

acteurs principaux, Philippe Noiret, réagira au scandale provoqué par le film en

déclarant des propos très intéressants ici : « Nous tendions un miroir aux gens et ils

n’ont pas aimé se voir dedans. C’est révélateur d’une grande connerie. ».

La critique sociale ne se cantonne pas à un genre ou un autre. C’est à l’auteur

de choisir le genre qui conviendra le mieux à la diffusion de sa pensée. La Grande

Bouffe est ce que l’on pourrait appeler une chronique dramatique qui se déroule dans

1 Film réalisé par le réalisateur italien Marco Ferreri

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un décor imitant la réalité. C’est pourquoi je souhaiterai prendre deux autres exemples

issus de genres différents et qui prônent l’imaginaire. Un imaginaire qui ici a pour but

de démontrer un problème réel.

Le premier est un film d’horreur intitulé La Colline a Des Yeux de Wes Craven,

sorti en 1977, dans lequel une famille en vacances est attaquée par une bande de

cannibales défigurés. Ce film est un pamphlet contre l’attitude des États-Unis qui, à la

fin de la seconde Guerre Mondiale, était prête à tout pour affirmer sa suprématie sur le

monde, même à faire des essais nucléaires sur son propre territoire. District 9 de Neil

Blomkamp est un film de science-fiction sorti en 2009. Ce film raconte comment une

communauté extraterrestre, qui est arrivée sur Terre il y a 20 ans, est maintenant

confiné dans des ghettos. Le film se déroulant en Afrique du Sud, il est évident que

cette mise en scène renvoie à l’apartheid en abordant des thèmes tels que le racisme,

la xénophobie ou encore l’expulsion de la communauté en dehors des centres-villes.

J’ai choisi ces exemples précis afin de renvoyer aux films qui constituent l’œuvre dont il

sera question dans ce mémoire. L’auteur de ses films va utiliser les divers genres que

propose le cinéma afin de divertir mais aussi d’instruire son public.

Bien sûr, certains cinéastes sont moins subtils que d’autre dans l’art de

transmettre une opinion à travers un média. Mais le cinéma reste un miroir qui reflète

la société avec ses bons et ses mauvais côtés. Ce miroir peut être mis directement

dans le champ de vision ou non du spectateur mais il est là, révélateur du monde qui

nous entoure.

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INTRODUCTION

Je me souviens que je suis allé voir The Host, le troisième long-métrage, de

Bong Joon-Ho (봉준호2), au cinéma à sa sortie en France en 2006. On le vendait

comme le « Godzilla Sud-Coréen », une accroche qui avait eu son petit effet sur moi.

Après son visionnage, je suis ressorti de la salle conquis, même si je n’avais alors pas

encore compris toute la dimension critique et historique du film. C’est bien plus tard, à

la sortie de Snowpiercer en 2013, que j’ai voulu revoir toute sa filmographie, c’est alors

que j’ai commencé à me poser des questions sur son œuvre : quels thèmes sont

abordés par l’auteur ? Et pourquoi ? Mais aussi comment ? Et surtout quel message

souhaite-t-il faire passer à travers ses films ? C’est à ces questions que je vais tenter

de répondre à travers cette étude.

Mon mémoire se base principalement sur l’œuvre cinématographique de Bong

Joon-Ho, et plus particulièrement sur ses longs-métrages qui sont au nombre de cinq :

Barking Dogs Never Bite (플란다스의 개, 2000), Memories of Murder (살인의 추억,

2003), The Host (괴물, 2006), Mother (마더, 2009), Snowpiercer (설국열차, 2013). Ses

courts-métrages sont majoritairement des travaux effectués durant ses années

universitaires, ils sont donc difficiles à se procurer voir introuvables pour certains. Les

deux seuls que j’ai donc pu inclure dans mon mémoire sont : Incoherence (1995) qui

est son projet de fin d’études de l’école de cinéma et Shaking Tokyo qui fait partie du

film multinational Tokyo !

Mes recherches ont commencé par le visionnage répété de ces œuvres afin

de repérer les mécanismes de réalisation mais aussi de capter les différents messages

disséminés par l’auteur à travers ses films. Mon but était de devenir familier avec

chacune de ses œuvres, il fallait que je puisse garder en tête les scènes pertinentes

2 Les noms d’origine coréennes seront écrits en hangeul uniquement à leurs premières apparitions dans le texte.

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qui illustreront mes propos mais aussi la façon dont Bong Joon-Ho exprime sa critique

de la société.

Au regard les thématiques abordées, il m’a fallu d’abord approfondir mes

connaissances sur l’histoire de la Corée du Sud, puis me pencher sur une importante

branche des sciences humaines, la sociologie. Cette science humaine possède elle-

même plusieurs branches et comme nous pouvons le penser, plusieurs courants de

pensée.

Quand j’ai commencé la rédaction de mon mémoire, je me trouvais alors en

Corée du Sud en train d’effectuer un stage dans le cadre de mon master. Alors que

j’étais assis à mon bureau essayant de définir ce que représente exactement l’œuvre

de Bong Joon-Ho, je me suis alors dit que le plus simple serait de lui demander

directement. Après plusieurs jours de réflexion, je me suis lancé, j’ai envoyé un mail à

une adresse qu’un ami coréen avait trouvé pour moi et résultat : rien malgré plusieurs

relances, mais ce n’est pas pour autant que j’avais abandonné l’idée d’obtenir des

réponses de sa part. En effet, internet, qui regorge d’interviews sous forme d’articles

ou de vidéos et les bonus inclus dans les DVD de ses films m’ont permis de trouver

des réponses à mes questions.

Dans ce mémoire, nous tenterons d’analyser le regard que pose le cinéaste,

Bong Joon-Ho, sur la société de la péninsule coréenne et son histoire, en prenant en

compte aussi bien le fond que la forme.

Pour cela, dans une première partie, nous nous intéresserons au contexte

dans lequel l’auteur a grandi mais aussi son parcours culturel et intellectuel. Ensuite,

nous tenterons d’expliquer les thèmes abordés par l’auteur afin de comprendre son

message. Enfin, nous étudierons les procédés de mise en scène utilisés par l’auteur

pour diffuser ses idées.

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I) La genèse d’un cinéaste sociologue

A) Un enfant de la cinquième République

Bong Joon-Ho fait partie de cette génération de cinéastes qui a utilisé la fin de

la dictature des années 80 comme d’un tremplin pour s’exprimer. Si l’on veut

pleinement comprendre son œuvre, il est nécessaire de se tourner vers le passé de la

Corée du Sud, et plus précisément les années 70-80, période qui représente l’enfance

et l’adolescence du cinéaste sud-coréen.

Au début des années 70, la Corée du Sud

explose économiquement sous la dictature de Park

Chung-Hee (박정희). On peut y voir ici les prémices de la

modernisation économique du pays. Cependant le

régime est très dur et laisse peu de liberté au peuple, la

censure et la répression font régner l’ordre. Le 26 octobre

1979, le dictateur sud-coréen est assassiné par la police

secrète sud-coréenne, le KCIA (Korean Central

Intelligence Agency), mais ce n’est pas pour autant que

la situation du pays aller changer. Alors que le pays

entame un timide début de démocratisation, le général

Chun Doo-Hwan (전두환) prend le pouvoir grâce à un coup d’état le 12 décembre

1979.

Cet évènement est le déclenchement d’un soulèvement populaire à travers le

pays basé sur des manifestations qui ont pour but de démarrer une série de réformes

(démocratisation du pays, levé de la loi martiale, augmentation des salaires, liberté de

la presse etc). La dictature de Park Chung-Hee a créé d’énormes inégalités entre les

différentes régions du pays. En effet, le dictateur a privilégié le développement

économique et politique de certaines provinces telles que celle de Gyeongsang (경상),

1) Le dictateur Park Chung-Hee

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sa province natale. Ce soulèvement se propage dans tout le pays et atteint Gwangju

(광주) qui est la capitale de la province de Jeolla (전라), elle aussi délaissée par le

gouvernement.

Les évènements du « soulèvement de

Gwangju » ont eu lieu entre le 18 et le 27 mai 1980.

Après plusieurs émeutes contre les soldats déployés

dans la ville, les manifestants (majoritairement

étudiants ou ouvriers) parviennent à prendre cette

dernière. L’armée sud-coréenne est alors envoyée afin

de réprimer le soulèvement, on compte plus de deux

cent morts officiellement mais ce serait en fait plusieurs

milliers de personnes qui auraient péries pendant cet affrontement.

Bong Joon-Ho, étant alors âgé d’une dizaine d’années, était bien trop jeune

pour participer à ces manifestations ou encore pour les comprendre mais on peut

supposer qu’elles l’ont inconsciemment marqué. En revanche, il a manifesté durant

son adolescence, ce qu’il confiera lors d’une interview pour la sortie de The Host :

« Manifester était presque une activité quotidienne des étudiants. Bien sûr j'y

participais comme les autres, cependant je n’ai jamais été le leader d’un mouvement.

J’ai tenté de les aider en dessinant des BD, des affiches et des tracts. » avant

d’ajouter : « C'était une période où j'étais très sensible à l'oppression sociale. Du coup,

la censure m'a fait voir le second visage de la société coréenne, où l'on oppressait la

liberté d'expression. ». En effet, même si le pays était entré dans une phase de

transition vers la démocratie, le gouvernement n’en restait pas moins corrompu, ce qui

entraîna une forte opposition, venant notamment des milieux étudiants.

On retrouvera des scènes rappelant ces idées des petits qui s’unissent dans

l’adversité, de lutte des classes sociales ou encore de la corruption dans plusieurs de

ces films.

B) La sociologie comme outil de réflexion

On ne sait pas vraiment si ces évènements ont influencé les choix d’études du

jeune Bong Joon-Ho, car même s’il a fait des études de cinéma, il ne faut pas oublier

2) Les soldats frappant les civils lors des évènements de Gwangju

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qu’il a étudié la sociologie dans la prestigieuse université sud-coréenne de Yonsei. Il

est alors intéressant de se demander si son œuvre aurait été différente sans ses

études.

Il est indéniable que ses études de sociologie lui ont apporté les

connaissances nécessaires afin de comprendre les mécanismes de la société, mais

elles lui ont aussi permis de se forger un esprit critique. Si son enfance et son

adolescence lui ont donné le fond de sa réflexion, ses études lui ont apporté la

structure.

La sociologie est une science humaine qui a pour but la compréhension mais

aussi l’explication des phénomènes sociaux. Comme toutes sciences sociales ou

humaines, la sociologie a composé au fil des années une multitude de théories plus ou

moins complexes. En ce qui concerne l’approche de Bong Joon-Ho, elle se révèle être

très intéressante surtout vis-à-vis de la société coréenne. C’est une société qui est

basée sur les fondements du confucianisme donc l’idée de communauté y est très

importante. Selon la fameuse école, l’intérêt du groupe prime sur celui de l’individu. Et

c’est là que son approche devient intéressante car selon lui, le sort de l’individu renvoie

à la société toute entière.

C) Les origines de son intérêt pour le septième art

Le contexte social dans lequel a grandi Bong Joon-Ho a définitivement eu un

impact important sur les thématiques abordées dans son œuvre. Cependant,

l’éducation qu’il a reçue, aussi bien dans le cercle familial que dans le cercle scolaire, a

grandement forgé son cinéma ainsi que la vision qu’il a de cet art.

Même s’il a grandi à une époque où la censure et la répression régnaient,

l’enfant, qui allait devenir l’un des cinéastes les plus intéressants du XXIème siècle, a

évolué dans un cadre plutôt libéral. Fils de designer et petit-fils d’écrivain, il serait facile

de comprendre d’où lui viennent sa narration si particulière et son style visuel si

aiguisé, mais ses inspirations se trouvaient ailleurs, et plus précisément dans son

salon. Bong Joon-Ho est un enfant qui a grandi devant la télévision.

C’est devant cette petite lucarne qu’il va découvrir le cinéma et pas n’importe

lequel. Lors de ses interviews, Bong Joon-Ho mentionne souvent la chaîne AFN

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(American Forces Network), cette chaîne de l’armée américaine s’est implantée en

Corée du Sud durant la Guerre de Corée avec l’arrivée des troupes américaines.

Cependant ce n’est qu’à la fin de la guerre qu’il fût décidé que serait construit des

bâtiments afin d’abriter la chaîne et son équipe. Elle prend alors le nom d’AFKN

(American Forces Korea Network). Durant les années 70-80, la chaîne diffusait

principalement des films de genres mais aussi des séries B3, Il faut aussi ajouter à

ceux-là les films de la Hammer Film Productions qui est une société qui a ouvert la

voie aux productions fantastiques, d’aventures ou encore d’horreur dans les années

30. Bong Joo-Ho va s’abreuver de ses œuvres connues en Occident mais encore

inconnues en Orient.

Ce sera pendant ces heures, agglutiné devant l’écran qu’il va découvrir celui

qu’on appelle le « Maître de l’Horreur » : John Carpenter. Il y a effectivement plusieurs

raisons si ce dernier est souvent cité comme une référence par le cinéaste sud-coréen.

John Carpenter est un cinéaste américain né en 1948

connu pour être le réalisateur de plusieurs films, par la suite

devenus cultes, durant les années 70 et 80. Il n’hésite pas à

s’attaquer à différents registres même si l’horreur est celui

qui le révèlera au grand public avec le film Halloween sorti

en 1978. On peut trouver beaucoup de similarités entre les

deux, mais aussi une forte inspiration du cadet sur son aîné.

Tout d’abord, les deux ont la même approche

concernant le cadre de l’action : il doit être restreint. Nous

retrouverons donc des films qui se déroulent, par exemple :

dans un village de campagne, un immeuble, une maison, un

train, une église etc. Ce procédé de mise en scène a pour but de révéler la vraie nature

des personnages, qui le plus souvent va se révéler être très sombre.

L’un comme l’autre, ils n’hésitent pas à explorer les différents registres de

films qu’offre le média « cinéma ». Ils choisiront celui qui servira le mieux leurs

histoires mais aussi surtout celui le plus adapté aux messages qu’ils veulent faire

passer. Tous les deux ont un regard assez négatif sur la société et les personnes qui

l’incarnent. L’un étant américain et l’autre sud-coréen, ceci en dit long sur l’état de la

société moderne. Leurs discours respectifs se ressemblent sur certains points, si on

3 Ce terme désigne les films réalisés avec un petit budget.

3) John Carpenter

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devait les résumer très brièvement : ils comportent une dénonciation d’un

gouvernement corrompu et l’impuissance du peuple face à celui-ci.

Que ce soit dans le fond ou dans la forme, on s’aperçoit que les œuvres des

deux artistes possèdent de nombreux points communs, ce qui montre l’influence qu’ont

eu les long-métrages de John Carpenter sur Bong Joon-Ho.

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II) Une représentation personnelle de la société

A) Le rôle des personnages

1) Un amour pour les plus démunis

Les films de Bong Joon-Ho ne se ressemblent pas vraiment, ils sont tous très

différents mais il y a quelque chose qui les unit : le caractère des personnages

principaux. Si l’on s’attarde sur la filmographie du cinéaste sud-coréen, on s’aperçoit

très vite à travers ses films que ses protagonistes n’ont rien qui nous permettrait de les

qualifier de « héros ». On trouve entre autres des chômeurs, des déficients mentaux,

des personnes âgées, etc. une représentation très éloignée des archétypes du héros.

Nous sommes ici bien loin de la société coréenne que les séries coréennes nous

représentent en nous montrant des

acteurs ou des actrices au physique

plutôt plaisant et qui jouent des rôles

qui les mettent à leurs avantages. On

ressent chez le réalisateur comme

une envie de montrer des gens de la

vie quotidienne dont le destin les

oblige à faire face à des situations qui

les dépassent : une famille abîmée

par la vie se voit combattre un monstre, une veuve fera tout pour innocenter son fils, ou

encore des opprimés se soulèveront pour renverser l’ordre établie. Il dira même de ses

personnages : « Ce sont ces personnes-là qui m’intéressent le plus, ceux qui n’ont ni

pouvoir ni la moindre qualité qui les distinguerait du commun. »

Même quand ils semblent avoir une bonne situation, ils se révèlent incapables

de rencontrer les attentes de leurs fonctions. On peut prendre pour exemple, les

policiers de Memories of Murder qui, à cause d’un manque réel de moyens, sont

incapables de mettre la main sur le tueur en série, principal antagoniste du film, mais

qui aussi n’hésiteront pas à fabriquer de fausses preuves pour inculper « l’idiot du

4) La famille Park dans le film The Host

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village ». L’auteur nous dévoile des héros qui ne sont pas tous blancs. Un autre

exemple de cette incapacité malgré des moyens peut être retrouvé dans le personnage

du jeune diplômé qui est dans l’incapacité de trouver un travail, personnage que l’on

retrouve dans Barking Dogs Never Bite et The Host.

Quand les pauvres sont délaissés, ils s’unissent. Dans The Host, alors que le

gouvernement s’apprête à lâcher un agent chimique sur les bords de la rivière Han

(한강), on découvre des manifestants prêts à défendre le personnage principal accusé

d’être contaminé, et plus tard, dans le combat de la famille contre le monstre, ils

recevront l’aide décisive d’un sans-abri. C’est ensemble et unis qu’ils éradiqueront le

monstre qui les a tant fait souffrir. Cette idée est à nouveau abordée dans Snowpiercer

qui est un film entièrement basé sur la lutte des classes. Alors que l’humanité était sur

le point de s’éteindre des suites de l’apparition d’une nouvelle ère glaciaire, un homme

inventa un train qui permettrait la survie de ses passagers. Une société va donc se

recréée au sein du train et des inégalités vont apparaître. Les passagers des derniers

wagons du train, les moins riches, vont s’unir afin de tenter de renverser l’ordre établi

par les passagers à la tête du train.

Bong Joon-Ho nous présente donc la société à travers les yeux des classes

populaires. Ce procédé permet aux spectateurs de se projeter plus facilement dans le

film en suivant des personnes qu’ils croisent dans la rue tous les jours (le cas de

Snowpiercer est un peu spécial mais nous y reviendrons plus tard). Même s’ils jouent

le rôle des protagonistes, ce n’est pas pour autant que leur description s’en retrouve

embellie. Il faut tout de même ajouter que ses personnages connaissent une évolution,

une chose très importante dans un récit, à travers son parcours un personnage

apprendra sur lui-même mais aussi sur le monde qui l’entoure. A la fin du film, il ne

sera plus celui que nous avons rencontré au début.

2) Un portrait de famille brisée

Quand il est sujet de la famille dans ses films, le cinéaste la représente toujours

incomplète et très souvent dysfonctionnelle. Dans The Host, on nous présente une

famille où la figure de la mère est absente sur deux générations, et dans Mother, une

mère seule avec son fils souffrant de troubles mentaux. Ce n’est pas vraiment l’image

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idéale que l’on se fait de l’idée de « famille », mais une fois de plus ceci est une

représentation réaliste contemporaine d’un élément de la société.

La seule famille qui pourrait à peu près être normal est celle du couple dans

Barking Dogs Never Bite. En effet, même si le jeune couple est dans l’attente d’un

enfant, la relation qu’ils entretiennent n’est pas vraiment joyeuse. Pour rappel, le mari

est au chômage et à la recherche d’un poste d’enseignant, c’est donc sa femme qui

leur permet de subsister. Il y a

ces scènes où elle lui demande

de casser des noix car elle veut

en manger. On peut imaginer

cette scène comme une

métaphore de l’hypothétique

castration du personnage. Si l’on

regarde le plan ci-contre, on

s’aperçoit que le mari est assis

sur le sol alors que sa femme est assise sur une chaise, ce qui la surélève par rapport

à lui, et cette idée de domination est renforcée par la composition du cadre. Le mari se

situe dans la partie sombre du cadre, alors que sa femme, elle, est dans la partie

éclairée. Dans la société coréenne, qui est une société patriarcale, il ne faut pas

oublier que c’est à l’homme de ramener de l’argent afin de subsister aux besoins de sa

famille, une chose dont le protagoniste est incapable.

La famille est très importante aux yeux du réalisateur, car malgré tous les

péripéties que connaîtront ses personnages, ils pourront toujours se tourner vers leurs

familles pour y trouver du soutien. Et même quand celle-ci se retrouve détruite, il est

toujours possible d’en former une autre comme nous le montre la fin de The Host.

Selon Honoré de Balzac : « La famille sera toujours la base des sociétés », elle est

effectivement la première des sociétés dans laquelle nous, les êtres humains,

évolueront. On peut imaginer que dans ses œuvres, la famille sert de métaphore à la

société en général.

5) Yun-Ju complètement dominé par sa femme

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3) Le rôle de la mère

La figure de la mère a une place très importante dans les œuvres du réalisateur

même si elle y est souvent absente. Dans The Host, il n’y a pas de mère et ceci est

sans doute la raison de la condition dans laquelle se trouve cette famille. On remarque

qu’il n’y a pas vraiment de cohésion entre les membres, c’est leur amour pour Hyun-

Seo (현서) et les obstacles qui se dresseront devant eux qui les rapprocheront. Durant

mes recherches, je suis tombé sur une théorie assez intéressante qui met en avant le

fait que la mère ne serait pas absente mais représentée par le monstre, ce qui

expliquerait le choix du monstre d’enlever Hyun-Seo.

J’ai aussi ma propre théorie sur le sujet, l’absence de cette figure représenterait

un manque non pas au niveau familial mais au niveau national. La Corée est un pays

qui a toujours eu beaucoup de mal à gérer son territoire. Ce manque traduirait la

séparation du pays après la Guerre de Corée avec au nord, la République populaire

démocratique de Corée et au sud, la République de Corée. Ce qui me laisse avancer

cette hypothèse, c’est la présence de ces deux personnages coréens dans le film

Snowpiercer : Min-Su (민수) et sa fille Yo-Na (연아). Min-Su représenterait la Corée du

Sud actuelle tandis que l’absence de la mère représenterait l’autre moitié de la Corée,

en ce qui concerne Yo-Na, elle serait le futur de la Corée. A la fin du film, elle est l’une

des seules survivantes et un nouvel espoir pour l’humanité, peut-être un signe qu’il faut

oublier le passé et avoir foi en l’avenir.

Quand la mère est

présente, cela donne des

personnages forts et qui

feraient tout pour protéger

leur progéniture. Que ce soit

dans Snowpiercer avec le

personnage de Tanya, ou le

personnage de la mère dans

Mother, elles sont dans son

œuvre des personnages

6) La talentueuse Kim Hye-Ja dans l’un de ses meilleurs rôles selon elle

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remplies d’amour qui n’hésitent pas commettre l’irréparable si cela est bénéfique au

sort de leurs enfants. Dans Mother, Kim Hye-Ja (김혜자) interprète le rôle d’une mère

qui n’a pas de nom. En Corée, il est presque normal de ne pas connaître les noms des

personnes beaucoup plus âgées car il existe tout un ensemble d’expressions afin de

s’adresser à elles. Dans le film, elle sera amenée à discuter avec plusieurs

personnages mais jamais son vrai nom ne sera divulgué. Cela une impression

d’universalité de la figure de la mère, un personnage qui n’incarne pas une mère mais

la figure maternelle. Ce film basé sur la relation assez ambigüe entre une mère et son

fils, cherche à montrer jusqu’à quel point une mère peut aller par amour pour son fils.

B) Entre Histoire et critique sociale

1) La société comme antagoniste

Dans tous les films de Bong Joon-Ho, on retrouve un principal antagoniste :

dans Barking Dogs Never Bite, le sans-domicile fixe mangeur de chiens ; dans

Memories of Murder, le tueur en série ; dans The Host, la créature ; dans Snowpiercer,

le créateur du train. Vous aurez remarqué que je n’ai pas cité Mother, et il y a une très

bonne raison à cela : c’est dans ce film que le réel antagoniste des films de Bong Joon-

Ho est montré de façon explicite pour la première fois.

En cherchant à faire innocenter son fils, la mère va se heurter au système à

travers des personnages tels que l’inspecteur ou encore l’avocat. Tous vont l’empêcher

d’atteindre son but ou alors vont l’aider moyennant finance. Ce film fait écho à The

Host dans lequel le système a tendance à s’acharner sur la famille Park (박). D’une

manière générale, tous les

protagonistes sont des victimes du

système. Dans Barking Dogs Never

Bite, Yun-Ju (윤주) ne trouve pas de

poste d’enseignant car il n’a pas

l’argent qui lui permettrait de soudoyer

le principal et ainsi d’obtenir le poste

de professeur vacant (la corruption est 7) Yun-Ju trouvera finalement l’argent dont il a besoin

grâce à sa femme

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un thème important que nous aborderons un peu plus tard), quant à Hyun-Nam (현남),

l’autre personnage principal, elle comprendra à la fin du film que sa course à la

célébrité ne lui apportera rien et qu’elle a été manipulé par les médias. Le manque de

moyens des inspecteurs de Memories of Murder contribuera à l’échec de l’arrestation

du tueur en série.

Il faut aussi ajouter que même si la société en général est décrite comme étant

le principal antagoniste, les récits de Bong Joon-Ho se font parfois plus précis et

laissent entrevoir quelques indications. Nous pouvons prendre pour exemple le cas de

The Host, mais avant il faut revenir à la genèse du film. Nous sommes en 2000 et

Bong Joon-Ho est en plein tournage de Barking Dogs Never Bite quand éclate l’affaire

McFarland (voir annexe 1). Un entrepreneur des pompes funèbres employé par

l’armée américaine ordonne le déversement de déchets toxiques servant à embaumer

les corps dans le fleuve Han. Bong Joon-Ho avait alors déjà l’idée de créer un film

autour d’un monstre et, il tenait là le point de départ de son histoire. Ceci n’est pas

assez pour en déduire quoi que ce soit de concret mais ce sont les éléments que va

rajouter l’auteur autour qui va nous donner de sérieux indices. Le gouvernement ne

sachant pas comment réagir face à l’apparition du monstre, inventera une histoire de

faux virus afin de camoufler la vérité et quand le peuple commencera à protester, il

n’hésitera pas à déverser un agent rappelant le fameux agent orange. Ces éléments

font bien sûr référence aux fausses armes irakiennes et à l’agent orange utilisé par les

américains lors de la guerre du Vietnam. Le vrai ennemi est donc ici les Etats-Unis,

même le gouvernement coréen passe pour une victime et il y a comme un effet de

mise en abîme de la domination. Tous ces éléments permettent alors de définir The

Host comme un drame politique.

Si le système est la source de tous les malheurs de nos héros, nous verrons

avec Snowpiercer qu’il est possible de le combattre. Et si on ne peut pas le combattre,

on peut toujours le faire « dérailler ».

2) La lutte des classes sociales

« Les individus ne constituent une classe que pour autant qu’ils ont à soutenir

une lutte commune contre une autre classe. Pour le reste, ils s’affrontent en ennemis

Page 19: M1 - Matthieu Lannée - Mémoire 2016

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dans la concurrence. » C’est sur cette citation de Karl Marx que s’ouvre le cinquième

film de Bong Joon-Ho, Snowpiercer. Très tôt dans son œuvre, Bong Joon-Ho a inclus

ce thème de lutte des classes sociales. Pour cela, il faut remonter bien avant Barking

Dogs Never Bite. Incoherence est un court-métrage qu’il a réalisé à la fin de ses

études de cinéma. On peut déjà y voir les prémices des thèmes abordées dans ses

futurs longs-métrages. Ce court-métrage est composé de quatre courtes séquences. Il

est important d’expliquer chaque séquence car même si elles sont courtes, elles en

disent long sur l’élite de la Corée.

La première séquence nous présente un professeur d’université qui est plutôt

pervers sur les bords. Alors qu’il envoie l’une de ses étudiantes récupérer des

documents laissés dans son bureau, il se rend compte qu’il a laissé l’une de ses

revues érotiques ouvertes sur son bureau. Il se précipite et arrive à temps pour cacher

ses lectures douteuses et préserver son honneur. Dans la deuxième séquence, un

joggeur s’assoit devant une maison et boit une brique de lait appartenant au

propriétaire de la maison. Un livreur de journaux arrive, c’est alors que le joggeur

l’invite à prendre la deuxième et dernière brique de lait en le remerciement pour son

travail avant de continuer son jogging. Malheureusement, le livreur tombe sur la

propriétaire qui lui passe un savon et elle finira par se désabonner du journal que livrait

le jeune homme, le Daily Cho-Sun. La séquence suivante suit un homme qui, après

une longue nuit de soûlerie, cherche à faire ses besoins mais ne trouvant pas

d’endroits, il décide de faire ça dans un jardin public. Le gardien du jardin le surprend

avant qu’il n’ait pu faire quoique ce soit et l’invite dans son logement de fonction afin de

se soulager. L’homme étant très vexé et honteux d’avoir été surpris décidera de

déféquer dans l’autocuiseur du gardien.

Ces trois

séquences prendront tous

leur sens grâce à la

quatrième et dernière

séquence. On y retrouve

ces trois personnages qui

sont invités à une

émission télé dans le but

de débattre sur le manque

de moralité dans la 8) La classe dirigeante faisant la morale à la télévision

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société coréenne. On y apprend au passage que le joggeur est en fait l’éditeur-en-chef

du Daily Cho-Sun et que le troisième homme est procureur. Le débat commence avec

le joggeur qui affirme que le problème vient de l’éducation, puis le professeur ajoute

que la culture populaire y est pour beaucoup et que nous pouvons nous estimer

heureux que la publication de Penthouse ait été annulée en Corée du Sud, enfin le

procureur prend la parole pour souligner que les délits mineurs tels que le fait d’uriner

en public ne cessent d’augmenter. On se rend alors compte de l’hypocrisie de ces trois

personnages qui représentent, à travers leurs métiers, l’élite mais aussi des figures

importantes de la classe dirigeante en Corée du Sud, des personnes que l’on respecte.

On retrouve d’ailleurs une scène similaire dans Mother quand l’avocat contacte la mère

afin de lui expliquer son plan. Afin d’éviter à Doo-Joon (두준) de faire quinze ans de

prison, il soumet l’idée de le faire placer dans un hôpital psychiatrique pendant quatre

ans. Une chose qui serait simple car ses amis de lycée et de fac ne sont tout

simplement que le directeur de l’hôpital et le procureur (voir annexe 2). Cette scène

illustre bien les manigances de cette classe de privilégiés qui peut se jouer du système

si elle le désire.

Si elle peut jouer avec le système, c’est parce qu’elle le contrôle, ce que nous

montre très bien Snowpiercer. Une société s’est recréé dans le train avec deux

groupes bien distincts : une classe dirigeante et une classe constitué de laissés pour

compte. A l’origine, le train a été créé pour les personnes qui pouvaient se l’offrir et les

quelques wagons restants ont été ouverts aux gens du peuple qui se sont entretués

afin d’y avoir leur place. Les riches auraient pu garder le train pour eux mais en

permettant aux pauvres d’en faire partie, ils se créent un ennemi « naturel », ce qui va

empêcher la naissance de conflits entre personnes de la haute-société.

Si un peuple est

opprimé, il est naturel qu’ils

se soulève. Mais dans ce

film, on comprendra plus

tard que toute cette

révolution était orchestrée

par le créateur du train. Tout

d’abord, elle est nécessaire

afin de réguler le nombre de

passagers à bord du train, mais aussi sentant sa fin approcher, il lui fallait trouver un

9) La révolution est en marche

Page 21: M1 - Matthieu Lannée - Mémoire 2016

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successeur. Les révoltes organisées par Wilford, le créateur, ont plusieurs buts :

entretenir l’espoir des classes sociales, ainsi que réguler le nombre de passagers

comme nous l’avons dit, mais aussi de renforcer ce lien de rivalité entre les classes. Si

les membres des classes n’avaient pas d’ennemis communs, ils finiraient certainement

par s’entretuer donc quand Curtis et les siens mettent en marche leur révolte, ils ne se

combattent pas contre le système mais ils l’aident à survivre malgré eux. La révolution

n’est rien d’autre qu’une illusion du changement, elle permet en réalité la continuité du

système. Quand Curtis arrive à l’avant du train, on se rend compte que s’il accepte de

prendre les commandes, rien ne changera et tout recommencera car lui et les autres

resteront finalement dans le train, ils sont prisonniers du système. Le personnage de

Min-Su propose alors quelque chose de très intéressant : sortir du train. Le combat

étant inutile car le système ne changera jamais vraiment, sauter du train permettrait de

s’extirper du système et d’être enfin libre.

Nous avons une vision de la société dans laquelle les gens sont enfermés et

qui l’acceptent car ils n’ont jamais rien connu d’autre. Il est impensable pour eux de

vivre en dehors du système, ayant peur de l’inconnu, ils préfèrent continuer à être

opprimés par le système. Le train qui est une allégorie d'un modèle de société qui leur

permet de rester en vie alors que l’on apprend qu’il serait possible de survivre à

l’extérieur. Snowpiercer est un film qui représente assez bien la vision de la société

qu’a pu avoir Bong Joon-Ho dans ses précédents films.

3) Corruption et société

La corruption est un thème récurrent chez Bong Joon-Ho, il faut dire qu’il a

grandi à une époque où le gouvernement était rongé par la corruption, que ce soit sous

la dictature de Park Chung-Hee ou la mise en place de la Cinquième République.

Page 22: M1 - Matthieu Lannée - Mémoire 2016

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Comme nous l’avons vu précédemment avec Barking Dogs Never Bite, très

souvent dans la société coréenne si l’on veut quelque chose, il faut le payer. Dans

Mother, alors que la mère est plongée dans son enquête, elle a la possibilité par deux

fois de recevoir de l’aide d’un ami de son fils. Ce dernier, à chaque fois, n’hésitera pas

à lui demander une somme d’argent en échange de ses services. Même si ce n’est pas

de l’argent, il y a toujours un moyen d’acheter des services. Dans le train de

Snowpiercer, il y a ce fameux

passager coréen qui aurait

participé à la conception de

l’engin. Mis à l’écart, les

passagers des derniers wagons

font appel à lui afin d’assurer la

réussite de leur entreprise. Min-

Su refuse mais il acceptera

quand Curtis, le leader de la

rébellion, lui proposera de lui donner du kronol, une drogue créée à partir de déchets

toxiques, à chaque wagon traversé. Il est intéressant de noter qu’il est l’un des seuls

personnages est coréen et est un membre déchu de la classe dirigeante. Ce genre de

personnage nous donne une représentation d’une Corée cupide qui en devient

presque individualiste. Le plus troublant est que ces personnes sont issues ou se

retrouvent dans la même classe sociale, et au lieu de s’unir afin de s’entre-aider par

instinct, ils cherchent plutôt à profiter de la situation.

L’auteur nous montre aussi que l’avidité des puissants risquerait même de

mettre en péril l’intégrité du peuple. Dans son troisième film, The Host, le fleuve Han

est considéré comme une zone contaminé par le virus mais c’est ici que se trouve la

fille de Gang-Du (강두). La petite famille décide alors de se faire passer pour une

équipe de nettoyage mais elle se rend vite compte qu’on ne laisse passer que les

sociétés qui donnent un pot-de-vin aux autorités. Cette scène nous montre à quel point

cette soif économique est devenu ridicule mais aussi dangereuse.

Il y a ce sentiment d’une société capitaliste où l’argent est roi et où tout

s’achète. Il veut nous montrer à travers ces scènes la cupidité, mais aussi la stupidité

du gouvernement.

10) Min-Su négociant ses services en échange de sa drogue

Page 23: M1 - Matthieu Lannée - Mémoire 2016

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III) Critique sociale et cinéma

A) Des scènes représentatives du passé

Il ne faut pas oublier que le cinéma est avant tout un art visuel et que l’impact

des images est très importante. Avec un père designer et étant un amoureux du

cinéma, il est évident que Bong Joon-Ho prête une attention toute particulière à sa

mise en scène.

Un autre facteur qui va une fois de plus définir sa perception du cinéma, c’est le

contexte dans lequel il a grandi. Ayant assisté à beaucoup de manifestations dans sa

jeunesse, il est normal de retrouver des scènes similaires dans ses films. Mais celle qui

est la plus courte mais peut-être la plus intense et la plus significative est celle de

Memories of Murder.

Le film se déroule

dans les années 80, une

époque alors pleine de

tension où la loi n’hésitait

pas à utiliser la force pour

se faire respecter. Dans

la scène en question, les

policiers dont nous

suivons l’enquête sont

mobilisés afin d’assurer la

sécurité du Président qui est de passage dans la ville. On assiste alors à un

affrontement entre les manifestants et les forces de l’ordre, et comme durant tout le

film, ces derniers n’hésitent pas à lever les poings si les choses ne se déroulent pas

comme prévues.

Bong Joon-Ho utilise aussi son passé afin de créer des personnages avec du

vécu. Dans les dernières minutes de The Host, chacun des membres de la famille Park

11) Une scène qui pourrait rappeler les évènements de Kwangju

Page 24: M1 - Matthieu Lannée - Mémoire 2016

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affronte le monstre à sa façon. Le

frère utilisera son passé de

manifestant pour créer des

cocktails molotov avec des

bouteilles de soju (소주). Bong

Joon-Ho dit s’être inspiré de l’un de

ses amis de fac lui aussi

manifestant, mais autre part il

affirme qu’il s’est inspiré d’une légende racontant l’exploit d’un manifestant qui a

affronté à lui tout seul les forces de l’ordre avec pour seuls armes, ces fameux

cocktails explosives.

Les scènes composées d’éléments fantastiques peuvent aussi renvoyer au

réel, un réel parfois assez dur. Je pense notamment à cette scène où le monstre de

The Host se cache afin de vomir tous les corps qu’il a ingurgité. On peut très bien

imaginer que cette créature, fruit de la folie du système, essaie de cacher les cadavres

du système, comme l’a si bien fait la Corée du Sud pendant ses années de dictature et

de transition vers la démocratie.

Bong Joon-Ho sait jouer avec les images mais il sait aussi comment intégrer

des éléments historiques dans ses œuvres, de façon plus ou moins abstraite.

B) Différents lieux représentatifs de la société

Un immeuble, un village de campagne, une famille, un train etc. Autant de films

que de métaphores de la société. Quel que soit lieu dans lequel se déroule le film,

nous retrouverons les thèmes chers à Bong Joon-Ho, mais aussi une impression de

confinement.

12) Légende ou réalité ?

Page 25: M1 - Matthieu Lannée - Mémoire 2016

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Juste avant, nous avions parlé du

train dont les passagers ne pouvaient ou

ne voulaient pas sortir car il leur assurer

quand même une sécurité et un espace

connu. Ce phénomène ne se cantonne pas

qu’au train. On a cette sensation en

visionnant Barking Dogs Never Bite qui se

déroule dans un immeuble avec ses portes

les unes à côté des autres, on aurait presque l’impression de voir les cellules d’une

prison.

Cette impression de confinement se ressent aussi au grand air avec la

campagne comme décor. Deux de ses films s’y déroulent : Memories of Murder et

Mother. On y ressent une Corée plus dur avec des personnages forts qui se battent

avec ce qu’ils ont. On notera aussi leurs inaptitudes à communiquer avec les gens

venant de la ville. Mais on s’aperçoit aussi d’un manque de moyens accompagné d’une

incompétence des représentants de l’ordre en général.

C) Un réalisateur naturaliste

La plus grande qualité de Bong Joon-Ho est sa capacité à retranscrire avec

précision la réalité. Son style pourrait correspondre au mouvement littéraire naturaliste

tant il en proche dans son approche de la société. Il a beaucoup d’intérêts pour les

personnes défavorisés. Il les décrit de façon à ce que l’on comprenne que leur

environnement définit leur comportement. Il n’hésite pas non plus à décrire ses

personnages dans leurs aspects les plus immoraux.

Dans sa quête de l’illusion du réel, il va utiliser un concept très coréen que l’on

nomme « Hee Lo Ae Lak » (희로애락) qui représente un ensemble de quatre

sentiments : la joie, la colère, la tristesse et le plaisir. Certains films comporteront les

quatre alors que d’autres peut-être moins mais le but est de donner une illusion de la

réalité. Ces quatre sentiments co-existent et c’est ce qui fait que nous pouvons passer

des larmes au rire en un instant, c’est la vie.

13) Une représentation bien étriquée de la vie en société

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Une scène illustre très bien ce phénomène dans The Host. Un représentant de

l’ordre s’avance vers la famille Park qui pleure leur bien-aimé Hyun-Seo. Alors qu’il

s’apprête à faire une annonce importante, il glisse et tente de se rattraper facilement.

Cette scène ne sert pas uniquement à faire rire, elle sert aussi à montrer la fragilité de

l’ordre qui finalement n’est pas aussi stable et rassurant. Cela a aussi pour effet de

ridiculiser les membres de la classe dominante.

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Conclusion

Certains auteurs seront marqués par le contexte dans lequel ils grandiront, ils

deviendront des hommes qui jouiront de la liberté d’expression que leur laisse leur

époque. Tout cela va apporter une réflexion sur le monde qui les entoure et cette

réflexion, ils souhaiteront la partager afin d’exposer la vérité. Et je crois fermement que

Bong Joon-Ho est l’un de ses hommes.

Il va utiliser toutes les ressources que lui propose le cinéma afin de mettre en

lumière des faits qui l’intéressent ou qui l’ont touché. Il se nourri de son expérience

personnelle mais aussi de l’Histoire de son pays. Tous ses thèmes vont être retranscris

aussi bien par la forme que par le fond.

Comédie dramatique, polar, fantastique, drame, science-fiction. Cinq films, cinq

genres différents. C’est cet éclectisme qui rend difficile de définir exactement le cinéma

de Bong Joon-Ho, du moins sur la forme. Il choisit ses genres en fonction de son envie

mais aussi en fonction du message qu’il a envie de faire passer. Ce n’est pas qu’il est

plus facile ou plus difficile avec l’un ou avec l’autre mais c’est un souci de qualité. Bong

Joon-Ho réussit à chaque fois le tour de force de faire des films de genres avec des

messages ou des thèmes qui reviennent ou qui se font écho les uns aux autres.

Si je devais résumer le cinéma de Bong Joon-Ho, ce serait avec ses deux

mots : divertir, instruire. C’est un cinéma intelligent que je veux voir plus souvent, il est

donc inutile de dire à quel point j’attends son prochain film qui s’intitule Okja et qui

devrait sortir dans les salles d’ici la fin d’année. Ce film sera-t-il aussi critique envers la

société que les précédents ? Explorera-t-il d’autres thèmes ? Tant de questions qui

devront attendre encore quelques mois avant d’obtenir des réponses.

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Bibliographie

Noodles : Bong Joon-ho : inclassable et déjà essentiel, Doc Ciné, 2015

Julien Gester : Bong Joon-Ho : en Corée encore, Les Inrocks, 2006

Olivier Père : Mother de Bong Joon-Ho, Arte, 2013

Bong Joon-Ho : Barking Dogs Never Bite, 2000

Bong Joon-Ho : Memories of Murder, 2003

Bong Joon-Ho, The Host, 2006

Bong Joon-Ho, Mother, 2009

Bong Joon-Ho, Snowpiercer, 2013

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Annexes

Annexe 1

Morgue official in Korea convicted of dumping chemicals avoids jail

SEOUL — The top official at the U.S. military’s morgue here on Tuesday lost his

appeal on a pollution conviction in a South Korean court but won a reprieve from six

months in jail, according to the decision from the chief appellate judge in the case.

Judge Jung Duk-mo ordered U.S. Forces Korea civilian employee Albert McFarland to

serve two years of probation and suspended a lower court’s six-month jail sentence.

McFarland has a week to decide whether to appeal the decision, Jung said in Seoul

Central District Court.

McFarland, who was in court Tuesday for only the second time in the five-year-long

case, stood quietly with a translator during the ruling. He asked questions only when he

was unsure about the translation, though he did say he would request a written copy of

the judge’s decision.

McFarland declined to answer questions after the ruling. His lawyer, Kim Jong-pyo,

was unavailable Tuesday for questions.

Last year, a Seoul court tried McFarland in absentia on charges he ordered two

morgue workers to dump about 192 16-ounce bottles containing a mixture with

formaldehyde in February 2000.

The chemicals ended up in the Han River, the main source of drinking water in Seoul,

and drew outcries from environmental groups there.

USFK officials argued that, under the status of forces agreement, the United States has

jurisdiction over McFarland’s actions while on duty. The South Koreans disagreed and

rejected an offer of a U.S.-imposed $4,300 fine. Instead a Korean judge sentenced him

on Jan. 9, 2004, to six months in jail.

Jung noted in his decision that the South Korean courts did have jurisdiction in the

case, a point McFarland had continued to contest in his appeal.

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One Korean environmental group praised the decision, saying it showed that South

Korean courts have jurisdiction over the actions of USFK workers.

Park Yang-ghu, who works for Green Korea, said Tuesday he would have preferred

that USFK acknowledge the incident rather than persecute one person. Green Korea

had filed a complaint about McFarland’s actions in the early stages of the case, Park

said.

“The aim of our filing a complaint is that we would rather have an acknowledgment of

mistakes from USFK than from an individual on this serious case,” Park said through a

translator.

A USFK spokeswoman confirmed Tuesday that McFarland still is employed by the U.S.

military in Seoul.

By Teri Weaver and Hwang Hae-rym

Stars and Stripes

Published: January 20, 2005